Colloque Cap Horn du 30 janvier 2013
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Colloque Cap Horn du 30 janvier 2013
Colloque Cap Horn du 30 janvier 2013 par le Gal (cr) Jacques Rey Cette manifestation s’inscrit parmi les activités à terre de l’UPF Union des Plaisanciers Français, créé en 1961 par trois personnalités du monde de la mer, Jean-Michel Barrault, journaliste et circumnavigateur, Eric Tabarly et Jacques Lebrun, médaillé olympique. Les membres de l’Union des Plaisanciers Français et leurs amis sont périodiquement conviés à des manifestations sur l’eau comme à terre, en rapport avec le domaine maritime. Ils sont également invités à participer au Challenge de la Croisière, restitution amicale mais Invitation au colloque De la découverte par Magellan en 1520 d'un passage reliant l'Atlantique au Pacifique, à celle du Cap Horn par les Hollandais Shouten et Lemaire, nous revivrons l'épopée des grands voiliers Cap-Horniers, sans oublier la fin dramatique des tribus fuégiennes. En conclusion, un petit film montrera « la vigueur » des mers du grand Sud « les fameux 50èmes hurlants » et la route suivie par Jean Baptiste Charcot en Antarctique en 1905. Après un grand rassemblement des Cap-Horniers du monde entier en 2010 au Chili lors de la commémoration du bi-centenaire de l'indépendance du Chili, toutes les associations de Cap Horniers se retrouveront au Horn en 2016 pour célébrer le 400 ème anniversaire de la découverte du "rocher". méthodique de leurs navigations, Challenge de la Croisière donnant chaque année lieu à un classement de ses participants. Les publications relatives à ces événements sont autant que possible restituées sur des pages du site de l’Union des Plaisanciers Français et sur la page Facebook de l’UPF. L’accès en est soit réservé aux membres, soit public : www.upf.asso.fr www.facebook.com/uniondesplaisanciers Le Commissaire Général (cr) Jacques Rey, vice-consul de Patagonie à Sainte-Maxime et dans le golfe de Saint-Tropez, est un ancien de Saint-Cyr, de l’Ecole Supérieure de Guerre, et ancien Commissaire Général de Division de l’Armée de Terre. Amoureux de la mer et des océans, il a navigué dans les mers Caraïbes et traversé l'Atlantique de Sainte-Maxime à Porto Rico sur un Super Maramu, mais surtout il a franchi 2 fois le Cap Horn : en 1996 sur un Endurance 35 et en 2006 sur Vaïhéré, voilier de 23 mètres, au retour de l'Antarctique en compagnie de Nicole van de Kerchove, la célèbre navigatrice aujourd'hui disparue. Président de l'Association des Cap-Horniers de Plaisance, Jacques Rey est aussi Président de l'antenne de la Société Nationale de Sauvetage en Mer à Sainte-Maxime et membre du jury de la "Commission Livre de Mer" de l'association "Sail the World" qui décerne lors de chaque salon nautique à Paris le prix Albatros. 1/9 Il nous fera partager sa passion de l'histoire du Cap Horn et de celle des grands voiliers Cap-Horniers et amoureux de cette terre mystérieuse qu'est la Patagonie. Transcription détaillée du colloque Nous allons faire un grand parcours de Magellan à nos jours, en commençant par une citation impressionnante de Paul Guimard, membre de l’Académie de Marine, écrivant la préface d’Hommes et Navires, un livre remarquable de Jean Randier : « Le Cap Horn aurait pu n’être à jamais que ce qu’il est, un point sur la carte du monde, les hommes en ont fait une épopée, les hommes et les navires ». Ce cap Horn se situe par 55°58’ de latitude Sud et 67°38’ de longitude Ouest, dans le bout du monde de cette mystérieuse et envoutante Patagonie dont je vous parlerai en fin d’exposé. Il est la dernière terre avant de se lancer à la conquête du Drake, pour atteindre environ 800 milles plus au sud, le continent Antarctique, ce continent ou le fini converge avec l’infini et où le réel se confond avec l’irréel. Moyen-Age et Renaissance Vous le savez, depuis le Moyen-Age les épices sont très recherchées par les Occidentaux et le chemin par lequel les épices arrivent est contrôlé par les arabes. Emprunter ce chemin n’est pas possible, il faut absolument passer par la mer. Nous sortons alors de l’obscurité nautique du Moyen-Age, lorsque les hommes de la Renaissance sont prêts à toutes les conquêtes et à toutes les ambitions. Ils savent depuis peu