l`autre amerique - Musée de l`Elysée

Transcription

l`autre amerique - Musée de l`Elysée
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
AVEC LE SOUTIEN DE LA FONDATION JULIUS BAER
L'AUTRE AMERIQUE
MITCH EPSTEIN AMERICAN POWER
SAUL LEITER EARLY COLOR
FRANK SCHRAMM STAND-UPS-REPORTING LIFE FROM GROUND
ZERO
Mitch Epstein, Raffinerie BP à Carson, Californie, 2007
MUSEE DE L’ELYSEE
T + 41 21 316 99 11
UN MUSEE POUR LA PHOTOGRAPHIE
F + 41 21 316 99 12
18, AVENUE DE L’ELYSEE
[email protected]
CH–1006 LAUSANNE
WWW.ELYSEE.CH
TABLE DES MATIÈRES
INFORMATIONS PRATIQUES
3
SPÉCIAL ENFANTS
4
CHRONOLOHIE MITCH EPSTEIN
5
AMERICAN POWER
6
CHRONOLOGIE SAUL LEITER
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EARLY COLOR
13
CHRONOLOGIE FRANK SCHRAMM
16
STAND-UPS. REPORTING LIFE FROM GROUND ZERO
17
PROPOSITIONS D'ACTIVITES PEDAGOGIQUES
20
2
INFORMATIONS PRATIQUES
Heures d’ouverture
Le Musée de l’Elysée est ouvert du mardi au dimanche de 11 h à
18 h, ainsi que les jours fériés
Adresse
18, avenue de l’Elysée, 1014 Lausanne
T + 41 21 316 99 11
F + 41 21 316 99 12
E [email protected]
www.elysee.ch
Transports
bus n°4 et n°8, Montchoisi / Musée Olympique ; n°2,
d’Ouchy ; n° 25, Elysée. Métro M2, Délices.
Visites
L’entrée au musée est gratuite pour les élèves et leur
enseignant/e.
Ce dernier bénéficie de la gratuité s’il souhaite préparer sa visite.
Croix-
Ce dossier est téléchargeable sur www.elysee.ch, rubrique
médiation culturelle.
Des visites commentées – en français, allemand ou anglais – sont
proposées aux groupes (maximum 25 personnes).
La visite est facturée CHF 60.- (au lieu de 85.-) pour les écoles.
Prière de s’inscrire à l'accueil 10 jours à l’avance, par téléphone au
021 316 99 11 ou par e-mail à l’adresse [email protected]
Visites Guidées
Dimanche 25 septembre 16 h
Visite guidée par un guide du musée
Dimanche 2 octobre 16 h
Visite guidée par un guide du musée
Dimanche 23 octobre 16 h
Visite guidée par un guide du musée
Dimanche 6 novembre 16 h
Visite guidée par un guide du musée
Dimanche 13 novembre 16 h
Visite guidée par un guide du musée
Conférences
CHF 15.- / 5.Dimanche 9 octobre, Salle Lumière, 16 h
Cycle "Histoire de la photographie en 10 leçons"
Joan Fontcuberta
par Radu Stern
Dimanche 30 octobre, Salle Lumière, 16 h
Cycle "Histoire de la photographie en 10 leçons"
Andreas Gursky
par Radu Stern
3
La photographie en questions
Posez vos questions, le responsable des activités pédagogiques
se tient à votre disposition
Samedi 1er octobre, 16 h
SPÉCIAL ENFANTS
En famille au musée
Pendant que les parents visitent l'exposition, les enfants la
découvrent à
travers des propositions ludiques.
Dimanche 25 septembre
Dimanche 2 octobre
Dimanche 23 octobre
Dimanche 6 novembre
Dimanche 13 novembre
16 h
16 h
16 h
16 h
16 h
Stages pour enfants
Jeux d'images
Mardi, mercredi et jeudi 25-27 octobre 2011 de 14 h à 17 h
Une exploration ludique du monde de l’image photographique pour les enfants de 6 à 12 ans.
