A Monsieur Jacky COULON Et Monsieur Robert TCHALLIAN N° du

Transcription

A Monsieur Jacky COULON Et Monsieur Robert TCHALLIAN N° du
A Monsieur Jacky COULON
Et Monsieur Robert TCHALLIAN
Vice-présidents chargés de l’instruction
Tribunal de Grande Instance de Nantes
N° du Parquet : 10/263-257
N° de l’instruction : B 10/35
DEMANDE DE MESURES D'INSTRUCTIONS
(Articles 82-1 du code de procédure pénale)
POUR :
Thierry LEMETAYER
Hélène Anne-Cécile LEMETAYER épouse TILLE
AYANT POUR AVOCATS :
Dominique TRICAUD
Avocat à la Cour
4, place Denfert Rochereau
75014 PARIS
Elisant domicile en son cabinet
Ont l’honneur de vous exposer ce qui suit :
I. FAITS ET PROCEDURE
Neuf ans après l’ouverture de l’enquête, il est désormais acquis que le naufrage du
BUGALED BREIZH a été coulé par un sous-marin.
L’abandon de la thèse du « cargo voyou » et au terme de nombreuses expertises, la vérité s’est
finalement imposée à tous. Dans son rapport du 8 juillet 2008, Dominique SALLES conclut
que l’implication d’un sous-marin est « hautement probable » (D2695).
Les expertises techniques ont ainsi fini par entériner, avec quatre années de retard, l’évidence
que les marins défendaient depuis plusieurs années.
II. DISCUSSION
1. Sur le manque d’indépendance de Dominique SALLES
Dominique SALLES a été désigné pour la première fois le 16 août 2006 par le juge
d’instruction (D2172). Il a depuis déposé cinq rapports d’expertise en juin 2007 (D2175),
juillet 2008 (D2695), mars 2010 (D2790), mai 2011(D2813) et septembre 2012. Il y a
quelques semaines, il remettait une ultime note (D3004), à la suite de son audition.
Le choix d’un expert non-inscrit avait été justifié en 2007 par l’urgence et la difficulté à
trouver d’autres experts qualifiés dans la spécialité requise.
Par ailleurs, la première ordonnance de commission d’expert relevait simplement que la
« situation administrative actuelle» de Dominique SALLES présentait toutes les garanties
d’indépendance nécessaire à l’exécution de sa mission.
Progressivement, le rôle et l’influence de Dominique SALLES ont pris des proportions qui
dépassent celles d’un simple expert. Chacun de ses rapports, chacune des ses observations
oriente l’enquête, si bien que l’information semble devenue un moyen pour l’expert
d’imposer ses vues comme vérité judiciaire.
Aussi, il est primordial de s’interroger plus en avant sur l’indépendance et l’impartialité de
Dominique SALLES.
***
Les exigences du procès équitable ont vocation à s’appliquer aux experts. En particulier,
l’expertise ne saurait être régulière si l’expert ne présente pas toutes les garanties
d’indépendance requises, à l’égard du juge comme des parties.
A ce propos, l’article 2-6° du décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 énonce :
2 « Une personne physique ne peut être inscrite ou réinscrite sur une liste d’experts
que si elle réunit les conditions suivantes : [...] 6° N’exercer aucune activité
incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires
d’expertise »
La chambre criminelle de la Cour de cassation a d’ailleurs récemment rejeté un pourvoi
mettant en cause la nullité du rapport d’un expert non indépendant:
« Attendu qu'en l'état de ces motifs et dès lors que la désignation d'un expert
dépendant de l'une des parties ne permet pas de garantir les conditions du
procès équitable, la chambre de l'instruction, qui a répondu aux chefs
péremptoires des conclusions des parties et souverainement apprécié l'étendue de
la nullité, a justifié sa décision » (Crim. 25 sept. 2012, n° 12-82.770)
La Cour européenne des droits de l’homme retient quant à elle une acception extensive de
l’exigence d’indépendance. Pour garantir un procès équitable, l’indépendance ne doit pas
simplement être effective. Elle doit également être apparente (voir notamment : CEDH,
Affaire BORGERS c. Belgique, 30 octobre 1991, n°12005/86). Ainsi, l’expert doit tout à la
fois être objectivement indépendant et perçu comme tel par les parties.
Dominique SALLES a exercé de hautes responsabilités au sein de l’Etat Major de la Marine
entre 1993 et 1997. Il y a notamment dirigé de la section « entretien des sous-marins » de
l’Etat Major. A partir de 1997, il a exercé des fonctions de commandement au sein de
nombreux sous-marins comme le sous-marin nucléaire lanceur d’engins l’Inflexible.
