STIEN Louis - Université Paul Valéry
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STIEN Louis - Université Paul Valéry
1 STIEN Louis (1923 - ) Les soldats oubliés 1) Le témoin : Louis Stien fut officier dans l’armée française de 1944 à 1961, chef de bataillon (commandant) à titre temporaire, Grand Officier de la Légion d’Honneur, trois fois blessé au combat, il participa à trois conflit : la 2e Guerre Mondiale, la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Louis Stien est né le 25 janvier 1923 en France. Il ne se destinait pas à une carrière militaire, puisqu’en 1939 il entre à l’Ecole Normale d’instituteurs du Nord, promotion 19391942. L’intégration d’une telle école montre son haut niveau d’étude et son appartenance à un milieu social assez élevé. Après la guerre d’Algérie, il commença une carrière dans l’industrie comme chef de personnel chez Breguet en 1961, puis en 1966 comme directeur du personnel chez Coronna. Il prit sa retraite en 1980. Son haut niveau d’éducation peut être une des causes de son engagement volontaire dans la résistance en 1943, au sein du Mouvement de Libération Nationale (MLN, crée en 1940 par Henri Frenay et Berty Albrecht et qui fut la matrice du mouvement Combat), politiquement orienté à gauche. Il combat dans le Nord avant d’intégrer la 1 re Armée du général de Lattre de Tassigny. Cet acte de volontariat témoigne de son engagement patriotique. Cette expérience de guerre fut à l’origine d’une vocation militaire, puisque en 1945 il intègre l’école d’officier de Coëquidan au sein de la promotion « Victoire », il choisit 2 l’infanterie, l’arme la plus meurtrière, puis rejoint l’école d’application de l’infanterie à Auvours, il en sort bien classé comme sous-lieutenant en avril 1947. Grâce à son bon classement, Louis Stien choisit l’arme qu’il veut : la Légion Etrangère, corps d’élite très actif durant cette période de guerres de décolonisation, il est ensuite volontaire pour passer le brevet de parachutiste à Pau en mai 1947 (brevet n° 9709). On voit donc que Louis Stien s’est orienté vers des corps d’élite, même novateurs comme les parachutistes, impliquant un haut degré d’engagement et de prise de risque. Novembre 1948, il arrive en Indochine avec la 2e compagnie du 1er Bataillon Etranger Parachutiste (BEP), décembre 1948 - mai 1949 il combat sur la RC4. Alors lieutenant, il combat le Viet-Minh à Hoa Binh, Vinh Yen et Dong Khé, blessé à Thai Binh en février 1950, son unité le 1er BEP est anéantie lors de l’évacuation de Cao Bang, il est fait prisonnier le 8 octobre 1950 et détenu 4 ans au camp n°1, c’est un camp mobile réservé aux officiers. Il est libéré en 1954 et fait partie des 30% de prisonniers qui ont survécu à la captivité. Par la suite, il participe à la guerre d’Algérie, en juillet 1955 il est capitaine au 18 ème RPIC, unité d’appelés, une des premières déployées dans le cadre des opérations dans ce pays. Il est ensuite officier de renseignements, le 1er octobre 1956 il est affecté au bureau d’action psychologique à Alger. Fin 1960, il demande sa mise en disponibilité de l’armée qui lui est accordée en janvier 1961, alors qu’il ne supporte plus le décalage entre le discours politique et ce qu’on lui demande sur le terrain. Tous ces éléments témoignent de l’authenticité de l’engagement de Stien ainsi que celle de son témoignage. 2) Le témoignage : Le témoignage de Louis Stien, sur la bataille de la RC4 et ses quatre années de captivité dans les camps viêt-minhs, s’intitule exactement Les soldats oubliés avec en soustitre de Cao Bang aux camps de rééducation du Viêt-Minh. L’ouvrage a été édité en 1993, à Paris, chez Albin Michel à la collection les combattants, il a reçu le prix Raymond Poincaré de 1993, l’ouvrage à ma disposition a été imprimé en 2008, sans avoir subi de modifications par rapport à ceux de 1993. On remarque que l’ouvrage a été publié bien après les évènements, ce n’est donc pas un ouvrage écrit « à chaud ». Il comporte