Le gamin au vélo de Jean

Transcription

Le gamin au vélo de Jean
Le gamin au vélo
De Jean-Pierre et Luc Dardenne
Collège au cinéma 53
Par Yannick Lemarié
Coordonnateur académique / DAAC- Rectorat de Nantes
Objectif du dossier : proposer des fiches afin d’insister sur quelques éléments
cinématographiques et guider les élèves dans la lecture du film.
Fiche n°1 :
Le cadre cinématographique : un monde à hauteur d’enfant
Fiche n°2
Le travail de l’acteur et chef décorateur : l’animalité
Fiche n°3
Le travail de l’acteur et de l’accessoiriste : faire le lien
Fiche n°4
Une question de mise en scène : les portes
Fiche n°5
Le son au cinéma : la parole
Fiche n°6
Le scénario : un film réaliste raconté comme un conte
Fiche n°1
Le cadre cinématographique : un monde à hauteur d’enfant
1- Où se trouve la caméra par rapport au personnage principal ?
2- Que pouvez-vous dire de la place des adultes dans les deux photogrammes ?
3- Comment justifier ces choix ?
En 6e/5e, on peut amener les élèves à s’interroger sur les choix de plans et de cadres. Pourquoi
cadrer ainsi et ne pas monter le visage de l’éducatrice ? Pourquoi laisser le serveur du bar
hors-champ ?
Réponse :
Les frères Dardenne ont choisi
de rester à hauteur d’enfant. Il
cadre donc de telle sorte que
l’enfant occupe le plan. Les
adultes doivent se baisser pour
entrer dans le cadre de l’enfant
ou la caméra doit faire un
mouvement de rattrapage afin de
cadrer entièrement l’adulte.
Le film est tout entier centré sur Cyril. Les autres personnages n’ont de réalité que par rapport
à lui et leur vie tourne autour de sa présence ou de son absence.
On remarque par ailleurs que les autres personnages entrent (en tout cas au début) dans le
cadre d’abord par le son off. C’est leur voix qui les désigne dans un premier temps : les corps
entrent dans le plan ensuite.
¾ On entend les éducateurs avant de les voir
¾ On entend la secrétaire médicale
avant de la voir
¾ On entend l’ancien voisin du père
avant de le voir
¾ On entend le serveur du bar avant de
le voir etc…
Quelques uns échappent à cette règle :
¾ La boulangère qui répond à la
question que Cyril lui a posée.
Et surtout :
¾ Samantha : on la voit avant même qu’elle ne parle
¾ Le père de Cyril : il est désigné par la musique.
Fiche n°2
Le travail de l’acteur et du chef décorateur : l’animalité
Travail : étude de la première séquence, la discussion entre l’éducateur et Cyril puis la fuite
de l’enfant dans le parc.
En quoi cette séquence montre-t-elle que l’enfant agit comme un petit animal ? Pour cela,
vous étudierez le lieu ainsi que les attitudes de l’enfant.
Elargissez votre réflexion à l’ensemble du film.
Réponses
1- Un parc
Remarquons d’abord que l’enfant vit semble vivre dans la nature et est parqué comme un petit
animal sauvage. La première séquence le confirme lors de la tentative de fuite de Cyril.
Une première barrière
Plan moyen
L’espace semble s’ouvrir et
la liberté s’offrir à l’enfant
plan d’ensemble : un espace
de liberté… mais une liberté
illusoire car…
[le rouge permet d’attirer le
regard et de suivre
parfaitement le mouvement
même de loin].
Rouge = passion /
personnage sanguin
…il trouve une deuxième
barrière qui rompt le
mouvement.
Nouveau plan moyen suivi de
plans rapprochés : l’enfant
est enfermé dans le centre
d’éducation comme il est
enfermé dans le cadre
cinématographique
Fuite par un passage sous le
bureau / animal qui sort de son
terrier
2- Les armes de l’animal
9 Mordre. Dès la première séquence, dans le bureau, l’enfant mord l’éducateur qui veut
reprendre le téléphone. Il mord ensuite celui qui tente de lui voler son vélo.