que la terre est ronde puisqu’on en fait le tour par l’Est c'est-à-dire par le cap de Bonne Espérance. Je voudrais vous dire combien je suis heureux d’être parmi vous dans cette prestigieuse association qui a été créée par des grands noms de la mer, qui a été surtout présidée par Olivier Stern-Veyrin, membre de mon association. J’en profite pour saluer Claude son épouse, peut-être la deuxième caphornière française sur Prince Azur. Je salue également les membres présents de mon association, ma Secrétaire Générale qui va m’aider ; elle est allée au Horn, en Antarctique, en Géorgie du Sud, au Chili et j’en passe ; et aussi mon ami Lachoux qui a eu la gentillesse de venir. Union des Plaisanciers Français Mais peut-être quelque chose qui vient de très loin, des Grecs, d’Aristote, ils ont une culture de la symétrie, symétrie entre le Pôle Nord et le Pôle Sud, donc un continent peut-être Terra Australis, symétrie entre l’Est et l’Ouest également et donc peut-être un passage. Christophe Colomb s’est élancé mais il est « tombé » sur le continent américain, il a franchi l’isthme de Darien et de nouveau il a vu la mer, donc il y avait une barrière qui semblait infranchissable. Magellan Magellan arrive qui va trouver une faille dans ce rempart : l’épopée de la voile et des cap-horniers va pouvoir commencer. Elle va commencer avec Magellan, se poursuivre avec Shouten et Lemaire en 1616, prendre son essor avec la rué vers l’or de 1848, s’arrêter en 1914 avec l’ouverture du canal de Panama et la Première guerre mondiale. 2/9 Pour vous mettre dans l’ambiance, voici une photo du cap Horn en furie, puis une carte de Shouten en 1616, et ensuite 2 cartes actuelles avec la route du cap Horn que nous suivons en général comportant les vents signalés. Les vents peuvent être importants surtout dans la baie de Nassau. des épices aussi précieux que le pétrole aujourd’hui et ainsi de briser le monopole des commerçants arabes. Pour le Portugal, il s’agit de continuer à exploiter le commerce des épices qui a été commencé dès 1419 sous le règne d’un roi tout à fait exceptionnel par sa vision stratégique, sa vision d’avenir, Henri le Navigateur. Henri le Navigateur qui ne mettra jamais les pieds sur un bateau, va donner aux arts de la navigation et des voyages leurs lettres de créance. Il va beaucoup travailler mais mourra avant de voir les résultats de son travail. Malheureusement les rois qui vont lui succéder frustreront souvent leurs héroïques marins. En particulier Vasco de Gama qui va tracer la route par Bonne Espérance en 1497, ne sera jamais remercié par le roi Manuel. Ferdinand de Magellan, né en 1480 à Sabrosa dit-on, mais Stephan Zweig dans un livre exceptionnel dit qu’il est né en réalité à Oporte. Ferdinand de Magellan a rendu de grands services à la couronne du Portugal, vous l’avez entendu lors de la conférence du Cdt Prunet ; il va présenter un projet de voyage au roi Manuel qui ne l’acceptera pas et se tournera donc vers l’Espagne et le futur Charles Quint lui donnera son accord en mars 1518. Ainsi le 20 septembre 1519, l’Armada de Molucca composée de cinq caravelles, plonge dans l’océan Atlantique. Il faut ici faire un rappel historique à Magellan : le 4 mai 1493, le pape Alexandre VI va diviser le monde en deux parties, la moitié occidentale à l’Espagne, la moitié orientale au Portugal. Remarquez, il est intéressant de voir – et c’est peut-être la première fois dans l’histoire – qu’il y a un partage du monde sans guerre ! Alors ce traité de Tordesillas signé entre les deux puissances, va définir une ligne de démarcation qui se situe à peu près à 370 lieux à l’ouest des îles du Cap Vert. Pour l’Espagne il s’agit bien sûr d’exploiter la partie du monde qui vient d’être accordée et d’atteindre les Indes pour faire ce commerce Union des Plaisanciers Français La première circumnavigation vers l’ouest a débuté. La question de savoir d’où venait la connaissance d’un passage possible dans le sud du continent américain, en dehors de la théorie de la symétrie est posée ; beaucoup d’analyses et de réflexions ont été posées sur cette affaire ; il semblerait que deux caravelles portugaises auraient trouvé ce détroit en 1511, s’y seraient engagées, seraient revenues pour toutes sortes de raisons. Comme à l’époque les secrets étaient extrêmement bien gardés, surtout en Espagne, on n’a jamais su si cette navigation s’était bien réalisée. On ne sait pas non plus si Magellan avait été au courant de cette navigation, ou si tout simplement il avait une intuition géniale d’un passage vers l’Ouest. Vous savez les problèmes rencontrés par Magellan, des capitaines portugais commandant des navires espagnols, des mutineries qu’il a réprimées avec une férocité inimaginable. 