ARCHITECTURE, SCIENCES ET TECHNIQUES (Article paru dans l

ARCHITECTURE, SCIENCES ET TECHNIQUES (Article paru dans l

ARCHITECTURE, SCIENCES ET TECHNIQUES
(Article paru dans l'Encyclopdia Universalis, Corpus, janvier 1993, t. 2, pp. 843-851)
Comme production matrielle, mais aussi comme art investi d'une finalit expressive, l'architecture entretient de
nombreux rapports avec les sciences et les techniques. De tels rapports peuvent tre rangs sous deux rubriques.
L'architecture fait tout d'abord appel des savoirs et des procds scientifiques et techniques qui interviennent
directement dans la conception et la ralisation des difices: rsistance des matriaux, procds de fabrication et
d'assemblage des lments constructifs, par exemple. Ce premier ensemble de savoirs et de procds est communment
dsign par le terme de construction. La construction fait partie intgrante de l'architecture ainsi que l'ont rappel d'ge en
ge de nombreux thoriciens et praticiens. Pour autant, les relations entre la discipline architecturale et le contexte
scientifique et technique ne s'arrtent pas l. Car l'architecture est solidaire de la culture au sens large du terme ; la
vision du monde dont sont porteuses les sciences et les techniques, les interrogations qu'elles suscitent participent
de la culture. L'architecture s'en inspire frquemment, selon des modalits extrmement variables, il est vrai. La rfrence
peut tre sans dtour, comme dans ces difices baroques qui jouent avec la lumire comme pouvaient le faire les savants
des XVIIe et XVIIIe sicles, en composant ou en dcomposant les rayons du soleil, en les concentrant ou en les
diffusant, dans le dessein d'en percer le secret. Maints projets contemporains entretiennent en revanche des rapports
de nature plus symbolique avec l'univers de signaux et de flux, d'ondes et de particules dans lequel nous nous
mouvons aujourd'hui.
Mme si les liens entre construction et architecture sont toujours plus troits que ceux qu'entretient cette dernire avec la
culture scientifique et technique, de tels liens prsentent une diversit tout aussi remarquable. La construction peut tre
mise en scne ou au contraire masque ; elle peut relever d'une logique de la performance dont l'difice tout entier porte
la marque ou se trouver soumise des impratifs formels qui lui sont trangers. Seule l'histoire permet d'ordonner
quelque peu la diversit des types de relations entre architecture, sciences et techniques. Plus prcisment, cette
histoire semble place sous l'gide de tensions croissantes entre la discipline architecturale, la construction et la culture
scientifique et technique. Semblables tensions sont la fois riches de potentialits et porteuses de menaces pour
l'architecture. Elles revtent partir d'un certain moment une porte institutionnelle et professionnelle, avec la
dissociation des figures de l'architecte et de l'ingnieur qui s'amorce ds la fin du Moyen-Age pour se rvler dans toute
son ampleur par la suite. Ce sont certains moments de cette volution que nous voudrions voquer en nous bornant
l'architecture occidentale, de l'Antiquit grco-romaine nos jours.
L'Antiquit grco-romaine
Commencer ce survol par l'Antiquit grco-romaine se justifie par l'importance que revtent les monuments antiques et
les principes dont ils se rclament pour l'Occident dont ils vont constituer l'une des sources constantes d'inspiration
partir de la Renaissance. De la Grce Rome, on peut reprer d'autre part l'mergence de tensions qui vont rapparatre
priodiquement dans l'histoire de l'architecture.
L'art grec accorde le plus grand prix l'excution qu'il considre comme une condition indispensable de la beaut. Aux
yeux des grecs, l'artiste n'est jamais qu'un artisan, qu'un technicien d'un genre un peu particulier. Cette conception se
vrifie particulirement bien dans le domaine de l'architecture, mme si celle-ci fait appel des matriaux peu nombreux, le
bois, l'argile, la pierre surtout avec laquelle on construit les temples, tandis que les dispositifs constructifs auxquels
elle a recours demeurent volontairement simples ; les grecs excluent l'arc et la vote de leur rpertoire, pour ne retenir
que le mur, la colonne et la plate-bande. Places sous l'gide d'une remarquable conomie de moyens, construction et
architecture sont intimement lies dans les temples des priodes pr-classique et classique. Cette intime liaison se
manifeste notamment dans l'importance de la muralit et dans le traitement minutieux de l'articulation entre colonne et
plate-bande. Le temple grec se veut une structure fonde sur un systme rgl de rapports logiques mais aussi
dimensionnels entre les parties dont il se compose, systme se rclamant bien entendu de l'arithmtique et de la
gomtrie. Par l'intermdiaire des corrections optiques, comme celle, pratique entre autres par Ictinos au Parthnon, qui
consiste bomber lgrement la plate-forme du temple afin d'viter qu'elle ne paraisse dprime en son milieu, l'architecture
participe galement de tout un ensemble de rflexions optiques et physiologiques.
