Quelles attentes des patients souffrant de cancers en
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Quelles attentes des patients souffrant de cancers en
Reçu le : 8 mai 2010 Accepté le : 8 septembre 2010 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Note de pharmacie pratique Quelles attentes des patients souffrant de cancers en hôpital de jour en termes d’information sur leur traitement ? Providing cancer patients with adequate treatment information in an outpatient clinic V. Lamya, C. Reya,b, E. Franchona, M. Laramasb, D. Charletya, C. Rebischungb, B. Pégouriéb, J. Calopa, J.-Y. Cahnb, B. Alleneta,*,c a Service de pharmacie Vercors, pôle pharmacie, centre hospitalo-universitaire de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France b Pôle hématologie-cancérologie, centre hospitalier universitaire de Grenoble, 38043 Grenoble cedex 9, France c Laboratoire ThEMAS TIMC-IMAG (UMR CNRS 5525), université Joseph-Fourier, 38043 Grenoble cedex 9, France Summary Objective. An interview guide, based on literature criteria, was built to collect cancer patients’ expectations about healthcare information provided. Patients and methods. Thirty-four patients receiving intravenous chemotherapy in an oncology haematology outpatient clinic were selected and accepted a semistructured interview conducted by a pharmacist. Results. Patients are globally satisfied with the information they received. Expectations about how the care is organised was expressed by three-quarters of the patients who wished a personalised care. Concerning drugs, patients need more information about how to cope with side effects. Seventy-two percent of them declare that side effects impact on their quality of life (especially fatigue, pain and digestive disorders). Use of complementary and alternative medicines is reported by four patients. Conclusion. Expectations concerning drugs underlined in this study will help us to build a pharmaceutical care service for our outpatient clinic. ß 2010 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Cancer patients, Expectations, Information, Drug, Outpatient clinic Résumé Objectif. Un guide d’entretien basé sur les données de la littérature a été rédigé afin de recueillir les attentes des patients cancéreux en termes d’information concernant leur prise en charge thérapeutique. Patients et méthodes. Trente-quatre patients recevant une chimiothérapie intraveineuse en hôpital de jour d’oncologie-hématologie, sélectionnés selon la technique dite des choix raisonnés, ont accepté de réaliser un entretien avec un pharmacien selon un mode semidirectif. Résultats. Les patients sont globalement satisfaits de l’information reçue. Trois-quarts des patients expriment des attentes concernant l’organisation de leur prise en charge, et notamment sur l’accès à une information personnalisée. Les attentes spécifiques aux traitements médicamenteux sont essentiellement liées à la gestion des effets indésirables : 72 % des patients déclarent que leur qualité de vie est affectée par les effets indésirables (principalement fatigue, douleurs et troubles digestifs). L’utilisation de médecines alternatives et complémentaires est rapportée par quatre patients. Conclusion. Les attentes mises en évidence concernant les traitements médicamenteux justifient la construction d’un dispositif de suivi personnalisé assuré par un pharmacien au sein de l’hôpital de jour. ß 2010 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Patients cancéreux, Attentes, Information, Médicament, Hôpital de jour * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] 0768-9179/$ - see front matter ß 2010 Publié par Elsevier Masson SAS. 10.1016/j.phhp.2010.10.013 Le Pharmacien hospitalier 2010;45:183-190 183 V. Lamy et al. Introduction Les chiffres publiés par l’Institut National du Cancer montrent que l’incidence du cancer se situe à près de 320 000 nouveaux cas par an en France en 2005 (280 000 en 2000) [1]. Le cancer représente la première cause de décès prématuré et la seconde cause de décès tous âges confondus [1] avec 146 000 décès enregistrés en France pour l’année 2005 [2]. Cette pathologie reste un enjeu de santé publique majeur, social et économique. L’impact social est non négligeable, pour les patients tout comme pour leurs proches. Cet impact est d’autant plus