Liant géopolymère pour système constructif bois/terre-crue

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Liant géopolymère pour système constructif bois/terre-crue
Liant
géopolymère
pour
système
constructif bois/terre-crue : caractérisation
mécanique de l’assemblage
F. Gouny 1, F. Fouchal2, P. Maillard3, O. Pop4 et S. Rossignol5
1
[email protected]
2
[email protected].
3
[email protected]
4
[email protected]
5
[email protected]
Prix Jeunes Chercheurs « René Houpert »
RÉSUMÉ. Avec la prise de conscience de l’enjeu environnemental, l’utilisation de
matériaux de construction respectueux de l’environnement est devenue évidente. Les systèmes
constructifs associant le bois et la terre peuvent montrer des défauts d’interface avec le temps
du à leur propriété hygroscopique. Cette étude porte sur la caractérisation mécanique d’un
assemblage de bois et de terre lié par un liant géopolymère. Des essais d’arrachement et de
double cisaillement ont été réalisés et ont mis en évidence la capacité du liant à lier ces deux
matériaux. Les résultats montrent que la nature de la brique est très active sur le
comportement mécanique de l’assemblage ce que confirme l’analyse par corrélation d’image
des essais de cisaillement.
ABSTRACT. Construction system as timber frame construction with earth brick infill
presents cracks defect at their interface due to their hygroscopic behavior. This study
evaluates the mechanical behavior of an assembly of wood and earth bonded by a geopolymer
binder. Shear and pull-out test have put in evidence the ability of the binder to link these
materials. Results show that the nature of the brick is very influent on the mechanical
behavior of the assembly which is in agreement with the digital image correlation analysis.
MOTS-CLÉS: Terre crue, ossature bois, géopolymère, arrachement, cisaillement,
corrélation d’image.
KEY WORDS:
correlation.
Earth brick, timber frame, geopolymer, shear test, pullout test, digital image
1. Introduction
Dans le cadre de la politique de développement durable, la diminution des
consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre est un réel
enjeu. En France, le secteur du bâtiment est le plus important consommateur
d’énergie et représente plus de 40% de l’énergie finale totale et près de 25% des
émissions nationales de gaz à effet de serre [RT 2012]. Il constitue donc un levier
majeur sur plusieurs aspects dans l’atteinte des objectifs environnementaux fixés. La
recherche de matériaux moins énergivores ou le développement de systèmes
constructifs respectueux de l’environnement font l’objet de nombreuses études.
Dans ce contexte, l’association de deux matériaux tels que la terre crue et le bois
semble une solution prometteuse pour la construction de maison individuelle à bas
cout énergétique [MOR 05]. Aujourd’hui, les performances thermiques du bâtiment
ne sont plus les seules préoccupations des architectes, le confort et la qualité de l’air
intérieure font l’objet de plus en plus d’intérêts. Le bois comme la terre possèdent de
nombreuses qualités : ils nécessitent tous deux peu d’énergie pour leur fabrication,
le bois en plus d’apporter sa légèreté et sa résistance à la structure répond aux
contraintes de qualité de l’air intérieur. La terre amène son inertie et sa capacité à
réguler l’humidité à l’assemblage [CRA 06]. Cependant, l’assemblage de ces deux
matériaux souligne certains problèmes notamment aux interfaces entre le bois et la
terre où des fissurations apparaissent au cours de l’enchainement des saisons et des
variations climatiques. En effet, ces matériaux hygroscopiques présentent des
différences de dilatation qui conduisent à des fissurations provoquant une
diminution des performances énergétiques et de résistance du bâtiment en plus des
problèmes d’esthétique. Afin d’éliminer les fissurations produites aux interfaces dû
aux phénomènes de retrait/gonflement, l’utilisation d’un liant géopolymère en tant
que matériau d’interface apparait comme une solution innovante. En effet, la mousse
géopolymère synthétisée a la capacité d’adhérer sur le bois et la terre [PRU 10].
Néanmoins, la caractérisation des comportements mécanique, thermique et hydrique
des matériaux ainsi que leur assemblage est primordial afin de concevoir un système
constructif fiable et stable.
Afin de répondre à cette problématique, l’objectif du travail est de concevoir un
matériau multi-échelle, à partir du développement d’un liant géopolymère. Dans
cette étude, il sera présenté le protocole de synthèse du liant géopolymère utilisé
ainsi que les résultats sur les performances mécaniques en cisaillement et en
arrachement de l’assemblage des trois matériaux. La taille des éprouvettes est à
l’échelle du cm. Deux types de briques de terre crue (référencées B1 et B2), fournies
par des industriels et fabriquées par le procédé d’extrusion ont été testés.