plusieurs dessins (p. 96, 144, 191), réalisés par le capitaine Vollaire, un camarade de captivité, et légendés par l’auteur, montrant des scènes de la vie quotidienne dans les camps Viêt-Minhs. On trouve un dossier de 61 photographies au cœur de l’ouvrage, dont de nombreux portraits de camarades 3 de Stien, d’ennemis Viêt-Minhs, des détails topographiques et des scènes de combats (sans doute reconstituées), annotées par l’auteur et légendées, elles sont toutes issues des archives de l’ECPAD. On trouve ensuite plusieurs cartes, notées dans une table des cartes p. 333, disséminées le long du témoignage, présentant le contexte géographique « le Tonkin », « les calcaires », le camp retranché de Dien Bien Phu »… Le récit est divisé en deux grandes parties, la 1re sur les combats de Cao bang et la 2ème sur son expérience des camps. On trouve à la fin des annexes, entre autres statistiques de pertes et liste de noms, ainsi qu’un lexique du vocabulaire militaire que l’auteur a souhaité conserver pour plus d’authenticité. Ce témoignage ne reprend pas des évènements jour par jour, ce n’est donc pas un carnet de guerre. Il témoigne pourtant des évènements vécus par l’auteur, on retrouve ainsi des dialogues entre protagonistes. L’auteur fait une large place à l’explication du processus général de la bataille, en prologue par exemple à propos des combats de Cao Bang, afin de donner au lecteur une vision plus claire du contexte, il a ainsi effectué des recherches sur des éléments qui lui étaient inconnus au moment où il les a vécu, comme en témoigne la bibliographie en fin d’ouvrage. Le style d’écriture rappelle celui d’un récit, tout en étant sobre, sans formules inutiles, l’auteur s’attache à une description fidèle des évènements tout en nous livrant son sentiment sur son expérience de guerre, son langage est parfois cru pour témoigner de la vivacité de certain sentiments. L’ouvrage est préfacé par Hélie de Saint Marc, commandant à la légion Étrangère, parachutiste et résistant comme Stien, il a vécu les combats d’Indochine et d’Algérie et préface donc cet ouvrage en connaissance de cause. Il participa en 1961 au putch des généraux. L’auteur dédie son ouvrage aux soldats de l’Union française en Indochine et aux anciens des camps viêt-minhs. Il nous avertit de l’authenticité des personnages et évènements avec une volonté de les montrer tels qu’ils furent « héros comme salauds ». 3) L’analyse : L’auteur écrit à la première personne, témoignant de son expérience personnelle, « je rejoins le commandant Segrétain ». Il utilise parfois le « on » pour témoigner d’évènements plus généraux relatifs au contexte « on sait que Dong Khé est pris après deux jours de combats acharnés ». L’auteur donne le sentiment de vouloir témoigner du courage avec lequel ont combattu ses hommes et de l’enfer qu’ont été les camps viêt-minhs, il ne fait pas une apologie de la guerre mais n’en fait pas non plus une critique, pour lui sa cause fut juste et ses 4 soldats donnèrent tout pour l’honorer. Il témoigne du sacrifice d’une unité d’élite et du désamour d’une métropole dont les préoccupations principales étaient lointaines, les abandonnant à leur captivité durant laquelle seule la volonté individuelle permit de tenir. Tout au long de son récit l’auteur témoigne d’un grand professionnalisme, sans doute exigé par son rang d’officier, il se doit de montrer l’exemple à sa troupe afin de la motiver et lui faire surmonter les difficultés. La première nous montre un certain enthousiasme combattant, on peut même parler d’exaltation guerrière, ainsi « le spectacle est superbe » p. 43 pour l’auteur qui décrit l’arriver des chasseurs-bombardiers King Kobra salvateurs. L’auteur témoigne des liens d’amitié et de respect qui se tissent avec les camarades de combat, il parle de « vieille complicité » et de « confiance » avec ces pilotes qui viennent les appuyer dans les combats. Stien témoigne de l’intensité de certain sentiments vis-à-vis des