paris à travers le père goriot de balzac et bel
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paris à travers le père goriot de balzac et bel
UNIVERSITÉ CHAHID CHAMRAN D’AHVAZ FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DÉPARTEMENT DE FRANÇAIS Mémoire de Maîtrise PARIS À TRAVERS LE PÈRE GORIOT DE BALZAC ET BEL-AMI DE MAUPASSANT Par : Mehdi BEHNOUSH Directeur de recherche: Monsieur le Docteur Mas’oud Nazri-doust Professeur consultant: Monsieur le Docteur Hassan Foroughi Septembre 2010 Grâces soient rendues au Dieu grand et glorieux! Car l’adoration approche l’homme de la divinité et la reconnaissance envers elle lui attire de nouveaux bienfaits. Remerciements Résumé Nom de l'étudiant: Behnoush Prénom: Mehdi Titre du mémoire: Paris à travers Le père Goriot de Balzac et Bel-Ami de Maupassant. Directeur de recherche: Dr. Mas'oud Nazri-Doust Professeur Consultant: Dr. Hassan Foroughi Niveau d'études: Maîtrise Discipline: Langue et littérature Françaises Spécialité: Littérature Université: Chahid Chamran Faculté: Lettres et sciences humaines Date de Soutenance: Septembre 2010 Nombre de pages: 86 Mots clés: Paris, la corruption, les femmes, l’argent Résumé : Dans cette recherche, l’image de Paris est étudiée d’une manière comparée à travers le père Goriot de Balzac et Bel-Ami de Maupassant. Il y a des ressemblances frappantes entre ces deux œuvres. Toutes les deux représentent de pauvres personnages qui sont venus à Paris à la recherche du bonheur. Le premier chapitre est consacré à l’étude de la corruption qui existe dans le Paris du XIXe siècle. A peu près les Parisiens sont décrits en tant que des personnages corrompus. Les trois chapitres suivants sont l’étude des éléments nécessaires pour la réussite dans cette société. Alors le deuxième chapitre étudie les femmes qui jouent un rôle très important dans la voie de la promotion sociale. Les salons mondains ouvrent la porte des hautes sociétés sur les habitants de Paris. A la tête de ces salons se trouve une femme riche et belle. C’est pourquoi Rastignac et Duroy nouent des relations avec les Parisiennes. Au troisième chapitre, l’argent est considéré comme le moteur de la société parisienne. Les personnages sacrifient tout pour atteindre le bonheur et pour gagner de l’argent. Le quatrième chapitre est l’analyse des autres éléments de la réussite. Ce sont la beauté, la jeunesse, l’audace et quelques autres éléments. Les deux héros ont ces caractéristiques par excellence. TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION.........................................................................................8 CHAPITRE I: PARIS, UNE VILLE CORROMPUE..............12 1.1 PARIS SELON BALZAC ET MAUPASSANT.........................12 1.2 L’IMAGE DE PARIS DANS LE PÈRE GORIOT………….... 14 1.3 L’IMAGE DE PARIS DANS BEL-AMI………………………...16 1.4 LES PERSONNAGES……………………………………………. 17 1.4.1 Rastignac………………………………………………………..17 1.4.2 Duroy …………………………………………………………..19 1.4.3 Vautrin………………………………………………………….21 1.4.4 Les personnages secondaires…………………………………..23 1.5 LES INITIATEURS DES HÉROS À LA VIE PARISIENNE25 1.6 PARIS ET LA PROVINCE……………………………………....27 CHAPITRE II: LES FEMMES............................................................30 2.1 LA FEMME DANS LA VIE ET L’ŒUVRE DE BALZAC…31 2.1.1 Des leçons initiatives sur les femmes………………………….31 2.1.2 Rastignac et les femmes………………………………..............34 2.1.3 Les deux filles de Goriot………………………………..............36 2.2 LA FEMME DANS L’ŒUVRE DE MAUPASSANT............. 38 2.2.1 Duroy et les femmes………………………………………......40 2.2.2 Les femmes dans la vie conjugale................................................42 2.2.3 L’image des femmes dans Bel-Ami…………………………...43 CHAPITRE III: LA SOUVRAINETÉ DE L'ARGENT….....50 3.1 L’ARGENT DANS LE PÈRE GORIOT……………………….51 3.2 L’ARGENT DANS BEL-AMI………………………………..57 3.3 LES TRACES DU PÈRE GORIOT DANS BEL-AMI……..