9 Lorsqu’il se bat à nouveau contre le jeune voleur, d’autres enfants arrivent et hurlent
« attaque ! mords-le ! » comme ils le feraient pour un animal. Wes finit utiliser le
surnom de Pitbull.
9 Fuir. L’enfant privilégie la fuite quand il sent qu’il ne peut pas avoir le dessus. Dans
ces cas-là, il choisit les voies les plus diverses (sous un bureau par exemple)
On insistera sur un point : Cyril ne cesse de courir durant une bonne partie du film.
9 Grimper dans les arbres.
3- Des comportements d’animal
9 Créer son propre terrier. Pour échapper à ses éducateurs, Cyril s’enfouit dans sa
couette comme un animal sous terre.
◄Caché dans la couette / terré comme un petit animal,
l’enfant tente de rester invisible aux yeux des adultes.
9 Il plante un coup couteau dans la bras de Samantha qui essaie de le retenir. Sa violence
est incontrôlée, fulgurante et irraisonnée.
9 Il bondit, comme un petit chien, lorsque Samantha essaie d’empêcher l’eau de couler
et il pousse un hurlement.
Fiche n°3
Le travail de l’acteur et de l’accessoiriste : Faire le lien
Le cinéma des frères Dardenne est un cinéma du corps. C’est la raison pour laquelle la caméra
est souvent placée près des personnages, à proximité de leur corps.
Cette proximité permet non seulement de voir la moindre des réactions du personnage, mais
également de saisir le moindre geste.
Travail
Commenter le premier photogramme :
Quel est le plan ? Pourquoi ce choix ?
Quel est le décor ? Est-il ou non important ?
Quelle est la posture de l’enfant ? Pourquoi ? Que veulent suggérer les cinéastes ?
Quel objet (quel accessoire) joue un rôle essentiel dans ici et dans le film ? Cet objet vous
semble-t-il moderne sur le photogramme ? Pourquoi les cinéastes l’ont-ils choisi ?
1- Brèves remarques sur le photogramme
1- Plan rapproché = proximité des corps / il s’agit de partir à la découverte d’un personnage,
de ne pas le lâcher pour qu’il puisse dire sa vérité.
L’arrière-plan nous montre le décor d’un bureau / des dossiers. Peut-on réduire l’enfant à des
informations administratives par essence froides et désincarnées ? Certainement pas ! Le film
le prouvera amplement.
2- Personnage en rouge : rouge = passion, violence [on peut travailler sur les connotations
avec les élèves]
Personnage tête baissée : difficulté pour communiquer avec les autres / il n’y a personne au
bout du fil et l’éducateur est hors-champ (on entend sa voix en off) comme s’il n’existait pas
pour l’enfant.
3- L’enfant tient un téléphone
• Il ne le tient pas seulement, il s’y accroche (cf. position des mains)
• Le téléphone est ancien : il a un fil… Pourquoi ce choix ? C’est l’enjeu du film : faire
le lien avec le père / faire le lien avec les autres.
• Le téléphone est souvent utilisé dans le film pour faire le lien, tenter de faire le lien ou
refuser de faire le lien.
2- Élargissement
Le geste principal de l’enfant est celui de tenir (tenir une personne, tenir un objet…) comme
s’il avait besoin de s’accrocher à quelque chose, de se raccrocher à quelqu’un. Dès les
premières images, nous le voyons avec un téléphone dans la main, un téléphone désuet mais
qui a un seul intérêt : d’avoir encore un fil.
a- Tenir quelque chose
¾ Le fil du téléphone
¾ Le filet d’eau qu’il laisse couler dans le salon de coiffure
¾ Les cuillers dans les casseroles.
b- Tenir quelqu’un / tenir à quelqu’un
¾ Tenir quelqu’un
La première fois qu’il « rencontre » Samantha dans la salle d’attente, il s’accroche à elle,
même s’il ne la connaît pas. Dans son geste, aucune affection : c’est le seul moyen qu’il
trouve pour ne pas retourner au foyer et pour pouvoir avoir un peu de liberté et mener son
enquête.
