Angélique Veillard - Centre et École Francophone de Thérapies et

Transcription

Angélique Veillard - Centre et École Francophone de Thérapies et
L’interdit universel
Du mythe à la réalité,
l’inceste dans tous ses états
Angélique Veillard
Editions Persée
Angélique Veillard - Auteur, 23 février 1975, est connue depuis des années pour ses
recherches et ses publications (Collaboration comme coauteur du livre « Un Divan dans la
Tête » Publié aux Éditions Option Santé – Québec, Avril 2011 et de la comédie « Nous avons
Dieu en Thérapie » coécrite avec le Docteur Erick Dietrich, Editions du Panthéon, Paris,
novembre 2011. Elle est diplômée en sexologie clinique et en sexothérapie et est titulaire
d’un Privat Master en Psychothérapies (approche analytique et psychocorporelle). Elle est
aussi spécialisée en hypnose. Elle est Sexothérapeute, Thérapeute analyste &
Psychosomatoanalyste à Paris. Angélique Veillard est formatrice (en thérapie, sexologie et
Coaching) à l’Ecole Francophone de Psychothérapie & Coaching (http://www.formation-psycoach.com) et Directrice du Centre Mosaique Paris Rive Droite & Ile de la Réunion
(http://www.centre-mosaique.com).
Révision linguistique : Isabel Del Arco
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Avant-propos
Il y a des rencontres qui changent une vie. Aujourd’hui, j’ai la possibilité d’exercer un
métier que j’apprécie de faire, que j’aime et qui me permet d’apporter aux autres, une
compréhension, une amélioration à leur souffrance.
Pour ouvrir le champ à ce travail, il m’est venu l’idée d’y ajouter les paroles de la
chanteuse Barbara, qui a su mettre en mots l’inceste qu’elle a subi de la part de son père,
texte d’une délicate beauté, émouvante et voilant l’indicible.
L’AIGLE NOIR
paroles et musique : Barbara
Un beau jour ou peut-être une nuit
Près d'un lac je m'étais endormie
Quand soudain, semblant crever le ciel
Et venant de nulle part,
Surgit un aigle noir.
Lentement, les ailes déployées,
Lentement, je le vis tournoyer
Près de moi, dans un bruissement d'ailes,
Comme tombé du ciel
L'oiseau vint se poser.
Il avait les yeux couleur rubis
Et des plumes couleur de la nuit
À son front, brillant de mille feux,
L'oiseau roi couronné
Portait un diamant bleu.
De son bec, il a touché ma joue
Dans ma main, il a glissé son cou
C'est alors que je l'ai reconnu
Surgissant du passé
Il m'était revenu.
Dis l'oiseau, o dis, emmène-moi
Retournons au pays d'autrefois
Comme avant, dans mes rêves d'enfant,
Pour cueillir en tremblant
Des étoiles, des étoiles.
Comme avant, dans mes rêves d'enfant,
Comme avant, sur un nuage blanc,
Comme avant, allumer le soleil,
Être faiseur de pluie
Et faire des merveilles.
L'aigle noir dans un bruissement d'ailes
Prit son vol pour regagner le ciel
Quatre plumes, couleur de la nuit,
Une larme, ou peut-être un rubis
J'avais froid, il ne me restait rien
L'oiseau m'avait laissée
Seule avec mon chagrin
Un beau jour, ou était-ce une nuit
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Près d'un lac je m'étais endormie
Quand soudain, semblant crever le ciel,
Et venant de nulle part
Surgit un aigle noir.
Suite à la soutenance de mon mémoire, je viens d’obtenir mon Master en sexologie et en
psychosomatoanalyse.
Pour clore cet avant-propos, je tiens à exprimer toute ma gratitude à l’ensemble des
personnes qui m’ont permis aujourd’hui de réaliser ce mémoire. Je tiens à remercier
également ceux que j’aime et qui ont su me donner la force d’aller jusqu’au bout de ce projet.
Et je me remercie de m’être donné les moyens de faire aboutir cette entreprise qui s’est
pourtant avérée très délicate pour moi : à savoir, exprimer ma pensée avec des mots et non
pas avec les maux.
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Sommaire
Avant-propos .................................................................................................................................... 3
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 6
CHAPITRE I ............................................................................................................................... 9
INCESTE DANS LA MYTHOLOGIE ET L’HISTOIRE...................................................... 17
INCESTE & LOIS DANS LES SOCIÉTÉS ET LA RÉINSCRIPTION DE LA LOI DANS
LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE ......................................................................................................... 19
LA FAMILLE, LIEU DU CRIME ......................................................................................... 24
CHAPITRE II ........................................................................................................................... 31
LA CONSTRUCTION DU SOI : DE LA NORMALITÉ AU PATHOLOGIQUE ............... 31
LE RÔLE DE L’INCESTE DANS LA CONSTRUCTION DE SOI AVEC SES
CONSÉQUENCES SELON L’ȂGE ................................................................................................. 38
CHAPITRE III.......................................................................................................................... 41
L’INCESTE ET SES MULTIPLES CONSÉQUENCES ....................................................... 41
CHAPITRE IV .......................................................................................................................... 45
NOTE CLINIQUE .................................................................................................................. 45
CHAPITRE V ........................................................................................................................... 50
LA THÉRAPIE & L’INCESTE : LA RÉPONSE DU THÉRAPEUTE FACE À L’INCESTE
....................................................................................................................................................... 50
CONCLUSION ......................................................................................................................... 56
Extrait de la chanson Lemon incest (1984) écrite, composée et interprétée par Serge
Gainsbourg en duo avec sa fille Charlotte. .................................................................................... 58
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................... 59
FILMOGRAPHIE .................................................................................................................... 61
LIENS UTILES : ...................................................................................................................... 61
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INTRODUCTION
Il était une fois, une jolie petite fille aux cheveux bouclés, vive, rieuse, joueuse, aimant
danser, chanter, cherchant des bisous, des câlins…, jusqu’au jour où tout s’arrêta. Cette
adorable petite fille n’exprima plus jamais aucune joie…
Voulez-vous connaître la raison de ce changement ? Alors pour toute réponse, nous vous
invitons à continuer votre lecture, ainsi, vous pourrez peut-être comprendre cette histoire et
regarder différemment votre vie.
Combien d’enfants perdent ainsi leur joie de vivre ? Quand nous parlons d’enfants, nous
incluons aussi les garçons. Un certain nombre selon toute vraisemblance, mais probablement
pas tous pour les mêmes raisons, en tout cas nous l’espérons. Or, dans notre étude, ce qui nous
alarme ce sont les chiffres avancés par les associations d’aide aux victimes d’inceste qui,
malgré leur travail consciencieux, ne nous apparaissent pas forcément justes, car toute
personne vivant des abus quels qu’ils soient n’en parle jamais.
L’inceste est loin d’être un fait récent. Chaque civilisation, chaque période a été marquée
par cet abus, mais l’était-il ou l’est-il, vécu comme tel ? Comme on a pu le constater, certaines
civilisations ont pour us et coutumes d’avoir des rapports sexués dans la famille. Pour ces
personnes, l’acte est vécu comme normal, il s’inscrit dans la continuité de la vie. Imaginezvous que certaines jeunes filles, lorsqu’elles arrivent à l’âge de la puberté, savent déjà que leur
tour viendra. Les ethnologues, les anthropologues, les psychologues, les psychiatres
s’évertuent à retourner dans tous les sens la question de l’inceste. Freud lui-même n’y croyait
pas au départ, et puis il a dit un jour qu’en effet, l’inceste était possible. Sans doute avait-il
peur que la haute bourgeoisie autrichienne ne lui tournât le dos ? Si l’on remonte l’horloge du
temps, on s’aperçoit que les cas de relations intrafamiliales existaient déjà lors de la création
du monde, à l’ère mythologique, et à travers l’histoire. Mais les personnages de l’époque
s’étaient-ils vraiment posé la question de savoir ce qui relevait de la normalité ou de
l’anormalité, du bien ou du mal ? Aujourd’hui on continue de se demander si c’était juste au
nom de l’Amour ou au nom du patrimoine, et comment était-ce vraiment vécu par chacun.
Autant de questions qui restent encore en suspens à l’heure actuelle.
L’inceste est un sujet difficile, d’actualité, qui reste toutefois sous couvert. Mais en tout
état de cause, comme nous vous le décrirons dans ce mémoire, les évolutions récentes de
notre société permettent une part de conscientisation, et dans une certaine mesure, de faire
bouger les choses. À titre liminaire, il nous a semblé opportun – dans le chapitre I, sous le titre
« Inceste & loi dans les sociétés et la réinscription de la loi dans la société française » –
d’aborder notre approche sous l’angle juridique. Dans ce chapitre dédié aux lois, et plus
spécifiquement à la loi française, vous découvrirez qu’un pays, un gouvernement, un État,
peut modifier ses lois en un instant, et vous comprendrez alors pourquoi il est fait mention de
« réinscription de la loi ».
L’inceste est un sujet grave et délicat, qui continue d’être occulté malgré ces évolutions.
C’est une réalité, le phénomène demeure tabou. Pourquoi ? Car toutes les victimes n’ont pas
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la possibilité de parler ou n’osent pas franchir le pas par crainte de représailles, sans oublier la
peur de perdre leur famille.
Par conséquent, ne nous leurrons pas, l’inceste reste déconcertant, dérangeant. Il dérange
car il touche toute la société, pas uniquement les classes moyennes ou pauvres mais aussi les
classes sociales élevées, où vraisemblablement les cas d’inceste semblent moins évoqués.
Ce travail met l’accent sur l’observation donnant matière à diverses interprétations selon la
capacité qu’a un individu ou un groupe humain de se souvenir de faits passés et de se souvenir
de lui-même, et sur ce que nous allons tenter de faire à travers l’exposé littéraire ou
scientifique réalisé par un étudiant en fin de cycle universitaire. Lors de nos diverses
recherches, nous avons eu l’occasion de rencontrer des personnes victimes d’inceste, parmi
lesquelles certaines s’occupent ou font partie aujourd’hui de groupes de parole au sein
d’associations de victimes d’inceste. Vous pourrez trouver en lien web, les sites de ces
différentes associations.
Il est à noter qu’au sein de la famille persistent des lois dont, entre autres, le pacte du
silence qui enferme la victime d’inceste dans une omerta familiale, un lourd secret. Peut-il un
jour éclater, jusqu’où sont capables d’aller les victimes, n’y a-t-il pas d’autres choix que celui
de "vivre dans la mort" ou "mourir dans la vie" ? Susan Forward, psychothérapeute
américaine et écrivain, caractérise cette notion comme suit : « L’inceste est une forme de
cancer psychologique, qui nécessite un traitement qui est parfois douloureux »1. Ceux qui ne
parlent jamais, se terrant et vivant avec ce secret, vivent perpétuellement dans une demi-mort,
dans un simulacre de vie. Ces femmes ou ces hommes peuvent être mariés, travailler, mais ne
sont jamais bien, sont très souvent malades, ont des problèmes parfois liés à la nourriture, aux
contacts, à la confiance, etc., et parfois ne sont pas insérés dans la société.
L’inceste n’est pas un acte mineur. C’est ce que nous nous proposons de développer dans
les chapitres II & III, qui évoquent les conséquences induites par le traumatisme. Cet acte
entraîne pour les victimes de multiples conséquences qui peuvent paraître bénignes ou très
destructrices sur un court, moyen et long termes. Tout abus sur enfant est un traumatisme pour
l’adulte à venir, dans sa construction psychique, psychologique et parfois physique, car le
corps et la psyché n’oublient pas, n’oublient jamais, même si souvent il existe des clivages et
dénis de la réalité (les termes « traumatisme », « déni », « clivage » seront détaillés dans les
chapitres susmentionnés).
Au cours d’une lecture ne concernant pas notre sujet, mais au demeurant très intéressante,
nous avons trouvé ce passage que nous vous retranscrivons mot pour mot : « (…) Les cas
d’exhibitionnisme, de voyeurisme, de ligotage, d’inceste, d’uranisme, de flagellation relèvent
soit du normal, en cas contractuel, soit du pathologique, dans l’hypothèse d’une pratique
infligée hors consentement… » 2 . Il s’agit d’un extrait du livre Le souci des plaisirs,
Construction d’une érotique solaire, de Michel Onfray, philosophe et écrivain français.
Nous avons la sensation que les uns vont avec les autres et qu’ils ne sont pas indissociés,
mais associés les uns aux autres. Peut-on se hasarder à dire qu’un abuseur donne le choix de
dire oui ou non à sa petite victime, en admettant que la victime puisse avoir accès au oui et
1
FORWARD Susan (1989), Parents toxiques.
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non ? À notre sens, nous pensons que quel que soit l’âge, l’enfant ne peut prononcer pour des
raisons diverses et variables, soit parce qu’il n’a pas encore accès à la parole, soit par crainte
de perdre l’autre, ce mot qui semble si simple pour certains mais qui ne l’est pas pour
d’autres, ce mot qui ne fait pourtant que trois lettres : NON.
Nous appuierons notre travail en exploitant l’héritage que nous ont laissé certains auteurs,
comme Freud, Ferenczi, Racamier et tant d’autres. Nous avons par ailleurs utilisé des
ouvrages, plus proches de nous, de notre société. Toutes les informations sur la bibliographie
se trouvent à la fin de notre travail. Parallèlement à cela, nous nous servirons aussi de notre
pratique thérapeutique en tant que thérapeute, sexothérapeute au sein du Centre Mosaïque, par
le biais de cas cliniques observés au cours de consultations individuelles et aussi par
l’enrichissement permanent de cas rencontrés lors de thérapies de groupe. Notre travail
individuel et groupal nous a amenée à nous interroger sur notre comportement face à nos
patients. De ce questionnement est née notre envie de poser un chapitre sur l’inceste et la
thérapie afin d’apporter des éclairages précieux sur la difficulté pour une personne victime à
franchir le cap, ainsi que sur le comportement et la réponse du thérapeute face à sa ou son
patient(e) évoquant à mots couverts son mal-être. Ceci dans la perspective d’éviter de
reproduire une situation similaire à l’abus vécu.
Quand et comment commence l’inceste ? Où se situe l’incestuel ? D’accord pour ces
questions, mais une autre nous vient à l’esprit : quand s’arrêtent l’inceste et l’incestuel ?
Pouvons-nous dire qu’à ces questions existent des réponses ? Peut-être certaines. Mais s’il n’y
en avait aucune ?
Qu’est-ce que le normal, qu’est-ce que le pathologique ?
L’éventail des incertitudes qui planent autour de la notion d’inceste est si large que cette
étude s’est imposée afin d’apporter quelques clefs pour tenter de percer tout ce mystère.
2
ONFRAY Michel (2008), Le souci des plaisirs, Construction d’une érotique solaire, p. 239.
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Chapitre I
Les bases fondatrices de la vie du petit
homme, tout comme celles de
l’humanité, reposent à l’origine sur
deux tabous : l’interdit du meurtre, et
plus spécifiquement du cannibalisme,
ainsi que celui de l’inceste.
C’est toujours au nom de l’Amour
parental que les pires transgressions
sont justifiées.
DÉFINITION DE L’INCESTE
Pour commencer et avant d’aller plus loin dans notre réflexion, ce chapitre est dédié à la
définition de l’inceste et de ses variantes. P.C. RACAMIER, psychanalyste français a
beaucoup travaillé avec des psychotiques et a écrit un livre traitant du sujet de notre étude,
L’inceste et l’incestuel, où il livre une approche de l’inceste inédite. Il estime que l’inceste
porte atteinte aux deux fonctions essentielles de la vie, pour lui il est un « tueur de pensée » et
un « sidérateur de plaisir », ce qui revient à dire, la Mort apparente de l’être. Comme nous
l’évoquions dans l’introduction, une personne victime d’inceste ne vit pas, ou plus exactement
elle vit une vie dans une petite mort, ou bien une vie en parallèle, comme dans un monde
paranormal (préfixe para- : désignant quelque chose qui est à côté de la norme). Il en découle
que la construction de l’individu abusé est difficile.
Dans un premier temps, nous allons vous donner la définition que présentent Roland
CHEMAMA et Bernard VANDERMERSCH dans leur ouvrage « dictionnaire de la
psychanalyse », pages 268 & 269 aux éditions Larousse :
« "Inceste" : incestus = impur, désigne une relation sexuelle prohibée, du fait qu’elle a
lieu entre des personnes apparentées consanguines, à un degré plus ou moins proche,
un père et sa fille, inceste le plus souvent connu et dénoncé. Mais nous avons aussi les
abus d’un père pour son fils plus rares (environ 24 %), certes moins évoqués, peut-être
pour des raisons de pure croyance ? Le terme d’inceste est aujourd’hui utilisé de façon
assez approximative. Dans les échanges de la vie ordinaire, il en vient presque à se
confondre avec celui de pédophilie.
À cela s’ajoutent aussi toutes les relations des oncles, tantes, grands-parents, etc. et
l’inceste frères-sœurs qui, selon toute vraisemblance, fait moins de dégâts que tout
autre abus, sauf peut-être quand existe une trop grande différence d’âge entre les deux.
Ce traumatisme est lourd de conséquences non proportionnelles aux faits. L’inceste
refuse la distinction et engloutit l’autre en soi. »
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Il nous a paru nécessaire de compléter la définition de l’inceste par celle de la pédophilie
vue sous l’angle de Messieurs CHEMAMA & VANDERMERSCH. Ce terme ne semble pas être
approprié et nous ne sommes pas les seuls praticiens à penser cela sur la définition du mot
"pédophile". Pédophile est un contresens qui peut jeter le soupçon sur toute relation affective
avec des enfants. Oui, chères lectrices et lecteurs, nous vous souhaitons d’aimer vos enfants
ou les enfants en général et peut-être même votre enfant intérieur, car pour notre part nous
aimons les enfants tant ils représentent la joie de vivre. Que vous en ayez ou pas, et le sujet
n’est pas là bien évidemment, nous nous sommes tous esclaffés de rire devant leurs mimiques,
leurs jeux et leur séduction. Ne nous écartons pas du sujet évoqué, nous pourrons reprendre
certainement cela plus loin dans ce travail de réflexion. "Pédophilie" signifie en termes
littéraires « qui aime les enfants » de philia qui désigne l’amitié, l’affection. Tout comme par
exemple la philanthropie – l’amitié pour les hommes –, la philosophie – l’amitié de la sagesse.
Nous sommes très nombreux à aimer les enfants, cela fait-il de nous des criminels, des
abuseurs ? À notre sens, il est évident que non, et nous pourrions donc dire que les criminels,
ceux qui ont des attentions malvenues sur leurs enfants, sont des pédoclastes, « de ceux qui
brisent les enfants et ce qu’est l’enfance ». Pédophile est un terme généralisé, comme il nous
arrive de le faire très régulièrement pour tout autre concept, sans trop réfléchir et sans se
remettre parfois en question.
Le problème de notre société c’est qu’il règne un certain immobilisme, trop prononcé pour
certains. Bien que la situation tende à évoluer, la France a néanmoins un énorme métro de
retard en ce qui concerne la loi de l’inceste ; c’est ce que nous développerons plus loin au
chapitre qui lui est entièrement dédié. En France, 10 % de femmes auraient été recensées
comme étant « pédophiles ». Mais comme pour l’inceste, pouvons-nous tirer des conclusions
de ces chiffres, qui en soi ne sont pas formels dans le sens où certains abuseurs et abusés ne
disent rien, soit par déni de la réalité, soit par déni et clivage de l’acte ?
Dans le Manuel de Psychiatrie, chapitre 17, page 375, qui traite des paraphilies, le terme
"pédophilie", en l’occurrence la pédophilie incestueuse, distingue deux groupes où s’exerce la
pratique de cette tendance, à savoir le cercle intra ou extra-familial. Il est licite de dire d’un
père incestueux qu’il est pédophile du fait qu’il aime ses enfants, en revanche il ne l’est pas
s’il ne touche pas les enfants extérieurs à la cellule familiale. Un parent incestueux, que ce
soit un père ou une mère (cas moins souvent évoqué), un oncle ou un grand-père, un frère,
etc., n’est pas forcément un abuseur en dehors du groupement familial.
Nous n’omettrons pas de citer par ailleurs la "pédérastie" qui, à l’origine, désignait une
institution morale et éducative dans la Grèce antique et qui reposait sur une relation
particulière entre un homme d’âge mur et un jeune garçon pubère « attirance d’un homme
mature pour un adolescent ». Ce qui se rapproche d’une relation homosexuelle masculine.
Ceci étant dit, nous reprenons la suite de notre définition où nous aurons l’occasion
d’évoquer la prohibition de l’inceste en nous interrogeant sur ce que représente cet interdit
pour notre société et les autres.
Autour de l’inceste, les définitions sont fort nombreuses et ne se réfèrent pas toutes au
même contexte : certains le définissent d’après les liens du mariage, d’autres d’après ceux de
la parenté, d’autres encore selon les liens du sang… Ce qui ne simplifie pas le travail pour
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déterminer s’il y a inceste ou pas. En ce qui nous concerne, notre pensée se rapproche de celle
de Françoise HÉRITIER qui distingue trois types d’inceste, que nous reprenons ici :
Inceste direct du premier type : rapport sexuel direct entre consanguins (l’exemple le
plus connu est le couple de Jocaste & Œdipe) ;
Inceste indirect du deuxième type : non consanguin, lien par le mariage ou aujourd’hui
aussi avec le pacs, à l’instar de Phèdre et Hippolyte (belle mère, beau-fils) ;
Inceste du troisième type : l’enfant adoptif d’un des deux partenaires ; nous pouvons
citer un exemple qui avait défrayé la chronique et qui se trouve être proche de nous,
celui du réalisateur, scénariste et acteur américain Woody Allen avec Soon yi Previn
qui se trouvait être la fille adoptive de Mia Farrow qui, à l’époque des faits, était
encore la compagne d’Allen. Cette jeune fille deviendra son épouse en 1997.
