Le neveu de Rameau, Diderot
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Le neveu de Rameau, Diderot
Le neveu de Rameau, Diderot Introduction : Le neveu de Rameau est une œuvre inclassable, à la fois dialogue philosophique, mais aussi satire dans les deux sens du terme. L’extrait proposé met en scène deux protagonistes, d’une part le Neveu de Rameau (Lui), personnage ayant réellement existé, d’autre part le philosophe (Moi). Chacun propose sa conception de la vie, mais ces deux conceptions ne sont pas aussi tranché, c'est-à-dire au aussi opposées, qu’il n’y parait. Axe I : Selon le neveu. Au début de l’extrait, le neveu vient d’exprimer la thèse selon laquelle il est légitime de profiter de la situation que l’on occupe, quel qu’elle soit, que l’on soit riche ou pauvre ; d’où la réplique ironique du philosophe, choqué par le cynisme du neveu : « Au digne emploi […] bien glorieuse pour vous ». À l’ironie railleuse du philosophe, fait écho la longue réplique du neveu qui poursuit sur le même ton. C’est l’occasion pour le neveu de réaffirmer, sur un ton provocateur, ses théories. Le début de la réplique ne témoigne de l’arrogance du personnage, de sa prétention. Dans la suite de la réplique, le neveu affirme qu’il ne fait que se conformer aux discours tenus par ceux qui vivent dans l’aisance ; ou à défaut de discours, aux comportements tels qu’on peut observer dans la société. Il utilise un point de vue réaliste ou pragmatique. Il ne fait que ce que les autres font. Dans la suite, le neveu s’en prend directement au philosophe qu’il avait déjà malmené dans un passage précédent. Il se livre à une véritable charge contre les philosophes. Il les traite avec mépris et en brosse un portrait féroce tel qu’il les voit. Il leurs reproche d’abord d’imposer une valeur unique (=tyran ?) aux autres ; puis d’être des rêveurs, de vivre comme dans un roman ; de vivre dans une âme singulière, minoritaire et marginaux. Sa dernière attaque est la plus violente : il s’attaque à la vertu et les traite d’hypocrites : ce ne serait que des imposteurs et la philosophie ne serait qu’une apparence. Le neveu également à une hypothèse, un raisonnement à contrario : il envisage un monde sage et philosophe, entièrement commandé par ce dernier, qui serait ennuyeux et sans plaisirs. Enfin le neveu se livre à des références irrespectueuses, irrévérencieuses à La Bible. Il invoque la sagesse de Salomon qui réduit à trois plaisir / sens : boire, bien manger et à la sexualité = à la débauche. Deuxième allusion choquante : « excepté cela, le reste n’est que vanité », il fait allusion à l’Ecclésiaste : « vanité des vanités, tout est vanité » (une section de La Bible) qui signifie que tout n’est que superficiel à part Dieu ; alors que le neveu de Rameau se rapporte à la débauche. Le neveu se livre à une apologie (une défense) des plaisirs charnels, sensuels, matériels, sans aucune restriction. Axe II : Selon Moi. Au lieu de rentrer dans le jeu du neveu, le philosophe se livre à une longue concession, très longue. Le philosophe admet lui aussi les plaisirs des sens en reprenant tous les thèmes du neveu et de façon beaucoup plus développé, avec des détails beaucoup plus concrets : avec plus d’ampleur que le neveu et une délectation évidente. Il utilise une façon très suggestive, lyrique, une longue phrase. À partir de « mais », on trouve, comme toute argumentation concessive, un renversement argumentatif : il énonce sa conception de la vie, du bonheur. Le ton se fait plus sérieux, en revendiquant la sincérité et va établir une hiérarchie des valeurs du plaisir à travers une longue phrase en évoquant des plaisirs qui lui semblent supérieurs, nobles, que l’on pourrait résumer à la charité, l’amitié, aux obligations qui lui sont liées, l’affection. Il faut également souligner le lyrisme qu’il emploi pour évoquer