Tàpies, parla, parla

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Tàpies, parla, parla
Antoni Tàpies : Parla, Parla
Exposition du 11/02/2016 au 22/05/2016
Document pédagogique
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
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Sommaire
Présentation de l’exposition par Olivier Michelon
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Introduction
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Antoni Tàpies / Biographie
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1. SIGNES, SIGNATURES, MYSTERES ET GRAPHIE
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A la frontière du dessin et de l’écriture, un double langage
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Tapies dans le texte : l’œuvre et les mots
Page 14
Chacun sa croix : Tapies et son symbole fétiche
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2. DE L’ORDINAIRE A L’ŒUVRE : LES OBJETS DE TAPIES
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De l’insignifiance et du quotidien
Page 27
L’objet comme matériau graphique : collages et techniques mixtes
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De l’objet à la sculpture : rendre à l’espace ce qui lui appartient
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3. LA MATIERE DANS TOUS SES ETATS
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Opacité et transparence
Page 41
Des creux et des bosses, l’éloge de la surface accidentée
Matière et gamme chromatique, le lien sacré
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Pistes pédagogiques pour le Premier Degré
Page 55
Annexe : Le jeu du savoir regarder
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Modalités pratiques de visite au musée
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Bibliographie
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Présentation de l’exposition
Plus importante monographie consacrée à l'artiste en France depuis sa disparition en 2012, en collaboration avec la
Fundació Tàpies, cette exposition parcourt l’œuvre d’un des principaux artistes européens de la seconde moitié du XXe
siècle. Des dessins surréalistes des années 1940, aux grands murs et assemblages de la fin des années 1990, une
cinquantaine de pièces sont présentées dans un déroulé à la fois chronologique et thématique. Expérimentations sur la
matière ou inclusion dans le tableau de l’écriture et de la vie quotidienne, le travail de Tàpies accompagne les grands
mouvements artistiques de ces cinquante dernières années.
La Fundació Antoni Tàpies (Barcelone) et les Abattoirs (Toulouse) ont un lien commun : l'œuvre d'Antoni Tàpies. Ce
dernier est représenté à travers 8 œuvres dans la collection française (dont une rare peinture de sable de 1956), et la
Fundació détient un ensemble exceptionnel de ses travaux, de par la volonté même de l'artiste. Davantage encore, c'est
sur un moment historique partagé de l'histoire de l'art, celui de l'expérimentation artistique dans l'après-guerre dans un
contexte international nourri par les leçons des avant-gardes, que les deux institutions se retrouvent.
Au début de l'année 2016, les Abattoirs et la Fundació Antoni Tàpies collaborent sous la forme d'un échange de leurs
collections. Leur ambition est de permettre au public de situer l'émergence et le développement de l'œuvre de Tàpies
dans le contexte d'une redéfinition forte de l'art dans les années 1950 et d'approcher le caractère résolument
expérimental de son travail sur plus d'un demi-siècle.
L'exposition débute par la présentation complète de la série Història natural (Histoire naturelle) réalisée par Tàpies en
1951. C'est par cette entrée, qu'elle entreprend, à travers une soixantaine d'œuvres, un parcours qui culmine avec Parla,
Parla, une des œuvres maîtresses de l'artiste. L'exposition est conduite sur l'hypothèse d'une lecture de l'œuvre qui
procède par analogie, par sympathie pour agglomérer à partir de ses formes une suite de discours sur le quotidien, la
mémoire, la nature ou encore l'illusion.
L'exposition ne se déroule pas selon un parcours chronologique mais se décline en sept ensembles, déduits à partir d'une
œuvre ou d'un groupe de travaux. "Terre d'illusion", "Histoire naturelle", "Complémentaire", "Combinaisons", "Envers",
"Dépose" et "Quotidien" sont les sept chapitres de cette exposition.
Si elle est notée comme centrale dans la seconde moitié du XXe siècle, l'œuvre de Tàpies garde une pertinence
contemporaine décisive. Aussi, c'est dans une structure conçue par Guillaume Leblon en 2012 (Je jouais avec les chiens et
je voyais le ciel et je voyais l'air) que sont présentées certaines de ses sculptures. Ce dialogue est prolongé par la
présentation à l'étage inférieur de National Monument, œuvre offerte aux Abattoirs en 2014 par l'artiste français.
Olivier Michelon, Commissaire de l’exposition
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Introduction
L’exposition Antoni Tàpies : Parla, Parla, présentée aux Abattoirs-Frac Midi-Pyrénées offre de nombreuses
possibilités d’apprentissage, pour les élèves des premier et second degrés de l’Académie de Toulouse. Ce
dossier a été conçu afin de permettre aux enseignants de toutes les disciplines de se saisir au mieux du
contenu de l’exposition, afin de pouvoir guider leurs élèves sur le chemin des œuvres.
Antoni Tàpies (1923-2012) a un parcours artistique d’une grande richesse. Peintre matiériste, il a multiplié les
expérimentations tout au long de la seconde moitié du vingtième siècle. Les différentes techniques qu’il a
explorées ont été des terrains de jeu, d’expériences plastiques parfois radicales, souvent révolutionnaires.
L’artiste a toujours refusé les étiquettes, et a suivi un cheminement à la fois artistique et philosophique.
Imprégné de culture et de philosophie orientale, il a mis en place un vocabulaire qui lui est propre.
Ce dossier s’articulera autour de trois grandes axes : SIGNES, OBJETS, MATIERE. Nul doute que les œuvres
présentées dans l’exposition susciterons des réactions de la part de nos élèves : de l’émerveillement à
l’incompréhension, de l’indifférence à la surprise : ils auront besoin de nos éclaircissements, de notre
soutien, de notre engagement. Leurs enseignants seront là pour transmettre, éclairer, aider à la
compréhension de ce qui se donne à voir ici. Gageons que de la sorte, la découverte des œuvres de Tàpies
sera pour eux, une rencontre inoubliable.
Tàpies nous plonge dans un univers singulier : certaines de ses étoiles nous semblent proches et familières
d’autres restent mystérieuses, des planètes lointaines aiguisent notre curiosité, et de gigantesques espaces
inconnus peuvent nous effrayer. Nous émettons donc des hypothèses, des probabilités, et naviguons avec
confiance et émerveillement dans un cosmos fascinant.
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Antoni Tàpies / Biographie
Une enfance entre guerre et maladie
Antoni Tàpies nait le 13 décembre 1923 à Barcelone. Son père, Josep Tàpies i Mestres, est avocat. Sa mère,
Maria Puig i Guerra, est issue d’une famille de libraires et d’éditeurs attachés à la culture et à la politique
catalanes.
Au cours de ses études secondaires, Antoni Tàpies se passionne pour la lecture et pratique le dessin et la
peinture en autodidacte. Il découvre l’art contemporain notamment à travers la revue D’Ací i d’Allá.
En 1936, la guerre civile éclate, Barcelone connait les bombardements. Antoni Tàpies travaille pendant
quelques mois à la Généralité de Barcelone (l'organisation politique de la communauté autonome de
Catalogne) avec son père qui y officie en tant que conseiller juridique. Le dénouement de la guerre en 1939
avec le début de la dictature de Franco influencera profondément de nombreux aspects de son œuvre et de sa
vie.
La fin de ses études secondaires est contrariée par une santé fragile. Antoni Tàpies est victime de la fièvre de
Malte, d’une crise cardiaque et de problèmes pulmonaires. Il fait un long séjour au sanatorium de Puig
d’Olena, puis part en convalescence à Puigcerdà et à la Garriga. Au cours de cette période, il dessine et
s’intéresse à l’histoire de la philosophie. Il réalise ses premiers autoportraits et portraits.
Le choix d’une carrière artistique
En parallèle à ses études de droit, il suit les cours de dessins de l’Académie Valls de Barcelone. Tàpies réalise
différents portraits et autoportraits d’influence surréaliste.
C’est en 1945 qu’il réalise ses premières peintures densifiées par du blanc d’Espagne, et qu’il expérimente le
collage et le grattage. Il produit des œuvres aux accents primitivistes et expressionnistes mais également des
œuvres abstraites. Il s’intéresse à la philosophie existentialiste et orientale et poursuit ses recherches sur la
matière.
Il fonde la revue Dau Al Set en 1948 avec Ponç, Tharrats et Cuixart. Il rencontre Joan Miro dont l'influence le
fait entrer dans une période surréaliste. La même année il participe au Salon d'Automne de Barcelone.
En 1950, sa première exposition personnelle à lieu à la Galerie Laietanes de Barcelone, tandis qu'il obtient
une bourse de séjour pour venir en France. L'année suivante, à Paris, il rencontre Braque et Picasso,
découvre l'art informel avec Dubuffet et Fautrier, ainsi que les écrits de Michel Tapié.
En 1952, il participe à la Biennale de Venise et l'année suivante ses œuvres sont présentées à la Gallery
Martha Jackson de New York.
A partir de 1954, il revient à ses recherches sur la matière, mêlant huile, marbre pulvérisé, pigments en
poudre ou latex, altérés par des signes informels, grattés dans la couche picturale. C’est aussi en 1954 qu’il
épouse Theresa Barba Fàbregas avec laquelle il aura trois enfants.
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Une renommée internationale
Tàpies acquiert une renommée internationale et ses œuvres sont exposées dans tous les grands musées dès
1955, année où il expose à Paris, à la galerie Stadler.
L’artiste réalise dès lors de très nombreuses expositions (Espagne, Allemagne, Italie, Amérique, Japon…), il
développe sa recherche autour des objets et matériaux dits « pauvres », il réalise des murs couverts de
graffiti, d’empreintes et de traces.
En 1973 une rétrospective de son œuvre est organisée au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris et en 1988
une rétrospective itinérante a lieu aux États-Unis. En 1981 il réalisa ses premières céramiques avec le
céramiste allemand Hans Spinner.
En 1984 est créée à Barcelone, la Fondation Antoni Tàpies. Le fonds initial est constitué de trois cent onze
pièces originales, données par Tàpies et est régulièrement enrichi de nouvelles pièces par l’artiste. La
première exposition de la Fondation est consacrée à Louise Bourgeois.
En 1992, il participe à l'Exposition universelle de Séville, au Pavillon Catalan.
Un engagement politique
Malgré de nombreux voyages et expositions à l’étranger, Tàpies a toujours vécu en Espagne. Il a connu la
guerre civile et la dictature franquiste. Son engagement politique à travers son œuvre était plus visible à
l’étranger que dans son propre pays où il était moins connu.
En 1966, il participe à une réunion clandestine au Couvent des Capucins de Sarrià à Barcelone, où étudiants et
intellectuels débattent de la création du premier syndicat universitaire démocratique depuis la fin de la guerre
civile. Suite à cela, il est arrêté et fait un séjour en prison. Il commence à rédiger ses mémoires.
En 1970, Tàpies assiste à une assemblée clandestine au monastère de Montserrat à Barcelone pour protester
contre le soi-disant Procès de Burgos dans lequel un tribunal militaire juge des opposants à la dictature du
général Franco.
En 1975, Tapies réalise une lithographie et une affiche pour une campagne contre la peine de mort en
Espagne. Il participe à différentes actions organisées par des opposants au régime franquiste revendiquant
l’amnistie des prisonniers politiques et le retour définitif des libertés démocratiques. C’est l’année de la mort
du général Franco, et l’avènement du roi Juan Carlos.
En 1997, Tàpies participe à un forum sur l’intolérance organisé par l’Académie universelle des Cultures à
Paris avec un exposé intitulé « L’art entre le despotisme et l’anarchie ».
Dans différents textes, Tàpies questionne la condition de l’artiste, la politique et les engagements éthiques
des « travailleurs de la culture » posant ainsi clairement les préoccupations des intellectuels espagnols
durant la transition démocratique du pays.
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Les écrits de Tàpies
En 1969, Tàpies écrit de nombreux textes sur le rôle de l’art contemporain dans la société et sur l’art et la
culture en Catalogne et en Espagne.
L’art contra l’estètica, deuxième recueil de textes et de déclarations est publié en 1974.
Principales publications :
- 1978 : L'art contre l'esthétique, Paris.
- 1981 : Mémoires. Fragments pour une autobiographie.
- 1982 : Tàpies, réplique, en coll. avec J. Davie, Paris.
- 1985 : Per un art modern i progressista, Barcelone.
- 1987 : Tàpies, peintures, sculptures, Paris.
- 1989 : La réalité comme art.
- 1994 : La pratique de l'art.
Tàpies a reçu de nombreuses distinctions honorifiques durant sa vie comme le Prix de la Paix par
l’Association espagnole pour les Nations-Unies ou la Légion d’honneur par le président de la république
Française.
Antoni Tàpies décède le 6 février 2012 à Barcelone.
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1. SIGNES, SIGNATURES, MYSTERES ET GRAPHIE
Le signe est omniprésent dans les œuvres d’Antoni Tàpies : motifs graphiques, écriture, croix,
chiffres, messages, signatures, c’est un vocabulaire à la fois complexe et mystérieux que l’artiste
convoque dans ses tableaux. Comme si le travail de la matière appelait un sujet, un étayage. En
forçant le trait, l’on pourrait évoquer la (probable) peur de l’artiste pour le vide, son envie de se
raccrocher au signe, à exprimer, et pas seulement à exposer la matière : à dire. La matière porte le
signe, le signe s’inscrit dans la matière : ce drôle de tandem se lie, se mue en un langage, et fait
résonner en nous l’histoire ancestrale de la création artistique. Le texte de Marc Scheps, paru dans
la revue Repères, cahiers de l’art contemporain, en 2006, nous offre un éclairage résolument
poétique sur l’utilisation du signe dans l’œuvre de Tapies :
Les signes de Tàpies sont nombreux et contradictoires et ne possèdent pas la cohérence
réglementée d’une langue. Leur réunion crée cependant une politique de l’invisible révélé, une suite
de tentatives pour saisir l’au-delà de notre perception, un ensemble de parcours permettant de
pénétrer au cœur de ce labyrinthe qu’est l’univers de l’esprit. Ces signes peuvent être des lignes,
des croix, des chiffres, des lettres, des mots, mais aussi des empreintes de doigts, de mains, de
pieds ou d’autres parties du corps. Chacun d’eux est ouvert à un large éventail de signifiants, la
juxtaposition de certains signes dans une œuvre donnée approfondit et éclaire réciproquement
leurs messages. Ce sont des signes qui interrogent et émettent des doutes, mais qui portent en eux
aussi un espoir. Ce ne sont pas des signes de ralliement à une foi, mais ce sont d’authentiques cris
d’une détresse intérieure à la recherche d’une lumière et d’une vérité. Ce sont des signes qui
cherchent et qui sont façonnés avec les matières du monde. Ils sont tracés à la peinture ou à
l’encre, ils sont incrustés dans la matière, que ce soit le sable, la terre ou la poudre de marbre, ils
sont griffonnés au crayon gras sur du papier ou du bois, il font corps avec le vernis durci dans sa
coulée, ils ont laissé leur empreinte dans le creux de la matière, ils forment des reliefs à partir
d'amalgames de sable, de cendres et de colle. Ce sont des signes que l’on peut sentir au toucher,
ils portent la mémoire du mouvement qui les a fait surgir et de l’urgence qui les a fait naître, ils ont
l’imperfection de la spontanéité, la liberté des gestes qui obéissent au mouvement en apparence
chaotique de l’intuition. Ces signes semblent parfois être dénués de sens ou restent illisibles, mais
ce manque apparent de clarté n’est qu’un indice de plus de leur mode d’apparition qui ne repose
pas sur l’affirmation d’une vérité définitive, mais sur la recherche pleine d’errements de celle-ci.
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A la frontière du dessin et de l’écriture, un double langage
Antoni Tàpies : Grafismes sobre vernis, 1955
Vernis sur toile, 73 X 92 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Dans cette œuvre d’Antoni Tàpies, deux forces en présence se superposent : une couleur, ocre, terreuse,
rabattue, tranquille, puissante, irradiante. Et un graphisme, un entrelacs de signes, un conglomérat de
biffures, une nuée de traits incisés dans la matière translucide. Le fond et la forme : l’aplat du vernis (dont la
couleur jaune est liée à la patine du temps), et le graphisme-grattage effectué en un geste sûr et ordonné,
mais puissant, rapide, et énergique. Le titre nous donne la clé de lecture de l’œuvre. L’écriture graphique est
sur le vernis, elle est venue après, les traits ont été enregistrés dans le vernis. Nous observons la trace de
cette expérience. Tapies a fixé un instant de création, il a inscrit son geste dans une matière sensible : nous en
observons la trace, la relique. Les arabesques tracées par l’artiste forment une ronde de motifs évoquant tout
à la fois des formes organiques et des caractères calligraphiques arabes.
Yazid Oulab : Percussion graphique, 2004
Film, 9 minutes 09 secondes
Vidéo
Les Abattoirs-FRAC Midi-Pyrénées
1
Dans la vidéo de Yazid Oulab, intitulée Percussion graphique , l’artiste fixe, lui aussi, la danse de sa main sur
le support. Il explique : Le crayon du charpentier, tel le marteau qui enfonce le clou, martèle l'espace à
intervalles réguliers. Le son qui se répercute sur la surface vierge s'accorde à la cadence de la mélopée de
"Leila." Le geste de la main dans la répétition inlassable du trait, "all over" exacerbé, emplit l'espace, jusqu'à
le rendre obscur2.
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Régulièrement montrée aux Abattoirs-Frac-Midi-Pyrénées, car faisant partie de la collection.
L’artiste est cité dans notice de l’œuvre, à retrouver dans son intégralité en suivant le lien :
http://lesabattoirs.videomuseum.fr/Navigart/index.php?db=toulouse&qs=1
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Jackson Pollock : Number 26 A, Black and White, 1948
Peinture glycérophtalique sur toile
205 x 121,7 cm
Centre Pompidou, Paris
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Chez Jackson Pollock également, le geste envahit l’espace, et vient construire, grâce au dripping , un
entrelacs de formes courbes, un réseau de traces superposées, un all over de signes. Fines, épaisses,
dégoulinantes et ondulantes : les lignes font signe, et nous disent la chorégraphie dansée par l’artiste autour
de sa toile, posée au sol. Le rituel du peintre est enregistré, la trace nous le révèle, et capte notre attention
dans un labyrinthe de signes.
Mais l’œuvre d’Antoni Tàpies fonctionne comme une image : elle parle et évoque une représentation, elle
appelle une interprétation. Empruntons donc ce chemin et suivons, comme Tàpies, notre instinct. Lui qui a
rencontré Marcel Duchamp en 1958 (rappelons la fameuse citation de ce dernier : C’est le regardeur qui fait
l’œuvre !4). Osons donc avancer quelques pistes ! La composition de cette œuvre met en évidence un motif
central dans lequel le regard se perd, et qui peut évoquer une terre craquelée, un sol aride, ou le mur des
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cavernes sur lesquelles les hommes ont commencé à créer des signes, il a plus de 36.000 ans .
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3
Technique propre à Jackson Pollock, consistant à laisser couler la peinture sur le support, posé au sol."
4
Dernière interview radio de Marcel Duchamp avant son départ pour les Etats-Unis, réalisé par le journaliste: Georges Charbonnier, en
1940 :
" - Marcel Duchamp, nous avons tous ou nous pensons tous savoir ce qu'est une œuvre d'art. A quel moment existe t'elle et qui la fait?