…61 CHAPITRE IV: D’AUTRES ÉLÉMENTS DE LA RÉUSSITE MONDAINE.........................................................................63 4.1 LES FACTEURS DE RÉUSSITE CHEZ BALZAC ET MAUPASSANT........................................................................................63 4.2 LES MOYENS DE RÉUSSITE DE RASTIGNAC..................64 4.2.1 Jeunesse et beauté………………………………………………65 4.2.2 Avoir des relations…………………………………………….66 4.2.3 Adresse et talent……………………………………………….66 4.2.4 Ambitions…………………………………………………........67 4.2.5 Les traits de la personnalité de Rastignac…………………….68 4.3 LES MOYENS DE RÉUSSITE DE DUROY…………………..70 4.3.1 Beauté…………………………………………………………..70 4.3.2 Avoir des relations……………………………………………72 4.3.3 Adresse et talent………………………………………….........75 4.3.4 Ambition……………………………………………………….75 4.3.5 Journal……………………………………………………….....77 4.3.6 Observation……………………………………………………..77 4.3.7 Les traits de la personnalité de Duroy…………………….….78 CONCLUSION……......................................................................................80 BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................83 INTRODUCTION Dans ce mémoire, nous nous intéressons à étudier, de manière comparée, Paris à travers deux chefs-d'œuvre de la littérature française du XIXe siècle: Le père Goriot de Balzac et Bel-Ami de Maupassant. Au XIXe siècle, les auteurs s'intéressent, plus qu'avant, à choisir Paris comme le cadre de leurs œuvres. C’est à cause du progrès matériel de la capitale et aussi à cause d'une riche matière qu'elle offre à l'imaginaire. Selon Balzac, dans Ferragus, c'est la «ville aux cent mille romans». Le cadre des romans et des récits du XVIIIe siècle est la nature au sein de laquelle l’histoire se déroule. Par exemple nous pouvons mentionner les romans de Rousseau et ceux de Chateaubriand. Peu à peu l’espace urbain où se noue l’intrigue romanesque devient important. Paris a une place à part à cette époque avec ses quartiers, ses immeubles, ses boutiques et ses salons. Ainsi la capitale devient un mythe moderne de la littérature française. Des œuvres qui portent le nom de Paris sont abondantes, comme Spleen de Paris de Baudelaire, Le ventre de Paris de Zola, Les mystères de Paris de Sue. De plus, une partie de la Comédie humaine a pour titre « Scènes de la vie parisienne ». Il faut rappeler la différence entre Paris et la province. Les romans du XIXe siècle utilisent ce facteur pour bâtir leurs intrigues. Nous voyons cette différence dans Bel-Ami, à travers le voyage de Duroy à son village natal et dans Le Père Goriot à travers la conduite de la famille de Rastignac qui est tout à fait opposée à celle des Parisiens. Balzac et Maupassant connaissent très bien la capitale où ils ont vécu une partie de leur vie. Balzac vit à Paris dès 1814. Il commence à s'initier à la vie parisienne et aux mœurs de ses habitants, notamment à l'aide de Mme de Berny et Mme d'Arbantès. Alors il reflète dans Le père Goriot sa connaissance profonde de la vie à Paris. La manière réaliste de Balzac dans ce roman est considérable soit dans ses descriptions, soit dans la présentation des lieux ou des personnages réels. C'est intéressant de savoir que la pension Vauquer a pour modèle une maison de la rue de Clef où il existait une Mme Vauquer qui était liée avec les Balzac. Maupassant aussi connaît très bien Paris où il était élève de lycée Impérial Napoléon dès 1859. A l'aide de sa richesse et de sa beauté, il pénètre dans les salons mondains de Paris et commence à briller. Son style oscille entre le réalisme, sous l'influence de son grand maître, Flaubert, et le naturalisme de Zola qu’il fréquente et plus tard il écrit avec les autres La soirée de Médan. Dans Bel-Ami, l’auteur insiste sur la description des lieux. En cela, il est à la