Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie
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Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie
Radiothérapie TH 726 • mars-avril 2011 Alain Marre, Mihaela Baies Cécile Vincent, Anne-Claire Jammes médecins radiothérapeutes Christophe Aventin, Danièle Béteille, Anthony Grès dosimétristes Claudine Delmas, Michèle Bros infirmières coordinatrices des soins de support physiciens médicaux service de RADIOTHÉRAPIE - centre hospitalier jacques-Puel, Rodez Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie (à partir de l’analyse de la rectite radique) L ’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) fait partie de la démarche qualité d’un service de soins, elle est désormais incontournable dans une phase d’accréditation. La démarche qualité se décline en plusieurs étapes : identification d’événements indésirables constituant un comité de retour sur expérience (Crex) ; analyse préliminaire des risques (APR) ou analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité (Amdec) ; mise en place d’actions correctives permettant une maîtrise progressive des risques et une amélioration de la qualité des soins. L’expérience dans un service de cancérologie s’acquiert progressivement, reposant en partie sur des référentiels et guides de bonne pratique. Elle nécessite néanmoins des analyses et des études rétrospectives de son mode de fonctionnement pour apporter des solutions à des problèmes dont le seul but reste une meilleure prise en charge des patients avec des résultats thérapeutiques à la hauteur des enjeux. À partir d’une revue de morbidité mortalité (RMM) concernant l’inflammation du rectum (ou rectite) liée à une irradiation prostatique et des enquêtes et analyses sur le sujet, nous avons évolué dans notre activité au travers d’étapes successives qui se sont imposées naturellement, modifiant notre pratique quotidienne. s’adresse à un panel de patients au profil particulier, obligeant une implication de tous les acteurs. Comme suite aux événements d’Épinal et aux autres accidents de radiothérapie prostatique de 2006, il nous est apparu important de vérifier notre « propre » morbidité/mortalité pour des cas équivalents. La problématique de l’irradiation de la prostate est singulière : l’âge des patients est élevé : 70 % ont plus de 70 ans et 35 % plus de 75 ans. Les co-morbidités dans ces tranches d’âge ne sont ni rares ni mineures, entraînant des complications beaucoup plus fréquentes. La fréquence de ce cancer est conséquente, représentant près de 30 % des patients traités dans le service, ce qui donne encore plus de poids aux conclusions tirées de l’enquête. La place du traitement par radiations est à considérer car cette thérapeutique curative fait aussi bien que la chirurgie dans les formes localisées ; elle est proposée dans les référentiels aux patients âgés ou aux stades intermédiaires ou à mauvais pronostic. Enfin, le protocole d’irradiation oblige à délivrer les doses les plus fortes en cancérologie, le tout dans une région où l’organe à traiter (volume cible) est entouré d’organes à risque (OAR) sensibles (rectum et vessie) susceptibles de complications voire de séquelles sévères. Pourquoi une EPP sur la rectite radique et l’irradiation du cancer de prostate ? L’évaluation a débuté il y a quatre ans et s’est construite au fil du temps, ponctuée de plusieurs étapes (Figure 1) : • étape 1 : analyse rétrospective des cas avérés de rectite radique (dossiers 2002-2006) réalisée en février 2007 avec mesures correctives ; Nous avons choisi ce cas de figure car il est très représentatif du quotidien d’un service de radiothérapie : il mobilise à la fois des impératifs techniques et des activités de soins très diverses et complémentaires, et Chronologie de l’EPP 45 Dossier Dossier 46 Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie Cas de rectite 2002-2006 30 dossiers Février 2007 TH 726 • mars-avril 2011 Adaptation de doses Recommandations SFRO sur DVH et fractionnement classique Janvier 2008 Mai 2008 Éducation patient Escalade de dose et TDM de contrôle Janvier 2009 Janvier 2010 IRM et contourage Analyse rectite : RMM Protocole escalade de dose SFRO : Société française de radiothérapie oncologique DVH : histogramme dose-volume TDM : tomodensitométrie IRM : imagerie par