Capitalisme_familial_le_monde_fevrier_2014
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Capitalisme_familial_le_monde_fevrier_2014
6 dossier 0123 Mardi 18 février 2014 La criseà latête de Peugeot met en lumièrela difficulté àconcilier le contrôle d’une entreprise parles héritiers du fondateur et son développement dans une économie mondialisée Le capitalisme familial en question P ourtoutesles famillesqui contrôlent leur entreprise, la tempête qui secoue la maison Peugeot est unélectrochoc.Laplusbelleentreprise patrimoniale française, qui venait de faire son entrée dans l’association Les Hénokiens, ce club mondial de 40 entreprises familiales de plus de deux cents ans, se trouve aujourd’hui condamnée à la triple peine: l’entrée de l’Etat et du constructeur chinois Dongfeng au capital officialisée mercredi 19 février, jour de présentation des résultats du groupe PSA Peugeot-Citroën,et la perte de la présidence du conseil de surveillance. Certes, ce n’est pas la première crise que traverse la famille Peugeot, qui, en 1870, 1930 ou en 1980 a dû diluer sa participation dans le groupe, jusqu’à 22 %, pour remonter à la faveur des sorties de crise. Mais, cette fois, avec la perte des droits de vote double, sa part chute à 14 %. A ce niveau, elle est de moins en moins un actionnaire de référence. Aussi, chaque famille tente-t-elle de tirer les enseignements de cet épilogue pour interroger son propre dispositif: est-il assez solide pour résister aux mauvais vents ? Changement d’échelle L’affairePeugeotrévèleque,faceàl’accélération de la mondialisation, les grandes familles si attachées à l’ancrage territorial peuvent perdre pied sur un terrain si immense qu’il tend à les diluer inexorablement. Quand un constructeur automobile doit à la fois conquérir les continents et investir dans les technologies vertes au modèle économique incertain, les besoins encapitauxse dressentcommeunmurdifficileà franchir. SiPierre Bellona sufairede Sodexo un des leaders mondiaux de la restauration collective en gardant le contrôle familial à 38 %, c’est aussi grâce au caractère peu capitalistique de son activité. Dans l’automobile, pour amortir ses investissements,l’unité de compte se chiffre désormais en millions de voitures par an. Pour que l’américain Ford, entreprise toujours familiale, reste dans la course, il aura fallu que la famille accepte, en 2006, de gager tous les actifs de la société pour obtenir un prêt de… 26 milliards de dollars (19 milliards d’euros). Avec ce saut quantique, combien de familles peuvent encore suivre sans perdre le contrôle ? Le changement d’échelle est redoutable pour ces sociétés qui, selon ChristineBlondel,professeure de business familial à l’Insead, école internationale de commerce, « sont prises dans le triangle financier qui, chaque année, exige des arbitrages. Que faire de nos ressources: investir dans l’entreprise, les distribuer aux actionnaires, ou accroître notre contrôle? » Sicertainsdesplusgrandsconstructeurs mondiaux sont toujours contrôlés par des familles, à savoir Toyota, Honda, Fiat (famille Agnelli) ou BMW (famille Quandt), c’est parce qu’elles ont systématiquement fait le choix de l’entreprise en réinvestissant, quand nécessaire, l’essentiel des dividendesdanslamodernisationetledéveloppement de leur groupe. Elles sont focalisées sur un angle du triangle, et un seul. Avec le temps, cet arbitrage se révèle plus difficile. A partir de la troisième génération, maintenir l’unité du commandement autourd’un projet commun est plus complexe qu’il n’y paraît. Pas nécessairement à cause de la dispersion du capital : grâce aux rachats de parts, les trois branches de la famille Peugeot détiennent 90 % du capital de la famille. Et il n’y a, à la neuvième génération, qu’une cinquantaine d’actionnaires familiaux de PSA. On est très loin des 550 membres de l’association familiale Mulliez (Auchan, Leroy Merlin et Decathlon…), des 1 050 actionnaires familiaux des Wendel (ex-aciérie devenue holding