(In)égalité filles-garçons à l`école primaire
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(In)égalité filles-garçons à l`école primaire
MÉMOIRE DE FIN D’ETUDES DU MASPE (In)égalité filles-garçons à l’école primaire Regards et représentations des enseignant-es du second cycle en Valais Auteur : Johan Epiney Identifiant : P24479 Directrice de mémoire : Julie Jarty Membre du jury : Chantal Tièche Christinat Lausanne, le 4 janvier 2013 La première catégorie, la plus fondamentale, est celle du sexe : elle est une forme de racisme, mais elle a une telle apparence de naturel qu’elle ne permet aucun soupçon sur son injustice et sa fausseté. Bien loin d’être un fait naturel, c’est au contraire un fait culturel (Gianini Belotti, 1973, p. 167) Lutter contre le sexisme, c’est […] d’une manière générale, revendiquer pour chacun-e le droit de construire sa vie comme [il/elle] l’entend […] l’objectif étant bien d’abolir tout carcan psychologique ou toute délimitation rigide des rôles sociaux liés au seul sexe d’un individu (Duru-Bellat, 2004, p. 241) Source de l’image (page de garde) : Formoso, E. (20 mai 2012). Le débat du mois – Filles et garçons : égaux ? [Page Web]. Accès : http://1jour1actu.com/france/filles-et-garcons-meme-education/ [20.12.12] Résumé Chaque personne a sa propre représentation du monde et en particulier des hommes et des femmes, de leur place et de leur rôle dans la société… (Fontanini, 2005, p. 110). Notre mémoire porte sur les représentations de l’égalité des sexes des enseignant-es et plus particulièrement sur leur rôle vis-à-vis des garçons et des filles qu’ils-elles côtoient, sur la mixité scolaire, sur les différences de sexe, sur la formation initiale reçue ainsi que les éventuelles différences de représentations des jeunes enseignant-es par rapport à leurs collègues plus expérimenté(e)s. Ceci permet d’évaluer la qualité de la formation actuelle en matière d’égalité des sexes à l’école et, en fin de recherche, de proposer quelques suggestions d’amélioration. Notre démarche étant qualitative nous avons opté pour une méthode d’enquête adaptée à l’étude de groupes restreints : notre échantillon porte sur huit enseignantes de l’école primaire en Valais. Dans un premier temps, nous évaluons brièvement l’état de la situation scolaire en Suisse du point de vue de l’équivalence dans l’enseignement et de la formation des futurs membres du corps enseignant en nous appuyant sur les ultimes recommandations émises par la CDIP en vue de l’égalité de l’homme et de la femme dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation. Puis, notre cadre théorique se focalise sur la socialisation scolaire différenciée des élèves selon leur sexe et sur ses conséquences avant d’analyser deux facteurs contribuant au modelage de leurs représentations : la formation enseignante ainsi que les conceptions des différences de sexe des enseignant-es. L’enquête basée sur l’entretien semi-directif permet de répondre à nos hypothèses de recherche à l’aune des différents éléments théoriques retenus. Ainsi, il apparaît que l’ensemble des enseignant-es, considérant le milieu social égalitaire, perçoit la mixité scolaire comme une situation positive et souvent même garante de l’égalité des sexes à l’école. Cet « aveuglement » aux inégalités sexuées transparaît d’ailleurs dans leur discours. En effet, la majorité n’a pas conscience d’adopter des pratiques inégalitaires qui renforcent les différences entre garçons et filles et contribuent involontairement à une orientation professionnelle différenciée. La formation initiale semble être encore lacunaire en matière d’égalité, car peu propice à engendrer une réelle prise de conscience susceptible d’induire une modification des pratiques. Nous posons donc, en fin de travail, les jalons d’une formation des enseignant-es au genre qui permettrait de parer aux défaillances du système tout en préparant le corps enseignant aux défis actuels. Pour ce faire, la formation doit prévoir, au préalable, une phase permettant de « déconstruire » les représentations tenaces des participants afin de désamorcer leurs résistances, avant de mener une réflexion sur le fond, soit l’inégalité de sexe. Mots clés : représentation sociale, égalité des sexes, genre, socialisation scolaire, stéréotypes de sexe, formation des enseignant-es 3 Table des matières 1. 2. Introduction ...................................................................................................................... 11 1.1. Motivations ........................................................................................................................... 12 1.2. Apports professionnels.......................................................................................................... 13 L’égalité entre les sexes dans l’institution scolaire : état des savoirs .............................. 16 2.1. La socialisation, un processus qui (trans)forme .................................................................... 16 2.2. Institutionnalisation de la problématique de l’égalité entre les sexes dans le milieu scolaire helvétique.......................................................................................................................................... 18 1972 : principes relatifs à la formation des jeunes filles .............................................................................. 18 1981 : mêmes chances de formation pour jeunes filles et garçons ............................................................. 18 1993 : recommandations en vue de l’égalité de l’homme et de la femme dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation ................................................................................................................. 19 2.3. De l’égalité théorique… aux pratiques inégalitaires.............................................................. 20 2.4. La mixité scolaire, source d’inégalités… ................................................................................ 21 …du côté des garçons ................................................................................................................................... 21 …du côté des filles ........................................................................................................................................ 22 Vers une évolution positive ? ....................................................................................................................... 23 2.5. Etat des lieux sur l’équivalence dans l’enseignement ........................................................... 23 Des moyens d’enseignement en retard sur leur temps ............................................................................... 23 Vers une évolution positive ? ....................................................................................................................... 24 L’égalité dans l’enseignement ...................................................................................................................... 25 2.6. Etat des lieux sur le langage et autres formes de communication ....................................... 25 Des interactions qualitativement et quantitativement différenciées .......................................................... 25 Un « management » de la classe inscrit dans la différence ......................................................................... 27 Le langage épicène : une solution ? ............................................................................................................. 27 2.7. Etat des lieux sur la formation initiale et le perfectionnement des enseignants ................. 28 L’égalité dans la formation enseignante : un besoin réel ............................................................................ 28 L’égalité des sexes : une thématique complexe ........................................................................................... 28 Le genre : un impensé dans la formation pédagogique des enseignant-es ................................................. 29 2.8. 3. Bilan de l’égalité entre les sexes dans l’institution scolaire .................................................. 30 Problématisation ............................................................................................................... 32 3.1. Représentations sociales et catégorisation sociale ............................................................... 32 3.2. Représentations et catégorisation sociales des enseignant-es............................................. 34 Des représentations sexuées tenaces .......................................................................................................... 35 3.3. La formation enseignante et la problématique de l’égalité des sexes.................................. 35 4 Des Ecoles normales aux Hautes Ecoles Pédagogiques................................................................................ 36 Vers une féminisation de l’enseignement primaire? ................................................................................... 36 Recommandations de 1981 : un changement à deux vitesses .................................................................... 37 Contenu de la formation dans les Ecoles normales ..................................................................................... 38 Contenu de la formation des HEPs ............................................................................................................... 39 Le cas de la HEP du Valais ............................................................................................................................. 40 La thématique de l’égalité des sexes dans la formation initiale et continue ............................................... 40 Bilan de la problématique dans la formation enseignante .......................................................................... 41 3.4. Curriculum caché ................................................................................................................... 42 3.5. Norme implicite d’équité ...................................................................................................... 43 3.6. Des attentes pas si anodines… .............................................................................................. 44 Rôle actif des élèves ..................................................................................................................................... 44 Des enseignant-es influencé-es par leurs attentes ...................................................................................... 44 Bilan de ces attentes sexuées....................................................................................................................... 46 3.7. La prophétie autoréalisatrice comme cercle vicieux............................................................. 46 3.8. Des difficultés aux conséquences sexuées opposées ........................................................... 47 Des normes d’attributions différenciées… ................................................................................................... 47 …à des réactions opposées .......................................................................................................................... 47 3.9. 3.10. Des évaluations pas si objectives… ....................................................................................... 48 Le sexe comme régulateur des performances scolaires ................................................... 49 Rapports au savoir différenciés .................................................................................................................... 49 Illustration : mathématiques versus français ............................................................................................... 49 Un clivage des savoirs lourd de conséquences ............................................................................................ 50 Faisons le point de la situation… .................................................................................................................. 51 3.11. L’étonnant « aveuglement » des professionnel-les .......................................................... 51 …Et des élèves .............................................................................................................................................. 52 3.12. Répercussions sur l’estime de soi...................................................................................... 52 3.13. Impact de cette socialisation différenciée sur l’orientation ............................................. 53 Des choix professionnels stéréotypés .......................................................................................................... 54 Autres facteurs explicatifs inhérents aux sujets ........................................................................................... 55 Bilan de la socialisation scolaire différenciée ............................................................................................... 56 3.14. Diverses conceptions des différences de sexe .................................................................. 57 La conception essentialiste .......................................................................................................................... 57 Bémols à relever face à cette conception .................................................................................................... 58 Existence de différences naturelles entre les sexes ..................................................................................... 60 Nécessité d’une autre conception des différences de sexe ......................................................................... 60 5 La conception constructionniste .................................................................................................................. 61 Une conception source d’évolutions (pour l’égalité des sexes) ................................................................... 62 Une théorie permettant de concilier inné et acquis….................................................................................. 63 Impact sur l’égalité des sexes ....................................................................................................................... 64 3.15. Hypothèses de recherche .................................................................................................. 65 3.16. Méthodologie .................................................................................................................... 65 Conditions de validité de l’entretien ............................................................................................................ 66 Justification du choix de cette méthode ...................................................................................................... 67 Résistance probable ..................................................................................................................................... 68 Population de l’enquête ............................................................................................................................... 68 Entretien à usage principal ........................................................................................................................... 69 La construction discursive du genre et de l’égalité ...................................................................................... 70 Analyse des discours produits ...................................................................................................................... 71 Une enquête qualitative ............................................................................................................................... 72 4. Analyse des résultats et discussion................................................................................... 74 4.1. Profil et généralités ............................................................................................................... 74 Parcours de formation individuels et motivations variées ........................................................................... 75 Pas d’influence des associations militantes ................................................................................................. 75 Sensibilisation à la thématique de l’égalité quasi inexistante dans le milieu familial .................................. 75 Sources d’influences sur l’in-égalité extérieures à l’école ........................................................................... 76 Prudence dans les propos des enseignant-es .............................................................................................. 78 Bilan du profil de nos sujets ......................................................................................................................... 79 4.2. L’égalité ................................................................................................................................. 80 L’égalité : une notion vague et utopique ..................................................................................................... 80 Un milieu social prétendument égalitaire, mais une thématique de l’égalité des sexes néanmoins pertinente..................................................................................................................................................... 82 L’égalité hommes-femmes majoritairement peu problématique ................................................................ 84 Les domaines professionnel et familial : enjeux actuels de l’égalité hommes-femmes .............................. 85 L’égalité en classe : une situation peu problématique ................................................................................. 86 Bilan de l’égalité ........................................................................................................................................... 87 4.3. La mixité scolaire ................................................................................................................... 88 L’école : un milieu aux relations interpersonnelles égalitaires .................................................................... 89 La mixité scolaire : une vision positive et majoritairement garante de l’égalité entre les sexes ................. 90 Une féminisation de l’enseignement primaire mal perçue .......................................................................... 92 Bilan de la mixité scolaire ............................................................................................................................. 95 4.4. Conception des différences de sexe ...................................................................................... 95 6 Des différences entres garçons et filles à plusieurs niveaux ........................................................................ 96 Origines des différences de sexe : le rôle prépondérant des parents et de la société................................. 98 Des conceptions des différences de sexe hétérogènes .............................................................................. 102 Le système scolaire face aux différences de sexe : dédouanement de la responsabilité et idéalisme ...... 103 Bilan de la conception des différences de sexe .......................................................................................... 105 4.5. Formation enseignante ....................................................................................................... 105 Une légère sensibilisation à la thématique de l’égalité des sexes chez les « jeunes »............................... 106 Une vision peu favorable de l’éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire ...................................... 108 Peu d’apport du matériel didactique en lien avec cette thématique ........................................................ 111 Non-pertinence d’une formation continue à l’égalité des sexes ............................................................... 112 Bilan de la formation enseignante ............................................................................................................. 113 4.6. Rôle de l’enseignant-e ......................................................................................................... 114 Des pratiques pédagogiques neutres face à des êtres asexusés ................................................................ 114 Relations indifférenciées envers les garçons et les filles ............................................................................ 116 Relations des élèves en fonction du sexe de l’enseignant-e ...................................................................... 116 Interactions majoritairement similaires avec les garçons et les filles ........................................................ 117 Langage épicène à l’école primaire : inutile, voire absurde ....................................................................... 118 Impact relativement minimisé des propos stéréotypés ou sexistes .......................................................... 120 Impact quasi nul sur l’orientation future des élèves selon leur sexe ......................................................... 121 Bilan du rôle de l’enseignant ...................................................................................................................... 122 5. Retour sur les hypothèses............................................................................................... 124 Hypothèse n°1 : influence du parcours de vie ............................................................................................ 124 Hypothèse n°2 : vision de la mixité scolaire ............................................................................................... 124 Hypothèse n°3 : influence de la conception des différences de sexe ........................................................ 125 Hypothèse n°4 : impact de la formation initiale ........................................................................................ 126 Hypothèse n°5 : « aveuglement » des professionnels ............................................................................... 127 6. Vers une formation appropriée à l’égalité des sexes ..................................................... 129 6.1. Conditions pour une formation au genre ............................................................................ 131 Sur la forme… ............................................................................................................................................. 131 Sur le fond…................................................................................................................................................ 132 6.2. Outils à disposition des enseignant-es ................................................................................ 133 6.3. Typologie des réactions face à l’égalité des sexes .............................................................. 134 6.4. Résistances probables ......................................................................................................... 135 6.5. Stratégies de contournement des résistances .................................................................... 137 6.6. Conditions supplémentaires pour davantage d’efficacité .................................................. 139 6.7. Piliers d’une formation appropriée à l’égalité des sexes .................................................... 140 7 7. Conclusion ....................................................................................................................... 142 8. Références bibliographiques .......................................................................................... 144 9. Liste des annexes ............................................................................................................ 150 9.1. Recommandations en vue de l'égalité de l'homme et de la femme dans le domaine de l'enseignement et de l'éducation du 28 octobre 1993 ................................................................... 151 9.2. Organisation des cours HEP-VS ........................................................................................... 153 9.3. Guide d’entretien ................................................................................................................ 154 9.4. Tableaux d’analyse thématique (26) ................................................................................... 158 9.5. Le langage épicène .............................................................................................................. 201 9.6. Profil des différents sujets ................................................................................................... 202 9.7. Liste non-exhaustive d’outils pour une éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire 210 9.8. Liste des abréviations .......................................................................................................... 211 8 Informations Pour la rédaction de ce mémoire, nous avons utilisé le pronom « nous » (pluriel de modestie) à la place du pronom « je ». C’est pour cette raison que nous n’accordons pas les verbes qui suivent ce « nous » au pluriel. Langage épicène Pour rédiger ce mémoire, nous avons choisi d’utiliser le langage épicène, soit – tel que le mentionne Petrovic (2004a) en début de son article – d’écrire « avec une grammaire et une orthographe où le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, c’est-à-dire qui nomme, et donc représente graphiquement et symboliquement les deux sexes1, car les mots sont le support de nos représentations. Ainsi, chacun [chacune], en ressentant la gêne produite par cette présentation grammaticale inhabituelle, pourra mesurer l’importance et la portée des résistances aux changements, aussi minimes soient-ils » (p. 78-79). Les citations cependant sont reprises textuellement, indépendamment de l’application ou non du langage épicène. Remerciements Je tiens à remercier tout particulièrement ma directrice de mémoire, Mme Julie Jarty, pour sa générosité intellectuelle, son soutien, sa précieuse aide et ses nombreux conseils tout au long de l’élaboration de cette recherche. Un grand merci aussi à mes huit sujets d’entretien, enseignants et enseignantes primaires, qui ont généreusement accepté de consacrer du temps pour répondre à mes questions - parfois intrusives - et sans qui cette recherche n’aurait pu être réalisée. Je remercie également chaleureusement Mme Josée Hayoz, Mme Véronique Tapparel, Mme Muriel Thalmann, ainsi que Mme Fabienne Salamin pour leur relecture, leurs propositions d’améliorations ainsi que leurs précieux conseils. Je remercie aussi Mme Nicole Jacquemet et Mme Danielle Périsset pour leurs références et leur aide, notamment au sujet de la formation enseignante. Finalement, j’adresse un grand merci à Mme Danielle Tapparel, pour son soutien moral tout au long des différentes étapes de ce travail, ainsi que pour sa minutieuse relecture. Merci enfin à Mme Myriam Posse, pour ses conseils en début de projet. 1 …Il est à préciser que tous les dictionnaires de langue française d’aujourd’hui présentent toujours les mots sous leur forme masculine comme norme uniquement, leur féminisation étant une adaptation (ibid). 9 Attestation d’authenticité Je certifie que ce mémoire constitue un travail original et j’affirme en être l’auteur. Je certifie avoir respecté le code d’éthique et la déontologie de la recherche en le réalisant. Sierre, le 4 janvier 2013. Johan Epiney 10 1. Introduction Le sexe constitue la caractéristique biologique par excellence permettant de différencier et de catégoriser un groupe d’individus par rapport à un autre, en l’occurrence les hommes et les femmes. En effet, à quelques rares exceptions près, il présente des avantages de visibilité, d’universalité et de permanence (Duru-Bellat, 2004). Au cours de la socialisation, une multitude d’attributs spécifiques viennent se greffer sur cette base anatomique et contribuent à l’apparition de rôles, d’attitudes, de comportements typiques et conformes aux normes de chaque sexe, instituant par là même certains rapports sociaux entre les individus. Ainsi, les garçons deviennent de « vrais petits garçons » et les filles de « vraies petites filles », les deux groupes s’opposant de manière relativement dichotomique, les premiers s’inscrivant en position de domination par rapport aux secondes. Puis, à l’école, les enseignant-es accueillent ces « petits modèles stéréotypés » et ont pour principale mission de les former. Toutefois, ayant certaines conceptions des garçons et des filles, ils/elles concourent aussi, bien souvent sans en avoir conscience, à la (re)production ou au maintien de ces différences prégnantes, soit aux inégalités de sexe. Nous désirons donc dans ce travail de recherche explorer les représentations de quelques membres du corps enseignant vis-à-vis de leurs élèves filles/garçons et de l’(in)égalité de sexe. Dans un premier temps, notre analyse porte sur le contexte institutionnel dans lequel ont évolué et évoluent encore les sujets de notre enquête. Plus particulièrement, notre regard s’attarde sur les principes et recommandations émises par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique [CDIP] en vue d’une égalité entre hommes et femmes. En effet, nous cherchons à déterminer la situation actuelle de la Suisse en matière d’équivalence dans l’enseignement, de langage et de formation des enseignant-es. Ceci permet de nous faire une première idée des représentations des membres du corps enseignant ainsi que de l’évolution de celles-ci. Dans un deuxième temps, nous parcourons diverses facettes du domaine scolaire, pour déterminer si les élèves « subissent » ou non une socialisation différenciée au niveau primaire. Nous faisons ensuite un détour du côté de la formation enseignante ainsi que des conceptions des différences de sexe ; deux éléments permettant d’expliquer les variations des représentations des enseignant-es. Suite à l’analyse des propos des enseignant-es de notre population d’enquête, ainsi qu’un retour sur nos hypothèses, finalement, l’ultime chapitre est consacré à une réflexion sur une éventuelle formation appropriée à l’égalité des sexes selon les résultats de notre recherche. 11 1.1. Motivations Diverses motivations sont à l’origine de ce mémoire de recherche. Tout d’abord, les problématiques liées aux rapports de genre dans la société sont une thématique qui nous intéresse depuis fort longtemps, surtout du point de vue des premières instances de socialisation que représentent le milieu familial et le milieu scolaire, deux sources d’influence prépondérantes dans la construction de l’identité sexuée de l’enfant (Epiney, 2011). D’ailleurs, nous cherchons sans cesse à sensibiliser notre entourage à cette problématique de manière à ce que soit dispensé aux enfants ou aux élèves, selon leur statut de parent et/ou d’enseignant-e, une éducation ou un enseignement se rapprochant d’une certaine forme d’égalité des sexes. Par ailleurs, en tant qu’homme soucieux d’une thématique dont les femmes sont majoritairement les victimes – et ayant, qui plus est, un parcours de formation non-conforme aux normes de sexe – nous pensons pouvoir influencer les personnes que nous tentons de sensibiliser. En effet, selon Fontanini (2005), « beaucoup moins d’hommes que de femmes, universitaires ou de terrain, s’intéressent à l’égalité entre les sexes » (p. 112). Par expérience, nous avons pu constater que la majorité de nos interlocuteurs, étonnés qu’un homme soit interpellé par ce thème, prennent le temps de nous écouter, puis d’argumenter, débattre et discuter, ce qui permet probablement de les sensibiliser. Ainsi, par notre sexe, nous évitons l’argument simpliste avancé par bon nombre de personnes résistantes à ce sujet, prétendant que cette problématique est une « affaire de femmes » ou que seules les féministes s’en préoccupent au travers de leur « combat ». En outre, étant partisan de la perspective constructionniste – c’est-à-dire persuadé que la différence des sexes « est une pure construction sociale » (Guilbert, 2004, p. 13), résultant donc de l’éducation et de la culture – nous sommes convaincu par la théorie de la plasticité cérébrale, à la base de tout apprentissage et prônant la prédominance de l’acquis sur l’inné : « à la naissance, les grandes lignes de l’architecture du cerveau sont définies, mais la construction du cerveau est loin d’être terminée : 90% des circuits de neurones vont se former dans les 15-20 ans suivant la naissance » (Vidal, 2007, cité par Marguerite, 2008, p. 2). Ainsi, le cerveau se modelant en fonction de l’expérience et de l’apprentissage, nous prenons conscience de l’influence de la famille, de l’école, de la culture et de la société en général dans cette construction (Vidal, 2006) mais aussi et surtout de l’importance d’un traitement égalitaire des garçons et des filles au niveau de l’éducation et de l’enseignement. Finalement, étant enseignant primaire, nous estimons donc avoir un rôle notable à jouer à l’école au niveau de l’égalité entre les garçons et les filles, même si nous savons pertinemment que l’environnement familial influence déjà passablement les enfants en 12 fonction de leur sexe, tout comme l’éducation préscolaire, au sein des crèches par exemple (Cresson, 2010). C’est dans ce sens que Petrovic (2004) affirme que « l’école obligatoire […] peut offrir à l’enfant une alternative à l’éducation qu’il-elle reçoit dans l’huis clos familial […]. L’institution scolaire semble être par conséquent le lieu stratégique pour interférer sur les processus qui conduisent aux inégalités entre les sexes constatées à l’âge adulte » (p. 148). Toutefois, nous tenons à relever que nous ne souhaitons nullement inverser la tendance ou « transformer » les garçons en filles ou vice versa, mais plutôt nous assurer que chacun-e puisse se développer pleinement selon son potentiel, ses intérêts et ses motivations, indépendamment de son sexe2. Ainsi, suite aux connaissances acquises par ce travail de recherche, nous nous efforcerons de dispenser un réel enseignement garantissant l’égalité des chances du point de vue des sexes de chaque élève en matière de formation, tant pour le présent que pour l’avenir. En effet, nous sommes conscient que « la question de l’égalité des chances à l’école renvoie aussi […] à l’égalité des chances dans la vie » (Duru-Bellat, 2004b, p. 45) ! Nous tenons à relever pour terminer que la partie théorique de ce travail – synthétisant entre autres de nombreuses recherches sur les pratiques différenciées des enseignant-es envers les garçons et les filles à l’école – peut contribuer à faire connaître cette problématique auprès des professionnels de l’éducation. En effet, Mosconi (2011) prétend que « les apprentissages scolaires eux-mêmes sont producteurs d’inégalités de sexe et le système scolaire n’est en définitive pas plus – pas moins non plus – égalitaire que les autres champs du social. Mais ces recherches sont peu connues » (p. 57). 1.2. Apports professionnels D’un point de vue professionnel, cette recherche devrait, dans un premier temps, donner un nouvel éclairage sur la construction discursive du genre et des inégalités de sexe dans le corps enseignant : quelle est la place accordée à l’égalité entre les sexes et, dans le même temps, quelles sont les représentations que les enseignant-es se font (et, partant, qu’ils/elles véhiculent) du masculin et du féminin ? En effet, nous savons très peu de choses sur la manière dont les enseignant-es parlent du genre, interprètent les différences et les inégalités de sexes, perçoivent leur potentiel de transmission d’un ordre de genre plus ou moins transformatif à l’égard des normes dominantes en la matière. Or, ce questionnement nous semble d’autant plus pertinent que leurs représentations (genrées) du monde, leurs attentes envers les filles et les garçons sont susceptibles d’impliquer des pratiques différenciées en 2 Comme le mentionnait d’ailleurs Gianini Belloti dans son introduction en 1973 déjà: « faire en sorte que chaque individu […] ait la possibilité de se développer de la façon qui lui convient le mieux, indépendamment du sexe auquel il appartient » (p. 12). 13 fonction du sexe de l’élève, et donc d’agir, à terme, sur la (re)production d’inégalités sexuées et sur les orientations différenciées. Mais ils peuvent aussi faire office de levier de transgression des normes de genre, de remise en question du « système sexe/genre » (Kergoat, Guichard-Claudic & Vilbrot, 2008), c’est-à-dire du principe de différenciation et de hiérarchisation des sexes. Ils/elles peuvent donc contribuer à développer une attitude ouverte et tolérante chez leurs élèves face à la « transgression des rôles de sexes » (p. 14), tel que préconisée par Marro et Vouillot (2004), indispensable à leurs yeux pour « penser et former à la mixité » (p. 19). Dans un deuxième temps, nous souhaitons mettre en évidence une certaine corrélation entre le courant théorique sous-tendant – implicitement ou non – la conception des différences de sexe et la position adoptée par les enseignant-es face à l’égalité des sexes à l’école, donc vis-à-vis de leurs élèves en fonction de leur sexe. En effet, nous pensons qu’une vision essentialiste des différences filles/garçons – quoique soutenue par une partie des féministes dites « naturalistes » – risque de mener à davantage de résistances dans cette lutte pour l’égalité des sexes. En effet, à quoi bon s’efforcer de tenter de modifier ou atténuer ce qui est inscrit à la base dans les gènes ? Pourquoi chercher à éduquer/enseigner de la même manière alors que filles et garçons sont fondamentalement opposé-es de nature ? A l’opposé, nous estimons qu’une vision constructionniste amène plutôt l’enseignant-e à tenter de réduire les différences constatées entre garçons et filles. Ainsi, nous pensons que le fait de nous situer plutôt dans l’une ou l’autre perspective peut avoir un impact sur la manière de concevoir l’enseignement, notamment en matière d’(in)égalité des sexes. Nous reviendrons sur ces aspects en fin de problématisation. Des enjeux de formation entrent enfin en ligne de compte. Dans l’idéal, il est possible que nous parvenions aussi à rendre manifeste le niveau de sensibilisation à la problématique genre entre la génération des enseignant-es formés dans les Ecoles normales [ENs] et celle sortant des Hautes Ecoles Pédagogiques [HEPs]. En effet, nous estimons qu’une certaine sensibilisation – le simple fait même de considérer les différences comme ne découlant pas exclusivement de la nature – peut contribuer au traitement plus égalitaire des filles et des garçons à l’école par le personnel enseignant. Dans le même ordre d’idée, nous souhaitons aussi parvenir à étudier la réponse de la formation actuelle des enseignant-es – tout au moins, la perception que les enseignant-es ont en – suite à l’introduction des mesures d’égalité, notamment en termes de formation. Il semble intéressant d’analyser l’opinion des enseignant-es, ainsi que l’intégration de ces mesures dans les représentations et de ce fait, dans leurs pratiques. Si le parcours de vie de chaque individu joue probablement un rôle bien plus important du point de vue de la sensibilité à cette thématique que la formation suivie pour devenir enseignant-e, celle-ci n’en 14 demeure pas moins une facette des expériences individuelles du genre peu étudiée jusqu’à présent. Finalement, il nous semble pertinent de mettre en évidence la légitimité de cette problématique, c’est-à-dire de déterminer aux yeux des enseignant-es quelle place occupe l’égalité des sexes et quelle importance ils/elles lui assignent, après le parcours de formation, dans les établissements scolaires. 15 2. L’égalité entre les sexes dans l’institution scolaire : état des savoirs De nombreux travaux francophones traitent de la question de l’égalité entre les sexes dans l’institution scolaire. Pour débuter cette recherche, nous avons jugé indispensable d’en retracer les apports principaux en nous tournant du côté des principes et recommandations sur l’égalité émis par la CDIP, car ces derniers alimentent et sont à l’origine de notre questionnement. Par ailleurs, ils nous permettent de brosser le contexte institutionnel de notre population d’enquête. Ainsi, notre propos tiendra tout particulièrement compte du contexte suisse tout en réinsufflant des réflexions plus larges, car la thématique de l’égalité des sexes dans le milieu scolaire dépasse bien entendu les frontières helvétiques. Nous avons donc choisi de nous attarder sur l’évolution de l’égalité des sexes entre les filles et les garçons à l’école en nous posant la question initiale suivante : « quelles mesures ont été mises en place en Suisse pour faire évoluer les représentations des enseignant-es en termes d’égalité des sexes depuis les années 70 et quelles ont en été leurs conséquences dans la pratique ? ». Pour répondre à cette question, nous allons tout d’abord dresser l’historique suisse de ces différents principes et recommandations de manière à connaître l’évolution au niveau des textes officiels. Dans un deuxième temps, suite à un rapide détour du côté d’une « révolution pédagogique » majeure de ces dernières décennies – soit la mixité scolaire – notre regard va se porter sur la situation actuelle de la Suisse en matière d’égalité entre hommes et femmes dans le système éducatif, mais uniquement du point de vue de l’équivalence dans l’enseignement ainsi que de la formation du personnel enseignant. Ceci nous permettra de prendre conscience du contexte institutionnel dans lequel les enseignant-es évoluent actuellement et d’évaluer les progrès réalisés et ceux qui restent à faire du point de vue de cette égalité des sexes. Mais avant tout, ouvrons une brève parenthèse pour présenter le niveau du processus de socialisation opérant sur les garçons et les filles qui fait l’objet de notre analyse. 2.1. La socialisation, un processus qui (trans)forme Darmon (2010) définit la socialisation par ces termes : « l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit […] par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert […] des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement » (p. 6). Ainsi, les individus – garçons ou filles – sont formés et transformés par cette société (ibid). Cette auteure parle d’ailleurs de « force formatrice » et de « puissance transformatrice » (p. 8) pour montrer à quel point ce processus de socialisation est influent. En effet, nous savons désormais que, dès la naissance, petits garçons et petites filles 16 connaissent une socialisation différenciée en fonction du sexe qui leur a été assigné, d’où l’expression « socialisation de genre » (Rouyer et al., 2010, p. 7) utilisée par certain-es auteures. Selon Ferrand (2004), sa principale fonction est « d’inculquer à l’enfant et de lui faire « incorporer » comme naturelles, les qualités socialement associées à son sexe anatomique et construites en fonction de la société où il va vivre » (p. 6). Pour Dafflon Novelle (2006), il existe plusieurs instances de socialisation : la famille, l’école – y compris les crèches et les écoles enfantines – ainsi que la société de manière générale. De plus, la même auteure affirme que certains « agents périphériques de socialisation » (p. 361) destinés aux garçons et aux filles, soit les jouets, les habits et le sport, participent également à ce processus spécifique tout comme d’autres vecteurs tels que les médias, la télévision, les livres et albums illustrés, la publicité, les œuvres d’art, etc. Ces différents vecteurs et instances de socialisation contribuent à faire vivre à l’enfant des « expériences de socialisation différenciées » (Gaudron, 2009, p. 3)3. Selon une conception diachronique de ce processus, la plupart des sociologues distinguent la socialisation primaire de celle secondaire, la première ayant lieu au sein du cercle familial alors que la seconde renvoie à toutes les autres instances de socialisation de l’enfant (Darmon, 2010). Selon Berger et Luckmann (1986), cités par Zaidman (1996), cette dernière « consiste en tout processus postérieur qui permet d’incorporer un individu déjà socialisé dans des nouveaux secteurs du monde objectif de sa société » (p. 15). L’école concourt donc à cette socialisation secondaire : en effet, les différentes instances de socialisation préscolaires et scolaires participent « à la construction sexuée des enfants et à la socialisation différenciée des filles et des garçons » (Murcier, 2005, p. 4). Les enseignant-es jouent donc un rôle dans ce processus de socialisation sexuée des élèves en prolongeant les expériences vécues dans la famille. C’est dans ce sens que Darmon considère l’école comme la « plaque tournante de la socialisation primaire » (p. 61). Bien que la socialisation primaire soit essentielle, car inculquant « à l’individu les connaissances et attitudes « fondamentales » » (Darmon, 2010, p. 10), nous avons choisi de focaliser notre recherche uniquement sur la socialisation secondaire opérée par l’école, principalement par le personnel enseignant. Déterminons ainsi à présent le contexte dans lequel ces enseignant-es ont évolué et évoluent actuellement en analysant les mesures mises en place pour favoriser l’égalité à l’école en Suisse. Pour ce faire, appuyons-nous sur le rapport de tendance de 2006 du Centre Suisse de coordination pour la Recherche en Education [CSRE], rédigé par Grossenbacher. 3 Pour de plus amples informations à ce sujet, nous laissons le soin à nos lecteurs-trices de se référer à l’ouvrage d’Anne Dafflon Novelle Filles-garçons. Socialisation différenciée ? publié en 2006. 17 2.2. Institutionnalisation de la problématique de l’égalité entre les sexes dans le milieu scolaire helvétique La situation des femmes et des hommes ainsi que des filles et des garçons dans le système éducatif n’a pas toujours constitué, en Suisse, un centre d’intérêt. En effet, bien que la mixité à l’école ait été introduite dans les années 1960, ce n’est qu’au début des années 70 que la société a réellement commencé à se poser des questions sur l’égalité des sexes. C’est dans ce sens que la CDIP a publié, à plusieurs reprises – en 1972, en 1981, puis en 1993 – des recommandations et des principes en vue d’une certaine égalité entre les hommes et les femmes (Grossenbacher, 2006). 1972 : principes relatifs à la formation des jeunes filles Suite au constat de la sous-représentation du sexe féminin dans les formations secondaires et tertiaires, la CDIP a cherché à instaurer l’égalité entre filles et garçons dans la formation au niveau de l’école obligatoire, à travers ses Principes relatifs à la formation des jeunes filles, émis le 2 novembre 1972. Ces principes visaient d’une part à supprimer les nombreuses discriminations du système éducatif envers les filles – nombre inférieur de disciplines déterminantes reçues telles que les mathématiques ou les sciences, cours obligatoires basés sur le travail domestique – et d’autre part, à favoriser leur accès aux écoles supérieures (Chaponnière, 2006). A cette époque, la politique de l’éducation s’est basée sur le modèle prévalant dans la société, soit une conception bourgeoise de la famille : le père nourricier – la mère au foyer. Ainsi, garçons et filles suivaient des programmes distincts qui correspondaient aux caractéristiques différentes « naturelles » attribuées aux hommes et aux femmes (Grossenbacher, 2006). Comme personne ne se penchait sur « la perception différenciée des rôles sociaux […] à l’origine des inégalités entre filles et garçons à l’école » (ibid, p. 8), la situation n’a que peu évolué. 1981 : mêmes chances de formation pour jeunes filles et garçons Au début des années 80, suite à la vérification de l’application de ces Principes relatifs à la formation des jeunes filles par une commission spéciale, la CDIP a mis à jour – le 30 octobre 1981 – d’autres recommandations : Mêmes chances de formation pour jeunes filles et garçons (CDIP). A travers celles-ci, la CDIP cherchait à offrir réellement les mêmes possibilités de formation aux deux sexes au cours de la scolarité obligatoire, de manière à ce que les filles ne soient plus sous-représentées au niveau de la formation professionnelle et des hautes écoles (Grossenbacher, 2006). La politique d’éducation a alors profondément changé et s’est basée sur un modèle fondé sur le principe de l’égalité : généralisation de la mixité, garantie d’une éducation complète pour les deux sexes, égalité des plans d’étude ainsi 18 qu’abandon de l’attribution de rôles stéréotypés à chaque sexe à plusieurs niveaux, etc. (ibid). Ces recommandations ont d’ailleurs inscrit le principe d’égalité dans la Constitution. Dix ans plus tard, une autre commission ad hoc a vérifié l’adoption de ses recommandations. Les résultats ont mis en évidence que, malgré les progrès réalisés par les filles et jeunes femmes, il subsistait toujours un écart entre les sexes dans le domaine de la formation. De plus, cette commission a aussi relevé le difficile démantèlement des stéréotypes, impliquant des rôles sexués. Par ailleurs, une analyse bibliographique incluse dans son rapport démontrait « combien le pouvoir de socialisation de l’école [induisait] des comportements différents selon les sexes » (CDIP, 1992, p. 52 cité par Grossenbacher, 2006, p. 11). D’une part, la mixité semblait renforcer les stéréotypes plutôt que de les éliminer, et ce, tant du côté des élèves que des enseignant-es. D’autre part, de nombreuses études certifiaient que l’école engendrait des désavantages sexospécifiques dans plusieurs domaines (ibid) : structure scolaire, didactique, contenus de l’enseignement, moyens d’enseignement, langue d’enseignement, interactions entre enfants ou adolescents, interactions entre corps enseignant et élèves ainsi que violence à l’école. Suite à ces constats, il n’est pas anodin de se poser la question de la pertinence de la mixité à l’école pour lutter contre les inégalités. Cependant, la commission a conclu qu’il ne fallait pas renoncer à la mixité, mais qu’il convenait de « concevoir l’enseignement mixte de telle sorte qu’il ne discrimine ni les filles ni les garçons [et de] promouvoir un enseignement qui attache la même attention à la formation des filles et des garçons » (ibid, p. 12). Elle a donc préconisé d’agir sur les structures scolaires (plans d’études, moyens d’enseignement, interactions entre élèves, langue) de manière à modifier la traditionnelle imputation des rôles garçons/filles et d’encourager le développement des compétences sociales des premiers et de la confiance en soi des secondes (ibid). 1993 : recommandations en vue de l’égalité de l’homme et de la femme dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation Le 28 octobre 1993, la CDIP adopte ses Recommandations en vue de l’égalité de l’homme et de la femme dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation suite aux conclusions plutôt alarmantes présentées ci-dessus. Ces recommandations, visant l’égalité des sexes dans le système éducatif, renforcent, mais surtout élargissent des principes déjà émis par le passé (Grossenbacher, 2006). Focalisons-nous sur deux points particulièrement intéressants en ce qui nous concerne4. 4 Formulation personnelle ; l’intégralité des recommandations se trouve en annexes 19 Equivalence dans l’enseignement (point 3) : Esprit d’ouverture et respect de l’environnement quotidien et professionnel des deux sexes dans l’enseignement et les moyens d’enseignement Respect de l’équivalence des deux sexes dans le langage et les autres formes de communication Formation initiale et perfectionnement des enseignants (point 4) L’égalité des sexes est une discipline obligatoire du programme de formation Les enseignantes et les enseignants doivent être amenés à reconnaître tout ce qui peut être préjudiciable à ce principe, et à y remédier (Grossenbacher, p. 16, 2006) Qu’en est-il aujourd’hui – près de vingt ans plus tard ? Les pratiques des enseignant-es ontelles évolué ? Les moyens d’enseignement respectent-ils la neutralité entre les sexes ? La formation enseignante offre-t-elle les outils nécessaires pour lutter contre les inégalités sexuées ou faire bon usage de cette mixité scolaire ? Avant de passer à un aperçu de la situation actuelle de la Suisse à ces différents niveaux, débutons par une parenthèse sur la mixité scolaire – et la représentation que s’en font les enseignant-es – et ses effets sur les élèves. En effet, à ce stade, il nous semble important de connaître en quoi elle implique une socialisation différenciée en fonction du sexe des élèves. 2.3. De l’égalité théorique… aux pratiques inégalitaires La mixité scolaire – anciennement « coéducation » – introduite dans les années 1960 (Chaponnière, 2006), a été perçue par certains comme l’une des plus grandes révolutions pédagogiques du siècle. En effet, celle-ci partait du présupposé que la cohabition des filles et des garçons produirait « naturellement » de l’égalité (Petrovic, 2004b). En étroite corrélation avec le principe d’égalité entre les sexes, elle a consisté au droit égal de tout individu à l’instruction : droit d’accès à tous les savoirs, cursus, filières, diplômes et donc à toutes les professions (Mosconi, 2011). Ainsi, elle était bien « la condition nécessaire de l’égalité d’instruction entre les sexes » (Mosconi, p. 1). Cependant, cette condition n’a pas semblé suffisante : bien que la mixité ait représenté un immense progrès en faveur de l’égalité, de nombreuses recherches (Baudoux & Noircent, 1995 ; Bereni et al., 2008 ; Chaponnière, 2006 ; De Boissieu, 2007 ; Duru-Bellat, 1995, 2004b ; Marguerite, 2008 ; Marro & Vouillot, 2004 ; Mosconi, 2011 ; Petrovic, 2004b ; Rouyer, Croity-Belz & Prêteur, 2010 ; Zaidman, 1996) ont relevé que sa mise en œuvre n’avait malheureusement pas vraiment mené à une éducation égalitaire ! Selon Zaidman, auteure d’une recherche importante sur la mixité à 20 l’école primaire, « la manière dont la mixité s’est imposée dans l’école sans réflexion pédagogique préalable continue à peser sur la façon dont l’école gère les relations entre les sexes » (p. 16). Selon Marro et Vouillot (2004), citant Vouillot (2001), cela s’explique par les deux principaux obstacles suivants : l’« absence de réflexion, de conception de la mixité » (p. 5) d’une part et le manque de formation des enseignant-es à une coéducation d’autre part. Par rapport à cette première difficulté, Rouyer et al. (2010) préconisent que la mixité scolaire ne devrait pas être une « simple juxtaposition d’individus appartenant à des catégories » de sexe et de genre différentes, mais plutôt être pensée « en lien avec les processus de socialisation de genre […] à l’œuvre dès la naissance de l’enfant dans notre société et ses institutions » (p. 216) telles que l’école. En ce qui concerne la formation enseignante, les chercheurs et chercheuses démontrent par exemple que les pratiques enseignantes ne vont pas dans le sens d’une éducation à l’égalité des sexes (Mosconi, 2011). Ainsi, nous assistons à une « égalité de principe dans le système scolaire [mais à des] pratiques enseignantes inégalitaires » (ibid, p. 1), car les membres du corps enseignant ne considèrent pas cette mixité comme un objet de réflexion ou un instrument pédagogique (Zaidman, 2006) : aujourd’hui encore, la mixité semble donc aller de soi et ne faire l’objet d’aucune attention éducative particulière. Ainsi, elle est perçue par les enseignant-es comme « quelque chose qui ne pose pas problème » (Fontanini, 2005, p. 109). Petrovic (2004) soutient pourtant que « la croyance en une institution scolaire égalitaire et hermétique aux valeurs dominantes de notre société […] doit être à l’avenir à abandonner » (p. 159). Cette représentation de la mixité positive et garante de l’égalité entre les sexes n’aurait-elle donc pas évolué chez les enseignant-es depuis son introduction dans les années 60 ? Nous reviendrons plus tard sur cet aspect. 2.4. La mixité scolaire, source d’inégalités… Identifions donc les différentes inégalités provenant de cette mixité. Nous pouvons relever deux types d’inégalités sociales en fonction du sexe se manifestant tout au long de la scolarité. …du côté des garçons D’une part, bon nombre de chercheurs ou chercheuses mettent en évidence « l’inégalité de réussite scolaire à l’avantage des filles » (Bereni et al., 2008, p. 96). Les filles réussissent en effet mieux que les garçons à l’école, et ce, à tous les niveaux du système scolaire (Baudelot & Establet, 2007 ; Chaponnière, 2006 ; Courtinat-Camps & Prêteur, 2010 ; Dafflon Novelle, 2006 ; De Boissieu, 2007 ; Fontanini, 2005 ; Marguerite, 2008 ; Mosconi, 1998 ; Petrovic, 2004b ; Rouyer et al., 2010) : elles ont de meilleurs résultats, redoublent moins souvent et font des études plus longues! Maccoby (1990) et Ehrlich (2001), cités par De Boissieu, 21 expliquent ces résultats par la meilleure intériorisation des normes scolaires par les filles. Cette dernière auteure s’aventure même à dire que « les filles semblent mieux adaptées aux études, étant plus studieuses, mieux organisées, plus assidues » (p. 2). De leur côté, les garçons présentent ainsi un taux d’échec plus élevé que ces dernières (Gavray & Adriaenssens, 2010). …du côté des filles Cette réussite scolaire des filles est cependant à relativiser ! En effet, la seconde inégalité, cette fois à l’avantage des garçons, réside dans l’orientation scolaire (Bereni et al., 2008). En dépit de leur réussite scolaire supérieure, de plus d’études générales, du taux d’accès plus élevé à l’université, de l’obtention de plus de diplômes, donc de la « domination scolaire » (Zaidman, 1996, p. 113) des filles, ces dernières se concentrent dans un nombre restreint de filières – par ailleurs moins souvent professionnalisées – et délaissent les filières les plus prestigieuses (Duru-Bellat, 1994, 2004b ; Fontanini, 2005 ; Moreau, 2011 ; Rossi-Neves & Rousset, 2010) telles que celles scientifiques ou les grandes écoles d’ingénieurs pour occuper de manière massive les emplois situés au bas de la hiérarchie (Baudelot & Establet, 2007). Ainsi, elles préfèrent s’investir dans des filières dites « relationnelles », leur donnant accès à des métiers du social, de la santé ou de l’éducation (Bereni et al.). Elles se retrouvent donc « accomplir sur le plan professionnel les tâches qui étaient les leurs dans la sphère familiale : éduquer, soigner, assister » (Baudelot & Establet, p. 16). Au final, tel que nous le décrit Mosconi (2009), « les filles ont une meilleure réussite scolaire que les garçons, jusqu’à l’Université, mais les hommes ont une réussite professionnelle nettement meilleure que celle des femmes ». En d’autres termes, comme l’ont montré Baudelot et Establet (1992/2007), cités par Courtinat-Camps et Prêteur (2010), d’un côté, les filles investissent mieux l’école, mais de l’autre, les garçons la réinvestissent mieux au niveau de leur carrière professionnelle. Nous reviendrons sur cet aspect lorsque nous approfondirons la question de l’orientation et des choix professionnels différenciés des garçons et des filles. Retenons simplement pour l’instant que la mixité scolaire, fondée sur le principe théorique d’égalité des chances entre les sexes contribue en réalité à la (re)production d’inégalités, ce qui fait dire à Marro et Vouillot (2004), qu’« il n’y a pas plus d’égalité d’accès, qu’égalité de traitement (et par suite qu’égalité de réussite) entre filles et garçons au sein des filières de notre système éducatif » (p. 4). Mais faut-il pour autant, comme le préconisent certains chercheurs anglo-saxons, abolir la mixité scolaire pour revenir à une division des sexes en vue d’éviter la comparaison (Courtinat-Camp & Prêteur)? A ce sujet, Gianini Belotti certifiait déjà quarante ans auparavant: 22 soutenir qu’il vaudrait mieux que les petits garçons et les petites filles soient franchement séparés à partir de l’école primaire, revient à souligner leur incapacité à vivre ensemble […] la solution n’est pas de les séparer parce qu’ils sont différents [mais] d’abolir cette différence en les élevant comme des individus et non comme appartenant à l’un ou l’autre sexe. (1973, p. 199-200) Vers une évolution positive ? Selon Durand-Delvigne (1998), cité par Petrovic (2004b), malgré la présence de ces inégalités, « ce n’est pas la mixité qu’il faut remettre en cause, mais ses effets » (p. 168), car seule la situation de mixité permet de réellement modifier les rapports sociaux de sexe existants, de provoquer un changement de société profond visant davantage d’égalité entre les femmes et les hommes (Petrovic). En effet, la mixité rend possible « l’apprentissage de l’être ensemble, de l’altérité dans le respect de l’autre » (ibid, p. 171), mais à la seule condition de renoncer « au leurre de la neutralité éducative » (Zaidman, 1996, p. 212) – que nous examinerons dans notre problématisation – de manière à réellement prendre en compte les différences entre les sexes produites par la société. Il convient donc de passer d’une mixité non-pensée à une mixité maîtrisée ou réfléchie (Vouillot, 2001, cité par Petrovic) en développant une « pédagogie appropriée » (Baudoux & Noircent, 1995, p. 5). Pasquier (2010) prétend ainsi que la mixité scolaire doit être perçue « comme un instrument pédagogique pouvant conduire au rééquilibrage des relations entre les sexes » (p. 63), et non à la simple coexistence des deux sexes, comme c’est encore le cas aujourd’hui. C’est peut-être à ce niveau-là que les enseignant-es ont un rôle à jouer… Nous allons, à présent, nous baser principalement sur le rapport de tendance du CSRE, intitulé vers l’égalité des sexes à l’école (2006), pour analyser la situation actuelle en Suisse en matière d’égalité entre hommes et femmes dans le système éducatif. Cet état des lieux fait suite à la publication des diverses recommandations par la CDIP. Cependant, notre attention se focalisera uniquement sur les deux points principaux susmentionnés, retenus des recommandations de 1993, soit l’équivalence dans l’enseignement – constituée de l’enseignement, des moyens d’enseignement et du langage – et la formation initiale et continue des enseignant-es. 2.5. Etat des lieux sur l’équivalence dans l’enseignement Des moyens d’enseignement en retard sur leur temps En ce qui concerne l’équivalence dans l’enseignement, « l’enseignement et les moyens d’enseignement doivent être conçus dans un esprit d’ouverture et dans le respect de la diversité de l’environnement quotidien et professionnel des deux sexes » (CDIP, 1993, p. 23 247). Le matériel didactique ne remplit pas encore cette condition. En effet, plusieurs spécialistes (Baudelot & Establet, 2007 ; Baudino, 2007 ; Baudoux & Noircent, 1995 ; Bereni, Chauvin, Jaunait, & Revillard, 2008 ; Duru-Bellat, 1995, 2004b ; Gianini Belotti, 1973 ; Mosconi, 1998, 2011 ; Moreau, 1994 ; Petrovic, 2004a, 2004b ; Rouyer, 2007 ; SinigagliaAmadio, 2010) ont constaté que les manuels scolaires, les supports (ouvrages, logiciels, etc.) et/ou les contenus pédagogiques étaient truffés de stéréotypes sexistes, qu’ils ne contenaient que peu de modes de vie, comportements ou de modèles non conventionnels pour les filles et les garçons et que les femmes et jeunes filles étaient quantitativement sous-représentées, sousvalorisées et souvent présentées dans la seule sphère familiale, et ce, indépendamment de la discipline scolaire analysée. Pourtant, une éducation respectueuse de l’égalité des sexes devrait entre autres sous-tendre « des moyens d’enseignement […] axés sur la diversité des modes de vie actuels » (Hofacher et al., 2008). De plus, ces manuels transmettent des savoirs dits « androcentristes », c’est-à-dire focalisés sur l’histoire ou la vie sociale des hommes. Ceux-ci tendent ainsi à persuader les filles qu’elles n’ont jamais rien fait d’important, que ce soit au niveau des sciences, de l’histoire, de la littérature, de la culture, des arts, de la politique, etc. (Mosconi, 2011) et qu’elles sont donc moins « intéressantes » et moins importantes que les garçons. Cela s’explique d’une part, par la non remise en cause de ces médiateurs – « légitimés par l’institution scolaire » (SinigagliaAmadio, 2010, p. 46) – qui font donc partie intégrante du fonctionnement de la classe à titre de références et d’autre part, par la transmission aux enfants de représentations sexuées discriminantes et souvent faussées du monde dans lequel ils vivent (Dafflon Novelle, 2006 ; Rouyer et al., 2010), « systématiquement en retard par rapport aux pratiques sociales » (Zaidman, 1996, p. 31), les empêchant ainsi de développer pleinement leur potentiel. Vers une évolution positive ? Toutefois, il est intéressant de relever qu’en Suisse, « les manuels plus récents respectent nettement mieux les normes destinées à instaurer l’égalité » (Grossenbacher, 2006, p. 60) et qu’un guide pour l’élaboration de matériel didactique respectueux de l’égalité a vu le jour en 2004 aux éditions scolaires du canton de Zurich5. Ce dernier porte une attention particulière au texte, au langage, aux illustrations et aux représentations des hommes et des femmes. Ce vade-mecum nous semble essentiel, car comme nous le verrons par la suite « en l’absence d’une formation à la lutte contre les discriminations sexistes dans le cursus des enseignants, la garantie que les valeurs véhiculées par les manuels scolaires sont égalitaires pourrait constituer un garde-fou bien utile » (Baudino, 2007, p. 5). L’amélioration de la situation du point de vue de l’égalité semble être sur la bonne voie au niveau du matériel didactique, 5 Ryter, A. et al. (2004). Kann jeder auch ein Mädchen sein? Leitfaden zur Erarbeitung von geschlechtergerechten Lehrmitteln. Zürich: Lehrmittelverlag 24 même s’il reste encore beaucoup à faire. Nous ne nous attarderons donc pas davantage sur ce domaine si ce n’est en posant les interrogations suivantes (que nous ne n’aborderons pas dans notre enquête) : quelles représentations ont les enseignant-es de ces manuels scolaires ? Ontils/elles conscience des stéréotypes sexistes et des modèles traditionnels véhiculés par ces derniers ? Contribuent-ils/elles à renforcer ou au contraire à atténuer ces différentes valeurs inégalitaires ? En effet, nous considérons que, vis-à-vis de ces moyens d’enseignement, c’est à ces niveaux-là que les enseignant-es ont véritablement un rôle à jouer. L’égalité dans l’enseignement Au sujet de l’enseignement, les données scientifiques suisses étant rares, nous ne pouvons pas en dire grand-chose si ce n’est qu’« il est évident que l’égalité ne constitue pas une préoccupation prioritaire. La responsabilité de traiter ce thème est dans une large mesure dévolue aux membres du corps enseignant » (Grossenbacher, 2006, p. 75). Ainsi, les enseignant-es accordent peu d’attention à la problématique genre, que ce soit au niveau du choix des matières ou des moyens d’enseignement (ibid). D’ailleurs, l’auteure conclut qu’il serait important pour le futur de promouvoir l’application de cette recommandation dans l’enseignement et d’y consacrer davantage de travaux de recherche. Nous approfondirons et analyserons les pratiques enseignantes de manière générale dans notre problématisation. 