Il a enfin été chef de la mission militaire française auprès de l’Amiral commandant de
l’OTAN Est-Atlantique. Dans le cadre de ses fonctions, il a travaillé à NORTHWOOD au
Royaume-Uni.
De par sa carrière militaire, Dominique SALLES est donc intiment lié à l’OTAN et aux
autorités des marines européennes, au premier rang desquelles la Marine française et la Royal
Navy.
Or, les missions qui lui ont été confiées consistent précisément dans la mise à jour des
responsabilités des différents sous-marins dans le naufrage du BUGALED BREIZH.
Il ressort de ces éléments que Dominique SALLES ne présente pas les garanties
d’indépendance requises pour l’exécution de ses missions. Ses liens personnel et
professionnel avec les autorités militaires altèrent la force probante de chacun de ses rapports.
2. Sur les erreurs, les incohérences et les approximations illustrant la partialité
Dominique SALLES
3 Les incohérences, erreurs et approximations contenues dans les rapports de Dominique
SALLES sont nombreuses. Elles ne sont pas fortuites et ont systématiquement conduit
l’expert à écarter la responsabilité des sous-marins mis en cause.
2.1.
Sur la position de la frégate PRIMAUGUET
Dans son rapport de septembre 2012, Dominique SALLES estime que la frégate
PRIMAUGUET n’a pu percevoir les sons consécutifs au naufrage du BUGALED-BREIZH
car il était à quai à DEVONPORT :
« A l’heure du naufrage elle est à l’intérieur du port de DEVONPORT » (p. 30)
Pourtant, dans un rapport antérieur du premier juin 2007, lorsque cette information avait
encore peu d’importance pour l’enquête, l’expert reconnaissait lui-même que la frégate était
en rade et non à quai (p. 55 / D2159).
L’analyse des journaux de bord du PRIMAUGUET le confirme. A partir de 7h30 le 15
janvier 2004, la frégate était au mouillage dans la baie de PLYMOUTH jusqu’à son
appareillage dans l’après-midi, et non à quai à DEVONPORT (50° 21' 2'' N, 04° 08' W)
Les systèmes d’écoute du PRIMAUGUET n’étaient donc pas arrêtés, comme l’expert
l’affirme mais bien actifs et ont pu capter le bruit spécifique produit par l’implosion sousmarine de la cale du chalutier.
2.2.
Sur le sous-marin responsable
Dans le cadre de son premier rapport, Dominique SALLES avait estimé que, si un sous-marin
naviguait dans la zone du naufrage le 15 janvier 2004, il ne pouvait s’agir que d’un navire
d’une nation extérieure à l’OTAN à moins qu’il ne navigue en violation des règles de
l’Organisation :
« Il n’est pas possible de garantir la non-présence d’un autre sous-marin en
Manche. Si telle présence devait être retenue, il ne pourrait s’agir que d’un sousmarin d’une nation non membre de l’OTAN à moins que celui-ci ne navigue en
violations des accords internes à l’Alliance » (p. 7 du rapport)
Aux termes de la déposition de Frank JOSSE (D1310), adjoint en charge des opérations
auprès de l’Amiral commandant en chef pour l’Atlantique (CECLANT), il apparaît que
chaque nation dispose d’une zone d’exercices nationale au sein de laquelle elle conduit
librement ses exercices, sans devoir en informer personne.
Les sous-marins appartenant à d’autres nations membres de l’OTAN sont au contraire tenus
de se signaler s’ils évoluent en surface et d’obtenir une autorisation s’ils sont en immersion.
4 Or, le naufrage a précisément eu lieu dans une zone permanente d’exercices britannique. Dans
les environs du naufrage, les navires britanniques pouvaient donc mener secrètement des
exercices nationaux sans, pour autant, violer les accords de l’Alliance.
Les conclusions de Dominique SALLES sont donc inexactes.
2.3.
