Guerres de clans et chute des moai
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Guerres de clans et chute des moai
Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ 1 _________________________________________________________________________________________________________ Auteur : Jean Hervé Daude Co-rédacteur : Denis Chartier Mise en page : Jean Hervé Daude Page couverture : Dessin de l’auteur inspiré d’une oeuvre de Pierre Loti Correction linguistique : Maurice Carrière et Françoise Hubert Révision : Maurice Daude 2012, Jean Hervé Daude Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire, d’adapter ou de traduire l’ensemble ou toute partie de cet ouvrage sans l’autorisation écrite de l’auteur. ISBN: 978-2-9810449-6-9 Dépot légal : juillet 2012 Bibliothèque et Archives Nationales du Québec, 2012 Bibliothèque et Archives Canada, 2012 Imprimé au Canada Nous tenons à préciser que les propos tenus dans ce document n’engagent que l’auteur. Des dessins et peintures réalisés avec précision servent à illustrer les propos de l’auteur. Nous recommandons cependant au lecteur de consulter, au besoin, les catalogues édités par les musées et les différents livres mentionnés dans cet ouvrage afin de bien apprécier tous les détails et caractéristiques des statuettes étudiées. 2 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Jean Hervé Daude ÎLE DE PÂQUES Guerres de clans et chute des moai 3 _________________________________________________________________________________________________________ 4 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Des grandes statues de pierres, appelées moai, qui étaient érigées sur le pourtour de l’Île de Pâques lui ont assuré une réputation mondiale depuis de sa découverte. (Photo Bernard Philippe) 5 _________________________________________________________________________________________________________ 6 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ INTRODUCTION L’Île de Pâques, au moment de sa découverte, était d’autant plus fascinante que, disséminées sur presque tout son pourtour étaient dressées des statues monumentales faisant dos à la mer. Ces grandes statues, appelées moai, lui ont depuis lors assuré une réputation mondiale. Au cours des ans, plus de huit cents moai furent répertoriés, dont un grand nombre avait été transportés de leur lieu de fabrication vers les rivages de l’Île, où ils ont été érigés sur des plates-formes, appelées ahu. Cependant, peu après l’arrivée des premiers explorateurs occidentaux, au fil des explorations subséquentes, de plus en plus de moai furent retrouvés gisant par terre et certains ahu furent en partie détruits, de sorte qu’à terme il n’y eut plus aucun moai érigé sur un ahu. De nos jours presque tous les moai gisent encore à terre, mis à part quelques rares exceptions qui furent remises en place par des archéologues en expédition sur l’Île. Pourquoi tous les moai furent-ils, à un moment ou à un autre, couchés sur le sol ? S’agissaient-ils d’actes volontaires de la part des habitants de l’Île de Pâques, les Pascuans, et si oui, pour quelles motifs furent-ils ainsi jetés par terre ? La réponse, ou du moins, une partie de celle-ci, se trouve peut-être dans la tradition orale rapportée par différents explorateurs. Les comptes-rendus des premiers visiteurs ayant fait escale à l’Île de Pâques, à des époques bien différentes, peuvent aussi nous fournir des informations intéressantes sur la situation qui prévalait au moment de leur passage. 7 _________________________________________________________________________________________________________ 8 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ CHAPITRE I Île de Pâques et conflits La mise à terre des moai : des actes volontaires L’Île de Pâques est mondialement connue grâce à ses monumentales statues qui étaient érigées sur presque tout son pourtour. Cependant, bien étonnamment, peu après l’arrivée des premiers explorateurs occidentaux, un nombre toujours plus important de moai ont été retrouvés couchés sur le sol et certains ahu furent en partie détruits. Finalement, à partir du début du XXe siècle, plus aucun moai dressé sur un ahu ne fut signalé. Le renversement des grandes statues a donc été progressif et ne peut donc pas être le résultat d’un événement unique. Expliquer le renversement de tous les moai par une catastrophe naturelle semble donc à exclure. Bien qu’il soit envisageable qu’une succession de phénomènes sismiques ou autres ait causé la chute de tous les moai, cela semble très peu plausible. L’Île de Pâques n’est, en effet, pas dans une zone à risques en ce qui concerne les tremblements de terre et on ne voit pas vraiment quelles autres catastrophes naturelles auraient pu produire un tel résultat. Il nous semble aussi que de tels événements, s’ils s’étaient effectivement produits, auraient probablement laissé des traces dans la tradition orale pascuanne, ce qui n’est pas le cas. Il nous semble donc beaucoup plus probable que la chute des moai soit le résultat d’actes volontaires, échelonnés sur une certaine période de temps, de la part des Pascuans eux-mêmes. Cette hypothèse est aussi fortement renforcée par le fait que la tradition orale pascuane fait d’ailleurs explicitement mention que les moai auraient été délibérément jetés par terre. Il s’agirait donc d’actes de destruction malveillants, éliminant par le fait même, une intention utilitaire ou religieuse. La tradition orale rapportée par plusieurs auteurs fait spécifiquement mention d’actes délibérés et violents des Pascuans eux-mêmes, lors de conflits entre différents clans. 9 _________________________________________________________________________________________________________ Parmi tous les auteurs ayant traité du renversement des moai, seul Nicolas Cauwe a émis l’opinion que la chute des moai ne serait pas due à des actes de destruction causés par des conflits ou des guerres de clans. En effet, N. Cauwe est plutôt d’avis que, bien que les Pascuans aient pu constituer une population querelleuse, les moai n’auraient pas été renversés violemment, 1 mais auraient plutôt été délicatement amenés au sol. Qu’en est-il réellement ? Les Pascuans se seraient-ils querellés au point de s’affronter dans de sanglants conflits ? Avaient-ils des armes suffisamment efficaces pour le faire ? S’agissait-il de conflits individuels ou de conflits de groupes entre les clans ? Ces conflits ont-ils vraiment eu comme conséquence la chute de tous les moai et la destruction de certains ahu ? Curieusement, malgré la tradition orale rapportée plus tard par plusieurs auteurs, les premiers explorateurs de l’Île de Pâques n’ont pas souligné avoir vu de Pascuans se battre ou être en situation de conflit. Cependant, certains de ces mêmes explorateurs ont rapporté avoir vu des Pascuans armés, et selon leurs constatations, ces armes auraient été très efficaces et susceptibles d’infliger de sérieuses blessures. Compte-tenu de l’isolement de l’Île, il semble peu probable que les Pascuans aient eu besoin d’être sur un pied de guerre permanent de manière à se protéger d’envahisseurs potentiels. Pourquoi alors étaient-ils armés lors de l’arrivée impromptue d’expéditions occidentales ? 1 Cauwe, Nicolas. Île de Pâques, le grand tabou, p. 69. 10 À partir de la fin du du XIXe siècle, plus aucun moai se dressant sur un ahu n’a été signalé sur l’Île de Pâques, tous gisaient à terre. (Photo Fred Jacq) _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 11 _________________________________________________________________________________________________________ 12 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Des armes produites en grande quantité Selon les informations recueillies par différents explorateurs et corroborées par le Père Sebastien Englert, qui fut en poste à l’Île de Pâques durant de nombreuses années, les Pascuans possédaient au moins trois sortes d’armes de combat. Le paoa était une sorte de massue en bois, de forme aplatie, dont les coups pouvaient aisément casser les os des bras et des jambes, et même fracturer un 2 crâne. Les mata’a étaient constitués d’une pointe coupante de verre volcanique, appelée obsidienne, fixés au bout d’un bâton, et servant de lance ou de javelot. Ces pointes fixées au bout d’un bâton plus court, étaient utilisés pour le combat au corps à corps. Tout comme les pointes d’obsidiennes, ces armes 3 étaient aussi appelées mata’a. En fait, selon Englert, le nom précis des lances était mataa ko hou, alors que les pointes d’obsidienne fixées à des manches de bois beaucoup plus courts utilisées pour les combats au corps à 4 corps s’appellaient kakau. Ces mata’a auraient été de loin les armes les plus répandues sur l’Île de Pâques Plusieurs auteurs et explorateurs ont rapporté, qu’à une certaine époque, on pouvait facilement trouver un grand nombre de pointes d’obsidienne, un peu partout sur l’Île de Pâques. Ces pointes d’obsidienne étaient même, d’après Alfred Métraux, l’objet le plus commun que les visiteurs pouvaient trouver en se promenant sur l’Île, au point où ils n’avaient qu’à se pencher pour en 5 ramasser. On trouve l’obsidienne à profusion sur l’Île de Pâques, mais surtout sur le mont Orito, dans la région proche de Vinapu, au sud-est de l’Île. Ce verre volcanique naturel, dur, noir et luisant, devient coupant comme une lame de rasoir lorsqu’il est adroitement cassé. Pour cette raison, l’obsidienne était donc tout indiqué pour la fabrication d’outils tranchants, mais aussi, et surtout, pour la fabrication d’armes sous forme de pointes meutrières. 2 Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 139. Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 280. 4 Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 139. 5 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 166. 3 13 _________________________________________________________________________________________________________ Éclat d’obsidienne, appelé mata’a, taillé en forme de pointe pour être utilisé comme une arme. (Photo JHD) D’après la tradition orale rapportée par William Thomson, la découverte de l’obsidienne se serait produite fortuitement. Un Pascuan se serait blessé le pied en marchant sur un éclat d’obsidienne, non loin du mont Orito. Il aurait alors eu l’idée de fixer ce nouveau matériau au bout de ses lances, ce qui lui aurait donné un avantage important sur ses ennemis. Le procédé devint 6 connu par la suite et se répandit à l’ensemble des armes de l’Île. 6 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 532. 14 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Ainsi, il semble bien, qu’à une certaine époque, des pointes meurtrières aient été fabriquées en très grand nombre sur l’Île de Pâques. Dès les premières visites d’explorateurs occidentaux, des pointes d’obsidiennes attachées à de longs morceaux de bois furent remarquées et décrites. D’après la description du capitaine James Cook, chef d’une expédition anglaise y ayant fait escale en 1774, les Pascuans utilisaient une arme constituée d’un bâton sinueux d’environ six pieds de long, armé d'une « pierre » à une de ses extrémités. Georg Forster, membre de cette même expédition, a fournit une description plus précise puisqu’il mentionne: « (…) quelques-uns cependant avaient des lances ou des piques, armés à la pointe d’un morceau triangulaire, d’une lave noirâtre et transparente qu’on appelle communement agate d’Islande 7 (…). ». L’agate d’Islande mentionné par Forster, n’est autre que de l’obsidienne. Un autre membre de l’expédition relate aussi que les pointes d’obsidiennes étaient bien protégées : « Nous remarquames quelques armes, et en particulier des bâtons minces armés, à la pointe, d’une lave noire et vitrée, et 8 enveloppée avec soin dans un petit morceau d’étoffe. ». Plusieurs exemplaires de ces armes furent rapportés en Europe et font maintenant parties des collections de différents musées. 7 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 193. 8 Ibid., pp. 211,212. 15 _________________________________________________________________________________________________________ 16 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Le mata’a, utilisé comme pique ou comme javelot, est constitué d’une pointe d’obsidienne tranchante fixée au bout d’une hampe en bois. (Photo JHD) 17 _________________________________________________________________________________________________________ 18 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Distinction entre outils domestiques et armes de combat Un nombre impressionnant de pointes d’obsidiennes ont été retrouvées un peu partout sur l’Île de Pâques. S’agissait-il d’armes qui auraient été fabriquées en grande quantité et abandonnées sur les lieux de conflits parce qu’elles n’étaient plus utilisables ou bien étaient-ce simplement des outils 9 domestiques abandonnés pour les mêmes raisons. Il est possible d’identifier certains éclats d’obsidiennes qui, sans l’ombre d’un doute, auraient été taillés exclusivement pour un usage domestique. Ainsi en est-il des pointes beaucoup trop petites pour être emmanchées sur une hampe, ou au contraire beaucoup trop volumineuses et trop lourdes pour être montées sur une hampe et lancées au loin. Aussi, selon Englert l’obsidienne aurait servi à confectionner plusieurs genres d’outils, dont : des couteaux, des grattoirs et des mêches pour percer. Ces outils spécifiques sont facilement reconnaissables et ne sont guère appropriés pour être emmanchés et lancés dans le but de blesser un 10 adversaire; la forme en pointe de lance est beaucoup plus efficace. 9 Cauwe, Nicolas. Île de Pâques, le grand tabou, p. 88. Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 61. 10 19 _________________________________________________________________________________________________________ 20 Guerres de clans et chute des moai (Photo J.-M. Groult) Des pointes d’obsidiennes taillées, mais non pointues, seraient davantage des outils domestiques que des armes. _________________________________________________________________________________________________________ 21 _________________________________________________________________________________________________________ 22 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Il n’empêche que des mata’a aux arêtes coupantes comme des lames de rasoirs utilisés principalement comme armes, ont aussi pu servir occasionnellement pour effectuer certains travaux. Il est en effet facilement concevable que de telles armes aient pu être utilisées pour couper des cannes à sucre, des joncs, ou détacher des régimes de bananes du bananier, leurs côtés bien coupants se prêtant parfaitement à ce genre de travaux. De plus, ayant leurs armes sous la main, les Pascuans étaient prêts à se défendre en tout temps si des ennemis survenaient à l’improviste. Les pointes d’obsidiennes fixées sur des manches courts étaient cependant plus maniables que celles montées sur des manches longs pour effectuer de tels tavaux. Il n’en demeure pas moins que les mata’a étaient facilement différenciables de certains outils domestiques réalisés eux aussi à partir d’obsidienne. Outre le fait que que la forme des mata’a était très propice à en faire des armes suffisamment tranchantes pour infliger de graves blessures, le critère essentiel pour les distinguer des outils domestiques nous semble cependant lié à la motivation ayant suscité leur confection ainsi qu’à leur utilisation concrète. Les mata’a étaient effectivement reconnaissables à leur forme pointue ou en arrondie, tranchante, et furent donc bien identifiées par les premiers explorateurs, d’autant plus que les Pascuans étaient à même de leur fournir des informations à ce sujet. Les mata’a ont été spécifiquement conçus pour infliger de graves blessures lors de combats et ont effectivement principalement servi à cet usage. 23 _________________________________________________________________________________________________________ Des armes meurtrières efficaces Englert considérait que les armes que les Pascuans avaient utilisées dans 11 leurs conflits étaient primitives, mais mortelles. En effet, les Pascuans ont réussi, avec les seuls matériaux qu’ils avaient à leur disposition, à fabriquer des armes performantes, à tel point, que les premiers explorateurs ont mentionné l’efficacité redoutable de ces mata’a. Selon Michel Charleux, l’obsidienne constituait un matériau de choix abondant pour les Pascuans, qui pouvaient en obtenir de superbes tranchants 12 acérés. Cet archéologue considère que la technique, appelée Kombewa, utilisée sur l’Île de Pâques pour tailler l’obsidienne aurait joué un rôle 13 primordial dans l’efficacité de ces armes. Les Pascuans en taillant la forme du mata’a se débarrassaient en même temps du cortex, une couche oxydée, hydratée et altérée de l’obsidienne qui recouvre tous les blocs naturels. Ils obtenaient ainsi un tranchant très efficace et des faces bien lisses pour faciliter la pénétration. La présence de ce cortex aurait en effet pu freiner la 14 pénétration du mata’a dans les chairs. Les Pascuans taillaient donc les pointes de mata’a de manière à maximiser les blessures qu’elles pouvaient causer. Les hommes d’équipage de Gonzales, lors de l’expédition espagnole de 1770, furent très surpris par les plaies occasionnées par des pierres tranchantes. Aguera mentionna d’ailleurs que : “We never saw their bravery put to the test, but I suspect they are faint-hearted ; they possess no arms, and althougt in some we observed sundry wounds on the body, which we thought to have been inflicted by cutting instruments of iron or steel, we found that they proceeded from stones, which are their only 11 Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 139. Charleux, Michel. Les mata’a, pièces pédonculées en obsidienne de Rapa Nui (île de Pâques) : un outil original dans la panoplie de l’outillage lithique polynésien, p. 15. 13 Ibid., p. 13. 14 Ibid., p. 22. 12 24 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ defence and offence, and as most of these are sharp edged they 15 produce the injury referred to.” « Nous n'avons jamais vu leur bravoure mise à l'épreuve, mais je soupçonne qu'ils sont craintifs; ils n'ont pas d'armes, et bien que dans certains cas nous avons observé sur leur corps, des blessures diverses qui nous ont semblé avoir été infligées par des instruments tranchants en fer ou en acier, nous avons constaté qu’elles ont été causées par des pierres, qui sont leurs seuls instruments de défense et d'attaque, et comme la plupart de celles-ci ont des bords très coupants elles ont causé ces blessures auxquelles nous nous référons. » Aguera a donc constaté que des pierres aux côtés tranchants utilisées par les Pascuans laissaient de graves plaies sur le corps, comme si elles avaient été infligées par des outils de fer ou d’acier. Évidemment, ces pierres ne peuvent en aucun cas être les pierres bien ordinaires éparpillées un peu partout sur la surface de l’Île, lesquelles sont constituées de morceaux de lave friables qui n’ont aucun rebord tranchant. Les pierres décrites par Aguera ne peuvent donc être que des obsidiennes taillées. Cependant, bien que constatant que ces pierres soient susceptibles d’infliger de graves plaies sur le corps, Gonzales et son équipage ne semblent pas les avoir vraiment considérées comme des armes. Peut-être croyaient-ils que les Pascuans ne disposaient pas d’arme comme telles et qu’ils en étaient donc réduits à utiliser ces simples pierres comme seuls moyens de défense et d’attaque. Considérant très probablement qu’une arme devait avoir un certain degré de sophistication pour être qualifiée comme telle, ces simples pierres coupantes constituaient pour lui des objets bien trop rudimentaires pour correspondre à cette exigence. Ces pierres n’étaient pas donc pas vraiment des « armes » à ses yeux. 15 The Voyage of Captain Don Felipe Gonzalez to Easter Island, p. 99. 25 _________________________________________________________________________________________________________ Pour Gonzales, non seulement les Pascuans n’avaient développé aucune arme digne de ce nom, mais en plus, ils n’avaient aucune connaissance dans ce domaine. Lors de son séjour sur l’Île, il a confectionné et offert un arc à un Pascuan pour observer sa réaction et ainsi vérifier s’il connaissait ce type d’arme. Le Pascuan, tout heureux de ce cadeau, prit l’arc, et innocemment, se le passa autour du cou, l’utilisant comme décoration et démontrant ainsi qu’il n’en connaissait ni l’utilisation, ni même l’existence, bien qu’il s’agisse pourtant là d’une arme très répandue parmi la plus grande partie des peuplades à travers le monde Les mata’a sont cependant des armes redoutables. Il y a tout lieu de croire que Gonzales ne savait pas que l’obtention de leur forme et de leur tranchant impliquait un travail minutieux et un certain savoir-faire. Aussi, comme il ne le mentionne pas, peut-être n’en a-t-il pas vu d’emmanchées au bout d’un bâton. Les plaies occasionnées par les mata’a, lorsqu’elles étaient profondes, pouvaient être mortelles. Il est en effet facilement concevable que les mata’a, coupants comme des rasoirs, puissent sectionner veines et artères, provoquant ainsi des hémorragies entraînant la mort. J. Linton Palmer précisait d’ailleurs que le mata’a était davantage fait pour 16 couper que pour transpercer. Cependant, de passage en 1882, le capitaine allemand Wilhelm Geiseler fut, tout de même, quant à lui, largement impressionné par la capacité de transpercer des mata’a : “The spear was a formidable weapon because of its sharp point. These spears caused deep, mostly fatal, and, in other cases, hard to heal wounds. One skull showed that it was pierced through by a single thrust of the spear. The islanders practiced the throwing of spears and they used to be and still are able to throw 17 these accurately and far.”. 16 Palmer, J. Linton. A visit to Easter Island, or Rapa Nui, in 1868 By J. Linton Palmer, F.R.C.S., Surgeon of H.M.S. Topaze, p. 172. 17 Geiseler, Wilhelm. Geiseler’s Easter Island Report, An 1880s Anthropological Account, p. 72. 26 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ « La lance était une arme redoutable en raison de sa pointe acérée. Ces lances causaient de profondes blessures, la plupart du temps fatale, et, dans d'autres cas, des plaies difficiles à guérir. Un crâne montrait qu’il avait été transpercé par un seul coup de lance. Les insulaires pratiquaient le lancer des lances et ils avaient l'habitude et sont encore capables de le faire, de les jeter loin et avec précision. » Lancé avec vigueur, un mata’a pouvait donc transpercer même une boite crânienne. La forme donnée à la pointe d’obsidienne fixée au mata’a pourrait fort bien expliquer que celui-ci puisse dans certains cas occasionner des coupures profondes dans les chairs et dans d’autres cas littéralement transpercer certaines parties du corps. Bien que ce genre d’arme soit quelque peu rudimentaire, la technique de fixation de la pointe d’obsidienne à la hampe démontre, à tout le moins, une ingéniosité certaine : « L’extrémité où est fixée le mata’a est aménagée : la face ventrale est amincie en biseau pour que le limbe du mata’a soit dans l’alignement de la hampe. En cas de choc frontal, le mata’a ne peut pratiquement pas glisser vers l’arrière ; si cela se produisait, cela aurait pour conséquence de resserrer les liens. La face dorsale présente un cran dégagé à partir de l’extrémité hémisphérique de la hampe. Cette encoche (hakakarikari) évite 18 le glissement des liens vers le haut. ». Geiseler, tout en expliquant comment le tapa, une étoffe fabriquée à partir d’une écorce d’arbre battue, et les cordes de fibres, étaient utilisées pour fixer la pointe d’obsidienne au manche de bois, décrivit aussi un système de petites cales de bois qui permettaient de resserrer les liens fixant ces deux parties. 18 Charleux, Michel. Les mata’a, pièces pédonculées en obsidienne de Rapa Nui (île de Pâques) : un outil original dans la panoplie de l’outillage lithique polynésien, p. 12. 27 _________________________________________________________________________________________________________ 28 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Pointe d’obsidienne attachée sur une hampe à l’aide de liens sous lesquels sont glissées des petites cales de bois taillées en angle afin de resserrer la ligature lors d’un impact. 29 _________________________________________________________________________________________________________ 30 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Il s’agissait d’un ingénieux dispositif utilisé pour s’assurer que soit maximisé le coup porté par le mata’a. Les liens étaient fixés solidement pour maintenir la pointe d’obsidienne au bout de la hampe. De plus, deux petits morceaux de bois taillés en biseau étaient fixés sous les liens faisant en sorte que si une pression était exercée sur le bout du mata’a, par un impact par exemple, la pointe d’obsidienne restait solidement accrochée. En effet, la pression vers l’arrière faisait remonter les liens sur la pente des petits morceaux de bois biseautés et avait comme conséquence de resserrer davantage la ligature fixant la pointe tranchante à la hampe. La manière d’assembler ces pointes d’obsidiennes sur la hampe de bois aurait aussi, en quelques sorte, comporté la signature de ceux qui les avaient fabriquées. En effet, la pointe d’obsidienne était fixée à une hampe, d’une longueur variant de 1,80 m à 2,40 m, à l’aide de fibres végétales. Il fut précisé aux premiers explorateurs que le nombre d’enroulements, de même que la disposition de ces enroulements et la manière de confectionner les nœuds, caractérisaient une famille ou un clan en particulier. Ainsi : « (…) les familles Pakarati et Pate (Ahu Mahatea), tribu des Tupahotu, faisaient six enroulements, tandis que les familles Rano (Hotu Iti) et Atan (Hanga Ho’onu) en faisaient sept. On comptait huit enroulements pour la tribu des Miru, neuf apparemment pour la famille Roa et treize pour la famille 19 Pakomio (Vaihu et Ana Onero) et la tribu des Ngatimo. ». il semble que la forme des mata’a était encore connue et identifiée par les Pascuans lors du passage des premières missions archéologiques. Différentes informations concernant ces pointes d’obsidienne ont en effet été recueillies par les premiers explorateurs. Ainsi, William Thomson a collecté auprès des 20 Pascuans les descriptions et les noms de neuf mata’a différents. 