financière) et des 2 300 actionnaires de Solvay (chimie) ! Il n’existe pas non plus chez les Peugeot de déficit d’affectiosocietatis, le clan ayant toujours autorisé chaque héritier, selon ses capacités et affinités, de faire un parcours au sein du groupe. Mauvaise transmission A PARTIR DE LA TROISIÈME GÉNÉRATION, MAINTENIR L’UNITÉ DU COMMANDEMENT AUTOUR D’UN PROJET COMMUN EST PLUS COMPLEXE QU’IL N’Y PARAÎT Le germe de la discorde est ailleurs. « Les problèmesactuels de PSA résultent d’abord d’une mauvaise transmission du pouvoir en 2002, fruit d’unarrangementqui a privilégié l’équilibre entre les branches cousines par rapport à l’efficacité de la gouvernance », explique Patrice Charlier, directeur de la chaire sur les entreprises familiales à l’Ecole de management de Strasbourg. En 2002, Pierre Peugeot, héritier de la septième génération, meurt brutalement. Tout à la fois président de la holding cotée FFP et du conseil de surveillance, il est le patriarche que nul ne conteste. Si peu contesté que lui-même, bien qu’âgé de 70 ans, n’a pas jugé nécessaire de préparer sa succession. Tout juste a-t-il confié, en 2002,à Jean Boileau(morten 2007), le viceprésident du conseil, la responsabilité de l’organiser « au cas où il lui arriverait quelque chose ». Plus personne aujourd’hui ne prend de tels risques : conscients que l’écueil des entreprisesfamilialesest dans la transmission, leur dirigeant désigne un successeur, que cette désignation soit rendue publique ou tenue secrète. Chez les Peugeot, la succession est si peu préparée qu’il ne faudra pas moins de dix-sept jours à la famille pour choisir le président du conseil de surveillance.« Les débats ont été très violents », se rappelle un proche de la Peugeot 1810 Michelin Bolloré CA 1837 1822 Thierry Peugeot 1889 Hermès International 55,2* milliards d’euros François Michelin 4,3 milliards d’euros CA Axel Dumas Vincent Bolloré 25 % et 38 % des droits de vote CA 10,2* CA milliards d’euros 3,5* milliards d’euros 25,4 11,5 milliards d’euros milliards d’euros 20,2** milliards d’euros 16,2 milliards d’euros Société en commandite. Le contrôle s’opère via la société holding commanditée Sages 68 % 67,9 % Peugeot A la suite de l’accord signé en février 2014 sur la recapitalisation de l’entreprise, la part de la famille passera à 14 %, à parité avec celle de l’Etat français et du constructeur chinois Dongfeng. Bolloré Deux fils de Vincent Bolloré sont à des postes de direction, Yannick étant à la tête de Havas tandis que Cyrille dirige les branches logistique et énergie. Hermès International Membre de la famille, Axel Dumas, neveu de Jean-Louis Dumas, ex-patron mythique, a succédé en janvier 2014 à Patrick Thomas comme PDG de l’entreprise. Les Date de création de la société PDG ou chef de famille Michelin Jean-Dominique Senart, actuel gérant commandité, est le premier patron de l’entreprise non issu de la famille. Le patriarche, François Michelin, 87 ans, siège encore au conseil de la Sages (la société holding commanditée de Michelin). CA Chiffre d’affaires *2012 **2013 Capitalisation boursière L’Oréal A la suite de l’accord signé en février 2014 avec la société suisse Nestlé, la famille Bettencourt, descendante du fondateur Eugène Schueller, a renforcé son contrôle sur l'entreprise. % Participation de la famille 10 principales sociétés familiales françaises cotées famille. Et débouchent sur un mauvais compromis. « La huitième génération, qui ne veut plus d’un seul chef, répartit le pouvoir entre les trois branches principales, représentées par les trois cousins descendants du même arrière-grand-père, explique Patrice Charlier. Pour la famille, cet équilibre des pouvoirs était la condition pour maintenir l’entente familiale.» Mais le contrôle familial a désormais trois têtes, qui doivent leur place non à leurs qualités, mais à leur poids dans le capital: Thierry, qui a le plus d’actions, à la présidence du conseil de surveillance ; Robert à la présidence de la FFP, et premier