Sur le bruit de la collision entre le sous-marin et les funes du
chalutier
Dans son rapport en date du 1er juin 2007, Dominique SALLES conclut :
« Il est difficilement concevable que le bruit de raguage de la fune ne soit pas
entendu à bord, une coque de sous-marin excitée par le frottement résonnant
alors comme une peau de tambour »
Pourtant, dans son troisième rapport en date du 31 mars 2010, il estime :
« C’est probablement dans le cadre d'une mission de surveillance préparatoire à
un transport de plutonium devant se dérouler quelques mois plus tard, qu'un sousmarin américain :
patrouillait en Manche le 15 janvier 2004 en matinée
y a accroché une fune du chalutier
n'a sans doute pas eu conscience du naufrage »
Lorsqu’il s’agissait de récuser la thèse du sous-marin, Dominique SALLES arguait que le
bruit produit par le raguage de la fune contre la coque du sous-marin aurait nécessairement
été entendu par l’équipage. Trois ans après, il estime que le sous-marin n’a pu avoir
conscience du naufrage, soucieux de ménager les autorités américaines.
2.4.
Sur le bruit du navire sombrant
Outre le bruit du raguage, la question du son provoqué par l’implosion de la cale du
BUGALED BREIZH a été posée.
Dominique SALLES estime, dans son rapport de juillet 2008, que ce bruit n’a pas pu être
perçu par les navires alentours dans la mesure où les conditions météorologiques d’une part et
« les moyens présents sur zone » d’autre part ne le permettaient pas. Dominique SALLES
précise en effet que le seul sous-marin à proximité du naufrage – le sous-marin néerlandais
DOLFIJN – était en surface et ne pouvait percevoir le bruit.
Or, Pierre JUHEL, spécialiste de l’acoustique sous-marine, a déclaré dans une interview au
journal LIBERATION le 24 décembre 2010 :
5 « S’il y avait des navires militaires en exercice, il semble évident que leurs sonars
ont enregistré le signal de l’implosion. »
A aucun moment il ne distingue les sous-marins immergés des sous-marins naviguant en
surface. Par ailleurs, il relève :
« Mais, surtout, Français et Anglais disposent, dans cette zone, d’hydrophone
placés dans des stations d’écoute sur la terre ferme et qui enregistrent en
permanence les bruits de la mer. Logiquement, tout devrait être consigné dans
leurs enregistrements »
Ainsi, même en admettant que le DOLFJIN n’ait pu capter le bruit de l’implosion de la cale
du chalutier, les stations d’écoute terrestres française et anglaise ont nécessairement enregistré
ces sons.
Dominique SALLES affirme enfin que le bruit de l’implosion de la cale, même perçu,
n’aurait pu être identifié comme tel par les navires :
« La reconnaissance d’un bruit exige surtout qu’il ait auparavant été entendu par
les opérateurs »
Il réitère son analyse dans son rapport du 20 septembre 2012 :
« Il y a peu de chances pour que les bruits liés au naufrage eussent été
enregistrés »
Il est pourtant efficacement contredit par Pierre JUHEL qui précise dans son interview, à
propos de l’implosion sous-marine de la cale du chalutier :
« C’est justement sa rareté qui la rend aisément identifiable »
3. Le sous-marin TURBULENT est responsable du naufrage
3.1.
Sur le manque de crédibilité des informations déclassifiées
L’exclusion de la piste du HMS TURBULENT résulte de certains documents déclassifiés
selon lesquels le sous-marin était à quai à DEVONPORT le 15 janvier 2004.
A titre liminaire, il est intéressant de rappeler que Dominique SALLES maintient l’hypothèse
du sous-marin américain malgré les réponses formulées par l’US Navy. Il conçoit donc que
l’on puisse douter des informations américaines mais exclut toute dissimulation des autorités
françaises et anglaises.
6 Deux séries de documents sont présentées par l’expert comme attestant de la position du
TURBULENT.
D’une part, un message LOCATOR 1503 (GDH Q 151605Z JAN 04) rédigé par le
CECLANT à partir des informations récoltées par la frégate PRIMAUGUET désigne le
TURBULENT comme étant à quai le 15 janvier 2004. Or, il est constant que les messages
LOCATOR, rédigés à partir d’informations récoltées de sources diverses, peuvent contenir –
et contiennent souvent - des erreurs. C’est notamment le cas du message LOCATOR qui
établissait, à tort, la présence du sous-marin le TORBAY à quai le 15 janvier 2004. De même,
les messages LOCATOR 1503 et 1601 donnent une position erronée du sous-marin RUBIS à
la date du 15 janvier 2044 à 8 heures, ainsi que le reconnaît Dominique SALLES dans son
rapport du 1er juin 2007 (D2175 p. 47).
D’autre part, des messages de type SUBNOTE émis par le CTF 311 établissent la position du
TURBULENT à quai le 15 janvier 2004. Ces documents sont, malgré les explications de
Dominique SALLES, sujets à caution. En effet, trois messages se sont suivis dont chacun
modifiait le précédent, à propos d’un seul et même déplacement. Cette succession d’erreurs
apparaît pour le moins incongrue et, en tout état de cause, permet de mettre en doute la
l’authenticité des messages.