résonnance magnétique RMM : revue de morbidité/mortalité Figure 1 - Chronologie de l’évaluation des pratiques professionnelles • étape 2 : application stricte des recommandations de la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO) en janvier 2008 avec mise en place d’une information plus étoffée aux patients ; • étape 3 : protocole d’escalade de dose avec une procédure de surveillance et d’évaluation en janvier 2009 ; • étape 4 : introduction du repérage par imagerie par résonance magnétique (IRM) ; • étape 5 : suivi de la RMM. Analyses successives Afin de recouper des informations pour mieux déterminer des facteurs de risques prédictifs d’événements indésirables et ainsi pouvoir apporter des actions correctives, nous avons effectué plusieurs analyses. • EPP sur la rectite radique en mars 2007 (analyse de 31 dossiers identifiés) ; • protocole d’escalade de dose en 2009 avec suivi de 20 dossiers ; • analyse de 40 dossiers vus au cours du premier trimestre 2010 dans le cadre de consultations programmées de suivi, traités avant 2008 ; • analyse des dossiers de rectite identifiée lors de ces consultations depuis janvier 2010, quelle que soit la date de l’irradiation et qui font l’objet désormais du suivi de la revue morbidité/mortalité initiée au départ. Analyse des dossiers de rectite radique identifiée entre 2002 et 2006 L’enquête n° 1, réalisée en février 2007 comme suite aux accidents de radiothérapie d’Épinal, a porté sur l’analyse rétrospective de plus de 400 dossiers de radiothérapie pour cancer de prostate traités entre 2002 et 2006, répertoriant 31 cas de rectite radique dûment identifiée par des rectoscopies. Nous avons recherché dans ces cas les facteurs de risque liés au patient et évalué les paramètres techniques de l’irradiation pratiquée qui auraient pu influencer l’apparition de cette morbidité. Les caractéristiques techniques de l’irradiation sont résumées ci-après : • traitement effectué avec un accélérateur de particules Saturne non doté de multilame avec photons X18 MeV (début d’utilisation d’un accélérateur Elekta multilame en juin 2006) ; TH 726 • mars-avril 2011 Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie 47 Tableau I - Analyse des 31 cas de rectite identifiés Date d’apparition Âge du patient et grade NCI Morbidités associées Traitement mis en place Après irradiation post-opératoire (3 cas de grade II contrôlés et guéris par séance de laser plasma argon) À 24 mois dans tous les cas Après radiothérapie exclusive (28 cas) Dose délivrée de 65 Gy Fractionnement : 4 x 2,50 Gy/semaine (à ces doses, les courbes DVH sont conformes aux recommandations) Les trois patients n’ont aucune séquelle thérapeutique à ce jour • 6 patients avec traitement local (suppositoires ou mousse rectale) • 19 patients traités par ≤ 3 séances de laser plasma argon avec régression complète • 2 patients nécessitant 6 séances de laser dont 1 grade III avec une transfusion • 1 grade IV avec dérivation digestive Varie mais reste autour de 15 mois : • 5 cas < 12 mois • 22 cas entre un et deux ans • 4 cas > 24 mois 53, 63 et 72 ans De 62 à 77 ans : • 8 > 75 ans • 12 entre 70 et 75 ans • 8 < 70 ans 26 grade II, 1 grade III, 1 grade IV 2 avec co-morbidités sévères, 15 (53 %) avec co-morbidités type diabète, dyslipidémie, dont dont 1 a développé une cardiopathie 5 avec problèmes cardiovasculaires majeurs (cardiopathie), 11 post-irradiation avec mise sous anticoagulant avec médicaments type Aspégic ou Sintron ou Plavix, et 1 avec révélant la rectite prothèses bilatérales de hanche (technique adaptée) Événements médicaux intercurrents : 3 patients ont développé une pathologie après l’irradiation (accident vasculaire cérébral, artérite) révélant alors des saignements • simulation scanner avec dosimétrie 3D pour dosimétrie conformationnelle ; • doses carcinologiques délivrées sur la prostate avec un minimum de dose à 70 Gray à l’isodose 95 % ; • fractionnement : 4 x 2,25 Gy (9 Gy/semaine) en 31 ou 32 séances soit 69,5 et 72 Gy ; • étalement : 7,5 semaines ; • technique réalisée depuis 1991 ; • depuis juillet 2006 : traitement cinq fois par semaine (deux accélérateurs). Les paramètres analysés et les facteurs de risques précurseurs recherchés sont de deux ordres : • facteurs liés à la radiothérapie : dose totale délivrée ; fractionnement de la dose (dose