- Exactement, je n'en sais rien moi-même. Mais je crois que l'artiste qui fait cette œuvre ne sait pas ce qu'il fait. Je veux dire par là : il sait
ce qu'il fait physiquement, et même sa matière grise pense normalement, mais il n'est pas capable d'estimer le résultat esthétique. Ce
résultat esthétique est un phénomène à deux pôles : le premier, c'est l'artiste qui produit, le second, c'est le spectateur, et par spectateur
je n'entends pas seulement le contemporain, mais j'entends toute la postérité et tous les regardeurs d'œuvres d'art qui, par leur vote,
décident qu'une chose doit rester ou survivre parce qu'elle a une profondeur que l'artiste a produite, sans le savoir. Et j'insiste là-dessus
parce que les artistes n'aiment pas qu'on leur dise ça. L'artiste aime bien croire qu'il est complètement conscient de ce qu'il a fait, de
pourquoi il le fait, de comment il le fait, et de la valeur intrinsèque de son œuvre. A ça, je ne crois pas du tout. Je crois sincèrement que le
tableau est autant fait par le regardeur que par l'artiste. "
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Voir les sites internet permettant de découvrir la Grotte de Chauvet-Pont d’Arc (36.000 ans av. JC) et celle de Lascaux (20.000 av. JC). Les
visites virtuelles sont très bien réalisées et exploitables en classe :
http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/visiter-grotte
http://www.lascaux.culture.fr/#/fr/02_00.xml
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Dans cette œuvre, l’utilisation du vernis comme matière artistique est totalement novatrice. En effet, Tàpies,
faisant feu de tout bois, teste dans les années 1950, de multiples combinaisons et de nombreux matériaux. En
peinture, le vernis est traditionnellement relégué à la finition, et vient se superposer à la couche picturale. Il
joue un rôle important : il recouvre l’œuvre afin de la protéger. Tàpies entame cette couche protectrice, et lui
confie un statut autre, il devient, d’un coup, partie-prenante de l’œuvre, et n’est plus le faire-valoir habituel. A
la suite de Tàpies, Lucio Fontana entamera le support lui-même. Ces artistes s’attaquent, au milieu du 20
ème
siècle, à ce qui caractérise l’œuvre en tant que telle, à ses éléments constitutifs. Ce questionnement, cette
agression de la matière première sonne comme un tir à boulets rouges sur les traditions picturales
séculaires, figées, et qu’ils souhaitent anéantir, à la suite, évidemment, des avant-gardes du début du
vingtième siècle. Vive la révolution (picturale !).
Lucio Fontana : Concetto spaziale attese 1+1–111XY, 1962
Emulsion sur toile lacérée,
92 X 73 cm
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
Tàpies explique l’attrait qu’il éprouve pour le vernis : Déjà dans certains tableaux du début des années 50, on
peut voir le vernis tout seul –souvent mélangé avec de la peinture– mais certaines surfaces ne sont faites
qu’avec du vernis. En réalité, cette idée de retravailler plus profondément le vernis m'est venue d’une façon
accidentelle. J'ai lu un jour une Upanishad indienne qui s'appelait « célébration miel ». Or, mon vernis
ressemble à du miel. Quand j’ai lu cette Upanishad, j’ai pensé que c’était une bonne idée pour développer
cette sensation des aliments des dieux –hydromel ou ambroisie–, tous déclinaisons du miel. Il y avait peutêtre aussi quelque chose comme une réaction, car depuis un certain temps, j’avais travaillé à des tableaux
lourds et très épais. J’ai eu ainsi le besoin de me reposer en faisant des choses plus légères6.
Programmes d’enseignement / Arts visuels / Cycle 1
L'enseignant suscite l'expérimentation de différents outils, du crayon à la palette graphique, et favorise les temps
d'échange pour comparer les effets produits. Il permet aux enfants d'identifier les réponses apportées par des
plasticiens.
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Entretien avec Daniel Abadie, dans la catalogue d’exposition réalisé sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de Paume /
RMN : 1994"
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Antoni Tàpies : Dues piles de terra, 2001
Procédé mixte sur bois, 200 X 200cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Cette œuvre est très imposante, par ses dimensions et sa composition. Le tableau est sobre, dépouillé. On
observe un fond blanc, très clair, sur lequel sont présentés deux amas de sable sombre et deux signes. Les
deux tas de sable s’opposent aux deux signes graphiques : d’un côté c’est la matière brute qui est présentée,
de l’autre ce sont des signes dessinés par l’artiste. Les 4 éléments du tableau sont bien rangés, chacun se
situant à l’angle d’un carré, qui répond au carré du support. Les deux tas de sable sont comme deux groupes
distincts. Dans ces grains agglomérés, on peut voir le symbole de deux foules en opposition. Cette métaphore
est utilisée par Tapies dans son ouvrage : La pratique de l’art :
Au lieu de grands discours sur la solidarité humaine, peut-être vaut-il mieux montrer un énorme tas de grain
de sable identiques les uns aux autres7, et il ajoute plus loin : (...) la différence qui nous sépare les uns des
autres est la même que celle qui sépare de grains de sable8…
Chaque grain de sable serait donc un individu pris dans la foule, dont l’identité se fondrait dans celle de la
masse, qu’il constitue et dans laquelle il disparait, simultanément. Ces deux tas de sable qui se font face se
ressemblent, mais s’opposent. Comment ne pas voir dans cette œuvre une évocation des forces politiques
divergentes opposant les républicains et les partisans de Franco, en Espagne, entre 1936 et 1975 ?
Et puis, de part et d’autre du tableau, venant tracer une ligne horizontale imaginaire entre les deux tas de
sable : deux petits dessins semblent gravés dans le bois. Ils représentent un quadrillage qui rappelle la croix,
motif récurrent dans les tableaux de Tapies. Ce sont des signes qui agissent comme des variations de la croix,
qui la déclinent. Mais que disent-ils ? Que signifient-ils ? Pourquoi ne pouvons-nous pas les identifier ?
L’écrivain Jacques Dupin nous explique, dans son ouvrage intitulé Matière d’infini (écrit en 2005 et illustré par
Tàpies) :
Il (Tàpies) produit des simulacres : signes reconnaissables mais illisibles, identifiables et sans identité,
repères inconnus des lieux proches et familiers. Leur répertoire est aussi restreint que leur facture est
apparemment hasardeuse : graphisme machinal, paraphe anonyme, tracé négligent ou précipité, marques
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7
Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris, Gallimard : 1974. P. 77
8
Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris, Gallimard : 1974. P. 211
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résiduelles. Ils (...) surgissent d’une incision coléreuse, ils naissent d’un frottis de crayon, d’une trace de
doigts. Le travail du simulacre est prodigieux de ruse et de détours pour échapper au sens qui tente de
réduire et d’enfermer le signe, d’absorber son énergie. (...) Seul, il explose au bord de la plage dont il exalte
la nudité vide ; Il fait ressortir la béance, ou au contraire, l’impénétrabilité de la paroi.9
Tàpies nous met donc face à des signes se situant à mi-chemin de l’écriture et du dessin. Ce ne sont pas des
messages mais des symboles mystérieux, des invitations à imaginer. Conservant une part de mystère, ils
scandent une mélopée et structurent l’espace.
Antoni Tàpies : Dues cadire, 2009
Techniques mixtes, 250 X 300 cm
Fondation Tapies, Barcelone
Dans l’œuvre, relativement récente (2009) Dues Cadire, Antoni Tàpies nous fait toucher du doigt la frontière
entre dessin et écriture. Il propose à notre regard ce que l’on pourrait nommer, à la suite de d’Yves Michaud :
des paquets de graphisme, quelques lettres, des écritures cryptiques et économes (...)10. Effectivement,
Tàpies est intervenu, il a tracé des signes, dont certains reconnaissables très facilement (A, B, la croix, le mot
cadire). Tàpies dit de son travail : Il y a toujours une intention d’exprimer, même si ce n’est pas avec une
écriture intelligible, mais avec d’autres signes11. Et lorsqu’il dessine, nous ne le croyons pas, nous ne le
percevons plus, trop habitués que nous sommes à son mystère, à son langage indéchiffrable !
Car deux chaises ont été représentées, et bien que schématisées, elles sont parfaitement reconnaissables !
Tracées sur des couvertures grises à l’aide de peinture blanche par l’artiste, il a joué à les disposer dans deux
directions opposées : l’une à l’endroit, l’autre à l’envers... Jesus Marell, conservateur et restaurateur à la
12
Fondation Tàpies de Barcelone , explique que ces deux chaises, par leur disposition, évoquent le Yin et le
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9
Dupin, Jacques. Matière d’infini (Antoni Tàpies). Paris : Farrago, 2005. P. 37-39
10
Michaud, Yves. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2002.
Beaux-Arts Magazine N°29, Novembre 1985
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Présent lors du montage de l’exposition Tàpies aux Abattoirs-Frac Midi-Pyrénées, au début du mois de février 2016
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Yang. Tàpies explique : Dès mes débuts, je me suis trouvé mêlé à un courant culturel qui a beaucoup regardé
les productions d’Extrême-Orient, et l’art primitif en général.13
Programme d’enseignement / Cycle 1
3.2. Ce qui est attendu des enfants en fin d'école maternelle :
- Choisir différents outils, médiums, supports en fonction d'un projet ou d'une consigne et les utiliser en
adaptant son geste.
- Réaliser une composition personnelle en reproduisant des graphismes. Créer des graphismes
nouveaux.
Tapies dans le texte : l’œuvre et les mots
Les signes mystérieux utilisés par Tàpies ne sont pas toujours déchiffrables, et gardent une part de mystère,
une poésie visuelle, appelant le spectateur à faire fi de sa volonté de lire, de comprendre, et l’appelant à
percevoir le signe pour ce qu’il est, un dessin à la lisière du sens, appelant notre imaginaire à vagabonder, à
se laisser aller en suivant les lignes, sans autre contrainte que celle du plaisir de regarder.
Mais dans d’autres œuvres, Tàpies s’exprime, de façon directe bien qu’économe. Il écrit, il inscrit un mot, une
phrase, quelques initiales. Et (soulagement général !) : nous pouvons comprendre, et enfin lire avec appétit le
message de l’artiste. Tàpies explique : Il y a toujours une intention d'exprimer, même si ce n'est pas avec une
écriture intelligible, mais avec d'autres signes. On trouve, cependant, des « vraies » lettres et des chiffres
présents dans mon travail.
Antoni Tàpies : Terra d’il.lusiò, 1978
Technique mixte sur bois, 162 X 130 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
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13
Beaux-Arts Magazine N°29, Novembre 1985
14"
"
Dans cette œuvre intitulée Terra d’il.lusiò, Tàpies joue avec les mots. Il nous fait une blague, prenant appui
tout à la fois sur la tradition du trompe-l’œil et sur son espièglerie. La traduction de ces quelques mots est
complexe : il y a à la fois le sens premier (terre d’illusion), qui renvoie au trompe l’œil que met en place
l’artiste : il représente une chaussette en terre, qui nous piège, car elle ressemble fortement à une vraie
chaussette, bien qu’elle soit à peine esquissée dans la terre. La forme de ce bas-relief et le dynamisme
imprimé dans la matière par les gestes de l’artiste rappellent le tissu. Cette chaussette, posée, perdue au
milieu de cette immense plaque de bois, forme une île, une terre perdue au milieu de l’océan, une carte
mystérieuse, menant peut-être à un trésor ! Où est donc cette terre d’illusion ? Est-ce de l’œuvre d’art en
général que nous parle Tàpies ? En effet, la représentation est une terre d’illusion : elle nous présente des
images, qui ne sont pas la réalité, mais son reflet, son émanation. Et l’on peut rapprocher cette œuvre du
célèbre tableau de Magritte : La trahison des images.
René Magritte : La trahison des images, 1929
Peinture à l’huile sur toile, 59 X 65 cm
Los Angeles, County Museum
Mais une autre hypothèse se fait jour rapidement. La date à laquelle l’œuvre a été réalisée est importante.
Cette terre d’illusion dont parle Tàpies, ne serait-ce pas sa terre natale ? Le départ de Franco en 1975 a laissé
la place à une régime démocratique. La transition le déçoit-il ? Le changement attendu n’est certainement
pas assez rapide à ses yeux... Mais ces deux mots en forment, en réalité, trois ! Un point coupe le mot
il.lusion. En catalan, il signifie et, et lusion, alllusion. A quelles allusions Tàpies fait-il référence ? Ce terme
est peut-être un moyen pour lui de qualifier son travail ? Et si cette terre d’allusion était sa patrie, son
territoire, sa terre à lui ? Un refuge, une terre préservée, où l’allusion et le mystère restent des possibles, des
portes ouvertes, une liberté pour l’artiste.
Programme(d’Arts(plastiques(/(Cycle(3((
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À"la"fin"du"cycle"3,"les"élèves"ont"acquis"les"éléments"de"lexique"et"de"compréhension"qui"les"rendent"capables,"devant"une"œuvre"
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"»"caractéristiques"d’un"langage"formel";""
»"indicateurs"d’usages"ou"de"sens.
15"
"
Antoni Tàpies : Parla, Parla, 1992
Procédé mixte sur bois, 200 X 300 cm
Fondation Tapies, Barcelone
Avec Parla, Parla, c’est un discours au style direct qui nous est relayé par l’artiste. Cette grande œuvre offre
de multiples strates de lecture : c’est un véritable palimpseste de sens. Le support est un contreplaqué taché,
souillé de traces : il semble avoir servi de macule. Il ressemble à un mur abîmé ou à un vieux panneau
d’affichage. Un système de cadres, dont deux s’imbriquent l’un dans l’autre, est bien visible dans la partie
gauche du tableau. Ils disent l’absence : leurs contours laissent supposer que quelque chose a été posé là, a
existé, mais n’est plus présent au regard. Ces traces évoquent des portes. A quoi donnent-elles accès ? Elles
semblent bouchées, fermées. Des sparadraps sont collés sur le tableau : les 8 bandes blanches contrastent
fortement avec le fond sombre, et structurent un espace, organisent un chemin pour notre regard, qui circule,
passant de l’une à l’autre. Ce sparadrap, c’est lui qui sert à soigner une blessure, à suturer les plaies. Mais
c’est lui aussi qui peut souder les lèvres des prisonniers, qui peut les contraindre au silence. Ces morceaux de
tissu agissent comme des corps étrangers : ils sont embarrassants et rompent l’homogénéité sourde du fond
ocre.
Deux mots sont écrits au centre du tableau, en blanc, et à l’envers : « parla, parla » (parle, parle). Juste sous
le texte, un petit dessin apparait : Tapies a représenté deux personnages, l’un en train d’étouffer l’autre. Celui
de gauche serre la gorge du personnage de droite. C’est lui qui dit « Parle, parle », au personnage qu’il
persécute. L’homme représenté à droite souffre, sa bouche est grande ouverte : il essaie de respirer. Pourrat-il parler ? Même s’il le voulait, dans sa posture, cela semble difficile ! Cette œuvre fait allusion avec force
aux actes de torture qui étaient monnaie courante sous le régime de Franco. Pour une fois, Antoni Tapies
relate, montre, raconte : il a besoin de nous faire partager son témoignage. La scène représentée est
dramatique, elle dénonce la négation de toute forme d'expression libre. Cette toile-mur rappelle également
les inscriptions sur les murs des opposants au franquisme pendant la guerre civile espagnole.
Programme d’Histoire des arts / Cycle 4
Croisements entre les enseignements :
Art et pouvoir : contestation, dénonciation ou propagande.
Émergence des publics et de la critique, naissance des média ; l’art, expression de la pensée politique.
16"
"
Tàpies nous présente des fragments, des éclats de réalité, qui, mis côte à côte, bout à bout, distillent un
message qui se délivre par un cheminement du regard. Notre patience est requise, c’est la condition
préalable à la découverte de l’œuvre. Yves Michaud parle de cette esthétique du fragment, dans son
texte « Soutenir le mystère », il dit : Tàpies utilise des morceaux, morceaux d’objets, de corps, morceaux de
matière, qui valent pour eux-mêmes sans être pour autant complets, complets pour ainsi dire sans l’être : un
pied, un morceau de bois ou de fer, une chaussure. Ce sont des signes et des choses à la fois14.
Deux mots peu lisibles, et une scène à peine esquissée : ces fragments suffisent à dire l’essentiel, à nous
révéler le caractère hautement engagé de cette œuvre. L’économie de moyens répond à la simplicité du
message : Tàpies clame son amour de la liberté, et dénonce toutes les formes de violence. Cette œuvre ne
peut que nous rappeler le tableau Guernica, de Picasso.
Pablo Picasso : Guernica, 1937
3,49 m x 7,76 m
Peinture à l’huile sur toile
Musée
national
centre
d’art
Reina Sofia, Madrid
"
Programme d’Histoire / Classe de Troisième
Le monde depuis 1945
Quelle est la nature des rivalités et des conflits dans le monde contemporain et sur quels territoires se développent-ils ?
Antoni Tàpies : Complementaris, 2007,
Procédé mixte sur bois,
200 X 225 cm,
Fondation Antoni Tapies
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14
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Michaud, Yves. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2002.
17"
Antoni Tapies exprime, avec cette œuvre intitulée Complementaris, une phrase qui met en abyme son travail
d’artiste. Il affirme un parti-pris : Ni duel, ni non-duel, complémentaires. Le message est à la fois simple et
énigmatique. Il affirme une complémentarité : oui, mais entre quoi et quoi ? Ou entre qui et qui ??? L’œuvre
nous offre des pistes, à nous d’élaborer quelques hypothèses !
D’une part, observons la technique utilisée : les quatre coins du tableau sont recouverts de sable. Les grains
de sable, comme évoqué précédemment, constituent, pour Tàpies, une foule : il assimile chaque grain de
sable à un individu, pris dans une masse gigantesque. Ces quatre amas de sable rappellent l’intérêt que porte
Tapies au travail de la matière, à sa recherche constante de matériaux à intégrer dans sa peinture. La matière
et le signe sont donc, dans cette œuvre, comme dans de nombreuses œuvres de Tapies, complémentaires : ils
ne s’opposent pas, mais se complètent. Chacun portant son propre message, un message plus ou moins
lisible, plus ou moins direct.
Tàpies explique : J’ai commencé à travailler à une époque où la calligraphie a pris beaucoup d’importance
dans la peinture occidentale. Il ne s’agissait pas seulement de gestualité, mais de trouver une écriture. Tel a
été mon travail, je l’ai fait à ma manière, en faisant les gestes avec la peinture liquide, et aussi en gravant les
gestes dans une pâte de matière. Dans mon langage, je crois qu’il y a cette troisième dimension de
l’expressivité : certes il y a la couleur, la forme, mais aussi la texture. Pour moi, la surface du tableau, la façon
de choisir les matériaux est déjà un élément expressif.15
Antoni Tàpies : Ventall-cine, 1977
Procédé mixte sur toile,
65 X 81 cm
Famille de l’artiste
Avec Ventall-cine, Antoni Tàpies utilise un registre figuratif qui ne lui est pas habituel : un éventail est
représenté. En gros plan, il occupe presque toute la surface du tableau. La matière utilisée (sorte de velours
rouge floqué sur la toile) lui confère un aspect velouté, qui rappelle les fauteuils d’une salle de spectacle. Cet
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15
"
"
op. cit.
18"
éventail (accessoire incontournable de la culture espagnole, de la rue à la tradition du flamenco) a une
présence magnétique, accentuée par le noir profond du fond, impénétrable et inquiétant.
Un petit mot est tracé à la craie blanche, en bas à droite du tableau : cine. Tàpies relie ainsi son éventail à
l’univers du cinéma. Avec un mot, Tapies nous fait basculer d’un monde à l’autre : il réussit à faire sortir
l’objet de sa banalité. Peint en 1977, ce petit tableau évoque sans aucun doute les jeunes cinéastes de la
16
Movida , qui, se saisissent avec force de leur toute nouvelle liberté, et qui interrogent dans leurs films les
relations entre tradition et modernité en Espagne.