Il existe, au contraire, des documents qui attestent de la présence du TURBULENT en mer le
15 janvier. Un message émis par l’autorité CTF622 le 19 novembre 2003 (D1499) prévoit
ainsi que le sous marin ne sera pas à quai le 13 et le 15 janvier :
« 3. ETG, WRU, MERC, DOLF, TURB ANS TRBY ARE NOT PLANNED TO BE
ALONGSIDE / AT ANCHOR DURING THIS PERIOD »
Dominique SALLES, dans son rapport du 20 septembre 2012, élude cette question en
expliquant que le message a dû être amendé après son émission (p. 24 du rapport).
En vérité, l’expert ne démontre jamais que le message a effectivement été modifié. Il relève
simplement la faisabilité technique d’une telle modification.
Pourtant, la situation des autres sous-marins cités tels que le DOLFIJN et le TORBAY,
effectivement en mer les 14 et 15 janvier 2004, porte à croire que le message n’a jamais été
amendé.
En tout état de cause et en l’absence de message rectificatif, il possède donc la même valeur
probante que les messages SUBNOTE précités.
Plus largement, il est édifiant de constater que les informations qui permettent d’écarter la
piste du HMS TURBULENT (documents déclassifiés de l’OTAN et des autorités
britanniques) proviennent précisément des entités mises en cause. En d’autres termes, l’expert
fonde ses conclusions sur les réponses données par les suspects.
7 Or, les autorités ont déjà menti en niant les manœuvres sous-marines à proximité du lieu du
naufrage. Elles ont également menti par omission en ne filmant qu’un côté de l’épave du
BUGALED BREIZH et en inventant la thèse du cargo voyou.
Dans une affaire où la raison d’Etat et le secret-défense priment sur la recherche de la vérité,
les informations délivrées par les autorités militaires devraient être considérées avec
circonspection.
Les informations sur lesquelles se fonde l’exclusion de la piste du HMS TURBULENT
ne sont pas crédibles :
Ø
Elles proviennent d’autorités directement mises en cause.
Ø
Elles proviennent d’autorités dont la mauvaise volonté, voire les
mensonges, ont été établis.
Ø
Elles contiennent des erreurs factuelles et des contradictions.
Ø
Elles sont parcellaires car les pièces essentielles n’ont pu être consultées
par les parties civiles.
3.2.
Sur l’existence d’éléments incriminant le HMS TURBULENT
De nombreux éléments, déjà soulevés par les parties civiles, tendent à établir l’implication du
TURBULENT dans le naufrage du chalutier. Les réponses apportées par Dominique SALLES
ne suffisent pas à les écarter.
3.2.1. Le témoignage du commandant du sous-marin
britannique TORBAY
Mark COOPER, le commandant du sous-marin britannique TORBAY a affirmé lors de son
audition que le TURBULENT était en mer au mois de janvier 2004, dans le cadre de
l’exercice ASWEX 04 (D2043) :
« Au mois de janvier 2004, HMS TORBAY participait à l'exercice ASWEX 04
avec d'autres navires HMS TURBULENT, un sous-marin hollandais et un sous
marin français » (D2043)
Ces propos n’ont jamais fait l’objet d’investigations complémentaires et Dominique SALLES
a arbitrairement estimé que le commandant du sous-marin TORBAY faisait erreur, pour la
seule raison que ses propos invalidaient sa thèse.
3.2.2. L’article publié sur le site Navy News
8 Un article publié sur le site Navy News le 14 septembre 2004 et repris dans le rapport de
Dominique SALLES en date du 20 septembre 2012 (p. 18) revient sur les activités du sousmarin TURBULENT :
« L'année dernière [2003], le Turbulent a navigué pendant dix mois, prenant part
à des opérations au large de l'Irak, et la période de Noël a été particulièrement
occupée car bâtiment et équipage se sont préparés pour ce [nouveau]
déploiement d'importance (1).
Une partie de Janvier [2004] a été consacrée à démontrer la disponibilité du
bâtiment (à l'autorité en charge de l'entraînement de la Flotte -Flag Officer Sea
training-) (2). L'un des exercices consistait se rapprocher, sans se faire détecter,
d'un groupe de bâtiments en exercice au large de la Cornouaille (3).