important que le nombre de patients survivants ou en rémission augmente. Aussi, la prise en charge évolue-t-elle de plus en plus de la problématique de la survie vers celle de l’après maladie et de la qualité de vie. Ces nouveaux enjeux rendent centraux, dans la pratique, l’information et le suivi éducatif du patient et de son entourage. La loi du 4 mars 2002 précise l’obligation d’information du patient qui incombe à tout professionnel de santé [3]. Les Plan Cancer 2003–2007 et 2009–2013 rappellent ce droit à l’information, afin que les patients atteints d’un cancer puissent être « acteurs de leur combat », participent aux décisions les concernant et des conséquences des traitements [4,5]. La démarche d’accréditation des établissements de santé souligne l’importance d’un projet thérapeutique personnalisé [6]. Selon une enquête menée auprès de 700 patients souffrant d’un cancer, le droit à l’information consiste surtout en l’obligation médicale de tout dire concernant l’état de santé [7]. Cependant, les attentes du patient cancéreux en termes d’information sur sa maladie et sa prise en charge diffèrent qualitativement et quantitativement d’un patient à un autre et d’une consultation à l’autre, selon le stade de la maladie [8– 14]. Lors d’une enquête sur les conditions de vie des patients cancéreux, 38 % des répondants ont estimé que le médecin n’avait pas pris assez de temps pour répondre à leurs questions, 48 % d’entre eux ont trouvé l’information trop compliquée et 33 % des patients ont jugé que l’information avait été donnée en trop grande quantité [15]. Entre deux consultations, les patients restent avec des questions souvent sans réponse, avec le risque d’avoir oublié ces questions au moment où ils ont l’occasion de les poser [9]. Au sein de notre centre hospitalier universitaire, l’intégration des pharmaciens au cœur des unités cliniques a été progressivement mise en place depuis une dizaine d’années pour accompagner l’informatisation du circuit du médicament [16]. Plus récemment, un pharmacien senior a été affecté au pôle d’hématologie-cancérologie pour développer l’activité de pharmacie clinique. Cette activité se caractérise par l’implication du pharmacien dans des activités de sécurisation et d’optimisation de la thérapeutique médicamenteuse des patients [17]. De fait, l’information des patients cancéreux sur la gestion de leur traitement médicamenteux fait partie intégrante de la mission du pharmacien. 184 Le Pharmacien hospitalier 2010;45:183-190 L’objectif principal de ce travail était d’évaluer les attentes des patients suivis en hôpital de jour d’oncologie hématologie, dans l’optique de cerner celles qui touchent au traitement médicamenteux. L’hypothèse testée était celle d’un apport utile et spécifique du pharmacien dans le partage des informations et des connaissances sur le médicament au sein d’une équipe pluriprofessionnelle de cancérologie. L’objectif secondaire était de prédéfinir les axes d’un dispositif de suivi pharmaceutique en hôpital de jour d’oncologie hématologie. Méthodologie La méthodologie de ce travail s’est construite en deux temps. Une recherche bibliographique sur Pubmed a été réalisée à l’aide des mots clés : « patient information » ; « cancer » ; « patient satisfaction » ; « patient education ». Seuls ont été sélectionnés les articles de langue anglaise ou francophone publiés ces dix dernières années. L’analyse de la littérature a permis de structurer un guide d’entretien, sous la forme d’une grille de thèmes à aborder avec le patient. Ce guide a été validé par l’équipe médicale (deux médecins oncologues) puis testé auprès de cinq patients. Une démarche descriptive a été menée, avec la réalisation d’entretiens semi-structurés menés par un pharmacien auprès de 34 patients. Ce type d’approche vise à favoriser le dialogue avec le patient, en le laissant s’exprimer le plus librement possible pour explorer sa pensée (attitude non directive) tout en abordant les différents thèmes définis à l’avance dans le guide d’entretien (projet directif) [18,19]. Les critères de sélection de la recherche bibliographique ont permis de retenir 16 publications relatives à l’information et la satisfaction des patients cancéreux vis-à-vis de l’information reçue [8,11–13,21–32]. Le guide d’entretien s’est articulé en cinq parties : le ressenti du patient sur les problèmes généraux rencontrés lors des séjours en hôpital de jour, ou entre les cures de chimiothérapie à domicile. L’objectif était ici de voir si les problèmes cités spontanément ont un lien potentiel avec le traitement médicamenteux ; la gestion du traitement par chimiothérapie (effets indésirables, hygiène, mesures de précaution, surveillance, etc.) et son intégration au sein du traitement habituel du patient ; la satisfaction du patient concernant l’information sur sa chimiothérapie (organisation et déroulement des cures, plan de traitement, questions relatives au mécanisme d’action, à la composition ou à l’origine de la chimiothérapie) ; les attentes du patient par rapport à un entretien personnalisé sur sa prise en charge médicamenteuse ; les suggestions ou remarques du patient concernant sa prise en charge thérapeutique globale. Quelles attentes des patients souffrant de cancers en hôpital de jour ? Les patients ont été sélectionnés avec l’équipe médicale et soignante de l’hôpital de jour selon la technique des choix raisonnés [18] : cette technique vise à sélectionner des profils extrêmes, afin d’obtenir une description la plus exhaustive possible du phénomène étudié. Les critères de diversification retenus étaient le type de cancer, l’âge et le sexe du patient, le niveau d’éducation, et l’accessibilité à Internet. Les entretiens se sont déroulés dans la chambre des patients, en hôpital de jour d’oncologie hématologie. L’analyse des données a été réalisée selon une approche thématique. Cette analyse se découpe en quatre étapes : immersion dans les données, codage, création de catégories et identification des thèmes [20]. L’analyse consiste en un processus taxonomique où les données sont triées en catégories cohérentes. Résultats Profil des patients Trente-quatre patients, dont les caractéristiques sont présentées dans le tableau I, ont été rencontrés. Un seul patient a refusé l’entretien pendant la période d’étude (sans motivation Tableau I Caractéristiques des patients rencontrés. Caracteristics of cancer patients. n = 34 Nombre Pourcentage Sexe Homme Femme 20 14 59 41 Âge Moyenne Tumeurs solides Cancer du sein Cancer colorectal Cancer de la prostate Cancer du pancréas Cancer de la vessie Cancer du testicule Cancer de primitif inconnu (adénocarcinome) 59 ans (min : 23 ans ; max : 80 ans) 12 12 2 1 1 1 1 35 35 6 3 3 3 3 Hémopathies Lymphome non hodgkinien Myélome multiple Maladie de Hodgkin 2 1 1 6 3 3 Stades (tumeurs solides) Adjuvant Métastatique 11 19 32 56 Stades (hémopathies) 1re ligne Rechute 2 2 6 6 précise de cette décision). Les entretiens ont duré entre cinq et 45 minutes. Analyse thématique des entretiens Trois thèmes relatifs à l’information que les patients ont reçue ou qui leur a manquée ont été dégagés : l’attitude vis-à-vis de l’accès à l’information (tableau II), la demande d’informations concernant l’organisation de la prise en charge (tableau III) et la demande d’informations spécifiques sur les médicaments (tableau IV). Attitude vis-à-vis de l’accès à l’information Vingt et un patients, soit 62 % de notre cohorte, ne formulent pas de demande explicite ou spontanée vis-à-vis de l’information qu’ils ont reçue ou qu’ils auraient souhaité recevoir concernant la chimiothérapie et la prévention/prise en charge des effets induits par le traitement. Ces 21 patients n’expriment pas non plus de besoin en termes d’information sur la pathologie ou le pronostic. Cette absence de besoin d’information est explicitée, selon les paroles des patients, par des raisons d’ordre psychologique (perte d’espoir), intellectuel (pas d’intérêt à en savoir plus) ou pratique (absence de problèmes, information reçue suffisante). Dix-huit pour cent Tableau II Attitude vis-à-vis de l’accès à l’information. Patients attitudes towards information provided. Attitude Nombre de Précisions (nombre de patients patients apportant cette précision) N’exprime pas de besoins 21 N’a pas d’intérêt à en savoir plus sur le traitement (cinq) Est résigné, invoque la fatalité (deux) N’a pas le moral, veut en finir (un) Ne comprend pas (barrière de la langue) (un) N’identifie pas de problèmes particuliers (cinq) Se sent suffisamment informé (sept) Demande 7 « spontanément »a Veut tout savoir (quatre) Veut des informations sur un thème précis (trois) Ne veut pas savoir A peur de savoir (trois) Est gêné de demander (un) N’a pas envie d’en parler (deux) 6 a Demande « spontanément » : le terme « spontanément » ne fait pas référence au mode de recueil lors de l’entretien (semi-directif) mais à l’attitude générale du patient qui est déduite de ses propos lors de l’entretien. 