La priode hellnistique qui s'ouvre peu aprs la mort d'Alexandre en 323 avant Jsus-Christ est marque par une
sophistication croissante des programmes et des procds de construction. Palais et habitations particulires font leur
apparition ct des temples et des salles d'assembles auxquels se limitait jusque-l la commande architecturale,
cependant que l'arc et la vote deviennent d'usage frquent. On assiste paralllement un dbut de dissociation entre
ordonnance extrieure et structure des difices. Les progrs de l'architecture mettent en crise le principe d'unit
structurelle du classicisme grec. Ces progrs sont indissociables d'un mouvement d'investigation scientifique et
technique beaucoup plus gnral, mouvement auquel participent des savants comme Euclide, Archimde ou Eratosthne,
des ingnieurs comme Ctsibios, Philon de Byzance ou Hron d'Alexandrie. De la gomtrie l'astronomie, de l'hydraulique
la science des machines, c'est un nouveau systme technique qui se met en place, systme dans lequel l'architecture a
tout naturellement sa place. Ne ncessite-t-elle pas une bonne connaissance des mathmatiques, n'a-t-elle pas recours
aux machines les plus diverses ?
D'un point de vue architectural comme au plan scientifique et technique, Rome apparat comme l'hritire de la
civilisation hellnistique. La dissociation entre forme et structure se voit accentue par l'innovation constructive que
reprsente l'opus cmenticum, le bton romain, qui permet de btir au moyen d'un mlange de mortier et d'agrgats avant
de procder un habillage de brique ou de pierre. La plupart des grands monuments de la Rome impriale, le Panthon
notamment, vont faire usage de cette technique. Auteur du seul trait d'architecture qui nous soit parvenu et grand
admirateur des architectes de la priode hellnistique comme Hermogne, Vitruve se montre pourtant hostile l'opus
cmenticum au nom de la probit constructive qui rclame d'accorder l'apparence la structure de l'difice. Compos vers la
fin du Ier sicle avant Jsus-Christ, le De architectura n'en tmoigne pas moins des relations de plus en plus ambiges
qu'entretiennent l'architecture et la construction. Bien qu'il fonde l'architecture sur la ncessit d'abriter les hommes et
donc sur la construction, Vitruve distingue clairement la discipline architecturale du simple art de btir. A la solidit et
l'utilit, qualits essentielles de l'art de btir, doit s'ajouter la beaut qui nat de la mditation de l'usage et de sa prnnisation
dans la pierre et le marbre. Solidit, utilit, beaut - cette triade va se rvler porteuse de bien des interrogations.
M par le dsir de confrer son art, souvent pratiqu par des esclaves dans la Rome des dbuts de l're chrtienne, le mme
prestige que celui dont jouissent les arts libraux, Vitruve se livre un travail de codification des proportions donnes par
les architectes grecs leurs difices. Il insiste dans le mme esprit sur les rapports qu'entretient la discipline
architecturale avec la philosophie, les mathmatiques, l'astronomie et la musique. A l'en croire, l'architecte doit mme
possder des connaissances mdicales. Cependant, les liens entre architecture et techniques de l'ingnieur
apparaissent beaucoup plus convaincants. Le De architectura consacre d'ailleurs un livre entier l'hydraulique, un
autre aux machines et aux engins de guerre. Ingnieur autant qu'architecte, Vitruve achve de fixer dans son trait
l'image d'une discipline architecturale en prise sur l'ensemble des procds au moyen desquels l'homme agit sur la
nature.
Les btisseurs du Moyen-Age
Si l'architecture grco-romaine avait vu se distendre quelque peu les liens entre architecture et construction, ceux-ci se
resserent nouveau au Moyen-Age. D'importance variable selon les pays, l'influence romaine se conjugue avec des
apports byzantins et orientaux. Votes en berceau, calottes et coupoles en pierre d'une facture souvent remarquable
se multiplient dans les glises romanes d'Occident, posant des problmes de stabilit de plus en plus complexes
rsoudre. Les piles cruciformes qui font leur apparition ds le Xe sicle leur apportent un dbut de rponse. Exprimente en
Ile-de-France au cours du XIIe sicle, la vote sur croise d'ogives va conduire quant elle un renouvellement complet des
techniques de votement des glises de grandes dimensions. Au plein-cintre roman succde un mode de couverture
beaucoup plus lger, permettant de donner une plus grande hauteur aux difices et de percer plus largement les murs
pour faire entrer la lumire. Marqu par des performances de plus en plus spectaculaires, le temps des cathdrales
gothiques peut alors s'ouvrir.
Le gothique ralise l'une des plus tonnantes synthses entre architecture et construction qu'ait connu l'Occident. A son
apoge, la rflexion des matres d'uvre gothiques part de la vote dont les pousses canalises par l'intermdiaire des arcs
en ogive sont reprises au moyen de piles cruciformes, de contreforts et d'arcs-boutants, de manire transformer les
difices en un systme dynamique de butes et de contrebutes qui s'exprime avec une franchise tout fait remarquable.
La minceur des appuis verticaux et obliques rvle les lignes de force de la structure. Dans les cathdrales des XIIe et
XIIIe sicles, la construction se donne voir au mme titre que le dcor sculpt dont s'ornent les faades. Confie des
spcialistes dont les comptences tiennent la fois de celles de l'architecte et de l'ingnieur, comme Pierre de Montreuil
ou le mythique Erwin von Steinbach, la conception ne procde pas de calculs savants ; en dpit de sa hardiesse, elle
participe d'un ensemble d'intuitions structurelles et de savoir-faire lentement sdiments. Au sein de cet ensemble, les
proccupations de rationalisation des tches de mise en uvre occupent une place importante. Le trac des votes est par
exemple indissociable des procds de taille des pierres et d'appareillage. L'architecture gothique tmoigne d'un souci
de prise en compte globale du processus de conception-ralisation. Ce souci est bien sr li la taille et la complexit
croissante des chantiers dont l'emprise au sol des cathdrales donne une certaine ide : 5500m2 Paris, 6 200 Bourges,
8 000 Amiens.