2.6. Etat des lieux sur le langage et autres formes de communication Des interactions qualitativement et quantitativement différenciées La deuxième partie de cette 3ème recommandation, consacrée au langage et autres formes de communication, stipule que « les enseignantes et les enseignants respectent l’équivalence des deux sexes au niveau du langage et de toutes autres formes de communication » (CDIP, 1993, p. 247). Les nombreuses études faites dans ce domaine (Baudino, 2007 ; Baudoux & Noircent, 1995 ; Courtinat-Camps & Prêteur, 2010 ; Dafflon Novelle, 2006 ; Duru-Bellat, 1995, 2004 ; Jarlégan & Tazouti, 2007 ; Mosconi, 2001, 2009, 2011 ; Petrovic, 2004b ; Rouyer, 2007 ; Zaidman, 1996) démontrent que les interactions enseignant-es/élèves en classe demeurent différenciées en fonction du sexe. De manière quantitative, les enseignant-es interagissent davantage avec les garçons – traités comme une somme d’individualités distinctes – qu’avec les filles, perçues comme un groupe indifférencié (Petrovic, 2004b). Dans le même ordre d’idée, les enseignant-es passent plus de temps à attendre les réponses des garçons (temps de latence) (Duru-Bellat, 1995). D’ailleurs, les chercheurs et chercheuses estiment à 44% le temps consacré aux filles et à 56% celui accordé aux garçons (Duru-Bellat, 2004). Bien que cette différence puisse de prime abord paraître insignifiante, elle prend tout de suite plus d’ampleur mise en regard avec le temps 25 passé par un élève à l’école obligatoire : au minimum 15'000 heures (Rutter, Maughan, Mortimer, & Ouston, 1979). Toutefois, ces différences d’attention selon les sexes doivent être nuancées par la domination de l’espace sonore par les garçons (Dafflon Novelle, 2006), synonyme de prise de pouvoir, ou du moins d’affirmation de soi, mise en évidence dans de nombreux travaux tels celui de Zaidman (1996). En effet, ces derniers prennent davantage et de manière spontanée la parole pour répondre aux questions de l’enseignant-e et interrompent plus souvent que les filles le déroulement de la classe (Rouyer, 2007), d’où une visibilité des élèves différente selon leur sexe: les garçons se mettant en avant, les filles se fondant davantage dans le décor (Zaidman). D’un point de vue qualitatif, la forme des interactions varie passablement selon le sexe. Les garçons reçoivent davantage de critiques et de réprimandes (Duru-Bellat, 2004) mais aussi plus d’aide, de contacts pédagogiques, de louanges et d’encouragements (Chaponnière, 2006). Il est intéressant de noter que ces derniers portent essentiellement sur les performances du côté des garçons, alors que pour les filles, ils font surtout référence à leur comportement ou à leur soin (Duru-Bellat, 1995, 2004b ; Chaponnière, 2006 ; De Boissieu, 2007). Quant aux critiques, elles concernent, pour les garçons, principalement leur comportement ou leur travail (Duru-Bellat, 1995, 2004b) tandis qu’elles se rapportent, presque exclusivement à des compétences intellectuelles pour les filles (Rouyer, 2007). Duru-Bellat (1995, 2004b) explique ces différences qualitatives d’interactions entre les sexes comme suit : les enseignant-es, ayant des attentes stéréotypées selon les sexes, perçoivent les garçons comme des « sous-réalisateurs » (p. 77) ; des personnes n’exploitant pas tout leur potentiel intellectuel, ne faisant pas assez d’efforts. Ils/elles attribuent ainsi aux garçons des capacités qui dépassent leurs performances effectives (Mosconi, 2009). A leurs yeux, il convient donc de les stimuler, de les pousser à réussir à travers davantage de réprimandes, mais aussi d’encouragements. Courtinat-Camps et Prêteur (2010) nous invitent à contempler le revers de la médaille : les filles ne posant pas de problème en classe – car exerçant plus facilement leur métier d’élève par une capacité d’adaptation aux attentes de l’institution – « elles deviennent moins visibles dans la classe et captent moins l’attention des enseignants qui de fait interagissent moins avec elles » (p. 100). Nous nous apercevons donc que, contrairement aux recommandations préconisées au niveau de la communication, la fréquence et les modalités des interactions enseignant-es/élèves varient en fonction du sexe, les filles étant généralement exposées à des interactions moins stimulantes (Murcier, 2005) et moins nombreuses que les garçons. Pourtant, nous prenons conscience des conséquences fâcheuses de ces interactions différenciées en nous référant à De Boissieu (2007) qui affirme que « le langage joue un rôle primordial dans la transmission de valeurs, de normes, d’idées… au-delà de ce que disent les mots » (p. 5)… En fonction de leur 26 représentation de l’égalité des sexes à l’école, les enseignant-es cherchent-ils/elles à équilibrer les interactions de leurs élèves quantitativement parlant ? Portent-ils/elles une attention particulière aux formes d’interaction émises de manière à ne pas créer d’avantages d’inégalités ? Un « management » de la classe inscrit dans la différence Par ailleurs, ces interactions différenciées s’étendent au niveau de la gestion du groupe-classe pour certaines stratégies pédagogiques (Huguet, 2003) : les filles – considérées comme plus adaptées à la culture scolaire et plus disciplinées – sont utilisées par les enseignant-es comme « auxiliaires pédagogiques » (Chaponnière, 2006, p. 132 ; mais aussi Bereni et al., 2008 ; Rouyer et al., 2010 ; Zaidman, 1996), c’est-à-dire au niveau disciplinaire pour créer une bonne ambiance et au niveau pédagogique, pour aider les garçons en difficulté, que ce soit par le prêt d’affaires ou par un soutien direct pour les meilleures (Zaidman). Ainsi, par cette technique de « management » de la classe, les enseignant-es opposent les filles et les garçons, ce qui renforce davantage la division et la différence entre les sexes (Duru-Bellat, 1995). Le langage épicène : une solution ? Par ailleurs, nous nous interrogeons sur une forme de langage qui permettrait de respecter l’équivalence des deux sexes, tant à l’oral qu’à l’écrit : le langage épicène. Ce dernier consiste « à adapter le langage pour […] éliminer toute discrimination linguistique entre femmes et hommes » (Grossenbacher, 2006, p. 22). En effet, la langue française se base sur le masculin universel – « le masculin englobe le féminin et […] les accords [sont] toujours faits avec le masculin » (Bureau cantonal de l’égalité, 2008, p. 4) – évinçant et dévalorisant ainsi les femmes et les filles. Bien que certaines personnes estiment que la controverse à ce sujet est exagérée, prétendant que l’utilisation de la langue ne joue aucun rôle au niveau de l’égalité des sexes, une étude réalisée à l’Université de Berne a démontré que « l’utilisation d’un langage épicène suscite de plus nombreuses associations féminines que le masculin générique et […] contribue ainsi à la visibilité des femmes » (Gabriel & Mellenberg, 2004, cités par Grossenbacher). Selon le rapport de tendance de 2006, nous savons que les cantons appliquent le respect de l’équivalence des deux sexes dans la plupart des textes officiels. De plus, il apparaît que de nombreuses personnes ont été sensibilisées à l’utilisation de ce langage spécifique dans les médias suisses, mais qu’en est-il des membres du corps enseignant ? Malheureusement, aucune information n’est disponible au sujet de l’utilisation quotidienne du langage épicène oral dans les écoles. Une question surgit : la représentation de l’égalité des sexes entre les filles et les garçons à l’école passe-t-elle ou non par l’utilisation d’un langage neutre des enseignant-es à l’intérieur de l’institution? 27 2.7. Etat des lieux sur la formation initiale et le perfectionnement des enseignants L’égalité dans la formation enseignante : un besoin réel Selon la 4ème recommandation de la CDIP (1993), traitant de la formation initiale et du perfectionnement des enseignants, « l’égalité des sexes est un thème qui doit obligatoirement figurer dans le programme de formation des enseignants. Les enseignants doivent être amenés à reconnaître tout ce qui peut être préjudiciable à ce principe, et à y remédier » (p. 247). En 1996, la Commission formation des enseignants et la Commission pédagogie de la CDIP se sont réunies et ont publié un document plaidant pour une formation des enseignant-es favorisant l’égalité à l’école. L’idée de base était la suivante : le système éducatif reflète les rapports sociaux existants et, de ce fait, restreint les chances de développement et de formation des élèves (CDIP, 1996, cité par Corradi Vellacott & Wolter, 2006). Leurs principales critiques concernaient le matériel didactique – trop orienté autour du monde masculin – ainsi que les différences de traitement des garçons et des filles par les enseignantes. Selon ces auteurs, « les enseignants jouent un rôle central, non seulement en tant que références et modèles d’identification, mais aussi en tant que personnes, car ils contribuent à structurer l’enseignement et la vie scolaire » (Grossenbacher, 2006, p. 35). C’est pour cette raison que les deux commissions concluent leur document en pointant l’importance « d’accorder une place prépondérante à l’égalité dans la formation des enseignants » (Corradi Vellacott & Wolter, p. 78) permettant d’aboutir à une réelle éducation respectueuse de l’égalité des sexes, soit « l’acceptation et l’encouragement d’une multitude de centres d’intérêt, de possibilités de développement et de moyens d’action pour les garçons et filles » (Hofacher et al., p. 44, 2008). La formation actuelle dispensée aux membres et futurs membres du corps enseignant répond-elle donc aux besoins en termes d’égalité des sexes ? Contribue-t-elle à la prise de conscience de l’importance de cette problématique genre ? L’égalité des sexes : une thématique complexe Il est primordial de ne pas sous-estimer la complexité d’un tel thème dans la formation des enseignant-es. En effet, la plupart des chercheurs-euses s’accordent sur le fait que des recettes toutes faites ne peuvent venir à bout de ce problème ! Selon Grünewald (2001), cité par Grossenbacher (2006), il conviendrait plutôt de développer des compétences dans le domaine du genre telles que la prise de conscience de l’importance de la catégorie sexe, la motivation pour agir en faveur de la démocratie entre les sexes, la prise en compte d’attitudes et de manières autres pour appréhender la réalité ainsi que des connaissances et un savoir-faire spécifiques à cette thématique. Dans le même ordre d’idée, Lehmann (2003), cité par Grossenbacher, juge – suite à une étude réalisée sur les cours de perfectionnement sur 28 l’égalité des sexes – que la réflexion sur son propre vécu et l’étude de la problématique genre font partie des dimensions indispensables pour parvenir à enseigner en respectant cette égalité. Une alternative judicieuse est celle de Chaponnière (2006) qui propose une formation aux questions de genre combinant un aspect théorique et un aspect pratique, permettant ainsi d’« expérimenter des pratiques d’enseignement respectueuses du genre ». Finalement, Grossenbacher, s’inspirant de Grünewald et al. (2003), établit dans son rapport un listing non exhaustif de nombreuses difficultés dont il faut tenir compte dans cette thématique sensible. Nous reviendrons en fin de recherche sur les résistances des individus « confrontés » à une formation à l’égalité des sexes. Par ailleurs, il convient de garder à l’esprit que, d’une part, le genre est une construction sociale (nous y reviendrons plus bas lors de la présentation de la seconde conception des différences de sexe), mais également une construction historique, c’est-à-dire que les rapports de pouvoir sous-tendant cette notion sont variables dans le temps, donc potentiellement transformables ! D’autre part, le genre est le produit d’interactions (voire l’article de West & Zimmerman) : la différenciation et la hiérarchisation des catégories de sexe se font ainsi au travers des interactions quotidiennes. Le genre : un impensé dans la formation pédagogique des enseignant-es Faisons donc le point sur la situation en Suisse en matière de formation du personnel enseignant. L’intégration de la problématique genre dans cette formation semble poser problème, tant par la complexité du sujet que par les difficultés qu’elle peut engendrer6. Nous ne sommes donc que peu étonné d’apprendre que, d’après les résultats du rapport de tendance « vers l’égalité des sexes à l’école », la mise en œuvre de cette recommandation ne fait que débuter (Grossenbacher, 2006)! D’ailleurs, nous n’avons trouvé que peu d’informations dans la littérature scientifique à ce sujet. Pourtant, il semblerait que la création des HEPs ait permis d’intégrer cette thématique dans la formation du personnel enseignant (ibid). Toutefois, « les problèmes spécifiques au genre [sont] le plus souvent traités dans le cadre de modules généraux consacrés à l’hétérogénéité » (ibid, p. 36). Ainsi, en formation initiale, il semblerait qu’aucun cours spécifique à la problématique genre ne soit dispensé (Baudino, 2007). Dans le même ordre d’idée, Chaponnière (2006) souligne qu’aucune formation n’est dispensée aux membres du corps enseignant au sujet de la construction de l’identité sexuée, une construction cognitive pourtant essentielle (Epiney, 2011). Est-ce parce qu’on prétend que devenant obligatoire, « une telle formation […] est contre-productive pour les enseignants qui ne veulent pas entrer en matière sur ce sujet » (Chaponnière, p. 139) ? 6 Pour de plus amples informations à ce sujet, se référer à l’article de Fontanini de 2005. 29 De plus, les quelques cours proposés touchant à cette thématique demeurent la plupart du temps optionnels dans les cursus de formation (Baudino, 2007). Selon le rapport de tendance de 2005, la majorité des cantons (18) met à disposition des enseignant-es des cours de formation continue sur l’égalité. Ceux-ci visent principalement deux objectifs : sensibiliser les enseignant-es ainsi que d’autres acteurs-trices de l’éducation et accroître leurs compétences en matière d’égalité hommes-femmes (Coradi Vellacott & Wolter, 2005). Mais, ces cours n’étant pas obligatoires, ils ne touchent prioritairement que des personnes déjà sensibilisées à cette problématique (Baudino, 2007, Grossenbacher, 2006). Quant aux premières expériences et projets pilotes réalisés dans ce domaine, « on ne dispose pas encore de résultats d’études approfondies sur l’impact des mesures de sensibilisation ou de la transmission de compétences sur les membres du corps enseignant et sur leur manière d’organiser l’enseignement » (Grossenbacher, p. 68). Par ailleurs, certains cantons accordent plus d’importance à la sensibilisation et formation des cadres scolaires et personnes de référence – direction d’école, inspection scolaire, administration, formation des formateurs et formatrices, etc. – plutôt que du personnel enseignant (ibid), quotidiennement en contact avec des enfants… Nous reviendrons sur la formation initiale et continue des enseignant-es dans notre problématisation. Pour clore cet état des lieux, nous tenons particulièrement à citer les propos de Grossenbacher (2006) qui illustrent bien à quel point la sensibilisation et la formation initiale des enseignantes à cette thématique spécifique est essentielle : Les enseignants devraient en effet connaître les origines historiques des rôles sociaux des deux sexes, savoir qu’il est possible de les modifier et prendre conscience de leur propre rôle de femme ou d’homme. Ils devraient être amenés à réexaminer leurs valeurs et à reconsidérer leur vécu et leur apprentissage, à s’intéresser à la dimension genre et à mesurer la marge de manœuvre dont ils disposent pour garantir un enseignement respectueux de l’égalité. A cet effet, l’égalité ainsi que les relations sociales entre hommes et femmes devraient figurer parmi les matières obligatoires de la formation. (p. 35) 2.8. Bilan de l’égalité entre les sexes dans l’institution scolaire Suite à ce tour d’horizon – de trois points de vue – de la situation actuelle en Suisse en matière d’égalité hommes et femmes dans le système éducatif, nous constatons que les enseignant-es ne semblent pas être assez sensibilisé-es et donc conscient-es de la problématique de l’égalité entre les filles et les garçons à l’école. En effet, nous avons tout d’abord constaté qu’à leurs yeux, la situation de mixité ne semble pas poser de problème, car 30 perçue comme nécessairement garante d’une certaine égalité entre garçons et filles, même si cela n’est absolument pas le cas. De plus, la communication en classe – au travers d’interactions quantitativement et qualitativement différenciées – contribue à renforcer les différences entre les deux sexes. Ceci nous interpelle, car, partant du constat que le langage est à ce point-là contrasté selon les deux groupes de sexe, nous nous interrogeons sur les pratiques enseignantes sur le terrain, manifestement méconnues et ne faisons pas l’objet en Suisse d’analyses ou de rapports récents. Par ailleurs, en dépit d’une certaine amélioration ces dernières années, le matériel didactique à disposition n‘aide pas non plus à faire un pas en direction de cette égalité des sexes, car truffé de stéréotypes de sexe et de représentations faussées de la société actuelle, des hommes et des femmes. L’état de la situation paraît ainsi, du point de vue de l’égalité à l’école, bien terne. Tel que l’a souligné récemment l’association de recherche sur le genre en éducation et en formation [ARGEF], il serait donc aujourd’hui grand temps de passer à l’action en transformant les « déclarations d’intention et textes de loi en une pratique quotidienne de l’égalité » (2012), en l’occurrence en mettant en application les recommandations émises par la CDIP près de vingt ans plus tôt en vue de l’égalité homme-femme dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation. En effet, celles-ci paraissent « peu connues des enseignant-e-s et leur application dépend de leur curiosité, de leur bon vouloir ou de leur militantisme » (Pasquier, 2010, p. 60), d’où un « écart entre l’égalité formelle et réelle » (Gavray & Adriaenssens, 2010, p. 11) à ce niveau-là. Seule une formation à l’égalité des sexes semble pouvoir améliorer nettement cette situation, en sensibilisant, de manière appropriée, les enseignant-es, ce qui devrait mener à une modification de leurs représentations – donc de leurs pratiques – et un pas en direction d’une mixité réfléchie. Pourtant, comme mentionné ci-dessus, tant au niveau de la formation initiale que continue, ceci ne semble pas être encore le cas7. 7 Pour nous en assurer, nous analyserons d’ailleurs le contenu de la formation dispensée dans une HEP dans notre problématisation. 31 3. Problématisation Débutons en posant la question de recherche nous intéressant : qu’en est-il actuellement des représentations des enseignant-es exerçant dans les classes primaires sur la problématique de l’égalité des sexes? Il nous semble indispensable de déterminer les conceptions des membres du personnel enseignant en matière de genre et d’égalité entre les sexes. En effet, ces représentations auront probablement une influence sur leurs pratiques, qui à leur tour, influenceront les élèves en fonction de leur sexe. Par ailleurs, cette question finalement assez globale engendre de multiples questionnements, plus précis quant à eux et touchant à différents domaines: quelles sont les origines de ces représentations ? La formation initiale et continue exerce-t-elle une influence sur les représentations de l’égalité des sexes ? Selon leur conception des différences de sexe (naturelle ou construite), les enseignant-es ont-ils/elles des représentations différentes des garçons et des filles, donc de l’égalité? Estiment-ils/elles qu’au travers de la mixité scolaire, l’égalité des sexes à l’école est établie ? Jugent-ils/elles que l’égalité des sexes à l’école est une problématique légitime ? Pensent-ils/elles pouvoir influencer leurs élèves selon leur sexe au travers de leurs pratiques pédagogiques ? Le personnel enseignant contribue-t-il à atténuer ou renforcer les différences entre les garçons et les filles à l’école ? Est-il conscient de ce qu’il véhicule ? Cherche-t-il à atténuer les différences constatées entre ses élèves ? Les membres du corps enseignant ont-ils des attentes différenciées selon le sexe des élèves ? Les disciplines scolaires sont-elles considérées comme unisexes ? Toutes ces questions reflètent le nombre incalculable d’enjeux de société qui pèsent sur les enseignant-es – au-delà de tout ce qui leur est déjà implicitement demandé d’être, soit éducateur, psychologue, administrateur, technicien, assistant social, policier, conseiller… – qui doivent rester vigilant-es de manière à ne pas produire davantage d’inégalités entre les sexes. Tentons à présent d’apporter quelques éléments de réflexions qui nous aideront à répondre à ces différentes questions en nous appuyant sur des ouvrages, articles et recherches pédagogiques, sociologiques, psychologiques, des sciences de l’éducation, voire anthropologiques. Pour débuter, clarifions notre question de recherche en définissant le terme « représentation ». 3.1. Représentations sociales et catégorisation sociale Tout d’abord, précisons que notre intérêt porte sur les représentations dites « sociales ». En effet, nous nous intéressons aux représentations de l’égalité des sexes par quelqu’un qui possède un certain bagage social et culturel, mais aussi des expériences personnelles (Jodelet, 1984) : en l’occurrence, les représentations, ou images (Cornet, Maréchal & Delhaye, 2010) du personnel enseignant sur les garçons et les filles et leur mise en relation à l’école. La 32 définition de ce terme n’est pas aisée. Selon Jodelet, ce concept désigne « une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l’opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale » (p. 361). Cornet et al. la clarifient : c’est une reconstitution mentale du réel - à travers un processus de simplification de la complexité de cette réalité - auquel chaque individu attribue une signification spécifique. Ces représentations sociales – mélange d’informations, d’opinions, de croyances (Moliner & Vidal, 2003) et de valeurs (Cornet et al.) – orientent donc notre communication, mais aussi notre compréhension et notre maîtrise de l’environnement social (Jodelet). Elles se manifestent ainsi dans nos comportements, attitudes et manières de vivre (Cornet et al.) ; en d’autres termes, à travers notre langage et nos actions. Dans le même ordre d’idée, Moscovici (1961) précise que ces représentations sociales influencent grandement la manière dont nous comprenons le monde, comme nous le verrons par la suite. Selon Rateau (2007), cité par Cornet et al., elles assument de ce fait, une fonction de savoir, d’orientation, de justification, mais aussi une fonction identitaire, d’où leur prégnance et leur importance dans la vie des individus. Il est intéressant, voire même pertinent, de rapprocher ce concept de celui de catégorisation sociale, telle que proposée par Tajfel (1972). Celle-ci est « un processus d’ordonnancement des individus en catégories qui « sert à systématiser et à ordonner l’environnement social […] et joue un rôle dans l’orientation pour l’action et l’actualisation des valeurs » » (Tajfel, p. 293, cité par Moliner & Vidal, 2003, p. 158). Ainsi, les divers individus faisant partie de notre environnement social sont « classés » dans certaines catégories en fonction de traits ou caractéristiques prétendus spécifiques à une population donnée et souvent considérés, de manière aveuglante, comme « naturels ». Ces derniers constituent ce que l’on appelle communément les stéréotypes (Moliner & Vidal). A leur sujet, Baudelot et Establet (2007) parlent de « caricature de la réalité » (p. 19). Ainsi, à partir de cette catégorisation sociale, nous pouvons également définir la place de chaque individu dans la société. Pour revenir à notre premier concept, Jodelet (1984) affirme que les représentations sociales ne sont autres que « des catégories qui servent à classer […] les individus auxquels nous avons affaire » (p. 360). Nous produisons donc, à partir de nos représentations sociales, un système de catégorisation des individus qui nous entourent. Ces deux notions de « représentation sociale » et de « catégorisation sociale » semblent donc très voisines, dans le sens où, dans les deux cas, nous avons affaire à des « savoirs naïfs que les individus élaborent à propos [d’un] groupe » (Moliner & Vidal, p. 161). Qu’en est-il des représentations des enseignant-es par rapport aux deux groupes distincts que sont les garçons et les filles ? Celles-ci engendrentelles des pratiques différenciées ? 33 3.2. Représentations et catégorisation sociales des enseignant-es Tout d’abord, nous savons que « chaque personne a sa propre représentation du monde et en particulier des hommes et des femmes, de leur place et de leur rôle dans la société » (Fontanini, 2005, p. 110). A l’école, les enseignant-es traduisent ces représentations en des pratiques concrètes différenciées en fonction du sexe, comme nous le constaterons de manière plus approfondie par la suite. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à Goguikian Ratcliff (2006) que « chaque personne est inconsciemment imprégnée des représentations de sexe qui soustendent les pratiques éducatives » (p. 236). Ainsi, les représentations, par effet d’attentes, influencent le comportement des enseignant-es et au final, l’enseignement dispensé (Jarlégan & Tazouti, 2007)! C’est pour cette raison que Fontanini affirme qu’« en classe, garçons et filles ne sont pas sollicités de la même manière, les représentations et les attentes implicites des adultes étant différentes » (p. 101). En effet, selon Jarlégan et Tazouti, les enseignant-es attribuent des caractéristiques différentes aux élèves sur la base de stéréotypes sexués. Ces derniers sont, pour Granié (2010), « un ensemble de croyances sur ce que signifie être un homme ou une femme » (p. 52) au niveau des attitudes, des traits de personnalité, des intérêts, des relations sociales, des occupations, de l’apparence physique et bien d’autres caractéristiques encore. Ferrand (2004), cité par Rouyer et al. (2010), affirme que ces stéréotypes sont puissants, car reposant sur des croyances fermes en la différence naturelle des sexes. C’est pourquoi ils « ordonnent nos conduites dans la vie quotidienne et en particulier dans la vie scolaire [en influençant] les représentations, les attentes et les jugements des enseignant-es vis-à-vis des élèves de chaque sexe » (Mosconi, 2009). Ainsi, ils poussent les enseignant-es à croire que les élèves, en fonction de leur sexe, sont plus doués ou plus intéressés par certaines disciplines que par d’autres. Ces différentes représentations des disciplines influencent au final les enseignant-es au niveau des jugements des travaux de leurs élèves, des normes d’attribution de réussite ou d’échec, de la fréquence et de la qualité des interactions (Jarlégan & Tazouti) et bien d’autres aspects dont nous reparlerons de manière plus détaillée. Ainsi, tel que nous le disent Flamigni et Pfister Giauque (2011), ces stéréotypes sexués « influencent les relations au sein de la classe et peuvent avoir un impact important sur le parcours professionnel » (p. 6) ou les choix d’orientation futurs des élèves. En effet, comme nous le précise Héritier (2010), « les autres, le regard des autres, leur jugement, leurs discours : c’est par eux que nous sommes façonnés et que nous façonnons à notre tour » (p. 34). Ce rapide aperçu du traitement différencié des élèves à l’école permet de prendre conscience du poids des représentations sur les attentes et les comportements des enseignantes. Néanmoins, nous pouvons nous demander d’où proviennent ces représentations sexuées et 34 pourquoi elles sont aussi profondément ancrées en nous au point d’influencer notre pratique quotidienne. Des représentations sexuées tenaces Nous sommes conscient que les représentations sont difficiles à faire évoluer, tant à l’école qu’ailleurs. En effet, « les représentations et les discours sont largement porteurs de l’idéologie de la société dans laquelle les individus vivent » (Fontanini, 2005, p. 106). De ce fait, les représentations tendent souvent vers des savoirs de sens commun, ancrés profondément en chacun d’entre nous (Mosconi, 2009). D’ailleurs, une des principales critiques envers l’école est qu’elle « a tendance à laisser agir les mécanismes sociaux du genre tels qu’ils existent dans l’ensemble de la société » (Mosconi, 2011, p. 1). C’est pourquoi, cette même auteure précise que « tant qu’on laisse jouer les mécanismes spontanés dans la vie scolaire quotidienne, les rapports sociaux de sexe, tel qu’ils existent dans l’ensemble de la société, comme rapports de dominance du sexe masculin sur le sexe féminin, tendent à se perpétuer » (p. 1). Ainsi, l’école n’étant pas un îlot dans la société, elle est imprégnée de préjugés et de valeurs qui façonnent son public : élèves, mais aussi et surtout enseignant-es. A ce sujet, Gianini Belotti (1973) affirmait : « l’insécurité humaine a besoin de certitudes, et les préjugés en fournissent […] ils sont présentés comme vérités indiscutables depuis l’enfance et ne sont jamais plus remis en question par la suite » (p. 17-18). Ces valeurs contribuent donc à la perpétuation des inégalités dans les comportements et les pratiques et « enjoignent les enseignant-es à faire la différence et à trouver cela égalitaire » (Baudino, 2007, p. 10), ce qui pose problème (cf. Norme implicite d’équité, ci-dessous)! De plus, les préjugés des enseignant-es pourraient devenir, au fil du temps, des prophéties auto-réalisatrices (Merton, 1949, cité par Flamigni & Pfister Giauque, 2011). Nous reviendrons sur ces différents aspects dans la suite de notre travail de recherche. Mais n’existe-t-il pas d’autres facteurs pouvant influencer les représentations des enseignant-es du point de vue de l’égalité des sexes ? Le parcours de formation n’entre-t-il pas en ligne de compte ? 3.3. La formation enseignante et la problématique de l’égalité des sexes Il est possible que les représentations des enseignant-es sur la différence des sexes soient en partie influencées par leur formation initiale. Passons donc à présent à une brève analyse de la formation enseignante en Suisse. Débutons par un rapide aperçu de l’évolution de la formation enseignante à partir du début des années 70 avant de nous focaliser sur son contenu du point de vue de l’égalité des sexes et donc, du potentiel niveau de sensibilisation des enseignant-es à cette problématique. 35 Des Ecoles normales aux Hautes Ecoles Pédagogiques Pour dresser le portrait historique des ENs en Valais de 1970 à 2000, nous allons nous référer aux différents articles de Périsset (2000, 2003, 2012) ainsi qu’à sa thèse de doctorat publiée en 2000. Les ENs – crées en 1846 pour les garçons et en 1850 pour les filles – ont été selon Périsset (2012) « les premiers instituts de formation à l’enseignement mis en place par l’Etat » (p. 226). Jusque dans les années septante, un numerus clausus garantissait un certain équilibre entre le nombre d’hommes et de femmes suivant cette formation : davantage de filles étaient accueillies, de manière à combler les nombreux départs dus aux maternités ou aux mariages, alors que le quota des garçons demeurait constant. Cependant, les deux sexes restaient formés séparément. En 1978, suite au recours d’un député, ce numerus clausus – garant de la régulation des admissions – est abandonné. Pour éviter une féminisation certaine du métier, le Conseil d’Etat réagit par l’introduction d’examens différents selon le sexe des étudiant-es dans l’optique de préserver l’équilibre entre filles et garçons. Cette façon de procéder semble pouvoir s’imposer à l’époque. Toutefois, trois députés des principaux partis politiques font recours, considérant que ces examens sont discriminatoires et constituent une « entorse à la loi fédérale sur l’égalité entre hommes et femmes » (Périsset, 2003, p. 7). S’ensuit un débat houleux qui donne gain de cause aux femmes : l’admission à l’EN se fait donc en fonction des résultats, indépendamment du sexe des candidat-es. Dès 1983, les effectifs de l’EN des instituteurs diminuent ce qui conduit à la mise sur pied des premières classes mixtes. En 1987, les ENs des garçons et des filles sont regroupées. Les garçons y resteront toujours minoritaires, représentant en moyenne 27% des effectifs. En 1994, la loi sur la formation des enseignants est votée, signifiant la fermeture prochaine des ENs et l’ouverture de l’Ecole pédagogique supérieure, sous le nom de Haute Ecole Pédagogique [HEP] par la loi de 1996. Les années 2000 marquent ainsi l’ouverture des différentes HEPs en Suisse. Bien que la formation soit mixte, les étudiants demeurent ultra-minoritaires avec une représentation moyenne de 10%. Apparemment, en dépit d’une certaine ouverture de la société à l’égalité, l’éducation des enfants jusqu’à 12 ans semble rester « une affaire de femmes » (Périsset, 2003, p. 7) et ce, partout dans la société occidentale. Vers une féminisation de l’enseignement primaire? Selon des statistiques de l’Institut de recherche et de documentation pédagogique [IRDP] de Neuchâtel, datant de 2011, il semblerait que la proportion d’enseignants reste largement inférieure. Ainsi, en 2008/2009, on dénombre 360 hommes sur les 1'503 membres du corps enseignant en Valais, soit un taux de 76% d’enseignantes. Nous dirigeons-nous pour autant réellement vers une féminisation de l’enseignement primaire ? Pour le savoir, profitons de la 36 richesse de la banque de données de l’office fédéral de la statistique [OFS]. Selon le document Corps enseignants selon le degré d’enseignement et personnel des hautes écoles, couvrant une période de 13 ans, le taux de femmes enseignant au degré primaire passe de 70,7% en 1998/1999 à 81,1% en 2011, soit une augmentation de plus de 10%, ce qui dénote effectivement une féminisation de l’enseignement primaire. Quel impact peut-elle avoir sur les élèves ? Peut-elle renforcer les inégalités ? Deux éléments de réponses ressortent de la littérature scientifique. Suivant la théorie des role models (Jones, 2006, citée par Moreau, 2011) – fortement prégnante dans le contexte britannique – la féminisation semble avoir un effet néfaste principalement sur les garçons par une féminisation des valeurs transmises, mais surtout un manque de modèles de référence. Dans cet ordre d’idée, Courtinat-Camps et Prêteur (2010) affirment que « les garçons ne trouvent […] pas assez, dans leur environnement scolaire, de professionnels masculins auxquels ils puissent s’identifier » (p. 101), d’où un déficit de modèles de rôle impliquant leur sous-réussite scolaire. Pourtant, Moreau (2011) déplore « l’absence de fondements théoriques et empiriques valides » à cette conception. Selon Duru-Bellat (1995b), une structure hiérarchique fortement sexuée divise le personnel enseignant que ce soit au niveau d’une féminisation inégale des corps d’enseignant-es – femmes majoritaires en maternelle et au primaire et minoritaires dans l’enseignement supérieur – ou au niveau de la fonction exercée. En effet, encore aujourd’hui, la direction d’établissement primaire (en ce qui nous concerne) est majoritairement assurée par des hommes (Duru-Bellat, 1995b ; Zaidman, 1996). Cette inégale distribution selon les sexes transmet implicitement un message aux enfants sur la division du travail entre les femmes et les hommes (Duru-Bellat), du moins au niveau de l’enseignement. Ainsi, en primaire, ils associent l’activité de formation/éducation à la catégorie de sexe qui s’en charge majoritairement, à savoir les femmes. Recommandations de 1981 : un changement à deux vitesses Revenons aux recommandations de la CDIP pour mettre en évidence celles touchant à la formation enseignante. Il est intéressant de relever qu’une des recommandations du 30 octobre 1981, stipulait déjà d’« ouvrir les filières de formation des enseignants aux deux sexes et veiller à ce que le respect du principe de l’égalité entre jeunes filles et garçons dans la formation constitue un sujet central de cette formation » (Grossenbacher, 2006, p. 9). En effet, ceci signifie que dans les années suivant ces recommandations, l’accès à l’école normale aurait dû être indifférencié selon le sexe du/de la futur-e enseignant-e d’une part, mais surtout qu’ils/elles auraient dû bénéficier d’une formation relativement importante à l’égalité des sexes. Nous avons vu qu’à partir de 1987, les filières de formation sont devenues mixtes suite à 37 l’admission des candidat-es sans distinction de sexe, basée sur un principe d’égalité des chances. D’ailleurs, la commission ad hoc chargée d’évaluer la mise en œuvre des recommandations de 1981 a estimé qu’« à quelques exceptions près, les filières de formation pour enseignants étaient ouvertes aux deux sexes au moment de l’enquête » (Grossenbacher, 2006, p. 10). Toutefois, en ce qui concerne l’attractivité de cette profession, nous avons vu que cette ouverture ne permet pas de conduire à une représentation équilibrée des sexes, avec un net déséquilibre en défaveur des étudiants. Pire encore : cette représentation masculine semble même diminuer au fil des décennies, ce qui fait dire à Périsset Bagnoud et Darbellay (2002) que « selon l’évolution actuelle, si aucune mesure sociale favorisant le recrutement masculin n’est rapidement prise, l’équilibre […] se rompra nettement en faveur des femmes » (p. 7), jusqu’à une féminisation totale du métier. Nous avons souligné plus haut les potentielles conséquences d’une telle féminisation. Néanmoins, au-delà de ce bémol qui ne concerne pas l’objet de cette recherche, l’ouverture aux filières de formation des enseignantes aux deux sexes, préconisée par les recommandations de 1981, semble donc avoir été respectée. En ce qui concerne l’introduction d’une formation à l’égalité entre garçons et filles dans la formation enseignante, les constats sont bien plus décevants. La même commission ad hoc a jugé qu’il était urgent de s’attaquer à de nombreux problèmes, dont une « réflexion sur les mécanismes de la discrimination entre les sexes, notamment du modèle d’interaction sexospécifique dans la formation […] des enseignants » ainsi qu’à l’« adoption de l’égalité des sexes dans tous les services pédagogiques en tant que thème prioritaire » (Grossenbacher, 2006, p. 12). Il semblerait ainsi qu’aucune formation n’ait été mise en place au niveau de l’égalité des sexes, du moins dans les ENs. Nous pensons d’ailleurs que c’est pour cette raison que le 4ème point des recommandations de 1993 préconise l’égalité des sexes comme discipline obligatoire du programme de formation initiale et continue des enseignant-es (ibid). Contenu de la formation dans les Ecoles normales Intéressons-nous aux contenus de la formation des enseignant-es dans les ENs en nous basant sur la recherche de Périsset (2012) touchant à l’évolution du contenu des différents plans d’études des écoles de formation du personnel enseignant de 1847 à 2003. Les différentes disciplines enseignées peuvent être regroupées en trois catégories : La formation au rôle social, dont l’enjeu des disciplines, différenciées en fonction du sexe, était d’instruire de manière civique et morale : la religion, l’histoire, l’agriculture et ouvrages manuels, le chant, la gymnastique, la comptabilité, l’hygiène scolaire ainsi que la sociologie (basée sur la doctrine sociale de l’Eglise). L’idée étant d’éduquer chaque sexe à son rôle social, cette formation a été prédominante dans les contenus 38 d’enseignement du 19e siècle jusque dans les années 1960, avant de disparaître totalement du plan d’étude de 1977. La formation générale – dont les contenus servent à former la culture générale, constituée de la langue française, de l’arithmétique (puis des mathématiques), de la géographie, de l’histoire, mais aussi du chant et de la gymnastique à partir d’une certaine période. Cette culture générale prend de plus en plus de place dans la formation des enseignant-es jusqu’en 1977 avant de disparaître du plan d’études des HEPs, la formation au degré secondaire ayant pris le relais. La formation professionnelle a pour but de « doter les futurs enseignants des savoirs à enseigner nécessaires pour l’exercice de leur fonction » (Périsset, 2012, p. 227), comme la pédagogie, le dessin, la calligraphie, le chant, la gymnastique ainsi que toutes les disciplines enseignées actuellement dans les HEPs basées sur les aspects sociologiques, psychologiques, didactiques et pédagogiques (sciences de l’éducation). Cette formation spécifique, quasi inexistante au 19e siècle, croît au fil du temps jusqu’à occuper l’ensemble du plan d’études de la HEP en 2003. Ce rapide aperçu de l’évolution des contenus de formation nous permet de soutenir qu’aucune formation en lien avec l’égalité des sexes n’a été dispensée dans les ENs, ce que confirme par ailleurs Périsset suite à ses nombreuses recherches sur ces écoles (2000a, 2000b, 2003, 2012) : il n’y a « pas [eu] de formation explicite sur [cet] objet dans les Ecoles normales » (communication personnelle, 19 janvier 2012). Contenu de la formation des HEPs Analysons brièvement le contenu de la formation actuelle des enseignant-es. Dispensée dans les HEPs (degré tertiaire), elle est de type successive, dans le sens où elle propose uniquement une formation professionnelle pour faire suite à la formation générale préalablement reçue. Selon Périsset (2012), les plans d’études sont orientés par « l’efficacité des processus d’enseignement-apprentissage » (p. 233), en d’autres termes, par les didactiques, mais aussi par les phénomènes sociaux actuels tels que les migrations, l’adéquation aux besoins régionaux, l’hétérogénéité… La thématique de l’égalité des sexes devrait ainsi faire partie de cette hétérogénéité ou être, du moins, considérée comme un phénomène social contemporain. En effet, selon Grossenbacher (2006), la création des hautes écoles pédagogiques aurait dû permettre d’intégrer la thématique de l’égalité des sexes dans la formation des enseignant-es. De plus, considérant que Périsset est d’avis que les contenus de la formation pédagogique doivent reposer sur les résultats significatifs des recherches en éducation, nous pensons et 39 espérons que les nombreuses recherches des dernières décennies dans le domaine du genre (Etudes Genre8) devraient en faire partie. Le cas de la HEP du Valais Les HEPs suisses n’ayant pas organisé leur formation de la même manière, illustrons notre propos en nous concentrant exclusivement sur la HEP du Valais et l’organisation de ses cours. Selon le site de cette institution9, le programme de formation initiale est construit sur la base de domaines d’enseignements imposés par la loi et de champs professionnels rencontrés par le/la future enseignant-e dans sa pratique professionnelle (cf. Organisation des cours HEP-VS en annexe). Les domaines d’enseignement couvrent la formation pédagogique, psychologique et sociologique, la didactique générale et celle des disciplines, la formation pratique, la formation scientifique aux diverses disciplines, la formation artistique et culturelle ainsi que l’initiation à la recherche. Quant aux champs professionnels, ils touchent majoritairement à l’enseignement et à l’apprentissage, mais aussi aux conditions-cadres de l’enseignement (dont la société et l’institution) et à l’acteur-trice de l’enseignement. Ainsi, la jonction entre domaines d’enseignements et champs professionnels génère les différents thèmes enseignés aux étudiant-es. La thématique de l’égalité des sexes dans la formation initiale et continue Intéressons-nous aux thèmes susceptibles de toucher à l’égalité des sexes, c’est-à-dire à la jonction entre la formation pédagogique, psychologique et sociologique et le champ société et institution. Les deux thèmes de formation sociologique, « éléments de sociologie de l’éducation » et « aspects sociologiques de l’éducation », nous semblent pertinents. Selon le descriptif de ce premier thème, sur les huit concepts abordés durant le semestre en question, constitué de douze cours, seul celui du « genre » nous semble pouvoir clairement établir un lien avec l’égalité des sexes à l’école. En effet, cette notion – partant de la question du traitement des filles et des garçons par l’école – est brièvement « analysée » sous les trois angles suivants : les enseignant-es, les apprenant-es et le système scolaire, avec un petit accent sur les manuels scolaires et la littérature enfantine. Par ailleurs, les concepts « socialisation » ou « rôle et statut » de ce thème peuvent aussi pousser les étudiant-es à une certaine réflexion à ce sujet. Toutefois, étant passé par les bancs de cette institution, nous estimons que la brièveté et la simplification du contenu des informations transmises ne permettent pas une réelle prise de conscience de l’importance de cette thématique pour la pratique future, donc une réelle appropriation de la problématique de l’égalité des sexes à l’école. 8 Pour de plus amples informations à ce sujet, prière de se référer à la brochure les Etudes genre en Suisse, publiée en 2005 par le Fonds national suisse et le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. 9 www.hepvs.ch [02.01.2013] 40 Le second thème semble davantage correspondre à nos attentes. En effet, de nombreuses thématiques traitées telles que « les inégalités de carrières scolaires », « les enjeux de la scolarité » et « les contextes et pratiques : effet-établissement et effet-maître » sont en forte corrélation avec l’égalité des sexes. Néanmoins, ces thématiques ne sont pas orientées sur la seule dimension genre, mais également sur deux autres variables sources d’inégalités : le milieu social et l’origine culturelle. Cette articulation ne permet donc pas une focalisation sur la variable sexe comme sujet principal d’enseignement. Ainsi, il est possible que les étudiantes ne prennent pas conscience de l’importance de cette variable, « noyée » parmi d’autres problématiques. En définitive, bien que, selon Baudino (2007), il n’existe pas en formation initiale de cours spécifique de formation au genre, les enseignant-es sortants des HEPs devraient avoir été sujet-tes à un début de sensibilisation à cette thématique. Par ailleurs, il est important de relever qu’au niveau de la même jonction entre champ professionnel et domaine d’enseignement, un cours optionnel consacré exclusivement à la problématique genre est proposé aux futur-es enseignant-es lors de leur formation initiale. Il s’agit du thème « genre et éducation » qui traite des concepts suivants : le genre, le rôle, les stéréotypes, l’identité, l’égalité, l’équité, la discrimination et la domination masculine. Celuici correspond donc totalement à nos attentes ! Cependant, selon les propos d’une de ses intervenantes principales, Mme Jacquemet, ce cours n’est pas proposé toutes les années et il arrive qu’il ne soit pas donné « faute d’un nombre suffisant de « combattant-es » » inscrit-es (communication personnelle, 24 janvier 2012), soit huit participant-es au minimum. Enfin, comme le précisent Baudino (2007) et Grossenbacher (2006), ces cours étant facultatifs, ils ne touchent prioritairement que des personnes déjà sensibilisées à cette problématique ! Finalement, le programme de formation continue – qui permettrait de poursuivre cette sensibilisation vis-à-vis de l’égalité des sexes – ne propose aucun cours en lien avec la problématique genre, et ce, même de manière indirecte ! Mme Jacquemet avance l’explication suivante : un cours de ce type avait été proposé quelques années auparavant en collaboration avec le Bureau de l’égalité, mais aucune inscription n’avait été enregistrée (communication personnelle, 24 janvier 2012), d’où son absence. Bilan de la problématique dans la formation enseignante La formation du personnel enseignant n’intègre donc pas – ou du moins, pas encore – de sensibilisation directe et obligatoire à l’égalité des sexes. En effet, comme nous le verrons de manière approfondie ci-dessous, dans leurs pratiques, les enseignant-es contribuent à accentuer les différences entre les garçons et les filles à l’école, plutôt qu’à les atténuer. Nous estimons donc que, pour ces différentes raisons, les pratiques enseignantes, tout comme les représentations dont elles sont issues, n’évoluent guère. 41 3.4. Curriculum caché Passons à présent à l’analyse plus fine des nombreux processus psychosociaux présents dans la relation enseignant-e/élèves à l’école au travers de la situation de mixité. Quels sont donc les effets constatés de cette mixité scolaire sur les garçons et les filles ? Chaponnière (2006), citant Duru-Bellat (1995) tire un bilan sévère de ceux-ci: La mixité exposerait […] les filles à une dynamique relationnelle dominée par les garçons, qui se traduit pour elles par des interactions pédagogiques moins stimulantes, avec à la clé de moindres progressions intellectuelles, une moindre confiance dans leurs possibilités, une passivité grandissante […] et de manière plus générale, une moindre estime de soi. La mixité aurait également des effets du côté des garçons : […] elle les contraint plus fortement à afficher leur virilité. Les élèves sont donc conduits à canaliser leurs investissements et leurs préférences intellectuelles en fonction des qualités et attributs censés être conformes à leur sexe, en complicité avec les maîtres, et avec en arrière-plan plus global, la division du travail entre les sexes. (p. 134) Ainsi, l’école ne proposerait pas une neutralité des sexes à travers sa mixité. Il semblerait que ces résultats différenciés soient dus au curriculum caché – ou latent – c’est-à-dire à « ces choses qui s’acquièrent à l’école (savoirs, compétences, rôles, valeurs) sans jamais figurer dans les programmes officiels ou explicites » (Forquin, 1985 cité par Mosconi, 2009), mais tout de même inculquées aux enfants, de manière plus diffuse (Duru-Bellat, 2004). D’autres auteures citent aussi les contenus, les comportements (Petrovic, 2004b), les normes ou les représentations (Chaponnière, 2006), en parlant de ces éléments appris de façon implicite par les élèves à l’école. Zaidman (1996) parle même de « programme caché » pour désigner tout ce qui « participe à cet apprentissage des comportements de genre attendus par la société » (p. 106) : du cadre matériel à la gestion et au mode de transmission pédagogique, en passant par les matériaux didactiques. Bien entendu, il ne s’agit nullement d’un complot contre les élèves, ce curriculum caché leur étant transmis de manière involontaire par les différents acteurs et actrices de l’éducation (Petrovic). Il n’empêche, il participe au maintien, à la légitimation et à la (re)production des stéréotypes de sexes, mais aussi et surtout « des rapports sociaux de sexes, et peut servir à expliquer ce hiatus entre la meilleure réussite des filles et sa nonrentabilisation en terme d’orientation d’abord, puis d’emploi » (Petrovic, p. 160). Ainsi, ce curriculum caché exerce des effets différenciés selon le sexe des élèves (Duru-Bellat, 1995) et participe donc à une « discrimination ambiante » (Zaidman, p. 38) : il produit une définition scolaire de la masculinité et de la féminité par laquelle les goûts et performances scolaires différentes des élèves en fonction de leur sexe vont être considérés comme naturels (Mac 42 Donald, 1980, cité par Duru-Bellat, 1995), ce qui implique des conséquences sur l’enfant et son avenir. Les enseignant-es transmettraient-ils/elles donc un curriculum caché différencié en fonction du sexe de l’enfant ? Pourtant, selon les valeurs actuelles prônées par la société, la majorité des membres de ce corps enseignant ne cherche-t-elle pas justement à instaurer une relation égalitaire – soit indépendante du sexe – entre garçons et filles, mais aussi entre enseignant-e et élèves ? 3.5. Norme implicite d’équité Les enseignant-es, suivant le principe pédagogique numéro un, considèrent les élèves comme neutres : « sans religion, sans appartenance sociale et sans sexe » (Chaponnière, 2006, p. 132). Le but fondamental et inhérent à l’école obligatoire étant de réaliser l’égalité des chances entre des individus présentant une forte hétérogénéité, ils adoptent donc le principe de l’indifférenciation entre les élèves, de manière à éviter la création d’inégalités (ibid). Ils pensent ainsi les traiter tous de la même manière. Pourtant, selon Mosconi (1989), cité par Duru-Bellat (1995), « la mixité véhicule tout un curriculum caché qui loin d’être neutre, est plutôt « masculin neutre » » (p. 86), dans le sens où ce traitement égal « dissimule en réalité une norme qui commande de « favoriser » les garçons » (Mosconi, 2009). En effet, il semblerait qu’il existe à l’école une norme implicite d’équité – ou d’égalité ; termes différents selon les références – consistant à les favoriser au niveau de l’attention, du temps accordé et d’une plus grande tolérance à l’indiscipline (Mosconi, 2001, citée par De Boissieu, 2007). Nous nous trouvons donc face à une certaine « idéologie de la neutralité pédagogique » (p. 207), pour reprendre les termes de Zaidman (1996), qui gomme aux yeux des enseignantes les différences entre les sexes (Rouyer et al., 2010). Néanmoins, Duru-Bellat (2004), sans justifier ces différences de traitement, tente de les expliciter : « il faut « tenir » les garçons, qui revendiquent une grande part d’attention, et qui ont par ailleurs plus de difficultés à s’adapter aux normes scolaires » (p. 67). La mise en évidence de cette neutralité ne serait-elle donc qu’un masque utilisé par les enseignant-es pour cacher les véritables rapports entre les sexes se produisant à l’école ? Par ailleurs, et c’est paradoxal, lorsque, expérimentalement (voire Spender, 1982), les enseignant-es tentent, « avec force culpabilité » (Duru-Bellat, 1995, p. 79), de corriger ce déséquilibre, ils ont l’impression de favoriser les filles (Murcier, 2005), tout comme les garçons de la classe d’ailleurs, qui se plaignent de la négligence de l’enseignant-e à leur égard (Mosconi, 2009) au point tel de menacer de « porter plainte aux autorités » (Baudoux & Noircent, 1995, p. 8) ! Pourtant, d’après les résultats de ces études, ces enseignant-es accordent dans le meilleur des cas seulement environ 45% de leur temps aux filles (Duru43 Bellat, 1995, 2004b). Ainsi, enfreindre cette norme implicite culpabilise les enseignant-es eu égard à une autre norme : la neutralité de l’enseignement (Duru-Bellat, 2004) ! Nous pouvons donc affirmer que selon ces recherches, la norme de neutralité à l’école consiste bel et bien à favoriser les garçons. Les questions suivantes nous interpellent : une réelle égalité entre les garçons et les filles ne serait-elle donc pas possible à l’école de manière pratique ? Quel est le rôle joué par les enseignant-es dans ce maintien des inégalités ? En ont-ils/elles conscience ? Quant aux élèves, ne sont-ils donc que des « réceptacles passifs » intériorisant les différents rôles, valeurs, comportements… qu’on leur assigne ? Déterminons en quoi les enseignant-es contribuent à renforcer les différences entre les garçons et les filles plutôt qu’à les atténuer. 