2. Partie expérimentale:
2.1
Préparation des assemblages :
Le protocole expérimental utilisé ainsi que les quantités introduites sont issus
d’une précédente étude réalisée par Elodie Prud’homme. [PRU 10] Le mélange
réactif est obtenu en mélangeant les pastilles d’hydroxyde de potassium dissoutes
dans la solution de silicate de potassium, le métakaolin et la fumée de silice.
Des éprouvettes de cisaillement et d’arrachement ont été fabriquées à l’aide d’un
moule adapté aux contraintes imposées par les tests. La Figure 1 présente les
différentes étapes d’assemblage des éprouvettes de cisaillement et d’arrachement. La
surface de 25*50 mm2 et 45*45 mm2 pour les tests de cisaillement et d’arrachement
respectivement, ainsi que l’épaisseur de 2 mm du joint qui sépare la brique du bois
ont été contrôlées à l’aide un masque en téflon Figure (1-A). Le liant géopolymère
est ensuite coulé par le haut comme montré sur la Figure (1-B). Les échantillons
sont ensuite laissés à température ambiante au moins 24 heures jusqu’à la
consolidation de l’ensemble. Enfin, les éprouvettes sont démoulées et placées en
ambiance contrôlée (60% HR et T= 20°C).
A
B
C
6 cm
Figure I. (A) Montage initial avec masque en téflon (B) Montage final d’une
éprouvette d’essai en cisaillement (C) muret avec joint géopolymère
2.2
Technique de caractérisations
2.2.1 Test de cisaillement et d’arrachement
Des tests en double cisaillement ont été préférés afin de diminuer la contribution
des défauts de parallélisme des éprouvettes et pour se rapprocher des essais
normalisés de caractérisation de la résistance au cisaillement des mortiers de
maçonnerie (NF EN 1052-3/A1). Ces tests ont été réalisés à l’aide d’une presse
ZWICK Roell Z300. Une précharge de 50 N a été appliquée, puis l’éprouvette a été
chargée à 40% de la force maximum estimée et maintenue pendant 30 secondes.
L’échantillon a ensuite été déchargé jusqu’à 10% de la force maximum estimée et la
position a été maintenue 30 secondes. Enfin l’éprouvette a été chargée jusqu’à la
rupture à une vitesse constante de 0,1 mm/min. Les tests d’arrachement ont été
réalisés avec le même appareillage à une vitesse de chargement de 0.1mm/min.
2.2.2 Analyse par corrélation d’images
La corrélation d’image est un outil performant qui permet de mesurer les
déformations de surface d’un objet plan. Pendant l’essai, l’échantillon est filmé à
l’aide d’une caméra CDD qui enregistre à intervalle de temps réguliers une image de
sa surface. A l’aide du logiciel d’analyse CORRELA [GER 07], il est possible
d’obtenir après analyse, les champs de déplacement et les champs de déformation en
comparant les images acquises avant et après les déformations. L’échantillon doit
être plan et doit avoir une surface très contrastée, par exemple un mouchetis blanc
sur un fond noir. Une fois l’essai réalisé, une zone de calcul est définie sur les
images. Cette zone de calcul est ensuite divisée en plusieurs éléments qui constituent
la grille d’étude. Chaque élément de la grille est suivi image par image. Le logiciel
compare entre deux images enregistrées la position de chaque pixel de chaque
élément de la grille. Le déplacement est ensuite moyenné sur tous les pixels de
l’élément. Dans cette étude, la taille d’un élément est de 32x32 pixels.
3. Résultats
3.1
Faisabilité
Une étude préalable [PRU 10] a mis en évidence l’adhésion d’une mousse
géopolymère avec du bois. Des tests préliminaires de collage entre du bois et de la
terre par le liant géopolymère ont été réalisés. Ceux-ci ont montré la capacité du
liant à lier de manière forte le bois et la terre. La figure II présente des images MEB
de l’interface bois-mousse (II-A) et de l’interface terre-mousse (II-B). Ces photos
montrent la parfaite cohésion des matériaux.
