l`autre amerique - Musée de l`Elysée
Transcription
l`autre amerique - Musée de l`Elysée
DOSSIER PÉDAGOGIQUE AVEC LE SOUTIEN DE LA FONDATION JULIUS BAER L'AUTRE AMERIQUE MITCH EPSTEIN AMERICAN POWER SAUL LEITER EARLY COLOR FRANK SCHRAMM STAND-UPS-REPORTING LIFE FROM GROUND ZERO Mitch Epstein, Raffinerie BP à Carson, Californie, 2007 MUSEE DE L’ELYSEE T + 41 21 316 99 11 UN MUSEE POUR LA PHOTOGRAPHIE F + 41 21 316 99 12 18, AVENUE DE L’ELYSEE [email protected] CH–1006 LAUSANNE WWW.ELYSEE.CH TABLE DES MATIÈRES INFORMATIONS PRATIQUES 3 SPÉCIAL ENFANTS 4 CHRONOLOHIE MITCH EPSTEIN 5 AMERICAN POWER 6 CHRONOLOGIE SAUL LEITER 12 EARLY COLOR 13 CHRONOLOGIE FRANK SCHRAMM 16 STAND-UPS. REPORTING LIFE FROM GROUND ZERO 17 PROPOSITIONS D'ACTIVITES PEDAGOGIQUES 20 2 INFORMATIONS PRATIQUES Heures d’ouverture Le Musée de l’Elysée est ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 18 h, ainsi que les jours fériés Adresse 18, avenue de l’Elysée, 1014 Lausanne T + 41 21 316 99 11 F + 41 21 316 99 12 E [email protected] www.elysee.ch Transports bus n°4 et n°8, Montchoisi / Musée Olympique ; n°2, d’Ouchy ; n° 25, Elysée. Métro M2, Délices. Visites L’entrée au musée est gratuite pour les élèves et leur enseignant/e. Ce dernier bénéficie de la gratuité s’il souhaite préparer sa visite. Croix- Ce dossier est téléchargeable sur www.elysee.ch, rubrique médiation culturelle. Des visites commentées – en français, allemand ou anglais – sont proposées aux groupes (maximum 25 personnes). La visite est facturée CHF 60.- (au lieu de 85.-) pour les écoles. Prière de s’inscrire à l'accueil 10 jours à l’avance, par téléphone au 021 316 99 11 ou par e-mail à l’adresse [email protected] Visites Guidées Dimanche 25 septembre 16 h Visite guidée par un guide du musée Dimanche 2 octobre 16 h Visite guidée par un guide du musée Dimanche 23 octobre 16 h Visite guidée par un guide du musée Dimanche 6 novembre 16 h Visite guidée par un guide du musée Dimanche 13 novembre 16 h Visite guidée par un guide du musée Conférences CHF 15.- / 5.Dimanche 9 octobre, Salle Lumière, 16 h Cycle "Histoire de la photographie en 10 leçons" Joan Fontcuberta par Radu Stern Dimanche 30 octobre, Salle Lumière, 16 h Cycle "Histoire de la photographie en 10 leçons" Andreas Gursky par Radu Stern 3 La photographie en questions Posez vos questions, le responsable des activités pédagogiques se tient à votre disposition Samedi 1er octobre, 16 h SPÉCIAL ENFANTS En famille au musée Pendant que les parents visitent l'exposition, les enfants la découvrent à travers des propositions ludiques. Dimanche 25 septembre Dimanche 2 octobre Dimanche 23 octobre Dimanche 6 novembre Dimanche 13 novembre 16 h 16 h 16 h 16 h 16 h Stages pour enfants Jeux d'images Mardi, mercredi et jeudi 25-27 octobre 2011 de 14 h à 17 h Une exploration ludique du monde de l’image photographique pour les enfants de 6 à 12 ans. Le stage se déroule sur les trois jours, sur inscription uniquement Prix ; 10 CHF pour les trois jours Inscriptions et contact Radu Stern 021 316 99 11 [email protected] Rédaction du dossier : Radu Stern, responsable des programmes éducatifs 4 CHRONOLOGIE MITCH EPSTEIN 1952 Naissance, Holyoke, Massachusetts 1970 Willinston 1970-1971 Union College, New York 1971-1972 Rhode Island School of Design, Providence, NJ Avec Aaron Siskind and Harry Callahan 1972-1974 The Cooper Union, New York avec Gary Winogrand 1978 National Endowment for the Arts Grant 1979 Light Gallery, New York 1989 In Pursuit of India, Santa Barbara Museum of Art 1994 In the Caribbean: Mitch Epstein Photographs, Cleveland Museum of Art 2001 Recreation, Brent Sikkema, New York The City, Rose Gallery, Los Angeles 2003 Family Business, Power Memphis, Northhampton School Dad, court-métrage 2006 Mitch Epstein Retrospective, SK Stiftung Kultur, Cologne 2008 Prix Berlin Arts et Lettres, The American Academy in Berlin 2009 Médaille d'or, Deutscher Fotobuch Preis pour American Power 2010 Prix Pictet pour la photographie pour American Power 2011 American Power, Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris American Power, Musée de l'Elysée 5 AMERICAN POWER