fois l'héritier de Balzac et le disciple méticuleux de l'école naturaliste. L’auteur de Bel-Ami est l'admirateur de Balzac pour qui il sent une sorte de sympathie. Il écrit dans ses chroniques, en octobre 1889 : « Balzac a l'énergie fécondante, débordante, immodérée, stupéfiante d'un dieu, mais avec les hâtes, les violences, les imprudences, les conceptions incomplètes, les disproportions d'un créateur qui n'a pas le temps de s'arrêter pour chercher la perfection ». Dans Bel-Ami nous voyons un héros, Georegs Duroy, ambitieux et en quête du bonheur. A travers le personnage de Duroy, le lecteur découvre les règles et les principes qui ouvrent les portes des salons parisiens. Beaucoup de critiques disent qu’Eugène de Rastignac est le modèle incontestable de ce personnage. Ils croient qu’avec Duroy, un nouveau Rastignac est né dans la littérature française. Duroy montre un opportunisme et un talent sans pareil pour exploiter les femmes et pour arriver à ses fins. Nous allons étudier les traits les plus marquants de ces deux personnages et leurs ressemblances dans les différents chapitres de notre travail, mais signalons tout de suite que tous les deux, dans une situation misérable défient la société de leur temps et parviennent à leurs buts, à l’aide de leur personnalité et en se servant des femmes et de l’argent. Notre mémoire va comprendre quatre chapitres. Le premier est consacré à montrer la corruption qui existe dans la capitale. D’abord nous étudions l’image de Paris dans chacun de ces romans. Puis nous analysons les personnages et leur corruption. A travers ces études nous présentons la différence entre la province et Paris. Dans les trois chapitres suivants, nous abordons les éléments nécessaires pour la réussite à Paris du XIXe siècle. Les héros comprennent à l’aide de leurs initiateurs, l’importance de ces éléments et c’est le fondement de leur réussite. Dans le deuxième chapitre nous nous intéressons à étudier les femmes sous deux aspects : l’importance des femmes dans la vie parisienne et le rôle important qu’elles jouent ; l’autre, la corruption des femmes parisiennes et leur comportement par rapport à la vie conjugale. Le troisième chapitre est l’étude de la question financière et l’importance de l’argent, moteur de la société. Deux héros pauvres essaient d’améliorer leur situation dans la société. En fait, face à l’importance essentielle de l’argent, les femmes ont une importance secondaire car les personnages principaux les utilisent pour arriver à leurs buts. Le quatrième chapitre est consacré à l’étude des autres éléments nécessaires pour la réussite, moins importants que les femmes et l’argent. Ces éléments comprennent la jeunesse, la beauté, l’ambition et le talent qui sont les éléments communs entre Duroy et Rastignac. Il existe aussi des éléments propres à chacun d’eux. Par exemple, Duroy utilise la presse et les milieux journalistiques dans la voie de son ascension sociale. On ne peut pas négliger l’importance des relations. Rastignac utilise des conseils de sa cousine Mme de Beauséant. L’origine de réussite de Duroy est son amitié avec Forestier par qui il commence sa carrière journalistique. Dans ces deux romans, les auteurs veulent nous dire une chose : les lois de la réussite ne sont pas celles de la morale. Dans ces œuvres, nous découvrons la population de cet univers impitoyable : d’une part les usages et les lois, d’autre part les instincts et les espoirs. Nous pouvons découvrir une similitude frappante entre Le père Goriot et Bel-Ami. Elle n’est pas toujours signalée explicitement, c’est au lecteur de la découvrir. Ces romans ont bien sûr des ressemblances avec les autres œuvres. Par exemple, il y a des points communs entre Bel-Ami et Au bonheur des dames de Zola ou entre Le père Goriot et le Roi Lear de Shakespeare. Mais il faut