3.6. Des attentes pas si anodines… Rôle actif des élèves Comme le précise Murcier (2005), l’école est une instance de socialisation qui participe « à la construction des conduites sexuées des enfants et à la socialisation différenciée des filles et des garçons » (p. 4). Bien entendu, la cohabitation pousse les élèves à contrôler et renforcer certains comportements ou attitudes propres à leur groupe de sexe tout en se dénigrant réciproquement, de manière à distinguer leur groupe de l’autre (voire la valorisation différentielle des sexes, Dafflon Novelle, 2006 et Rouyer, 2007). C’est dans ce sens que Grossenbacher (2006) affirme que « la présence d’élèves des deux sexes dans une même classe accentue […] les comportements correspondant [aux] stéréotypes » (p. 59) traditionnels chez les élèves. Ainsi, les membres du corps enseignant ne sont pas les seuls responsables de la création ou du maintien des inégalités entre les filles et les garçons. En effet, de multiples mécanismes psychosociaux en lien avec l’identité sexuée des élèves contribuent à cette différenciation filles/garçons (pour de plus amples informations à ce sujet, voire identité sexuée et scolarité, Epiney, 2011) : « l’enfant n’est pas l’objet passif de sa socialisation », il existe de nombreux « processus divers où il interviendrait comme « acteur » » (Darmon, 2010, p. 44). Des enseignant-es influencé-es par leurs attentes Cependant, les enseignant-es jouent un rôle particulièrement important dans l’accentuation des différences entre les sexes, et ce, à plusieurs niveaux. Selon Baudino (2007), ils « distribuent les rôles dans la classe [et] orchestrent la domination des garçons et la « bémolisation des filles » » (p. 10). En effet, les enseignant-es ont des attentes envers les enfants basés sur leurs représentations des deux sexes ; représentations prenant souvent sources dans les stéréotypes de sexe : ils pensent donc que garçons et filles ont des capacités, des intérêts (Minuchin & Shapiro, 1983, cités par Rouyer, 2007), des comportements (Bereni 44 et al., 2008.), des compétences (Duru-Bellat, 2004) et des traits différents (Goguikian Ratcliff, 2006). Ainsi, les filles se voient attribuer de nombreuses qualités positives telles que la maturité, l’investissement scolaire, l’autonomie dans l’organisation, le soin dans le travail ; qualités renvoyant ipso facto à la norme scolaire (Rouyer). A l’opposé, le portrait des garçons, bien plus négatif, laisse déjà entrevoir le refus scolaire (Zaidman, 1996). Dans le même ordre d’idée, Héritier (2002), cité par Goguikian Ratcliff, énumère certains traits connotés comme masculins ou féminins dans notre culture occidentale et qui s’opposent : actif-passif, fortfaible, belliqueux-paisible, compétent-incompétent, supérieur-inférieur, aventureux-casanier, etc. Marro et Vouillot (2004) prétendent d’ailleurs que les enseignant-es « ont en tête et évoquent quasi automatiquement » (p. 6) ces caractéristiques opposées « typiques » de l’un ou l’autre groupe de sexe. Nous ne sommes donc pas étonné des résultats de l’étude de Jarlégan et Tazouti (2007) sur les représentations enseignantes des différences liées au sexe des élèves: l’application, le soin, la patience et l’ordre sont des termes qualifiés de typiquement féminins alors que l’agressivité, l’agitation et la compétition – tous connotés plutôt négativement dans le milieu scolaire, si ce n’est la dernière notion qui peut être discutée – sont des attributs considérés comme typiquement masculins. Au niveau des comportements, les enseignant-es s’attendent à nouveau « à ce que les filles soient sages et les garçons dissipés, les filles au premier rang et les garçons au dernier » (Bereni et al., 2008), les filles responsables et prêtes à rendre service (Duru-Bellat, 1995) ; de nombreux comportements considérés comme « naturels » par les enseignant-es selon leurs représentations stéréotypées du masculin et du féminin. Pourtant, le poids des stéréotypes pousse le personnel enseignant à surestimer les différences de comportements entre les filles et les garçons (ibid). Ainsi, les filles sont souvent perçues comme parlant trop – stéréotype basé sur la représentation sociale des filles comme bavardes – alors qu’en réalité, elles parlent moins que les garçons, et parfois jusqu’à trois fois moins (ibid) ! Dans le même ordre d’idée, en dépit de réelles différences intrasexes, les enseignantes considèrent les garçons comme turbulents (Goguikian Ratcliff, 2006). Par ailleurs, ces diverses attentes du comportement modulent les réactions enseignantes, dans le sens où le comportement de chaque élève doit correspondre à son sexe, sous peine d’être mal perçu ou d’entraîner des conséquences négatives. Ainsi, un comportement d’agitation ou d’agressivité est jugé condamnable lorsqu’il s’agit d’une fille, car contre-nature, alors qu’il est considéré déplorable et inévitable, mais « naturel » pour un garçon (Mosconi, 1989, cité par Duru-Bellat, 1995). A nouveau, selon la même auteure, une fille se plaçant au fond de la classe – places habituellement occupées par des garçons – est perçue comme une opposante en puissance. Nous nous trouvons donc face à des standards de comportements différents pour les garçons ou les filles (Duru-Bellat). 45 Bilan de ces attentes sexuées Au final, ces différentes attentes stéréotypées influencent logiquement les comportements adoptés par les enseignant-es selon le sexe de l’enfant (Chaponnière, 2006). Ainsi, les représentations stéréotypées attribuées à chaque sexe perpétuent les idées préconçues tout en incitant à des modalités éducatives différentes (Goguikian Ratcliff, 2006). Nous comprenons donc mieux les raisons pour lesquelles les enseignant-es interagissent différemment avec les filles et les garçons à l’école. Nous rejoignons l’hypothèse de Duru-Bellat (2004) présentée plus haut : les enseignant-es, ayant des attentes et représentations stéréotypées des élèves en fonction de leur sexe, considèrent les garçons comme des « sous-réalisateurs » – à l’opposé des filles, mieux adaptées à la culture scolaire – et se sentent donc investis de la mission de les pousser à réussir, d’où une plus grande attention leur étant accordée. Mais ces attentes des enseignant-es, différenciées en fonction du sexe de l’élève, n’influencent-elles pas aussi les attitudes de ce dernier ? Ne vont-elles pas conforter l’élève dans son rôle de sexe et son « identité d’élève-fille [ou] d’élève-garçon » (De Boissieu, 2007, p. 3) ? 3.7. La prophétie autoréalisatrice comme cercle vicieux Nous tenons à mettre en exergue l’apparition d’un cercle vicieux entre les attentes de l’enseignant-e et le comportement des élèves : « le comportement des filles et des garçons conforte les attentes de l’enseignant, et les attentes de l’enseignant maintiennent le comportement des enfants » (Minuchin & Shapiro, 1983, cité par Rouyer, 2007). Duru-Bellat (2004) soutient d’ailleurs l’existence d’une certaine dynamique entre les élèves qui se comportent de manière différente – due à leur socialisation antérieure – et les enseignant-es qui y réagissent et amplifient, de ce fait, les différences. Nous nous posons donc la question suivante : les différences de traitements des garçons et des filles par les enseignant-es sontelles donc le simple reflet des différences de comportements (Duru-Bellat, 2004b) ? Mais les élèves eux-mêmes, ne se comporteraient-ils pas de manière différente en fonction du sexe de l’enseignant-e ? En effet, selon Zaidman (1996), une certaine connivence ou complicité de genre apparaîtrait entre enseignant-e et élève du même sexe, alors qu’une sorte de séduction se ferait sentir vis-à-vis des élèves du sexe opposé. Quoi qu’il en soit, il est désormais prouvé que les attentes enseignantes fonctionnent comme des prophéties autoréalisatrices (Duru-Bellat, 2004) : selon l’effet Pygmalion – mis en évidence par Rosenthal et Jacobson en 1972 déjà – une théorie fausse au départ peut s’avérer exacte à l’arrivée uniquement parce que nous y croyons ! En effet, l’enfant s’efforce « de devenir ce qu’on lui demande plus ou moins explicitement d’être » (Duru-Bellat, 1995, 2004, p. 67). Cet effet autoréalisateur pervers provoque donc un renforcement mutuel entre les attentes enseignantes et les comportements des élèves, « dans le sens d’une reproduction des 46 stéréotypes de genre » (Bereni et al., 2008, p. 99). Mosconi (2009) prétend que c’est ainsi que les enseignant-es apprennent aux garçons à s’exprimer, s’affirmer et contester l’autorité des adultes alors que les filles apprennent à « prendre moins de place, physiquement et intellectuellement », moins s’exprimer publiquement, être moins valorisées, se soumettre à l’autorité et supporter la dominance des garçons, sans protester... soit tout un « ensemble d’apprentissages psychologiques et sociaux » (Baudoux & Noircent, 1995, p. 6) différencié selon le sexe. Nous reviendrons sur l’influence que cet effet peut avoir sur la connotation des disciplines scolaires, donc sur l’orientation des élèves. Mais analysons tout d’abord son influence sur la confiance et l’estime de soi des enfants à l’école. 3.8. Des difficultés aux conséquences sexuées opposées Des normes d’attributions différenciées… Plusieurs enquêtes à l’école ont mis en évidence des différences significatives de normes d’attributions du personnel enseignant selon le sexe de l’élève (Bereni et al., 2008 ; Chaponnière, 2006 ; Dafflon Novelle, 2006 ; Duru-Bellat, 2004 ; Mosconi, 2009). En effet, les enseignant-es ont tendance à imputer les réussites et échecs des garçons et des filles à des causes différentes (Chaponnière) : alors que les réussites scolaires des garçons sont dues à leurs capacités intellectuelles (Bereni et al.) ou à leur « talent », celles des filles dépendent de leur effort, de leur travail (Bereni et al. ; Dafflon Novelle) ou de leur attention (Jarlégan & Tazouti, 2007), faisant donc « tout ce qu’elles peuvent » pour réussir (Mosconi, 2009). Quant aux échecs, ils proviennent pour les filles de leurs aptitudes insuffisantes tandis que la paresse (Dafflon Novelle) ou le manque de motivation en sont les causes pour les garçons, soustendant toujours cette idée de « sous-réalisateurs » (Duru-Bellat) qui « peuvent mieux faire » (Mosconi). Ces normes d’attribution différentes, intériorisées petit à petit par les garçons et les filles, influencent leur image d’eux-mêmes et le sentiment de leur propre compétence (Duru-Bellat, 1994). Ainsi, Chaponnière affirme que les filles attribuent souvent leurs succès à la chance – un facteur externe instable selon Rouyer (2007) – ou à leur travail acharné tandis que leurs échecs sont dus à leur manque d’aptitude (facteur personnel stable, mais incontrôlable selon la même auteure) ou à la difficulté de la tâche. A l’inverse, les garçons attribuent leurs succès à leurs compétences et leurs échecs au manque de travail ou à la malchance (Chaponnière). …à des réactions opposées Les différentes causes retenues pour expliquer l’échec influencent la manière dont l’élève garçon ou fille aborde ses difficultés : « soit par une attitude orientée vers la maîtrise de la tâche (avec intensification de l’effort, concentration, stimulation), soit par une attitude de 47 dépendance ou de défaitisme (avec démobilisation, détérioration) » (Duru-Bellat, 1994, p. 129). Dans le premier cas, l’individu attribuant l’échec à son manque d’effort ou à d’autres facteurs contrôlables tend à être stimulé par la difficulté, tandis que dans le second, la difficulté affaiblit l’élève, qui attribue son échec à des facteurs incontrôlables. De manière générale, la première attitude est souvent observée chez les garçons et la seconde chez les filles (ibid), ce qui entraîne « une rapide amélioration des résultats chez les premiers, tandis qu’ils ont l’effet inverse sur les secondes » (Dweck & Bush, 1976, cité par Rouyer, 2007, p. 121). Il en résulte un manque de confiance (Dafflon Novelle, 2006) et une baisse d’estime de soi du côté des filles. A l’inverse, « les garçons ont une faculté d’estime de soi plus élevée […], associée à une ambition supérieure » (De Boissieu, 2007, p. 2). Une question pertinente surgit à ce niveau de l’analyse: ces normes d’attribution n’influencent-elles donc pas aussi les enseignant-es au niveau des évaluations ? 3.9. Des évaluations pas si objectives… Certaines études ont relevé des différences dans les évaluations selon le sexe de l’élève et/ou la matière enseignée. Tout d’abord, Duru-Bellat (1994) affirme que « les notes scolaires ne sont pas exemptes de biais en fonction du sexe de l’élève » (p. 118). De manière générale, les garçons sont lésés au niveau de la notation qui semble être plus sévère à leur égard, l’hypothèse étant que les enseignant-es tiennent aussi compte de leurs comportements (moins soigneux et moins appliqués) (Duru-Bellat, 2004). A l’opposé, ils notent les filles avec plus d’indulgence en comparaison à leur niveau « réel » de connaissances (Duru-Bellat, 1994). Néanmoins, les commentaires ou appréciations des enseignant-es concernent davantage le fond, la qualité intellectuelle du travail (Bereni et al., 2008), la correction scientifique, la concision, l’intérêt pour la discipline ou la richesse des idées (Spear, 1984, cité par DuruBellat, 1995) pour les garçons – aspects valorisant leurs performances – alors qu’ils touchent davantage à la présentation et la forme pour les filles (Bereni et al.). Les bonnes copies des garçons sont d’ailleurs louées pour leur richesse ou originalité alors que celles des filles le sont pour leur propreté (Bereni et al. ; Duru-Bellat, 1995)! Au niveau des disciplines, dans certaines matières connotées comme masculines (nous les énumérerons ci-dessous), les enseignant-es ont tendance à être plus indulgent-es avec les travaux faibles de filles que pour ceux de garçons, mais aussi plus sévères pour les copies émanant de filles fortes dans ce domaine (Chaponnière, 2006) ; performance sans doute considérée inconsciemment comme « anormale ». Ainsi, les enseignant-es « valorisent la conformité des filles » (Bereni et al., 2008, p. 99). Malgré un prétendu traitement égalitaire entre les garçons et les filles, les enseignant-es considéreraient-ils/elles donc inconsciemment ou non que certaines disciplines sont plus appropriées pour l’un ou l’autre sexe ? Si tel est le 48 cas, quels sont donc les effets de cette bi-catégorisation des disciplines sur les élèves ? Attardons-nous quelque peu sur le rôle joué par le personnel enseignant au sujet de ces disciplines et sur leurs effets sur les élèves. 3.10. Le sexe comme régulateur des performances scolaires Rapports au savoir différenciés Le personnel enseignant joue un rôle essentiel dans la « constitution de rapports au savoir différenciés chez les élèves » (Mosconi, 2003, cité par Murcier, 2005, p. 5). En effet, dans les disciplines connotées sexuellement, les enseignant-es ont des attentes stéréotypées particulièrement différenciées en fonction du sexe des élèves et « tendent [ainsi] à prévoir des succès inégaux, chez les […] garçons et filles » (Murcier, p. 5). Ces disciplines sexuellement connotées sont principalement les mathématiques et les sciences, mais aussi l’éducation physique pour les garçons et les branches littéraires telles que le français et la lecture pour les filles ; disciplines pour lesquelles chaque sexe est prétendu meilleur que l’autre selon les représentations stéréotypées enseignantes (Dafflon Novelle, 2006). De ce fait, les comportements des enseignant-es diffèrent en fonction du sexe de l’élève et de la branche. Il en résulte des interactions (remarques d’ordre cognitif, questions ouvertes, temps de latence), des encouragements (stimulations ou sollicitations), des découragements et des évaluations différenciées (Baudoux & Noircent, 1995 ; Chaponnière, 2006 ; Coradi Vellacott & Wolter, 2006 ; Dafflon Novelle, 2006 ; Duru-Bellat, 1995, 2004). Illustration : mathématiques versus français Prenons l’exemple des mathématiques et du français. Plusieurs recherches soulignent le fait que les enseignant-es consacrent plus de temps aux filles en lecture et aux garçons en mathématiques (Murcier, 2005). Ces derniers bénéficieraient d’ailleurs statistiquement d’environ 35 heures de cours de mathématiques de plus que les filles, entre le primaire et la seconde année du collège (Huguet, 2003). Au niveau des disciplines, l’effet Pygmalion – présenté plus haut – est particulièrement prégnant : « les garçons ont davantage de difficultés en lecture quand les enseignant-es en sont convaincu-es que dans le cas contraire et réciproquement pour les filles par rapport aux mathématiques » (Murcier, p. 5). Ainsi, les comportements enseignants confortent les élèves dans l’idée que certaines branches sont masculines et d’autres féminines (Chaponnière, 2006). Petrovic (2004b) souligne d’ailleurs qu’en dépit de différences avérées entre les sexes en début de scolarité, les différences de réussites se creusent au fil de la scolarité obligatoire, à l’avantage des filles en français et des garçons en mathématiques. C’est pourquoi Mosconi (1998) prétend que les filles ont le dessus en grammaire, en vocabulaire, en orthographe et en maîtrise du sens du texte. Nous assistons 49 donc bel et bien à une division sexuée des disciplines apparaissant dès l’école primaire et distinguant les garçons et les filles en termes de performances (Petrovic). Par ailleurs, il en est de même par rapport aux attitudes des élèves : après contact prolongé avec l’école, le sentiment de propre compétence, la motivation et l’intérêt des élèves pour les disciplines ne correspondant pas à leur sexe sont faibles (Coradi Vellacott & Wolter, 2006 ; Petrovic). Ainsi, en mathématiques par exemple, les filles affichent généralement moins de confiance en elles et déclarent s’intéresser moins à cette discipline que les garçons. A l’opposé, les garçons présentent nettement moins d’intérêt et de motivation pour la lecture (Coradi Vellacott & Wolter). Un clivage des savoirs lourd de conséquences Petrovic (2004b) résume les méfaits de ce rapport négatif au savoir mathématique pour les filles : percevant au fil de leur scolarité que cette discipline est une matière « de garçon », elles « agissent en conséquence, soit en réussissant moins bien, soit en se sous-évaluant et en déclarant ne pas aimer cette discipline » (p. 161). Une anecdote intéressante à relever est l’expérience de Leder (1974), citée par Baudoux et Noircent (1995) qui a constaté que pour un même problème mathématique, les filles réussissent mieux lorsqu’il s’agit de recettes de cuisine plutôt que de sacs de ciment. Ainsi, selon Dafflon Novelle (2006), le poids des stéréotypes peut réellement influencer les performances scolaires des élèves selon leur sexe : « le fait d’avoir une réputation d’infériorité dans un contexte évaluatif […] peut suffire à provoquer une menace psychologique [anxiété, doutes sur ses capacités], laquelle […] va entraver le raisonnement et […] nuire à la performance » (p. 370). Cette baisse de performance implique deux conséquences : diminution des chances de réussite de l’élève et renforcement des stéréotypes et de leurs effets négatifs (ibid), d’où, à nouveau, un cercle vicieux… Cependant, ces rapports différenciés au savoir selon le sexe ont des conséquences au niveau de l’orientation des élèves. En effet, la connotation sexuée des disciplines influence négativement l’estime de soi des élèves pour les branches ne correspondant pas à leur sexe, et par conséquent, leur fait opter pour des choix professionnels stéréotypés (Chaponnière, 2006). A ce sujet, Petrovic (2004b) rappelle que les mathématiques – discipline connotée comme masculine, favorisant donc les garçons – sont une « matière entrant en compte pour être orienté vers des filières valorisées socialement et économiquement » (p. 160). Nous reviendrons sur cet aspect lorsque nous approfondirons l’orientation et les choix professionnels des élèves. 50 Faisons le point de la situation… A ce niveau de l’analyse, deux éléments nous semblent essentiels : d’une part, au travers de la norme implicite d’équité, les enseignant-es visent une certaine égalité entre les sexes et l’affirment d’ailleurs dans leurs discours; d’autre part, par leurs attentes stéréotypées et les comportements qui en découlent, ils/elles contribuent à la constitution d’un rapport au savoir différencié chez les garçons et les filles, rapport qui a des répercussions sur leurs choix d’orientation futurs et qui engendre donc davantage d’inégalité entre les sexes. Nous nous trouvons donc face à un étrange paradoxe. Les enseignant-es n’auraient-ils/elles donc pas conscience de ces divers mécanismes dont ils/elles sont les vecteurs et qui produisent plus d’inégalités auprès de leurs élèves qu’ils n’en atténuent ? Quant aux élèves – principalement les filles – pourquoi ne se « révoltent »-elles pas et/ou ne dénoncent-elles pas ces pratiques inégalitaires ? 3.11. L’étonnant « aveuglement » des professionnel-les Il est donc étonnant de relever « l’aveuglement » tant des enseignant-es que des élèves aux différences de traitement selon le sexe (Chaponnière, 2006 ; Baudino, 2008) ! En effet, les enseignant-es traitent les garçons et les filles de manière inégalitaire par des mécanismes dont ils/elles n’ont pas conscience (Fontanini, 2005). Selon Collet et Grin (2011), les membres du personnel enseignant « ont du mal à croire qu’ils peuvent être inconsciemment inéquitables » (p. 31) et s’en défendent d’ailleurs avec vigueur (Baudino). En effet, le constat d’une école inégalitaire et la prise de conscience de leurs rôles dans ce maintien des inégalités sont vécus par les enseignant-es comme une « stigmatisation intolérable de leur pratique » (Fontanini, p. 109) et engendrent de ce fait défense, rejet et agressivité de leur part. Petrovic (2011) prétend que « la majorité [des personnes] s’est construit une illusion de l’égalité entre les sexes dans la société » (p. 32), tout comme les enseignant-es d’ailleurs croient ou veulent croire que dans le système scolaire, l’égalité est acquise (Mosconi, 2011). Héritier (2010) propose à ce sujet une piste de réflexion : « l’existence de la loi comme balise de l’évolution d’une société a […] des effets ambigus […] : ceux de faire croire que les choses sont acquises et qu’il n’y a plus à lutter pour conquérir de nouveaux domaines » (p. 177). Rappelons-le : le présupposé même de la mixité scolaire établissait que la cohabitation des filles et des garçons ne pouvait engendrer que plus d’égalité… Pour preuve, une recherche auprès de professeur-es a relevé que l’école était majoritairement mentionnée comme le lieu d’égalité par excellence dans notre société (Fontanini, 2005) ! A cet égard, ne sous-estimons pas non plus l’omniprésence et l’emprise d’une prétendue norme implicite d’équité supposée garantir la neutralité de l’enseignement à l’école. Par ailleurs, Dafflon Novelle (2006) affirme que les représentations sur l’égalité des sexes ont évolué beaucoup plus rapidement que les 51 pratiques, dans le sens où les enseignant-es « sont toujours plus convaincus d’adopter un comportement égalitaire envers les enfants des deux sexes » (p. 283), alors que ce n’est pas nécessairement le cas! Ainsi, n’ayant pas conscience ou niant l’existence de ces inégalités entre filles et garçons, l’égalité des sexes ne semble pas constituer un défi à leurs yeux (DuruBellat, 1995). …Et des élèves Les élèves ont eux aussi l’impression qu’entre filles et garçons « l’égalité des chances » est acquise (Heimberg & Opériol, 2005, cité par Dafflon Novelle, 2006). Marguerite (2008) prétend que « pour eux, la perception d’équité n’est pas synonyme d’égalité de résultats ou de traitement entre les sexes » (p. 5) ce qui peut expliquer pourquoi les garçons, mais surtout les filles ne ressentent pas le besoin d’améliorer leur situation respective. Ainsi, pour les enseignant-es (Moreau, 2011) comme pour leurs élèves, les inégalités de sexes à l’école sont largement occultées par la mixité scolaire. Mais qu’implique cette socialisation scolaire différenciée pour les enfants au-delà des murs de cette institution ? 3.12. Répercussions sur l’estime de soi En définitive, comme nous avons pu le constater, les enseignant-es ont des représentations et attentes stéréotypées des filles et des garçons à l’école qui vont influencer leurs pratiques au niveau des comportements adoptés selon le sexe de l’élève. Basés sur une pseudo norme implicite d’équité, en réalité inégalitaire, ces comportements se traduisent par des réactions, des interactions, des normes d’attributions des réussites et des échecs, des encouragements, des critiques, des évaluations et des appréciations différenciés en fonction du sexe qui aboutissent à la constitution de rapports au savoir différenciés chez les élèves filles ou garçons. Et c’est là que le bât blesse : les performances des élèves tout comme leurs attitudes – sentiment de propre compétence, motivation et intérêt – se distinguent selon la connotation masculine ou féminine des disciplines. Comme nous le précise Chaponnière (2006), il en résulte « une influence sur les comportements présents et futurs des élèves, et sur leur image de soi » (p. 130). Ainsi, à travers divers mécanismes basés sur leurs représentations des filles et des garçons, les enseignant-es véhiculent bel et bien des stéréotypes de sexe à l’école, qui ont de nombreuses répercussions, notamment sur l’estime de soi des élèves (Baudoux & Noircent, 1995 ; Chaponnière, 2006 ; Epiney, 2011). De manière générale, les filles semblent moins sûres d’elles à l’école (De Boissieu, 2007) et ont tendances à se dévaloriser en dépit de résultats scolaires satisfaisants (Courtinat-Camps & Prêteur, 2010). Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que parmi les élèves qui réussissent bien, tout comme parmi ceux qui réussissent 52 moins bien, les garçons ont toujours une meilleure image d’eux-mêmes que les filles, comme l’a démontré Sears (1963), citée par Baudoux & Noircent. Duru-Bellat (2004) fait alors l’hypothèse suivante : à travers les pratiques enseignantes différenciées – dépendantes d’une norme implicite d’égalité valorisant les garçons – « les filles apprennent […] qu’elles méritent moins l’attention des enseignants, qu’elles sont moins intéressantes, que leur réussite est moins importante… » (p. 67). Cette moindre estime de soi des filles aura de grandes conséquences au niveau de l’orientation, et ainsi des choix professionnels futurs – constituant « l’aboutissement des scolarités » pour Duru-Bellat (2004b, p. 145) – comme nous allons le voir à présent. 3.13. Impact de cette socialisation différenciée sur l’orientation Selon Mosconi (2011), les recherches à l’école ont « montré une socialisation scolaire quotidienne […] dans les rapports entre enseignant-es et élèves […] qui a tendance à reproduire des inégalités de sexe » (p. 57). D’un point de vue du genre, cette socialisation scolaire est donc différenciée et inégalitaire ! Ainsi, les différences entre les élèves-filles et les élèves-garçons sont renforcées à plusieurs niveaux par le personnel enseignant et ont des conséquences quasi irréversibles sur l’orientation et les choix professionnels des enfants en fonction de leur sexe (Bereni et al., 2008 ; Chaponnière, 2006 ; Dafflon Novelle, 2006 ; DuruBellat, 1994, 1995, 2004b ; Marguerite, 2008 ; Marro & Vouillot, 2004 ; Meunier, 2008 ; Mosconi, 2011 ; Petrovic, 2004b ; Rossi-Neves & Rousset, 2010). En effet, l’orientation semble « teintée par le genre dans les choix de cours […], d’études et de professions » (Gavray & Adriaenssens, 2010, p. 11). En dépit de leur « domination scolaire » (Zaidman, 1996, p. 113), les filles ne conservent pas cet avantage au niveau de l’exercice de la profession (voire la mixité scolaire, source d’inégalités dans le présent travail) : plutôt que de rentabiliser leurs meilleurs résultats par une orientation susceptible de valoriser cette réussite, elles s’orientent de manière générale vers « des filières plus restreintes, moins professionnalisantes et moins prestigieuses » (Petrovic, 2004b, p. 157), menant à des professions socialement dévalorisées, d’où l’apparition de ce que les spécialistes qualifient d’une ségrégation verticale (Marry, 2000, citée par Duru-Bellat, 2004b). Ceci contribue à expliquer le fait qu’a posteriori, moins de femmes occupent des postes à responsabilité, plus sont touchées par le chômage et, à emploi et compétences équivalents, elles sont moins bien rémunérées (Dafflon Novelle, 2006), d’où une inégalité de succès (Fassa, Fueger, Lamamra, Chaponnière & Ollagnier, 2010). Bihr et Pfefferkorn (2002), cité par Petrovic (2004) interprètent ce taux plus élevé de chômage comme suit : la concentration des filles dans des secteurs restreints entraîne une sursélection – par 53 comparaison aux garçons sous-sélectionnés – donc davantage de difficultés à s’insérer au niveau professionnel. Des choix professionnels stéréotypés Selon Chaponnière (2006), les apprentissages tout comme les choix de filières restent très stéréotypés selon le sexe ! Ainsi, les filles ne cessent de faire des « choix professionnels massivement stéréotypés » (Dafflon Novelle, 2006, p. 372) concentrés dans un nombre de spécialités limité du tertiaire (Duru-Bellat, 2004) – domaine de la vente, de l’habillement, des soins corporels ou médicaux, de l’éducation et du bureau (secrétariat, comptabilité, etc.) – tandis que ceux des garçons, plus diversifiés, touchent aux secteurs de l’industrie (métallurgique ou du bois), du bâtiment, des machines ou de l’hôtellerie (Chaponnière, 2006 ; Petrovic, 2004b). Ceci fait dire à Baudelot et Establet (2007) que « la vie professionnelle actuelle valide toujours les stéréotypes de sexe les plus archaïques » (p. 35). Cette ségrégation horizontale (Marry, 2000, citée par Duru-Bellat, 2004b) est d’ailleurs confirmée au niveau helvétique par les statistiques émanant de la brochure l’égalité publiée en 2005 par le Bureau de l’égalité entre femmes et hommes du canton du Valais. Selon son auteure, « malgré l’amélioration du niveau de formation des femmes, on aurait tort de croire que l’égalité dans le domaine de la formation est réalisée » (Jurisch Praz, p. 11). De manière globale, les garçons accèdent plus fréquemment à des formations professionnelles tandis que les filles se dirigent plutôt vers des formations générales (Duru-Bellat, 2004). Nous assistons donc à ce que Marro et Vouillot (2004) qualifie de « sexuation de l’orientation » (p. 5). Se basant sur de nombreuses recherches, Petrovic (2004b) affirme que « c’est parce que l’école n’offre pas la même éducation aux filles et aux garçons [au niveau du curriculum caché] que cette « différence » d’orientation existe et se traduit en termes d’inégalités sociales et économiques » (p. 159). En effet, par de nombreux mécanismes inconscients, ce curriculum entraîne au final la constitution de rapports au savoir différenciés comme vu précédemment. D’ailleurs, selon Meunier (2008), les choix d’orientation des élèves sont influencés par la perception de leur niveau scolaire, mais surtout par leur rapport aux différentes disciplines. Ainsi, les mathématiques, différemment rendues accessibles et valorisées selon le sexe ont pour effet – outre le fait de creuser un écart entre garçons et filles dans cette matière – la dévalorisation des filles, et par là même leur disparition « dans l’orientation des filières à haut prestige professionnel » (Petrovic, p. 165) telles que celles scientifiques, permettant l’accès à des professions exigeantes, mais prestigieuses. Selon, Rossi-Neves et Rousset (2010), elles se détournent de ces filières, car « l’orientation vers ces études ne leur est pas « naturelle » » (p. 131). Ainsi, dès la fin de la scolarité obligatoire, la mixité a tendance à disparaître dans les orientations des élèves au niveau des filières professionnelles et techniques (Mosconi, 2011). Nous savons pourtant que ce sont justement ces dernières qui donnent davantage 54 d’opportunités de carrière tout en garantissant des professions moins touchées par le chômage et mieux rémunérées (Dafflon Novelle, 2006). La constitution de rapports au savoir différenciés entraîne de ce fait des différences entre les deux sexes au niveau des résultats scolaires, de la motivation et de l’intérêt pour les disciplines ainsi que de la perception de soi ; nombres de facteurs influençant le choix professionnel (Corradi Vellacot & Wolter, 2006). L’école contribue donc à travers le « jeu des attentes sociales et des stéréotypes qui pèsent sur les catégories de genre […] au maintien du caractère sexué des choix de carrière et des trajectoires scolaires et professionnelles » (Croity-Belz et al., 2010, p. 163), d’où des inégalités qualitatives en terme d’éducation reçue (Duru-Bellat, 2004b). Mais les élèves ne sont-ils que les simples marionnettes d’une conspiration sexuée dont les ficelles sont tirées par les professionnels de l’éducation ? Ne jouent-ils pas eux-mêmes aussi un rôle majeur dans ce choix d’orientation ? Autres facteurs explicatifs inhérents aux sujets Les recherches avancent deux autres facteurs explicitant l’orientation différente des garçons et des filles. D’une part, les filles semblent faire preuve d’une plus forte auto-sélection, dans le sens où elles vont choisir certaines filières à haut prestige professionnel uniquement lorsqu’elles sont particulièrement bonnes (Duru-Bellat, 2004), d’où des « choix » – qui n’en sont pas – moins ambitieux que les garçons. D’ailleurs, il n’est pas rare que des filles ayant de bons – mais pas d’excellents – résultats scolaires et pouvant donc envisager une filière scientifique, ne le fassent pas (ibid) par crainte de l’échec. En effet, Ferrand (2004) souligne la « sous-estimation relative des filles » (p. 60), à l’opposé des garçons qui ont plutôt tendance à se surestimer. A ce sujet, rappelons le rôle clé joué par les normes d’attributions des réussites et des échecs sur le sentiment de propre compétence et l’estime de soi. De plus, bien souvent et aussi étonnant que cela puisse paraître, les professionnel-les de l’orientation suivent un principe de respect des demandes des jeunes et ne se permettent donc pas d’« ouvrir les horizons en proposant quelque chose qu’ils n’ont pas demandé » (Duru-Bellat, p. 70) ! D’autre part, dans le choix d’orientation des garçons et des filles, on assiste régulièrement à une anticipation des rôles d’adulte (Baudelot & Establet, 2007 ; Coradi Vellacott & Wolter, 2006 ; Cornet et al., 2010 ; Duru-Bellat, 2004 ; Jonas, 2011 ; Meunier, 2008 ; Zaidman, 1996 ; Rossi-Neves & Rousset, 2010). Ainsi, dans leurs projets de vie, ils/elles pensent tous deux indissociablement à leur avenir professionnel et familial, la famille représentant même une valeur très forte chez les jeunes (Cornet et al., 2010). Toutefois, les filles accordent une place bien plus importante que les garçons à cette potentielle famille (Saffon-Mottay, 1997, cité par Duru-Bellat). Cette dernière parle ainsi de « choix de compromis » au sujet de ces professions moins valorisées choisies par les filles qui rendent le temps partiel possible et 55 dans lesquelles les conditions de travail sont plus souples, permettant l’articulation de leur futur métier avec des obligations familiales. Ainsi, « les jeunes doivent apprendre à se construire et à se former en se confrontant […] aux normes de genre et aux enjeux sociaux, que ce soit en termes de distribution des métiers, des choix d’orientation, ou encore de la répartition des rôles dans la famille, etc. » (Rouyer, et al., 2010, p. 210). Les projets de vie des garçons et des filles étant différenciés, ils/elles choisissent donc des filières de formation distinctes, ce qui les amène à une vie professionnelle différenciée, d’où une reproduction des rapports sociaux de sexe (Gaudron, 2008). Néanmoins, Gavray et Adriaenssens (2010) relèvent de manière optimiste que certaines recherches récentes laissent penser que « les jeunes filles font preuve de ressources et de capacités à prendre leurs distances par rapport aux normes genrées et travailler à leur propre destinée » (p. 11). Bilan de la socialisation scolaire différenciée En définitive, le problème est que ces « inégalités d’orientation […], bien plus que les inégalités de réussite [scolaires], modèlent les inégalités de carrières entre les sexes » (DuruBellat, 2004, p. 70). En effet, il existe une « division socio-sexuée des savoirs » entre les garçons et les filles qui se traduit par une « division socio-sexuée du travail professionnel et familial » (Mosconi, 2009). Meunier (2008), se basant sur les propos de Mosconi (1989), résume de manière simple l’impact de la socialisation scolaire différenciée sur les élèves selon leur sexe : A travers de multiples mécanismes implicites, les relations entre enseignants et élèves concourent à faire vivre des expériences différentes selon les genres où les identités sexuées vont se construire, se transformer et favoriser avec d’autres influences des trajectoires scolaires, universitaires et professionnelles différentes. (p. 21) 56 3.14. Diverses conceptions des différences de sexe Suite à l’analyse du rôle des enseignant-es dans l’accentuation des différences entre les sexes à l’école, essayons de déterminer dans quelle mesure certains d’entre eux cherchent probablement à se rapprocher de l’égalité des sexes à l’école, même si l’égalité pure relève de l’utopie au niveau pratique, comme nous l’avons vu plus haut. En fonction du courant idéologique qui sous-tend, inconsciemment ou non, leur représentation des différences entre garçons et filles, les enseignant-es ont probablement des attentes et des comportements différents face à leurs élèves. En effet, comme nous le précise Vidal (2010), « quelle est la part de la culture et celle de la nature dans les comportements » (p. 68-69) des élèves ? Si les membres du corps enseignant perçoivent ces différences comme provenant exclusivement de la nature, l’égalité des sexes à l’école ne leur semblera probablement pas un défi à relever, car nul ne peut s’opposer à ce qui a été biologiquement prédéterminé. A ce sujet, Tostain (2010) démontre d’ailleurs que pour les adultes, la tolérance à la transgression des rôles de sexe est liée de façon négative aux explications biologiques. Au contraire, si les différences relèvent à leurs yeux de la culture, pour une part au moins, il leur tiendra certainement plus à cœur de se rapprocher d’une pseudo-égalité entre les sexes, du moins au niveau discursif. Prenons donc le temps d’examiner les deux grandes théories permettant d’expliquer les différences entre les sexes : la conception essentialiste et celle constructionniste. La conception essentialiste La théorie essentialiste ou naturaliste – soit le modèle archaïque dominant – cherche « des origines physiques et biologiques pour justifier les différences de comportements entre les sexes » (Petrovic, 2004a, p. 79). Ainsi, certain-es scientifiques s’efforcent de rechercher des éléments de preuves – poids, volume, anatomie ou organisation des cerveaux, activité de l’intelligence (théorie des deux cerveaux), gènes, nombres de neurones, etc. – permettant d’établir un lien de cause à effet entre les différences biologiques et la répartition dichotomique des comportements et des rôles entre les femmes et les hommes, ceci en vue d’attester l’existence de différences innées et immuables entre les sexes (ibid). C’est dans cet ordre d’idée que Vidal et Benoît-Browaes (2005), citées par Jonas (2011), tirant un parallèle avec le 19e siècle et ses mesures physiques du cerveau et du crâne, tiennent les propos suivants : « il semble que les 20e et 21e siècles, en se servant des tests cognitifs, des gènes et des techniques sophistiquées de l’imagerie cérébrale, poursuivent toujours le même objectif […] expliquer la hiérarchie entre les sexes, les races et les classes sociales » (p. 53). Ainsi, des différences d’ordre biologique sont invoquées pour expliquer, légitimer et par là même, 57 occulter des inégalités d’ordre social (Marro & Vouillot, 2004) : la Nature devient « la raison suprême qui justifie et rend incontournable les inégalités (Guillaumin, 1992, citée par DuruBellat, 2004b, p. 63). Héritier (2010), célèbre anthropologue, ne soutient pas du tout cette théorie. A son sujet, avec une pointe d’ironie, elle parle d’« illusion « naturaliste » » pour illustrer cette recherche constante et saugrenue de justifications biologiques à « l’inégalité socialement constatée » ; justifications « tapies dans les corps […] qu’il serait donc illusoire de vouloir nier » (p. 13)… A ses yeux, il semble évident qu’à la catégorie de sexe est superposé un certain nombre de caractéristiques dont on postule ou présume qu’elles découlent alors même qu’« il apparaît à l’examen que le lien organique supposé ne peut être clairement déterminé » (ibid, p. 12). Bémols à relever face à cette conception Deux aspects nous semblent problématiques : 1. Une telle vision légitime « les différences psychologiques [et sociales] et les inégalités entre les sexes » (Petrovic, 2004a, p. 80), souvent à l’aide de stéréotypes les attribuant à la nature (Baudelot & Establet, 2007), nous amenant donc à laisser de côté toute réflexion pouvant aller dans le sens d’une potentielle égalité entre les hommes et les femmes dans la société, ainsi qu’entre les garçons et les filles à l’école. En effet, ces théories qui essentialisent les différences entre les sexes (Tostain, 2010), impliquent « des visions déterministes qui considèrent nos aptitudes intellectuelles et nos comportements comme « programmés » dans le cerveau » (Vidal, 2010, p. 79) et/ou les hormones, soit un déterminisme biologique. Ainsi, nul-le ne peut sortir de sa « destinée naturelle » dont chacun est dépendant et doit se soumettre, sous peine d’apparaître contre nature (Petrovic). Selon cette conception des différences, de par une « indiscutable essence biologique » (ibid, p. 80), les individus du monde deviennent ainsi clivés en deux sous-groupes distincts dont les spécificités de chacun des groupes de sexe s’opposent à l’autre. Ainsi, pourquoi chercher à atteindre une quelconque égalité des sexes à l’école ? Cela ne reviendrait-il pas à aller à l’encontre de la nature, donc à mettre en place un dispositif d’ores et déjà voué à l’échec? 2. Ces théories sont largement médiatisées par certain-es « spécialistes » qui ont l’art de simplifier la complexité de la réalité et de la réduire au quotidien observable – ce qui semble rendre ces théories infaillibles et permet d’assurer le consentement des lecteurs-trices – par des vulgarisations présentées comme des « vérités scientifiques » qui rencontrent d’ailleurs un succès indéniable auprès d’un large public. Celui-ci, « même « éclairé », est dans l’incapacité de faire la part entre faits avérés et spéculations » (Vidal, 2006, p. 50) et se laisse ainsi facilement berné par ces « fables 58 naturalistes » (Jonas, 2011, p. 14). Dans ce sens, Vidal (2010) nous met en garde contre ce genre de lecture, car « en arrière-plan, se profile toujours le spectre de l’utilisation de la biologie comme justifications des inégalités entre les sexes et entre les groupes humains » (p. 80). Ces « preuves scientifiques objectives » permettent ainsi d’ailleurs d’évacuer « les raisons sociales et culturelles aux inégalités entre les sexes » (Vidal, 2006, p. 57), déresponsabilisant ainsi l’entourage social – par là même, les membres du corps enseignant – dans l’accentuation des différences entre les sexes. Une large part du succès de ces ouvrages de vulgarisation est à chercher du côté des recettes miracles prescrites par ces « bonimenteurs » (Jonas, 2011, p. 123) à travers une littérature de développement personnel : pour parvenir à une relation de couple saine et la maintenir, pour assurer une bonne éducation des enfants, etc. S’inspirant de la psychologie évolutionniste – aux relents conservateurs – qui prône un certain réductionnisme biologique en postulant que les comportements, les pensées et les caractéristiques physiques sont le simple résultat de l’évolution (ibid), les différences hommes-femmes – évidemment « jamais analysées en termes de hiérarchies sociales » (ibid, p. 85) – donc les inégalités, deviennent ainsi justifiées. Par ailleurs, pour donner du poids à leurs propos et tromper aisément leur public par une « propagande « sexiste » » (ibid, p. 124), ces expert-es de l’épanouissement personnel n’hésitent pas à faire appel à des théories invalidées, à falsifier des données scientifiques, à utiliser le mythe ou « l’effet Barnum10 » ainsi qu’à avoir recours à d’autres procédés d’instrumentalisation peu orthodoxes (pour une description plus détaillée de l’ensemble des techniques de validation non scientifiques, nous prions nos lecteurs-trices de se référer au chapitre les dessous chics de la littérature « psy » évolutionniste de Jonas (2011), citée en références bibliographiques). Pour ne citer que quelques exemples, prenons le best-seller tout public de John Gray de 1992, Les hommes viennent de mars, les femmes viennent de Vénus caricaturant et catégorisant les deux sexes de manière biologique ainsi que sa série de livres cultes qui ont suivi sur « Mars et Vénus ». Dans le même ordre d’idée, nous pouvons citer les écrits du couple de psychologues Allan et Barbara Pease – ou plus récemment Sabra E. Brook et Joseph F. Dooley (2005) – s’intitulant tous à l’aide de la même formule répétitive pourquoi les hommes (…) et les femmes (…) ? et prétendant que chacun de nous est déterminé par son sexe. Un ultime exemple est le dangereux ouvrage d’Ellen Willer Les hommes, les femmes, etc. publié en 2001 et démontrant « que toutes les différences entre les femmes et les hommes ont une origine physiologique » (Guilbert, 2004, p. 33). Nous ne nous attarderons pas davantage sur ces quelques exemples. 10 Selon Jonas (2011), l’ « effet Barnum » est un processus par lequel un individu se reconnaît spontanément dans ce qu’il croit être la description de lui-même » (p. 48). Celui-ci s’applique à la voyance, à l’astrologie, aux horoscopes, etc. 59 Catherine Vidal, neurobiologiste, nous met cependant face à une réalité déconcertante : « si nos capacités mentales [et] nos talents sont inscrits dans la nature biologique de chacun, […] à quoi bon […] la mixité ? Si l’on donne une explication « naturelle » aux différences sociales et professionnelles entre les hommes et les femmes, tout programme social pour l’égalité des chances devient inutile » (2012, p. 55). Dans le même ordre d’idée et pour provoquer nos lecteurs-trices, pourquoi les enseignant-es s’efforceraient-ils de pousser les garçons à apprendre les langues et les filles à faire des sciences ou des mathématiques étant donné que cela ne correspond, apparemment pas, à leur « nature » ? Existence de différences naturelles entre les sexes Mais pour autant, n’y a-t-il tout de même pas une certaine part d’inné jouant un rôle et contribuant à différencier, même de manière infime, les garçons et les filles ? Comment expliquer alors le succès de ces théories naturalistes et des nombreux ouvrages tout public contribuant à leur diffusion ? Selon Héritier (2010), il existe bien des différences naturelles : « des différences fonctionnelles sont là, une asymétrie biologique dans la reproduction est constatée » (p. 35). Par ailleurs, il existe bien des différences biologiques et anatomiques importantes entre les cerveaux féminins et masculins (Baudelot & Establet, 2007). Nous y reviendrons ci-dessous lorsque nous aborderons la principale théorie de Catherine Vidal. Néanmoins, quoi qu’il en soit, les différents aspects biologiques ne prédisent en rien le futur destin psychosocial des garçons ou des filles, pas plus qu’ils ne justifient l’inégalité entre les sexes d’ailleurs (Héritier). C’est dans ce sens que la même auteure affirme que cette inégalité « n’est inscrite ni dans l’évolution de la sexuation, ni dans nos gènes, ni dans la différenciation sexuée intra-utérine, ni dans le fonctionnement cérébral » (p. 35). Selon Darmon (2010), citant Blöss (2001), c’est parce qu’une intériorisation « silencieuse » des modèles sexués s’opère durant la socialisation primaire que la différence entre les sexes « a le plus de chances « de s’imposer avec l’évidence du naturel et le naturel de l’évidence » » (p. 38), d’où une autre part d’explication du succès de ces théories naturalistes. Nécessité d’une autre conception des différences de sexe Quelques questions permettent d’introduire la présentation de la seconde grande conception des différences de sexe. La première est ainsi formulée à partir de résultats d’études sur l’ambiguïté génitale et ses conséquences : si la prépondérance du rôle de la nature est telle, comment expliquer le fait que des enfants génétiquement mâles élevés en filles se pensent-ils filles et adoptent des comportements correspondant à cette identité particulière et inversement pour des sujets génétiquement filles élevées en garçon (Mercader, 2010) ? De plus, nous rapportant à une autre étude, comment expliquer que le comportement de jeunes enfants en groupe face aux deux grandes catégories de jeux ou jouets change de manière draconienne en 60 fonction de l’absence ou de la présence d’un ou plusieurs adultes dans la pièce (Guilbert, 2004)? Finalement, nous appuyant sur des recherches se penchant sur des « socialisations au cours desquelles « l’improbable est devenu possible » » (Marry, 2004, citée par Darmon, 2010, p. 41), comment justifier la primauté de la socialisation familiale de genre sur la « pseudo-nature » biologique de sujets devenus des cas atypiques ? Il semblerait donc qu’une autre théorie soit nécessaire pour expliquer la différence des sexes ou du moins compléter cette première vision des choses. La socialisation des sexes agissant en effet dès la naissance, il « est impossible de dissocier l’influence de la biologie sur le comportement de celle de l’environnement » (Duru-Bellat, 2004b, p. 66). De nombreux et nombreuses anthropologues, ethnologues, sociologues, psychologues et historien-nes « ont remis en question le tracé de la frontière entre nature et culture, biologique et social » à un point tel que « le territoire du naturel s’est réduit comme une peau de chagrin » (Baudelot & Establet, 2007, p. 20). C’est dans ce sens que Darmon (2010) affirme que bien que la différence biologique entre femmes et hommes puisse paraître importante, « elle est pourtant très faible au regard de celle que la société construit et institue entre eux » (p. 38). Ainsi, à l’heure qu’il est, d’un point de vue scientifique, la majorité des justifications biologiques des inégalités entre femmes et hommes a été réduite à néant par les sciences humaines et sociales (Baudelot & Establet). Pour ne citer qu’un exemple, les différences biologiques, fonctionnelles et anatomiques importantes entre le cerveau des hommes et celui des femmes – mentionnées ci-dessus – « se traduisent [en réalité] par des différences très faibles dans le domaine cognitif et comportemental » (Jollant, 2006, cité par Baudelot et Establet, p. 23). La conception constructionniste La théorie constructionniste s’oppose radicalement à la première. En effet, ses partisans distinguent le sexe du « genre ». Historiquement parlant, ce terme a été utilisé pour la première fois par un psychologue américain, John Money, en 1955 déjà (Mercader, 2010) pour faire référence « à un processus, à un système social qui crée des groupes […] et les hiérarchise en leur attribuant une identité et un statut différent » (Roux et Pannatier, 2001, p. 4). Ainsi, le genre fait référence à la construction sociale et culturelle (Cornet et al., 2010), dans le sens où il est « le produit d’une éducation, d’un environnement culturel, il n’est qu’artifice » (Guilbert, 2004, p. 13). En revanche, le sexe – biologique ou génétique selon les références – provient de la nature. Dans ce sens, selon ce même auteur, le seul aspect différenciant les femmes des hommes est leur appareil reproducteur, à partir duquel « la société greffe une multitude de différences artificielles » (p. 13), d’où l’importance capitale de l’assignation du sexe à la naissance – soit masculin, soit féminin – pour les parents et l’entourage, comme l’ont montré bon nombre de chercheurs et chercheuses (Baudelot & 61 Establet, 2007 ; Dafflon Novelle, 2006 ; Duru-Bellat, 2004b ; Eliot, 2009/2011 ; Gaudron, 2008 ; Le Maner-Idrissi, 1997 ; Murcier, 2005 ; Rouyer, 2007). De manière quelque peu choquante, Duru-Bellat (2004b) parle même « [d’]assignation d’un destin en fonction du sexe (donc fixé à la naissance), assignation qui constitue d’ailleurs la définition même du sexisme, à l’instar du racisme qui affecte une personnalité et un rôle social à partir de la couleur de la peau ou de certaines caractéristiques biologiques » (p. 232). Les êtres humains se servent donc du sexe en tant que marqueur social pour opposer et différencier des groupes soi-disant naturels alors qu’ils sont principalement construits socialement. C’est dans cet ordre d’idée que Baudelot et Establet (2007) affirment que « la différence anatomique de départ va se traduire par la construction immédiate d’un mur séparant deux mondes sociaux bien distincts, celui des filles et celui des garçons » (p. 42). Nous pouvons donc, pour vulgariser notre propos, rapporter le genre au sexe social, dans le sens où celui-ci peut être modifié par l’action éducative, sociale ou politique : à l’inverse du sexe, le genre est donc contingent, construit et variable (Bereni et al., 2008) et s’élabore à travers la socialisation primaire, décrite en début de ce travail. Héritier (2010) nous parle même d’un « dressage différentiel allant dans le sens de la hiérarchie » (p. 173), se produisant dès la naissance. A ses yeux, l’inégalité sociale entre les sexes est de ce fait « construite exclusivement dans le monde des idées, ces structures mentales développées par nos ancêtres pour donner du sens aux faits bruts qu’ils observaient, transmises sans difficulté de génération en génération et qui imprègnent l’ensemble de nos représentations » (ibid, p. 35). A cet effet, Gianini Belotti démontrait déjà en 1973, le « conditionnement » subi par les petits garçons et les petites filles (surtout) dès leur naissance. Plus récemment, dans son ouvrage de 2004, Guilbert dénonce avec vigueur et dégoût l’existence de ce qu’il nomme « la dictature du genre », soit une certaine forme d’« endoctrinement » (p. 30) que nous subissons toutes et tous en fonction de la catégorie de sexe – homme ou femme – dans laquelle chacun a été assigné, menant à un « déterminisme social » (Rouyer et al., 2010, p. 8)! Une conception source d’évolutions (pour l’égalité des sexes) Cette position théorique nous permet donc d’être optimiste face aux différences entre les sexes étant donné que celles-ci sont socialement connotées : elle permet d’envisager un certain progrès au niveau social (Petrovic, 2004a). En effet, selon Guilbert (2004), « les constructionnistes remettent sans cesse en question tout rôle, tout attribut, tout mode de pensée traditionnellement considéré comme féminin ou masculin » (p. 23). A l’école, les attentes sociales des enseignant-es à l’égard de leurs élèves sont normées, soit construites dans l’imaginaire individuel et collectif en fonction du sexe de l’enfant (Héritier, 2010). Les enseignant-es ayant conscience de cette construction sociale pourraient ainsi avoir une représentation autre de la différence entre les sexes et donc de l’égalité. Cela impliquerait62 il une plus grande sensibilisation ou davantage d’actions en faveur de l’égalité des sexes à l’école ? Une théorie permettant de concilier inné et acquis… Passons brièvement en revue la théorie de Catherine Vidal sur la plasticité cérébrale. Celle-ci permet de concilier plus ou moins les deux courants théoriques présentés ci-dessus en donnant une part de « responsabilité » à l’inné et à l’acquis – bien que tout de même largement en faveur de ce dernier – dans la différence des comportements et aptitudes selon le sexe. Le cerveau posséderait donc une caractéristique essentielle : la « plasticité », soit « la propriété [de] se modeler en fonction de l’expérience » (2006, p. 52). Ainsi, à la naissance, le cerveau du nouveau-né – qu’il soit un petit garçon ou une petite fille – est inachevé : il dispose d’une centaine de milliards de neurones, mais seuls 10% des synapses, soit les connexions entre ces neurones, sont déjà établies (2006, 2010, 2012), d’où la part de la nature. Qu’en est-il des 90% de synapses restantes ? C’est à ce niveau-là qu’intervient la culture. En effet, ces circuits neuronaux vont progressivement se construire en fonction des influences de la famille, de l’environnement, de la société, de la culture… soit « au gré de notre histoire personnelle » (2010, p. 73). Il en résulte une variabilité importante entre les cerveaux des individus, indépendamment du sexe (2010, 2012). Nous nous posons donc la question suivante : d’où proviennent alors les différences de comportements observables entre garçons et filles à l’école ? C’est là qu’entre en jeu, ce qu’Eliot (2011) appelle le « formatage culturel » (p. 90) : les différences initiales entre les sexes sont largement amplifiées par autrui « parce que les bébés prennent leur place dans un monde qui les considère tous […] soit comme des garçons, soit comme des filles » (ibid, p. 83). Ainsi, les garçons vivent des expériences « de garçons » selon les stéréotypes sexués prévalant dans notre société et inversement pour les filles. Les différences de sexe s’expliquent donc aussi de la manière suivante : « étant donné les propriétés de « plasticité » du cerveau, […] des différences de stratégies cérébrales entre les hommes et les femmes [apparaissent], puisqu’ils ne vivent pas les mêmes expériences dans l’environnement social et culturel » (Vidal, 2010, p. 75-76), d’où des comportements différents. C’est dans ce sens qu’Héritier (2010) affirme que « c’est la création et l’agencement de synapses particulières, dus à l’apprentissage, qui sont à l’origine des différences de compétence » (p. 17). Bien que ces différences ne soient apparemment pas uniquement de l’ordre du naturel, mais fabriquées au fil des expériences, qu’advient-il de l’enfant une fois la totalité des synapses connectées ? Ces différences deviennent-elles irréversibles à partir d’un certain âge ? Les enseignant-es ne peuvent-ils/elles donc que constater les différences de comportements et d’aptitudes de leurs élèves ? Une attitude orientée vers le « défaitisme » – à comprendre une démobilisation dans cette lutte 63 pour l’égalité des sexes – n’est de loin pas la bonne réponse. En effet, le cerveau est en perpétuel développement (Vidal, 2006, 2010, 2012). Bien que la plasticité cérébrale soit particulièrement prononcée chez l’enfant, elle est néanmoins toujours fonctionnelle chez l’adulte (Vidal, 2006), ce qui fait dire à cette même auteure que « rien n’est jamais figé dans le cerveau » (p. 52). L’éducation, l’apprentissage et l’expérience sont les mécanismes essentiels qui rendent possible cette évolution permanente. Selon Vidal (2010), ils modifient « la structure et le fonctionnement des circuits du cerveau » (p. 74) « dont les connexions se réorganisent en permanence dans le temps et dans l’espace » (Jonas, 2011, p.41). Il a ainsi été démontré qu’en ce qui concerne les activités cérébrales, par l’apprentissage, à force de répétitions, les femmes et les hommes peuvent atteindre au final les mêmes performances (Vidal, 2010, 2012). L’enseignement-apprentissage à l’école peut donc contribuer à atténuer les différences entre garçons et filles étant donné qu’elles ne sont nullement inscrites dans le cerveau et peuvent évoluer. Il suffit « simplement » que l’enseignant-e croie aux propriétés de plasticité du cerveau de ses élèves et souhaite faire un pas en direction de cette égalité des sexes. Impact sur l’égalité des sexes Les enseignant-es peuvent donc avoir deux attitudes opposées face à l’égalité entre garçons et filles à l’école, en fonction du courant théorique sous-tendant leur représentation des différences de comportements et d’aptitudes de leurs élèves selon le sexe : soit une position privilégiant le statu quo (Martin et Parker, 1995, cités par Tostain, 2010), voire même une attitude orientée vers une certaine démobilisation dans cette lutte pour l’égalité des sexes – même si probablement inconsciente et non avouée, car politiquement incorrecte – estimant qu’il existe en soi des différences innées et immuables entre les élèves en fonction de leur sexe ; soit une position orientée vers la recherche d’une certaine égalité – car conscients que pour beaucoup, les différences ont été construites par la société, et sont donc relatives, arbitraires et modifiables (Tostain) – idéalement par des tentatives de réduction des inégalités ou du moins une prise en compte égale des élèves, de manière discursive en tout cas, indépendamment de leur sexe. 64 3.15. Hypothèses de recherche Suite à notre cadre théorique, nous posons les hypothèses suivantes que nous tenterons de confirmer ou infirmer à l’aide de nos entretiens et des résultats de notre recherche : 1) Les enseignant-es sensibilisé-es à la thématique de l’égalité des sexes dans leur parcours de vie (famille, association(s), etc.) s’efforcent de réduire les inégalités entre les sexes à l’école. 2) Les enseignant-es perçoivent la mixité scolaire comme une situation positive et garante de l’égalité entre les sexes à l’école. 3) Les enseignant-es ayant une conception essentialiste des différences de sexe considèrent la thématique « égalité des sexes » comme peu pertinente et ne recourent à aucune mesure particulière pour atténuer les inégalités entre les garçons et les filles à l’école, tandis que ceux/celles qui adhèrent à la conception constructionniste estiment que l’égalité des sexes fait partie des objectifs éducatifs et cherchent à atténuer les inégalités entre leurs élèves filles et garçons. 4) Les enseignant-es expérimenté-es n’ont pas été sensibilisé-es à la problématique genre dans leur formation initiale et n’intègrent de ce fait que peu l’égalité des sexes dans leur pratique, tandis que les jeunes enseignant-es11, davantage sensibilisé-es à cette thématique dans leur parcours de formation, cherchent à réduire les inégalités de sexe entre leurs élèves. 5) A travers un traitement égalitaire affirmé au niveau discursif, la majorité des enseignant-es n’a pas conscience d’adopter des pratiques inégalitaires envers leurs élèves et de renforcer, de fait, les inégalités entre les garçons et les filles à l’école, et par conséquence, de différencier leur orientation future. 3.16. Méthodologie Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes tourné vers la méthode d’enquête de l’entretien, qui est adaptée à l’étude de groupes restreints ainsi qu’à notre objectif de saisie des représentations enseignantes du genre et de l’égalité, et de leur prise de conscience à l’égard de leur rôle dans la reproduction d’un « ordre sexué » (Sénac-Slawinski, 2007). Nous nous référons principalement à l’ouvrage théorique de Blanchet et Gotman (1992/2007) et au manuel de Quivy et Van Campenhoudt (1995) sur la recherche en sciences sociales pour les différents éléments méthodologiques. 11 Nous qualifions de « jeunes » les enseignant-es ayant été formés dans les nouvelles structures de formation enseignante que sont les HEP et ayant de ce fait moins de 10 ans d’expérience d’enseignement. 