Le stage se déroule sur les trois jours, sur inscription uniquement
Prix ; 10 CHF pour les trois jours
Inscriptions et contact
Radu Stern
021 316 99 11
[email protected]
Rédaction du dossier
: Radu Stern, responsable des programmes éducatifs
4
CHRONOLOGIE MITCH EPSTEIN
1952
Naissance, Holyoke, Massachusetts
1970
Willinston
1970-1971
Union College, New York
1971-1972
Rhode Island School of Design, Providence, NJ
Avec Aaron Siskind and Harry Callahan
1972-1974
The Cooper Union, New York avec Gary
Winogrand
1978
National Endowment for the Arts Grant
1979
Light Gallery, New York
1989
In Pursuit of India, Santa Barbara Museum of Art
1994
In the Caribbean: Mitch Epstein Photographs, Cleveland
Museum of Art
2001
Recreation, Brent Sikkema, New York
The City, Rose Gallery, Los Angeles
2003
Family Business, Power Memphis,
Northhampton School
Dad, court-métrage
2006
Mitch Epstein Retrospective, SK Stiftung Kultur, Cologne
2008
Prix Berlin Arts et Lettres, The American Academy in
Berlin
2009
Médaille d'or, Deutscher Fotobuch Preis pour
American Power
2010
Prix Pictet pour la photographie pour
American Power
2011
American Power, Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
American Power, Musée de l'Elysée
5
AMERICAN POWER
CHESHIRE
En
2003,
le
New
York
Times
commande
à
Mitch
Epstein
un
reportage à Cheshire, Ohio, devenu un
village fantôme à cause de la pollution
du
sol
produite
par
l'usine
de
l'American Electric Power, une des plus
grandes
compagnies
productrices
d'électricité à base du charbon des
Etats-Unis. La quantité de substances
nocives dans le sol était devenue
tellement grande qu'elle mettait en
péril la santé des habitants. L'endroit
Mitch Epstein, Beulah (Boots) Hern, 2004,
était devenu invivable et il a fallu l'éva-
cuer. Afin d'éviter une plainte collective qui aurait pu lui coûter des sommes exorbitantes,
AEP a acheté les maisons des villageois et les a fait raser par des bulldozers. Le prix Ne
comprenait pas que la maison, mais aussi le silence des anciens propriétaires, qui
s'engageaient à ne pas poursuivre AEP en justice et promettaient de ne pas faire des
déclarations à la presse. Seule une douzaine d'habitants dont l'octogénaire Beulah Hern –
Boots pour les intimes – étaient réfractaires à tout arrangement à l'amiable et avaient refusé
de vendre. Beulah Hern vivait barricadée dans sa maison protégée par des caméras de
surveillance, avec un pistolet chargé toujours à portée de la main - qu'elle déchargera
uniquement pendant la prise de vue par respect pour le photographe - prête à se défendre
contre des possibles représailles de l'AEP.
6
LE TOURISME DE L'ENERGIE
La rencontre avec la très déterminée Beulah Hern a beaucoup impressionné Mitch Epstein,
sans doute sensibilisé à la détresse de la vieille dame par la situation de son propre père,
acculé à la faillite à un âge vénérable. L'épisode de Cheshire devient le prologue d'un travail
qui durera des années, dont une sélection sera présentée dans le livre American Power (2009)
et dans l'exposition du même nom. Le projet est plus qu'ambitieux. Epstein veut représenter
le rôle central de l'énergie dans la société américaine et son ambiguïté; elle est essentielle
pour le bien-être et, en même temps, sa production dégrade inexorablement le cadre de vie :
Nous avons créé une culture qui dépend de l'énergie. Il n'y a pas
de solution parfaite en matière d'énergies. Nous devons nous
interroger sur le développement de l'Amérique pour le penser en
des termes différents. C'est notre responsabilité. Le modèle
américain de croissance n'est plus viable : il est fondé sur des
énergies illimitées...
Pour réaliser son projet, le photographe commence un "tourisme de l'énergie", il parcourt
pendant six ans 25 états américains afin de documenter des lieux qui n'ont rien de
"touristique", mais qui sont en rapport avec la production d'énergie. Epstein photographie
des mines de charbon, des sondes, des plates-formes pétrolières, des raffineries, des stations
d'essence, des citernes, des centrales thermiques ou nucléaires, des sites de stockage de
déchets nucléaires, des usines, des cheminées, des barrages, des panneaux et des fours
solaires, des éoliennes, des piles à combustible, des gazoducs et oléoducs, mais il fait aussi
des images qui montrent la consommation sans limites de cette énergie, de l'éclairage
nocturne démesuré à la chaise électrique, en passant par les voitures rutilantes, les
motocyclettes surpuissantes ou les missiles.