L’homme en tant qu’être humain pose beaucoup d’interdits. Ce même homme se plaît à
transgresser ses propres lois « Trop de lois, tue la loi ». Qui n’a jamais eu envie de
transgresser les lois, qui n’a jamais transgressé la loi interdisant de conduire avec son
téléphone au volant ? Et enfant, lorsque vos parents vous donnaient la permission de minuit et
que vous rentriez une heure après cette heure imposée ? Vous deviez certainement ressentir
une certaine forme de jouissance à jouer ainsi avec l’autorité parentale. Si l’homme établit
autant de lois sans doute est-ce pour permettre à ses « congénères et à lui-même » de les
transgresser. La loi contient un corpus de règles qui s'adresse à tous et qui a pour corollaire
l'égalité des citoyens. Elle statue pour le présent et pour l'avenir et fonde la stabilité des
relations sociales. Ici, ce que nous disons, c’est qu’il apparaît que certaines lois sont posées de
façon à pouvoir protéger dans certains cas davantage les agresseurs que les victimes. Nous
savons que de nombreux réseaux d’influence protègent les pédophiles et certains parents
incestueux. Notre société actuelle nous enferme de plus en plus dans une volonté
d’infantilisation. Cela reviendrait à dire que nos supérieurs se complaisent à nous voir nous
agenouiller devant eux et à leur obéir/désobéir… Nous vous laissons là méditer, car cela est
un autre débat qui à notre avis ne s’applique pas à l’objet de notre étude, mais qu’importe, ce
n’est pas chose futile de se poser des questions.
L’acte incestueux perpétré sur l’enfant joue un rôle déterminant en ce qui concerne la
confiance de celui-ci envers l’adulte. Le plus souvent, il s’instaure entre eux une relation
sado-masochique passive ou active. Dans la quête orale d’un peu d’amour, l’enfant victime
pourrait accepter ou, pour être plus affirmatif, peut accepter au niveau de l’inconscient de se
soumettre au désir de son bourreau.
Pour étayer nos propos, nous allons reprendre le conte de l’ogre et de ses sept charmantes
petites filles, un récit qui s’inscrit dans la lignée de ces contes que nous avons pu lire enfant,
que nous lisons à nos propres enfants et dont certains sont le doux reflet de l’inceste, déguisés
ou à découvert. Dans l’exemple précité, il n’est pas mis en avant de rapports sexuels, mais
l’ogre va manger les enfants à l’extérieur de sa famille. Lorsqu’il recueille chez lui sept
garçons dans l’espoir de les manger et lorsqu’il se rend compte de son erreur après avoir
mangé ses filles, il exprime et vit à ce moment-là tout son désarroi, sa tristesse d’avoir réservé
un tel sort à ses chères petites. Nous n’avons pas la prétention d’affirmer qu’un homme
faisant subir à des enfants qui n’ont aucun lien de parenté avec lui, des actes atroces, ne
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touchera pas ses enfants ou qu’un père incestueux ne touchera pas les enfants extérieurs à sa
famille, mais après de longues réflexions, nous aurions une tendance à dire que nous ne
sommes pas loin de la réalité. Il est bien entendu que ce ne sont là que nos propres
considérations et qu’en l’absence d’étude approfondie, rien ne peut être affirmé dans sa
globalité.
Pour aller plus loin dans notre réflexion, nous avons mis à profit notre expérience
professionnelle au cours de nos consultations. Il nous arrive parfois de traiter des cas de
demande de suivi juridique, et nous sommes confrontés à la difficulté d’initier un vrai travail
thérapeutique avec ces personnes qui doivent suivre une thérapie par obligation. Ils viennent
suite à la demande de la justice, justice qui souhaite que régulièrement le thérapeute délivre
une attestation, assurant de la bonne évolution de la compréhension du patient par rapport à
l’acte commis. Au cours de ce genre de suivi, nous nous sommes vu refuser de fournir
l’attestation, car nous pensions à ce moment-là que le patient ne jouait pas le jeu, ce qui a
permis finalement de le faire bouger et de comprendre que ce suivi était au final bien plus
riche qu’il n’y paraissait. Cet homme qui nous a été confié, n’a pas vécu d’abus sexuel dans
son enfance, il avait une mère très autoritaire, du genre tyrannique, sadique, un père absent,
travaillant et se soumettant à l’autorité de la mère. Notre patient a été condamné après avoir
été se dénoncer à la police pour avoir observé et soulevé le drap pendant le sommeil du jeune
adolescent qui dormait dans la même chambre que lui, lors d’une sortie aux sports d’hiver (à
l’époque des faits, notre patient travaillait dans des associations sportives, et il était donc
entouré de beaucoup de jeunes, dont cet adolescent pour lequel il éprouvait une sympathie
plus importante que pour d’autres). Aujourd’hui, ce patient n’est plus obligé de suivre une
thérapie, sa peine est arrivée à terme récemment, mais il a décidé de continuer à se
questionner sur lui, par rapport à sa relation à l’autre. Pour essayer de mieux appréhender la
raison pour laquelle il a tant de mal à rencontrer quelqu’un et débuter une histoire. Il pourrait
exister inconsciemment une peur d’affirmer son homosexualité face à la mère.
Nous allons à présent montrer les nombreux visages de l’inceste. L’inceste est en effet
polymorphe, il joue à des degrés différents de perversité :
Traumatisme, selon la définition du dictionnaire de la psychanalyse, « c’est un
événement inassimilable pour le sujet, généralement de nature sexuelle et tel qu’il
peut paraître constituer une condition déterminante de la névrose. Il dépasse les
capacités de métabolisation du psychisme, est une violence profonde, multiple et sans
échappatoire. » Nous reviendrons ultérieurement sur le narcissisme, qui est très altéré,
voire extrêmement fragilisé par l’inceste.
Abus narcissique, d’après Racamier, dans son ouvrage intitulé L’inceste &
l’incestuel, l’abus narcissique est le fait que « l’adulte a imposé son propre
narcissisme au détriment de celui de l’enfant. » Et nous continuerons d’évoquer ici
Racamier qui a décrit de façon pertinente ce que provoquent l’abus narcissique et
l’abus sexuel, car l’un ne va pas sans l’autre, en invoquant la séduction narcissique qui
en s’incestualisant s’enracine avec le temps et qui fait que l’incesté se retrouve perdant
au niveau de son narcissisme, au niveau sexuel, ainsi qu’au niveau du désir.
Abus sexuel, contrainte verbale, visuelle et psychologique ou tout contact physique
par lequel un adulte se sert envers l’enfant.
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Abus de pouvoir et abus de confiance, nous pensons qu’il n’est peut-être pas
nécessaire et utile de vous donner une définition parfaite de ces deux abus tant ils nous
paraissent éloquents. On peut affirmer que l’adulte utilise son pouvoir et son autorité
sur l’enfant, pour mieux en abuser. Il utilise la confiance et l’amour de ce dernier.
Nous parlions de perversité, voici une manière perverse d’obtenir du plaisir
facilement.
L’inceste en tant que traumatisme, abus narcissique et abus sexuel, concerne la dimension
intrapsychique. L’abus de pouvoir touche surtout la dimension interactionnelle et l’abus de
confiance est de l’ordre de l’éthique relationnelle. Mais déjà en quelques lignes, vous avez
une petite idée, voire une grande, des dégâts que peuvent occasionner ces abus sur l’être
humain, qu’ils soient à répétition ou qu’il n’y ait eu qu’une seule fois. Au risque de vous
paraître quelque peu immodérée dans nos propos, nous estimons que l’inceste devrait être
inscrit comme crime contre l’humanité. Nous développerons certains points plus en avant
pour étayer et développer un peu plus notre pensée. L’inceste est destructeur, il est un réel
meurtrier envers cet être en devenir.
Au cours de nos nombreuses recherches, nous avons pu relever via le net sur des sites
d’associations de victimes d’inceste, quelques données statistiques. Parmi tous les chiffres que
nous avons pu trouver, il nous a fallu faire un choix, aussi nous ne citerons dans ce paragraphe
que ceux qui sont extraits du livre Incestes de Dana Castro. Nous ne pouvons affirmer à cent
pour cent la véracité de ces chiffres, puisqu’il faut bien savoir que certaines personnes n’ont
jamais osé parler, pour diverses raisons, de ce qu’elles ont vécu, et que des abuseurs n’ont
jamais avoué être des criminels. Nous vous rapportons donc ces chiffres tout en sachant, bien
entendu, qu’ils peuvent être variables et qu’ils sont à prendre en compte au deuxième degré,
d’autant plus qu’en France, même si les choses bougent progressivement – ce que nous
développerons dans le chapitre intitulé « L’inceste dans la société française » – nous ne
disposons pas encore totalement de chiffres précis. Le premier à pouvoir avancer des chiffres
assez précis est le Québec, qui a une grande avancée sur notre pays. Concernant l’abuseur, 7
% sont des femmes. L’âge le plus exposé au risque de commettre de tels actes est 30 ans. Le
statut de l’abuseur est le plus souvent le père : 50 %. Les femmes sont dans quatre cas sur
cinq les mères des victimes, l’inceste touchant la relation mère/fille, mère/fils mais aussi les
enfants de moins de cinq ans. Les abuseurs peuvent avoir été eux-mêmes victimes dans leur
passé, or ce père incestueux n’a pas nécessairement connu d’expériences similaires dans son
enfance (à savoir l’inceste réalisé), mais il y a toujours un antécédent plus ou moins marqué et
plus largement une abolition de la distance intergénérationnelle. Si nous continuons sur le
père, il semblerait que ces derniers ont eu, dans leur enfance, une absence d’affection et
l’autre n’a pas pu être investi comme objet. L’enfant sera alors investi comme objet de
satisfaction, y compris sexuelle, et le père ne perçoit pas la nécessité de préserver le statut de
l’enfant. Nous avons souvent affaire à des pères ou des parents immatures qui sont des enfants
dans le corps d’un adulte et qui imagine avoir le même âge que leur enfant, la chair de leur
chair.
L’inceste réel ou symbolique touche au moins 65 % des relations père-fille. Au sein de nos
cabinets, nous pouvons constater qu’environ 75 % de nos patient(e)s ont été incesté(e)s de
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façon réelle ou symbolique. L’inceste qu’il soit réel ou symbolique est tout autant
traumatisant, ce trauma peut être d’ordre affectif, psychologique et sexuel. Nous entendons
par inceste réel, l’acte qui se traduit en acte physique, par le biais de caresses, d’une fellation,
d’un cunnilingus, d’une pénétration anale et/ou vaginale…
Nous ne saurions et ne pourrions nous faire complices d’une idéologie où le « père
incestueux » occuperait la place de la « mère schizophrénogène » d’antan, énoncé qui réduit
de façon non innocente un individu à la catégorie chargée de le désigner. Racamier a su créer
dans son ouvrage L’inceste et l’incestuel, de nombreux néologismes, pour parler de l’inceste.
Pour poursuivre ce chapitre concernant la définition de l’inceste, nous allons nous servir du
travail effectué par Racamier qui, après avoir beaucoup étudié, réfléchi et travaillé avec des
psychotiques, s’est intéressé à l’inceste, et a eu recours pour appréhender ce sujet à de
nombreux néologismes qui soient éloquents vis-à-vis de ses lecteurs : « L’incestuel, c’est un
climat : un climat où souffle le vent de l’inceste, sans qu’il y ait inceste ». Il évoque aussi le
néologisme suivant :
« L’incestualité en parlant du verbe incestualiser, pour désigner l’action consistant à
rendre incestuel ; l’adjectif incestualisé qualifiera ce qui est rendu incestuel et
incestualisant ce qui rend incestuel.
Moins académique, mais plus fort est le verbe incester, qui doit sa tonalité péjorative
à sa proximité avec infester, d’où vient le participe incesté : parasite par l’inceste.
Je ne crois pas que j’oserai le terme d’incestation, mais qu’on ne s’étonne pas si dans
les occasions les plus graves je parle des incestués et mêmes des incestuants (et s’il
nous faut d’autres néologismes, nous les trouverons en route…) ».
Nous-mêmes, étant de fervents joueurs dans l’art du néologisme, si tant est que le
néologisme soit un art…, nous aimons à utiliser le mot incestueur, qui donne inces/tueur, on
en déduit par conséquent que l’inceste est un « crime » exercé sur un enfant par une personne
soi-disant adulte, qui tue l’enfant et abîme de ce fait l’adulte en devenir. L’incestuel viendrait
de la mère et l’incestueux du père. Tout inceste quel qu’il soit fait alliance avec le déni à
travers une forme ou une technique de non-dit.
Nous tenons à dire que régulièrement, lors des procès concernant les abus sexuels envers
un enfant, l’abuseur va utiliser pour sa défense l’argument de mauvais goût qui consiste à
accuser l’enfant de l’avoir séduit, et par là même, reporter la faute de son propre passage à
l’acte sur l’enfant. Celui qui aurait dû être protégé de cette violence subie, va donc se
retrouver dans la position coupable. Faire porter à la victime la culpabilité que l’agresseur ne
porte que peu ou rarement et qui devrait être portée par celui-ci pour avoir fait subir à sa
progéniture cet acte que nous qualifions d’abominable, est un phénomène trop répandu.
Racamier parle donc de l’incestuel comme d’un climat qui souffle le vent de l’inceste sans
qu’il y ait l’inceste. Notre confrère et ami le docteur Erick Dietrich, qui travaille sur un projet
de livre, nous a fait ce cadeau de nous faire parvenir cette phrase, qui représente bien sous une
autre forme ce dont parle Racamier : « L’incestuel est une jungle dans laquelle l’enfant sent le
danger permanent de l’inceste, monstre informe et difforme, effrayant, sans qu’il ne soit
vraiment là, mais toujours prêt à bondir ».
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La mère serait l’instigatrice ou la détentrice de l’incestuel, un acte, qui est tout autant
ravageant et déstructurant. Serait-ce un doux poison se nourrissant au sein de la matrice ?
Pourrions-nous oser dire que l’incestuel serait une forme d’inceste symbolique sans passage à
l’acte direct, physique, en un mot non-consommé ? Dans tous les cas, il s’agit d’une forme
bien plus perverse et perfide que l’inceste en lui-même, se caractérisant par des petites phrases
assassines, qui restent gravées dans l’inconscient. Nous pouvons étayer nos propos par le biais
d’exemples frappants comme celui de certaines « bonnes mères » ou « bons parents », qui
usent de leur supériorité en s’adressant à leurs enfants de la sorte : « tu t’habilles comme une
pute, comme tu es beau mon fils, je serais fière d’être ta petite amie… ». Ou par le contrôle de
la vie personnelle par la lecture du courrier…, ou encore en pénétrant dans la chambre de
l’enfant sans frapper. Ou bien dans certains cas en pénétrant dans la salle de bains… Ou
même peut-être en battant son enfant, pour expulser les tensions ou pulsions sexuelles que
l’adulte ne déverse pas à cause de rapports sexuels inexistants avec sa compagne ou son
compagnon.
L’inceste apporte à l’enfant une confusion générationnelle, nous reprendrons à cet égard, le
titre d’un des plus célèbres essais que Sandor Ferenczi ait écrit ; cet homme, ancien élève de
Freud, a beaucoup utilisé son propre traumatisme pour écrire et dans cet ouvrage Confusion
de langue entre les adultes et l’enfant, certains passages illustrent à la perfection la difficulté
pour l’enfant de se construire après avoir subi des actes d’inceste :
« Les séductions incestueuses se produisent habituellement ainsi : un adulte et un
enfant s’aiment, l’enfant a des fantasmes ludiques, comme de jouer un rôle maternel à
l’égard de l’adulte… ce jeu peut prendre une forme érotique, mais il reste pourtant
toujours au niveau de la tendresse. »
Si l’inceste dans les faits comme passage à l’acte occupe de nos jours le devant de la scène,
c’est que l’interdit de l’inceste sur le plan psychique est bien difficile à saisir. La Loi de
l’interdit de l’inceste devient le principe fondateur du complexe d’Œdipe. Sa prohibition
empêche pour l’être humain deux tendances fondamentales : tuer le père et s’emparer de la
mère.
Selon Anzieu, l’interdit de l’inceste (Tu n’épouseras pas ta mère, tu ne tueras pas ton père),
se construit par dérivation avec l’interdit du toucher qui prépare et rend possible l’interdit
œdipien en lui donnant le fondement présexuel. Didier Anzieu écrit dans son ouvrage Le Moi
Peau : « L’interdit du toucher en tant qu’acte de violence physique ou de séduction sexuelle,
précède, anticipe, rend possible l’interdit œdipien, qui prohibe l’inceste et le parricide3.
Cette prohibition existe aussi chez certains animaux, comme par exemple les chimpanzés ;
nous pouvons observer dans ces tribus animales, les vieux mâles écarter les jeunes singes des
femelles qui leur ont donné la vie, pour les chasser de la tribu. Pour Claude Lévi-Strauss,
célèbre anthropologue, dans l’anthropologie structurale, son interdit marque le passage de
l’état de nature à celui de culture, en même temps qu’il permet l’échange des femmes par la
mise en place de l’exogamie de l’organisation des liens du mariage.
Freud évoquera la notion du tabou de l’inceste à travers la légende mythique de l’anneau
d’or dans son ouvrage Totem & Tabou, ce qui lui donnera aussi l’occasion de réinterpréter
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l’interdit de l’inceste et le complexe d’Œdipe. Il y évoquera par ailleurs la théorie de la horde
primitive (théorie qu’il a reprise à Darwin), un groupe humain placé sous l’autorité d’un père
tout-puissant qui représenterait la forme primitive de l’organisation sociale, et dans lequel
toutes les « femelles » appartiennent au père, interdisant de ce fait toutes les femmes de la
tribu à ses fils qui en seront réduits à tuer pour pouvoir avoir des rapports sexuels. De ce
meurtre, s’ensuivra un repas totémique qui glorifie l’ordre du père d’avoir à éviter de violer le
tabou de l’inceste. Le totem est ainsi décrit par Freud :
« D’une façon générale, c’est un animal, comestible, inoffensif ou dangereux et
redouté, plus rarement une plante ou une force naturelle (pluie, eau), qui se trouve
dans un rapport particulier avec l’ensemble du groupe. Le totem est, en premier lieu,
l’ancêtre du groupe ; en deuxième lieu, son esprit protecteur et son bienfaiteur qui
envoie des oracles et alors même qu’il est dangereux pour d’autres, connaît et
épargne ses enfants4. »
Et le tabou se trouve avoir deux significations, que nous reprenons d’après l’ouvrage
freudien, « Pour nous le tabou présente deux significations opposées : d’un côté, celle du
sacré, consacré ; de l’autre, celle d’inquiétant, de dangereux, d’interdit, d’impur »5. Le totem
et le tabou seraient à jamais liés.
L’incestée selon Racamier devient une « éclopée psychique ». Elle ne peut plus se fier à
ses désirs, ses fantasmes, ses pensées, ses imagos et à son corps. Nous parlons beaucoup des
filles, mais nous pensons que pour les garçons incestés, les dégâts ne sont pas moindres, à
notre sens ils sont aussi des « éclopés psychiques ». Il apparaît clairement que nous parlons
beaucoup de l’inceste sur les filles, pourtant les garçons sont souvent incestés. Si les relations
père-fils, mère-fils, ne sont évoquées que très modestement, la raison en est simple : les
garçons parlent en effet beaucoup moins que les filles, alors qu’ils sont tout autant traumatisés
qu’elles. Malgré les avancées de notre société, il s’avère que le sujet autour de l’inceste envers
les garçons reste dans le tabou et dans le silence. Nous pourrions penser aussi qu’à cela se
rajoute, pour les fils dans le cas de l’inceste père-fils, une sensation de peur vis-à-vis de
l’homosexualité ; il en résulte que le tabou de l’homosexualité pourrait aussi être en partie
responsable de la non-dénonciation de la part de ces enfants au masculin. Il est sans doute
plus difficile aux hommes de dire qu’ils ont subi soit des attouchements, soit des viols, par
leur père ou un représentant masculin de la famille.
Pour clore ce chapitre, si nous devions faire un résumé en quelques mots, nous dirions que
l’inceste est un acte, et que l’incestueux qualifie une conduite et non une structure
psychopathologique. L’incestuel serait donc selon P.C. Racamier « Ce qui dans la vie
psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en
soit nécessairement accomplies les formes génitales. »6 Enfin, pour donner une touche finale à
la définition de l’inceste, nous ajouterons qu’il est des actes destructeurs qui remplacent les
3
ANZIEU Didier(1995), Le Moi Peau, p. 164.
FREUD Sigmund (1912-1913), Totem et Tabou, p. 37.
5
FREUD Sigmund (1912-1913), Totem et Tabou, p. 37.
6
RACAMIER P-C (1995), L’inceste & L’incestuel.
4
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mots et qui, inéluctablement, induisent des maux, maux qui mèneront à cette indicible
souffrance.
INCESTE DANS LA MYTHOLOGIE ET L’HISTOIRE
Cette partie de notre travail va consister à présenter l’inceste bien en amont de notre
société. « L’inceste et la Castration agissent au cœur des mythes, structurent nos sociétés et
forment le fond de nos inconscients »7. Dans notre pensée, cette phrase, que nous retrouvons
dans Incestes écrit par Monique Cournut-Janin, pourrait revenir à dire que notre inconscient
peut véhiculer des faits qui ne nous appartiennent pas ou qui nous appartiennent mais dans un
éloignement total, et qui font tout de même partie de nous, dans nos générations.
Nous n’allons évoquer et reprendre qu’un pan de la mythologie, qu’un fragment de
l’histoire, car sinon cet écrit s’écarterait de sa vocation première et serait plus générique en ne
faisant que retracer l’histoire du monde face à l’inceste. Nous allons faire référence entre
autres à l’histoire d’Œdipe et de sa mère Jocaste. Il convient en effet de rappeler que Freud a
abandonné sa « neurotica » qu’il a remise en cause en utilisant le destin tragique d’Œdipe
(mis en scène par Sophocle), en en faisant un Complexe.
