Compte-rendu de l`audition de Marie
Transcription
Compte-rendu de l`audition de Marie
Audition de Marie-France Hirigoyen Le 17 mai 2010 Il semble à Marie-France HIRIGOYEN que des études statistiques au-delà de la souffrance individuelle doivent permettre de repérer ce qui, dans une situation de travail, impacte la plupart des gens la plupart du temps, tout en tenant compte du fait que tous les individus ne sont pas affectés de la même façon par les mêmes éléments. Évaluer quoi ? • Uniquement les souffrances des salariés ? • Les stresseurs, facteurs de risque ? • Les souffrances au regard des mesures prises ? • Les souffrances au regard du mode de management ? En ce qui concerne le stress, des échelles scientifiques validées permettent de connaître, de façon relativement objective : • la réalité du stress au sein de l'entreprise, • les facteurs de stress liés à l'organisation du travail. Mais, en ce qui concerne le harcèlement moral au travail (HMW), les choses sont beaucoup plus complexes. Marie-France HIRIGOYEN rappelle que la définition du HMW, tout comme la définition du stress, est une définition double. Dans la définition donnée par Selye, le stress se compose à la fois des stresseurs et des conséquences de l'action de ces stresseurs sur l'organisme. Pour la définition du HMW, c'est la même chose : le HMW est fait d'agissements abusifs et de leurs conséquences sur la santé des personnes. D'où la difficulté pour le mesurer. D’après Marie-France HIRIGOYEN, nous manquons d’études sur les liens entre la souffrance au travail et les modes de management, les mesures déjà prises, les évolutions. Il est important de faire des liens entre ces modes de management, les facteurs de risques et la santé : cela permettrait d’aller plus loin que les mesures de gestion du stress, qu’elle considère comme inefficaces. Un point important dans la souffrance, et également dans le harcèlement, est que la plupart des gens ont envie de bien travailler, mais qu’ils ont une désillusion rapide de ce point de vue et que cette désillusion est un facteur de souffrance qui est différent du stress. Par ailleurs, la définition scientifique du HMW est différente de la définition juridique. Sa définition est constituée d’agissements malveillants qui ont des conséquences sur la santé ou la dignité ; et la notion même de conséquences sur la santé et sur la dignité implique que des éléments personnels entrent en ligne de compte. Il s'agit d'un phénomène subjectif, tout le monde ne réagit pas de la même façon face à des agissements hostiles. Une autre problématique vient du fait que désormais en France et dans les quelques pays où il y a une loi spécifique, le HMW est devenu un terme juridique. Dans une situation de souffrance au travail, parler de HMW devient une accusation, or ce n'est qu'au terme d'une enquête que l'on saura s'il s'agit vraiment de HMW. Dès lors, cette particularité française est gênante pour les études scientifiques et notamment les questionnaires. Il conviendrait de trouver un terme plus global, infrajuridique, plus vaste que le harcèlement moral 1 juridiquement défini. « Violence » pourrait peut-être convenir, ou un terme qui inclut d’autres violences. Il n'existe pas actuellement en France d'outil de mesure du HMW qui en explore toutes les dimensions. Le diagnostic est le plus souvent porté au décours d'audit de stress ou d'entretiens cliniques auxquels on associe souvent des questionnaires de dépistage des agissements malveillants, ou bien c'est la justice qui tranche quand la personne porte plainte directement. Outils à notre disposition Parmi les questionnaires de dépistage des agissements malveillants, le plus utilisé est le Negative acts questionnaire NAQ. Il s'agit d'un outil qui a été mis au point en 1997 par Einersen en Norvège. Il est composé de 22 questions qui visent à objectiver le harcèlement moral via la nature des agissements qui peuvent être harcelants s'ils se présentent de façon régulière et répétée. Cependant une difficulté vient de ce que les agissements caractérisant le HMW font appel à des notions subjectives de l'ordre du ressenti, et que par ailleurs ils peuvent se retrouver dans d'autres types de souffrance au travail ne relevant pas de situations de HMW. D'autre part ce questionnaire de dépistage des agissements malveillants ne tient pas compte du contexte professionnel qui a permis la mise en place de ces procédés, et ne tient pas compte non plus de la personnalité et de l'éventuelle vulnérabilité de la victime. Dans son guide du HMW publié en janvier 2005 et qui avait été présenté par Elisabeth Bukspan au congrès de l'IAWBH de Dublin en 2006, le ministère de la défense proposait l'utilisation de 14 référentiels répartis en trois groupes : 1) Les éléments établis susceptibles de causer les effets décrits dans les