Lors des combats, il s’accroche également à son adversaire. Le pitbull (auquel il est comparé)
est un chien réputé pour la puissance de sa mâchoire et sa propension à ne plus lâcher sa proie
une fois qu’il la tient dans sa gueule.
¾ Tenir à quelqu’un
Tenir quelque chose
Tenir quelqu’un
Tenir à quelqu’un
Fiche n°4
Une question de mise en scène : les portes
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Travail
1. Situez chaque photogramme dans le film.
2. Quel est le point commun entre ces différents photogrammes ?
3. Pourquoi les cinéastes répètent-ils la même mise en scène ?
Réponses :
Le cinéma est aussi affaire de passage : passage d’un lieu à un autre, d’un temps à un autre,
d’un plan à un autre. De ce point de vue, les portes jouent un rôle important. Si on étudie la
première séquence on constate que les obstacles – et notamment les portes – se multiplient
devant Cyril. On trouve ainsi :
9 Les portails et grillage dans le centre d’éducation
9 Les portes de l’école
9 Les portes de l’ancien logement de son père (d’abord celle de l’entrée avec le
digicode, puis celles de l’appartement lui-même)
9 Les portes du salon de coiffure et celles de l’appartement de Samantha etc.
Rôles de ces portes :
9 Montrer l’une des actions importantes de Cyril : pousser les portes, tenter de les ouvrir
pour retrouver son père.
9 Pousser ces portes permet au personnage d’avancer et au monteur de passer d’un plan
à un autre, d’un espace à un autre.
A contrario, la porte fermée empêche au personnage d’avancer et oblige la caméra à
faire un plan fixe.
9 La porte permet donc de pratiquer une ellipse dans le récit et donc de créer un
dynamique.
Plan 1 : sortie de l’école
Plan deux : course dans le gymnase et sortie du
gymnase
Plan 3 : extérieur
Fiche n°5
Le son au cinéma : la parole
Formule de politesses
Répondre aux questions suivantes
1- Quelles sont les formules de politesse que Cyril semble ne pas connaître au début ?
2- Comment Samantha l’oblige-t-elle à dire « merci » ? Pourquoi ce jeu avec la bouteille
d’eau à cet instant ?
3- Comment les réalisateurs suggèrent-ils la difficulté de communication entre le père et le
fils lors de leur première rencontre ?
4- Pourquoi les adultes sont-ils souvent présentés d’abord par leur voix off ?
5- Samantha est-elle plus douée pour la parole que les autres personnages ?
6- En quoi le plan suivant est-il important ?
Réponses
1- Cyril au début est incapable d’user de formules de politesse : il ne dit pas « merci », ne
répond pas à la cliente du salon de coiffure quand elle lui souhaite le bonsoir, refuse de
s’excuser lorsqu’il insulte Gilles, le compagnon de Samantha.
2- Samantha oblige Cyril à remercier en retenant la bouteille d’eau (et au-delà, en retrouvant
l’adresse du père). Le jeu avec la bouteille d’eau est une façon de montrer le lien qui se crée à
cet instant entre la jeune femme et l’enfant. C’est une façon également de montrer que la
politesse est un moyen de se lier en société.
Le moment le plus important est donc quand Cyril de lui-même demande pardon pour ce qu’il
a fait. A ce moment le lien est établi.
3- Quand on voit et surtout entend la scène, on constate que la musique est tellement forte que
les paroles du père et de l’enfant sont à peine audibles dès les premiers instants de leurs
retrouvailles. C’est une façon de montrer la difficulté de communication entre les deux et
surtout l’absence d’attention du père vis-à-vis de son fils.
Dès que la musique s’arrête, la conversation peine à se mettre en route : de longues plages de
silence entrecoupent chaque parole.
4- Les autres adultes sont souvent présentés par leur voix off car ils n’intéressent Cyril que
pour autant qu’ils puissent répondre à ses questions.
5-Samantha a sans doute plus de capacité pour parler, mais elle ne se livre pas pour autant
facilement. Lorsque Cyril lui demande pourquoi elle l’accepte le week-end chez elle, elle ne
sait quoi répondre.