Au commencement, il était une fois…
Gaïa, la Terre, naît de Chaos ; de Gaïa naît Ouranos, lequel s’allonge sur Gaïa et lui fait
des enfants. Or, Ouranos ne se dégage jamais de Gaïa, rendant impossible la naissance de
leurs enfants, c’est alors que Gaïa à l’intérieur d’elle-même arme d’une serpe l’un de ses fils
pour qu’il châtre son père de manière à pouvoir, lui et ses sœurs et frères, sortir du ventre de
leur mère. C’est ainsi que l’inceste et la castration apparaissent comme fondateurs du monde.
Agissant au cœur des mythes, ils structurent nos sociétés et restent bien calés dans notre
inconscient.
Nous avons aussi dans la Mythologie grecque, le cas de Zeus marié à sa sœur Héra. Et
cette autre relation, plus connue, entre Œdipe et sa mère Jocaste, que nous allons prendre le
temps de vous développer plus en détail et que nous reprendrons plus loin, lors de notre
chapitre sur l’inceste et la construction de soi. Laïos est roi de Thèbes et marié à Jocaste. Ils
ont un enfant ; les oracles annoncent que cet enfant, quand il aura grandi, tuera son père et
épousera sa mère. Laïos n’est pas d’accord et décide de tuer l’enfant. Il confie cela à un
guerrier qui, au lieu de le tuer, va le perdre dans la forêt. L’enfant, les chevilles percées et
attachées par une corde à un arbre, provoque la pitié d’un couple de bergers qui le recueille et
le confie à Polybe, le roi de Corinthe. Il reçoit le nom d’Œdipe qui, en grec, signifie « pieds
gonflés ». À la puberté, il se rend dans la ville de Thèbes, sans savoir son histoire ni qui il est
vraiment. Il rencontre un vieillard (le roi de Thèbes, Laïos) qui, pour ne lui avoir pas laissé le
passage, le combat. Œdipe le tue. À l’entrée de la ville, il rencontre le sphinx femelle
défenseur de la cité qui le terrorise complètement : elle a l’habitude de poser des énigmes aux
habitants qui ne doivent la vie sauve qu’à une bonne réponse. Jusque-là personne n’a pu
7
CORNUT-JANIN Monique (2001), Incestes, p. 76.
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répondre à ses énigmes. Le sphinx pose la devinette suivante à Œdipe : « Quel est l’animal
qui marche à quatre pattes le matin, à deux pattes à midi et à trois pattes le soir ? » Œdipe
trouve la réponse (« L’homme ») et rentre en héros à Thèbes. La ville lui propose de monter
sur le trône, puisque la place est libre. Il épouse Jocaste, en a des enfants et durant quinze ans
vit dans le bonheur. Puis, la peste ravage la ville qui demande pourquoi à l’oracle : « La peste
est la punition des dieux vis-à-vis d’un parricide et d’un inceste ». Œdipe découvre qu’il s’agit
de lui, il se crève les yeux de désespoir, Jocaste se pend. Antigone, sa fille, l’accompagne hors
de la ville qui l’a chassé. Ils partent sur la route.
Dans l’histoire d’Œdipe, nous nous retrouvons confrontés à un infanticide exigé par le père
par peur de mourir de la main de son fils, meurtre de l’enfant avorté, un parricide et un
inceste ; mais comme le dit René Girard dans son livre (La violence et le sacré) « Le désir du
parricide et de l’inceste ne peut pas être une idée de l’enfant, c’est de toute évidence l’idée de
l’adulte, l’idée du modèle » 8. En effet, dans le mythe, l’idée a été transmise par l’Oracle en
professant ces faits, bien avant qu’Œdipe puisse penser pour lui, voire désirer. Le désir du
parricide et de l’inceste ne peut pas être une idée de l’enfant. C’est de toute évidence, l’idée
de l’adulte, l’idée du modèle.
Dans l’Égypte antique, une bonne partie des unions divines était incestueuse ; l’union la
plus mythique et célèbre est celle d’Isis et son frère Osiris, dont il naîtra de leur relation
incestueuse un fils, Horus, qui se battra contre son oncle Seth pour avoir tué son père Osiris.
Dans l’Égypte ancienne, nous pouvons là aussi évoquer le cas de pharaons, dieux vivants,
dont le Pharaon Ramsès II – un des plus connus par le fait de son long règne et de ses combats
contre les Hittites – qui épousa une de ses sœurs, mais pas n’importe quelle sœur, celle du
même père, et il aura aussi avec deux de ses filles des enfants. De toute évidence, dans la
dynastie Ptolémaïque, l’inceste entre frères et sœurs était « monnaie courante ». Ptolémée
VIII épousa successivement ses deux sœurs, Cléopâtre et Séléné. Mais, dans ces cas-là, il
semblerait que ces relations étaient uniquement réservées à une certaine classe sociale. Ce qui
pourrait être une relation incestueuse obligatoire visant à préserver les liens du sang, et
notamment, à assurer la continuité du nom. Mais nous pensons que ce n’était pas conscientisé
comme un fait dangereux et dérangeant dans la manière de vivre du Pharaon.
Dans la Rome antique, nous pouvons citer Clodius Pulcher qui a été accusé d’inceste
envers sa sœur Claudia, sans oublier l’histoire d’Agrippine et Néron, reprise par Racine dans
son œuvre Britannicus. À cela s’ajoute la relation, que nous pouvons qualifier d’incestueuse,
de Caligula avec sa sœur Drusilla (mise en scène au cinéma et au théâtre), un être despote,
incestueux et ridiculisant les notables. Comme Néron, dont il est descendant direct, et qui était
lui aussi despotique et incestueux, il vit dans la débauche. Cela nous donne à penser que la
folie incestueuse pourrait être transgénérationnelle, et que la folie s’inscrit durablement dans
un monde ou un univers où plus personne ne connaît sa place, son rôle, ni même qui il est.
8
GIRARD René, La violence et le sacré (1972), p. 257.
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Il semble toutefois que les Grecs et les Romains avaient horreur de l’inceste, mais ils ne
savaient pas pourquoi et n’ont jamais mis en place des considérations d’hygiène pour
légitimer leur aversion.
En France, en 1454, l’histoire de France nous révèle la romance incestueuse de Jean V
d’Armagnac avec sa sœur Isabelle d’Armagnac qu’il finira par épouser et dont il aura trois
enfants.
En 1493, Lucrèce Borgia, fille naturelle du cardinal espagnol Rodrigo Borgia et futur pape
Alexandre VI, sera confrontée au bruit que fit courir son mari Giovanni Sforza, vexé suite à
l’annulation de son mariage pour non-consommation de l’union, disant que Lucrèce avait des
rapports incestueux avec son père et son frère.
Freud évoque le tabou de la virginité dans la vie sexuelle. Il parle de la défloration de la
jeune fille pratiquée par le père, dans certaines tribus. Bien qu’il n’énonce pas d’inceste, nous
y voyons nous une forme d’inceste, tandis que pour ces tribus, il s’agit dirons-nous d’une
coutume. Cet acte s’inscrirait a priori dans une normalité. Freud relate les us des Sakais en
Malaisie, des Battas au Sumatra et des Alfoers des Célèbes chez qui la défloration est
effectuée par le père de la future épousée qui se trouve être sa fille. Sigmund Freud mentionne
d’autres tribus qui font appel à un prêtre ou une grand-mère, pour la défloration de la jeune
femme.
Nous ne venons d’énumérer ici que quelques exemples légendaires, alors que de toute
évidence la liste est loin d’être exhaustive, et nous pourrions citer des cas plus proches de
nous, dans notre société, mais cela ne changerait rien au problème. Tout récemment encore,
nous nous devons de rappeler cette affaire autrichienne – qui avait défrayé la chronique
pendant quelques jours et qui est passée depuis aux oubliettes – où un homme, bon père de
famille, cachait dans la cave, sa fille et les enfants qu’il avait eus avec elle. Sept en tout. Et cet
autre exemple, pas vraiment médiatisé, mais lu dans le magazine « Détective » qui évoquait le
cas de cette jeune femme, qui après avoir accouché de l’enfant de son père, l’avait tué et était
allée l’enterrer dans le jardin près de la cabane dans laquelle quelques minutes plus tôt elle
venait de donner la vie seule. Ces faits sont hélas bien réels, trop fréquents, et ils se déroulent
bien en France.
INCESTE & LOIS DANS LES SOCIÉTÉS ET LA RÉINSCRIPTION DE LA LOI DANS LA
SOCIÉTÉ FRANÇAISE
Selon le sondage Ipsos/Axa-Atout, effectué début 2010 en France, à la demande de
l’association AIVI, deux millions de personnes seraient victimes d’inceste. Nous pensons
néanmoins que ce sondage ne reste qu’une estimation, car il est peu probable que toute la
population ait été interrogée et que tous les individus puissent dire l’indicible. Certaines
personnes vivant dans le déni et le clivage n’ont pas conscience de ce qu’elles ont pu vivre
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dans leur jeunesse. Un Français sur quatre déclare connaître dans son entourage au moins une
victime. En outre, 3 % des sondés disent avoir été victimes d’abus, soit près de deux millions
de personnes (Journal Le Parisien). Si nous partons du principe qu’au jour d’aujourd’hui, 5 %
de la population est victime d’inceste, et que l’on ajoute l’agresseur, la fratrie et ceux qui
vivent sous le même toit, 20 % des Français seraient donc concernés par l’inceste.
Vous y croyez vous ? En ce qui nous concerne, nous pensons que les chiffres seraient bien
plus élevés si toute la population française était interrogée et si cette même population pouvait
vraiment dire ce qu’il en était pour elle. Mais n’oublions pas que l’inceste est régi par une loi,
celle du silence et de la cohésion familiale pour ceux qui ont schizé (pour employer un terme
propre à notre profession) cette partie de leur vie.
Par conséquent, et cela est valable pour l’ensemble des chiffres cités dans cet ouvrage,
nous ne pouvons pas être totalement objectifs.
La notion d’inceste connaît des variations d’une époque à l’autre et d’un groupe social à un
autre, au service de quelques intérêts. Dans l’Antiquité orientale, à l’époque de la civilisation
sumérienne, des textes condamnaient pour inceste une mère et sa fille qui partageaient le
même partenaire sexuel, si elles vivaient ensemble. Il en était de même chez les Assyriens, les
Hébreux, tout comme chez les Hittites qui condamnaient la cohabitation avec la sœur de
l’épouse du vivant de celle-ci, tandis qu’après la mort de l’épouse, cela n’était plus interdit.
Après la mort de l’épouse, le veuf pouvait, en secondes noces, prendre pour nouvelle épouse
la sœur de la défunte, sans craindre de châtiment. Nous trouvons partout une constance de
l’interdit, au Ganda, dans certaines régions d’Afrique, à Madagascar, en Polynésie et au
Pérou, où les ménages entre frères et sœurs sont admis dans certaines castes. Dans l’ancien
testament en revanche, nous trouvons l’inceste des deux filles de Lot qui ont dû fuir Sodome ;
de leur relation incestueuse avec leur père, naîtra deux garçons. Nous avons aussi Abraham
qui épousa sa demi-sœur…
Ensuite, le Lévitique condamnera toutes les unions incestueuses, en énumérant les unions
prohibées :
La nudité de ton père et la nudité de ta mère, tu ne les découvriras pas (…)
La nudité de la fille de ta sœur, fille de ton père ou fille de ta mère, tu ne la
découvriras pas : c’est la nudité de ton père.
La nudité de la fille de ton fils ou de la fille de ta fille, tu ne découvriras pas leur
nudité, car elles sont ta nudité (…)
(…) Ce serait impudicité. [Lévitique 18, p. 259]
Nous retrouvons aussi des interdits de l’inceste dans le Coran.
La diversité des législations en matière d'inceste témoigne de la variation de cette notion, là
où elle existe. Il nous a donc semblé opportun de spécifier dans ce travail les différentes lois
trouvées sur le site Wikipédia, qui révèlent que la France est très en retard dans ce domaine et
que les lois sont variables et écrites de différentes manières d’un pays à l’autre.
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La loi canadienne
L'article 155 du code criminel définit l’inceste comme suit :
Commet un inceste quiconque, sachant qu’une autre personne est, par les liens du sang,
son père ou sa mère, son enfant, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petitfils, sa petite-fille, selon le cas, a des rapports sexuels avec cette personne.
La loi suisse
L'article 213 du code pénal suisse (livre deuxième, titre sixième) condamne clairement
l'inceste en ces termes :
1°) L’acte sexuel entre ascendants et descendants, ou entre frères et sœurs germains,
consanguins ou utérins, sera puni de l’emprisonnement ;
2°) Les mineurs n’encourront aucune peine s’ils ont été séduits.
La loi autrichienne
L’article 211 du code pénal autrichien Blutschande (traduction littérale : déshonneur du
sang) stipule :
1. Celui qui accomplit l'acte sexuel avec un parent de ligne droite est à punir
d'emprisonnement qui ne dépassera pas un an ferme.
2. Celui qui séduit une personne, qui est un parent de ligne ascendante ou descendante,
à accomplir l'acte sexuel est à punir d'emprisonnement de pas plus de trois ans.
3. Celui qui accomplit l'acte sexuel avec son frère ou sa sœur est à punir
d'emprisonnement de pas plus de six mois.
4. Celui qui n'a pas atteint l'âge de 19 ans lors du crime n'est pas à punir s'il a été séduit.
Nous allons vous faire dans ce qui va suivre un petit historique de l’inceste dans la France
d’hier à aujourd’hui :
Jusqu’à la révolution française de 1789 et tant que l’église exerçait un pouvoir sur l’État,
l’inceste figurait en « lettres de feu dans le droit canonique ». Depuis l’institution du Code
Napoléon, la loi ne fait plus état de l’inceste comme un crime spécifique.
Dès lors les abus sexuels commis envers ses enfants relèveront des attentats à la pudeur ou
des viols et plus largement des agressions sexuelles. Les peines sont variables ; selon l’âge de
l’enfant, elles peuvent être plus dures pour des actes sur enfant de moins de quinze ans, car
au-dessous de quinze ans il apparaît que le consentement ou le défaut de résistance est dénué
de valeur. Au fil de nos recherches, nous avons pu lire que seuls les actes subis avant dix-huit
ans peuvent être condamnables.
Après l’aménagement de la loi relative aux viols de décembre 1980, les actes incestueux
sont condamnés dans le cadre des articles 331 à 333, relatifs aux attentats à la pudeur et au
viol. Toujours est-il que le terme d’inceste est un grand absent du code pénal.
En 2004, dans le cadre de la deuxième loi Perben, le délai de prescription pour ces viols
avec circonstances aggravantes a été porté à vingt ans à compter de la majorité. En 2005, une
proposition de loi présentée par Monsieur Christian Estrosi visant à ériger l’inceste en
infraction spécifique dans le code pénal n° 1896, avait été déposée le 4 novembre 2004 puis
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renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République. Fin janvier 2009, la députée UMP Madame Marie-Louise Fort a
été chargée d’une mission sur ce sujet par Jean-François Copé, président du groupe UMP et
elle a présenté un rapport, pour que la justice et la loi évoluent et qu’enfin l’inceste se situe de
nouveau dans le code pénal. L’optique de cette loi serait de mieux prévoir et de sanctionner
davantage.
Le 29 avril 2009, a été votée la proposition de loi en première lecture à l’assemblée
nationale, présentée par Marie Louise Fort, député UMP de l’Yonne, visant à faire introduire
ou faire réapparaître l’inceste dans le code pénal, de manière à fournir une qualification des
actes incestueux et qui prévoirait un dispositif de mesures concrètes de soins et de prévention.
Les victimes d’inceste seraient mieux accompagnées aussi bien sur le plan médical que social.
Le sénat devait « identifier et sanctionner l'inceste, notamment en l'inscrivant dans le code
pénal ». La majorité (UMP, Union Centriste) a voté pour le texte dans la nuit du mardi à
mercredi. L'opposition s'est abstenue. Le PS et le PCF ont notamment regretté que le texte
n'aille pas plus loin dans la prévention et la protection de l'enfance.
Le texte donne un cadre juridique à l'inceste, qu'il définit comme « toute atteinte
sexuelle commise sur un mineur par son ascendant, son oncle ou sa tante, son frère ou sa
sœur, sa nièce ou son neveu, le conjoint ou le concubin de ces derniers » ainsi que « le
partenaire lié par un Pacs avec l'une de ces personnes ». La législation actuelle ne réprime pas
expressément l’inceste et les agressions sexuelles incestueuses, « considérés dans un tout que
sont les viols d’une part et les autres agressions sexuelles d’autre part ». La commission des
Lois du Sénat avait préféré à l'unanimité ne pas retenir l'énumération des auteurs d'actes
incestueux prévue par le texte déjà voté en première lecture le 29 avril par les députés. Celleci avait été jugée en effet « trop excessivement rigide, englobant des situations qui ne relèvent
pas de façon évidente de l'inceste » et excluant les « violences de quasi-fratries », selon le
rapporteur UMP Laurent Béteille. Elle risque de laisser « de côté des situations pourtant
vécues comme des incestes » alors que « de plus en plus de familles sont recomposées et que
les liens affectifs y dépassent largement ceux du sang », a argumenté Nicole Borvo CohenSeat. Mais le gouvernement, par l’intermédiaire de la ministre de la Justice, Michèle AlliotMarie, a réintroduit en séance l'énumération en la complétant « afin de réprimer expressément
l'inceste entre frère et sœur – même en l'absence de relations d'autorité – ainsi que celui
commis par un concubin exerçant une autorité sur le mineur ».
L'amendement du gouvernement indique que « les viols et agressions sexuelles sont
qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur
par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un
concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».
Le texte est reparti ensuite pour une deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Ce projet
confronte le législateur à l’épineuse tâche de redéfinir l’inceste.
L’équilibre de la famille et de la société repose sur la prohibition de l’inceste, celle-ci ne
figure qu’implicitement dans la loi française, au travers d’interdictions de mariage dans le
code civil et de circonstances aggravantes en cas de viol ou d’agression sexuelle dans le code
pénal. Si le texte passait en seconde lecture, l’inceste se définirait désormais comme « viols et
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agressions sexuelles commis sur un mineur par son ascendant, son oncle, grand-père, tante,
frère ou sœur, ou même le partenaire lié par pacs avec une des personnes proches, etc. »
Les auteurs présumés d’abus sexuels sur mineurs se retrouvent nombreux à s’asseoir au
banc des accusés. Si nombreux qu’en 2008, ils représentaient un tiers des affaires jugées en
cours d’assises. Dans 80 % des cas, il s’agit d’agressions commises envers un proche. Il est à
noter par ailleurs que toutes les victimes ne vont pas porter plainte et parmi les nombreuses
plaintes déposées, toutes n’aboutissent pas à un procès, ceci condamnant les victimes à la
double peine de l’agression subie et du déni de l’inceste.
Même si nous estimons que l’inceste est différent de la pédophilie (pédérastie), l’un et
l’autre est très souvent le produit d’une répétition transgénérationnelle. Si certains parents
sont naturellement incestueux, il est fréquent qu’ils aient eux-mêmes eu des parents
incestueux ou une famille incestuelle, et qu’ils reproduisent sur leur progéniture ce qu’ils ont
vécu. Là où nous pourrions faire un rapprochement direct entre l’inceste et la pédérastie, c’est
que l’un et l’autre sont le produit d’une répétition transgénérationnelle.
Si certains « parents » ont une proportion normale incestueuse, c’est en général dû au fait
que leurs propres parents étaient incestueux et qu’ils ne font que reproduire ce schéma « bis
repetita a placent ». Ils sont restés dans la confusion de l’enfant qu’ils restent, de l’adulte
qu’ils sont devenus et de l’enfant qui se trouve face à eux, avec son désir, son amour. Un
parent doit à son enfant un amour inconditionnel, sans attendre de lui quoi que ce soit en
retour, en particulier aujourd’hui, dans notre société actuelle, où les femmes ont le contrôle de
leur grossesse. Un enfant ne devrait jamais être objectisé, pour combler les manques du
parent, que ces manques soient de l’ordre affectif, sexuel ou autres.
Quand vous interrogez un pédéraste qui consulte pour un suivi juridique, souvent il déclare
qu’il ne savait pas qu’il ne fallait pas le faire et surtout qu’il ne savait pas quel impact cela
pouvait avoir pour l’enfant ou l’adolescent.
Pour ce genre de personnages, cela leur semble normal, puisque souvent ils ont été euxmêmes « tripotés » dans leur enfance, et que cette forme d’« amour » est la seule information
que l’inconscient a conservé comme telle et c’est la raison pour laquelle, trop régulièrement,
les violeurs répètent dans leur vie d’adulte ce qu’eux-mêmes ont vécu. Ce n’est qu’un schéma
répétitif, une reproduction familiale, ce qui pour eux n’apparaît pas comme choquant, ni
anormal, puisque c’est ainsi.
Il est vrai que depuis que nous avons débuté ce travail, les choses évoluent car depuis le 26
janvier 2010, l'Assemblée nationale a adopté définitivement la proposition de loi mentionnant
spécifiquement l'inceste commis sur les mineurs, qui était jusqu'ici considéré comme une
circonstance aggravante des crimes et délits sexuels.
Les groupes UMP et du Nouveau centre ont voté en faveur de cette proposition de loi,
tandis que le groupe radical, socialiste et citoyen et celui de la gauche démocrate et
républicaine se sont abstenus, estimant la proposition de loi « insuffisante ». Ce texte,
présenté par la députée Marie Louise Fort (UMP), prévoit l'inscription de la notion d'inceste
dans le code pénal et stipule que les viols et agressions soient qualifiés d'incestueux lorsqu'ils
sont commis « au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère,
une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la
famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».
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La loi n° 2010-121 du 8 février 2010 « Tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs
dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes
incestueux. » a cependant été critiquée par certains juristes, dont Emmanuelle Alain, qui
s'interrogeait sur la pertinence d'ajouter au Code des dispositions spécifiques à l'inceste qui
pourtant ne créent aucune nouvelle infraction, ni de nouvelles circonstances aggravantes par
rapport au droit antérieur, s'apparentant à un simple changement sémantique sans
modification sur le fond.