CHESHIRE En 2003, le New York Times commande à Mitch Epstein un reportage à Cheshire, Ohio, devenu un village fantôme à cause de la pollution du sol produite par l'usine de l'American Electric Power, une des plus grandes compagnies productrices d'électricité à base du charbon des Etats-Unis. La quantité de substances nocives dans le sol était devenue tellement grande qu'elle mettait en péril la santé des habitants. L'endroit Mitch Epstein, Beulah (Boots) Hern, 2004, était devenu invivable et il a fallu l'éva- cuer. Afin d'éviter une plainte collective qui aurait pu lui coûter des sommes exorbitantes, AEP a acheté les maisons des villageois et les a fait raser par des bulldozers. Le prix Ne comprenait pas que la maison, mais aussi le silence des anciens propriétaires, qui s'engageaient à ne pas poursuivre AEP en justice et promettaient de ne pas faire des déclarations à la presse. Seule une douzaine d'habitants dont l'octogénaire Beulah Hern – Boots pour les intimes – étaient réfractaires à tout arrangement à l'amiable et avaient refusé de vendre. Beulah Hern vivait barricadée dans sa maison protégée par des caméras de surveillance, avec un pistolet chargé toujours à portée de la main - qu'elle déchargera uniquement pendant la prise de vue par respect pour le photographe - prête à se défendre contre des possibles représailles de l'AEP. 6 LE TOURISME DE L'ENERGIE La rencontre avec la très déterminée Beulah Hern a beaucoup impressionné Mitch Epstein, sans doute sensibilisé à la détresse de la vieille dame par la situation de son propre père, acculé à la faillite à un âge vénérable. L'épisode de Cheshire devient le prologue d'un travail qui durera des années, dont une sélection sera présentée dans le livre American Power (2009) et dans l'exposition du même nom. Le projet est plus qu'ambitieux. Epstein veut représenter le rôle central de l'énergie dans la société américaine et son ambiguïté; elle est essentielle pour le bien-être et, en même temps, sa production dégrade inexorablement le cadre de vie : Nous avons créé une culture qui dépend de l'énergie. Il n'y a pas de solution parfaite en matière d'énergies. Nous devons nous interroger sur le développement de l'Amérique pour le penser en des termes différents. C'est notre responsabilité. Le modèle américain de croissance n'est plus viable : il est fondé sur des énergies illimitées... Pour réaliser son projet, le photographe commence un "tourisme de l'énergie", il parcourt pendant six ans 25 états américains afin de documenter des lieux qui n'ont rien de "touristique", mais qui sont en rapport avec la production d'énergie. Epstein photographie des mines de charbon, des sondes, des plates-formes pétrolières, des raffineries, des stations d'essence, des citernes, des centrales thermiques ou nucléaires, des sites de stockage de déchets nucléaires, des usines, des cheminées, des barrages, des panneaux et des fours solaires, des éoliennes, des piles à combustible, des gazoducs et oléoducs, mais il fait aussi des images qui montrent la consommation sans limites de cette énergie, de l'éclairage nocturne démesuré à la chaise électrique, en passant par les voitures rutilantes, les motocyclettes surpuissantes ou les missiles. D'autres images montrent les conséquences de la production d'énergie sur l'environnement, la relation qui existe entre la société américaine et le paysage américain. Les cheminées photographiées par Epstein crachent des fumées inquiétantes qui, parfois, comme dans 7 Centrale thermique de Gavon, Cheshire, Ohio (2003) deviennent le seul sujet de l'image. Tout au long de la série, Epstein nous fait voir la proximité immédiate entre l'habitat ou les Mitch Epstein, Centrale thermique de Gavon, Cheshire, Ohio, 2003 loisirs et les installations productrices d'énergie: les gens habitent, vont à la pêche, se baignent ou jouent au foot juste à côté des installations gigantesques et inhalent leurs fumées nauséabondes et toxiques. Les effets de la production et de la consommation de l'énergie sur le milieu sont bien visibles ; les maisons sont abandonnées, les sols et les eaux sont pollués, les arbres