3/9 Mais enfin le 18 octobre 1520, Magellan finit par remarqué un cap projeté au loin dans l’océan, un s’approchant de ce cap, il vit une large embouchure avec de forts courants, c’était le jour de la fête des Onze milles vierges en Espagne et s’est ainsi que l’on appela le cap marquant ce fameux détroit, le cap des Milles Vierges. Quarante jours après, le mercredi 28 novembre 1520, l’Armada de Molucca réduite d’un bateau qui avait déserté, s’engage dans ce détroit entre la Patagonie au nord et la Terre de Feu au sud. Malgré les vents violents, l’armada sort du détroit et va franchir un dernier cap que Magellan va bien sûr appeler le cap Désiré. L’armada entrait dans le Pacifique et Magellan entrait dans l’Histoire. L’armada va atteindre les Moluques en 1521, Magellan va convertir au Christianisme un certain nombre de tribus, en particulier la tribu des Cebu, mais il va aller trop loin et se faire assassiner bêtement en 1521 à l’île de Mactan par des indigènes. Ce n’est que beaucoup plus tard que lui sera reconnu son génie de navigateur lorsque le Victoria et les 18 survivants arrivèrent à Séville le 10 septembre 1522, soit trois ans après le départ. La relation de ce voyage a été faite par un personnage hors du commun, Antonio Pigafetta, un lombard, que Magellan avait accepté comme écrivain de bord, qui va faire partie des dix-huit survivants, qui va en particulier être aux côtés de Magellan lors de son assassinat. Expéditions funestes Alors toutes les expéditions qui vont suivre, vont connaître des desseins funestes. Je voudrais en relater deux qui marquent un peu l’Histoire de Magellan et de la Patagonie. On les connaît peu même si l’on connait un peu l’histoire fantastique de la Patagonie. La première est celle qui est conduite en 1528 par l’anglais Sébastien Cabot. Sébastien Cabot est un capitaine anglais qui s’est mis au service de la couronne d’Espagne. Il va recevoir comme mission de la couronne d’emprunter le détroit de Magellan pour aller aux épices. Mais les hommes sont toujours les hommes et il va s’arrêter au rio de la Plata en espérant y trouver des richesses insoupçonnées ; effectivement l’un de ses capitaines Francisco Cesar va s’enfoncer à l’intérieur des terres et revenir en disant avoir approché une civilisation capable de prodiges : il parle d’une cité couverte d’or. Le mythe de la cité des Césars et de sa fabuleuse capitale Rapananda était né. Si le gouverneur du Chili arrivé en 1570 a voulu faire Union des Plaisanciers Français disparaitre ce mythe, il était trop tard : toute une littérature va se créer autour de cette citée des Césars, des indigènes de ces contrées, en les décrivant comme des gens épouvantables, immenses, malodorants, qui n’ont pas de production entre eux. Il faudra l’expédition de Beauchesne en 1700, ordonnée par Louis XIV, pour que le jeune ingénieur Duplessis de cette expédition montre que les gens de la Patagonie étaient extrêmement gentils et agréables. La deuxième expédition que je voulais vous relater car le nom ne vous est pas inconnu, est celle de Pedro Samiento. Samiento en 1584 avait reçu de Philippe II la mission de construire un fort au milieu du détroit, pour empêcher les autres puissances d’y passer. Il va créer le fort San Felipe, y laisser une petite garnison qui va mourir dans des conditions épouvantables de famine, dont les Anglais vont trouver quelques survivants qu’ils vont laisser avec leur générosité habituelle. Et ce fort de San Felipe va devenir Fort Famine, qui est un port bien connu du détroit de Magellan. Sir Francis Drake Nous arrivons en 1580, Sir Francis Drake va emprunter le détroit de Magellan et va accomplir la seconde circumnavigation à la voile. Qui est Drake ? Avant d’être anobli, c’est un corsaire anglais pillant l’économie espagnol d’Amérique