Jusqu’à ce jour le viol et pas plus que l’inceste ne figurent dans les classifications
internationales de psychiatrie DSM II ou CIM IX. On peut s’autoriser à penser qu’avec la
nouvelle loi française, on pourra peut-être voir ces actes se matérialiser dans ces
classifications.
Pour l’écriture de ce chapitre qui, je l’espère, n’aura pas été rébarbatif mais bien au
contraire intéressant, car il faut tout de même savoir comment notre société joue avec l’inceste
et la loi, nous nous sommes servis d’informations diffusées sur le net, dans les articles de
presse et aussi dans certaines émissions récentes évoquant l’inceste.
LA FAMILLE, LIEU DU CRIME
Qu’est-ce qu’une famille ? La famille est
« Personne ne garde un secret
un groupement de personnes liées par des
comme
un enfant. »
liens de sang, de nom, ayant un lien de
Victor Hugo
parenté plus ou moins proche. Cette famille
se constitue d’hommes, de femmes,
d’enfants, d’ancêtres et enfin de secrets. Qui
n’a pas une famille détentrice d’un Secret ? L’inceste en l’occurrence est un des secrets
familiaux le mieux gardé. Il existe des générations n’ayant pas vécu l’inceste mais portant
celui-ci comme un fardeau sous une forme ou une autre. Une grand-mère abusée
sexuellement, lorsqu’elle était jeune, qui transmet à ses enfants sa peur par des actes (phrases,
angoisses…). Les non-dits, la peur et le secret restent confinés dans l’inconscient collectif
familial.
Nous n’affirmons pas ou ne disons pas que l’inceste touche toutes les familles. L’inceste se
produit généralement lorsqu’une famille est gravement dysfonctionnelle. Cet acte a lieu dans
de nombreuses familles considérées comme « normales », où les agresseurs n’apparaissent
jamais comme tels ; bien au contraire, ils ont la plupart du temps une image de personne
respectable, ce qui d’une certaine manière les protège. Cela peut sans doute expliquer la
raison pour laquelle le plus souvent les abus ne sont pas découverts. Lorsqu’un tel acte est mis
sur le devant de la scène, c’est que la victime est enfin arrivée à en parler. Il faut parfois
beaucoup de temps, des appels au secours muets (anorexie, tentative de suicide, fugues…),
pour qu’enfin la victime arrive un jour à trouver les mots et surtout la bonne personne qui
saura écouter, entendre et apporter son aide et soutien, avec bienveillance. Car évoquer ce
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qu’un parent vous a fait subir une fois ou pendant de longues années des actes criminels
répressibles, ce n’est pas simple. La victime risque en parlant plusieurs choses : de ne pas être
prise au sérieux, de perdre le peu d’amour qu’elle reçoit, de subir un procès contre la personne
qui lui a détruit sa vie ou tout au moins une partie de sa personne.
Dans de nombreux cas, la victime, avant d’en arriver à parler, va vivre des étapes
différentes, comme prendre sur elle la faute de l’adulte, en culpabilisant surtout dans les cas
où il existe des menaces ou des injonctions du style « Si tu parles à ta mère, elle sera fâchée et
puis nous pourrions être séparés, je vais être malheureux sans toi et ta maman… » (Nous n’en
dirons pas plus, car la liste pourrait être très longue). Dans d’autres cas, les victimes finissent
par se dire que ce n’est pas vrai, que cela n’est pas possible. Cette attitude est de l’ordre du
déni de la réalité ou d’un clivage.
Nous pourrions évoquer les étapes différentes que vivent l’incesté et l’incestueur, dans les
cas d’inceste père-fille, cas les plus courants dans nos sociétés et plus généralement dévoilés,
« les mères incestueuses passent souvent à l’acte dans un contexte psychotique », 9 selon
Claude Balier.
Quelle mère ou quel père n’a pas un jour embrassé son enfant, fille ou garçon, sur la
bouche – ce qui au demeurant est une façon d’être chez les Américains – ou qui n’a pas dit à
son enfant « Comme tu es beau mon chéri, que tu es belle ma chérie, oh comme tu ressembles
à ta mère quand je l’ai rencontrée » ? Ou encore « Tu es aussi beau que ton père »… Mais
nous observons aussi des « initiations perverses », comme par exemple un père disant à sa
fille : « Je vais t’apprendre comment être une femme et ce que c’est la sexualité ». Tout cela
laisse des traces psychiques sans qu’il y ait de trace physique corporelle et cela reste d’une
extrême violence.
L’inceste maternel est celui que l’on évoque le moins, qui reste encore plus sous silence ;
comme le dit Aldo Naouri concernant la mère « Les mères ont une propension naturelle à
l’inceste ». La mère est le premier objet sur lequel l’enfant se focalise. Si dans ses fantasmes,
dans sa tête, elle n’est pas au clair dans sa relation de couple, ou pour des raisons X ou Y, elle
se met à nettoyer méthodiquement le sexe de son enfant fille ou garçon, très fortement, on
peut se demander quel message elle peut véhiculer. Il y aurait environ 10 % de femmes
abusant de leur enfant, pour 90 % d’hommes. L’inceste mère-fils est très rarement sanctionné
et l’inceste mère-fille, peu étudié dans la littérature, demeure exceptionnel, mais semble bien
plus important que les études le montrent. Probablement parce que c’est le point de départ du
tabou de l’inceste, et qu’il n’est pas concevable d’imaginer un instant une mère capable
d’actes aussi monstrueux sur son enfant.
Vous vous demandez où commence l’inceste. Nous avons pu observer que l’inceste
commence parfois dès sa procréation, soit à la naissance, soit pendant les soins de cette mère
aimante qui bien évidemment ne pense pas à mal. Aujourd’hui, il nous semble important de
dire que la mère a sa part de responsabilité dans l’inceste, qu’elle en soit l’instigatrice ou la
complice silencieuse, qui « offre » son enfant soit à son mari, soit à son frère, soit à un autre.
Lacan disait « La relation mère fille est ravageante » ; une remarque pertinente tant il
semblerait que les dégâts causés par un père incestueux sont plus faciles à soigner que ceux
produits par une mère incestueuse. La jeune femme sera en effet handicapée dans sa vie future
9
BALIER Claude, Viols et incestes, p. 159.
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de femme, d’épouse, d’amante, voire de mère. Certaines jeunes femmes ne peuvent concevoir
l’idée un seul instant de devenir mère à leur tour, pour éviter la reproduction incestueuse
familiale. Pour un fils, incesté par sa mère, très souvent il se retrouve désocialisé et générateur
de pathologie grave, même dans ses équivalents non sexuels. L’inceste d’un frère et de sa
sœur ne semble pas avoir autant d’impact que d’autres formes d’inceste que nous avons
évoquées ci-avant, sauf quand il y a une trop grande différence d’âge entre les deux.
N’oublions pas de rappeler que certaines mères n’admettent pas ce qui se passe au sein de
leur famille, soit parce qu’elles ne veulent pas voir les manœuvres douteuses qui se déroulent
devant leurs yeux, ceci au nom de la préservation de leur ménage, soit par volonté d’emprise
sur la sexualité de leur fille en même temps que celle de leur mari. D’autres mères ne se
sentiront pas trompées par leur mari, parce qu’il reproduit avec sa fille ce qu’il a fait avec elle
depuis si longtemps. Mais si ces mères ne voient absolument rien, ce sera soit pour des
raisons de maladie, de dépression, ou parce qu’elles seront trop accaparées par leur travail, ou
d’autres raisons encore.
Mais une mère ne peut-elle vraiment pas remarquer quand son enfant va mal ? Si une
mère suffisamment bonne voit sa fille souffrante devenir anorexique, se renfermer sur ellemême, pourquoi dans ce cas ne se donne-t-elle pas la possibilité de poser la question à son
enfant « Mais que t’arrive-t-il ? Parle-moi… » Nous pouvons voir souvent ces mères le jour
où leur fille ou fils arrive à parler, s’indigner « pourquoi ne me l’as-tu pas dit plus tôt ? ».
Vous voyez un peu le genre, une mère charmante, presque culpabilisante pour cet enfant quel
qu’il soit.
Nous citerons avant d’aller plus loin ce que dit Racamier : « L’inceste vient du père et
l’incestuel de la mère, c’est ce qui permet l’inceste »10. Il caractérise ici le profil d’une famille
où l’on autorise l’introduction d’un dysfonctionnement, et où la mère a une part de
responsabilité et qui entraînerait une confusion chez le père. Dans ce cas-là, l’inceste serait à
50 % causé par la mère, contre 50 % par le père, les rôles étant bien partagés, car certaines
mères donnent la procuration à leur mari pour incester leur enfant, s’évitant ainsi de le faire
elles-mêmes. Nous nous hasardons à dire qu’une mère a une responsabilité importante dans
l’inceste ; en effet, si la loi du père ne peut pas être posée par le père, la mère se doit de jouer
ce rôle et de poser les interdits. Une telle affirmation pourrait s’apparenter pour certaines
personnes à une accusation formelle de notre part concernant le rôle de la mère dans l’inceste.
Il ne faut pas négliger le fait que le parent abuseur reste ni plus ou moins un personnage
immature, incapable d’aller réaliser ses pulsions sexuelles avec une personne de son âge, en
allant voir soit une prostituée, soit en prenant une maîtresse. Ce n’est pas toujours parce que la
mère n’accepte pas les demandes de sexe incessantes de son mari, c’est le plus souvent dû à
des pulsions et des besoins sexuels trop importants et cette épouse ne peut assouvir en totalité
les besoins de son conjoint.
L’inceste commence très tôt, et dans la plupart des cas le père a le même âge
psychologique que celui de son enfant. Ces pères sont souvent jaloux, possessifs, ayant de
graves carences narcissiques, une absence dans l’enfance de réponse positive à leurs besoins,
ce sont généralement des pères enfants à la recherche d’un amour qu’ils n’ont pas reçu lors de
l’enfance. Ils ont eu des parents blessés dans leur enfance, pas forcément tous abusés, mais
10
RACAMIER P. C., l’Inceste et incestuel (1995).
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ayant manqué des soins affectifs soit du père soit de la mère, d’une absence de l’un ou de
l’autre, ou aussi des parents trop vite « adultisés » (c’est un néologisme que nous avons créé
pour l’écriture de ce mémoire) pour s’occuper des petits frères ou sœurs.
Lorsqu’un père devient incestueux, la cause pourrait très souvent se situer dans leurs
identifications maternelles. Ainsi, l’imago de la grand-mère paternelle avec laquelle se
structure la féminité du père est en ce sens le plus souvent la plus redoutable. Par exemple, le
père qui pourrait projeter inconsciemment sur sa fille sa partie féminine. Et qui pourrait de ce
fait condamner la jeune fille à perdre sa propre identité lors de sa construction…
Nous ne pouvons pas évidemment faire de quelques cas une généralité, mais tout de même
lorsque nous voyons au sein de notre clientèle, ce que vivent certains patients ou patientes,
nous pouvons constater que les dégâts psychiques sont toujours là et à des degrés plus ou
moins variables et d’intensité plus ou moins forte. Il est évident que nous ne pouvons pas
classer des incestes mère-fils, mère-fille, père-fils, père-fille, oncles, tantes, grand-pères, dans
des catégories ou des tableaux, car après y avoir réfléchi considérablement, aujourd’hui nous
pensons que l’impact de l’inceste est variable et d’intensité différente en fonction de l’âge, de
la répétition et du reste de la famille. Nous pouvons cependant affirmer que l’inceste se situe
dans une famille ayant une grande tendance à être dysfonctionnante.
Nous nous attachons ci-après à vous décrire les étapes variables de ce qui se passe entre un
père et sa fille, ce dans quoi l’un et l’autre se retrouve, dans le trouble et la confusion, et puis
ce qui se passe après le déni de ce qui a pu se passer, le clivage, ou même une totale amnésie
des actes vécus, que ce soit une fois ou plusieurs fois, sur plusieurs années :
La première étape se présenterait sous le signe du secret partagé dans un premier
temps entre la fille et le père, d’un pacte qui les lie ensemble et les sépare des autres.
La fille joue un rôle ne lui appartenant pas, qui deviendra difficile pour elle à assumer,
car comme nous le disions auparavant, sa place est celle du sacrifié, d’autant plus que
ce n’est qu’une enfant. Car en étant « la petite femme de son père », cela implique
l’exclusion de la mère et donc sous une certaine forme, l’appropriation de la place de
cette dernière.
La deuxième étape, que nous pourrions évoquer sous le thème de « parler sans
parler » ; lorsque la victime se rend compte de la situation aliénante et du caractère
anormal de ce qu’elle vit avec son père, elle essayera de révéler les faits, en s’y
prenant par des allusions, des maux, se sentant en faute. En parlant ou en essayant de
le faire, elle risque de se retrouver confrontée à une incompréhension, ou même d’être
accusée d’être folle pour oser dire des paroles aussi horribles. Elle peut devenir à ce
moment-là aux yeux de sa famille, comme le bourreau, celle qui rompt la cohésion
familiale.
En troisième étape, où se situe la petite fille devenue femme et qui arrive à parler à sa
mère ; nous pouvons nous retrouver face à plusieurs réactions de cette dernière,
s’agissant souvent en premier lieu d’une compréhension, suivie d’une victimisation et
d’une culpabilisation envers sa fille de ne pas lui en avoir parlé auparavant et d’avoir
attendu autant.
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Il y a ensuite la mère qui accuse sa fille de mentir, de l’avoir trahie et qui soutiendra son
mari qui, vous vous en doutez, niera les faits en bloc, soit parce qu’il a clivé ce qu’il a pu faire
subir à son enfant, soit pour ne pas perdre la face devant toute la famille. Cette jeune femme
victime sera et deviendra le bourreau de sa famille, celle par qui le scandale arrive.
Nous pouvons voir apparaître le syndrome d’accommodation qui décrit la caractéristique
de l’enfant abusé. Ce syndrome se situe dans une approche phénoménologique. Nous avons
repris ci-après les propos recueillis dans un extrait de L’inceste père-fille, mémoire de
maîtrise de Christine Cloarec qui nous a particulièrement intéressés et où elle évoque ce qu’a
décrit Summit (1983-1986) dans The child abuse accomodation syndrome, child abuse and
neglect, (en français, Le syndrome d’accomodation, la maltraitance des enfants et la
négligence). Ce syndrome peut être envisagé chronologiquement dans une approche
phénoménologique ; Summit a effectué des recherches et a mis en évidence un phénomène
d’accommodation chez la plupart des enfants victimes d’abus sexuels sévères. Ce syndrome
amène l’enfant à adopter une série de comportements adaptatifs. Un parallèle pourrait être fait
entre les comportements de l’enfant et les actions de l’abuseur :
Syndrome d’accommodation
Phase du « laisser faire/confiant » : l’enfant peut trouver un aspect ludique, tout au
moins non déplaisant. Période qui s’avère être une période d’insouciance, de
découverte, sans arrière-pensée.
Phase de perplexité : l’enfant a un sentiment vague que quelque chose n’est pas
normal, chose confirmée par l’insistance du parent. Il semble ne plus s’agir d’un jeu
ludique, car ce que lui fait l’adulte lui donne des sensations étranges, voire bizarres,
non maîtrisables par l’enfant, ne comprenant pas ce qui se passe. C’est la phase où
l’enfant voudrait pouvoir cesser le jeu mais reste dans l’impossibilité, par peur de
déplaire à l’adulte abuseur, le parent.
Phase du secret : l’enfant comprend le danger et obéit à la loi du silence.
Phase d’impuissance : l’enfant est totalement dominé mais il ne peut vaciller entre
deux positions extrêmes, le rejet de l’adulte considéré comme agresseur et l’affection
envers ce parent s’occupant de lui et qui apparaît normalement affectueux envers lui,
par le biais de douces intentions.
Phase de coping : l’enfant se résout à la servitude (masochisme et soumission se
jouant là).
Phase de révélation : le dévoilement se fait toujours avec un décalage important entre
le moment des faits et la révélation, cela peut mettre de très longues années. La
révélation va s’accompagner de troubles d’anxiété.
Phase de rétractation : phase que nous voyons parfois lors de procédures judiciaires et
que nous trouvons très perverse de la part de la famille ; la victime devenant accusé
par l’entourage, dans la peur d’être abandonné, va revenir sur ses aveux. Cette phase,
nous pouvons la trouver par exemple dans le film L’ombre d’un doute où la jeune fille
se rétracte, mais grâce au soutien de l’aide sociale, revient sur la vérité de son vécu.
C’est un film français qui a été réalisé en 1992, coécrit avec la psychothérapeute
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Martine NISSE (des Buttes Chaumont à Paris, centre spécialisé dans les cas de
victimes d’inceste).
Cette dernière étape peut amener une victime adulte à la recherche de l’amour maternel
inconditionnel et dont la mère va réfuter ses dires. Cette situation peut amener cette personne
à une décompensation. En reniant ainsi sa vérité, elle continue de protéger et de sauvegarder
le lien affectif et la cohésion familiale. Elle ne sera plus victime mais sera complice et
coupable d’avoir pu séduire son père, elle sera aux yeux de la famille reconnue comme celle
par qui le scandale arrive et comme une perverse.
De victime elle devient menteuse, de ce fait elle peut arriver à douter de sa propre parole.
Au risque de perdre sa réalité.
On parle d’incestes fantasmés ou imaginaires lorsque le garçon souhaite la place du père
et que la fille imagine être à la place de sa mère. Il s’agit du désir de vouloir être cet autre qui
n’est pas soi (« fais comme le père, ne fais pas comme le père », René Girard). Nous avons
envie de vous évoquer sans trop développer, le cas d’une de nos patientes, que nous voyons
depuis quelques mois. Cette patiente était allée consulter en couple un de nos confrères qui lui
avait donné nos coordonnées pour entamer une thérapie avec nous. Au cours d’une séance,
elle nous parle d’un jour où elle avait 11 ans (deuxième période de l’Œdipe). Période où les
formes de la jeune fille naissent, où elle doit aller découvrir ce qui se joue à l’extérieur, et qui
nous semble intéressant d’évoquer.
Notre patiente a commencé à cette période à refuser que son père, qui était plus présent,
voire plus affectueux (peut-être qu’il redoutait le changement de sa fille, qu’il appréhendait
qu’elle grandisse et qu’elle s’en aille), lui fasse des câlins, la pose sur ses genoux, en un mot
ait le moindre contact avec elle. Elle parle alors de désir, elle ressent du désir, le sien et celui
de son père, c’est sa réalité, ou son fantasme. Elle décide de mettre une distance à regret avec
son père, pour que le désir de son père ne soit pas trop fort et qu’il ne puisse pas contrôler ce
fameux désir normal. Oui, le désir pour son enfant, le désir pour son parent est tout à fait
normal, ce qui ne le serait pas : c’est que le père ne soit pas suffisamment mature et qu’il
passe à l’acte pour satisfaire son désir.
Avant d’aller plus loin dans nos propos, il nous tient à cœur d’évoquer un film qui peut
illustrer l’objet de ce travail dans lequel nous tentons de vous montrer, de vous expliquer
l’inceste, sous une forme sans doute différente de tout ce que nous pouvons trouver dans les
ouvrages évoquant ce thème. Ce film, à sa sortie récente au cinéma (mars 2010), de Lee
Daniels, qui évoque l’inceste d’un père envers sa fille, l’immaturité de la mère qui bat sa fille
du fait que le père abuse d’elle, ne nous a pas laissés indifférents. Que ce film soit tiré de faits
réels ou non, il n’en reste pas moins très évocateur de ce que certaines jeunes filles vivent,
dans la plus profonde solitude.
Nous nous proposons de vous livrer ici le synopsis de ce film sombre mais très pertinent.
Lee Daniels relate magistralement l’inceste du père qui fera à sa fille Précious (d’où le titre
Précious) deux enfants, et lui transmettra qui plus est le virus du sida. Le premier enfant né de
la relation incestueuse est dans le film trisomique et vit chez la grand-mère de Précious. Cette
jeune fille obèse et presque analphabète, se retrouve confrontée à la solitude et au silence tout
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en gardant l’espoir de s’en sortir grâce à une rencontre avec une association d’aide aux jeunes
en difficulté scolaire. Elle va pouvoir petit à petit créer des liens amicaux et pouvoir évoquer à
demi-mots l’inceste ainsi que la violence physique que lui fait subir sa mère. Cette mère qui
voit sa fille se faire abuser par son mari et qui lui reproche de lui « voler son homme », est
totalement immature et joue un rôle abominable car elle se fait complice de son mari et
culpabilisante envers sa fille, et n’est de ce fait aucunement protectrice. Ce film, si vous ne
l’avez pas vu, nous vous invitons à le découvrir car, qu’il soit ou non tiré d’une histoire réelle,
il reflète bien toute la souffrance que peut ressentir une fille qui n’a pas d’autre issue que
d’endurer une telle horreur.
Nombre de réalisateurs ont su mettre en scène l’inceste, par exemple l’inceste père-fils
exposé dans Festen, ou bien celui beau-père/belle-fille dans Volver où Almodovar montre une
mère qui entendra, croira sa fille et qui commettra un acte meurtrier envers son compagnon.
Certains films font apparaître aussi l’inceste entre frère et sœur (Gladiator & Caligula où
nous pouvons voir la « folie sexuelle » des Grecs au temps de Créon), d’autres comme Ma
Mère mettent en lumière l’inceste d’une mère envers son fils, avec le désir évident du jeune
garçon pour cette femme, et puis bien d’autres, plus anciens encore comme Peau d’âne où
nous retrouvons l’inceste père-fille. Vous pourrez retrouver dans la filmographie figurant à la
fin de cet ouvrage, ces titres, leurs auteurs et l’année où ils sont sortis.
