La légende du hollandais volant
Transcription
La légende du hollandais volant
présente…. La légende du hollandais volant Une pièce de Olivier Brawand Ecrite à la prison de Champ Dollon les 18 et 19 juillet 2005 Adaptation radiophonique, le 30 janvier 2008 Avec : NARRATEUR SACHA TANDOROWSKI VAN DERBECK Liliane LITHENBERG MARIN 1 MARIN 2 MARIN 3 MARIN 4 LE MAJORDOME LE BOSCO Thomas SULLIVAN Le vieux Sam Günter (le patron du « Old Clipper ») Scène 1 Bruit de ville portuaire de l’époque. Attelages, chevaux, gens. Narrateur Novembre 1864. En cette fin de journée, les quais de New York sont noyés dans la brume, rendue encore plus dense et surnaturelle par la nuit qui gagne lentement la ville. Cliquetis des bateaux amarrés sur l’eau Les navires à l'amarrage se balancent doucement, tels des fantômes surgissant de la pénombre. Sabots sur pavés, au loin chants et bavardages d’hommes un peu ivres. -Trois marins sur un cercueil noir, Yo, ho, ho et une bouteille de rhum. Laisse moi encore un dernière espoir, Yo, ho, ho et une bouteille de rhum. Parfois crevant le silence de la nuit, un attelage précède le bruit des sabots des chevaux sur les pavés mouillés, des chants annoncent au loin les marins qui se dirigent vers une taverne ou qui regagnent le bord de leur navire le ventre rempli de rhum. La ville, pourtant habituellement agitée par ses milliers d'âmes venues de tous les horizons du monde, semble étrangement endormie dans le froid, la nuit et la brume. Rien ne laisse deviner que cette jeune nation connaît des temps instables, qu’elle vit une guerre fratricide entre le Nord et le Sud de ses Etats. Dans l'atmosphère fantomatique de cette soirée d'automne, un couple se dirige vers un navire à quai. Sacha Tandorowski Oh là du navire ! Le capitaine Van Derbeck est-il à bord ? Marin 1 Oui, monsieur, que puis-je pour votre service ? Sacha Tandorowski Veuillez lui annoncer que Monsieur Sacha Tandorowski et Mademoiselle Liliane Lithenberg demandent l'autorisation de monter à bord pour s'entretenir avec lui. Marin 1 J'y vais de ce pas Monsieur. Veuillez patienter un instant. La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Des pas sur plancher Narrateur Deux minutes plus tard, l'homme de quart réapparaît en compagnie du capitaine van Derbeck Des pas sur plancher Van Derbeck Vous m'avez fait demander ? Sacha Tandorowski Oui, ma compagne et moi-même désirons monter à bord pour nous entretenir avec vous. Van Derbeck Autorisation accordée. Des pas, ils montent à bord. Bruit d’eau. Narrateur Monsieur Tandorowski s'engage sur la passerelle, tout en guidant de la main sa compagne, qui lui emboîte le pas. Arrivés à bord, les deux hommes se saluent. Van Derbeck Mademoiselle ! Narrateur Le capitaine baise galamment la main de la jeune femme, tandis que l'homme de quart s'efface discrètement. Liliane Lithenberg Capitaine. Narrateur Le fiancé, Sacha Tandorowski, est un homme jeune quoiqu'il soit difficile de lui donner un âge : une trentaine probablement. De grande taille et d’une extrême finesse qu'accentue encore son élégant costume à rayures. Il étonne par un visage d'une pâleur que l'on aurait pu croire maladive, si ses yeux d'un noir profond n'étaient aussi vivaces que les flammes d'un feu de bois, excité par le soufflet de la forge. Liliane Lithenberg, jeune femme d'une grande beauté, doit avoir une petite vingtaine d'années. Ses cheveux d’un roux clair tombent en cascades bouclées sur ses fines épaules et donnent à son port de tête une noblesse naturelle. Une extrême douceur émane de sa personne, ce qui lui donne un air délicat, presque fragile. Quant au capitaine van Derbeck, c’est un solide marin d'origine hollandaise d'une quarantaine d'années. Il porte l'uniforme avec élégance. Dans son visage, bronzé et buriné par la mer et ses embruns, sont enchâssés deux yeux verts et vifs : le tout cerné par une abondante chevelure et un collier de barbe soigné d'un roux poivre et sel. Van Derbeck Si vous voulez