ses plaisirs. Pour finir, il fait référence à Voltaire, en l’utilisant comme une sorte d’argument d’autorité. Il oppose le Voltaire qui a trouvé la gloire au théâtre et celui qui a réhabilité la mémoire de Calas. Il préfère évidement celui qui s’engage, pas pour trouver la gloire. Axe III : Au terme de cette délibération, il semble qu’il n’y ait pas de terrain d’entente possible entre les deux personnages, néanmoins, les différences sont moindres qu’on ne pourrait le penser. Sur le fond, les divergences sont surtout théoriques : l’un croit aux valeurs relatives (le neveu), c’est un pragmatique, un réaliste, un opportuniste qui est aussi empirique ; l’autre, le philosophe, croit en des valeurs absolus, universelles : c’est un idéaliste, un humaniste, quelqu’un qui cherche la sagesse. Cela dit, tous les deux sont attachés au principe de plaisir et de ce point de vue, la longue concession du philosophe est révélatrice : le philosophe n’est qu’un homme austère, un homme qui ignore les plaisirs de la vie. Comme le neveu de Rameau, c’est quelqu’un de sensuel. On est bien au siècle du libertinage. Diderot pense que la connaissance vient au niveau des sens, théorie du sensualisme (de Condillac) chaque fois que notre sens se met en éveil, notre connaissance se met en marche. Sur la forme, il y a une convergence entre les deux personnages ; chacun utilise un langage passionné, n’hésite pas à utiliser des hyperboles, s’enflamme vite, un langage même familier pour le neveu : il parle comme il pense « diablement ». Quand le philosophe évoque les plaisirs des sens, il le fait avec délectation en se référant à des choses concrètes. Quand le philosophe évoque au contraire les plaisirs nobles, il n’utilise pas de termes abstraits, il se réfère à des situations concrètes, imagés. En fait Lui et Moi, plutôt de correspondre à deux personnages distincts, représente plutôt deux facettes de Diderot lui-même. Il est écartelé, tiraillé entre la raison et la passion, entre le domaine rationnel et le domaine de la sensualité. Il ‘agirait plutôt d’un conflit intérieur. Diderot à lui-même eu une jeunesse agitée. Le côté théâtrale du personnage du neveu n’est pas sans affinité avec Diderot lui-même qui est volontiers démonstratif dans sa vie, dans son écriture et dans son gout pour le théâtre. Conclusion : Ce texte délibératif est donc beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait le penser. Certes ce texte contient une satire des fausses valeurs de l’époque, d’une société qui est corrompu. Mais, le neveu de Rameau, paradoxalement, profite de cette société dont il est un pur produit, mais en même temps porte un regard extrêmement lucide, extrêmement perspicace sur un monde dominé par la corruption, la vanité, l’argent. Ce qui en fait un personnage fascinent à la fois pour son interlocuteur mais aussi pour le lecteur. C’est un personnage que l’on ne peu pas définir d’une façon simple et unique car il est complexe. Il n’est pas aussi heureux qu’il le prétende, qu’il ne pense pas tout ce qu’il dit. Chez lui le bon et le mauvais sont indissociable. On pourrait justement penser à une pièce de Diderot : « Est-il bon ? Est-il méchant ? ». Diderot ne cherche pas à nous donner une réponse définitive. L’histoire du théâtre au XVIIIème siècle. La comédie sait se renouveler, en revanche la tragédie est complètement sclérosée, c’est un genre moribond. Certains auteurs, comme Diderot, pensent qu’il faut réformer le théâtre et créer un genre nouveau qui est le « Drame bourgeois ». Bourgeois car il veut introduire dans le théâtre une classe, qui est pourtant montante niveau économique, plus proche de la vie quotidienne. Le mot drame renvoi à l’idée d’action et implique un mélange des registres. Cela annonce l’initiative des romantiques au 19ème siècle. C’est au 18ème siècle qu’on redécouvre Shakespeare.