Programme de cinéma-audiovisuel / Classe de Première
L'approche culturelle
En classe de première, elle se donne deux objets : l'étude des différentes pratiques d'écriture et le repérage des grandes
étapes et des principaux genres de l'histoire du cinéma et de l'audiovisuel des origines à nos jours.
Antoni Tàpies : Terra d’ombra I, 1998
Peinture et collage sur toile,
200 X 270 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Tàpies met à nouveau son tableau en abyme : il décline la légende de l’œuvre sur le support. L’artiste affirme
la présence matérielle des constituants plastiques. Un petit rouleau est présenté dans le haut du tableau, il
est énigmatique : que contient-il ? Quel message cache-t-il ?
La légende de l’œuvre est présentée en arc de cercle, et est écrite à l’envers. Tàpies joue sur deux registres, il
écrit mais nous devons faire l’effort de lire ce texte, en devinant les mots écrits, qui ne se donnent pas au
premier regard et fonctionnent d’abord comme un dessin, traçant un arc de cercle dans le bas du tableau. Le
procédé est simple, mais demande une attention soutenue. Le titre du tableau ne résout pas le mystère : arc
en ciel ou planète Terre ? Cette terre d’ombre dont parle Tàpies, c’est peut-être aussi celle de l’art, des
mystères de l’œuvre, qui se livre au regard, mais qui contient ses zones d’ombre, sa part cachée,
énigmatique.
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16
La Movida (ou Movida madrileña) est le nom donné au mouvement culturel créatif qui a touché l'ensemble de l'Espagne pendant la fin
de la période de la transition démocratique espagnole, au début des années 1980, après la mort du général Franco.
19"
"
Chacun sa croix : Tàpies et son symbole fétiche
La croix d’Antoni Tàpies est polysémique : c’est à la fois la trace d’un héritage culturel et familial (la croix
chrétienne), c’est également sa signature (le T de Tapies). Symbole universel, la croix est omniprésente dans
les tableaux de l’artiste, qui en a fait, au cours des décennies, son signe distinctif, son symbole fétiche. Il dit,
en 2003 : Je m’obstine à faire des croisements une part essentielle de mon travail au point d’avoir adopté la
croix comme initiale de ma signature et comme une sorte de signe distinctif de mon œuvre17. Cette croix
revient comme un leitmotiv dans l’œuvre de Tàpies, à partir de 1946. Et elle est bien davantage qu’une
signature. Elle peut évoquer un signe mathématique, un graffiti, une croix chrétienne, un T (celui de Tapies, ou
de Teresa, prénom de la femme de l’artiste), la signature des analphabètes, elle peut être également le
symbole de deux forces contraires, de deux directions opposées, elle pourrait également signifier : « on ne
passe pas », « l’accès vous est refusé », ou bien encore être le schéma d’un corps humain, simplifié à
l’extrême... Tapies lui-même, dans ses nombreux écrits, évoque les diverses significations qu’il projette sur
ce symbole.
18
Lorsqu’Etienne Souriau, dans son Vocabulaire d’Esthétique , consacre un article à la croix, il écrit, dans une
partie intitulée « La croix comme symbole » : On la retrouve dans le tracé de mainte « ville idéale ». Il évoque
ensuite le sigle hiéroglyphique de la ville (cercle à l’intérieur duquel quatre voies rectilignes se coupent à
angle droit), et qui représente une ville idéale, tout en soulignant que, paradoxalement, ce type de plan n’a
jamais été retrouvé dans les ruines des villes égyptiennes. Mais le plan de Barcelone, lui, fait état d’une
caractéristique bien particulière : les grandes allées de la ville édifiée autour du centre historique se croisent
à angles droits. Ce plan a été mis en œuvre en 1859 par Cerdà (1815-1876), homme politique catalan,
urbaniste et architecte de formation. Ce plan repose principalement sur un système de voies et d’ilots
organisés hiérarchiquement. Le plan de Cerdà, conçu en damier, facilite la circulation des piétons, des
19
voitures et plus tard des transports en commun . L’organisation urbaine de Barcelone s’appuie donc, elle
aussi, sur le symbole de la croix : les rues sont conçues comme un quadrillage parfait, constitué de croix qui
se répètent à l’infini. Nul doute que cette omniprésence de la croix dans l’environnement quotidien de
l’artiste, soit également, pour partie, un élément qui ait influencé le choix de ce symbole comme marque de
fabrique.
Dans l’Espagne très catholique du milieu du 20
ème
siècle, ce choix ne passe pas inaperçu. C’est à un symbole
de l’Eglise que s’attaque Tapies, et bien qu’il s’en défende, le blasphème n’est pas loin. Tapies aura à en
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17
18
19
Tàpies, Antoni. L’art et ses lieux. Paris : Daniel Lelong : 2003. P. 70
Souriau, Etienne. Vocabulaire d’esthétique. Paris : PUF, 1990. p. 556-558
Source : http://projets-architecte-urbanisme.fr/barcelone-plan-cerda/
20"
"
découdre : il lui sera signifié clairement qu’on ne joue pas de la sorte avec un tel symbole : la croix n’est pas
un signe comme les autres !
Plan de la ville de Barcelone
Photographie aérienne de Barcelone (quartier de l’Eixample)
Antoni Tàpies : Creu de paper de diari (Une croix de papier journal)
1946-1947. Collage et aquarelle sur papier.
40 x 31 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
C’est en 1945 que Tàpies débute ses expérimentations avec la matière picturale. Son registre formel se
simplifie, il engage une recherche qui sera la sienne sa vie durant : il questionne la matière, ses états, son
aspect, ses réactions, ses jeux infinis sur le support. Un registre épuré se met donc en place. Tapies
développe dès 1946 le collage, le grattage et ses travaux le mènent sur le chemin de l’abstraction (n’oublions
pas qu’il est imprégné des écrits de Heidegger, de Sartre et de pensée orientale).
Dans cette œuvre datant de 1946, Antoni Tàpies représente une croix à l’aide de papier journal, matériau a
priori non artistique, objet banal, trivial, destiné à une utilisation limitée dans le temps. Lors de sa toute
première exposition publique, cette œuvre fut considérée comme blasphématoire et souleva de vives
21"
"
protestations de la part de l’Eglise. Mais Antoni Tàpies n’entendait nullement insulter le symbole chrétien :
cette représentation cruciforme n’avait été retenue que comme élément formel. Pour Tàpies, la croix revêt
une symbolique universelle, il dit qu’il utilise « le symbole de la croix comme image universelle, au-delà du
20
christianisme » . Elle est le signe de la finitude, et la signature universelles des illettrés, de ceux qui ne
signent pas de leur nom. Plus tard, L’artiste reprendra ce signe de croix dans de nombreux tableaux comme
signature dérivée du « T » de Tàpies.
La croix se dissocie du fond peint avec des teintes sombres. Elle se distingue des autres morceaux de papier,
également découpés dans du journal, par un jaune plus prononcé, ce qui lui confère un rayonnement
magique, un effet presque surnaturel. La dimension plastique de la croix intéresse Tapies, et traverse son
œuvre avec une constance que l’on retrouve dans la totalité de l’exposition. Il dit :
La croix, en tant qu'image, est un signe raide, fixe, alors que ce qu'elle représente ne l'est pas. En réalité,
c'est la lutte de deux forces opposées qui se rencontrent en un point. Au fond, la croix n’est pas une chose
complètement statique, elle a aussi un dynamisme. Comment l'expliquer ? C'est une idée très ancienne, qui
date probablement de 5000 ans avant J.-C. ; elle existait déjà en Chine (les Chinois ont tout inventé), mais elle
a été reprise par quelques présocratiques, notamment Héraclite, qui disait très souvent que des
antagonismes nait la Vérité ou la Justice. Pour moi, la croix n’est pas une chose immobile ; c’est la rencontre
de deux dynamismes un moment donné, qui provoque une sorte d’annulation des contraires, qui crée une
unité, tout en gardant les choses différentes21.
Antoni Tàpies : Voltor, Série Histoire naturelle, 1950-1951
Encre de Chine sur papier,
50 X 38,5 cm
Fondation Tapies, Barcelone
La croix est présente dans cette image, qui appartient à la série Histoire naturelle. Tàpies représente une
scène, qui, à l’image de tous les dessins qui constituent la série, fourmille de détails. Ces dessins, effectués à
""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""
20
Voir l’entretien avec Daniel Abadie dans le catalogue d’exposition publié sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de
Paume / RMN : 1994.
21
op.cit."
"
22"
l’encre de Chine, sont figuratifs et extrêmement précis. Réalisés dans une veine Surréaliste, ils ont été
inspirés par les frottages de Max Ernst.
Un cadavre est enterré : nous le voyons, enseveli dans le bas de l’image. Il a commencé à se décomposer :
des plantes poussent, nourries par le corps et symbolisant le renouveau qui s’opère, malgré l’aspect bien
sombre de la scène. Un vautour se penche sur ce corps, il est gigantesque. Sa tête est tournée vers le
spectateur, l’oiseau semble nous désigner, grâce à un clin d’œil, comme les complices du meurtre qui a eu
lieu. L’une de ses pattes s’enfonce dans la terre : il est très certainement coupable de la mort du personnage.
En effet, ses serres semblent maintenir le personnage sous terre : il domine et écrase le corps. Le paysage
situé à l’arrière-plan montre un second oiseau, et différents éléments (montagnes, sapins, horizon urbain, et
plantes dans lesquelles se développent des cités et des chapeaux haut-de-forme, symboles du capitalisme).
Sans oublier une croix de grandes dimensions, située au centre de la scène, et qui, cassée, semble basculer
pour couvrir de son ombre le vautour de gauche. Cette croix en bois constitue évidemment la tombe du
personnage, et son basculement imminent en fait un symbole déchu. La croix s’effondre au passage des
vautours : Tapies dénonce le pouvoir de l’argent, la toute-puissance du capitalisme, et le manque de réaction
de l’Eglise. Comme si l’économie de marché remplaçait la religion, et devenait une nouvelle croyance, un
pouvoir dominant. Avec cette série Histoire Naturelle, Tapies dénonce les excès et les injustices du monde qui
l’entoure, gouverné par le capitalisme au détriment des valeurs humaines les plus essentielles.
Antoni Tàpies : Pintura-bastidor, 1962
Technique mixte sur envers de la toile
147 X 118 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Nous pénétrons, avec cette œuvre, et celles qui jouent du principe identique, dans un univers qui nous est
habituellement caché : le revers du support. Tapies questionne les codes artistiques et détourne le support
pour mettre en évidence l’envers, les coulisses, sa totale matérialité. L’œuvre est de dos. Tapies se rebiffe
contre les conventions, et met en évidence la croix qui structure, qui tient, qui rend rigide le support. Cette
croix se dessine grâce aux deux tasseaux qui tiennent le support, et s’impose à nous comme le motif principal
de l’œuvre.
23"
"
L’artiste, lors d’un entretien réalisé en 1983 pour le compte de Beaux-Arts Magazine, indique, à propos de
cette fameuse croix : C’est un symbolisme très générique, j’emploie cela comme l’inscription d’une décision,
une négativité, une manière d’empêcher de passer, un signe de destruction. Effectivement, nous n’avons
accès qu’au dos du tableau, à un sens interdit, à une impasse. Tapies nous frustre, joue avec nous, il se
moque gentiment, et nous met face à nos sentiments, contradictoires (nous voulons voir mais nous voyons,
autre chose, tout simplement !). Le tableau n’est plus une fenêtre ouverte sur le monde, tel qu’Alberti
l’énonce au 15
ème
siècle. Tapies referme la fenêtre, et tire les volets ! Le regard ne passe pas.
Antoni Tàpies : Creu sobre bastidor, 1981
Pintura sobre fusta,
130 X 195 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Dans cette œuvre plus tardive, la croix des tasseaux a été appuyée, accentuée à l’aide de peinture noire. Deux
signes blancs détournent par moment notre attention de ce motif central, ils ressemblent à des indications
techniques, Tapies se joue des codes, et essaie de nous faire douter de ce que nous voyons.
Antoni Tàpies : Metall i ampolla (détail), 1993
Peinture et assemblage sur plaque
200 x 400 x 14 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Programme d’Arts plastiques / Cycle 4
L’objet comme matériau en art : la transformation, les détournements des objets dans une intention artistique ; la
sublimation, la citation, les effets de décontextualisation et de recontextualisation des objets dans une démarche
artistique.
Les représentations et statuts de l’objet en art : la place de l’objet non artistique dans l’art ; l’œuvre comme objet
matériel, objet d’art, objet d’étude.
24"
"
Cette œuvre de grandes dimensions, intitulée Metall i ampolla (métal et bouteille), présente une combinaison
de signes, de matières et d’objets. Quatre gigantesques plaques métalliques forment une surface brillante,
froide et maculée de petites imperfections. Cette étendue a un aspect industriel : elle évoque une porte
d’usine ou un mur d’entrepôt. Sommes-nous dans la ville, face à des graffitis couvrant un mur décrépi ? Ou au
musée, face à une œuvre ? La confusion règne, accentuée par la présence d’une bouteille qui semble sortir du
mur, coincée entre la plaque métallique et le support. Elle est vide, entourée d’un papier : c’est un déchet qui
est présenté, une bouteille qui a été bue. L’ensemble de l’œuvre évoque l’usure, la saleté, la crasse des basfonds des villes, les coulisses du monde : ce qui jamais n’entre au musée !
Deux éléments, parmi cette étendue à la fois vide et pleine d’accidents, affleurent avec insistance : un signe
« égal », constitué de deux traits parallèles, et une croix, présente en bas à gauche de l’œuvre. Ces signes
apparaissent en relief, façonnés par des objets invisibles, cachés sous le métal, et qui lui donnent leur forme.
Ils sont là, cachés et présents tout à la fois, pour celui qui prend le temps d’observer. Ils sont mystérieux et
rassurants. Un autre signe apparait, en haut à droite de l’œuvre : c’est un conglomérat de lignes, tracées à la
peinture noire : il est illisible et évoque l’univers du graffiti. En s’y penchant d’un peu plus près : on remarque
une croix, en son centre. C’est la seconde croix du tableau, vibrante, dansante, et qui fait contrepoint à la croix
métallique, cachée et rigide.
Programme d’Arts plastiques / Cycle 3
La question de la matérialité de la production plastique et la sensibilité aux constituants de l’œuvre : Les élèves prennent
la mesure de la réalité concrète de leurs productions et des œuvres d’art. Ils mesurent les effets sensibles produits par
la matérialité des composants et comprennent qu’en art, un objet ou une image peuvent devenir le matériau d’une
nouvelle réalisation. Le travail fréquent de matériaux variés permet aux élèves d’identifier et de savoir nommer les
notions relevant de leur qualité physique, d’éprouver les effets du geste et de divers outils, de prendre plaisir au dialogue
entre les instruments et la matière. La notion même de matériau s’élargit ainsi que la palette de leurs usages. La
perception de la relation entre sensation colorée et qualités physiques de la matière colorée s’affine et profite de la
découverte d’œuvres contemporaines ou passées significatives des conceptions et des questions relatives à la matérialité
et à la couleur.
25"
"
2. DE L’ORDINAIRE A L’ŒUVRE : LES OBJETS DE TAPIES
Représentés ou présentés directement, les objets sont omniprésents dans les œuvres de Tàpies. Ce sont des
objets de la vie quotidienne : objets de récupération, de rebut, ils trouvent par le truchement de l’acte
artistique, une seconde vie. L’artiste les collecte, les rassemble, les amasse dans son atelier. C’est une
véritable collection qui est ainsi constituée (Tàpies dit que les matières et les objets présents dans son atelier
22
constituent sa « palette » ). L’atelier de l’artiste, (encore aujourd’hui, car il a été préservé par la famille de
l’artiste) est encombré de matières, de matériaux et d’objets divers. Dans ses œuvres, différents types
d’appropriation de ces objets sont repérables : le collage, le détournement, le « combine-painting », alliant
matière picturale et objets, la création de sculptures constituées d’objets, ou bien encore des objets
reproduits grâce à un travail de sculpture.
Mais c’est une certaine catégorie d’objets, que Tapies utilise, de façon exclusive : ils sont tous issus de la vie
quotidienne. Ce sont des objets banals, modestes : Tapies se raccroche aux objets de ce monde non pas pour
ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils ont cessé d’être, il se raccroche à eux pour la mémoire qu’ils portent dans
leurs fibres intimes. Leur inutilité même fait qu’ils sont disponibles, ce qui permet à Tapies de leur donner
une nouvelle signification les rendant indispensables. L’objet de Tapies restera toujours un témoin du réel,
mais il est devenu, en plus un miroir dans lequel se reflète le monde intérieur de l’artiste. Qu’il soit porte, lit
ou chaussette, l’objet est devenu un signe, intégré dans la sphère d’un message artistique, et peu importe
qu’il soit ready-made ou tracé par la main de l’artiste. Il porte dorénavant en lui cette double mémoire du
dehors et du dedans, de la matière et de l’esprit, du certain et de l’incertain, du visible et de l’invisible23.
Marchant dans les pas de Marcel Duchamp, Tàpies transfigure la banalité. Il fait basculer des objets auxquels
nous sommes indifférents dans une autre dimension. Il leur octroie une nouvelle vie, loin de l’éphémère
consommation et de l’usage quotidien. Il les détache (partiellement) de leur monde, il les libère de leur
condition. Il transforme, par sa simple volonté, le banal en œuvre d’art.
Marcel Duchamp : Porte-bouteilles (1914 / 1964)
Fer galvanisé, 64 cm Diamètre : 42 cm
Centre Pompidou, Paris
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22
Voir l’entretien avec Daniel Abadie dans le catalogue d’exposition publié sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de
Paume / RMN : 1994.
23
Scheps, Marc. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2006. P. 5-21
"
26"
De l’insignifiance et du quotidien
Antoni Tàpies : Pantalons sobre bastidor, 1971
Peinture et assemblage sur le dos de la toile
130 X 195 cm
Fondation Tàpies
Antoni Tàpies : Fusta amb samarreta, 1971
Crayon et collage sur assemblage de planches
232 X 276 cm
Famille de l’artiste
Dans ces deux œuvres, les objets que nous présente l’artiste sont des vêtements. Ils ont été portés : ils sont
sales, usés, vieux, froissés. Ils sont aussi, en creux, un autoportrait de l’artiste. Ce pantalon taché, cette
chemisette : ce sont des indices de sa présence. Sur des planches de récupération ou au revers d’une toile,
c’est le peintre qui se met à nu.
Le pantalon semble avoir été mis à sécher, il est étendu sur la toile comme il pourrait l’être sur un fil à linge :
sa position renversée l’inscrit en dehors de sa fonction habituelle. Il est exposé au regard, ses taches
semblent authentiques, et la question que nous nous posons inévitablement est la suivante : a-t-il été porté
par l’artiste ? Cela semble possible, évident même, mais nous n’en savons rien. La tache noire fait écho à la
ligne noire tracée sur la partie supérieure du cadre : la ressemblance de matière et de couleur de ces deux
taches nous inquiète : il s’agit peut-être d’une mise en scène (et c’en est une, évidemment !). Partielle,
totale ? Impossible de le savoir. Ce pantalon ne raconte rien, Tapies ne met pas en scène sa vie quotidienne : il
ne s’agit pas d’engager le spectateur sur la voie d’une mythologie, ou d’une narration. Le pantalon, c’est son
pantalon, mais c’est aussi notre pantalon : c’est un dénominateur commun. La toile nous montre son envers,
27"
"
et l’artiste retire son pantalon. Avec Tàpies, nous accédons à ce qui est habituellement caché, il nous offre un
passage vers les coulisses de l’art.
