Vente directe à domicile : dynamique et porteuse de

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Vente directe à domicile : dynamique et porteuse de
VENDRE
ALIX DE LA FOREST - PHOTO :DR
Direct !
Encore associé à une image
un peu « vieillotte », le marché
de la vente directe à domicile
affiche pourtant des couleurs
à faire pâlir les réseaux de
distribution traditionnelle.
Clichés dépoussiérés,
nouveaux venus,
professionnalisation des
salariés, intégration des
nouvelles technologies,
potentiel international : ses
opérateurs ont aujourd’hui
clairement identifié les
leviers de croissance.
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VENDRE
Vente directe à domicile :
dynamique et porteuse
de croissance
Il est un marché qui brave fièrement les vents de la crise : la vente directe à domicile connaît une croissance
notable depuis ces dernières années. Riche d’acteurs historiques et de jeunes pousses, le secteur rassemble
des opérateurs qui doivent composer avec les nouvelles tendances de consommation, les nouvelles
technologies et la professionnalisation de leur réseau afin d’assurer leur pérennité.
Par Stéphanie Santerre
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(un constat appuyé
par le Credoc, qui relève des pics de croissance au milieu des
années 90 et à partir
de 2009). Ceci, mais
pas seulement.
À contre-pied des
clichés poussiéreux qui trustent encore
l’imaginaire col-
lectif rapport aux réunions « tupperware » des années passées, la
vente directe a su se réinventer
et se poser les bonnes questions
pour progresser, dans un monde
où le profil du consommateur a
changé, exigeant une approche
plus ludique et plus éthique
dans la façon d’aborder
des produits vendus
hors des circuits
traditionnels.
Véritable symbole de réussite, la griffe
de vente à domicile Charlott’Lingerie
a su défier les turbulences d’un secteur
de la lingerie pourtant bien mis à mal
sur le marché physique. Appuyée sur
un réseau de 3500 hôtesses de vente
et près de 480 000 clientes, la société
créée il y a vingt ans par son actuelle
PDG Véronique Garnodier a d’ailleurs
été classée au premier rang des PME
françaises les plus rentables par le magazine L’Entreprise en octobre 2011.
À contre-pied de la
morosité économique
Modèle de croissance en ces temps troublés, cette « troisième voie » de distribution (aux côtés de la vente en magasins
et de la vente par correspondance) a
également su capter l’intérêt des réseaux professionnels, regroupant, dans
le cas du groupe ESCP Mode par
exemple, des managers
opérant dans l’univers
La vente à
de la mode et du luxe.
domicile m’a forcée Membre de l’association
à proposer une offre des Alumni de l’ESCPEurope, en lien avec des
souple et nomade
homologues des autres
ALIX DE LA FOREST PDG DE LA MARQUE ÉPONYME
business schools, le groupe
a récemment mis à l’honneur ce domaine et les intervenants qu’il
considère à la pointe de leur secteur au
travers d’une table ronde orientée sur
« les business mode qui ne connaissent pas
la crise ». Pour Sophie Drouard, Consultante en Stratégie de Marque et animatrice du think-tank ESCP- Mode, « ce secteur constitue un champ de bataille très
intéressant, et semble très porteur pour les
jeunes entrepreneurs dans un contexte
morose. De leur côté, les consommateurs
«
»
PHOTO: DR.
E
xemple de résistance à
la crise, alternative ou
réponse aux attentes
sociétales qui en émanent, le marché de la
vente directe connaît
une croissance soutenue depuis une vingtaine d’années.
Un dynamisme qui ne fléchit pas : en
2011, le secteur a représenté un chiffre
d’affaires de 3,7 milliards d’euros tous
secteurs confondus, 450 000 à 480 000
distributeurs auxquels s’ajoutent des
emplois indirects (production, services
généraux etc.). En outre, la dernière
étude réalisée par le Credoc et par Geste
pour le ministère de l’Emploi précise
que le nombre de vendeurs sous statut
VDI (80 % des vendeurs en vente directe) a été multiplié par six entre 1995
et 2011, avec environ 350 000 emplois
aujourd’hui, dont une bonne moitié à
temps partiel, la plupart des vendeurs
indépendants travaillant de manière occasionnelle. Avec un chiffre d’affaires
représentant près de 40 % des parts
de marché, le secteur de l’habitat devance ainsi l’univers de la gastronomie
et du culinaire (14 %), le bien-être et
la diététique, à égalité avec la beauté et
les cosmétiques (10 %). Le circuit textile et accessoires de mode représente
à lui seul 8 % de l’activité globale, une
part qui devrait jouir d’une croissance
modérée à court terme.