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Chapitre II
« Combien d’enfants ont reçu de leur
mère des baisers qui n’étaient pas pour
eux ».1
Etienne Rey
LA CONSTRUCTION DU SOI : DE LA NORMALITÉ AU PATHOLOGIQUE
Au commencement, il y a une femme, un homme, un désir ou non d’enfant, l’acte sexuel à
titre reproductif, la procréation, même si aujourd’hui dans ce 21e siècle, avec les moyens de
contraception, la peur des maladies sexuelles et les modes de vie, les comportements des
femmes et des hommes évoluent par rapport au projet d’enfants. Quand les deux partenaires
se trouvent, s’aiment et désirent ou non un enfant, lors de la procréation, et selon l’état
d’esprit de la femme et de l’homme au moment du rapport permettant la fécondation, il se
passe déjà beaucoup de choses pour ce futur fœtus, qui pour le moment n’est qu’une division
cellulaire de l’œuf. Ce qui donnera au bout de dix semaines d’aménorrhée un embryon…
Durant la première grossesse, la future mère peut voir émerger des thématiques
incestueuses qui pendant un temps ont été mises à l’écart, lors de l’adolescence, puis pendant
la période « stérile » due à la contraception. Monique Bydlowski évoque très bien cette
sensation :
« Pendant tout le processus d’élaboration intra-utérine du corps neuf d’un enfant, deux
niveaux se croisent de façon continue dans le psychisme maternel : un niveau archaïque
d’identification à l’image maternelle des premiers soins de sa vie et un niveau œdipien
riche en représentations incestueuses. »11
Ce petit d’Homme en devenir, qui pour le moment n’est qu’un embryon, a déjà toute une
historique inscrite dès l’instant qu’il y a ovulation, rencontre entre ovule et spermatozoïde.
Bien avant sa naissance le fœtus rêve déjà dès le 5e mois de la grossesse, période où les rêves
correspondent à ceux de la mère. Après tout le temps de la gestation, qui pour une femme est
d’une durée de 9 mois, soit 270 jours, l’enfant arrive au monde et, que ce soit un
accouchement facile, difficile, par siège ou par tout autre processus, forceps, césarienne, cette
expérience sera vécue comme un premier traumatisme qui, en général, sera plus tard source
d’angoisse.
11
BYDLOWSKI Monique, Incestes, p. 46.
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L’arrivée de l’enfant est un grand moment, qui peut perturber la vie du couple, car
dorénavant le jeu ne se déroulera plus en duo, mais bien dans une relation triangulaire. Dès la
naissance le nourrisson fonde son existence dans la relation à l’autre (objet = sein = mère).
Cet autre, c’est la mère, et en son absence, le bébé ne se sent plus entier, mais le redevient dès
l’instant que l’objet revient en présence physique et dans la parole. Ce tout petit est un être
désirant à la recherche d’un autre, ce qui nous a conduits à nous poser la question suivante :
adultes, nous sommes toujours à la recherche d’un être, toujours dans le désir et le désirant,
envers cet autre qui n’est pas nous. Sommes-nous toujours à la recherche de notre premier
objet d’amour, en l’occurrence la mère ? Nous craignons que chacun et chacune, ne passions
notre vie à rechercher, à essayer de retrouver ce premier objet d’amour, à travers nos relations
amicales, professionnelles et bien évidemment, au sein du couple. Une femme peut épouser
un homme qui aura le pâle reflet de cette mère, avec des traits du père, un schéma qui est pour
le moins complexe. Et tout se joue dans la spirale de l’inconscient.
Lors de l’absence de la mère, le nourrisson est perdu n’ayant plus l’objet de son désir, ce
désir qui s’avère être le sein nourricier, qui lui permet de se nourrir et de se développer.
Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste française, auteur de nombreux ouvrages sur la
question, disait : « au cours du premier âge le nourrisson se construit en écho au vécu
inconscient et ressenti de sa mère… »12. En rajoutant que « la période post-natale était une
période d’identification subie au climat affectif maternel ».
Nous rejoignons la pensée de Françoise Dolto et sommes convaincus que l’enfant est un
être désirant et désiré, qui choisit ou pas de naître. En effet à notre humble avis, chaque être
humain vient à la vie avec le choix de s’incarner. Ce que nous ignorons c’est pourquoi
l’humain choisit de vivre une naissance, une vie de souffrance. Mais nous ne sommes pas là
pour verser dans les théories spirituelles, reparler de la réincarnation. À chacun ses
convictions philosophiques. En tout état de cause, ce dont nous avons la certitude, c’est que
lorsque l’enfant grandit dans le sein maternel, l’histoire de sa vie est déjà inscrite.
Lors de sa naissance, hormis la souffrance possible de la mère à mettre son enfant au
monde, le père et la mère ressentent une joie immense de voir ce petit être pleurer, gesticuler ;
car manifestement, cet infans a déjà un langage, il exprime ses besoins et ses douleurs par les
cris, ses joies et plaisirs par des gazouillis et des sourires. Il ne fait aucun doute que l’enfant,
par ces manifestations physiologiques, est déjà un séducteur.
Le rôle des parents est fondamental. Il est essentiel que le père soit très présent dans la vie
de cet infans, car souvent, les mères vivent en fusion, en osmose avec leur petit, oubliant
jusqu’à l’existence du père ; certaines diront même qu’elles n’ont plus aucun désir pour leur
mari. Il y a des couples qui ne résistent pas à la venue de leur bébé.
Il est important que le père joue le jeu et qu’il remette en place la « loi du père », ce qui est
parfois difficile pour certains d’entre eux qui souffrent de cette exclusion. Quoi que l’on
puisse dire, écrire ou penser, le père est la pierre angulaire de la construction psychique de
l’infans, autrement dit, il est censé énoncer la loi, les règles, il doit savoir positionner les
choses comme elles se doivent de l’être, vis-à-vis de la mère et de son bébé.
12
DOLTO Françoise, Introduction aux œuvres …. p. 313.
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Dans sa mémoire cellulaire, l’enfant sait qu’il est sorti du corps de la mère. Ce qui lui
permet de fantasmer qu’il pourrait y entrer de nouveau. L’enfant porte en lui la mémoire du
sexe de la mère, le traversant à sa venue au monde, mais tant qu’il n’a pas pu se représenter
celui du père, sa peur serait d’y retourner et de se faire engloutir la tête la première dans le
sexe de sa mère. Par conséquent, il est important qu’au niveau de l’image du corps, et pour
que ce soit constructif pour l’enfant, que le père soit aussi présent et que lorsque l’enfant se
trouve être dans les bras paternels, qu’il puisse percevoir que le corps du père est
impénétrable, fermé sur lui-même. Le père joue un rôle d’une importance capitale (50/50 avec
la mère) dans la construction de son enfant.
Pour se construire, l’enfant doit vivre et connaître plusieurs stades, mais dès l’instant qu’un
traumatisme vient s’interposer dans cette construction, il y aura des conséquences
douloureuses et pas forcément toujours visibles au premier regard.
Sont déclinés ci-dessous ces divers stades se jouant à des âges différents et bien précis,
importants pour le caractère structurant et classiques pour un enfant. Nous essayerons de
développer par la suite chaque stade du développement psychoaffectif :
Stade oral, de la naissance jusqu’au 18e mois : il existe deux zones érogènes, la
bouche et la peau. Nous pourrions dire à cet égard que certains parents n’osent pas le
contact avec leur enfant.
Stade anal, avec encore plus ou moins de l’oralité, de 18 mois à 3 ans : cette période
est liée au plaisir du contrôle des voies d’excrétion.
Stade phallique (anal 1&2 et oral), de 3 à 6 ans : stade relevant de l’Œdipe selon
Freud, qui est lié à la masturbation de l’enfant.
Période de latence (orale, anale & phallique), dès 7-8 ans.
Stade génital, correspond à l’adolescence où se rejoue une nouvelle tranche
œdipienne.
La séduction qui va s’instaurer entre la mère et son bébé nous semble tout à fait normale.
Cette instance concerne en effet les premiers émois en rapport avec les soins maternels, et
apparaît essentielle pour la construction de l’enfant ; cette séduction est par conséquent vitale
dans les débuts de la vie. Elle doit pouvoir faire son chemin petit à petit et conduire au deuil
originaire où mère et enfant doivent pouvoir parvenir à se dessaisir du lien, leur lien.
Sur ce point, il est un aspect significatif qu’on ne doit pas ignorer : certaines mères ont des
fantasmes sexuels pendant les soins de leur bébé, que ce soit une fille ou un garçon, et elles
s’autorisent à faire la toilette de leur enfant en frottant énergiquement jusqu’à ce que la vulve
de la petite fille ou que le pénis soit brillant, ou bien d’autres mères demandent à leur enfant
un peu plus grand de leur laver le dos à l’ammoniaque. Mais ces mères glissent sur une pente
dangereuse car la séduction narcissique ne doit pas devenir le terrain fertile d’une libido
débridée.
En ce qui concerne l’Œdipe, nous pourrions l’évoquer en commençant par reprendre les
propos de Mélanie Klein qui disait en parlant du conflit précoce œdipien, magnificence du
sadisme : « (…) Les tendances œdipiennes sont libérées à la suite de la frustration que
l’enfant éprouve au moment du sevrage, c'est-à-dire vers 2-3 mois et seront renforcées par les
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frustrations anales et urétrales subies pendant l’apprentissage de la propreté (…) ». Cette
partie œdipienne sera accompagnée d’angoisses et de culpabilité, les conflits entre le Moi, le
ça et le surmoi que Freud a développé. Et Klein de dire en ce qui concerne les angoisses
persécutrices et de culpabilité intense : « (…) L’angoisse et la culpabilité ne naissent pas de
cette entreprise incestueuse œdipienne, mais d’abord des pulsions destructrices (…) ». Cela
reviendrait-il à dire que toute pulsion sexuelle est destructrice ? N’y a-t-il pas d’amour
heureux ?
L’être humain est régi par des pulsions, qu’elles soient destructrices ou non. Ce qui reste
important de dire c’est que la personne détentrice de ces pulsions se trouve être épanouie et
qu’elle puisse en jouir sans culpabilité ni angoisse, ni peur d’être condamnée pour avoir
ressenti ses pulsions, ses désirs. Regardez par exemple, une mère ou un père, disant à son
enfant qui se masturbe : « Ce n’est pas bien de faire ce que tu fais et c’est sale ». La trace que
va garder cet enfant plus tard n’est pas surprenante. Cet adulte pourra vivre et voir la sexualité
comme destructrice, voire comme un acte répugnant et punissable. Tout cela parce qu’un jour
quelqu’un, en l’occurrence ses propres parents, lui a dit que ce n’était pas bien et que c’était
sale. De notre point de vue, cet acte est une façon d’incestualiser son enfant et de le punir de
ses pulsions. Le principe de réalité a relayé le principe de plaisir.
En ce qui concerne la théorie freudienne, l’œdipe apparaît donc au niveau du stade
phallique, et son passage aboutit normalement à une position hétérosexuelle et à la formation
du surmoi, le surmoi étant l’héritier du complexe d’œdipe. Le rôle interdicteur du surmoi a été
exercé en premier lieu par la puissance extérieure de l’autorité parentale. Chez la fille, le
processus qui mène à l’œdipe est nécessairement, chez elle, plus long et plus compliqué que
pour le garçon qui, lors du passage obligé de l’œdipe, garde son premier objet d’amour (la
mère).
Lacan, à propos de l’œdipe a appelé cela « Le guignol de la rivalité sexuelle » ; une
formule qui prête à sourire car Guignol n’est rien d’autre qu’une marionnette qui ne fait que
ce que l’autre lui fait faire en l’articulant. Freud a aussi décrit le moi comme une partie du ça
qui se serait différencié sous l’influence du monde extérieur. Dans le ça règne le principe du
plaisir. Le moi se présente sous une forme de « tampon » entre les conflits et les clivages de
l’appareil psychique, de même qu’il essaie de jouer le rôle d’une sorte de « pare-excitation »
face aux agressions du monde extérieur. Un moi faible ne peut se protéger du monde
extérieur, c’est pour cela que l’enfant peut être plus facilement abusé, car l’enfant s’identifie
aux parents, or si un des parents a un moi faible, l’enfant fusionne avec celui-ci. Car le Moi
n’est pas nettement séparé du ça, il reste fusionné avec lui dans sa partie inférieure.
La pulsion sexuelle apparaît nécessaire en ce qui concerne la construction de l’infans.
Nous sommes en effet régis par les diverses pulsions, celles de vie et de mort (Eros &
Thanatos), il nous semble donc important d’être pulsionnels et de vivre. Ceci pour dire, et
dans une certaine mesure rejoindre de loin ou de près Mélanie Klein, que tout commence bien
avant un stade ou un autre, car si nous nous en remettons aux études qui sont menées et qui
montrent le fœtus se masturbant dans le ventre de sa mère, nous pouvons confirmer le postulat
selon lequel le commencement de l’être se situe au niveau intra-utérin.
La pulsion érotique est dans son essence incestueuse et l’inceste au sens large du terme
impossible. Ce qui pourrait revenir à dire que l’inceste dans son essence n’est pas une
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question de sexe, mais une séparation d’avec la mère et de l’introduction de la loi du père et
du nom du père. Mais si le père est défaillant, cette même loi et ce même nom peuvent être
posés par la mère.
L’œdipe fait valoir que sa fonction est de promouvoir la castration symbolique. Lacan
quant à lui souligne que le nom du père assure la fonction dans notre civilisation, cela
découlant de l’influence monothéiste et n’a rien d’obligatoirement universel. Le mythe
œdipien est actif dans l’inconscient de l’individu occidental, homme ou femme, mais dans
d’autres civilisations (africaines par exemple), l’œdipe peut n’être qu’un détail dans un mythe
immense.
On est en droit de se demander quand commence la relation incestueuse, incestuelle. Nous
pensons que cette relation peut se jouer très tôt. Prenons ci-après, les propos d’Aldo Naouri
pédiatre « Les mères ont une propension naturelle à l’inceste ». Nous évoquions un peu plus
haut la transgénérationnalité, et d’un point de vue transgénérationnel, nous pourrions en effet
considérer l’inceste comme étant toujours d’origine maternelle ou que les pères incestueux
souffrent également eux-mêmes d’une absence de père. Mais Naouri a aussi évoqué la part
maternelle des pères qui se trouve être souvent aussi destructrice que le sadisme phallique des
« mères martinet ».
Afin de déterminer comment se fait la construction de cette relation, nous allons appuyer
nos dires par les réflexions menées par certains auteurs. Nous évoquerons la séduction de
l’enfant envers le parent de sexe opposé, comme par exemple celle de la petite fille pour son
père. Le désir œdipien de l’enfant est normal, que le parent ait du désir pour son enfant, l’est
aussi. Ce qui va s’inscrire en dehors de la normalité, c’est la réponse du père face à ces désirs.
Le père a le devoir de refuser ce désir, pour que le désir de l’enfant puisse s’orienter vers une
autre personne à l’extérieur du cadre familial. Le pervers, ainsi que la plupart des parents
incestueux, s’oriente vers ce désir passif de l’enfant. Celui-ci opte pour la position de « laisser
faire » qui lui permet de décharger la culpabilité inhérente à cette relation sur ses parents. Il
pourrait alors s’agir d’un sadomasochisme latent, nous évoquerons à ce propos ce qu’écrit
Bergeret « l’agressivité peut être de forme sadique ou masochiste, il s’agit toujours d’un
mélange de plaisir, d’érotisation, donc de libido avec une volonté d’attaquer l’objet ou soimême ». Les pratiques incestueuses relèvent donc de la violence plus que de la séduction. Le
traumatisme de l’inceste serait dû à la confrontation du fantasme avec la réalité. Il ne
concerne pas que le corps physique mais la construction du sujet et de ses structures mentales,
que nous développerons plus loin. Dans le cas des pères incestueux, ils ne sont pas tous
forcément dans le sexuel, mais ils peuvent être aussi, tout comme chez la mère, à un niveau
nourricier en enfournant dans la bouche de l’enfant un gâteau au chocolat sans que l’enfant
n’en ait exprimé le désir ni même l’envie, autrement dit sans que ce dernier n’ait pu dire ni
oui ni non.
Ferenczi évoque quant à lui l’acte incestueux qui se déroule sur un jeu particulier relatif à
la confusion des langues entre l’adulte et l’enfant :
« (…) Les séductions incestueuses se produisent habituellement ainsi : un adulte et un
enfant s’aiment, l’enfant a des fantasmes ludiques, comme de jouer un rôle maternel à
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l’égard de l’adulte, ce jeu peut prendre une forme érotique, mais il reste pourtant
toujours au niveau de la tendresse (…) ».
Nous rejoignons tout à fait Ferenczi, mais en y ajoutant tout de même un bémol : « un
adulte et un enfant s’aiment », quoi de plus normal, nous diriez-vous ? Or, il conviendrait de
se demander à quel degré se situe ce sentiment d’amour.
Amour entre un homme et une femme, ou amour d’un adulte pour son enfant qui se doit
d’être inconditionnel, nous faisons là un distinguo entre l’amour conjugal et l’amour parental.
L’enfant aime son parent parce qu’il est son parent, qu’il a totalement confiance en lui, qu’il
représente à ses yeux beaucoup de choses, comme apprendre la confiance en soi, l’estime de
soi, la liberté, l’indépendance, etc. Un adulte représente le plus souvent, aux yeux de l’enfant,
bien plus qu’un fantasme ludique ou non, il est un exemple, celui sur qui il peut se reposer,
pour donner de l’amour inconditionnel, cet amour dont beaucoup d’enfants manquent, cet
amour qui doit permettre la construction du petit homme, la plus correcte possible. Quel
individu n’a pas de fantasme, n’a jamais joué avec les chaussures de sa mère, pris son rouge à
lèvres, mis le chapeau de son père ou ne s’est assis sur les genoux de son père au volant de la
voiture paternelle en imaginant que c’est lui qui la conduit.
À l’adolescence, la recherche du plaisir, le désir sexuel, la curiosité et les rapports de
séduction sont émoussés par la violence des sentiments, lesquels réactualisent les fantasmes
œdipiens et rendent possible la réalisation d’un inceste agi. Nous pouvons en effet constater
que très souvent une relation incestueuse se produit lors de l’adolescence.
Un fantasme quel qu’il soit est normal et nécessaire. À cet effet, nous reprenons la
définition que Laplanche et Pontalis donnent dans leur ouvrage (Fantasme originaire,
fantasme des origines, origines du fantasme) : « (…) « Fantasme en allemand Phantasie.
C’est le terme pour désigner, l’imagination, non pas tant la faculté d’imaginer que le monde
imaginaire (…) »13. Quand nous sommes enfants, nous n’imaginons pas quels peuvent être les
effets de ce que nous faisons ou pas sur l’adulte, nous n’avons pas pleine conscience de nos
actes et surtout de ce qui peut se passer dans la tête de l’adulte face à nous.
Nous sommes tous confrontés aux quatre fantasmes originaires qui trouvent naissance lors
de la période œdipienne, un passage obligé et normal pour l’être humain, pour cet infans
devenant enfant, pour cet enfant devenant adolescent, et pour cet adolescent devenant adulte
et pouvant toujours vivre dans ses fantasmes. Ces différents fantasmes, que nous reprenons du
même ouvrage de Laplanche & Pontalis, sont les suivants :
Fantasme de la scène primitive « c’est l’origine de l’individu qui se vit figuré »,
Fantasme de séduction « c’est l’origine, le surgissement, de la sexualité »,
Fantasme de castration « c’est l’origine de la différence des sexes »,
13
LAPLANCHE Jean & PONTALIS J-B., Fantasme originaire, fantasme des origines, origines
du fantasme, p. 15.
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Fantasme d’abandon, qui s’apparente à la peur de perdre l’objet, l’autre14.
Il ne serait pas vain de rappeler que l’être humain est un être de désir : toujours en manque
de ce qu’il a perdu. Comme le disait Spinoza bien avant Freud « Le désir est l’essence de
l’être ». Chaque être humain désire, est et doit être désiré, désirable.
L’enfant a un désir. La définition du désir est : « action de désirer, sentiment de celui qui
désire ». Ce désir œdipien amoureux de l’enfant est normal. Il n’a pas accès à la conscience de
la dangerosité, parfois du désir qu’il éprouve pour ce parent qu’il aime tant et dont il dépend
en partie et ce, pendant de longues années. Il est normal d’aimer son père, sa mère, ou toute
autre image familiale, de ressentir le besoin et l’envie que son parent s’occupe de lui et lui
donne tout l’amour dont il a besoin. Donc ce désir naissant et grandissant chez l’enfant est au
demeurant correct et normal dans notre pensée.
Quant au désir du parent pour son enfant, que nous assimilons à quelque chose de normal,
il convient de se référer à nos propos dans la définition de l’inceste concernant la pédophilie.
Il est tout à fait normal et bienvenu d’aimer son enfant. Ce qui l’est moins et qui devient
anormal dans les faits, c’est la réponse à ces désirs de l’un envers l’autre, donc dans ce cas
bien précis, du désir de l’adulte envers l’enfant en passage à l’acte incestueux, et nous
insistons sur le caractère incestueux qui peut être aussi de l’ordre de l’incestuel de quelque
manière que ce soit.
L’inceste passe par les voies érogènes de l’enfant, pouvant aller d’un doigt dans la bouche,
à une pénétration par le sexe ou autre objet, mais nous aurions envie de dire aussi qu’il peut
parfois y avoir une incestualité latente lorsque l’un des parents baisse la culotte de la petite
fille en lui mordant les fesses devant toute la famille qui s’esclaffe de rire, qui trouve ce jeu
drôle et qui cautionne l’inceste dans la famille. Face à cette situation, il est évident que la
petite fille ne peut ressentir que du mal-être, qu’une envie de fuite et une peur effroyable.
Tout ceci sur le moment n’est pas « conscientalisé » par elle, mais après un travail
thérapeutique, elle comprendra que l’inceste se joue à de nombreux et différents degrés.
L’inceste est dans la famille, il n’en sort que très rarement.
L’inceste reste banalement et tout simplement la réponse positive à la séduction et au désir
normal enfantin. De ce fait, les passages à l’acte sur la fillette ou le petit garçon se traduisent
de différentes manières, cela va des plus démonstratives telles que les baisers, les
attouchements, les fellations, les pénétrations avec des doigts ou le sexe ou tout autre objet,
mais aussi aux plus implicites, au travers des mots.