La chemisette collée sur les planches pose une autre question. Tout d’abord, le support sur lequel elle est
présentée est bien particulier : assemblage de planches de récupération, formant une croix de grandes
dimensions, c’est un espace « bricolé », un support fait de bric et de broc, différents éléments qui tiennent
ensemble. La chemisette a été plaquée, collée sur ces planches. Elle est usée, mais immaculée. L’œuvre
datant de 1971, elle a désormais un aspect « rétro ». A qui a appartenu cette chemisette ? Là encore, on peut
imaginer qu’elle ait été portée par l’artiste, et qu’il ait décidé d’en faire le motif principal de son œuvre.
L’univers qui se met en place évoque tout à la fois les dessous du monde : les déchets, les matériaux trouvés
ça et là par l’artiste, et les dessous de l’être humain : le rôle de cette chemisette étant bel et bien de protéger
les vêtements (la chemise) des odeurs et des substances du corps humain.
Tàpies (...) arrache à l’oubli de choses humbles et modestes, touchantes et chaleureuses dont personne ne
voulait plus, avec une sorte de confiance naïve en leurs pouvoirs cachés. Tapies est un alchimiste moderne
dont le studio sert de laboratoire pour chercher la formule transformant les matériaux les pus élémentaires
et les objets les plus communs en richesses spirituelles.
Les objets qu’il choisit font surtout partie du quotidien : portes, lits, chaises, sofas, matelas, couvertures,
bureaux, souliers, chaussettes, pantalons. Ce sont les débris de ce qui couvre la nudité de l’homme, l’entrée
de sa demeure, les sièges de son repos, les lits de son sommeil, de sa souffrance et de sa mort. Ce n’est
certes pas l’image glorieuse de l’homme que Tapies évoque, mais bien ce dénominateur commun qui nous
rend tous semblables, fragiles et dépendants d’une finalité à laquelle nous ne pouvons pas échapper : la mort.
Les objets de Tapies ne sont pas là pour leur beauté ou leur fonctionnalité, ils ne sont même pas là comme
objets, mais comme signes existentiels de la condition humaine, comme révélateurs du décor dont nous
entourons notre existence charnelle et avant tout comme un rappel de l’essentiel : l’urgence d’une réalité
24
spirituelle dépassant le provisoire de la chair et de la matière .
Antoni Tàpies :Tovallons plegats, 1973
Peinture, crayon et collage sur bois,
65 X 100 cm
Famille de l’artiste
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24
op. cit.
28"
"
Cette œuvre présente des objets bien particuliers, puisqu’il s’agit de serviettes de table, ayant appartenu à
Tàpies et sa famille. L’œuvre appartient d’ailleurs toujours à la famille de l’artiste, elle représente un
témoignage émouvant de la vie quotidienne de l’artiste. De gauche à droite, les initiales nomment les
propriétaires des différentes serviettes, les pliages ingénieux permettant à chacun de reconnaître sa propre
serviette : To (to signifie tous en catalan, mais ici c’est certainement pour Antoni), C pour Clara, M pour
Miquel, T pour Theresa (épouse de l’artiste), A pour Antoni (le fils).
Ce sont vraiment des choses ordinaires qu’on trouve dans l’œuvre de Tapies ; pas des objets surréalistes
étranges, menaçants, incongrus ou poétiques, mais des choses, des vraies choses : chaises, chaussures,
vêtements, récipients quotidiens. Le parti pris des choses, pour citer le poète Francis Ponge. Avec toute leur
immédiateté, toute leur présence stupide au sens à la fois d’une absence de sens mais aussi d’une présence
stuporeuse, entêtée comme la vie. Elles sont là. Elles ne veulent rien dire, ou bien des choses aussi simples
que la présence des corps, leur repos, leur marche, l’alimentation qui reproduit la vie et qui leur permet de
repartir. (...) Rien de plus simple ni de plus évident. Tout le monde peut comprendre parce qu’il n’y a
justement rien à comprendre et que c’est comme ça – aussi vrai – aussi présent et aussi dérisoire25.
Antoni Tàpies : Gravinet i trossos de carto, 1971
Assemblage et crayon sur toile,
124 X 146 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Ce couteau, inoffensif et minuscule, collé au centre d’une composition qui se réduit à deux morceaux de
carton, et quelques traits de crayon, clame sa solitude et son impuissance. Il flotte, encadré par deux
sentinelles, des gardiens qui l’empêchent de circuler et qui le contraignent à un espace défini. Ce simple
couteau, objet manufacturé identique à des milliers d’autres, peut être lu comme le symbole d’une liberté
opprimée. Il est inoffensif, et pourtant, le dispositif visant à la contenir, à l’affecter à un espace précis est
disproportionné. Il est prisonnier, malgré sa taille ridicule et le manque de danger évident qu’il représente...
Ce couteau semble avoir été utilisé : il est sale, enduit de nourriture. Sa lame a été en contact avec du miel, ou
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25
"
Michaud, Yves. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2002.
29"
un autre aliment pâteux, liquide. Quels forfaits a-t-il pu bien commettre ? Tache sur la nappe ? Meurtre d’une
tartine ?
Restons en cuisine, avec l’œuvre relativement récente : Ascens-descens. Une grosse marmite a été collée sur
le support : elle est en inox, matière qui offre un contraste saisissant avec la matité du bois, et la translucidité
du vernis qui l’entoure. Ce vernis évoque une substance organique, ou une quelconque nourriture qui se serait
échappée de son contenant. Une fois encore, les objets sont bien inoffensifs, mais portent le mystère d’actions
passées, et énigmatiques.
Antoni Tàpies : Ascens-descens, 1997
Procédé mixte et collage sur bois,
200,5 X 220 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Le support de l’œuvre est un terrain où l’artiste laisse des traces furtives de son passage, déverse son lourd
ballot de souvenirs, de douleurs, de découvertes, d’intuitions, c’est aussi l’endroit où il entrepose signes,
objets et matières réunies au cours de ses pérégrinations26.
De la même façon, l’objet est traité comme une matière. Il est l’objet proche, quelconque, banal, et, de
préférence, marqué, maltraité par l’usage. Et sa texture avant tout requiert le peintre : trame sèche et grenue
de la carpette, plasticité de la boue, duveté de la couverture, souple robustesse et densité stratifiée du carton
qui appelle entailles et déchirures... (...) Dans l’objet même, ce qui lui importe c’est moins sa particularité
d’objet que le résultat de son altération par la main et l’usage, la manière dont le fil est tordu, la boîte
écrasée, le journal chiffonné et sali, le drap plissé, noué et maculé, le carton détérioré27.
Programme d’Arts plastiques / Cycle 4
Intervention plastique sur des objets (formes, textures, taille…) pour en modifier le statut et le sens, l’intégration de
l’objet, y compris non artistique, comme matériau de l’œuvre (transformation, sublimation, citation, détournement),
interaction entre forme et fonction. » Mise en scène et présentation d’objets à des fins expressive ou symbolique.
""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""
26
27
op. cit.
Dupin, Jacques. Matière d’infini (Antoni Tàpies). Paris : Farrago, 2005. P.32
30"
"
Antoni Tàpies : Pintura romànica i barretina,
1971
Assemblage sur peinture romaine antique
63x117cm
Famille de l’artiste
Le barretina (de barret, chapeau, en catalan) est le chapeau typique et traditionnel des catalans. Il est en laine
et il a une forme de bonnet allongé, habituellement de couleur rouge, et possède souvent une frange noire à
la base. C’est un chapeau pour homme, porté à partir du 17
ème
siècle, à la campagne. Comme la plupart des
symboles identitaires régionaux, il a été proscrit sous le régime de Franco. Dans cette œuvre d’Antoni Tàpies,
le barretina est ficelé sur une fresque romane.
Cette fresque est une empreinte : elle a été prélevée sur le mur d’une chapelle romane. Tàpies associe deux
éléments qui sont imprégnés de culture catalane. La corde reliant le barretina à la fresque
Programme de Français / Cycle 4
En lien avec la programmation annuelle en histoire (étude du XXe siècle, thème 1 « L’Europe, un théâtre majeur des
guerres totales »), une œuvre ou une partie significative d’une œuvre portant un regard sur l’Histoire du siècle – guerres
mondiales, société de l’entre-deux-guerres, régimes fascistes et totalitaires (lecture intégrale). On peut aussi étudier des
extraits d’autres œuvres, appartenant à divers genres littéraires, ainsi que des œuvres picturales ou des extraits
d’œuvres cinématographiques.
L’objet comme matériau graphique : collages et techniques mixtes
Antoni Tapies clame son admiration pour Picasso à de nombreuses reprises, notamment dans l’ouvrage
intitulé « La pratique de l’art », qui permet (car il s’agit d’un recueil, d’une compilation d’écrits de l’artiste) de
comprendre quelles ont été les influences déterminantes qui ont marqué son œuvre. Tapies a rencontré
Picasso, à Paris, en 1951. Le texte qu’il a rédigé pour raconter cette brève entrevue est édifiant. Tapies a alors
27 ans, il est fortement impressionné par Picasso, qui a lui, 70 ans, mais qui le traite avec égards et lui
témoigne une grande confiance et une certaine complicité, bien qu’il ne connaisse visiblement pas le travail
de son jeune compatriote. Il lui montre quelques œuvres de jeunesse (des portraits), et des tableaux de sa
31"
"
collection (dont un paysage de Cézanne, face auquel Picasso reproche à Tapies de ne pas tomber en
pâmoison). Le témoignage rédigé par Tapies pour relater ce moment permet de comprendre l’admiration qu’il
28
porte à son illustre aîné .
Les œuvres de Tapies offrent un panel de techniques très larges. Les objets utilisés dans ses collages dont
prélevés dans la réalité quotidienne : billet de banque, feuille de papier journal, ou enveloppe. Ces objets sont
combinés à des techniques graphiques. Ces collages, effectués dans les années 1950-1960, rappellent les
expériences des cubistes, notamment les collages de la période du cubisme synthétique. Les œuvres de
Picasso, de Georges Braque ou de Juan Gris ont alors marqué un tournant dans l’histoire de l’art : le matériau
issu de la vie quotidienne peut faire œuvre. Cette inclusion de morceaux du quotidien, de tranches de vie dans
l’art a été un déclic : désormais, tout peut devenir œuvre. La volonté de l’artiste suffit à transformer le
matériau banal en matériau artistique.
Tapies a bien compris la leçon, et trente ans après, il se livre à ses propres expériences, radicales et
fascinantes. Il dit : Il y a parfois dans mon œuvre un hommage aux objets insignifiants : papier, carton,
détritus... (...). La main de l’artiste n’est pour ainsi dire intervenue que pour les recueillir et les sauver de
l’abandon, de la fatigue, de la déchirure, de la marque du pas de l’homme et de celle du temps. (...)Il faut
habituer le public à considérer qu’il y a mille choses qui méritent d’être rangées dans la catégorie de l’art,
c’est-à-dire de l’homme : beaucoup de choses qui, pour minuscules qu’elles puissent d’abord paraître,
deviennent, offertes au regard dans leur vrai jour, infiniment plus grandes et plus dignes de respect que
toutes celles qu’il est convenu de juger importantes29.
Antoni Tàpies : Collage del paper moneda, 1951,
Technique mixte sur papier
26 X 31,5 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Ce petit collage est contemporain de la série « Histoire naturelle ». Il possède d’ailleurs quelques similitudes
avec les dessins constituant cette dernière. Le fond est à la fois découpé et décoré, à l’encre de Chine. Les
motifs (fleurs, arabesques, cœur, visage féminin aux yeux fermés) sont délicats, finement réalisés et
fortement ressemblants à ceux que l’on trouve dans les dessins de la série « Histoire naturelle ».
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28
29
"Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris, Gallimard : 1974. P.133 à 137
Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris, Gallimard : 1974. P. 91-92
32"
"
Deux détails, découpés dans le support, attirent notre attention : le bas d’une jambe, dans la partie inférieure
de l’œuvre, et une étoile ou un soleil, dans la partie supérieure. Ces deux découpes ne semblent pas
entretenir de relation particulière avec les dessins, et sont indépendantes du reste de la composition : ce sont
des éléments présents en positif (le pied) et en négatif (le soleil ou l’étoile). Ils disent le bas et le haut,
permettent de se situer dans un espace, mais leur échelle ne leur permet pas de coïncider avec les autres
éléments présents dans l’œuvre.
Au centre de ce petit tableau, deux billets de banque sont présentés. La mise en scène est particulière : ils ont
été consciencieusement pliés, et glissés dans une encoche découpée directement dans le papier. De plus, ils
ont été maculés d’encre rouge par l’artiste : cet argent est taché de sang... Nous sommes en 1951, et Tàpies
dénonce le pouvoir de l’argent, comme il l’a fait dans la série « Histoire naturelle ». Les billets valent pour
métaphore du système capitaliste qui s’épanouit après-guerre. Il prend parti, il expose l’argent sale, qui
profite à certains sur le dos des autres. Les deux billets sont disposés en croix : ils forment un barrage, une
barrière infranchissable. Tapies nous met en garde.
Antoni Tàpies : Tinta morada sobre paper de diari, 1963
Encre sur papier journal,
49 X 66,5 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Dans un ouvrage réalisé avec Tàpies, et intitulé Matières d’infini, l’auteur Jacques Dupin, essayiste et
spécialiste de l’artiste, écrit : L’objet. Son extériorité, sa clôture, sa perfection maltraitée, son identité...
S’opposant à l’infini de la couleur, de la matière ou de la ligne, à leur indéfinition, à leurs virtualités
inépuisables, il existe, il résiste au regard avec une obstination roturière, il répugne à être sauvé du naufrage
où le cours de l’existence le menait calmement. Il refuse de plier, de se démentir, de changer en signe de
victoire le signe de sa lassitude et de sa défaite. Même détourné sans effort apparent ni geste ostentatoire de
son cours ordinaire, privé de sa valeur d’usage ou de sa dévalorisation effective, il n’a passé le seuil de
l’atelier, de la peinture, que pour être rendu à sa solitude, à son intégrité de chose altérée, d’objet
irréductible. L’art du peintre consiste à le fixer, librement, à sa place précise, selon la règle d’un jeu inconnu,
une règle que le jeu lui-même édicte en se jouant, dans la continuité de l’œuvre et la logique du
33"
"
questionnement. A sa place fixée, mais instable, menacée... Signe parmi les signes d’un langage devenu à
présent sa seule justification et sa seule réalité30.
Le papier journal constitue un support que l’on retrouve à plusieurs reprises dans l’exposition : il incarne à
merveille la notion de banalité. C’est un objet chaque jour renouvelé, et chaque jour le nouveau journal (le
quotidien) rend le précédent obsolète. Le journal perd donc sa valeur de façon très rapide. C’est, de plus, un
matériau pauvre et disponible en grande quantité.
Dans cette œuvre intitulée Tinta morada sobre paper de diari (Encre marron sur papier journal), Tapies est
intervenu directement sur la feuille de papier journal. Son intervention est modeste : quelques chiffres,
quelques taches, trois triangles et sa signature. Les deux angles supérieurs de la feuille ont été colorés, et un
triangle a été tracé au centre, dans la partie supérieure. Que signifient ces triangles ? La pyramide, et l’idée
d’élévation, fait partie des poncifs de l’histoire de la peinture. Il suffit de se remémorer les principes entrant
en jeu dans la composition des œuvres de la Renaissance, pour comprendre que cette figure pyramidale n’est
pas anodine. C’est aussi le symbole de la trinité et de la résurrection : le triangle est une figure connotée
religieusement (ses trois côtés symbolisent la Trinité, et sa point dirigée vers le ciel désigne le divin, l’audelà). Elle est liée à l’histoire de l’art et à l’histoire de la religion.
Bien qu’elle soit disposée à l’envers, penchons-nous d’un peu plus près sur cette feuille de papier journal.
Elle est issue du journal « La Vanguardia » , en date du 31 aout 1963, et contient deux parties : une rubrique de
petites annonces dédiées à l’automobile (à droite), et une page relatant gros les titres de l’actualité
internationales (à gauche). Un article est intitulé : « No hay posible « entente » entre Siria y Egipto ». C’est
(peut-être) cet article qui a donné à l’artiste l’idée de cette forme pyramidale. C’est une hypothèse, mais la
coïncidence semble évidente : les pyramides égyptiennes ont dû venir spontanément à l’esprit de Tapies
lorsqu’il a lu ce titre.
Antoni Tàpies : Collage amb sobre, 1966
Crayon, encre et collage sur papier
37,5 X 30 cm
Fondation Antoni Tàpies, Barcelone
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30
Dupin, Jacques. Matière d’infini (Antoni Tàpies). Paris : Farrago, 2005. P. 36-37
34"
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Une enveloppe blanche est présentée. Elle se détache par un contraste puissant du fond noir sur lequel elle
est collée. Cet objet, modeste et quotidien, a été choisi par l’artiste. A qui appartenait cette enveloppe ? Quel
courrier a-t-elle bien pu contenir ? Le mystère plane, mais il et fort probable qu’elle ait appartenu à Tapies. Il
a d’ailleurs « marqué son territoire » : des traces de doigts bien visibles viennent affirmer sa présence, et sont
un indice de la main qui a ouvert l’enveloppe. Nous revivons la scène : les doigts, le papier qui se déchire : oui,
c’est bien cela, nous pénétrons dans l’intimité de l’artiste. Mais le contenu n’est pas présenté : trop personnel
ou peu intéressant, nous n’en saurons rien.
Cette enveloppe est présentée ouverte, et sa forme évoque celle d’une maison stylisée. C’est bien dans
l’univers intime de l’artiste que nous sommes conviés. D’ailleurs, cette maison a été entourée d’un dessin : un
cerne se démultiplie et vient entourer la maisonnette. Aura protectrice ou tempête faisant rage ? Ces lignes,
réalisées avec l’énergie d’une féroce répétition, mettent en évidence la différence entre deux mondes : celui
de l’objet et celui de l’homme. La main qui dessine est la même que celle qui a ouvert l’enveloppe. Le dessin
entoure l’enveloppe, elle enferme l’enveloppe ouverte dans un système de lignes tout à la fois protectrices et
effrayantes.
Programme d’Arts plastiques / Cycle 3
- les fabrications et la relation entre l’objet et l’espace : La pratique bidimensionnelle faisant appel à des techniques
mixtes et les fabrications en trois dimensions sont essentielles dans ce cycle. Elles développent chez les élèves
l’attention aux choix, aux relations formelles et aux effets plastiques. Les changements multiples de statut imposés aux
matériaux et aux objets permettent la compréhension des dimensions artistiques, symboliques ou utilitaires qui leurs
sont attachées. La pratique du modelage, de l’assemblage, de la construction et l’approche de l’installation favorisent la
sensibilisation à la présence physique de l’œuvre dans l’espace et des interactions entre celle-ci et le spectateur.
De l’objet à la sculpture : rendre à l’espace ce qui lui appartient
De l’objet à la sculpture, il n’y a qu’un pas. De la surface au volume, les objets de Tàpies s’émancipent, et
adoptent un nouveau fonctionnement, libérés du mur, basculant dans la tridimensionnalité.
L’œuvre Cadira i roba a été réalisée en 1970 par Antoni Tàpies. L’artiste a imaginé une petite mise en scène,
plein de banalité : des vêtements, et des serviettes de toilette sont déposés sur une chaise. Ils semblent sales,
et, si le petit socle qui présente l’œuvre était absent, nous pourrions douter de la nature de ce que nous
voyons ! L’artiste nous met au défi : oui, c’est une œuvre, puisque, pour lui, l’art se cache dans les moindres
recoins de notre vie quotidienne.