185 V. Lamy et al. Le Pharmacien hospitalier 2010;45:183-190 Tableau III Demandes d’informations concernant l’organisation de la prise en charge. Patients information requests to clinical pharmacist. Organisation concernant Nombre de patients a Précisions (nombre de patients apportant cette précisionb) Le programme personnalisé de soins 24 N’a pas compris le diagnostic de suite (un) Souhaite une trace écrite : plaquette d’informations générales et/ou plaquette sur la prise en charge (neuf) Ne pense pas à poser toutes ses questions, oublie ce qu’on lui dit, reçoit trop d’informations à la fois (six) Se demande ce qui est prévu pour : la suite (quatre), le nombre de cures (cinq), les examens (un), le suivi (deux) Souhaite une information validée apportée par le médecin (par rapport à ce qu’on peut trouver dans les médias. . .) (un) Ne sait plus quoi croire (quatre) Se demande quels sont les effets indésirables sur son traitement (cinq) Doit se renseigner par soi-même (deux) Se demande pourquoi le choix de ce traitement, de ce protocole (deux) N’a pas bien compris l’utilisation des médicaments à domicile (un) Souhaite une prise en charge personnalisée (un) La diffusion de l’information 22 Est victime de préjugés sur le cancer à la campagne (un) Ressent une absence de relation de confiance avec les médecins (deux) N’a pas reçu assez d’informations (quatre) A recherché des informations sur Internet (sept) A reçu une fiche d’information sur les traitements et/ou les effets indésirables (trois) A pris ses propres notes (deux) Préfère le dialogue à l’écrit (cinq) Pense qu’on ne peut rien faire contre les effets indésirables (un) Les soins 14 Évoque un long temps d’attente de la chimiothérapie (cinq) Évoque un long temps d’attente du médecin ou de l’attribution de la chambre (trois) Est satisfait par une super équipe, une bonne organisation (11) Regrette la variabilité des médecins aux consultations (deux) Regrette un manque d’écoute de la part des médecins (trois) Décrit un problème de relais en ville (médecin traitant, pharmacien) (un) La surveillance 8 Aimerait comprendre les bilans (quatre) Aimerait savoir comment surveiller son cancer (quatre) Aimerait les résultats de ses tests génétiques (un) Le soutien psychologique et/ou psychiatrique 3 L’a exprimé explicitement (deux) Présente des problèmes relevant d’un psychologue et/ou d’un psychiatre (un) a Nombre de patients : la somme des nombres de patients est supérieure à l’effectif global (34 patients) car certains patients ont émis plusieurs demandes concernant plusieurs types d’organisations. b Nombre de patients apportant cette précision : certains patients ayant formulé des précisions appartenant à plusieurs des catégories citées, le nombre de patients présentés dans la deuxième colonne n’est pas forcément égal à la somme des nombres de patients apportant les précisions dans la troisième colonne. des patients souhaitent en savoir le moins possible aussi bien sur la chimiothérapie que sur la maladie et le pronostic. L’apport d’informations est vécu par ces patients comme une source d’angoisse supplémentaire. La crainte de mettre le médecin dans l’embarras si celui-ci doit annoncer, par exemple, la survenue d’un effet indésirable permanent ou pour lequel il n’existe pas de traitement efficace, est également formulée. Au contraire, 20 % des patients évoquent des besoins non comblés : certains souhaitent qu’aucune information, bonne ou mauvaise, ne leur soit cachée, tandis que d’autres formulent des attentes précises concernant, par 186 exemple, les médicaments (origine des chimiothérapies, état d’avancée de la recherche. . .). Demande d’informations concernant l’organisation de la prise en charge Les patients sont principalement demandeurs d’informations sur l’organisation de leur prise en charge : il s’agit du thème abordé par le plus grand nombre de patients (28/34) et le plus fréquemment (jusqu’à cinq demandes concernant un aspect organisationnel évoqué par