sont morts, les glaciers fondent. Parfois, la nature blessée se venge. L'augmentation du nombre des catastrophes naturelles est en corrélation directe avec la croissance de la production d'énergie. Epstein photographie les conséquences de l'ouragan Katrina, dernière preuve évidente de notre échec en tant que société, de la rapacité de notre culture dont l'excès d'avidité avait conduit au désastre. En soixante-trois images, Epstein fournit un inventaire visuel quasi-exhaustif de la production et de la consommation de l'énergie aux Etats-Unis. Cet inventaire n'est pas entièrement négatif, certaines images, 8 comme celles représentant la production des énergies alternatives, sont plutôt optimistes. Si certaines scènes sont terrifiantes, d'autres ne manquent pas d'humour. PHOTOGRAPHIE ET HARCELEMENT Certains ont rapproché le long voyage d'Epstein à travers les Etats-Unis d'un autre périple photographique américain célèbre, celui de Robert Frank. Il est tentant de voir American Power aussi comme une réponse/hommage d'Epstein à son illustre prédécesseur, un état des lieux de la société américaine réalisé un peu plus de cinquante ans après The Americans (1959) et focalisé sur l'énergie, le problème central de notre temps. Les difficultés qu'a rencontré Epstein dans la réalisation de son projet dépassent de loin celles de son précurseur. Si Robert Frank avait été arrêté une fois arbitrairement et une autre fois sommé de quitter la ville dans l'heure par un shérif trop zélé, Mitch Epstein a dû faire face à une obstruction continuelle, allant jusqu'au harcèlement. La promulgation le 26 octobre 2001 du Patriot Act, la loi antiterrorisme et le climat sécuritaire qui s'est installé par la suite ont considérablement augmenté les difficultés de réalisation d'un tel projet. Et le droit de photographier librement dans l'espace public était remis en cause par ces nouvelles réglementations. Les sites de production d'énergie sont considérés comme un sujet sensible et photographier ces installations, qui auraient pu être choisies comme cible par des terroristes, devenait un comportement suspect. D'innombrables fois, Mitch Epstein a été empêché de photographier, chassé, surveillé de près, soupçonné d'activités hostiles, questionné, menacé, malmené, fouillé, interpellé et interrogé par les gardiens des sites respectifs, mais aussi par les différentes polices, des shérifs locaux au FBI. Pendant tout le projet, Mitch Epstein a travaillé avec le sentiment d'avoir Big Brother à ses trousses. ENERGIE ET POUVOIR Le titre du livre de Mitch Epstein peut être traduit en français de deux façons : L'énergie américaine, mais aussi Le Pouvoir américain. Au cours de ce projet, Mitch Epstein découvre toutes les connexions qui existent entre la production d'énergie et le pouvoir économique et politique. Le président George Bush et le vice-président Dick Cheney étaient particulièrement 9 liés aux milieux de l'industrie du pétrole. Après le 11 septembre 2001, on constate un changement dans la politique énergétique. En prétextant la nécessité stratégique de réduire la dépendance des Etats-Unis de sources d'énergie extérieures, presque toutes les anciennes restrictions imposées pour des raisons écologiques furent abolies. Les compagnies pétrolières et gazières pouvaient prospecter et exploiter toutes les ressources qu'elles arrivaient à identifier, sans se soucier des dégâts "collatéraux" que subissait l'environnement. Par conséquent, les profits des compagnies qui travaillaient dans le domaine de l'énergie ont décuplé. La connivence des intérêts entre le pouvoir politique et celui économique est évidente. Avant d'atteindre l'objectif, l'indépendance énergétique des Etats-Unis, la voie choisie par Bush et Cheney permettait d'abord aux actionnaires des dites compagnie de remplir leur poches ! EPSTEIN ET LE STYLE DOCUMENTAIRE Avec ce travail, Epstein renouvelle le style documentaire. Conçues d'abord en grand format, ses impressionnantes photographies en couleur sont très différentes des photographies en noir et blanc et en petit format du début du genre. Sans complexes, Epstein utilise le