L`expédition de Lewis et Clark - Académie Lorraine des Sciences
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L`expédition de Lewis et Clark - Académie Lorraine des Sciences
Conférence d’1 heure. 10 minutes de questions. 52 illustrations et cartes (58 pour la présentation). Documentation : L’expédition de Lewis et Clark : Une aventure scientifique à visages humains Conférence présentée par : • «Journal de Lewis et Clark, La piste de l'Ouest, Le grand retour» - Commentaires : Michel Le Bris, Edition Phébus • «Sacajawa» - Anna Lee Waldo, Edition Pygmalion • «Aquarelles» - Karl Bodmer Photos : Edward Curtis et Gino Tognolli (membre de la Fondation Lewis et Clark du Montana, USA) Gino Tognolli Assistance technique : Ouarda Boumaza *Saint-Louis 14 mai 1804 à puis hivernage Fort Mandan (Dakota du Nord, au Nord de Bismark). *Départ avril 1805 de Fort Mandan (après hivernage). *Arrivée 8 décembre Fort Clatsop. Départ le 23 mars 1806. *Retour Saint-Louis 23 septembre 1806) Lewis : 1774-1809 Clark : 1770-1838 Photo1- Il était une fois... Deux célèbres explorateurs américains… Mesdames, Messieurs les Académiciens et Sociétaires, Chers amis, Merci d’avoir répondu à notre invitation. Avant de vous entraîner sur la piste de Lewis et Clark, deux célèbres explorateurs américains, permettez-moi de faire un bref raccourci historique. Photo 2- Carte avec Louisiane Il était une fois la France en Amérique…….. Le 18 mars 1803, Talleyrand, Ministre des Affaires étrangères du Premier Consul Bonaparte, reçoit le diplomate américain Robert Livingston. Ce dernier est à peine assis que Talleyrand l’interroge : « Cher ami, combien donneriez-vous pour toute la Louisiane ?» Le diplomate est stupéfait : les Français lui proposent, ni plus ni moins, de doubler la surface du territoire américain ! L'équivalent de douze États actuels. En fait Bonaparte, en plus de l'opportunité de pouvoir mettre ainsi du beurre dans les épinards de 2 ses guerres européennes, avait préféré, devant la menace anglaise, se séparer des possessions américaines impossibles à défendre depuis l'autre coté de l'Atlantique. En quelques semaines, les deux parties s'accordent sur le prix de cette cession : quinze millions de dollars. Une misère. Le traité est signé le 30 avril 1803 à Paris. L’Amérique française cède désormais la place à l’Amérique américaine : Fin du premier acte. ----------------Les choses ont été rondement menées. Et surtout bien préparées par les Américains, depuis longtemps intéressés par cette Terra Incognita. En effet, en poste à Paris de 1784 à 1789, Jefferson avait systématiquement étudié tous les écrits Français et Anglais, publiés sur la Louisiane.... Le troisième président américain ne tombait donc pas des nues et avait une vision à long terme. Un grand dessein. Photo 3- Document Lewis et Clark 3 Il confia donc l'organisation d'une expédition d'exploration, à deux hommes d’exception : Lewis et Clark afin de trouver une voie fluviale de communication entre l'Est et l'Ouest du territoire. Embarqués dans l’aventure : Toussaint Charbonneau, ironie, un trappeur d'origine française et son épouse indienne de 16 ans. Un choix déterminant. Photo 4- Le Grand Dehors... « Le Grand Dehors » L'expédition durera deux ans et cinq mois ... (1803/1806). 15.000 kilomètres seront parcourus dans la souffrance, 1’émerveillement et la découverte éblouie de ce que le naturaliste Audubon, appellera « Le Grand Dehors », expression mystérieuse et mythique... Imaginez, imaginez « Le Grand Dehors », nous avons l'impression d'entendre le Canadien Gilles Vigneaux avec son célèbre : « Mon pays c'est l'hiver ». C'est la voie(x) des grands espaces... 