du sud. Quand en 1577, il sort du détroit de Magellan, il va être pris dans une succession de tempêtes, qui vont le faire dériver vers le sud ; et un moment, il va dire « je suis de nouveau en Atlantique ». Donc Drake est le premier qui semble avoir franchi cette pointe du sud de l’Amérique du sud et cela va être quelque chose qui va entrer immédiatement dans la connaissance de tous les marins d’Europe. Affaiblissement de l’Espagne et du Portugal Et pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que l’équilibre des forces vient complètement de changer sur les océans ; il y a affaiblissement des anciennes puissances maritimes, c’est-à-dire le Portugal et l’Espagne. Le Portugal du reste va perdre son indépendance et être annexé par l’Espagne en 1580. Philippe II d’Espagne ne va pas se rendre compte que les idées de Luther au nord de l’Europe, vont donner aux habitants des 17 4/9 provinces que forment les Pays-Bas, une motivation les conduisant à l’indépendance. ingénieur et écrivain, l’autre avec La Pérouse sur l’Astrolabe et la Boussole qui ont franchi le cap Horn en août 1786. La Compagnie des Indes Orientales Grande route maritime L’Union d’Utrecht en 1579 accorde l’indépendance aux provinces du nord et la République des Provinces Unies, celle de Guillaume d’Orange, est créée. Mais la route du Horn va devenir une grande route maritime. Il y a trois évènements pour que cette route devienne une route maritime. L’ambition maritime de la Hollande peut alors s’affirmer. Dans ce contexte, le gouvernement hollandais crée la puissante Compagnie des Indes Orientales et cette compagnie va avoir le monopole du commerce, et sur la route Est et sur la route Ouest. Donc aucun marchand privé ne pouvait s’engager pour faire du commerce à travers ces mers. Deux marchands aventuriers hollandais, Shouten et Lemaire, décident alors de briser ce monopole ; ils ont connaissance de la navigation de Drake et décident d’armer deux navires, le Concorde et le Horn, en appareillant de leur ville de Horn le 16 mai 1615 et en cachant le but de leur entreprise, se dirigent vers le grand Sud. Le 24 janvier 1616, ils franchissent l’entrée du détroit, ils perdent le navire le Horn qui brûle lors d’un carénage, ils descendent vers le sud, le froid s’accentue, la mer devient dure et les albatros apparaissent. Cap Horn Nous sommes le 30 janvier aujourd’hui, demain à 16 heures précises le 31 janvier il y a 400 ans, Shouten et Lemaire sont au sud de l’Amérique du sud ; ils voient un dernier rocher et Shouten se tourne vers Lemaire en lui disant « comment allons-nous appeler ce rocher ? » ; Lemaire lui répond « nous allons l’appeler du nom de notre ville de Horn », voilà le nom du cap Horn. La véritable porte de la mer du sud est ainsi ouverte pour de futurs longs courriers qui en aucun cas ne pouvaient passer par Magellan du fait des vents contraires d’ouest dominants et des louvoyages difficiles des bateaux de cette époque. Très longtemps, cette route du Horn sera peu utilisée, elle est considéré comme dangereuse, impitoyable. Je ne vais pas vous parler des expéditions qui vont périr en tentant le passage du Horn. Nous pouvons citer pour la France deux expéditions très intéressantes, qui sont revenues, l’une en 1701 avec Gouin de Beauchesne, le premier cap-hornier français – je vous ai parlé tout à l’heure de son Union des Plaisanciers Français Le premier c’est 1848, la découverte de l’or en Californie. Cette découverte de l’or déclenche une ruée formidable de l’est vers l’ouest et le seul endroit par lequel on peut passer, c’est par la mer au sud, par le Horn ; par la terre c’est extrêmement dangereux et donc cette route est très intéressante. Il faut savoir qu’un ouvrier charpentier du nom de James Marshall, qui a vu la première pépite dans l’eau d’une rivière, située dans la bourgade de Yerba Buena. Cela fait un peu penser à Tintin en Amérique : il est là, il y a un puits de pétrole, il se retourne, un immeuble est sorti de terre ! En quelques mois cette petite bourgade de Yerba Buena devient une ville de plusieurs milliers d’habitants, c’est San Francisco. La jonction des façades est-ouest ne sera réalisée par le chemin de fer, qu’en 1869. Pour vous donner un exemple, en 1854, le record de la traversée