choisir, car l’étude de toutes ces œuvres dépasse le cadre limité d’un mémoire de maîtrise. C’est pourquoi nous avons choisi Le père Goriot et Bel-Ami. CHAPITRE I PARIS, UNE VILLE CORROMPUE Dans Le Père Goriot de Balzac et Bel-Ami de Maupassant, Paris est décrit en tant qu'une ville corrompue dans laquelle ne règne pas la vertu, mais la corruption et l'intérêt matériel. On voit cette corruption à travers des personnages, dans leurs comportements et leurs réflexions envers les incidents. Cet aspect de ces deux œuvres est si frappant que nous consacrons le premier chapitre de ce mémoire à l'étudier. En fait, ces deux chefs-d’œuvre du XIXe siècle représentent la capitale de la France minutieusement. En les lisant, nous voyons les mœurs des Parisiens de ce siècle, ce qui est très important pour l’étude de cette ville. La corruption féminine, une sorte importante de la corruption de Paris, décrite en détail, sera étudiée dans le deuxième chapitre. 1.1 PARIS SELON BALZAC ET MAUPASSANT C’est important, d’abord, de savoir quelle est l’opinion des deux romanciers célèbres du XIXe siècle à propos de la capitale qu’ils connaissent très bien, c’est-àdire montrer l’image de Paris à travers des œuvres de Balzac et celles de Maupassant. Balzac demeure à Paris dès sa jeunesse et commence à étudier les mœurs des Parisiens et les présenter dans ses œuvres : Centre des affaires, foyer de la vie politique et sociale, Paris constituait un champ d'observation privilégié pour un romancier toujours plus soucieux de montrer et d'expliquer les rouages de la société de son temps. Ferragues et La Fille aux yeux d'or avaient évoqué, déjà, un Paris infernal «qui peut-être un jour aurait son Dante.» Le Père Goriot approfondit l'enquête et enrichit le tableau. Un tableau d'où, pourtant, toute notation pittoresque est bannie1. Maupassant devient, lui-même, un vrai parisien. Il exhibe Paris dans ses récits et dans ses nouvelles en tant qu’une ville où gouvernent l’angoisse et l’ennuie : Les récits de Maupassant sur Paris ne peuvent être examinés séparément. Ils forment un livre de bord de l'angoisse, des ténèbres constantes de l'être projetées sur des lieux communs de la ville. Tout comme le récit de malaise émerge des chroniques, plus le roman devient parisien, plus il exprime une cassure de l'être. C'est pour ne pas l'avoir compris que l'on a qualifié de «mondains» Fort comme la mort et Notre cœur, qui, avec leurs descriptions de salons, de conversations vaines, de jugements frivoles sur arts, développent un acte d'accusation contre le monde2. Chez Maupassant le réalisme et le fantastique sont inséparables. C’est difficile de les considérer séparément. Pierre-Georges Castex a fait une étude de ce point de vue sur les récits de Maupassant : La grande ville, elle, combinant solitude intérieure et promiscuité, se trouve être le théâtre de l'inquiétante étrangeté de l'être. On est quelqu'un, et quelqu'un d'autre, sans pouvoir se définir. C'est en vain qu'on attendrait des autres, si proches et si nombreux, une unification. Les autres (en particulier les femmes) sont «autres » irrémédiablement. Mais aussi, l'homme est «autre» à lui-même, soumis à une perpétuelle dégradation qui le décale de lui. Plus on désire, plus on 1 2 . G. Riegert, Profil de «Le père Goriot», Paris, Hatier, 1992, p. 41. . M. Bancquart, «Maupassant et Paris», in: Revue d'histoire littéraire de la France, Sep. -oct., 1994, pp. 798-799. s'expose à ce décalage, jusqu'à pénétrer dans le domaine interdit de la mort en aimant la chevelure, jusqu'à fabriquer un autre-et-même comme le bizarre visiteur de la chambre dans «lui?» comme le fils idiot ou la fille incestueuse dans «un fils» et «l'ermite » 1. Félicien Marceau a écrit une préface sur Le Père Goriot où il a fait une brève analyse de cette œuvre. Dans la citation ci-dessous la perversion de Paris nous est montrée à travers des phrases de l’œuvre de Balzac : Lorsque, dans un même roman et sur la même société, trois personnages aussi différents que Mme de Beauséant, que Goriot, que Vautrin portent le même verdict (Vautrin «m'a dit crûment ce que Mme de Beauséant me disait en y mettent des formes»), on peut bien commencer à penser que l'auteur est du même avis. Ce verdict est clair: cette société est scélérate. Et dès lors, il n'y a plus qu'une solution: la vaincre2. 