4 Imaginez, vous êtes là-bas sur le continent américain dans votre cabane ensevelie sous la neige ou écrasée de soleil, ou même dans une de ces cahutes en planches d'une petite bourgade boueuse et crottée de la « Frontière », ce no man's land entre le territoire des Blancs et celui des Indiens. Et 1à, devant votre porte s' ouvre « Le Grand Dehors » ... L'inconnu, un monde vierge, des bêtes sauvages, des peuplades incertaines et étranges, des climats terribles... .Le froid, la faim. La mort peutêtre... L’esprit d’un Encyclopédiste du Siècle des Lumières Mais rarement expédition aura été si longuement méditée. Il est vrai que les curiosités de Jefferson étaient insatiables. Météorologue éminent, pionnier de la phénologie (Science qui tentait d’établir le lien entre les variations climatiques et les grands rythmes biologiques) , géographe reconnu, botaniste disciple de Linné, passionné d’Histoire naturelle (il correspondait avec Buffon), féru de paléontologie, ethnographe amateur, fasciné par les Indiens dès son plus jeune âge, Jefferson était un esprit digne des Encyclopédistes français. Pour mener à bien une telle aventure Jefferson trouva en Meriwether Lewis, alors âgé de 29 ans, 5 son secrétaire particulier depuis 1801, le prolongement de lui même en le soumettant à un entraînement intellectuel sévère et intensif. Les plus grands scientifiques américains furent mis à contribution. Jefferson lui même l’initia à la paléontologie et ensemble ils élaborèrent les questionnaires auxquels l’expédition devrait répondre pour recueillir de façon ordonnée et systématique le maximum d’informations. Leurs réunions se tenaient toujours portes closes et un code secret spécial fut mis au point pour toutes les correspondances relatives à l’affaire. Dès le budget voté secrètement en… février 1803 (!), Lewis s’engagea à fond dans la préparation du voyage et commanda le mois suivant, fusils, couteaux de chasse et pipes tomahawks, aux arsenaux de Harpers Ferry, en Virginie. On expérimenta même un fusil à pompe. Le génie de Lewis fut de se choisir un compagnon en la personne de William Clark, de quatre ans son aîné et son ami, pour partager à égalité de responsabilités cette fantastique aventure. Autant Lewis était, intellectuel, mince, rêveur, introverti, avec une nette tendance à la mélancolie ; autant Clark, était puissamment charpenté, homme du peuple, peu instruit, pragmatique, pratique, chaleureux au contact facile et au jugement sûr. 6 Clark apprit très vite et devait révéler un réel talent d’ethnographe et de géographe. Cette direction bicéphale aurait pu s’avérer risquée. Le tandem fit merveille, tant les deux leaders étaient complémentaires et s’appréciaient. Le 31 août 1803 à bord d’un bateau de 60 pieds (20 m) construit spécialement, Lewis et un petit contingent levaient l’ancre pour un voyage de 1.100 milles sur l’Ohio jusqu’à Saint-Louis. Photo 5- Les terribles sawyers, jaillissaient soudainement Hors de l'eau pareils à des monstres marins Le 14 octobre Clark les rejoignaient en compagnie de dix autres hommes de confiance, dont Georges Drouillard, un « coureur de bois » de père français et de mère Pawnee. Après trois mois de navigation ils touchaient Saint-Louis, le 28 novembre. (Saint-Louis appelée alors la Porte de l’Ouest. Pour les trappeurs et pionniers le centre de gravité et de départ des expéditions et s’installaient de l’autre coté du fleuve, à camp Dubois face à l’embouchure du Missouri. Là ils hivernèrent et Clark en profita pour faire des deux bandes de têtes brûlées une troupe disciplinée. se déplaça ensuite à Indépendance, sur le Missouri aussi, mais 400 kilomètres plus à l’Ouest) 7 A partir du 9 mars 1804, après que fut normalisé le transfert de souveraineté de l’Espagne à la France (traité secret de San Ildefonso d'octobre 1800) et de la France aux Etats – Unis (1803), ils accélérèrent les derniers préparatifs. Le 14 mai, après tant de rêves, de calculs, d’efforts, l’expédition entame alors la longue remontée du Missouri… Photo 6- La petite flotte d'exploration : un bateau à quilles et deux pirogues Bric à brac .... La petite flotte d'exploration est composée d'un bateau à quille, et de deux pirogues, l'une de six et l'autre de sept