actionnaire de PSA ; et Jean-Philippe, à la tête de la holding Peugeot (EPF). De façon générale, choisir les responsables en fonction du poids de leur branche au capital est dévastateur: « Dans l’élaboration de la gouvernance familiale, la logiquede projetcommun centrésur l’entreprise doit l’emporter sur la logique de sang et de branche », juge Christophe Bonduelle, le patron de la société spécialisée dans la Les solutions pour éviter les empoignades entre héritiers « LES ENFANTS, ça suffit ! » L’empoignade des héritiers est le cauchemar de tout entrepreneur qui nourrit des rêves dynastiques. « A partir du moment où le fondateur disparaît, il y a toujours des dissensions entre héritiers», affirme Patrice Charlier, directeur de la chaire sur les transmissions à l’EM-Strasbourg. Alors que dire à la troisième génération et aux suivantes? Aussi, quand vient le crépuscule, ceux qui veulent pérenniser l’affaire familiale en étudient tous les moyens. Le plus sûr consiste à concentrer les parts de la famille dans une seule main à chaque passage de génération: c’est la solution capitalistique. Mais elle est plus facile à mettre en œuvre dans les PME. Et encore, si le poids de la dette n’est pas trop lourd. Autre méthode, plus compatible avec la taille des enjeux dans les grandes et très grandes entreprises: la transformation d’une des holdings du contrôle familial en société à commandite par actions (SCA). Un statut contractuel entre les actionnaires qui donne une très grande liberté dans la répartition du pouvoir. «La SCA permet de concentrer le pouvoir et les responsabilités sur un seul héritier, le commandité, tout en distribuant équitablement le capital entre tous ses enfants, les commanditaires», précise M.Charlier. Après la création des SCA de la Compagnie générale des établissements Michelin en 1955, de la famille Mulliez en 1976, de la société Lagardère en 1980, de la Financière Pinault en 1987, Vincent Bolloré a transformé, il y a un an, la holding Sofibol en SCA, dont le commandité est Somabol, holding de tête dont il détient 51% des parts, le reste étant détenu à parité par deux de ses quatre enfants, Yannick, 34 ans, et Cyrille, 28 ans. Un cas qui illustre la vertu de la solution juridique: «A première vue, par ce dispositif, Vincent Bolloré a mis ses deux fils, Yannick et Cyrille, associés dans Somabol, le commandité de Sofibol, sur un pied d’égalité mais en concurrence, explique Jean-Luc Blein, associé chez Hoche, société d’avocats. Mais dans le même temps, dans les statuts, il crée les conditions pour donner rapidement, le jour où il le décidera, les clés à celui de ses enfants qui aura démontré sa capacité à prendre le contrôle.» Une tête et une seule Le dispositif Bolloré est conçu pour qu’il n’y ait toujours qu’une tête, et une seule, au sommet du groupe familial. Si l’on en juge par le parcours des deux fils, Yannick dans les médias, et Cyrille, déjà président de Bolloré Logistics et de Bolloré Energie à l’issue d’un parcours éclair, c’est Cyrille qui aura sans doute, le moment venu, les clés de l’ensemble : aujourd’hui, la valeur d’actif de ce qu’il dirige est de dix fois celle de la participation de Bolloré dans Havas, dirigé par Yannick. Mais c’est une solution qui repose sur un renoncement au pouvoir de la part des actionnaires commanditaires, dont le rôle est réduit à la surveillance. De plus, la respon- sabilité indéfinie du commandité sur ses biens propres effraie beaucoup de familles. Aussi, une solution moins contraignante a le vent en poupe. Il s’agit d’une gouvernance familiale autour de trois piliers. D’abord, le pacte d’actionnaire, qui définit les conditions de détention et de cession des titres de la société par la famille, pour consolider le bloc. Ensuite, un contrat favorisé par la loi Jacob-Dutreil qui a réduit de 75% les droits de succession pour les donataires qui s’engagent à rester au moins six ans. Une charte familiale qui définit les objectifs et les valeurs de la famille, ses