entre New-York et San Francisco – 14 000 milles – est réalisé par le clipper Flying Cloud en 89 jours et 8 heures. C’est tout à fait remarquable. Je reparlerai tout à l’heure des souffrances endurées par les hommes et des difficultés des franchissements. Le deuxième évènement qui vous intéresse, vous les voileux car vous utilisez les cartes marines, est dû à la curiosité d’un officier de la marine américaine Matthew Fontaine Maury, qui par l’étude de centaines de journaux de bord, va publier en 1847, le premier atlas des cartes des vents. Les cartes étaient divisées en zones de navigation, des diagrammes faisaient apparaître le nombre de jours par mois où le vent avait soufflé dans telle direction et avec quelle force. L’utilisation de ces cartes va réduire le temps de parcours d’au moins 30 jours. La zone des alizés du sud-est que vous retrouvez sur cette carte et pour ceux qui ont fait une transat dans l’autre sens, ces vents violents d’ouest qu’ont retrouvé Gabart et les tourdumondistes. Le troisième évènement, c’est l’évolution des cargos. Alors je vous présente ici un pentécontère, bateau étonnant qui est peut-être la synthèse de tous les bateaux de l’Antiquité. Giraudoux a dit « la guerre de Troie n’aura pas lieu » ; elle a eu lieu avec cette frégate légère de cinquante rameurs, qui pouvait remonter au vent. Elle va être utilisée par Agamemnon et Ulysse pour envahir Troie. Il y avait deux routes 5/9 pour aller sur Troie. Les courants et les vents viennent de l’est vers l’ouest. La route du nord a été suivie par Jason et les Argonautes en quête de la Toison d’or, et la route du sud a été suivie par Agamemnon et Ulysse. Il faut se rendre compte que c’est une véritable opération de débarquement : il y a mille deux cents navires qui vont suivre cette route et se mettre au sud de Troie ! Jupiter dans sa sagesse va réunir les dieux qui étaient favorables aux Troyens au nord et les dieux qui étaient favorables au Grecs au sud ! Ensuite vous avez les caravelles, cinquante personnes, vingt-trois mètres de long – celle de Magellan. Ensuite vous avez les galions, trois cent personnes, quarante-cinq mètres de long. Ensuite le brigantin, équipé de plusieurs voiles carrées. Au dix-huitième siècle, vous avez le Brick. Mais tous ces navires étaient alignés sur les navires de guerre ; ils avaient des équipages pléthoriques qui ne favorisaient pas le développement commercial. Il faut donc construire de nouveaux voiliers, faciles à manœuvrer, avec des équipages réduits. C’est avec les trois-mâts, que l’on entre dans l’ère des grands voiliers cap-horniers. Il y a deux grands types de voiliers, les trois-mâts barques et les trois-mâts carrés ; ils se distinguent essentiellement par les voiles arrières. On peut voir quand même que pour un moussaillon qui montait pour la première fois sur l’un de ces voiliers le nombre de manœuvres entre les bras, les drisses, les halebas, les écoutes, les câbles, le nombre de manœuvres courantes d’un troismâts carré est de l’ordre de trois cents. Du reste pour ceux qui sont allés sur des navires écoles, il faut se dire où vont les drisses, les écoutes, etc. Donc pour un moussaillon qui rentrait sur l’un de ces voiliers, c’était l’enfer. En même temps il y a l’évolution des carènes ; cette évolution des carènes s’est faite progressivement, mais en ce début de dixneuvième siècle, les architectes américains vont concevoir des navires révolutionnaires par la finesse de leurs coques et la démesure de leurs gréements ; des clippers corsaires qui ont causé de grands dommages à la marine anglaise, on aboutit aux clippers de commerce équipés de gréements de trois-mâts carré ou barque ; un des plus célèbres d’entre eux fut le Cutty Sark, capable de dépasser les dix-sept nœuds. Le développement de la capacité de charge amène à la construction métallique et on va arriver à l’apogée de la navigation commerciale qui est atteinte avec des mâts géants comme le Preußen ; il mesure 133 mètres de long, 16 de large et 5 600 m² de voilure ! et le France II Union des Plaisanciers Français fait 126 mètres de long et 6 350 m² de voilure ! malheureusement une fin dramatique en Nouvelle-Calédonie. il aura L’âge d’or des cap-horniers Les premières années du vingtième siècle furent