un même patient). D’une part, les Quelles attentes des patients souffrant de cancers en hôpital de jour ? Tableau IV Demande d’informations spécifiques sur les médicaments. Medication information requests. Demande porte sur Nombre de patients a Précisions (nombre de patients apportant cette précisionb) Le mode d’action et les effets indésirables 9 Le traitement va-t-il être difficile à supporter ? (deux) Les effets changent-ils selon les cures ? (deux) Qu’est-ce qui se passe dans le corps ? (trois) Quels sont les effets indésirables attendus ? (deux) Pourquoi autant de cures ? (un) Les produits 4 Les protocoles (un) La composition (trois) L’origine (un) L’état de la recherche 4 Quels sont tous les traitements qui existent pour ce cancer ? (un) Quels sont les nouveaux traitements, ceux qui sont à l’essai ? (deux) Où en est-on des chimiothérapies par voie orale, à domicile ? (un) Effet indésirable signalé Nombre de patients a Précisions (nombre de patients apportant cette précisionb) Les effets indésirables et collatéraux divers 16 La fatigue (huit) La perte des cheveux (cinq) Troubles digestifs, altération du goût (six) Déséquilibre d’une pathologie ou d’un suivi biologique (diabète, thyroı̈de, INR) (trois) Méconnaissance des effets indésirables (un) Le « vide » ressenti 9 Arrêt de la conduite automobile (trois) Pertes de mémoire (quatre) Vertiges, chute (deux) La douleur 8 Douleurs avant le diagnostic (deux) Douleurs non soulagées par le traitement (quatre) Médecin ne croit pas à la douleur (un) Pas informé sur la douleur (un) Les médecines alternatives et complémentaires 4 Prend de l’homéopathie (deux) Prend de la phytothérapie (un) Utilise le magnétisme (un) a Nombre de patients : la somme des nombres de patients est supérieure à l’effectif global (34 patients) car certains patients ont émis plusieurs demandes concernant plusieurs types d’organisations. b Nombre de patients apportant cette précision : certains patients ayant formulé des précisions appartenant à plusieurs des catégories citées, le nombre de patients présentés dans la deuxième colonne n’est pas forcément égal à la somme des nombres de patients apportant les précisions dans la troisième colonne. patients sont satisfaits de leurs séjours en hôpital de jour et soulignent les qualités de l’équipe médicosoignante. Certains d’entre eux s’interrogent néanmoins sur le délai d’attente avant la consultation médicale et sur le délai de mise à disposition de leur chimiothérapie. D’autre part, des attentes non comblées subsistent ponctuellement sur les informations véhiculées et sur la séquence de diffusion de l’information. Sept patients signalent avoir fait des recherches sur Internet tout en souhaitant une confirmation médicale des informations trouvées. Les patients attendent une information personnalisée, particulièrement pour les modalités du traitement : nombre de cures, effets indésirables, examens et suivi. Neuf patients mentionnent l’importance d’une trace écrite de tout ce qui a été dit lors des consultations et de ce qui doit être réalisé. Cinq patients soulignent une préférence pour l’information orale par rapport à l’information écrite. Demande d’informations spécifiques sur les médicaments Concernant les généralités sur la chimiothérapie, un quart des patients (neuf sur 34) est demandeur d’informations sur le contenu et l’origine des chimiothérapies : ces patients cherchent à déterminer comment ces médicaments agissent sur leur organisme, pour mieux comprendre les effets ressentis. Une faible proportion de patients (quatre sur 34) demande à être informée sur l’état de la recherche. Concernant les effets indésirables, les patients évoquent spontanément la douleur (huit sur 34), la fatigue (huit sur 34) et les troubles digestifs (six sur 34). Ces symptômes perturbent leur vie quotidienne, leur rappellent le pronostic péjoratif de leur maladie et sont parfois source d’angoisse. Au total, 24 patients déclarent avoir subi des effets indésirables décrits comme gênants. 