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Antoni Tàpies : Cadira i roba, 1970
Objet-assemblage
94 x 76 x 63 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Dans un texte intitulé : Le jeu du savoir regarder (1967), adressé à un public d’enfants, lecteurs de la revue
Cavall Fort, Tàpies prend justement l’exemple de la chaise. Voici ce qu’il écrit : Regardez l’objet le plus
simple, regardez par exemple une vieille chaise. Elle ne parait pas être grand chose. Mais pensez à tout
l’univers qu’il y a en elle : les mains et la sueur de celui qui a taillé ce bois qui un jour fut un arbre robuste,
plein d’énergie, au milieu d’une forêt touffue dans de hautes montagnes, le travail amoureux de celui qui l’a
construite, le plaisir de celui qui l’a achetée, les fatigues qu’elle a soulagées, les douleurs et les joies qu’elle a
sans doute supportées, dans un grand salon, ou peut-être dans une pauvre salle à manger de banlieue... Tout,
absolument tout, représente la vie et a son importance. Même la plus vieille chaise porte en elle la force
initiale de la sève qui, là-bas, dans la forêt, montait de la terre, et qui servira encore à donner de la chaleur, le
jour où, devenue petit bois, elle brûlera dans une cheminée31.
Ce texte est édifiant : il nous renseigne avec force sur l’état d’esprit de Tàpies à la fin des années 1960. Sa
vision du monde est imprégnée de philosophie orientale : il trouve le beau en toute chose. Et une vieille chaise
devient un sujet passionnant. Son histoire lui confère une richesse. Il suffit donc de prendre le temps
d’observer pour dénicher la poésie en chaque chose.
En observant attentivement cette chaise, il est possible d’émettre quelques hypothèses. D’une part, c’est une
chaise de bistrot, elle a donc eu une vie antérieure trépidante (loin de la pauvre salle à manger de banlieue !).
En terrasse ou dans un café barcelonais, cette chaise a vu défiler des centaines, des milliers de personnes qui
ont trouvé un instant de repos à son contact. Le palimpseste de linge fait peut-être allusion à cette quantité
importante de personnes qu’elle a supportées. D’autre part, elle ressemble à la chaise sur laquelle, le soir
venu, on dépose ses vêtements. Ou bien encore, à la chaise d’une arrière-boutique (atelier du peintre, ou
garage automobile) : des vieux chiffons ont été déposés sur cette chaise, en attendant peut-être d’être lavés,
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31
Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris : Gallimard : 1974.
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ou d’être jetés. Leur masse recouvre la chaise : ils semblent solides. Effectivement, sous l’apparence négligée
du dispositif, Tapies a, en réalité, choisi avec soin, et disposé minutieusement chaque élément de l’œuvre, qui
est solide et bien stable. Les vêtements sont bien arrimés à la chaise, et ont été rigidifiés par l’artiste, afin
qu’ils puissent conserver leur emplacement définitivement.
Programmes d’enseignement / Cycle 1
Le travail en volume permet aux enfants d'appréhender des matériaux très différents (argile, bois, béton cellulaire,
carton, papier, etc.) ; une consigne présentée comme problème à résoudre transforme la représentation habituelle du
matériau utilisé. Ce travail favorise la représentation du monde en trois dimensions, la recherche de l'équilibre et de la
verticalité.
Dans son ouvrage intitulé Matière d’infini, Jacques Dupin écrit : L’objet ne parvient à être visible, et sensible,
pour Tàpies, que porteur d’une multitude de traces embrouillées mais vivaces, mais intenses, qui se
recouvrent et se contredisent comme des milliers de pas dans la poussière d’un chemin. Il désigne, par sa
coupure même, la présence d’être humains, comme lui humbles et exploités, maltraités et exclus. Une
humanité silencieuse –réduite au silence-, anonyme – privée de son nom, de sa langue -, et dépossédée de
ses pouvoirs. Le monde de l’aliénation et de la répression ordinaires diffus dans les choses et l’air de la rue,
le bourdonnement quotidien de la dépossession sans visage et de la colère aux cris enroués32.
Ce que nous dit Jacques Dupin, c’est que l’objet isolé par l’artiste, coupé de ses semblables, véhicule un
message empreint de nostalgie. Il est comme les prisonniers politiques contraints au silence et à la torture
sous le régime de Franco. Il symbolise le souvenir d’une époque révolue. Et c’est cela, cette tristesse, ce
désespoir, aussi, que porte la chaise de l’œuvre Cadira i roba, coupée de ses semblables (chaises de bistrot).
Loin du bruit et de la joyeuse animation du café barcelonnais auquel elle a appartenu un jour, elle est
désœuvrée, sans vie.
Antoni Tàpies : La butaca, 1987
Peinture sur bronze
88 x 90 x 87 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
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32
Dupin, Jacques. Matière d’infini (Antoni Tàpies). Paris : Farrago, 2005. P. 37
37"
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En 1987, Antoni Tàpies est un artiste reconnu internationalement. Il est occupé à de nombreux projets,
notamment sculpturaux (il effectue des recherches pour la façade de sa Fondation : ce sera la sculpture
monumentale Nùvol i cadira). La butaca est une sculpture en bronze : contrairement à Cadira i roba, il ne
s’agit pas d’un vrai fauteuil, mais d’une reproduction. Le fauteuil a été moulé puis reproduit en bronze. Tapies
est intervenu à a surface de la sculpture avec de la peinture : des signes tracés à l’aide de peinture noire sont
bien visibles. Ce fauteuil fonctionne comme un trompe-l’œil : il semble réel, moelleux à souhait, et nous
serions bien tentés d’y prendre un peu de repos.
Les sculptures ont quelque chose (...) de ces modèles en réduction d’objets comme sont certains jouets du
passé qui nous entraînent tout de suite dans un monde bien plus ancien que celui de l’enfance33.
Les œuvres de Tàpies s’adressent (...) à une part de nous-mêmes qui est la part touchante, mouvante,
heurtante, caressante et blessante (et aussi bien touchée, mue, caressée, blessée), la part de l’humain qui
tient, tâte, effleure les choses, celle qui s’érafle contre elles, celle qui tombe et s’assoit34.
Ce fauteuil est à la fois un objet très banal : sorti de la cave de l’artiste, ou récupéré dans une rue de
Barcelone, mais dénote aussi un certain « standing ». Il est le symbole d’un luxe déchu, d’un riche passé qui
n’a plus cours (le matelassage du dossier, le travail des accoudoirs, et celui des pieds, montés sur roulettes :
ce fut un fauteuil élégant !). Il semble désormais poussiéreux et usé. Le travail effectué par l’artiste à la
surface de la sculpture lui confère une patine, une usure. Tàpies a également réalisé des inscriptions à l’aide
de peinture noire : on retrouve la croix, signature de l’artiste, et une flèche gigantesque, qui désigne l’assise,
et semble une invitation à nous asseoir ! Ce pourrait même être une injonction : « Assis ! ». L’invitation est
violente, le corps pourrait être contraint ! Au sommet de la flèche, une petite croix. Sur l’assise, deux autres
signes : le signe mathématique de l’infini (peut-être est-ce un 8 ?), et un chiffre. Mystère, l’interprétation de
ces signes résiste.
Antoni Tàpies : Matalàs, 1987
Peinture et assemblage sur bronze
58 x 110 x 71 cm
Fondation Tàpies, Barecelone
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34
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Michaud, Yves. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2002. P. 11-12
op. cit. P. 15"
38"
Là encore, ce que nous voyons n’est pas vraiment ce que l’objet semble être. Ce matelas roulé, c’est en réalité
une sculpture en bronze. Loin du luxe déchu que dégage le fauteuil, ce matelas résonne fortement avec
l’actualité : il dit la précarité, la pauvreté, l’exil. Ceint d’une corde (réelle) à laquelle est accrochée un
morceau de tissu rouge, le matelas est également le support de quelques signes, mystérieux, et pour
certains, indéchiffrables.
35
Tàpies dit : Parfois, je cherche dans la cave, là où il y a des meubles abandonnés, des choses oubliées . Et à
l’aide de ces choses oubliées, il crée des sculptures qui disent ce qu’elles sont : une portion du monde. Ce
vieux matelas résume, d’une certaine manière, l’histoire de l’humanité. Trouver chaque soir un lieu où
étendre sa couche, se résoudre à partir... C’est aussi à l’histoire de l’Espagne que Tàpies fait allusion. Les
républicains espagnols ont été contraints à l’exil lorsque le Général Franco a pris le pouvoir en 1946. Toulouse
a d’ailleurs été une terre d’accueil de cette vague d’émigration.
Programme d’Arts plastiques / Cycle 4
L’objet comme matériau en art : la transformation, les détournements des objets dans une intention artistique ; la
sublimation, la citation, les effets de décontextualisation et de recontextualisation des objets dans une démarche
artistique.
Les représentations et statuts de l’objet en art : la place de l’objet non artistique dans l’art ; l’œuvre comme objet
matériel, objet d’art, objet d’étude.
Exemples de situations d’apprentissage : Intervention plastique sur des objets (formes, textures, taille…) pour en modifier
le statut et le sens, l’intégration de l’objet, y compris non artistique, comme matériau de l’œuvre (transformation,
sublimation, citation, détournement), interaction entre forme et fonction. » Mise en scène et présentation d’objets à des
fins expressive ou symbolique.
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Entretien avec Daniel Abadie dans le catalogue d’exposition réalisé sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de Paume /
RMN : 1994. P. 66
39"
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3. LA MATIERE DANS TOUS SES ETATS
Antoni Tàpies a consacré sa vie à une expression artistique qui questionne les états de la matière. Il est
souvent comparé à un alchimiste, qui tenterait de multiples expériences afin de découvrir des réactions
inédites, des couleurs nouvelles, des matières révolutionnaires, des mélanges surprenants. Au cours de la
seconde moitié du vingtième siècle, ses recherches furent intenses et incessantes : Il puise dans l’immense
réservoir du passé de l’homme des matériaux précieux pour sa réflexion et son attitude est comparable à
celle de l’alchimiste cherchant le secret de la transmutation de la matière devenant esprit36.
Lorsqu’on lui pose la question des matériaux qu’il utilise, Tapies répond que la liste serait longue à dresser,
mais il se livre tout-de-même à un petit inventaire : (...) J’utilise les matériaux traditionnels du peintre, la toile
normale, les couleurs industrielles, tous les colorants modernes ; et puis j’ai fait beaucoup d’essais pour
mélanger la peinture avec du sable, de la terre, de la poudre de marbre, en employant des agglutinants plus
durs qu’habituellement. J’ai ajouté du papier, des pièces d’étoffes, du tissu, du bois, même de la paille, peutêtre en pensant aux fibres végétales utilisées au Japon. Tout matériau, aussi humble soit-il, est valable37.
• Physique Chimie / Cycle 4
Croisement entre les enseignements
» En lien avec les arts plastiques et visuels, l’histoire des arts, le français Chimie et arts : couleur et pigments, huiles et
vernis, restauration d’œuvres d’art.
Les expériences auxquelles Tàpies s’est livré ont donné naissance à des œuvres explorant des pistes inédites,
dans lesquelles la matière « picturale » a adopté des formes, des épaisseurs, des textures, des aspects les
plus variés. Ce travail de la matière, déposée à la surface du tableau, a été amorcé dans les années 1940. Sur
les traces de Jean Fautrier et de Jean Dubuffet, mais aussi d’Alberto Burri, Antoni Tàpies s’est lancé à
l’assaut d’une recherche plastique qui l’occupera sa vie durant. Il explique : Dans mon langage, je crois qu’il y
a cette troisième dimension de l’expressivité : certes il y a la couleur, la forme, mais aussi la texture. Pour
moi, la surface du tableau, la façon de choisir les matériaux est déjà un élément expressif38. Il dit encore : J’ai
compris alors qu’on ne peut pas utiliser n’importe quel matériau, et que le choix de celui-ci exprime déjà
quelque chose. Ce n‘est pas seulement un support : chaque matériau a son propre langage39.
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36
Scheps, Marc. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2006.
Beaux-Arts Magazine N°29, Novembre 1985
38
op. cit.
39
Entretien avec Daniel Abadie dans le catalogue d’exposition réalisé sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de Paume /
RMN : 1994.
37
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Tàpies est un autodidacte : ses gestes, parfois radicaux, ses expériences inédites, ont été possibles car sa
parole était libre, s’exprimant à l’intérieur d’un régime politique dictatorial. Se libérer des contraintes
traditionnelles, des codes en vigueur, et inspiré par les avant-gardes du début du vingtième siècle, Tapies a
exploré les propriétés de la matière avec délice, parfois avec violence, toujours libre.
L’art contemporain apparaît (...) comme ayant caressé ce rêve impossible : celui d’une matière sans forme,
sans armature et sans corset. Neutre, brute et vierge de tout linéament. Riche de tous les possibles, mais ne
faisant que les esquisser. L’artiste ne serait plus seulement dans cette perspective un créateur de formes, un
indicateur ou un révélateur des propriétés du matériau mais un créateur de matières : neuves, inédites40.
Programmes d’enseignement / Cycle 1
Réaliser des compositions plastiques, planes et en volume
Pour réaliser différentes compositions plastiques, seuls ou en petit groupe, les enfants sont conduits à s'intéresser à la
couleur, aux formes et aux volumes. Le travail de la couleur s'effectue de manière variée avec les mélanges (à partir des
couleurs primaires), les nuances et les camaïeux, les superpositions, les juxtapositions, l'utilisation d'images et de
moyens différents (craies, encre, peinture, pigments naturels...). Ces expériences s'accompagnent de l'acquisition d'un
lexique approprié pour décrire les actions (foncer, éclaircir, épaissir...) ou les effets produits (épais, opaque,
transparent...).
Opacité et transparence
Antoni Tàpies : Grafismes sobre vernís, 1955
Vernis sur toile,
73x92cm
Famille de l’artiste
Dans cette œuvre, le vernis recouvre la toile. Il a vieilli : sa couleur est orangée, mais il est possible qu’il ait eu
une toute autre couleur en 1955. L’artiste a inscrit son dessin dans cette matière, a postériori. Les entrelacs
ont été dessinés d’une façon très hiérarchisée : des formes courbes se répondent, et malgré l’apparente
désorganisation, le motif central trace une structure complexe.
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De Meredieu, Florence. Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne. Paris : Bordas, 2002. P. 174
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L’utilisation du vernis apparaît dès le début des années 1950 dans l’œuvre de Tàpies : J’ai utilisé le vernis
depuis le début : mes matières sont faites avec la poudre de marbre agglomérée à de la colle ou du vernis, le
plus souvent à du vernis. Déjà, dans certains tableaux du début des années 1950, on peut voir le vernis tout
seul –souvent mélangé avec de la peinture- mais certaines surfaces ne sont faites qu’avec du vernis. (...)41.
Il explique son attrait pour ce matériau, qui lui offre un « repos », une légèreté indispensable lorsqu’il a atteint
un point de saturation lors de son travail avec des matières épaisses et lourdes : J’ai pensé que c’était une
bonne idée pour développer cette sensation des aliments des dieux – hydromel ou ambroisie-, tous
déclinaisons du miel. Il y avait peut-être aussi une réaction, car depuis un certain temps, j’avais travaillé à des
tableaux lourds et très épais. J’ai eu ainsi le besoin de me reposer en faisant des choses plus légères.
Cette légèreté, cette translucidité de la matière est fascinante. La brillance et l’aspect fluide du vernis
aimantent le regard. L’œuvre nous hypnotise, et l’œil se débat à la surface du tableau, comme pris dans un
papier collant. Les impuretés que constituent les minuscules grains de poussière incrustés dans le vernis ont
quelque chose de fascinant : l’œuvre a figé un état de la matière, et attire irrésistiblement notre attention.
Antoni Tàpies : A la memòria de Salvador Puig
Antich, 1974
200 x 300 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Cette œuvre date de 1974, elle est dédiée à la mémoire de Salvador Puig Antich (jeune opposant à Franco, né
en 1948 et mort en 1974). Militant dans les commissions ouvrières de quartiers, il rejoint le Movimiento
Iberico de Liberacion avec lequel il participe activement à des actions armées en 1972-1973. Il a été exécuté
par le régime franquiste après avoir été condamné par un tribunal militaire pour le meurtre à Barcelone d’un
membre de la garde civile.
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Entretien avec Daniel Abadie dans le catalogue d’exposition réalisé sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de Paume /
RMN : 1994. P. 69
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Il a été exécuté par strangulation, le 2 mars 1974, à la prison Modelo de Barcelone (il a été le dernier à mourir
de la sorte). La forme noire, en L inversé, représentée au centre de la toile, figure la chaise sur laquelle il a
été sanglé. Cette forme très opaque est constituée d’un morceau de tissu, elle contraste fortement avec le
rectangle gris clair présent sur le fond : il est translucide, et semble avoir été frotté. Ces différents états de la
matière picturale évoquent indubitablement le sang du prisonnier. Frotté, essuyé, comme si les traces du
meurtre cherchaient à être effacées. Et opaque, dense, mais liquide, coulant de la chaise.
Cette œuvre est engagée : elle dénonce la violence et l’abomination du régime de Franco. Attaché à sa région
et à son histoire, Tàpies prend position, et rend hommage à son ami. L’inscription est discrète dans le haut du
tableau : l’artiste nomme Salvador Puig Antich avec ses initiales. Rappelons que malgré la reconnaissance
internationale dont il bénéficie, Tàpies vit à Barcelone. Ses opinions sont connues, et il risque être inquiété.
Un rectangle multicolore attire notre attention : cette petite feuille est certainement extraite d’un nuancier,
ces petits carnets qui aident les peintres à choisir leurs couleurs. Positionnées au-dessus de la chaise, ces
touches de couleurs incarnent un espoir. C’est un petit arc-en-ciel de couleurs, qui nous indique que la vie
continue, et que le peintre n’abandonnera pas, ni la mémoire de son ami, ni son entreprise de sublimation.
Histoire des arts / Cycle 4
Croisements entre les enseignements :
Art et pouvoir : contestation, dénonciation ou propagande.
Émergence des publics et de la critique, naissance des média ; l’art, expression de la pensée politique.
Antoni Tàpies : Pòrtic, 1980
Peinture sur papier journal
49 x 66,5 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Cette œuvre appartient à la série des peintures et des encres réalisées par Tàpies sur papier journal. Elle
s’intitule Portic : le portique en question est clairement repérable dans le bas de l’œuvre.
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Observons tout d’abord la feuille de papier journal : il s’agit d’une double page de petites annonces prélevée
dans le journal « La Vanguardia ». A gauche, les petites annonces automobiles sont présentées, et à droite,
des annonces immobilières. Différents logements sont en vente, dans diverses villes. Le nom Portic apparaît,
c’st certainement un lieu, ville ou village dans lequel se trouve un logement à vendre. Une fois encore,
l’intervention de Tapies sur le papier journal a été réalisée par association d’idée : il a formé un portique dans
le bas de la page, en s’appuyant sur ce mot, rencontré au hasard de sa lecture du journal.
La feuille de papier journal a été malmenée par l’artiste : elle semble abîmée. Le traitement que lui a fait
subir l’artiste forme un sorte de constellation : un amalgame de poussières, de planètes, d’étoiles. Est-ce la
porte des enfers ? Ou celle du paradis ? Sommes-nous conviés à entrer dans un brasier ? Ou est-ce au
contraire l’infini qui nous est révélé ? Lorsque Florence de Méredieu évoque (dans son ouvrage intitulé
Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne) l’avènement du matérisme au milieu 20è siècle, elle
écrit : Une véritable fascination s’empare de l’artiste, lequel procède à une analyse minutieuse des divers
matériaux. Entreprise de nature gargantuesque, encyclopédique et qui transforme l’artiste en télescope ou
microscope aventureux42.
C’est en se rapprochant de l’œuvre que l’on perçoit les différents interventions réalisées par Tapies : dessin
au fusain ou à la craie noire (le portique, une croix, une annonce barrée, des signes, dans le bas de la feuille,
qui donnent l’impression d’une fumée), et la peinture, légère ou opaque, très présente à certains endroits,
absente à d’autres, qui effectue une sélection sur la feuille. Certaines parties sont cachées, d’autres révélées.