bien me suivre dans mes quartiers. Pas sur plancher, portes, chaises. Narrateur Le jeune couple suit le capitaine dans le carré des officiers. Ils s'installent à table. Le capitaine leur propose à boire avant de s'asseoir face à eux. Van Derbeck Alors, dites moi, que puis-je pour vous ? Sacha Tandorowski Nous sommes passés à vos bureaux de Southampton, où votre directeur Monsieur Bright nous a donné vos dates de mouillage au port de New York. J’ai réglé pour Mademoiselle Lithenberg ici présente le passage à votre bord, pour un voyage devant la conduire de New York à Los Angeles, par le Cap Horn. Bruit d’une lettre qu’on ouvre Liliane Lithenberg Tenez, voici d'ailleurs le courrier que vous adresse votre directeur, certifiant que les modalités financières de ce voyage sont réglées. Narrateur Le capitaine Van Derbeck lit rapidement la lettre que lui tend Liliane Lithenberg Van Derbeck 2 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Votre demande est assez inhabituelle, mais… ce document est parfaitement en règle. Si notre directeur, Monsieur Bright a estimé que Mademoiselle Lithenberg était en mesure d'effectuer ce voyage, je ne peux que m’incliner face à cette décision. Narrateur Il marque une pause, se lève, va à la table à cartes, en prend une et revient s’asseoir. Pas, bruit de papier, pas, bruit de chaise Van Derbeck Mais je me dois de vous informer, Mademoiselle, des risques d'un tel voyage. Il est long et périlleux. Liliane Lithenberg N’ayez crainte capitaine. Je suis parfaitement consciente que ce voyage s’effectue sur un navir de lignes commerciales, et non dans un salon de thé anglais. Van Derbeck Humm…, soit, mais nous allons passer trois mois en mer, doubler le Cap Horn en passant par le détroit de Magellan, lieu que nous autres marins nommons « les 40ème rugissants et les 50ème hurlants »… Il prend son temps, déplie la carte. …car là – voyez sur la carte - nous arrivons au point de jonction de trois océans, l'Atlantique, l'Antarctique et le Pacifique. En ces lieux, règnent le froid, le vent et la glace pour trois cent jours de tempête par année. Pour les marins aguerris, ces lieux sont leurs pires cauchemars… Liliane Lithenberg Se sera là une magnifique occasion d’étraîner le manteau que nous fîmes faires dans les peau de loups que nous avons abattus lors de notre dernière chasse en Sibérie ! Tape légèrement sur la table pour souligner ses dires. Van Derbeck Songer tout de même, Monsieur Tandorowski ce qu'un tel voyage peut représenter de périls pour une jeune femme ! Sacha Tandorowski Nous sommes parfaitement au courant des risques d'un tel voyage, mais la traversée du continent Nord américain est encore plus périlleuse par les voies terrestres. Entre la guerre civile qui déchire le pays, les bandits, les déserteurs et les Indiens, nous pensons que les enfers glacés des mers du Sud sont préférables. Van Derbeck Il est vrai que par les temps instables que nous vivons dans cette partie du monde, la traversée du continent par les voies terrestres est encore bien moins prévisible que par les océans. Sacha Tandorowski N’est-ce pas ! Or, il se trouve que ma fiancée doit se trouver absolument à Los Angeles pour le printemps. Nous avons des affaires de famille à y régler. Liliane Lithenberg en insistant pour en souligner le mot Impérativement ! Sacha Tandorowski Quant à moi… Van Derbeck Quant à vous ? Sacha Tandorowski …je l'y rejoindrai l'automne prochain pour que nous puissions nous marier. Mais dans l'immédiat, Mademoiselle Lithenberg devra effectuer le voyage seule. J'ai encore des affaires importantes à régler sur la côte Est du continent. Liliane Lithenberg Et vous serez là capitaine, pour veiller au bon déroulement de ce voyage. M. Bright d’ailleurs, ne tarissait pas d’éloge sur vos qualités de marins. Van Derbeck Soit, mais je me dois de vous prévenir aussi de l'inconfort que comporte une telle expédition pour une jeune femme, seule, à bord d'un navire où il n'y a que des hommes. 