187 V. Lamy et al. Quelques patients ont recours à des médecines alternatives et complémentaires (MAC) en parallèle de la chimiothérapie : homéopathie, phytothérapie et magnétisme sont évoqués spontanément par quatre patients. Des proches sont souvent à l’origine de la prise de ces MAC alors que l’oncologue n’est pas consulté pour valider ce traitement complémentaire. Les motivations des patients sont variées : il s’agit principalement de « pallier les effets induits par le traitement » (stimuler les défenses immunitaires, réduire l’incidence des nausées et vomissements), de « se rétablir plus vite », « d’assurer une protection hépatique » ou encore « de participer activement au traitement ». Discussion Élaboration du guide d’entretien Nous avons, dans cette étude, opté pour une approche qualitative semi-structurée, afin d’opérer un état des lieux le plus objectif possible. Les thèmes retenus concernaient le ressenti général du patient, la gestion des effets indésirables liés à sa chimiothérapie, sa satisfaction vis-à-vis de l’information reçue, ses attentes concernant la personnalisation de sa prise en charge médicamenteuse et toutes remarques ou suggestions de sa part relative à sa prise en charge globale. Sur le sujet, l’analyse de la littérature révèle des études de type quantitatif : les recueils de données sont pour la plupart autoadministrés [8,12,13,22–32] et comportent des questions fermées [12,13,22–28,30,32]. Les thèmes retrouvés concordent avec nos données : ils concernent le temps d’attente [22], les informations délivrées [8,11–13,21–27,29–32], le comblement des attentes des patients [7,10,12,21,22,26,27,29–31], la continuité des soins [21,22], les suggestions pour l’amélioration de la prise en charge [22,24] et le ressenti des patients face à la gestion des problèmes et des effets indésirables rencontrés [12,21,23,27,29,31]. Attentes des patients en termes d’information Dans un contexte où une masse importante d’informations a été transmise au patient, notamment lors de la consultation d’annonce, notre état des lieux montre que les besoins sont majoritairement satisfaits, ce qui concorde avec les données de la littérature [8,21,26,27]. La faible proportion de patients (sept sur 34) qui ont formulé des besoins au cours de nos entretiens (thématique de la satisfaction et des suggestions concernant la prise en charge) peut s’expliquer par le fait que les patients ont du mal à cerner le concept de « besoins en termes d’information » [11]. Un travail mené auprès de patients âgés sous anticoagulants oraux a montré la complexité du processus de révélation des besoins, en décrivant l’articulation entre besoin, attente et demande et en précisant le rôle du professionnel de santé pour aider le patient à exprimer ses attentes [33]. 188 Le Pharmacien hospitalier 2010;45:183-190 Au cours de la consultation d’annonce, le transfert d’informations s’effectue sous forme de diffusion passive avec une information à caractère médicolégal. Le stress et la complexité des terminologies médicales font que les patients ont du mal à se souvenir de ce qui s’y est dit [9]. Ce transfert ne constitue pas en soi un travail d’adaptation aux besoins des patients. Le dispositif de suivi pharmaceutique que nous construisons doit inclure la définition des objectifs que le patient souhaite atteindre en fonction des besoins identifiés. Informations spécifiques sur le médicament et effets indésirables Les patients expriment quelques attentes en termes d’information générique sur le médicament mais surtout sur la gestion des effets indésirables. Les effets indésirables altèrent la qualité de vie des patients : le rendu de nos entretiens les classe parmi les problèmes concernant la thérapeutique les plus fréquemment rapportés. Huit patients ont évoqué la douleur, huit patients la fatigue et six patients les troubles gastro-intestinaux comme facteurs d’altération de leur qualité de vie. Les principaux problèmes rencontrés par plus de 13 000 patientes [30] concernent : la douleur (70 %), la fatigue (78 %) et les troubles gastro-intestinaux (61 %). Dans une étude sur l’impact des effets indésirables liés à la chimiothérapie, plus de la moitié des effets indésirables survenus ont fortement modifié la vie des patients (moyenne de 3,5 sur une échelle de sept points) [34]. Parmi ces effets indésirables, les troubles gastro-intestinaux au sens large (constipation, nausées, vomissements, diarrhées, mucites) ainsi que la fatigue comptent parmi les plus pénibles [34]. Le pharmacien peut jouer un rôle dans l’optimisation de la gestion des effets indésirables en s’assurant que ceux-ci sont