D'autres images montrent les conséquences de la production d'énergie sur l'environnement,
la relation qui existe entre la société américaine et le paysage américain. Les cheminées
photographiées par Epstein crachent des fumées inquiétantes qui, parfois, comme dans
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Centrale thermique de Gavon, Cheshire, Ohio (2003) deviennent le seul sujet de l'image.
Tout au long de la série, Epstein nous fait voir la proximité immédiate entre l'habitat ou les
Mitch Epstein, Centrale thermique de Gavon, Cheshire, Ohio, 2003
loisirs et les installations productrices d'énergie: les gens habitent, vont à la pêche, se
baignent ou jouent au foot juste à côté des installations gigantesques et inhalent leurs
fumées nauséabondes et toxiques. Les effets de la production et de la consommation de
l'énergie sur le milieu sont bien visibles ; les maisons sont abandonnées, les sols et les eaux
sont pollués, les arbres sont morts, les glaciers fondent. Parfois, la nature blessée se venge.
L'augmentation du nombre des catastrophes naturelles est en corrélation directe avec la
croissance de la production d'énergie. Epstein photographie les conséquences de l'ouragan
Katrina, dernière preuve évidente de notre échec en tant que société, de la rapacité de notre
culture dont l'excès d'avidité avait conduit au désastre. En soixante-trois images, Epstein
fournit un inventaire visuel quasi-exhaustif de la production et de la consommation de
l'énergie aux Etats-Unis. Cet inventaire n'est pas entièrement négatif, certaines images,
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comme celles représentant la production des énergies alternatives, sont plutôt optimistes. Si
certaines scènes sont terrifiantes, d'autres ne manquent pas d'humour.
PHOTOGRAPHIE ET HARCELEMENT
Certains ont rapproché le long voyage d'Epstein à travers les Etats-Unis d'un autre périple
photographique américain célèbre, celui de Robert Frank. Il est tentant de voir American
Power aussi comme une réponse/hommage d'Epstein à son illustre prédécesseur, un état des
lieux de la société américaine réalisé un peu plus de cinquante ans après The Americans
(1959) et focalisé sur l'énergie, le problème central de notre temps.
Les difficultés qu'a rencontré Epstein dans la réalisation de son projet dépassent de loin celles
de son précurseur. Si Robert Frank avait été arrêté une fois arbitrairement et une autre fois
sommé de quitter la ville dans l'heure par un shérif trop zélé, Mitch Epstein a dû faire face à
une obstruction continuelle, allant jusqu'au harcèlement. La promulgation le 26 octobre
2001 du Patriot Act, la loi antiterrorisme et le climat sécuritaire qui s'est installé par la suite
ont considérablement augmenté les difficultés de réalisation d'un tel projet. Et le droit de
photographier librement dans l'espace public était remis en cause par ces nouvelles
réglementations. Les sites de production d'énergie sont considérés comme un sujet sensible
et photographier ces installations, qui auraient pu être choisies comme cible par des
terroristes, devenait un comportement suspect. D'innombrables fois, Mitch Epstein a été
empêché de photographier, chassé, surveillé de près, soupçonné d'activités hostiles,
questionné, menacé, malmené, fouillé, interpellé et interrogé par les gardiens des sites
respectifs, mais aussi par les différentes polices, des shérifs locaux au FBI. Pendant tout le
projet, Mitch Epstein a travaillé avec le sentiment d'avoir Big Brother à ses trousses.
ENERGIE ET POUVOIR
Le titre du livre de Mitch Epstein peut être traduit en français de deux façons : L'énergie
américaine, mais aussi Le Pouvoir américain. Au cours de ce projet, Mitch Epstein découvre
toutes les connexions qui existent entre la production d'énergie et le pouvoir économique et
politique. Le président George Bush et le vice-président Dick Cheney étaient particulièrement
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liés aux milieux de l'industrie du pétrole. Après le 11 septembre 2001, on constate un
changement dans la politique énergétique. En prétextant la nécessité stratégique de réduire
la dépendance des Etats-Unis de sources d'énergie extérieures, presque toutes les anciennes
restrictions imposées pour des raisons écologiques furent abolies. Les compagnies pétrolières
et gazières pouvaient prospecter et exploiter toutes les ressources qu'elles arrivaient à
identifier, sans se soucier des dégâts "collatéraux" que subissait l'environnement. Par
conséquent, les profits des compagnies qui travaillaient dans le domaine de l'énergie ont
décuplé. La connivence des intérêts entre le pouvoir politique et celui économique est
évidente. Avant d'atteindre l'objectif, l'indépendance énergétique des Etats-Unis, la voie
choisie par Bush et Cheney permettait d'abord aux actionnaires des dites compagnie de
remplir leur poches !