relations avec l’entreprise, et la manière dont elle va animer l’affectio societatis des membres éloignés comme des nouvelles générations. Enfin, un conseil de famille, où siègent les représentants des différentes branches, pour régler les inévitables conflits, et sortir si nécessaire un cousin peu enclin à épouser le rêve familial. p V. Se. 0123 dossier Mardi 18 février 2014 L’Oréal LVMH 1987 Bouygues 1909 1952 Pernod Ricard Kering (ex PPR) 1932 Bernard Arnault Liliane Bettencourt CA Martin Bouygues 23** milliards d’euros 74,2 milliards d’euros 33,2 % 1962 CA Alexandre Ricard CA 8,6** milliards d’euros CA 33,5* milliards d’euros 9,3 milliards d’euros 22,5 milliards d’euros 20,5 % 1992 29,1 milliards d’euros 68 François-Henri Pinault CA Lagardère milliards d’euros 9,7* milliards d’euros 46,4 % 19,4 Arnaud Lagardère milliards d’euros CA 13,10 % et 40,9 % 20 % des droits de vote 7,4* milliards d’euros 3,8 milliards d’euros 9,3 % Kering Pernod Ricard Fils du fondateur, Patrick Ricard est décédé en 2012. Son neveu Alexandre Ricard deviendra PDG en 2015, au départ du directeur général, Pierre Pringuet. Bouygues La société est dirigée par Martin Bouygues, 61 ans, fils du fondateur, Francis Bouygues. Il a trois enfants : Edouard (28 ans), William (25 ans) et Charlotte (22 ans). Dans le JDD du 20 mai 2012, il assure : « D’ici cinq ans, le sujet sera réglé », « Je ne suis pas pour le népotisme. Il n’y a aucun tabou à ce que le groupe ne soit pas dirigé par un Bouygues. » La société est dirigée par François-Henri Pinault,51 ans, fils du fondateur, François Pinault. CHEZ PSA, AVEC SEPT CADRES DIRIGEANTS ISSUS DE LA FAMILLE DANS LE GROUPE, DE COMPLEXES JEUX D’ALLIANCES ÉMERGENT : PLUS PERSONNE NE SAIT TRÈS BIEN OÙ SE PRENNENT LES DÉCISIONS LVMH Deux enfants de Bernard Arnault travaillent dans l’entreprise. Delphine, 38 ans, est directrice générale adjointe de Louis Vuitton. Antoine, 36 ans, est directeur général de la marque de chaussures pour hommes Berluti. Ils sont tous deux administrateurs de LVMH. Lagardère Société en commandite dirigée par Arnaud Lagardère, 52 ans, fils du fondateur, Jean-Luc Lagardère. PHOTOS : AFP INFOGRAPHIE LE MONDE transformation des légumes, qui a résolument cassé la logique de branche qui prévalait depuis cinq générations en organisant le pouvoir de façon collective au sein de la commandite Pierre et Benoît Bonduelle, créée en 1995 pour recentrer les parts de la famille. « En donnant ainsi les rênes à Thierry, la famille a fait une erreur, juge un ancien cadre. Mais qui aurait osé le dire il y a douze ans, sans encourir le reproche de faire un mauvais procès ? » D’ailleurs, tant que le marché automobile européen tient bon, PSA dégage de bons résultats. S’il y a des divergences entre les cousins, elles n’affectentpas le fonctionnementde l’entreprise. Confusion des priorités Insensiblement, une certaine confusion des rôles s’installe pourtant: au lieu de rester dans une position de contrôle, Thierry, qui se passionne pour le métier, se mêle de l’exécution quotidienne de la stratégie. Stratégie dont on ne discute pas seulement au conseil de surveillance, mais un peu partout dans les différentes holdings familiales. Et avec sept cadres dirigeants issus de la famille dans le groupe, de complexes jeux d’alliances émergent: plus personne ne sait très bien où se prennent les décisions. Toutle contraire du fonctionnementdu groupe Solvay, un groupe familial de cent cinquante ans, où la stratégie est discutée dans un lieu et un seul, le conseil d’administration, dont le président, issu de la famille, s’en tient à en contrôler la mise en œuvre, et où il n’y a pas de Quand la société joue contre la transmission RINGARDE, la transmission? Avec seulement un patron sur trois qui désire transmettre son entreprise à sa famille, et seulement 14 % qui le font, selon les économistes de BPCE L’Observatoire, la transmission serait-elle en train de passer de mode? Il y a dans la bouche de ses défenseurs une manière d’en