pris en charge par des traitements adaptés, en informant le patient sur l’intérêt et les modalités de prise de ces traitements et en s’assurant de son observance. Les troubles psychologiques ou psychiatriques n’ont pas été fréquemment rapportés dans notre étude par rapport à la littérature [30] ; il peut s’agir d’un autre mode d’hospitalisation pour ces patients ou encore d’un biais méthodologique puisque nous ne recherchions pas systématiquement cette information, au contraire du questionnaire cité [30]. Médecines alternatives et complémentaires Parmi les 34 patients interrogés, quatre ont spontanément évoqué la prise de MAC. Ce thème n’ayant pas fait l’objet d’une question systématique, il est fort probable que nous ayons sous-estimé le nombre de patients y ayant recours. Les patients n’identifient pas, lors de leur hospitalisation, d’interlocuteur direct pour les conseiller quant à l’utilisation de ces traitements ; ils sont donc peu mentionnés. Deux études américaines et anglaises rapportent respectivement que 52 % et 78 % des patients cancéreux ont recours à des MAC [35–38]. Le nombre de patients concernés varie de Quelles attentes des patients souffrant de cancers en hôpital de jour ? 28 à 34 % en France [39,40]. Ce constat nous incite à prévoir un interrogatoire systématique et approfondi sur l’utilisation des MAC auprès des patients cancéreux. Le pharmacien, qui synthétise déjà les informations relatives au traitement médicamenteux et à l’automédication, peut être une personne ressource dans ce domaine, la pharmacologie des substances naturelles faisant partie de ses connaissances. comme une personne ressource sur le traitement médicamenteux. Une fois que la trame du dispositif sera validée par l’équipe médicale, le projet sera testé auprès des patients d’hôpital de jour. Limites de l’étude Aucun. Nous avons jugé suffisant d’interroger les patients venus en hôpital de jour durant une période unique d’une semaine. Cependant, la technique choisie visait non pas la représentativité mais l’exhaustivité des cas de figures rencontrés. Concernant le déroulement de l’entretien, les patients ont pu être instinctivement influencés dans leur réponse, car l’enquêteur se présentait comme pharmacien, et ainsi avoir tendance à axer leur discours sur les effets indésirables. Il pourrait donc y avoir un biais de réponse qui favoriserait l’hypothèse testée. Cependant, les résultats obtenus (avec une majorité de besoins concernant l’organisation de la prise en charge) ne semblent pas confirmer cette supposition. Concernant la sélection des patients, notre choix s’est porté sur des critères issus de la littérature [41] et sur l’expérience des oncologues. Ces derniers ont observé, par exemple, que les patients qui se documentent sur Internet ont tendance à poser plus de questions que les autres. Une étude comparative entre des patients atteints de cancer du sein et de cancer du colon n’a pas mis en évidence de différence dans les besoins d’informations de ces deux populations [42]. En raison de leur fréquence, ces deux localisations représentent 70 % de notre effectif. D’autres études permettant de sélectionner des patients atteints de cancers moins fréquents en menant les entretiens durant une période plus longue sont nécessaires. Conclusion Le souhait des patients pour une information personnalisée fait écho à la mise en place d’un Programme Personnalisé de Soins (PPS) et à la mise à disposition du patient d’un carnet d’accueil au sein du pôle d’hématologie-cancérologie du CHU de Grenoble. Les entretiens ont montré que la prise en charge des effets indésirables pouvait être optimisée par une meilleure connaissance et utilisation des traitements de support. La prise en charge thérapeutique globale du patient atteint de cancer est indissociable d’une discussion ouverte autour de l’utilisation de médecines alternatives et complémentaires. Ainsi, notre projet s’articule autour de la construction d’un dispositif de suivi personnalisé assuré par un pharmacien. Les objectifs sont de cibler les attentes et les besoins spécifiques de chaque patient, de renforcer les messages sur l’organisation du processus de soins et de positionner le pharmacien Conflit d’intérêt Références [1] Institut national du cancer. 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