rangs de nage. Ils emportent avec eux un bric à brac invraisemblable : plus de deux cents articles, et surtout les cadeaux destinés aux Indiens : 2.800 hameçons, près de 150 miroirs de poche, 22 rouleaux de toiles, 130 carottes de tabac, des centaines de chapelets de perles, des boutons de cuivre, des couteaux, des hachettes, des ciseaux, 500 broches et bracelets, 4.600 aiguilles, deux 8 moulins à moudre le maïs, des chemises de toile, des dés à coudre, des allènes et de la peinture vermillon. (Premier drame, 20 août 1804 : le sergent Charles Floyd décède d’une crise d’appendicite, le 20 août 1804, près Ils vont ainsi traverser ou longer ce qui deviendra le Missouri, l'Illinois, le Kansas, l'Iowa, le Nebraska, le Sud Dakota, le Nord Dakota, de l’actuelle Thompsonville) (…7 avril 1805, après l’hivernage chez les Mandans Lewis écrit : « Nous étions maintenant sur le point de pénétrer dans un pays long de 3000 kilomètres où aucun homme civilisé n’avait jamais posé le pied. Ce qui nous le Montana, l'Idaho, l'Oregon et l'Etat de Washington. Jusqu'à l'actuelle Astoria, au Sud de Seattle. C'est cet itinéraire que je vous invite désormais à emprunter. Car dès cette année, puis en 2004, 5 et 2006 vous serez en plein dans le mille du bicentenaire de l'une des expéditions scientifiques et humaines les plus importantes de l'histoire de l'humanité. L'Amérique ne va désormais plus parler que de cela. Sauf s’il y a la guerre en Irak ! attendait, bonheurs ou malheurs, nous allions bientôt l’apprendre d’expérience !») 9 Go West ! Rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger tout le trajet de Lewis et Clark, mais simplement vous aider à plonger dans l’atmosphère de l’Ouest américain et donner à rêver à l'aide de quelques images chatoyantes rapportées des régions traversées dans la partie centrale de l'itinéraire. Certains de ces documents sont des reproductions d'œuvres picturales de Karl Bodmer, peintre suisse qui avait accompagné en 1833 le prince allemand Maximilien en Amérique. Ces tableaux, ces aquarelles, illustrent des lieux qui n'ont quasiment pas changé, depuis Lewis et Clark, notamment dans le Haut Missouri ; ce sont aussi des portraits d'Indiens rencontrés. Des Indiens du passé dont les descendants actuels vivent soit dans des réserves ou en zones urbaines. Des Indiens qui n'ont rien oublié.... Photo 7- La grande épopée des pistes d’exploration... ( ) Pour entrer dans le vif du sujet : jetons un œil sur cette carte qui illustre la grande épopée des pistes d'exploration. Celle qui nous concerne est 10 située au Nord. C’est la rouge bordée d'orange (l'aller et le retour). Photo 8- (..) Pour votre curiosité celle-ci illustre la conquête de l'Ouest par les pionniers, avec les principales pistes (Oregon, Bozeman, Santa Fe. etc). Celles des chariots bâchés. Photo 9- Les hommes des bois, "Les voyageurs français" (..) Au tout début, au Nord, ces espaces immenses n'étaient fréquentés, en dehors des Indiens, que par des trappeurs, des hommes des bois, « Les voyageurs français », notamment. De rudes et solides gaillards ! Ils vendent les peaux de castors à. la Compagnie de la Baie d'Hudson et sont mariés à des Indiennes. 11 Autour d'eux ce monde est hostile... Photo 10- «Liver-Eating» («Mangeur-deFoie») Jérémiah Johnson avait, pour sa part, une bien sinistre réputation. Après le meurtre de son épouse flathead par des guerriers Crows, on racontait qu’il avait traqué et tué ses assassins, puis qu’il avait mangé leur foie. (..) Du temps de Lewis et Clark ne se risquaient dans ces parages que des individus au caractère bien trempé, comme Jérémiah Johnson, mangeur de foie (humain) immortalisé à l'écran par Robert Redford. On prête en effet, à Johnson l'horreur d'avoir dévoré le foie des assassins Crow de sa femme indienne. Regardez cette gueule ! ! ! (..) Lewis et Clark tout au long de leur voyage eurent des contacts approfondis avec les Indiens. Ces relations furent