De plus, la fabrication d’un muret a été entreprise et a mis en évidence un
problème de mise en œuvre. La mousse géopolymère classique synthétisée à partir
du protocole présenté précédemment a une viscosité trop faible pour être utilisée
directement dans la construction. Ainsi, l’élaboration de mortier par ajout d’agrégats
de différentes natures et différentes granulométries (sable normalisé, sable S2 et
verre) a permis d’améliorer la maniabilité. De plus, la résistance mécanique du liant
en compression a été augmentée en fonction des agrégats. Les résultats ont montrées
une évolution de la contrainte mécanique en compression de 3 à 8 MPa en fonction
du type d’agrégat alors que la mousse seule présente une valeur de 1 MPa. Il est
donc possible de contrôler la résistance mécanique du mortier en contrôlant les
ajouts introduit. Afin de mesurer et caractériser la performance du liant en tant que
matériaux d’interface, des tests d’arrachement et de cisaillement traduisant au plus
près les efforts réels ont été choisis.
A
B
Figure II: Photo MEB de l’interface : (A) bois-mousse, (B) terre-mousse.
3.2
Essais de cisaillement et d’arrachement
Les assemblages réalisés à l’échelle du laboratoire ont été testés en double
cisaillement afin d’évaluer la valeur de la force à la rupture. Les éprouvettes de
cisaillement réalisées avec la brique B1 et la brique B2 seront référencées CB1 et
CB2. La Figure (III-A, B) présente respectivement les valeurs de contraintes en
fonction de la déformation pour les assemblages CB1 et CB2.
Les résultats montrent que les assemblages CB1 et CB2 ont une rupture fragile avec
un comportement différent avant rupture. En effet, les assemblages CB1 montrent
un comportement élastique avec une rupture fragile, alors que les échantillons CB2,
présente un comportement élastique avec une forte phase d’adoucissement avant la
rupture de l’éprouvette.
Les valeurs de contrainte à la rupture mesurées sont différentes en fonction du type
de brique. La moyenne des contraintes maximum est de l’ordre de 2 MPa pour CB2
et 1, 5 MPa pour CB1. Le décrochement Figure (III-A) correspondant à une valeur
de contrainte d’environ 1 MPa pourrait coïncider à l’apparition d’une fissure dans
l’assemblage. Ceci pourrait expliquer une résistance moins importante de la brique
B1 par rapport à la brique B2 et donc l’apparition d’une fissure. De plus, la
localisation de la rupture des assemblages est également différente. Dans les deux
cas, c’est la rupture fragile du liant géopolymère qui mène à la destruction des
échantillons. Cependant, pour les assemblages CB1 une fissure est présente dans la
brique après rupture ce qui confirmerait le décrochage observé.
Des essais d’arrachement ont été réalisés sur 12 éprouvettes pour chaque
type d’assemblage afin de déterminer la résistance de l’assemblage en traction. Les
éprouvettes fabriqué avec B1 et B2 seront référencés respectivement AB1 et AB2.
Les valeurs mesurées sont différentes en fonction du type de brique utilisée soit,
pour AB1 0.18 MPa et pour AB2 0,82 MPa. L’assemblage AB2 donne une valeur
moyenne plus élevée et moins dispersée. La résistance à la traction des éprouvettes
semble directement liée à la résistance mécanique en traction de la brique ellemême. En effet quel que soit le type d’assemblage, la rupture a lieu dans la brique et
non dans le joint, la rupture est donc cohésive, le joint résiste mieux que la brique.
Après des observations visuelles, la localisation de la fissure a été observée à
l’interface d’un volume de brique dans lequel une partie du liant a pénétré. Les
briques sont poreuses et donc favorable à un ancrage mécanique. La résistance en
traction de l’assemblage est donc conditionnée par la résistance en traction de la
brique. Ceci est en accord avec les résultats de cisaillement.
2
Contrainte cisaillement (N/mm )
2,5
A
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
0,000
0,005
0,010
0,015
0,020
Déformation
2
Contrainte cisaillement (N/mm )
2,5
B
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
0,000
0,005
0,010
0,015
0,020
Déformation
Figure III. Valeurs de contrainte en fonction de la déformation pour les essais de
cisaillement : (A) CB1, (B) CB2.