grand format, réservé jusque là à la photographie conceptuelle et à ses mises en scène. Tout en restant dans les frontières du style documentaire, l'artiste soigne le plus possible le caractère formel de ses images. Je ne commence pas ma journée avec un agenda politique. Les problèmes du réchauffement global, des ressources d'énergie ou de la sécurité oppressive ne sont pas présents d'une manière consciente dans mon esprit. Les questions formelles comme celle du cadrage sont beaucoup plus importantes pour moi à ce moment-là. Son sens de la couleur est remarquable. Mais la grande différence se situe au niveau du contenu. Bien qu'obéissant à des consignes précises de leur commanditaire Roy Stryker, qui utilisait leurs images pour faire accepter la politique du New Deal, donc dans un but de propagande, les premiers praticiens du style documentaire prétendaient publiquement à une certaine objectivité. En rupture avec cette tradition, Mitch Epstein documente son sujet, la 10 production et la consommation d'énergie aux Etats-Unis, mais abandonne explicitement l'apparente neutralité du style documentaire en faveur d'un point de vue critique pleinement assumé. En même temps, il témoigne et dénonce. Son discours est clairement politique et son ambition ne se limite pas à l'énergie, elle vise à forger une attitude citoyenne : la fonction politique d'American Power" est de confronter les gens avec le monde dans lequel ils vivent et non de les endoctriner avec une certaine conception de l'énergie. Toute fois, Epstein refuse que le côté politique de son travail prenne le pas sur celui artistique. Assumant son engagement politique, le photographe veut rester néanmoins un artiste qui veille à la complexité de ses images: les images qui ont un message clairement orienté ne m'intéressent pas, même si je suis d'accord avec leur message; elles sont que de la propagande. Il est indéniable que les photographies d'American Power ne peuvent pas être réduites uniquement à leur message politique et qu'elles appartiennent pleinement au domaine de l'art. 11 CHRONOLOGIE SAUL LEITER 1923 1946 Naissance à Pittsburgh. Son père est le renommé talmudiste Wolf Leiter . Leiter quitte le Cleveland Theological College, abandonnant la formation de rabbin souhaitée par son père. Déménage à New York pour devenir peintre. 1947 Commence à peindre des tableaux à la limite de l'abstraction, sans jamais franchir le pas. Rencontre le peintre Richard Poussette-Dart et le photographe W. Eugene Smith. Sous leur influence, il commence à photographier et s achète un Leica. Après avoir vu une exposition de Henri Cartier-Bresson au MoMA, il décide de dévenir photographe. 1948 Premières photographies en couleur. Expose à la Tanager Gallery, à côté de Philip Guston, Philip Pearlstein et Willem de Kooning. 1951 Publie dans Life. 1953 Edward Steichen expose au MoMA vingt-cinq photographies de Leiter dans une exposition de groupe, Always the Young Stranger. Ouvre un atelier de photographie sur Bleeker Street. 1995 et 1956 Expose à l' Artists's Club 1957 Edward Steichen montre dans sa conférence Experimental Photography in Color vingt images en couleur de Leiter. Henry Wolf, le directeur artistique d'Esquire, publie des images de Leiter. 1958 Publie dans Harper's Bazaar. Commence une longue et fructueuse carrière de photographe de mode : Elle, Vogue… 2005 Exposition Early Color, Howard Greenberg Gallery, New York 2006 Early Color, publié chez Steidl. Exposition Early Color, Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris 2011 Exposition Early Color, Musée de l'Elysée, Lausanne 12 EARLY COLOUR REDECOUVERTE Plusieurs photographes revendiquent avoir été les précurseurs de la photographie d'auteur en couleur. Ces dernières années, une redécouverte spectaculaire élargit le nombre des prétendants. Bien avant beaucoup d'autres, le photographe américain Saul Leiter, injustement oublié par l'histoire de la photographie et remis au devant de la scène par une série d'expositions récentes, a commencé à expérimenter avec la couleur pour ses images d'auteur. Déjà en 1948, alors que la photographie en couleur était