Tandis que l'art roman aimait le symbolisme des nombres qui renvoyait directement au message biblique et ses
interprtations, les btisseurs gothiques rvrent avant tout la gomtrie. Mais leur gomtrie, diffrente en cela de celle de
Vitruve qui reposait avant tout sur des rapports dimensionnels entre le tout et les parties, possde un tour beaucoup
plus appliqu. C'est une gomtrie de la rgle et du compas qui enseigne comment coordonner le plan et l'lvation de
l'difice, mais aussi comment dfinir les gabarits des pierres qui doivent permettre sa ralisation. Outil de conception, la
gomtrie reprsente galement un moyen de communication entre matres d'uvre, tailleurs de pierre et appareilleurs.
Bien que le texte vitruvien soit largement ignor des btisseurs de cathdrales, leur intrt pour les techniques les plus
diverses rappelle celui dont faisait preuve l'ingnieur romain. Cet intrt est manifeste dans le carnet de dessins annots
laiss par Villard de Honnecourt en plein XIIIe sicle. Dans ce document d'un intrt exceptionnel, mme si l'on sait peu de
choses de son auteur, dans lequel certains voient un architecte alors que d'autres en font un simple amateur
d'architecture, les liens entre l'dification, le gnie civil et la connaissance des machines au sens large du terme portent
la marque de l'hritage antique, des conceptions techniques des ingnieurs hellnistiques en particulier. Cet hritage va
tre puissamment ractualis par la redcouverte de Vitruve qui s'opre l'extrme fin du Moyen-Age. Traduit et lu avec
passion par les humanistes de la Renaissance, l'enseignement du De architectura va relguer au second plan une
bonne partie des savoir-faire des btisseurs de la priode gothique.
L'ge classique et la tradition vitruvienne
La rupture entrane par la Renaissance n'est pas que thorique. En mme temps que l'on redcouvre Vitruve, s'affirme en
effet une nouvelle figure d'architecte-humaniste dont un Filippo Brunelleschi (1377-1446) constitue l'une des premires
incarnations. L'auteur de la coupole de la cathdrale de Florence se pense en effet comme un intellectuel
fondamentalement diffrent des autres acteurs de la production du bti. L'ambition de contrle des tches de chantier qui
l'anime s'inscrit du mme coup dans une nouvelle vision des procdures d'dification. Semblable vision se prcise par la
suite dans l'uvre d'un Leon-Battista Alberti dont le De re aedificatoria reprend la triade vitruvienne solidit, utilit, beaut,
en la rinterprtant la lumire des acquis les plus rcents de l'humanisme. Si les trois termes emprunts Vitruve sont
encore d'une importance comparable sous la plume d'Alberti, la tradition vitruvienne va mettre par la suite l'accent sur
les deux derniers au dtriment des questions constructives. L'conomie spatiale des projets, leur soumission aux
impratifs du beau en architecture, vont primer sur les techniques utilises pour les raliser. Dans le dessein de se
distinguer des maons et des entrepreneurs, l'architecte-humaniste, l'architecte-intellectuel, aura tendance privilgier
les dimensions qui distinguent sa pratique du simple art de btir.
Cette volution est lente au dpart, surtout dans les pays d'Europe du Nord o l'hritage mdival demeure longtemps
vivace. De nombreux architectes vont d'ailleurs chercher concilier les acquis constructifs du Moyen-Age avec les
enseignements de l'Italie. En France, l'uvre d'un Philibert de L'Orme (1514-1570) porte toute entire la marque de
cette entreprise de conciliation, depuis la galerie de la maison Bullioud Lyon jusqu'aux grandes compositions d'Anet
et des Tuileries. Chez De l'Orme, le trait de coupe des pierres mdival donne notamment naissance des ralisations
strotomiques sophistiques qui viennent se combiner avec les formes de la Renaissance italienne. En consacrant une
partie importante de son Premier tome de l'architecture paru en 1567 l'art du trait, l'architecte veut d'autre part
l'arracher la routine des gens de mtier pour le rattacher une pratique plus savante de l'architecture.
L'importance accorde par De L'Orme la construction dans ses crits tranche sur le contenu de la plupart des traits
d'architecture ultrieurs dans lesquels les ordres et plus gnralement les considrations formelles envahissent presque
tout le champ de la thorie. Cette indiffrence apparente l'gard des procds de ralisation est rendue possible par la
relative stabilit du monde de la construction, stabilit qui autorise son contrle au plan formel. La pierre, la brique et le
bois reprsentent des matriaux de base. Leur permanence du XVIe au XVIIIe sicle rend plus comprhensible les
silences de la tradition vitruvienne l'gard de la construction.