affres de la guerre : « ahurissement » face aux civils désœuvrés qui quittent Cao Bang avec l’armée, « soulagement » à la vue de l’arrivée de renforts, « terreur » à l’idée de tomber dans les mains de l’ennemi (p. 65). L’expression des ces sentiments montre que l’auteur n’est pas insensible face aux évènements tragiques qui se déroulent devant lui. Néanmoins, l’exaltation du combat va disparaître dans la seconde partie de l’ouvrage, celle du récit de la captivité. La lassitude, le désespoir s’y installent, particulièrement face aux nombreux décès parmi les prisonniers, aux cours de rééducation politique « lavage de cerveaux » p. 161 des commissaires ennemis, aux trahisons de certains prisonniers « malades, affamés, désespérés, à vouloir se distinguer aux yeux des can bo » (viet), qui cèdent et s’offrent à l’ennemi se déclarant pleinement communistes, dans l’espoir d’un sort plus enviable ou d’une libération. L’auteur, lui, fait preuve, avec quelques camarades, d’une remarquable résistance et d’un esprit de révolte qui lui vaut des punitions et sévices divers « les buffles ». Ses tentatives d’évasion témoignent de sa volonté de ne pas s’abandonner à l’idéologie de l’ennemi, gage de meilleurs traitements. Face à l’autorité, le comportement de l’auteur est variable. En tant qu’officier il incarne lui-même l’autorité, il est donc peu critique à l’égard des autres officiers de son rang, jusqu’au chef de bataillon, leur témoignant même un certain respect, ainsi page 32 il parle du capitaine Garrigues en termes élogieux « brillant combattant ». Par contre, son opinion vis-àvis d’autorités supérieures peu présentes dans les combats est moins positive, un télégramme du général Carpentier, commandant du corps expéditionnaire, après un succès de l’unité, est qualifié de cocorico navrant (p. 32). Ce type d’autorité d’état major, qualifiée de « ils » est souvent peu apprécié des combattants, qui les qualifient même de « c…s ». Par là, l’auteur souhaite rendre hommage à ceux qui ont combattu par opposition à ceux qui sont à l’origine de plans fous et suicidaires, sacrifiant une troupe excellente. 5 Louis Stien fait une large place à ses camarades dans son récit. Ceux-ci sont nommés par leur nom et l’auteur témoigne de traits de leur personnalité : « la fougue de Graziani », « l’astuce d’Aubouin », « la froide lucidité de Planet » p. 258. Cette volonté de l’auteur de faire apparaître précisément ses camarades, leurs qualités et défauts, témoigne de l’hommage qu’il a voulu leur rendre en écrivant cet ouvrage. Stien a ainsi voulu que, par sa démarche, ces « soldats oubliés » ne disparaissent pas des mémoires pour toujours. Son regard face à l’ennemi évolue au cours du récit. Dans la première partie l’auteur a un regard assez neutre sur ceux-ci, il ne témoigne d’aucun sentiment particulier à leur égard, ils sont juste des « bô-dôï », terme qui désigne les combattants ennemis et que l’on trouve souvent dans le livre. Cette vision neutre témoigne sans doute d’une indifférence, peut être même d’un mépris caché pour cet ennemi qui est souvent déshumanisé. Une marque de ce mépris est perceptible à la fin de la première partie p. 80, lorsque l’auteur évoque les honneurs miliaires rendus par l’ennemi au commandant Ségretain, chef charismatique du 1er BEP et insiste sur le fait que cela est exceptionnel « c’est à ma connaissance le seul cas ». Dans la deuxième partie cette vision change, l’ennemi des camps et plus politisé que celui du champ de bataille, par ailleurs il n’est pas combattu, ainsi des gardiens sont connus par les prisonniers qui sont habitués à les voir, on leur donne même des surnoms, souvent moqueurs «Tom Mix » p. 96, « le Rongeur » p. 101. Ces surnoms cachent souvent le mépris que les prisonniers ont pour ces geôliers fanatisés « dans la droite ligne de la doctrine », qui tentent de leur inculquer leur foi marxiste. Les Viêt-Minhs sont également qualifiés de « nha quê », surnom péjoratif et