journalière, nombre de séances par semaine) ; histogramme dose volume (DVH : dose-volume histogram) (pourcentage de dose délivrée au rectum à 60,70 et 74 gray) ; • paramètres liés au patient : âge ; notion de co-morbidité (cardiovasculaire, dyslipidémie, diabète) ; médicaments (Aspégic, anticoagulants) ; • grade de la rectite : nous avons utilisé l’échelle des toxicités Common TerminoloGy Criteria for Adverse Events (CTCAE) publié par le National Cancer Institute (NCI) : grade I saignement sans traitement, grade II saignement fréquent avec traitement local, grade III saignement fréquent avec transfusion, grade IV perforation avec nécrose nécessitant une chirurgie de dérivation, grade V décès. Résultats Ont été identifiés 31 cas de rectite avérée par des rectoscopies que nous avons gradées a posteriori sur les données de l’examen, les traitements mis en place et l’évolution à distance : 28 rectites après irradiation prostatique ou pelvi-prostatique et 3 rectites après irradiation du lit prostatique (post-prostatectomie, soit un taux de 8 % environ de rectite tous grades confondus que nous avons réévalué à 10 % pour les dossiers forcément non connus (Tableau I). Comme suite à l’analyse des paramètres de la radiothérapie, tous les DVH ont été revus. Ils ont été réévalués de façon rétrospective par rapport aux recommandations de la SFRO de novembre 2007 à savoir : volume à 60 Gy < 50 %, volume à 70 Gy < 25 %, volume à 74 Gy < 5 %. Nous avons retrouvé 12 dossiers sur 31 (40 %) avec des doses supérieures, dont les caractéristiques étaient les suivantes : • âge des patients de 62 à 77 ans ; • 8 (75 %) sous anticoagulant ; • 1 cas de rectite grade IV avec chirurgie de décharge ; Dossier Dossier 48 Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie • 11 de grade II dont 7 avec laser plasma argon (les 11 patients n’ont aucune toxicité > 2 à ce jour) ; • sur le plan technique : - 2 DVH > aux 3 niveaux de doses, - 1 DVH > au seul niveau 60 Gy, - 5 DVH > au seul niveau 70 Gy, - 4 DVH > au seul niveau 74 Gy. L’analyse des dossiers de grade III et IV montre que : • le DVH au rectum du patient transfusé (grade III) était de 40 % à 60 Gy et 15 % à 70 Gy donc « conforme » ; • le DVH du patient dérivé (grade IV) retrouvait une dose délivrée au rectum de 37 % à 60 Gy, mais de 30 % à 70 Gy et 10 % à 74 Gy (recommandée à 25 % à 70 Gy et 5 % à 74 Gy). Ce patient de 72 ans avait de lourds antécédents vasculaires et était sous anticoagulant. La dose totale de radiothérapie a été de 72 Gy en 32 x 2,25 sur la prostate seule en août 2002. La rectite est apparue 18 mois après le traitement et a été suivie d’une dérivation pour nécrose en avril 2004. Ce dossier cumulait donc trois facteurs de risques qui auraient dû nous alerter. Conclusions Au niveau des paramètres liés au patient, nous arrivons aux conclusions suivantes : • l’âge n’est pas un facteur de risque majeur : 9 patients sur 31 ont moins de 70 ans et seulement 10 ont plus de 75 ans ; • la notion de co-morbidité apparaît comme un facteur favorisant et déterminant ; elle a été retrouvée dans 18 cas sur 31 (58 %) avec 13 patients sous anticoagulant en continu ; • les prothèses de hanches bilatérales modifient la balistique ; • 4 patients ont vu la rectorragie apparaître à la suite de pathologies post-irradiation (infarctus du myocarde, artérite…). L’évaluation des paramètres liés à la technique et à la dose délivrée au rectum nous a révélé que, dans plus d’un tiers des cas (12/31), les DVH sont au-dessus des recommandations préconisées. Rappelons que la dosimétrie prévisionnelle est réalisée avant tout traitement et que le patient bénéficie de plus de trente séances étalées sur plus de sept semaines avec des modifications et des mouvements des organes à risque permanents. Ceci explique que nous constatons lors des consultations de suivi des saignements alors que les DVH sont « conformes »… et vice versa. Les progrès des techniques telles que la TH 726 • mars-avril 2011 radiothérapie en modulation d’intensité (IMRT), les conseils prodigués aux patients et les délinéations des OAR avec IRM diminuent actuellement ces risques. Actions mises en place Mesures correctives Au terme de cette analyse, la première étape de notre action a été de mettre en place des mesures correctives dès mai 2007. Le taux des rectites sévères