19 Charleux, Michel. Les mata’a, pièces pédonculées en obsidienne de Rapa Nui (île de Pâques) : un outil original dans la panoplie de l’outillage lithique polynésien, pp. 12, 13. 20 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 536, pl 56-57. 31 _________________________________________________________________________________________________________ Aussi, Katherine Routledge rapporte que les Pascuans lui ont nommé et décrit jusqu’à quatorze sortes de mata’a différents en fonction de leurs 21 formes. Métraux a même pu catégoriser les cent-quatre-vingt-quatorze pointes d’obsidienne des collections du Bishop Museum en six catégories, selon les différentes formes de mata’a, lesquelles correspondaient d’ailleurs à 22 différents noms que lui avaient donnés les Pascuans. On peut cependant se demander si les Pascuans interrogés par les différents explorateurs ont seulement décrit les formes de mata’a qu’ils avaient sous les yeux sans qu’il s’agisse nécessairement de formes taillées dans un but précis ? En effet, si dans certains cas il semble évident que certains éclat d’obsidienne ont été délibérément taillées selon une forme voulue, tel la forme en pointe de lance, idéale pour transpercer, ou la forme en arrondi tranchant ou présentant plusieurs petites faces, idéale pour couper les chairs, dans d’autres cas cela semble n’être que de simples variantes de ces deux formes de base. Il semble en effet que la forme en pointe de lance pouvait être plus pointue ou au contraire plus évasée à sa base, un des deux côtés pouvant aussi être plus large que l’autre. La forme arrondie pouvait être remplacée par plusieurs petits tranchants droits se succédant, donnant une impression d’arrondi tout en formant des figures variées. Le fait que plusieurs explorateurs, venus sur l’Île de Pâques à des époques bien différentes, aient recueilli de vive voix des Pascuans, des noms pour différentes formes de mata'a, rend cependant possible que des pointes d’obsidiennes meurtrières aient été confectionnées volontairement selon différentes formes, mais dans quel but ? Il est possible de faire plusieurs suppositions : on peut penser à un progrès améliorant progressivement la forme des mata’a au rythme du perfectionnement de la technique de taille motivé par l’importance des dégâts causés par l’arme. 21 22 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 223. Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 167. 32 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Une autre possibilité serait que les différents clans aient privilégié, chacun de leur côté, une certaine variation de la forme de mata'a en fonction de leur efficacité. On peut aussi supposer que tout comme le nombre de liens et de nœuds pour fixer la pointe meurtrière sur la hampe, les mata’a auraient constitué une sorte de signature du clan qui les fabriquait et les utilisait. Nous croyons d’ailleurs qu’il n’est pas anodin, que les armes les plus utilisées par les Pascuans aient porté le nom de mata’a, que les Pascuans, de manière générale, appelaient mata les différents clans de l’Île, et que les chefs de guerre de ces différents clans étaient des matatoa. Les clans, les chefs de guerre et les armes utilisées par les Pascuans semblent donc avoir une racine linguistique commune. 33 _________________________________________________________________________________________________________ Un art du combat Selon Thomas Barthel, les Pascuans essayaient de tromper leurs adversaires sur la direction que prendrait le mata’a lorsqu’ils leur donnaient l’élan nécessaire pour le projeter. L’ennemi était cependant préparé à ce genre de feinte et avait développé l’art d’éviter le lancer du mata’a : « Il y avait deux techniques qui pouvaient rendre cette arme inopérante : le guerrier esquivait avec un élégant mouvement de la tête, laissait passer la pointe d’obsidienne et ensuite poussait violemment avec la tête contre la hampe du javelot. Cette tactique absolument courageuse était considérée comme une insulte honteuse. D’autres attrapaient même ces armes au vol. Contre ce type de défense on trouva seulement deux nouvelles méthodes d’attaque. Soit la hampe du javelot présentait des courbes irrégulières et leur trajectoire était pratiquement impossible à déterminer, soit on plaçait sur la hampe en bois mou de « ti » de petits éclats d’obsidienne dirigés vers l’avant, ce qui rendait absolument impossible le fait que le défenseur 23 puisse l’agripper. » Les Pascuans avaient donc développé des astuces ingénieuses afin de maximiser le potentiel meurtrier de leurs armes. Thomson considérait que les armes des Pascuans étaient simples, mais qu’ils les maniaient en faisant preuve de beaucoup de compétence et d’une grande 24 dextérité. D’ailleurs, les Pascuans interrogés par Routledge se souvenaient d’un guerrier, qui lançant son mata’a du haut d’une colline située près de 25 Anakena, aurait tué un ennemi à une distance de plus de trente-cinq verges. De nos jours, ces mata’a sont encore confectionnés selon la méthode ancestrale et sont utilisés sur l’Île de Pâques lors de concours annuels. Selon 23 Charleux, Michel. L’outillage lithique de l’Île de Pâques. Considérations générales. Contribution à l’étude technologique et typologique de l’outillage pédonculé en obsidienne : les mata’a, p. 258. 24 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p.474. 25 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 224. 34 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ M. Charleux, elles « sont redoutables d’efficacité et les applaudissements nourris saluent les javelots qui traversent de part en part les bananiers qui 26 servent de cible. » Toutes ces informations et ces détails très précis concernant la fabrication et l’utilisation meurtrière des mata’a nous confirment sans l’ombre d’un doute que les obsidiennes taillées en forme de pointes meurtrières étaient bel et bien conçues et taillées pour servir d’armes, et qu’elles étaient particulièrement efficaces. Le grand soin qu’avaient pris les Pascuans pour confectionner leurs mata’a, l’élaboration de dispositifs ingénieux pour éviter que l’ennemi n’attrape ces lances et ne les réutilise rapidement, et le grand nombre de pointes de mata’a retrouvées à la surface de l’Île et dans les fouilles lors des premières missions archéologiques, ne peut que nous convaincre qu’il y aurait effectivement eu, sur l’Île de Pâques, des conflits suffisamment importants pour donner lieu à un véritable art du combat. Des conflits réguliers Englert qui s’est beaucoup intéressé à la culture ancienne des Pascuans, rapporte que beaucoup de conflits armés auraient eu lieu sur l’Île, mais que le plus souvent ces conflits de courte durée surgissaient entre des groupes proches parents. Métraux précise cependant qu’il existait plus particulièrement une rivalité constante entre différents clans de l’Île, particulièrement entre les clans situés 27 dans la partie est et ceux situés dans la partie ouest de l’Île. En effet, selon Métraux, les clans présents sur l’Île étaient divisés en deux grands groupes occupant des territoires distincts correspondant plus ou moins à la partie ouest et nord et à la partie est de l’Île. Les tribus de la partie ouest et nord étaient appelées Tuu, Ko Tuu ou Mata Nui, qui signifie le « grand 26 Charleux, Michel. Les mata’a, pièces pédonculées en obsidienne de Rapa Nui (île de Pâques) : un outil original dans la panoplie de l’outillage lithique polynésien, p. 10. 27 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 149. 35 _________________________________________________________________________________________________________ groupe », et celles de la partie est, étaient appelées Hotu Iti ou Mata Iti qui signifie « petit groupe ». Le groupe des tribus de l’Est semblait plus unifié que celui de l’Ouest et du 28 Nord. Or, au Nord de l’Île, se seraient installé les premiers colonisateurs, arrivés avec le premier roi Hotu Matua, et à l’Ouest, se situe le clan Miru, clan très proche du clan royal. Le territoire à l’Est de l’Île, ou pour être plus précis au sud-est, était sous le contrôle des « Longues oreilles » avant leur 29 extermination. La raison de la rivalité entre les deux groupes n’est pas vraiment claire pour Métraux. Il mentionne cependant que rien dans la tradition orale ne permet de conclure à une division sociale des deux groupes et suggère donc plutôt une division politique : deux confédérations de clans 30 se disputant l’entière hégémonie du territoire de l’Île. Il est en effet manifeste pour Métraux qu’un antagonisme existait entre ces deux groupes. L’Île était géopolitiquement divisée en deux parties correspondant aux territoires respectifs occupés par les deux groupes installés sur l’Île, lesquels étaient constamment en rivalité pour obtenir le plus de pouvoir possible. Routledge précise que ces deux confédérations étaient en guerre continuelle et que dans la période récente les batailles semblent avoir été constantes, les clans Koro-orongo, Tupahotu, Ureohei et Ngaure, situés au Sud-Est, combattant les clans Haumoana, Miru, Marana, Hamea et Raa, situés au 31 Nord-Ouest. Nous avons pu voir lors d’une précédente étude que les « Longues oreilles » et les Tupahotu seraient des Incas restés sur l’Île de Pâques lors du passage de l’Inca Tupac Yupanqui durant son expédition dans l’océan Pacifique vers 1465. Les descendants d’un deuxième peuple auraient donc été présents sur l’Île et se seraient été concentrés sur la côte Sud-Est. Ils auraient été 28 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 124. Daude, Jean Hervé. Île de Pâques - L’empreinte des Incas. 30 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p.124. 31 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, pp.223, 284. 29 36 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ régulièrement en conflit avec les premiers colonisateurs, qui eux, étaient 32 concentrés sur la côte Nord-Ouest. Lors de ces conflits, tout Pascuan le moindrement expert dans l’art de la 33 guerre devenait un chef de troupe. Métraux ajoute que chaque Pascuan en bonne forme était un guerrier en puissance et que chaque clan avait son chef de guerre, appelé matatoa, dont la force et le courage étaient reconnus par tous. Ces matatoa auraient bénéficié de certains privilèges, entre autres, celui d’être nourri par leur clan sans avoir à travailler. Dans certains cas, ils étaient aussi chefs de clans, et pouvaient même exercer, temporairement, une 34 certaine suprématie sur l’ensemble des clans. Constatant l’importance accordée aux chefs de guerre dans l’organisation sociale des différents clans, Métraux en déduit que non seulement des conflits importants avaient lieu, mais qu’en plus ils affectaient fort 35 probablement la vie de tous les jours des Pascuans. Cette préoccupation constante pour la guerre se retrouvait aussi jusque dans les jeux des enfants. Ainsi, à partir d’un certain âge, ces jeux comprenaient un entraînement au lancer de simples pierres, mais aussi et surtout de 36 mata’a. Des instructeurs spécialement désignés pour l’enseignement du lancer et de l’esquive du mata’a étaient appelés les mata’u. L’entraînement donné par les mata’u aurait permis de développer une grande compétence au maniement de 37 ces armes chez les jeunes hommes. Les jeux de guerre auraient aussi constitué l’amusement favori lors des 38 fêtes. Des Pascuans ayant une certaine expertise dans le traitement des blessures, appelés tangata rara haoa, étaient chargés de soigner les plaies 32 Daude, Jean Hervé. Île de Pâques - L’empreinte des Incas. Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 224. 34 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, pp. 138,139. 35 Ibid., p. 149. 36 Ibid., p. 149. 37 Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 140. 38 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 149. 33 37 _________________________________________________________________________________________________________ superficielles que les participants pouvaient s’infliger lors des entraînements 39 ou des fêtes. Par ailleurs, toujours selon Métraux, les Pascuans étaient tellement préoccupés par les guerres de clans qu’ils observaient constamment la direction des vents, laquelle avait pour eux une importance vitale lors des conflits. La direction des différents vents était bien identifiée et chacun d’eux portait un nom. Les Pascuans ont d’ailleurs fourni à Métraux les noms qui 40 servaient à identifier sept directions différentes de vents. Des vents soufflant dans une certaine direction étaient considérés défavorables à certains clans, car lors d’un conflit, les ennemis pouvaient profiter de vents propices pour attaquer. Métraux ajoute même que l’ennemi n’attaquait que 41 lorsque ces vents leur étaient favorables. Selon nous, les clans devaient donc porter une attention particulière et continue à la direction des vents afin de ne pas être pris au dépourvus lors d’une attaque surprise. L’Île de Pâques étant souvent balayée par de grands vents, la direction vers laquelle ils soufflaient devaient effectivement procurer un énorme avantage aux attaquants lorsque des vents favorables leurs permettaient de projeter bien plus loin leurs mata’a. Conséquemment, ces mêmes vents limitaient la portée des mata’a des Pascuans qui étaient attaqués. Il semble donc, qu’à l’Île de Pâques, les conflits étaient si nombreux et importants qu’ils engendraient une préoccupation constante même en ce qui a trait à la direction des vents. Les Pascuans avaient donc développé des armes meurtrières efficaces que l’on a d’ailleurs retrouvées en quantité sur le sol de l’Île. Ils avaient aussi développé un art du combat et semblaient avoir une préoccupation constante pour la guerre. Si la plupart des conflits étaient de courte durée entre des individus ou des groupes proches parents, il existait cependant aussi une rivalité constante entre différents clans de l’Île qui pouvait potentiellement dégénérer et occasionner des conflits plus longs et plus importants. 39 Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 140. Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 54. 41 Ibid., p.165. 40 38 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ CHAPITRE II Une grande guerre En plus des rixes fréquentes, un conflit nettement plus important se serait produit, à une certaine époque, sur l’Île de Pâques. En effet, selon les informations recueillies par Englert, il y aurait eu vraisemblablement ce qu’il qualifie d’une « vraie » guerre, laquelle aurait perduré sur une très longue période de temps et aurait eu des effets dévastateurs sur la population. Cette 42 grande guerre aurait conduit au renversement de tous les moai. N. Cauwe est cependant d’opinion contraire. Selon lui, il n’y aurait jamais eu aucune trace d’une guerre généralisée sur l’Île de Pâques. Il mentionne qu’au cours du XVIIIe siècle et au début du siècle suivant, les voyageurs occidentaux ont pu observer des moai encore intacts sur leur ahu, alors que d’autres étaient déjà couchés à terre. N. Cauwe spécifie que, durant toute cette période, aucun visiteur n’observa la moindre bataille; personne ne décrivit un seul village ruiné ou des champs dévastés, aucun témoin ne rencontra d’hommes blessés ou portant d’autres séquelles inhérentes à de la violence. Cet auteur met donc en doute que les Pascuans se soient battus régulièrement durant près d’un siècle, oubliant ou masquant leurs querelles 43 dès qu’un bateau jetait l’ancre au large de leur île. N. Cauwe de conclure que les moai n’ont pas pu être jetés à terre durant des guerres tribales, et que : « la « chute » des moai n’a donc pas existé et que si les statues ont été couchées, c’est pour des nécessités qui n’ont guère de 44 connotations guerrières. ». Qu’en est-il réellement ? 42 Englert, P. Sebastian. La Tierra de Hotu Matu’a, Historia, Etnologia y Lengua de la Isla de Pascua, p.129. 43 Cauwe, Nicolas. Île de Pâques, le grand tabou, pp. 62, 65. 44 Ibid., p.69. 39 _________________________________________________________________________________________________________ Durée de la grande guerre Englert apporte certaines précisions qui peuvent nous éclairer à propos de cette grande guerre. Celle-ci aurait eu lieu entre les clans de la côte nordouest, les Miru et leurs alliés, et les clans de la côte sud-est, les Tupahotu et leurs alliés. Notons que cette division territoriale entre les clans antagonistes correspond d’ailleurs très bien à la division géopolitique mentionnée par Métraux. Les informations recueillies par Thomson permettent de situer cette guerre de clans à la suite d’un autre conflit important ayant déjà eu lieu sur l’Île. Cette guerre se serait produite bien des années après une grande bataille ayant eu pour conséquence l’extermination du peuple des « Longues oreilles ». Thomson rapporte en effet que suite à l’extermination des « Longues oreilles » : “The tradition goes on to state that peace reigned on the island, and the people increased in numbers and prosperity. In the course of time dissensions arose between the different families 45 or clans, which led to open hostilities.”. « La tradition mentionne que la paix régna sur l'île, et que le nombre de personnes s’est accru et qu’elles seraient devenues plus prospères. Au cours du temps des dissensions ont surgi entre les différentes familles ou clans, qui ont débouché sur des hostilités ouvertes. ». Pour que la population puisse s’accroître de manière substantielle et qu’elle puisse bien vivre de ses ressources, il a donc fallu qu’il y ait une période de paix suffisamment durable entre le premier conflit ayant conduit à l’extermination des « Longues oreilles » et le début des hostilités ayant mené à cette grande guerre. Contrairement à Englert qui situe l’extermination des « Longues oreilles » quelques années avant le début de ce grand conflit, lors d’une précédente 45 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 529. 40 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ 46 étude nous avons envisagé que les « Longues oreilles » aurait été exterminées un peu avant l’an 1600, période qui correspondrait aussi à la déforestation de l’Île. Il aurait donc pu s’écouler quelques générations avant le début des hostilités ayant conduit à la grande guerre. Nous ne possédons pas suffisamment d’informations pour pouvoir établir la période exacte du début des hostilités. Cependant, Englert affirme pouvoir établir avec une certaine précision que le paroxysme de cette guerre aurait eu lieu un peu avant 1774, date à laquelle le capitaine Cook, lors de son escale, 47 signale le premier que des moai gisent à terre au pied de leur ahu. Il est intéressant de mettre cette déduction de Englert en parallèle avec l’information suivante provenant des recherches de M. Charleux à l’effet que : « Les fouilles archéologiques confirment que les mata’a n’apparaissent en stratigraphie que tardivement, vers 1400 AD à 1500 AD, avec une production qui « explose » littéralement jusque vers 1700 AD pour se tarir en quelques dizaines d’années. Cette explosion productive correspond très précisément au moment de la période très agitée 48 d’affrontements entre les différents clans de l’île. » Les mata’a auraient donc été produits de plus en plus abondamment, et la production de ces armes aurait été à son maximum dans les années 1700. Bien que ce genre de datation ne puisse être qu’approximative, elle nous éclaire cependant sur le fait que la production d’armes se serait accrue au fil des siècles et aurait culminée dans la période de temps où les batailles seraient devenues plus fréquentes en raison d’un conflit majeur et relativement long. 46 Daude, Jean Hervé. Île de Pâques - L’empreinte des Incas. Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 140. 48 Charleux, Michel. Les mata’a, pièces pédonculées en obsidienne de Rapa Nui (île de Pâques) : un outil original dans la panoplie de l’outillage lithique polynésien, p. 4. 47 41 _________________________________________________________________________________________________________ Comptes-rendus des premiers explorateurs Les comptes-rendus des premiers visiteurs ayant fait escale à l’Île de Pâques à des époques bien différentes peuvent nous fournir des informations intéressantes sur la situation qui prévalait au moment de leur passage. L’analyse de ces comptes-rendus peut aussi nous permettre de vérifier l’existence de cette grande guerre, ainsi que sa progression au fil des ans. Jacob Roggeveen, lors de la découverte de l’Île en 1722, n’a pas mentionné avoir vu des armes sur l’Île, et il n’a, en aucun cas, mentionné avoir remarqué des statues renversées au pied des ahu. Il ne fut cependant que quelques heures sur l’Île et n’a donc pu observer qu'une petite partie de celleci, sa préoccupation première étant de ravitailler son navire. Ainsi, Roggeveen a pu se procurer des vivres en abondance, dont : une grande 49 quantité de cannes à sucre, de la volaille, des racines et des bananes. Carl Friedrich Behrens, membre de l’expédition, a spécifiquement mentionné 50 que les Pascuans ne portaient pas d’armes. Aussi, parlant des cultures des Pascuans, il relate que : « Tout y était planté, semé et labouré. Les arpents étaient séparés les uns des autres avec beaucoup d’exactitude, et les limites tirées au cordeau. Dans le temps que nous y fûmes, presque tous les fruits et plantes étaient dans leur maturité. Les 51 champs et les arbres en étaient chargés abondamment. ». Il semble que les poulets étaient aussi abondants, puisque jusqu’à 500 poulets 52 leur furent offerts. Les Pascuans semblaient donc jouir d’une relative bonne qualité de vie lors du passage de Roggeveen. 49 The Journal of Jacob Roggeveen, p. 95. Behrens, Carl Friedrich. Histoire de l'expédition de trois vaisseaux envoyés par la Compagnie des Indes occidentales des Provinces-Unies, aux terres australes en MDCCXXI, p. 134. 51 Ibid., p. 132. 52 Ibid., p. 129. 50 42 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Il s’écoula bien des années avant qu’une autre expédition occidentale ne vienne jusqu’à l’Île de Pâques puisque ce n’est que quarante-huit ans plus tard, soit en 1770, que l’expédition de Don Felipe Gonzales y fit escale. Gonzales a lui aussi rapporté qu’il a pu facilement se procurer des vivres en 53 abondance, dont des plantains, du piment chilien, des patates douces et des 54 volailles. Bien qu’ayant parcouru l’Île durant trois jours consécutifs, l’équipage de Gonzales, n’a pas non plus signalé avoir aperçu des statues tombées, ni même aucun signe pouvant laisser croire qu’il y aurait eu un violent conflit. Notons cependant, comme nous avons pu le voir, que Gonzales a quand même signalé les plaies profondes laissées par des pierres coupantes qui ne seraient autres que des mata’a. Des Pascuans maintenant armés Lorsque quatre ans plus tard, soit en 1774, Cook fait escale à l’Île de Pâques, la situation semble avoir changé du tout au tout puisque celui-ci constate que : « Quelque pacifiques, quelque bons que semblent être ces insulaires, ils ne manquent pas d’armes offensives, telles que des massues de bois courtes et des piques : ces piques sont des batôns tortus (tortueux) d’environ six pieds de long, armés à une 55 extrémité d’un morceau de caillou. ». Les Pascuans étaient donc maintenant armés. Était-ce parce qu’ils craignaient dorénavant les Occidentaux ? Pourtant la seule visite rapportée fut celle de 53 Cette plante est originaire d’Amérique et selon notre précédente étude : sur l’Île de Pâques, le cuy, animal typiquement andin, aurait été cuisiné et consommé en même temps que le fruit de cette plante. 54 The Voyage of Captain Don Felipe Gonzalez to Easter Island, p. 121. 55 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 225. 43 _________________________________________________________________________________________________________ Gonzales, quelques années auparavant, et tout s’était alors relativement bien passé. Cook spécifie que les Pascuans venus à sa rencontre paraissaient inoffensifs et accueillants. Les armes que portaient les Pascuans ne semblaient donc pas avoir pour but de se protéger contre les hommes de Cook, ou même de les attaquer. Lors de son arrivée aux abords de l’Île de Pâques, Cook mentionne la présence de nombreuses statues debout : « Un grand nombre de colonnes noires ; rangées le long de la côte, frappaient nos yeux de toutes parts ; plusieurs étaient élevées sur des plates-formes, nous y distinguions déjà quelque chose de ressemblant à une tête, et à des épaules humaines vers la partie supérieure ; mais le bas paraissait une roche grossière et informe. Souvent nous en comptions deux, quatre et cinq 56 dans un même groupe. ». Cependant, à l’occasion d’une visite à l’intérieur de l’Île, des membres de son équipage ont constaté que des moai gisaient par terre au pied de ahu. Cook serait donc le tout premier explorateur occidental à rapporter avoir vu des moai tombés. Se pourrait-il qu’une guerre de clans ait sévi au moment de l’arrivée de Cook et que celui-ci ne s’en soit pas aperçu ? Nous savons, d’après la tradition orale, qu’en dépit des conflits réguliers entre les clans, une trêve temporaire avait cependant lieu lors de grandes cérémonies annuelles. Ainsi en était-il lors du rite de l’Homme-oiseau et lors du concours de lecture des tablettes Rongo rongo. Thomson rapporte d’ailleurs que la fête de la lecture des tablettes Rongo rongo qui se déroulait à Anakena était considérée comme la fête la plus importante pour les 56 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 190. 