3.3
Analyse de la surface par corrélation d’images
La Figure (IV-A) présente une image d’une éprouvette de double cisaillement
avant l’essai. La zone d’étude divisée en plusieurs éléments de calcul permettant
d’obtenir les déplacements de chaque élément et d’en déduire les cartographies des
déformations est représentée. La figure (IV-B, C, D) présente respectivement les
cartographies des déformations εXY pour CB2 avant la rupture, CB1 à t= 490sec et
CB1 juste avant la rupture. Pour chaque cartographie, les deux traits noir verticaux
représentent la position des joints géopolymère, la partie centrale représente la
brique et les deux parties extérieures le bois. La figure (IV-B) met en évidence une
déformation dans la brique confirmant la fissuration. Cette déformation est d’autant
plus nette avec l’augmentation de la sollicitation, comme le montre Figure (IV-C) à
t= 638 sec. De plus une nouvelle zone de déformation est observée dans le joint droit
de l’assemblage, là où intervient la rupture. Ceci montre que la fissuration de la
brique et la propagation ont eu lieu avant la déformation du joint conduisant alors à
la rupture du matériau. Dans le cas de l’assemblage CB2 (Figure IV-D) aucun
endommagement n’est observé dans la brique, seuls les joints sont déformés. Les
déformations sont accentuées avec la sollicitation jusqu’à la rupture dans le joint,
une seule cartographie est donc présentée.
A
B
joint
Joint géopolymère
joint
0.060
50
Zone
d’étude
0.050
45
0.040
Elément de
calcul
Position Y (mm)
0.030
40
0.020
35
0.010
0.000
30
-0.010
25
-0.020
-0.030
20
-0.040
15
bois
brique
-0.050
bois
5
10
15
20
25
30
35
40
Position X (mm)
C
D
joint
joint
joint
joint
0.030
0.007
50
0.005
Position Y (mm)
0.001
40
-0.001
35
-0.003
-0.005
30
-0.007
Position Y (mm)
0.003
45
50
0.020
45
0.010
0.000
40
-0.010
35
-0.020
-0.030
30
-0.040
25
-0.009
25
-0.050
-0.011
20
20
-0.060
-0.013
5
10
15
20
25
30
Position X (mm)
35
40
5
10
15
20
25
30
35
40
Position X (mm)
Figure IV. (A) schéma de la zone d’étude et des éléments de calcul,
cartographie des déformations : (B) CB2 à t=690 sec, (C) CB1 à t=495 sec et (D)
CB1 à t=638 sec.
Cette analyse permet de comprendre le comportement mécanique de
l’assemblage. Dans les deux cas, c’est le joint géopolymère qui mène à la rupture de
l’assemblage, cependant la nature de la brique à une influence sur le comportement
mécanique, notamment sur les valeurs de contrainte à rupture.
4. Conclusion
Cette étude est basée sur l’assemblage et l’adhérence d’un multi-matériau
comprenant du bois, une brique de terre crue et un liant géopolymère et a pour
objectif la caractérisation mécanique de l’assemblage en cisaillement et en
arrachement.
Les essais ont mis en évidence la capacité du liant géopolymère à lier la terre et
le bois. La nature de la brique a une influence, d’une part sur le comportement
mécanique de l’assemblage ainsi que sur les valeurs de contrainte à rupture. Cette
dernière semble conditionner la résistance mécanique de l’ensemble. Ceci est en
accord avec les tests de cisaillement et d’arrachement ainsi qu’avec les analyses par
corrélation d’images. Les assemblages avec les briques CB1 et CB2 donnent
respectivement une résistance de l’ordre de 2 MPa et 1,5 MPa en cisaillement et une
résistance moyenne de 0,18 MPa et 0,82 MPa en arrachement. La rupture est
localisée dans les deux cas dans le joint.
L’analyse par corrélation d’image est un outil performant qui à permis de mettre
en évidence l’évolution du comportement mécanique de l’assemblage pendant
l’essai.
5. Bibliographie
[GER 2007] GERMANEAU A., DOUMALIN P., DUPRÉ J.C. «Full 3D Measurement of Strain
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[MOR 05] MORTON T., STEVENSON F., TAYLOR B., CHARLTON SMITH N., «Low cost earth
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[PRU 10] PRUD’HOMME E., MICHAUD P., JOUSSEIN E., SAUVAT N., ROSSIGNOL S.,
« geomaterial foam to reinforce wood », Ceramic Engineering and Science Proceedings,
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[PRU 10] PRUD’HOMME E, MICHAUD P, JOUSSEIN E, PEYRATOUT C, SMITH A, ARRIICLACENS S, CLACENS JM, ROSSIGNOL S, « Silica fume as porogent agent in geo-materials
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[RT 2012] Réglementation thermique 2012, ISBN 978-2-35838-066-9, avril 2011.