globalement cordiales, c'était aussi le vœu clairement exprimé par Jefferson. C'est ainsi que, sans rentrer dans le détail, les explorateurs hivernèrent avec les *Mandans (Dakota du Nord), qui vivaient dans des huttes recouvertes de terre ; ils échangèrent des cadeaux, , des informations, du gibier avec, les *Minnetaree, 12 les *Arikaras, les *Shoshones, les *Sioux, les *Blackfeet, les *Nez Percés (Idaho. Etat de Washington), (ici Chef Joseph d'après une photo de Curtis beaucoup plus tardive), les *Chinooks de la Columbia, etc. Mandan Sioux Minnetaree Arikaras Blackfeet Shoshone Nez Percé Photo 18- Les Chinooks sur la Columbia En remontant le cours du Missouri vers les deux Dakota et le Montana, (découvert par le chevalier La Vérendrye en 1742) des paysages bucoliques, peu de montagnes, la vue 13 porte très loin, les ondulations herbeuses rappellent qu' ici c'était jadis le royaume du bison. ( ) Ici Fort Union (à la frontière du Dakota et du Montana), Photo 19- Fort Union… Photo 20- Fort Union, près de Buford. N. Dakota (..) Petit crochet anachronique en guise de clin d’oeil, au Sud, nous sommes à quelques centaines de kilomètres du Mont Rushmore et ses quatre présidents taillés pendant treize ans dans la falaise, en 1927. Jefferson, celui par qui tout est arrivé est le second à partir de la gauche. Photo 21- Mont Rushmore, les quatre présidents (..) Un peu plus au sud encore, Wounded Knee, qui a sonné le glas de la résistance indienne en l890. 14 Photo 22- (..) Voici la fosse commune du massacre et les offrandes rituelles de tabac des Indiens du troisième millénaire. Photo 23- Fosse commune et offrandes (.. ..) Véritable phare au milieu de la Prairie : Devill Tower (Souvenez-vous de « Rencontre du troisième type » de Spilberg). Notre Destivelle nationale y vient faire ses gammes d'alpiniste... Photo 24 et 25- Devill Tower (..) Retour sur le Missouri : 15 Photo 26- Au dessus de Fort Mackensie, près de Great Falls, chez les Blackfeet, (les cosaques des Plaines du Nord) on s'approche dès lors des montagnes Rocheuses. Les chutes qui avaient tant impressionné Lewis et Clark ont été domptées, vous les voyez là en basse saison. (.. ..) Photo 27- Photo 28- (.. .. ..) Avant de vous diriger vers l'Idaho de Hemingway, les Pends d'Oreille et les Coeur d'Alène, ces tribus aux noms français, gagnez le Wyoming le Parc du Yellowstone, le conservatoire de la nature, l'Arche de Noé des Amériques. 16 Photo 29 - Yellow Stone Photo 30- Photo 31- (8.990 km2; plus grand que la Corse. Le plus grand parc des USA. / A 2.400 m d'altitude. / 200 geysers, 3.000 sources chaudes. 10.000 wapitis, 3.000 élans ; 3.000 bisons ; 500 mouflons, 650 ours bruns ; 350 grizzlis. Grand circuit en boucle de 280 km. Grand canyon 28km, 245 m de profondeur. Chutes de 33 m et 94 m (Lower Falls). « Le Vieux Fidèle » crache toutes les 65 mn/30. 35 à 52 m de haut. Incendie de 1988 : trois mois, 10.000 pompiers mobilisés. Plus belle voie d'accès en venant de Cody (Buffalo Bill) : très escarpée. Empruntons ensuite la Rivière du Serpent (..) pour gagner les Grands Tétons (.. ..). (1.256 Km2/80x23 km) Photo 32- Photo 33- Ah ! les Grands Tétons ! Il fallait être trappeurs français, sevrés de chairs laiteuses, opulentes et européennes, pour donner ce nom à ces pics de 4.000 mètres !!! 17 Photo 34- Reprenons maintenant la route du Nord et pénétrons dans un autre sanctuaire de la nature : Glacier National Park (4.l00 km2. Fondé en l9l0. Fusionné en 1932 avec, le W Park. 50 glaciers ; 200 lacs ; grizzlis ; ours noirs; élans ; mouflons et et son prolongement canadien Waterton Park (.. .. ..). Oréame, la chèvre d es Rocheuses) Photo 35- Photo 36- Nous ne saurions terminer cette saga de l’expédition Lewis et Clark et tout son environnement de paysages grandioses et de lieux chargés d’histoire, sans assister à un Pow Wow, (..) ces fêtes religieuses et profanes. (La culture indienne a marqué d'un souffle sacré de nombreux endroits, le Crow Fair de Hardin (Montana) ou celui de Browning, près de Glacier National Park, font partie de ces lieux). Chants, danses, beautés des costumes, défilé 18 des vétérans des guerres contemporaines, image insolite... Photo 37- Photo 38- Photo 39- Les temps forts Le décor a été ainsi planté, reste à rappeler les temps forts. 