Avant d’aller plus loin, nous avons envie de dire que tout être que nous sommes, avons fait
jouir ou souffrir notre mère en naissant. Ce qui peut donner dans la construction
fantasmagorique de l’individu la même chose, puisqu’il se trouve que dans l’inconscient, jouir
et souffrir ont souvent la même valeur. C’est ce que montre le sadomasochisme, où jouir et
souffrir se présentent comme l’avers et le revers d’une même énergie.
14
LAPLANCHE Jean & PONTALIS J-B., Fantasme originaire, fantasme des origines, origines
du fantasme, p. 68.
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LE RÔLE DE L’INCESTE DANS LA CONSTRUCTION DE SOI AVEC SES
CONSÉQUENCES SELON L’AGE
Pour certains professionnels de la psychanalyse, de la psychologie et de la pédopsychiatrie,
nous compris, il est permis de penser que l’âge au moment des faits ainsi que la découverte de
l’acte, est un facteur primordial et qui serait à prendre en compte pour pouvoir analyser le
comportement maternel. « (…) Les enfants se sentent physiquement et moralement sans
défense lors d’un abus, leur personnalité encore trop faible pour protester même en pensée,
la force et l’autorité écrasante des adultes les rendent muets et peuvent même leur faire
perdre conscience (…) », disait Sandor Ferenczi, précurseur éclairé, dans son article
(Confusion des langues, 1933). Seul Ferenczi semblait être sensible aux violences subies par
les enfants dans leur famille, peut-être à cause de l’absence d’amour qu’il a subie dans sa
propre enfance ? Il maintiendra le premier point de vue, celui du traumatisme sexuel comme
facteur pathogène.
Si l’inceste se situe sur le bébé ou l’enfant de moins de six ans, peut-on imaginer qu’une
mère « suffisamment bonne » ne s’aperçoive de rien et ne détecte aucun signe ? À nos yeux,
cela nous apparaît comme un fait invraisemblable, et en temps que professionnels, il nous
semble impossible et impensable de croire qu’elle n’ait rien vu, sans doute parce qu’elle est
présente tout en étant défaillante, ou tout simplement parce qu’il n’est pas concevable pour
elle de voir et d’admettre, ou parce qu’elle cautionne l’acte, voire même est l’instigatrice ou
l’actrice de cette chose que l’on appelle : Inceste.
Le traumatisme incestueux ne concerne pas que le corps physique, il affecte également la
construction du sujet et de ses structures mentales. Comme le dit le titre du livre d’Alice
Miller, Notre corps ne ment jamais, les sévices sexuels qui parfois peuvent s’accompagner
d’autres sévices, restent inscrits aussi bien dans le corps que dans l’inconscient, car une partie
de soi clive la souffrance des actes, voire la répétition, que cet acte puisse avoir eu lieu une
fois ou de nombreuses fois. Prenons par exemple, par rapport au syndrome du corps qui se
souvient, un fait d’un autre genre, mais qui pourrait ne pas l’être tant que cela : un enfant est
battu très régulièrement par sa mère, et se retrouve à l’âge adulte confronté à cette sensation
étrange, lorsqu’en face l’autre lève le bras, pour une caresse ou juste pour prendre la main de
son compagnon. Cet homme en apparence serein, ancien enfant battu, a un mouvement de
recul et vous pourrez lire dans son regard, l’espace d’un instant, une forme de terreur. Nous
essayons de vous démontrer que quels que soient les abus subis, il reste des séquelles enfouies
partout dans le corps, la psyché et voire même à l’extérieur de soi. À l’âge adulte, ces
séquelles sont là pour rappeler et répéter en quelque sorte l’enfer que nous avons pu connaître.
Il semblerait que pour certaines personnes ce soit le cas, que ces anciennes victimes restent
coincées dans cet enfer. Pour autant, l’enfer n’est peut-être pas là où on l’imagine.
Freud estime qu’un traumatisme sexuel précoce serait un facteur pathogène dans la
structuration de la personnalité, mais il renoncera à la théorie de la séduction traumatique sans
doute en raison du puritanisme de l’époque. Pourtant en élaborant sa théorie des pulsions,
Freud montre que les besoins sexuels de l’enfant s’orientent naturellement vers le parent de
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sexe opposé (phase œdipienne). Dans sa théorie de la séduction, Freud a ébauché l’idée du
rôle fondamental du père mais il a ensuite préféré se diriger sur la mère séductrice.
La psychanalyste Marie Balmary a écrit en ce qui concerne Freud, qu’il a refoulé cette
découverte parce qu’il ne pouvait pas accepter « la théorie de la faute du père ». Sans doute ne
pouvait-il pas le faire parce qu’il était en porte-à-faux dans ses choix en tant qu’analyste, alors
qu’il analysait sa propre fille Ana, qui elle-même est devenue analyste et a passé sa vie à se
dévouer corps et âme à son père, telle Antigone suivant les pas de son père Œdipe, tel que
décrit par Henri Bauchau. Pour le cas de Freud, ne pourrions-nous pas parler d’incestualité ?
Car si nous reprenons la définition de ce néologisme faite par Racamier, il s’agit d’une action
consistant à rendre incestuel. Sans nullement chercher à faire un procès à Freud, nous
pouvons constater néanmoins que le père de la psychanalyse a commis des erreurs, même si
elles se sont avérées constructives puisqu’elles ont permis à d’autres d’y voir plus clair et
d’aller plus loin dans la réflexion. Un petit clin d’œil à ce que peut avoir écrit Monsieur
Onfray.
D’un point de vue transgénérationnel, il faut donc considérer que l’inceste est toujours
d’origine maternelle ou que les pères incestueux souffrent généralement eux-mêmes d’une
absence ou d’une blessure du père. Lorsqu’ils sont incestueux, ce sont très souvent leurs
identifications maternelles qui en sont la cause. Dans une famille incestueuse, la transmission
générationnelle ne commence pas au premier passage à l’acte incestueux, de même qu’il ne
s’arrête pas au trauma. Les parents participent à la formation de la vie psychique de l’enfant
dès sa naissance. Un parent incestueux souffre à différents degrés même s’ils ne sont pas
directement atteints. Dans le cas des enfants d’anciennes victimes dont le trauma psychique
n’est pas en quelque sorte suffisamment liquidé ou élaboré, l’enfant sera d’une manière ou
d’une autre l’héritier de ce secret familial. Ainsi, un climat incestuel se perpétue de génération
en génération, comme l’inceste, par le non-dit et le refus de penser. Un tel contexte,
n’autorisant ni loi ni limite, lègue à l’individu pour seul héritage une identité mal définie, un
corps qui ne lui appartient pas, un moi ne trouvant place, sa place, dans la chaîne de
l’humanité.
Le cas des mères devant élever leur enfant seules – par exemple le cas d’une mère et son
fils dormant dans son lit et ce jusqu’à l’adolescence – est assez frappant. Il existe une forte
probabilité qu’au moment de cette adolescence, le jeune homme passe à l’acte avec elle. Ces
garçons ont une structuration psychotique, car dans ce cas d’inceste mère-fils, il y a un
enfermement matriciel, alors que dans le cas d’un inceste père-fille, on assiste généralement à
de l’hystérie. Mais nous restons bien sûr très prudents dans nos propos et dans le fil
conducteur de nos réflexions, car nous n’ignorons pas qu’il faut aussi prendre en
considération l’âge où l’inceste a débuté et la durée de cet acte.
Les pères peuvent être incestueux sans forcément passer par l’acte sexuel. Ils peuvent
l’être, notamment, par le biais de la nourriture. Par exemple, le père demande à son enfant s’il
veut un morceau de chocolat et, sans attendre sa réponse, il le lui met directement dans la
bouche, l’enfant n’a donc pas eu le temps de dire oui ou non. Nous pouvons aussi retrouver
cette forme d’inceste avec la mère. De même, dans le cas d’un enfant battu, la mère ou le père
peut, en tapant l’enfant, défouler ses pulsions sexuelles non exprimées normalement dans une
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relation sexuelle accomplie ou bien dans des jeux sado-masochiques entre « adultes
consentants ».
Un enfant peut être battu dès son plus jeune âge par sa mère avec sa brosse à cheveux, ses
mains ou autres objets. Il peut y avoir, comme dans un inceste direct avec attouchement des
organes génitaux, un déni de l’acte, car l’enfant ne garde en vue que le fait d’avoir été battu.
C’est toutefois là, un cancer silencieux, qui ne fait pas de bruit, mais qui risque tel un volcan,
d’exploser à tout instant ; il suffit parfois d’une rupture ou d’un problème de couple, pour que
ce cancer se volcanise. Ce poison vit dans l’inconscient de l’être, certes dans un déni de l’acte
incestueux. Il se réveille un jour, à un moment précis. L’inceste a de multiples visages,
comme il a de multiples conséquences. Nous pouvons citer l’exemple d’un enfant désiré par
ses parents, voyant le jour avec difficulté (naissance par le siège) ; il y a donc souffrance pour
le nourrisson et pour la mère. Cet enfant tant désiré, se retrouve très rapidement confronté à la
« folie meurtrière » de sa mère, qui le frappe, sur tout le corps, en particulier la tête, le dos, les
jambes. Elle évite en quelque sorte les parties génitales. Certes, le père bat aussi son enfant de
temps en temps, mais pour l’enfant ce n’est pas vécu de la même manière, ni voyez pas là un
moyen d’accuser formellement la mère d’être incestueuse, mais cette possibilité n’est pas à
écarter. Bien entendu, il nous manque des pièces manquantes dans cette histoire, mais notre
première hypothèse penche tout de même pour de l’inceste déguisé par les coups. La mère
développe en effet de l’herpès lors des départs en vacances, en principe des moments de
plaisir et qui rapprochent habituellement les conjoints. Un comportement pour le moins
étrange, n’est-il pas vrai ?
Freud quant à lui, associait à de la pédophilie, du viol et de l’inceste tout abus sexuel avec
violence sexuelle accompagnée de violence physique ou morale, d’une contrainte physique ou
morale sur une personne à un rapport sexuel fortuit ou non désiré.
Quel que soit l’âge où l’incestualité, ou l’inceste, aura eu lieu, l’agression psychique est
d’une violence extrême qui réduit la personne à néant. Ce qui revient souvent, c’est que les
victimes tout en ne s’estimant pas, se trouvant totalement nulles, se sentent responsables de
leur agresseur, qu’elles continuent d’appeler papa, tonton, maman ou autres. En continuant de
les appeler ainsi, elles partagent le devoir, combien lourd, de préserver l’illusion de l’unité
familiale, sans avoir l’impression et l’assurance d’y occuper une véritable place, si ce n’est
sous une forme négative. Le manque de confiance, voire le mépris de soi, conduisent souvent
ces victimes dans un sentiment illégitime, les empêchant d’occuper une place bien définie. Le
plus souvent, pour certains, ce malaise se traduit dans l’insertion sociale, professionnelle et
dans leur problématique avec l’affectif pour créer une relation affective heureuse.
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Chapitre III
L’INCESTE ET SES MULTIPLES CONSÉQUENCES
Nous avons repris pour ce paragraphe
des conséquences citées par certains
« L’amour incestueux appartient à l’ordre
auteurs, que nous pouvons retrouver au
de l’impossible. Dans le possible, il n’est
sein de notre clinique personnelle. Il est
que destruction. »
à noter au passage que nous pouvons
retrouver ces signes dans des cas de
non-inceste.
Sur le plan psychologique, physique, les victimes vivent parfois leur inceste sous une
forme différente, mais nous pouvons observer dans de nombreux ouvrages et même au sein de
notre clientèle que l’on reçoit en cabinet, que les symptômes traumatiques à court, moyen ou
long termes, sont corrélatifs à de nombreux facteurs.
Nous avons relevé ces informations sur plusieurs manuels de psychiatrie, et nous les avons
retranscrites telles quelles, tant elles nous ont semblé plutôt pertinentes.
L’âge ;
La maturité physique et aussi psychologique de la victime ;
Le climat familial, avant l’acte et après, si l’abus a été révélé ;
Et en dernier lieu la durée de l’abus.
Nous allons vous présenter les symptômes post-traumatiques à court terme, que nous
pouvons trouver dans la personnalité de certaines victimes :
Troubles somatiques :
 Perte de l’intégrité corporelle ;
 Plaintes psychosomatiques = malaise, crise d’étouffement, vertiges ;
 Des troubles sphinctériens ;
 Des troubles de la conduite alimentaire ; troubles du sommeil, anxiété à
l’endormissement, cauchemars, réveils nocturnes… ;
 Des tentatives de suicide ;
 Troubles des fonctions intellectuelles et de la créativité : un total désintérêt ou
voire absence de jeux, difficultés scolaires ou inversement.
Troubles comportementaux :
 Apathie, phobies ;
 Méfiance avec agressivité envers les adultes ;
 Dévalorisation de son image avec signes dépressifs ;
 Culpabilité et honte ;
 Sexualité en décalage par rapport à l’âge.
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Et sur le long terme, nous retrouvons les symptômes caractéristiques, à savoir la dépression
et l’anxiété pathologique, les phobies diverses, toutes les conduites à risque comme la
prostitution, la délinquance, etc., la perte ou la diminution de l’estime de soi, la perturbation
de la sexualité voire des blocages sexuels, l’anorexie et/ou la boulimie, et puis, pour finir cette
liste fort intéressante et bien réelle, l’impossibilité de dire « NON » pour beaucoup de nos
patients ayant vécu des abus sexuels. Cette liste n’est pas exhaustive, et bien entendu nous
pouvons trouver des troubles similaires chez des personnes n’ayant jamais connu d’abus de ce
genre, mais tout de même nous avons pu constater que dans la plupart des cas, les faits étaient
bien là. Nous avons relevé, lors d’un reportage récent sur l’inceste, les propos d’une personne
qui s’est expliquée sur le pourquoi de l’impossibilité de dire « non » : « dire non c’était avoir
dit oui à un moment, ce n’est pas le cas ». Mais nous pensons que cela va bien au-delà. La
personne se retrouve en effet dans un conflit terrible car souvent celui ou celle qui abuse
d’elle est une personne qu’elle pourrait perdre et/ou qui la menace, si jamais elle refuse.
Parmi les multiples conséquences de l’inceste, nous pouvons évoquer également la
dissociation qui entraîne les troubles de la mémoire (amnésie partielle ou totale de l’inceste,
d’une partie de l’enfance, voire même des aspects de la vie adulte). Cette tendance à se
dissocier mise en place de façon intempestive et fréquente, devient source de difficulté pour la
concentration. Et pour finir sur l’aspect dissociatif, les émotions et les pensées « propres »
sont mises à distance, leurs souvenirs sont désaffectisés.
Nous y retrouverons aussi la culpabilité que ressent la victime d’abus sexuels, culpabilité
qui ne se retrouve pas dans la personne ayant abusé. Pour certains auteurs, ce sentiment peut
avoir un effet inhibitoire sur l’expression de l’agressivité, ce qui voudrait éventuellement dire
qu’en se sentant coupable, la victime ne passera pas à la violence à son tour. Toute personne
abusée, n’abuse pas forcément à son tour. Mais, nous avons constaté toutefois que même si la
personne abusée ne reproduisait pas sous la forme incestueuse ce qu’elle avait vécu sur un
autre que lui, elle avait tout de même le fantasme de reproduction de l’acte subi sur l’autre, et
c’est à ce titre que lorsque les victimes sont des femmes, parfois elles ne souhaitent pas avoir
ou s’occuper d’enfants, par peur de devenir à leur tour un bourreau.
L’abus sexuel qu’il soit répétitif ou non, tue de fait l’être, qu’il soit féminin ou masculin.
Dans le cas des femmes abusées dans l’enfance, très souvent à l’âge adulte, elles vont se
couper de leur féminité, la plupart d’entre elles ne supportant plus d’être regardées comme
femmes. Bien souvent, nous avons affaire à des femmes souffrant de troubles alimentaires,
comme l’anorexie et la boulimie, qui de fait, ne va pas l’un sans l’autre.
La femme s’associe à la souillure, à ce sexe, ce corps souillé, indésirable et voire
encombrant. Ce n’est donc pas un hasard si un pourcentage significatif d’abusées sombre dans
la prostitution. Nous parlons des cas de femmes incestées, mais il n’est pas rare d’observer
que des hommes incestés se prostituent également. La prostitution par ailleurs prolonge et
répète la relation sadomasochiste qui s’est installée lors des abus. Le rôle du bourreau/victime
se rejoue par la contrainte physique et/ou morale.
Selon P.C. Racamier « Les incestes sont des affaires narcissiques avant d’être des affaires
sexuelles ». Encore aujourd’hui, beaucoup de victimes d’actes sexuels se retrouvent
confrontées à une triste vérité, celle de la séduction. Les accusateurs sont généralement « les
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bourreaux », terme qui peut apparaître pour certain violent, mais nous ne pensons pas qu’il
faille faire l’économie de mots durs car il est important que les victimes puissent s’y
retrouver. Pour en revenir à la séduction, comme vous le savez, à ce sujet Freud a été le
premier à évoquer le complexe d’Œdipe et comme le dit Racamier « L’œdipe n’est pas
l’inceste, il en est tout autre… ». En effet, l’inceste et l’œdipe ne font pas qu’un, mais l’un fait
exister l’autre. Il convient de donner une explication concrète à ce raisonnement. Tout
simplement, prenons l’exemple le plus simple et le plus courant, celui de la petite fille qui
découvre qu’elle a un sexe différent de celui de son petit frère, et de celui de son père. Elle
rentre en conflit avec la mère, et se met à séduire et à jouer les « petites femmes », un
comportement qui est un passage obligatoire pour l’évolution normale de la petite fille sur le
plan psychologique.
« L’enfant victime d’inceste est donc avant tout un enfant utilisé narcissiquement et gêné
dans la constitution de ses imagos parentales. Ceci entraîne des conséquences qui se
prolongent à l’âge adulte » (Vincent Laupies)15. C’est à ce titre que nous nous sommes posé
la question sur le devenir de cet enfant à l’âge adulte. L’enfant abusé étant considéré comme
objet par son abuseur, dans sa vie d’adulte, il restera un objet dans toutes ses relations aussi
bien amoureuses, amicales que professionnelles.
Nous allons nous pencher sur l’investissement de l’autre (objet) dans le rapport amoureux
à l’autre. Les rapports amoureux d’une personne victime d’abus sexuel se caractérisent ni plus
ni moins pour une grande majorité par des difficultés relationnelles à l’âge adulte. Si par un
heureux hasard, si tant est qu’il existe, une victime parvient à rencontrer, à créer un lien et à
établir enfin une relation amoureuse, cette relation va se présenter sous une forme ou une
autre, mais restera d’une certaine manière confrontée et contaminée par les fantômes du passé.
Elle sera parfois très conflictuelle, par crainte de perdre l’autre et aussi parce que souvent les
personnes victimes d’inceste imaginent ou pensent qu’elles ne sont pas des personnes
aimables. Une personne vivant en couple répondra avant tout au désir de l’autre, surtout dans
une relation ou chacun n’est que l’objet de l’autre. Tout au moins dans certains couples,
l’autre ne supporte pas que son ou sa conjoint(e) ne puisse exprimer ses désirs et qu’elle ou
qu’il ne fasse pas ce qu’elle ou il a envie. Mais il ou elle n’a pas accès à sa propre identité.
Pour que cela change la personne doit sortir de son rôle de victime et apprendre ou
réapprendre à connaître, apprivoiser et exprimer ce qu’elle peut désirer ou vouloir obtenir. Ce
processus est un long travail qui peut parfois parvenir à son terme après des années de
thérapie.
Dans le chapitre sur la construction du soi, nous évoquions les différents fantasmes, et
entre autres le dernier d’entre eux, le fantasme d’abandon. Cette pensée imaginaire que sans
l’autre nous ne sommes rien, que sans l’autre nous ne pouvons exister, penser, vivre, dormir,
manger. Vivre l’existence pour l’existence, et non pas vivre, autrement dit vivre en état
permanent d’apnée. Vivre dans l’attente que l’autre vous sauve. Ou tout simplement mourir
dans la vie, vivre dans la mort.
Dans ce passage nous nous proposons de traiter de l’investissement de l’autre comme
objet. En premier lieu, il est intéressant de s’interroger sur la signification de la notion
15
LAUPIES Vincent, Les quatre dimensions de l’inceste, p. 64.
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d’investissement de l’autre. C’est lorsque l’on s’approprie l’autre à l’instar de l’enfant qui
pense que sa mère est sa propriété, c’est ne pas déjà être dans une problématique forte, et c’est
finalement l’incesté, qu’il soit homme ou femme, qui ne peut vivre pour lui, avec l’autre, mais
qu’il est lui dans l’autre, qu’il a besoin de cet autre que lui, pour avoir un semblant
d’existence, pour ressentir une pseudo-sensation de pulsion de vie. Cela reviendrait-il à dire
que le couple n’existe que dans le pathologique, dans le fait que la personne, à travers cet
homme ou cette femme, vive soit dans une répétition de ce qu’elle connait, ou juste pour ne
combler qu’un manque qui n’apparaît souvent que comme un leurre ? Prenons l’exemple
d’une femme se mariant, ayant des enfants, vivant un semblant de vie heureuse, et qui un jour
se rend compte que cet homme, avec lequel elle vit depuis des années, ne lui inspire plus ou
peut-être même jamais de désir. Elle réalise que celui qui partage sa vie, le père de ses
enfants, représente une image bien familière. Elle se retrouve à prendre des amants, avec
lesquels elle déclare prendre du plaisir ; elle pourrait quitter son mari, mais elle en est
franchement incapable, car il est bon et juste, il pourrait représenter ce frère ou un membre de
la famille qui lui était cher, qui ne l’a pas abusée, qui n’a pas abusé de sa confiance, qui ne l’a
pas trahie, mais en même temps qui ne l’a pas protégée…
Nous pourrions évoquer pour la femme ou l’homme se trouvant dans une situation
d’investissement de l’autre comme une peur du fantasme d’abandon, la crainte de perdre
l’autre. Comme lorsqu’il était enfant et qu’il ne voulait pas perdre son père ou sa mère, et
qu’il restait enfermé dans une forme de prison, sa prison intérieure, qui l’empêchait de parler,
mais aussi la prison extérieure que sont les mots que certains abuseurs osent dire à leur petite
victime. Mais qui est cet autre qui semble être si indispensable, qui est cet autre qui permet un
minimum de pulsion de vie, pour combattre l’autre pulsion, celle de la mort ? L’image d’Eros
contre Thanatos en est la caricature parfaite. En tout état de cause, pour être arrivé à l’âge
adulte, il a bien fallu qu’il y ait eu une pulsion de vie, et que cette pulsion persiste, mais sous
une forme ou une autre, en s’attachant à un homme, à une femme, à une croyance, à un
animal, en essayant de ne pas perdre espoir, de continuer de lutter, contre cette envie de mort.