Les techniques voluent tout de mme. Dans de nombreuses villes, la pierre ou la brique chassent progressivement le
bois et le torchis des constructions mdivales. Les progrs de la sidrurgie se traduisent par une consommation de plus
en plus importante de fer dans le gros et le second uvre. Les nouveaux savoir-faire qui font leur apparition ne
bouleversent pas pour autant le cadre de la production ordinaire du bti.
De nombreux monuments placent toutefois la tradition vitruvienne en position dlicate. Le mode de construction
qu'annoncent les colonnes dont s'ornent palais et glises n'a souvent rien voir avec le comportement vritable de la
maonnerie. Subordonne aux impratifs du beau en architecture, la construction soumet celle-ci en retour des tensions
gnratrices de conflit.
Ces tensions sont rarement prises en compte dans le discours des architectes, l'accord entre solidit, utilit et beaut
apparaissant comme une sorte de postulat de base de leur discipline. Cela n'empche pas certains d'entre eux de se
livrer une exploration assez systmatique des limites de la tradition vitruvienne. Sous cette rubrique figurent coup sr
les exprimentations formelles de reprsentants du baroque italien comme Francesco Borromini ou Guarino Guarini,
exprimentations dont la gomtrie complexe, faisant appel aux multiples proprits du cercle et de l'ellipse, s'carte des
tracs rgulateurs la manire antique que prnent la plupart des auteurs de traits. Si la production franaise demeure trs en
retrait des audaces italiennes, l'ambigut des relations entre architecture et construction, se manifeste encore plus
nettement dans des ralisations comme la Colonnade du Louvre, commence en 1667. Tout en se rclamant de la puret
de lignes des pristyles grco-romains, l'difice fait appel des techniques bien diffrentes de celles qu'avait employ
l'Antiquit, avec ses colonnes accouples et ses grands linteaux de pierre construits par claveaux comme autant de
votes plates stabilises au moyen d'agrafes et de tirants mtalliques. L'cart entre le modle vitruvien et les procds
employs pour le raliser atteint ici son paroxysme.
L'architecture n'en conserve pas moins de multiples liens avec les sciences et les techniques. L'dification n'a-t-elle
pas recours toutes sortes de machines, des plus simples comme les treuils et les chvres aux plus complexes comme
les dispositifs employs pour riger l'Oblisque de la place de Saint-Pierre de Rome ou les grandes pierres monolithes
qui couvrent le fronton de la Colonnade du Louvre ? Plus profondment, le savoir de l'architecte n'est-il pas l'image de
celui du crateur qui a ordonn le monde en observant certains rapports de proportionnalit ? C'est dans un tel contexte
que doit tre replace l'extraordinaire fortune des spculations concernant la forme et les dimensions donnes par les
Hbreux au Temple de Jrusalem sous la dicte de Dieu, spculations dans lesquelles donnent aussi bien le jsuite
espagnol Giovan-Battista Villalpando qu'Isaac Newton qui ne ddaigne pas semblable recherche vers la fin de sa vie.
En retrait de ces considrations o la raison le dispute la foi, le statut minent de l'architecture renvoie bien entendu
l'universalit dont se pare l'outil gomtrique. Dans la recherche des lois de la nature, les savants utilisent souvent des
mthodes proches de celles qui servent dfinir les relations entre les diffrents membres d'une ordonnance. De
nombreux savants, gomtres ou physiciens, sont d'ailleurs simultanment architectes : Christopher Wren en Angleterre,
Franois Blondel ou Philippe de La Hire en France. L'architecture fournit en outre matire des problmes gomtriques et
physiques stimulants. Le trac des votes fait par exemple appel des techniques de trac particulirement difficiles
matriser. Le mathmaticien Girard Desargues consacre un trait entier au sujet en 1640. Par la rigueur de sa dmarche
qui ouvre la voie aux travaux de gomtrie projective du XIXe sicle, Desargues se situe toutefois en marge des
proccupations plus terre terre des architectes et des appareilleurs qui consultent plutt les ouvrages de Mathurin
Jousse ou du pre Derand.
Certains btiments portent clairement l'empreinte des proccupations scientifiques du temps, que l'on songe par
exemple ces glises baroques ou le traitement de la lumire revt une importance extrme. Une mention spciale doit tre
faite dans ce cadre de l'Observatoire de Paris, projet en 1666-1667 par Claude Perrault pour abriter les activits de
l'Acadmie des Sciences. L'difice est en effet conu comme une sorte de grand instrument scientifique dont les
diffrentes faades indiquent la mridienne ainsi que la direction des levers et couchers du soleil aux solstices et aux
quinoxes, tandis qu'un puit traverse de part en part le btiment dans le dessein de servir aux observations
astronomiques znithales.
A la charnire des XVIIe et XVIIIe sicles, les relations entre architecture, sciences et techniques vont commencer se
distendre quelque peu cependant, le progrs scientifique conduisant une relativisation des enjeux architectoniques au
profit de rflexions orientes vers la dcouverte de lois naturelles antrieures toute spatialisation. Les limites de la tradition
vitruvienne apparaissent vers la mme poque au grand jour ; elles vont conduire une reformulation complte des
fondements et du statut de la discipline architecturale.