l’âge d’or des caphorniers, même si le nombre de voiliers coulés et de pertes en vies humaines fut considérable. Ce n’est pas l’arrivée des navires à vapeur qui a été le facteur de la disparition des grands voiliers océaniques, car ces grands voiliers avaient des coûts de fonctionnement nettement inférieurs à ceux des navires à vapeur. Par contre l’ouverture du canal de Panama et la Première Guerre Mondiale, qui a coûté à la France 280 navires à vapeur et 431 voiliers torpillés, ont été les facteurs essentiels du déclin et de la fin de la marine à voiles. Il faut savoir qu’il y a à l’époque en France une très grande maison d’armement maritime, la maison Bordes et Mme Bordes devait venir à notre assemblée générale. Aujourd’hui le cap Horn a retrouvé sa solitude d’antan et il y a au cap Horn, sur la petite colline qui descend, quelques baraques avec trois marins chiliens ; ils sont comme dans le Désert des Tartares, ils regardent la mer sur laquelle il ne se passe rien, sauf lorsque Gabart passe, Le Cléac’h et les skippers des grandes courses océaniques, ou si parfois, quelques fous comme ceux qui sont ici, imprégnés par l’esprit du cap Horn, viennent s’y aventurer. Les souffrances endurées Alors je ne vous ai pas décrit les souffrances endurées par les capitaines, les officiers, les gabiers et les matelots cap-horniers. Il faut lire les grands récits de Conrad, de Versenne, mais je me permets de vous lire cette phrase de Paul Guimard, extraite de la préface du livre de Randier, Hommes et Navires au Cap Horn : « Chacun des grands voiliers qui affrontèrent cette porte étroite, frontière des océans Atlantique et Pacifique défendue par la fureur permanente des houles et des vents, a payé son passage de souffrances inouïes. Une race d’hommes est née de cette longue bataille, les cap-horniers, qui furent le seul trait d’union entre deux univers ». Cette carte des voiliers coulés au cap Horn, je l’ai prise à Horn, au musée des cap-horniers hollandais, vous voyez que c’est considérable ! Ne l’oublions pas, nous sommes dans les quarantièmes, les cinquantièmes parallèles que les anglais appellent les quarantièmes rugissants, les cinquantièmes hurlants, les soixantièmes stridents. Pour 6/9 aller de l’est vers l’ouest qui était le premier chemin, il fallait donc louvoyer. Vous savez que sur ces grands voiliers, un virement de bord c’était trente minutes. Dans une mer extrêmement formée, il fallait conserver suffisamment de voile pour pouvoir passer, au risque de chavirer et s’ils n’en avaient pas assez, ils repartaient en arrière ; c’était la catastrophe, ils cassaient le gouvernail et c’était fini. Donc pour ces capitaines au long cours, il y avait une stratégie ventmer, extrêmement difficile à maîtriser. Sur ces dessins on voit donc que ces hommes n’arrivent pas à étouffer le dernier morceau de toile, le gabier d’empointure crie au timonier de lofer pour pouvoir réduire la toile. Vous voyez l’acrobatie de ces gens pour monter dans la tempête et les chutes soit sur le bateau, soit à l’eau laissaient peu de chance au gabier. Beaucoup de manœuvres étaient rythmées par ces grands chants tels « Valparaiso, hardi les gars, vire au guindeau ». La prochaine fois mes femmes de l’association des cap-horniers vous chanteront… [rires de l’assemblée] Là il y a le calvaire du quatre-mâts barque américain Edward Sewall qui a mis 3 mois pour franchir le cap. Après vous avez une peinture du trois-mâts anglais Six Sees qui va se trouver dans une effrayante tempête, il est à la cape sous deux lambeaux de huniers fixes et l’artimon de cape. Pour terminer avec les souffrances, de ces matelots, de ces capitaines, il y avait l’albatros. À Saint-Malo se trouve le musée des Cap-horniers et l’association s’est dissoute faute de membres. Le dernier membre, le dernier Secrétaire général pour ceux qui connaissent un peu l’AICH, était le capitaine Roger Ghys, belge, qui est décédé il y a deux mois. La voile de commerce est morte à tout jamais. La voile de plaisance lui survit et s’inscrit dans ces grandes courses réservées à ces grands marins que nous admirons tous et que nous avons admiré il y a quelques jours ; ou bien dans les navigations de marins amateurs, mais passionnés de grand large, passionnés de ces mers