1.2 L’IMAGE DE PARIS DANS LE PÈRE GORIOT Balzac compare Paris tantôt à un océan tantôt à un bourbier: quand Eugène voit les conduites des filles de Goriot envers lui, «il voyait le monde comme un océan de boue dans lequel un homme se plongeait jusqu'au cou, s'il y trempait le pied3». Il faut considérer l’importance du mot «océan» dans la citation ci-dessus. La comparaison entre Paris et océan est signifiante. Balzac veut ainsi créer des images : celle du jeune homme, Rastignac, ballotté par ses désirs comme par les vagues d’un océan. A la page 124 l’auteur utilise le mot «corsaire» quand Eugène commence sa lutte. 1 . Ibid. . H. de Balzac, Le père Goriot, Paris, Gallimard, 1971, p.11. 3 . Ibid., p.326. 2 Eugène voit Paris comme un bourbier. Il dit à Vautrin: Votre Paris est donc un bourbier. – Et un drôle de bourbier, reprit Vautrin. Ceux qui s'y crottent en voiture sont d'honnêtes gens, ceux qui s'y crottent à pied sont des fripons. Ayez le malheur d'y décrocher n'importe quoi, vous êtes montré sur la place du Palais-de-Justice comme une curiosité. Volez un million, vous êtes marqué dans les salons comme une vertu. Vous payez trente millions à la Gendarmerie et à la Justice pour maintenir cette morale-là. Joli!1 La duchesse de Langeais est d'accord avec Eugène à propos de cet aspect de la vie. Elle pense que le monde est un bourbier, et elle propose de rester sur les hauteurs pour être à l'abri. Eugène, d’abord, ne connaît pas les difficultés de vivre à Paris. Il va à la capitale à la recherche du bonheur mais après s'être initié à la vie parisienne, il écrit, dans une lettre, à sa mère: «cette vie de Paris est un combat perpétuel ». En étudiant le père Goriot avec attention, on peut trouver d'autres repères à l'aide desquels l'auteur fait le portrait de Paris: «Paris est aussi comparé à une prostituée pour son goût du plaisir et son immoralisme. Paris, en fait – et Balzac insiste bien sur ce point, représente un monde nouveau, particulier, avec ses lois et ses mœurs bien à lui. Paris est un enfer. C'est l'enfer d'une civilisation où toutes les valeurs sont bafouées parce qu'on n'y reconnaît plus d'autres maîtres que l'argent et le plaisir2». Balzac peint, en effet, une société fondée sur le mystère et sur le mensonge où «les belles âmes ne peuvent pas rester longtemps3». Un pensionnaire dont nous ne savons pas le nom, l'auteur l'appelle répétiteur, nous révèle une autre caractéristique de la société parisienne : «un des 1 . Ibid. , p. 77. . G. Riegert, op. cit, p.42 3 . H. de Balzac, op. cit. , p. 339. 2 privilèges de la bonne ville de Paris, c'est qu'on peut y naître, y vivre, y mourir sans que personne fasse attention à vous. Profitons donc des avantages de la civilisation. Il y a soixante morts aujourd'hui, voulez-vous nous apitoyer sur les hécatombes parisiennes ? Que le père Goriot soit crevé, tant mieux pour lui ! Si vous l'adorez, allez le garder, et laissez-nous manger tranquillement, nous autres1». Ce personnage dit ces propos au moment de la mort du père Goriot à Rastignac qui parle à propos de lui. Comme le répétiteur, tous les membres de la pension Vauquer se sont habitués à cette manière de vie. S’occuper de ses propres problèmes et négliger les autres sont deux caractéristiques des Parisiens décrits dans cette œuvre. Ce qui est intéressant c'est que le répétiteur admire ces caractéristiques comme privilèges. 