La remise en cause de la notion traditionnelle de solidit
Le XVIIIe sicle voit la monte en rgime des proccupations constructives. En Italie, celles-ci occupent une large place
dans l'enseignement du moine vnitien Carlo Lodoli (1690-1761) qui entend fonder l'architecture sur les lois de la
statique et sur les caractristiques des divers matriaux, plus essentielles ses yeux que les impratifs d'ordre esthtique.
En France, les crits d'un Pierre Patte sont non moins rvlateurs de la curiosit qui s'attache aux questions
constructives.
La production du bti resemble pourtant s'y mprendre celle de l'ge classique. L'attention porte la construction participe
en ralit d'une volont de rationalisation des procdures d'dification qui ne modifie pas encore les grands quilibres
technico-conomiques. En l'absence d'innovations dcisives, il s'agit de recenser l'existant, d'en exploiter pleinement
les possibilits dans un souci d'efficacit renforce. Ce souci d'efficacit conduit accorder moins d'importance aux
proportions des ordres qui constituaient jusque l le noyau de la thorie architecturale.
Les rflexions des Lumires sont par ailleurs stimules par la ralisation de toute une srie d'difices dont l'audace va
croissant. En France, la Colonnade du Louvre sert de modle des glises o les arcades traditionnelles cdent la place
des colonnes isoles supportant des linteaux construits par claveaux. Dans son Essai sur l'architecture de 1753, l'abb
Laugier rattache l'usage de colonnes isoles et de linteaux la construction primitive en bois. Les temples grco-romains
fournissent bien entendu un autre modle admissible. Dans un difice comme l'glise Sainte-Genevive, l'actuel Panthon,
de Jacques-Germain Soufflot, le primitivisme et le souci de renouer avec l'lgance des pristyles antiques
s'accompagne toutefois d'un tel dploiement d'artifices : tirants en mtal, votes de grande porte, arcs boutants, que l'on
est en ralit plus proche du fonctionnement dynamique des cathdrales gothiques que du caractre plus statique des
temples grecs ou romains. Les rfrences s'additionnent sans se confondre.
Ce qui nat peut-tre de cet ensemble de rflexions et d'expriences, c'est l'ide moderne de structure, fonde sur
l'identification de modles structuraux et sur la prise de conscience de l'cart qui spare presque toujours le modle de sa
ralisation. Dans son acception moderne, une structure est galement caractrise par la canalisation des efforts qu'elle
permet ainsi que par la performance qu'elle accomplit. Canalisation des efforts et performance posent le problme des
calculs qui doivent permettre de vrifier le bien-fond des hypothses de conception.
Au cours du XVIIIe sicle, l'usage du calcul infinitsimal se rpand dans les milieux scientifiques en branlant du mme
coup la toute puissance de la gomtrie. L'analyse va progressivement devenir l'instrument par excellence du calcul
des structures. L'une de ses premires applications est due l'ingnieur militaire et physicien Charles-Augustin Coulomb
qui rvolutionne le calcul des votes dans un essai soumis en 1773 l'Acadmie des Sciences. Bien que des thories
comme celle de Coulomb rencontrent peu d'cho parmi les praticiens, ces derniers pressentent confusment qu'une
page de l'histoire de la conception des structures est sur le point d'tre tourne.
Dans les annes 1740 dj, des savants et des ingnieurs comme Boscovitch et Poleni s'taient penchs sur les problmes
de stabilit rencontrs par le dme de Saint-Pierre de Rome en tentant d'y appliquer les rsultats scientifiques les plus
rcents. A la fin du sicle, l'glise Sainte-Genevive de Soufflot apparat son tour comme un vritable laboratoire o sont
testes les thories les plus diverses, avec un succs trs relatif il est vrai.
Si les Lumires sont loin de parvenir des rsultats satisfaisants concernant la rsistance des matriaux et l'application des
thories physico-mathmatiques la stabilit des constructions, tous leurs ttonnements vont dans le mme sens, celui
d'une remise en cause radicale de l'approche vitruvienne de la solidit. Dans son acception traditionnelle, la solidit
tenait un dimensionnement correct, effectu au moyen d'outils essentiellement gomtriques, mais elle correspondait
galement l'impression d'harmonie que le spectateur devait prouver devant l'difice ralis. La solidit marquait ainsi
l'accord profond qui tait cens rgner entre les lois naturelles de la pesanteur et de la cohsion des corps et les
enseignements de la thorie. Au XVIIIe sicle, l'apparition d'ouvrages de plus en plus audacieux, semblant dfier le vide,
rend cet accord moins vident. La gomtrie des proportions, semble appele cder la place des procdures de
dimensionnement moins directement lies aux canons esthtiques, procdures conduisant une dissociation entre solidit
relle et impression de solidit. Un cart d'un nouveau type s'accuse entre architecture et construction, la premire
raisonnant en termes formels, avec leurs connotations psychologisantes, tandis que la seconde prpare l'avnement
d'outils physico-mathmatiques indits.
Cet cart va tre mis profit par les ingnieurs qui vont se faire les champions d'une solidit reposant dsormais sur la
science dont les enseignements doivent selon eux primer sur toute autre considration. A la charnire des XVIIIe et
XIXe sicles, les professions d'architecte et d'ingnieur, longtemps proches l'une de l'autre, commencent diverger
inexorablement. A la complexit nouvelle des relations entre architecture et construction vont se superposer des
tensions professionnelles appeles l'avenir que l'on sait.