6- Le plan suivant est important car il résume le cheminement de Cyril :
¾ Il a abandonné pour la première fois sa veste et son tee-shirt rouges
¾ Il fait ses excuses
¾ Il donne une poignée de mains à quelqu’un : il recrée le lien avec un homme qu’il a
frappé.
¾ La dernière séquence est importante : pour la première fois, Cyril ne répond pas à la
violence qu’on lui fait.
Fiche n°6
Le scénario : un film réaliste raconté comme un conte
Le film s’apparente à un conte. On trouve en effet :
Un enfant en situation difficile / distingué, comme tout héros de conte. Ici, il est distingué par
deux éléments :
9 Le vélo
9 Le tee-shirt rouge [référence au chaperon rouge ?]
Des personnages :
9 Une aide : Samantha, la bonne fée [l’actrice elle-même fait cette comparaison dans les
interviews qu’elle donne / Samantha est d’ailleurs le prénom du personnage de Ma
sorcière bien-aimée.)
Son métier n’est pas innocent : la coiffeuse s’occupe à sa façon des autres et prend
soin d’eux (plusieurs fois nous voyons Samantha à son travail).
Elle est une créature de la lumière, du jour. La plupart de ses actions a lieu en effet
pendant qu’il fait jour.
9 Un opposant : Wes.
Il a un pouvoir de séduction : il montre une playstation à Cyril. Il lui apprend ce qu’est
le mal. Le plan suivant fait le lien entre la violence et la délinquance / le vol. Le Bingo
que l’on peut lire sur l’affiche est presque ironique… Que va gagner Cyril à frapper le
commerçant ?
Wes est un personnage de la nuit. Il porte un tee-shirt et l’essentiel des actions qui le
concernent se déroulent durant la nuit.
On peut rapprocher ce personnage du vieux Fagin dans Oliver Twist de Charles
Dickens. Lui aussi emploie en effet des jeunes enfants pour voler.
Des lieux
9 La cité
9 Et surtout le taillis qui apparaît comme un lieu dangereux et également un lieu
initiatique (cf. la forêt du conte).
Lieu dangereux : aux abords de la cité (Cyril doit courir longtemps pour s’y rendre la
première fois) / le taillis est séparé du reste de la ville par une route passante / lieu de
la violence.
Le taillis est le lieu naturel de Wes (= le loup du conte).
Lieu initiatique : c’est là que Cyril « meurt » et « renaît » après sa chute. Il découvre
qu’il est inutile de répondre à la violence par la violence.
Charles Dickens, Oliver Twist, chap.9.
Après le déjeuner, le plaisant vieillard [Fagin] et les deux jeunes gens se livrèrent à un
jeu curieux et bizarre ; voici en quoi il consistait : Fagin mit une tabatière dans une des
poches de son pantalon, un carnet dans l’autre, dans son gousset une montre attachée à
une chaîne de sûreté qu’il passa à son cou ; il piqua une épingle de faux diamant dans
sa chemise, boutonna son habit jusqu’en haut, et mettant dans ses poches son
mouchoir et son étui à lunettes, il se promena de long en large dans la chambre, une
canne à la main, tout comme nos vieux messieurs se promènent dans la rue ; tantôt il
s’arrêtait devant le feu, et tantôt à la porte, comme s’il contemplait attentivement
l’étalage des boutiques. Parfois il jetait autour de lui des regards vigilants comme s’il
craignait les voleurs, et tâtait toutes ses poches l’une après l’autre, pour voir s’il
n’avait rien perdu, et tout cela d’un air si comique et si naturel qu’Olivier en riait
jusqu’aux larmes. Les deux jeunes garçons le suivaient de près ; et, chaque fois qu’il
se retournait, ils se dérobaient à sa vue avec tant d’agilité, qu’il était impossible de
suivre leurs mouvements. À la fin, le Matois lui marcha sur les pieds, tandis que
Charlot le heurtait par derrière, et en un clin d’œil, tabatière, portefeuille, montre,
chaîne de sûreté, épingle, mouchoir de poche, tout, jusqu’à l’étui à lunettes, disparut
avec une rapidité extraordinaire. Si le vieux monsieur avait senti une main dans une de
ses poches, il disait dans laquelle, et alors c’était à recommencer.