lointaines, passionnés de ces houles et passionnés aussi de cette grande épopée du cap Horn. L’Association Française des Cap-horniers de Plaisance que j’ai l’honneur de présider tente de préserver avec beaucoup de modestie cet esprit du cap Horn et de conserver la mémoire de ces hommes exceptionnels. Nous sommes bien sûr en liaison avec les associations chiliennes, allemandes, espagnoles, … En 2010 les chiliens ont réunis les cap-horniers du monde entier, nous étions onze nations ; c’était quelque chose d’assez extraordinaire, car derrière tout cela c’est l’esprit du cap Horn qui est assez étonnant. Sur ce dessin que Claude m’a offert vous voyez Prince-Azur qui passe le Horn en 1990. Participant : Cela nous est d’autant plus sensible qu’Olivier SternVeyrin a déposé une plaque UPF sur le cap Horn. Jacques Rey : C’est cela, en 1970-74. L’albatros bien sûr vous connaissez le poème de Baudelaire « Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage… », mais l’albatros est un oiseau tueur. Quand un matelot était tombé à l’eau, qu’il avait réussi à prendre le filin qu’on avait réussi à lui lancer, il était attaqué immédiatement par les albatros qui venaient lui percer les yeux. Du reste c’est amusant et je pense que Brigitte aussi peut dire que quand on va vers l’Antarctique et qu’on met sur le balcon arrière des carcasses d’agneau et de mouton, les albatros viennent attaquer et certains peuvent se tromper. Il y pour moi un deuxième marin pour lequel j’ai beaucoup d’admiration ; j’ai eu l’honneur de naviguer avec elle, c’est Nicole van de Kerchove qui a passé le Horn en septembre 2001 sur son petit cotre en acier de 9 mètres l’Esquilo, avec lequel elle avait fait le tour du monde en solitaire. Nicole nous a quittés il y a cinq ans. Capitaines cap-horniers Je vous signale aussi la mémoire de ces grand marins cap-horniers, mes amies Brigitte et Yvonnick Le Coat qui font partie de l’association ; Yvonig Le Coat étant petit-fils de cap-hornier, ils font un travail de mémoire tout à fait extraordinaire. En 1936, nombre de ces capitaines cap-horniers se sont réunis au sein d’une association : l’Association Internationale des Capitaines Caphorniers au Long Cours, la très illustre AICH. Union des Plaisanciers Français Pour terminer ce long voyage, je vous présente le monument inauguré le 5 décembre 1992 sur l’île de Horn, en mémoire des nombreux marins qui ont perdu la vie en luttant contre les éléments dans cette mer cruelle. 7/9 Patagonie, terre lointaine Je voudrais maintenant tous ensemble que nous ouvrions un chapitre sur la Patagonie. Nous sommes amoureux de la Patagonie, ma femme, Brigitte, Claude et Yves. Dès le XVIème siècle, cette terre lointaine suscite l’intérêt des écrivains, des explorateurs, des voyageurs. Pigafetta dont je vous ai parlé, qui était le chroniqueur de l’expédition Magellan, va dire pourquoi la Patagonie. Le Patagon C’est lorsqu’ils vont rencontrer les premiers indigènes dans un mouillage au sud de l’Argentine, ces indigènes avaient de grands pieds avec des peaux pour pouvoir marcher et étaient très grands, d’où le nom de patagon (grands pieds). Le nom de Terre de Feu vient de ce que toutes les tribus fuégiennes naviguent sur des canotes qui transportent toujours la braise et le feu, c’est la seule façon pour eux d’avoir toujours le feu dans les mouillages où ils vont s’arrêter. Donc les marins voient partout le feu, d’où la Terre de Feu. occidentale à ces tribus indiennes nomades dont l’origine remontaient à la nuit des temps, et surtout l’implantation du mouton. L’implantation du mouton par les Anglais qui vont créer ces énormes propriétés, les estancias, d’où vont être chassés et tués les indiens par les chasseurs de têtes. Ces chasseurs de têtes recevaient une prime pour chaque indien tué ; dans un premier temps ce sera les oreilles, les testicules, les seins des femmes et enfin la tête des Yagans, des Onas, des Haushs, des Alakalufs. Voilà l’un des plus grands criminels contre l’humanité, Julio Popper qui a tué des milliers d’indiens. Ces deux noms sont indiqués par Pigafetta. Il y a donc toute cette mythologie autour du nom de Patagon ; tout à l’heure j’ai évoqué la cité des Césars et comme je vous l’ai dit Beauchesne, Duplessis, ont un peu tempéré ce