Le sicle de l'industrie
Au cours du XIXe sicle se produit une diversification sans prcdent des techniques de construction. Au sein de cet
ensemble de transformations, le dveloppement de l'architecture mtallique constitue le phnomne le plus marquant.
Aux premier difices faisant appel la fonte succdent des constructions en fer puis en acier. Tandis que la fonte qui
rsiste mal aux efforts de traction est principalement utilise sous forme de colonnes et d'arcs, comme la Bibliothque
Sainte-Genevive acheve en 1850 par Henri Labrouste, le fer et l'acier vont conduire des dispositions originales,
dfinitivement affranchies des prceptes vitruviens. Avec le mtal apparat d'autre part un mode de construction dans
lequel les sollicitations auxquelles un btiment se trouve soumis du fait de son usage ne sont plus ngligeables par
rapport son poids propre. La construction mtallique va du mme coup stimuler durablement les rflexions des
architectes et des ingnieurs et conduire un travail d'exprimentation et de normalisation d'une ampleur sans prcdent.
Ds le dpart, la minceur de l'architecture mtallique et les effets de transparence qu'elle autorise provoquent
l'admiration. Le mtal ne serait-il pas le matriau par excellence de l'avenir, se demandent les visiteurs de l'Exposition
universelle de 1851 qui arpentent l'immense nef du Crystal Palace de Joseph Paxton ? La recherche de la
performance va caractriser par la suite bien d'autres ralisations d'architectes et d'ingnieurs. A ct de la Tour Eiffel, la
Galerie des Machines de l'Exposition universelle de 1889 conue par l'architecte Ferdinand Dutert et l'ingnieur Victor
Contamin tablit un record avec ses 420 mtres de longueur, ses 115 mtres de largeur pour un peu plus de 43 mtres de
haut. Quoique moins spectaculaire, la mise au point d'difices pans de fer comme l'usine Menier de Noisiel construite
en 1871-1872 par Jules Saulnier ouvre bien d'autres perpectives. C'est sur le mme principe que seront en effet
construits les premiers immeubles de grande hauteur amricains de William Le Baron Jenney et Louis Sullivan
Chicago.
L'volution de la construction au XIXe sicle ne se limite pas au dveloppement de l'architecture mtallique, loin s'en faut.
Un autre matriau fait son apparition, de manire encore marginale il est vrai: le bton. Mis au point pour le gnie civil, le
bton est employ ds 1850 dans le btiment par Franois Coignet. Son essor vritable date toutefois de la dernire dcennie
du sicle avec l'introduction d'armatures mtalliques destines lui confrer une meilleure rsistance la traction. Les
ralisations en bton arm vont alors se multiplier en mme temps que les auteurs de systmes au premier rang desquels
figure Franois Hennebique.
La mise en uvre de matriaux plus traditionnels comme la brique se perfectionne galement. On assiste par ailleurs
l'industrialisation de toute une srie de composants du btiment comme les tuiles ou certains produits verriers. Ce tour
d'horizon de l'volution de la construction ne serait pas enfin complet sans la mention des progrs que connaissent le
chauffage, l'clairage et la ventilation des difices. Une exigence nouvelle de confort conduit la multiplication des
dispositifs techniques dans les constructions tant publiques que prives.
Le dynamisme du monde de la construction rend ses relations avec l'architecture encore plus complexes qu'au
XVIIIe sicle. Les nouvelles techniques doivent en effet s'intgrer au cadre d'une discipline architecturale qui se met
explorer son histoire, qui multiplie les difices no-grecs, no-gothiques ou no-Renaissance, convaincue qu'elle est de
vivre une poque de transition incapable de se dfinir une esthtique qui lui appartiendrait en propre. Cette esthtique, les
ingnieurs sont persuads de la dcouvrir en se laissant guider par les rythmes de l'innovation. Moins confiants dans les
seules ressources de la technique, les architectes en temprent gnralement l'expression au nom d'une culture aux
rfrences historicisantes. Mais peut-on manipuler des lments architectoniques emprunts au pass en les isolant de leur
contexte, en rompant le lien qui les unissait aux procds constructifs de leur temps ? Est-il par exemple lgitime
d'habiller une gare de colonnes ou de galbes alors que sa halle comprend des colonnes en fonte et des fermes la
Polonceau ? Dissocier forme architecturale et techniques ne laisse pas de poser bien des questions.
Ces questions trouvent peu d'cho dans une institution comme l'Ecole des Beaux-Arts o l'on enseigne avant tout la
composition et la dcoration des difices auxquelles la construction se trouve clairement subordonne. Elles vont tre par
contre reprises par des architectes comme Henri Labrouste, Lonce Reynaud ou Eugne Viollet-le-Duc, que l'on peut
qualifier de rationalistes dans la mesure o toute leur ambition consiste raisonner l'architecture dans ses rapports avec
le corps social comme en ce qui concerne le lien profond qui doit l'unir selon eux la construction.