Le déploiement débuta sous de mauvais auspices quand le transfert de personnel
qui devait être conduit sous Plymouth fut annulé en raison de coups de vent, des
bittes d'amarrage du Turbulent ayant également subi quelques dommages (4).
Le sous-marin fit alors route au Sud, les bittes furent réparées par les
mécaniciens du bord dans les eaux calmes de la baie de Gibraltar où le transfert
de personnel reporté y fut accompli. »
Cet article, recoupé avec les pièces du dossier, permet d’établir une chronologie des
évènements relatifs au TURBULENT.
De novembre 2003 jusqu’au mois de janvier, le sous-marin est resté à quai. Une partie de
janvier a par la suite été consacrée à « démontrer la disponibilité du bâtiment ». Dans le cadre
de cette activité, le sous-marin a notamment reçu pour mission d’infiltrer secrètement des
bâtiments en exercice au large de la Cornouaille. Il était prévu qu’il participe, à partir du 16
janvier, à l’exercice ASWEX 04 mais à finalement dû être remorqué le 16 janvier 2004 dans
la matinée suite à une avarie.
Cette chronologie atteste donc que, d’une part, le TURBULENT n’était pas à quai
avant le 16 janvier mais menait une mission d’infiltration au large des côtes
britanniques et, d’autre part, qu’une avarie survenue entre le début de cet exercice et le
16 janvier, a nécessité son remorquage.
La concordance temporelle et spatiale entre ces éléments et le naufrage du BUGALED
BREIZH mettent indéniablement en évidence la possible implication du TURBULENT.
Dominique SALLES, dans son rapport du 20 septembre 2012, s’efforce de démentir ces
éléments. A cette fin, il suppose que la mission d’infiltration visait en fait les bâtiments
participant à l’exercice ASWEX 04. Elle aurait donc nécessairement eu lieu postérieurement
au début de l’exercice, le 16 janvier 2004, soit deux jours après le naufrage du chalutier.
Or, rien ne permet de dire, dans l’article Navy News, que la mission visait à infiltrer des
bâtiments impliqués dans l’exercice ASWEX 04 et non un autre exercice naval. Dominique
9 SALLES admet à ce titre qu’il s’agit d’une simple hypothèse, en précisant : « s'il a concerné
les bâtiments participant à l'exercice ASWEX04 ».
Il est d’ailleurs peu probable que l’exercice naval désigné soit effectivement l’exercice
ASWEX 04 dans la mesure où le TURBULENT devait, dès le 16 janvier, prendre part à cet
exercice. Comment aurait-il pu, dans le même temps, participer à un exercice naval et s’en
rapprocher secrètement sans se faire repérer ?
Encore une fois, les propos de Dominique SALLES ne satisfont pas aux exigences
élémentaires d’objectivité. Il manipule les faits et la chronologie des évènements afin qu’ils
correspondent aux informations déclassifiées par les autorités militaires.
3.2.3. Sur les aveux du commandant du sous-marin
TURBULENT
Thierry LEMETAYER a rapporté lors de son audition un témoignage essentiel. Andrew
COLES, en mauvaise santé morale suite au naufrage de l’ASTUTE (sous-marin anglais dont
il assurait le commandement), aurait confié à un journaliste sa responsabilité dans le naufrage
du chalutier.
Si ce témoin refuse pour l’instant de révéler son identité, les propos de Paul AMAR dans
l’émission « Revu et Corrigé » attestent de la véracité des propos rapportés.
"Une journaliste est en train de mener une enquête et qui laisse entendre que le
commandant de ce fameux sous-marin "LE TURBULENT" qui était
manifestement en zone serait prêt à parler". (D2928)
3.2.4. Sur les propos tenus par Jean-Yves LE DRIAN
Le ministre de la Défense, Jean-Yves LE DRIAN, a déclaré lors d’une interview à la chaîne
de télévision FRANCE 3 BRETAGNE le 19 janvier 2013 :
10 « Les anglais n’ont pas tout dit » (http://bretagne.france3.fr/2013/01/19/jean-yves-ledrian-nous-alertons-ma-communaute-internationale-depuis-fin-septembre-sur-le-mali183919.html)
Ces propos ne sont pas anodins, alors que plusieurs indices font ressortir l’implication du
sous-marin TURBULENT. Ils supposent que les autorités anglaises ont menti, par action ou
par omission, afin de dissimuler leur responsabilité.