3 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Sacha Tandorowski J'en suis parfaitement conscient et c'est pour cela que je vous demande solennellement de faire en sorte que tous les membres de votre équipage et vous-même naturellement vous comportiez en parfaits gentlemen vis-àvis de ma fiancée. Van Derbeck N'ayez crainte Monsieur, vous pouvez compter sur moi : les hommes de mon équipage se comporteront avec toute la courtoisie due au rang de votre future épouse. Et pour lui assurer un maximum de confort, je lui laisserai ma cabine personnelle. Quant à moi, je partagerai celle de mon second. Liliane Lithenberg Bon marin et galant homme. Se voyage s’annonce sous les meilleurs hospices. Bruits de chaise. Sacha Tandorowski Bien, tout ceci me semble parfait. Quand pensez-vous appareiller, capitaine ? Van Derbeck Nous larguons les amarres dans deux jours avec la marée du matin. Vous pouvez faire livrer les bagages de Mademoiselle Lithenberg demain dans la journée. Elle devra garder avec elle les effets qui lui sont indispensables pour le voyage, les autres trouveront place en fond de cales. Quant à vous, Mademoiselle, vous devrez impérativement vous trouver à bord ce jeudi à neuf heures. La marée n'attend pas, vous savez. Sacha Tandorowski Qu'il en soit ainsi. Mon majordome livrera les bagages de Mademoiselle Lithenberg demain dans la journée. Narrateur Tout ayant été dit, Sacha Tandorowski et Liliane Lithenberg prennent congé du capitaine et disparaissent dans la nuit, absorbés par le brouillard. Scène 2 Narrateur Le lendemain, le port de New York a retrouvé son ébullition habituelle. Sous le ciel gris et froid, s'agitent des milliers d'hommes, de mules, de chevaux comme autant de fourmis chargeant et déchargeant les ventres des navires à quai. C'est donc bien anonymement que vient se garer le long des flancs de la "Marie-Madeleine", un chariot tiré par un cheval noir et conduit par un homme de forte corpulence, au physique de monstre de foire. Il descend et se mêle à la foule des manutentionnaires dans leurs lentes et continus procession à bord du bâtiment. L’homme porte sur son dos, une lourde et encombrante malle de voyage, qui malgré son volume considérable semble aussi légère qu'un fétu de paille sur ses solides épaules. Il s'approche du bosco et s'adressa à lui : Le majordome Je suis au service de Monsieur Tandorowski. Mon maître a prévenu votre capitaine de ma venue. Je viens livrer les bagages de Mademoiselle Lithenberg. Où dois-je les déposer ? Le bosco Suivez-moi, nous allons déposer tout cela dans la cabine du capitaine. Il lui emboîte le pas, et ils vont déposer la lourde malle dans la cabine. Le majordome Ma maîtresse viendra à votre bord dès ce soir, afin d'y ranger ses affaires : elle tient à ne pas vous mettre en retard pour votre départ. Le bosco Vous pouvez la prévenir que sa cabine sera prête et que l'équipage se tient à sa disposition. Narrateur Les deux hommes prennent congé l'un de l'autre et l’homme de main se noie dans la foule. Scène 3 Narrateur 4 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ La nuit est déjà tombée quant l’homme de main conduit Sacha Tandorowski et Liliane Lithenberg au pied de la passerelle de la "Marie Madeleine". Bruit de voiture tirée par des chevaux. Le capitaine van Derbeck les attend sur le pont du navire. Bruit ambiant sur un bateau qui s’équipe pour un long voyage. Van Derbeck Soyez les bienvenus à bord de la "Marie Madeleine". Ma cabine a été préparée pour votre intimité Mademoiselle. Il hèle un homme d’équipage Matelot ! Conduisez cette demoiselle à ma cabine. Vous resterez à sa disposition tout au long de notre traversée jusqu'à Los Angeles : vous répondrez à ses questions et satisferez ses moindres besoins. Marin 2 A vos ordres capitaine. Van Derbeck Venez, Monsieur Tandorowski, allons boire un whisky dans le carré des officiers en attendant que votre fiancée ait fini de s'installer et qu’elle nous