EPSTEIN ET LE STYLE DOCUMENTAIRE
Avec ce travail, Epstein renouvelle le style documentaire. Conçues d'abord en grand format,
ses impressionnantes photographies en couleur sont très différentes des photographies en
noir et blanc et en petit format du début du genre. Sans complexes, Epstein utilise le grand
format, réservé jusque là à la photographie conceptuelle et à ses mises en scène. Tout en
restant dans les frontières du style documentaire, l'artiste soigne le plus possible le caractère
formel de ses images.
Je ne commence pas ma journée avec un agenda politique. Les
problèmes du réchauffement global, des ressources d'énergie ou
de la sécurité oppressive ne sont pas présents d'une manière
consciente dans mon esprit. Les questions formelles comme celle
du cadrage sont beaucoup plus importantes pour moi à ce
moment-là.
Son sens de la couleur est remarquable. Mais la grande différence se situe au niveau du
contenu. Bien qu'obéissant à des consignes précises de leur commanditaire Roy Stryker, qui
utilisait leurs images pour faire accepter la politique du New Deal, donc dans un but de
propagande, les premiers praticiens du style documentaire prétendaient publiquement à une
certaine objectivité. En rupture avec cette tradition, Mitch Epstein documente son sujet, la
10
production et la consommation d'énergie aux Etats-Unis, mais abandonne explicitement
l'apparente neutralité du style documentaire en faveur d'un point de vue critique pleinement
assumé. En même temps, il témoigne et dénonce. Son discours est clairement politique et
son ambition ne se limite pas à l'énergie, elle vise à forger une attitude citoyenne : la fonction
politique d'American Power" est de confronter les gens avec le monde dans lequel ils vivent
et non de les endoctriner avec une certaine conception de l'énergie. Toute
fois, Epstein
refuse que le côté politique de son travail prenne le pas sur celui artistique. Assumant son
engagement politique, le photographe veut rester néanmoins un artiste qui veille à la
complexité de ses images: les images qui ont un message clairement orienté ne m'intéressent
pas, même si je suis d'accord avec leur message; elles sont que de la propagande. Il est
indéniable que les photographies d'American Power ne peuvent pas être réduites
uniquement à leur message politique et qu'elles appartiennent pleinement au domaine de
l'art.
11
CHRONOLOGIE SAUL LEITER
1923
1946
Naissance à Pittsburgh. Son père est le renommé
talmudiste Wolf Leiter
.
Leiter quitte le Cleveland Theological College,
abandonnant la formation de rabbin souhaitée par son
père.
Déménage à New York pour devenir peintre.
1947
Commence à peindre des tableaux à la limite de
l'abstraction, sans jamais franchir le pas.
Rencontre le peintre Richard Poussette-Dart et le
photographe W. Eugene Smith. Sous leur influence, il
commence à photographier et s achète un Leica.
Après avoir vu une exposition de Henri Cartier-Bresson
au MoMA, il décide de dévenir photographe.
1948
Premières photographies en couleur.
Expose à la Tanager Gallery, à côté de Philip Guston,
Philip Pearlstein et Willem de Kooning.
1951
Publie dans Life.
1953
Edward Steichen expose au MoMA vingt-cinq
photographies de Leiter dans une exposition de groupe,
Always the Young Stranger.
Ouvre un atelier de photographie sur Bleeker Street.
1995 et 1956
Expose à l' Artists's Club
1957
Edward Steichen montre dans sa conférence
Experimental Photography in Color vingt images en
couleur de Leiter.
Henry Wolf, le directeur artistique d'Esquire, publie des
images de Leiter.