référentiels 2 et 3 • Agissements hostiles • Caractère répétitif des agissements hostiles • Dégradation des conditions de travail 2) Les effets constatés ou non par des éléments décrits dans les référentiels 1 à 3 • Atteinte aux droits • Atteinte à la dignité • Altération de la santé physique ou mentale • Compromission de l'avenir professionnel 3) Ensemble des facteurs constitutifs à la dégradation d'une situation de travail • Conditions matérielles du travail (commune) • Conditions sociales du travail (commune) • Relations sur le lieu de travail (commune) • Organisation du travail (commune) • Activité professionnelle (personne concernée) • Intégration professionnelle (personne concernée) 2 • Situation sociale (personne concernée) L'intérêt de ce modèle est de reprendre les critères de la loi en y adjoignant des critères relatifs à la victime, à l'agresseur et à la structure professionnelle. Guide de diagnostic de Liège Daniel Faulx et Sophie Delvaux, de la faculté de psychologie sociale des groupes et des organisations de Liège, ont développé un guide de diagnostic des cas de souffrance relationnelle au travail. Ils proposent de faire une évaluation en plusieurs étapes: 1) Évaluation de la souffrance, en particulier par une échelle de PTSD 2) Identification des faits violents a. Fréquence et durée b. Typicité c. Variété d. Gravité (jugé tel par autres personnes) e. Discrimination ou non f. Non écologique (l'activité professionnelle ne justifie pas ce comportement) 3) Niveau auquel ces violences ont lieu (sans oublier d'analyser le contexte) a. interpersonnel b. groupal c. organisationnel 4) Type de relation a. Complémentaires : HMW et emprise b. Symétriques : conflits interpersonnels et hyperconflit Ce qu'il faudrait faire Il serait important de construire un outil de diagnostic du HMW qui en explore toutes les dimensions car pour le moment nous n'avons à notre disposition que les questionnaires relatifs au stress (Karasek, Siegrist…) Un diagnostic de harcèlement moral doit se reposer non seulement sur un faisceau d'indices se rapportant à la victime présumée, mais également à l'auteur des agressions et aux caractéristiques de l'entreprise. Si on veut faire réellement de la prévention de la violence ou du harcèlement, ce qu'il faudrait ce serait d'arriver à repérer des signaux faibles. Il apparaît à Marie-France HIRIGOYEN que ces signes ne se superposent pas à ceux du stress ou du burn-out. Par exemple, la surcharge de travail ne lui paraît pas un élément pertinent. Ces signes seraient plutôt : • Le manque de dialogue, • La dureté des relations, 3 • Le manque de reconnaissance et de respect, • Le manque de sens. Le problème de la subjectivité Une difficulté pour définir le HMW tient à la subjectivité des faits. Toutes les personnes qui se disent harcelées ne le sont pas forcément. Certains font la confusion de bonne foi parce qu'ils souffrent réellement sur leur lieu de travail et qu'ils n'arrivent pas à se faire entendre, d'autre profitent de la médiatisation de ce concept pour essayer d’obtenir un avantage matériel ou pour disqualifier quelqu'un. Déterminer la réalité du HMW nécessite une connaissance approfondie des structures de personnalités afin de repérer les fausses victimes : • L'espoir de gagner le jackpot : la moitié des salariés qui attaquent leur employeur pour licenciement abusif devant les Prud’hommes réclament des dommages et intérêts pour harcèlement moral. • D'autres salariés trouvent avec le concept de harcèlement moral une opportunité de régler des comptes avec leur hiérarchie parce qu’ils ne sont pas satisfaits de leur travail. Ce sont souvent les mêmes qui tentent ainsi d'obtenir un avantage matériel à se poser en victime. • On rencontre également des individus pervers qui essaient de retourner la situation en accusant un collègue ou un supérieur pour mieux masquer leurs agissements et se poser en victime afin de disqualifier l'autre. • Les paranoïaques qui délirent avec ce qui se présente dans l'air du temps trouveront là un support crédible à leur sentiment de persécution. • Il est des salariés qui ont une hypersensibilité qui confine au sentiment de persécution. Ce sont des victimes perpétuelles qui se sentent perpétuellement agressées, dans le registre de ce que les psychiatres appellent la sensitivité. Marie-France HIRIGOYEN cite également le cas particulier des harcelés qui deviennent harceleurs et qui veulent se venger d'une situation qui a été réglée par l'organisation. Il peut se faire que dans les réponses à des questionnaires, les personnes répondent par une hypersensibilité, mais il ne faut pas considérer cette dernière comme un biais. C’est un phénomène qui se développe sous l’influence d’évolutions sociales extérieures : les personnes hypersensibles le sont en réaction au monde du travail moderne. Il ne faut donc pas corriger cette hypersensibilité au prétexte que ce serait un biais. En effet notre socité est caractérisée par : • L'individualisme, • Le refus du conflit qui correspond en fait à un refus de l'altérité, • Une adaptabilité permanente, • Le cynisme : la dégradation du travail rend la réussite professionnelle de moins en moins dépendante de la compétence et beaucoup plus de la chance ou de l’opportunisme. Il ne suffit plus désormais de travailler et d’apporter de bons résultats, il faut aussi se montrer, se faire mieux apprécier, faire marcher son réseau. 