Au hasard de l’expérience avec la matière, le support est plus ou moins dévoilé. Cette image est inquiétante :
le portique de Tàpies semble nous mener tout droit vers un incendie, un espace effrayant et mystérieux.
Antoni Tàpies : Cascada, 2004
Procédé mixte sur bois
200 x 175 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
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De Meredieu, Florence. Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne. Paris : Bordas, 2002. P. 182
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Cette cascade est une œuvre de grandes dimensions. Réalisée par Tàpies en 2004, elle présente une double
particularité. D’une part, elle semble figurative : le titre désigne ce qu’il y a à voir, et non pas uniquement un
procédé ou une matière. Il est rare que l’artiste nomme ses œuvres en renvoyant le spectateur explicitement
à une représentation : il préfère généralement nous laisser imaginer, inventer des interprétations. Pour
l’artiste toutefois, le choix des matériaux est basé sur des impressions, des images. Il explique : Chaque
matériau a réellement une expressivité spéciale, liée probablement aux associations d’idées qu’ils suggèrent :
telle surface rugueuse fait penser au mur d’une prison, par exemple ; telle autre, plus lisse, fait penser à une
maison neuve, pleine de soleil...43
D’autre part, la cascade en question est traitée avec une énergie évidente : la trace du pinceau nous révèle le
geste rapide, sûr, et ample réalisé par l’artiste. Tàpies a imprimé, dans les fibres de la planche de
contreplaqué, une trace révélatrice de son énergie. Imprégné de calligraphie et philosophie orientale, son
geste porte également les apprentissages de ces différents enseignements. Cette cascade renvoie, aussi, au
registre des peintre orientaux : c’est un motif traditionnel que l’on retrouve très fréquemment, notamment
dans les estampes japonaises.
Enfin, observons cette eau-encre couler : de petit ruisseau (en haut à gauche), l’eau se transforme en chute
vertigineuse après sa rencontre avec un relief. Il s’agit d’un rocher-tas de sable. Cette pâte ressemble à de la
pâte à gâteau : elle semble avoir été jetée sur le support, et forme des reliefs denses, qui contrastent
fortement avec l’eau vive de la cascade. Les motifs du support, ceux de l’eau (taches, traces, giclures, qui
révèlent son caractère fluide et translucide), et les deux « rochers en pâte de sable » forment un paysage.
Tàpies nous invite à un voyage, et cette fois-ci, il nous ouvre une fenêtre !
Programmes d’Arts plastiques / Cycle 3
- la matérialité de la production plastique et la sensibilité aux constituants de l’œuvre : Les élèves prennent la mesure de la
réalité concrète de leurs productions et des œuvres d’art. Ils mesurent les effets sensibles produits par la matérialité des
composants et comprennent qu’en art, un objet ou une image peuvent devenir le matériau d’une nouvelle réalisation. Le
travail fréquent de matériaux variés permet aux élèves d’identifier et de savoir nommer les notions relevant de leur qualité
physique, d’éprouver les effets du geste et de divers outils, de prendre plaisir au dialogue entre les instruments et la
matière. La notion même de matériau s’élargit ainsi que la palette de leurs usages. La perception de la relation entre
sensation colorée et qualités physiques de la matière colorée s’affine et profite de la découverte d’œuvres contemporaines
ou passées significatives des conceptions et des questions relatives à la matérialité et à la couleur.
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Entretien avec Daniel Abadie, dans le catalogue d’exposition réalisé sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de Paume /
RMN : 1994.
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Des creux et des bosses : l’éloge de la surface accidentée
Empâtements, couches de matières, tas de matière, explosions de matière, superpositions, juxtapositions,
creux et reliefs, réserves et plis, tensions, tas, accumulations de matière, couches fines ou épaisses : le
vocabulaire mis en place par Tàpies est riche et sans cesse renouvelé. Les œuvres de l’artiste délivrent au
spectateur le compte-rendu des expériences du peintre, à l’état brut, sans filtre. Les surfaces des tableaux
font état d’un événement, qui est passé. Nous percevons l’écho lointain des gestes de l’artiste.
Programmes d’Arts visuels / Cycle 2
Compétences travaillées : Expérimenter, produire, créer :
S'approprier par les sens les éléments du langage plastique : matière, support, couleur
Observer les effets produits par ses gestes, par les outils utilisés
Tirer parti de trouvailles fortuites, saisir les effets du hasard.
Représenter le monde environnant ou donner forme à son imaginaire en explorant la diversité des domaines (dessin,
collage, modelage, sculpture, photographie ...).
Antoni Tàpies : Relleu amb cordes, 1963
Technique mixte sur toile
148,5 x 114 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Au début des années 1950, l’italien Burri récupère de vieux sacs de toile ayant servi d’emballages, dont les
trous, marques, pièces, déchirures, taches, coutures et contours élimés, l’assemblage et la répartition sur
des fonds souvent noirs ou blancs provoquent des effets de matière que l’on retrouvera chez Tàpies44.
Dans cette œuvre, la référence à Burri est évidente : une planche de bois a été recouverte partiellement par
un morceau de toile. Le quart inférieur de la planche est empaqueté, emballé par cette toile qui semble sale,
usée, et grossière. Elle est recouverte de terre, et évoque un objet qui aurait été exhumé, et qui serait encore
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De Meredieu, Florence. Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne. Paris : Bordas, 2002, P. 182
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« dans son jus ». Cette toile semble très ancienne, et est exposée comme un morceau du passé, comme si
Tàpies était un archéologue qui nous révélait les richesses d’un monde souterrain, enfoui, caché.
Alberto Burri : Sacco IV, 1954
114 x 76 cm
Sacs d'emballage (toile de jute) cousus entre eux et rapiécés par endroit, bruts, peints et enduits de
résine, sur toile de coton peinte.
Les Abattoirs-FRAC Midi-Pyrénées
Une ficelle maintient la toile en place, la soudant au support. Les trois traits de la corde traversent l’espace de
l’œuvre dans toute sa verticalité, et lui confèrent un rythme : notre regard glisse le long de ces trois lignes
pour se laisser entrainer vers le bas de l’œuvre. Les cordes sont tendues, elles ressemblent à des cordages
de bateau.
La juxtaposition des différentes matières (bois lisse et sombre, corde tendue et nouée, toile sale, présentant
des reliefs) offre un jeu de contrastes et une richesse d’effets importants. Avec quelques matériaux pauvres,
issus de la vie quotidienne, l’artiste met en place un petit univers, dans lequel nous pouvons projeter des
images, et laisser libre cours à des évocations personnelles : sac de pommes de terre, cabas, voile de bateau
ou paysage... Les objets de rebut, ainsi recyclés par l’artiste, ouvrent la porte de notre imaginaire.
L’œuvre de Tàpies ne « dit » pas ; elle ne désigne point, tel un langage plus ou moins chiffré, quelque chose
d’extérieur à elle-même ; le propre de cette œuvre est justement de ne pas signifier, mais d’être45.
Programme d’enseignement / Cycle 2
Repérer des matières et des matériaux dans l'environnement quotidien, dans les productions de pairs, dans les
représentations d'œuvres rencontrées en classe.
Agir sur les formes (supports, matériaux, constituants...), sur les couleurs (mélanges, dégradés, contrastes...), sur les
matières et les objets : peindre avec des matières épaisses, fluides, sans dessin préalable ; coller, superposer des
papiers et des images ; modeler, creuser pour explorer le volume...
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Gimferrer, Pere, cité dans le catalogue d’exposition réalisé sous la direction de Laure Beaumont-Maillet et Georges Raillard. Tàpies ou
la poétique de la matière, Estampes et livres. Paris : Cercles d’art : 2001. P.89
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Antoni Tàpies : Verd-blau i palla,
1968,
Technique mixte sur bois,
89 x 116 cm
Fondation Antoni Tàpies, Barcelone
Un matériau naturel est présenté dans l’œuvre. Sur un fond préalablement peint en blanc, et présentant
quelques aspérités (des creux de forme rectangulaire sont clairement repérables dans les coins du tableau),
c’est de la paille que Tàpies a collée sur le support. La forme qu’il a créée ressemble à un nid. Celui-ci occupe
une bonne moitié de la surface de l’œuvre et en constitue le motif principal. Ce « nid » est surmonté de deux
petits nuages colorés, qui semblent flotter au-dessus de lui : l’un est bleu, l’autre vert. Ils sont de proportions
équivalentes, et relativement symétriques.
L’aspect transparent et délicat de ces deux petits taches de peinture offre un contraste saisissant avec la
texture de la paille : les petites touches de peinture translucide semblent fragiles et flottantes, la paille, quant
à elle, nous ramène à la terre. Tapies, dans ses écrit, aime à citer Héraclite : Ce qui est opposé est utile. Des
contraires naît la plus belle harmonie. Tout provient de la discorde. Le monde est à la fois multiple et un46.
La paille est un matériau particulier : naturel mais issu de l’agriculture. C’est le symbole de la richesse du
sol, de sa capacité à nous nourrir (la paille, c’est évidemment la tige sur laquelle pousse le blé). C’est
également, une fois la récolte passée, le rebut, ce qui reste. Et qui va servir à différentes choses : notamment
de litière pour les animaux. Dans son ouvrage intitulé « La pratique de l’art », Antoni Tàpies consacre un
passage important à la paille (P. 264 à 284, le texte est intitulé Rien n’est mesquin). Dans ce chapitre, il
répond aux spectateurs qui lui demandent régulièrement des explications à propos de ses œuvres. Pour
tenter d’expliciter son travail, Tàpies fournit dans un premier temps une comparaison, en évoquant la
musique de Beethoven. Puis il s’appuie sur les matériaux utilisés dans ses tableaux, et propose quelques clés
de lecture au spectateur. Il dit notamment : Réfléchir sur la paille ou sur le fumier est peut-être aujourd’hui
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46
Héraclite, cité par Tàpies, dans le catalogue d’exposition réalisé sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de Paume /
RMN : 1994.
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de quelque importance. C’est méditer sur les choses premières, sur l’essence de la nature, sur l’origine de la
force et de la vie47.
Antoni Tàpies : Terra sobre tela, 1970
Technique mixte sur toile
175 x 195 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Cette œuvre met en scène elle aussi un matériau naturel : un tas de terre. Il est dense, et présente un relief
accidenté : une portion de réalité s’est invitée dans le tableau ! Le tiers supérieur de la toile et libre : des traits
de crayon sont visibles. Ce sont des lignes droites, tracées à la règle. Leur organisation répond à des règles
strictes. Mais de quoi s’agit-il ? Motif représenté en perspective ? Dessin d’architecture ? Un point de fuite se
met en place dans la partie gauche du tableau.
Cette trame fixe, régulière, entre en contraste avec le tas de terre, qui semble avoir été jeté là, au hasard
d’une projection fortuite. Il ressemble à un sol, comme si l’artiste nous présentait un prélèvement brut. Où cet
échantillon de matière a-t-il été trouvé ? Cette terre, c’est certainement un morceau de la Catalogne natale de
Tàpies, qu’il a voulu présenter de la sorte, à l’état brut. Mais c’est aussi un symbole universel : la terre
nourricière, qui ne connait pas de frontière. Ce tas de terre est d’une extrême simplicité, mais contient une
émotion sourde : nous nous reconnaissons en elle.
A la suite de Mallarmé, nous pouvons le qualifier de calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
48
Cette explosion de terre évoque inévitablement les expériences réalisées par Jean Dubuffet à la fin des
années 1940 et dans les années 1950. L’enfouissement du support sous une couche épaisse de matière, la
disparition du motif, et l’aspect fortement « tactile » du tableau sont quelques uns des points communs des
expériences réalisées par Tàpies et Dubuffet.
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47
Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris, Gallimard : 1974. P. 276
48
Mallarmé, Stéphane. Vers extrait de la poésie : Le tombeau d’Edgar Poe, 1876.
"
49"
Jean Dubuffet : Le voyageur sans boussole, 8 juil. 1952
Peinture à l’huile sur isorel,
1,18 m x 1,55 m,
Centre Pompidou, Paris
Sans doute faut-il (...) insister sur la dimension d’archaïsme de la matière et le plaisir qu’il peut y avoir dans la
manipulation de matériaux bruts, pris sur le terrain, vivants et non dégagés de la gangue de primitivité qui les
enveloppe49.
Programmes d’enseignement / Cycle 1
Explorer la matière
Une première appréhension du concept de matière est favorisée par l'action directe sur les matériaux dès la petite
section. Les enfants s'exercent régulièrement à des actions variées (transvaser, malaxer, mélanger, transporter,
modeler, tailler, couper, morceler, assembler, transformer). Tout au long du cycle, ils découvrent les effets de leurs
actions et ils utilisent quelques matières ou matériaux naturels (l'eau, le bois, la terre, le sable, l'air...) ou fabriqués par
l'homme (le papier, le carton, la semoule, le tissu...). Les activités qui conduisent à des mélanges, des dissolutions, des
transformations mécaniques ou sous l'effet de la chaleur ou du froid permettent progressivement d'approcher quelques
propriétés de ces matières et matériaux, quelques aspects de leurs transformations possibles. Elles sont l'occasion de
discussions entre enfants et avec l'enseignant, et permettent de classer, désigner et définir leurs qualités en acquérant le
vocabulaire approprié.
Matière et gamme chromatique, le lien sacré
Bien que la relation entretenue par Tapies avec la couleur passe essentiellement par la qualité colorée des
matières qu’il utilise dans ses tableaux, c’est un peintre. Tàpies fabrique ses couleurs, il mélange ses
pigments ou sa peinture à des colles, des vernis, des liants de toute sorte. La poudre de marbre, le blanc
d’Espagne, le sable, la paille : Tàpies mélange ces matériaux à la peinture, et obtient de la sorte des pâtes
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De Meredieu, Florence. Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne. Paris : Bordas, 2002. P. 238
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colorées épaisses, lourdes. La couleur devient matière, et vice-versa. Tel un alchimiste, il expérimente les
matières colorées et leur interaction avec le support, il fait de multiples expériences avec la matière. Et
actualise une tradition ancestrale : celle de la fabrication des couleurs dans l’atelier. Avec l’apparition des
peintures industrielles au milieu du dix-neuvième siècle, les peintres ont délaissé les longues préparations au
profit de couleurs « toutes faites », dont les textures et les couleurs sont presque invariables.
Il n’y a pas de couleurs à proprement parler mais des matières colorées. La même poudre d’outremer
prendra une infinité d’aspects différents selon qu’elle sera mêlée d’huile, d’œuf, de lait ou de gomme. Et
qu’ensuite elle sera appliquée sur du plâtre, sur du bois, sur du carton ou sur une toile... La couleur-matière
est ainsi définie par Jean Dubuffet. L’artiste met en évidence à la fois la qualité du support et la préparation
effectuée par l’artiste.
Tàpies joue avec les textures, certes, mais il attache une importante toute particulière à l’organisation
chromatique de ses œuvres. De l'empâtement et des couleurs émergent, pour le spectateur, des motifs, des
personnages, des paysages. Les amas colorés fourmillent d’allusions, de suggestions, de pistes
interprétatives.
Antoni Tàpies : Zoom, 1946
Huile et blanc d'Espagne sur toile
65 x 54 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
La technique employée par Tàpies dans ce tableau est bien particulière : la peinture à l’huile et le blanc
d’Espagne (argile blanche) ont été mélangés pour former une pâte épaisse. Cette matière a été appliquée par
l’artiste en touches épaisses, donnant du relief à la représentation. Ces empâtements procurent à la peinture
un aspect rappelant la terre, ses fissures, ses aspérités. Les lignes émanant de la figure centrale du tableau
sont semblables à des sillons tracés dans la peinture fraîche. Ces traces mettent en évidence les gestes que
51"
"
l’artiste a effectués pour réaliser son tableau.
La pâte nous semble le schème du matérialisme vraiment intime où la forme est évincée, effacée, dissoute.
La pâte pose donc les problèmes du matérialisme sous des formes élémentaires puisqu’elle débarrasse notre
intuition du souci des formes. Le problème des formes se pose alors en deuxième instance. La pâte donne
une expérience première de la matière50.
D’autre part, nous découvrons une figuration surprenante. Autour d’un visage, représenté à l’envers, et
ressemblant à un masque, se déploie un double mouvement circulaire. Le visage est cerné par une auréole,
constituée de cercles concentriques de plusieurs couleurs. De plus, des rayons émanent de la tête, qui forme
une sorte de soleil, surplombant un paysage. Ce visage est accompagné par deux empreintes de mains,
placées de part et d’autre du tableau. Les deux paumes écartées, placées de la sorte, évoquent un geste
religieux. En examinant d’un peu plus près ces deux mains blanches, l’on remarque que ces empreintes n’en
sont pas (ou plus) : elles ont été reprises au pinceau par l’artiste. Un univers céleste, mystique, se met en
place. Et dans la partie inférieure de la toile, c’est la terre qui est représentée : elle est fertile, des pousses
vertes, irradiées par le soleil-visage semblent prometteuses !
Les interprétations que l’on pourrait échafauder à partir de cette œuvre sont nombreuses. Doit-on y voir un
autoportrait de l’artiste, qui, tel un Dieu, emplirait le monde de ses créations ?
Raphaël : Transfiguration, 1520 (détail)
Huile sur bois,
4 m x 2,80 m
Musée du Vatican
Programme d’Arts plastiques / Cycle 4
Investigation des relations entre quantité et qualité de la couleur (interactions entre format, surface, étendue,
environnement... et teinte, intensité, nuances, lumière... et les dimensions sensorielles de la couleur
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Bachelard, Gaston. L'Eau et les rêves. Paris : José Corti, 1942.
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Antoni Tàpies : Llit marró, 1960
Technique mixte sur toile montée sur toile
195 x 130 cm
Fondation Antoni Tàpies, Barcelone
Avec ce Llit marró (Lit marron), Tàpies nous plonge dans un univers particulier : un lit est représenté, dans
des tons très sombres. C’est une toile-mur : Tàpies utilise cette expression pour désigner ses œuvres de
grandes dimensions dont l’aspect évoque les murs de Barcelone (les graffitis, évidemment souvent politiques,
contestataires, à une époque à laquelle la liberté d’expression était inexistante en Espagne), mais également
en référence à l’archéologie, aux photographies de Brassaï et aux expériences radicales des artistes
51
Dadaïstes
au début du vingtième siècle.
Tàpies a utilisé un support en bois. Sur cette grande planche, une toile a été accrochée. L’artiste a joué avec le
tissu, il l’a organisé de façon à créer des reliefs et donner l’impression de l’empreinte d’un corps. Les draps
sont légèrement froissés, ils portent les traces d’un corps qui s’est allongé. L’on devine les creux laissés par
deux talons au pied du lit et celui d’une tête sur l’oreiller. La toile est monochrome, elle a été peinte grâce à
de la peinture projetée avec un aérographe.
L’œuvre est silencieuse et sombre, elle se dresse verticalement. Cette disposition coupe le lit de sa fonction
et nous offre un point de vue inhabituel. C’est un lit à dormir debout !
Tapies représente l’histoire des hommes dans ce qu’elle a de douloureux et d’imparfait. Ces traces de corps
sont des allusions indirectes à la mort, au vide laissé, elles sont le fantôme d’une présence qui a été, et qui
n’est plus. Tout comme l’empreinte de l’artiste résiste au temps qui passe, c’est bien de l’absence dont il est
question. La monochromie de l’œuvre renforce cette impression de néant, de vide. Le marron utilisé par
l’artiste est très mat, et sa couleur évoque celle de la terre.