44 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Pascuans et que pas même la guerre ne pouvait empêcher le déroulement de 57 cette fête. Il se pourrait fort bien que le même genre de trêve ait eu lieu lors de la visite de certains navires occidentaux. Pour les Pascuans, il devait effectivement s’agir d’un évènement hors de l’ordinaire dont l’importance était fort probablement comparable aux grandes cérémonies annuelles. Cook relate d’ailleurs qu’une centaine de Pascuans s’étaient rassemblés autour de son lieu de débarquement et qu’ils avaient tellement envie de voir arriver ses hommes, que plusieurs se jetèrent à l’eau pour nager à la 58 rencontre de leurs chaloupes. En plus du côté spectaculaire de cet événement qui venait rompre la routine des Pascuans, ceux-ci avaient aussi un intérêt particulier pour essayer de se procurer, auprès des visiteurs de passage, des objets qu’ils ne connaissaient pas et qui faisaient leur envie, que se soit par des échanges ou par la rapine. Tous les premiers navigateurs mentionnent d’ailleurs l’avidité des Pascuans pour les vêtements qu’ils portaient et pour les objets qu’ils avaient à bord de leur navire. Ainsi Cook mentionna que : « (…) Mais le désir de posséder les joujous, et les curiosités que nous apportions parmi eux, donnant à leurs désirs une force irrésistible les empêchaient de réfléchir sur les besoins 59 pressants, que bientôt ils éprouveraient (…) ». Tous les Pascuans pouvaient donc possiblement trouver leur compte à ces visites imprévues, soit par le côté spectaculaire de l’arrivée de ces navires et de ces étrangers si différents d’eux, ou par les objets nouveaux qu’ils allaient pouvoir obtenir. Les Pascuans pouvaient donc vraisemblablement mettre de côté leurs querelles durant ces moments importants. 57 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 514. Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 191. 59 Ibid., p. 222. 58 45 _________________________________________________________________________________________________________ Le compte-rendu détaillé de la visite de l’Île effectuée par des officiers, des membres d’équipage et différents spécialistes accompagnant l’expédition peut nous apporter des informations intéressantes sur la situation des Pascuans lors du passage de Cook. Cook relate que plusieurs membres de son expédition, pour aller explorer l’Île, se sont amarrés dans une anse près d’un ahu nommé hangaroa, lequel 60 comportait trois moai érigés . Cette anse était donc située du côté nord-ouest de l’Île près de l’actuel petit village de Hanga Roa. Cook mentionne que cette petite troupe emprunta un sentier qui : « (…) les conduisit au côté S.E. (sud-est) de l’île, et ils furent suivis d’une foule nombreuse des Naturels (Pascuans), qui se précipitaient vers eux avec beaucoup d’empressement. Bientôt un homme d’un moyen âge, tatoué depuis les pieds jusqu’à la tête, et ayant un visage peint d’une sorte de piment blanc (peinture blanche), parut avec une pique (un mata’a) à la main, se promena à côté d’eux, et fit signe à ses compatriotes de se tenir éloignés et de ne pas incommoder les étrangers. Il arbora ensuite un morceau d’étoffe blanche sur sa pique, et se plaçant à leur tête, il les conduisit lui-même, en agitant ce pavillon de 61 paix. ». Une fois rendu de l’autre côté de l’Île, les membres de l’expédition constatèrent que des moai gisaient par terre. “On the east side, near the sea, they met with three platforms of stone work, or rather the ruins of them. On each had stood four of those large statues, but they were all fallen down from two of them, and also one from the third; all except one were broken by 62 the fall, or in some measure defaced.”. 60 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 203. 61 Ibid., p. 204. 62 Ibid., p. 282. 46 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ « Sur le côté est, à proximité de la mer, ils rencontrèrent trois plates-formes faites de pierres ou plutôt, les ruines de celles-ci.; sur chacune d'entre elles, s'étaient élevé quatre grandes statues, mais elles étaient toutes tombées de deux des plates-formes de même qu'une de la troisième; seulement l'une des statues n'avait pas été abîmée par la chute ni défigurée de quelque façon que ce soit. ». À l’origine, sur chacun de ces ahu, avaient donc été érigés quatre moai qui étaient coiffés d’un couvre-chef appelé pukao. Sur deux de ces ahu, tous les moai, sans exception, avaient été jetés à terre. Sur le troisième ahu, un moai avait aussi été mis à terre. Il fut constaté que seul un moai gisant à terre n'avait pas été abîmé par la chute ou à aucun degré défiguré ; cela signifie que sur les neuf moai gisant à terre, huit d’entre eux étaient donc en très mauvais état. Il semble que ces moai n’avaient en aucun cas été déposés délicatement au sol, mais qu’ils avaient bel et bien subi une chute brutale. Notons aussi qu’un des moai gisait intact par terre ; la chute d’un moai ne le brisait donc pas nécessairement. Le fait de retrouver un moai intact par terre ne permet donc en aucune façon de considérer qu’il a nécessairement été déposé délicatement au sol. L’expédition de reconnaissance continua sa progression, et : « De cet endroit ils suivirent la direction de la côte au N. E. (nord-est) : l’homme, qui leur servait de guide, marchait 63 toujours le premier, agitant son pavillon. ». « Ils observèrent, en passant, un grand nombre d’Indiens (Pascuans) rassemblés sur une colline, tenant des piques (mata’a) à la main ; mais ils se dispersèrent à la voix de leur compatriote, excepté cinq ou six, l’un desquels semblait être un Indien d’importance. C’était un homme robuste et bien fait, d’une physionomie ouverte : il avait le visage peint, le corps tatoué, il portait un habit ou vêtement meilleur que celui des 63 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 205. 47 _________________________________________________________________________________________________________ autres, et un grand chapeau de longues plumes noires (…). Le porte-étendard donna son pavillon blanc à cet homme, qui paraissait être le chef de l’île ; celui-ci le remit à un autre, qui le 64 porta devant eux le reste du jour. ». Les membres de l’expédition de Cook pensèrent que ce Pascuan qu’ils venaient de rencontrer pouvait être le chef de l’Île et crurent qu’un nom qu’ils recueillirent de sa part aurait pu être le nom de l’Île. Lorsqu’ils manifestèrent leur désir de continuer leur visite vers le Nord-Est, ce chef : « (…) parut mécontent de ce que nous désirions continuer notre marche, et il nous pria de retourner sur nos pas, en nous promettant de nous accompagner ; mais voyant que nous étions déterminés à aller plus avant, il finit ses supplications, et nous 65 suivit. ». Une trêve lors de l’escale de navires occidentaux Certains événements qui se sont produits lors de cette excursion à l’intérieur de l’Île nous paraissent particulièrement intrigants. Selon nous, tous ces petits événements qui apparaissent saugrenus et difficilement compréhensibles s’expliqueraient par le fait que Cook serait effectivement arrivé lors d’un important conflit entre clans. Notre interprétation de cette excursion dans l’Île est la suivante : des membres de l’expédition de Cook ont débarqué dans la baie de Hangaroa qui est située dans la partie nord-ouest de l’Île. Lorsqu’ils prirent la direction de la partie sud-est de l’Île, en compagnie de plusieurs Pascuans, un insulaire se joignit à la troupe et donna des directives aux autres Pascuans qui l’écoutèrent. Celui-ci précéda la marche de tout le groupe en brandissant une lance à laquelle il avait attaché une étoffe blanche. Cette étoffe blanche qu’il 64 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 207. 65 Ibid., p. 208. 48 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ brandissait, ainsi que son visage peint en blanc, auraient été fort probablement un signe de paix. Bien que nous n’ayons pas d’informations précises au sujet de l’utilisation de la couleur blanche, nous savons cependant qu’à l’opposé, l’utilisation de la couleur noire, était un signe de guerre 66 reconnu par les Pascuans. Compte tenu de l’antagonisme qui sévissait entre les deux grandes confédérations de l’Île, il est possible de croire que les Pascuans, s’aventurant du Nord-Ouest de l’Île en direction de la partie sud-est, seraient passés de leur territoire à un territoire qui n’était pas le leur, et où ils n’étaient pas nécessairement les bienvenus, puisque appartenant à l’autre confédération. L’étoffe blanche, que le Pascuan qui avait pris la tête de la troupe, balançait au bout d’une lance aurait pu être un signal à l’effet qu’il ne venait pas en ennemi, mais qu’au contraire, il demandait une trêve pour une circonstance très spéciale. Une fois rendue dans la partie sud-est de l’Île, des officiers de Cook constatèrent que des moai de plusieurs ahu gisaient à terre et qu’ils avaient subi des dégâts importants dus à leur chute. Or, il semble bien qu’à cette époque, même si les moai n’étaient plus fabriqués depuis longtemps, ils revêtaient toujours un caractère sacré pour les Pascuans : « Nous n’avons pas remarqué que les naturels (Pascuans) rendent aucun culte à ces colonnes (moai) ; ils paraissent cependant avoir pour elles de la vénération ; car ils témoignent du mécontentement lorsque nous marchions sur l’espace pavé, ou sur les piédestaux, ou que nous en examinions les 67 pierres. ». Cook mentionne que cette petite troupe, continuant sa marche, rencontra d’autres moai qui étaient debout. : 66 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 108. Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 196. 67 49 _________________________________________________________________________________________________________ « (…) quelques-unes placées en groupes sur des plates-formes de maçonnerie, d’autres seules, enfonçées en terre et à peu de profondeur : en général, ces dernières sont beaucoup plus 68 grosses que les autres. ». Selon ce compte-rendu, l’une de ces statues, légèrement enfoncée en terre, procurait suffisamment d’ombre pour que toute la troupe, composée d’une 69 trentaine de personnes, puisse se mettre à l’abri des rayons du soleil. Ces moai légèrement enfoncés en terre ne sont pas ceux du Rano Raraku qui sont en très grande partie enfouis de très longue date. Il s’agirait plutôt des moai qui furent retrouvés ultérieurement par d’autres expéditions gisant sur le sol le long de certains chemins de l’Île. Ces moai ont été considérés par certaines missions archéologiques comme des moai brisés au cours de leur transport et abandonnés sur les lieux. Comme ils étaient plus massifs que les moai autrefois érigés sur les ahu , il a été considéré que leur transport avait été trop difficile et que cela expliquerait leur bris. Nous croyons cependant que la plus grande partie de ces moai qui gisent le long des chemins aurait été des moai érigés à cet endroit et que pour les stabiliser, ils auraient été légèrement enfoncés dans le sol. Analysant la situation à l’aide de plusieurs indices découverts sur le terrain, Routledge en arrive à la conclusion que ces moai répartis le long des chemins partant du Rano Raraku auraient été placés de cette manière afin de 70 constituer en quelque sorte des allées triomphales. Lavachery ne croit cependant pas que cela soit possible, car selon lui, cette façon de faire ne 71 serait pas typiquement Polynésien. Or, nous avons pu voir lors d’une précédente étude que des nouveaux arrivants issus d’un deuxième peuple 68 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 208. 69 Ibid., p. 208. 70 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 196. 71 Lavachery, Henri. Île de Pâques, p. 186. 50 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ 72 seraient les véritables instigateurs des moai. Il est donc vraisemblable que cette façon de faire, tout en ayant eu lieu, ne soit pas Polynésienne. Ces moai auraient été renversés violemment pour les mêmes raisons que les moai érigés sur les ahu, de sorte qu’à terme, il n’y eut plus aucun moai dressé sur toute la surface de l’Île. La petite troupe continuant son chemin rencontra ensuite un groupe de Pascuans rassemblés au sommet d’une colline. Ils étaient tous armés comme s’ils étaient prêts à se battre. Peut-être que prévenus par une vigie ils s’étaient rassemblés à cet endroit. Nous savons en effet que les Pascuans se réfugiaient sur les collines lors de combats : leur position en hauteur leur donnant fort certainement un avantage lorsqu’ils lançaient leurs mata’a sur leurs ennemis situés plus bas. Tout au contraire, ceux-ci situés au pied de la colline avaient certainement beaucoup plus de difficultés à lancer leurs mata’a vers la position surélevée de leurs ennemis. Un dialogue eut lieu entre les Pascuans accompagnant les hommes de Cook et ces guerriers regroupés, et le drapeau blanc fut remis au chef de ces guerriers, qui le confia à un de ses hommes. Ce dernier ouvrit la marche en agitant toujours le fameux drapeau blanc dans les airs. Le chef de l’attroupement sur la colline se montra ensuite très réticent à aller de l’avant en direction du Nord-Est. Il se pourrait bien qu’il ait craint de s’aventurer en direction du territoire de clans ennemis. Finalement, devant la détermination des Anglais à continuer dans cette direction, le chef se décida quand même à suivre la troupe. Alors qu’il évalua la population de l’Île à au moins sept cents habitants, Cook s’étonna de n’avoir aperçu que très peu de femmes : « Toutes les femmes que nous avons vues dans les différentes parties de l’île, ne montent pas à trente, quoique nous l’ayons traversée presque d’un bout à l’autre, et il n’est point du tout 72 Daude, Jean Hervé. Île de Pâques - L’empreinte des Incas. 51 _________________________________________________________________________________________________________ probable qu’elles se fussent retirées dans quelques lieux 73 cachés. ». Aussi, le peu d’enfants qu’il a pu voir l’intrigua encore davantage : « Je dois dire que nous avons aperçu très peu d’enfants ; et si ce peuple jugeait à propos de soustraire ses femmes à nos yeux, il n’y avait aucune raison de cacher les enfants. Cette matière reste 74 ainsi dans l’obscurité (…) ». Cook se demanda alors pourquoi les Pascuans garderaient plus jalousement 75 leurs femmes à l’abri des étrangers que ne le font les Tahitiens. Notons que Roggeveen observa le même phénomène, puisque peu de femmes étaient présentes lors de son arrivée : “It is also very notable that we saw no more than 2 to 3 old women (…) but young women and daughters did not show themselves, so that it is to be believed that jealousy will have 76 induced the men to hide them at a separate part of the island.” « Il est aussi très remarquable que nous ne vîmes pas plus de 2 à 3 vieilles femmes (…) cependant, si les jeunes femmes et les filles ne se montraient pas, on pouvait penser que la jalousie avait incité les hommes à les cacher dans une autre partie de l’Île. ». Il semble qu’effectivement les femmes étaient cachées, puisque plus tard dans la journée, Behrens signale la présence en plus grand nombre de 73 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 232. 74 Ibid., p. 233. 75 Ibid., pp. 232, 233. 76 The Journal of Jacob Roggeveen, pp. 99, 100. 52 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ femmes et d’enfants. Il ajoute aussi que des Pascuans proposaient même que 77 quelques femmes puissent être emmenées sur le bateau. Cette situation intrigua tellement Cook qu’il crut possible que la plupart des femmes auraient pu être à l’abri dans des grottes puisqu’il n’y avait pas 78 d’autres endroits possibles pour se cacher sur l’Île. Nous croyons effectivement que les femmes étaient cachées dans des grottes et que cela expliquerait pourquoi les Pascuans avaient refusé l’accès aux grottes à Cook et à ses hommes : « Outre les cabanes, nous observâmes plusieurs amas de pierre, formant de petits mondrains, dont l’un des côtés absolument perpendiculaire, a un trou qui va sous terre. L’espace au-dedans doit être très petit, et cependant il est probable que ces cavités servent d’asile au peuple durant la nuit. Peut-être qu’elles communiquent avec des cavernes naturelles, telles qu’on en trouve parmi les courants de lave, des pays de volcan. (…) Nous aurions bien aimé de déterminer si notre conjecture avait quelque fondement ; mais les Naturels (Pascuans) ne voulurent 79 jamais nous permettre d’y entrer. » S’il est plausible que les Pascuans aient voulu mettre leurs femmes à l’abri des désirs des marins fraîchement débarqués, on comprend beaucoup moins pourquoi ils auraient voulu leur dissimuler leurs enfants. En effet, pourquoi cacher les enfants suffisamment grands lors d’un événement aussi extraordinaire pour les Pascuans que l’arrivée d’un vaisseau étranger, d’autant plus qu’à peine quelques années auparavant, le passage de Gonzales avait dû laisser des souvenirs plus que captivant dans la mémoire des insulaires. 77 Behrens, Carl Friedrich. Histoire de l'expédition de trois vaisseaux envoyés par la Compagnie des Indes occidentales des Provinces-Unies, aux terres australes en MDCCXXI, pp. 128,129. 78 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 232. 79 Ibid., pp. 199, 232. 53 _________________________________________________________________________________________________________ L’explication la plus plausible serait que les femmes et les enfants avaient plutôt été mis à l’abri dans des grottes parce qu’un conflit meurtrier sévissait entre clans. Le premier réflexe des Pascuans lors d’hostilités imminentes aurait été de mettre autant que possible leurs femmes et leurs enfants à l’abri. Or, sur l’Île de Pâques les insulaires se trouvaient dans une situation particulièrement difficile lorsque leur clan subissait une attaque et qu’ils devaient battre en retraite. L’Île étant très petite et n’étant, de surcroît, non boisée, il était impossible de se cacher efficacement à sa surface. Comme il ne s’agissait pas d’un archipel et que les terres les plus proches étaient à des centaines de kilomètres, il était impossible de partir rapidement se mettre à l’abri sur une autre île, ou sur le continent, d’autant plus que les Pascuans n’avaient plus que quelques petites embarcations de fortune pour prendre la mer. La seule solution à la disposition des Pascuans était donc de se cacher dans les nombreuses grottes dont l’Île était fort heureusement truffée. Les grottes ana Kionga Une autre possibilité permettrait d’expliquer que non seulement des femmes et des enfants aient trouvé refuge dans des grottes, mais aussi que des hommes y aient habité durant une certaine période de temps. On retrouve, dans certains villages situés sur le pourtour de l’Île, des grottes qui furent régulièrement utilisées par les Pascuans. Ces grottes comportaient un étroit couloir se terminant par une petite ouverture communiquant avec l’extérieur. La forme particulière de ce couloir, aménagé de main d’homme, obligeait la personne qui y pénétrait à certaines contorsions afin de se rendre jusqu’à la grotte comme telle. L’entrée de ces grottes était très bien dissimulée parmi tout un amoncellement de pierres. Sa position était cependant indiquée par la disposition particulière de cinq pierres disposées autour de l’orifice qui permettaient à l’œil exercé des utilisateurs de ces grottes de la repérer rapidement. 54 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Lors de son expédition spéléologique en 1983, Jean-Marie Groult a recueilli des informations des Pascuans au sujet de ces grottes bien spécifiques, appelées Ana Kionga : « (…) le clan propriétaire de la grotte pouvait y cacher un ou plusieurs sujets en conflit avec des membres d’un clan voisin, ceci afin de les soustraire à des représailles parfois sanglantes. L’Ana Kionga était un lieu tabou, interdit de profanation ; les réfugiés n’en sortaient que lorsque les querelles étaient dissipées. On dit également qu’elles servaient à y enfermer les prisonniers de guerre dont la destinée était de 80 devenir des esclaves ou victimes d’un repas anthropophage. ». Bien des années auparavant, Englert mentionnait que lors de conflits les Pascuans du clan vainqueur commettaient envers les Pascuans des clans vaincus, alors surnommés « Kio », de nombreuses atrocités démontrant, par là même, une réelle cruauté. Les kio, s’ils n’avaient pas été sacrifiés suite aux violents combats, étaient gardés par le clan vainqueur comme esclaves afin 81 de les faire travailler dans leurs champs. Métraux précisait que les kio qui devaient travailler aux champs étaient 82 parqués la nuit dans une grotte sous étroite surveillance. Notons que dans le nom ana Kionga, ana signifie grotte et que dans le nom kionga on retrouve le terme kio. Les grottes ana kionga semblent donc avoir effectivement eu un rapport avec les Pascuans vaincus, les kio. Selon J-M. Groult l’ana Kionga est caractérisée par « (…) son faible développement, son entrée unique très normalisée, et son aspect dissimulé. ». En effet, le plus souvent ces grottes sont de petite taille et possèdent un seul accès pour y entrer et sortir. Vue de l’extérieur, cette entrée est d’ailleurs très difficile à déceler, et il faut pratiquement connaître à l’avance l’endroit précis 80 Les cavernes de l’Île de Pâques (Chili), Recherches Spéléologiques, p. 22. Englert, P. Sebastian. La Tierra de Hotu Matu’a, Historia, Etnologia y Lengua de la Isla de Pascua, p. 129. 82 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, pp.139, 150, et Métraux, Alfred. Île de Pâques, p. 87. 81 55 _________________________________________________________________________________________________________ où elle est située pour effectivement réussir à la repérer. Dans bien des cas, autour de l’entrée, un léger repaire visuel systématiquement composé de cinq pierres disposées autour de l’orifice, permet de la situer exactement. En certaines circonstances, cet orifice pouvait être complètement fermé à l’aide de pierres ce qui le rendait pratiquement indécelable. Pénétrer dans la grotte n’était pas chose facile car pour y accéder il fallait emprunter un étroit couloir artificiel doté de coude à 90 degrés qui nécessitait de se contorsionner pour pouvoir y progresser. Cet aménagement expliquerait d’ailleurs pourquoi les membres d’équipage de Gonzales, lorsqu’ils firent le premier relevé topographique relativement complet de l’Île de Pâques, rapportèrent, très étonnés, que : “Most of the natives of the island dwell in underground caves, or in the hollow of some rock, the entrances to which are so narrow and inconvenient that we have seen some of them introduce themselves in the opposite manner to what is natural, 83 beginning by projecting their feet and the head last.”. « La plupart des indigènes vivent dans les grottes souterraines ou dans le creux de rochers, dont les entrées sont si étroites et si peu pratiques que nous en avons vu s’y introduire de la façon la moins naturelle, à savoir les pieds en avant et la tête en dernier. ». Le forme de certains couloirs nécessitait donc, pour ne pas rester coincé en cours de route, de s’y introduire de la manière la moins naturelle qui soit, c’est-à-dire les pieds devant. Lors de l’expédition Franco-Belge de 1934-35, Henri Lavachery décrit ainsi son exploration d’une grotte ana Kionga : « Au dehors, c’est une surface ovale couverte de gros galets amoncelés. À l’une des extrémités, Tepano (son informateur pascuan) soulève un galet rectangulaire plus plat et plus gros et 83 The Voyage of Captain Don Felipe Gonzalez to Easter Island, p. 102. 56 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ découvre l’entrée d’un puits de la largeur d’un homme. Environ deux mètres et demi de profondeur. Au fond, on devine l’entrée d’un couloir d’un demi-mètre de haut parallèle à la surface du sol. Métraux descend, car il n’est pas certain que le couloir ne sera pas trop étroit pour moi. Mais j’entends bientôt sa voix qui m’appelle. Je descends à mon tour. Le couloir est en pente. J’avance à quatre pattes dans la nuit. Je débouche dans la chambre souterraine. Une sorte de tréteau de pierre surélève une partie du sol. Des ossements, un crâne, auquel la lumière hésitante de nos torches 84 électriques donne un regard noir. ». Lavachery ajoute, qu’avec Métraux, ils ont retrouvé le même genre de grotte que celle-ci située dans d’autres villages. Les ana Kionga, grâce à leur unique entrée bien dissimulée, pouvaient donc effectivement être très appropriées pour servir de cachettes à des Pascuans qui devaient vivre à l’abri, pendant quelques temps, sous la protection des autres membres de leur clan. De plus, l’unique entrée de cette grotte qui pouvait être facilement bloquée avec une grosse et lourde pierre, et la lente progression obligatoire dans l’étroit couloir tortueux y donnant accès pour entrer et sortir, en faisait une prison très sécuritaire pour y enfermer des esclaves ou des condamnés à mort. La grande difficulté pour pénétrer dans ces grottes et la dissimulation de leur entrée étaient donc tout simplement planifiés pour des raisons de sécurité. 84 Lavachery, Henri. Île de Pâques, p. 113. 57 _________________________________________________________________________________________________________ 58 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Croquis réalisé à partir d’un dessin original de Alain Gauthier A : Vue aérienne de l’entrée d’une grotte ana Kionga dissimulée parmi un empierrement. B : Coupe latérale de la trajectoire du couloir conduisant à la grotte. C : Coupe transversale du couloir. 59 _________________________________________________________________________________________________________ 60 Guerres de clans et chute des moai 61 J.-M. Groult) Un repaire visuel composé systématiquement de cinq pierres entourée fréquemment l’entrée des grottes ana Kionga. (Photo _________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________ 62 L’entrée bloquée d’une grotte ana Kionga, parmi un amoncellement de pierres de lave, s’intègre parfaitement au décor, ce qui en dissimule d’autant l’orifice. (Photo J.-M. Groult) _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 63 _________________________________________________________________________________________________________ 64 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ J-M. Groult dans l’orifice d’une grotte ana Kionga lors d’une expédition spéléologique à l’Île de Pâques en 1983. (Photo fournie par J.-M. Groult) 65 _________________________________________________________________________________________________________ 66 Guerres de clans et chute des moai L’intérieur d’un couloir aménagé par les Pascuans pour communiquer avec une grotte ana Kionga. (Photo J.