1958
Publie dans Harper's Bazaar. Commence une longue et
fructueuse carrière de photographe de mode : Elle,
Vogue…
2005
Exposition Early Color, Howard Greenberg Gallery, New
York
2006
Early Color, publié chez Steidl. Exposition Early Color,
Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
2011
Exposition Early Color, Musée de l'Elysée, Lausanne
12
EARLY COLOUR
REDECOUVERTE
Plusieurs photographes revendiquent avoir été les précurseurs de la photographie d'auteur
en couleur. Ces dernières années, une redécouverte spectaculaire élargit le nombre des
prétendants. Bien avant beaucoup d'autres, le photographe américain Saul Leiter,
injustement oublié par l'histoire de la photographie et remis au devant de la scène par une
série d'expositions récentes, a commencé à expérimenter avec la couleur pour ses images
d'auteur. Déjà en 1948, alors que la photographie en couleur était tenue en saint horreur
par les "puristes" du noir et blanc, qui la considéraient vulgaire, Saul Leiter utilise la couleur
avec un brio singulier. Sauf dans de rares exceptions, ses images ne sont pas montrées
publiquement et restent connues seulement par un cercle restreint d'amis ou par quelques
initiés, parmi lesquels il faut mentionner Edward Steichen. Au lieu de regretter de ne pas
avoir eu l'attention des médias, Saul Leiter considère ceci une chance qui lui a permis de
développer une vision vraiment personnelle :
J'ai passé pas mal de temps de ma vie en étant ignoré. J'ai toujours été
très heureux comme ça. Etre ignoré c'est un grand privilèg.e C'est
comme ça que j'ai appris à voir ce que les autres ne voient pas et de
réagir différemment. J'ai simplement regardé le monde, sans être
préparé à quelque chose de précis.
1
Même si Jane Livingston l'inclut dans une hypothétique "New York School" , Leiter n'a
jamais été embrigadé dans un mouvement ou adopté un programme esthétique précis.
Plutôt qu'expliciter sa théorie de la photographie, il s'amuse à brouiller les pistes :
Je n'ai pas de philosophie de la photographie. J'aime juste prendre des
photos. Il me semble que des choses mystérieuses peuvent prendre place
dans des lieux familiers.
1
Jane Livingston, The New York School: Photographs 1936-1963, New York: Stewart, Tabori &
Chang, 1992
13
En dehors de son travail de photographe de mode, il partage son temps entre la peinture et
la photographie. Le rapport entre les deux est essentiel pour comprendre son œuvre.
Saul Leiter, Promenade avec Soames, 1958
Ses images possèdent une qualité picturale évidente, sans qu'elles ne contiennent le moindre
reliquat de pictorialisme. Comme d'autres, Leiter photographie dans la rue, mais il le fait
d'une façon singulière, prouvant qu'il est possible de faire de la street photography sans
faire du reportage. Ses photographies sont des instantanés pris dans la rue, tout en étant en
même temps des images très sophistiquées dont l'intervention de l'auteur est bien visible et
qui les transforme complètement. Leiter se sert de toute une série de manipulations afin de
mettre une distance entre la scène réelle qu'il a photographiée et l'image finale. D'habitude,
14
il n'utilise pas la couleur en tant qu'élément qui renforce le caractère "réaliste" de l'image.
Tout au contraire, la couleur de ses images est fréquemment décalée par rapport à la
couleur exacte des sujets photographiés et ce décalage est un des éléments importants qui
contribuent à la distanciation entre la scène de la rue et image finale. Souvent, mais pas
toujours, il préfère les couleurs non saturées, qui rappellent celles des tableaux nabis.
A l'époque, le contrôle que le photographe pouvait avoir quand il prenait des images en
couleur n'était pas total, les résultats pouvant être assez aléatoires. Pour augmenter le degré
d'indétermination, Leiter emploie de temps en temps à bon escient des films expirés, dont le
rendu des couleurs était imprévisible, c'est-à-dire encore plus distancé par rapport au réel.
Dans beaucoup d'images, il privilégie le flou "artistique" par rapport à une mise au point
nette. Il adore les effets produits par la buée et les jours de neige. Il inclut volontiers dans ses
images des reflets dans les vitrines, qui créent une ambiguïté concernant les niveaux de
"réalité" dans la photographie. L'espace virtuel de ses images est presque toujours
compressé, aplati, à la manière des peintures de Bonnard ou Vuillard, ses artistes favoris. Ses
points de vues sont très souvent décentrés, comme dans les estampes japonaises.
Admirateur de l'art japonais, Leiter collectionne des estampes et possède beaucoup de livres
à ce sujet. Sa prédilection pour des photographies verticales découle des kakémonos
japonais, qui avaient influencé le format des tableaux de ses peintres préférés. Ses cadrages,
qui font penser aussi à ceux des estampes japonaises, accentuent le caractère fragmentaire
de l'espace, soulignant l'arbitraire de sa vision et le fait que le champ de l'image est le
résultat du choix de son créateur.