C'est dans le gothique que Viollet-le-Duc (1814-1879), qui apparat rtrospectivement comme le thoricien le plus
rigoureux de ce courant rationaliste, voit l'une des manifestations les plus leves des rapports organiques entre l'tat de
la civilisation, les formes architecturales et les procdures d'dification. Sous cet angle, le gothique constitue ses yeux
un modle insurpassable; il s'agit d'en percer jour le principe profond, de s'approprier son esprit au lieu d'en suivre
servilement les formes comme le font la plupart des architectes no-gothiques. Dans le Dictionnaire raisonn de
l'architecture franaise du XIe au XVIe sicle comme dans les Entretiens sur l'architecture, la construction apparat alors
comme le noyau de la discipline architecturale, le lieu o se recontrent sous l'gide de la rigueur scientifique et
technique les dterminations sociales et l'invention formelle. Elle possde en outre un caractre dynamique, avec le
souci constamment exprim de ne pas sparer l'objet architectural du processus qui lui donne naissance.
A ct de ce dynamisme, la dmarche constructive se pare de toute une srie de dimensions nouvelles, une dimension
sociale tout d'abord avec l'accent mis par des auteurs comme Viollet-le-Duc sur les liens qui unissent diffrentes
poques les dispositifs structurels dominants et la culture, au sens le plus gnral donn ce terme. Les choix constructifs
relvent galement d'une morale aux accents assez nouveaux. Vrit et mensonge dans la mise en uvre des matriaux,
dvoilement ou dissimulation de la structure, reprsentent autant d'alternatives devant lesquelles les architectes se
trouvent dsormais placs.
On retrouve le mme genre de morale constructive chez l'architecte allemand Gottfried Semper qui se livre une
critique tout aussi virulente que celle des franais des aberrations auxquelles conduit l'clectisme. Pour Semper,
l'ornementation elle-mme doit maner de la technicit que requiert la mise en uvre rationnelle des matriaux. Si ce genre
d'argumentation rencontre un peu partout de fortes rsistances, la plupart des architectes est consciente de vivre une
poque o des liens dcisifs se tissent entre architecture et technique, architecture et industrie pour tre plus prcis.
L'essor de la construction mtallique est l pour en tmoigner au mme titre que l'utilisation massive d'lments dcoratifs
produits en srie.
Tandis qu'elle se rapproche de la production manufacturire, la discipline architecturale devient de plus en plus trangre
l'esprit scientifique du temps, cependant. Certes, le dveloppement du calcul analytique permet de modliser les
phnomnes physiques avec une prcision que ne possdaient pas les calculs du XVIIIe sicle ; la science se rfre ce
faisant des modles d'intelligibilit qui ont peu de chose voir avec les entits que manipulent les architectes. La
construction constitue simplement l'un des terrains d'application de la rsistance des matriaux et de la thorie
mathmatique de l'lasticit sur laquelle elle repose en grande partie. Ne dans les annes 1820-1830 des efforts conjugus
de savants et d'ingnieurs comme Navier, Cauchy, Poisson ou Lam, la thorie de l'lasticit permet de dimensionner les
structures sans vritable dialogue avec la conception architecturale. En dpit des prtentions l'universalit affiches par
Viollet-le-Duc, Semper et leurs hritiers, l'architecture se range durablement du ct des beaux-arts, ce supplment d'me
de la socit industrielle parvenue maturit.
Les ambiguts contemporaines
Au XXe sicle, la diversification des techniques qui s'tait amorce avec la Rvolution industrielle s'intensifie encore.
Cette diversification concerne tout d'abord les matriaux. Tandis que le bton arm envahit progressivement le secteur
de la construction, l'ingnieur Freyssinet met au point les techniques de prcontrainte pendant l'entre-deux-guerres.
Leur succs ne tardera gure, comme en tmoignent les ouvrages raliss conformment ses enseignements en Europe
puis aux Etats-Unis dans les annes 40-50. Bien d'autres matriaux vont faire leur apparition par la suite : produits drivs
du bois comme les agglomrs, les contreplaqus ou les lamells-colls, aciers et verres spciaux, plastiques, colles. Les
techniques de chantier voluent galement avec la prfabrication de nombreux lments de gros et second uvre et la
mcanisation de plus en plus pousse des tches qui vont permettre de produire logements et quipements une chelle
inconnue jusque-l. La reconstruction rapide de l'Europe la fin du second conflit mondial n'aurait pas t possible sans
ce changement d'chelle de la production du bti dont tmoigne la ralisation des grands ensembles des annes 50-70.
En matire d'architecture, le progrs technique abolit de nombreuses contraintes. Avec les systmes poteaux-poutres en
bton, puis avec les premiers murs-rideaux, il devient possible de dsolidariser la structure de l'enveloppe, comme le
fait remarquer trs tt Le Corbusier. Structure et enveloppe se confondent au contraire dans les ouvrages de grande
porte faisant appel aux proprits des systmes nervurs, des voiles minces ou des coques, construits par des ingnieurs
comme Torroja, Candela ou Nervi. Par del ces contrastes qui s'accusent, toutes les formes sont a priori ralisables, ce
qui tait loin d'tre le cas auparavant. Devant la richesse des choix constructifs et formels qu'il s'offrent aux
concepteurs, la question de la morale constructive prend un nouveau relief. En France, cette morale trouve l'un de
ses dfenseurs les plus convaincus avec Auguste Perret. Par l'accent qu'il met sur l'ossature, le grand pionnier de la
construction en bton arm apparat comme le digne hritier de la tradition rationaliste.