rejoigne. Pas qui s’éloignant. Narrateur Dans le carré des officiers, les deux hommes dégustent un très bon whisky anglais en fumant de savoureux cigares cubains, privilège des marins, qui, si leur vie est rude et dangereuse, profitent des meilleurs produits de la planète. Une demi-heure plus tard, Mademoiselle Lithenberg les rejoint pour partager un dernier verre avant de se séparer de son fiancé pour de long mois. Musique en tapis La nuit est déjà bien avancée quand Sacha Tandorowski embrasse une dernière fois sa fiancée au sommet de la passerelle de coupée. Sacha Tandorowski Allons, ma chère, il est tant de nous quitter. Liliane Lithenberg Prenez soins de vous mon ami ! Narrateur Enfin, il quitte le navire pour rejoindre son homme de main, qui l'attend sur le quai tel une gargouille de cathédrale, patientant à côté d’une élégante voiture attelée à un cheval noir. Claquement de fouet Majordome Hue, dia ! Attelage qui s’éloigne. Narrateur Sous le regard de la belle, l’attelage disparaît dans la nuit. On peut entendre encore un temps le claquement feutré des sabots du cheval qui résonnent sur les pavés, comme étouffé progressivement par le brouillard lourd. A bord de la "Marie Madeleine", les marins s'affairent toujours dans les cales et s’activent autour de l’arrimage des marchandises embarquées pour leurs lointaines destinations. Scène 4 Narrateur Le jour s’est à peine levé sur la ville que règne déjà à bord de la "Marie Madeleine" l'agitation des jours de départ. Agitation en vue du départ. Bruit d’eau. Les hommes s'affairent du fond des cales aux sommets des mâts, extirpant le navire de sa torpeur pour le préparer à affronter les océans. On dirait une armée s'apprêtant à livrer bataille. Du pont, le bosco aboie ses ordres, il s’adresse à une multitude d'acrobates partis à l'assaut des mâts, accrochés entre ciel et terre à toutes les vergues du navire, de manière à préparer la voilure. Le bosco criant dans un porte-voix 5 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Ramener les pares battages à bord ! L’agitation du bateau passe en second plan. Un remorqueur à vapeur attend les ordres pour haler le navire hors de son mouillage. Il est temps de larguer les amarres. On ramène la passerelle de coupée et le vaisseau se met en mouvement, imperceptiblement, s'arrachant du quai comme un amant quitterait sa maîtresse à regret. Musique Les hommes de mâtures déferlent les voiles de leurs vergues pendant que les hommes de pont s'arc-boutent sur d'innombrables cordages pour leur faire prendre le vent. Le bateau est à flots. Cris d’efforts des marins. Marins 1, 2, 3 et 4 Hissez…ho ! Hissez…ho ! Bientôt, le navire double la pointe Est de Long Island et vire par tribord en direction du grand large et des mers du Sud. Van Derbeck à ses marins Allons messieurs. Souquez ferme et priez Eole et Neptune de nous être favorable. Prochaine escale, Puerto Rico où vous attend du ruhm non frelaté, des cigares, et, (prenant un ton complice, coquin) a se que je me suis laissé dire, quelques belles mulâtresses. Rires graveleux des marins Narrateur Puis se retournant vers Liliane Lithenberg Van Derbeck (ton d’excuse) Je suis désolé de vous imposer se discours grivois, mais il me faut donner du cœur au ventre de mes matelots. Liliane Lithenberg (ton complice) Ne vous en faites pas pour moi capitaine. Je comprends très bien votre rôle de meneur d’homme, d’autant que cette escale doit certainement vous permettre de finir de remplir vos cales de rhum, de mélasse et de poissons boucanés qui vous permettront de rentabiliser votre expédition ! Van Derbeck (étonné) Je vois que les exigences du commerce maritime ne vous sont pas étrangères ! Liliane Lithenberg (mutine) Eh non… Musique Scène 5 Narrateur A bord de la « Marie-Madeleine » la vie des marins a trouvé son rythme de croisière. Le navire file droit au Sud, lent et régulier comme un coureur de fond. Sur le pont, les hommes flânent, tuent le temps en jouant aux