constatées reste peu important avec un seul cas de grade IV et un seul cas de grade III, rejoignant en cela les données que l’on peut retrouver dans la littérature – tout en rappelant que des doses curatives ont été délivrées. Par ailleurs, la prise en charge spécifique et adaptée de cette morbidité (séances de laser, suppositoires ou mousse rectale) a permis de remédier au problème, soulignant que le suivi (au moins une consultation annuelle pendant cinq ans recommandée par les instances) s’avère utile. Étapes d’une radiothérapie et acteurs impliqués Décision thérapeutique en réunion de concertation pluridisciplinaire • médecins : « bonne décision » • association avec hormonothérapie • irradiation du petit bassin Consultation d’annonce • médecin : co-morbidités + éducation • IDE soins support : éducation du patient Repérage : quel contourage ? • médecin • physicien et dosimétriste Dosimétrie : quelles dose et isodose de référence ? • physicien • médecin Séances de traitement • manipulateurs • physique avec les scanners de contrôle • IDE : éducation du patient Suivi • médecin : adaptation de dose si besoin IDE : infirmier(e) diplômé(e) d’État TH 726 • mars-avril 2011 Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie Les facteurs de risque liés au patient sont essentiels dans la genèse de cette complication ; il convient de bien les identifier et d’en informer le patient. C’est le rôle d’une consultation d’annonce de qualité délivrant une information précise au patient. La notion de co-morbidité justifie une adaptation des doses qui doivent toutefois rester curatives. L’erreur serait de limiter les doses afin d’éviter tout problème car le sous-dosage serait préjudiciable et constituerait un autre facteur de risque tout aussi dommageable pour le patient. Les associations de radiothérapie et d’hormonothérapie nous permettent de diminuer la dose délivrée tout en restant curateur chez des sujets à risque. Le respect de la dose délivrée au rectum V60 ≤ 50 % et V70 < 25 % (recommandations SFRO 2007) font partie des procédures mises en place. Les indications d’une irradiation pelvienne doivent être reconsidérées avec une place éventuelle du curage ganglionnaire pour limiter les volumes à irradier, ce en condition conformationnelle. Toutefois, le suivi régulier du patient, qui fait partie des critères de réalisation d’une radiothérapie émis par l’Institut national du cancer, et le traitement de la rectite permettent de réaliser une radiothérapie curative. Limites de doses Dès novembre 2007, la deuxième étape a consisté en un respect « scrupuleux » des recommandations SFRO (document édité) relatives aux limites de doses délivrées aux organes à risque (vessie : V60 < 50 % et V70 < 25 % ; rectum V60 < 50 %, V70 < 25 % et V74 < 5 %). Un retour à un fractionnement classique de 10 Gy par semaine avec cinq séances de 2 Gy a été décidé tout en précisant que notre recul de quinze ans sur le fractionnement de 9 Gy par semaine à raison de quatre séances de 2,25 Gy n’avait engendré ni toxicité particulière (qui nous aurait alertés) ni bien entendu de répercussion sur l’efficacité thérapeutique. La dose de 72 Gy en 32 fractions de 2,25 Gy constituait déjà une escalade de doses (équivalent de 76 Gy délivrés). Éducation des patients En mai 2008, la troisième étape a consisté à développer une action importante au niveau de l’éducation des patients avec l’aide des infirmières de coordination des soins sur le principe de « vessie pleine et rectum vide » avant chaque séance de radiothérapie. Les infirmières qui assistent aux consultations d’annonce et d’explication des thérapeutiques font bénéficier dans un deuxième temps d’une information complémentaire en particulier sur ces notions de remplissage de vessie et de transit intestinal qui modifient de façon significative la position des organes. Ce travail d’information est relayé par les équipes de manipulateurs lors des séances de traitement et par les médecins lors des consultations systématiques hebdomadaires. Le suivi de patients par réalisation de plusieurs scanners (de 3 à 5) avec autant de DVH est très parlant à ce sujet (Figure 2). Parallèlement, à l’instar des données et réflexions de la littérature, la place de l’irradiation pelvienne est rediscutée. Nous tenons davantage compte de la classification des groupes à