1. C’est tout d’abord l’embauche à Fort Mandan, en novembre 1804 de Charbonneau et de Sacajawa « la Femme Oiseau », son épouse enceinte, une adolescente qu’il a gagné aux dés ! (On peut dire que l'expédition a réussi sur un coup de dés) 19 Photo 40- Fort Mandan près de Washburn. Dakota du Nord. Toussaint Charbonneau, né à Montréal vers 1759 d’une mère Sioux et d’un père canadien français est taillé à la serpe. Individualiste et frondeur comme un Gaulois il faillit ne pas être de l’aventure, en raison de ses exigences : pas de tour de garde, pas de partage du gibier de sa chasse. Les deux capitaines inflexibles refusèrent dès lors sa candidature. Penaud, le cabochard se confondant en excuses revint le lendemain et s’engagea à satisfaire la discipline de l’expédition. En dépit du handicap de la future maman, Clark eut le génie prémonitoire de voir en Sacajawa celle qui allait leur permettre de traverser les Rocheuses, grâce aux chevaux de son peuple. Mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Pourtant dix mois plus tard, le 17 août 1805, Sacajawa, qui depuis plusieurs jours avait reconnu dans le paysage des lieux de son enfance, 20 retrouvait sa tribu dont le chef, miracle, n’était autre que son propre frère. 2. Le Grand Portage, à partir du 20 juin 1805 (25 Km parcourus en 13 jours) est avec la Lolo Trail, en septembre à plus de 2000 mètres d’altitude, la Chanson de geste de l’Amérique. Photo 41- Le grand portage comme dans "Fitz Carraldo" de Werner Kerzog (1982) Pour passer les chutes du Missouri par voie terrestre dans le secteur de l’actuelle Great Falls (Montana), ils montèrent sur roues leurs canoës, en découpant des rondelles de bois dans de gros arbres. Tirant, poussant sur les pierres acérées leurs étranges véhicules, ils franchirent une montagne et transportèrent ainsi tous leurs bagages et matériels à travers une région infestée de serpents et recouverte de figuiers de Barbarie. 21 Quasiment épuisés, les pieds en sang, rien ne semblait pourtant les arrêter. Photo 42- Lost Trail Pass. Montana/Idaho, 3 septembre 1805 Pas même la Lolo Trail dans l’Idaho sur la ligne de crête du massif Bitteroot, qui sera pour eux un enfer de 11 jours, en septembre 1805, dans la neige et la boue, sans rien ou presque pour se nourrir et où les chevaux hagards trébuchaient et roulaient dans les ravins. Cette double odyssée, dès qu’elle fut connue au retour, prit des résonances mythiques au point d’inspirer plus tard la théorie de la « Destinée manifeste du Peuple Américain ». Après la déclaration d'indépendance, c'est le vrai acte de naissance de l'Amérique. L'Amérique des américains. Des souffrances inouïes Ils connurent toutes les souffrances qu’un être humain ou une bête peut avoir en endurer. Froid, faim, maladies… 22 Photo 43- Pris dans la ruée d'un troupeau de bizons Ils furent tous très malades à un moment ou à un autre. Sacajawa faillit mourir. Charbonneau qui finalement était un bon bougre, voulut même la ramener à Saint-Louis à …900 Km de là ! Le petit Pomp, (qui n’avait que 55 jours au départ de Fort Mandan) ne fut pas épargné. Tous souffrirent de furoncles, de tumeurs externes, de désordres gastriques graves, en raison de la venaison avariée ; d’affections pulmonaires à cause de l’humidité ; de troubles oculaires (la réverbération du soleil sur l’eau et les vents chargés de sable arraché aux berges). Comme il fallait bien aussi que la chair exulte, plusieurs membres de l’expédition écopèrent de maladies vénériennes contractées avec les Indiennes pas avares de tendresse. Petite anecdote : Ben York, le serviteur noir de Clark était