Si ces acteurs communiquent leur optimisme pour l’avenir aussi haut que s’exprime le dynamisme de ce secteur, c’est
qu’ils évoluent aussi en marge de la
conjoncture, en bénéficiant, de manière
collatérale, d’un regain de potentiel né
des difficultés économiques de beaucoup de secteurs touchés par la crise
JC Confection a remporté le Prix
de la Jeune Entreprise 2011 pour
avoir développé avec succès la
vente à domicile de ses collections,
Divilune, Gérard Matel et Isis. Pour
l’instant, seules Divilune et Gérard
Matel sont présentées en réunion,
mais Isis devrait bientôt suivre.
commencent à fuir la vente uniformisée,
au profit d’un commerce plus humanisé. »
Dans son rapport, le Crédoc confirme
cette analyse : « Au domicile ou à celui
d’un proche, la relation acheteur/vendeur
est généralement plus humaine qu’en magasin, le client potentiel se sentant en
confiance dans un environnement connu
et où l’effet d’émulation est apprécié. »
Acteur engagé sur ce secteur depuis
des années, JC Confection, entreprise
de confection française de prêt-à-porter
haut de gamme et luxe située à Moncoutant (Deux-Sèvres) près de Cholet,
constate également une évolution
notable, favorable à sa croissance.
« La crise, confie son dirigeant Hervé
Tetard, a intensifié les dépôts de bilan
et donc la perte des emplois dans la fabrication française. Une conjoncture qui
nous a permis de maintenir au moins
les effectifs français pour se lancer dans
la vente à domicile, une activité supplémentaire qui nous a aidés à garder le cap.
Effectifs conservés au niveau de la production ; nous commençons aujourd’hui à
réembaucher dans des services particuliers, notamment au niveau du pôle vendeurs, l’entreprise ayant passé la barre des
185 vendeurs aujourd’hui, contre 28 en
2003. » La société a par ailleurs reçu
le Prix de la Jeune Entreprise 2011 lors
du Congrès de la FVD en mai 2012, pour
avoir développé avec succès la vente à
domicile de ses collections.
Made in France,
proximité, innovation :
les nouvelles tendances
La holding, qui rassemble 650 personnes, déploie ainsi trois marques à
domicile : Isis Collection, créée en
2003 suite au dépôt de bilan de la société Solfin, Divilune (2008) et enfin
Gérard Matel, rachetée pour compléter
le réseau de vendeurs en 2010. Techniquement, seules les deux dernières sont
pour l’heure présentées en réunion, pré-
cise Hervé Tetard, Isis, la plus forte activité, étant traitée en représentation
individuelle (one-to-one), avant de
s’orienter bientôt davantage en mode
« tupperware ».
Si l’avantage tourne en faveur de ce secteur depuis quelque temps, celui-ci ne
souffre d’aucun immobilisme. Réinventer la profession, bousculer son image
un peu « vieillotte », saisir les leviers de
croissance du commerce traditionnel,
comprendre les tendances… les conditions de survie de la vente directe à domicile ont changé, poussant ses acteurs
à se remettre en cause. JC Confection,
pour qui le Made in France est redevenu
un argument dopant du marché du prêtà-porter, observe ce renouveau directement des attentes émises par ses clients :
« Il y a en effet une demande permanente
sur l’origine de l’offre, alors qu’à l’époque,
les produits pouvaient provenir d’Asie,
l’important était le produit. La recherche
permanente du bon prix, qui implique la
délocalisation à outrance, était auparavant le nerf de la guerre. Maintenant,
alors que nous parlons de trois millions
de chômeurs, un vrai retour en arrière
s’est opéré : les entreprises qui souhaitent
aujourd’hui se lancer dans la vente à domicile doivent impérativement considérer
les aspects éthique, durable et création locale dans leur démarche. Personnellement, dire que 50 % de notre production
est fabriquée en France, alors que d’autres
sont à zéro, est devenu un argument de
poids auprès des consommateurs. »
Si JC Confection a également compris
l’intérêt d’adapter son offre produit pour
s’ancrer dans l’air du temps – en créant
notamment une ligne supplémentaire
à Isis, « IC » – d’autres jeunes acteurs,
à l’instar d’Alix de la Forest, qui a lancé
il y a moins de deux ans son activité éponyme de vente de chaussures personnalisées à domicile, ont parié sur un
concept nouveau et audacieux. « Dans
toutes mes recherches de création d’entreprise, relate-t-elle, je voulais quelque
chose qui valorise l’artisanat français,
VENDRE
et qui justifie, à travers un service intelligent, un éventuel surcoût du produit. Par
ailleurs, la vente à domicile m’a forcée à
proposer une offre très souple et nomade,
m’obligeant à prioriser certains produits,
dans un contexte d’adaptation colossale
par rapport à des enseignes physiques. »
Misant sur un créneau quasi inexistant,
cette ancienne d’HEC et de l’IFOP présente aujourd’hui, sous forme « d’ateliers de création » animés par une ambassadrice, une série de modèles de
chaussures « customisables » à l’envi suivant un choix préalable de déclinaisons.