tenue en saint horreur par les "puristes" du noir et blanc, qui la considéraient vulgaire, Saul Leiter utilise la couleur avec un brio singulier. Sauf dans de rares exceptions, ses images ne sont pas montrées publiquement et restent connues seulement par un cercle restreint d'amis ou par quelques initiés, parmi lesquels il faut mentionner Edward Steichen. Au lieu de regretter de ne pas avoir eu l'attention des médias, Saul Leiter considère ceci une chance qui lui a permis de développer une vision vraiment personnelle : J'ai passé pas mal de temps de ma vie en étant ignoré. J'ai toujours été très heureux comme ça. Etre ignoré c'est un grand privilèg.e C'est comme ça que j'ai appris à voir ce que les autres ne voient pas et de réagir différemment. J'ai simplement regardé le monde, sans être préparé à quelque chose de précis. 1 Même si Jane Livingston l'inclut dans une hypothétique "New York School" , Leiter n'a jamais été embrigadé dans un mouvement ou adopté un programme esthétique précis. Plutôt qu'expliciter sa théorie de la photographie, il s'amuse à brouiller les pistes : Je n'ai pas de philosophie de la photographie. J'aime juste prendre des photos. Il me semble que des choses mystérieuses peuvent prendre place dans des lieux familiers. 1 Jane Livingston, The New York School: Photographs 1936-1963, New York: Stewart, Tabori & Chang, 1992 13 En dehors de son travail de photographe de mode, il partage son temps entre la peinture et la photographie. Le rapport entre les deux est essentiel pour comprendre son œuvre. Saul Leiter, Promenade avec Soames, 1958 Ses images possèdent une qualité picturale évidente, sans qu'elles ne contiennent le moindre reliquat de pictorialisme. Comme d'autres, Leiter photographie dans la rue, mais il le fait d'une façon singulière, prouvant qu'il est possible de faire de la street photography sans faire du reportage. Ses photographies sont des instantanés pris dans la rue, tout en étant en même temps des images très sophistiquées dont l'intervention de l'auteur est bien visible et qui les transforme complètement. Leiter se sert de toute une série de manipulations afin de mettre une distance entre la scène réelle qu'il a photographiée et l'image finale. D'habitude, 14 il n'utilise pas la couleur en tant qu'élément qui renforce le caractère "réaliste" de l'image. Tout au contraire, la couleur de ses images est fréquemment décalée par rapport à la couleur exacte des sujets photographiés et ce décalage est un des éléments importants qui contribuent à la distanciation entre la scène de la rue et image finale. Souvent, mais pas toujours, il préfère les couleurs non saturées, qui rappellent celles des tableaux nabis. A l'époque, le contrôle que le photographe pouvait avoir quand il prenait des images en couleur n'était pas total, les résultats pouvant être assez aléatoires. Pour augmenter le degré d'indétermination, Leiter emploie de temps en temps à bon escient des films expirés, dont le rendu des couleurs était imprévisible, c'est-à-dire encore plus distancé par rapport au réel. Dans beaucoup d'images, il privilégie le flou "artistique" par rapport à une mise au point nette. Il adore les effets produits par la buée et les jours de neige. Il inclut volontiers dans ses images des reflets dans les vitrines, qui créent une ambiguïté concernant les niveaux de "réalité" dans la photographie. L'espace virtuel de ses images est presque toujours compressé, aplati, à la manière des peintures de Bonnard ou Vuillard, ses artistes favoris. Ses points de vues sont très souvent décentrés, comme dans les estampes japonaises. Admirateur de l'art japonais, Leiter collectionne des estampes et possède beaucoup de livres à ce sujet. Sa prédilection pour des photographies verticales découle des kakémonos japonais, qui avaient influencé le format des tableaux de ses peintres préférés. Ses cadrages, qui font penser aussi à ceux des estampes japonaises, accentuent le caractère fragmentaire de l'espace, soulignant l'arbitraire de sa vision et le fait que le champ de l'image est le résultat du choix de son créateur. Sorties de l'oubli, les images de Leiter paraissent très différentes de celles des autres photographes qui ont pratiqué la street photography à la même époque. Il n'est pas intéressé à représenter la dureté de la vie urbaine. Sa ville à lui est un univers soft, poétique, que Leiter arrive à mettre en images comme un maître ukiyo-e d'antan. Rien de suranné, cependant, dans sa vision qui, rétrospectivement, apparaît étonnement moderne. Une révélation. 