En dpit des nouveaux moyens dont ils disposent, les architectes de ce sicle ont souvent tendance se sentir dpasss
par l'industrie, en retard sur son clatante modernit. Tel est le sentiment qui anime par exemple Le Corbusier
dans Vers une architecture o l'apologie du "standart" le conduit mettre en parallle les formes exactes du Parthnon et
les lignes non moins exactes des automobiles les plus rcentes afin de critiquer le passisme dont fait preuve selon lui
la discipline architecturale dans son acception acadmique. De mme que le taylorisme tend rationaliser les oprations
et les temps de travail, la redfinition de l'espace architectural doit conduire une reformulation des rythmes de la vie
quotidienne en accord avec les nouvelles exigences de la socit industrielle.
Les villas que construit vers la mme poque Le Corbusier font cependant appel des procds pour le moins artisanaux.
C'est que la "machine habiter" dont se rclame l'architecte fonctionne sur un registre spatial auquel la construction doit
se plier. Chez les architectes de la branche allemande du Mouvement Moderne, Gropius et Mies van der Rohe en
tte, la dimension constructive s'impose avec plus de nettet. Elle n'en demeure pas moins subordonne la recherche
d'effets plastiques d'une toute autre porte. Le caractre toujours unique de l'uvre architecturale qui contraste avec la
production en srie des objets industriels, la dimension esthtique dont elle se pare, constituent autant d'obstacles la
rintgration de l'architecture dans le champ de l'activit technicienne la plus gnrale.
C'est cette rintgration laquelle vont pourtant s'atteler toute une ligne d'architectes, d'ingnieurs et d'autodidactes
comme Jean Prouv ou Buckminster Fuller qui cherchent renouer avec une certaine puret de l'invention constructive.
La beaut des profils mtalliques conus par Prouv ou le caractre saisissant des dmes godsiques de Fuller ne veulent
rien devoir la tradition acadmique ; ils sont en effet conus comme autant de rponses des besoins gnriques de l'espce
humaine, rponses renvoyant la fois l'ensemble des techniques contemporaines et au caractre toujours singulier du
processus d'dification.
Par leur optimisme technologique comme par leur rejet de la figure traditionnelle de l'architecte-artiste, Prouv et Fuller
vont exercer une grande influence sur l'architecture des annes 50-70 qui correspond l'apoge d'une certaine rflexion
structurelle. Les mgastructures connaissent cette poque un vif succs chez le groupe anglais Archigram et chez les
mtabolistes japonais. Leur vogue va bien sr de pair avec l'engouement qui s'attache au mme moment la notion de
structure dans les domaines les plus divers. Tout est structure, de la nature l'homme, de la molcule d'ADN au
fonctionnement de l'esprit crateur.
Cette conception holistique va dcliner par la suite tandis que les architectes vont redcouvrir les vertus de la ville
ancienne. Chez les reprsentants les plus authentiques du courant high tech, Renzo Piano, Richard Rogers ou
Norman Foster, l'hritage de Prouv et Fuller conserve cependant tout son prestige. Affranchi de l'utopie mgastructurelle, rendu en quelque sorte la puret de son dessein initial, il est plac au service de projets qui mettent en
scne la construction en rfrence l'univers de l'industrie et de la machine, non sans tomber parfois dans un certain
formalisme. Entre architecture, sciences et techniques, le foss s'est en effet singulirement creus depuis le XIXesicle,
si bien que ce n'est qu'au travers de la manipulation des signes qu'il se trouve la plupart du temps surmont par les
concepteurs. Un Jean Nouvel semble l'avoir trs bien compris lorsqu'il conoit des ambiances technologiques sans
pour autant chercher combler l'cart qui s'accuse entre un univers scientifique et technique de moins en moins spatial
et la discipline architecturale.
Cet cart est-il dsormais invitable ? Les rflexions visant renouer des liens riches de sens entre architecture, sciences
et techniques empruntent actuellement trois directions. Certains veulent faire de la pratique du projet le prototype des
processus de conception auxquels s'intressent tant les sciences cognitives. Dans cette hypothse, l'architecture aurait
beaucoup apprendre aux scientifiques qui rflchissent aux mcanismes mentaux mis en jeu dans la production des
artefacts. D'autres considrent plutt la complexit croissante des btiments, complexit constructive, mais aussi
fonctionnelle avec l'introduction des dispositifs lectroniques et informatiques les plus rcents. Dans cette perspective,
la maison ou l'immeuble de bureaux "intelligents" pourraient bien reconqurir cette technicit de pointe qui fait dfaut
l'architecture contemporaine. Une dernire voie consiste enfin explorer les liens entre l'organisation de l'espace et les
manifestations d'ordre psychologique qu'ils provoque. Dans tous les cas de figure, il s'agit bien de surmonter
l'isolement dont croient souffrir la discipline architecturale et ses reprsentants dans ce monde de flux immatriels que
les sciences et les techniques tissent autour de nous. En l'absence d'une thorie de l'architecture faisant l'objet d'un
vaste consensus l'instar du vitruvianisme, il ne peut s'agir que de tentatives en ordre dispers, cependant. Les
rapports entre architecture, sciences et techniques renvoient ainsi l'une des causes majeures d'incertitude de la
pratique du projet aujourd'hui.
Orientations bibliographiques
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