1.3 L’IMAGE DE PARIS DANS BEL-AMI Il faut savoir la place de Bel-Ami dans la carrière littéraire de Maupassant et les particularités de ce roman pour pouvoir bien analyser le sujet de notre étude. Pour commencer, nous nous référons au Profil de Bel-Ami dans lequel les auteurs font une étude minutieuse sur cette œuvre : Bel-Ami est un roman sans amour où règnent la brutalité du désir et l'obsession de la réussite. Une grande force parcourt le roman: c'est la recherche du plaisir charnel qui se déplace de façon fébrile mais continue, de l'érotisme à la hâte de s'enrichir, de réussir et de le montrer. Il y a peu de place pour la tendresse rêvée ou accordée. Dans ce monde sans racines, le besoin de la femme-corps et intérêtest d'ordre matériel et se résout en calculs2. 1 2 . Ibid. , p. 362. . G. Delaisement et al. , Profil de Bel-Ami, Paris, Hatier, 1999, p. 69. Certains passages de l’œuvre tracent bien la perversité parisienne décrite dans Bel-Ami: en fait, Bel-Ami est un roman qui insiste sur les perversions: perversions d'une société corrompue, perversions d'un héros qui ne recule devant rien pour aller toujours plus avant. Le protagoniste est totalement amoral, sans aucune conscience du Bien et du Mal, plus proche de l'antihéros que du héros traditionnel. 1.4 LES PERSONNAGES Nous allons ici nous consacrer un long moment à l’étude attentive des personnages de ces romans y compris les héros, Rastignac et Duroy, aussi Vautrin, pour l’importance du rôle qu’ils jouent dans la présentation de la corruption de Paris. 1.4.1 Rastignac Eugène de Rastignac est le personnage principal du Père Goriot ; en fait il est le porte-parole du romancier ou son délégué dans l'œuvre. Nous voyons la plupart des événements par les yeux de Rastignac. Il est un méridional qui est venu à paris à la recherche du bonheur et d'une vie aisée. D'abord il ne sait rien «des diverses étiquettes parisiennes1». Quand il voit la vie aisée des riches Parisiens, l'atmosphère de la pension Vauquer devient insupportable pour lui: « les pensionnaires agissent comme repoussoirs ; ils offrent à Rastignac l'image abominable de ce qu'il doit fuir, éviter à tout prix2». 2 H. de Balzac, op. cit. , p. 99. . G. Riegert, op. cit. , p. 39. Il connaît au fur et à mesure les mœurs des Parisiens, leur manière de vie et leur amour. Il se dit: L'amour à Paris ne ressemble en rien aux autres amours. Ni les hommes ni les femmes n'y sont dupes des montres pavoisées de lieux communs que chacun étale par décence sur ces affections soi-disant désintéressées. En ce pays, une femme ne doit pas satisfaire seulement le cœur et les sens, elle sait parfaitement qu'elle a de plus grandes obligations à remplir envers les milles vanités dont se compose la vie. Là surtout l'amour est essentiellement vantard, effronté, gaspilleur, charlatan et fastueux1. Pour Rastignac l'amour n'est pas un sentiment pur et sacré: Il est, en effet, la reconnaissance du plaisir. De plus, la conquête de Delphin, pour lui, est un nouvel ordre de sentiment. Peu à peu Rastignac oublie la vertu et devient inconsciemment comme les Parisiens. Il n'est plus le jeune provincial innocent: «De même, après la mort de Michel Taillefer et son examen de conscience, nous verrons le héros céder de nouveau à l'attrait du luxe et de la facilité, et accepter de Delphine l'appartement qu'elle lui offre2». C'est à cause des leçons de Mme de Beauséant et celles de Vautrin et aussi à la suite de la fréquentation des salons mondains que le comportement de Rastignac change. Quelle différence existe entre le jeune provincial du début, attaché aux douces émotions de la famille, et le personnage qui s'écrie : «À nous deux maintenant!» ? À vrai dire, il ne s'agit plus du même homme3. Les leçons de Paris et de Vautrin « ont porté: il ne s'agit pas de lutter pour détruire ou transformer la société mauvaise, mais simplement, par une corruption 1 . H. de Balzac, op. cit. , p. 289. . Ibid. 3 . Ibid. , p. 31. 