15 CHRONOLOGIE FRANK SCHRAMM 1957 Naissance à Bethlehem, Pennsylvania 1977 Déménage à New York et travaille pour le photographe Albert Watson. 1978 Ouvre son propre studio au Greenwich Village 1980 -1992 Commence une carrière réussie de photographe de mode et de portrait. Publie dans Vogue, Harper's Bazaar, Elle, Interview, American Photographer, Arena, Traveler. 1992 Décide de se dédier à la photographie d'art. 1994 Plane Sights, Robert Klein Gallery, Boston 1995 Plane Sights, Musée de l'Elysée 1996 Plane Spotting, The Photographer's Gallery, London 1999-2000 Série Washington Under Surveillance 2001 Stand-Ups 2002 Uncle Fred's Stamp Collection, University of the Arts, Philadelphia 2003-2006 Série House Sitters 2009-2010 Série Eyes Wide Open 2010 Participe au programme Street Photography, initié par The Photographer's Gallery,London qui demande une image par jour. 2011 Stand-Ups. Reporting Live from Ground Zero, Musée de l'Elysée 16 STAND-UPS, REPORTING LIVE FROM GROUND ZERO Le jour du 11 septembre 2001, Franck Schramm était en train de se préparer pour commencer sa physiothérapie sur Maiden Lane, à une rue du World Trade Center. Robert, son physiothérapeute lui avait demandé s'il avait entendu quelque chose sur un avion qui aurait frappé une des tours. Immédiatement après, ils ont entendu le bruit de l'explosion du second avion qui s'est encastré dans la deuxième tour. Après avoir vu les événements à la télévision, ils sont sortis du bâtiment, pour se retrouver dans un paysage d'apocalypse : c'était presque comme au cinéma, presque comme 'Fahrenheit 451 dit-il. Comme des millions d'autres Américains, Schramm a été confronté à l'inimaginable : les Etats-Unis étaient attaqués sur leur sol. Photographe de mode et de studio, Frank Schramm n'avait pas avec lui son équipement technique habituel, caméras de grand ou moyen format et lumières, alors il n'a pas fait d'images de ce qu'il a vu ce jour-là. Et, le jour suivant, il décide de ne pas photographier les traces de l'attentat, comme des milliers d'autres 2 photographes l'ont fait. Il veut éviter le spectaculaire. Suivant le conseil de son mentor, le photographe de Newsweek Wally NcNamee, qui disait qu'il faut regarder ou vont les autres photographes et toujours aller ailleurs, il veut faire quelque chose de différent. Deux ou trois jours plus tard, sa sœur, qui habitait au coin de West Side Highway et de la Christopher Street, attire son attention : une cinquantaine équipes de télévision américaines et canadiennes avec des cars de reportage hérissés d'antennes avaient investi les alentours. Cet endroit était celui où les as pouvaient se rapprocher le plus de Ground Zero, qui était interdit d'accès. Les journalistes devaient gérer une situation inédite : comment faire de la télévision pendant des semaines 2 En dépit du fait que l'attentat contre le World Trade Center du 11 septembre 2001 a été l'événement le plus photographie de l'histoire, les images diffusées par les média ont été peu nombreuses. Voir Clément Chéroux, Diplopie : l'image photographique à l'ère des médias globalisés. Essai sur le 11 septembre 2001, Paris : éditions Le Point du Jour, 2009. 17 pratiquement sans nouvelles images, l'endroit leur étant inaccessible. Chacune des équipes avait installé son studio temporaire. Cet environnement où l'espace est mis Frank Schramm, 28 septembre, 2001 en scène et la lumière contrôlée, intéresse immédiatement Schramm, car il lui fait penser à celui de son atelier. Mais son intérêt est premièrement d'ordre conceptuel : au lieu de représenter ceux qui ont péri, il veut représenter ceux qui sont restés en vie, montrer que la vie continue. Il commence à photographier les journalistes qui se préparent à prendre l'antenne et leur matériel. Le travail va lui prendre huit semaines. Ces images ne sont pas des portraits, dans le sens classique du terme : Je ne connaissais aucun des journalistes. Je ne reconnaissais aucun d'entre eux et j'aimais cet aspect, le facteur anonyme, même si eux étaient probablement célèbres dans leur région, que ce soit Kansas ou Montréal. 