-M. Groult) _________________________________________________________________________________________________________ 67 _________________________________________________________________________________________________________ 68 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ D’autres grottes sur l’Île de Pâques ont tout simplement servi de refuges à des Pascuans qui avaient réussi à se sauver du massacre de leur clan. Selon Englert, ces kio, souvent des chefs, des guerriers et leurs femmes, réussissaient parfois à survivre en se cachant dans des grottes difficiles d'accès le long de parois abruptes. La tradition orale fait d’ailleurs mention d’un matatoa qui aurait eu un grand pouvoir sur l’Île à un moment donné, et dont les guerriers seraient partis à la recherche de Pascuans vaincus afin de rapporter de la chair humaine pour s’en nourrir. Afin de survivre à cette chasse à l’homme, trente-trois kio provenant de différents clans trouvèrent 85 refuge dans une grotte située sur un des flancs du volcan Rano Kau. Que des Pascuans et leur famille aient pu trouver refuge dans des grottes pour sauver leur vie, ou qu’ils y aient été contraints d’y habiter parce qu’ils étaient devenus esclaves, pourrait aussi expliquer les variations dans les estimations de la population de l’Île effectuées à seulement quelques années d’intervalle. En effet, Gonzales estime que l’Île était habitée par une petite population prospère qu’il estimait à au moins mille habitants parmi lesquels il n’aurait cependant aperçu que très peu de femmes. Quatre ans plus tard Cook estime cette population à seulement 700 habitants, dont aussi très peu de femmes. Alors que douze ans après, La Pérouse l’estime à plus de deux mille habitants. Il semble que les grottes pouvaient effectivement abriter un grand nombre de Pascuans, puisque selon l’appréciation du Frère Eugène Eyraud, l’Île était tellement truffée de grottes et de tunnel de lave que : « La population entière de l'Île, à un moment donné, pourrait 86 disparaître en se cachant dans ces souterrains. ». En plus de servir de refuge, de cachette pour les objets précieux, ou de lieu de réclusion pour les esclaves, il est aussi possible que des grottes aient pu, à 85 Englert, P. Sebastian. La Tierra de Hotu Matu’a, Historia, Etnologia y Lengua de la Isla de Pascua, p. 130. 86 Eyraud, Eugène. Lettre du Frère Eugène Eyraud, au Supérieur général. 69 _________________________________________________________________________________________________________ une certaine époque, constituer des lieux d’habitation à des Pascuans même en temps de paix. Thomson rapporte qu’il a, par pur hasard, découvert l’entrée d’une grotte dont l’orifice était extrêmement petit. Il mentionna qu’une fois à l’intérieur de celle-ci, des cavités spacieuses pouvaient facilement abriter confortablement plus d’un millier de personnes. Il lui a semblé évident que ce réseau de grottes avait été habité dans les temps anciens et il y a même vu 87 certains vestiges humains très anciens. Plus récemment, des spéléologues ont découvert que quelques grands tunnels de lave situés à l’intérieur des terres avaient été aménagés pour en faire de véritables petits villages souterrains. Certaines de ces habitations souterraines auraient été d’autant plus intéressantes pour les Pascuans qu’elles contenaient des petites réserves d’eau de pluie, qui traversant le sol, s’emmagasinaient à 88 certains endroits dans ces grottes. Diminution substantielle de la population Cette grande guerre entre les deux confédérations de clans aurait occasionné de nombreuses pertes de vie humaine et aurait diminué drastiquement la population de l’Île. Routledge rapporte d’ailleurs que, selon les informations qu’elle a recueillies, une grande partie des Pascuans appartenant à la confédération des Hotu Iti aurait été exterminée, poursuivie par les guerriers de l’autre confédération qui auraient tué sans distinction : “(…) women and children and little children, big children and 89 young men, and old men who could not walk away quickly.”. « (…) femmes, enfants, petits enfants, grands enfants, jeunes hommes et vieillards qui ne pouvaient pas marcher bien vite. ». 87 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, pp. 487, 488. Kiernan, Kevin. Volcanokarst in the culture and landscape of Easter Island, et Les cavernes de l’Île de Pâques (Chili), Recherches Spéléologiques, p. 11. 88 89 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 284. 70 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Un certains nombre de Pascuans de Hotu Iti réussirent à échapper au massacre et à se cacher dans des grottes, entre autres, dans les grottes situées sur des îlots non loin des côtes en nageant jusqu’à ceux-ci. Ces réfugiés réussirent finalement à se sortir de cette pénible situation. Ils regroupèrent leurs forces et exterminèrent à leur tour une grande partie des Miru et de leurs alliés. Seul Anakena sur le territoire Miru ne fut pas attaqué, 90 ainsi que le lieu dit Vaihu sur la cote sud-est appartenant au clan Marama. Certaines jeunes femmes furent aussi épargnées pour devenir les compagnes forcées de ces nouveaux vainqueurs. La tradition orale attribue une prédiction en rapport avec ces événements au premier roi Hotu Matu’a. Celui-ci, sur son lit de mort, aurait prononcé les paroles suivantes : “ “You are Hotu-iti, of Mata-iti, and your descendants shall prosper and survive all others.” And he said to Kotuu, “You are Kotuu, of Mata-nui,and your descendants shall multiply like the shells of the sea, and the reeds of the crater, and the pebbles of 91 the beach, but they shall die and shall not remain.” ”. « « Tu es Hotu-iti, de Mata-iti, et tes descendants vont prospérer et survivre à tous les autres. » Et il dit à Kotuu, « Tu es Kotuu, de Mata-Nui, et tes descendants vont se multiplier comme les coquillages de la mer, et les roseaux du cratère, et les cailloux de la plage, mais ils mourront et ne survivrons pas. » ». Cette « prédiction » se serait donc en quelque sorte réalisée par ce conflit puisque effectivement les descendants de ces deux groupes se seraient multipliés et auraient prospéré, mais par la suite les descendants de Hotu-iti, les clans du sud-est, auraient eu le dessus sur les descendants de Kotuu, les clans du Nord-Est, jusqu’à presque les exterminer. 90 91 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 82. Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 280. 71 _________________________________________________________________________________________________________ Méprise concernant un ancien nom de l’Île Nous avons vu que des membres d’équipage de Cook avaient rencontré, dans la partie sud-est de l’Île, plusieurs Pascuans armés regroupés sur le sommet d’une colline. En tentant de communiquer avec celui qui paraissait être le chef de ce groupe, les hommes de Cook crurent comprendre qu’il était le chef de l’Île tout entière. Aussi, ils rapportèrent que ce chef les aurait informés que l’Île se nommait « Vaihou ». Notre analyse du compte-rendu de cette rencontre nous porte à croire que les hommes de Cook ont mal interprété les éléments de cette rencontre et qu’ils se sont mépris sur l’ancien nom de l’Île En effet, les hommes de Cook décrivirent le Pascuan qu’ils avaient rencontré et qu’ils prirent pour le chef de l’Île tout entière, comme ayant un meilleur vêtement que les autres Pascuans qui l’accompagnaient et portant un ornement de tête en plume. Nous croyons effectivement qu’il s’agissait vraisemblablement d’un chef, d’autant plus qu’il se comportait comme tel et donnait des directives aux autres Pascuans qui l’accompagnait. Qui plus est, les Pascuans accompagnant les membres d’équipage de Cook 92 avaient annoncé à ceux-ci qu’ils verraient bientôt leur « Ariki ». Or nous savons que ce qualificatif veut dire « chef » en Pascuan. Le roi de l’Île était qualifié d’Ariki, plus précisément d’Ariki-mau (roi sacré), mais aussi les 93 nobles de certains clans de l’Île étaient des Ariki-paka. Les hommes de Cook tentèrent donc de communiquer avec ce chef : « Nous voulions savoir s'il était chef seulement d'un canton ou de tout le pays, et sur cela il étendit son bras comme pour 94 embrasser l'Île entière, et dit Waihu (Vaihou). ». 92 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 207. 93 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 77. 94 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 207. 72 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Pour les hommes de Cook, ce geste signifia que ce chef était le chef de l’Île tout entière, et le mot qu’il prononça fut alors considéré comme le nom que les Pascuans donnaient à leur Île. Cependant, compte tenu que Cook a affirmé, d’une part, qu’il ne connaissait, en aucune manière, le pouvoir et l’autorité des chefs sur l’île, non plus que le 95 Gouvernement en place, on peut douter qu’il ait pu reconnaître un roi ou chef de l’île entière. D’autre part, étant donné que les membres de l’expédition de Cook et les Pascuans avaient bien de la difficulté à communiquer ensemble et à se comprendre, on peut aussi douter que la question ait été effectivement bien comprise. D’après quelques passages du compte rendu, il semble d’ailleurs bien évident que les membres d’équipage de Cook et les Pascuans communiquaient difficilement les uns avec les autres. Entre autres, il a été rapporté, lorsqu’un Pascuan monta à bord du navire de Cook que : « (…) nous remarquâmes que, pour compter les brasses, il exprimait les nombres par les mêmes termes que les Tahitiens : 96 son langage était d’ailleurs inintelligible pour nous. ». Donc, mis à part quelques mots polynésiens que l’équipage avait appris lors du passage de Cook sur différentes îles, le langage pascuan demeurait inintelligible pour eux. Un seul homme à bord, un Tahitien nommé Oedidi, que Cook avait embarqué avec lui lors de son escale à Tahiti, arrivait à communiquer un tant soit peu avec les Pascuans. Ce Tahitien ne fit cependant pas partie de cette excursion sur la côte sud-est. On peut aussi douter que le geste qu’a effectué le chef rencontré par les hommes de Cook signifiait qu’il était réellement le chef en titre de l’Île tout entière. Il est très improbable qu’il ait pu s’agir du roi ou du chef reconnu de 95 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 228. 96 Ibid., p. 187. 73 _________________________________________________________________________________________________________ l’ensemble de l'Île. En effet, selon les membres de l’expédition, les hommes 97 de ce chef ne semblaient pas lui accorder d’égards ou de respect particulier. Il ne s’agirait donc vraisemblablement pas du roi, lequel selon la tradition orale avait droit à de nombreux égards et beaucoup de respect de la part des Pascuans comme le rapporte Métraux : « La rigoureuse étiquette qui entourait la personne du roi était la conséquence même des tapu qui réglaient ses rapports avec les gens d’un rang moindre. L’isolement qui le tenait éloigné du reste des hommes était fait d’un sentiment où la crainte se 98 mêlait au respect traditionnel. ». De plus, le roi ne participait jamais aux conflits et il n’était pas armé. Il n’était pas non plus dans l’habitude des rois pascuans d’avoir leur résidence du côté sud-est de l’Île, puisqu’il résidait à ahu Akapu, sur la côte ouest 99 lorsqu’il était jeune et à Anakena sur la côte nord lorsqu’il était vieux. Aussi, parmi toutes les listes de roi recueillies auprès des Pascuans, aucun nom ressemblant de près ou de loin à celui de ce chef, appelé Ko-Tohétaï, n’est présent. Nous croyons plutôt qu’il s’agirait tout simplement d’un chef de clan. Alors pourquoi, des Pascuans en provenance de la partie Nord-Ouest de l’Île auraient-ils dit à l’équipage de Cook qu’ils allaient bientôt rencontrer leur chef, ou Ariki, une fois rendus dans la partie sud-est de l’Île si le Ariki en question n’était pas le chef de l’Île entière, c’est-à-dire le roi ? Selon nous, il y a une explication très simple à cela. Selon les informations recueillies par les explorateurs subséquents, le pourtour de l’Île était divisé en territoires appartenant aux différents clans. Un territoire en particulier possédait cependant une caractéristique bien spéciale faisant exception à cette règle. Le clan nommé Marama possédait en effet un territoire situé dans 97 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 208. 98 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 81. 99 Ibid., p. 83. 74 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ une partie plus étroite de l’Île. Constitué d’une bande de terre plus longue que large, allant de la partie Nord-Ouest de l’Île jusqu’à sa partie Sud-Est, ce 100 territoire traversait donc l’Île en reliant une côte à l’autre. Routledge a reproduit sur un dessin les limites territoriales des différents clans d’après les informations qu’elle a recueillies auprès des Pascuans. Les limites du territoire du clan Marama permettent de constater que Hanga Roa, lieu où l’équipage de Cook avait accosté, situé sur la côte nord-ouest, fait partie de ce territoire. Le lieu dit Vaihu et l’ahu Vaihu, situé sur la côte sudest de l’Île, où les hommes de Cook avaient rencontré ce chef, font aussi partis de ce même territoire. Les hommes de Cook ont donc traversé l’Île, passant de la côte nord-ouest à la côte sud-est, tout en restant sur le territoire du même clan. Pour cette raison ils ont effectivement rencontré l’Ariki, c’est-à-dire le chef de clan des Pascuans qui les accompagnaient depuis la côte nord-ouest près de Hanga Roa jusqu’à la côte sud-est au lieu dit Vaihou. Le Pascuan qui avait pris la tête des membres de l’expédition connaissait donc très bien le parcours qu’il avait suivi et savait qu’il était sur le territoire de son propre clan. L’étoffe blanche qu’il balançait au bout d’une lance, tout comme probablement la peinture blanche dont il s’était enduit le visage, étaient donc un signal pour signifier qu’il n’était pas un ennemi et qu’il faisait partie du clan, et que les personnes qui l’accompagnaient venaient aussi en amies. Le clan Marama, bien que possédant un territoire allant d’une côte à l’autre, faisait parti des clans de la confédération du nord-ouest de l’Île. Selon Métraux, il est possible que les frontières de certains territoires aient pu être agrandies au fil du temps et des conflits. On comprend maintenant pourquoi le chef du clan Marama s’était montré particulièrement réticent à s’aventurer davantage en direction du nord-est de l’Île, puisque se faisant, il se trouvait à passer automatiquement sur les territoires des clans ennemis de la confédération du sud-est. 100 Selon Routledge, un autre petit territoire appartenant au clan Haumoana aurait aussi traversé l’Île d’une côte à l’autre. 75 _________________________________________________________________________________________________________ Le geste du chef du clan Marama qui a été interprété comme s’il avait été le chef de l’Île tout entière est peut-être dû au fait, que, contrairement aux territoires des autres clans de l’Île, son territoire n’était pas confiné à une portion du pourtour de l’Île, mais traversait l’Île d’une côte à l’autre. Il est aussi possible que ce chef de clan ait pu être un Homme-oiseau, ou Tangata Manu. Le chef de clan qui obtenait ce statut avait en effet une position dominante sur les autres clans de l’Île. Un indice nous porte d’ailleurs à croire qu’il pourrait bien s’agir d’un Homme-oiseau. En effet, le chef salua les officiers de Cook de la façon suivante : « (…) il étendit ses bras avec les deux mains fermées, il les éleva au-dessus de sa tête, il les ouvrit ensuite le plus qu’il fut 101 possible, et les laissa retomber peu à peu sur ses côtés. ». Cette gestuelle pourrait laisser croire qu’il s’agissait d’une mimique en relation avec le vol d’un oiseau. Quant au mot « Vaihou » que ce chef a prononcé, il est très peu probable qu’il s’agisse du nom de l’Île tout entière. En effet, un membre de l’expédition de Cook relate que : « Nous ne réussîmes pas mieux en faisant des recherches sur le véritable nom de l’Île; car, en comparant nos notes, nous en trouvâmes trois différents : savoir, Tamareki, Whyhu (Vaihou) et Téapy. Sans prétendre dire lequel des trois est le véritable, ou même si l’un d’eux est le nom propre, j’observais seulement, qu’Oedidée (le Tahitien qui les accompagnait), qui entendait mieux que nous le langage du pays, quoiqu’il le comprit très imparfaitement, nous dit avoir appris des Insulaires que l’Île 102 s’appelait Téapy. » 101 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 207. 102 Ibid., pp. 227, 228. 76 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Le Tahitien a donc recueilli de son côté le nom « Téapy », alors que certains membres d’équipage de Cook ont recueilli « Vaihou », et d’autres « Tamariki ». Pour notre part, nous pensons, tout comme le laisse d’ailleurs entendre le commentaire ci haut, que le Tahitien qui accompagnait l’expédition de Cook était en mesure de recueillir des informations beaucoup plus crédibles étant donné qu’il était en mesure de communiquer avec les Pascuans de manière plus adéquate que les hommes de Cook. Le nom Téapy serait donc plus plausible pour identifier l’Île de Pâques. S’il n’y avait qu’un seul nom à retenir, recueilli lors du passage de Cook, comme étant le nom de l’Île tout entière, ce serait donc Téapy et non pas Vaihou. Thomson affirmait aussi que le nom Vaihu aurait été donné à l’Île de Pâques sans aucun fondement valable. Il ajoute que Vaihu est le nom d’un district qui était occupé par le plus puissant clan à l’époque où Cook et La Pérouse sont allés à l’Île de Pâques, et que jamais ce nom ne se serait appliqué à l’Île 103 tout entière. Nous sommes particulièrement étonnés qu’une information aussi incertaine que celle-ci, ait pu être considérée par tous comme une vérité historique au point d’être reprise sans discussion par tous les ouvrages de référence sur l’Île de Pâques, lesquels considèrent que Vaihou est bel et bien l’ancien nom de cette Île. Beaucoup plus tard, le Révérend Père Hippolyte Roussel posa la question aux Pascuans quant à savoir quel était le nom qu’ils donnaient à leur Île. Les Pascuans ne purent répondre car ils ne s’en souvenaient pas, ou ils ne croyaient pas que leur Île ait possédé un nom particulier servant à l’identifier : « (…) maintes et maintes fois j’ai fait questions sur questions pour m’assurer de la véracité de leur assertion ; il m’a toujours été répondu : 103 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 453. 77 _________________________________________________________________________________________________________ « Nous ne connaissons pas le nom de Rapanui ; notre terre n’a jamais eu de nom propre ; nous ne connaissons que Hagaroa, Vaihu, Otuiti, etc., etc… ». Tout, excepté l’Île, a un nom particulier ; cela s’étend jusqu’à une case, un pic, un pan de rocher, le plus petit coin de terre, un pavé : de là les noms de Mataviri, Hagapiko, Hapina, etc., 104 etc… ». Métraux, qui a lui aussi interrogé les Pascuans à ce sujet, mentionne : “None of the names discussed here has been accepted unanimously by the islanders. In my opinion, there was no 105 native name for the whole island.”. « Aucun des noms discutés ici n’a été accepté de manière unanime par les insulaires. Mon opinion est à l’effet qu’il n’y avait pas de nom identifiant l’Île entière. ». Cependant, plusieurs autres explorateurs, ainsi que plus tardivement des personnes en poste sur l’Île, ont recueilli auprès des Pascuans des noms qui, selon les dires de certains d’entre eux, auraient identifié l’Île, tel : « Te Pito o te Henua », « Mata-ki-te-rangi », « Hiti-te-eiranga » et « Hiti-ai-rangi ». Notons qu’aucun des trois noms recueillis par les membres de l’expédition de Cook n’ont été mentionnés en ces circonstances. D’après Englert, le nom « Te Pito o te Henua » a pu être utilisé par le passé sur l’Île de Pâques pour désigner l’Île elle-même. Englert nous informe cependant que ce nom ne semble pas avoir été beaucoup utilisé dans le langage commun pour distinguer l'Île de Pâques des autres îles. Ce nom se serait par contre maintenu dans la tradition orale sous forme de chants et de souvenirs du passé. 104 Roussel, Hippolyte, R. P. Île de Pâques ou Rapanui, Notice par le R. P. Hippolite Roussel de la congrégation des Sacrès-Cœurs de Picpus, Missionnaire à l’Île de Pâques de 1866 à 1873, p. 2. 105 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 35. 78 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Nous croyons que ce nom « Te Pito o te Henua » aurait pu être utilisé pour désigner l’Île de Pâques au temps où les « Longues oreilles » vivaient sur l’Île. Leur extermination aurait fait disparaître en même temps l’usage de ce 106 nom. Quoi qu’il en soit, en aucun cas le nom « Vaihou » n’a été mentionné ou rapporté à d’autres personnes qu’aux membres d’équipage de Cook qui ont pris part à l’excursion sur la côte est et ont rencontré le chef du clan Marama. Il est donc très difficile de croire qu’il s’agirait du nom de l’Île tout entière et que seuls les hommes de Cook ayant pris part à cette excursion précise auraient reçu cette information. Qui plus est, absolument personne avant le passage de Cook, ni même après, n’a jamais entendu mentionner ce nom de la part d’informateurs pascuans pour identifier l’Île tout entière. Selon nous, le nom « Vaihou » aurait tout simplement désigné un endroit précis de l’Île. Aujourd’hui encore, Vaihou est utilisé par les Pascuans pour désigner un secteur précis de l’Île sur la côte sud-est, ainsi qu’un ahu qui porte le nom de ahu Vaihou. Ainsi, tout comme en d’autres endroits de l’Île, cette localité possède à la fois un nom spécifique et un ahu portant aussi le même nom. Le nom « Vaihou » (Vaihu et aussi Waihu) est malgré tout largement considéré par la majorité des auteurs, y compris dans les ouvrages de référence de renom, comme l’ancien nom donné à l’Île de Pâques par ses habitants, avant que ceux-ci, dans une période récente ne la rebaptisent « Rapa Nui ». Pour notre part, nous croyons qu’il est erroné d’affirmer que les Pascuans auraient anciennement donné le nom de Vaihou à leur Île. En effet, comme nous l’avons vu, le chef rencontré sur la côte sud-est ne pouvait être ni le roi, ni le chef reconnu pour l’ensemble de l’Île. Il nous semble aussi que sa gestuelle a pu être mal interprétée du fait que son territoire traversait l’Île d’une côte à l’autre. Quoi qu’il en soit, il nous semble bien évident que les membres de l’expédition de Cook avaient de très grandes difficultés à communiquer avec ce chef, de même qu’avec tous les Pascuans... 106 Daude, Jean Hervé. Île de Pâques - L’empreinte des Incas. 79 _________________________________________________________________________________________________________ Des conditions de vie difficiles Cook, s’étonna de l’état de misère et de pauvreté des insulaires. Il mentionna que ses hommes avaient vu des restes de plantations sur des collines et que l’espace qu’occupaient ces plantations sur l’Île était peu considérable en comparaison du sol qui restait en friche. Il constata que non seulement les plantations étaient rares, mais que même les arbustes utilisés pour la fabrication des tissus d’écorce étaient rabougris et peu nombreux au point qu’ils ne suffisaient plus à satisfaire à la demande. Cook comprenait difficilement que les Pascuans échangeaient quand même leur peu de provisions, dont la culture avait dû leur demander beaucoup de peine et de travail, contre certains objets de peu d’utilité qu’il leur offrait et 107 que les Pascuans désiraient ardemment. À la vue des vestiges des monuments, Cook émis aussi l’opinion que la vie sur l’Île devait être plus florissante à une époque antérieure. Ne sachant pas quelle avait pu être la cause de cette déchéance, il l’attribua à une possible 108 catastrophe naturelle. Cette grande guerre aurait donc drastiquement amoindri la qualité de vie des Pascuans, puisque quelques années auparavant Roggeveen et Gonzales avaient largement vanté la qualité des plantations des Pascuans. La visite de Cook aurait constitué un grand divertissement pour les Pascuans lors de cette situation de conflit. Un membre d’équipage s’était d’ailleurs étonné qu’il n’ait pas vu aucune sorte d’amusement sur l’Île lors de leurs excursions. Pourtant Cook relate que le premier Pascuan qui monta à bord du navire, une fois bien rassuré par les membres de l’équipage qu’il ne courait absolument aucun danger, exprima qu’il voulait danser et se mit à gesticuler avec enthousiasme; les marins se mirent alors à jouer de la musique pour lui, 109 ce qu’il apprécia beaucoup. 107 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 222. 108 Ibid., pp. 231, 232. 109 Ibid., pp. 226, 227. 80 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Beaucoup plus tard le frère Heyraud mentionna que les Pascuans étaient naturellement portés à faire la fête : « Aussi, les assemblées, les fêtes sont continuelles. Quand elles cessent sur un point de l'île, elles commencent sur un autre. Le 110 caractère de ces fêtes varie suivant la saison. ». Pourtant, bien qu’ils aient fait une trêve pour la visite de Cook, il n’était cependant pas question pour les Pascuans de faire la fête, l’atmosphère restant très tendue sur l’Île en raison des conflits. Cook conclu son rapport de la manière suivante : « Aucune nation ne doit prétendre à l’honneur de la découverte de cette île : car il n’y a pas de contrée qui soit d’une moindre ressource aux marins. Il n’y a point de mouillage sûr; point de bois à brûler, et point d’eau douce dont on puisse remplir les futailles. La nature a répandu ses faveurs avec bien de la 111 réserve, sur ce coin de terre. ». L’Île n’avait donc aucun intérêt maritime selon lui, à tel point que : « (…) à moins que les vaisseaux ne soient dans la plus grande 112 détresse, rien ne doit les porter à relâcher sur cette île. ». Cook estimant que la population de l’Île était très réduite et qu’elle vivait dans l’extrême pauvreté, considéra donc que la nourriture était si rare et les conditions de vie si mauvaises, qu’il ne trouvait pas une seule raison qui puisse inciter les navires à relâcher dans cette Île, excepté ceux qui y seraient 113 contraints par la force des choses. 