risque selon d’Amico et des tables de Partin sur les risques statistiques de l’atteinte ganglionnaire pelvienne pour poser les indications d’une irradiation pelvienne qui reste génératrice de morbidité accrue en mode conformationnel. Avec trois ans de recul, ces deux mesures s’avèrent essentielles en réduisant les complications de façon hautement significative tant en nombre qu’en intensité. Escalade de dose La quatrième étape, initiée en janvier 2009 après une maîtrise des paramètres techniques, s’est portée, comme le recommandent les référentiels, sur des escalades de dose et consiste à délivrer des doses de 74 Gy sur l’isodose 95 % (70 Gy de façon classique) ce qui revient à donner une dose moyenne de 76 Gy. Pour cela nous avons mis au point un protocole de suivi par scanner avec réalisation de courbes DVH régulières (trois examens à raison d’un par semaine minimum au cours du traitement) qui nous amène à maintenir la dose prévisionnelle ou à revenir à des doses inférieures ; sachant que la dose minimale de 70 Gy a été délivrée. Par ailleurs, une technique de segmentation a été envisagée pour réaliser une forme très partielle de modulation d’intensité. Le protocole d’étude a porté sur 20 dossiers : • 20 patients dont l’âge moyen est de 71 ans, a priori sans co-morbidité majeure ; • dose prévisionnelle de 74 Gy sur l’isodose 95 % ; • éducation du patient et rappel des consignes par l’ensemble de l’équipe ; • scanner d’évaluation à J0, J+1, J+3, J+10 et J+20 ; • doses réalisées : 9 patients ont reçu 74 Gy, 6 ont reçu 72 Gy (dont 2 avec irradiation du pelvis) et 5 ont reçu 70 Gy. Nous avons recherché les motifs de révision des doses : 49 Dossier Dossier 50 Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie • 3 patients pour un DVH de vessie non conforme (remplissage de vessie avant la séance impossible) ; • 1 pour co-morbidité : anticoagulant entraînant des saignements précoces ; • 1 pour dysurie décrite d’emblée. Avec un minimum de 12 mois de recul, aucun cas de toxicité sur le plan digestif n’est retrouvé et 2 cas de toxicité urinaire grade II sont identifiés. On constate dans cette analyse que dans 50 % des cas une escalade de dose est réalisée sans toxicité majorée et que dans 75 % des cas une dose supérieure à 70 Gy a été délivrée. Ce protocole est en routine chez tous les patients pour lesquels l’escalade de dose est recommandée. Le pourcentage de retour à une dose de 70 Gy reste le même pour un quart des patients. Dans un exemple de plusieurs DVH successifs concernant la vessie et le rectum (Figure 2), on constate qu’il est relativement aisé d’obtenir sur huit semaines un remplissage du rectum correct mais qu’il est beaucoup moins aisé de demander à un patient de remplir au maximum sa vessie à partir de la cinquième semaine. Utilisation de l’IRM La cinquième étape en janvier 2010 a eu pour objectif d’utiliser l’IRM pour réaliser le contourage ou la délinéation de la prostate, une fusion d’images étant effectuée avec le scanner classique de repérage. L’escalade de dose est envisagée dès que le cas le demande et que le DVH est compatible. Le scanner Figure 2 - DVH vessie et rectum DVH : dose-volume histogram TH 726 • mars-avril 2011 de repérage et l’IRM sont réalisés dans la foulée afin d’obtenir un volume des OAR (vessie et rectum) les plus précis possibles et comparables. Un plan parfaitement plat a été confectionné spécifiquement pour le repérage IRM à l’identique de celui du scanner. La fusion d’images est réalisée par l’équipe de physique et le contourage de la prostate par le médecin sur l’image IRM. Le physicien ou le dosimétriste réalise la dosimétrie prévisionnelle selon les recommandations. La procédure de suivi permet d’évaluer les variations possibles au niveau des doses aux OAR. Une adaptation de dose est éventuellement faite en fin de traitement si des risques potentiels sont craints. Dans le cadre de l’analyse préalable des risques précurseurs du service (APR), une formation commune a été effectuée par l’équipe de physique sur l’harmonisation du contourage des OAR. Les médecins ont commencé de leur côté une formation commune concernant la délinéation de la prostate sur image IRM. Une première analyse de l’utilisation de l’IRM a donné les résultats suivants : • 30 dossiers ; • 7 avec dose prévisionnelle de 7O Gy dont 3 avec