18 Il ne donne pas de titre à ses photographies et ne nous communique pas le nom des journalistes. Ce qui préoccupe Schramm n'est pas le fait d'exprimer l'individualité, l'unicité de leur personnalité, ce qui est propre au genre portrait, mais leur fonction de messager. Comment ont-ils perçu l'événement ? Leur choc est un indicateur de l'énormité de l'attaque. Ce sont eux qui, parmi les survivants, ont le rôle essentiel de raconter ce qui s'est passé à la nation américaine et au monde entier. C'est grâce et à travers eux que le monde va savoir. Leur vécu de la tragédie et leurs émotions vont générer et canaliser les émotions de tous. Pour Schramm, photographier les journalistes est aussi une manière de maîtriser ses propres émotions. Rendre compte d'un événement aussi grave et aussi inattendu que le 11 septembre, n'est pas anodin. Seulement en racontant l'histoire, ce qui joue le rôle de catharsis, on peut essayer de revenir à la normalité. Le photographe n'ignore pas que, pour certains, la position de ses sujets est ambiguë. Pour un nombre de journalistes, la tragédie était l'occasion de leur vie ! Parler du 11 septembre les a rendus célèbres ! Est-ce que leur carrière repose sur la montagne de victimes ? Pire, est-ce que les journalistes ne sont pas les complices involontaires des terroristes, en répercutant la tristesse et le désarroi provoqués par l'attaque ? Le terrorisme moderne est fondamentalement lié à la diffusion mondiale de ses actes. La médiatisation à l'outrance des attentats ne joue-t-elle pas le jeu des terroristes ? Estce que les journalistes sont, sans le vouloir, les relais de leur propagande ? Comment concilier le devoir d'informer et ces dérives possibles ? En photographiant le dispositif médiatique qui s'est mis en place après le 11 septembre, Schramm documente aussi les doutes des journalistes par rapport à leur activité et stimule nos propres interrogations concernant les questions évoquées plus haut. 19 PROPOSITIONS D'ACTIVITES PEDAGOGIQUES 1. L'OBJECTIVITE LA PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE Pour gymnasiens, éventuellement dernière année du collège. Objectif pédagogique : - comprendre le concept de photographie documentaire. Expliquez brièvement aux élèves le concept de photographie documentaire et les prétentions d'objectivité des premiers auteurs. Citez Mitch Epstein, qui assume pleinement son point de vue et ouvrez le débat sur la possibilité ou non de la "neutralité" de la photographie documentaire. 2. ANALYSE DE L'IMAGE Pour gymnasiens, éventuellement dernière année du collège. Objectif pédagogique : - comprendre la nature de l'image. Expliquez aux élèves que la photographie n'est pas un simple reflet du monde extérieur, mais une représentation déterminée par la volonté du photographe. Demandez aux élèves de faire l'inventaire de procédés utilisés par Saul Leiter pour souligner l'arbitraire de sa vision d'artiste et créer une différence entre ses tirages et ce qu'il avait vu à travers le viseur. - points de vue décentrés - cadrages "fragment" - mise au point inhabituelle - couleur décalée - utilisation des reflets pour créer l'ambiguïté - espace virtuel compressé 3. 11 SEPTEMBRE ET LES MEDIA Pour gymnasiens, éventuellement dernière année du collège. Objectif pédagogique : - comprendre le fonctionnement des média. Demandez aux élèves de trouver la profession des personnes photographiées par Frank Schramm. Expliquez les circonstances inhabituelles et les difficultés des journalistes qui ont travaillé sur le 11 septembre. Mentionnez le rapport entre le terrorisme moderne et la médiatisation. Ouvrez le débat : en informant le monde sur les méfaits des terroristes, les journalistes sont-ils des complices involontaires ? 20