appeler aux devoirs que confère l’héritage du passé, à l’ancrage territorial ou aux actionnaires de sang étrangement désuète. Car on voit bien que les mouvements de fond qui transforment la société bouleversent aussi le capitalisme familial. Le vieillissement L’éternelle jeunesse des patriarches qui, se sentant irremplaçables, restent encore et toujours en poste décourage des héritiers « plus impatients que leurs aînés», selon Christine Blondel de l’Insead, école internationale de commerce. Tout le monde n’a pas la patience d’un Olivier Dassault, 62 ans, dauphin autoproclamé de son père Serge, 88ans. Aussi, pour éviter que la gérontocratie ne tourne à la catastrophe, comme chez le volailler Doux, le fabricant de chariots Caddie ou le logisticien alsacien Lohr, qui ont déposé le bilan ou frôlé le dépôt de bilan parce que leur actionnaire vieillissant n’a pas voulu lâcher prise, il faut désormais se battre: « Il aura fallu que Thierry Mulliez, président du conseil de gérance de la famille, mène entre 2006 et 2010 un combat acharné pour déloger les patriarches du groupe, Gérard Mulliez de la présidence d’Auchan, Gonzague Mulliez de Saint-Maclou, Patrick Mulliez de Kiabi, et Michel Leclercq de Decathlon», raconte le journaliste Bertrand Gobin, spécialiste de la famille. L’hédonisme Qui est encore prêt à se sacrifier pour la pérennité de son nom ? Pour vivre joyeusement avec sa troisième femme, Michel Lacoste a préféré vendre sa participation à la famille Maus et mettre un coup d’arrêt à l’aventure fami- liale plutôt que d’immobiliser ses parts pour permettre à sa fille, née d’une première union, de reprendre l’affaire. Il est vrai que les recompositions familiales à répétition ont sérieusement fissuré l’ardente obligation familiale. D’ailleurs, estime François Antarieu, du cabinet PwC, « la charge et les risques attachés à une entreprise étant beaucoup plus lourds qu’avant, en hériter en effraie plus d’un». Comprenant qu’hériter de devoirs plus que de droits n’étant pas une partie de plaisir, de plus en plus d’héritiers considèrent que leur vie leur appartient. Comme Jean-Pierre Dick qui, bien que docteur vétérinaire et diplômé de HEC comme son père, le fondateur des laboratoires Virbac, a préféré, il y a plus de vingtcinq ans, prendre la mer pour faire des courses au large. L’égalitarisme «L’exigence d’égalité de traitement entre les héritiers est une particularité française héritée du code civil, qui s’adapte mal à l’idée qu’il doit y avoir un patron et un seul à la tête des sociétés transmises», dit le directeur de BPCE L’Observatoire, Alain Tourdjman. « Je considère que transmettre à mes enfants les capitaux issus de la vente de mon entreprise les protège davantage des futurs risques de mésentente que de leur transmettre mon entreprise», dit Jean-François Gendron, fabricant nantais de matériel médical. La mondialisation « Dans un monde où les acteurs se rapprochent, la solution familiale n’en est plus qu’une parmi d’autres, et y mettre fin n’est plus tabou», explique M. Antarieu. « L’avenir de mon entreprise est de grossir par alliance, pas d’être bloquée dans son développement par la perspective hors d’âge d’un maintien du contrôle familial », confie encore Jean-François Gendron, 56 ans. Qui conclut: « On ne crée pas une entreprise pour la transmettre à ses enfants.» p V. Se. 7 membre de la famille dans des postes de direction. Si Pierre Peugeot entendait conserver l’indépendance du constructeur, ses héritiers, eux, se montrent plus ouverts à un mariage de raison. Seulement les opportunités sérieuses manquent. Des discussions avec la famille Quandt (BMW), la famille Agnelli (Fiat) ou le groupe Mitsubishi ont bien été ouvertes. Mais elles n’ont jamais abouti.AussiPSAva-t-il nouerdescoopérations ponctuelles avec d’autres constructeurs, sur le développement de moteurs ou la fabrication de certains véhicules. Le développement du groupe est alors encore dans le radar des actionnaires, même si la famille, par le