110 Eyraud, Eugène. Lettre du Frère Eugène Eyraud, au Supérieur général. Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 221. 112 Ibid., p. 213. 113 Laharpe, J. F. Abrégé de l’histoire générale des voyages, p..318. 111 81 _________________________________________________________________________________________________________ Rappelons aussi que Cook fut le premier à signaler que des moai gisaient par terre au pied des ahu. Nous sommes donc convaincus que lors du passage de Cook, un conflit majeur entre différents clans sévissait sur l’Île. Lors du débarquement de quelques membres de l’expédition, une trêve aurait eu lieu, ce qui aurait eu pour conséquence de dissimuler ce conflit aux visiteurs. Les membres de l’expédition n’étant là que pour une très courte période de temps, et n’étant de plus, absolument pas familier avec la langue parlée par les Pascuans ne s’en seraient tout simplement pas rendu compte. Les hommes de Cook auraient aussi rencontré un chef, possiblement un Homme-oiseau. Or, nous savons que le chef de clan qui obtenait ce statut avait une position dominante sur les autres clans de l’Île. Il fut cependant rapporté par d’autres explorateurs que, règle générale, de nombreux conflits et règlements de compte suivaient cette désignation. Notons aussi que Cook fut très étonné de voir que les Pascuans étaient armés, mais il considéra cependant qu’ils étaient en trop petit nombre et trop 114 pauvres pour être continuellement en guerre. Cependant, nous croyons que le petit nombre de Pascuans qu’il a pu voir serait tout simplement dû à la mortalité élevée durant ce conflit et au fait que de nombreux Pascuans pouvaient être cachés ou prisonniers dans des grottes. Les mauvaises conditions de subsistance seraient aussi tout simplement une répercussion de ce conflit. 114 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 225. 82 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Une accalmie Il faut attendre douze ans après le passage de Cook pour que l’Île de Pâques soit de nouveau officiellement visitée. En 1786, le Français La Pérouse fit escale à l’Île pour un court séjour de vingt-quatre heures. Il relata ainsi son arrivée : « Quatre ou cinq cents Indiens (Pascuans) nous attendaient sur le rivage ; ils étaient sans armes, quelques-uns couverts de pièces d’étoffe, blanches ou jaunes ; mais le plus grand nombre était nu ; plusieurs étaient tatoués et avaient le visage peint d’une couleur rouge ; leurs cris et leur physionomie exprimaient la joie ; ils s’avancèrent pour nous donner la main, et faciliter 115 notre descente. ». La Pérouse mentionna avoir vu des moai érigés sur des ahu, il prit même la peine d’en faire dessiner et mesurer certains d’entre eux. Tout comme Cook, il signale cependant aussi avoir vu des moai gisant au sol. Peu après son débarquement, La Pérouse mentionne qu’il fut en peu de temps entouré d’un grand nombre de Pascuans qu’il évalue à environ 1 200 116 personnes, dont 300 femmes. Il croit que des habitants de l’autre bout de l’Île seraient venus assister à son débarquement sans leurs femmes et que pour cette raison il y en avait beaucoup moins que les hommes. Il mentionne aussi avoir vu autant d’enfants que dans d’autres endroits qu’il avait déjà visités auparavant. Au total, en tenant compte des femmes qui n’étaient pas présentes, il évalue la population à environ deux mille personnes La Pérouse mentionne avoir visité les cavernes qui auraient pu abriter les femmes lors du passage de Cook, et dont les Pascuans avaient alors empêché l’accès aux membres d’équipage de celui-ci. Nous doutons cependant que La Pérouse ait effectivement visité des grottes, car il relate : « Nous sommes tous entrés dans ces cavernes où M. Forster et quelques officiers du capitaine Cook crurent d’abord que les 115 116 Voyage de La Pérouse autour du monde, pp. 34, 35. Ibid., p. 38. 83 _________________________________________________________________________________________________________ femmes pouvaient être cachées. Ce sont des maisons souterraines, de même forme que celles que je décrirais tout à l’heure, et dans lesquelles nous avons trouvé de petits fagots dont le plus gros morceau n’avait pas cinq pieds de 117 longueur. ». Par la suite La Pérouse nous décrit les maisons des Pascuans en ces termes : « Quelques maisons sont souterraines, comme je l’ai dit : mais les autres sont construites avec des joncs, ce qui prouve qu’il y a dans l’intérieur de l’Île des endroits marécageux ; ces joncs sont artistement arrangés et garantissent parfaitement de la 118 pluie. ». La Pérouse spécifie aussi que ces maisons ont la forme d’une pirogue renversée et qu’il faut se glisser sur les mains pour parvenir à y pénétrer 119 tellement l’entrée est petite. Comme La Pérouse mentionne que les maisons souterraines qu’il a visitées sont semblables aux huttes de joncs à la surface de l’Île, il ne peut donc vraisemblablement s’agir des grottes. De plus, La Pérouse mentionne qu’il a pénétré dans ce qu’il considère comme étant des « maisons souterraines », et ce, avec tous les hommes d’équipage qui l’accompagnaient dans cette excursion. Cependant, pas une seule fois il ne fait allusion à la difficulté qu’il y aurait eu à entrer dans ces « maisons souterraines », alors qu’avant lui Gonzales avait fortement souligné cet aspect en parlant de pénétrer dans les grottes, et qu’après lui Lavachery n’était même pas sûr de pouvoir y pénétrer compte tenu de sa corpulence. Nous concevons difficilement que la Pérouse et ses officiers en tenue officielle se soient livré à cet exercice périlleux. Il semble aussi difficilement 117 Voyage de La Pérouse autour du monde, p. 38. Ibid., p. 39. 119 Ibid., p. 39. 118 84 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ concevable compte tenu de l’étroitesse du boyau pour descendre à la verticale (la largeur d’un homme) et du peu de hauteur (50 cm) du couloir horizontal sur lequel il débouche, que les Pascuans aient pu y introduire des fagots comportant des morceaux de bois jusqu’à cinq pieds de longs comme mentionne en avoir trouvé La Pérouse. Nous croyons que ces « maisons souterraines », de même forme que les huttes, seraient tout simplement des maisons basses construites de pierres empilées. Ces maisons épousent un peu la forme des huttes de joncs et l’entrée pour y pénétrer est aussi très petite. L’herbe pousse sur leur toit, ce qui fait qu’effectivement on pourrait les qualifier en quelque sorte de « maisons souterraines ». C’est d’ailleurs aussi la description qu’en fait Cook lorsqu’il décrit une autre sorte d’habitation utilisée par les Pascuans mis à part les huttes : « Il y a des espèces de maisons voutées en pierre, et construites en partie sous terre; mais je n’ai jamais été dans une de celles120 là. ». La Pérouse constate que les poules sont très rares sur l’Île. Malgré tout, il put obtenir de la part des Pascuans de la nourriture en abondance, les cultures produisant amplement lors de son passage. Il relate d’ailleurs que les Pascuans en prenaient grand soin : « Les champs sont cultivés avec beaucoup d’intelligence. Ces insulaires arrachent les herbes, les amoncèlent, les brûlent, et ils fertilisent ainsi la terre de leurs cendres. Les bananiers sont 121 alignés au cordeau. ». La situation sur l’Île semble donc s’être rétablie quelque peu lors du passage de La Pérouse : les Pascuans l’ont accueilli en beaucoup plus grand nombre, 120 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 226. 121 Voyage de La Pérouse autour du monde, p. 45. 85 _________________________________________________________________________________________________________ il aperçoit plus de femmes et d’enfants que Cook, et la nourriture est disponible en abondance. Cette situation moins dramatique fait en sorte que La Pérouse croit que Cook étant arrivé après un long et pénible voyage, et ayant besoin de vivres, aurait eu une impression très négative de la vie et de la production alimentaire des 122 Pascuans. Or, comme nous l’avons vu, le contexte était largement différent lors du passage de ces deux expéditions. Dégradation de l’accueil fait aux navigateurs de passage Il faut attendre près de trente ans avant qu’un autre navire ne se rende officiellement à l’Île de Pâques. La position précise de l’Île étant cependant dorénavant bien connue à cette époque, plusieurs bateaux de commerce et de pêche, dont des baleiniers, sillonnant le Pacifique, y ont fait escale. Que s’est-il exactement passé entre les Pascuans et tous ces marins de passage, nul ne saurait le dire, mais une chose semble certaine, l’attitude relativement accueillante des Pascuans envers les marins occidentaux s’est grandement détériorée. Un exemple du genre de tragédie qui a pu se produire plus d’une fois concerne l’escale du navire Le Nancy en 1808. L’équipage de ce navire enleva, après un sanglant combat, vingt-deux habitants de l’Île dont douze hommes et dix femmes qui furent mis au fer dans la cale et emportés comme esclaves. Au bout de trois jours de navigation, les captifs furent détachés et amenés sur le pont et : « Sitôt libres, hommes et femmes sautèrent à l’eau et se mirent à nager de toutes leurs forces. Le commandant, s’imaginant que les vagues les feraient revenir à bord, arrêta son bateau, mais il put observer ces pauvres diables qui discutaient dans l’eau de la direction à prendre ; ne pouvant se mettre d’accord, les uns se dirigèrent vers l’Île de Pâques, les autres vers le Nord. On envoya des canots pour les rejoindre, mais ils se refusèrent à monter à bord et plongèrent chaque fois que l’on allait 122 Voyage de La Pérouse autour du monde, p. 36. 86 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ s’emparer d’eux. De guerre lasse on les laissa à leur sort et la 123 mer pitoyable les reçut dans son sein. ». Il n’est donc pas surprenant que suite à ce genre d’incidents les relations entre les Pascuans et les marins de passage furent loin d’être cordiales dans les années qui suivirent. Ainsi, en 1815, des marins russes sous les ordres du capitaine Kotzebue, ne purent débarquer sur l’Île à cause de l’animosité des Pascuans. Ils tentèrent cependant d’apercevoir, de leur navire, les statues près de la baie de Hanga Roa décrites par Cook et de La Pérouse, mais sans aucun succès, ces moai semblant avoir complètement disparus à la vue. Les Russes signalèrent quand même avoir vu deux statues encore debout sur la côte sud. Une autre tragédie connue se produisit en 1822, lorsqu’un baleinier, le Pindos, fit escale à l’Île de Pâques. De nombreuses femmes furent emmenées à bord pour satisfaire les marins. Le lendemain ceux-ci reconduisirent les Pascuanes non loin du rivage et les débarquèrent dans la mer de peur d’accoster parmi une foule nombreuse. Au moment de repartir, un des marins pris son fusil et tira sur la foule de Pascuans rassemblés sur le rivage sans 124 autre motif que le simple plaisir de tuer l’un d’eux. Quelques années plus tard, en 1825, le Capitaine Beechey fit lui aussi escale à l’Île. Il envoya une partie de son équipage à terre avec des cadeaux à échanger. Bien que l’atmosphère était à la fête, ce fut un véritable chahut et quelques Pascuans furent même menaçants envers les marins afin d’obtenir davantage de cadeaux. Alerté par ce vacarme un Pascuan portant un couvre-chef de plumes et semblant être un chef, arriva sur les lieux accompagné de plusieurs autres Pascuans armés de bâtons courts. Ils vinrent à la rencontre des marins, alors qu’au même moment, retentissait le son d’une conque dans laquelle on souffle comme s’il s’agissait d’une trompette, ce qui, en Polynésie, est le plus souvent un signal du déclenchement des hostilités. Les marins offrirent, sur le champ, un cadeau plus important que les autres à ce chef, ce qui calma ses 123 124 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 38. Ibid., p. 41. 87 _________________________________________________________________________________________________________ ardeurs guerrières. Mais ce ne fut que pour un court laps de temps puisque quelques instants plus tard, le déplacement des marins en direction des chaloupes, afin de se réapprovisonner en cadeaux, fut mal interprété. Pensant que les visiteurs repartaient sans offrir davantage de cadeaux, une pluie de pierres lancées par les Pascuans s’abattit sur eux avec vigueur. Les marins réussirent à repartir de peine et de misère, non sans avoir récolté de 125 multiples ecchymoses. La précipitation de son départ n’a malheureusement pas permis à Beechey d’explorer le moindrement l’Île et rien dans son rapport ne mentionne si des moai sont encore debout en certains endroits. Cependant, quelques années plus tard, en 1930, le lieutenant John Orlebar à bord du H.M.S. Seringaparam a signalé, en longeant la côte est de l’Île, avoir 126 aperçu quelques moai encore debout près d’une baie. En 1838, le Français, Aubert du Petit-Thouars, passant au large de l’Île, a lui aussi signalé avoir vu des statues encore debout sur la côte ouest. Il serait cependant, selon Métraux, le tout dernier visiteur à avoir signalé des statues encore érigées sur des ahu. En effet, après cette date, plus aucun visiteur n’a 127 rapporté avoir vu quelque moai que ce soit encore érigé sur un ahu. Le visiteur suivant, J. Linton Palmer à bord du H.M.S. Topaze, lors d’une escale à l’Île de Pâques en 1868, mentionne que les moai étaient auparavant érigés sur des plates-formes : “(…) but now all have been thrown down ; except in the crater 128 at Otuiti, and outside it (…)”. 125 Montemont, Albert. Bibliothèque Universelle Des Voyages effectués par mer ou par terre dans les diverses parties du monde depuis les premières découvertes jusqu'à nos jours, pp. 13,14. 126 Orlebar, Lieut. J., R.N. A Midshipman’s Journal on board H.M.S. Seringapatam, during the year, 1830, p. 9. 127 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 41. 128 Palmer, J. Linton. A visit to Easter Island, or Rapa Nui, in 1868 By J. Linton Palmer, F.R.C.S., Surgeon of H.M.S. Topaze, p. 177. 88 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ « (…) mais maintenant ils sont tous à terre ; excepté à l’intérieur du cratère à Otuiti (autre nom du Rano Raraku), et sur son pourtour (…) ». À partir de cette date, il semble donc bien certain que plus aucun moai n’était érigé sur un ahu. Il est même possible de connaître l’année approximative de la chute du dernier moai érigé sur un ahu. En effet, Thomson a recueilli des informations sur ce geste malveillant. “Near Anakena is a large image in the best preservation of any found about the platforms of the island. The tradition assert that this was intended to represent a female, and that it was the last image completed and set up in place. Our guides informed us that it was only thrown down about twenty-four years ago, and previous to that time it had remained for many years the only 129 statue standing upon a platform on the island.”. « Près d’Anakena se trouve une grande statue dans un meilleur état de conservation que toutes celles trouvées sur les platesformes de l'île. La tradition affirme que celle-ci était destinée à représenter une femme, et que c'était la dernière statue achevée et mise en place. Nos guides nous ont informés qu'elle a été jetée à terre il y a seulement vingt-quatre ans, et qu’avant cette époque, elle était restée pendant de nombreuses années la seule statue se dressant sur une plate-forme dans l'île. ». Puisque Thomson a exploré l’Île de Pâques en 1886 et que son informateur pascuan lui a spécifié que ce moai, qui ne serait autre que le moai appelé Paro, dont nous reparlerons un peu plus loin, aurait été jeté à terre vingtquatre ans auparavant, alors ce tout dernier moai dressé sur un ahu aurait donc été renversé vers 1862. Ceci concorde bien avec le fait que lorsque Palmer a fait escale à l’Île en 1868, il constate effectivement qu’il n’y avait plus aucun moai de dressé sur un ahu puisque ce tout dernier moai qui était 129 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 489. 89 _________________________________________________________________________________________________________ encore debout aurait été lui aussi renversé quelques années avant son passage. Cependant, curieusement, en 1872, le journal L’Illustration bien connu à cette époque pour ses récits de voyage, publia un article à l’effet que l’équipage de la frégate La Flore, de passage à l’Île de Pâques cette même année, aurait renversé des statues afin d’en prélever une tête qui devait être ramenée en France. Une gravure illustrant la scène de la statue en train de tomber avait même été réalisée pour la circonstance par l’équipe du Journal 130 et publiée avec l’article. Serait-ce qu’il restait des moai encore érigés sur des ahu à cette époque et que les explorateurs précédents ne s’en seraient pas aperçu ? Pierre Loti, de son vrai nom Julien Viau, aspirant officier à bord de la frégate La Flore, débarqua sur l’Île de Pâques. Il transmit par la suite ses impressions de voyage à sa sœur habitant en France pour qu’elle les fasse publier dans le journal L’Illustration. Ces moai n’ont cependant en aucun cas été mis à terre par l’équipage de La Flore, car, à leur arrivée sur l’Île, ceux-ci gisaient déjà à terre depuis bien longtemps. En effet, Loti mentionne spécifiquement dans un de ses écrits, que selon ce qu’il a pu constater rapidement lors de sa courte escale, tous les moai auparavant érigés le long des rivages étaient déjà à terre lors de son passage : « Ah! Les statues ? Il y en a deux sortes. D’abord, celles des plages, qui toutes sont renversées et brisées; nous en trouverons du reste près d’ici, aux environs de cette baie. Et 131 puis les autres (…) ». Les autres statues auxquelles fait allusion Loti et qui, elles, sont encore debout, sont celles qui sont situées au pied du volcan Rano Raraku et qui sont partiellement enfouies. 130 131 90 L’Illustration, p. 124. Loti, Pierre. Reflets sur la sombre route, p. 238. Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Cette information erronée qui a été publiée nous semble provenir d’une mauvaise interprétation du texte original de Loti. En effet, Loti nous décrit ainsi la scène qui eu lieu lors du chantier mis en place afin de prélever une tête de moai : « Au bout d’une heure, à coup de pinces et de leviers, tout est bousculé, les statues plus chavirées, plus brisées, et on ne sait pas encore laquelle sera choisie. L’une, qui paraît moins lourde et moins fruste, est couchée la tête en bas, le nez dans la terre; on ne connaît pas encore sa figure, et il faut la retourner pour voir. Elle cède aux efforts des leviers manœuvrés à grands cris, pivote autour d’elle-même et 132 retombe sur le dos avec un bruit sourd. ». Les marins, aidés de quelques Pascuans, ont donc déplacé, de manière peu délicate s’il s’en faut, des moai gisant pêle-mêle à terre, lesquels se sont retrouvés davantage chavirés et brisés. Ces moai n’ont donc pas été chavirés parce qu’ils étaient encore debout, mais se sont retrouvés tout simplement « davantage chavirés » par les différentes manipulations. Cette petite équipe a retourné sur le dos un moai qui était couché sur le ventre en position incliné, la face en partie enterrée. Le moai lui-même était beaucoup trop lourd, vouloir l’emporter en entier semblait irréalisable compte tenu des ressources disponibles sur place et du temps qui avait été 133 alloué à cette opération. Cependant, le faciès de ce moai étant en bon état de conservation, il semblerait que ce soit sa tête qui fut emportée. 132 Loti, Pierre. Reflets sur la sombre route, Ed. Calmann Levy, Paris, 1899, pp. 301,302. Cette information, à l’effet que l’équipage de la Flore aurait fait tomber des moai par terre, a par la suite été reprise intégralement dans un livre récent. Ce livre a le mérite de nous apprendre que l’équipe du Journal L’Illustration prenait souvent quelques latitudes dans la reproduction de l’information, y compris celle de modifier certains dessins que Pierre Loti avait réalisés et dont les scènes de nudité leur semblait trop osées à l’époque pour être publiées tel quel. Quella-Villéger, Alain et Vercier, Bruno. Pierre Loti dessinateur, une oeuvre au long cours, Ed. Bleu autour, France, 2009, pp. 139, 141. 133 91 _________________________________________________________________________________________________________ Les moai jetés à terre violemment Bien que la tradition orale mentionne spécifiquement que c’est lors des conflits entre les clans que les statues furent renversées, N. Cauwe considère que si les moai avaient été jetés à terre durant des conflits, ils auraient subit beaucoup plus de dégâts que ce que l’on a pu constater. Il souligne d’ailleurs que certains moai gisent même intacts par terre. N. Cauwe considère que l’histoire de la statue nommée Paro constitue une preuve solide de la non-violence du renversement des moai. Ce moai, le plus grand jamais transporté depuis le Rano Raraku, mesurant pas moins de 9,80 m de haut et d’un poids estimé entre 70 et 100 tonnes, gît aujourd’hui face contre terre, et est seulement brisé à la hauteur des épaules, sans que le buste ne soit disjoint du reste du corps; le visage est à peine abîmé, et le pukao est presque intact. Selon N. Cauwe, le moai Paro aurait dû avoir beaucoup plus de séquelles du fait de sa chute et la seule explication qu’il considère possible serait que ce moai aurait été lentement amené au sol. Pour lui, il est donc évident que beaucoup des moai ne furent pas basculés dans le but de les détruire. La plupart d’entre eux auraient été posée au sol avec délicatesse afin d’en 134 préserver l’intégrité. Pourtant, selon un témoignage très précis recueilli par Katherine Routledge en 1915 et, vingt ans plus tard, par Métraux, le moai Paro aurait été jeté à terre violemment. Le Pascuan âgé qui a fourni l’explication à Routledge était un enfant à l’époque où ces événements se sont passés. Cet immense moai érigé sur l’ahu Te Pito Kura, fut la toute dernière statue sur l’Île à avoir été renversée lors d'un conflit entre les groupes de la côte nord-ouest et les groupes de la côte sud-est. L’événement déclencheur de ce conflit en particulier concerne une Pascuane de la côte ouest qui aurait été tuée et mangée par des Pascuans de la côte sudest. Suite à ce dramatique événement, son fils et d’autres guerriers auraient réussi à piéger une trentaine de ses ennemis dans une grotte, et ceux-ci 134 Cauwe, Nicolas. Île de Pâques, le grand tabou, p. 69. 92 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ auraient tous été tués et mangés par vengeance. Suite à ce conflit ce dernier 135 moai debout aurait été jeté par terre. Nous avons pu voir que Cook avait signalé que parmi des moai renversés à terre qu’ils ont pu examiner, un moai n’avait pas été brisé par sa chute. La chute d’un moai ne le brise donc pas nécessairement. Pour cette raison les Pascuans ont parfois utilisé certaines astuces afin de s’assurer que les moai jetés à terre soient bel et bien brisés. Ainsi, Englert rapporte que l’on retrouve parfois, lors de fouilles effectuées sous des statues renversées, des pierres qui ont été délibérément positionnées à l’emplacement de la chute prévue de la statue pour la briser au niveau du cou afin qu’il ne soit plus possible de la 136 redresser. Il est intéressant de mettre en relation cette information avec celle recueillie par Geiseler à l’effet que les Pascuans considéraient que les moai étaient dotés de caractéristiques spéciales et possédaient de grands pouvoirs tant qu’ils étaient en bon état. Lorsqu’ils étaient brisés, ils étaient alors considérés 137 comme morts et ne possédaient plus aucun pouvoir. Cette pratique consistant à jeter par terre les moai semble avoir été courante lors de cette grande guerre et aurait, selon Englert, non seulement eu pour but de détruire les biens de valeur de l’ennemi, mais aussi : “Perhaps the destruction of the statues of an enemy group was believed to obliterate the supernatural power of its ancestors 138 and weaken its ability to resist.”. « Peut-être croyait-on que la destruction des statues d'un groupe ennemi annulerait la puissance surnaturelle de ses ancêtres et d'affaiblirait sa capacité à résister. ». 135 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 173. Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 142. 137 Geiseler’s Easter Island Report, An 1880s Anthropological Account, Asian and Pacific, p. 35. 138 Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 142. 136 93 _________________________________________________________________________________________________________ Cette croyance en ce qu’une fois brisé le moai ne possédait plus aucun pouvoir, expliquerait le soin qu’auraient pris les Pascuans, dans certains cas, en plaçant délibérément une pierre à l’endroit de la chute prévue du moai, la positionnant à l’endroit le plus fragile du moai, c’est-à-dire au niveau du cou, afin de s’assurer qu’il se briserait bel et bien en tombant. En effet, si les Pascuans vaincus croyaient effectivement que la destruction de leurs statues faisait disparaître le pouvoir surnaturel qu’ils accordaient à ces représentations de leurs ancêtres, cela pouvait fort probablement affaiblir leur capacité de résister, de se réorganiser et de contre-attaquer. D’autres éléments de la tradition orale viennent aussi appuyer le fait que la mise à terre des moai serait due à des actes violents. Ainsi, Jaussen a recueilli un témoignage à l’effet que lors de conflits, les guerriers vainqueurs 139 prenaient même un malin plaisir à mettre à terre les moai des vaincus. La tradition orale mentionne aussi que ce fut durant cette période de conflits que non seulement toutes les statues furent renversées, mais aussi que plusieurs ahu furent détruits. Englert précise en effet que des blocs de basalte constituant les ahu furent violemment arrachés, que les huttes des grands prêtres situées près des ahu furent brûlées et que parfois leurs pierres de soubassement soigneusement travaillées ont été emportées. Il précise aussi qu’à une époque récente, il était encore possible de constater les marques de 140 ces incendies sur des pierres. 