Mais à quel prix ?
Un adulte n’ayant pas subi de violence sexuelle ou n’ayant subi aucune violence d’une
quelconque manière, qui a été désiré, aimé, reconnu, a reçu tout les soins pour vivre,
s’affranchira de tout assujettissement car lorsque nous sommes construits selon un schéma
normal, la règle veut que l’enfant aille découvrir la vie à l’extérieur de son cocon familial.
Pour la jeune femme ou le jeune homme ayant vécu des abus sexuels dans son enfance, il lui
sera impossible dans sa vie d’adulte de reproduire cette forme d’indépendance affective dans
laquelle il n’aura pas été baigné et plongera, au contraire, dans la spirale de l’emprise et de la
dépendance. Cela pourrait-il se résumer à dire que la personne ne vit jamais pour son plaisir et
ses désirs, dont très souvent elle s’est retrouvée coupée suite à cet abus subi dans l’enfance ?
Et si en fait ce n’était pas un résumé, mais une bien triste réalité ? Nous pouvons observer
tout de même que dans beaucoup de cas d’inceste, ces anciennes victimes restent toujours
dans cette non-expression de leurs désirs, qu’eux-mêmes ne connaissent pas. Comme si
l’autre n’était que le vecteur de leur vie, de leur pensée.
À travers Toi, je vis, sans Toi, je ne suis rien.
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Chapitre IV
Qu’est-ce que l’étude d’un cas
clinique ? Le mot « cas » peut avoir à la
« […] Il ne faut jamais revenir aux
base une connotation péjorative. Mais il
temps cachés des souvenirs du temps
se trouve que dans notre pratique
béni de son enfance. Car parmi tous
thérapeutique, nous sommes confrontés
les souvenirs ceux de l’enfance sont
les pires, ceux de l’enfance nous
à de nombreuses personnes, et par
déchirent. […] »
conséquent à de nombreuses histoires.
Barbara (1968)
Un cas clinique, une note clinique,
comme nous l’avons appelée ici, c’est
un peu la présentation d’un curriculum
vitae, mais d’un patient que l’on a face à soi, que l’on ne connaît pas, mais que petit à petit on
décrypte selon ses dires, ses mots, ses postures. Nous sommes tous en tant que praticiens
amenés à être supervisés, souvent parce qu’un patient ou une patiente nous pose problème.
Dans le paragraphe qui suit, nous allons vous présenter le cas d’une de nos patientes que
nous recevons et dont la personnalité servira à étayer les propos de ce mémoire. Pourquoi ce
cas plus qu’un autre ? Peut-être parce qu’il nous pose parfois des questionnements pour
lesquels nous n’avons pas encore en totalité trouvé les réponses. Mais surtout parce qu’il
représente assez bien le sujet que nous évoquons.
NOTE CLINIQUE
Nous allons évoquer dans cette rubrique le cas d’une de nos patientes que nous avons
reçue et que nous continuons de voir en séance au Centre Mosaïque depuis deux ans, à un
rythme d’une quinzaine de jours pour une séance d’une durée d’une demi-heure. Pour des
raisons évidentes de respect du secret professionnel, nous substituerons le prénom de cette
patiente par égard pour elle, et nous la prénommerons donc Véronica.
Cette patiente s’est dirigée vers nous après avoir fait des recherches pour trouver un site de
psychologue, psychothérapeute et sexothérapeute. Son choix s’est porté sur nous, car dans
notre descriptif nous évoquions la sexologie, et les troubles comme le manque de désir, les
problèmes au sein des couples. Lors de la prise du premier rendez-vous, le motif était pour un
manque de désir, qui la faisait souffrir, mais qui posait surtout problème à son époux qui était
très demandeur. Pendant cette période, le couple n’avait pas de rapports, ou peu, car elle
répondait au besoin de son mari, uniquement pour se plier au devoir conjugal.
Véronica, jeune femme de 33 ans, vient donc consulter régulièrement depuis deux ans.
Elle travaille dans une administration, est chargée de la gestion du personnel, et elle vient
d’obtenir dernièrement une promotion accompagnée d’une augmentation de salaire. Il nous
apparaît important de spécifier l’augmentation de salaire, car l’argent fait partie de la
problématique du couple.
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Notre patiente est mariée depuis deux ans. Elle a fréquenté son mari quelque temps avant
son mariage, sans se donner à lui, enfin sans qu’il y ait rapport vaginal pour garder sa virginité
intacte jusqu’au mariage. Elle nous évoque des relations par voie buccale et des sodomies. Il y
a eu une période où le futur couple s’était séparé, puis retrouvé et enfin marié. Le mariage a
été un mariage dans les règles de l’art.
Véronica vient d’une famille dite normale, un père d’origine marocaine et de confession
religieuse musulmane, un père droit et juste, même s’il n’a pas toujours été un fidèle
pratiquant. Il a rencontré la mère de notre patiente, issue d’une famille nombreuse ouvrière,
pauvre et catholique et qui s’est convertie à l’islam pour épouser le père de notre patiente. Le
père travaille tandis que la mère reste au foyer.
De ce mariage sont nés trois enfants, Véronica étant la cadette. Elle nous parle de son frère
aîné, qui a beaucoup de soucis financiers, qui réclame de l’argent aux parents et à sa sœur, et
qui, selon les propos de notre patiente, exprimerait une forme de jalousie vis-à-vis de sa sœur,
laquelle a réussi et est très indépendante. Et puis, il y a le petit dernier, un garçon qui apparaît
un peu plus mature que l’aîné, mais qui n’est pas un grand travailleur. La jeune femme nous
évoque sa période étudiante, où elle passait beaucoup de temps à étudier, lire et travailler ;
elle parle d’ailleurs d’une forme de boulimie de réussite.
Lors de notre premier entretien, elle nous expliquera que vers l’âge de 20 ans, elle était
allée consulter une psychologue, car elle ne se sentait pas bien et éprouvait le besoin de parler
à quelqu’un qui ne connaissait pas sa famille, ni elle. Cette thérapie ne durera pas longtemps.
Pendant le premier rendez-vous, nous nous sommes demandés ce qu’elle recherchait
vraiment en venant nous voir. Elle n’était pas ou peu loquace, elle avait beaucoup de mal à
parler, aussi nous nous sentions un peu dans une forme d’impuissance à la comprendre et
nous avions comme l’impression que tous ces blabla n’étaient que des mots qui cachaient le
plus dur à dire. Mais nous n’avions à ce moment-là aucune piste et nous n’étions pas là pour
induire quoi que ce fût et nous nous devions de respecter notre patiente par l’entremise d’un
contre-transfert d’empathie et de neutralité bienveillante.
Lors de la deuxième séance, elle évoque un peu son couple, leur sexualité trop épisodique,
son manque de désir ; elle affirme qu’elle aime être dans les bras de son mari, mais sans
forcément être obligée de faire l’acte sexuel ; elle nous dit être à la recherche de tendresse, de
câlins, et qu’elle apprécie de sentir l’odeur et le corps de son mari contre le sien. Elle ne
perçoit pas le sexe comme une fin en soi. Lorsque le mari est demandeur de rapport sexuel,
soit elle accepte sans en avoir envie, en disant que petit à petit pendant le rapport, elle prend
du plaisir, mais sans plus, car son mari ne s’occupe pas suffisamment d’elle et de ce qu’elle
voudrait. Lorsque nous lui demandons ce qu’elle souhaiterait que son mari lui fasse pendant
ces moments d’intimité, elle nous répond simplement : « J’aimerais qu’il prenne le temps de
me caresser, de m’embrasser, qu’il y ait plus de préliminaires, car il va toujours droit au
but… ».
En écoutant sa réponse, nous décelons dans cette demande de tendresse, juste à la
recherche de cajoleries et d’affection, un caractère enfantin. Il nous est apparu que notre
patiente avait manqué de tous ces privilèges inhérents à l’enfance étant donné qu’elle avait eu
un père pas très proche de sa fille et une mère, présente certes, mais ne donnant pas l’affection
attendue et souhaitée à son enfant.
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Dans cette séance, elle rajoutera que les quelques rares occasions où elle accomplit son
devoir conjugal en étant demandeuse, elle met en place un scénario. Dans la journée, elle se
prépare, va chez l’esthéticienne, achète une nouvelle nuisette ou une lingerie fine sexy qu’elle
revêt le soir. Une mise en scène où la ritualisation de l’acte sexuel est importante pour elle et
où elle va pouvoir se « donner » à l’homme qu’elle aime. Nous proposons à la fin de cette
séance la possibilité d’évoquer ses fantasmes.
Lors de la séance suivante, nous reprenons donc sur les fantasmes. Véronica nous dit ne
pas en avoir, mais le seul qu’elle puisse décrire, c’est de faire l’amour sur une chaise dans la
cuisine, vêtue d’une nuisette et sur les genoux de son époux. À cette période, elle n’imagine
pas un rapport sexuel sans ce rituel, même parfois lorsqu’elle met en place ces jeux, elle
n’arrive pas forcément à aller jusqu’au plaisir. Lorsqu’elle évoque sa sexualité, des larmes
coulent le long de ses joues, avec le sentiment honteux d’être comme cela, de ne pas pouvoir
donner à son mari ce qu’il veut. Elle nous dira à cet instant : « J’aime mon mari, je ne veux
pas le rendre malheureux et le faire souffrir et je voudrais pouvoir lui donner ce qu’il désire,
mais je ne peux pas ».
Le sujet de la sexualité est un des sujets que Véronica a du mal à aborder et au moment où
elle y parvient, elle ne peut refouler les larmes qui s’échappent de ses yeux. Dans notre
contre-transfert, sa douleur éveille notre totale empathie, car nous percevons une terrible
souffrance, souffrance qui à notre sens et dans notre ressenti, cache une souffrance bien plus
profonde et bien plus difficile à exprimer. Nous lui expliquons que ce n’est pas grave, qu’il
faut parfois beaucoup de temps, pour que les choses évoluent, pour que l’on puisse parfois
exprimer des choses simples ou compliquées. Nous nous attachons à la rassurer, en lui disant
que nous comprenons, qu’il n’y a aucun jugement et laissons un silence s’installer par respect
pour ses larmes, qui continuent de se déverser, tout en lui rapprochant la boîte de mouchoirs.
Elle s’excusera de pleurer. Nous lui réitérons que nous comprenons, que pleurer fait du bien,
que c’est là un exutoire très utile et qu’il faut du temps et laisser se poser les choses, quand
elles sont prêtes à éclore. La séance suivante restera située sur les rapports sexuels du couple,
qui s’avèrent être délicats, et où l’usage de lubrifiant est nécessaire à chaque rapport,
sûrement dû au manque d’excitation de notre patiente et de l’impatience de son époux à
vouloir la pénétrer. Outre à cela, des douleurs lors de la pénétration sont présentes. Elle nous
dira qu’elle était restée vierge jusqu'à son mariage, mais que parfois elle avait pratiqué la
sodomie qui, malgré la douleur, lui apportait du plaisir. Au timbre de sa voix et par le fait
qu’elle regarde ses mains triturant le mouchoir, nous percevons une certaine honte d’avoir pu
ressentir du plaisir pendant ces rapports, qu’aujourd’hui elle ne souhaite plus donner à son
mari.
Au cours d’une séance, elle nous dévoile un peu sa jeunesse. Le week-end, sa famille allait
visiter ses grands-parents maternels. À cette époque, la petite fille qu’était Véronica allait très
régulièrement dans la chambre de son grand-père qui construisait des petits objets en bois.
Elle appréciait d’être avec lui. À l’évocation de ce souvenir, des larmes montent à ses yeux, ce
qui nous fait ressentir une énorme tristesse l’envahir et dans notre contre-transfert, nous
manifestons une profonde empathie à son égard. Nous ne parlons pas, laissant juste cette
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émotion envahir l’espace et aussi notre humanité. Elle nous regarde de nouveau, s’excuse de
pleurer. Fin de cette séance.
Entre cette séance et la séance suivante, nous recevrons un mail de la part de Véronica, qui
sera repris à la séance d’après. Ce mail révélait ce qu’elle avait vécu petite fille et ce qu’elle
avait tellement de mal à exprimer face à nous, car elle n’en a jamais vraiment parlé, mis à part
deux fois : d’abord à une psychologue qu’elle avait consultée vers l’âge de 20 ans, puis à
l’homme qui allait devenir son mari. Ce qu’elle écrit est l’inceste qu’elle a vécu dans la
chambre de son grand-père, qui lui faisait des cunnilingus (attention, nous utilisons ce mot
mais il n’a pas été clairement formulé par notre patiente, qui elle dira qu’avec sa langue il lui
léchait le sexe), et lui faisait faire des fellations (là aussi, nous employons ce terme qui n’est
pas celui utilisé ; la jeune femme nous a en effet déclaré avoir dans la bouche le petit sexe qui
durcissait de son grand-père). Au début de la séance qui suit la réception du mail, notre
patiente nous parle de son couple, de ses interrogations par rapport à son mari qui n’arrive pas
à cesser d’acheter des objets qu’il ne peut pas vraiment payer. Nous la laissons quelques
instants parler de son mari et de ses problèmes avec l’argent.
À un moment, elle marque une pause et nous regarde, nous lui sourions, puis elle finit par
nous avouer : « Je crois que j’évite le sujet ». Nous acquiesçons tout en lui affirmant que c’est
une réaction classique puisque le « sujet » dont il est question n’est pas facile à dire. Elle
commence à pleurer, en se mettant à évoquer le mail que nous avions reçu. Elle nous parle de
son grand-père, de la chambre de celui-ci, et elle nous dit qu’elle ne comprenait pas ce que cet
homme faisait avec elle. Ses souvenirs sont nets, clairs et précis. Dans son plus lointain
souvenir, la première fois où son grand-père a commencé à « tripoter » sa petite-fille, elle n’a
que cinq-six ans.
Face à cette souffrance nous sommes en totale empathie, nous respectons le silence de
notre patiente. Préférant ne pas aller plus loin, nous coupons court à cette séance quelques
minutes après.
Enfant, notre patiente Véronica était une petite fille calme, silencieuse et discrète, qui
aimait toujours aller à l’école. À deux ans, elle entrait à la maternelle et jusqu’à la fin de ses
études, elle ne manquait aucun jour d’école, à tel point qu’elle s’y rendait pour des contrôles,
des examens, alors même qu’elle était malade. Elle était une élève studieuse et avait une
boulimie de connaissance. Elle nous a révélé prendre le temps de manger dans le seul but
d’éviter que ses frères mangent tout et ne lui laissent rien. Aujourd’hui son désir est fluctuant,
selon ce qui se passe au sein de son couple. Elle cherche actuellement à se renseigner pour
changer de régime matrimonial et envisage de faire un crédit avec reconnaissance de dette à
son mari, en vue de rembourser toutes les créances accumulées par ce dernier.
De nouveau, elle veut sauver son couple, mais cette fois-ci en se protégeant au mieux.
L’envie de bébé est remise à plus tard. On sent chez elle qu’elle aime la famille, qu’elle
apprécie de se retrouver avec ses parents, tantes et cousines, alors que dès qu’elle est seule en
compagnie de son mari, elle se sent triste et déprimée : une sensation de vide l’envahit alors.
Dans le cas de notre patiente Véronica, nous retrouvons une maturité psychologique
importante où elle gère beaucoup de choses seules, même lorsqu’elle était encore chez ses
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parents. Nous pouvons retrouver une dévalorisation de son image, un narcissisme affaibli,
voire inexistant dans le domaine de la vision de son corps. Nous aurions envie de dire qu’elle
a investi son intellect plus que son corporel. Elle pourrait avoir, selon la description du tableau
de la structure psychopathologique chez l’adulte que nous utilisons, de légers mécanismes de
défense névrotique tels que l’hystérie et l’obsessionnalité, mais elle ne présente à priori
aucune phobie.
Nous discernons des tendances très masochiques, intellectuelles et physiques qui
transparaissent dans le côté yoyo de son poids et à travers les fétichismes tels que le rituel de
la lingerie fine, la mettant en condition pour arriver à avoir une relation sexuelle avec son
mari. Selon la typologie corporelle, nous trouvons une forme de rigidité qui, dans notre
contre-transfert, est très difficile à gérer pour nous, car face à une attitude de lutte contre le
plaisir, ce n’est pas toujours évident d’être dans une écoute bienveillante.
Ce qui nous permet d’avancer que notre patiente est rigide, c’est que nous avons
déterminé tout simplement, si nous nous en référons au tableau susmentionné, qu’il s’agit
d’une personne qui veut toujours plus, qui est ambitieuse et combattante. Nous nous
autorisons à dire qu’elle pourrait se situer dans une fixation d’analité 2, tout en admettant une
forte prédominance à la maniaco-dépression.
Nous continuons de recevoir cette patiente, dont la force et les émotions qui en émanent
ont obligatoirement un effet sur notre contre-transfert. En effet, cette forme de réalité et de
continuité à se battre et à vouloir toujours aller plus loin nous interpelle. Ce qui peut parfois
nous surprendre, mais qui n’est pas inintéressant, c’est de voir qu’elle n’évoque pas le tabou
de l’inceste uniquement parce qu’il existe ou tout simplement parce que c’est ainsi un moyen
pour elle de ne pas sombrer, de ne pas se victimiser. Il est important que nous soyons le plus
possible en position empathique, dans l’écoute la plus bienveillante et lui témoignions
infiniment de respect. Avec ce type de pathologie, pour que le patient se sente entendu et en
sécurité, il est nécessaire qu’il se sente à la fois entendu et pas jugé. Même si, à quelques rares
occasions, il a fallu la recadrer, comme par exemple la fois où elle voulait écrire à la
thérapeute de son mari pour vérifier s’il lui avait expliqué ses problèmes de surendettement et
son rapport à l’argent.
Nous lui avons conseillé de ne pas intervenir dans la thérapie de son mari, car dans le
cas contraire, elle devenait intrusive, elle pénétrait l’intime thérapeutique de son mari. Nous
lui avons posé la question suivante : « Et si votre mari venait à nous contacter pour nous
exposer un fait que vous ne nous avez pas confié, comment le vivriez-vous ? » L’expression
de son visage a brusquement changé, et, des larmes naissant à la commissure de ses yeux, elle
nous a alors répondu : « Il aurait violé mon espace intime. »
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Chapitre V
LA THÉRAPIE & L’INCESTE : LA RÉPONSE DU THÉRAPEUTE FACE À L’INCESTE
Pour abonder dans le sens de ce que dit le Docteur Dietrich dans son ouvrage Moi, mon
couple et mon psy, « Les thérapies ne sont pas là pour faire disparaître les blessures et les
traumatismes psychologiques du passé ou du présent. Nous en avons tous, mais pour accéder
à une certaine forme de bonheur et d’épanouissement, il nous faut les comprendre, les
accepter et leur donner un sens »16, nous pouvons affirmer aujourd’hui que l’on ne peut pas
guérir de l’inceste, simplement s’adapter pour gérer au mieux ses blessures de l’enfance.
Ferenczi fit un jour comme réponse à une de ses patientes qui rêvait de viol « sans s’en
souvenir » : « Une partie de notre personne peut mourir et si le reste survit au traumatisme, on
se réveille avec une lacune dans la mémoire, une lacune dans la personnalité à proprement
parler, car non seulement le souvenir de l’agonie mais aussi toutes les associations qui s’y
rattachent ont disparu de façon sélective et sont peut-être anéanties ». Ce qui revient à dire
selon les dires de Ferenczi que ce serait une violence supplémentaire que le thérapeute
pourrait faire subir au patient en niant la réalité de ces actes abusifs.
Le fait d’être une victime d’inceste implique le sentiment d’être dépourvu du simple droit
d’exister. Car une personne incestée reste bloquée à l’endroit où l’incident traumatique s’est
produit.
Il est très fréquent de trouver chez des patients victimes d’inceste un surmoi rigide et cruel.
La tendance autodestructrice montre que l’héritage psychique du surmoi tyrannique et de la
confusion des limites se manifeste par des introversions pulsionnelles dans lesquelles le moi
écrasé peine à s’affirmer au sujet. Cette difficulté à devenir sujet est fondamentalement liée à
la confusion et à la fragilisation des limites de l’enveloppe psychique. Le travail du thérapeute
est et doit être d’une subtilité extrême pour permettre à ces victimes de pouvoir petit à petit
prendre conscience de leur sujet, pour que le moi puisse reprendre le contrôle du surmoi et
pour pouvoir arrêter les tendances autodestructrices qui se révèlent très souvent être des
tendances sado-masochiques suicidaires.
Les patients éprouvent de grandes difficultés à parler face à un individu, ce qui explique
pourquoi leur recherche de psy s’oriente la plupart du temps soit vers les sites internet, soit
vers les pages jaunes, tandis que d’autres en trouveront un par le biais de connaissances, ce
que l’on appelle communément le « bouche à oreille ». Les premières consultations sont en
général plutôt déterminantes, selon la réciprocité qui s’établit entre le patient et le thérapeute.