65 Conditions de validité de l’entretien Pour débuter, analysons les principales caractéristiques – et par là même, conditions de validité – de cette méthode particulière. Tout d’abord, elle est un fait de parole. En effet, selon Labov et Fanshel (1977), cités par Blanchet et Gotman (1992/2007), l’entretien est « un speech event (événement de parole) dans lequel une personne A obtient une information d’une personne B, information qui était contenue dans la biographie de B » (p. 17). Par le terme « biographie », les auteurs cherchent à mettre en exergue le caractère subjectif, donc vécu et assimilé de l’information recueillie. Par ailleurs, notons aussi le contact direct entre le chercheur et ses sujets, contrairement à l’enquête par questionnaire (Quivy & Van Campenhoudt, 1995). A ce propos, Blanchet et Gotman mettent les chercheur-es en garde de veiller constamment à établir un rapport suffisamment égalitaire entre l’interviewé-e et luimême de manière à ce qu’il n’estime pas être astreint de donner des informations. Pour ce faire, nous avons présenté en guise d’introduction et pour poser le cadre de l’entretien, à chacun-e de nos interviewé-es, le thème de la recherche – jusque-là non annoncé, de manière à ne pas « préparer » nos sujets par un regard plus affûté vis-à-vis de cette égalité en classe les jours précédant l’entretien et à obtenir ainsi des réponses spontanées, donc certainement plus proches de la réalité – ainsi que le déroulement de l’entretien. Chacun a ainsi pu prendre connaissance des principaux aspects de l’entretien – questions ouvertes et optionnelles sur différents thèmes, confidentialité des propos et anonymisation lors de la retranscription – et a eu l’occasion de poser préalablement des questions, en vue d’établir un rapport égalitaire entre le chercheur et les sujets d’enquête. De plus, un entretien-test nous a rendu attentif à l’importance d’expliquer en préambule que nous cherchions simplement à connaître leurs représentations et que de ce fait, aucune réponse n’était bonne ou mauvaise et que nous n’allions pas poser de questions pièges. Cependant, l’entretien comme fait de parole et le contact direct ne permettent pas encore de distinguer l’entretien de l’interrogatoire de police, de la confession ou de la simple conversation pour ne citer que quelques exemples. La seconde caractéristique, à savoir l’activité de la recherche – le fait que l’entretien soit mené à la demande de A et au profit de la recherche ou de sa communauté – permet de le différencier d’autres faits de parole, tels que l’entretien thérapeutique ou la plainte de police, tous deux produits à l’initiative de B et à son bénéfice (Blanchet & Gotman, 1992/2007). Finalement, la nature de l’information produite constitue l’ultime caractéristique de cette méthode. En effet, l’enquêteur cherche à faire produire chez l’interviewé-e une « réponsediscours obtenue par [ses] interventions indirectes » (Blanchet & Gotman, p. 7), soit des questions ouvertes ou des réactions, de manière à ne pas perdre de vue les objectifs de la recherche (Quivy & Van Campenhoudt, 1995). Dans ce sens, par sa faible directivité, 66 l’entretien comporte ainsi un certain nombre d’inconnues, donc de risques, d’où les termes d’« improvisation réglée » (p. 19) utilisés par Bourdieu en 1980 pour définir cette méthode spécifique. Pour cette enquête, nous avons ainsi choisi de nous tourner du côté de l’entretien semi-directif, à la fois « dirigé » par notre guide d’entretien et ouvert par le style de questions posées. Nous y reviendrons ci-dessous. Justification du choix de cette méthode Nous avons choisi l’entretien, car il permet de mettre en évidence les pratiques sociales ou, surtout, les systèmes de représentation des individus (Blanchet & Gotman, 1992/2007), ce qui nous intéresse tout particulièrement dans cette recherche. Ces mêmes auteur-es désignent l’ensemble des représentations par le terme d’« idéologie » (p. 23) ; concept utilisé pour définir l’activité sociale consistant à se fabriquer une image ou une représentation de la vie en société. Cependant, celle-ci est une « image-croyance », dans le sens où elle semble être la vérité alors qu’elle « occulte les distorsions et les déformations qu’elle véhicule inéluctablement » (p. 23). De manière politique, selon Wirth (1936), cité par Blanchet et Gotman, cette idéologie – soit les diverses représentations d’un individu – rend possible le maintien de l’ordre existant par l’orientation et la direction de nos activités. L’entretien devient donc pertinent pour analyser « le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques [...], les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils s’orientent et se déterminent » (ibid, p. 24). Nous souhaitons donc connaître les représentations de l’égalité des sexes des membres du corps enseignant à l’école primaire, leur vision de la mixité scolaire ainsi que leur conception des différences de sexe qui, à notre avis, est étroitement liée à ces premières. Nous nous intéressons aussi au rôle joué par ces individus au niveau de la socialisation différenciée selon le sexe des élèves. Notre enquête porte ainsi à la fois sur les représentations et les pratiques des enseignant-es. Selon Blanchet et Gotman (1992/2007), ce type d’enquête vise « la connaissance d’un système pratique (les pratiques elles-mêmes et ce qui les relie : idéologie, symbole, etc.), [et nécessite] la production de discours modaux12 et référentiels13, obtenue à partir d’entretiens centrés d’une part sur les conceptions des acteurs et d’autre part sur les descriptions des pratiques » (p. 30). Nous avons opté pour un mode d’accès direct, par la recherche de contact visuel avec chaque sujet, lors d’entretien face-à-face qui, selon Blanchet et Gotman (1992/2007) présente les meilleures conditions de neutralité. Toutefois, en dépit des précautions mises en œuvre pour 12 13 Discours traduisant l’état psychologique de l’interviewé Discours décrivant l’état des choses 67 établir un rapport le plus ouvert possible, la pénétration de nos entretiens est sujette aux limitations naturelles de la communication sociale. Résistance probable En sus de la nécessité d’établir un rapport le plus neutre possible, Blanchet et Gotman (1992/2007) nous mettent aussi en garde contre un type de résistance pouvant apparaître au cours d’un entretien et le biaiser: le processus d’objectivation. La transformation de l’expérience cognitive du sujet constitue cette difficulté. Rappelons-le, l’entretien consiste en la production d’un discours, en l’occurrence à propos d’un thème encore peu présent dans l’esprit des personnes qui vont être interviewées. Ainsi, le discours du sujet se construit au fur et à mesure qu’il s’exprime. De ce fait, « explicitant ce qui n’était encore qu’implicite, s’expliquant sur ce qui jusqu’ici allait de soi, extériorisant ce qui était intériorisé, l’interviewé passe de l’insu au dit et s’expose » (ibid, p. 26). Ainsi, il est probable qu’il devienne réticent à parler devant l’incongruité ou la nouveauté de ses propos. Nous nous sommes efforcé de lutter contre ce biais en mettant nos différents interlocuteurs-trices à l’aise par la prise de connaissance préalable des principaux aspects de l’entretien ainsi que la possibilité de poser des questions. De manière éthique, nous avons aussi veillé à ne pas émettre de commentaires personnels tout au long de l’entretien ainsi qu’à adopter une attitude de non jugement. A cet effet, la reformulation des propos de nos sujets, sous forme de questions, a été utilisée à de nombreuses reprises. Population de l’enquête Notre population est constituée de membres du corps enseignant exerçant leur profession exclusivement au niveau primaire dans des classes mixtes. Pour « réduire certains biais » liés à la différence d’âge des élèves, nous avons choisi de cibler uniquement le personnel enseignant du second cycle primaire, soit de la 3ème à la 6ème primaire14. Nous avons établi deux critères de choix : d’une part le sexe et d’autre part, le type de formation pédagogique initiale (EN ou HEP). Nous avons donc sélectionné dans notre cercle élargi de connaissances quatre enseignants et quatre enseignantes et avons veillé à ce que notre population comporte le même nombre de jeunes enseignant-es – formés auprès d’une HEP – que d’enseignant-es plus âgé-es, issu-es d’une EN. Bien que non représentative, car limitée au niveau de la taille et faussée de par la répartition équilibrée des sexes, nous estimons que notre panel peut néanmoins refléter la population enseignante du niveau primaire moyen. Le tableau ci-dessous donne un aperçu des sujets composant notre population ainsi que leurs principales caractéristiques. Rappelons tout d’abord que nous avons utilisé des prénoms 14 De la 5ème à la 8ème selon Harmos 68 fictifs. Les caractéristiques principales que nous avons tenu à relever sont l’âge, la situation familiale [SF] – soit le fait d’être célibataire [c] ou marié-e [m] ainsi que la composition de la famille actuelle (nombre d’enfants garçon(s) [g] et/ou fille(s) [fi]) et celle dans laquelle la personne a vécu (frère(s) [f] et/ou sœur(s) [s]) – le(s) degré(s) d’enseignement actuel [DEA], les années d’expérience [AE] ainsi que la formation pédagogique [FP], soit l’Ecole Normale [EN] ou la Haute Ecole Pédagogique [HEP]. Enseignants Jeunes Caractéristiques Enseignantes Expérimentés Jeunes Expérimentés Jeff Bill Luigi Jimy Gertrude Sophie Âge 27 24 53 42 25 24 SF c ; 3f c ; 2f m, 3g, m, 1g, c ; 1s, 1fi ; 1f 1fi ; 2s 2f DEA 6P 5P 3/4P 5P 5P AE 5 2 33 17 FP HEP HEP EN EN Francine Caroline 55 45 c ; 1s, m, 2g ; 1f 1s 3P 5/6P 4P 2 2 35 24 HEP HEP EN EN c ; 2f Tableau 1: population d'enquête et caractéristiques La population retenue est très hétérogène. Au-delà des deux critères volontairement choisis pour les distinguer – soit le sexe et la formation pédagogique – nos sujets se différencient aussi logiquement au niveau de l’âge, s’échelonnant de 24 à 55 ans, de la situation familiale (5 célibataires et 3 marié-es ayant eu entre 2 ou 4 enfants ; chacun de ces individus ayant vécu dans une famille composée de 1 à 3 frères et/ou sœurs) ainsi que des années d’enseignement, de 2 ans pour les plus jeunes à 35 ans pour les plus expérimenté-es. Ces propriétés divergentes « de base » constituent autant de biais qui se glisseront dans les propos de nos sujets, donc dans l’analyse, dont il ne sera pas toujours possible de tenir compte A ce stade, retenons simplement l’hétérogénéité émergeant de notre population d’enquête. Entretien à usage principal L’entretien constituant, dans notre cas, le mode unique de collecte de l’information, il s’agissait d’une enquête par entretien à usage principal. C’est pour cette raison que d’une part, des hypothèses ont été établies et « agencées en présuppositions explicatives » (Blanchet & Gotman, 1992/2007, p. 42) et que, d’autre part, un guide d’entretien a été conçu et structuré (cf. annexes) de manière à confronter les données recueillies à ces hypothèses. Celui-ci a été élaboré à partir de notre problématique, mais aussi de l’état des savoirs, tous deux provenant de multiples sources de la littérature scientifique (articles et ouvrages). Nous avons donc organisé notre guide en différents thèmes à explorer lors de l’entretien, notamment l’égalité, la mixité scolaire, la conception des différences de sexe, la formation 69 enseignante ainsi que le rôle joué par ces enseignant-es. Désireux de mener des entretiens à structure forte, car disposant « d’informations […] précises sur le domaine étudié et sur la façon dont il est perçu et caractérisé (enquête principale) » (Blanchet & Gotman, 1992/2007, p. 59), nous avons aussi émis quelques questions d’ordre général pour chaque thème. Par ailleurs, nous avons prévu pour la plupart d’entre elles, des questions de relances, de manière à pousser nos sujets à la réflexion. Parfois même, lorsque nous le jugions nécessaire, nous n’avons pas hésité à poser des questions dérivées pour connaître le fond de la pensée de nos sujets. Conscient toutefois que notre guide devait se contenter de structurer l’entretien sans le diriger (ibid), nous n’avons pas exclu pour autant les divers développements parallèles émanant de nos sujets, tel que recommandé par Quivy et Van Campenhoudt (1995). Nous avons ainsi mené des entretiens semi-directifs, dans le sens où les questions-guides relatives à chaque thème ont simplement servi à recentrer l’entretien sur les thématiques de la recherche à chaque fois que le sujet s’en écartait ou à passer en revue certains thèmes qui n’étaient pas spontanément abordés par notre interlocuteur (ibid). La construction discursive du genre et de l’égalité A ce stade, il convient de relever que notre travail porte sur la manière dont les enseignant-es se représentent l’égalité des sexes, principalement dans le domaine scolaire, en situation de mixité. Ces individus nous ont ainsi fait part de leur vision de cette égalité, de leurs pratiques professionnelles – soit de leur rôle dans la socialisation différenciée – de la formation enseignante et ont esquissé les grandes lignes de leur conception des différences de sexe… Nous allons donc analyser une certaine représentation du monde, un discours sur l’égalité, soit une « reconstruction de ce qui a été vécu en classe » (Pasquier, 2010, p. 64). Selon Moreau (2011) inspirée de Foucault (1969), le discours est « un ensemble de pratiques sociales qui produisent ce qu’elles prétendent décrire et construisent ce qu’il est possible de penser, dire et être » (p. 122). Nous accordons donc du sens à ce que ces membres du personnel enseignant disent qu’ils/elles pensent ou font, bien que ce discours puisse être idéalisé de manière à correspondre aux attentes, valeurs et principes fondamentaux de notre société. De nombreuses recherches ont ainsi démontré l’existence d’écarts entre les discours pédagogiques des membres du corps enseignant et ce qu’ils mettent « réellement en œuvre dans leur pratique quotidienne » (Keddie, 1971, cité par Pasquier, 2010, p. 64). En effet, les individus souhaitent transmettre une bonne image d’eux-mêmes et se présentent sous leur meilleur jour. Ainsi, « le discours et le langage ne reflètent pas le réel, ils sont constitutifs de celui-ci » (Moreau, p. 122). Dans le même ordre d’idée, comme a pu l’illustrer Zaidman (1996) dans son travail sur la mixité, face à des questions portant sur un problème sensible, les interviewé-es répondent avec une certaine dose de prudence, de manière à ne pas être jugé ou – en l’occurrence dans notre recherche – de se voir qualifier de sexiste, de machiste ou de féministe. Ainsi, cette 70 construction discursive de l’égalité peut représenter un biais relativement important de notre travail de recherche. Toutefois, selon Blanchet et Gotman (1992/2007), « la reconnaissance d’un biais fondamental n’est pas la marque de l’invalidité d’une méthode, mais au contraire, la condition nécessaire pour que cette méthode atteigne un statut scientifique » (p. 115). Il convient donc de rester vigilant et d’être conscient de cette conception « performative15 » du langage (Moreau). Nous estimons que notre guide d’entretien participe à cette vigilance en posant des questions tant sur la mise en pratique de l’égalité en classe que sur les connaissances et idéologies relatives au genre. Analyse des discours produits Finalement, nous avons systématiquement soumis le corpus de nos entretiens à l’analyse de contenu à l’aide de tableaux d’analyse thématique dont nous parlerons plus bas. Ce procédé a permis d’analyser et comparer les discours pour mettre en évidence les systèmes de représentations (Blanchet & Gotman, 1992/2007) ainsi que certaines pratiques et de ce fait, vérifier les hypothèses de recherche (Quivy & Van Campenhoudt, 1995). Pour ce faire, nous avons opté pour l’analyse thématique, consistant à découper transversalement par thèmes chaque entretien en vue d’aboutir à une « cohérence thématique inter-entretiens » (Blanchet & Gotman, p. 96). En effet, selon ces mêmes auteurs, cette analyse est adaptée à « la mise en œuvre de modèles explicatifs de pratiques ou de représentations » (p. 96). Bien entendu, nous avons veillé à ce que notre analyse réponde aux trois principes suivants mis en exergue par ces auteurs : le principe d’extension – soit le fait de tenir compte de la quasi-totalité du corpus – la fidélité de la restitution, ainsi que l’autosuffisance de l’analyse (ibid). Pour analyser de manière thématique le contenu des propos des différents sujets, nous nous sommes basé sur notre guide d’entretien. Celui-ci a été divisé en six thèmes, dont le premier (profil et généralités) fait office d’introduction et le dernier (autres) de conclusion, sous forme d’une invitation libre à s’exprimer davantage sur sa conception de l’égalité des sexes à l’école. Chaque thème était composé d’une ou de plusieurs question(s) principale(s), généralement dérivée(s) ou approfondie(s) à l’aide de questions de relance et constituant dans leur totalité ce que nous appelons un « groupe de questions ». Ainsi, chaque thème – à l’exception du dernier dont nous n’avons pas tenu compte – avait son lot de groupes de questions : quatre pour profil et généralités, cinq pour l’égalité, trois pour la mixité scolaire, trois pour le thème conception des différences de sexe, quatre pour le thème formation enseignante et sept pour le thème rôle de l’enseignant-e. Au total, notre guide d’entretien était composé de vingt-six groupes de questions qui ont été repris dans autant de tableaux d’analyse thématique préalablement constitués. Ces derniers présentent ainsi une vue 15 Selon Duru-Bellat (2004b), un discours performatif vise à « créer ce qu’il affirme » (p. 238) 71 d’ensemble des représentations des membres du corps enseignant pour chaque groupe de questions (cf. annexes). Une enquête qualitative Cette recherche nous permet d’analyser les différents propos des enseignant-es en matière d’égalité des sexes et de thèmes s’y rapportant. Les tableaux d’analyse nous permettent de cibler chaque groupe de questions pour en dégager les représentations en fonction des quatre types suivants : 1) Représentations générales de l’ensemble du corps enseignant ; 2) Représentations des enseignants différentes de celles des enseignantes ; 3) Représentations des jeunes enseignant-es différentes de celles des enseignant-es expérimenté-es ; 4) Représentations divergentes des membres du corps enseignant, indépendamment de l’expérience et du sexe. En ce qui concerne les représentations générales de l’ensemble du corps enseignant, nous allons mettre en évidence pour certains groupes de questions les représentations communes de la totalité, voire de la quasi-totalité des sujets. Bien entendu, nous ne serons pas en mesure de garantir scientifiquement la validité de toutes les tendances mises en exergue. En effet, il nous est impossible de tester chacune de ces tendances auprès d’un échantillon représentatif. Rappelons que de nombreuses difficultés peuvent venir biaiser les résultats de notre recherche comme la taille restreinte de notre population, sa grande hétérogénéité interindividuelle ainsi que les résistances présentées ci-dessus. Par une approche qualitative, nous nous intéressons plutôt à connaître ce qui se cache derrière les représentations des membres du corps enseignant. En ce qui concerne les représentations selon le sexe et celles selon la génération, nous estimons que certaines seront plus pertinentes à analyser en terme de différences émergeant soit selon le groupe d’appartenance de sexe, soit plus probablement en fonction de la formation pédagogique initiale suivie (et par la même, les années d’expérience). Nous procéderons à cette analyse uniquement lorsque nous la jugerons judicieuse. Par ailleurs, rappelons à ce sujet la grande hétérogénéité interindividuelle de la population sous revue. En effet, au-delà des caractéristiques mentionnées plus haut – sexe, âge, situation familiale, degré d’enseignement, années d’expérience professionnelle et formation pédagogique – ces enseignant-es se distinguent aussi au niveau de leur parcours de vie 16. Ainsi, l’époque dans laquelle ils ont vécu, les valeurs et principes véhiculés au sein de leur famille, leur entourage 16 Pour une revue suisse à ce sujet, voire Sapin, M., Spini, D. & Widmer, E. (2007). Les parcours de vie – de l’adolescence au grand âge. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes. 72 (proches, conjoint-s, ami-es) et leurs idées, leurs origines sociales et/ou culturelles, leur engagement dans des associations ou clubs et bien d’autres aspects encore font partie intégrante de leur expérience de vie et peuvent influencer leur vision de l’égalité des sexes et des garçons/filles à l’école. Il est donc essentiel de garder en mémoire la variabilité des représentations des enseignant-es que les approches comparatives jeunes-expérimenté-es ou hommes-femmes tendent à gommer au profit d’une description d’une certaine homogénéité intragroupe (Croity-Belz, Almudever, Cayado & Lapeyre, 2010). Finalement, l’hétérogénéité caractérisant volontairement les individus de notre population, il est vraisemblable que pour certains groupes de questions, les représentations des enseignantes soient tellement hétéroclites que nous ne serons pas en mesure de dégager de tendances générales, voire mettre en avant des différences selon le sexe ou l’expérience. Dans ce cas, nous nous contenterons de relever et de classer ensemble les représentations distinctes apparaissant chez nos sujets. 73 4. Analyse des résultats et discussion Les interviews ont duré en moyenne 66 minutes – s’échelonnant de 49 à 81 minutes, pour une durée totale de 529 minutes – et ont permis de dégager une vue d’ensemble des différentes représentations des membres de notre panel grâce aux vingt-six tableaux d’analyse thématique (cf. annexes). Nous allons à présent passer en revue les différents thèmes en les analysant selon un des quatre types de représentation explicités ci-dessus, avant de les mettre en lien avec des éléments du cadre théorique lorsque cela s’avère opportun. Afin de rester le plus fidèle possible à la vision des enseignant-es, nous allons nous baser sur des citations extraites des différentes interviews. Il est important de relever que nous avons opté pour une retranscription écrite plutôt que littérale. En effet, afin de faciliter la lecture de ces textes oraux, nous avons choisi « [d’]effacer les traces expressives du discours au profit des éléments de contenu, [de] ponctuer le texte selon le rythme et les signes « usuels » des textes écrits [et de] corriger les fautes grammaticales » (Blanchet & Gotman, 1992/2007, p. 113). 4.1. Profil et généralités Nous explorons ici le contexte de vie de nos sujets, soit le parcours au niveau de la formation, au niveau militant ainsi qu’au niveau familial. Ceci nous permet d’identifier une éventuelle source de motivation en lien avec l’égalité – de manière générale ou uniquement des sexes – en milieu scolaire. En effet, il ressort de la recherche de Guenneuguès (2011) sur des professeur-es de collèges, que « c’est le plus souvent au cœur de leur histoire personnelle qu’ils/elles puisent leurs motivations à s’emparer de cet objectif » (p. 84), à savoir la promotion de l’égalité des sexes. Ainsi, selon l’école (les écoles) de formation suivie, les valeurs transmises et défendues par une ou plusieurs associations ou l’influence des membres de la famille, le sujet peut y être plus ou moins sensibilisé, ce qui peut logiquement avoir un impact sur ses représentations et sur les garçons et les filles. Par ailleurs, portant un regard plus large sur l’ensemble des données des membres de notre population d’enquête, nous avons décidé de saisir les diverses sources d’influences mentionnées contribuant à l’accentuation ou l’atténuation des différences filles/garçons à l’école, face auxquelles les enseignant-es s’estiment impuissants ou pensent n’avoir qu’une moindre influence. En effet, il nous semble intéressant de percevoir quels sont, à leurs yeux, les obstacles (ou difficultés) à l’égalité dans le milieu scolaire. Finalement, nous avons tenu à relever les caractéristiques typiques de la construction discursive du genre pour mettre en lumière les biais inévitables auxquels nous avons été confronté tout au long des entretiens. 74 Parcours de formation individuels et motivations variées L’hétérogénéité caractérise notre population d’enquête. Bien que toutes et tous soient actuellement enseignant-e primaire au second cycle, leur parcours de formation ainsi que leurs motivations pour exercer cette profession diffèrent. Indépendamment de leur formation pédagogique initiale – EN pour une moitié, HEP pour l’autre – ces individus se distinguent au niveau de l’orientation. Ainsi, certains ont bifurqué vers des études pédagogiques suite à une réorientation (école de commerce, école polytechnique fédérale ou éducation spécialisée). Dans l’ensemble de ces cas, celle-ci a fait suite à une expérience dans le milieu scolaire – remplacement ou stage – ou avec des enfants (colonies de vacances). D’autres ont suivi une orientation par défaut, dans le sens où ils se sont laissés guider par les résultats de tests effectués auprès d’un orienteur professionnel. Quant au dernier groupe, la profession enseignante semble toujours avoir été une évidence. Par ailleurs, il nous semble intéressant de relever que trois de ces enseignant-es – en l’occurrence, Jeff, Jimy et Francine – ont choisi de se perfectionner et de devenir praticien-ne formateur-trice au sein de la HEP, en vue de former les futur-es enseignant-es dans leur classe lors de stages. En ce qui concerne leurs motivations, nous relevons que certains d’entre eux-elles n’en citent aucune particulière (en l’occurrence trois), indépendamment de l’orientation suivie. Les cinq autres sujets citent le travail avec les enfants comme motivation principale, suivie de la transmission des savoirs/connaissances et du plaisir de voir les élèves progresser. D’autres sources de motivations ont aussi été mentionnées à une reprise: la joie de communiquer, la gestion d’un groupe et l’apport au niveau de la personnalité. Pas d’influence des associations militantes Il semblerait qu’aucun membre de notre population ne fasse partie d’une association militante qui aurait pu avoir une quelconque influence sur leurs représentations de l’égalité. Toutefois, nous tenons à relever que Bill est membre du parti radical de sa commune. Sensibilisation à la thématique de l’égalité quasi inexistante dans le milieu familial Notre population d’enquête a aussi été questionnée au sujet de son vécu familial pour identifier à quel point leurs parents respectifs étaient sensibles à la thématique de l’égalité et auraient pu les y sensibiliser. Bien que l’hétérogénéité caractérise le parcours de ces individus, il semblerait que pour la majorité (en l’occurrence six), l’égalité n’a pas été une thématique abordée dans leur famille. D’ailleurs, certains relèvent même avoir vécu dans une famille dans laquelle la répartition des tâches et des rôles entre les parents était assez traditionnelle : « les domaines étaient assez bien définis […] c’était bon quand même une famille assez traditionnelle » (Luigi, l. 156-157). L’égalité/l’inégalité ne paraît pas avoir été une thématique problématique : alors que pour Jeff, l’égalité « n’était pas quelque chose qui posait conflit 75 dans la famille » (l. 102-103), Luigi relève qu’il n’a « pas l‘impression que c’était une grande souffrance à cause de l’inégalité, qui était de toute façon […] normale […] entre les sexes et entre les gens » (l. 157-160). Une petite minorité d’enseignant-es mentionnent tout de même qu’un de leur parent « essayait » (Gertrude, l. 109 ; Jeff, l. 105) de tendre vers davantage d’égalité – de manière exclusivement discursive – mais dans les deux cas, ceci s’est avéré être un échec : dans le premier, il s’agissait, à l’exception évidente de la maman, d’une famille composée uniquement d’hommes; dans le second, les rôles étaient et sont restés très diversifiés (et traditionnels) entre les garçons et les filles. Cette variable familiale ne semble donc pas avoir trop influencé les représentations de nos enseignant-es vis-à-vis de l’égalité. Dans un deuxième temps, nous avons cherché à identifier la perception de ces individus par rapport à leur éducation vis-à-vis de leur(s) frère(s) et/ou sœur(s). Ainsi, un peu plus de la moitié prétend avoir été éduquée de manière identique ou plutôt identique, alors que les autres pensent que l’éducation a été différente. Intéressons-nous plus particulièrement à ces derniers pour déterminer le rôle du sexe. A l’exception de différences au niveau des sorties (citées à deux reprises) et d’une plus grande liberté au niveau éducatif, il s’avère que le fait de naître garçon ou fille n’ait pas, à leurs yeux, une grande importance au niveau de l’éducation. D’ailleurs, deux enseignantes affirment même que le sexe ne joue pas un rôle considérable : « j’ai plus senti la place dans la famille, mais pas garçon-fille » (Francine, l. 123-124). La position (aîné-e, cadet-te, benjamin-e) occupée par l’enfant dans la famille (citée par la moitié de nos sujets) ainsi que l’âge semble en effet être les facteurs principaux de différenciation entre les enfants d’une même fratrie : « plus il y a d’enfants, moins il y a de restrictions à la fin » (Gertrude, l. 129-130). Sources d’influences sur l’in-égalité extérieures à l’école Avant de plonger au cœur du sujet, il convient de relever, à ce stade, les différentes influences mentionnées au cours des entretiens, qui peuvent jouer un rôle en matière d’inégalité – par l’accentuation des différences – entre les garçons et les filles à l’école. Tout d’abord, la religion (en l’occurrence l’Islam) s’avère avoir un effet négatif : « je fais tout pour être égalitaire entre les garçons et les filles, après c’est vrai que par rapport aux religions, les élèves le perçoivent peut-être pas forcément comme ça » (Sophie, l. 257-258). Une autre enseignante s’interroge d’ailleurs « les garçons musulmans […] comment est-ce qu’ils traitent les filles ? […] il y a quand même […] des facteurs qui interviennent à l’école entre garçons et filles » (Caroline, l. 285-290). De plus, le milieu familial semble aussi pouvoir influencer les enfants selon leur sexe : « je pense que d’après le milieu d’où ils viennent, ils ne sont pas traités de la même manière à la maison, si ce sont des garçons ou des filles » (Caroline, l. 279-280). Ainsi, la socialisation primaire, soit l’éducation au sein de la famille, paraît être 76 différenciée : « ça dépend de la manière dont ils ont été éduqués, quelles sont les valeurs qui leur ont été transmises » (Gertrude, l. 513-514). En outre, Jeff mentionne l’influence des pairs : « les enfants ils se « co-formatent », si on laisse comme ça, ça va de mal en pis » (l. 382-383). Par cette illustration, il sous-entend ce qu’ont montré Dafflon Novelle (2006), puis Rouyer (2007) au travers du concept de valorisation différentielle des sexes. Par ailleurs, et de manière bien plus positive, la génération dans laquelle vivent ces enfants semble pouvoir contribuer à atténuer les différences entre les sexes, ou du moins les ouvrir à certaines perspectives davantage orientées vers l’égalité. Caroline explicite ainsi sa vision de la génération actuelle : Je pense que plus les générations avancent, plus les choses se normalisent […] la génération de mon mari, les mamans ne travaillaient pas, donc elles faisaient tout à la maison et eux ils se faisaient servir. Tandis que maintenant, les jeunes qui arrivent, les mamans travaillent, donc ils ont certainement dû faire plus de choses à la maison. Je pense donc que pour eux c’est plus normal de donner un coup de main. Je pense que c’est aussi une question de génération (l. 184-189). D’autre part, comme relevé plus tôt, les enseignant-es peuvent aussi avoir été influencé-es différemment en fonction de leur parcours de vie. Mais ce n’est pas tout ! De manière assez pertinente, Jeff relève « je ne suis pas sûr effectivement que les gens de plus de cinquante ans soient vraiment sensibilisés à la chose, quoique ça dépend tout de l’intérêt de la personne » (l. 470-472). Ce dernier n’a pas tort. En effet, Caroline estime qu’il est important de se former continuellement principalement au travers de lectures, mais aussi de la discussion ou de cours : Je lis pas mal de choses quand même sur différents sujets par rapport à l’école, ça peut être la discipline, la lecture... Enfin, j’achète pas mal de bouquins, je regarde, je m’informe, quand il y a des cours aussi, j’essaie d’évoluer quoi, j’espère ne pas être restée à l’époque de l’Ecole Normale […] il y a pas mal d’autres choses qui ont été découvertes ou approfondies […] des fois je préfère aller lire, discuter avec [nom d’un enseignant de la HEP] ça m’apporte pas mal de choses oui (l. 214-223). Comme nous le verrons par la suite, ces lectures ont une influence sur certaines de ses représentations. Qui plus est, à nouveau, la génération peut avoir un impact sur le regard que pose les enseignant-es sur cette égalité des sexes. Ainsi, Jeff atteste « je suis quand même de la jeune génération, je pense que je suis plus sensibilisé à ça [l’égalité des sexes] que d’autres » (l. 342-343). 77 Prudence dans les propos des enseignant-es A de nombreuses reprises au cours de nos entretiens, nous avons pu constater que les enseignant-es faisaient preuve d’une certaine dose de prudence dans leurs propos (mis en gras dans cette section). Rappelons à ce sujet ce que nous avons évoqué par rapport à la construction discursive du genre. Tout d’abord, lorsqu’ils/elles mentionnent des différences entre filles/garçons, souvent fondées sur des stéréotypes de sexe, les enseignant-es utilisent des termes tels que « plutôt », « quand même », « en général », « presque toujours », « la majorité », « la plupart du temps », « en moyenne », « dans l’ensemble » sous-entendant qu’un sexe a, « de manière générale », « c’est vrai » davantage tendance à adopter un tel comportement qu’un autre. De plus, pour atténuer le poids de leurs dires, ils/elles ont recours à des verbes évoquant leur incertitude tels que penser, avoir l’impression, sembler ou font appel à des termes tels que « des fois » ou « peut-être », couramment utilisés : « j’ai l’impression qu’elles collaborent plus, qu’elles sont plus soigneuses, j’ai l’impression qu’elles écoutent plus ce que je dis » (Luigi, l. 503-504). Francine s’aventure à dire : « la femme elle peut être plus douce, je ne sais pas peut-être […] mais peut-être mais ça dépend, plus sensible » (l. 290-292). Dans le même ordre d’idée, ils/elles soutiennent que ces stéréotypes ne prévalent pas forcément pour tous et qu’il existe, bien entendu, certains garçons ou certaines filles faisant figure d’exception : « je dirais que les personnes les plus studieuses et les plus appliquées, la majorité ce sont des filles, mais j’ai aussi des garçons qui travaillent bien, mais quand même une majorité de filles » (Caroline, l. 404-406). De même, Jeff soutient que « les filles sont plus dociles de manière générale, après il y a toujours des exceptions » (l. 286-287). En outre, certain-es affirment même s’appuyer sur le sens commun : « une femme ça a plus la relation de maman […] ça a plus la réputation, bon c’est un peu cliché, mais d’être plus cajoline, peut-être plus gentille, plus douce » (Caroline, l. 301-303). Rappelons à ce sujet que Mosconi (2009) affirme, d’ailleurs, que les représentations tendent souvent vers des savoirs de sens commun, ancrés profondément en chacun d’entre nous. Illustrons encore cette retenue à l’aide de deux cas. Voyez avec quelle précaution cette enseignante met en évidence une différence dans le travail scolaire des filles par rapport à celui des garçons : Dans le travail, mais en règle générale, une fille, mais pas toute, pas nécessairement, mais les filles ont quand même l’étiquette « plus soucieuse, plus travailleuse », mais ce n’est pas vrai nécessairement (Francine, l. 320-322). Dans la même optique, nous percevons à quel point cette prudence peut rendre les propos confus et/ou contradictoires : « je ne peux pas dire ça (rire), ouais dans les branches peut78 être les branches plus techniques, et c’est vrai les travaux manuels ou les… c’est peut-être non, mais même pas. C’est vrai qu’on pense toujours que pour les travaux manuels, peutêtre les garçons devraient peut-être plus travailler avec le bois » (Bill, l. 346-349). Par ailleurs, deux de nos sujets affirment avoir besoin de références pour pouvoir certifier ce qu’ils disent : « je n’ai pas l’impression que ce soit différent, mais je n’ai pas de données objectives » (Luigi, l. 215), « je n’ai pas de points de repère » (Luigi, l. 382) ou « c’est difficile de penser quand tu n’as pas les vraies données, vous voyez ? » (Caroline, l. 460). Finalement, deux enseignantes relèvent avoir pris conscience de l’existence de stéréotypes de sexe. De manière détaillée, Caroline développe : « je m’aperçois qu’il y a aussi des stéréotypes qui existent qui ne sont pas toujours justes forcément : que les filles sont forcément plus studieuses, plus ci, plus ça, plus soignées… alors qu’il y a des filles qui ne sont pas du tout studieuses, qui ne sont pas du tout soignées, comme il y a des garçons qui sont très studieux, qui sont aussi très propres dans leurs travaux […] il y a aussi des fois des stéréotypes à ce niveau-là » (l. 242-246). Ainsi, cette dernière semble être assez lucide sur le poids de ces stéréotypes qui ne correspondent pas nécessairement à la réalité et sur l’influence qu’ils peuvent exercer dans le milieu scolaire. D’ailleurs, elle soutient chercher à les éviter : « mais je n’arrive pas [à dire], moi je n’aime pas trop les stéréotypes » (l. 420-41). Bilan du profil de nos sujets L’hétérogénéité caractérise donc bien notre population d’enquête. D’une part, au niveau du parcours de formation, les orientations diffèrent, d’où des motivations professionnelles hétéroclites, bien que nullement liées à une volonté explicite de parvenir à davantage d’égalité à l’école. Par contre, la formation pédagogique initiale peut avoir sensibilisé différemment nos sujets, comme nous le verrons par la suite. L’adhésion à une association militante faisant figure d’exception, les membres de notre population n’ont pas plus été influencés à ce niveaulà. Enfin, même le milieu familial ne semble pas avoir eu un grand impact sur ces enseignantes, la thématique de l’égalité n’ayant jamais été abordée et/ou les parents revêtant des rôles assez traditionnels. Il convient de relever dans ce contexte que les quelques tentatives d’ouverture effectuées ont par ailleurs échoué. Dans le même ordre d’idée, les différences liées au sexe en matière d’éducation sont minimisées au profit de celles se rapportant à la position occupée par l’enseignant au sein de la fratrie. Toutefois, l’intérêt porté à la thématique de l’égalité ainsi que la génération à laquelle appartiennent les enseignant-es semblent avoir eu pour certain-es un impact sur leurs représentations. Relevons par ailleurs que notre enquête ne nous a pas permis d’explorer les multiples caractéristiques du parcours de vie de nos sujets capables d’altérer leurs représentations de l’égalité dans un sens ou dans l’autre. Pour davantage d’informations à ce sujet, nous revoyons nos lecteurs-trices à l’ouvrage susmentionné de Sapin et al. (2007). 79 En ce qui concerne leurs élèves, la socialisation primaire – à travers la religion, la famille et les pairs – s’avère avoir une influence considérable au niveau de l’accentuation des différences filles/garçons. Le fait d’appartenir à une nouvelle génération semble avoir un impact potentiellement positif et contribuer à une certaine ouverture à l’égalité des sexes. Ces sources de différenciation extérieures à l’école peuvent-elles déstabiliser ou décourager les enseignant-es dans cette lutte pour l’égalité ? Qu’en pensent-ils/elles ? Nous y reviendrons plus bas. Finalement, notre enquête fait face à un biais inévitable vu la précaution avec laquelle nos sujets répondent aux questions. Néanmoins, nous considérons que cet impact est relativement faible au niveau du contenu des représentations: atténuation du poids des propos, confusion ou contradiction probable, absence de réponse par manque de références, voire désir de se soustraire au sens commun. En effet, à l’exception de l’atténuation du poids des propos, les autres marques de prudence s’avèrent être passablement minoritaires dans notre panel. 4.2. L’égalité En abordant ce thème, nous plongeons au cœur de notre recherche. Nous voulons tout d’abord connaître les représentations se cachant derrière le terme « égalité », soit les variables associées et les éléments donnant l’impression à nos sujets d’évoluer dans un milieu égalitaire. Dans un deuxième temps, nous souhaitons déterminer la position occupée par la variable sexe et son importance aux yeux des enseignant-es aux niveaux privé et professionnel. Dans un troisième temps, et de manière plus « concrète », nous cherchons à percevoir de quelle manière se décline cette égalité dans leur classe respective, que ce soit au niveau des paroles ou des actes. L’égalité : une notion vague et utopique Que représente l’égalité de manière générale pour les enseignant-es ? La définition de cette notion semble être ardue pour les membres du corps enseignant qui témoignent de représentations passablement hétéroclites. Néanmoins, pour plus de la moitié d’entre eux, l’égalité a trait aux traitements, aux droits et/ou aux chances identiques données aux individus: « l’égalité c’est avoir tous les mêmes chances, les mêmes droits, les mêmes obligations, c’est être égal à égal » (Jimy, l. 40-41). Elle s’apparente ainsi à l’« approche « contre les discriminations » ou « pro-égalité » » (p. 40) préconisée par Sensi et Manço, (2010). Souvent d’ailleurs, cette égalité est mise en lien avec les différentes variables sources d’inégalités dont nous parlerons ci-après. Caroline expose ainsi sa vision de l’égalité : 80 C’est que tout le monde ait les mêmes droits […] que ce soit civiques, professionnels, quelle que soit ta couleur de peau, quel que soit le pays d’où tu viens, que tu sois homme ou femme, que tu sois pauvre ou riche (l. 23-27). Toutefois, relevons que l’égalité ne semble de loin pas signifier devenir tous pareil : « l’égalité ce n’est pas être tous formatés ou semblables » (Luigi, l. 77). Dans le même ordre d’idée, Jeff, parlant des élèves, soutient que « ce n’est pas demain la veille que finalement un garçon ou une fille, ça ne change pas grand-chose. Mais ça ne doit pas le devenir ainsi, pour moi l’égalité ce n’est pas ça » (l. 184-186). A l’opposé, quelques enseignant-es (en l’occurrence trois) estiment que l’égalité est une notion idéale qui ne semble pas signifier grand-chose. Leur postulat de base est le suivant : tous les humains étant différents, on ne peut pas, de ce fait, être égaux. Voici ce que nous en dit Luigi : Pour moi ça n’existe pas vraiment, il n’y a pas d’égalité […] en prenant l’axiome de départ, on n’est pas égal dans tout […] dans la société, il n’y a que des inégalités. L’égalité est un idéal, mais pas un fait […] l’inégalité est la norme (l. 28-39). Et Bill de rajouter : « on est tous différents, donc est-ce qu’on est vraiment égaux ? » (l. 30). En ce sens, ils/elles sous-entendent ou affirment clairement qu’à leurs yeux, les inégalités sont normales. Illustrons ceci par ce que nous dit ce même enseignant au sujet des métiers connotés comme étant « masculins » ou « féminins » : « il y a encore, mais c’est normal en fait, pourquoi on changerait ça, je ne sais pas, mais il y a des métiers qui sont marqués » (Bill, l. 115-116). D’ailleurs, pour éviter l’utilisation d’un terme éloigné de leur réalité ou les dérangeant, ces individus (ainsi que d’autres de notre population d’enquête), préfèrent parler de respect, voire même d’équité pour l’un d’entre eux : « l’égalité c’est un mot, voilà, pour moi c’est plus important le respect » (Gertrude, l. 490-491). Bien souvent, ce respect est corrélé aux différences ou aux inégalités existant d’office entre les personnes. Pour Luigi par exemple, « l’égalité, ça devrait être de respecter les inégalités […] qu’il y ait un respect mutuel des autres » (l. 114-118). Les variables citées produisant des inégalités dans notre société semblent être, avant tout, la religion, l’apparence physique et le sexe pour la moitié de nos sujets, suivis de près par l’âge et la nationalité puis, dans une moindre mesure, le capital financier et les handicaps. D’autres variables telles que la culture, l’origine sociale ou la situation familiale sont aussi mentionnées à une reprise. Dans l’espoir de connaître la place assignée au sexe, les enseignant-es ont été invité-es à déterminer quelle variable leur semblait produire le plus d’inégalité à leurs yeux. Il s’avère qu’actuellement dans notre société, l’origine physique – à 81 comprendre tous les traits caractérisant une personne comme étant étrangère au lieu de résidence (apparence, couleur de peau, prénom) – et le sexe soient les sources principales d’inégalités (cités à deux reprises chacune), suivis de la culture et du capital financier. Relevons toutefois que deux de nos sujets n’ont pas été en mesure de répondre à cette question, estimant que cette variable dépend du lieu, du moment, voire du domaine sur lequel on se focalise. La variable sexe semble avoir une importance moindre – les inégalités s’atténuant avec le temps (Jimy) – voire pas d’importance pour la moitié des individus interrogés. Les raisons invoquées sont les suivantes : pour Bill, le sexe ne rentre pas en ligne de compte, tandis que pour Gertrude et Luigi, les hommes et les femmes étant différents, les inégalités (qui n’en sont pas à leurs yeux) sont normales. Par ailleurs, tous nos sujets estiment que l’égalité (dans son sens le plus large) est une utopie, bien que la plupart jugent qu’il faille tendre vers celle-ci. Les quelques enseignant-es considérant ci-dessus l’égalité comme un idéal pensent logiquement que les gens étant différents, ils ne peuvent pas être égaux. De manière philosophique, Bill affirme ainsi : C’est Socrate qui le dit : « la plus grande inégalité, c’est de traiter de manière égale des choses qui sont inégales », donc […] ça ne peut pas jouer (l. 75-76). Une minorité soutient que les inégalités seront toujours présentes : « il y aura toujours de l’inégalité je pense de toute façon, mais on peut travailler pour que ça se passe le mieux possible […] on tend vers une certaine égalité, mais elle n’existe pas toujours dans les faits […] je pense que oui, ça restera quand même toujours une utopie » (Caroline, l. 51-59). Quant à Sophie, bien qu’ayant une vision plutôt optimiste de la situation, elle conçoit au final que l’égalité reste bel et bien actuellement une utopie : « je pense qu’on peut tous être traités de la même façon, il faut juste se donner les moyens. Je pense que c’est tout à fait réalisable, tous au même niveau » (Sophie, l. 41-43). Un milieu social prétendument égalitaire, mais une thématique de l’égalité des sexes néanmoins pertinente En ce qui concerne les représentations du corps enseignant de l’égalité dans la société, la quasi-totalité a l’impression d’évoluer dans un milieu égalitaire. A titre d’exemples, ils évoquent spontanément le milieu professionnel (pour la moitié de nos sujets) ainsi que celui familial, dans une moindre mesure. En ce qui concerne le milieu enseignant, ces individus affirment qu’il est égalitaire – traitement, salaire et exigences identiques – bien que la répartition hommes-femmes ne le soit pas. Nous reviendrons plus tard et de manière plus approfondie sur cet élément. Retenons, pour l’instant, simplement ce qu’a mis en évidence 82 Petrovic (2011) : la plupart des gens se sont « construits une illusion de l’égalité entre les sexes dans la société » (p. 32), ce qui semble être le cas de nos sujets. A l’opposé, un seul enseignant estime que le milieu n’est pas égalitaire : « non, c’est de nouveau le postulat de départ […] on n’est pas égaux » (Luigi, l. 199). Toutefois, il rejoint l’avis de ses collègues concernant le milieu enseignant. En second lieu, les individus de notre population soutiennent à l’unanimité que les rapports sociaux de sexe ont évolué. A titre d’exemples, ils citent principalement l’ouverture au niveau des rôles de sexe – à comprendre l’effacement du modèle traditionnel « père au travail-mère au foyer » – puis des éléments comme la répartition des tâches ménagères et le droit de vote et enfin, de manière minoritaire, l’ouverture aux métiers atypiques, les droits au niveau de la justice ainsi que l’accès à la formation. Selon Fassa et al. (2010), la conviction que l’égalité est réalisée « s’appuie [justement] sur les transformations qui se sont produites tout au long du dernier siècle et qui ont été radicales durant les dernières décennies » (p. 6). C’est probablement pour cette raison que la majorité pense que le milieu social est égalitaire. Néanmoins, les enseignant-es ne portent pas tous le même regard vis-à-vis de cette évolution. Plus de la moitié d’entre eux-elles la considèrent comme étant positive ou plutôt positive. Luigi par exemple, nous expose sa vision de l’évolution à travers ces mots : Il y a, je pense, moins de codes, de prescriptions suivis par les sexes […] des codes de conduite typiquement masculins ou féminins, je pense que ça a évolué dans ce sens-là (l.245-248). A l’inverse, les quelques enseignant-es restants ont une vision bien plus négative de la situation : Bill parle ainsi de « féministes dangereuses [essayant] d’inverser la tendance » (l. 194-195), Gertrude d’« inversion dans les rôles » (l. 155) due à « la femme [qui] veut aller trop loin » (l. 156) et finalement, Jimy prétend que « les femmes […] ont pris trop de pouvoir » (l. 163) et que « l’homme a perdu un petit peu sa place de [...] sexe fort » (l. 206207). Pourtant, la grande majorité des enseignant-es juge la thématique de l’égalité des sexes pertinente. Les raisons évoquées pour le justifier sont multiples : cette égalité spécifique n’est pas encore acquise et semble même être irréalisable ; il y a nécessité d’éduquer les enfants à cette thématique, tant par rapport à la vision de la place de la femme générée par leur religion qu’à l’ouverture à d’autres perspectives au niveau des rôles ; cette égalité est de toute façon pertinente dans le reste du monde, si elle ne l’est pas dans notre pays. Luigi est le seul à penser que l’égalité des sexes n’est pas pertinente. Se référant à son postulat de départ selon lequel nous sommes tous inégaux, il affirme : 83 Vouloir l’égalité […] c’est de l’énergie à mon avis mal placée […]. Ce qu’il faudrait c’est déjà […] que tout le monde se respecte, ce serait ça l’égalité, ce serait simplement se respecter les uns les autres et l’égalité serait là (l. 264-267). L’égalité hommes-femmes majoritairement peu problématique Quelle importance revêt l’égalité hommes-femmes dans la vie de nos sujets, de manière générale puis professionnellement parlant ? Il ressort, tout d’abord, que pour un peu moins de la moitié, celle-ci ne semble pas être une thématique significative dans leur vie de tous les jours : « ça ne me change rien, ce n’est pas important, je ne fais pas de cas quoi » (Bill, l. 9697). Quant à l’autre majorité, l’égalité hommes-femmes semble leur importer principalement au niveau de leur vie de couple (en l’occurrence pour la moitié), et dans une moindre mesure, de leur profession et de la formation. Au sujet des couples, les relations homme-femme, bien que parfois inégalitaires, ne sont nullement considérées comme problématiques. En effet, Luigi parle de « coopération » (l. 146) avec sa femme, Caroline de « complémentarité » (l. 73) homme-femme, Jimy de « meilleure entente » (l. 98) rendue possible à travers l’égalité établie, tandis que Jeff mesure cette dernière à l’aune du sentiment de satisfaction des deux membres du couple. Notons enfin les représentations antagonistes de Sophie et Caroline en matière d’égalité des sexes dans leur vie de tous les jours: alors que la première se révolte contre le traitement inférieur infligé aux femmes au niveau professionnel, la seconde – bien que constatant l’existence de petites inégalités quotidiennes – a l’impression que l’égalité est acquise à plusieurs niveaux. Au niveau de la pratique professionnelle, quelques enseignant-es considèrent que cette égalité est importante vis-à-vis de leurs élèves : deux s’efforcent d’instaurer en classe une égalité des chances ou de traitements entre les enfants tandis que le dernier affirme sensibiliser ses élèves à l’aide d’anecdotes touchant aux tâches domestiques. D’un autre point de vue, plus de la moitié des membres de notre population nous parlent spontanément de cette égalité vis-à-vis de leurs collègues et d’eux-mêmes. A l’exception de Sophie qui atteste d’une plus grande crédibilité des hommes face à leur employeur ou aux élèves des grands degrés, les autres jugent que l’égalité est instaurée entre enseignants et enseignantes. Celle-ci rend d’ailleurs possible un certain nombre d’éléments apparemment positifs : une « collaboration saine » (Jimy, l. 101), un travail dans la « transparence » (l. 103) et le « respect » (Jimy, l. 104), la « confiance » (Luigi, l. 85), « l’échanges d’idées » (l. 73) et « le partage de sensibilité » (Francine, l. 77). Par ailleurs, il est intéressant de relever un certain clivage de points de vue entre les jeunes enseignant-es et ceux-celles plus expérimenté-es : alors que pour les premierères (à l’exception de Sophie), l’égalité hommes-femmes est importante du point de vue de 84 leurs élèves, elle semble l’être davantage au niveau des collègues et d’eux-elles-mêmes pour les second-es. Dans un deuxième temps, nous avons voulu savoir à quel point les membres du corps enseignant se sentaient concernés par cette égalité hommes-femmes. Nous constatons que les représentations sont, à ce niveau-là, passablement hétérogènes. Il en ressort que seule une minorité estime l’être, et ce, autant dans le domaine privé que professionnel. Néanmoins, quelques-un-es jugent l’être partiellement : bien que concerné-es, Bill n’en est pas « obsédé » (l. 147), Sophie l’est « de loin » (l. 120) alors que Luigi ne se « sent pas impliqué à un taux [élevé] » (l. 134). Quant aux autres (en l’occurrence trois), ils/elles ne se sentent pas concerné-es. Les raisons invoquées pour justifier ce désintérêt sont de types plutôt égocentriques : Jeff soutient qu’étant « né dans un endroit où ça ne posait pas de problème » (l. 95), ça ne lui en pose pas, tandis que Francine estime être bien où elle est, prétendant ne pas percevoir actuellement d’injustices entre hommes et femmes où elle vit. Les domaines professionnel et familial : enjeux actuels de l’égalité hommes-femmes L’ensemble de nos sujets attribue au domaine professionnel une problématique d’égalité hommes-femmes. Le plafond de verre a été mis en évidence par plus de la moitié de nos sujets, soit l’existence d’une structure hiérarchique empêchant l’accès aux niveaux supérieurs aux femmes. Ainsi, Caroline prétend qu’« une femme, à un moment donné, a moins de chance d’accéder à des postes de hautes responsabilités » (l. 46-47). Dans le même ordre d’idée, Jeff soutient poétiquement que « dans les hiérarchies au boulot, c’est souvent ceux qui ont un poste plus important […] qui ont des poils au menton » (l. 88-89). Sophie va plus loin encore en affirmant : Une femme qui dirige une entreprise ça se voit rarement, parce que c’est un métier d’homme le fait de diriger, d’être chef ou des choses comme ça (l. 104-106). D’autre part, une minorité relève l’existence de métiers connotés comme « féminins » ou « masculins » ce qui renforce inévitablement les inégalités: « il y a des métiers qui sont marqués. Il y a des métiers […] qui sont associés au sexe féminin et d’autres qui sont associés au sexe masculin » (Bill, l. 116-117). Quant à Luigi, il a une vision particulière de ce domaine : il postule que « les femmes veulent conquérir l’inégalité qu’elles ont subie ou qu’elles croient subir par rapport aux hommes […] alors elles compensent en essayant de faire carrière » (l. 100-102). En second lieu, la moitié des enseignant-es considère le domaine familial/domestique comme source d’inégalités, que ce soit au niveau de la répartition des tâches ménagères (relevée à 85 deux reprises), de l’éducation ou du choix opéré par les femmes pour concilier vie privée-vie professionnelle. A ce sujet, il est intéressant de relever les propos suivants : Etre une femme ça t’oblige […] à choisir si tu veux être mère de famille ou travailler, je pense à un moment donné tu dois faire un choix. Tandis qu’un homme je pense qu’il n’aura jamais à faire ce choix-là (Caroline, l. 109-111). Cette enseignante fait allusion à l’anticipation du rôle d’adulte pour les femmes dans leur « choix » d’orientation que nous avons abordée plus haut. Enfin, le domaine financier, politique, de la formation et scolaire sont aussi évoqués par une minorité d’enseignant-es. Notons donc, qu’à l’exception de deux enseignant-es – l’un mentionnant le caractère sexuellement typé des maths (Jeff), l’autre l’image différente véhiculée au sujet de l’autorité de l’homme et de la femme dans l’enseignement (Caroline) – l’école ne semble pas être un domaine dans lequel l’égalité de sexe est un enjeu. Ainsi, tel que l’a relevé Duru-Bellat (1995), l’égalité des sexes ne leur semble pas constituer actuellement un défi. Nous reviendrons sur cet aspect. L’égalité en classe : une situation peu problématique Comment l’égalité entre les hommes et les femmes se décline-t-elle dans la classe des enseignant-es interrogé-es ? A nouveau, une vision assez homogène émerge de leurs propos. En effet, la quasi-totalité indique ne pas mettre en place de mesure particulière à cet effet. Cela sous-entend-il qu’ils considèrent l’égalité entre les sexes comme acquise (Mosconi, 2011) ? L’école serait-elle donc, comme nous l’affirme Duru-Bellat (2008), citée par Guenneuguès (2011) « sexiste par abstention » (p. 74) ? Certains indices laissent déduire qu’ils ne considèrent pas cette thématique comme problématique. D’une part, la moitié de nos sujets estime dispenser un traitement égalitaire. Ceci rejoint les propos de Gianini Belotti (1973) : ils « refusent toute responsabilité en déclarant : « je les traite tous de la même manière ». [Ils] ne manifestent pas la moindre intention d’essayer, dans les faits, de changer quelque chose. Pour [eux], tout est bien ainsi » (p. 162). D’ailleurs, deux enseignantes les considèrent même comme des individus asexués : Pour moi j’ai des élèves en face, qui ont chacun leurs besoins, que ce soit des filles ou des garçons […] ce sont des élèves quoi (Caroline, l. 246-247). Ainsi, alors que cette même enseignante estime avoir une « manière d’enseigner assez uniforme » (l. 209), Jimy instaure un « climat de respect » (l. 232) envers ces élèves, garant d’une « égalité de chance » (l. 237). Seul le cours d’éducation physique semble être, pour une minorité, une source de traitements différenciés, que ce soit au niveau des performances 86 physiques ou de la force. Nous retrouvons donc ici « l’aveuglement » des professionnels aux traitements différenciés, mis en avant par certaines recherches dans le cadre scolaire. Quelques enseignant-es affirment compter sur leurs élèves pour leur signaler les éventuelles injustices commises au niveau du sexe : « les élèves le remarquent assez vite s’il y a une inégalité entre les filles et les garçons » (Gertrude, l. 190-191). Ils partent donc du principe que les élèves sont sensibles aux inégalités de sexe : cela signifie que tant qu’ils ne se manifestent pas, aucune inégalité n’est commise en classe (donc aucune action n’est à entreprendre). Ainsi, ils n’ont pas conscience que les élèves sont tout aussi « aveugles » à cette problématique et ont, par conséquent, l’impression d’être traités de manière égalitaire (Marguerite, 2008). Dans le même ordre d’idée, la moitié de nos sujets soutient utiliser la discussion – ou envisager de le faire en cas de nécessité – pour régler les problèmes lors de situations conflictuelles entre les garçons et les filles : « conseil de classe » (Bill, l. 239), « conseil de coopération » (Gertrude, l. 205), « discuter [lors de] bagarre » (Sophie, l. 221222) entre filles/garçons ou « résoudre des problèmes en donnant la parole » (Luigi, l. 286287). Toutefois, il est intéressant de relever que parmi cette première catégorie d’enseignantes, deux sont tout de même conscients de l’existence d’inégalités entre les filles et les garçons : pour Luigi, « l’école […] est plutôt faite pour les filles » (l. 274-175) car elles « sont plus à l’aise et doivent passer une scolarité en général plus agréable que les mecs » (l. 272274). Quant à Caroline, à travers ses lectures, elle a appris que « les filles et les garçons n’ont pas forcément la même manière de fonctionner » (l. 204-205), les garçons semblant être plus stimulés par la compétition, les défis et la performance. A l’opposé, un enseignant affirme chercher à parvenir à davantage d’égalité au travers de petites tâches atypiques proposées aux élèves, de la participation équilibrée des deux sexes indépendamment de la matière enseignée et des encouragements destinés aux filles au niveau des performances physiques. A titre d’exemple, voici ce qu’il nous dit sur ces tâches atypiques : « de la même manière que j’essaie de faire fonctionner les garçons pour nettoyer, j’essaie de faire fonctionner les filles pour porter des choses » (Jeff, l. 167-169). Nous tenons à informer nos lecteurs-trice qu’une analyse plus détaillée des représentations de l’égalité des sexes à l’école sera traitée dans notre dernier thème : le rôle des enseignant-es. Bilan de l’égalité L’égalité ne représente pas nécessairement la même chose pour les enseignant-es. Néanmoins, bien qu’étant considérée comme une utopie, elle consiste soit à des possibilités identiques offertes aux élèves, soit à un certain respect entre eux, mais ne vise nullement l’uniformité. Par ailleurs, aucune variable ne semble produire davantage d’inégalités qu’une autre. En ce qui nous concerne, le sexe ne semble d’ailleurs pas être important, ou du moins, pas plus que l’origine physique. Est-ce parce que nos sujets considèrent l’égalité des sexes comme 87 acquise ? En effet, se basant probablement sur l’évolution des rapports sociaux de sexes qu’ils ont constatée, les enseignant-es ont le sentiment de progresser dans un milieu social égalitaire (Petrovic, 2011). Dans le même ordre d’idée, l’égalité hommes-femmes – de manière privée ou professionnelle – paraît être majoritairement peu problématique, voire acquise. Toutefois, des progrès semblent envisageables, sinon pourquoi juger la thématique de l’égalité des sexes comme actuellement encore pertinente ? Ainsi, certains efforts s’avèrent nécessaires dans le domaine professionnel de manière générale – principalement en lien avec les positionnements hiérarchiques au travail – et dans une moindre mesure, dans le domaine familial. A contrario, le milieu scolaire ne semble pas être, aux yeux des enseignant-es, un domaine dans lequel l’égalité des sexes est réellement un enjeu (Duru-Bellat, 1995)! C’est probablement la raison pour laquelle la quasi-totalité ne cherche pas concrètement à parvenir à davantage d’égalité entre garçons et filles à l’école. Plusieurs éléments laissent penser que ces professionnel-les sont « victimes de l’aveuglement aux traitements différenciés » qu’ils/elles dispensent vraisemblablement (Chaponnière, 2006 ; Baudino, 2008) à des élèves pas plus lucides qu’eux (Marguerite, 2008). Analysons, dans cette optique, ce que pensent les enseignant-es de la situation de mixité scolaire et de ses effets sur l’égalité entre les garçons et les filles. 