« Chacune des clientes peut créer un modèle qui lui ressemble, et se l’approprier de
façon ludique. Le moment est convivial et
nous relevons plus de 10 % de réachat !
Pour des produits tournant autour de
200 euros, c’est un très bon chiffre. »
Réseau :
professionnaliser
pour fidéliser
PHOTO: DR.
Compris entre 30 et 80 ans, cœur de
cible orienté la trentaine CSP+, le
spectre de la cliente Alix de la Forest balaie large. La fondatrice, qui pensait
trouver davantage de salut en province,
« Dire que nous
fabriquons à 50 %
en France est
un argument
de poids »
HERVÉ TÉTARD - PDG JC CONFECTION
exprime finalement une grande satisfaction sur la région parisienne. Son bilan
personnel : entre 30 et 40 ventes réalisées par mois, les vendeuses réalisant
quant à elles une moyenne de 25 ventes.
Dépendante comme tous de la fiabilité
de son réseau, Alix de la Forest évolue
sur un secteur qui a encore traditionnellement du mal à attirer et retenir ses
vendeurs. Soit un enjeu majeur de la
vente directe, très appuyé par le Credoc
qui précise que le taux de turnover, ou
de recrutement pour les indépendants,
est élevé : 45 % contre 23 % pour le métier de vendeur en général en France.
L’ancienneté des indépendants serait
ainsi de 2 ans, contre 7 ans pour les vendeurs salariés, les départs intervenant
souvent dès la première année. Pour le
Crédoc, les principaux motifs d’abandon
semblent ainsi émaner « de la difficulté
relationnelle dans la relation de vente, le
manque de persévérance dans le suivi de
la formation et de rigueur dans l’organisation personnelle ». À cette problématique, Philippe Jacquelinet, PDG de Captain Tortue et président de la FDV,
répond sans sommation : « Il faut trois à
quatre mois pour former des vendeurs…
et deux à trois ans pour qu’ils soient
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performants. » Et le dirigeant de maîtriser son sujet : l’une des plus belles success stories du marché européen, créée
en 1993 à Nîmes, implique aujourd’hui
27 000 hôtesses, 2700 démonstratrices
150 animatrices, 15 managers, 8 directeurs de secteur pour près de 350 000
clients. Inclus l’activité de ses cinq
lignes, Captain Tortue espère en outre
réaliser 115 millions d’euros de chiffre
d’affaires à horizon 2015. Mais la chose
n’est pas aisée pour tout le monde :
« Même quand je parle avec des gens
qui gèrent un gros réseau, souligne Alix
de la Forest, la “bonne vendeuse”, qui soit
à la fois apporteuse d’affaires, motivée et
de bon conseil, reste difficile à appréhender. » Hervé Tetard, de son côté, évoque
également la nécessité de former au sein
de la structure : « Dans l’objectif de passer
à court terme de 85 à 150 vendeurs pour
Isis, afin de couvrir l’ensemble de la
France, nous allons lancer de vastes
opérations de recrutement avec des POE
collectives (Ndlr : préparations opérationnelles de l’emploi) afin d’embaucher
des vrais pros. Si on veut des gens vivant
de leur travail, il faut obligatoirement des
temps pleins, de préférence sous statut
VRP. » Dans cette veine, le Credoc réitère également la priorité de sécuriser
les emplois, à travers par exemple des
formations diplômantes et à terme,
pourquoi pas, « de favoriser la reconnaissance de “certification” de la VD
permettant de favoriser la mobilité des
personnes dans l’espace européen ».