Normalement, le thérapeute n’a pas d’émotion, ne ressent rien, il n’est juste qu’un « écran
blanc », dans une « neutralité ». Dans notre façon de travailler, nous avons souvent nos
patients en face à face, même s’ils sont allongés sur un divan, ils peuvent nous voir. De plus
nous travaillons de façon interactive. Ce qui signifie que nos patients ont accès à nos
éventuels mouvements de tête, de lèvres ou d’yeux. Nait de cette relation patient/thérapeute,
une relation transférentielle différente de celle de la cure analytique. Ce fameux transfert peut
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être soit positif, soit négatif. Un transfert direct négatif permet parfois un meilleur travail avec
le ou la patient(e). En contrepartie, nait de la relation thérapeute/patient un contre-transfert,
qui a son utilité au sein de la cure thérapeutique telle que nous l’exerçons au sein de nos
cabinets. Les toutes premières consultations sont importantes et fastidieuses, en particulier la
première d’entre elles. En effet, il apparaît que dans les premières minutes de la première
consultation se jouent de multiples interactions. Dès cet instant, le transfert entre en scène. Il
est vrai que dans le cas d’une personne abusée, le processus est bien plus fragilisé et bien plus
risqué. Souvent, quand ces personnes viennent dans nos cabinets, c’est qu’elles se sont déjà
frayé un chemin sur leur problématique.
Cela ne veut pas dire pour autant que ce sera plus facile, manifestement il n’en est rien, car
quel que soit le travail de base, nous pouvons rencontrer, dans une cure thérapeutique,
diverses périodes, entre autres ce transfert qui pourra s’avérer être variable selon les instants
et instances du patient, selon les cas où le thérapeute sera vu comme bon ou mauvais par le
patient.
Il faut dans certains cas et avec certains patients, de nombreuses séances pour que l’inceste
arrive à se mettre en mot dans l’espace thérapeutique. Il est dur de rompre le silence et sa loi.
En parlant, la personne brise la chaîne du pacte du silence, la cohésion familiale, même
inconsciemment. Il arrive que la personne ait déjà dévoilé les faits à un membre de sa famille,
qui souvent ne l’a pas crue ou n’a pas donné la réponse attendue par la victime. Ce qui
pourrait faire peur au patient et l’amener à d’importantes positions défensives, c’est que le
thérapeute lui donne une réponse similaire à celle que la famille a pu lui donner.
Des études menées en 1992 sur d’anciennes victimes d’inceste ont révélé que l’âge de
l’autoréflexion ou du murissement se situe aux environs de 32 à 38 ans. C’est souvent dans
cette période de leur vie que les survivantes et les survivants entreprennent une thérapie,
prétextant très souvent divers maux, tels que des problèmes ou troubles sexuels au sein du
couple, ou une problématique relationnelle dans le cas des personnes célibataires.
L’enfant a de nombreuses raisons de se taire, une des raisons se trouve être la suivante :
La loi du silence qui règne en maîtresse dans la famille, obligeant l’enfant à vivre
sous la contrainte, si ce n’est « sous la terreur », comme le décrit Alice Miller dans
son ouvrage intitulé L’enfant sous terreur. Voici une des raisons pour laquelle
l’enfant se réfugie dans un silence tuant, sûrement dans un souci de loyauté envers
son agresseur. Le sentiment double qui peut accompagner ce silence, c’est ce qu’il
ressent souvent envers son abuseur et qui s’apparente à de l’Amour-Haine. Nous
pourrions évoquer aussi la culpabilité, ce qui nous apparaît cruel en tant que
professionnels, car ce n’est nullement à l’enfant devenu adulte de se sentir
coupable, mais plutôt à celui ou celle qui fait subir ces actes de violence. De plus,
nous pensons aussi que lors des faits, l’enfant n’a nullement conscience de tout ce
qui se joue. Ces sentiments peuvent naître au fil du temps, au fur et à mesure que
l’enfant grandit, qu’il réalise par différents biais, que ce que lui fait subir cette
personne, n’est pas dans la lignée du normal, mais bien un acte criminel aux
conséquences multiples. C’est donc de façon codée que la victime peut révéler son
16
DIETRICH Erick, Moi, mon couple et mon psy, p. 270.
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secret, en utilisant des symptômes ou en utilisant le verbe pour exprimer ce qui ne
va pas pour elle.
Lorsqu’enfin l’enfant, ou l’adulte, dévoile les faits, par exemple dans un premier temps à la
mère, celle-ci peut avoir différentes sortes de réaction. La première va être d’écouter,
d’entendre le discours de l’enfant et/ou de l’adulte selon l’âge où les faits seront relatés, la
mère va cautionner les dires et aider son enfant et faire en sorte que l’abuseur, qui va dans
nombre de cas être son mari, soit condamné. Mais encore faut-il que le père reconnaisse les
faits. Un second cas consiste en ce que le père nie, et que la mère, croyant son mari, prenne sa
défense de manière à ne pas briser la cohésion familiale. La mère préférera rejeter son enfant
qui de victime deviendra le bourreau, en le traitant de menteuse(r). Le rejet de la mère va être
terrible pour la personne qui peut vivre cela comme un nouveau traumatisme et surtout
l’assimiler à de l’abandon. La mère va donc d’une manière ou d’une autre disqualifier
l’enfant, en faisant passer celui-ci pour un fou.
Cela permet à la mère de conserver la cohésion familiale, en protégeant son mari ou toute
autre personne de la famille, de sorte que l’enfant devient bourreau, celui par qui le scandale
arrive. Pour utiliser une image plus gentille que celle véhiculée par le nom de bourreau, nous
pourrions dire que la victime devient le vilain petit canard.
Comment apprendre à panser l’impensable ? Pansons-nous vraiment tous les maux … ?
Peut-on arriver à s’en sortir ? Le rôle du thérapeute est important, car il se retrouve face à une
personne en souffrance, et cette souffrance remonte parfois à de nombreuses années. Ces
personnes peuvent avoir fait la démarche, suite à un problème de désir, un problème au sein
du couple, une rupture, un changement dans la vie professionnelle… C’est souvent au prix
d’une amputation psychique, du moins partielle, que le travail laborieux et long pourra
permettre au patient de se désenchaîner, de sortir de cette configuration répétitive et de se
créer une place hors du cadre familial destructeur.
La thérapie peut avoir comme fonction d’être une sorte d’appel, ce qui voudrait dire que la
victime veut et peut enfin se délivrer ou livrer sa souffrance. Et peut-être dans un fantasme de
sauvetage de l’autre, imaginer qu’en rompant le silence, elle pourra empêcher au sein de sa
famille et pour les générations futures, que l’inceste ne soit répété. Nous serions tentés
d’imaginer qu’une telle décision ne se fait pas uniquement pour soi, mais aussi pour l’autre, si
en effet l’on considère l’hypothèse selon laquelle ce que cette personne essaie de faire ne
serait en fait que ce qu’elle aurait aimé pour elle. Par amour pour l’autre, elle fantasme sur le
fait de parler pour ôter déjà un poids, car dorénavant dans la famille, le non-dit est dit. À la
famille de se rendre à l’évidence et d’en faire bon usage ou alors de nier en rejetant ce vilain
petit canard.
Consultations individuelles :
Une victime d’inceste, lorsqu’elle entreprend une thérapie, ne se présente pas en criant
qu’elle a été incestée. Elle arrive avec des symptômes qui peuvent être d’ordre
variable, sous la forme d’un non-désir (cas clinique évoqué dans ce travail), très
souvent de problèmes sexuels tels que vaginisme, éjaculation prématurée, etc. et des
symptômes psychosomatiques. Il arrive en effet parfois que cette personne, du fait
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qu’elle ait été abusée enfant par un parent, puisse venir avec ce type de symptôme lors
de la première consultation.
Ce premier pas va être pour la victime très difficile, d’où l’importance que la position du
thérapeute soit très professionnelle. Il devra prendre en compte certains facteurs de risques qui
pourraient surgir, comme par exemple la fuite du patient ou de la patiente qui préférera, soit
retourné dans le monde du silence ou soit, suite à une erreur technique produite par le
thérapeute, mettre un terme au suivi thérapeutique (Reich disait que le thérapeute devait
toujours s’interroger sur son travail et son contre-transfert quand un patient mettait un terme
au processus thérapeutique).
Consultations en groupe :
Notre approche clinique, lors des groupes de thérapie, nous permettent de mettre en
évidence que les troubles liés à l’inceste ne sont pas toujours vécus comme des refus
catégoriques. Dans cette clinique, nous pouvons retrouver des jeunes femmes à la
recherche de l’amour incestueux. Nous avons pu voir au sein des groupes que nous
animons des patientes de divers thérapeutes travaillant sur l’inceste, lesquelles déclarent
ouvertement « Je veux bien que tu m’incestes, je veux bien que tu m’épouses, moi j’ai
envie de « baiser » avec toi ». Dans le cas des transferts érotiques, ce scénario se joue
fréquemment, car l’image du thérapeute peut représenter un père, un oncle, un frère ou un
parent de sang ou de lien d’alliance, selon la projection transférentielle du patient sur un
thérapeute homme ou femme.
Il arrive de voir aussi des cas de jalousie, conduisant à des situations insensées, comme le
cas de cette patiente qui avait intégré pendant de longues périodes des groupes de thérapie
et dont la sœur a été incestée par le père et pas elle, et qui est arrivée un vendredi soir, en
mini-jupe, bas résilles et talons hauts. Cette jeune femme avait le désir d’être incestée elle
aussi par son père, et ne comprenait pas pourquoi il ne l’avait pas choisie.
Il en ressort que, en ce qui concerne ces transferts érotiques et sexualisés, que ce soit dans
la pratique thérapeutique en individuel ou en groupe, dans la pratique des thérapeutes et de la
psychanalyse, ces transferts doivent être travaillés car ce travail fait partie intégrante d’une
étape indispensable dans la résolution du complexe d’Œdipe, si tant est que la résolution de ce
fameux complexe d’Œdipe soit possible. La clinique nous apprend que l’inceste et la relation
incestuelle empêchent, si un travail thérapeutique n’est pas mis en place, la résolution du
complexe d’Œdipe. Toujours est-il que c’est là une démarche qui nous apparaît parfois
difficilement réalisable, tant il est vrai qu’il n’est pas toujours possible de sortir de cette
impasse que représentent l’amour pour le père, la haine pour la mère, ou vice-versa.
D’autres cas cliniques ont révélé des situations d’inceste où la jeune femme ressentait du
plaisir et affirmait en effet qu’elle avait eu du plaisir à faire l’amour avec son père, son frère,
ou cette personne beaucoup plus vieille qu’elle, ayant un lien de parenté sanguin ou
d’alliance. Ce plaisir inscrit dans le fantasme de l’incesté une volonté de renouveler ou d’être
dans la recherche permanente de l’acte. Il en reste pas moins que dans tous ces cas, les
conséquences psychologiques restent déstabilisantes, destructives et déstructurantes, voire
dévastatrices. Nous pouvons retrouver des pathologies telles que les états limites ou des
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hystéries avec forte imprégnation de volonté d’inceste (souvent on retrouve le fantasme de
viol). L’hystérie étant la confusion entre le désir affectueux et les besoins affectifs ou sexuels.
Ces femmes sont souvent à la recherche d’un père. Très souvent, elles entretiennent des
relations avec des hommes mariés, ou dans tous les cas avec des hommes qui pourraient être
leur père.
Nous n’insinuons pas que dans les groupes de thérapie que nous animons, nous n’avons
que des personnes victimes ou pas d’inceste. Mais il est clair que nous retrouvons un nombre
très important de patient(e)s qui ont été victimes d’inceste ou ont subi un environnement
incestuel.
Pourquoi évoquer les groupes de thérapie au sein d’un travail tel que celui-ci, sans doute
parce que c’est aussi une grande expérience que vivent là les personnes qui ont vécu des abus
sexuels. Généralement, les patients qui se retrouvent en groupe, s’imaginent pour la plupart
qu’ils vont être confrontés à parler de leur histoire devant tout le monde. Ce qui n’est pas le
cas. Ils se représentent souvent les groupes comme ce que nous montrent certaines séries
américaines, où il y a un groupe de personnes face à un ou plusieurs thérapeutes. Il est vrai
que la configuration des groupes relève en partie de ce registre-là, mais elle est d’un autre
genre et les participants se présentent sous un autre angle. Ils ne sont pas là à exhiber leur
souffrance. Cela a un effet très positif, car dans ce genre de groupe, les patients rejouent leur
histoire, quelle qu’en soit la composante. Dans le cadre des groupes que nous animons en
équipe thérapeutique, nous sommes face à une vingtaine de patients, des êtres humains de tout
âge, de niveau social différent, qui se retrouvent en thérapie, pour des problèmes variables,
pouvant aller du problème sexuel à la séparation avec un partenaire. Au fil des séances et de
ce qui en surgit, le thérapeute propose à son patient de faire des groupes pour appréhender des
thématiques qui parfois ne peuvent pas être travaillées convenablement et en profondeur lors
de séances individuelles, sous des angles d’approche tels que la colère, la rage, etc. Nous
sommes donc confrontés à des histoires variables et inconnues de nous quand ce ne sont pas
nos patients, ce qui offre l’avantage de pouvoir aborder à travers ces groupes des choses
jamais dites lors des séances individuelles. Tout cela pour vous démontrer que la thérapie de
groupe peut avoir des résultats concluants, même lorsque le patient ou la patiente ne vient pas
forcément avec une histoire d’inceste manifeste.
Nous pouvons voir que même si l’inceste ne fait pas partie de sa vie, il y a très souvent de
l’incestuel qui se matérialise autour de l’individu. Nous avons pu parfois voir à l’occasion de
ces groupes, des patientes ou patients se rendre compte de la famille incestueuse dans laquelle
ils vivent ou vivaient, un contexte qu’ils peuvent éventuellement reproduire dans leur vie
actuelle. C’est très dur de voir que ce parent aimé a pu, d’une manière parfois bien camouflée,
pénétrer votre intime et qu’il continue parfois d’agir de la sorte dans votre vie d’adulte.
L’analyste doit être en mesure, que ce soit en séance individuelle ou en groupe, de
reprendre le « survivant », là où l’agression incestueuse l’avait abandonné, d’écouter son
désarroi et son sentiment d’impuissance. Il peut le déloger de son foyer sinistre, devenu trop
familier, pour l’amener vers un ailleurs qu’il n’imagine pas encore. Quel que soit le travail du
thérapeute, que ce soit pour la cure individuelle ou groupale avec des psychodrames, il nous
semble évident et fondamental que tout thérapeute puisse aider à se reconstruire et à se
découvrir chaque personne victime ou pas de l’inceste. À notre niveau, nous pensons qu’il
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faut pouvoir materner ou paterner, devenir ces bons parents que l’enfant a tant désirés sans
qu’il y ait un quelconque passage à l’acte incestueux, incestuel, sans qu’il y ait incestualité de
la part du thérapeute, qui représente pour le patient la projection parentale, mère ou père.
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Conclusion
Nous allons clore pour un temps ce sujet que nous avons tenté de développer de notre
mieux. Pourquoi nous direz-vous, pour un temps ? Car nous savons pertinemment que le sujet
reste d’actualité et qu’il est nécessaire de poursuivre ce travail pour le compléter.
Ce dont nous sommes sûrs, c’est que l’inceste fait partie de ces actes irrémédiables,
indélébiles, qu’il est une des expériences humaines des plus atroces et cruelles qu’une
personne peut faire subir à une autre personne, en l’occurrence un enfant. L’acte incestueux
est à nos yeux un crime contre l’humanité, contre l’adulte en devenir, contre l’homme et la
femme à venir. C’est la trahison suprême de la confiance la plus élémentaire entre un enfant et
un parent.
À la fin de l’introduction, nous nous posions la question de savoir où commence l’inceste.
Nous avons donc pu plus ou moins apporter quelques pierres à l’édifice en répondant à cette
question : l’inceste existe depuis le commencement, l’inceste persiste et gagne, l’inceste vit en
chacun de nous. Mais ce n’est pas pour autant que nous sommes tous des parents incestueux.
Ce qui est important lorsque l’on est adulte et parent, c’est simplement d’être au clair avec ses
pulsions, ses désirs et s’il y a des défaillances au sein du couple, de savoir les gérer entre
adulte, de ne pas mêler les enfants d’une quelconque manière dans la problématique du
couple, mais pour ce faire, il faut que les deux parents soient des parents matures et non pas
des êtres immatures, allant se consoler dans la chambre de son enfant. Car l’inceste nait le
plus souvent lorsque cette famille est dysfonctionnelle et lorsque la sexualité du couple est au
plus bas.
Ce qu’il est important de noter c’est tout de même que l’année 2010, est l’année de
l’avancement en matière d’inceste dans la société ; il retrouve enfin une place dans le code
pénal, depuis tant d’années que la loi avait été abrogée. Il est en effet important pour toute
personne victime d’inceste, afin d’en faciliter sa reconstruction, d’être reconnue comme
victime et non pas comme la personne coupable d’avoir été incestée, violée par un être
proche. Dans les affaires d’inceste faisant l’objet de procédures de justice, souvent les
victimes sont satisfaites du verdict, car elles ont l’impression de retrouver une intégrité et
surtout d’être reconnues. Ce n’est pas forcément le cas pour toutes les personnes, surtout
celles qui, par crainte, ne vont jamais jusqu’au bout, qui restent dans la non-reconnaissance et
qui persistent dans une souffrance, dans un non-dit et dans le refus d’admettre leur statut de
victimes.
N’oublions pas de dire que les victimes d’inceste auraient souhaité pouvoir passer
normalement le cap de l’œdipe, et que le complexe d’Œdipe ne devienne pas une compulsion
de répétition source de symptômes, de choix incohérents de partenaires, etc. Ces victimes
auraient préféré que l’œdipe ne reste qu’un fantasme où se mélangent la rivalité,
l’identification, l’ambivalence conflictuelle avec le parent de sexe opposé, le dépassement de
la sublimation et l’angoisse de castration.
Assurément, ces personnes auraient très probablement préféré vivre ces instants sans avoir
à vivre le cauchemar. La violence incestueuse les condamne à mener un combat avec les
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traumatismes destructeurs. Le plus difficile pour ces personnes est sans nul doute de passer le
cap qui consisterait à délier les sentiments variés, ceux de la honte, de la souillure et d’une
culpabilité en porte-à-faux. Il faut désenrayer l’autodestruction qui s’est installée pour
assouvir la pulsion meurtrière de l’agresseur et assimiler la sienne.
Marquée par la trahison d’un ou des parents, la mémoire de l’inceste ne menace pas
uniquement l’enfant victime, mais toute la famille. Le déni collectif et le rejet familial
deviennent inséparables du traumatisme de l’inceste. L’amour et la solidarité familiale sont
pervertis par la loi du silence.
La victime de l’inceste, isolée par et dans son vécu traumatique impartageable, doit
effectuer un chemin odysséen avant de rejoindre la communauté des humains.
Être victime d’inceste implique le sentiment d’être dépourvu du simple droit d’exister.
Durant l’enfance, la victime a en face d’elle une personne qui, au lieu de la protéger et de lui
léguer de l’amour inconditionnel primordial, lui supprime à chaque fois qu’il abuse d’elle,
l’espoir d’exercer son droit fondamental à être. Autrement dit, l’incestueur s’empare de
l’espace psychique de l’enfant.
Ce qui semble être important c’est la reconnaissance (le contre-transfert symboliquement
judiciaire du enfin entendu et reconnu), un principe qui serait crucial et vu comme une étape
préliminaire dans la reconstruction de la victime après le préjudice et l’injustice subis par la
personne.
L’œdipe n’est rien d’autre qu’un jeu de triangulation, où les acteurs sont l’enfant, le père et
la mère. Par conséquent, l’inceste est un traumatisme qui se joue à trois au sein de la famille,
car même si l’autre parent ne voit pas, son inconscient lui sait.
Nous aurions envie de parler et de crier, de briser les chaînes de la loi du silence, de briser
les chaînes du tabou et de la soumission de l’enfant face à cet adulte, car comme nous l’avons
souligné, l’enfant se sent physiquement et moralement démuni de toute défense, trop faible
pour protester, ce qui le rend muet, à vie. Mais nous savons et pouvons constater combien il
est dur d’accuser son parent directement, surtout quand cet enfant ou même cet adulte vit dans
la crainte de la violence ou de ce qui pourrait se passer s’il osait enfin et tout simplement
désobéir à ce parent tant aimé, tant détesté. L’inceste est un traumatisme où tout se bouscule
dans la tête de l’être, si bien que l’amour, la confiance, le désespoir, la haine, la peur de
l’abandon et la peur d’être séparé de sa famille, quand bien même cette famille serait
meurtrière, sont autant de sentiments qui forment un magma insoutenable.
Par Angélique Veillard, psychosomatoanalyste, Centre Mosaïque Paris Rive Droite.
Département de Formation Paris XVII – 01 43 876 342
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L’amour que nous n’f’rons jamais ensemble
Est le plus rare le plus troublant
Le plus pur le plus enivrant
Exquise esquisse
Délicieuse enfant
Ma chair et mon sang
Oh mon bébé mon âme
Extrait de la chanson Lemon incest (1984) écrite, composée et interprétée par Serge
Gainsbourg en duo avec sa fille Charlotte.
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Bibliographie
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Sandor FERENCZI, Confusion de langue entre adultes et enfants, extrait de psychanalyse IV
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Précious : Lee Daniels, film américain réalisé en 2009, sortie en salle en 2010.
Festen : Thomas Vinterberg, film danois réalisé en 1998 ;
L’ombre d’un doute : Aline Isserman, film français réalisé en 1992 ;
Volver : Pedro Almodovar, film espagnol réalisé en 2006 ;
Gladiator : Ridley Scott, film américain réalisé en 2000 ;
Ma mère : Christophe honoré, film français réalisé en 2003 ;
Peau d’Âne : Jacques Demy, film français réalisé en 1970.
Old Boy: Park Chan-Wook, film coréen realisé en 2003.
Paroles de la chanson de Barbara L’aigle noir (1970), qui parle du viol qu’elle a subi par
son père.
Liens utiles
http://www.lemondeatraversunregard.org/
http://aivi.org/;
http://www.sos-inceste-pour-revivre.org/;
http://www.inavem.org/.
http://www.psycho-ressources.com/bibli/abus-sexuels.html.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Inceste.
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