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51
Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris, Gallimard : 1974. P. 208
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Antoni Tàpies : Blau emblemàtic, 1971
Technique mixte sur bois
162 x 130 cm
Fondation Tàpies, Barcelone
Dans cette œuvre, l’utilisation que fait Tàpies de la couleur est inhabituelle : c’est une peinture nébuleuse,
abstraite mais fortement évocatrice qui nous est montrée. Sur un fond bleu foncé, un nuage semble
représenté. L’artiste a frotté de la peinture blanche à l’aide d’un chiffon ou d’une brosse de façon à dessiner
cette forme. Le geste de l’artiste est révélé par les traces de peinture : il a procédé par gestes circulaires, vifs,
dynamiques, rapides. De petites taches jaunes apparaissent par endroits : une couche de peinture plus
ancienne se dévoile.
Le support en bois est accidenté : des traits et un arc de cercle ont été creusés, gravés dans le bois, il
apparaissent sous la peinture. Une forme émerge : celle d’une porte, qui serait inversée, présentée à l’envers.
A l’arc du bas répond le « nuage » représenté dans le tiers supérieur de l’œuvre. Ces deux formes entrent en
résonance l’une avec l’autre, elles se répondent : le nuage, vibrant encore du geste énergique de l’artiste,
flotte mais il est contenu dans la porte, il est léger mais prisonnier, aérien mais enfermé.
Des lettres ont été tracées par l’artiste dans le « nuage » : A=A= et B=B. Gravés dans la couche picturale, ces
signes délivrent des formules mathématiques évidentes. Cette simplicité du message fait écho à celle du
dépouillement de la représentation. Un nuage constitue le motif principal de l’œuvre. Une porte, un ciel : la
dimension mystique voire religieuse de l’œuvre semble, une fois encore, évidente.
Programmes d’arts plastiques / Cycle 4
La relation du corps à la production artistique : l’implication du corps de l’auteur ; les effets du geste et de l’instrument,
les qualités plastiques et les effets visuels obtenus ; la lisibilité du processus de production et de son déploiement dans le
temps et dans l’espace : traces, performance, théâtralisation, évènements, œuvres éphémères, captations…
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Pistes pédagogiques / 1er degré
Les conseillères pédagogiques départementales Haute-Garonne en arts visuels
vous suggèrent quelques pistes d’exploration, pour un travailler en classe
à partir de l’exposition Antoni Tàpies : Parla, parla
Les œuvres présentées dans l’exposition Parla, parla ouvrent sur divers questionnements
plastiques qui peuvent être abordés dans les différents niveaux de classe du cycle 1 au
cycle 4. Vous y trouverez matière à concrétiser les trois axes : rencontres, pratiques et
connaissances d’un parcours d’éducation artistique et cultuelle.
Si vous souhaitez profiter de cet évènement avec vos élèves, nous vous proposons, ci-après,
quelques pistes pédagogiques.
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Proposition pédagogique pour le cycle 1
« Des peintures-matière »
Programmes BO du 26 mars 2015
Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques
« Ils découvrent des matériaux qui suscitent l’exploration de nouveaux matériaux »
« Ces expériences s’accompagnent de l’acquisition d’un lexique approprié pour décrire les
actions (foncer, éclaircir, épaissir,…) ou les effets produits (épais, opaque, transparent…) »
« Une consigne présentée comme un problème à résoudre transforme la représentation
habituelle du matériau utilisé. »
Les attendus
Choisir différents outils, médiums, supports en fonction d’un projet ou d’une consigne et les
utiliser en adaptant son geste
Réaliser des compositions plastiques, seul ou en petits groupe, en choisissant et combinant
des matériaux, en réinvestissant des techniques et des procédés
Explorer le monde / explorer la matière
Une première appréhension du concept de matière est favorisée par l'action directe sur les
matériaux dès la petite section. Les enfants s'exercent régulièrement à des actions variées
(transvaser, malaxer, mélanger, transporter, modeler, tailler, couper, morceler, assembler,
transformer). Tout au long du cycle, ils découvrent les effets de leurs actions et ils utilisent
quelques matières ou matériaux naturels (l'eau, le bois, la terre, le sable, l'air...) ou fabriqués par
l'homme (le papier, le carton, la semoule, le tissu...).
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Phase d’exploration : A chaque peinture ses outils
L’enseignant souhaite que les enfants s’interrogent sur la matière, sur l’incidence de la matière
sur le choix des outils. Se sensibiliser à d’autres textures de peinture que celles
habituellement rencontrées.
Proposition : A chaque peinture ses outils !
Consigne : « Il y a deux pots avec de la peinture blanche, tu choisis les outils les plus adaptés
pour étaler la peinture sur le support. Tu changes de supports à chaque fois. »
Matériel :
! Deux pots avec de la peinture blanche pour un groupe d’enfants, un avec de la peinture
fortement diluée, très liquide et un pot avec une peinture très pâteuse
! Outils de différentes sortes : spatules, couteaux, fourchettes, pinceaux fins, pinceaux
brosse, pinceaux mousse souple
! Supports cartonnés brun (7x7 cm par exemple)
Dispositif : travail avec un petit groupe d’enfants avec l’enseignant
Pratique et questionnement : les enfants vont être amenés à essayer les différents outils pour
réussir à étaler la peinture choisie. Ils vont devoir se questionner sur l’outil le plus pratique
pour étaler chacune des matières. L’enseignant note l’outil et la peinture qui ont été utilisés sur
chaque support
Temps de regard, mise en commun (en grand groupe)
Verbalisation autour de la qualification des textures et du choix des outils, à partir d’une
sélection d’échantillons choisie par l’enseignant. Procéder à des classements des productions.
Avec quels outils a-t-on réussi à étaler chacune des peintures ? Pourquoi ? Avec quels outils il
était trop difficile d’étaler la peinture ? Comment sont les peintures ?
Au fur et à mesure de la verbalisation, commencer à organiser les échantillons et les classer
par matière/ outil pour commencer à construire collectivement une trace écrite de référence
par la suite.
Vocabulaire introduit
Pour qualifier la matière
Peinture épaisse, pâteuse (comme une pâte), qui ne coule pas, qu’on ne peut pas renverser
Peinture liquide, fluide, qui coule, que l’on peut renverser
Pour nommer les outils
Une fourchette, un couteau, une spatule, un pinceau mousse, un pinceau fin, un pinceau
brosse *
(*en gras le vocabulaire à travailler en production, à cibler selon le niveau de classe)
Trace écrite : se servir des échantillons sélectionnés durant la verbalisation et réaliser un
affichage lisible avec les échantillons partagés en deux colonnes (peinture fluide/peinture
épaisse), les photos des outils ou les vrais outils scotchés. En dictée à l’adulte, écrire les mots
qui qualifient la consistance, la texture de la peinture et les mots pour nommer les outils.
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Phase d’expérimentation : A chaque outil ses peintures
Temps 1 - L’enseignant souhaite que les enfants s’interrogent sur les possibilités de
transformation d’une matière (épaissir, fluidifier) par mélange, ajout de matériaux
Temps 2 – L’enseignant souhaite que les enfants s’interrogent sur les effets tactiles
et visuels produits par la matière pour créer un inventaire de textures
Proposition : A chaque outil ses peintures !
Consigne :
Temps 1 – Tu fabriques/inventes deux peintures épaisses et deux peintures liquides.
(Faire réfléchir les enfants en amont pour faire des propositions sur les matériaux
que l’on pourrait utiliser)
Temps 2 – Tu choisis l’outil que tu penses le plus adapté pour réaliser un
échantillon. Tu étales la peinture sur tout le support.
Matériel :
! Beaucoup de petits pots avec un peu de peinture gouache blanche au fond que
les enfants utilisent habituellement
! Matériaux suggérés par les enfants à compléter par l’enseignant en fonction
des propositions. Par exemple : farine, blanc d’Espagne, colle liquide, vernis
colle, colle à tapisserie épaisse, sciure, couscous, gouache en poudre, sable,
etc.
! Supports cartonnés brun du même type que la phase précédente
! Outils qui ont été les mieux repérés lors de la séance précédente : pinceau
brosse / spatule par exemple
Questionnement : Les enfants vont être amenés à transformer la matière en tenant
compte des contraintes de consistance et à s’interroger sur les effets tactiles et
visuels produits.
Temps de regard, mise en commun (en grand groupe)
Verbalisation à partir d’échantillons disposés au sol (sélection par l’enseignant
d’échantillons représentant la diversité des productions pour éviter qu’il y en ait trop)
Reconnaît-on les peintures pâteuses ? Les peintures fluides ? (Procéder à des
classements, des regroupements)
Est-ce qu’il y a des peintures, des effets sur les échantillons qui se ressemblent ?
Qui ne sont pas pareils ? C’est comment ? Et si l’on touche les échantillons, que
ressent-on ?
Est-ce qu’il y a des échantillons où l’on voit la couleur du carton en-dessous ? Y a-t-il
des échantillons où la matière recouvre le carton (procéder à des classements, des
regroupements)
Vocabulaire introduit
Les effets rendus
Des coulures / des paquets
Transparent, (on voit encore la couleur du carton en-dessous) / opaque (on ne voit
plus la couleur du carton en-dessous)
Lisse / rugueux, bosselé, accidenté, pâteux, avec du relief, craquelé (qui fait des
fentes, comme si c’était cassé)
Trace écrite : réaliser un carnet d’échantillons de matières en choisissant, parmi les
productions, tous les effets différents. Ecrire en dictée à l’adulte, les mots qui ont été
ciblés en production sur les échantillons.
Références artistiques : Les œuvres de Tapiés à découvrir dans le cadre de
l’exposition des Abattoirs FRAC Midi-Pyrénées, « Parla, parla »
Rechercher les effets de matières sur certaines œuvres de Tapiès, comparer avec
son carnet d’échantillons.
De retour en classe, comparer, décrire, classer les effets de matières en prenant
appui sur des reprographies. Ce qui pareil, ce qui est différent.
Visionner une vidéo de Tapiés dans son atelier (étaler de la matière qu’il fait couler
avec un balai, au sol, etc.)
Phase d’exploitation (en fonction de qui a été vécu, ressenti et dit durant la visite de
l’exposition) :
Réaliser une composition sur laquelle on retrouve une variété de matières.
Des variations peuvent être introduites pour poursuivre le questionnement :
! Faire varier la taille des supports en proposant des supports plus grands
(voire plus grand que soi), s’interroger sur les gestes, les outils (sont-ils
toujours adaptés ?)
! Faire varier l’orientation du support, vertical, au sol
! Faire varier les qualités des supports : toile, carton ondulé, carton déchiré,
bois, papier imprimé, papier journal, etc.
v.simoulin
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
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Proposition pédagogique pour le cycle 2
En cycle 2, cet enseignement consolide la sensibilisation artistique engagée en maternelle et apporte aux élèves des
connaissances et des moyens qui leur permettront, dès le cycle 3, d'explorer une expression personnelle, de reconnaitre la
singularité d'autrui et d'accéder à une culture artistique partagée. Les élèves passent ainsi progressivement d'une posture
encore souvent autocentrée à une pratique tournée vers autrui et établissent des liens entre leur univers et une première
culture artistique commune.
Arts plastiques et visuels
La pratique est au cœur des apprentissages.
Sous la conduite du professeur, les élèves sollicitent des langages, des gestes
plastiques familiers ou spontanés, en explorent de nouveaux et s’en saisissent de manière inventive.
En ce qui concerne nos propositions, et afin de concrétiser les trois axes : rencontres, pratiques et
connaissances des enseignements artistiques, nous vous proposons des étapes de cette démarche :
!
L’incitation, le déclencheur, la mise en projet
Chronologiquement, ces propositions feront l’objet d’un choix pédagogique : la découverte de
l’affiche, la visite de l’exposition, , un temps de parole autour du mot « écriture», une collection de
matériaux naturels ou de déchets puis un échange d’ idées qui mènera à une réflexion sur ces
matériaux en termes visuels ou symboliques (description, souvenir),
Une incitation « brouillons »…Qu’est-ce qu’un brouillon et que peut-on accepter comme traces
des modifications apportées ?...Débat et prise de notes.
La Pratique
-Etape 1
Une phrase énigmatique est donnée:« …et permettait de tracer des griffures sur la surface
comme autant de symboles graphiques secrets. ».
Cette phrase est un ensemble de mots qui ne délivre pas de sens, à peine peut-on repérer :
« griffures » « surface », « secrets ».
Ces mots deviennent des matériaux que l’on peut recopier, détourer, découper, coller, agrandir…
C’est la phase d’appropriation des « mots » comme matériaux.
Un temps de verbalisation, est nécessaire, à cette étape, pour observer les questions de
différences et de ressemblances : les noter.
S'exprimer, analyser sa pratique, celle de ses pairs
-Etape 2
Cette phrase est mystérieuse, nous allons chercher comment la rendre encore plus mystérieuse,
secrète…
En la rendant presqu‘illisible.
On peut proposer un temps de recherche, sur un texte imprimé (article de journal), autour des
différentes manières de « barrer », « raturer » les mots pour composer un répertoire graphique.
Recherche sur les matériaux « support, les outils, les actions : raturer, estomper, griffer,
gribouiller, changer d’échelle… »
Un nouveau temps de verbalisation doit permettre d’observer et de noter comment les codes de
l’écriture deviennent graphiques.
S'exprimer, analyser sa pratique, celle de ses pairs
Repérer les éléments du langage plastique dans une production : couleurs, formes, matières, support...
L'enjeu est de l'amener à expérimenter les effets des matériaux, des supports, des outils
Il ne s'agit pas de reproduire mais d'observer pour nourrir l'exploration des outils, des gestes, des matériaux,
développer ainsi l'invention et un regard curieux.
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
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-Etape 3
Faire un choix entre une présentation individuelle ou collective des productions.
La présenter aux autres classes.
Consigner les différentes étapes en utilisant des photographies dans un cahier mémoire de la
classe.
Le temps de la visite
C’est ce moment particulier, préparé qui va permettre aux élèves de découvrir l’œuvre de
l’artiste et de faire des ponts avec leurs moments de recherche, d’expérimentation.
Etablir une relation avec celle des artistes, s'ouvrir à l'altérité
Exprimer ses émotions lors de la rencontre avec des œuvres d'art, manifester son intérêt pour la rencontre directe avec
des œuvres
L'enjeu est de l'amener à expérimenter les effets des couleurs, des matériaux, des supports.
Les élèves sont peu à peu rendus tolérants et curieux de la diversité des fonctions de l'art, qui peuvent être liés aux usages
symboliques, à l'expression des émotions individuelles ou collectives, ou encore à l'affirmation de soi (altérité, singularité).
Croisements entre enseignements
Les arts plastiques en cycle 2 s'articulent aisément avec d'autres enseignements pour consolider les
compétences et transférer les acquis dans le cadre d'une pédagogie de projet interdisciplinaire.
L'enseignement des arts plastiques est particulièrement convoqué pour développer l'expérimentation, la
mise en œuvre de projets, l'ouverture à l'altérité et la sensibilité aux questions de l'art.
.
Comme dans le travail d'écriture, la production en cours est constamment perfectible par modification, ajout
ou retrait ; elle laisse des traces dans un temps plus ou moins long, contrairement au langage oral ou à la
musique. Dans les deux cas, il s'agit de rendre possible l'expression individuelle de l'élève au sein d'un
groupe classe, de créer les conditions permettant aux pairs d'accueillir l'altérité, notamment lors de débats
autour de productions d'élèves ou d'œuvres d'art, de poèmes, de textes littéraires. En arts plastiques comme
en écriture, la production gagne à être présentée et valorisée pour permettre aux élèves de prendre
conscience de l'importance du récepteur, lecteur ou spectateur.
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
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Proposition pédagogique pour le cycle 3
PRATIQUES ARTISTIQUES ET HISTOIRE DES ARTS
Rappel des textes hors-série n° 3 du 19 juin 2008
Pratiques artistiques
La sensibilité artistique et les capacités d’expression des élèves sont développées par les pratiques artistiques,
mais également par la rencontre et l’étude d’œuvres diversifiées relevant des différentes composantes
esthétiques, temporelles et géographiques de l’histoire des arts.
1 - Arts visuels
Conjuguant pratiques diversifiées et fréquentation d’œuvres de plus en plus complexes et variées,
l’enseignement des arts visuels (arts plastiques, cinéma, photographie, design, arts numériques) approfondit le
programme commencé en cycle 2. Cet enseignement favorise l’expression et la création. Il conduit à l’acquisition
de savoirs et de techniques spécifiques et amène progressivement l’enfant à cerner la notion d’œuvre d’art et à
distinguer la valeur d’usage de la valeur esthétique des objets étudiés. Pratiques régulières et diversifiées et
références aux œuvres contribuent ainsi à l’enseignement de l’histoire des arts.
Textes en vigueur à la rentrée 2016
Le cycle 3, cycle de consolidation, unit le cours moyen 1ère année, le cours moyen 2e année et la classe de 6e. Il
trouve naturellement sa place dans les échanges organisés dans le cadre du conseil école-collège entré en
vigueur depuis la rentrée de septembre 2014.
CM1 CM2 et 6
ème
Les pratiques artistiques individuelles ou collectives développent le sens esthétique. Elles favorisent
l'expression, la création réfléchie, la maîtrise du geste et l'acquisition de méthodes de travail et de techniques.
Dans le cadre de l'histoire des arts, elles sont éclairées par une rencontre sensible et raisonnée avec des
œuvres considérées dans un cadre chronologique.
Enseignements artistiques
La sensibilité et l'expression artistiques sont les moyens et les finalités des enseignements artistiques. Moyens,
car elles motivent en permanence la pratique plastique comme le travail vocal, l'écoute de la musique et le
regard sur les œuvres et les images. Finalités, car l'ensemble des activités nourrit la sensibilité et les capacités
expressives de chacun. Les enseignements artistiques prennent en compte le son et les images qui font partie de
l'environnement quotidien des élèves. Ils développent une écoute, un regard curieux et informé sur l'art, dans sa
diversité. Ils contribuent ainsi à la construction de la personnalité et à la formation du citoyen, développant
l'intelligence sensible et procurant des repères culturels, nécessaires pour participer à la vie sociale.
Poursuivant le travail entrepris en cycle 2, les élèves sont engagés, chaque fois que possible, à explorer les lieux de
présentation ou d'œuvres, dans des lieux adaptés, pour saisir l'importance des conditions de présentation dans la réception des
œuvres.
Le professeur favorise une rencontre régulière, directe ou médiatisée, avec des œuvres d'art de référence, contemporaines et
passées, occidentales et extra occidentales, pour nourrir la sensibilité et l'imaginaire des élèves, enrichir leurs capacités
d'expression et construire leur jugement. Il veille à aborder la diversité des pratiques, des époques et des lieux de création
dans les références culturelles exploitées.
Proposition des étapes de démarche :
!
L’incitation, le déclencheur, la mise en projet
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
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Chronologiquement, ces propositions feront l’objet d’un choix pédagogique : la découverte de
l’affiche, la visite de l’exposition, la lecture du texte « Le jeu de savoir regarder » écrit pour une
revue pour enfants en1962, un temps de parole autour du mot « peinture », une collection de
matériaux naturels ou de déchets puis un échange d’ idées qui mènera à une réflexion sur ces
matériaux en termes visuels ou symboliques (description, souvenir)
une recherche sur la manière de les combiner avec de la peinture ?
La pratique bidimensionnelle faisant appel à des techniques mixtes et les fabrications en trois dimensions sont essentielles
dans ce cycle. Elles développent chez les élèves l'attention aux choix, aux relations formelles et aux effets plastiques. Les
changements multiples de statut imposés aux matériaux et aux objets permettent la compréhension des dimensions
artistiques, symboliques ou utilitaires qui leurs sont attachées. La pratique du modelage, de l'assemblage, de la construction et
l'approche de l'installation favorisent la sensibilisation à la présence physique de l'œuvre dans l'espace et aux interactions
entre celle-ci et le spectateur.