Sorties de l'oubli, les images de Leiter paraissent très différentes de celles des autres
photographes qui ont pratiqué la street photography à la même époque. Il n'est pas
intéressé à représenter la dureté de la vie urbaine. Sa ville à lui est un univers soft, poétique,
que Leiter arrive à mettre en images comme un maître ukiyo-e d'antan. Rien de suranné,
cependant, dans sa vision qui, rétrospectivement, apparaît étonnement moderne. Une
révélation.
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CHRONOLOGIE FRANK SCHRAMM
1957
Naissance à Bethlehem, Pennsylvania
1977
Déménage à New York et travaille pour le photographe
Albert Watson.
1978
Ouvre son propre studio au Greenwich Village
1980 -1992
Commence une carrière réussie de photographe de
mode et de portrait.
Publie dans Vogue, Harper's Bazaar, Elle, Interview,
American Photographer, Arena, Traveler.
1992
Décide de se dédier à la photographie d'art.
1994
Plane Sights, Robert Klein Gallery, Boston
1995
Plane Sights, Musée de l'Elysée
1996
Plane Spotting, The Photographer's Gallery, London
1999-2000
Série Washington Under Surveillance
2001
Stand-Ups
2002
Uncle Fred's Stamp Collection, University of the Arts,
Philadelphia
2003-2006
Série House Sitters
2009-2010
Série Eyes Wide Open
2010
Participe au programme Street Photography, initié
par The Photographer's Gallery,London qui demande
une image par jour.
2011
Stand-Ups. Reporting Live from Ground Zero, Musée de
l'Elysée
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STAND-UPS, REPORTING LIVE FROM GROUND ZERO
Le jour du 11 septembre 2001, Franck Schramm était en train de se préparer pour
commencer sa physiothérapie sur Maiden Lane, à une rue du World Trade Center.
Robert, son physiothérapeute lui avait demandé s'il avait entendu quelque chose sur
un avion qui aurait frappé une des tours. Immédiatement après, ils ont entendu le
bruit de l'explosion du second avion qui s'est encastré dans la deuxième tour. Après
avoir vu les événements à la télévision, ils sont sortis du bâtiment, pour se retrouver
dans un paysage d'apocalypse : c'était presque comme au cinéma, presque comme
'Fahrenheit 451 dit-il. Comme des millions d'autres Américains, Schramm a été
confronté à l'inimaginable : les Etats-Unis étaient attaqués sur leur sol.
Photographe de mode et de studio, Frank Schramm n'avait pas avec lui son
équipement technique habituel, caméras de grand ou moyen format et lumières,
alors il n'a pas fait d'images de ce qu'il a vu ce jour-là. Et, le jour suivant, il décide de
ne pas photographier les traces de l'attentat, comme des milliers d'autres
2
photographes l'ont fait. Il veut éviter le spectaculaire. Suivant le conseil de son
mentor, le photographe de Newsweek Wally NcNamee, qui disait qu'il faut regarder
ou vont les autres photographes et toujours aller ailleurs, il veut faire quelque chose
de différent. Deux ou trois jours plus tard, sa sœur, qui habitait au coin de West Side
Highway et de la Christopher Street, attire son attention : une cinquantaine équipes
de télévision américaines et canadiennes avec des cars de reportage hérissés
d'antennes avaient investi les alentours. Cet endroit était celui où les as pouvaient se
rapprocher le plus de Ground Zero, qui était interdit d'accès. Les journalistes devaient
gérer une situation inédite : comment faire de la télévision pendant des semaines
2
En dépit du fait que l'attentat contre le World Trade Center du 11 septembre 2001 a été
l'événement le plus photographie de l'histoire, les images diffusées par les média ont été peu
nombreuses. Voir Clément Chéroux, Diplopie : l'image photographique à l'ère des médias globalisés.
Essai sur le 11 septembre 2001, Paris : éditions Le Point du Jour, 2009.