4.3. La mixité scolaire Quelles sont les représentations de la situation de mixité à l’école ? Nous avons vu qu’en dépit des problèmes qu’elle suscite au niveau scolaire chez les garçons et au niveau de l’orientation chez les filles, la mixité scolaire n’est pas remise en cause par les membres du corps enseignant (Zaidman, 1996), ne semblant pas poser de problème (Fontanini, 2005). De plus, le principe même de la cohabitation – synonyme de droit égal à l‘instruction indépendamment de son sexe – semble garantir l’égalité entre les élèves (Mosconi, 2011). Nous analysons donc d’une part, l’actualité de cette vision positive et garante de l’égalité entre les sexes et d’autre part, l’existence de différences significatives dues à la formation des sujets de notre panel. Dans un deuxième temps, nous analysons les représentations des enseignant-es au sujet de la féminisation de leur métier. Nous avons, en effet, démontré que la répartition hommesfemmes est largement déséquilibrée (IRDP, 2011) et que cet écart se creuse encore (OFS, 2011). Cela nous permet d’évaluer l’impact de cette féminisation sur les élèves ainsi que son influence et sa contribution au renforcement des inégalités. 88 L’école : un milieu aux relations interpersonnelles égalitaires Les enseignant-es estiment, pour la grande majorité, évoluer dans un milieu social égalitaire (cf. Evolution dans un milieu égalitaire). Nous avons cherché à analyser à quel point le milieu scolaire était aussi considéré comme tel, et ce, au niveau des élèves, puis du personnel enseignant. A nouveau, les représentations des individus de notre population sont passablement homogènes. En ce qui concerne les élèves, la plupart des enseignants soutiennent qu’ils évoluent dans un milieu scolaire égalitaire. Ainsi, garçons et filles semblent y être traités de manière identique ou ne subissent du moins pas de discrimination liée à leur sexe : « je ne vois pas dans la classe quelque chose qui pourrait être différent » (Francine, l. 208-209). Néanmoins, un peu moins de la moitié de notre population relève une certaine non-mixité dans la cour de récréation. Jeff parle ainsi de « grand fossé entre les garçons et les filles » (l. 184), Sophie, d’élèves qui ne « se mélangent pas tellement » (l. 261), tandis que Jimy constate que « garçons et filles jouent facilement ensemble » (l. 301) et sont « souvent mélangés » (l. 302) jusqu’à un certain point, mais qu’il assiste à une formation soudaine de « petits clans » (l. 303) entre les sexes au niveau des grands degrés. Relevons aussi qu’une minorité d’enseignantes mentionnent la religion comme source d’inégalités entre les sexes à l’école. Voici les propos de l’une d’entre elles : Moi je fais tout pour être égalitaire entre les garçons et les filles, après c’est vrai que par rapport aux religions, les élèves le perçoivent peut-être pas forcément comme ça. Eux ils vont peut-être se dire que les garçons sont supérieurs parce qu’on leur a appris ça à la maison (Sophie, l. 257-259). A contrario, deux enseignants n’ont pas l’impression de voir les élèves évoluer dans un milieu égalitaire. Alors que Jeff prétend ne pas être « dans un fonctionnement égalitaire » (l. 193), Luigi affirme percevoir l’existence d’inégalités entre garçons et filles au niveau des apprentissages. Toutefois, ce dernier rejoint l’avis de ses collègues et perçoit l’école comme un milieu égalitaire pour les élèves au niveau des relations sociales. Il est intéressant de relever que l’ensemble de nos sujets estime vivre des relations égalitaires au niveau du personnel enseignant. Jeff souligne toutefois l’existence d’un plafond de verre (sans le mentionner tel quel) – mentionné plus haut – et de « petites piques [ou] gags […] à caractère sexuel » (l. 176-177) (nous y reviendrons en fin d’analyse). Par ailleurs, la moitié de notre population constate, à un moment donné ou un autre, l’existence d’une répartition inégale en fonction des degrés : 89 Plus on va vers le haut, moins il y a de femmes et plus on va vers les petits enfants, moins il y a d’hommes (Jeff, l. 237-238). Nous rejoignons donc là les propos de Moreau (2011), à savoir que « la proportion de femmes parmi la main d’œuvre enseignante évolue […] en proportion inverse de l’âge des élèves » (p. 28). A l’inverse, Jimy, s’appuyant sur son expérience, mentionne l’existence d’un certain équilibre au niveau de la répartition hommes-femmes dans les différents degrés. En outre, plus de la moitié met en avant la représentation inégale d’hommes et de femmes dans l’enseignement primaire, largement en défaveur des premiers. Citons, à titre d’exemple, les propos de Bill: Au niveau du nombre non, clairement non. C’est-à-dire qu’on est beaucoup moins, nous les hommes, à exercer cette belle profession (l. 294-295). De plus, pour quelques enseignants, ceci ne semble pas être en voie d’amélioration, ce que nous avons statistiquement prouvé: selon Luigi, « il n’y a quasiment plus d’hommes qui sont intéressés par ce job et il y a bientôt plus que des femmes » (l. 312-313) alors que Jeff soutient que « ça ne va pas dans le bon sens » (l. 232). Nous analyserons de manière plus fine les conséquences de cette féminisation du métier ci-après. La mixité scolaire : une vision positive et majoritairement garante de l’égalité entre les sexes Le regard des enseignant-es sur la mixité scolaire est à l’unanimité positive, voire très positive. Ceci peut paraître étonnant, au regard du constat établie par Duru-Bellat (2004b), à savoir qu’elle « tend à brider le développement intellectuel et personnel d es élèves […] » (p. 100). Identifions les différentes raisons évoquées par nos sujets. Notons tout d’abord que celle-ci semble tellement évidente pour deux enseignant-es, qu’une situation de non-mixité ne paraît même plus envisageable. En effet, en réfléchissant par l’absurde, il/elle affirment que séparer garçons et filles serait tout aussi aberrant et inapproprié que de le faire pour les suisses/les étrangers (Caroline), les blancs/les noirs ou les enfants ayant un QI supérieur à 120/ceux étant entre 100 et 120/ceux étant en dessous de 100 (Bill)… En effet, au final, « on peut tout séparer quoi » (Caroline, l. 307) ! Nous percevons là, à quel point les enseignant-es semblent attaché-es au principe de mixité scolaire, qui à leurs yeux, comporte de multiples avantages. En premier lieu, celui-ci permet, pour la moitié de nos sujets, l’apprentissage du vivre ensemble. Ainsi : 90 Dans le monde, on ne sera jamais qu’entre hommes ou qu’entre filles, il faut apprendre à vivre ensemble, c’est comme ça, le monde ça ne sera pas qu’avec des garçons ou qu’avec des filles (Sophie, l. 269-271). De même, Gertrude certifie qu’« il faut apprendre à vivre ensemble, enfin si on n’est pas capable de vivre entre garçons et filles, où va le monde ? » (l. 235-236). En second lieu, dans cette même optique, la mixité rend aussi possible la connaissance de l’altérité, pour un peu moins de la moitié des enseignant-es : Je pense que c’est bien de voir qu’on est différent, de voir comment on est différent et puis d’accepter ces différences pour en faire quelque chose […] un win-win (Jeff, l. 203-205). Nous sommes ici proche des propos de Petrovic (2004b) qui affirme que la mixité rend possible « l’apprentissage […] de l’altérité dans le respect de l’autre » (p. 171). A ce sujet d’ailleurs, Jimy, ayant vécu la non-mixité en tant qu’élève, nous fait part d’un de ses souvenirs : « je me rappelle qu’on regardait un peu les filles, un peu bizarrement quoi » (l. 316). Ainsi, « ça provoque moins de regards, de dire « c’est quoi une fille ? » […] c’est une grande ouverture d’avoir mixé les sexes en classe » (l. 313-319). De plus, se basant sur l’existence de différences entre garçons et filles, d’autres estiment que cette situation particulière permet d’atteindre un équilibre. Francine, de manière relativement stéréotypée, estime de ce fait que « ça fait un équilibre, un juste équilibre parce que peut-être que les filles sont plus soucieuses et les garçons un peu plus enfoutistes » (l. 223-225). Finalement, deux enseignants considèrent la mixité comme positive à l’école, étant le reflet de la société. Pour Luigi, « la mixité est une bonne chose, parce que c’est la réalité quoi, tu te confrontes à la réalité de la vie » (l. 336-337). De son côté, Bill soutient : Pour moi, elle est normale, dans la société, on ne vit pas que les garçons d’un côté, les filles de l’autre. L’école c’est l’image de la société (l. 335-336). Dans un deuxième temps, nous avons cherché à définir le lien entre cette situation apparemment positive de mixité et l’égalité des sexes à l’école. Pour la majeure partie de nos sujets, elle permet de se rapprocher de l’égalité entre garçons et filles. Ainsi, « l’idée que la mixité suffit à l’égalité » (Mosconi, 2008, citée par Guenneuguès, 2011, p. 74) semble donc bien ancrée dans le milieu professionnel. A ce sujet, relevons la réflexion pertinente de Francine, justifiant son opinion : Pourquoi ils sont arrivés là ? Pourquoi est-ce qu’on a fait que l’école devienne mixte ? Le but c’était bien d’arriver, oui [à l’égalité] (l. 241-242). 91 Quant aux autres, ils/elles se réfèrent principalement aux avantages cités précédemment pour justifier leurs propos. Ainsi, en lien avec l’apprentissage du vivre ensemble, Sophie est d’avis qu’« en mélangeant, les garçons doivent un peu s’adapter aux filles, les filles […] aux garçons et puis c’est comme cela qu’on arrive à l’égalité et à vivre ensemble dans une bonne ambiance » (l. 281-283). Jeff, renvoyant à la connaissance de l’autre, affirme « si on ignore l’autre, si on ne connaît pas l’autre, on ne peut pas être égalitaire » (l. 212). A l’opposé, seule une minorité considère que la mixité scolaire ne permet pas de tendre vers davantage d’égalité. Alors que pour Bill, elle consiste en une ouverture à l’autre sexe, Luigi soutient qu’elle n’a pas d’incidence sur l’égalité/l’inégalité vis-à-vis de l’autre sexe. Nous avons aussi voulu analyser la perception d’éventuels inconvénients de la mixité scolaire par les membres du corps enseignant. Relevons tout d’abord qu’à l’exception d’une enseignante, aucun autre sujet n’a relevé spontanément de désavantages. En effet, seule Caroline est consciente – suite à la lecture d’une recherche réalisée en Angleterre – que la situation de mixité est corrélée à des performances moindres chez les élèves, indépendamment du sexe. Ce n’est qu’en réponse à notre question, que plus de la moitié des enseignant-es relèvent certains inconvénients. Toutefois, tel que le mentionne Sophie, il ne s’agit dans l’ensemble, pas de « gros inconvénients » (l. 289) : problèmes en cours d’éducation physique – au niveau des vestiaires notamment – ou aux activités créatrices manuelles pour certain-es, ainsi que lors de discussions touchant plus l’un ou l’autre sexe ou lors de conflits (cités à une reprise). Seuls Caroline (ci-dessus) et Luigi font part de difficultés plus conséquentes : ce dernier laisse entendre que les garçons semblent être moins captivés par l’école. Il se pose d’ailleurs des questions à ce sujet. A l’inverse, un peu moins de la moitié ne perçoit aucun inconvénient. Au contraire même, un enseignant et une enseignante n’en citent même que des avantages : confrontation d’idées et diminution de problèmes liés à la sexualité (Jimy), revalorisation des filles ainsi qu’égalité des chances entre les élèves (Francine). Relevons les propos de cette dernière qui fait preuve d’un certain idéalisme référant à notre cadre théorique: On peut tous arriver très bien à de bons résultats pour un bon métier, […] on voit que les filles et les garçons peuvent avoir des notes autant convenables donc ça peut mener à tous les métiers (l. 250-252). Une féminisation de l’enseignement primaire mal perçue Quelle est la représentation des enseignant-es au sujet de la féminisation du métier ? La plupart des sujets en ont une vision négative. En témoignent par exemple les propos de Jeff « c’est terrible ! » (l. 232) ou ceux de Bill « ça fait peur ! Ca fait très peur ! » (l. 360). Ils justifient leurs propos en relevant différents types d’arguments. En premier lieu, ressort le 92 besoin de l’enfant d’avoir un modèle de son sexe sous peine de connaître un certain manque, tel que l’ont mis en évidence Courtinat-Camps et Prêteur (2010). Ainsi : J’ai l’impression que ça peut poser quand même pas mal de problèmes de ne pas avoir vécu avec la présence d’un adulte masculin ou féminin, enfin les deux justement, il risque d’y avoir un manque dans son éducation, voire peut-être justement [dans] la manière dont il se comporte avec l’autre sexe (Jeff, l. 249-251). A leurs yeux, l’enseignante véhicule une image maternelle alors que l’enseignant fait office de modèle (Gertrude, Sophie), d’identification (Caroline) ou d’image masculine (Jimy). Ces propos sont relativement proches de la théorie des role models (Moreau, 2011). Nos sujets justifient ainsi l’importance d’avoir les représentants des deux sexes à l’école en associant les filles à l’enseignante et les garçons à l’enseignant : « les filles elles aiment bien avoir des dames parce que ça leur rappelle leur maman […] les garçons aiment bien avoir un homme parce que c’est plus le modèle » (Sophie, l. 591-592). Jimy, à travers ces propos, résume assez bien ce premier argument : Cette fibre maternelle un jour il faut la couper aussi, il faut qu’il y ait quelqu’un qui […] pose un cadre un peu plus masculin. D’avoir une image masculine je pense que c’est important dans l’enseignement, qu’ils aient les deux visages (l. 364-368). En second lieu, suit, pour la moitié de nos sujets, un fonctionnement différent. Gertrude affirme ainsi « je pense que c’est important d’avoir les deux, d’avoir des hommes et des femmes, ne serait-ce que pour les différents styles d’enseignement […], ce n’est pas la même présence en classe […] pas la même manière de fonctionner non plus » (l. 300-305). Le troisième argument découle en quelque sorte du précédent : les enseignant-es étant différents, il est nécessaire d’avoir une représentation équilibrée des deux sexes, sous peine d’être face à un déséquilibre néfaste pour les élèves. C’est dans cet ordre d’idée que Luigi argue le besoin d’avoir une sorte de parité pour qu’il y ait une représentation de l’humain au niveau des enfants qui soit respectée, simplement ça […] en sachant que les gens sont différents, qu’on est différent entre homme et femme de toute façon, ça ne peut être qu’un appauvrissement de n’avoir plus qu’un côté, qu’un sexe qui est représenté à ce niveaulà (l. 379-386). Suivent d’autres arguments mentionnés de manière minoritaire. D’une part, il semblerait qu’avoir affaire à des enseignants soit bénéfique pour « remplacer » les pères absents de certaines familles monoparentales. Ainsi, pour Caroline, « il y a de plus en plus de familles 93 monoparentales. Je trouve que c’est bien que peut-être les enfants qui ont plus tendance à vivre avec leur maman aient aussi une autorité masculine qui les pousse un peu, je trouve que c’est aussi important ça » (l. 344-347). A ce sujet, Moreau (2011) parle justement de menace dans « la constitution d’une identité de genre « masculine » […] notamment chez les garçons des familles monoparentales dont le père est « absent » » (p. 130). D’autre part, certains sujets estiment que les enseignantes – travaillant pour la plupart à temps partiel – constituent une problématique. Examinons les raisons évoquées par Caroline : « beaucoup de femmes travaillent à temps partiel, donc du coup, il y a de moins en moins je dirais de gens dans les centres scolaires. Et puis des pleins-temps, je dirais que c’est quand même des gens qui assurent la stabilité, c’est un peu des piliers du centre autour desquels tournent les temps partiels » (l. 340-343). Finalement, la dévalorisation du métier d’enseignant primaire constitue un ultime argument, évoqué à une reprise: « aux yeux de la société, je pense que ça dévalorise le métier d’enseignant primaire [parce que] dans l’inconscient collectif […] le fait qu’il y ait un métier qui soit exclusivement pratiqué par des femmes par exemple, ça sera un métier qui sera moins valorisé » (Gertrude, l. 271-276). Les deux enseignant-es ne s’étant pas prononcé-es de manière négative à ce sujet ont une vision particulière: alors que Jimy n’a pas conscience de cette féminisation, estimant que « c’est bien mélangé […] bien équilibré » (l. 276-278), Sophie y porte un regard neutre. En effet, elle soutient : « moi ça ne me dérange pas, il pourrait y avoir plus d’hommes ou plus de femmes, moi ça m’est égal tant qu’ils font bien leur travail » (l. 238-239). Ainsi, la quasi-totalité des sujets – une enseignante ne se prononçant pas – estime que la féminisation de l’enseignant a un impact négatif sur les élèves. Il semblerait même que pour plus de la moitié, elle aurait même un impact sur la production d’inégalités. Pour le justifier, certain-es évoquent l’image renvoyée de l’enseignement primaire due à cette féminisation. Ainsi, Bill mentionne : Ca renvoie l’image d’un métier enseignant réservé aux femmes, où l’accès est réservé aux femmes (l. 374-376). Dans le même ordre d’idée une enseignante, se plaçant du point de vue des garçons, émet l’hypothèse suivante : « ils vont se dire qu’être enseignant c’est un métier de filles […] et puis ils se diront que les garçons, ça doit faire un autre métier » (Sophie, l. 307-308). Duru-Bellat (1995b) a d’ailleurs confirmé, à ce sujet, la transmission implicite d’un message de division du travail entre les hommes et les femmes aux enfants, menant à l’association entre l’activité de formation/éducation et ces dernières. Quant aux trois sujets restants, deux ignorent l’impact sur la production d’égalité/d’inégalité tandis que le troisième estime que « ça ne va 94 pas provoquer des inégalités » (Jimy, l. 372), et ce, indépendamment du sexe de l’enseignante. Bilan de la mixité scolaire La majorité des enseignant-es estime bel et bien évoluer dans un milieu scolaire égalitaire (Mosconi, 2011), du moins d’un point de vue social. L’unique source d’inégalités mentionnée par rapport aux élèves est, d’ailleurs, d’origine externe à l’école, réduisant de ce fait l’emprise et la responsabilité des enseignant-es dans la (re)production ou le maintien des différences. Les membres du corps enseignant considèrent-ils ainsi n’avoir aucune influence au niveau du genre sur les garçons et les filles ? Estiment-ils que l’école ne soit pas un facteur contribuant à l’accentuation des différences ? Nous l’analyserons dans le thème suivant. En ce qui concerne le personnel enseignant, bien que constatant une représentation et une répartition inégale des hommes et des femmes (IRDP, 2011), nos sujets revendiquent néanmoins l’égalité relationnelle. La féminisation de l’enseignement primaire ne fait de loin pas l’unanimité des enseignant-es qui énumèrent un nombre relativement élevé de désavantages. En effet, celle-ci semble avoir, pour la majorité, un impact négatif sur les élèves – principalement par le manque de modèles (Moreau, 2011) et d’équilibre qu’elle entraîne – et mener, de ce fait, à la production d’inégalités. Pourtant, postulant, pour la grande majorité, vivre dans un milieu social et scolaire égalitaire, l’ensemble de notre population est entièrement favorable à la situation de mixité à l’école. Cette dernière semble d’ailleurs garantir l’atteinte de l’égalité entre les sexes, ou, du moins, ne pas avoir d’effets néfastes, sinon à quoi bon en être arrivé là ? Par ailleurs, la plupart des enseignant-es s’avèrent être « aveuglé-es » et ignorer ses conséquences paradoxales sur les enfants (Petrovic, 2004b), voire même désastreuses pour les filles (Duru-Bellat, 1994, 2004b ; Baudelot & Establet, 2007 ; Zaidman, 1996) : nos sujets ne relèvent que quelques inconvénients dérisoires, voire aucun. De même, lorsque des désavantages plus conséquents sont mis en évidence, ils ne concernent que les garçons. La mixité scolaire n’est généralement pas perçue comme une situation problématique (Fontanini, 2005) au regard de ces enseignantes. Manifestement cette représentation positive de la mixité scolaire, garante d’une éducation égalitaire, ne semble pas avoir vraiment évolué chez les enseignant-es depuis son introduction ! Pour de plus amples informations à ce sujet, nous renvoyons nos lecteurs-trices à l’intéressante recherche de Zaidman qui reste d’actualité. 4.4. Conception des différences de sexe Ce quatrième volet explore les représentations des enseignant-es au sujet des différences filles/garçons. Nous souhaitons analyser à quel point les élèves leur paraissent dissemblables 95 en fonction de leur sexe. En effet, bien souvent, les attentes du personnel enseignant découlent de stéréotypes de sexe et influent, de ce fait, sur leurs comportements et pratiques en classe (Chaponnière, 2006). Dans un deuxième temps, nous voulons identifier les diverses origines des différences de sexe, ceci en vue de déterminer la place de l’école, mais aussi l’orientation dominante de chacun de nos sujets vers l’une des conceptions des différences de sexe présentées plus haut. Cette posture a-t-elle un impact sur la manière dont les membres du corps enseignant conçoivent leurs enseignements et considèrent la thématique de l’égalité des sexes à l’école? Finalement, nous avons cherché à saisir leur évaluation de la contribution du système scolaire à l’accentuation et/ou l’atténuation de ces différences entre les élèves : est-ce une vision plutôt optimiste ou défaitiste du rôle de l’école dans cette lutte pour l’égalité? Des différences entres garçons et filles à plusieurs niveaux Les représentations des différences filles/garçons déterminent la conception des différences de sexe de chaque enseignant-e. L’ensemble des sujets interrogés relève ainsi l’existence de différences entre les sexes. Bien que les enseignant-es restent prudent-es au niveau de leur propos, comme nous l’avons mentionné plus haut, nous pouvons au final classer l’origine des différences en fonction de quatre catégories. Pour plus de détails, nous prions les lecteurstrices intéressé-es de se référer au tableau d’analyse n°13 en annexe. Au niveau biologique, un peu plus de la moitié des enseignant-es a mis en exergue des différences physiologiques. Il est cependant fort probable que quelques sujets ne l’ont pas mentionné tant ceci leur semblait être une évidence ou peut-être par gêne17. La majorité relève aussi des différences dans le domaine social, principalement au niveau des activités qui semblent être différenciées en fonction de l’énergie dispensée ou du style de jeux. Des différences psychologiques sont aussi évoquées, soit les comportements (cités par la plupart de nos sujets), ainsi que plus minoritairement, les interactions, la gestion des émotions ou celle des conflits. Finalement et en ce qui nous concerne, les enseignant-es soutiennent observer des différences entre garçons et filles au niveau scolaire. Tout d’abord, le travail scolaire est essentiellement mis en avant : les filles semblent être plus appliquées, plus studieuses et plus travailleuses… donc être plus scolaires ou à l’aise en milieu scolaire que les garçons. Dans le même ordre d’idée, deux enseignants estiment qu’elles possèdent une plus grande capacité de concentration. Nous retrouvons ici la meilleure intériorisation des normes scolaires par les filles, mise en évidence par De Boissieu (2007). A l’inverse, certains sujets évoquent l’attitude plus négative des garçons envers l’école : ils râlent plus et sont toujours en désaccord avec les règles mises en place (Jimy), ont des réactions plus explosives (Luigi) et disent ne pas aimer l’école (Francine). Il nous est difficile de distinguer entre un fait réel ou 17 Interprétation personnelle 96 une simple intériorisation des stéréotypes de sexe. C’est peut-être ce que cherche à nous expliquer Jeff par ces mots : « c’est un peu ce qu’on connaît, je crois, et ce que je remarque surtout. Après est-ce que je remarque parce que je connais ? » (l. 298-299). En effet, nous référant à notre cadre théorique, rappelons d’une part que les enseignant-es ont des attentes envers les enfants basées sur leurs représentations des garçons et des filles qui découlent des stéréotypes de sexe. Rouyer (2007) a ainsi prouvé que, tel qu’il apparaît dans nos résultats, les qualités attribuées aux filles renvoient à la norme scolaire tandis que celles des garçons laissent, selon Zaidman (1996), entrevoir le refus scolaire. D’autre part, gardons en mémoire les propos de Marro et Vouillot (2004), selon lesquels les enseignant-es « ont en tête et évoquent quasi automatiquement » (p. 6) les caractéristiques opposées « typiques » de l’un ou l’autre groupe de sexe. C’est d’ailleurs dans cet ordre d’idée que Duru-Bellat (2004b) souligne l’habituelle sur-estimation des différences d’attitudes entre filles et garçons par les membres du corps enseignant, due au poids des stéréotypes. Dans un deuxième temps, nous avons étudié les représentations enseignantes concernant l’existence de compétences différentes selon le sexe en fonction de la matière. En d’autres termes, percevoir si les filles sont plus douées en français et les garçons en math, pour reprendre notre illustration précédente. Majoritairement, il semble que cela ne soit pas le cas. En effet, la plupart des membres de notre population estiment que les compétences sont indépendantes du sexe. Il s’avère que l’apparition de compétences différenciées soit plutôt une « question de motivation » (Jeff, l. 305), d’« intérêt » (Bill, l. 425 ; Sophie, l. 362-363) ou de « volonté » (Francine, l. 343), soit des facteurs intrinsèques de l’individu. A l’opposé, une minorité d’enseignantes pensent qu’en début de scolarité les enfants ont des compétences différentes selon leur sexe. Néanmoins, Sophie affirme, de manière optimiste, que « ça peut s’atténuer avec le temps » (l. 355-356) tandis que Caroline souligne l’importance de l’influence de l’environnement familial, ainsi que d’autres facteurs. Nous ne retrouvons donc pas dans notre population d’enquête la constitution d’un rapport au savoir différencié selon le sexe (Murcier, 2005). Toutefois, rappelons d'une part qu’une telle pratique différenciatrice n’est politiquement pas correcte et que d’autre part, elle est vraisemblablement inconsciente : ainsi, il n’est pas étonnant que, de manière discursive, les enseignant-es soutiennent ne pas prévoir de succès inégaux selon la branche et le sexe. Finalement, nous avons questionné les membres de notre population sur l’existence ou non de compétences intellectuelles distinctes selon le sexe : un peu plus de la moitié l’infirme. Il est intéressant de relever que quelques-un-es mentionnent, que bien qu’elles soient identiques à la base, elles se développent différemment par la suite. Ainsi, voici l’avis de Sophie : Je pense qu’ils ont les mêmes compétences, mais qu’elles se développent différemment […] selon le domaine […] qui les touche plus je pense (l. 361-363). 97 Notons que ces propos sont relativement proches de la théorie de la plasticité cérébrale (Vidal, 2006, 2010, 2012), dont nous reparlerons ci-dessous. A l’inverse, Bill prétend que les compétences intellectuelles sont différentes. Néanmoins, il nous semble important de relever qu’il les associe avec l’habitude, soit l’expérience accumulée : « je trouve que les filles sont beaucoup plus à l’aise en expression orale que les garçons parce qu’elles ont peut-être plus l’habitude de parler […] dans les activités physiques, les garçons sont beaucoup plus à l’aise que les filles parce qu’ils ont peut-être plus l’habitude de bouger, de jouer dehors » (l. 432436). Ainsi, ces compétences ne semblent pas être immuables. Origines des différences de sexe : le rôle prépondérant des parents et de la société Quelles sont les origines des nombreuses différences biologiques, sociales, psychologiques et scolaires des élèves ? Débutons par lister les diverses origines mentionnées par nos sujets ainsi que les divers facteurs qui y sont associés avant de les attribuer à la conception essentialiste ou constructionniste. Tout d’abord, relevons que les enseignant-es sont conscient-es de l’importance de l’environnement familial. En effet, la famille (principalement représentée par les parents) est le facteur à l’origine des différences entre les sexes majoritairement cité : le papa et la maman semblent jouer un rôle direct et indirect – soit à l’aide de vecteurs de socialisation – sur l’enfant. Il existe, d’une part, des différences au niveau de l’éducation (relevées par la moitié de nos sujets). Jeff résume, de manière assez ironique, mais intéressante, sa vision de la socialisation différenciée par les parents en fonction du sexe du bébé: Voilà « ahh c’est un garçon » bon tiens, habillons-le en bleu d’abord, donnons-lui une voiture pour s’amuser, voilà tiens, tiens une voiture, allez broum broum, allez accident, « super ! ». Pis après « ohhh ah voilà une petite sœur », ok bon tiens un petit nœud dans les cheveux tout rose, « super, t’es mignonne, t’es trop mignonne, ah t’es coquette ? », tiens, tiens on va te donner un autre bébé en jouet, allez occupe-toi de lui, donne-lui le biberon, « hmmm superbe. Il a fait caca ? Ok va le changer » (l. 328-333). Nous percevons à quel point l’éducation semble être stéréotypée à ses yeux. Toutefois, Caroline, mère de famille, nuance ces propos en affirmant que cette influence est, à son avis, involontaire : « même si on ne veut pas, je pense qu’automatiquement on va pousser les enfants […], oui on les influence même si on ne veut pas, on entre dans ce jeu-là […] on le fait par l’éducation, une fille ou un garçon, on ne l’éduque pas de la même manière » (l. 541554). Dans le même ordre d’idée que Jeff, nous tenons à relever la pertinente prise de conscience de Francine durant l’entretien au sujet de la connaissance du sexe de l’enfant à la naissance et même avant : 98 Est-ce qu’on fait depuis la naissance la différence ? […] Si on réfléchit bien, pourquoi les gens veulent savoir si c’est une fille ou un garçon ? […] Donc il n’y a pas l’égalité si on veut savoir si c’est une fille ou un garçon, si c’était égal on s’en foutrait de savoir si c’est une fille ou un garçon. Déjà on veut même savoir avant la naissance (l. 398402) L’assignation du sexe à la naissance, voire même avant – rendue possible par l’échographie – semble donc être importante. Nous rejoignons ici ce que bon nombre de chercheur-euses ont démontré. D’autre part, les parents semblent aussi jouer un rôle direct particulièrement au niveau des interactions, à travers les renforcements et leurs réactions entre autres. Gertrude s’exprime ainsi au sujet des renforcements : « Que font les parents ? T’es une fille, tu dois faire de la danse. T’es un garçon, tu dois faire du foot » (l. 360-361). Dans la même optique, « t’es un homme tu ne pleures pas, voilà je trouve que c’est tout à fait l’éducation ça » (Caroline, l. 485-486). Les attentes des parents peuvent d’ailleurs aussi fonctionner selon l’effet Pygmalion. Gertrude mentionne ainsi que « s’ils disent à un enfant « ah de toute façon dans la famille on a toujours été nul en math, il n’y a aucune raison que tu sois doué en math », il n’y a effectivement aucune raison qu’en classe il se donne de la peine en math » (l. 377-380). Par ailleurs, selon la moitié de nos sujets, les géniteurs-trices font aussi office de modèles pour l’enfant, que ce soit à travers l’image qu’ils véhiculent ou de ce qu’ils en disent : Dans une famille il y a quand même un papa, il y a une maman et en principe, ils ne sont pas en même temps en train de faire les mêmes choses. Des fois, ils ont des métiers différents, des fois, il y a des mamans qui restent à la maison, donc il y a des images qui sont de toute façon véhiculées (Luigi, l. 494-497). De même, Gertrude affirme : « les origines des différences, peut-être parce qu’à la maison ils entendent ça » (l. 370). Finalement, dans l’environnement familial, les enfants sont aussi influencés selon leur sexe à l’aide de vecteurs de socialisation, tels que – par ordre de fréquence dans les propos de nos sujets – les jouets, les habits ou les couleurs. L’exemple de Jeff susmentionné était assez éloquent à ce sujet. La société semble être, pour la plupart de nos sujets, le second facteur à l’origine des différences de sexe. Néanmoins, relevons qu’il est difficile de cerner qui de l’environnement familial ou de la société joue un rôle majeur sur l’enfant, les deux éléments paraissant se combiner et s’influencer mutuellement. C’est d’ailleurs probablement dans cet ordre d’idée que Gertrude nous parle de « contexte » (l. 400). Toutefois, la société s’avère jouer un rôle indirect sur l’enfant au travers de vecteurs identiques à ceux du milieu familial – jeux ou 99 jouets, habits et couleurs – ou les médias. A ce sujet, les enseignant-es citent, par ordre d’importance, l’influence de la télévision, de la littérature jeunesse et de la presse, puis des clips vidéos ainsi que de la publicité et enfin d’Internet et des jeux vidéo. Il semblerait que ces nombreux éléments véhiculent des images différenciées des garçons et des filles. C’est dans ce sens que Luigi soutient : Il y a les images que les sociétés donnent des hommes et des femmes, certainement qui les influencent […] le balèze musclé pour l’homme et la jolie poupée pour la femme (l. 483-486). Quant à Sophie, elle estime que ces images proviennent des différents médias : « l’image que renvoie la société […] toutes les images que les enfants ont à leur disposition à la télé, dans les jeux vidéo dans les livres » (l. 391 + l. 401-402). De plus, la société semble, de manière plus directe, dicter des normes ou codes genrés, propres aux garçons et aux filles : Tout ce qu’elle inculque : les filles faut jouer avec les barbies […] les garçons faut jouer avec les voitures, les LEGO techniques, donc effectivement la société peut orienter (Gertrude, l. 382-384). De manière plus explicite, Luigi affirme que « c’est […] des sortes de normes qui se mettent en place, des sortes de codes, ce n’est pas dit qu’elles n’aimeraient pas courir tout le temps quoi » (l. 406-408). A son avis d’ailleurs « il y a certainement un code de conduite qu’on demande aux hommes et puis un code de conduite informel qui est demandé aux femmes » (l. 499-500). De manière évidente, même si peu mentionnés de manière spontanée, les aspects biologiques jouent aussi un rôle pour certains de nos sujets. Toutefois, ici, l’hétérogénéité des représentations des enseignant-es est flagrante. Une minorité considère les aspects génétiques comme étant à l’origine de la grande majorité, voire de toutes les différences. Ainsi, Bill prétend que « le plus grand facteur est dans les gènes, il est dans le cerveau, dans le fonctionnement du cerveau » (l. 594-595). Dans la même optique, Jimy soutient : Il y a une différence génétique […] c’est une différence qui a toujours existé et qui fait que voilà, pour les jeux, pour les observations, pour l’école, pour tout, cette différence est toujours là. Pourquoi un garçon fait ça et pas une fille ? Pourquoi une fille fait ça et pas un garçon ? Ces différences existeront toujours (l. 461-463). Néanmoins, nous ne souscrivons pas aux théories essentialistes, affirmées chez Bill, probablement intériorisées suite à la lecture ou à la connaissance d’une ou plusieurs 100 vulgarisations scientifiques dont nous avons parlé dans notre problématisation. En effet, il certifie : « on le sait d’après des études que les cerveaux féminins et masculins ne fonctionnent pas la même chose » (l. 401-402). Cette vision de la différence pourrait avoir des conséquences désastreuses sur ses représentations des garçons et des filles : « biologiquement parlant pour moi dans le cerveau, une femme réfléchit comme une femme et elle va plus facilement s’orienter vers des métiers sociaux et de la santé […] » (l. 123-126). Ces théories naturalistes ont un poids tel à ses yeux que, bien qu’ayant connaissance d’autres facteurs pouvant influencer les garçons et les filles, il les considère comme bien moins pertinents: « c’est vrai que maintenant qu’on m’y a fait penser, c’est sûr qu’il y a peut-être la littérature jeunesse qui entre en jeu ou peut-être la télévision ou les dessins animés et tout ça, mais […] est-ce que vraiment ça influence ? Franchement je ne pense pas » (l. 448-452). Quant à Jimy, il évoque, après un certain temps, des différences au niveau de l’éducation, mais sans réellement en relever l’importance. A titre d’exemple, évoquant le cas de son fils qu’il généralise, il affirme « on ne leur a pas appris par rapport au fusil, mais ils trouvent un bout de bois […] puis ils font un fusil quoi, on ne leur a pas appris comment il fallait faire, on dirait que c’est inné chez les garçons » (l. 393-395). Par ailleurs, la moitié des enseignant-es estiment que les aspects biologiques ne jouent qu’un rôle restreint principalement au niveau physique, soit au niveau de la masse musculaire ou comme base de développement. Nous y reviendrons lorsque nous aborderons la théorie de la plasticité cérébrale (Vidal, 2006, 2010, 2012). Finalement, une enseignante ne considère pas ces aspects biologiques comme à l’origine des différences alors qu’un autre, par ignorance avouée, ne se prononce pas. Il est intéressant de relever l’interrogation de quelques enseignant-es concernant l’influence de l’inné versus celle de l’acquis. En effet, ils/elles semblent ne pas avoir d’avis tranché sur la question. Ainsi, Gertrude avoue « je ne sais pas dans quelle mesure c’est appris ou bien c’est inné […] je pense qu’il y a une part des deux » (l. 313-315), tout comme Luigi relève « je n’ai aucune idée. Je ne sais pas si c’est hormonal ou bien si c’est un code de conduite » (l. 464). La vision de Caroline est particulièrement éloquente à ce sujet : Est-ce que le cerveau est différent […] parce qu’on nous fait faire des choses différentes à la base ou il est physiologiquement différent ? […] L’inné et l’acquis quoi… si tu prends un cerveau scientifiquement et que tu décortiques quand tu nais, est-ce que c’est réellement différent une fille ou un garçon ou c’est après, le fait que la société a dévolu plutôt certaines tâches, certaines compétences qui en font des cerveaux un petit peu différents ? (l. 464-470). De manière moins directe, certain-es enseignant-es mentionnent aussi l’influence de l’école: sans entrer dans les détails, Jeff nous parle de « collègues qui sont peut-être moins 101 égalitaristes » (l. 348-349) que lui et Caroline de « l’influence de l’école » (l. 535) dans le développement de compétences « moindres au départ » (l. 538). Quant à Sophie, elle illustre le rôle de l’école à travers un intéressant exemple d’autoréalisation de la prophétie : En tant qu’enseignant, je pense que si on dit « ah tu es une fille tu n’es pas capable… » […] ça créer des inégalités. « Ah je suis une fille, alors je n’arrive pas à le faire, c’est normal que je n’arrive pas à le faire, si je suis une fille » (l. 395-398). Nous reviendrons sur le rôle de l’enseignant-e plus tard. Par ailleurs, Jeff est le seul enseignant à mentionner l’influence des pairs qui « se co-formatent » (l. 353). Des conceptions des différences de sexe hétérogènes Les représentations de l’ensemble des enseignantes ainsi que de Jeff semblent se rapprocher de la perspective constructionniste. En effet, ces individus citent le rôle prépondérant des parents ainsi que de la société dans la socialisation différenciée des enfants selon leur sexe. De plus, ils considèrent tous que les aspects biologiques ne sont que peu, voire pas influents du tout. Par ailleurs, relevons que trois d’entre eux tiennent des propos proches de la théorie de la plasticité cérébrale (Vidal, 2006, 2010, 2012). Pour rappel, celle-ci considère que le cerveau se modèle et se structure en fonction des expériences et de l’apprentissage. Dans ce sens, Caroline soutient : La biologie est une base, après à mon avis tu peux l’améliorer, tu peux la modifier, il n’y a jamais rien de définitif, surtout chez un bébé. Tu pars avec une base et tu peux développer […] je ne pense pas que ce soit définitif à la naissance (l. 528-531). Quant à Jeff, évoquant les différences de compétences entre les enfants, il affirme qu’« à la base, ils n’ont pas de compétences différentes non […] après, peut-être qu’ils développent des compétences différentes » (l. 320-321). Dans le même ordre d’idée, Sophie suppose que les compétences se développent chez les jeunes en fonction de leurs affinités. Une telle vision des différences de sexe laisse à notre avis présager d’une attitude ouverte et optimiste envers l’égalité des sexes, considérant que les différences ne sont pas immuables. A l’opposé, Bill et Jimy semblent se rapprocher d’une conception essentialiste des différences de sexe. Bien que relevant – non pas de manière spontanée – les rôles que pourraient éventuellement jouer les médias (Bill, l. 449-450) ou l’éducation (Jimy, l. 471-472), ils insistent sur l’importance des facteurs biologiques, tels que les gènes ou le cerveau. Pour ces enseignants, l’égalité des sexes n’est probablement pas une thématique importante, les différences entre les sexes étant naturelles, donc immuables. Finalement, il est difficile d’attribuer une conception à Luigi qui ne s’est pas clairement 102 positionné dans le débat inné-acquis. Néanmoins, quelques indices nous font supposer qu’il se rapproche davantage de la perspective constructionniste, en évoquant les images de la société (l. 483), certains vecteurs de socialisation – la publicité, la télévision et les clips vidéo (l. 488) – ainsi que le rôle des parents en tant que modèles pour l’enfant (l. 492-498), comme facteurs susceptibles d’influencer le comportement des garçons et des filles. Le système scolaire face aux différences de sexe : dédouanement de la responsabilité et idéalisme Avant de saisir la pertinence de la problématique de l’égalité dans la pratique enseignante, soit d’identifier le rôle joué par l’école dans l’accentuation ou l’atténuation des différences, nous avons, dans un premier temps, cherché à connaître la représentation des enseignant-es en matière de socialisation primaire de l’enfant, à travers le cercle familial. Alors que nos sujets considèrent avoir été éduqués de manière (plutôt) égalitaire ou que la variable sexe n’avait que peu d’importance dans la famille (cf. Sensibilisation à la thématique de l’égalité quasi inexistante dans le milieu familial), l’ensemble des membres de notre population estime que les garçons et les filles sont élevé-es différemment. Ils relèvent d’une part, l’influence de vecteurs de socialisation indirects tels que les jouets, les habits et les activités ou, dans une moindre mesure, les couleurs et d’autre part, les différences issues de l’éducation – principalement de la liberté concernant les sorties – et des interactions, telles que les renforcements. Toutefois, pour une minorité, cette différenciation selon le sexe de l’enfant semble involontaire. Les enseignant-es considèrent-ils/elles néanmoins la problématique de l’égalité dans la pratique enseignante comme pertinente ? Estiment-ils/elles être en partie responsables de ces différences ? La socialisation secondaire par l’école peut-elle jouer un rôle positif ou non au niveau de l’égalité ? Les représentations des enseignant-es au sujet de l’accentuation des différences entres garçons et filles sont passablement hétérogènes. Nous pouvons catégoriser nos sujets en trois groupes : le système scolaire renforce les différences le système scolaire n’a aucune influence sur les différences le corps enseignant a une influence sur les différences. En ce qui concerne la première catégorie, Luigi affirme que « le système scolaire […] convient moins aux garçons qu’aux filles » (l. 549-550) en mettant l’accent sur certaines compétences telles que la collaboration et la constance qui les desservent. Caroline, de manière un peu plus vague, se rapproche de cette idée, mais en la généralisant à l’ensemble des élèves : « on n’a peut-être pas développé toutes les compétences pour que tout le monde ait les mêmes chances » (l. 572-573). Quant à Jeff, bien que cela semble être peu 103 problématique à ses yeux, il soutient que si les enseignant-es n’y prêtent pas attention, les différences sont accentuées au niveau scolaire, dues au « co-formatage » des élèves. Ainsi, dans ces trois cas, l’enseignant-e ne semble pas directement responsable du renforcement des différences entre garçons et filles : c’est soit le système scolaire dans son ensemble, soit les élèves par leur influence réciproque qui en sont incriminés. A l’exception de Jimy, les enseignant-es de la deuxième catégorie (Bill et Francine) ne sont pas en mesure d’étayer leurs propos : de manière assez idéaliste, celui-ci estime qu’« au niveau des programmes […] tout est fait pour qu’il y ait une égalité entre sexes » (l. 477478). Une minorité met en évidence le rôle-clef joué par l’enseignant-e dans l’accentuation ou non de ces différences. Pour Gertrude : Tout dépend de l’enseignant. C’est aussi lui qui forme sa classe […] il peut avoir une sacrée influence en disant « les garçons sont plutôt destinés à faire des métiers comme ça, les filles plutôt des métiers comme ça », mine de rien, les paroles d’un enseignant c’est quand même quelque chose d’important, c’est une personne qui est quand même avec l’enfant 6 à 8 heures par jour (l. 435-440). Tel que Rutter et al. (1979), elle souligne donc l’influence de l’enseignant-e et l’importance de ses paroles en regard du temps passé par les élèves dans la classe. Sophie est à ce sujet, à peu près sur la même longueur d’onde que sa collègue: « ça dépendra de l’enseignant après, comme il gère sa classe, comment il traite ses élèves, s’il dit « les garçons vous faites ça, les filles vous faites ça », voilà, il y aura de grosses différences […] ça dépend de sa personnalité, de sa façon d’enseigner » (l. 429-432). Cette vision de l’enseignant-e est relativement proche de celle de Grossenbacher (2006) : « les enseignants jouent un rôle central […] en tant que personnes, car ils contribuent à structurer l’enseignement et la vie scolaire » (p. 35). Nous avons enfin examiné l’influence du système scolaire en matière d’atténuation des différences de sexe. A l’unanimité, toutes et tous affirment que le système scolaire pourrait – dans l’idéal – atténuer les différences entre garçons et filles. La plupart affirment d’ailleurs que c’est déjà le cas actuellement, de part la responsabilité de l’enseignant-e – par des petites tâches atypiques ou la remise en question des rôles lors de discussions – ou de part la situation de mixité, garantie d’une égalité de traitements ou des chances… Luigi ne partage toutefois pas cette dernière opinion : à ses yeux, le système scolaire n’atténue pas les différences. Permettre aux garçons « d’être impulsifs et de ne pas être constants » (l. 569-570) 104 constituerait une solution. Quant à Caroline, bien que positive à ce sujet, elle ignore comment le système scolaire pourrait atténuer les différences. Bilan de la conception des différences de sexe Selon les enseignant-es, il existe bien des différences biologiques, sociales, psychologiques et scolaires entre les garçons et les filles. Il ressort particulièrement qu’à l’école, les filles semblent davantage correspondre à la norme scolaire (De Boissieu, 2007 ; Rouyer, 2007). Le regard de nos sujets est-il biaisé par l’omniprésence (et l’omnipotence) des stéréotypes de sexe ou est-ce vraiment le cas ? Selon Rossi-Neves et Rousset (2010) « des travaux dans le champ de l’éducation […] montrent que les filles sont plus « formatées» par l’école et plus conformes au métier d’élève » (p. 134). Quoi qu’il en soit, les membres du corps enseignant ont ainsi de nombreuses attentes au sujet de leurs élèves-filles et élèves-garçons qui, manifestement, diffèrent, d’où des pratiques vraisemblablement aussi différenciées. Toutefois, cet « aveuglement » empêche leur identification. Bien que les différentes études existantes avancent une constitution d’un rapport au savoir différenciée selon le sexe des élèves, les membres de notre population d’enquête infirment majoritairement cette conclusion, tout comme l’existence de compétences intellectuelles distinctes. Le rôle direct et indirect de l’environnement familial, ainsi que du contexte social à travers ses différents vecteurs constitue le principal facteur de différenciation filles/garçons. Malgré des représentations hétéroclites quant à l’influence des facteurs biologiques, ces derniers paraissent, dans l’ensemble, moins importants. Quant au milieu scolaire, peu cité, il ne semble pas revêtir une importance particulière. Au sujet du rôle des enseignant-es, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la plupart cherchent à se déresponsabiliser en ce qui concerne l’éventuelle accentuation des différences de sexe par l’école en les ignorant ou en rejetant la faute sur d’autres facteurs ; ils/elles font de plus preuve d’un certain idéalisme quant à l’atténuation de celles-ci par le système scolaire. Nos résultats se rapprochent de ce qu’avance Plateau (2011) suite à une expérience de sensibilisation des enseignant-es d’une école à l’égalité des sexes: « tout se passe comme si, en attribuant les différences et stéréotypes à des agents extérieurs à l’école, les enseignants élaboraient une stratégie (inconsciente) d’exonération qui les dégagerait du même coup de toute responsabilité par rapport au sexisme ». 4.5. Formation enseignante A notre avis, la formation initiale influence en partie les représentations enseignantes de la différence des sexes et de la thématique de l’égalité. En effet, elle est susceptible de développer chez nos sujets un certain degré de sensibilisation à cette problématique. Suite à 105 l’historique et l’analyse respective du contenu de la formation enseignante de l’EN et de la HEP, nous avons constaté qu’à l’inverse de cette dernière, l’EN ne dispensait aucune formation en lien avec l’égalité des sexes (Périsset, 2012). Quant à la HEP, bien que proposant une certaine ouverture à la problématique genre au travers d’une formation sociologique, nous pensons qu’elle n’intègre néanmoins pas encore suffisamment de sensibilisation à l’égalité des sexes. En cause, la brièveté de cette formation spécifique et la simplification des informations, ainsi que le fait qu’elle ne soit pas focalisée sur la seule dimension genre, mais prend aussi en compte le milieu social et l’origine culturelle. Nous identifions d’abord le degré de sensibilisation à la problématique de l’égalité des sexes dans leur formation respective avant de nous pencher sur leur perception de l’utilité d’une telle éducation dans le milieu scolaire primaire. Dans le même ordre d’idée, nous cherchons à déterminer leur connaissance et utilisation d’outils et matériel spécifiques à une telle éducation. Enfin, nous voulons connaître leur position vis-à-vis d’une offre de cours de perfectionnement en lien avec la thématique de l’égalité des sexes. Nous formulons l’hypothèse que les représentations des enseignant-es seront fonction de leur formation initiale. Une légère sensibilisation à la thématique de l’égalité des sexes chez les « jeunes » Nous avons analysé, d’une part, l’intégration de la thématique d’« égalité des sexes » dans le parcours de formation pédagogique initiale ainsi que son efficacité et, d’autre part, l’adhésion des enseignant-es à cette problématique. Tel qu’attendu, un clivage sépare les jeunes enseignant-es des plus âgé-es : alors que tous les sujets formés à la HEP estiment avoir été sensibilisés à cette thématique, ceux ayant suivi une formation à l’EN affirment n’en avoir jamais entendu parler. L’historique et l’analyse du contenu de la formation enseignante effectués en début de problématisation (Périsset, 2012) confirment ce constat. Caroline témoigne d’ailleurs : Ce n’était pas un sujet qui était traité à l’époque […] je viens quand même d’une époque où les filles et les garçons étaient séparés, donc déjà on n’était pas mixte […] la question ne se posait pas, c’était les filles d’un côté, les garçons de l’autre (l. 584-594). Focalisons-nous donc sur ces jeunes enseignant-es et analysons leurs représentations respectives. Bien que sensibilisés au travers d’un cours de sociologie (qu’ils évoquent tous d’une manière ou d’une autre), ils relèvent que cette thématique a plutôt été abordée: Jeff affirme que « ce n’était pas un long thème […] un gros thème, c’était plus un moment sur les trois ans » (l. 413-414). Dans le même ordre d’idée, Bill parle de « petite tranche pour le concept de genre » (l. 524). Gertrude soutient : « il me semble pas qu’on ait passé des heures 106 là-dessus. On en a parlé pendant ce cours-là, mais après » (l.469-470). Quant à Sophie, elle a l’impression que « ça n’a pas eu une très très grande importance » (l. 442). Qu’en ontils/elles donc pour autant retenu? De manière encourageante, toutes et tous mentionnent l’un ou l’autre aspect du cours susmentionné : Jeff évoque la socialisation différenciée dès le berceau (l. 410-411), Bill la littérature jeunesse susceptible de créer des inégalités (l. 504505), Gertrude la collection de livres « Lab-elle » (l. 465-466) et Sophie – bien qu’avouant, dans un premier temps, ne pas se souvenir de grand-chose – le document « s’exercer à l’égalité » (l. 471). Par ailleurs, deux enseignants gardent un bon souvenir de cette thématique dans leur cursus de formation pédagogique : alors que Bill parle de « thématique […] très captivante » (l. 498-499), Jeff assure avoir été « marqué » (l. 409) par ce thème. Voici ce qu’il nous en dit : C’est quand même un sujet qui parle à tous parce que justement on est tous soit garçon, soit fille donc par défaut, j’ai l’impression qu’il nous parle quand même plutôt bien. C’est quelque chose de concret, qu’on connaît tous d’une manière ou d’une autre (l. 418-421). Néanmoins, quelques enseignant-es témoignent de résistances à l’égard de cette thématique. D’une part, Gertrude avoue avoir été quelque peu dérangée par celle-ci : « J’ai fait exprès de jouer la grosse rustre parce que ça m’énervait autant de féminisme (rire) » (l. 459). D’autre part, Sophie doute de la pertinence d’un tel thème à l’heure actuelle : « Je pense qu’on n’a pas besoin d’aborder cette thématique, parce que […] ce n’est pas nécessaire, chacun est comme il est et puis on doit traiter nos élèves de la même façon et ça, moi je pense qu’on le sait » (l. 446-448). En effet, elle estime que « maintenant c’est rentré dans les mœurs […] que la femme a les mêmes capacités et doit être traitée de la même façon [que l’homme] » (l. 459460). Enfin, Bill semble même douter du bien-fondé des connaissances acquises à ce sujet : « C’est peut-être un endoctrinement le cours qu’on a reçu parce que je suis sûr que les gamins ils ne s’en portent pas plus mal […] on nous dit, que ce soit vrai ou pas, il y a des études qui le prouvent toujours, on nous dit, à cause de ça […] on crée des inégalités hommes-femmes » (l. 260-267). Toutefois, bien que cela puisse paraître contradictoire avec les propos évoqués ci-dessus, il nous semble intéressant de relever l’importance de cette sensibilisation. Jeff et Bill semblent être sur la même longueur d’onde : le premier affirme que les enseignant-es sorti-es de la HEP sont plus sensibilisé-es à cette thématique que les autres (l. 466-467) tandis que le second est persuadé que « c’est des collègues qui sont beaucoup plus âgés que moi, qui n’ont pas suivi les mêmes cours que moi, et je me dis que s’ils avaient suivi les mêmes cours que moi, ils ne feraient pas ça » (l. 258-260). A ses yeux, la prise de 107 conscience s’avère ainsi essentielle pour modifier sa pratique et, probablement, éviter d’accentuer les différences entre les sexes à l’école: Si on n’a pas mis ça en lumière, qu’on n’a jamais remis en question ce genre de procédures, pourquoi on les changerait ? (Bill, l. 269-279). Ses propos rejoignent ceux de Pasquier (2010) : « qui ne se sent pas concerné-e par les questions de genre risque donc de les ignorer durant toute sa carrière » (2010, p. 63). Dans un deuxième temps, nous avons voulu savoir si les membres du corps enseignant avaient bénéficié d’une éducation à l’égalité des sexes à proprement parler au sein de leur formation. En effet, une telle formation nous semble indispensable pour être à même d’en dispenser une à ses élèves. A ce sujet, les représentations des enseignant-es sont relativement homogènes : la plupart certifient ne pas en avoir eu une. Quant aux sujets restants, répondant par l’affirmative, les éléments mentionnés portent à penser qu’ils ne relèvent pas d’une telle éducation. Une vision peu favorable de l’éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire Quelle est la pertinence d’une éducation à l’égalité des sexes pour les élèves à l’école primaire ? Les représentations sont très hétérogènes. La moitié semble être plutôt favorable à une telle éducation, mais sous certaines conditions. Elle devrait se faire uniquement en fonction des besoins des élèves ou en cas de problèmes. Sophie soutient ainsi que « ça doit se faire au cas par cas […] dans le sens où ça ne sera pas forcément tous les enfants dans toutes les classes, il faudra aborder cela si de gros problèmes surviennent entre quelques élèves, des choses comme ça, vraiment au cas par cas » (l. 483-487), soit une éducation « ciblée » (l. 491). Caroline est dans la même optique, estimant qu’une éducation à l’égalité des sexes doit se faire « lorsqu’il y a eu un problème au coup par coup » (l. 618). Quant à Gertrude, elle pense : Il faut toujours partir du besoin des élèves et de la classe […] si tout à coup je remarque qu’il y a un besoin, après je vais en parler c’est clair, je mets en place les choses […] s’il n’y a pas le respect entre les garçons et les filles (l. 486-491). En effet, cela dépend à ses yeux de l’éducation et des valeurs reçues au sein du milieu familial. Toutefois, notons que certaines jugent nécessaire de le faire pour des raisons religieuses et/ou culturelles. Voici ce que nous en dit Sophie au sujet de ses élèves de religion musulmane : « je pense qu’on a dans notre rôle d’enseignant à les éduquer à l’égalité, au fait que dans la société suisse, la femme doit être traitée de la même façon qu’un homme » (l. 188-191). Dans le même ordre d’idée, Caroline prétend qu’« en ayant des religions et des 108 pays mélangés, peut-être qu’un cours comme ça, ça passerait pas mal, au vu de l’éducation que doivent recevoir certains élèves » (l. 610-612). D’autre part, plus de la moitié des individus de notre panel, dont un seul a exprimé une vision défavorable de la chose, relèvent ou laissent entendre qu’une telle éducation ne doit en tout cas pas devenir obligatoire « sinon on va faire que des trucs comme ça, on peut faire un cours d’éducation routière par semaine, un cours de dégustation pour les goûts, un cours justement autour des problèmes de genre, et cetera, enfin il y a plein de trucs qu’on pourrait mettre à l’école » (l. 443-445), « je pense que l’école n’est pas un fourre-tout » (Jeff, l. 509-510) ! Dans la suite de cette idée, Sophie certifie qu’il ne faut « pas imposer cela dans le cursus scolaire, il y a déjà bien assez ! » (l. 487). Et Gertrude, de rajouter : « il y a aussi tout un programme » (l. 492-493). Par ailleurs, une minorité d’enseignant-es s’interroge quant au rôle des parents en la matière : « Je pense que c’est aux parents en premier lieu à éduquer leurs enfants, alors que j’ai souvent l’impression de me substituer à eux » (Jeff, l. 509-511). Francine va même plus loin en attestant de la nécessité, en premier lieu, d’« éduquer les parents à l’égalité des sexes » (l. 452), voire même « la société en général » (l. 461). En effet, à ses yeux : Il faudrait qu’on prêche l’égalité […] déjà dans toute la société, qu’on prenne les adultes, les enfants… toute la société. S’il n’y a qu’une partie de la société [en l’occurrence l’école] qui essaie de prôner l’égalité, je ne sais pas si tu arrives à quelque chose » (l. 464-467). En définitive, ces sujets considèrent que l’école seule n’a que peu, voire pas d’influence tant que les parents ne remplissent pas leur mission éducative: « il faut un tout, il ne faut pas rien que certains [les enseignant-es], parce que s’il y a que certains qui font un effort dans un domaine, ça change quoi ? » (Francine, l. 461-462). Dans le même ordre d’idée, Jeff prétend que « l’école ne peut pas tout faire tout le temps, on est quand même là en priorité, non pas justement pour éduquer, même si on le fait beaucoup, on est là pour seconder les parents dans l’éducation, on est là pour former » (l. 448-450). Au final, la moitié des individus de notre population favorable à cette éducation la considère utile à l’école primaire, selon les besoins des élèves ou de manière ponctuelle. A l’inverse, l’autre moitié y est défavorable. Tout d’abord, un enseignant estime que cette thématique est inutile, l’égalité allant de soi : « c’est inutile […] je pense que ça serait plutôt l’inverse qu’on devrait faire, c’est-à-dire aucune