3.2.5. Sur la position et l’implication du sous-marin RUBIS
Le 11 décembre 2010, le journal LE MATIN a publié le témoignage d’une personne
possédant « une parfaite connaissance du monde militaire, et particulièrement de celui des
sous-marins ». Elle affirme qu’un sous-marin anglais était, le jour du naufrage, en exercice
avec le sous-marin nucléaire d’attaque français RUBIS, les deux submersibles s’apprêtant à
participer à l’exercice de l’Otan ASWEX 04 qui commençait le lendemain.
Ce témoignage est corroboré par l’audition de Christophe LABBE dans laquelle il déclare
qu’un second témoin lui a confié qu’un sous-français était en exercice avec un sous-marin
anglais le jour du naufrage. Le sous-marin anglais aurait mis fin l’exercice après qu’un bruit
non-identifié ait été perçu :
« A l'origine, j'ai eu des informations par une source fiable qui m'avait indiqué que le jour
du naufrage l'équipage du Rubis était en exercice avec un SNA britannique dont il ne
m'avait pas donné l'identité. Soudainement, le submersible britannique avait mis fin à sa
chasse après qu'un bruit non identifié ait été perçu.» (D3002)
Le bruit en question aurait d’ailleurs, selon cette source, été enregistré par le sous-marin
RUBIS:
« Ma source ne m'a pas rapporté que c'était sur le livre de bord que les faits avaient
été consignés mais que tous les événements étaient systématiquement consignés et
que cela avait été le cas pour le bruit non identifié. » (D3003)
Ces éléments confortent les charges pesant sur le TURBULENT.
Ils sont en revanche en contradiction avec le journal de bord du RUBIS selon lequel le sousmarin se situait, le 15 janvier 2004, en pleine mer à 280 milles nautiques du naufrage.
Pourtant, le même livre de bord contient une note manuscrite rédigée le jour du naufrage par
le commandant du sous-marin François SAVY :
« Poursuivre le transit en effectuant une veille pêcheurs attentive »
11 Pourquoi, alors qu’un sous-marin en plongée ne reçoit qu’un minimum d’information
indispensable à sa mission, le commandant du RUBIS s’intéresse-t-il subitement le soir
du naufrage aux bateaux de pêche ? Aucune mention de cette nature ne figure dans les
centaines de pages des journaux déclassifiés et placés sous scellés.
Mais surtout, si le RUBIS est là où il prétend être, à 280 milles nautiques du naufrage
dans les grands fonds de l’Atlantique, l’observation du commandant ne trouve aucune
explication rationnelle. Il n’y a en effet aucun bateau de pêche dans cette zone de près de
3000 mètres de fond.
4. Sur la nécessaire audition des parties civiles
Aucune audition des parties civiles n’a été effectuée depuis plusieurs années..
Les parties civiles, dont la quête de vérité, préalable indispensable à un travail de deuil, est
suspendue à l’issue de l’information judiciaire depuis près de dix ans, souhaitent être
informées de l’état des investigations. Elles souhaitent également comprendre pourquoi votre
juridiction envisage de s’incliner devant la raison d’état malgré tous les éléments à charge
rappelés dans la présente note. Elles souhaitent enfin vous convaincre que toutes les pistes
n’ont pas été explorées.
C’est pourquoi elles vous demandent de les convoquer, conformément à l’article 90-1 du
Code de procédure pénale.
Au regard de ce qui précède et afin d’établir définitivement la responsabilité du sousmarin TURBULENT, il est nécessaire de procéder à plusieurs actes d’investigation:
1. La confrontation entre le commandant du PRIMAUGUET et de l’expert en
acoustique sous-marine Pierre JUEHL.
2. L’audition de Mark COOPER, commandant du sous-marin TORBAY à l’époque
des faits.
3. L’audition du commandant du sous-marin français RUBIS, en poste en janvier
2004.
4. L’audition de certains membres de l’équipage du TURBULENT à l’époque des
faits, choisis aléatoirement par les juges d’instruction à partir d’une liste qui leur
aura été remise et comportant des marins ayant quitté la Royal Navy.
12 5. La confrontation entre le Commandant COLES et Thierry LEMETAYER.
6. L’audition du ministre de la Défense Jean-Yves LE DRIAN
7. Une expertise de la base de données du sous-marin RUBIS sur laquelle figurent
nécessairement tous les bruits enregistrés le 15 janvier 2004.
8. L’organisation d’une réunion d’information des parties civiles
PAR CES MOTIFS
Vu les dispositions des articles préliminaires, 81, 82-1 et 90-1du Code de procédure pénale
Faire droit aux présentes demandes.
Fait à Paris, le 30 septembre 2013
Dominique TRICAUD
Avocat à la cour
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