d’ailleurs la coqueluche de ces dames partout où il passait et il plongea dans l’affliction la plus profonde les 23 Indiennes de Fort Mandan, quand un jour de froid terrible un bout de son pénis gela !!!!! L’expédition ne disposait pas de beaucoup de médicaments : juste du laudanum, du mercure (Calomel1) pour la syphilis, du vitriol pour désinfecter et des décoctions de plantes. Clark appliqua lui-même sur les parties génitales de Sacajawa des cataplasmes d’écorces péruviennes, alors qu’elle souffrait atrocement de problèmes gynécologiques. Mais ils continuèrent à marcher, à ramer, à pousser, à tirer leurs canoës, se dépassant sans cesse. Il y eut très peu d’actes d’indiscipline. Sanctionnés, leurs auteurs furent fouettés ou renvoyés. Très vite les équipes furent soudées et motivées. Après le Grand Portage et la Lolo Trail, de grands moments d’épreuves et de fraternité, ils comprirent que quelque part ils étaient des Titans. Ils comprirent qu’ils allaient gagner ce pari fou. 1 Calomel (Chlorure mercureux) Autre médicament (atroce) : les pilules de Rushes. Composées de 10 grains de Calomel et de 10 de Jalap (poudre laxative mexicaine), elles avaient sur les intestins un effet ravageur. Les trappeurs français l'appelaient "la pastille troue le cul"! 24 Photo 44- Estuaire de la Columbia Astoria. Oregon En dépit de la déception, en décembre 1805, de ne pas trouver de bateaux à l’embouchure de la Columbia côté pacifique qui auraient pu les ramener sur la côte Est par voie maritime, ils hivernèrent, construisirent un fort et se préparèrent au chemin du retour. Partis de Fort Clatsop le 23 mars 1806, Lewis et Clark se séparèrent le 3 juillet, à la frontière de l’Idaho et du Montana. Photo 45- Fort Clatsop. Oregon Lewis partit au Nord vers l’actuelle frontière canadienne, pour explorer la Maria River (du prénom de la dame de ses pensées). 25 Photo 46- Marias River. Montana. 4 juin 1805 Clark rejoignit la Yellowstone aux alentours de Bozeman, au Sud du Montana, en évitant sans le savoir la fabuleuse caldera de ce qui allait devenir le Parc du Yellowstone. C’est d’ailleurs à John Colter qui avait demandé de quitter l’expédition sur le chemin du retour, que revint le mérite de découvrir cette région et ses merveilles géothermiques. Le 12 août 1806 les deux capitaines tombaient dans les bras l’un de l’autre à l’embouchure de la Yellowstone et du Missouri. Photo 47- Confluence de la Yellowstone, à gauche avec le Missouri. Sud Ouest de Williston. N. Dakota. 26 Le 23 septembre ils touchaient Saint Louis… la boucle était bouclée. La suite fut une succession de fêtes dans un climat d’adulation, car on les avait cru mort ! D’autant que deux colonnes infernales avaient été envoyées à leurs trousses par la Nouvelle Espagne. L’une au départ de Fort Mandan, l’autre lorsqu’ils quittèrent Fort Clatsop. Ils ne l’apprirent d’ailleurs qu’à leur retour. Photo 48- Au delà de l’aventure proprement humaine de ces destins parallèles et croisés, retenons surtout que cette épopée fut avant toute chose une expédition scientifique au cours de laquelle Lewis et Clark découvrirent 170 plantes nouvelles et 122 espèces ou sous espèces animales. L'expédition procéda à des relevés astronomiques, des observations météo, dressa des cartes, inventoria des vocabulaires et fut 27 une somme ethnographique. Les sept journaux de l’expédition représentèrent 10. 000 pages de notes et d’observations. Le grand bateau et l’équipage qu’ils laissèrent derrière eux après l’hivernage de Fort Mandan en 1805, ramenèrent à Jefferson un formidable butin scientifique et de quoi remplir un musée. 