irradiation pelvienne associée ; • 23 dossiers avec une dose prévisionnelle de 74 Gy dont 3 avec irradiation pelvienne associée : 10 ont reçu 74 Gy (2 pelvis), 6 ont reçu 72 Gy (1 pelvis) et 7 ont reçu 70 Gy (70 % avec augmentation de dose). Nous avons recherché les raisons qui nous avaient amenés à une adaptation des doses (Tableau II), dans la moitié des cas la dose au rectum a motivé la réduction de la dose totale délivrée à la prostate. La question qui reste beaucoup plus difficile à trancher est celle de la valeur qu’il faut donner au DVH vésical car, dans la dernière partie du traitement, les patients ont beaucoup plus de mal à remplir complètement la vessie. Nous avons décidé de ne tenir compte de cette donnée que dans les quatre premières semaines de traitement. Analyse sur la RMM L’analyse porte sur le suivi de patients vus en consultation programmée de suivi entre janvier et mai 2010. Les patients ont été traités avant 2008 pour avoir un recul suffisant sur l’apparition éventuelle de la rectite. Le traitement a été réalisé avec un accélérateur multilame depuis juillet 2006 et avec un fractionnement de 4 x 2,25 Gy par semaine. L’évaluation du dossier technique (analyse DVH) et du dossier patient (recherche des facteurs de risque associés) est réalisée. TH 726 • mars-avril 2011 Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie Échantillon : • 40 patients ont été vus ; • 19 avaient reçu une irradiation du petit bassin (48 %) ; • 5 avaient été traités sur le lit prostatique ; • 14 avaient été irradiés sur la prostate seule. On retrouve 11 épisodes de saignements signalés (25 %) : • 2 grades II traités par laser sans toxicité avec recul médian > 3 ans ; • les 9 autres non traités ou par des médications locales ; • 5 cas de saignements survenus après un traitement avec accélérateur multilame qui diminue la dose d’exposition aux OAR ; • 3 patients avaient des co-morbidités sévères ; • 4 dossiers montraient un DVH « non conforme » : 1 V60 à 60 % (50 % recommandés), 1 V70 à 32 % (25 % recommandés) et 2 V74 à 8 et 10 % (5 % recommandés). Nous avons étudié les DVH des 29 dossiers dans lesquels aucun saignement n’était signalé : 10 DVH « non conformes » soit 36 %, 4 V60 > 50 %, 3 V74 > 5 % et 3 avec 3 niveaux supérieurs aux recommandations. Nous en avons tiré là encore quelques remarques : • le saignement rectal est un symptôme que l’on retrouve dans des proportions importantes, cela est bien noté dans la littérature, et ne signifie pas ou ne préjuge pas de l’apparition d’une rectite plus tard ; • le fractionnement à 4 x 2,25 n’apparaît toujours pas comme préjudiciable amenant une escalade de dose (dose > 75 Gy) ; • le DVH reste un instantané… et ne peut prédire de façon inéluctable ce qui arrivera puisque dans un tiers des cas les courbes DVH non conformes n’ont pas entraîné de saignement, confirmant que, sur huit semaines, il y a des variations au niveau rectal et vésical et qu’une sorte d’équilibre s’instaure (comme le montrent les différents scanners successifs d’évaluation). Analyse des cas de rectite ou de saignement La quatrième analyse porte sur les cas de rectite ou de saignement identifiés lors de l’analyse n° 3 avec mise ne place d’une RMM « hospitalière » soutenue par la cellule qualité du centre hospitalier. Dans la première analyse (mai 2010) ont été répertoriés 8 cas de saignements post-radiothérapie prostatique aux caractéristiques suivantes : 51 Tableau II - Raisons des adaptations de dose Passage de 74 à 70 Gy Passage de 74 à 72 Gy (7 dossiers) (6 dossiers) 2 : DVH au rectum non conforme 1 : DVH à la vessie 4 : DVH vessie non conforme 5 : DVH au rectum 1 : Symptomatologie vésicale persistante • âge : de 60 à 78 ans ; • rectorragie ou rectite de grade II maximum ; • 3 ont été traités après janvier 2008 ; • co-morbidités : 3 cas avec prise d’anticoagulant, 1 cas avec prothèse de hanche, 1 cas avec pour facteur déclenchant 1 coloscopie pour dépistage. L’analyse des caractéristiques techniques indique : • fractionnement : 3 avec 5 x 2 Gy semaine ; • 3 cas avec irradiation du bassin ; • facteurs prédictifs identifiés sur le traitement : 2 dossiers avec DVH à 74 Gy > 5 % (avant 2008). Nous retrouvons toujours les mêmes facteurs prédictifs de risques et les éléments précurseurs dont certains sont malheureusement incontournables dans le