éducation et faire comme si c’était normal qu’on soit égaux […] il n’y a pas besoin de dire « regardez on est la même chose », enfin moi ça me fait rire ça. Je trouve ça absurde, vraiment absurde » (Bill, l. 527-531). Pour une minorité d’enseignants, celle-ci risque d’ailleurs même d’être contre-productive ! Bill certifie 109 ainsi que « plus on va la [la différence] mettre en avant, plus le fossé va se creuser » (l. 568). De même, Luigi estime : Le fait de devoir éduquer les gens à être égaux, c’est dire « je ne respecte pas la différence qui est chez les autres ». Si c’est ça l’apprentissage de l’égalité, ce n’est pas juste (l. 590-592). Jimy, de manière plus optimiste, mais idéaliste, considère que l’égalité des chances et des moyens étant effective entre les élèves de l’enfantine à la fin de la scolarité, une telle éducation n’a pas lieu d’être. Quant à Francine, pour les raisons évoquées ci-dessus, elle ne semble pas y être favorable : « Si moi je prône l’égalité, qu’il faut […] veiller à l’égalité à l’école, et qu’autour il n’y a personne qui fait quelque chose, ça sert à quoi ? » (l. 480-482). De manière évidente, ces enseignant-es ne jugent ainsi pas qu’une éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire soit pertinente. Par ailleurs, comme mentionné en début d’analyse, nous retrouvons quelques individus considérant que le respect des différences est plus important que l’égalité : « Plutôt que de parler d’égalité il faut parler de respect » (Gertrude, l. 497). Dans le même ordre d’idée, Jimy estime qu’« on essaie de gommer toutes les différences par le respect de la personne » (l. 506-507). Finalement, Luigi témoigne qu’« il faut apprendre aux gens à se respecter en tant qu’êtres simplement et puis à ce moment-là, l’inégalité qu’il y a de toute façon entre les sexes est un enrichissement et pas quelque chose d’inégalitaire. C’est une richesse, mais pas un déficit […] l’apprentissage du respect, ça doit être quelque chose qui doit être pour tout » (l. 586-593). Nous retrouvons à travers ces propos l’« approche « pro-diversité » (nos différences nous enrichissent) » (p. 40) de Sensi et Manço (2010). Rappelons à ce sujet que le milieu scolaire ne semble pas avoir le monopole sur les élèves. En effet, d’autres éléments entrent en jeu et peuvent influencer le regard de l’enfant vis-à-vis de l’égalité des sexes (cf. Sources d’influences sur l’in-égalité extérieures à l’école) : le milieu familial, la religion, le rôle des pairs, sa génération ainsi que la société et ses différents vecteurs de socialisation. De ce fait, il est relativement compréhensible que certain-es enseignant-es aient une position orientée vers le défaitisme et émettent quelques doutes face à la réelle emprise d’une éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire. Illustrons cette perplexité à l’aide de propos de trois enseignant-es. Tout d’abord, Jeff, conscient de la primauté de la socialisation primaire sur les enfants affirme : Pendant 4 ans quand même ils ne vivent qu’avec leurs parents. Ils ont beaucoup d’influence. Puis après est-ce que ce n’est pas déjà trop tard ? Parce que c’est vrai 110 qu’une fois qu’on les voit à l’école, ils sont déjà bien formatés dans leur rôle. Alors après de les dé-formater c’est difficile (l. 336-339). Dans le même ordre d’idée, Caroline soutient qu’« on peut donner notre point de vue, une certaine image, mais si à la maison c’est le contraire qui est dit, je dirais qu’on est quand même limité dans ce qu’on enseigne, dans ce qu’on montre par rapport à l’égalité » (l. 315317). Quant à Bill, évoquant les métiers typiques de chaque sexe, il estime : « il y a des métiers qui sont marqués […] et ce n’est pas une journée en 6ème primaire sur le thème « osez tous les métiers » qui va bousculer cela » (l. 116-118). Ainsi, à leurs yeux, l’influence de l’école vis-à-vis de cette égalité ou inégalité des sexes est limitée et dépend d’autres facteurs, bien plus influents. Peu d’apport du matériel didactique en lien avec cette thématique Existe-t-il du matériel pédagogique permettant de dispenser une éducation à l’égalité des sexes ? Un clivage apparaît à nouveau entre les jeunes enseignant-es et les plus expérimentées. Alors que les premiers considèrent avoir du matériel à disposition, l’ensemble des membres du second groupe estime ne pas en avoir et/ou ne jamais avoir utilisé de matériel didactique à ce sujet. Comme relevé précédemment, nous mettons ces résultats distincts en lien avec la formation initiale suivie. Intéressons-nous donc plus particulièrement aux enseignant-es formé-es à la HEP. D’une part, tous et toutes sont capables de citer un outil, comme les documents de l’« école de l’égalité » (Jeff et Bill) – mais sans en connaître le nom – la série de livres « Lab-elle » (Gertrude) ou le document pédagogique « s’exercer à l’égalité » (Sophie). De manière paradoxale, Francine, qui pensait ne pas en disposer, cite l’existence d’un CD présentant l’histoire de jeunes hommes et femmes exerçant des métiers atypiques. Tous ces instruments existent, mais ne sont pas pour autant utilisés. C’est uniquement dans le cadre de la journée « Osons tous les métiers » et non de manière spontanée que trois d’entre eux l’ont fait. Jeff avoue d’ailleurs : Je ne pense pas que j’utiliserais ce genre de matériel s’il n’y avait pas une journée obligatoire dédiée à cette thématique (l. 506-507). Par ailleurs, ils ne portent pas le même regard sur l’apport d’une telle éducation. Pour une minorité, celle-ci est positive, que ce soit au niveau de l’ouverture d’esprit ou de la prise de conscience. La perception de Bill sur un de ces outils est bien plus négative et laisse entrevoir une certaine résistance : « Il n’y avait vraiment vraiment rien du tout quoi. Et je l’avais trouvé inutile au possible […] elle n’apportait rien […] les enfants en avaient rien à foutre et franchement ce n’était pas plus intéressant que tant » (l. 541-550). Nous retrouvons à nouveau l’opinion de certain-es jeunes enseignant-es considérant que l’éducation à l’égalité 111 des sexes est de trop dans le cursus scolaire, qui semble être déjà bien chargé. Ainsi, Jeff soutient qu’« il y a assez de choses à faire avec le programme officiel » (l. 509). De même, Gertrude affirme qu’« il y a assez d’autres choses à faire donc ne pas perdre son énergie à se renseigner sur deux millions de choses alors qu’on va jamais en utiliser une » (l. 526-527). De plus, d’autres arguments mentionnés précédemment sont aussi mis en évidence à une seule reprise : le rôle des parents et la pertinence d’une telle éducation en fonction des besoins des élèves. Finalement, il semblerait qu’indépendamment du matériel didactique mis officiellement à disposition des enseignant-es, il soit possible de dispenser, au jour le jour, une certaine éducation à l’égalité des sexes (mentionnée par la moitié de nos sujets), que ce soit à l’aide de petites tâches atypiques ou de la discussion. Sophie pense ainsi : On peut transmettre pas mal de soi, dans ce thème-là […] comment on a été éduqué, ce qu’on pense de l’homme et de la femme, comment on les perçoit, ses représentations (l. 494-500). Bill nous en donne un exemple concret : « par exemple la répartition des tâches ménagères, leur dire « mais on a deux bras, deux jambes, on peut autant bien faire que des femmes » (l. 107-108). Les enseignant-es semblent ainsi douter du réel apport de ces documents pédagogiques officiels : utilisation restreinte à l’obligatoire, résistances diverses et inutilité de tels outils au jour le jour. Non-pertinence d’une formation continue à l’égalité des sexes Quel serait l’intérêt de mettre en place un cours de formation continue en lien avec cette thématique ? Il nous a semblé intéressant d’évaluer l’intérêt des enseignant-es expérimenté-es, apparemment non sensibilisé-es à cette problématique, qui auraient l’occasion de combler certaines « lacunes » ainsi que celui des jeunes enseignant-es, en vue d’approfondir leurs connaissances à ce sujet. Aucun des enseignant-es interviewé-es n’a actuellement suivi un cours de formation continue de ce type et personne n’envisage de le faire. Francine pense même qu’un tel cours n’existe pas (l. 520). Bill, vraisemblablement agacé par cette question, répond ainsi : « Si on commence à se focaliser là-dessus, après va falloir qu’on fasse un cours de perfectionnement de l’égalité par rapport aux cheveux : « est-ce que les enfants qui ont les cheveux roux ils sont traités de la même façon que ceux avec les cheveux noirs en classe ? » Pour moi c’est absurde » (l. 564-567). L’égalité des sexes semble donc être une thématique non pertinente. Quelques enseignantes estiment qu’il existe d’autres aspects plus essentiels à l’école. Ainsi, Gertrude affirme : 112 Je n’en ferai pas une priorité [car] il y a peut-être d’autres choses, d’autres problématiques qui sont prioritaires […] l’égalité oui c’est un joli terme, on peut bien en parler, mais en classe, quotidiennement, il y a d’autres choses aussi (l. 544-553). Comme le relèvent Baurens et Schreiber (2010), « d’autres difficultés scolaires [semblent] plus légitimes » (p. 73) que l’égalité des sexes. Dans la même optique, Sophie certifie avoir « d’autres priorités en termes de formation continue » (l. 540) et Caroline « d’autres chats à fouetter » (l. 637). Néanmoins, de manière optimiste, cette dernière prétend être prête à le faire si elle se « rend compte que c’est une problématique » (l. 638) et que modifier sa manière d’enseigner pourrait contribuer à mieux développer les compétences des élèves. Quant aux deux enseignantes susmentionnées, elles relèvent ne pas le faire par manque de temps. Bilan de la formation enseignante Un clivage net apparaît entre les enseignant-es selon la formation initiale suivie. Ainsi que mis en évidence dans notre cadre théorique, celles/ceux ayant été formé-es à la HEP semblent bel et bien avoir été légèrement sensibilisé-es à la thématique de l’égalité des sexes au travers d’un cours de sociologie. Ils/elles témoignent néanmoins de certaines résistances à son égard. Par ailleurs, personne n’a bénéficié d’une éducation à l’égalité à proprement parler, d’où une vision réservée à son égard. En effet, les individus qui y sont favorables ne le sont qu’à certaines conditions – éducation facultative, ponctuelle et/ou bénéficiant du soutien parental – tandis que la majorité considère l’éducation au respect (des différences) prioritaire. Ainsi, nul ne semble disposé à dispenser une éducation à l’égalité des sexes en classe. Cette dernière ferait-elle donc partie de ces nouvelles missions allouées aux enseignant-es, dont parle Moreau (2011), qu’ils/elles « ne perçoivent pas toujours comme étant de leur ressort » (p. 35) ? Une autre explication réside dans l’influence d’autres facteurs qui paraissent limiter le pouvoir de l’enseignant-e dans cette recherche d’égalité entre les sexes. Il/elle peut donc douter de son emprise sur l’enfant et s’en désintéresser. A nouveau, un clivage quasi similaire se forme au niveau du matériel didactique. Bien que l’ensemble des jeunes enseignant-es ait connaissance d’au moins un des outils à leur disposition dans le milieu scolaire, tous ne les ont pas pour autant utilisés. C’est d’ailleurs dans le cadre d’une « utilisation forcée » – à comprendre obligatoire, car prescrite – qu’une petite minorité l’a fait. A travers leurs propos, nous déduisons qu’elle semble même douter de l’apport de tels instruments. Enfin, la formation continue ne semble pas être une solution envisageable, car d’autres aspects de la vie quotidienne scolaire paraissent prioritaires. Ainsi, nous inférons que les enseignant-es ne considèrent pas vraiment l’égalité des sexes comme une thématique sensible, 113 donc prioritaire dans le milieu scolaire. Est-ce dû à leur « aveuglement aux différences de traitement selon le sexe », tel que mis en évidence par Chaponnière (2006) et Baudino (2008) ? Nous allons l’explorer dans le chapitre suivant. 4.6. Rôle de l’enseignant-e Le dernier thème de notre entretien touchait à la pratiques des enseignant-es en classe. En effet, nous avons cherché à cerner d’une part, le poids de la norme implicite d’équité (De Boissieu, 2007) et d’autre part, l’intensité de leur « aveuglement à la socialisation scolaire différenciée » dont ils sont les principaux acteurs. Ces deux aspects sont à notre avis, corrélés : plus l’enseignant-e considère dispenser un enseignement neutre, moins il/elle est conscient-e d’être différenciateur-trice selon le sexe de ses élèves. Souvenons-nous en : selon Fontanini (2006), les membres du corps enseignant traitent les garçons et les filles de manière inégalitaire par des mécanismes dont ils/elles n’ont pas conscience. Nous allons donc explorer leurs pratiques pédagogiques, les relations enseignant-e/élèves et vice versa, leurs interactions ainsi que leur rôle dans l’orientation des élèves. En ce qui concerne les interactions, nous avons cherché à connaître leur opinion sur le langage épicène, présenté comme une solution envisageable à l’école permettant de respecter l’équivalence des deux sexes. Bien entendu, nous nous reposons uniquement sur les renseignements obtenus de manière discursive. Ainsi, leur pratique est vraisemblablement différente de la réalité qu’ils/elles décrivent (cf. La construction discursive du genre et de l’égalité). Les observations qui nous auraient permis de confirmer ou d’infirmer leurs dires pourraient faire l’objet d’une recherche ultérieure plus complète sur notre sujet. Des pratiques pédagogiques neutres face à des êtres asexusés Quel est l’impact des pratiques enseignantes sur les élèves selon leur sexe ? La plupart des interviewé-es estiment avoir des pratiques pédagogiques neutres : « J’agis et j’interagis exactement la même chose des deux côtés pour ne pas marquer de différences justement » (Jimy, l. 542-545). Rappelons à ce sujet la norme implicite d’équité qui prévaut en milieu scolaire. Néanmoins, ce constat ne semble pas forcément être généralisable: Gertrude estime que cela dépend de chaque enseignant-e, de sa façon de voir les filles et les garçons et de son éducation (l. 559-560). De plus, Sophie avoue néanmoins pouvoir peut-être dispenser plus d’aide aux filles lors des travaux manuels, car elles semblent avoir plus de peine que les garçons. A l’inverse de cette première catégorie d’enseignant-es, Jeff admet : Sûrement que je ne suis pas totalement neutre, mais j’ai l’impression […] d’être le plus neutre possible et je ne peux pas vous donner d’exemples où je ne suis pas neutre parce que je ne me rends pas compte en fait (Jeff, l. 546-548). 114 Tout comme la moitié de ses collègues, il laisse sous-entendre l’éventuelle possibilité de faire involontairement une différenciation entre ses élèves selon le sexe. Ainsi, Francine affirme « Je ne fais pas de différence, il ne me semble pas, mais peut-être qu’on le fait inconsciemment peut-être » (l. 200-201). Caroline s’interroge d’ailleurs à ce sujet « Il me semble que je suis neutre, mais est-ce que je le suis réellement ? Ça c’est difficile à dire » (l. 643-644). De même, Bill, de manière lucide, soutient « Il faudrait venir l’observer et me dire si j’en fais [des différences] pour savoir, car j’en suis inconscient » (l. 622-623). Le dernier de nos sujets certifie que les pratiques pédagogiques ne sont pas neutres « parce que de toute façon ce sont des personnes différentes » (Luigi, l. 613). Toutefois, dans son raisonnement, il affirme que ce traitement différencié l’est indépendamment du sexe de l’élève. Comme vu précédemment, cet enseignant, ainsi que l’ensemble des membres de notre panel d’enquête garantit, à un moment ou l’autre de l’entretien, avoir affaire à des individus asexués ou du moins, à les considérer comme tels : Je travaille avec des humains, je ne travaille pas avec des garçons ou des filles, pour moi ça [la variable sexe] n’entre même pas en ligne de compte (Bill, l. 61-62). « Ce sont des élèves et voilà, peu importe qu’ils soient filles ou garçons » (Caroline, l. 660) ; « On n’a pas une étiquette, on a un individu, on a une personnalité, ce n’est pas une étiquette » (Gertrude, l. 599-600) ; « Je ne fais pas de distinction entre filles et garçons » (Jimy, l. 563-537) ; « On ne fait pas un cours pour les garçons et un cours pour les filles, c’est un cours pour tout le monde » (Sophie, l. 555-556) ; « Je suis différent, mais je ne suis pas différent parce que c’est un garçon ou parce que c’est une fille » (Jeff, l. 543-544) ; « Je ne pense pas faire de différences que ce soit un garçon ou une fille » (Francine, l. 542). Nous percevons aisément à ce niveau-là l’« aveuglement » (Chaponnière, 2006) des professionnels de l’éducation à la socialisation scolaire différenciée entre filles et garçons, telle que mise en évidence par de nombreuses recherches. Est-ce dû à cette « idéologie professionnelle » (DuruBellat, 2004b, p. 103) qu’est la neutralité ? Nous en reparlerons plus tard. Notons encore l’utilisation par Luigi de filles comme « auxiliaires pédagogiques » (pour ne citer qu’une référence : Rouyer et al., 2010) tel que vu dans notre cadre théorique. Au niveau de la formation des groupes, il affirme : « Je trouve que les filles collaborent plus, peut-être que je vais essayer de justement répartir les gens dans les groupes de manière à ce qu’il y ait plus de collaboration, donc je vais peut-être utiliser les filles pour qu’il y ait de la collaboration » (l. 624-627). De même, il atteste utiliser davantage les filles comme tutrices : « Si j’ai besoin d’avoir de l’empathie, je vais peut-être plutôt me diriger vers une fille comme tutrice d’une personne qui aurait plus de problèmes […] faire en sorte qu’elle donne un coup de main à quelqu’un qui a vraiment des problèmes » (l. 634-638). Ainsi, cet enseignant dote « les filles 115 du statut d’auxiliaire didactique de l’adulte auprès des élèves en difficulté » (Pasquier, 2010, p. 65). Relations indifférenciées envers les garçons et les filles Dans un deuxième temps, nous avons voulu saisir les représentations que se font les enseignant-es des relations qu’ils/elles entretiennent avec les garçons et les filles dans leur classe. Partant du postulat de « l’individu asexué », toutes et tous, à l’exception d’un, affirment ne pas entretenir de relations différentes avec leurs élèves selon leur sexe. Les différences constatées sont plutôt de l’ordre de la « personnalité » (Caroline, l. 658) ou du « caractère » (Gertrude, l. 592) des enfants. A l’opposé, Luigi pense ne pas avoir le même type de rapport : « J’ai vraiment l’impression de ne pas être […] la même chose avec les garçons et les filles […] au niveau de la parole, de la manière de dire les choses, je pense que je ne suis pas tout à fait la même chose […] j’ai l’impression d’avoir peut-être plus de retenue avec les filles qu’avec les garçons » (l. 655-661). Par ailleurs, bien que les relations entretenues avec leurs élèves ne soient pas différentes, une minorité de nos sujets affirme avoir plus de difficultés avec les garçons : étant moins scolaires, moins dociles et ayant plus d’oublis, « ça marche moins bien à l’école avec eux j’ai l’impression » (Jeff, l. 559). Dans le même ordre d’idée, Caroline soutient qu’« il y a peutêtre plus […] de cas de garçons qui ont des problèmes de discipline » (l. 668-669). Nous retrouvons là ce qu’ont mis en évidence Courtinat-Camps et Prêteur (2010), à savoir que les filles ne posent pas de problème en classe, car exerçant plus facilement leur métier d’élève par une capacité d’adaptation aux attentes de l’institution. Quant aux autres, ils/elles estiment que ça se passe aussi bien (ou mal ?) avec les garçons qu’avec les filles à l’école. Selon Francine, « il y a avec certains que ça ne marchera pas et avec certaines que ça ne marchera pas, indépendamment du sexe » (l. 556-557). Relations des élèves en fonction du sexe de l’enseignant-e Nous avons analysé la nature des relations des enseignant-es avec leurs élèves en fonction de leur sexe. La quasi-totalité de nos sujets considère que les filles et les garçons ont des relations différentes selon le sexe de l’enseignant-e. Seul Bill prétend que ce n’est pas le cas. Rappelons à ce sujet la dynamique apparaissant entre les attentes d’un enseignant-e et le comportement des élèves (Rouyer, 2007). Nous pouvons relever trois types de propos. D’une part, certain-es soutiennent que les filles semblent être plus proches d’une enseignante et les garçons d’un enseignant. Ainsi, « une fille viendra plus se confier chez moi que chez un enseignant » (Francine, l. 543). De même, Jimy atteste que, bien que ça ne corresponde pas à son cas, 116 les filles auront plus de discussions avec une enseignante du même sexe et vice versa (l. 565-566). D’autre part, un petit nombre relève le « jeu de séduction » (Gertrude, l. 342) que les élèves du sexe opposé tentent d’établir : « Les filles […] joueront plus la carte séduction avec un homme qu’avec une femme » (Jeff, l. 566-567). A ce sujet, Gertrude pense que petits, les élèves sont assez innocents, mais que « plus ils deviennent grands, plus ils jouent sur la séduction, dans le sens voilà, peut-être que j’arriverais à obtenir ce que je veux comme ça » (l. 609-610). Ainsi, cette séduction s’avère être une sorte de stratégie que les élèves du sexe opposé à celui de l’enseignant-e développent pour obtenir certains avantages. Nous retrouvons, de ce fait, ce qu’a mis en évidence Zaidman (1996) dans sa recherche : une certaine connivence ou complicité de genre apparaît entre enseignant-e et élève du même sexe, alors qu’une sorte de séduction se fait sentir vis-à-vis des élèves du sexe opposé. Finalement, Caroline estime que certains facteurs, tels que l’éducation et/ou la religion entrent en ligne de compte à ce niveau-là : « Je pense que déjà, à la base, la relation qu’ils ont avec leur papa, avec leur maman, l’image qu’ils ont d’un homme et d’une femme, je pense que dans leur tête ça influence quand même la relation avec leur enseignant si c’est un homme ou une femme » (l. 690-692). Interactions majoritairement similaires avec les garçons et les filles Quelle est la nature des interactions selon le sexe des élèves ? A nouveau, la plupart des enseignant-es interrogé-es estiment que les interactions sont indifférenciées : « Ce n’est pas possible, enfin, un enseignant ne peut pas traiter un garçon et une fille différemment dans la façon de lui parler quoi » (Sophie, l. 451-452). Pour justifier son propos, Jeff – tout comme Jimy d’ailleurs, hors entretien – relève l’utilisation d’un système de répartition de la parole équitable selon les garçons et les filles : Quand je donne la parole à une personne, après je regarde si c’est un garçon ou une fille […] si c’est une fille qui vient de me poser la question, je dis « voilà maintenant laisse répondre à un garçon, enfin choisis un garçon ». Puis après fille, garçon… comme ça je suis sûr, en tout cas au niveau du genre, que je suis assez proche du 50-50 (l. 538-542). Ainsi, cette façon de procéder semble garantir une certaine égalité des interactions au niveau quantitatif. Mais qu’en est-il qualitativement parlant ? Par ailleurs, nous retrouvons deux éléments déjà mentionnés : d’une part, des allusions à ces « êtres asexués » que sont les élèves en classe, d’autre part, des enseignant-es conscient-es de leur inconscience au niveau d’une potentielle différenciation involontaire entre les sexes. 117 A l’inverse, une minorité affirme ne pas avoir les mêmes types d’interactions avec les garçons et les filles. Nous nous situons ainsi davantage au niveau qualitatif : alors que Luigi pense « avoir plus de retenue avec des filles qu’avec les garçons » (l. 661), Francine évoque l’idée des garçons « sous-réalisateurs » de Duru-Bellat (1995, 2004b). En effet, elle prétend devoir « plus les motiver » (l. 582) car elle aimerait « qu’ils aient des résultats à la hauteur de leur capacité » (l. 579-580). Dans ce sens, elle sent « qu’ils ont autant de capacité que les filles » (l. 563-564). C’est pourquoi elle souhaite « qu’ils montrent tout ce qu’ils ont… parce que les garçons montrent peut-être moins » (l. 572-573). Ces propos sous-entendent donc que les garçons n’exploitent pas tout leur potentiel ou ne font pas assez d’efforts à l’école. Langage épicène à l’école primaire : inutile, voire absurde En lien avec les interactions, quelle est l’opinion des enseignant-es au sujet du langage épicène ? Tous ignorent le sens de ce terme et pensent n’en avoir jamais entendu parler. Néanmoins, relevons que ceci ne signifie pas que les jeunes enseignant-es n’en ont jamais été informé-es, mais plutôt que cette problématique du langage ne les a simplement pas marquées. Ainsi, de manière à saisir les représentations des enseignant-es, nous leur avons fait prendre connaissance de ce qu’était le langage épicène (cf. annexes). Plus de la moitié de nos sujets a une perception négative de ce langage spécifique : alors que Francine estime qu’il « faut être fou » (l. 612) pour utiliser un tel langage, d’autres le qualifient d’« horrible » (Jeff, l. 582), d’« affreux » (Bill, l. 645), de « ridicule » (Luigi, l. 699 ; Bill, l. 633) ou de « connerie » (Gertrude, l. 629 ; Luigi, l. 691). Jeff se dit « choqué » par ce langage (l. 657) tandis que Bill semble être révolté : « ça a été pendant 150 ans en disant « ceux », mais maintenant en 2012, il faut dire « celles et ceux », non mais c’est n’importe quoi ! » (l. 643644). Différentes raisons sont invoquées pour justifier leur réaction négative. De manière assez relativement majoritaire, ces enseignant-es parlent de complexification du langage, due à l’extension de la phrase ou des redondances qu’il produit : « S’il faut encore réfléchir à ce qu’on dit de manière à utiliser le « il » et le « elle », on ne s’en sort plus » (Gertrude, l. 654655). Une minorité prétend qu’utiliser le langage épicène mène justement à l’effet inverse, soit à la stigmatisation des deux sexes. Luigi pense ainsi : Dire du masculin et du féminin, c’est-à-dire de vraiment stigmatiser les deux sexes, puisque je devrais bien montrer que dans ma classe il n’y a pas que des hommes, mais qu’il y a des hommes et des femmes, qu’il n’y a pas que des êtres que je respecte tous, mais il y a des « êtresses » et puis il y a des êtres et que c’est complètement différent (Luigi, l. 696-699). 118 Dans le même ordre d’idée, Francine s’interroge « Mais pourquoi allez dire ça ? Là, on a dans l’idée que les filles et les garçons sont différents […] donc, dans ta tête, tu as déjà une idée préconçue de l’inégalité » (l. 614-616). D’autres pensent que l’utilisation d’un tel langage n’aura de toute manière pas l’effet escompté sur l’égalité entre les sexes : « Pas besoin de tout décliner au féminin et masculin, on s’en tape, ça ne change rien, c’est du vent pour moi » (Jeff, l. 593-595). Bill affirme d’ailleurs que « c’est aller chercher la petite bête pour rien du tout » (l. 633-638). Dans la suite de cette idée, certain-es enseignant-es certifient que l’utilisation du masculin générique n’a pas d’impact négatif sur les élèves – qu’ils soient filles ou garçons – car ils se sentent tous autant concerné-es. Gertrude est ainsi persuadée : C’est normal, on comprend, on est habitué, il faut arrêter, ça ne choque pas. Ca ne détruit pas l’identité de quelqu’un, même si c’est une fille (l. 656-658). Jeff trouve d’ailleurs que « c’est aussi à l’intelligence des personnes de faire la différence » (l. 592) que le langage ne fait pas. Finalement, ce même enseignant argue que l’utilisation d’un tel langage est « très artificielle » (l. 603). A l’opposé, quelques membres de notre panel d’enquête en ont une vision plutôt positive : Sophie pense que « c’est très bien » (l. 610), mais compliqué et Caroline que « c’est intéressant » (l. 721). De son côté, Jimy affirme l’utiliser – mais ne pas connaître le terme « épicène » – et ainsi, ne pas en être surpris. A ses yeux, ce langage est essentiel pour donner le même poids aux garçons et aux filles en classe : « Si je le fais, c’est pour qu’il y ait autant d’importance du côté masculin que du côté féminin. Je trouve important […] pour montrer qu’il y a les deux […] que tout le monde existe quoi » (l. 600-606). Quant à Caroline, avouant qu’elle n’y avait pas pensé jusque-là, elle serait prête à faire un pas en direction de cette forme de langage si les résultats s’avéraient concluants: « Si ça peut apporter […] un plus au niveau de l’égalité en faisant cette petite amélioration de langage, je veux dire ça ne coûte pas grand-chose. Je le ferais volontiers oui, si on me dit que c’est intéressant de le faire, que ça vaut la peine […] que ça apporte une réelle amélioration pour l’égalité » (l. 726-737). Nous retrouvons à ce niveau-là, le même optimisme perçu précédemment auprès de cette enseignante vis-à-vis d’une potentielle formation continue en lien avec l’égalité des sexes, en cas de réelle nécessité. La moitié des membres du corps enseignant n’utilise pas du tout ce genre de langage à l’école. Bill garantit d’ailleurs que c’est « exclu » (l. 635) qu’il le fasse. D’autres affirment l’utiliser parfois : Gertrude par exemple, à l’aide de termes unisexes tels que « les élèves ». Toutefois, cela se fait « de manière naturelle » (Jeff, l. 597-598), donc indépendamment de cette optique d’égalité : 119 Ce n’est même pas par rapport à l’égalité, voilà, c’est que ça vient comme ça, c’est dans la façon dont je m’exprime, ce n’est pas réfléchi (Sophie, l. 624-626). Par ailleurs, la majorité des sujets juge que l’utilisation d’un tel langage à l’école primaire est inutile. Seul Jimy semble y être favorable, pour la raison susmentionnée. D’ailleurs, il prétend même qu’ainsi « les choses se font encore plus facilement » (l. 611). Quant à Caroline, l’utilité de ce langage est fonction des résultats. Par curiosité, les enseignant-es ont aussi été interrogé-es sur l’utilisation de ce langage en général. Il en ressort qu’il est majoritairement utilisé pour tout ce qui est officiel, tel que les lettres ou les discours. Selon Bill, il ne l’est en tout cas « pas à l’école mon Dieu ! » (l. 653). Impact relativement minimisé des propos stéréotypés ou sexistes Quelles sont les représentations des enseignant-es au sujet des stéréotypes de sexe qu’ils/elles seraient susceptibles de véhiculer ? Celles-ci semblent être, indépendamment du sexe et de la formation, assez hétérogènes. En effet, la moitié considère que leurs collègues n’en véhiculent pas tandis que les autres, dont Bill, pensent l’inverse. Ce dernier estime néanmoins que ceuxci n’ont toutefois pas un grand impact : « On a été éduqué comme ça aussi […] on m’a dit ça quand j’étais petit et je ne m’en porte pas plus mal aujourd’hui » (l. 659-663). Ainsi minimisés, ces stéréotypes de sexe ne semblent pas être si néfastes. A nouveau, une moitié – pas nécessairement les mêmes individus – soutient ne pas utiliser de stéréotypes de sexe face à leurs élèves. Gertrude certifie d’ailleurs ne pas le faire devant la classe « parce que c’est destructeur » (l. 687). Bill fait partie de la part d’enseignant-es supposant en véhiculer. Néanmoins, il garantit que lorsque cela arrive, il « essaie de corriger le tir direct, sur le moment même » (l. 672-673), d’où une réduction partielle, voire totale de leurs effets sur les élèves. Il est intéressant de relever que, comme mentionné plus haut, certains sujets (en l’occurrence quatre) sous-entendent être conscients de leur inconscience. Sophie relève à ce sujet : Inconsciemment je pense oui, parce que c’est dans la société, c’est comme ça, c’est des clichés qui sont ancrés dans la société, puis on les utilise (l. 643-644). Dans le même ordre d’idée, Caroline s’interroge : « Est-ce que de temps en temps je laisse quand même échapper une phrase [stéréotypée] ? C’est possible » (l. 763-764). Finalement, nous avons cherché à explorer un registre supérieur aux stéréotypes de sexe, soit les propos sexistes en milieu scolaire. A l’exception des deux enseignantes expérimentées, nos sujets ne se souviennent pas avoir entendu de propos sexistes chez des collègues ou des professionnels de l’éducation. Certains (Bill, Gertrude et Jimy) affirment, du moins, ne pas en avoir été « choqués ». Par contre, la quasi-totalité mentionne le caractère humoristique de ce 120 genre de propos : Jeff parle de « gags sexués » (l. 177), Bill de « blagues » (l. 682), Jimy de « gags » (l. 632), Gertrude de « côté humoristique » (l. 693-694) et Sophie de « petites réflexions pour plaisanter » (l. 639). Ainsi, ces propos « à caractère sexuel » (Jeff, l. 177) sont à leurs yeux « pour rigoler » (Jimy, l. 633-634) ou « pour plaisanter » (l. 639) : « c’est rigolo, c’est de l’humour » (Gertrude, l. 695-696). Quelques-uns relèvent qu’ils ne sont en rien utilisés pour blesser autrui: Des gags pour décontracter l’atmosphère […] c’est en tout cas pas pour blesser une personne ce sont des gags quoi (Jimy, l. 632-635). De même, Sophie certifie que c’est « plus pour plaisanter que pour être méchant ou pour vraiment créer des inégalités » (l. 639-640). De ce fait, les propos sexistes ne sont pas considérés comme choquants, sauf s’ils sont sérieux : « des blagues, donc jamais vraiment sérieusement » (Jeff, l. 682-683). Nous assistons à une certaine minimisation des effets des propos sexistes sur les personnes, qui deviennent ainsi légitimés dans le milieu scolaire à titre humoristique. Citons à ce sujet les propos pertinents de Mosconi (2011) : « on observe souvent une tolérance singulière au sujet des plaisanteries ou des injures sexistes […]. D’où vient cette tolérance, alors qu’on tolère beaucoup moins les plaisanteries ou les injures racistes ? N’y a-t-il pas une sorte d’acceptation résignée ou complice du sexisme ordinaire […] ? » (p. 58). Quant aux deux autres enseignantes, elles ont toutes deux été, à une reprise, victimes de tels propos réducteurs. Caroline raconte ainsi : « Quand j’ai commencé à travailler à mi-temps, on était deux femmes. Un collègue qui était […] quand même plus âgé disait que « de toute façon les femmes qui étaient à temps partiel, elles travaillaient moins que les autres » » (l. 768-770). Francine nous fait part, à ce sujet, d’une situation d’injustice qu’elle a mal vécue: « Une fois, ils m’ont enlevé le poste parce qu’ils m’ont répondu « petit degré femmes, grand degré hommes » » (l. 42-43). Néanmoins, Caroline prétend qu’en général, elle a l’impression « qu’on vit dans un milieu assez aseptisé pour ça quand même » (l. 775-776). Impact quasi nul sur l’orientation future des élèves selon leur sexe L’ultime groupe de questions de notre entretien touchait à l’orientation future des élèves. La totalité n’a pas l’impression d’exercer une influence sur les élèves selon leur sexe. Pour Jimy même, de manière idéaliste, l’orientation semble relever du libre-arbitre de chacun-e : « Chacun va où il veut » (l. 647) ! Quant à Bill, il tient des propos essentialistes qui semblent le déresponsabiliser de son rôle à ce niveau-là : « On est dans l’ordre physiologique, les filles elles ont plus une veine santé-sociale, les garçons ils ont plus une veine mécanique-technique, est-ce qu’on va vraiment changer ça ? Non, je ne pense pas » (l. 118-121). A nouveau, nous 121 retrouvons, à plusieurs reprises, des allusions à des individus asexués que nos sujets côtoient en classe : « on peut influencer n’importe qui vous savez […] indépendamment du sexe » (Luigi, l. 739-741). Gertrude a néanmoins conscience de l’influence que peuvent exercer les enseignant-es, même si cela ne semble pas être son cas : « L’enseignant a un rôle super important et peut inculquer des choses qui peuvent être dévastatrices, qui peuvent permettre à l’élève de se construire, il y a quand même un rôle qui est énorme et en fonction du regard que l’enseignant peut avoir sur tel ou tel élève, ça peut avoir une influence » (l. 699-702). Par ailleurs, une minorité estime avoir une certaine emprise au niveau du métier enseignant, mais ce, autant du côté des garçons que des filles : Sophie parle ainsi de « donner le goût du métier d’enseignant » (l. 657) tandis que Caroline soutient qu’« un enseignant, qu’il soit homme ou femme, peut donner l’envie à un garçon ou une fille d’être enseignant plus tard » (l. 780-781). Toutefois, rappelons à ce sujet ce qu’avaient mis, plus tôt, en évidence certains enseignants au niveau de l’image véhiculée du métier d’enseignant primaire… Il semblerait donc que les membres de notre panel d’enquête ignorent tout de leur rôle dans cette orientation différenciée selon le sexe. Les propos de Bill sont éloquents : Je ne me rends pas compte dans quel genre on pourrait exercer un impact comme ça. Comment on pourrait exercer un tel impact » (l. 690-691). Nous avons également cherché à connaître l’utilisation du matériel didactique en lien avec l’orientation des élèves. Une moitié affirme n’en avoir jamais utilisé, alors que l’autre l’a fait. Cependant, nous remarquons qu’ils/elles l’ont fait exclusivement dans le cadre de journées organisées pour la promotion des métiers atypiques chez l’un et l’autre sexe, soit de manière relativement obligatoire : « Osons tous les métiers » (Jeff et Francine), « Futur en tous genres » (Gertrude) ou ancienne « Journée des filles » (Caroline). Personne ne semble avoir eu recours à un tel matériel en dehors de ces journées. Par ailleurs, Sophie et Caroline justifient le fait de ne pas utiliser un tel matériel au regard de l’âge des enfants qu’elles côtoient : respectivement, elles estiment qu’ils sont « trop petits » (l. 664) ou « trop jeunes » (l. 790). Ceci semble indiquer qu’elles n’ont pas conscience de pouvoir les influencer, au jour le jour, selon leur sexe. Bilan du rôle de l’enseignant La plupart des enseignant-es prétendent recourir à des pratiques pédagogiques neutres. Pour preuve, toutes et tous admettent avoir affaire à des individus asexués ou, du moins, à les considérer comme tels. La norme implicite d’égalité semble donc être manifestement effective dans le milieu scolaire. Elle l’est à un point tel que les professionnels de l’éducation ne perçoivent pas la socialisation scolaire différenciée qui prévaut entre filles et garçons à 122 l’école. Il semblerait donc bien que prévaut dans le milieu scolaire un certain « leurre de la neutralité éducative » (p. 212), dont parle Zaidman (1996) dans son ouvrage. Illustrons cet « aveuglement » par le mot de la fin relativement idéaliste proposé par Jimy lors de son entretien : J’espère que l’école continue à aller dans ce sens-là, parce que je trouve qu’en tout cas en classe, les élèves ne sentent pas qu’il y a de différences quoi […] à l’école pour moi il n’y en a pas (l. 653-659). La quasi-totalité estime que les relations et les interactions vis-à-vis de leurs élèves sont similaires d’un point de vue du sexe. Néanmoins, une partie des enseignant-es relève tout de même être conscient-es de leur inconscience. En effet, ils/elles conçoivent pouvoir éventuellement être différenciateurs-trices de manière involontaire. A l’inverse, la plupart de nos sujets affirment que les élèves, filles et garçons, ont des relations différentes selon le sexe de l’enseignant-e. La mise en évidence de cette connivence et/ou séduction serait-elle un moyen d’atténuer leurs propres responsabilités dans ces potentielles différenciations inconscientes, avouées à demi-mot ? A un autre niveau, l’évocation des garçons « sousréalisateurs » (Duru-Bellat (1995, 2004b) par l’un de nos sujets nous paraît d’ailleurs aller dans le sens de cette hypothèse. Estimant évoluer dans un milieu scolaire égalitaire en primaire, la majorité des enseignant-es ne perçoit pas l’utilité du langage épicène, auquel certain-es s’opposent d’ailleurs fermement. De plus, la pseudo-légitimation des propos stéréotypés ou sexistes par une partie de nos sujets – à travers la minimisation de leurs effets néfastes ou la mise en évidence de leur caractère purement humoristique – va d’ailleurs dans le même ordre d’idée. Finalement, nous constatons qu’à l’exception du métier d’enseignant pour une minorité, l’ensemble de nos sujets n’a pas conscience d’exercer une influence sur l’orientation professionnelle de leurs élèves filles/garçons. A nouveau, nous relevons « l’aveuglement » des enseignant-es par rapport à leur rôle dans cette orientation différenciée. Ainsi, tel que mis en évidence par Duru-Bellat (2004b), s’appuyant sur les propos de Kelly (1987), l’égalité des sexes « ne semblent pas constituer un « challenge » aux yeux des maîtres » (p. 104). Pourtant, notre cadre théorique a établi à quel point ils/elles en sont des acteurs importants. 123 5. Retour sur les hypothèses Hypothèse n°1 : influence du parcours de vie Les enseignant-es sensibilisé-es à la thématique de l’égalité des sexes dans leur parcours de vie (famille, association(s), etc.) s’efforcent de réduire les inégalités entre les sexes à l’école. Il est difficile de répondre à cette hypothèse pour diverses raisons. D’une part, les influences dans le parcours de vie des individus sont multidimensionnelles (Sapin et al., 2007). Il n’est, de ce fait, pas possible d’évaluer leur impact sur les représentations de l’in-égalité entre les garçons et les filles. D’autre part, au sein de notre panel d’enquête, ni le milieu familial, ni les associations militantes, ne semblent avoir été le théâtre d’une sensibilisation particulière à cette thématique. Ainsi, il est peu probable que ces facteurs soient à l’origine d’un engagement en faveur de l’égalité à l’école. Cependant, la formation pédagogique initiale a pu contribuer à modifier leurs représentations à ce sujet, comme nous l’explorerons dans la quatrième hypothèse. Nous pouvons néanmoins confirmer que l’intérêt porté à cette thématique ainsi que la génération dont sont issu-es les enseignant-es ont vraisemblablement joué un rôle dans leur sensibilité à l’égalité, sans toutefois pouvoir déterminer si celui-ci a été suivi d’un engagement concret. Ces points en suspend pourraient être traités dans une recherche ultérieure et plus complète sur notre sujet. Hypothèse n°2 : vision de la mixité scolaire Les enseignant-es perçoivent la mixité scolaire comme une situation positive et garante de l’égalité entre les sexes à l’école. La plupart des enseignant-es pensent, dans un premier temps, évoluer dans un milieu scolaire égalitaire d’un point de vue relationnel (Mosconi, 2011), tant du côté des élèves que des enseignant-es, tout comme ils/elles ont la conviction que le milieu social l’est aussi (Petrovic, 2011). Forte de ces constats, la totalité affirme, dans un deuxième temps, être entièrement favorable à la situation de mixité scolaire, qui paraît d’ailleurs garantir l’égalité entre les sexes ou, du moins, ne pas avoir d’effets contraires à son égard. Pour preuve, seuls quelques inconvénients mineurs ont été mis en évidence. A l’exception d’un de nos sujets, personne ne semble ainsi se rendre compte de l’impact différencié de cette « co-éducation » sur les garçons et les filles et sur leur orientation professionnelle future. La mixité scolaire n’est donc pas perçue comme une situation problématique (Fontanini, 2005). Nous précisons donc notre hypothèse comme suit : 124 Les enseignant-es perçoivent la mixité scolaire comme une situation positive et. La majorité même estime qu’elle est garante de l’égalité entre les sexes à l’école. Hypothèse n°3 : influence de la conception des différences de sexe Les enseignant-es ayant une conception essentialiste des différences de sexe considèrent la thématique « égalité des sexes » comme peu pertinente et ne recourent à aucune mesure particulière pour atténuer les inégalités entre les garçons et les filles à l’école, tandis que ceux/celles qui adhèrent à la conception constructionniste estiment que l’égalité des sexes fait partie des objectifs éducatifs et cherchent à atténuer les inégalités entre leurs élèves filles et garçons. A première vue, cette hypothèse est trop réductrice et généralise de manière trop simpliste. La situation serait plus complexe : comme relevé dans l’analyse, de multiples facteurs entrent en ligne de compte et modifient les représentations des enseignant-es vis-à-vis de l’égalité de sexe. Ainsi, il s’avère difficile d’évaluer le « poids » de leur conception respective des différences de sexe dans cette recherche ou non d’une certaine égalité à l’école. De manière générale – soit indépendamment de cette conception – nous avons vu que le milieu scolaire ne semble pas être un domaine dans lequel l’égalité des sexes soit réellement un enjeu (duruBellat, 1995), tout comme il ne paraît pas revêtir une importance particulière comme facteur à l’origine des différences entre les sexes. Dans le même ordre d’idée, nous constatons que la plupart des enseignant-es se déresponsabilisent, d’une manière ou d’une autre, de la (re)production ou du maintien des différences de sexe à l’école et/ou font même part d’un certain idéalisme quant à l’atténuation de celles-ci. La représentation de l’école et de leur rôle vis-à-vis de l’égalité des sexes s’avèrent donc relativement neutres, voire même positives. Toutefois, nous avons tout de même pu établir chez nos sujets, une corrélation entre la conception des différences de sexe et leur représentation de l’éducation à l’égalité des sexes à l’école. Il ressort que la totalité des sujets définis comme « constructionnistes » estime qu’une telle éducation est pertinente – mais sous certaines conditions – à l’école primaire, tandis que nos deux enseignants « essentialistes » la considèrent inutile (cf. Profil des différents sujets, en annexe). Est-ce parce que ces derniers considèrent les différences de sexe comme innées, donc immuables ? Nous ne pouvons cependant pas corréler ces représentations à un engagement ou non en faveur de l’égalité garçons-filles en classe. Nous proposons donc de rectifier notre hypothèse comme suit : 125 Les enseignant-es ayant une conception essentialiste des différences de sexe considèrent la thématique « égalité des sexes » l’éducation à l’égalité des sexes comme peu pertinente et ne recourent à aucune mesure particulière pour atténuer les inégalités entre les garçons et les filles tandis que ceux/celles qui adhèrent à l’école, à l’inverse des adeptes de la conception constructionniste, sous certaines conditions de cette différence des sexes estiment que l’égalité des sexes fait partie des objectifs éducatifs et cherchent à atténuer les inégalités entre leurs élèves filles et garçons. La plupart des enseignant-es se déresponsabilisent de la (re)production ou du maintien des différences de sexe et/ou font part d’idéalisme vis-à-vis de leur atténuation par l’école. Hypothèse n°4 : impact de la formation initiale Les enseignant-es expérimenté-es n’ont pas été sensibilisé-es à la problématique genre dans leur formation initiale et n’intègrent de ce fait que peu l’égalité des sexes dans leur pratique, tandis que les jeunes enseignant-es, davantage sensibilisé-es à cette thématique dans leur parcours de formation, cherchent à réduire les inégalités de sexe entre leurs élèves. Bien qu’étant en partie correcte, il nous est impossible de valider cette hypothèse telle quelle. En effet, nous avons constaté l’existence d’un clivage entre les jeunes enseignant-es et ceuxcelles expérimenté-es au niveau de la formation: à l’inverse des seconds (Périsset, 2012), les premiers ont été légèrement sensibilisés à la thématique de l’égalité des sexes et ont connaissance d’une partie du matériel didactique disponible pour dispenser une éducation de ce type. Toutefois, plusieurs indices nous laissent supposer qu’au niveau pratique, ces « jeunes » ne cherchent pas réellement plus que les enseignant-es plus agé-es à réduire les inégalités de sexe entre leurs élèves, sans doute en partie parce qu’ils estiment sur le terrain que la mixité garantit l’égalité (Mosconi, 2008, citée par Guenneuguès, 2011). La formation continue n’est, par exemple, envisagée par personne comme une solution, les enseignant-es ne considérant vraisemblablement pas l’égalité des sexes comme une thématique sensible, donc prioritaire dans le milieu scolaire (Baurens & Schreiber, 2010). A nouveau, il semblerait qu’un engagement en faveur de l’égalité des sexes dans leur pratique dépende de multiples facteurs. Néanmoins, nous ne remettons pas pour autant en doute l’importance et la pertinence d’une telle sensibilisation à la problématique genre ou à l’égalité des sexes dans la formation enseignante. La plupart des jeunes individus de notre panel d’enquête sont, d’ailleurs, de notre avis. En effet, celle-ci représente, à nos yeux, un moyen incomparable pour conscientiser les enseignant-es et ainsi favoriser leurs pratiques en faveur de plus d’égalité entre les filles et les garçons en classe. Nous postulons cependant que les résistances et doutes évoqués par certaines jeunes sont symptomatiques de lacunes dans cette formation spécifique. Nous retrouvons là ce qu’a récemment pointé Plateau (2011), soit « l’absence ou la faiblesse de prise en compte 126 de la dimension de genre dans la formation initiale et continuée du corps enseignant ». C’est, à notre avis, la raison pour laquelle certaines représentations étonnantes de ces individus sensibilisés rejoignent celles des enseignant-es expérimenté-es, comme vu dans notre analyse. De plus, la non conscience des traitements différenciés dont nous parlerons dans l’hypothèse suivante corrobore notre supposition d’une formation inadaptée ou du moins, incomplète. Nous allons donc en conséquence, dans la dernière partie de notre travail, poser les bases d’une formation que nous jugeons appropriée à la thématique de l’égalité des sexes. Notre hypothèse est donc modifiée comme suit : Les enseignant-es expérimenté-es n’ont pas été sensibilisé-es à la problématique genre dans leur formation initiale et n’intègrent de ce fait que peu l’égalité des sexes dans leur pratique, tandis que les jeunes enseignant-es, davantage sensibilisé-es à cette thématique dans leur parcours de formation, cherchent à réduire les inégalités de sexe entre leurs élèves y ont été sensibilisés. Cependant, la formation reçue est insuffisante et peu adaptée aux enjeux réels que ce mémoire tend, modestement, à pointer. Ainsi, les jeunes enseignant-es n’ont pas bénéficié d’un approfondissement amenant une prise de conscience susceptible de modifier les pratiques. Hypothèse n°5 : « aveuglement » des professionnels A travers un traitement égalitaire affirmé au niveau discursif, la majorité des enseignant-es n’a pas conscience d’adopter des pratiques inégalitaires envers leurs élèves et de renforcer, de fait, les inégalités entre les garçons et les filles à l’école, et par conséquence, de différencier leur orientation future. Cette hypothèse est confirmée. En effet, la majorité des enseignant-es prétend adopter des pratiques pédagogiques neutres. Dans le même ordre d’idée, les interactions et relations entretenues avec leurs élèves sont prétendues similaires. D’ailleurs, à de nombreuses reprises, ils/elles font allusion à des individus asexués à qui ils/elles ont affaire en classe. La variable sexe ne revêt donc pas, de manière discursive, une importance considérable à leurs yeux : la norme implicite d’égalité (Mosconi, 2009) qui prévaut semble donc garantir la neutralité pédagogique dans le milieu scolaire (Zaidman, 1996). A ce sujet, rappelons que ce dernier n’est pas considéré comme un domaine dans lequel l’égalité des sexes est réellement un enjeu (Duru-Bellat, 1995, 2004b). Pourtant, suite à l’évocation de nombreuses différences existantes entre les deux groupes de sexe, nous sommes persuadé que les enseignant-es expriment des attentes envers leurs élèves-filles et élèves-garçons (Rouyer, 2007) qui, manifestement, diffèrent, d’où des pratiques vraisemblablement aussi différenciées. Tout au long des entretiens se dégage ainsi « l’aveuglement » des enseignant-es à la socialisation scolaire différenciée des garçons et des filles à l’école (Chaponnière, 2006 ; Baudino, 2008). 127 D'ailleurs, certain-es avouent même être conscient-es de leur inconscience vis-à-vis de potentiels traitements différenciés involontaires. De plus, cet « aveuglement » caractérise aussi leur rôle dans l’orientation professionnelle des élèves : ils/elles n’ont, en effet, pas conscience de pouvoir exercer un impact à ce sujet. La plupart des membres du corps enseignant, ainsi « aveugles » aux différences intersexes et à leur propre influence sur l’orientation de leurs élèves, ne considèrent pas le langage épicène comme utile à l’école primaire, ne cherchent pas concrètement à parvenir à davantage d’égalité entre garçons et filles à l’école et ne semblent ainsi pas disposés à dispenser actuellement en classe une éducation à l’égalité des sexes. 128 6. Vers une formation appropriée à l’égalité des sexes Les enseignant-es considèrent majoritairement évoluer dans un milieu scolaire (et social) égalitaire. Selon Fassa et al. (2010), « on observe actuellement un backlash en ce qui concerne l’égalité entre les sexes. Ce dernier tient en partie à la certitude partagée par beaucoup que, dans le domaine de la formation tout au moins, l’égalité est réalisée » (p. 6). Ainsi, « l’aveuglement » des membres du corps enseignant aux traitements différenciés selon le sexe des élèves, mis en évidence dans de nombreuses recherches, dont la nôtre, découle vraisemblablement de cette représentation égalitaire. Pourtant, nous savons désormais qu’en dépit d’une prétendue norme implicite d’égalité, « l’école est loin d’être neutre du point de vue du genre » (Peillon & Vallaud-Belkacem, 2012). Les enseignant-es tendent, en effet, à appliquer – au jour le jour, à travers divers mécanismes inconscients – un traitement préférentiel aux garçons, lourd de conséquences au niveau des orientations scolaires et professionnelles, donc de l’avenir des enfants. En effet, « la limitation du « champ des possibles de chacun » (Adriaenssens, 2010, p. 167) semble être la principale conséquence de la différenciation entre garçons et filles. Une prise de conscience de cette socialisation différenciée paraît donc indispensable afin de parvenir à une égalité de facto entre les sexes à l’école ou du moins, à s’en approcher le plus possible. En effet, « de manière générale, les enseignants en formation montrent une grande foi dans le pouvoir émancipateur et égalitariste de l’école et ils ont du mal à croire qu’ils peuvent être inconsciemment inéquitables » (Collet & Grin, 2011, p. 31). Une formation à l’égalité des sexes dans la formation initiale des enseignant-es s’avère, à nos yeux, indispensable. Baurens et Schreiber (2010) sont, d’ailleurs, tout autant convaincues « qu’une formation des enseignant-e-s à l’égalité de genre est fondamentale » (p. 85). A ce sujet, nous avons pu constater que l’ouverture des HEPs a fait un pas dans ce sens : en effet, les enseignant-es étant passé-es par cette institution ont manifestement bénéficié d’une certaine sensibilisation à la problématique genre ; constat qui ne peut que nous réjouir. Néanmoins, celle-ci ne semble pas suffisante ! A ce propos, Fassa et al. (2010) soutiennent d’ailleurs que « les questions de genre ne font toujours pas partie de la formation du corps enseignant – ou alors à un dosage si homéopathique que nous pouvons douter de son efficacité » (p. 9). En effet, dans notre panel, les jeunes enseignant-es paraissent ne pas être notoirement plus égalitaires que leurs collègues expérimenté-es et sont, d’ailleurs, tout autant aveugle aux différences de traitements entre garçons et filles en classe. Ainsi, tel que l’a souligné récemment l’ARGEF : Aujourd’hui encore, certaines pratiques enseignantes entretiennent des inégalités de fait, préjudiciables aux élèves des deux sexes. C’est la raison pour laquelle il est urgent de 129 former tout-e-s les enseignant-e-s et l’ensemble des personnels qui concourent à l’éducation et à l’orientation des élèves. (2012) Sans prétention aucune, notre souhait est donc de poser les jalons d’une formation appropriée au genre dans les HEPs, qui nous l’espérons, permettront aux enseignant-es de dispenser, à leur tour, un réel enseignement égalitaire à l’école primaire. D’ailleurs, Fassa et al. (2010) soulignent l’importance d’une telle formation : La plupart des auteurs et des autrices mettent en relief la nécessité d’une formation approfondie au genre pour les professionnel-le-s de l’éducation et de l’intervention sociale, tant son absence laisse la place aux idéologies ordinaires et aux explications/justifications de type naturalisant. (p. 10) Rappelons-le : nous ne cherchons nullement à « inverser la tendance », mais voulons, comme Peillon et Vallaud-Balkacem (2012) – respectivement ministre de l’Education Nationale en France et ministre des droits des femmes ainsi que porte-parole du gouvernement – qu’indépendamment de leur sexe, les filles et les garçons, « les femmes et les hommes aient le choix, aient tous les choix possibles, parce que c’est un impératif citoyen, un impératif social et un impératif économique ». Le but ultime d’une telle formation à l’école est donc de (trans)former les enfants en des citoyen-nes « [émancipé-es] capables de comprendre, d’interroger voire de critiquer le fonctionnement de la société et d’exercer leur libre-arbitre » (ibid), de manière à pouvoir opérer des choix libres, soit non-contraints par les normes genrées ou les stéréotypes sexués, tant du côté des garçons que des filles. En effet, « on ne pourra produire des rapports égalitaires que si l’on éduque réellement les enfants et les jeunes à l’égalité des sexes » (Mosconi, 2011, p. 56), mais pour cela faut-il encore que les enseignant-es déjà y soient éduqué-es ou du moins, sensibilisé-es de manière adéquate. Ainsi, l’objectif d’une formation à la problématique genre dans le cursus initial des enseignant-es est principalement de provoquer une prise de conscience de l’existence d’inégalités de genre dans leurs pratiques, qui nous l’espérons, déclenche une dynamique de questionnement et ait pour conséquence de les modifier (Baurens & Schreiber, 2010). Dans un deuxième temps, dans l’idéal, nous osons croire que ces enseignant-es désirent transmettre cette formation spécifique à leurs élèves au travers d’une éducation à l’égalité des sexes à l’école. Par ailleurs, relevons que nous sommes néanmoins conscient de l’existence de nombreuses sources d’influences autres sur les enfants. Ainsi, l’école « n’est qu’une instance qui agit avec et parmi d’autres » (Fassa et al., 2010, p. 14). Cependant, nous sommes persuadé que le milieu scolaire peut largement contribuer à renforcer l’égalité entre les élèves et, par là même, atténuer les différences de sexes, au travers d’une « pédagogie antisexiste » (Pasquier, 2010, 130 p. 60) en classe, soit le traitement égal des élèves filles/garçons et le refus de corréler le sexe à un quelconque rôle prédéfini à tenir dans la société. Les propositions et pistes de réflexion qui vont suivre, basées sur différents articles, pourront donc éventuellement être à même de guider les personnes désirant former les futur-es enseignant-es à cette problématique genre. 