28 Ce qu’ils devinrent Lewis, l’introverti, fut nommé Gouverneur de la Haute Louisiane. La gloire, les souffrances, le fait de revenir dans un monde ordinaire eurent raison de son équilibre psychologique. D’autant qu’il connut pas mal d’avatars avec les femmes et qu’il s’attira l’hostilité de pas mal de gens autour de lui par des décisions inopportunes. Il sombra dans l’alcoolisme, au grand désespoir de Jefferson qui le considérait un peu comme son fils et de Clark, atterré par la lente descente aux enfers de son ami. Lewis se suicida d’un coup de pistolet dans une taverne, en 1809, à l’âge de 35 ans. A l’inverse la trajectoire du solide Clark l’extraverti, fut plus brillante. Nommé Superintendant des affaires indiennes en Haute Louisiane, il fut respecté de tous et surtout des Indiens qui l’adoraient. Comme il l’avait promis au couple Charbonneau il prit sous son aile son filleul Pomp (le petit Jean-Baptiste). On a trouvé trace des écoles catholiques et protestantes que l’enfant fréquenta. Le destin allait encore se manifester à lui un peu plus tard. Remarqué en 1823 par le prince allemand Paul de Würtemberg, le jeune homme de 18 ans voyagea en Europe et en Afrique. Protégé du 29 prince il apprit l’Allemand, l’Espagnol, le Français. Puis il revint en Amérique et fut le guide de plusieurs explorateurs. Chercheur d’or, alcade en Californie, guide à la tête d’un bataillon Mormon, il fut un homme complet, hélas fauché bêtement à l’âge de 61 ans par une méchante pneumonie. Sa mère et son père retournèrent chez les Indiens sur la Knife River. On ne sait pas grand chose d’eux ensuite, sinon que Charbonneau fut présenté par Clark en 1833 à Maximilien, prince de la région de Coblence et à Karl Bodmer qui le représenta dans un tableau. Photo 49- Sacajawa et son bébé Mais nous ne nous séparerons pas sans évoquer la personnalité fascinante de Sacajawa, « la Femme O is e a u » , l a g u i d e i n d i e n n e . F e m me , m è r e , e l l e a u n e r e la ti o n c o s mi q u e a v e c la nature dont elle sait interpréter tous les signes. E ll e i rr a d i e d e v e rt u s a p a is a n t e s : u n e f e m me e t u n b é b é , d a n s u n e c o m p a g n i e d ' h o m me s c e l a r as su r e. . . 30 S a c a j a w a , d a n s l ' O u e s t e s t p re s q u e s a n c t i fi é e c o m me ja d i s n o t r e J e a n n e d ' A rc . L a c , m o n t a g n e , c o l , c h a în e h ô t e li è r e , e t c . p o r te n t s o n n o m . Photo 50- Dollar Frappé à l'effigie de Sacajawa Un dollar or est frappé à son effigie et les Filles de la Révolution américaine, des suffragettes, en o n t f a it l e u r h é ro ïn e . F in a l e me n t , c e n ' e s t p e u t - ê t re p a s é to n n a n t q u e le Wyoming, où elle serait enterrée, a été le premier p a y s a u mo n d e à a v o i r a c c o rd é , e n 1 8 6 9 , l e d r o it d e vo t e au x f em m es .. . Il y a q u e lq u e s a n n é e s u n e é c r iv a i n e a mé ri c a i n e a é c ri t u n e h i s t o i r e ro m a n c é e d e l ’e x p é d i ti o n q u i t o u r n e a u to u r d e l a d e s t in é e l u m in e u s e d e S a c a j a w a . B i e n q u ’ h i s t o ri q u e me n t r ie n n e s e m b l e l ’a tt e s t e r e l le p r ê t e à C l a r k e t à l a j e u n e S h o s h o n e u n e t e n d re , m a i s c h a s te i n c li n a t io n . C o m me j e s u i s u n p e u f l e u r b le u e je c ro is à c e t te b e ll e h is to i re . U n e f a ç o n t o u te 31 p e r s o n n e ll e d e c o n fi r me r l o i n d e la ri g u e u r s c i e n t if iq u e d e n o tr e d o c t e a s s e m b l é e , l ’ e x tr ê me h u m a n i té d e c e t t e s a g a a m é ri c a i n e . M e r c i d e v o tr e a tt e n t io n . U n g r a n d m e rc i à M a d e mo is e ll e O u a rd a B o u ma z a , q u i m’ a a id é à i n té g r e r à m o n p r o p o s t o u te l’ ic o n o g r a p h ie d e m a d o c u me n t a ti o n e t q u i a p a r fa it e me n t ma ît r is é s o n é c ra n d e c o n tr ô l e . Clinton avant de quitter la présidence a nommé Ben York (injustement oublié, pas affranchi, pas de solde, pas de terre) et Sacajawa "soldats de l'Amérique" Gino TOGNOLLI Membre de la Fondation Lewis et Clark de Great Falls (Montana) 32 Autres photos 33
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