moqueur. Globalement, on peu dire que l’ennemi est méprisé et raillé, l’auteur ne se sent aucun point commun avec celui-ci, ces sentiments sont sans doute renforcés par la dimension politique de l’embrigadement tenté par les commissaires politique ennemis. Les opérations militaires sont racontées avec une grande précision et un souci permanent du détail. Ainsi elles sont clairement datées : bataille du Na Kêo « ce 3 octobre », les positions occupées sont signalés : collines « 765 » et « 615 », les évènements sont décrits avec précision : « les goumiers se défendent admirablement et repoussent deux assauts. Toute la nuit nous entendons la fusillade, les explosions des grenades et des obus de mortier. Puis à l’aube, nouvel assaut avec sonneries des clairons, corps à corps et victoire de justesse des goumiers, à bout de munitions » p. 40. Les armes employées sont clairement évoquées : « rafales de mitraillettes, un MP 40 » p. 62. L’auteur s’attache à donner une vision d’ensemble de la manœuvre, grâce aux cartes notamment p. 70 la bataille de la RC4 et la fin du BEP. Les effectifs présents et les unités en ligne, amies comme ennemies, sont également évoqués avec détails : « Le page progresse avec seulement 2000 hommes », « le régiment 174 6 qui opère au sud de That Khé » p. 41 (ennemi). Etant donné le grade de l’auteur au moment des faits, lieutenant, il ne disposait pas de la plupart de ces informations, la grande précision des détails sur les attaques montre que l’auteur s’est documenté pour écrire son ouvrage et qu’il souhaite témoigner de la bataille dans son ensemble et pas seulement du point de vue qui était le sien lors des évènements. Face à la violence de guerre, l’auteur ne s’attarde pas sur des détails macabres, toutefois il témoigne de celle-ci « le capitaine de Saint-Etienne a été tué dans l’assaut, criblé de balles » p. 67. Il évoque la dureté de l’ennemi dans les camps «vous n’êtes pas des prisonniers de guerre mais des criminels de guerre, sans aucun droits » p. 102 « la convention de Genève ne s’applique pas à vous ». Stien témoigne de la difficulté de la vie dans les camps, sans exagérations, « l’état sanitaire empire, et les médecins font une démarche auprès du chef de camp pour pouvoir assurer les soins aux malades. Avec des mesures d’hygiène, des remèdes locaux, une dispense de travail lourd aux malades reconnus, le pire peut être évité. La réponse du Rongeur est celle du catéchisme marxiste à l’usage des prisonniers […]. vous nettoierez les rues du village ». Dans ce témoignage la violence de guerre s’exprime particulièrement au travers de la dureté des geôliers à l’égard des prisonniers. Si la mort est omniprésente dans le récit, elle n’est pas présentée sous un angle de terreur, l’auteur n’en fait pas une obsession et elle n’est pas le thème principal sur lequel il insiste. Tout au long de l’ouvrage et particulièrement de la seconde partie en captivité, l’auteur insiste sur le seul élément qui les fait tenir : la volonté de s’évader. Ainsi le principal moteur de ténacité est l’espoir de pouvoir se sortir de cette situation difficile. A chaque coup dur, l’auteur se questionne sur quels enseignements il peut tirer de chaque échec pour mieux réussir la fois suivante : « remonter la pente est très long […] je m’efforce de tenir compte des enseignements tirés de mon précédent passage à tabac » p. 145. L’auteur est assez critique envers ceux de l’arrière et plus spécifiquement les intellectuels qui en France se permettent de juger les combattants de l’Indochine « ces zintellectuels engagés amis des peuples zopprimés » p. 161. Tout au long de l’ouvrage on sent cette rancœur envers ceux qui ne témoignent qu’indifférence ou mépris pour lui et ses hommes qui se sont battues et ont souffert au service de la France, le titre du témoignage « les soldats oubliés » comme la dernière phrase « je ne voulais de pitié de personne » en témoignent. Damien VARGAS (Université Paul-Valéry Montpellier III)