cadre d’un traitement curateur. Les propositions pour des actions ont été la réalisation d’une irradiation adaptée au pronostic et d’harmoniser le contourage du rectum avec un travail conjoint entre la physique et les médecins pour novembre 2010. Analyse de la RMM bis Une deuxième analyse de la RMM a eu lieu début décembre 2010, fournissant les mêmes conclusions et confirmant les mêmes mesures correctives. Les facteurs favorisants, les événements précurseurs répertoriés et les mesures correctives mises en place dans le service en attendant les techniques en modulation d’intensité sont résumés ci-après : • respect du DVH et de la dose délivrée aux OAR ; • identification des co-morbidités posant la question de la radiothérapie adaptative et de la place de l’hormonothérapie associée ; • qualité du contourage du volume cible avec l’intérêt reconnu de l’utilisation de l’IRM ; • nécessité d’un protocole de suivi rigoureux dans les cas d’escalade de dose sans IMRT (intensity-modulated radiation therapy) avec une technique conformationnelle ; • éducation du patient diminuant significativement la toxicité pendant l’irradiation. Le respect de ces mesures est compatible avec la réalisation d’une radiothérapie curative avec maîtrise des risques. Dossier Dossier 52 Évaluation des pratiques professionnelles en radiothérapie Ce travail reposant sur quatre années d’évaluation de notre pratique et ponctué de plusieurs analyses rétrospectives fait partie de la démarche qualité et de gestion des risques mise en place depuis plusieurs années dans le service. À partir d’événements indésirables analysés dans le cadre d’un Crex, nous avons pu construire une analyse des risques précurseurs. Les EPP réalisées et leur recoupement nous ont ainsi permis d’apporter, dans le cadre de nos pratiques et dans Questions à se poser Est-ce la bonne indication ? • Qualité de la réunion de concertation pluridisciplinaire • Groupe à risque de d’Amico • Courbe de Partin pour risque ganglionnaire S’adresse-t-on au bon patient ? • Co-morbidités • Respect des consignes (vessie pleine... oncogériatrie ?) S’agit-il du bon traitement ? • Bonne dose ? (respect des OAR, irradiation du petit bassin…) • Quelle isodose ? • Contrôle « continu » avec le scanner et le DVH ? • Place de l’IRM? • …en attendant l’IMRT OAR : organe à risque DVH : histogramme dose-volume IRM : imagerie par résonance magnétique IMRT : intensity-modulated radiation therapy, radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité TH 726 • mars-avril 2011 la gestion de maîtrise des risques, des actions correctives dont bénéficient les patients. La particularité de cette étude sur la morbidité qu’est la rectite liée à une irradiation pour cancer de prostate réside dans le fait qu’elle illustre parfaitement une activité de radiothérapie engageant l’ensemble d’une équipe, dont tous les maillons sont indispensables à la démarche qualité (médecins, infirmières, physicien et dosimétriste, manipulateurs). Au-delà des techniques innovantes qu’il est nécessaire de mettre en place, cette démarche démontre combien il est indispensable de maîtriser les différents processus et les évolutions, pour avancer étape par étape avant de passer à des thérapeutiques plus sophistiquées. Ce travail décliné sur trois ans nous a amenés à nous poser plusieurs questions concernant la réalisation d’une radiothérapie prostatique (Encadré) ; questions qui restent d’actualité dans toutes les localisations cancéreuses qui doivent être irradiées. n Conflit d’intérêt : aucun Remerciements À l’ensemble de l’équipe de radiothérapie pour son engagement et sa participation active dans la politique qualité du service. Quelques références 1- Chapet o, de Bari B, Azria D. Radiothérapie exclusive des cancers de la prostate : évolutions et concepts futurs. La lettre du cancérologue 2009; XVIII(10). 2- Chira C et coll. Facteurs de toxicité rectale et vésicale après irradiation conformationnelle prostatique. Abstract/cancer radiothérapie 13 (2009) p.644-697SFRo octobre 3- Ponvert D et coll. Radiothérapie conformationnelle à 76 Gy dans des cancers localisés de la prostate. Modalités thérapeutiques et résultats préliminaires. Cancer Radiothérapie 2008; 12: 78-87 4- HAS, INCa, ASN, SFRO. Guide des procédures de radiothérapie externe 2007. Le bulletin d’abonnement figure page 31