Une recherche photographique guidée par cette incitation : « le murmure des murs » par exemple.
: Ce que les murs montrent, racontent.
: « Les murs de mon quartier »
: « Les murmures de mon mur » Ce que mon mur pourrait montrer, raconter
Comme au cycle 2, l'enseignement des arts plastiques s'appuie sur des situations ouvertes favorisant l'initiative, l'autonomie et
le recul critique. La pratique plastique exploratoire et réflexive, toujours centrale dans les apprentissages, est privilégiée :
action, invention et réflexion sont travaillées dans un même mouvement pour permettre l'appropriation des références
artistiques qui constituent une culture commune enrichie par la culture des élèves.
!
Les mots clés
Les choix d’entrée que vous aurez faits doivent être ponctués de temps de verbalisation allant de
l’expression des impressions, des sensations à des remarques plus descriptives concernant les
formes, les traits, les couleurs, les matières, les supports …
Le professeur est attentif à l'acquisition d'un vocabulaire spécifique, à partir du travail sur les entrées du programme :
diversité, richesse et justesse du lexique portant sur les sensations, les perceptions, les gestes, les opérations
plastiques, les notions...
Ce lexique permet d'aller progressivement au-delà de la description vers la caractérisation, l'analyse, l'interprétation.
Ces mots vont vous permettre de construire des ateliers de recherche, de pratique pour tester les
outils, les matériaux…
Tout au long du cycle 3, les élèves sont conduits à interroger l'efficacité des outils, des matériaux, des formats et des
gestes au regard d'une intention, d'un projet. Ils comprennent que des usages conventionnels peuvent s'enrichir
d'utilisations renouvelées, voire détournées. Ils sont incités à tirer parti de leurs expériences, à identifier, nommer et
choisir les moyens qu'ils s'inventent ou qu'ils maitrisent.
Les mots-clés liés à l’exposition « Parla, Parla » :
•
•
•
Abstraction
Antoni Tàpies
Art informel « sans forme »
L'Art Informel (ou « art sans forme ») a été une approche de l'abstraction qui est apparue dans l'après-guerre pour rompre
définitivement avec la tradition artistique à partir de méthodes informelles, improvisées et gestuelles. Ce courant a aussi été
baptisé Tachisme, du mot tache. Dans les années qui ont suivi la guerre, ce mouvement s'est répandu en Europe et a même
atteint le Japon. Il se caractérise essentiellement par un style pictural gestuel et par l'utilisation sur la toile de matériaux peu
traditionnels. Antoni Tàpies (1923-) a souvent été considéré tachiste car ses accumulations de couleurs semblent aléatoires,
comme des taches.
La pratique bidimensionnelle faisant appel à des techniques mixtes et les fabrications en trois dimensions sont
essentielles dans ce cycle. Elles développent chez les élèves l'attention aux choix, aux relations formelles et aux
effets plastiques. Les changements multiples de statut imposés aux matériaux et aux objets permettent la
compréhension des dimensions artistiques, symboliques ou utilitaires qui leurs sont attachées. La pratique du
modelage, de l'assemblage, de la construction et l'approche de l'installation favorisent la sensibilisation à la
présence physique de l'œuvre dans l'espace et aux interactions entre celle-ci et le spectateur.
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
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Croisements entre enseignements
En lien : l’Écriture sans forme
Au cours de cette activité, les élèves analyseront les bases de l'Art Informel à travers l'écriture. Demandez-leur comment ils
pourraient « écrire sans forme ». Demandez-leur de nommer les éléments formels de l'écriture, par exemple, le paragraphe,
la phrase et la structure du texte ; la grammaire et l'orthographe ; la logique et, en poésie, la rime. Comme ce serait, écrire
sans respecter ces règles ?
Montrez-leur l'œuvre de quelques poètes qui ont rompu avec la tradition, comme Guillaume Apollinaire, qui, dans sa poésie
concrète, s'est plus intéressé à la disposition des mots qu'à leur sens ou à leur qualité poétique. En effet, dans ce type de
poèmes, les mots s'organisent pour former une image.
Il leur faudra ensuite composer deux textes : un en suivant les modèles traditionnels et un autre non conforme aux formes
traditionnelles, autrement dit « sans forme », comme une poésie concrète.
Comparez les compositions. Qu'est-ce qui leur plaît et leur déplaît de chaque méthode ? Quels sont ses avantages et ses
inconvénients ?
•
•
•
•
Craquelure
Incision
Matière matériaux modestes et peu conventionnels, comme du sable, de la ficelle, du bois ou
de la paille, suggérant ainsi que la beauté peut se trouver dans ce qui est petit, inattendu et
quotidien. la craie moulue, le marbre concassé, des fragments de journaux et des tissus
Matiérisme
•
Dessins
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
64
•
Grands murs
•
Assemblages
Tapiès
Ces procédés plastiques pourront aussi être explorés afin d’augmenter les expérimentations
personnelles des élèves en lien avec la découverte des œuvres d’Antoni Tapies.
Les élèves prennent la mesure de la réalité concrète de leurs productions et des œuvres d'art. Ils mesurent les effets sensibles
produits par la matérialité des composants et comprennent qu'en art, un objet ou une image peut devenir le matériau d'une
nouvelle réalisation. Le travail fréquent de matériaux variés permet aux élèves d'identifier et de savoir nommer les notions
relevant de leur qualité physique, d'éprouver les effets du geste et de divers outils, de prendre plaisir au dialogue entre les
instruments et la matière. La notion même de matériau s'élargit ainsi que la palette de leurs usages. La perception de la
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées
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relation entre sensation colorée et qualités physiques de la matière colorée s'affine et profite de la découverte d'œuvres
contemporaines ou passées significatives des conceptions et des questions relatives à la matérialité et à la couleur.
Les sept espaces ou « chapitres » de l’exposition pour une suite de discours sur
le quotidien, la mémoire, la nature, l’illusion
Les "thèmes" : histoire naturelle -salle RC SO2/Complémentaire-RC
SO3/Combinaison-RC SO4-Dépose/RC SO5-envers-/RC SO6-Au quotidienRC SO7/terre d'illusion-RC SO8
• Les dates des œuvres : de 1944 à 2009
• Les techniques
Peinture sur bronze ; Huile et blanc d'Espagne sur toile, Encre de Chine sur papier
Technique mixte sur toile montée sur bois Technique mixte sur toile marouflée,
Vernis sur toile, Procédé mixte sur bois
Technique mixte sur bois, peinture et collage sur bois
Llapis i collage sobre assemblatge de fustes , Procediment mixt sobre fusta , Objetassemblage, Assemblage et crayon sur toile
Technique mixte sur toile, Peinture et assemblage sur plaque, Procédé mixte et
collage sur bois Peinture et collage sur toile
Assemblatge sobre pintura romanicà antiga, Peinture et collage sur toile
Technique mixte sur envers de la toile, Technique mixte sur toile
Peinture et assemblage sur bois, Peinture et assemblage sur le dos de la toile
Procédé mixte sur bois
Encre sur papier, Crayon sur papier, Crayon Conté sur papier
Technique mixte sur papier, Collage et aquarelle sur papier
Encre sur papier journal, Crayon, encre et collage sur papier, Peinture, crayon et
vernis sur papier journal, Peinture sur papier journal
Peinture, llapis???, collage sur papier
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Tàpies de l’objet à la sculpture
Antoni, Tàpies, «Pila de diaris (Tas de journaux)»,
1970, objet-assemblage, 29 x 45 x 43 cm (Collection de Michael Straus
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
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Questionner les hypothèses pour cette œuvre, le rapport entre les journaux et la
cuvette… Repérer le geste graphique de l’artiste sur la première page du journal de
la pile ..
La pratique
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Matériel : toutes sortes de ficelle, de la toile de sac, de la colle vinylique
et des pinceaux à colle, un pistolet à colle, des cartons, du blanc
d’Espagne, du papier journal, du scotch, de la peinture, du sable, des
copeaux, de la sciure pour épaissir, des poscas rouge, noir et blanc,
treillis métallique, plâtre ou bandes plâtrées, des tamis
Appareils photographiques
Explorer la composition d’un carton
Chercher
les différents possibles pour l’utiliser comme support (tel quel, enduit de
plâtre, recouvert d’une matière, découpé, déchiré, petit ou grand format…
en alternant carton ondulé et carton lisse…
Revenir à la proposition initiale en regardant à nouveau les photographies
des murs lézardés, tachés, tagués, abimés, recouverts d’affiches…
Observer les matériaux et explorer leurs qualités pour faire émerger les
actions possibles : trier, tamiser, répandre, étaler, saupoudrer, coller,
superposer, répéter jusqu’à obtenir l’épaisseur souhaitée…
Décrire ou dessiner son projet avant de composer matériellement.
La composition selon les matériaux employée peut être reprise en
grattant, griffant…
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
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En ajoutant des signes graphiques inventés ou des éléments d’une
signature.
A chaque étape, les élèves sont invités à expliquer leurs découvertes.
Enfin, ils choisiront comment présenter leurs productions dans un espace
repéré et préparé. ...).
mfarchen
Expérimentations sur la matière ou inclusion dans le tableau de l’écriture et de la vie quotidienne, le travail de
Tàpies accompagne les grands mouvements artistiques de ces cinquante dernières années.
Une attention particulière est portée à l'observation des effets produits par les diverses modalités de présentation des
productions plastiques, pour engager une première approche de la compréhension de la relation de l'œuvre à un dispositif de
présentation (cadre, socle, cimaise...), au lieu (mur, sol, espace fermé ou ouvert, in situ...) et au spectateur (frontalité,
englobement, parcours
Croisements entre enseignements
Les enjeux liés à l'entrée intitulée « la représentation plastique et les dispositifs de présentation » se relient naturellement à ce
qui concerne l'enseignement du français, de l'histoire et de la géographie, des sciences et de l'éducation physique et sportive,
par exemple dans des situations qui mêleront relation d'une expérience vécue, découverte d'un lieu complexe ou récit d'une
aventure à la taille des élèves concernés.
L'importance accordée en arts plastiques au champ de l'expérimentation, au gout pour la recherche, croise celui des sciences
et de la technologie comme celui des arts appliqués ou du design. La modélisation d'expériences scientifiques et de leur
résultats, le travail sur les musées autour d'espèces imaginaires ou d'animaux méconnus, comme l'invention de traces
archéologiques fictives, y compris à partir d‘éléments scientifiquement validés, relèvent de ces possibles croisements. Par
ailleurs, la pratique plastique nécessite le recours à des compétences et des notions (espace, perspective, proportion,
mesure...) qui peuvent être reliées à celles développées en mathématiques.
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
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Le jeu du savoir regarder, par Antoni Tàpies
Ce texte fut écrit à la demande de Cavall Fort, revue pour enfants, publiée à Barcelone en catalan. Il a
paru dans le numéro 82 de la revue, en janvier 1967 :
A mes jeunes amis de Cavall Fort.
Comment faire pour bien regarder, sans vouloir trouver dans les choses ce qu’on nous dit qu’il doit y
avoir, mais simplement ce qu’il y a ?
Voilà un jeu innocent auquel je vous propose de jouer.
Quand nous regardons, nous ne voyons d’habitude que ce qui se trouve autour de nous : trois ou
quatre choses, souvent sans grand intérêt, à peine aperçues au milieu de l’infini.
Regardez l’objet le plus simple, regardez par exemple une vieille chaise. Elle ne parait pas être grand
chose. Mais pensez à tout l’univers qu’il y a en elle : les mains et la sueur de celui qui a taillé ce bois
qui un jour fut un arbre robuste, plein d’énergie, au milieu d’une forêt touffue dans de hautes
montagnes, le travail amoureux de celui qui l’a construite, le plaisir de celui qui l’a achetée, les
fatigues qu’elle a soulagées, les douleurs et les joies qu’elle a sans doute supportées, dans un grand
salon, ou peut-être dans une pauvre salle à manger de banlieue... Tout, absolument tout, représente
la vie et a son importance. Même la plus vieille chaise porte en elle la force initiale de la sève qui, làbas, dans la forêt, montait de la terre, et qui servira encore à donner de la chaleur, le jour où, devenue
petit bois, elle brûlera dans une cheminée.
Regardez, regardez à fond. Et laissez-vous porter par tout ce que fait résonner en vous ce qui s’offre à
votre regard ; soyez comme celui qui va à un concert, avec un costume neuf et le cœur ouvert, se
promettant la joie d’écouter, d’entendre simplement, avec toute sa pureté, sans vouloir à toute force
que les sons produits par le piano ou par l’orchestre représentent nécessairement un certain
paysage, le portrait d’un général, ou une scène de l’histoire. Souvent, on voudrait que la peinture ne
soit que cette représentation.
Apprenons à regarder comme écoute celui qui va à un concert. La musique est une composition de
formes sonores, dans le temps. La peinture est une composition de formes visuelles, dans l’espace.
C’est un jeu. Mais jouer ne veut pas dire faire les choses « comme ça », pour rien. Et les artistes, pas
plus que les enfants dans leurs jeux, ne font les choses « comme ça ». En jouant... en jouant, quand
nous sommes petits, nous apprenons à devenir grands. En jouant... en jouant, nous disons des choses
et nous en écoutons d’autres, nous réveillons celui qui s’est endormi, nous aidons à voir celui qui ne
sait pas voir, ou à qui on a bandé les yeux.
Lorsque vous regardez, ne pensez jamais à ce que la peinture (ou n’importe quoi de ce monde) « doit
être », ou à ce que beaucoup de gens voudraient qu’elle soit seulement. La peinture peut tout être.
Elle peut être un éclair de soleil en pleine bourrasque. Elle peut être un nuage d’orage. Elle peut être
le pas de l’homme sur le chemin de la vie, ou, pourquoi pas ? un pied qui frappe le sol pour dire
« assez ». Elle peut être l’air doux et rempli d’espérance du petit matin, ou l’aigre relent qui sort
d’une prison. Les taches de sang d’une blessure, ou le chant de tout un peuple dans le ciel bleu ou
jaune. Elle peut être ce que nous sommes, ce qui est aujourd’hui, maintenant, ce qui sera toujours.
Je vous invite à jouer, à regarder attentivement... je vous invite à penser.
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
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Modalités d'accueil des groupes scolaires
La visite : Trois formules
- La visite en autonomie : L'enseignant prend en charge lui-même la visite avec son groupe.
TARIF : 1 euro par personne (gratuit pour les accompagnateurs).
- La visite-atelier (sur réservation, et à destination des élèves du Premier Degré).
L'enseignant s'appuie sur les médiatrices, qui prennent en charge la visite de l'exposition et
un atelier.
Voir le détail des ateliers proposés : http://www.lesabattoirs.org/node/40
TARIF : 2 euros par personne (gratuit pour les accompagnateurs).
- La visite découverte ou la visite commentée (réservées aux collégiens et aux lycéens) :
TARIF : 2 euro par personne (gratuit pour les accompagnateurs).
Attention :
Quelle que soit la formule choisie, réservation obligatoire des créneaux de visite auprès de
Yolande Lajugie, au 05 62 48 58 07 ou [email protected]
Horaires d’ouverture du musée :
Pour les scolaires, ouverture du musée du mercredi au vendredi, 12h-18h.
Quelques exceptions peuvent être faites : possibilité de venir le matin pour certains groupes.
Il semble essentiel de rappeler aux professeurs désirant effectuer une visite ou participer à une
animation avec leurs élèves qu'une approche personnelle préalable est fortement recommandée.
Sur place, les élèves peuvent prendre des notes ou dessiner avec un crayon à papier et des crayons de
couleur. Les sacs et cartables doivent être laissés dans le bus ou déposés au vestiaire au sous-sol.
L'usage de l'appareil photo sans flash est autorisé.
!
Dans le musée, les élèves ne doivent jamais être laissé sans surveillance : aucun « quartier
libre » n’est autorisé.!
!
Gratuité de l'accès pour les enseignants qui en font la demande, dans le cadre de la préparation d'une
visite avec leurs élèves. Réserver au préalable auprès de Yolande Lajugie au 05 62 48 58 07 ou
[email protected], afin que l'accueil du musée soit prévenu.
Enseignants et éducateurs : Les 3èmes mercredis du mois, visites guidées gratuites et sans
réservation, 16h-18h.
Hélène Carbonell – Professeure chargée de mission – Février 2016
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Bibliographie
Bachelard, Gaston. L'Eau et les rêves. Paris : José Corti, 1942.
Barbe-Gall, Françoise. Comment parler d’art aux enfants. Paris : Adam Biro, 2002.
De Meredieu, Florence. Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne. Paris : Bordas, 2002.
Dupin, Jacques. Matière d’infini (Antoni Tàpies). Paris : Farrago, 2005.
Ishaghpour, Youssef, Tàpies, Antoni. Antoni Tàpies : œuvres, écrits, entretiens. Paris : Hazan, 2006.
Michaud, Yves. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2002.
Scheps, Marc. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2006.
Souriau, Etienne. Vocabulaire d’esthétique. Paris : PUF, 1990.
Tàpies, Antoni. La pratique de l’art. Paris, Gallimard : 1974
Catalogues d’expositions
Antoni Tàpies : 1923-2012. New York : Pace Gallery, 2015.
Peynot, Jean-Philippe. Tàpies 1, 2,3 Bang ! .Paris : bookstorming, 2006.
Sous la direction de Laure Beaumont-Maillet et Georges Raillard. Tàpies ou la poétique de la matière,
Estampes et livres. Paris : Cercles d’art : 2001.
Sous la direction de Daniel Abadie. Tàpies. Paris : Jeu de Paume / RMN : 1994.
Schefer, Jean Louis. Tàpies. Paris : Galerie Lelong, 2000.
Tàpies, Antoni. La valeur de l'art. Marseille : André Dimanche Editeur, 2001.
Tàpies : dessins, de profil et de face. Aix-en-Provence : Galerie d'art du Conseil général des Bouchesdu-Rhône, 1996.
Tàpies in perspective : Barcelona : MACBA, 2004.
Tàpies, La peinture au corps à corps. Paris : Réunion des musées nationaux, 2002.
Revue
Beaux-Arts Magazine N°29, Novembre 1985
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Vidéos
En français :
http://www.ina.fr/video/CAB94095365
http://www.ina.fr/video/PA00001281084
http://www.ina.fr/video/CPF09000984
https://www.ina.fr/video/CAC88013761
Pour les arts plastiques :
https://www.youtube.com/watch?v=PeNPxlGvdQQ
https://www.youtube.com/watch?v=RFlntOZgmy0
https://www.youtube.com/watch?v=iw2dhHrRBNg
https://www.youtube.com/watch?v=OhCMpN6K5EY
Pour les langues vivantes :
En castillan :
https://www.youtube.com/watch?v=394JTnmHC84
https://www.youtube.com/watch?v=plirhuiQmho expo Tapies à Bilbao au musée Guggenheim
https://www.youtube.com/watch?v=K3pbV4GmDLA entretien avec Tapies
en catalan :
Sous-titré en anglais :
https://www.youtube.com/watch?v=nVC4PVoqrDI
Sous-titré en castillan :
https://www.youtube.com/watch?v=aXyskOKIxpU
Doublé en allemand :
https://www.youtube.com/watch?v=Gu4obOtNn34
https://www.youtube.com/watch?v=9zvnXaeM1l0
Voir également une sélection d’œuvres de l’exposition, commentées par Eric Vidal, guideconférencier, sur le site des Abattoirs-Frac Midi-Pyrénées :
http://www.lesabattoirs.org/ressources/audio
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