Lilian et Philippe Jacquelinet, fondateurs
de Captain Tortue en 1993.
Personnaliser le besoin du consommateur ou encore réconcilier la jeune génération avec le métier de la vente directe,
loin des clichés de la « ruralité » et de
« la clientèle âgée », constituent là encore un enjeu essentiel pour attirer les
vendeurs. Une jeune génération marquée par l’avènement d’Internet, un
complément qui a lui seul, aujourd’hui,
pourrait séduire les nouveaux venus sur
ce marché.
Miser sur les nouvelles
technologies
Parce que son évolution doit aussi
passer par l’usage des nouvelles technologies, la vente directe mérite d’en tirer
profit tant sur l’analyse des profils de
clientèle, que sur l’identification des
cibles, l’incitation à la vente ou encore
la promotion. « Au-delà, poursuit le
Credoc, on peut imaginer une vente en
réunion virtuelle par visioconférence,
ainsi que le développement de boutiques
online gérées par les vendeurs, permettant
aux clients de renouveler leur produit sans
se déplacer. » Jeune pousse de la VD, Alix
de la Forest fait partie de cette génération qui n’est plus à convaincre du bienfait des passerelles entre son activité
et les technologies du Web : « Je les surutilise, enchérit-elle. Je ne comprends
même pas qu’on fasse l’impasse dessus.
Rien que Facebook m’a permis de toucher
un plus large réseau de clientes. J’envoie
également une newsletter mensuelle aux
clientes, leur proposant la “chaussure du
mois”, non personnalisable mais à prix réduit. Ce procédé permet de faire découvrir
des modèles. » Pour sa part, l’approche
du Web comme levier de croissance de
JC Confection consiste d’abord en une
veille sur les réseaux sociaux : « Nous venons de créer en interne un poste spécialisé e-commerce, rapporte Hervé Tetard,
qui anime notre page Facebook et le site
Internet, pour promouvoir notre qualité
de fabricant français. Nous ne faisons pas
de vente directe online, mais nous y réfléchissons. » L’exemple est enfin notable
du côté de Charlott’Lingerie, qui a développé un outil devant permettre à terme
à ses vendeuses de personnaliser une
page Web pour certains produits à la
vente, ou encore d’Yves Rocher et sa
marque Stanhome, qui propose sur son
site un lien vers les blogs des conseillères
de la marque. Xerfi, qui remarque dans
son analyse de secteur l’émergence des
plateformes de mise en relation entre
les acteurs de la vente à domicile,
évoque en particulier le cas Seedbees,
« premier réseau social de la vente à domicile », qui souhaite faciliter le recrutement de clients et de vendeurs pour les
entreprises de vente directe. Un site qui,
précise Xerfi, intéresse plus les marques
qui se lancent sur ce marché que les opérateurs historiquement présents.
Si l’on marche dans les pas de Captain
Tortue, qui avec une telle assise sur le
marché envisage désormais d’intensifier
son activité à l’international, ce dernier
levier de croissance offre enfin des perspectives intéressantes pour les entreprises. La société, rachetée à 60 % par
le fonds L Capital (LVMH) en 2011, a su
aiguiser l’appétit des investisseurs par
son business model.
Brésil, Canada, Inde, Japon, Russie…
rassemblent à eux seuls 12 millions
d’emplois dans la vente directe, rappelle
la Fédération. Pour la FVD, « cet objectif
n’est pas nouveau », et la Fédération s’est
déjà dotée d’un personnel multilingue
« afin de répondre aux sollicitations des
entreprises étrangères ». Une Fédération
qui a également mis en place des informations sur la structure des marchés
étrangers notamment. Quant au marché
français, son chiffre d’affaires devrait
progresser de 3,5 % en valeur en 2012,
puis de 4 % en 2013, estime Xerfi dans
ses perspectives. Un dynamisme qui
ne devrait pas s’altérer, l’activité des
opérateurs de la vente à domicile devant
poursuivre sa croissance à l’horizon
2013, malgré la morosité économique. ■