4 On constate aussi une banalisation des comportements pervers : on attache de moins en moins d’importance à l’autre et on se déresponsabilise. En cas de problème, on ne se remet pas en question, on en attribue la responsabilité à un tiers. Conséquences sur la santé Dans un premier temps, les vraies victimes ressentent un malaise, mais ne l’identifient pas immédiatement comme du harcèlement. Par contre, si elles s’en ouvrent à un médecin du travail, celui-ci pourrait le repérer comme harcèlement moral. On pourrait dire que le HMW évolue en deux phases : • une phase d'alerte ; • une phase de décompensation. Pendant la phase d'alerte, on retrouve essentiellement des signes cliniques dans le registre de l'anxiété et de la dépression qui peuvent être évalué par l'échelle HAD qui mesure l'anxiété et la dépression. Mais trop souvent, le diagnostic n'est fait qu'à la phase de décompensation. A ce stade on retrouve une symptomatologie de stress post-traumatique (ESPT) avec un syndrome de répétition, des symptômes d'évitement et des symptômes d'hyper vigilance (cf. DSM IV). Pourtant, certaines personnes peuvent développer un ESPT à la suite d'une situation de travail pénible, sans que ce soit du HMW, qui réveille chez elles des traumatismes antérieurs. L'ESPT ne constitue donc pas une preuve de HMW. La prévention La prévention peut porter sur l’évitement des situations à risque quand c’est possible, et sur un accroissement de la vigilance. Il est éventuellement possible de repérer le harcèlement par des signaux indirects en évolution de l’absentéisme, des demandes de mutation et également, en statique, par la mauvaise ambiance. Les situations repérables précocement pourraient être appelées « incidents critiques », comme dans la police américaine, par exemple. Pour ce qui est de la prévention, le harcèlement est souvent lié à des situations de changement de personnes, des retours de formation par exemple, ou des restructurations. Tout ceci crée une confusion facilitant l’action des pervers et qui d’autre part inquiète tout le monde, donc favorise les situations d’isolement des personnes qui se trouvent harcelées. Le harcèlement vient donc avant tout de changements, y compris des changements culturels, des changements de management, qui viennent heurter l’envie des personnes de bien travailler en accord avec leurs valeurs. En revanche, il n’y aurait pas de lien entre le harcèlement et la durée des relations : le harcèlement n’est pas quelque chose qui se constitue au fil du temps. On peut s'étonner que ces signaux n’alertent pas systématiquement les hiérarchies. Il est vrai que certaines grandes entreprises ont réagi car la santé des salariés est pour eux un enjeu, même si ce n'est que pour des raisons économiques, mais la vraie difficulté se situe dans les petites entreprises familiales, où les recours pour les salariés sont plus difficiles, et où le harcèlement est souvent dans le registre de l’emprise, souvent par manque d’éducation au management. Dans les grandes entreprises, les relations d’emprise correspondent clairement à 5 un type de personnalité de la part du harceleur : manipulateur, stratège, avide de pouvoir, et difficile à reconnaître. Dans ce cas on y trouve aussi du harcèlement sexuel. Michel GOLLAC demande à Marie-France HIRIGOYEN si une victime de harcèlement peut s’identifier comme telle sans en souffrir. Selon Marie-France HIRIGOYEN, cela n’entre alors pas dans la définition du harcèlement. En outre, la situation n’est pas fréquente ; on rencontre plutôt des personnes qui savent que le harcèlement dont elles sont l’objet est transitoire (le harceleur étant de passage), et qui y puisent les raisons de résister. Une personne peut aussi bien résister si elle n’est pas visée personnellement, mais en tant que membre d’un groupe (un syndicat…) ; mais là encore, ce n’est pas du harcèlement au sens juridique, même si cela peut l’être pour un psychiatre. C’est plutôt dans le registre du conflit. 6
Documents pareils
Prévenir et gérer le harcèlement moral au travail (HMW) Marie
raison garder et finalement il y a peu de décisions qui aboutissent.
• D’autres salariés trouvent avec le concept de HM une opportunité de régler des
comptes avec leur hiérarchie parce qu’ils ne so...