sentiment hallucinant que l’on avait sur ces indigènes, qui étaient des gens effectivement très gentils. La Patagonie d’aujourd’hui n’est pas un pays, mais une région à cheval entre l’Argentine et le Chili, occupant le tiers sud de ces deux pays. Peut-être peut-on dire que les vrais Patagons sont ceux qui vivent la rudesse du climat et ont la mentalité du bout du monde. Génocide Et là j’aborde un sujet qui me tient beaucoup à cœur, car il va y avoir un génocide des tribus fuégiennes. Ce génocide – le mot est peut-être un peu fort, mais c’est vrai quand même – est dû à deux choses. Il y a deux types d’indigènes dans ces peuples du bout du monde : les arpenteurs des steppes (Selk’nam et Tehuelches) et il y a les nomades de la mer comme les Alakalufs, les Yagans, les Yamanas, qui eux se déplaçaient du détroit au cap Horn avec ces fameux canots d’écorce. Les deux facteurs essentiels de leur disparition : l’arrivée des pasteurs anglicans qui voudront inculquer les préceptes de la culture Union des Plaisanciers Français Un chiffre, en 1850 toutes tribus confondues, il y a 15.000 indiens vivants libres en Patagonie du sud. 75 ans plus tard en 1925, ils ne sont plus que 273 ! Jean Raspail, cet écrivain que vous connaissez tous, a décrit dans son roman magistral Qui se souvient des Hommes, ce peuple des canotes. Donc ce peuple des canotes qui a été détruit par le monde 8/9 moderne, après des millénaires de survie dans le vent en furie, le froid fou et les monstrueuses tempêtes. envisage une mise en eau de 6.000 hectares, c’est une destruction complète de cette région. J’ai eu un très grand moment d’émotion en 2006, car j’ai passé la soirée avec Cristina Calderone, une indienne Yagan âgée de quatrevingts ans, la dernière indienne Yagan. Elle est décédée il y a deux ans avec elle la page des indiens fuégiens a été dramatiquement et définitivement tournée. Un groupement d’associations et d’institutions pour la défense de la région d’Aysen et la promotion d’idées d’une Patagonie chilienne comme réserve de vie, s’est créée, puissent-ils réussir ! Ce que je veux souligner c’est qu’on les a traités de peuple primitifs, de peuple sauvage, de peuple épouvantable. Je vais maintenant vous passer un film de vingt minutes, pour vous dépeindre l’ambiance de l’Antarctique, mais je voudrais vous décrire un peu l’Antarctique pour vous mettre dans le bain. Vous savez que les femmes plongeaient nues dans le détroit pour chercher de la nourriture, des moules, à dix mètres de profondeur ; elles rapportaient ça ; les hommes n’étaient pas habillés, c’était la graisse qui leur permettait de lutter contre le froid. Donc on les a qualifiés de peuple primitif et il y a eu un très grand ethnologue, Martin Gusinde qui à la différence de Darwin, a accordé une grande importance à la dimension morale et éthique des tribus fuégiennes. Il dira que les tribus Yamanas, étaient certes un peuple primitif, mais avec des croyances monothéistes, l’Etre Suprême et qui avait développé des valeurs éthiques très élevées. Voici une image qui modifie complètement celle que l’on pouvait avoir des tribus fuégiennes. Il y a aujourd’hui une autre menace sur la Patagonie, un mégaprojet de construction de cinq centrales électriques sur les deux principaux fleuves de l’extrême sud de la Patagonie ; le projet HidroAysen Union des Plaisanciers Français Antarctique et film L’histoire de l’Antarctique commence dans le monde occidental avec la théorie de la Terra Australis pour une symétrie nord-sud. Le passage de Bonne-Espérance et du cap Horn au XVème XVIème siècle démontra que cette Terra Australis Incognita existait bel et bien. James Cook en 1773 est presque arrivé à l’atteindre. C’est sans doute un chasseur de phoque et de baleine américain, qui le premier toucha terre. Dans cet extrait de vingt minutes que vous allez voir, je voulais montrer la dureté de cette mer, la rencontre avec les icebergs et les mouillages ou Jean-Baptiste Charcot – qui est pour nous un homme exceptionnel – s’est arrêté en 1905 et enfin le retour sur le cap Horn. Vous excuserez ce film d’amateur tourné dans des conditions difficiles. Je vous laisse maintenant le regarder avec la musique si tout est en route ! 9/9
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