139 140 94 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 87. Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 142. Guerres de clans et chute des moai Photo disponible seulement dans le livre de l’auteur _________________________________________________________________________________________________________ 95 _________________________________________________________________________________________________________ 96 Guerres de clans et chute des moai Photo disponible seulement dans le livre de l’auteur _________________________________________________________________________________________________________ 97 _________________________________________________________________________________________________________ 98 Guerres de clans et chute des moai Photo disponible seulement dans le livre de l’auteur _________________________________________________________________________________________________________ 99 _________________________________________________________________________________________________________ 100 Guerres de clans et chute des moai Photo disponible seulement dans le livre de l’auteur _________________________________________________________________________________________________________ 101 _________________________________________________________________________________________________________ 102 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Métraux a pu constater lors de son travail d’enquête sur le terrain que : “(…) the statues were voluntarily overthrown is evidenced by many signs. The position of the images and the damage they suffered prove that they were pulled down by means of a rope 141 or overthrown by removal of the slab on which they rested.”. « (…) de nombreux signes démontrent avec évidence que les statues ont été volontairement renversées. La position des statues et les dommages qu'elles ont subis prouvent qu'elles ont été tirées vers le bas au moyen d'une corde ou renversées en retirant la dalle sur laquelle elles reposaient. ». Ainsi, selon Métraux, il ne fait absolument aucun doute que les moai ont été jetés à terre violement, à tel point que pour lui il s’agirait tout simplement d’une évidence. Curieusement, bien que tous les moai qui étaient sur les ahu, ou dressés légèrement enfoncés en terre aient finalement été renversées, la vaste majorité des moai sur les pentes du Rano Raraku sont, eux, restés debout et intacts, fort probablement parce qu’ils étaient déjà en grande partie enfouis et qu’il aurait été trop compliqué de les détruire puisqu’il était impossible de les faire tomber au sol. Les moai n’étant cependant pas enfouis uniformément, mais à différents degrés selon l’endroit où ils étaient situés, il semble que ceux qui l’était très peu furent aussi jetés à terre. Ainsi, selon Routledge, quelques moai situés à un endroit précis au pied du Rano Raraku auraient été jetés à terre. D’après les informations qu’elle a recueillies, un de ceux-là aurait été détruit lors du même conflit que celui pendant lequel le moai Paro a lui aussi été jeté à terre. Il semble aussi que des tentatives aient été effectuées afin de détruire certains moai même s’ils n’étaient pas possible de les renverser parce qu’ils étaient trop enfouis. Ainsi, selon les observations de Routledge, des traces sur un 141 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 87. 103 _________________________________________________________________________________________________________ autre moai montrent que des tentatives ont été effectuées pour lui couper la 142 tête. Thomson a aussi recueilli des informations sur cette tentative de destruction. En effet, ce moai : “(…) Shows tool-marks around the neck as thought an effort had been made to cut the head off. The natives call this “hiara” and have a tradition to the effect that it belonged to a powerful clan who were finally defeated in war, and that their enemies had made an attempt to destroy the statue by cutting off the 143 head. ”. « (…) affiche des marques autour du cou laissés par des outils comme si un effort avait été fait pour lui couper la tête. Les indigènes appellent cette façon de procédé « hiara » et ont une tradition à l'effet qu'ils appartenaient à un clan puissant qui fut finalement vaincu durant la guerre, et que leurs ennemis auraient fait une tentative pour détruire la statue en lui coupant la tête. ». Ce conflit majeur aurait perduré durant une période de temps relativement longue puisque la mise à terre des moai se serait échelonnée sur plusieurs décennies. En effet, Gonzales ne signale pas de moai renversés en 1770, mais quatre ans plus tard Cook signale que des moai gisent à terre; les premiers moai auraient donc été renversés entre 1770 et 1774. Il est possible que ce conflit ait commencé bien avant cette date, mais à tout le moins, nous pouvons en situer le début lorsque les premiers moai renversés ont été signalés par Cook. Le dernier moai, comme nous l’avons vu, aurait été renversé après 1838, mais assurément avant 1868, ce qui représenterait donc une période de temps s’étirant sur 66 à 96 ans pour qu’ait lieu la mise à terre complète des moai. 142 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, pp. 182, 183. 143 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 495. 104 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ La mise à terre des moai et la destruction de certains ahu seraient donc la conséquence directe de cette longue guerre qui aurait eu lieu sur l’Île de Pâques entre les clans des deux grandes confédérations. La tradition orale est suffisamment précise pour rendre crédible la mise à terre violente des moai lors d’un conflit de longue durée. De plus, les constatations des premiers explorateurs et certaines données récoltées lors de fouilles archéologiques, concordent aussi très bien avec la tradition orale. Étant donné la durée du conflit, il paraît fort possible, comme le mentionnait Thomson que certaines rivalités sur l’Île de Pâques se perpétuaient d’une génération à l’autre : “(…) until one party or the other were entirely exterminated.” 144 « (…) jusqu’à ce qu’une des parties ou l’autre soit entièrement exterminée. ». D’ailleurs, bien que le dernier moai érigé sur un ahu ait été renversé, rien n’indique que ce grand conflit ait pris fin pour autant. 144 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 476. 105 _________________________________________________________________________________________________________ 106 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ CHAPITRE III Rite de l’Homme-oiseau et guerres de clans Un rite très important Sur l’Île de Pâques avait lieu un important rituel qui n’existait nulle part 145 ailleurs en Polynésie : le rite de l’Homme-oiseau. Pendant une longue période de temps ce rite a constitué un élément essentiel de la vie sociale et politique des Pascuans. Selon la tradition orale rapportée par Métraux, le rite de l’Homme-oiseau aurait pris naissance lorsque des oiseaux migrateurs furent introduits par le dieu Makemake sur un îlot appelé Motu Nui. Situé au sud-ouest de l’Île, à quelques kilomètres du rivage, cet îlot difficile d’accès, n’a jamais été habité de manière permanente; l’endroit était donc paisible et les oiseaux migrateurs revenaient y nidifier à chaque année. Métraux considérait que l’implantation de ces oiseaux sur un îlot aussi difficile d’accès avait essentiellement pour but de les mettre à l’abri de l’avidité des chasseurs d’œufs, lesquels risquaient fortement de les exterminer. Lorsque les Pascuans constatèrent qu’effectivement les oiseaux migrateurs pondaient leurs œufs sur l’îlot et qu’ils y prospéraient, ils construisirent un village de plusieurs maisons de pierres sur les flancs du volcan Rano Kau face à la mer et à l’îlot Motu Nui; ils célébrèrent ensuite la fin des travaux par une grande fête honorant Makemake. Encore aujourd’hui, on retrouve dans ce village nommé Orongo, les vestiges d’une quarantaine de maisons basses faites de blocs de laves empilés dont les toits sont aujourd’hui recouverts d’herbes sauvages. L’entrée de ces maisons, qui ne possèdent aucune autre ouverture, est tellement exiguë qu’il faut se mettre à quatre pattes pour y pénétrer. 145 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 128. 107 _________________________________________________________________________________________________________ Lorsque à chaque année une espèce spécifique d’oiseau migrateur, une hirondelle de mer appelée manutara, revenait sur l’îlot pour nidifier, une partie de la population de l’Île s’installait à Mataveri situé au pied du volcan Rano Kau, ainsi qu’à Orongo, pour fêter et effectuer des préparatifs en vue de la tenue d’une compétition bien particulière. Des concurrents nommés hopu, représentant chacun un clan influent de l’Île, participaient à cette compétition dont la finalité était de nommer un Hommeoiseau ou Tangata Manu. Chaque hopu s’efforçait d’obtenir, avant tous les autres compétiteurs, un œuf pondu par le manutara sur l’îlot Motu Nui. Le concurrent qui arrivait le premier à se saisir d’un œuf et à le ramener intact jusqu’à Orongo l’offrait à son chef de clan qui devenait alors l’Hommeoiseau. À partir de sa nomination, ce chef de clan était considéré comme l’incarnation du dieu Makemake et sa personne considérée comme sacrée devenait tabou pour tous les Pascuans. D’après Englert, la cérémonie de l’investiture de l’Homme-oiseau aurait initialement été un rite à caractère purement religieux. Selon lui, la grande quantité de pétroglyphes exécutés avec soin que l’on retrouve à Orongo semble d’ailleurs être la manifestation d’un sentiment de grande révérence et d’adoration. D’après la tradition orale, un nouveau pétroglyphe était sculpté chaque année en commémoration du nouvel Homme-oiseau. Ces pétroglyphes représentent des formes humaines avec des têtes ou des masques d'oiseaux. Certaines d’entre elles présentent des mains levées tenant un oeuf. Toujours selon Englert, les cérémonies et la ferveur religieuse qui étaient associés au rite de l’Homme-oiseau auraient dégénéré énormément au cours de la période des guerres de clans. Ce rite se serait alors transformé en un concours essentiellement politique et le matatoa, chef de clan, lorsqu’il avait été désigné Homme-oiseau, abusait amplement de son pouvoir sur les autres 146 clans de l'Île. 146 Englert, P. Sebastian. La Tierra de Hotu Matu’a, Historia, Etnologia y Lengua de la Isla de Pascua, p. 129. 108 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Tous les clans n’étaient cependant pas invités à participer à cette compétition. En effet : “Only dominant, victorious tribes took part in the quest for the egg and the attendant ceremonies, for the privileges at stake were too important to be vested in an inferior or defeated group 147 (mata-kio).”. « Seuls les clans victorieux et dominants participaient à la quête de l'oeuf et aux cérémonies qui l’accompagnaient parce que les privilèges en jeu étaient trop importants pour être confiés à un groupe inférieur ou vaincu (mata-kio). ». Seul les clans victorieux et dominants participaient donc à ce concours. Ces clans dominants provenaient des deux grandes confédérations de l’Île. Or, comme nous l’avons vu un antagonisme permanent existait entre ces deux groupes. Selon Métraux, cet antagonisme se reflétait tout particulièrement dans le rite de l’Homme-oiseau, où, du début à la fin de ce rite, un clivage s’opérait entre les participants des deux confédérations de clans. La division territoriale de l’Île se reflétait dans le village même d’Orongo. Les maisons de pierre étaient séparées en deux groupes distincts, un groupe 148 de maisons pour les Ko Tuu et un autre pour les Hotu Iti. L’îlot Motu Nui était aussi séparé en deux et les concurrents, ou hopu, se répartissaient sur l’îlot en fonction du secteur de l’Île qu’occupait leur clan. Située dans une grotte au centre de cet îlot, une statue d’environ deux pieds de haut, nommée Tita hanga o te henua, ce qui signifie justement « la frontière du territoire », constituait, selon Routledge, la ligne de démarcation 149 entre les deux territoires respectifs. 147 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 333. Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 260, et Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 335. 149 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 261. 148 109 _________________________________________________________________________________________________________ Il semble d’ailleurs qu’il ait été beaucoup plus important de savoir de quelle confédération faisait partie le chef gagnant que de connaître de quel clan en particulier il provenait. Ainsi, le groupe gagnant était annoncé par un grand feu allumé sur l’un ou l’autre des deux emplacements prévus à cette fin au sommet du Rano Kau, suivant l’origine territoriale du nouvel Homme-oiseau, 150 soit un des clans de l’Ouest et du Nord ou un des clans de l’Est de l’Île. Il est loisible de penser que le despotisme de l’Homme-oiseau devait se faire sentir davantage envers les clans de l’autre confédération qu’envers les clans de sa propre confédération. D’où l’importance de connaître au plus vite le résultat de la compétition afin d’éventuellement se préparer au pire. Pour finir, le nouvel Homme-oiseau devait, suite à sa nomination, se retirer du monde durant plusieurs mois. S’il provenait des clans de l’Ouest il devait se rendre près d’Anakena ou sur son propre territoire, et s’il provenait d’un clan de l’Est, il allait à un endroit spécial près du Rano Raraku, situé dans 151 l’Est de l’Île. Selon les informations recueillies auprès des Pascuans, le temps que l’Homme-oiseau devait passer en réclusion variait de quelques mois, deux à 152 à un an, selon certains trois mois selon le Père Ollivier Pacôme, explorateurs. Pour notre part nous croyons qu’il s’agirait plutôt du laps de temps le plus court, ou bien que cette tradition n’a tout simplement pas été respectée intégralement lors des conflits. En effet, d’autres informations font mention de la manière dont l’Homme-oiseau abusait régulièrement de son pouvoir auprès de la population. Il fallait donc, pour ce faire, qu’il soit libre de ses mouvements durant une partie de l’année où il était consacré Hommeoiseau, avant que l’Homme-oiseau de l’année suivante ne soit nommé. 150 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 262. Lavachery, Henri. Les pétroglyphes de l’Île de Pâques, p. 95, et Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 337. 152 Ollivier, Pacôme, Lettre du R. P. Pacôme Ollivier au T.-R. P. Euthyme Rouchoux, p. 256. 151 110 Les maisons du village d’Orongo, où se déroulait le rite de l’Homme-oiseau, sont construites d’une multitude de pierres empilées. (Photo Bernard Philippe) _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 111 _________________________________________________________________________________________________________ 112 Face à Orongo, sur le plus grand des trois îlots, appelé Motu Nui, se déroulait la quête de l’œuf du manutara nécessaire à la nomination de l’Homme-oiseau. (Photo Bernard Philippe) _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 113 _________________________________________________________________________________________________________ 114 Guerres de clans et chute des moai Sculpture à même la paroi située à l’intérieur de la grotte principale sur l’îlot Motu Nui. (Photo J.-M. Groult) _________________________________________________________________________________________________________ 115 _________________________________________________________________________________________________________ 116 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Le rite de l’Homme-oiseau devenu source de conflit La plupart des auteurs sont d’avis que le rite de l’Homme-oiseau aurait apporté une certaine stabilité sur l’Île durant la période de son histoire où ont sévi des conflits entre les clans. En effet, pour mettre fin aux massacres occasionnés par les guerres entre différents clans, les chefs de guerre auraient trouvé un compromis par le biais du rite de l’Homme-oiseau qui aurait permis de donner une certaine suprématie à un chef de clans sur les autres chefs de clans de l’Île durant une année complète. Le fait de consacrer, à chaque année, un nouvel Homme-oiseau à qui on donnait un statut dominant sur les autres clans, aurait donc, selon ces auteurs, fait alterner régulièrement le pouvoir suprême entre les chefs de clans dominant et ainsi permis d’apaiser les tensions. Mais est-ce bien le cas ? Selon les informations recueillies auprès des Pascuans par les explorateurs et les missionnaires en poste sur l’Île, il semble que le comportement de l’Homme-oiseau était tout à fait comparable à celui d’un rapace. En effet, après sa nomination : « Alors commencent avec l’installation du nouveau pouvoir les pillages et les incendies. Malheur à celui qui a quelques patates, quelques poules ! Le chef escorté de ses gens s’abat sur les 153 cases comme un oiseau de proie. ». Le Révérend Père Roussel rapporte que lors de grandes fêtes organisées dans les villages à l’occasion des récoltes : « les matatoa, quittant leurs grottes de la montagne de Matavéri, s’abattaient comme des vautours sur tout ce qu’il avait à leur 153 Ollivier, Pacôme, Lettre du R. P. Pacôme Ollivier au T.-R. P. Euthyme Rouchoux, p. 256. 117 _________________________________________________________________________________________________________ convenance, sans que personne osât réclamer trop haut sa quote154 part. ». Métraux souligne aussi ce comportement rapace lorsque arrivait la fête des moissons puisque à cette période, l’Homme-oiseau et ses proches : “(…) swooped down like vultures upon everything which suited 155 them.”. « (…) fondaient comme des vautours sur tout ce qui leur convenait. ». Il va sans dire que ce comportement de rapace n’allait pas sans occasionner quelques problèmes : “Rarely did these feasts pass without trouble, since the Mato-toa quarreled about the booty. The man who was designated by Makemake as bird-man for the year was entitled to a large share 156 of the food distributed at feasts.”. « Ces fêtes se passent rarement sans problème, parce que le Mato-Toa se querellait à propos du butin. L'homme qui avait été désigné par Makemake comme l’Homme-oiseau de l'année avait droit à une part importante de la nourriture distribuée lors des fêtes. ». Métraux ajoute que ceux qui ne voulaient pas contribuer à fournir de la nourriture à l’Homme-oiseau étaient punis et les guerriers qui l’accompagnaient brûlaient la maison des fautifs. 154 Roussel, Hippolyte, R. P. Île de Pâques ou Rapanui, Notice par le R. P. Hippolite Roussel de la congrégation des Sacrès-Cœurs de Picpus, Missionnaire à l’Île de Pâques de 1866 à 1873, p. 11. 155 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 338. 156 Ibid., p. 338. 118 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Plus grave encore, Métraux rapporte que des guerres pouvaient être déclarées suite à la nomination de l’Homme-oiseau : “Perhaps the bitterness of the defeat or the insolence of the victorious group led to serious arguments and even war. Evidence given by the last of the surviving contenders or by witnesses of the bird cult stress the dread consequences these 157 contests had on the peace of the island.”. « Peut-être l'amertume de la défaite ou l'insolence du groupe victorieux conduisait-elle à des disputes sérieuses et même à la guerre. Les preuves données par le dernier des prétendants survivants ou par les témoins du culte de l’oiseau mettent en évidence les conséquences redoutables que ces rivalités ont eues sur la paix de l'île. ». La nouvelle année de l’Homme-oiseau commençait d’ailleurs sous de bien mauvais auspices. Toujours selon Métraux, le chef de clan une fois consacré Homme-oiseau désignait deux ou trois personnes qui devaient être sacrifiés pour la prospérité de son règne. Fort, en effet, de son nouveau pouvoir, il fêtait l’événement en se livrant à quelques règlements de compte avec ses anciens adversaires qui faisaient alors les frais d’un festin de leur propre personne. Ces sacrifices humains avaient lieu à la grotte Ana Kai Tangata, dont le nom veut dire très significativement « grotte des cannibales ». Notons que Métraux accordait beaucoup de crédibilité à la signification du nom « Kai Tangata » comme s’agissant de cannibales, car ce nom est utilisé non seulement à l’Île de Pâques, mais aussi à Mangareva, pour décrire des 158 guerriers mangeurs d’hommes. Métraux va même jusqu’à affirmer que le choix des victimes qui allaient être dévorées à cette occasion causait systématiquement une guerre entre clans à 159 chaque année. 157 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 338. Ibid., p. 138. 159 Ibid., p. 337. 158 119 _________________________________________________________________________________________________________ Routledge rapporte aussi une autre source potentielle de conflit en relation avec le rite de l’Homme-oiseau. Il arrivait en effet parfois qu’un clan qui avait remporté la compétition de l’Homme-oiseau pendant plusieurs années consécutives, décidait de passer ce titre et les privilèges qui l’accompagnaient à un clan allié. De telles faveurs pouvaient cependant entraîner des jalousies allant jusqu’à provoquer une guerre. Ainsi, à un moment donné, le clan Miru ayant accumulé le titre d’Hommeoiseau durant plusieurs années consécutives, aurait choisi comme successeur en titre le clan Ngaure. Ce choix entraîna aussitôt la jalousie des membres du clan Marama, qui étaient traditionnellement leurs alliés, à un point tel, qu’ils allèrent sur le territoire des Miru mettre le feu à la hutte de Ngaara. Celui-ci 160 n’étant autre que le roi de l’Île… C’est possiblement suite à cet évènement que le roi Ngaara, qui habitait à Anakena, aurait même été enlevé et maintenu en captivité durant un certain laps de temps dans un autre secteur de l’Île que le territoire appartenant au 161 clan des Miru. Bien que le pouvoir de l’Homme-oiseau fut établi sur une base temporaire, puisqu’un nouvel Homme-oiseau était nommé l’année suivante, et que ce statut temporaire permettait de faire alterner ce pouvoir entre plusieurs chefs de clans de l’Île, il nous apparaît bien évident que ce rite n’a apporté ni paix, ni stabilité sur l’Île, mais que tout au contraire, il aurait accentué les tensions déjà existantes entre les deux grandes confédérations de clans. En effet, l’Île étant géopolitiquement divisée en deux parties correspondant aux territoires occupés par deux confédérations de clans constamment en rivalité pour obtenir le plus de pouvoir possible, nous croyons que ce rite de l’Homme-oiseau aurait plutôt largement exacerbé l’antagonisme déjà existant entre ces deux groupes. Le comportement rapace du nouvel l’Homme-oiseau, les règlements de compte suivis de cannibalisme et les sanctions à l’endroit de ceux qui 160 Routledge, Scoresby. The Mystery of Easter Island, the Story of an Expedition, p. 258. Englert, P. Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 145. 161 120 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ n’acceptaient pas de contribuer au tribut qu’il réclamait, ne pouvaient effectivement qu’attiser l’esprit de vengeance des Pascuans. Vengeance qu’ils ne manquaient certainement pas d’exercer à leur tour, le moment venu… 121 _________________________________________________________________________________________________________ 122 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ CHAPITRE IV Conflits et statuaire de bois Acquisitions des premières statuettes par les Occidentaux Le capitaine Cook a été non seulement le premier visiteur de l’Île à signaler des moai gisant à terre, mais il a aussi été le premier à avoir eu connaissance de l’existence de statuettes en bois sculptés par les Pascuans, et a été, de même, le premier à en rapporter en Europe. Curieusement, ces statuettes en bois sculpté ne furent aucunement signalées par les explorateurs précédents. En effet, ni Roggeveen, ni même Gonzales qui, avait visité l’Île à peine quatre ans avant Cook, ne signalèrent de tels objets. Pourtant, nous savons, grâce à une datation au carbone 14 d’une statuette appartenant aux collections des Musées Royaux de Bruxelles, que de tels objets furent sculptés au XIVe siècle, soit bien avant le passage des premiers explorateurs occidentaux. Roggeveen n’ayant pas été très longtemps sur l’Île, il est possible qu’il n’ait pas eu connaissance de cette production artistique des Pascuans. Cela est cependant plus étrange de la part de Gonzales qui a fait escale sur l’Île six jours durant. Si effectivement ces statuettes existaient depuis longtemps, comment se faitil que les explorateurs qui ont précédé Cook n’en aient pas vu ? Se pourrait-il que ni Roggeveen, ni Gonzales ne les aient signalées, tout simplement parce que les Pascuans les avaient cachées ? En effet, beaucoup plus tard, le Révérend Père Roussel a mentionné que lorsqu’un conflit éclatait entre les Pascuans : « On s’occupait alors à préparer les armes, à mettre en cachette 162 les objets précieux. ». 162 Roussel, Hippolyte, R. P. Île de Pâques ou Rapanui, Notice par le R. P. Hippolite Roussel de la congrégation des Sacrès-Cœurs de Picpus, Missionnaire à l’Île de Pâques de 1866 à 1873, p. 6. 123 _________________________________________________________________________________________________________ Les grottes : des lieux propices pour cacher les objets précieux L’équipage de Gonzales qui a pénétré dans quelques-unes des huttes servant d’habitations aux Pascuans n’a pas mentionné avoir vu d’objets en bois sculpté à l’intérieur de celles-ci. Aucune statuette ne fut non plus aperçue dans les huttes par les membres de l’expédition de Cook. Ainsi, selon les comptes-rendus des excursions de reconnaissance sur l’Île, un des membres de l’expédition ayant aperçu plusieurs huttes, décida d’aller visiter la plus jolie d’entre elles située sur un monticule. Il relate que l’intérieur de la case était absolument vide et qu’il 163 n’y avait même pas d’herbe pour en faire une paillasse afin de se coucher. Lors d’une seconde excursion un autre membre de l’expédition visita lui aussi une hutte. Ce marin ne signala pas non plus y avoir vu d’objets sculptés 164 bien que les lieux aient été occupés par plusieurs Pascuans. Il y a tout lieu de croire que les Pascuans cachaient, non seulement leurs femmes et leurs enfants dans des grottes, mais aussi leurs objets les plus précieux, dont notamment, leurs statuettes en bois sculpté. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce que les premiers explorateurs n’en fassent pas mention. Le Frère Heyraud, régulièrement en contact avec les pascuans, supposait d’ailleurs que les objets précieux des Pascuans étaient cachés dans des grottes : « Comme ces braves gens se défient tous les uns des autres, et avec beaucoup de raison, ils sont toujours aux aguets pour défendre et cacher le peu qu'ils ont. Or les cachettes abondent. Toute l'île est percée de grottes profondes, les unes naturelles, les autres artificielles, qui ne communiquent au dehors que par une ouverture très étroite. Quelques pierres suffisent pour en 165 fermer et dissimuler l'entrée. ». 163 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, p. 198. 164 Ibid., p. 218. 165 Eyraud, Eugène. Lettre du Frère Eugène Eyraud, au Supérieur général. 124 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Notons que Routledge a découvert, à l’intérieur d’une grotte, cinquante à soixante mata’a dans une cache recouverte d’une pierre. Plus récemment, des spéléologues, lors d’une expédition d’exploration des grottes de l’Île de Pâques, ont encore découvert une cache dans une grotte contenant des pointes d’obsidiennes. Ces pointes d’obsidiennes travaillées, qu’il s’agisse d’objets domestiques ou d’armes de défense et d’attaque, constituaient de toute évidence des objets précieux que les Pascuans mettaient bien à l’abri dans des caches au fond des grottes. 125 _________________________________________________________________________________________________________ 126 Guerres de clans et chute des moai 127 Groult) Pointes d’obsidiennes découvertes dans une cache au fond d’une grotte lors d’une expédition spéléologique. (Photo J.-M. _________________________________________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________________________________________ 128 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Pour quelles raisons, Cook aurait, lui, non seulement vu des statuettes, mais aurait aussi pu en faire l’acquisition ? Il semble, selon Froster, que la raison soit due au très grand désir des Pascuans de posséder du tapa, une étoffe fabriquée à partir d’écorce d’arbre que Cook avait en sa possession. Les Pascuans auraient alors exposé plusieurs objets décoratifs, ainsi que des statuettes de bois sculpté en vue d’effectuer des échanges. En effet, selon Forster, les Pascuans, malgré leur extrême dénuement, auraient fait n’importe quoi pour obtenir du Tapa que Cook avait rapporté de son escale à Tahiti, à tel point que : « Le désir d’avoir ces étoffes, les porta à vendre différentes choses dont probablement ils ne se seraient pas défaits autrement, et entre autres des chapeaux, des colliers, des pendants d’oreilles et de petites figures humaines de bois de dix-huit pouces ou de deux pieds de long, étroites, et d’un travail beaucoup plus net et beaucoup plus propre que celui des statues. Les unes représentaient des hommes, et les autres des femmes ; les traits n’avaient rien d’agréable, et l’ensemble de la figure était trop large ; cependant on y apercevait le goût de la sculpture. Le bois en est bien poli, d’un grain ferme, et d’un 166 brun sombre (…) ». Il est parfaitement compréhensible que les Pascuans aient échangé des objets décoratifs qu’ils avaient confectionnés contre des objets apportés par Cook qui attisaient leur convoitise. Il nous semble cependant difficilement concevable que les Pascuans se soient départis de sculptures probablement sacrées qu’en d’autres circonstances ils essayaient de protéger du mieux possible. En effet, comment expliquer que les Pascuans aient pu échanger ce qui est considéré comme des représentations de leurs ancêtres divinisés contre des objets qui leur faisaient envie mais qui n’étaient pas indispensables à leur survie. 166 Cook, James. Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, fait sur les vaisseaux de roi, L’Aventure, & La Résolution, en 1772,1773, 1774 & 1775, pp. 215, 216. 129 _________________________________________________________________________________________________________ À une époque plus récente, ce genre de transaction aurait pu se faire sans trop de problèmes puisque ces objets avaient perdu leur signification sacrée pour la plupart des Pascuans. Malgré tout, nous savons que quelques Pascuans ont quand même caché une partie de ces objets lorsque, suite à leur conversion au Christianisme, les missionnaires leur avaient demandé de les détruire. Ces objets avaient donc encore une grande valeur pour certains Pascuans, même à une époque récente. Il y aurait cependant, selon nous, une autre explication plausible : iI est possible que les objets qui ont été échangés aux membres d’équipage du capitaine Cook, n’appartenaient pas nécessairement à ceux-là mêmes qui les transigeaient. Il se pourrait en effet fort bien qu’il s’agisse de butin de guerre volé à des clans vaincus. Nous avons vu que jeter à terre, afin de les briser, les moai du clan vaincu pouvait servir à briser son moral. Le déposséder en plus de ses objets sacrés ou protecteurs en bois sculpté pouvait probablement affaiblir encore davantage son moral. Mais quelle utilisation pouvait bien faire par la suite le clan vainqueur de ces objets ? Nous concevons difficilement que des Pascuans puissent, par exemple, utiliser des moai kavakava saisis aux clans vaincus pour les utiliser pour euxmêmes afin qu’ils puissent représenter leurs propres ancêtres, d’autant plus que ces statuettes auraient été emblématiquement identifiées à un autre clan. Nous avons pu voir en effet que certaines caractéristiques, telles les gravures crâniennes de statuettes, auraient représenté l’emblème de clans en 167 particulier. Il serait cependant possible que les Pascuans aient accepté de se départir de ce butin de guerre à la faveur des Occidentaux de passage en échange d’objets qui leur faisaient réellement envie. Ainsi, Cook qui serait arrivé lors du paroxysme de cette grande guerre, au moment même où les Pascuans avaient commencé à jeter à terre les moai protecteurs de leurs ennemis, aurait tout aussi bien pu emporter avec lui des objets, dont des statuettes en bois sculpté, qui auraient constitué du butin de guerre. 167 Daude, Jean Hervé. Île de Pâques – Mystérieux Moko. 130 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Conflits et cannibalisme Pratiquement tous les explorateurs qui ont recueilli la tradition orale pascuane rapportent que des actes de cannibalisme auraient eu lieu sur l’Île. Ces actes auraient même été fréquents lors des périodes de conflits. Qui plus est, les premières missions archéologiques ont recueilli certains témoignages de Pascuans, lesquels mentionnaient qu’ils avaient eu connaissance que de tels actes avaient étaient commis sur l’Île. Métraux mentionne d’ailleurs que trente ans seulement avant son passage, il était encore possible de rencontrer des Pascuans qui avaient goûté à la chair 168 humaine. Ainsi, une jeune Pascuane nommée Victoria Rapahango, qui lui servait de guide et lui fournissait de nombreuses informations, lui avait mentionné avoir connu le dernier guerrier cannibale de l’Île lorsqu’elle était enfant. Selon ses souvenirs tous les enfants de son âge étaient complètement 169 terrorisés par ce sinistre personnage. J. Macmillan Brown dont l’expédition a eu lieu à la même époque que celle de Métraux, a même recueilli, de son côté, des informations provenant de vielles pascuanes à l’effet que celles-ci, malgré le tabou qui interdisait aux femmes de manger de la chair humaine parce qu’il s’agissait d’un mets réservé aux guerriers, avaient pu malgré tout se procurer et consommer 170 quelques morceaux de ces festins cannibales durant leur jeunesse. Selon Englert, le cannibalisme aurait sans doute eu des aspects rituels, mais aurait aussi été utilisé comme insulte aux vaincus. De plus, sur une île dépourvue de grands mammifères la viande humaine aurait été semble-t-il appréciée. Englert mentionne qu’il est probable que cette pratique se soit 171 répandue, du moins en partie, à cause d’une pénurie alimentaire. Notons que Brown pensait aussi la même chose puisqu’il affirmait que le 172 cannibalisme sur l’Île de Pâques prenait ses racines dans la faim. Brown 168 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 109. Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 150. 170 Brown, J. Macmillan. The Riddle of the Pacific, pp. 226. 171 Englert, P.Sebastian. Island of the center of the world, New Light on Easter Island, p. 141. 172 Brown, J. Macmillan. The Riddle of the Pacific, pp. 182, 183. 169 131 _________________________________________________________________________________________________________ supposait même que des clans subissant une pénurie alimentaire auraient volontairement déclenché des hostilités afin de pouvoir consommer de la 173 viande humaine pour s’alimenter. Pour notre part, nous croyons que cette pratique sur l’Île de Pâques n’aurait rien eu d’étonnante en soi, puisqu’elle était répandue en plusieurs endroits de la Polynésie, et même plus globalement en Océanie. Le cannibalisme aurait cependant pu être exacerbé sur l’Île de Pâques du fait que durant de longs conflits les Pascuans ne pouvaient pratiquement pas cultiver les aliments indispensables à leur alimentation, réduisant ainsi d’autant leur chance de survie. Ainsi, pour les Pascuans réfugiés dans les grottes, la principale difficulté était qu’il fallait nécessairement en sortir de temps à autre pour s’approvisionner. Il devait cependant être très difficile de trouver de la nourriture facilement accessible dans un contexte où les cultures de leur clan dépérissaient car laissées à l’abandon, si elles n’avaient tout simplement pas été pillées ou détruites. Il pouvait de plus être très risqué de s’aventurer dans les champs pour tenter d’y faire une culture dont la récolte était de toute façon totalement incertaine… Sur l’Île, le seul mammifère pouvant être chassé pour être consommé était le rat polynésien, un petit rongeur à peine plus gros qu’une souris. Compte tenu de sa grosseur, il fallait donc réussir à en capturer beaucoup pour s’en nourrir. La pêche était par ailleurs très risquée pour les Pascuans réfugiés, car elle nécessitait de s’aventurer hors de l’endroit où ils étaient cachés pour un laps de temps relativement long. Le cannibalisme aurait donc alors pu constituer une alternative favorisant la survie de Pascuans affamés. Thomson a d’ailleurs recueilli des informations à l’effet que le cannibalisme sur l’Île : “(…) to have originated with a band of natives who were defeated in war and besieged in their stronghold until reduced to 173 Brown, J. Macmillan. The Riddle of the Pacific, p. 217. 132 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ the borders of starvation. From this time the loathsome custom of devouring prisoners, captured in war, grew in popular 174 favor.”. « (…) aurait débuté avec une bande d’indigènes (Pascuans) qui auraient été vaincus lors d’une guerre, assiégés sur leur territoire et réduits à la dernière extrémité. Depuis ce moment, cette coutume répugnante de dévorer les prisonniers capturés à la guerre s’est développée dans la faveur populaire. ». Métraux aussi considérait que le cannibalisme était associé de très près à la guerre, les morts ennemis et les prisonniers faisant souvent les frais du festin. Il souligne d’ailleurs que la tradition orale mentionne occasionnellement le 175 terme kai-tangata qui signifie « guerrier cannibale ». En temps de paix, cet acte était cependant considéré comme une très grave insulte à la famille et au clan auquel appartenait la victime. Cet acte réclamait une vengeance par le sang. Métraux rapporte d’ailleurs qu’une guerre aurait débuté suite à un acte de cannibalisme en temps de paix qui aurait alors 176 suscité une terrible vengeance. Plusieurs explorateurs ont retrouvés sur l’Île des os humains brulés. Ainsi Palmer relate que : “We were told heaka (ika) were burnt here, and at the foot of one of these pillars at Winipoo (Vinapu) we found many burnt 177 bones. ”. « On nous a dit que les heaka (ika) ont été brûlés ici, et au pied d'un de ces piliers à Winipoo (Vinapu) nous avons trouvé de nombreux os brûlés. ». 174 Thomson, W. J. Te Pito Te Henua, or Easter Island, p. 472. Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 138. 176 Ibid., p. 138. 177 Palmer, J. Linton. A visit to Easter Island, or Rapa Nui, in 1868 By J. Linton Palmer, F.R.C.S., Surgeon of H.M.S. Topaze, p. 179. 175 133 _________________________________________________________________________________________________________ Suite à la découverte de ces os, il fut même considéré par certains que les Pascuans avaient pratiqué la crémation pour disposer du corps des personnes décédées. Or, ika veut dire victime en Pascuan. Ce ne sont donc pas des morts dont on disposait de la dépouille par la crémation qui étaient brûlés à cet endroit, mais bien des victimes de conflits qui devaient fort probablement faire les frais d’un festin. Des squelettes ont été retrouvés à plusieurs reprises dans des grottes, dont à la grotte Ana O keke. Dans cette grotte, avait lieu un rite de réclusion très particulier visant à faire blanchir la peau de jeunes filles issues de l’aristocratie de l’Île, dont la destinée était d’être promise aux futurs Hommes-oiseaux. Englert signale, qu’à l’époque où il a visité cette grotte, il a vu dans ses profondeurs plusieurs squelettes humains : « La secunda observacion etnologica se hace a 350 metros al interior. Se ven los restos de esqueletos humanos, que estaban puestos uno al lado de otro por unos 20 metros de largo. Debido a la constante humedad, los huesos estan todos deshechos. Solamente que dan dientes que no dejan ninguna duda de que se 178 trata de esqueletos humanos. ». « La seconde observation ethnologique se situe à moins de 350 mètres à l’intérieur. Ce sont les restes de squelettes humains, qui ont été placés les uns à côté des autres sur environ 20 mètres de longueur. En raison de l'humidité constante, les os sont tous devenus des déchets. Il y a seulement les dents qui ne laissent aucun doute qu'il s’agisse de squelettes humains. » 178 Englert, P. Sebastian. La Tierra de Hotu Matu’a, Historia, Etnologia y Lengua de la Isla de Pascua, pp. 233, 236. 134 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Dans la période contemporaine une expédition spéléologique a d’ailleurs encore découvert dans cette même grotte deux incisives humaines, sur le sol, 179 à plus de 180 m à l’intérieur. Deux spéléologues amateurs firent aussi une macabre découverte dans une autre grotte. Ceux-ci ont en effet découvert un tunnel de lave de plus de 200 mètres de longueur, dont le boyau était très étroit, soit à peine 1,50 m en largeur, et encore plus petit en hauteur, soit 1,10 m, se réduisant même jusqu’à 50 cm à certains endroits. Il était donc très difficile de progresser dans cette grotte, l’extrême étroitesse de son boyau nécessitant même parfois de ramper en certains endroits. Malgré sa grande longueur et son extrême étroitesse, elle était, selon des journalistes qui l’ont visité par la suite : « (…) littéralement « tapissée » de restes de squelettes et de 180 dents humaines. ». Considérant l’étroitesse du boyau, il semble très peu probable qu’il puisse s’agir d’un sanctuaire pour y déposer les ossements des morts. L’étroitesse du tunnel à certains endroits nous fait plutôt penser aux grottes qui auraient pu servir de refuge en cas de conflits. Quoi qu’il en soit, sans en connaître les détails particuliers, il semble indéniable que des événements dramatiques sont reliés à la présence de ces squelettes dans ces grottes. D’intrigantes statuettes Une bribe de tradition orale, concernant cette période de conflits meurtriers, nous intrigue particulièrement. En effet, selon Métraux, lors d’une bataille qui eut lieu durant cette grande guerre, trois Pascuans furent tués par un clan ennemi. Métraux relate que les vaincus firent les frais d’un festin et que les vainqueurs : 179 Carlier, Pierre, et Gauthier, Alain, ainsi que Groult, Jean-Marie. Les tunnels de lave de la presqu’île de Poike, un lieu dit, une caverne : Ana o Keke, p. 7. 180 La Dépêche Dimanche, Magazine Pacifique, 1997. 135 _________________________________________________________________________________________________________ “(…) lit the oven , they cooked that ennemy victim, that victim Paoa-au-revera, the third victim to be cooked. They baked, cooked, and ate. ” « (…) allumèrent le four, ils apprêtèrent leur victime ennemie, leur victime Paoa-au-revera (paoa signifiant un simple guerrier), la troisième victime a été apprêtée. Ils firent cuire, apprêtèrent, 181 et mangèrent. » Toujours selon Métraux, par la suite les vainqueurs : “(…) carved images of those three victims in the caves in which 182 they stayed.”. « (…) sculptèrent des représentations de ces trois victimes dans les grottes où ils habitaient. ». Ainsi, selon la tradition orale, les Pascuans vainqueurs auraient donc non seulement apprêté, cuit et mangé trois ennemis vaincus, mais aussi surprenant que cela puisse paraître, ils auraient ensuite pris la peine de sculpter des représentations de ces victimes lors de cette scène macabre. La tradition orale fait donc explicitement mention que des Pascuans ont sculpté des scènes dramatiques où leurs ennemis faisaient les frais du festin. Se pourrait-il que des statuettes représentant des scènes reliées au cannibalisme aient pu être rapportées en Europe par les premiers explorateurs, sans que personne ne sache exactement ce qu’elles pouvaient bien représenter ? Nous savons qu’en plus des imposants moai, les anciens Pascuans ont façonné une grande variété de petites sculptures en bois appelées moai miro, comprenant non seulement des statuettes moai Kavakava, des moai Pa'apa'a, 181 182 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 83. Ibid., p. 83. 136 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ des moai Tangata, mais aussi d’autres statuettes non identifiées, qui semblent aussi être des représentations humaines. La tradition orale ne décrit en aucune manière les détails des sculptures qui auraient été effectuées suite aux scènes de cannibalisme. Nous n’avons pas non plus d’informations, de la part des Pascuans, qui pourraient nous aider à déterminer à quoi auraient bien pu ressembler ces statuettes. Il est cependant important de souligner que, selon Lavachery, les Pascuans représentaient réellement ce qu’ils avaient sous les yeux de manière relativement réaliste, bien que très stylisée; ce que nous avons d’ailleurs pu constater à plusieurs reprises lors de nos précédentes études. Lavachery soulignait que les moai de l’Île de Pâques, bien que standardisés, dégagent une impression de réalisme et de vérité humaine qui lui semblait d’ailleurs très éloignée des œuvres de la statuaire des autres îles 183 polynésiennes. D’après lui, il suffit de comparer le moai conservé au British Museum à n’importe quel Tiki marquisien pour s’en rendre compte. Lavachery mentionnait aussi que les Pascuans, lorsqu’ils sculptaient le bois, conservaient quand même la sobriété dont ils faisaient montre dans leur statuaire de pierre. Il considérait, en effet, que les Pascuans s’attachaient à l’imitation réaliste des objets et qu’ils pratiquaient l’économie des lignes par la simplification du trait. Lavachery affirma même que les œuvres des Pascuans attestent d’une qualité 184 et d’un réalisme qu’on ne retrouve pas ailleurs dans tout l’art polynésien. Selon nous, pour que ces représentations de scènes cannibales sous forme de statuettes en bois sculpté atteignent leur objectif, il était nécessaire que la scène représentée soit reconnaissable d’emblée pour un Pascuan vivant à cette époque sans qu’aucune explication supplémentaire ne soit nécessaire. Bien entendu, pour les personnes n’étant pas familières avec cette culture, et de plus, ne sachant absolument pas qu’il fut possible que de telles scènes 183 184 Lavachery, Henri. Île de Pâques, p. 191. Lavachery, Henri. Les pétroglyphes de l’Île de Pâques, pp. 9-12. 137 _________________________________________________________________________________________________________ aient été représentées, la signification de ces statuettes reste complètement obscure. Dans ce contexte, notre attention est particulièrement attirée par quelques statuettes qui sont à tout le moins très intrigantes et qui diffèrent largement des autres statuettes sculptées par les Pascuans. Ces statuettes ne sont pas catégorisées comme telle et aucune information spécifique n’a pu être recueillie à leur sujet. Il semble aussi, qu’à ce jour, personne n’en ait trouvé une signification plausible. Bien qu’elles soient relativement très différentes les unes des autres, ces statuettes possèdent, selon nous, certaines caractéristiques communes qui permettraient d’en faire une catégorie particulière. Entre autres, elles ont toutes la tête en position relevée. Selon nous, cette position de la tête permet de bien montrer à la personne qui regarde la statuette qu’il s’agit bel et bien de la représentation d’un être couché sur le ventre. En effet, si la tête avait été dans le même axe que le corps, en tenant la statuette en position debout et non pas couchée, elle aurait l’air de représenter une personne debout. Or, le sculpteur ne voulait laisser planer aucun doute sur la position de l’être représenté par ce genre de statuette. D’emblée nous pouvons constater qu’il s’agit de représentations d’êtres couchés sur le ventre, ce qui devait d’ailleurs être la principale caractéristique de la scène représentée par le sculpteur. Une de ces statuettes faisant partie des collections du British Museum nous intéresse particulièrement. Elle représente un être humain dont le faciès rappelle celui des moai kavakava. Les côtes, bien visibles, sont aussi très semblables à celles des moai kavakava, des statuettes Moko et aussi de certaines statuettes d’Homme-oiseau. La colonne vertébrale n’est cependant pas présente comme sur ces autres genres de statuettes. Les épaules et le début des bras sont bien représentés, alors que les avant-bras sont à peine soulignés et que les mains ne sont absolument pas détaillées. D’après son faciès, cette statuette représente un être de sexe masculin. Le sculpteur a représenté la tête ornée de sourcils épais en chevrons; la partie supérieure des joues est gonflée, le nez est aquilin et le menton est orné d’un petit bouc. Toutes ces caractéristiques sont aussi présentes sur les moai kavakava. La statuette n’arbore cependant pas le rictus caractéristique des 138 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ moai kavakava. Elle n’affiche pas d’expression particulière, mais on peut envisager qu’elle suggère un regard vide d’émotion et une résignation désespérée. Étonnement, la partie inférieure du tronc n’est pas représentée comme on pourrait s’y attendre. Le bas du corps, vu de face et de côté, se limite en effet à une forme de cylindre aplati, à tel point qu’il serait possible de croire que la forme allongée de la partie inférieure de la statuette serait le résidu de la branche dans laquelle elle a été sculptée et que le sculpteur, pour une raison ou pour une autre, n’a pas été en mesure de terminer son œuvre. Pourtant cette forme étrange du bas du corps a été sculptée et polie avec soin; il est donc peu probable que cette partie soit ainsi parce que le sculpteur n’aurait pas eu le temps de la terminer. Une observation attentive de ce cylindre aplati permet de distinguer la forme de deux jambes légèrement représentées lorsque la statuette est vue de dos. Ce cylindre, légèrement replié, a d’ailleurs sensiblement le même volume que deux jambes qui auraient été collées ensemble; c’est possiblement ce que le sculpteur aurait voulu montrer. Alors qu’il s’agit d’attributs presque toujours présents sur les autres genres de statuettes, les mamelons, le nombril et les organes sexuels n’ont pas été reproduits par le sculpteur. Heyerdahl spécifie que cette statuette : « (…) ne se tient qu’horizontalement avec la tête retournée pour regarder en avant. ». Ne sachant pas trop ce qu’elle pouvait bien représenter, Heyerdahl l’avait qualifiée de « Mâle zoomorphe avec queue longue et épaisse.». Il considérait en effet qu’elle avait « un corps à côtes avec des ailes, ou des nageoires, et une longue queue 185 épaisse. ». Selon nous, cette statuette ne serait aucunement zoomorphe comme le suggérait Heyerdahl, mais représenterait plutôt, bel et bien, une scène que les Pascuans avaient sous les yeux et qui aurait été largement répandue en certaines circonstances. 185 Heyerdahl, Thor. L’art de l’Île de Pâques, p. 284. 139 _________________________________________________________________________________________________________ 140 Dès le premier regard, cette statuette nous donne l’impression qu’il s’agit de la représentation d’un être en très mauvaise posture, tel un prisonnier qui serait attaché. _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 141 _________________________________________________________________________________________________________ 142 Guerres de clans et chute des moai Le bas du corps de cette statuette, vue de face et de côté, se limite à une forme de cylindre aplati. _________________________________________________________________________________________________________ 143 _________________________________________________________________________________________________________ 144 Guerres de clans et chute des moai Cette statuette semble représenter un corps contorsionné gisant à terre, mais dont la tête se redresserait dans un dernier effort. _________________________________________________________________________________________________________ 145 _________________________________________________________________________________________________________ 146 Guerres de clans et chute des moai Lorsque la statuette est vue de dos, ce cylindre aplati semble avoir la forme de deux jambes légèrement repliées et collées ensemble. _________________________________________________________________________________________________________ 147 _________________________________________________________________________________________________________ 148 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ La figure de cette statuette n’affiche pas d’expression particulière très marquée. On pourrait suggérer qu’elle affiche une expression de soumission totale ou vide d’émotion. 