biais de la FFP, commence à investir une part croissante des dividendes de PSA hors de l’automobile. On parle de « diversification réussie » du patrimoine familial. En fait, c’est un premier coup de cutter dans la belle unité familiale: il n’y a plus vraiment de projet commun autour de PSA. En 2008, la crise s’abat sur l’automobile : le marché européen s’effondre. Alors que Renault et PSA sont malmenés, l’Etat français prête 3 milliards d’euros à chacun. La famille Peugeot, qui a touché près de 700 millions de dividendes du constructeur depuis 1999, n’entend pas mettre la main à la poche. Entre 1999 et 2011, pour remonter au capital, elle a d’ailleurs fait racheter à PSA pour 3 milliards d’euros d’actions. En 2012, quand il faut recapitaliser le groupe, elle apporte moins de 100 millions, soit 2,5 fois moins que nécessaire pour maintenir sa part. Contrairement aux Toyota, Ford ou Quandt, l’entreprise n’apparaît plus comme sa priorité. En fait,les cousinss’opposentde manière de plus en plus frontale. Plus que les divergences de caractère, ce sont les options stratégiques pour la famille qui les séparent. D’un côté, conscient de la crise structurelle de l’automobile, Robert Peugeot, qui par son rôle se soucie avant tout de l’évolution du patrimoine familial, est le partisan et l’artisan de la diversification. De l’autre, Thierry, si féru de l’histoire familiale et prisonnier de son héritage, veutmaintenirà tout prix la sacro-sainte indépendance de l’entreprise en y réinvestissant le plus possible. Pour lui, PSA doit rester l’actif essentiel de la famille. Alors que choisir : l’entreprise ou la famille? Tôt ou tard, ce dilemme, des plus classiques, se pose dans toute entreprise familiale. Le Château Pichon-Longueville, le Château d’Yquem, plus récemment Lacoste, combien d’entreprises familiales ont dû se vendre sur ce désaccord ? Partempscalme, tantque les dividendes remontent abondamment, les deux lignes de défense se confondent : si les familles Dumas, Puech et Guerrand ont accepté d’immobiliser leurs titres au sein de la holding H51, pour faire front contre les appétits de LVMH, c’est parce qu’Hermès, très profitable, distribue un bon dividende. Mais dès que les besoins en capitaux se font plus pressants et exigent des sacrifices dans l’urgence, qui plus est dans un contexte de mutation du secteur, les masques tombent. Pourquoi les actionnaires mécontents ne sortent-ils pas de l’actif familial ? Parce qu’ils ne le peuvent pas : quand le contrôle familial est ric-rac, les parts des héritiers sont faussement liquides. Qu’un seul se retire, il met un coup d’arrêt à deux cents ans d’histoire familiale.Qui est prêt à endossercetteresponsabilité sous le regard pesant de ses ancêtres? La crise aiguë que traverse l’entreprise PSA met la fracture familiale à nu. A défautde s’accordersur unestratégiecommune, les deux clans s’affrontent avec une rare violence en portant leur différend sur la place publique. Comme si déjà, l’entreprise ne leur appartenait plus. Thierry accuse Robert de se désintéresser du sort de PSA, en acceptant une clause de standstill(« délaisuspensif») qui les empêche de remonter avant… dix ans. Cette exhibition si étrangère à la discrétion protestante de la famille Peugeot atteste de la profondeur du désaccord. Leurs positions sont irréconciliables. C’est pour éviter ce syndrome que les grands capitaines identifient très tôt dans la famille celui ou celle qui pourra assumer à la fois l’unité familiale et l’unité du commandement. Et le forment dès le plus jeune âge pour, l’heure venue, reprendre le flambeau. Car, pour que la transmission réussisse, il faut un chef de famille et un seul : présents ou à venir, ils s’appellent François-Henri Pinault chez Kering (exPPR), Alexandre Ricard chez Pernod Ricard, Sophie Bellon chez Sodexo, Nicolas Houzé aux Galeries Lafayette, Axel Dumas chez Hermès, et chez les Bolloré ce sera Cyrille. Chez les Peugeot, on le cherche encore. p Philippe Jacqué et Valérie Segond