6.1. Conditions pour une formation au genre Partant, tout d’abord, du constat optimiste d’Eliot (2009/2011) : « L’égalité des sexes peut s’apprendre […] les études montrent que les enseignants [à qui] l’on aide à prendre conscience de leurs préjugés, et à qui l’on propose des techniques précises pour les surmonter […] finissent bel et bien par éduquer plus équitablement les deux sexes » (p. 235). Sous quelle forme devrait donc se présenter, idéalement, une telle éducation à l’égalité des sexes dans le cursus de formation initiale des futur-es enseignant-es et quel devrait en être son contenu ? Sur la forme… Tout d’abord, il faudrait systématiquement rendre cette formation au genre obligatoire et non plus optionnelle comme c’est encore trop souvent le cas (Petrovic, 2011). En effet, les étudiant-es « disposent de peu de connaissances liées à leur profession, et encore moins sur le genre à l’école » (Baurens & Schreiber, 2010, p. 79). Dans la même optique, Fontanini (2005) met aussi en évidence l’ignorance de la plupart de ces individus vis-à-vis des savoirs émanant des sciences humaines et sociales, soit, entre autres, les connaissances au niveau du genre. De plus, comme relevé à quelques reprises dans notre travail, les formations facultatives touchent de manière évidente majoritairement des personnes déjà sensibilisées. Logiquement, peu de résistances surviennent, ces individus étant à la recherche de réponses à leurs questions et/ou d’outils pédagogiques. Ainsi, rendre cette formation obligatoire signifie pour les formateurstrices, être prêt-es, non pas à faire « face », mais plutôt à essayer de faire « avec » des personnes non volontaires, d’où le risque accru d’apparition de réactions virulentes ou de résistances, comme nous le verrons ci-dessous, telle que la remise en question de la légitimité actuelle de cette thématique. De plus, « la compréhension et l’assimilation [des] connaissances » (Fontanini, 2005, p. 108) – termes et concepts spécifiques à cette thématique – tout comme la prise de conscience et la remise en question – de ce qui allait jusqu’à présent de soi – qui s’en suit, nécessite du temps. Petrovic (2011) propose ainsi la mise en place de plusieurs séances espacées « pour permettre aux participants de s’interroger et développer avec eux les points qui suscitent le plus d‘intérêt, avec des documents, vidéos, exposés, etc. » (p. 33). Mosconi (2009) confirme d’ailleurs ces propos, certifiant qu’une certaine durée est indispensable pour que se fasse dans 131 ce domaine un travail en profondeur. Plus concrètement, Collet et Grin (2011) parlent d’« ateliers hebdomadaires d’une heure et demie » (p. 30), tandis que Baurens et Schreiber (2010) vont plus loin, suggérant une formation de deux heures. Quant à la durée, Fontanini préconise que ces différentes séances s’étalent sur une année, de manière à parvenir à « une véritable formation qui ne se réduit pas à quelques constats et éléments d’explication, mais qui donne les outils d’analyse permettant de construire de l’égalité à l’école » (p. 108). Plateau (2011), de manière quelque peu utopiste, parle même de plusieurs années, prétendant que l’incorporation d’une telle matière « se fait progressivement […] et n’est jamais terminé ». La problématique genre, questionnant des savoirs constitutifs de l’identité de chaque personne – tels que l’in-égalité des sexes, les différences intersexes, ainsi que les origines de cette différenciation – « provoque des remises en question identitaires et des interrogations pas toujours sereines sur son éducation, celle donnée comme celle reçue » (Petrovic, p. 33), d’où l’émergence potentielle de résistances. Ainsi, il serait judicieux d’opter pour une telle forme pour permettre aux étudiant-es de « faire des va-et-vient entre théorie et pratique » (Fontanini, p. 112) et prendre ainsi conscience, de manière individuelle, de ces pratiques inégalitaires à l’école. Par ailleurs, il conviendrait d’avoir affaire, dans l’idéal, à des groupes de participants restreints, d’une vingtaine de personnes au maximum (Petrovic, 2011), vraisemblablement pour impliquer davantage les étudiant-es et leur permettre d’exprimer plus librement leur opinion. En outre, Fontanini suggère de varier les manières de travailler : individuel, par groupes et collectif. Sur le fond… Petrovic (2011) propose ainsi de débuter une telle formation en faisant émerger les diverses représentations des sujets – « si profondément ancrées et partagées » (p. 33) – par un tour de table auquel chacun-e est invité-e à s’exprimer sur l’in-égalité de manière personnelle, professionnelle et/ou sociale. En effet, selon Plateau (2011), « il ressort la nécessité impérieuse de prendre en compte les représentations initiales des acteurs concernés pour espérer influer les pratiques ». Pour déconstruire ces représentations tenaces, il convient, d’une part, de désamorcer les résistances (nous identifierons des stratégies ci-dessous), puis de mener « une réflexion de fond sur les inégalités de sexe. Pratiques enseignantes, programmes scolaires, supports pédagogiques… doivent être évalués à l’aune d’une mixité réfléchie, assumée, volontariste pour être véritablement émancipatrice » (ARGEF, 2012). Nous nous inspirons des « points de vigilance » proposés par Baurens et Schreiber (2010) et les complétons à l’aide des connaissances acquises lors de ce travail pour soumettre différentes thématiques pertinentes à aborder avec les étudiant-es en formation dans le cadre de leur future profession (l’ordre est sans importance et la liste non-exhaustive): la mixité scolaire et ses effets, la norme implicite d’équité, les interactions différenciées, les stéréotypes 132 sexués et leurs conséquences (effet Pygmalion, autoréalisation de la prophétie), les manuels scolaires, le langage épicène ainsi que les conceptions des différences de sexe. Pour chacun de ces thèmes, les formateurs-trices pourront d’ailleurs trouver, dans notre cadre théorique, des références intéressantes. Néanmoins, selon Mosconi (2009), l’erreur serait de dispenser uniquement une formation de type théorique, à savoir constituée de cours et de conférences. Celle-ci s’avère, en effet, inefficiente : comme vu précédemment, les savoirs de sens commun, profondément intériorisés et sources de nombreuses représentations, guident inconsciemment les enseignantes et les poussent à adopter involontairement des pratiques inégalitaires en classe envers leurs élèves de sexe différent (Mosconi). Ainsi, de l’avis de cette même auteure, « l’exposé théorique entre en contradiction avec les savoirs de sens commun, mais surtout met les personnes face à leurs propres contradictions et leurs incohérences entre leurs idéaux d’égalité, de laïcité et de neutralité républicaine et leurs pratiques effectives » (p. 5), suscitant l’apparition de fortes résistances. Tel que préconisé par cette auteure, il convient donc plutôt de jongler entre apports théoriques et mises en situation concrètes : jeux de rôles, auto/hétéroobservations à partir de vidéos ou en classe, ou d’autres éléments impliquant personnellement chacun-e. Dans le même ordre d’idée, la présentation et l’utilisation d’instruments d’analyse peuvent aider les futur-es enseignant-es à prendre conscience de certaines pratiques inégalitaires dans le milieu scolaire: analyse de manuels, grilles d’observation, exemples d’innovations égalitaires, etc. (Baurens & Schreiber, 2010). D’un autre point de vue, relever un certain nombre d’outils pédagogiques concrets utilisables en classe avec leurs élèves – nous y reviendrons - et les inviter à en tester au moins un s’avère aussi être une stratégie intéressante pour les impliquer. Par ailleurs, Fontanini (2005) soutient que l’intervention ou le témoignage d’hommes et de femmes du « terrain », tels que des personnes exerçant un métier atypique et/ou des membres actifs d’associations liées à cette thématique, ainsi que de spécialistes peuvent contribuer à sensibiliser davantage les étudiant-es. Nous percevons donc les différentes dimensions, théoriques et pratiques, à explorer au cours d’une formation à la problématique genre, pour varier son contenu et impliquer un maximum d’étudiant-es. 6.2. Outils à disposition des enseignant-es Selon Pasquier, « la prise en compte de l’égalité des sexes est parfois difficile à articuler avec les enseignements traditionnels, faute d’outils ou de contenus pédagogiques déjà constitués et aisément transposables dans une pratique personnelle » (2012, p. 67). Plateau (2011), dans sa conclusion, pointe d’ailleurs aussi le manque d’outils ou de propositions d’activités concrètes relevé par les enseignant-es suite à son intervention. Nous souhaitons donc, à ce stade, relever un certain nombre d’instruments ou matériels didactiques à disposition des enseignant-es du 133 primaire, permettant d’éduquer leurs élèves à l’égalité des sexes en classe ou d’assurer leur évolution dans un milieu le plus neutre possible (à l’aide d’une littérature égalitaire par exemple). Nous nous adressons donc tant aux formateurs-trices qu’aux membres du corps enseignant désireux de faire un pas en direction de l’égalité des sexes à l’école. Bien entendu, nous n’avons pas la prétention d’établir un listing exhaustif des nombreux outils existants dans ce cadre-là, mais plutôt de relever quelques-uns nous semblant pertinents à utiliser avec nos élèves. Nous laissons donc le soin à nos lecteurs-trices de se référer au tableau en annexe, s’intitulant Liste non-exhaustive d’outils pour une éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire. Par ailleurs, Sensi et Manço (2010) proposent une série de six ateliers-animations intéressants à mener avec ses élèves en classe sur l’égalité filles/garçons et les stéréotypes de genre. Toutefois, nous tenons à relever le « travail paradoxal » (Pasquier, 2010, p. 68) dans lequel se lancent les enseignant-es souhaitant travailler avec leurs élèves sur l’égalité des sexes. En effet, « il est loin d’être simple de construire des pratiques pédagogiques non-marquées par la différenciation entre les sexes » (Fassa et al., 2010, p. 12). Nous recommandons d’ailleurs l’article de Pasquier susmentionné, car il est éloquent au sujet des enjeux et craintes d’une telle éducation à l’école primaire. 6.3. Typologie des réactions face à l’égalité des sexes Nous savons que les enseignant-es ont, selon leur parcours de vie et leurs intérêts, des représentations et des besoins très différents sur la problématique genre en éducation et sur l’in-égalité des sexes. Suite à leur enquête, Collet et Grin (2011), ont pu ainsi catégoriser trois types d’enseignant-es en fonction de leurs réactions face à une telle formation. D’autres chercheuses, telles que Baurens et Schreiber (2010), Mosconi (2011) ou Plateau (2011) confirment d’ailleurs l’existence de ces mêmes trois catégories. Une petite minorité semble être déjà convaincue par cette problématique, car elle y a été sensibilisée précédemment. Néanmoins, ces individus ont l’impression d’être isolés et considère leur conviction comme peu légitime. Des outils et de la pratique leur seraient nécessaires pour passer concrètement à l’action en classe. La majorité des membres du corps enseignant, semble avoir déjà vaguement entendu parler de la question. Le sujet leur paraît intéressant, mais ils « ne voient pas particulièrement en quoi, aujourd’hui, dans leur classe, ils sont concernés » (Collet & Grin, 2011, p. 31), d’où le rejet de la responsabilité sur les familles, les médias, leurs collègues machos, etc. – des éléments relevés dans nos résultats – mais, en tout cas pas 134 sur eux-mêmes ou sur l’école, ainsi qu’une réticence à agir à ce niveau-là (Mosconi, 2011). Une minorité est composée de résistants, soit de personnes s’opposant violemment à ce type de discours, soit parce qu’il « porte atteinte à leur identité professionnelle [et/ou] personnelle » (Mosconi, 2009) car contredisant leurs propres valeurs ou croyances (Mosconi, 2011), soit par transformation du réel message délivré par les formateurs-trices en « discours idéologique discriminant » (Collet & Grin, 2011, p. 31). Ces mêmes auteures, en accord avec Baurens et Schreiber (2010), nous mettent d’ailleurs en garde contre les individus de ce dernier groupe, car « leurs interventions souvent véhémentes confortent les deux autres groupes dans leur position et risquent de rendre finalement tout le dispositif contreproductif » (p. 31). C’est pourquoi nous estimons, à présent, pertinent de relever, d’une part, les différentes résistances « passives ou explicites » (ibid, p. 74) pouvant apparaître au cours d’une formation au genre et, d’autre part, de proposer des stratégies pour les désamorcer. 6.4. Résistances probables Appuyons-nous sur les propos de Baurens et Schreiber (2010) pour identifier la nature des attitudes défensives présentes chez les enseignant-es au cours d’une formation à la problématique genre : une résistance est « une réaction à une menace ressentie : menace de perte de liberté pédagogique et de liberté de jugement, voire même de perte identitaire » (p. 82). Ainsi, il est évident que, questionnant, voire remettant en doute leurs propres pratiques dans le milieu scolaire, du point de vue d’une égalité paraissant acquise, certain-es étudiant-es se sentent menacé-es et se défendent, de manière parfois agressive. En effet, ce sujet touche à une « zone sensible de l’identité », car il « renvoie directement à sa propre manière de gérer sa vie affective, sexuelle, parentale, domestique, professionnelle… » (Sensi & Manço, 2010, p. 42). Petrovic (2004a) certifie d’ailleurs que « si les remises en questions sont difficiles, elles le sont d’autant plus lorsqu’elles concernent notre identité et notre rapport à l’autre » (p. 84). Fontanini (2005) explique l’apparition ou non de résistances, comme suit : Les contenus de [cette] formation peuvent entrer en contradiction avec certains éléments des représentations personnelles (Fischer, 1996). Si le degré d’incohérence n’est pas trop grand, il y a interrogation, débat et, éventuellement, adaptation de [cette] grille de lecture pour qu’elle [la personne] intègre l’élément nouveau. Si l’incohérence devient trop forte, il y a rejet de cet élément comme perturbateur, et le rejet est d’autant plus violent que la contradiction est grande. (p. 110) 135 De ce fait, il convient, d’une part, de connaître les principales résistances, puis de mettre en œuvre certaines « stratégies » pour les contourner ou du moins, assurer que l’incohérence dont parle cette dernière auteure ne soit pas trop importante. Le « mythe de l’égalité des sexes » constitue l’une des principales résistances (Petrovic, 2011, p. 32). En accord avec nos résultats, la plupart des enseignant-es prétendent, en effet, que l’égalité entre les sexes est réalisée dans la société, d’où le risque de remise en question des statistiques et des savoirs transmis, comme l’a montré Fontanini (2005), voire même de « déni des inégalités sexuées » (Plateau, 2011). De ce fait, l’égalité n’étant pas un problème de société, nous comprenons qu’ils/elles puissent douter de la pertinence d’une formation à l’égalité des sexes, qui s’apparente à un « combat passéiste » (Baurens & Schreiber, 2010, p. 81). Pour rappel, relevons les propos de Sophie par rapport à la formation reçue au niveau de la problématique genre : Je pense qu’on n’a pas le besoin d’aborder cette thématique […] je pense que ce n’est pas nécessaire […] à l’ancien temps, enfin au tout début où la femme commençait à s’imposer dans la société, égale à l’homme, là je pense qu’il y avait le besoin de rappeler à certains ou certaines que la femme avait les mêmes capacités, devait être traitée de la même façon, mais maintenant c’est rentré dans les mœurs. (l. 446-460) Il s’avère donc primordial de débuter une telle formation par « apprendre à désapprendre » (Petrovic, 2011, p. 32) ce mythe spécifique, soit de faire reconnaître cette illusion d’égalité sous peine de compromettre cet enseignement particulier, par l’émergence de fortes résistances. D’ailleurs, dans la suite de cette idée, Fassa et al. (2010) mettent en exergue l’existence d’une même « illusion de neutralité » (p. 9) dans le milieu scolaire. Ainsi, Plateau (2011), suite à une expérience de sensibilisation à l’égalité filles/garçons dans une école, affirme que les enseignant-es considéraient « qu’il n’était pas nécessaire d’intervenir dans un contexte scolaire où […] la question des inégalités était dépassée ». Ainsi, affirmer que l’école est inégalitaire et que les enseignant-es contribuent au maintien, voire à la (re)production de ces inégalités peut être mal vécu et provoquer de leur part, « rejet, défense et agressivité » (Fontanini, 2005, p. 109). Dans son article, Petrovic propose de nombreuses pistes intéressantes à appliquer pour dépasser certains arguments et opinions à ce sujet. Néanmoins, elle souligne à quel point il est indispensable de répondre sans fermer la discussion « au risque d’instaurer un rapport de dominant à dominé entre celui-celle qui détiendrait un savoir « juste » et celui-celle qui aurait un savoir « faux » » (p. 33), ce qui aurait pour unique conséquence de conforter le sujet résistant dans son opposition. Quant à Plateau, elle suggère l’utilisation « [d’] une grille de lecture intégrant la dimension de genre 136 afin de repérer les multiples manifestations, parfois voilées, du sexisme dans le monde de l’école ». Baurens et Schreiber (2010) évoquent deux autres certitudes pouvant faire obstacle à une telle formation chez les futur-es enseignant-es. La première est une vision des inégalités sexuées constatées résultantes en réalité de différences normales – donc naturelles – entre les garçons et les filles, soit une confusion entre les termes « inégalité » et « différence » (Fontanini, 2005) chez certaines personnes. Ainsi, des résistances se font jour par « peur du bouleversement de l’« ordre naturel » entre les sexes » (Fassa et al., 2010, p. 12). Au nom d’une prétendue « différence et complémentarité des sexes, elles défendent la légitimité de rôles sexués différenciés et d’un ordre sexué sous lequel elles masquent et se masquent les inégalités sexuées réelles » (Mosconi, 2011, p. 58). Ceci engendre de la perplexité par rapport à la véracité du contenu des éléments scientifiques exposés et/ou des interrogations générales sur la thématique ou sur les « risques des mesures égalitaires » (Baurens & Schreiber, 2010, p. 81). Rappelons à ce sujet, le discours de Bill : C’est peut-être un endoctrinement le cours qu’on a reçu parce que je suis sûr que les gamins ils ne s’en portent pas plus mal […] on nous dit, que ce soit vrai ou pas, il y a des études qui le prouvent toujours, on nous dit, à cause de ça […] on crée des inégalités hommes-femmes (l. 260-267). La conviction relativement commune que l’école n’y peut rien, qu’elle n’a pas de réel pouvoir vis-à-vis de cette égalité des sexes constitue le deuxième écueil. Ceci génère doutes et craintes – comment faire ? – face à leur rôle dans ces changements égalitaires, menant de ce fait à un certain sentiment d’impuissance, d’où, parfois, « une remise en question de [la] pertinence » de cette thématique en classe (Baurens & Schreiber, 2010, p. 80). Mosconi (2011) suggère un type de résistance différent : la question de l’égalité des sexes divisant actuellement toujours la société au travers de différents courants opposés, les enseignant-es craignent peut-être de se positionner, de s’engager dans ces conflits et de « prendre des initiatives, dans un domaine si controversé » (p. 57). 6.5. Stratégies de contournement des résistances En dépit de ces résistances tenaces, suite à une expérience de six ans, Baurens et Schreiber (2010), expertes au niveau de la formation genre en Institut universitaire de formation des maîtres [IUFM] dressent néanmoins un bilan positif de l’impact de ces cours particuliers sur les futur-es enseignant-es: « La majorité s’inscrivent dans une dynamique de questionnement, de vigilance, ou même déclarent vouloir modifier leur pratique » (p. 81). En effet, elles ont 137 élaboré, affiné et usent, actuellement encore, de différentes stratégies « [concourant] à désarmer au maximum les points de menace [et] à rassurer les stagiaires sur la faisabilité et la légitimité de la tâche à entreprendre » (ibid, p. 82). Nous tenons donc à en présenter quelquesunes. Pour de plus amples informations, nous prions nos lecteurs-trices intéressé-es de se référer à leur article. Tel que préconisé par Petrovic (2011) précédemment, ces auteures mettent en évidence l’importance d’un brainstorming en début de formation, rendant possible l’émergence des représentations des étudiant-es. En effet, permettre à chacun-e de prendre la parole et de donner son avis par rapport aux idées d’autrui « [crée] un climat de coopération et […] décharge » (Baurens & Schreiber, 2010, p. 82) les formateurs-trices de leur statut de contradicteurs-trices souvent corrélé à leur position hiérarchique. Cette stratégie est d’ailleurs aussi un moyen d’impliquer ces étudiant-es pour qu’ils/elles se sentent concerné-es. Ainsi, évoquant leurs expériences – « par le bas » – des différences de genre dans le milieu scolaire, anticipant vraisemblablement certaines thématiques de la formation, nul besoin de « plaquer des connaissances par le haut » (ibid, p. 83), ce qui facilite la reconnaissance de la thématique genre. Dans ce même ordre d’idée, lors du premier cours, il serait judicieux de présenter brièvement les différents thèmes susceptibles d’être abordés dans la formation (cf. Conditions pour une formation au genre), puis de laisser les étudiant-es sélectionner ceux les interpellant, de manière à les approfondir lors des séances suivantes. Cette stratégie a, selon ces mêmes auteures, deux effets bénéfiques : « susciter un désir de vouloir en savoir plus » et mettre en relief « que le genre infiltre toutes les pratiques enseignantes » (ibid, p. 84). De plus, souhaitant éviter de paraître dogmatique, de prêcher la bonne parole ou de prescrire une vérité absolue, il convient de s’adresser au groupe-classe pour prendre quelques précautions vis-à-vis des généralisations utilisées lors du cours. Une étape cruciale consiste donc à « desserrer le lien entre le cas général […] et l’expérience de chacun-e » (Baurens & Schreiber, 2010, p. 83). Il est indispensable que les étudiant-es sachent qu’il existe, en effet, des variances dans les moyennes statistiques : bien que la plupart des garçons/filles agissent par exemple de telle manière, il n’est pas possible de prédire de manière individuelle un comportement, d’où l’existence d’attitudes, de comportements, de rôles atypiques. Par ailleurs, il est nécessaire que ces individus prennent conscience que la formation vise à œuvrer pour le bien des deux sexes et que la mixité scolaire cherche dans tous les cas à être préservée. En effet, certain-es peuvent percevoir l’action des formateurs-trices comme cherchant à « sauver » les filles (féministe) ou les garçons (masculiniste) ou – mettant en évidence les dysfonctionnements de la mixité – comme une volonté implicite de retour à la non-mixité. Il est donc primordial d’aboutir à une connivence entre étudiant-es et formateur-trice à ces niveaux-là. Finalement, pour désamorcer les résistances liées au doute sur la légitimité d’une 138 telle fonction égalitariste de l’école, il convient de mettre en exergue la loi et les missions officielles de cette institution dévolues aux étudiant-es: « Le cœur de leur mission étant la transformation individuelle et sociale, ils sont bien là pour proposer d’autres modèles que ceux qui existent déjà dans l’histoire de l’élève et dans son environnement » (ibid, p. 85). Nombres de déclarations d’intentions, recommandations ou textes de loi existent à ce sujet, mais sont, bien souvent, méconnus des futur-es enseignant-es, comme souligné dans de nombreuses recherches. Ces mêmes auteures estiment que cette façon de procéder permet ainsi de dépasser leur sentiment d’impuissance susmentionné. Ces quelques pistes stratégiques, ainsi que d'autres, non mentionnées, permettent ainsi d’aboutir à une intervention des formateurs-trices « moins conflictuelles », dans une « ambiance plus sereine » (Baurens & Schreiber, 2010, p. 85), ce qui facilite logiquement l’apprentissage. 6.6. Conditions supplémentaires pour davantage d’efficacité Selon Collet et Grin (2011), deux conditions complémentaires s’avèrent toutefois essentielles pour agir concrètement sur les pratiques et représentations des enseignant-es. Tout d’abord, « pour désenclaver et dépersonnaliser la question du genre en éducation » (p. 31), il est nécessaire d’assurer un relais entre tous les formateurs et toutes les formatrices. Ceci nous semble être un sérieux obstacle, dans le sens où, bien souvent, chaque formateur-trice se spécifie dans un domaine particulier et ne s’aventure que rarement à faire des liens interdisciplinaires, surtout lorsque les connaissances leur manquent. Bernard Schneuwly – directeur de l’Institut universitaire de formation des enseignants de Genève – interviewé par Collet (2011), suggère une « approche intégrée du genre […] dans les modules d’approche transversale et dans les didactiques » ; méthode permettant d’éviter « de faire du genre un sujet spécifique, à part et donc sans rapport avec le reste de l’enseignement » (p. 33). Ainsi, le genre devrait, dans l’idéal, être traité tout au long de l’année dans la formation et permettre aux futur-es enseignant-es de prendre conscience de l’omniprésence de cette thématique dans le quotidien de la classe. Dans cette optique, une formation à long terme s’avère nécessaire : en effet, « pour pouvoir « chausser les lunettes du genre » en éducation, il faut y avoir été plusieurs fois sensibilisé » (Collet & Grin, p. 30) ! Nous rejoignons là les propos de Fontanini (2005). D’autre part, dans la suite de cette idée, il convient d’articuler une telle formation avec les cours de perfectionnement proposés aux enseignant-es, soit la formation continue. Sensi et Manço (2010) sont d’ailleurs de cet avis, tout comme Adriaenssens (2010) qui estime qu’il serait nécessaire d’aboutir à une « réelle prise en compte de la dimension de genre dans l’enseignement tant au niveau de la formation initiale que continue des […] acteurs de 139 l’éducation » (p. 169). En effet, intégrer cette problématique à la formation continue permettrait, à nos yeux, de rester continuellement vigilant vis-à-vis de cette thématique spécifique, de faire des « allers-retours » entre théories et terrain, ainsi que d’évaluer les progrès établis en termes pratiques dans sa classe. Sur ces deux pistes de réflexion additionnelles, nous concluons cette discussion sur la nécessité de mettre en place une formation « appropriée au genre » dans le cursus initial des futur-es enseignant-es. 6.7. Piliers d’une formation appropriée à l’égalité des sexes Pour résumé, passons brièvement en revue les différents éléments essentiels à la mise en place d’une formation adéquate à l’égalité des sexes dans le cursus initial des futur-es enseignantes. Tout d’abord, il convient de régler les problèmes formels liés à l’aspect facultatif, à la brièveté et à la concentration d’une telle formation (Fontanini, 2005). Ainsi, nous proposons de mettre sur pied une formation obligatoire composée de séances hebdomadaires de 1h30 à 2 heures s’étalant au minimum sur une année, permettant un réel travail sur le fond et un allerretour entre théorie et pratique sur le terrain. En effet, un « projet one shot » ne semble pas constituer la solution idéale : son inefficacité a d’ailleurs été démontrée par Plateau (2011). Par ailleurs, pour une question de stimulation et de participation des étudiant-es, chaque groupe devrait dans l’idéal comporter un maximum de vingt participants. Le contenu de cette formation doit aussi être à même d’impliquer les futur-es enseignant-es. Ainsi, nous suggérons de varier les apports théoriques – constitués de différentes thématiques touchant à la vie quotidienne scolaire – et les aspects pratiques : mises en situation concrètes, présentation et utilisation d’instruments d’analyse et d’outils pédagogiques, interventions et/ou témoignages de personnes-ressources ou de chercheurs-euses. Néanmoins, nous sommes totalement conscient des difficultés qu’une telle formation est susceptible d’engendrer. En effet, trois grandes certitudes – le mythe de l’égalité réalisée, les inégalités perçues comme naturelles et l’impuissance de l’école/de l’enseignant-e – sont sources de nombreuses résistances, car leur remise en question respective menace certains individus. Un tour de parole en début de formation pour identifier les représentations, ainsi que l’utilisation de stratégies adaptées tout au long des séances permettent de désamorcer ou contourner nombre de résistances. De ce fait, nous estimons que de telles précautions s’avèrent nécessaires afin de ne pas compromettre les objectifs d’une formation à la problématique genre. Nous appuyant sur le rapport de Grossenbacher (2006), nous considérons que c’est au sein des HEPs qu’une telle formation appropriée au genre doit être mise en place : 140 L’idéal serait que cette recherche [les études genre] reste aussi proche que possible de la réalité scolaire et qu’elle implique aussi directement que possible les enseignantes et les enseignants. Mandatées pour combiner formation, recherche et perfectionnement, les hautes écoles pédagogiques sont les mieux placées pour assumer cette tâche. (p. 73) 141 7. Conclusion Nous avons constaté dans un premier temps que la situation scolaire en matière d’égalité des sexes en Suisse paraissait bien terne. Il serait donc grand temps de réellement mettre en application certains textes d’intention, telles que les recommandations émises par la CDIP, il y a déjà vingt ans, pour modifier représentations et pratiques enseignantes. Notre enquête a permis d’explorer les représentations de l’égalité des sexes de huit enseignant-es du second cycle primaire en Valais. Mentionnons tout d’abord, qu’indépendamment du parcours de formation suivi, aucune différence significative n’a été relevée entre les représentations des enseignants et celles des enseignantes. Selon le retour sur nos hypothèses, nous retenons que les membres du corps enseignant considèrent la mixité scolaire comme une situation non-problématique conférant d’ailleurs quasi-exclusivement des avantages aux enfants, voire même garante de l’égalité entre filles et garçons. Tel qu’illustré dans notre problématisation et/ou les propos de nos sujets, cet « aveuglement » se retrouve ainsi à de nombreux niveaux : pratiques pédagogiques, interactions, relations, normes d’attribution, évaluations et d’autres aspects de la vie scolaire sont ainsi considérés comme indifférenciés selon le sexe. Cette « cécité » du corps enseignant semble découler d’une idéologie professionnelle de neutralité – la norme implicite d’égalité – qui prévaut à l’école. Néanmoins, sur le terrain, il n’en est rien, filles et garçons étant soumis au travers d’un curriculum caché à une socialisation scolaire différente. Cette dernière participe ainsi à l’orientation future des élèves et les pousse à opter pour des formations, donc des « choix » professionnels conformes à leur sexe respectif, bien que les enseignant-es n’en aient pas conscience. Ainsi, en primaire, dispenser une éducation à l’égalité des sexes, tout comme utiliser le langage épicène semblent relever du non-sens. A nos yeux, une sensibilisation à la problématique genre au niveau scolaire s’avère donc indispensable dans le cursus de formation des enseignant-es. Toutefois, celle-ci ne peut se contenter de mettre brièvement l’accent sur certains éléments problématiques à l’école, cette façon de procéder ne faisant qu’exacerber les doutes et résistances des individus à l’égard de l’égalité. Une formation appropriée à la thématique de l’égalité des sexes doit être rapidement mise sur pied pour faire évoluer certaines représentations sexuées tenaces, modifier les pratiques inégalitaires des membres du corps enseignant et les convaincre de la pertinence d’une telle éducation dans leur classe respective pour l’avenir des enfants qu’ils côtoient au quotidien. On l’a vu, le petite nombre de personnes constituant notre panel ne permet pas d’aboutir à des résultats représentatifs. Il serait intéressant d’élargir cette recherche sur les représentations de l’(in)égalité des sexes à l’école par les membres du corps enseignant à une échelle plus 142 importante, de manière à ce que les tendances dégagées de manière qualitative deviennent fiables. Il serait par exemple possible de se baser sur les résultats de notre enquête pour élaborer un questionnaire consolidé et relativement complet débouchant sur une recherche quantitative. Une piste intéressante consisterait à explorer de manière fine le parcours de vie d’un certain nombre d’enseignant-es pour mettre en exergue les facteurs favorables à la mobilisation en faveur de l’égalité des sexes à l’école ou, à l’inverse, défavorables. Les identifier aiderait à sensibiliser les membres du corps enseignant lors de la formation initiale et à désamorcer les résistances. Un prolongement de cette recherche pourrait toucher aux pratiques réelles des enseignant-es, à savoir ce que certain-es ont soulevé lors des interviews en estimant être neutres, mais avoir besoin d’un regard extérieur pour s’en assurer. Il serait judicieux de mener par exemple une analyse fine sur les interactions et/ou les évaluations en classe. Dans le même temps, cela s’avère être le seul moyen de faire concrètement prendre conscience de la réalité de ce thème aux enseignant-es. Une autre perspective consisterait à mettre sur pied, dans le cursus initial et/ou continu du personnel enseignant, une formation appropriée à la thématique de l’égalité des sexes telle qu’esquissée dans l’ultime chapitre de notre travail, puis d’évaluer son efficacité. Il serait en effet intéressant de mesurer l’évolution des représentations sexuées des enseignant-es ainsi que de leurs résistances face à ce sujet. Par ailleurs, nous serions curieux de percevoir comment leur motivation à réaliser une éducation à l’égalité des sexes en classe pourrait en être affectée. 143 8. Références bibliographiques ARGEF [Association de recherche sur le genre en éducation et en formation] (17 octobre 2012). Le Monde – Idées. Combattons les discriminations sexistes à l’école. [Page Web]. Accès : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/17/combattons-lesdiscriminations-sexistes-a-l-ecole_1776304_3232.html?xtmc=argef&xtcr=1 [30.10.2012] Baudelot, C. & Establet, R. (2007). Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés. Paris : Nathan. Baudino, C. (2007). Revue de la littérature récente sur les inégalités de genre dans les méthodes d’enseignement et la gestion des relations entre pairs dans l’aire francophone. Rapport mondial de suivi sur l’Education pour tous 2008 – L’éducation pour tous en 2015. Un objectif accessible ? Baudoux, C. & Noircent, A. (1995, janvier-février-mars). 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Vers l'égalité des droits", et pour développer les principes et recommandations adoptés les 2 novembre 1972 et 30 octobre 1981, édicte les recommandations suivantes: 1. Principes L'homme et la femme ont également accès à toutes les filières de formation scolaire et professionnelle. Les objectifs et les contenus des filières de formation sont les mêmes pour les deux sexes. Il convient de veiller à une représentation équilibrée des deux sexes à tous les niveaux de la profession enseignante et à tous les échelons administratifs. 2. Coéducation Les écoles sont mixtes. On peut déroger toutefois au principe de la mixité des classes pour autant que l'égalité des deux sexes est encouragée. 3. Equivalence dans l'enseignement L'enseignement et les moyens d'enseignement doivent être conçus dans un esprit d'ouverture et dans le respect de la diversité de l'environnement quotidien et professionnel des deux sexes. Les enseignantes et les enseignants respectent l'équivalence des deux sexes au niveau du langage et de toutes les autres formes de communication. 4. Formation initiale et perfectionnement des enseignants L'égalité des sexes est un thème qui doit obligatoirement figurer dans le programme de formation des enseignants. Les enseignantes et les enseignants doivent être amenés à reconnaître tout ce qui peut être préjudiciable à ce principe, et à y remédier. 5. Orientation scolaire et professionnelle Les jeunes doivent être informés et conseillés de façon à pouvoir opter pour une orientation scolaire et professionnelle indépendamment de tout préjugé lié au sexe. 6. Organisation scolaire L'organisation scolaire est suffisamment souple pour permettre aux mères et aux pères d'exercer leur profession. Au nombre des mesures à prévoir figurent, par exemple: horaires 151 compacts, repas de midi, devoirs surveillés, heures d'accueil mobiles, journée continue, et flexibilité du cahier des charges du personnel enseignant. 7. Développement de l'école et recherche Les cantons s'attachent à promouvoir les études et les projets qui contribuent à assurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le domaine de l'enseignement et de l'éducation. Assemblée plénière du 28 octobre 1993. 152 9.2. Organisation des cours HEP-VS 153 9.3. Guide d’entretien Thèmes A) Profil et généralités Questions principales 1. Pouvez-vous vous présenter en me donnant votre parcours de formation ? 2. Pourquoi avoir choisi cette profession ? Questions de relance 3. Faites-vous partie d’une ou de plusieurs associations (militantes) ? a) Si oui, quand y avez-vous commencé à militer ? Quelles sont les valeurs de l’association ? a) En parliez-vous à la maison ? b) Avez-vous eu l’impression d’avoir été éduqué de manière différente de votre/vos frère(s), de votre/vos sœurs ? 4. Vos parents étaient-ils sensibles à cette thématique de l’égalité ? B) L’égalité 1. Qu’est-ce que pour vous l’égalité ? 2. De manière générale, avez-vous l’impression d’évoluer dans un milieu égalitaire ? C12 3. Dans quel(s) domaine(s) se situent les enjeux de l’égalité entre hommes et femmes ? a) Quelles ont été vos motivations ? a) N’y a-t-il pas d’autres variables produisant des inégalités autre que… l’origine sociale / le sexe / l’ethnie ? b) Quelle variable vous semble produire le plus d’inégalités dans notre société ? c) L’égalité est-elle une utopie ? a) Les rapports sociaux de sexe (= entre hommes et femmes) ont-ils évolués ? b) Jusqu’à quel point ces rapports sociaux de sexe ont-ils évolué ? c) Estimez-vous que la thématique de l’égalité des sexes est toujours pertinente ? Objectifs du chercheur Identifier le parcours de formation Déterminer les motivations pour enseigner Déterminer l’influence de cet engagement par rapport à la problématique genre Connaître l’influence de l’entourage familial par rapport à cette thématique Identifier les représentations au sujet de l’égalité de manière générale Connaître l’importance de la thématique de l’égalité des sexes dans la société Identifier les domaines pertinents au sujet de l’égalité des sexes 154 C) La mixité scolaire 4. En quoi est-ce important pour vous l’égalité hommesfemmes dans votre vie de tous les jours? Dans votre pratique professionnelle ? a) Vous sentez-vous concernés par cette égalité hommes-femmes ? Davantage dans votre vie privée ou professionnelle ? 5. Comment se décline-t-elle (= l’égalité) en classe ? a) Que mettez-vous concrètement en place pour parvenir à davantage d’égalité en classe ? ( F) 1. Avez-vous l’impression à l’école d’évoluer dans un milieu égalitaire ? a) Au niveau du personnel enseignant b) Au niveau des élèves 2. Que pensez-vous de la mixité scolaire, soit du mélange des filles et des garçons dans une même classe ? a) La mixité scolaire permet-elle de se rapprocher d’une certaine égalité entre les sexes ? b) Percevez-vous des inconvénients à cette mixité scolaire ? Si oui, lesquels sont-ils ? a) A-t-elle un impact sur les élèves ? b) A-t-elle un impact sur la production d’égalité/ d’inégalité ? 3) Que pensez-vous de la féminisation de l’enseignement primaire? D) Conception 1. Y a-t-il des différences entre les garçons et les filles ? des différences Si oui, lesquelles et à quel niveau ? Observez-vous à l’école des différences entre vos élèves filles-garçons ? de sexe 2. D’où proviennent ces différences ? Quelles sont les origines/ les facteurs à l’origine de ces différences ? a) Estimez-vous que les élèves soient plus ou moins compétents selon leur sexe en fonction de la matière ? b) Pensez-vous que les élèves ont des compétences intellectuelles différentes selon leur sexe ? a) Quels est, à votre avis, le rôle des facteurs biologiques à ce niveau-là ? Identifier les représentations au sujet de l’égalité en société (prise de conscience [pdc] ou non) Identifier le degré d’importance de cette thématique à l’école Identifier les représentations au sujet de l’égalité à l’école (pdc ou non) Identifier les représentations concernant la mixité scolaire et ses effets (pdc ou non) Saisir les représentations au sujet de la féminisation du métier d’enseignant primaire Identifier les représentations sur les différences filles-garçons Déterminer les origines de ces différences et définir la conception dominante des différences de sexe 155 E) Formation enseignante 3. Les garçons et les filles sont-ils/elles élevé-es différemment ? Comment cela se traduit-il ? a) Pensez-vous que le système scolaire puisse accentuer ces différences ? Peut-il, à l’inverse, aussi les atténuer ? Saisir la pertinence de la problématique de l’égalité des sexes dans la pratique enseignante 1. Dans votre formation, avez-vous eu l’impression que la thématique de l’égalité entre les sexes était importante ? a) Vous souvenez-vous avoir eu une quelconque éducation à l’égalité des sexes? b) Si oui, qu’avez-vous retenu de cette formation ? a) Jugez-vous qu’une telle éducation soit pertinente ou non ? Identifier le degré de sensibilisation à cette thématique suite à la formation pédagogique Saisir l’utilité d’une éducation à l’égalité des sexes à l’école Identifier la connaissance des enseignant-es du matériel à disposition pour dispenser une telle éducation Identifier l’offre de formation continue disponible et utilisée au niveau de cette thématique 2. Que pensez-vous d’une éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire ? F) Rôle de l’enseignant-e 3. Disposez-vous des outils nécessaires pour dispenser une telle éducation ? a) Avez-vous déjà utilisé du matériel didactique en lien avec la thématique de l’égalité des sexes? b) Qu’est-ce que vous en avez retiré ? 4. Avez-vous déjà suivi un cours de perfectionnement (formation continue) en lien avec l’égalité des sexes ? a) Si oui, qu’en avez-vous retenu ? b) Si non, envisageriez-vous de le faire ? 1. Les enseignant-es ont-ils/elles des pratiques pédagogiques neutres envers leurs élèves filles-garçons? Avez-vous des pratiques pédagogiques neutres envers vos élèves ? 2. Est-ce qu’il vous semble avoir les mêmes types de relations avec les garçons et les filles ? a) Si non, à quel niveau pensez-vous les influencer ? b) Quel est l’impact de votre pratique sur les élèves ? a) Est-ce que ça se passe aussi bien avec les garçons et les filles ? 3. Pensez-vous que les élèves aient des relations différentes avec un enseignant ou une enseignante ? a) Si oui, comment cela se traduit-il ? b) Pensez-vous que les élèves filles et les élèves garçons aient des relations différentes en fonction du sexe de l’enseignant ? Identifier l’impact des pratiques enseignantes sur les élèves selon leur sexe (pdc ou non) Saisir l’influence constatée de l’enseignant-e sur ses élèves Identifier les représentations sur le comportement des élèves en fonction du sexe de l’enseignant-e 156 4. Est-ce qu’il vous semble que vous interagissez de la même manière avec les garçons et les filles dans votre classe ? a) Si non, à quel niveau pensez-vous faire des différences ? 5. Connaissez-vous ce qu’est le « langage épicène » ? Qu’en pensez-vous ? a) Si oui, l’utilisez-vous ou non ? b) Dans quelle(s) situation(s) est-il couramment utilisé ? c) Jugez-vous utile d’utiliser un tel langage à l’école primaire ? a) Vous est-il déjà arrivé de vous dire que vous avez eu des propos stéréotypées à l’égard de vos élèves ? A quel niveau ou comment ? b) Avez-vous déjà entendu des propos sexistes dans le milieu scolaire de la part de collègues ou de professionnel(s) de l’éducation ? a) Si oui, pouvez-vous m’en dire davantage ? b) Avez-vous déjà utilisé du matériel didactique pour aider les enfants dans leur choix d’orientation future ? 6. Avez-vous déjà entendu des collègues véhiculer des stéréotypes de sexe par rapport à leurs élèves ? A quel niveau ou comment ? 7. Les enseignant-es exercent-ils/elles un impact sur l’orientation professionnelle future des élèves selon leur sexe ? G) Autres 1. Souhaitez-vous m’en dire davantage sur votre conception de l’égalité des sexes à l’école ? Identifier l’impact des interactions enseignantes sur les élèves selon leur sexe (pcd ou non) Connaître l’opinion des enseignant-es vis-à-vis du langage épicène et de son utilité dans le milieu scolaire Identifier l’impact des stéréotypes de sexe dans le milieu scolaire (pdc ou non) Identifier les représentations sur l’influence des enseignantes dans l’orientation des élèves (pdc ou non) a) Aimeriez-vous rajouter quelque chose? 157 9.4. Tableaux d’analyse thématique (26) Explications tableau d’analyse par thème A. Thème 1) Question principale + questions de relance [QR] s’y rapportant + éventuellement questions dérivées [QD] Exemple 18 Enseignants Enseignantes Jeunes Jeune enseignant n°1 Jeune enseignant n°2 Jeune enseignante n°1 Jeune enseignante n°2 Représentation(s) du sujet18 Représentation(s) du sujet Représentation(s) du sujet Représentation(s) du sujet Expérimenté-es Enseignant expérimenté n°1 Enseignant expérimenté n°2 Enseignante expérimentée n°1 Enseignante expérimentée n°2 Représentation(s) du sujet Représentation(s) du sujet Représentation(s) du sujet Représentation(s) du sujet Pour le premier thème « profil et généralités », il ne s’agit évidemment pas des représentations des enseignant-es 158 A. Profil et généralités 1) Pouvez-vous vous présenter en me donnant votre parcours de formation ? Tableau n°1 Jeunes Expérimenté-es Enseignants Enseignantes Jeff Bill Gertrude Sophie Tentative à l’EPFL en informatique (1 an), mais raté Haute Ecole Pédagogique (3 ans) Enseignant de 6P depuis 4 ans Praticien formateur (en formation) Année sabbatique (armée) après collège Haute Ecole Pédagogique (3 ans) Enseignant de 5P depuis 2 ans Haute Ecole Pédagogique (3 ans) Enseignante à Berne (1 an ; 50%100%) Enseignante de 5P depuis 1 an Haute Ecole Pédagogique (3 ans) Enseignante 3P, mais aussi 56P depuis 2 ans. Jimy Luigi Francine Caroline Ecole de commerce (3 ans) Armée (école de recrue) Ecole Normale (3 ans), car diplôme de commerce. Moniteur à l’école de ski (1 an) Enseignant de 5P depuis 17 ans Praticien formateur Ecole Normale (5 ans) Enseignement de 3-4P (33 ans) Ecole Normale (5 ans) Enseignante de 5-6P depuis 35 ans (plein temps) Praticienne formatrice (5 ans) Ecole Normale (5 ans) Enseignement de 4P (24 ans) 159 2) Pourquoi avoir choisi cette profession ? + QR Tableau n°2 Jeunes Expérimenté-es Enseignants Enseignantes Jeff Bill Gertrude Sophie A fait un remplacement pendant son année à l’EPFL qu’il a vraiment beaucoup apprécié A ressenti un certain plaisir : joie de communiquer, être avec des jeunes. A fait un stage au cycle : travailler avec des enfants, leur transmettre/ apprendre qqch, leur apporter qqch dans la vie au niveau des connaissances et de la personnalité. A hésité à faire cette profession : à la base, éducation spécialisée (a fait un stage), mais demandé beaucoup de responsabilités. Enseignement = responsabilités différentes + moins côté affectif. A voulu faire ce métier car a vu sa maman le faire. Ne s’est jamais vu faire autre chose, c’est dans la logique de ses envies et de sa vocation. Aime le contact avec les élèves, la transmission des savoirs, les voir évoluer, grandir et apprendre. Jimy Luigi Francine Caroline A fait moniteur dans une colonie de vacances plusieurs années de suite et ça lui a vraiment plu : travail avec les enfants, gestion d’un groupe ; voir les résultats et les sourires avec les élèves en difficulté A fait une batterie de test chez l’orienteur professionnel : profil social, donc Ecole Normale. Pas de motivation particulière. A toujours voulu faire ce métier. Pas de motivation particulière. Ne savait pas trop ce qu’elle voulait faire, a été chez l’orienteur professionnel. A passé un test : psychologue ou enseignant. A essayé les examens de l’Ecole Normale et a réussi. Motivation : travail avec les enfants. 160 3) Faites-vous partie d’une ou de plusieurs associations (militantes) ? + QR Tableau n°3 Enseignants Jeff Jeunes Ne fait partie d’aucune association. Jimy Expérimenté-es Ne fait partie d’aucune association Enseignantes Bill Membre du parti radical de la commune depuis 1 an Valeurs : liberté, tolérance, responsabilité Luigi Membre de Linux Léman (utilisateur de Linux du bassin vaudois genevois) Valeurs : contre le vote électronique, pour les logiciels libres Gertrude Sophie Ne fait partie d’aucune association pour l’instant. Plus tard, Greenpeace. Ne fait partie d’aucune association militante. Francine Caroline Ne fait partie d’aucune association. Ne fait partie d’aucune association. 161 4) Vos parents étaient-ils sensibles à cette thématique de l’égalité ? Tableau n°4 Jeunes Expérimenté-es Enseignants Enseignantes Jeff Bill Gertrude Certainement, mais c’était pas qqch qui posait conflit dans la famille / sa mère essayait un peu d’en parler, mais peine perdu car 5 mâles à la maison Non, pas plus que tant. Répartitions stéréotypées des tâches à la maison : mère = tâches ménagères, cuisine ; père = pas. Son père essayait (de manière discursive) de faire que ses frères fassent aussi leurs lessives. Rôles très diversifiés : f (plus indépendantes) = lessive, repassage, ménage, bosser dans l’entreprise familiale / g = rien. Education identique que ses frères. Pense que si sœur : risque que ça aurait été différent Education identique que ses frères / est sûr que si sœur : éducation différenciée au niveau des sorties, de la protection. Jimy Luigi Non, pas vraiment d’égalité entre ses parents, chacun avait son pouvoir quelque part: père au niveau de l’emploi, mère au niveau de la maison. Générations mai 68 : femmes qui ont pris un peu le pouvoir, recherche du pouvoir par les femmes. Education différente : famille italienne (mentalité du sud), plus de libertés au niveau éducatif car garçon et premier de famille (perduration du nom). Famille assez traditionnelle, domaines assez bien définis. N’a pas l’impression que ces inégalités étaient une grande souffrance, c’est normal. Ce n’étaient pas des gens qui se réclamaient de leur sexe. Education certainement différente, due à la différence d’âge, la position dans la famille, la configuration (endroit où chacun a vécu). Ne sait pas dire si ça aurait été différent avec une sœur. Education pas vraiment différente, si ce n’est certains « détails » (lessives). Différences au niveau de la position occupée dans la famille. Francine Non, ses parents n’ont jamais parlé de ça. Education différente, mais par rapport à la place occupée par les enfants dans la famille (8 ans de différence d’âge), pas par rapport au sexe des enfants Sophie Non, ce n’était pas un sujet important. Ils n’étaient pas plus sensibles qu’elle. Education identique, mais ses frères ont pu sortir plus vite qu’elle. Pense que le sexe a joué un rôle faible. Caroline Non, ce n’est pas un sujet qui a été abordé, autres soucis que ça. Education identique à sa sœur. Son père voulait qu’elles travaillent direct après l’école obligatoire, pas d’études. Mais est partie de la maison avant. C’est difficile de répondre pour un frère, car situation familiale un peu compliquée. 162 B. L’égalité 1) Qu’est-ce que pour vous l’égalité ? + QR + QD Tableau n°5 Enseignants Jeff Egalité de traitement indépendamment du physique (délit de faciès), de la nationalité ou du sexe éviter les discriminations. Autres inégalités : taille, apparence physique (moche, avoir l’air stupide, yeux bleus), odeur Jeunes Inégalité la plus importante : l’origine physique, pas sur papier (apparence : avoir l’air étranger au pays à cause de sa tête) Utopie ? Globalement oui à cause de certaines personnes / personnellement : utopie (impossible d’être complètement égalitaire) mais possibilité de tendre vers l’égalitarisme Enseignantes Bill Egalité est une notion idéale, qui le dérange un peu, car on est tous différents donc comment être égaux ? Préfère le terme « équité » (= s’adapter aux personnes) Variables : la culture (la religion), les connaissances (variables psychologiques), la situation familiale (parents ensemble ou non). Le sexe ne rentre pas en ligne de compte, il ne se pose pas la question. Inégalité la plus importante : la culture (composée de la religion, de l’éducation, des valeurs transmises par la famille) Utopie ? Oui (référence à Socrate), car les gens peuvent pas être égaux, même si c’est qqch vers lequel on doit tendre. Gertrude Egalité ne veut rien dire, car nous ne sommes pas égaux (égalité hommes-femmes pas possible), MAIS égalité de traitement en fonction des caractéristiques de la personne (l. 81-85). Autres inégalités : l’âge (capacités), la couleur de peau (égalité de race) Inégalité la plus importante : l’origine (prénom, couleur de peau) Utopie ? Oui, car on n’est pas égaux, mais il faut tendre vers l’égalité. Sophie Egalité de traitement dans tous les domaines (école, travail, sport) + égalité de chance. Variables : le sexe, la religion (le culte), la nationalité, les handicaps (être handicapé physique/mental ou être « normal ») Inégalité la plus importante : le sexe, puis les handicaps. Pas la nationalité. Utopie ? Non, car pense que c’est réalisable d’être tous traité de la même façon, d’être tous au même niveau, mais actuellement oui. 163 Jimy Expérimenté-es Egalité de chances, égalité de droits, égalité d’obligations. Variables : niveaux sociaux (origine sociale), la religion (le culte), l’argent (capital financier), les handicaps. Le sexe : inégalités s’atténuent avec le temps, même si encore des différences hommes-femmes (par ex. travail) Inégalité la plus importante : dans le monde la religion, chez nous l’argent (capital financier), puis le sexe. Utopie ? Oui, car on essaie de combler les différences (hommes-femmes ; impôts pour argent), mais il y aura toujours des inégalités. Luigi L’égalité n’existe pas, il n’y a pas d’égalité. On n’est pas égaux, mais c’est une richesse. Egalité = idéal, mais pas un fait. L’égalité c’est que tout le monde soit reconnu, mais pas être semblable. L’égalité = respecter les inégalités (respect mutuel). Il n’y a que des inégalités dans la société : inégalité en fonction du moment et du lieu de naissance. L’inégalité est la norme. Inégalité homme-femme, mais aussi inégalité hommehomme, mais plus inégale car on n’est pas fabriqué de la même façon. Inégalité la plus importante : ça dépend du lieu et du moment (sexe, âge). Actuellement dans notre société, ne sait pas dire. Francine Caroline Uniquement égalité de sexe : travail, salaire, tâche domestique identique. Pas de plafond de verre (poste de cadre pour tous) Autres inégalités : l’âge (années d’expérience), le physique, la confession (secte) Egalité de droits : civique, professionnel, couleur de peau (physique), pays d’où on vient (nationalité), homme ou femme (sexe), riche ou pauvre (capital financier). Variables : origines (pays), origines sociales, homme-femme, riche ou pauvre, l’âge (vieux ou jeune) Inégalité la plus importante : hommes-femmes Mauvaise expérience + sentiment d’injustice: retiré un poste car femme, il y a 20 ans. Utopie ? Egalité parfaite = utopie Inégalité la plus importante : ça dépend des domaines (professionnel : origine et sexe) Utopie ? Oui, même si on tend vers une certaine égalité, ça restera toujours une utopie, il y aura toujours des inégalités. Utopie ? Oui, car c’est qqch qui ne peut pas être atteint, c’est du domaine des idées. On ne peut pas être égaux. 164 2) De manière générale, avec-vous l’impression d’évoluer dans un milieu égalitaire ? + QR Tableau n°6 Enseignants Jeff Enseignantes Bill Gertrude Sophie Oui. Oui, car n’a pas de conflit avec ça que ce soit d’un côté ou d’un autre. Mais pas milieu égalitariste. Jeunes Evolution rapports sociaux de sexe : oui, évidemment. Exemple : avant père ramenait l’argent, mère restait à la maison (ménage, repas). Ajd, pas forcément inverse, mais partage des tâches ménagères + travail à l’extérieur. Thématique non pertinente pour lui, mais pour d’autres (ceux ayant une conception bourgeoise de la famille) peut être très pertinente. Oui, thématique pertinente dans la société. Expérimenté-es Evolution rapports sociaux de sexe : oui, parce qu’il y a 50 ans en arrière on ne se posait même pas la question, c’était comme ça. Exemples : répartition des tâches ménagères, monde professionnel (plus de mamans qui travaillent), infrastructures (UAPE, crèches) pour que les parents puissent les deux travailler. Ajd, féministes dangereuses voulant inverser la tendance (femmes au pouvoir). Ex. au gouvernement (politique) plus de femmes que d’hommes. Thématique pertinente, car c’est pas fini d’évoluer, c’est pas acquis + il faut éduquer les enfants, leur apprendre qu’il y a d’autres perspectives possibles. Oui. Au niveau scolaire, égalité de traitements entre enseignant-es, mais inégalité de répartition hommes-femmes (féminisation). Evolution rapports sociaux de sexe : oui, car les hommes et les femmes ne se laissent plus faire. f = plus de droits (vote ou justice), décloisonnement (plus que à la maison) / g = nouveaux rôles (éducation enfants)… un peu inversion des rôles. Ajd, pense que parfois ça va trop loin, femmes veulent trop de choses, de pouvoir. Thématique sera toujours pertinente. Toujours pertinent de discuter de ça. Oui. Exemples au niveau du traitement, des salutations, de la confiance accordée. Evolution rapports sociaux de sexe : oui, car la femme a plus d’importance dans la société (accès à la formation et au vote) et arrive au même niveau que l’homme d’un point de vue social. Regard positif sur cette évolution. Ajd, femmes dans métiers d’hommes, hommes dans métiers de femmes (mais pas la même reconnaissance). Thématique toujours pertinente tant que les salaires ne seront pas égaux, puis maintien de cette égalité dans tous les domaines. Pertinent aussi où elle travaille car enfants musulmans ayant une autre vision de la place de la femme. Jimy Luigi Francine Caroline Oui, milieu égalitaire professionnellement (mais manque d’hommes) et Non, car on n’est pas égaux (richesse inégale par exemple). Par rapport au Oui, au travail et dans la famille. Met en avant le fait que son célibat peut venir biaiser cette Oui, dans l’ensemble, même s’il y a encore des préjugés, des petites choses, des idées qui 165 familialement. Evolution rapports sociaux de sexe : oui, sacrément évolués. Avant, femme patronne du bon fonctionnement du ménage (reste à la maison à s’occuper des enfants) et père patron de son travail. Maintenant, ça s’est bien équilibré, quasiment autant de femmes que d’hommes qui travaillent (45%-55%). Ajd, la femme a pris trop de pouvoir, donc problèmes de relations familiales. Les femmes se croient imbues d’un pouvoir maternel, contrôlant, manipulateur pour pouvoir diriger les choses. L’homme a perdu sa place de sexe fort. Thématique des sexes toujours pertinente, car est-ce qu’il y aura un jour égalité hommes-femmes ? sexe : même salaire dans l’enseignement ; 90% d’enseignantes ; mêmes exigences. Evolution rapports sociaux de sexe : oui, certainement que ça a évolué. Exemples : avant à l’église du village, hommes avec chapeau à droite, femmes avec coiffe à gauche. Après la messe, hommes à l’apéro au bistrot, femmes à la maison, pour faire le dîner et s’occuper des enfants. Ajd, moins de codes de conduite, (prescriptions) suivis par les sexes. Evolution positive pour certaines choses (place à l’église + vêtements) et négative pour d’autres (violence féminine) interprétation. Evolution rapports sociaux de sexe : oui. Exemples : femme seule au bistrot ou au restaurant aujourd’hui, pas avant Thématique des sexes toujours pertinente, car sujet d’actualité. Mais pertinente en fonction des domaines (travail) : inégalités de salaire parfois ; inégalités des sexes face aux métiers atypiques (vendeuse, carrossier), car stéréotypes. Egalité des salaires dans l’enseignement. restent. Ex : considération d’une femme chez un garagiste, difficulté pour une fille d’exercer un métier typiquement masculin. Evolution rapports sociaux de sexe : oui, mais les femmes n’ont pas tout gagné dans l’évolution : droit de travail des femmes, mais pas toujours partage des tâches domestiques. Ajd, pense que plus ça avance, plus les choses se normalisent. Comparaison de deux générations (l. 185-189). Regard positif sur cette évolution. Thématique des sexes toujours pertinente, si pas dans notre pays, dans le reste du monde oui. Thématique de l’égalité des sexes non pertinente : vouloir l’égalité c’est de l’énergie mal placée car on est inégal. Egalité devrait être se respecter les uns les autres. 166 3) Dans quel(s) domaine(s)s se situent les enjeux de l’égalité entre hommes et femmes ? + QR Tableau n°7 Enseignants Jeff Niveau domestique (tâches ménagères), niveau scolaire (enseignement ; math = branche pour les garçons), niveau professionnel (hiérarchies au boulot) plafond de verre Jeunes Ne se sent pas vraiment concerné par cette égalité, car ça ne lui pose pas de problème ; né dans un endroit où ça posait pas problème, génération qui a dépassé ce combat de féministes égocentrisme Expérimenté-es Enseignantes Bill Niveau domestique (répartition des tâches ménagères, la vie à la maison), niveau professionnel (métiers associés au sexe féminin et masculin), niveau sportif (évaluations, performances physiques) Se sent concerné, mais n’en est pas obsédé. Gertrude Niveau financier (égalité des salaires, revalorisation salariale), niveau des droits (garde des enfants après divorce pour les g), niveau professionnel (accès des femmes à postes haut placés) plafond de verre Ne se sent pas du tout concernée par cette égalité. Sophie Niveau financier (salaire), niveau de la formation (mêmes capacités si même parcours de formation ; offres d’emploi avec « homme de préférence »), niveau professionnel (discriminations, chef d’entreprise = homme) plafond de verre Se sent concernée de loin. Mais côté féministe qui ressort lors de situations d’injustice (capacités en fonction du sexe, rôles de la femme). Se sent plus concernée dans sa vie privée (partage des tâches ménagères si homme et femme travaillent) Jimy Luigi Francine Caroline Niveau politique (droits de vote), niveau professionnel (métiers atypiques), niveau social (pas que femmes au foyer), niveau familial, niveau affectif. N’a pas l’impression qu’il y a un enjeu d’égalité, mais plutôt un enjeu d’inégalité : les femmes cherchent à faire carrière comme les hommes (niveau professionnel) ; les hommes veulent revenir dans la famille et pouponner (niveau familial). Dans tous les domaines de la vie courante : niveau professionnel (poste de travail), niveau familial (éducation), niveau social (sociétés de chant) Exemple d’inégalités dans une société quelconque de chant : secrétaire = femme ; caissier = homme ; président = homme, même si évolutions Niveau professionnel (postes à hautes responsabilités) plafond de verre, niveau des choix (conciliation vie privéevie professionnelle : f = famille ou travail, g = pas de choix à faire), niveau de l’enseignement (images clichées de l’homme et de la femme : h = plus d’autorité), niveau de chances (accès aux métiers, orientation, choix stéréotypés) Se sent concerné, trouve très important, essaie d’avoir cette égalité dans la relation avec sa femme. Autant dans le domaine privé que Ne sait pas dire dans quel(s) domaine(s). Ne se sent pas concernée par 167 professionnel. Pas de différence entre les hommes et les femmes. Se sent concerné parce qu’il y a un changement, il observe les choses, mais n’est pas certain que le problème est cerné de manière adéquate. Mais ne se sent pas impliqué à un taux (élevé) ni dans le professionnel, ni dans le privé. l’égalité car ne voit pas d’injustices (par rapport à ce qu’elle vit) égocentrisme Se sent concernée, autant dans le domaine privé que professionnel. 