149 _________________________________________________________________________________________________________ 150 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Nous savons que lorsque les Pascuans faisaient cuire leurs victuailles, ils utilisaient un four souterrain appelé umu, qui permettait de faire de la cuisson à l’étouffée. Dans ce four, des feux étaient embrasés au fond d’un trou dans le sol dans lequel on disposait des pierres que l’on chauffait. La nourriture était placée à l’intérieur de ce four sur des grandes feuilles pour la protéger 186 Certains aliments étaient même afin qu’elle ne soit pas brûlée. complètement enveloppés dans des feuilles qu’on disposait sur les pierres brûlantes, et on recouvrait le tout de terre. Finalement, plusieurs heures plus 187 tard, on déterrait et on déballait les aliments pour le repas. Les animaux étaient cuits dans ces fours de la même manière. Les Pascuans plaçaient même parfois des pierres brûlantes à l’intérieur du corps de 188 volatiles avant de les mettre au four. Certains aliments étaient donc emballés avec soin dans des grandes feuilles afin qu’ils ne soient pas brûlés au contact des pierres surchauffées et il était 189 nécessaire de les déballer avant de les consommer. La statuette que nous venons de décrire pourrait-elle représenter un Pascuan qui allait être cuit pour faire les frais d’un festin ? Dès le premier regard, la sculpture nous donne effectivement l’impression qu’il s’agit de la représentation d’un être en très mauvaise posture, la position désespérée possiblement d’un prisonnier. Elle représente un corps contorsionné gisant à terre, mais dont la tête se redresserait dans un ultime effort. Sa figure sans expression particulière semble représenter un être résolu au sort qui l’attend. Nous pensons que la scène représentée par cette statuette représente effectivement une personne prête à être cuitsinée, et dont la partie inférieure du corps aurait été enveloppée avec grand soin. De grandes feuilles de bananier auraient servi à l’envelopper afin de la faire cuire de manière 186 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 162. Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 58. 188 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 163. et The Voyage of Captain Don Felipe Gonzalez to Easter Island, p. xivi. 189 Métraux, Alfred. Ethnology of Easter Island, p. 163. 187 151 _________________________________________________________________________________________________________ traditionnelle dans un four souterrain correspondant à la manière de faire cuire les aliments sur l’Île de Pâques. Nous avons vu que la tradition orale faisait spécifiquement mention que des Pascuans vainqueurs apprêtèrent leurs victimes avant de les faire cuire et qu’ensuite ils façonnèrent des statuettes représentant la scène. Il est donc fort possible que les vaincus furent préparées de la manière traditionnelle, en les enveloppant, comme d’autres aliments destinés à être cuits dans les fours souterrains. Selon Heyerdahl, cette statuette en bois foncé serait possiblement du bois de Toromiro. Ce bois sacré pour les Pascuans en raison de ses caractéristiques très prisées, était autrefois utilisé pour réaliser des objets en bois sculpté. Par la suite cet arbuste s’est raréfié au point de disparaître complètement de la surface de l’Île au XXe siècle. Toujours selon Heyerdahl, cette statuette fut achetée par le British Museum en 1866 et, selon lui, elle aurait probablement été recueillie au cours du voyage de Cook en 1774. Cette statuette pourrait donc être la représentation de certaines situations dramatiques engendrées par les conflits de la grande guerre. 152 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ D’autres statuettes pourraient, elles aussi, représenter des scènes dramatiques du même genre que celle que nous venons d’exposer. Ainsi, une statuette, qui a fait partie des collections de Hooper nous semble tout aussi intrigante. Sa tête relevée nous indique encore une fois qu’il s’agit d’une statuette qui doit être regardée à l’horizontale, c’est-à-dire en position couchée. Heyerdahl croit qu’elle serait probablement elle aussi en bois de Toromiro. Il 190 considère qu’elle est authentique et, de plus, très ancienne. Il est intéressant de noter qu’encore une fois le sculpteur n’a pas représenté de mamelons, de nombril ou de parties génitales. Les bras de cette statuette sont 191 repliés le long de la poitrine et les doigts atteignent la base du cou. Selon Heyerdahl, entre les jambes démarre « (…) une queue épaisse se recourbant en arrière et en haut au niveau des petits pieds pour se terminer en une queue 192 d’oiseau. ». 190 Heyerdahl, Thor. L’art de l’Île de Pâques, p. 284. Ibid., Planche 114b, p. 284. 192 Ibid., p. 284. 191 153 _________________________________________________________________________________________________________ 154 Cette statuette présente un appendice à l’arrière du corps qui donne l’impression d’être une partie extérieure au corps qui démarre au niveau des fesses. _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 155 _________________________________________________________________________________________________________ 156 Cet appendice sculpté sur lequel les jambes sont collées figurerait une grosse branche ou une racine d’arbre qui perfore le corps de l’être représenté. _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 157 _________________________________________________________________________________________________________ 158 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Le visage de cette statuette présente une expression très différente de celle des autres statuettes pascuanes. 159 _________________________________________________________________________________________________________ 160 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Les bras repliés le long du corps et les mains placées sur le haut de la poitrine de cette statuette ne sont pas des caractéristiques courantes sur la plupart des autres genres de statuettes pascuanes représentant des humains. Cela nous rappelle cependant la position des pattes de certaines statuettes Moko, qui, comme nous l’avons vu lors d’une précédente étude, représenteraient un 193 animal destiné à être consommé. Curieusement, cette statuette présente aussi un appendice à l’arrière du corps, tout comme dans le cas de certaines statuettes Moko. Cet appendice n’est pas le résidu de la branche dans laquelle la statuette a été sculptée, mais donne plutôt l’impression d’être une partie extérieure au corps qui démarre au niveau des fesses. Nous avons pu voir lors de cette précédente étude que les Pascuans ont représenté par les statuettes Moko une scène où ils préparaient un animal, le cuy, pour le consommer une fois cuit sur un brasier. Cet animal pouvait dans certains cas être représenté embroché, parfois même avec le bout des pattes 194 attachées sur sa broche. Nous croyons que, tout comme dans le cas des statuettes Moko, ce long appendice sculpté sur lequel les jambes sont collées et, qui prend son origine sous les fesses et se poursuit au-delà des pattes par un cône lisse plus ou moins allongé, figurerait une grosse branche ou une racine d’arbre qui perfore le corps de l’être représenté. En effet, nous avons pu voir que des statuettes Moko étaient, elles aussi, dotées d’un appendice à l’arrière du corps et que celui-ci aurait été en fait une pièce de bois empalant l’animal dans le but d’en faciliter la manipulation afin de le faire rôtir. Sur cette statuette qui a fait parti des collections de Hooper, l’appendice en question représenterait aussi, tout bonnement, mais de manière schématisée, la pièce de bois empalant l’individu destiné à être rôti. Il est possible qu’en situation de conflit les Pascuans n’aient pas toujours eu la possibilité d’utiliser un umu et qu’ils se contentaient alors de faire cuire les aliments sur un brasier. D’autres statuettes, présentant des caractéristiques communes avec les statuettes précédentes nous semblent, elles aussi, provenir de la même inspiration et devraient donc être classées dans la même catégorie. 193 194 Daude, Jean Hervé. Île de Pâques – Mystérieux Moko. Ibid. 161 _________________________________________________________________________________________________________ Les deux statuettes suivantes ont en effet la tête relevée et leurs mains, placées sur le haut de leur poitrine ou près du menton, nous rappellent aussi la position des pattes des statuettes Moko. Ces deux statuettes qualifiées par Heyerdahl de « Figures tournées en 195 arrière », n’ont pas la même origine connue. Cependant elles témoignent d’une inspiration commune. Elles ont en effet plusieurs éléments en commun dont : les oreilles nettement positionnées vers l’arrière, les omoplates, ainsi que les fesses très bombées. 195 Heyerdahl, Thor. L’art de l’Île de Pâques, planche 78. 162 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Notons que la tête de l’une de ces deux statuettes est ornée d’un couvre-chef de plumes; il pourrait donc s’agir là de la représentation d’un chef. Selon Heyerdahl, l’une des deux statuettes serait en Sophora Toromiro. 163 _________________________________________________________________________________________________________ Différemment des statuettes précédentes qui avaient soit les mains placées dans le dos ou sur l’avant du corps, le long de la poitrine ou au bas du menton, certaines statuettes présentent des mains allongées le long du corps. La position caractéristique de leur tête relevée nous incite cependant à les placer dans la même catégorie que les statuettes précédentes. 164 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Une statuette aux caractéristiques quelque peu différentes représenterait aussi, selon nous, le même genre de scène dramatique. Heyerdahl qualifie 196 l’oeuvre de « monstre étendu ». Or, nous avons vu lors de notre précédente étude qu’Heyerdahl n’hésitait pas à traiter de monstrueuses des statuettes, lorsqu’il ne comprenait pas ce qu’elles pouvaient bien représenter, entre autres les statuettes Moko. Un peu plus loin, il qualifie cette statuette de « figure à demi-couchée avec 197 cavité ronde et une seule jambe ». Heyerdahl décrit ainsi cette oeuvre : « Le corps déformé a des bras écourtés et seulement une jambe, 198 aussi large que le corps. ». La tête très relevée et légèrement tournée de côté, nous indique encore une fois que le sculpteur a voulu, de manière non équivoque, que cette statuette soit regardée en position couchée, mais sur le dos cette fois. Le bras gauche se confond avec le corps au niveau du coude, le bras droit est tordu vers l’arrière et se confond lui aussi avec le corps juste au-dessous du coude. Selon nous, il s’agit de la représentation d’un être plus jeune que ceux qui sont personnifiés sur les autres statuettes que nous venons de détailler. Son faciès est plus arrondi et on ne retrouve pas de barbe en forme de bouc. Encore une fois, on peut noter l’absence de gravures crâniennes. À la place de ces gravures, on découvre un trou sur le crâne. Il est si bien sculpté qu’il ne peut en aucun cas constituer un bris accidentel. La colonne vertébrale se résume à une simple ligne et les vertèbres ne sont pas présentes comme sur les moai kavakava. Il n’y a, tout comme sur les autres statuettes que nous venons de détailler, ni mamelons, ni nombril, ni organes génitaux de représentés. Alors que la figure est relativement bien détaillée, les bras et les jambes, bien sculptés et bien polis, sont cependant réduits à une simple forme. Les jambes sont représentées comme si elles ne formaient qu’un seul bloc. Au départ du tronc elles ont la même largeur que le corps; on distingue très bien la forme 196 Heyerdahl, Thor. L’art de l’Île de Pâques, planche 108. Ibid., p.282. 198 Ibid., planche 108. 197 165 _________________________________________________________________________________________________________ du haut et du bas des jambes qui sont d’ailleurs repliées au niveau des genoux. Notons que l’extrémité des jambes, où l’on devrait normalement retrouver les pieds, est constituée d’un genre de sphère aplatie. Quel être pour le moins étrange les Pascuans ont-ils bien voulu représenter ? Nous croyons que cette statuette, en position couchée et à la tête à demi relevée, serait, encore une fois, la représentation d’un être emballé dans des feuilles afin de le faire cuire. La sphère aplatie à l’emplacement où devraient se situer les pieds serait la représentation des pieds emballés et possiblement même ficelés. Nous avons en effet pu voir que ce genre de protubérance sur les statuettes Moko serait le ficelage des pieds de l’animal reproduit. 166 Guerres de clans et chute des moai Photo disponible seulement dans le livre de l’auteur _________________________________________________________________________________________________________ 167 _________________________________________________________________________________________________________ 168 Guerres de clans et chute des moai Photo disponible seulement dans le livre de l’auteur _________________________________________________________________________________________________________ 169 _________________________________________________________________________________________________________ 170 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Nous croyons que, tout comme dans le cas des statuettes Moko, les victimes de festins cannibales auraient aussi été représentées prêtes à être cuites ou à être consommées. Il est donc fort possible que plusieurs statuettes pascuanes représentent des humains destinés à être cuits ou déjà cuits. Certaines des statuettes ont parfois des parties du corps qui, tout en ayant une forme, ne sont pas détaillées et semblent enveloppées. Il peut s’agir soit de la partie inférieure du tronc, du dos ou des bras. Elles représenteraient des individus partiellement enveloppés dans des feuilles de bananier : une technique largement utilisée avant de mettre la nourriture dans les umu. D’autres statuettes, représentées avec un appendice dépassant à l’arrière du corps, personnifieraient des humains embrochés. Cette broche aurait été utilisée pour faire pivoter le corps lors de la cuisson sur un brasier. Dans d’autres cas, ces statuettes seraient tout simplement conçues pour être regardées en position couchée et auraient la tête redressée. Les bras, lorsqu’ils ne sont pas représentés enveloppés, sont collés sur la poitrine, parfois au ras du menton, ou le long du corps. Ces statuettes ne sont pas standardisées comme le sont les moai kavakava; d’un style différent, elles en possèdent cependant parfois certaines caractéristiques. Contrairement aux moai kavakava et à beaucoup d’autres statuettes pascuanes, les statuettes dont il est question ici n’ont pas de gravures crâniennes. Tout au plus des lignes parallèles apparaissent sur le crâne de quelques-unes d’entre elles. Comme les gravures crâniennes seraient des emblèmes représentatifs de clan en particulier, il nous semble bien normal, compte tenu que ces statuettes personnifieraient des personnes à sacrifier, qu’il n’était pas nécessaire, comme dans le cas d’une statuette représentant un ancêtre important à honorer, de bien identifier son origine. Ces statuettes n’ont pas de vertèbres sculptées sur la colonne vertébrale : éléments qui symbolisaient 199 l’ascendance, la généalogie et la filiation. Incidemment, les mamelons, le nombril et les organes génitaux ne sont jamais représentés. Or, il s’agit là de parties du corps humain qui sont nécessaires pour transmettre et maintenir la vie et sont donc liés à la filiation. Il est loisible de penser que toutes traces de 199 Lavondes, Anne. Les dieux d’autrefois : l’art polynésien, représentations symboliques et supports esthétiques, p. 15. 171 _________________________________________________________________________________________________________ filiation devaient disparaître. Il s’agissait peut-être en quelque sorte de déshumaniser la victime. Dans le cas de ces statuettes représentant un festin, là encore, ce symbole n’avait pas son utilité. Les faciès de ces statuettes sont souvent grotesques et ne possèdent pas le raffinement d’autres œuvres de l’art pascuan. Nous croyons que tous ces éléments montrent que ces statuettes n’avaient pas une importance sacrée. Le rattachement à un clan et le raffinement au niveau de la sculpture n’étaient pas des caractéristiques recherchées pour ce genre d’oeuvres, ce qui serait d’ailleurs bien compréhensible si les Pascuans les sculptaient, non pas pour rendre hommage à un personnage important disparu, mais plutôt tout simplement pour savourer la victoire et la disparition d’ennemis. Elles représenteraient, selon nous, davantage un trophée de guerre; l’ennemi ayant non seulement été réduit à l’impuissance, mais comble de l’insulte, aurait aussi servi de festin. Le cannibalisme aurait eu son côté utilitaire, mais aurait aussi été pratiqué dans un esprit de revanche. Métraux rapporte d’ailleurs que l’insulte suprême chez les Pascuans à cette époque aurait été de dire aux parents ou aux descendants d’une victime d’un acte de cannibalisme : « Votre chair m’est 200 restée entre les dents ». Prononcer cette insulte pouvait, semble-t-il, déclencher une vraie folie meurtrière chez les proches parents de la victime. Les diverses statuettes représentant des êtres humains couchés à la tête redressée seraient donc possiblement des représentations de scènes dramatiques ayant eu lieu lors de conflits entre les Pascuans. Ces statuettes pourraient être vraisemblablement des représentations du cannibalisme qui fut pratiqué durant la période des guerres de clans. 200 Métraux, Alfred. L’Île de Pâques, p. 110. 172 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ CHAPITRE V Fin des conflits Raid esclavagiste et évangélisation Texte disponible seulement dans le livre de l’auteur 173 _________________________________________________________________________________________________________ 174 Guerres de clans et chute des moai Photo disponible seulement dans le livre de l’auteur _________________________________________________________________________________________________________ 175 _________________________________________________________________________________________________________ 176 La restauration de l’ahu Tongariki, ahu qui supportait le plus grand nombre de moai sur l’île, a nécessité de nombreuses années. (Photo Bernard Philippe) _________________________________________________________________________________________________________ Guerres de clans et chute des moai 177 _________________________________________________________________________________________________________ 178 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Conclusion Au moment de la découverte de l’Île de Pâques, des statues monumentales faisant dos à la mer étaient dressées sur presque tout son pourtour. Au cours des ans, plus de huit cents moai furent répertoriés, dont un grand nombre avaient été érigés sur des plates-formes. Ces statues lui ont depuis lors assuré une réputation mondiale. Cependant, peu de temps après l’arrivée des premiers explorateurs occidentaux, les moai furent progressivement retrouvés gisant par terre et certains ahu avaient été en partie détruits, de sorte qu’à terme il n’y eut plus aucun moai érigé sur un ahu. Le renversement de tous les moai en plus ou moins un siècle ne serait pas dû à une catastrophe naturelle, mais serait bien le résultat d’actes volontaires des Pascuans eux-mêmes. La tradition orale et les témoignages de Pascuans recueillis par certains explorateurs font d’ailleurs explicitement mention que les moai auraient été délibérément jetés par terre. Il semble en effet qu’un conflit meurtrier éclata sur l’Île entre deux confédérations de clans constamment en rivalité. La discorde dégénéra en une grande guerre qui, considérant l’exiguïté et l’isolement de l’Île, affecta tous les aspects de la vie des Pascuans. Pendant ce long conflit, d’innombrables pointes d’obsidiennes ont été taillées pour servir d’armes et se sont avérées d’une efficacité meurtrière redoutable. Un art du combat très spécifique au maniement de ces armes s’est développé, maniement auquel même les enfants étaient initiés. L’observation de la direction des vents est même devenue une préoccupation constante pour les Pascuans, au point où aucune attaque n’était jamais entreprise sans tenir compte de l’effet des vents sur les armes employées, de même une direction défavorable nécessitait de redoubler de vigilance. Les chefs de guerre ont aussi pris une importance primordiale dans l’organisation sociale des différents clans. 179 _________________________________________________________________________________________________________ Pour leur sécurité, les Pascuans ont souvent été contraints de se réfugier et de vivre de longues périodes de temps dans les grottes dont l’Île était fort heureusement truffée. Ils se sont aussi servis de ces grottes pour dissimuler leurs objets précieux et enfermer leurs prisonniers ou esclaves obligés de travailler aux champs des vainqueurs. De toute évidence, cette grande guerre a été le théâtre de multiples actes de cannibalisme, coutume qui était répandue dans une bonne partie de l’Océanie. Nous croyons d’ailleurs que certaines statuettes auraient été sculptées au cours de cette grande guerre et représenteraient des scènes de cannibalisme. Loin d’apaiser les conflits par une redistribution périodique du pouvoir, le rite de l’Homme-oiseau, par les abus qu’il a engendrés, aurait largement exacerbé l’antagonisme existant entre les deux confédérations de clans qui occupaient l’Île. Dans le contexte de cette grande guerre, le renversement des moai d'un clan ennemi avait probablement pour but de faire disparaître la puissance surnaturelle de ses ancêtres et d'affaiblir sa capacité à résister, de se réorganiser et de contre-attaquer. La croyance en ce qu’une fois brisé le moai ne possédait plus aucun pouvoir expliquerait d’ailleurs le soin qu’auraient pris les Pascuans, dans certains cas, en positionnant une pierre à l’endroit prévu de la chute afin de s’assurer qu’il se briserait bel et bien en tombant. La mise à terre de tous les moai et la destruction de certains ahu seraient ainsi la conséquence directe de cette interminable guerre qui opposa les clans des deux grandes confédérations qui se partageaient l’Île. De nos jours, presque tous les moai gisent encore à terre, mis à part quelques rares exceptions qui furent remis en place par des archéologues en expédition sur l’Île. Cette grande guerre aurait aussi largement contribué à diminuer la population de l’Île. Suite aux nouvelles maladies introduites par les équipages des navires occidentaux et au grand raid esclavagiste, la population a par la suite continué à diminuer drastiquement. Compte tenu du peu de Pascuans restant sur l’Île, le premier missionnaire n’a eu aucune difficulté à les évangéliser 180 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ rapidement. Ce n’est que lorsque les Pascuans furent tous convertis que les hostilités ont finalement pris fin. Malheureusement, à ce moment là, il ne restait plus qu’une infime partie de la population qu’avait déjà connue l’Île. Dépourvue de son élite détenant le savoir, il devenait donc très difficile pour les chercheurs de découvrir la véritable histoire de l’Île de Pâques; d’autant plus que les Pascuans survivants ne connaissaient qu’une partie de celle-ci. Malgré les limites liées à l’utilisation d’une tradition orale si éparse et aux observations parcellaires des premiers explorateurs, la présente étude nous semble cependant encore une fois contribuer à démontrer l’importance de tenir compte de la tradition orale pascuane rapportée par différents auteurs, ainsi que d’analyser avec minutie les rapports des premiers explorateurs de l’Île pour tenter d’appréhender pleinement la véritable histoire de l’Île de Pâques. Il semble d’ailleurs que bien souvent des erreurs d’interprétation de l’histoire de l’Île de Pâques soient constamment reprises sans vérification. Ces erreurs sont malheureusement devenues, à force de les répéter, des vérités incontestées ayant largement contribué à la difficulté d’établir cette vérité historique, perpétuant et accentuant ainsi le halo de mystère qui plane sur cette Île. De toute évidence, la connaissance de la véritable histoire de l’Île de Pâques passe par la remise en question systématique de nombreuses prétendues vérités historiques admises depuis déjà trop longtemps. 181 _________________________________________________________________________________________________________ 182 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ BIBLIOGRAPHIE Texte disponible seulement dans le livre de l’auteur 183 _________________________________________________________________________________________________________ 184 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ Remerciements Texte disponible seulement dans le livre de l’auteur 185 _________________________________________________________________________________________________________ 186 Guerres de clans et chute des moai _________________________________________________________________________________________________________ TABLE DES MATIÈRES Texte disponible seulement dans le livre de l’auteur 187