2 égale à la sienne, de s'y faire une belle position. Son défit dérisoire souligne bien l'influence corruptrice de la civilisation. A travers le roman, et par Rastignac, c'est un peu la pensée de Rousseau qui s'exprime: l'homme est bon et heureux dans l'état de nature; c'est la civilisation qui le corrompt et ruine son bonheur primitif1». Révolté par l'égoïsme de la société parisienne, Rastignac, à l'enterrement de Goriot lance, du cimetière Père-Lachaise, son fameux défi à la capitale: «À nous deux maintenant!» 1.4.2 Duroy Le protagoniste du roman de Maupassant s'appelle Georges Duroy. Un homme sans le sou qui erre dans les rues de Paris à la recherche de moindre d'amour, d'une maîtresse peut-être. Par hasard il rencontre son vieil ami Forestier à l'aide duquel il s’introduit dans le monde du journal. Dès lors, tout change et l'étoile de réussite commence à briller dans le ciel de sa vie. Parmi les œuvres de Maupassant, Bel-Ami présente une histoire optimiste, alors qu'il y a des passages dans lesquels nous sentons la présence du pessimisme de Maupassant. Mais quel est l'avis de cet auteur sur son héros? Dans sa réponse aux critiques de Bel-Ami, en juillet 1885, Maupassant affirme que son héros est «une graine de gredin, qui va pousser dans le terrain où elle tombera », qu'il s'agit d'une «crapule», «développée dans un milieu digne d'elle2». Il y a donc interaction entre le personnage choisi par le romancier et le milieu, accord parfait. Ainsi Maupassant explique-t-il le défaut de son héros par le milieu dans lequel il évolue. Il faut considérer l'aspect symbolique de Georges Duroy car il est le symbole d'une décadence, celle d'une société parisienne où l'apparence et l'hypocrisie, moteurs Ibid. G. Delaisement et al. op. cit., p. 94. d'ascension sociale, sont de rigueur. «Duroy réunit donc les caractéristiques du prédateur, oscillant entre le rapace et le fauve1». Dans son ascension sociale, il consacre tout pour arriver à ses fins. Il n'est pas fidèle à la vie conjugale ni à ses relations amoureuses. Il a soif de réussite et c'est la cause de son progrès. Il change son nom selon l'avis de sa femme, Madeleine. Ce changement doit être considéré comme le symbole de l'avancement de Georges : «l'évolution de son nom répercute celle de sa situation: Georges Duroy est devenu le baron Georges Du Roy de Cantel, grand personnage, homme public désigné à l'admiration de tous. Cette réussite éclatante, Duroy la doit à la corruption des hommes politiques liés aux milieux d'affaires et qui comptent sur la presse pour réussir leurs douteuses opérations boursières2». Selon Frédéric le Blay, Duroy n'est que le produit de son environnement; «il serait un héros à la dimension du monde qui l'a fait naître3». Bel-Ami tombe amoureux de Suzanne Walter. Comme déjà dit, il n'est pas fidèle à la vie conjugale. Pour lui l'argent et le bonheur sont importants, alors il débute à chercher un prétexte pour se débarrasser de sa femme, Madeleine. Après avoir trouvé ce prétexte, il épouse Suzanne Walter: «Le mariage de Bel-Ami répond à un certain protocole, mais la cérémonie met en évidence la décadence de la société parisienne4». C'est ainsi qu'à travers du regard de l'arriviste, c'est tout un univers, celui de la décadence, qui s'inscrit en clair. « Ce Paris nous est révélé avec ses habitudes et ses plaisirs, fortement érotisés». Les «affaires» qui ont marqué la ville, le romancier les a vécues et décrites dans ses articles avant de les restituer dans le F. Le Blay, Bel-Ami, Bréal, Rosny Cedex, 1999, p. 88. M. Bury, Maupassant, Paris, Nathan, 1991, pp. 73-74. F. Le Blay, op. cit., p. 42. G. Delaisement et al. op. cit., p. 29.