17
pratiquement sans nouvelles images, l'endroit leur étant inaccessible. Chacune des
équipes avait installé son studio temporaire. Cet environnement où l'espace est mis
Frank Schramm, 28 septembre, 2001
en scène et la lumière contrôlée, intéresse immédiatement Schramm, car il lui fait
penser à celui de son atelier. Mais son intérêt est premièrement d'ordre conceptuel :
au lieu de représenter ceux qui ont péri, il veut représenter ceux qui sont restés en
vie, montrer que la vie continue. Il commence à photographier les journalistes qui se
préparent à prendre l'antenne et leur matériel. Le travail va lui prendre huit
semaines. Ces images ne sont pas des portraits, dans le sens classique du terme :
Je ne connaissais aucun des journalistes. Je ne reconnaissais aucun
d'entre eux et j'aimais cet aspect, le facteur anonyme, même si
eux étaient probablement célèbres dans leur région, que ce soit
Kansas ou Montréal.
18
Il ne donne pas de titre à ses photographies et ne nous communique pas le nom des
journalistes. Ce qui préoccupe Schramm n'est pas le fait d'exprimer l'individualité,
l'unicité de leur personnalité, ce qui est propre au genre portrait, mais leur fonction
de messager. Comment ont-ils perçu l'événement ? Leur choc est un indicateur de
l'énormité de l'attaque. Ce sont eux qui, parmi les survivants, ont le rôle essentiel de
raconter ce qui s'est passé à la nation américaine et au monde entier. C'est grâce et à
travers eux que le monde va savoir. Leur vécu de la tragédie et leurs émotions vont
générer et canaliser les émotions de tous. Pour Schramm, photographier les
journalistes est aussi une manière de maîtriser ses propres émotions. Rendre compte
d'un événement aussi grave et aussi inattendu que le 11 septembre, n'est pas anodin.
Seulement en racontant l'histoire, ce qui joue le rôle de catharsis, on peut essayer de
revenir à la normalité.
Le photographe n'ignore pas que, pour certains, la position de ses sujets est ambiguë.
Pour un nombre de journalistes, la tragédie était l'occasion de leur vie ! Parler du 11
septembre les a rendus célèbres ! Est-ce que leur carrière repose sur la montagne de
victimes ? Pire, est-ce que les journalistes ne sont pas les complices involontaires des
terroristes, en répercutant la tristesse et le désarroi provoqués par l'attaque ? Le
terrorisme moderne est fondamentalement lié à la diffusion mondiale de ses actes. La
médiatisation à l'outrance des attentats ne joue-t-elle pas le jeu des terroristes ? Estce que les journalistes sont, sans le vouloir, les relais de leur propagande ? Comment
concilier le devoir d'informer et ces dérives possibles ?
En photographiant le dispositif médiatique qui s'est mis en place après le 11
septembre, Schramm documente aussi les doutes des journalistes par rapport à leur
activité et stimule nos propres interrogations concernant les questions évoquées plus
haut.
19
PROPOSITIONS D'ACTIVITES PEDAGOGIQUES
1. L'OBJECTIVITE LA PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE
Pour gymnasiens, éventuellement dernière année du collège.
Objectif pédagogique :
- comprendre le concept de photographie documentaire.
Expliquez brièvement aux élèves le concept de photographie documentaire et les prétentions
d'objectivité des premiers auteurs. Citez Mitch Epstein, qui assume pleinement son point de
vue et ouvrez le débat sur la possibilité ou non de la "neutralité" de la photographie
documentaire.
2. ANALYSE DE L'IMAGE
Pour gymnasiens, éventuellement dernière année du collège.
Objectif pédagogique :
- comprendre la nature de l'image.
Expliquez aux élèves que la photographie n'est pas un simple reflet du monde extérieur, mais
une représentation déterminée par la volonté du photographe.
Demandez aux élèves de faire l'inventaire de procédés utilisés par Saul Leiter pour souligner
l'arbitraire de sa vision d'artiste et créer une différence entre ses tirages et ce qu'il avait vu à
travers le viseur.
- points de vue décentrés
- cadrages "fragment"
- mise au point inhabituelle
- couleur décalée
- utilisation des reflets pour créer l'ambiguïté
- espace virtuel compressé
3. 11 SEPTEMBRE ET LES MEDIA
Pour gymnasiens, éventuellement dernière année du collège.
Objectif pédagogique :
- comprendre le fonctionnement des média.
Demandez aux élèves de trouver la profession des personnes photographiées par Frank
Schramm. Expliquez les circonstances inhabituelles et les difficultés des journalistes qui ont
travaillé sur le 11 septembre. Mentionnez le rapport entre le terrorisme moderne et la
médiatisation. Ouvrez le débat : en informant le monde sur les méfaits des terroristes, les
journalistes sont-ils des complices involontaires ?
20