168 4) En quoi est-ce important pour vous l’égalité hommes-femmes dans votre vie de tous les jours ? Dans votre pratique professionnelle ? + QD Tableau n°8 Enseignants Jeff Jeunes Vie de tous les jours : si chacun se sent bien (si tout le monde est content), même si répartition pas forcément juste, alors ok égalité dans vie de couple Pratique professionnelle : donner les mêmes chances, les mêmes possibilités aux garçons-filles d’atteindre les objectifs égalité des chances Expérimenté-es Enseignantes Bill Vie de tous les jours : pas important, ça ne lui change rien. Seulement un sujet humoristique pour faire tiquer les femmes (l. 154157) Pratique professionnelle : essaie d’ouvrir les élèves à cette thématique. Ex. prise de conscience par rapport à la répartition des tâches (ménage). Fait passer cela comme si c’était normal (l. 150-151) Jimy Luigi Vie de tous les jours : égalité avec sa femme, d’un point de vue légal, social, car permet une meilleure entente dans le couple. Vie de tous les jours : aimerait que l’homme et la femme soient reconnus par rapport à leur génie propre, leurs compétences, même si pas égaux. Plutôt une coopération qu’une vision d’inégalité entre lui et sa femme. Pratique professionnelle : égalité pour avoir une collaboration plus saine entre collègues, travailler dans la Gertrude Vie de tous les jours : aucune importance. Pratique professionnelle : traitement identique des élèves indépendamment du sexe. Francine Uniquement au niveau professionnel Pratique professionnelle : égalité pour enseigner et discuter Important : échange des idées (lors de discussion) / partage de la sensibilité hommes-femmes différents donc équilibre Sophie Vie de tous les jours : trouve que la femme ne doit pas être traitée de manière inférieure à l’homme : a presque les mêmes capacités (sauf physiques). Même étude = mêmes capacités pour le travail. Personnalité plus importante que le sexe. Pratique professionnelle : on fait confiance aux femmes pour petits degrés. Hommes plus crédibles par rapport à l’employeur et par rapport aux élèves dans les grands degrés (f = plus gentille, moins stricte). Femme doit plus s’imposer par la voix, la posture (l. 580) + sanctions. Caroline Vie de tous les jours : a l’impression que cette égalité est acquise (mêmes droits que les autres, enseignante comme un homme, même salaire, droit de vote, égalité avec son mari à la maison). Homme et femme = complémentaires, pas pareils, chaque sexe ne peut pas faire tout ce que fait l’autre. Mais 169 transparence et le respect. Ne fait aucune différence avec les collègues hommes ou femmes. Pratique professionnelle : c’est le fait de considérer les autres comme des professionnels, indépendamment du sexe, égal à lui, même confiance, même si différents dans la manière de faire les choses. conscience que petites choses inégalitaires dans la vie quotidienne (ex : négociations avec garagiste). Pratique professionnelle : c’est important, mais elle est acquise (même travail, même salaire chez enseignant) 170 5) Comment se décline-t-elle (= l’égalité) en classe ? + QR Tableau n°9 Jeunes Enseignants Bill Gertrude ACM : garçons doivent aider les filles à nettoyer / pour toutes les matières, essaie de faire participer tous les élèves indépendamment de leurs sexes / faire porter aussi des choses aux filles, pas qu’aux garçons / pousse les filles à se dépasser (performances physiques) Ne met rien en place de spécial pour cette égalité. Conseils de classe : ses élèves lui ont fait remarquer qu’il avait davantage tendance à prendre des jetons aux garçons qu’aux filles. Cite l’exemple de collègues qui appuient ces différences (g = autocollant de foot, f = autocollant barbie) Il ne faut pas y penser, rester naturelle. Si problèmes, les élèves le font remarquer. Risque de créer plus d’inégalités en réfléchissant à ce qu’on fait. Ne met rien de particulier en place pour davantage d’égalité. Si problèmes se présentent, elle travaille dessus avec les élèves (conseil de coopération) Luigi Francine Jimy Expérimenté-es Enseignantes Jeff Instauration d’un climat de respect entre élèves. En début d’année, il repart à zéro avec les élèves, tout le monde est à égalité de chance, égalité de chance de travail, égalité dans les différences. Ne met rien en place pour parvenir à davantage d’égalité car ne s’est jamais dit qu’il y avait des différences. L’école est plutôt inégale, plutôt faite pour les filles que pour les garçons : elles sont plus à l’aise à l’école et doivent passer une scolarité plus agréable que les mecs. Les filles et les garçons se respectent encore assez bien, sont très égalitaires en 3-4ème. Ne met pas de trucs conscients en place pour l’égalité entre filles et garçons. Si problèmes entre eux, résolution en donnant la parole aux gens devant toute la classe. Les élèves sont tous au même niveau, traitement identique. Pas l’impression de faire des différences entre garçons et filles, mais laisse sous-entendre la possibilité de le faire inconsciemment Pdc : traitement différent des garçons et des filles à la gym (porter des bancs), mais pas ailleurs Sophie Traitement identique de tous ses élèves, indépendamment du sexe (sanctions, façon de parler). Inégalités en termes de niveau, pas du sexe. Gym : traitement différencié au niveau du sexe, car pas le même niveau de difficulté Ne met rien en place concrètement. Seulement discussions lors de bagarre par rapport au sexe. Caroline N’a pas l’impression de faire de différences entre les filles et les garçons, manière uniforme d’enseigner (séparation fillesgarçons). A des élèves avec des besoins en face, la variable sexe a peu d’importance. Sait (lecture) que garçons ont une autre manière de fonctionner que filles : stimulation par la compétition, les défis, la performance. Ne met rien de précis en place si ce n’est des fois une concurrence saine (petite motivation). 171 C. La mixité scolaire 1) Avez-vous l’impression à l’école d’évoluer dans un milieu égalitaire ? + QR + QD Tableau n°10 Enseignants Jeff Au niveau des élèves : grand fossé entre les garçons et les filles (jeux, proximité) ; pas dans un fonctionnement égalitaire Jeunes Expérimenté-es Au niveau du personnel enseignant : oui vit dans un milieu égalitaire, même si petits gags ou pics à caractère sexuel ; tâches bien partagées, même si plafond de verre (un préfet, un directeur, un inspecteur) Enseignantes Bill Au niveau des élèves : oui, c’est clairement égalitaire. Au niveau du personnel enseignant : clairement non au niveau du nombre (moins d’hommes), mais oui au niveau du traitement. Constat : g = degrés 4 à 6P ; f = degrés 1-2 enfantines + 1 à 3P ; car f = côté maternant ; lui = élèves plus autonomes, lui moins maternant. Jimy Luigi Au niveau des élèves : en général, répartition assez équilibrée entre garçonsfilles. Egalité de traitement entre garçons et filles dans sa classe : s’entendent bien, jouent ensemble, sont souvent mélangés. En 6ème, formation de clans. Au niveau des élèves : au niveau des apprentissages non, f = meilleures réussites + plus constantes ; g = plus impulsifs, réussissent bien dans certains domaines et se désintéressent complètement d’autres. Au niveau social, oui, égalitaire. Au niveau du personnel enseignant : relations très égalitaires entre les enseignants et les Au niveau du personnel enseignant : plus de femmes que d’hommes et il y a de plus en plus de femmes + à Gertrude Au niveau des élèves : pas de discrimination, si ce n’est à la gym (f = barres asymétriques ; g = barres parallèles) Au niveau du personnel enseignant : représentations inégales d’hommes et de femmes (pouvoir aux femmes car majorité), mais relations égalitaires Francine Au niveau des élèves : oui. Preuves : évolutions par rapport aux travaux manuels ( droit égal à l’instruction) et « la journée des filles » devenue « osons les métiers » Au niveau du personnel enseignant : égalité entre les membres du personnel enseignant Sophie Au niveau des élèves : égalité entre les garçons et les filles, mais peut-être qu’eux ne le perçoivent pas comme ça : la religion peut créer des différences. Garçons et filles ne se mélangent pas tellement (cour de récré) Au niveau du personnel enseignant : beaucoup plus de femmes que d’hommes, mais relations égalitaires. Caroline Au niveau des élèves : oui, les traite de la même façon, indépendamment du sexe. La religion (musulman) peut intervenir entre les élèves et le traitement infligé aux filles. Au niveau du personnel enseignant : plus de femmes enseignantes que d’homme, mais relations égalitaires. Milieu particulier : les hommes font un effort au niveau du comportement (attitudes, 172 enseignantes. Parle d’un centre où que des femmes = conflits d’intérêts, chamailleries. Répartition équilibrée entre enseignants et enseignantes. Exemple avec son centre. temps partiel, mais respect entre les enseignants et enseignantes. Il a toujours eu de bonnes relations avec les enseignantes. manière de se tenir) parce qu’il y a des femmes. 173 2) Que pensez-vous de la mixité scolaire, soit du mélange des filles et des garçons dans une même classe ? + QR Tableau n°11 Enseignants Jeff Point de vue positif (même si ajoute des difficultés), car ça apporte quelque chose : permet de voir et d’accepter les différences entre les sexes Jeunes Permet de se rapprocher de l’égalité entre sexes, car si on ignore/ne connaît pas l’autre, on ne peut pas être égalitaire Inconvénients : en tant qu’enseignant, il faut être vigilant car nombreux pièges (exemple ACM) / engendre des conflits par rapport au corps (cour, vestiaire, gym) : toucher, embrasser… Expérimenté-es Enseignantes Bill Trouve absurde de devoir se poser cette question + réflexion par l’absurde (l. 319-332) Point de vue positif. Trouve la mixité normal car est le reflet (l’image) de la société. Important pour pouvoir travailler avec/comprendre l’autre groupe de sexe. Ne permet pas de se rapprocher de l’égalité, mais de s’ouvrir à l’autre sexe. Inconvénients : non, pas en primaire. Gertrude Point de vue positif, car permet l’apprentissage du vivre ensemble. Trouve la situation de mixité normale. Pense que permet de se rapprocher de l’égalité entre sexes, car importance de l’apprentissage de la découverte des autres et de leur fonctionnement. Inconvénients : problèmes dans les vestiaires à la gym, discussions touchant plus facilement un groupe de sexe ou lors de conflits (voudrait séparer les groupes) Sophie Point de vue très positif, car permet l’apprentissage du vivre ensemble et permet d’équilibrer l’ambiance de classe (g = plus vif ; f = plus calme) Pense que permet de se rapprocher de l’égalité entre sexes, car traitement identique + chaque groupe de sexe doit s’adapter à l’autre. Inconvénients : pas de gros inconvénients. Gym, travaux manuels : garçons veulent aller plus loin, car ils aiment ça. Jimy Luigi Francine Caroline Point de vue très positif, car provoque moins de regards, évite de regarder bizarrement l’autre sexe, permet une grande ouverture, rend possible l’équilibre. Point de vue positif, car c’est la réalité : élèves se confrontent à la réalité de la vie. Il a eu des classes nonmixtes. Point de vue très positif, car permet un juste équilibre entre les garçons et les filles. A connaissance d’une étude réalisée en Angleterre dans laquelle retour à la non-mixité = meilleurs résultats. Permet de tendre vers l’égalité à l’intérieur des classes, dans le parcours scolaire c’est égalitaire. Pense que la mixité scolaire n’a pas d’incidence sur le fait qu’après l’élève soit plus égal ou plus inégal avec l’autre sexe. Permet de se rapprocher de l’égalité entre les sexes, car pourquoi avoir rendu l’école mixte sinon ? justification Ne perçoit aucun inconvénient à cette mixité scolaire. Elle est Point de vue totalement positif, car apprentissage du vivre ensemble, même si exigences moins élevées donc performances moindres. 174 Ne perçoit aucun inconvénient à cette mixité scolaire, que des avantages : confrontations d’idées, de sexes, moins de problèmes par rapport à la sexualité, permet un bon équilibre. Inconvénients : garçons semblent être moins captivés par l’école. Aimerait trouver un moyen de faire changer cela, se pose des questions. même positive pour les filles car revalorisation. Egalité des chances à l’école : bons résultats scolaires = bons métiers. Permet de se rapprocher de l’égalité entre les sexes, mais pouvoir limité par rapport à ce qui se passe à la maison. Inconvénients : soi-disant des performances moindres pour les élèves (mais ne sait pas pourquoi), mais sinon pas d’autres inconvénients. 175 3) Que pensez-vous de la féminisation de l’enseignement primaire ? + QR Tableau n°12 Jeunes Enseignants Bill C’est terrible et ça va pas dans le bon sens, car l’élève aura un manque quelque part (éducation et manière de se comporter avec l’autre sexe) besoin de représentants des deux sexes (manière de vivre, de réagir différente) = complémentarité Importance de la différence : exemple intéressant avec Suisses et étrangers (l. 264269) Ca fait très peur, car côté trop maternant et manque d’images un peu plus fortes. Point de vue négatif sur cette féminisation de l’enseignement. Constat dans son centre : grands degrés, plus d’hommes ; petits degrés, plus de femmes pdc Expérimenté-es Enseignantes Jeff Impacts négatifs sur les élèves : enseignement = métier de femmes ? / cheffe = femme un peu maternante et peut-être très sensible, manque un chef homme, comme plus tard dans les entreprises et PME (chef d’entreprise). Gertrude Sophie Dévalorisation du métier d’enseignant primaire aux yeux de la société, car pratiqué par des femmes. Pense que c’est un métier qui attire plus les filles, car travail avec enfants + materner (f= cajoler, plus gentille, plus douce ; g = plus dur). Ca lui est égal tant que les personnes (hommes ou femmes) font bien leur travail. Peut avoir un impact négatif sur les g, si pas de modèles masculins à la maison : problèmes car besoin d’un cadre, d’un modèle masculin pour construire son identité (imiter mimiques, gestes, attitudes). Importance de représentations des deux sexes : styles d’enseignement, présence en classe et manière de fonctionner différentes. Impact sur la représentation de l’enseignement comme un métier de filles, mais sinon ne voit pas en quoi ça peut avoir un impact sur les élèves. Ne sait pas si impact sur la production d’égalité/inégalité. Impact sur l’inégalité : renvoie l’image d’un métier pour les femmes. Hommes auront moins envie de le faire. Mais ne crée pas de gros problèmes. Luigi Francine Caroline Il est pour la mixité au niveau de l’enseignement aussi. Il faudrait plus d’hommes, car ça apporte un autre regard, une autre manière de fonctionner. Trop de femmes, il faudrait plus d’équilibre [plus d’enseignants], car permet un mélange d’idées masculines et féminines Ce n’est pas une bonne chose, car beaucoup de femmes travaillent à temps partiel, donc manque de stabilité (gens à plein temps = piliers du centre) + manque de diversité (sexe, personnalité, caractère). Important aussi pour enfants de familles monoparentales Féminisation peut produire des inégalités Impact sur l’inégalité : renvoie l’image d’un métier enseignant où l’accès est réservé aux femmes Jimy N’a pas conscience de cette féminisation de l’enseignement. Pense que maintenant c’est bien mélangé, c’est bien équilibré. Pense que si c’est le cas, on revient en arrière. Le mélange c’est positif, car permet l’équilibre, d’avoir Certainement un impact négatif sur les élèves, car Cette féminisation rend les élèves mous [preuves basées sur des stéréotypes] et produit de l’inégalité 176 une meilleure balance, évite les conflits. Pense que enseignants importants pour couper cette fibre maternelle, poser un cadre plus masculin (image masculine). Importance des deux visages dans l’enseignement. c’est déséquilibré. Il faudrait une sorte de parité, appauvrissement de n’avoir qu’un sexe qui est représenté, car les hommes et les femmes sont différents. Ne sait pas si produit de l’égalité ou de l’inégalité. (autorité masculine, valeurs, identification) Impact sur les élèves : ne sait pas Impact sur la production d’inégalités : sous-entend que enseignement = réservé aux filles Impact sur égalité/inégalité : indépendamment du sexe de l’enseignant-e, ne provoque pas d’inégalités. 177 D. Conception des différences de sexe 1) Y-a-t-il des différences entre les garçons et les filles ? Si oui, lesquelles et à quel niveau ? Observez-vous à l’école des différences entre vos élèves filles-garçons ? + QR + QD Tableau n°13 Jeunes Enseignants Enseignantes Jeff Bill Existence de différences : physiologiques (g = pénis ; f = vagin ; pilosité différente) / besoins (sécuritaires, identitaires) / comportements (f = plus dociles, plus serviables ; plus violentes psychologiquement ; g = plus violents physiquement) / scolarité ( f = plus scolaires, plus à l’aise en milieu scolaire) / capacités ( g = meilleures performances à la gym ; f = meilleure expression verbale) Existence de différences : physiologiques (corps différents) / image (g = plus imposants) / intelligence (f = intelligence relationnelle, interpersonnelle, empathie) / interactions (discussions différentes) / activités sportives / centres d’intérêt / choix des métiers / vision du monde (g = plus optimistes, sauf si coup dur, pessimistes ; f = si coup dur, relèvent la tête) / gestion des émotions / activités (g = jouer dehors, bouger, courir, sauter / f = discuter, faire des jeux de rôles, jouer à papa maman) Différences selon matière et sexe : résultats pas si différents ; plus une question de motivation de l’élève en fonction de la branche. A la base, compétences intellectuelles différentes, mais ils les développent plasticité cérébrale Différences selon matière et sexe : les compétences sont indépendantes, mais intérêt différencié selon le sexe. g = aiment mieux les maths, f = aiment mieux le français. Gertrude Existence de différences : biologiques (construction différente) / perception des événements (réactions, compréhensions différentes) / gestion des conflits (g = plus francs, règlent conflits rapidement ; f = discuter par derrière, faire la gueule) / travail scolaire (f = plus bosseuses, plus studieuses ; g = plus cools) Différences selon matière et sexe : élèves « pives » en français et maths, garçons ou filles. Compétences intellectuelles différentes : compétences pas en lien avec le sexe. Sophie Existence de différences : anatomiques / caractère (g = plus dynamiques, plus fonceurs, plus agressifs ; f = plus doux, plus tendres) / habillement (habits) / expression / choix des branches / choix des métiers / capacités (g = plus math ; f = plus français) / jeux (g = foot ; f = discussion, corde à sauter, élastique) / choix de jeux ( g = plus bouger, courir ; f = bouger tranquille) / relations avec l’enseignante ( f = se confier à la maîtresse, raconter de petites histoires ; g = relation enseignant-élève) / matériel (f = trousse rose, fourre rose ; g = motifs de skate, superhéros) Différences selon matière et sexe : au début oui, après ça s’atténue avec le temps. Vrai pour certain-es. f = plus de facilités dans les langues. 178 Expérimenté-es Pas de différence au niveau cognitif. Compétences intellectuelles différentes : f = plus à l’aise en expression orale (plus l’habitude de parler) / g = plus à l’aise dans activités physiques (plus l’habitude de bouger, jouer dehors). Jimy Luigi Existence de différences : travail scolaire (f = plus appliquées, plus soigneuses, il faut que ce soit beau) / gestion des conflits (g = plus directs, plus rapides ; f = plus sournoises, conflits moins réglés rapidement) / jeux (g = jeux violents ; f = plus tranquilles) / comportements (g = plus râleurs par rapport aux règles, ne sont pas d’accord ; f = plus vite d’accord par rapport aux sanctions) / capacité de concentration (f = plus de concentration ; garçons perturbés par regards, gestes, bruits) Différences selon matière et sexe, le sexe ne change rien par rapport aux résultats. Existence de différences : travail scolaire (f = plus soigneuses dans l’écriture, arrivent mieux à travailler en collaboration ; g = plus individualistes) / activités (f = pas grand-chose qui joue au foot, en groupe pour discuter ; g = en groupe pour jouer) / comportement (f = plus grande capacité de concentration, plus grande empathie, plus grande écoute ; g = réactions plus explosives) Différences selon matière et sexe, compétences indépendantes du sexe. Compétences intellectuelles différentes Compétences intellectuelles différentes : mêmes compétences, mais se développent différemment selon le domaine les touchant plus. Choix différenciés selon sexe : g = maths, physique, f = langues Francine Existence de différences : travail scolaire (f = soucieuses + travailleuses ; g = moins travailleurs) / activités (f = discuter ; g = jouer) / application (f = plus minutieuses aux travaux manuels ; g = moins) / scolarité (g = « j’aime pas l’école ») Différences selon matière et sexe Mais f = plus volontaires Compétences intellectuelles : f= plus appliquées, concentrées ; g = plus francs attention : ce ne sont pas des compétences intellectuelles Caroline Les différences sociales (environnement familial) ont plus d‘importance à ses yeux que celles entres filles et garçons. Est consciente de l’existence de stéréotypes de sexe. Existence de différences : travail scolaire (f = plus studieuses, plus appliquées, mais aussi plus brouillons, plus sales) / activités (g = plus attirés par la gym) / attitude (f = plus dans l’émotionnel, g = plus dans le rationnel) / physique (g = plus de force) Différences selon matière et sexe : les filles ont certaines compétences, les garçons d’autres MAIS peut s’inverser selon les personnes + influence de l’environnement familial et 179 Compétences intellectuelles différentes, mais sensibilités différentes. F = plus dans la recherche, la pensée, la réflexion avant de produire qqch ; g = plus instinctif. d’autres facteurs Compétences intellectuelles : ne répond pas vraiment. Cerveaux des garçons et des filles différents, mais est-ce dû à l’inné ou à l’acquis ? Avoue son ignorance. 180 2) D’où proviennent ces différences ? Quelles sont les origines/les facteurs à l’origine de ces différences ? + QR + QD Tableau n°14 Enseignants Jeff Jeunes Origines : d’abord les parents et la famille de manière générale (habits, jouets, couleurs, interactions) ; exemple intéressant (l. 328333) beaucoup d’influence (4 ans). Autres influences : collègues moins égalitaristes (pas lui), les pairs (se co-formatent), ~la société (l. 323-324) Se questionne sur le rôle de l’école : difficulté de faire changer de rôle aux élèves, de les déformater, peu d’influence Enseignantes Bill Origines : toujours aspects physiologiques/biologiques (principalement le cerveau : métiers ; performances physiques). Peut-être aussi la littérature jeunesse, la télévision (dessins animés), mais ne pense pas que ça influence. Gertrude Sophie Origines : le contexte/l’environnement composé de la famille/les parents (renforcements, a priori, manière d’éduquer) et la société (clubs de sports, jouets, habits, la télévision, les séries TV, les journaux). Exemples avec effet Pygmalion (l. 363-364 + l. 377-380) de la part des parents. Origines : l’éducation (jouets, comportement, caractère) par les parents, la société (télé, livres, jeux vidéo) et l’école (effet Pygmalion). La société envoie des images aux enfants : g = superhéros, forts / f = princesses, esseulée. Rôle des aspects biologiques : choix du métier (force) Rôle des aspects biologiques : ne joue pas un grand rôle Aspects biologiques ne jouent pas un rôle, si ce n’est pour les performances physiques Jimy Expérimenté-es Origines : aspects génétiques (biologiques), différences d’éducabilité Luigi Francine Origines : n’a aucune idée. Origines : les parents (inscription Ne sait pas si c’est hormonal à activités extrascolaires ou par rapport aux codes de différentes, habits aussi) et la conduites inné ou acquis ? société (jeux et activités Influence des images que la différentes ; rayons des magasins ; société donne des hommes et couleurs). D’abord la société, puis des femmes (publicité, les parents. télévision, clips vidéo) / papa Différences depuis la naissance et Caroline Origines : très clairement l’éducation par le papa et la maman (jouets, vision d’un garçon ou d’une fille, réactions différenciées aux émotions), la société (tâches, compétences différentes dévolues ; stéréotypes de sexe) et son 181 maman (activités et métiers différents qui véhiculent des images, manière d’être) / métier d’enseignant (plus d’enseignantes) Aspects biologiques : ne sait vraiment rien du tout, ne sait pas quelle influence ils ont. même avant Aspects biologiques pas à l’origine des différences influence (télévision : clips vidéo, films pornos ; médias : donnent une image réductrice de la femme ; la presse : magazines ; Internet) Rôle des aspects biologiques : la biologie est une base, mais on peut la modifier, l’améliorer, ce n’est pas définitif à la naissance. plasticité cérébrale Autres facteurs plus essentiels dans le développement : éducation, l’influence de l’école, les images. 182 3) Les garçons et les filles sont-ils/elles élevé-es différemment ? Comment cela se traduit-il ? + QR + QD Tableau n°15 Enseignants Jeff Oui : jouets, habits, réactions, sentiments, interactions différents exemple intéressant (l. 373375) Jeunes Oui, le système scolaire peut accentuer ces différences si on n’y fait pas attention, car les enfants se « coformatent ». Mais en soi, ça ne pose pas de problème, on a toujours vécu comme ça. Oui, l’école peut atténuer les différences et elle le fait (exemple des emplois : laver le tableau aussi pour garçon, monter/ descendre stores aussi pour filles) Expérimenté-es Enseignantes Bill Oui : protection, motivations différenciées (g = jouer, courir dehors + activités physiques / f = moins) Oui, il pourrait accentuer les différences, mais ne le fait pas, au contraire… Oui et c’est pour cela qu’il a été formé Gertrude Pas volontairement, mais influences au niveau des jouets (rarement atypiques) et des rôles (f = vaisselle, g = tondre la pelouse) Oui, le système scolaire peut accentuer les différences (gym), ça dépend de l’enseignant (influences : façon d’aborder les matières, choix d’orientation) Oui, par la discussion (remise en question des rôles) Sophie Oui : cadeaux et habits différents, relations différentes aux parents. Pas de grandes différences en termes d’éducation. Oui, il peut accentuer les différences en séparant les garçons et les filles, en donnant un accès différencié à des cours, mais ne pense pas qu’actuellement il accentue. Ca dépend de l’enseignant (gestion de la classe, traitement des élèves, personnalité, style d’enseignement) Oui, par un traitement identique (critères de passation, discipline identique) Jimy Luigi Francine Caroline Oui, c’est complètement différent : gestion différente des deux sexes. Les familles sont plus à laisser faire les garçons que les filles. Influence aussi des niveaux sociaux, des religions, beaucoup d’hétérogénéité entre élèves. Oui, certainement : habits, sports différenciés, réactions différentes face aux sorties. Oui, impression que filles et garçons sont élevés différemment, sous forme d’activités différentes. Oui, le système scolaire convient moins aux garçons qu’aux filles. Il est inégalitaire car on met l’accent sur certaines compétences (collaboration, Non, le système scolaire n’accentue pas les différences. Oui clairement éducation de manière différente, même si on veut pas, on va pousser les enfants d’un côté ou de l’autre en fonction du sexe : activités, jouets, habillement et couleurs différenciés ; sorties. Oui, les maîtres[-sses] peuvent contribuer à atténuer les différences. Oui, le système scolaire accentue les différences de 183 Non, le système scolaire n’accentue pas les différences, car dans les programmes tout est fait pour qu’il y ait une égalité entre sexes, religions. Oui et il le fait déjà, par la situation de mixité : mêmes programmes, mêmes chances à chacun être constant) ce qui dessert les garçons. Oui, il pourrait, si on permettait aux garçons d’être impulsifs et non constants, mais ne le fait pas. manière inconsciente, mais ne sait pas dire comment. Pense que tout le monde n’a pas les mêmes chances, car on n’utilise pas la bonne méthode. Oui, le système scolaire peut atténuer les différences, mais ne sait pas comment. 184 E. Formation enseignante 1) Dans votre formation, avez-vous eu l’impression que la thématique de l’égalité entre les sexes était importante ? + QR Tableau n°16 Jeunes Enseignants Enseignantes Jeff Bill Thématique pas importante, mais abordée (cours de sociologie) : a été sensibilisé à la socialisation différenciée dès le berceau. Pas plus importante qu’une autre thématique, mais elle était présente. Cours sur le concept de genre en sociologie : se souvient que la littérature jeunesse crée des inégalités hommesfemmes. Thème qui l’a marqué, important pour lui car il lui a parlé. Pense que ce thème parle à tous. Ne se souvient pas avoir eu une quelconque éducation à l’égalité des sexes. Pense que les enseignants sortis de la HEP sont plus sensibilisés à cette thématique. Thématique captivante : touche plus qu’une autre thématique, car choses qui sont assez vraies (littérature jeunesse différenciée). A eu une éducation à l’égalité des sexes (sociologie) : développement du concept de genre, réflexion et travaux à ce sujet. Gertrude Sophie Oui, dans le cours 1.2 [sociologie]: se souvient d’une série de livres « labels » = inversent + parlent d’égalité Pas une très très grande importance, mais a eu un cours (sociologie) dans un module. Elle a été sensibilisée à cette thématique. Ne se souvient pas de grand-chose de ce cours si ce n’est un clash avec une étudiante ne partageant pas ses idées + document « s’exercer à l’égalité » Prof féministe : ça l’énervait, résister (jouait la grosse rustre). Ne se souvient pas avoir eu une quelconque éducation à l’égalité des sexes A peut-être eu une éducation à l’égalité des sexes (cours de politique et sociologie), mais très rapidement. A retenu que les salaires étaient différents. Collègues plus âgés n’ont pas du tout été sensibilisés à cette thématique (l. 275) Expérimenté-es Pense qu’on n’a pas besoin d’aborder une telle thématique, car on sait qu’on doit traiter nos élèves de la même façon. Maintenant, c’est rentré dans les mœurs. Jimy Luigi Francine Caroline Non, pas du tout, ils n’ont jamais parlé de ça. Non, ne se souvient pas d’avoir parlé de ça. Non, car ils n’ont jamais parlé de ça. Non, ce n’était pas un sujet qui était traité à l’époque. La mixité n’existait pas à cette époque, 185 N’a pas du tout eu d’éducation à l’égalité des sexes. N’a pas eu d’éducation à l’égalité des sexes. N’a jamais eu une quelconque éducation à l’égalité des sexes. donc la question ne se posait pas. N’a pas eu d’éducation à l’égalité des sexes. 186 2) Que pensez-vous d’une éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire ? + QR Tableau n°17 Enseignants Jeff Enseignantes Bill Gertrude C’est inutile : on devrait faire l’inverse, comme si c’était normal qu’on soit égaux. Seulement si nécessaire, en fonction des besoins des élèves : actuellement n’en ressent pas le besoin dans sa classe. Considère plus important le respect entre garçons et les filles que l’égalité. Importance de la discussion : poser des questions. Il le fait chaque année avec la journée « Osez tous les métiers ». Important pour sensibiliser les élèves, mais parents doivent faire leur boulot. Jeunes Ca ne doit pas devenir un cours en soi, mais rester quelque chose de ponctuel, même s’il faut faire attention au quotidien rôle de l’école au niveau de la formation, non pas de l’éducation. Ne juge pas une éducation à l’égalité pertinente à l’école primaire. Questionne le rôle des parents dans cette éducation importance de sensibiliser les parents Utilité en fonction de la classe : attitudes des élèves, éducation, valeurs. Sophie Ca doit se faire au cas par cas : aborder cela avec élèves ayant de gros problèmes, pas avec tout le monde. Il ne faudrait pas imposer ça dans le cursus scolaire, car déjà bien assez. Pertinent, mais pas pour tout le monde, plutôt ciblé. Utilité oui, mais qqch de ponctuel (une fois par année) Expérimenté-es Jimy Luigi Francine Caroline Il le fait tous les jours en donnant la même chance à tout le monde (fille-garçon). Essaie de gommer les différences par le respect de la personne, en regardant les capacités et qualités de C’est une connerie de plus. L’inégalité entre les sexes est une richesse, pas un déficit. Faire une telle éducation = ne pas respecter la différence de l’autre. Il faudrait plutôt apprendre aux gens à se Nécessité d’éduquer/informer les parents et la société à cette égalité des sexes pour avoir une aide extérieure. Pense que c’est important. Ne le fait pas, sauf si un problème filles/garçons, au coup par coup. Utilité si tout le monde s’y met (société, parents) + attitude Utilité : oui par rapport à sa classe (religions et pays 187 chacun. Autrement cours d’éducation sexuelle (1X par année) : seul cours où on parle de la différence des sexes filles-garçons. respecter, pas seulement par rapport au sexe. Utilité : non, ce n’est pas pertinent d’ouverture de la part de l’enseignant, mais inutile si que éducation à l’égalité à l’école et pas autrement. mélangés) au vue de l’éducation que reçoivent certains. Mais même en général avec que des enfants suisses. Utilité : non, car actuellement égalité des moyens et égalité des chances 188 3) Disposez-vous des outils nécessaires pour dispenser une telle éducation ? + QR Tableau n°18 Enseignants Jeff Oui, connait les documents de « l’école de l’égalité » (mais ne connait pas son nom) et l’a utilisé dans le cadre de la journée « Osez tous les métiers », sinon jamais en dehors de ça. Evoque aussi un film « jouela comme Beckham ». Jeunes N’utiliserait pas ce matériel en dehors de cette journée, même si a du plaisir à enseigner avec ce matériel, car assez à faire avec le programme officiel + rôle des parents d’éduquer Apports d’une telle éducation : briser certains modèles stéréotypés + se questionner sur les déterminants dans la langue Expérimenté-es Enseignantes Bill Oui, a travaillé avec les documents de « l’école de l’égalité » (mais ne connait pas son nom) en stage, dans le cadre de la « journée des filles », maintenant « Osez tous les métiers ». N’a pas du tout été satisfait de ces documents et les trouve inutile : désintérêt des enfants + pas plus intéressant que tant. Apports d’une telle éducation : rien du tout. Désintérêt des enfants car ça ne les touche pas. Gertrude Sophie Oui, « label », même si ne sait pas vraiment en quoi ça consiste. Sinon Internet, prendre contact avec psychologues (questions, demande d’ouvrages ou brochures). Oui, document « s’exercer à l’égalité » (document pédagogique) : l’a dans ses affaires d’école, mais pas encore ouvert (l. 471-473). Ce sont des fiches à remplir, des exercices collectifs ou individuels, plus des jeux (ludiques). Pense qu’on peut transmettre pas mal de soi aux élèves dans ce thème-là (éducation, représentations de l’homme et de la femme). Importance de la discussion : sur soi, émotions, sentiments, ressentis. Se renseignera en fonction des besoins pas autrement car il y a assez d’autres choses à faire, ne pas perdre son énergie pour rien. N’a jamais utilisé du matériel en lien avec cette thématique. N’a pas encore utilisé ce matériel didactique, car nouvelles méthodes (français, sciences-géo-histoire) à utiliser, mais envisage de le faire, car la société véhicule pas mal d’images pour les élèves et doivent comprendre que hommes et femmes sont égaux. Jimy Luigi Francine Caroline Non, clairement non. Il n’a pas d’outils. Non. Non, il lui semble qu’elle n’a rien si ce n’est des fiches qu’un stagiaire de la HEP lui a données. Non, pense qu’on n’a pas de matériel comme ça à disposition. Peut-être au niveau des documents reçus par N’a jamais utilisé du matériel N’a pas utilisé de matériel didactique en lien avec 189 didactique en lien avec l’égalité des sexes. l’égalité des sexes. N’a pas utilisé de matériel didactique en lien avec l’égalité des sexes si ce n’est lors de la journée « osons les métiers » (CD avec métiers atypiques + discussion). Autrement pas grandchose si ce n’est laver le lavabo et employer le balai autant pour les garçons que filles. rapport aux droits de l’enfant. N’a pas utilisé du matériel didactique en lien avec l’égalité des sexes. Apports d’une telle éducation : ouverture d’esprit + prise de conscience que tout le monde est capable de faire n’importe quel métier indépendamment du sexe 190 4) Avez-vous déjà suivi un cours de perfectionnement (formation continue) en lien avec l’égalité des sexes ? + QR Tableau n°19 Enseignants Jeff Jeunes Non et n’envisagerait pas de le faire. Enseignantes Bill Non et n’envisagerait pas de le faire, car ne l’intéresse pas. Pense qu’il faut arrêter de se focaliser là-dessus. Gertrude Non et ne ferait pas une priorité de cette thématique (car assez des choses sur Internet + autres problématiques plus importantes), mais si temps à disposition pourquoi pas. Sophie Non et ne le ferait pas car a d’autres priorités en termes de formation continue (anglais et musique), manque de temps. Autres problématiques prioritaires : le PER, enfants hyperactifs, enfants HP Jimy Expérimenté-es Non et n’envisagerait pas de le faire, car ne voit pas de différence, dans son métier en tout cas. Luigi Non et n’envisagerait pas de le faire. Francine Caroline Non et pense que ça n’existe pas. Non et n’envisagerait pas de le faire actuellement. Elle a d’autres chats à fouetter. Mais le ferait si se rend compte que c’est une problématique et que ça peut aider les enfants à mieux développer leurs compétences. 191 F. Rôle de l’enseignant-e 1) Les enseignant-es ont-ils/elles des pratiques pédagogiques neutres envers leurs élèves filles-garçons ? Avez-vous des pratiques pédagogiques neutres envers vos élèves ? + QR + QD Tableau n°20 Enseignants Jeff Pense pouvoir influencer les élèves en les confortant dans leur « formatage », en les laissant faire. Pense ne pas être neutre, mais à l’impression de l’être. Jeunes Exemple d’un système de répartition de la parole équitable selon le genre (l. 530-536) Enseignantes Bill Oui, pense que les pratiques pédagogiques sont neutres et qu’il a aussi des pratiques pédagogiques neutres. Ne pense pas influencer ses élèves. Pense que ça dépend de chaque personne, de la façon de voir les filles et garçons, de la façon dont on a été élevé. A l’impression d’avoir des pratiques pédagogiques +/neutres. N’a pas l’impression de faire de différences + n’a pas de remarques de la part des élèves. N’essaie pas d’influencer les élèves et ne fait pas de différence selon le sexe. Réactions différentes mais par rapport au niveau intellectuel, pas leur sexe Expérimenté-es Gertrude Jimy Luigi Oui, tout à fait. Ne pense pas pouvoir influencer les élèves selon leur sexe. Non, parce que ce sont des personnes différentes, mais indépendamment du sexe. Mais utilise les filles pour la formation des groupes ou comme tutrices par rapport à leur empathie (auxiliaires pédagogiques). Ne sait pas quelle influence ont ses pratiques sur les élèves. Sophie Pas toujours : aux travaux manuels, plus d’aide aux filles ou élèves ayant de la peine qu’aux garçons ; au chant lorsqu’elle fait des groupes en fonction du sexe. Mais sinon, pratiques pédagogiques neutres car on s’exprime de la même façon à une fille qu’à un garçon. Elle ne fait pas de différence dans sa façon d’être avec les filles et les garçons. Francine Caroline Oui, pratiques pédagogiques sont neutres. Si elle influence les élèves c’est de manière involontaire, inconsciemment. Pense être neutre, mais se demande si elle l’est réellement. Parfois agace, pique les garçons ou les filles, mais juste pour embêter par pour dévaloriser un groupe par rapport à l’autre. Elle aimerait et pense traiter les élèves de la même manière. 192 2) Est-ce qu’il vous semble avoir les mêmes types de relations avec les garçons et les filles ? + QR Tableau n°21 Enseignants Enseignantes Jeff Bill Oui, pas de relations différentes en fonction du sexe. Oui, est certain d’avoir les mêmes types de relation avec les garçons et les filles. Il a plus de problèmes avec les garçons. g = moins scolaires, moins dociles, plus d’oublis, plus de conflits. Ca se passe toujours bien, même s’il est plus à l’aise avec les filles, car a un cerveau de fille. Jimy Luigi Jeunes Oui, mêmes relations avec les garçons et les filles. A le même fonctionnement avec les deux. Expérimenté-es Des fois un peu plus strict, cadré avec les garçons, mais aussi parfois avec filles ayant moins de structures. Ca se passe aussi bien avec les garçons et les filles. Ne pense pas avoir le même type de rapport entre les garçons et les filles. A l’impression de pas être la même chose avec les garçons et les filles (parole, manière de dire les choses). A l’impression que ça se passe aussi bien avec les garçons et les filles. Gertrude A des relations différenciées mais en fonction de l’élève et de son caractère, pas du sexe. Sophie De manière individuelle (personnelle), différences au niveau du contenu des discussions, mais pendant les cours, mêmes types de relations. Ca se passe aussi bien avec les garçons que les filles. Francine Oui, pense ne pas faire de différence entre filles ou garçons Caroline Oui, c’est plutôt une question de personnalité des enfants, mais pas de différence entre les filles et les garçons, ce sont des élèves. Les garçons sont plus coquins suivant les volées. Elle a eu plus de problèmes de discipline, même des cas lourds, avec des garçons que des filles. 193 3) Pensez-vous que les élèves aient des relations différentes avec un enseignant ou une enseignante ? + QR Tableau n°22 Enseignants Jeff Jeunes Oui, f = séduction avec un enseignant Jimy Expérimenté-es Oui, f = plus de discussion avec enseignante ; g = plus de discussion avec enseignant. Mais pas par rapport à lui, dans sa classe, filles et garçons viennent autant lui parler. Enseignantes Bill Non, pense qu’il n’y a pas de différence Luigi Oui, certainement. N’arrive pas à savoir en quoi, mais pense que c’est différent. Gertrude g = jeu de séduction avec elle (l. 342), f = pas de séduction, ni jalousie Pense que plus les élèves grandissent, plus ils jouent sur la différence au niveau de la séduction : d’abord, innocents puis jeu de séduction. Sophie f = se confient beaucoup plus à elle, racontent des histoires, g = relation enseignante-élèves f parlent avec elle de l’esthétisme ou font des compliments ; g parlent avec elle de ce qu’ils ont fait (sport) f : enseignante = rappelle la maman ; g : enseignant = modèle Francine Caroline f = plus proche d’elle, se confient plus à elle qu’à un enseignant, osent plus parler à une maîtresse de certaines choses. Oui, en fonction de leur éducation (enfants musulmans). La relation avec leur papa et leur maman donne une image des hommes et des femmes qui influence la relation avec un enseignant homme ou femme. 194 4) Est-ce qu’il vous semble que vous interagissez de la même manière avec les garçons et les filles dans votre classe ? + QR Tableau n°23 Jeunes Expérimenté-es Enseignants Enseignantes Jeff Bill Gertrude Sophie Non, mais pas parce qu’ils sont de sexe différent, donc oui. Oui, il lui semble interagir de la même manière, mais en est inconscient. Oui, il lui semble interagir de la même manière. Oui, il lui semble interagir de la même manière. Jimy Luigi Francine Caroline Non, a l’impression d’avoir plus de retenue avec les filles, d’être plus carré avec les garçons. Non. Elle se doit de plus motiver les garçons car ils montrent moins, sont moins soucieux, plus enfoutistes idée de sousréalisateurs Différence au niveau de la discipline : il faut plus discuter avec les filles car plus rancunières pour régler un problème Oui, dirait qu’elle interagit de la même manière. N’a pas le sentiment de faire de différences, mais peut-être qu’elle le fait de manière inconsciente. Oui, il agit et interagit exactement la même chose des deux côtés. 195 5) Connaissez-vous ce qu’est le « langage épicène » ? Qu’en pensez-vous ? + QR Tableau n°24 Enseignants Jeff Enseignantes Bill Non, absolument pas, n’en a jamais entendu parler. Pense que c’est horrible d’utiliser un tel langage. Il trouve ça inutile et féministe. Trouve ce langage trop artificiel. Exemple intéressant avec les « you » en anglais (l. 582585) Jeunes Utilité : absolument pas, ça rallonge les choses pour rien + pense que ça ne change rien d’utiliser ce langage. Utilise parfois ce langage de manière naturelle, pas en réfléchissant + ironie Non, ça ne lui dit rien du tout. Pense que c’est ri-di-cule. Ca l’énerve et trouve cela affreux + ironie. C’est exclu qu’il l’utilise. Utilité : inutile au possible. Utilisation de ce langage : dans les asiles (pour rire), chez un psychologue de couple, mais pas à l’école Utilisation de ce langage : au cirque, dans une lettre (destinataires ?), pour les choses officielles Expérimenté-es Gertrude Sophie N’a aucune idée par rapport à ce qu’est le langage épicène, ne se souvient pas en avoir entendu parler. Non et n’en a jamais entendu parler. Pense que c’est une connerie pour perdre du temps et que c’est redondant d’utiliser le même terme au masculin et féminin. Elle utilise des termes qui désignent autant les garçons que les filles. Exemple : les élèves. Mais ne fait pas attention à utiliser ce langage. Utilité : ne lui semble pas utile, sauf parfois d’utiliser un terme désignant autant les deux groupes de sexe. Utilisation de ce langage : aucune idée Pense que c’est très bien, mais compliqué habitude de parler avec le masculin générique. Plutôt une vision positive de ce langage. N’utilise pas ce langage, peutêtre rarement « celles et ceux », mais ce n’est pas réfléchi, pas en lien avec l’égalité. Utilité : non, pas à l’école primaire, car ils ne font pas de différence, ne comprennent pas encore ça. Utilisation de ce langage : formation d’adulte Jimy Luigi Francine Caroline Non pas du tout, n’en a jamais entendu parler. Non et n’en a jamais entendu parler. Non pas du tout, jamais entendu parler. Utilise le masculin générique à l’école. Non, ça ne lui dit rien du tout. Ca ne le choque pas car c’est Pense que c’est une connerie. Pense que c’est intéressant. N’y avait pas pensé, mais ça ne lui 196 ce qu’il fait souvent (l’utilise dans 85-90% des cas), mais ne connaissait pas le nom. Il aime faire remarquer qu’il y a les deux sexes dans la classe avec ce langage. Vision positive de ce langage. Utilité : donne autant d’importance du côté masculin que du côté féminin + montre que tout le monde existe. Pense que les choses se font plus facilement ainsi. Utilisation de ce langage : les autres personnes devraient aussi l’utiliser, mais ne sait pas s’ils le font ou pas. Il trouve cela ridicule. Ca n’a pas une importance énorme. Ca stigmatise les deux sexes, car on montre bien qu’il y a des garçons et des filles et que c’est complètement différent. Pense qu’il faut être fou pour utilise ce langage car c’est trop long à dire et on montre bien qu’il y a des différences, donc négatif. dérangerait pas de faire ce genre de démarche. Regard tout à fait positif sur le langage épicène. Utilité : ne juge pas du tout utile d’utiliser un tel langage à l’école N’utilise pas ce langage épicène. N’utilise pas ce langage épicène. Utilisation de ce langage : lettres, discours, les trucs officiels + ironie. Justification : pour spécifier qu’il y a des hommes et des femmes et qu’ils sont différents. Utilité : ne dit pas qu’elle le juge utile, mais si ça peut apporter un plus au niveau de l’égalité, si ça vaut la peine, elle le ferait. Utilité : ne juge pas utile d’utiliser un tel langage à l’école. Utilisation de ce langage : associations démocratiques (institutions) ou pour tout ce qui est officiel. Utilisation de ce langage : ne sait pas, à la HEP peut-être. 197 6) Avez-vous déjà entendu des collègues véhiculer des stéréotypes de sexe par rapport à leurs élèves ? A quel niveau ou comment ? + QR Tableau n°25 Enseignants Jeff Collègues : non, pas directement. Jeunes Lui-même : c’est difficile de s’en souvenir, mais pense que oui Propos sexistes : mise à part des gags (humour), non. Enseignantes Bill Collègues : oui, bien sûr, mais ça ne le choque pas plus que tant, car il a aussi été éduqué avec des stéréotypes de sexe, mais ne s’en porte pas plus mal ajd. Evite de le faire, mais n’irait pas faire de remarques à ses collègues à ce sujet. Lui-même : oui, plusieurs fois, mais il en prend rapidement conscience et corrige le tir directement, sur le moment même. Propos sexistes : rien qui l’a choqué, juste des blagues, mais jamais vraiment sérieusement (humour) Jimy Luigi Collègues : non, pas par rapport à leurs élèves. Collègues : oui, certainement. Exemple d’un collègue ayant prédit le métier de coiffeuse pour une fille. Lui-même : non jamais. Expérimenté-es Propos sexistes : seulement des gags pour décontracter l’atmosphère en salle des maîtres, pour rigoler, mais ce n’est pas pour blesser. Ca n’a Lui-même : certainement, mais ne s’en souvient plus. Propos sexistes : n’a pas Gertrude Collègues : oui, ça elle sait. Elle-même : oui en dehors de la classe, mais jamais devant la classe, parce que c’est destructeur. Donc non. Propos sexistes : ne se rappelle plus, ça ne l’a pas choqué. Elle a beaucoup d’humour. Trouve cela rigolo, c’est de l’humour. Ex : femmes travaillent à 50%, femme encore enceinte Francine Collègues : de manière flagrante, non. Elle-même : ne pense pas véhiculer des stéréotypes de sexe. Propos sexistes : oui, « les filles petits degrés, les garçons grands degrés » Sophie Collègues : non, pas tellement. Elle-même : peut-être parfois, mais pour plaisanter, pas pour être méchante ou créer des inégalités. Pense en utiliser inconsciemment, car clichés ancrés dans la société. Ex. : temps de préparation des filles après la gym. Propos sexistes : non, pense que s’en serait souvenue car ça lui aurait hérissé les poils. Caroline Collègues : oui, certainement de temps en temps, mais aussi en lien avec la nationalité. Exemples avec les garçons portugais, les filles portugaises. Elle-même : plutôt non, mais peut-être laisse échapper une phrase de temps en temps 198 rien à voir avec des élèves ou des collègues. tellement entendu, mais n’est pas tellement attentif. Ca ne l’a pas choqué. Propos sexistes : oui, une fois « de toute façon les femmes qui sont à temps partiel elles travaillent mois que les autres » (dit par un collègue plus âgé), Mais sinon milieu assez aseptisé par rapport à ça. 199 7) Les enseignant-es exercent-ils/elles un impact sur l’orientation future des élèves selon leur sexe ? + QR Tableau n°26 Enseignants Bill Plutôt pas. Ca ne dépend pas du sexe, plutôt au cas par cas. Ne sait pas trop quoi répondre, mais pense que non. Ne voit pas comment il pourrait exercer un tel impact. Jeunes Cite la journée « Osons tous les métiers » qui peut avoir une influence. Jimy Non, actuellement en tout cas pas. Chacun va où il veut. Expérimenté-es Enseignantes Jeff N’a jamais utilisé de matériel didactique. Gertrude N’a pas l’impression d’avoir un impact sur l’orientation de ses élèves MAIS les enseignants, en fonction du regard qu’ils ont sur leurs élèves, ça peut les influencer N’a pas utilisé de matériel didactique par rapport à l’orientation de ses élèves. Elle en a parlé, mais n’a pas utilisé de matériel particulier. Journée « futur en tous genres » : discussion autour des métiers + film « Mme Doubtfire » Luigi Francine C’est possible, on peut influencer n’importe qui, mais indépendamment du sexe. N’a pas utilisé de matériel didactique pour orienter professionnellement ses élèves. Non, pas du tout. Oriente indépendamment du sexe par rapport au cycle en mentionnant les possibilités plus grandes en étant niveau 1 plutôt que niveau 2. N’a pas utilisé spécifiquement de matériel didactique si ce n’est le CD de la journée « Osons les métiers » Sophie Ne pense pas pouvoir les influencer en primaire car vie professionnelle encore trop loin d’eux. Peut-être donner le goût du métier d’enseignant. N’a pas utilisé de matériel didactique, car élèves trop petits. Caroline Par rapport au métier d’enseignant oui, mais c’est pas en lien avec le sexe, mais avec la personnalité des élèves, sinon en général, non. Non, n’utilise pas de matériel didactique en 4ème, car ils sont trop jeunes. Mais avant oui avec « la journée des filles » (ajd depuis la 6ème). 200 9.5. Le langage épicène Le langage épicène consiste à adapter le langage pour éliminer toute discrimination linguistique entre femmes et hommes. En effet, la langue française se base sur le masculin universel : le masculin englobe le féminin et les accords sont toujours faits avec le masculin. Le terme épicène désigne aussi bien le féminin que le masculin. Le langage épicène est donc la manière d'adresser un texte ou un discours autant aux femmes qu'aux hommes. Exemples à l’école, l’enseignant-e s’adressant à l’ensemble du groupe-classe: Au lieu de dire « ceux qui ont terminé leur travail viennent le faire corriger chez moi », dire « celles et ceux qui ont terminé leur travail viennent le faire corriger chez moi ». Au lieu de dire : « bravo, vous êtes des champions ! », dire « bravo, vous êtes des championnes et des champions ! ». Au lieu de dire : « je compte sur vous pour être discret », dire « je compte sur vous pour être discret et discrète ». 201 9.6. Profil des différents sujets Prénom : Jeff Sexe : masculin Formation : HEP Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? Variable la plus importante ? Utopie ? Concerné-es ? Thématique toujours pertinente ? Milieu égalitaire pour élèves ? Vision de la mixité scolaire ? Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Origines des différences ? Egalité de traitement L’origine physique Oui, mais égalitarisme possible Pas vraiment Oui Non Positif Oui Constructionniste (+ plasticité cérébrale) Renforcer/atténuer différences Oui Oui, mais ponctuellement L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Rôle du système scolaire ? Sensibilisation à cette thématique ? Education à l’égalité des sexes à l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe ? Oui Oui, mais impression… Oui Non Non 202 Prénom : Bill Sexe : Masculin Formation : HEP Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? Variable la plus importante ? Utopie ? Concerné-es ? Thématique toujours pertinente ? Milieu égalitaire pour élèves ? Vision de la mixité scolaire ? Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Origines des différences ? Rôle du système scolaire ? Notion idéale, préfère « équité » La culture Oui, on n’est pas égaux Oui, mais pas obsédé Oui Oui Positif Non Essentialiste Uniquement atténuer les différences Oui Non L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Sensibilisation à cette thématique ? Education à l’égalité des sexes à l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe ? Oui, mais pas intéressant Oui Oui, mais inconsciemment ? Non Non 203 Prénom : Gertrude Sexe : féminin Formation : HEP Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? Variable la plus importante ? Utopie ? Concerné-es ? Thématique toujours pertinente ? Milieu égalitaire pour élèves ? Vision de la mixité scolaire ? Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Origines des différences ? Rôle du système scolaire ? Sensibilisation à cette thématique ? Education à l’égalité des sexes à l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe ? Egalité de traitement L’origine Oui, on n’est pas égaux Non Oui Oui, sauf gym Positif Oui Constructionniste Renforcer/atténuer les différences Oui Oui, selon classe/besoin des élèves L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Oui Oui Oui Non Non, mais impression 204 Prénom : Sophie Sexe : féminin Formation : HEP Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Egalité de traitement/ égalité des chances Variable la plus importante ? Le sexe Utopie ? Oui, mais traitement égalitaire possible Concerné-es ? Oui de loin Thématique toujours pertinente ? Oui Milieu égalitaire pour élèves ? Oui, mais religion (!) Vision de la mixité scolaire ? Positif Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Oui Origines des différences ? Constructionniste (+ plasticité cérébrale) Rôle du système scolaire ? Uniquement atténuer les différences Sensibilisation à cette thématique ? Oui Education à l’égalité des sexes à Oui, mais ciblé, pas pour tous l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe ? Oui Oui, sauf ACM et chant Oui Non Non 205 Prénom : Luigi Sexe : masculin Formation : EN Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Notion idéale, préfère le « respect » Variable la plus importante ? Dépend du lieu et du moment Utopie ? Oui, on est pas égaux Concerné-es ? Oui, mais pas vraiment impliqué Thématique toujours pertinente ? Non Milieu égalitaire pour élèves ? Oui, sauf pour apprentissages Vision de la mixité scolaire ? Positif Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Non, pas d’incidence Origines des différences ? Pas de conception précise Rôle du système scolaire ? Renforce les différences Sensibilisation à cette thématique ? Non Education à l’égalité des sexes à Non l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe ? Non Oui Non Non Non 206 Prénom : Jimy Sexe : masculin Formation : EN Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Egalité de chance, de droits et d’obligations Variable la plus importante ? L’argent Utopie ? Oui Concerné-es ? Oui Thématique toujours pertinente ? Oui Milieu égalitaire pour élèves ? Oui Vision de la mixité scolaire ? Positif Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Oui Origines des différences ? Essentialiste Rôle du système scolaire ? Uniquement atténuer les différences Sensibilisation à cette thématique ? Non Education à l’égalité des sexes à Non l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe ? Non Oui Oui Oui Non 207 Prénom : Francine Sexe : féminin Formation : EN Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? Variable la plus importante ? Utopie ? Concerné-es ? Thématique toujours pertinente ? Milieu égalitaire pour élèves ? Vision de la mixité scolaire ? Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Origines des différences ? Rôle du système scolaire ? Egalité des sexes Egalité des sexes Oui Non Oui Oui Positif Oui Constructionniste Uniquement atténuer les différences Non Oui, si pas que à l’école, sinon non Non L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Sensibilisation à cette thématique ? Education à l’égalité des sexes à l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe ? Oui, mais inconsciemment ? Non Non Non 208 Prénom : Caroline Sexe : féminin Formation : EN Thèmes Sujets Représentations du sujet L’égalité Egalité ? Variable la plus importante ? Utopie ? Concerné-es ? Thématique toujours pertinente ? Milieu égalitaire pour élèves ? Vision de la mixité scolaire ? Plus d’égalité avec mixité scolaire ? Origines des différences ? Egalité des droits Dépend des domaines Oui Oui Oui Oui, mais religion (!) Positif Oui Constructionniste (+ plasticité cérébrale) Renforcer/atténuer les différences Non Oui L’égalité des sexes La mixité scolaire Conception des différences de sexe Formation enseignante Rôle de l’enseignant-e Rôle du système scolaire ? Sensibilisation à cette thématique ? Education à l’égalité des sexes à l’école (+ pertinence) ? Outils nécessaires pour éducation à l’égalité des sexes ? Pratiques pédagogiques neutres selon sexe ? Interactions neutres selon sexe ? Utilité du langage épicène ? Impact sur orientation professionnelles des élèves selon sexe?? Non Oui, mais impression… Oui, mais inconsciemment ? Seulement si apporte un plus à l’égalité Non 209 9.7. Liste non-exhaustive d’outils pour une éducation à l’égalité des sexes à l’école primaire De quoi parle-t-on ? Collection « l’école de l’égalité » Filles et garçons… accordons-nous 50 activités pour l’égalité filles/garçons Balayons les clichés A l’école, au collège, au lycée : de la mixité à l’égalité Livres labélisés par « Lab-elle » Mon métier, ma passion… ton avenir ? Egal-e avec mes élèves, c’est tout à fait mon genre ! - petite littérature à l’usage des profs qui se soucient des filles et des garçons Filles et garçons à l’école, clichés en tous genres Quel en est son contenu ? Fiches conçues pour l’ensemble de la scolarité obligatoire en lien avec l’égalité des sexes. Guide pédagogique contenant des situations d’apprentissage pour encourager des rapports égalitaires entre garçons et filles dans la classe à l’école primaire. Ouvrage payant de Virginie Houadec et Michèle Babillot proposant des activités à conduire dans toutes les disciplines et à tous les degrés de l’école primaire. Mallette pédagogique contenant des ressources pour aborder les différences de sexe et les inégalités (activités individuelles ou collectives). Outil de sensibilisation proposant des pistes de travail et de réflexion autour de situations de la vie scolaire puisées dans la réalité quotidienne des écoles, collèges et lycées. 300 albums dépourvus de stéréotypes de genre. Court-métrage (10 minutes) présentant les parcours professionnels atypiques de trois personnes. Guide permettant d’aborder en onze fiches les thèmes centraux mis en avant par l’Université des femmes sur l’égalité. Guide pédagogique incitant les enseignant-es à s’engager dans une pédagogie de l’égalité et donnant des outils pour les guider dans leur pratique quotidienne. Où se le procurer ? www.egalit.ech/ecole-egalite.html ou Médiathèque Valais. Ministère de l’Education, du Loisir et du Sport: www.mels.gouv.qc.ca Centre national de documentation pédagogique : www.cndp.fr Documentation pédagogique de la Médiathèque Valais Ministère de l’Education Nationale : http://www.education.gouv.fr/ Site officiel : www.lab-elle.org http://www.futurentousgenres.ch www.universitedesfemmes.be Eduscol, portail national des professionnels de l’éducation : http://eduscol.education.fr/ 210 9.8. Liste des abréviations Dans le document : AE années d’expérience ARGEF Association de Recherche sur le Genre en Education et en Formation C célibataire CDIP Conférence suisse des Directeurs cantonaux de l’Instruction Publique CSRE Centre Suisse de coordination pour la Recherche en Education DEA degré(s) d’enseignement actuel EN(s) Ecole(s) normale(s) f frère(s) fi fille(s) FP Formation pédagogique g garçon(s) HEP(s) Haute(s) Ecole(s) Pédagogique(s) IRDP Institut de Recherche et de Documentation Pédagogique IUFM Institut Universitaire de Formation des Maîtres m marié-e OFS Office Fédéral de la Statistique s sœur(s) SF situation familiale ajd aujourd’hui f filles g garçons pdc prise de conscience QR question(s) de relance qqch quelque chose QD question(s) de relance En annexe : 211