cartes ou aux échecs. Le ciel leur offre un répit précieux, faisant oublier l'arrivée probable des caprices de l'Atlantique Sud. Marin 3 Alors ! Tu le sors cet as ! Marin 1 Mais je l’ai pas… Ce premier jour de voyage ressemble à ceux auxquels sont habitués les membres de l'équipage, excepté la présence à bord de Mademoiselle Liliane Lithenberg. La présence d'une dame à bord d'un cap-hornier commercial est pour le moins exceptionnel, d'autant plus que la femme en question est d'une beauté hors du commun. Et si le capitaine van Derbeck est sûr que ses hommes sauront se comporter avec courtoisie vis-à-vis de cette féminine présence, il sait aussi qu'il ne pourra rien contre les commérages de ses matelots et que ceux-ci ne manqueront pas d’aller bon train dans leurs quartiers. Mais jusqu’ici le voyage se déroule sans encombre. Bruit du bateau sur l’eau. Marin 1 Il a de la chance notre capitaine. 6 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Marin 4 D’autant qu’elle dort dans sa cabine. Marin 3 Ouais, mais lui, il dort avec son second. Marin 2 C’est bien la peine d’avoir une femme à bord si c’est pour dormir avec son second. Rires Marin 4 N’empêche que vous ne m’enlèverez pas de l’idée que ça porte malheur d’avoir une femme à bord. Bruit du bateau sur l’eau Liliane Lithenberg Quelle belle journée, n’est-ce pas capitaine ? Van Derbeck En plus, nous avons de la chance avec les vents. Nous avons déjà accroché les alizés de nord est. Narrateur La belle demoiselle s’est d'ailleurs vite adaptée à la vie de bord et la timide jeune femme du premier jour vient volontiers flâner sur le pont du navire. Au fur et à mesure que celui-ci s'éloigne des grisailles du Nord, Liliane Lithenberg semble s'épanouir comme une fleur qui s'éveille à la vie, sous les rayons caressants du soleil. Musique Scène 6 Narrateur La "Marie-Madeleine" file maintenant bon train grâce aux fameux alizés. Le bateau vient de doubler la latitude de Richmond, capitale des Etats sudistes dans cette guerre de Sécession et poursuit sa route vers le Sud, au large des côtes de la Floride, laissant les îles des Bermudes par son bâbord et approchant chaque jour un peu plus le tropique du Cancer. Liliane Lithenberg Quant on voit la paix qui règne à bord de se bâtiment, on a de la peine à imaginer que ses terres sont à feu et à sang. Van Derbeck C’est vrai, la folie des hommes n’a pas encore gagné le large. Pourvu que ça dure. Narrateur Le gris du ciel a fait place à un bleu d'azur que ne vient perturber aucun nuage. La mer turquoise s'étend à l'infini vers les quatre horizons, offrant pour tout spectacle quelques baleines à bosses dans leurs migrations et aussi des troupeaux de dauphins jouant dans le sillage du navire. Au fil des jours, la température devient plus clémente, Liliane Lithenberg a abandonné son lourd manteau d'hiver pour revêtir des tenues plus légères et mieux adaptées à la vie à bord du navire. Elle porte des robes de toile en coton léger, que le vent s’amuse à plaquer contre son corps, en laissant deviner ses formes harmonieuses et sensuelles. Elle se tient souvent ainsi, face au vent, les yeux fermés et le visage baigné de soleil. Et les alizés font flotter sa longue chevelure dans leur souffle puissant et le soleil en profite pour y jouer de mille reflets. Cette vision romantique ouvre le cœur de tous les hommes de l'équipage et aiguise leurs sens. Elle nourrit aussi les rêveries du capitaine Van Derbeck, homme de parole et de stricte éducation, mais dont la volonté est mise à rude épreuve un peu plus chaque jours. Musique en tapis La jeune femme se tient volontiers sur le gaillard arrière, près de la barre à roue derrière laquelle se relaient tout à tour pour maintenir le cap du vaisseau, le capitaine, son second ou un officier de bord. Liliane Lithenberg La nuit vous fût-elle douce capitaine ? Van Derbeck J’ai dormi comme un bébé dans les bras de sa mère. 7 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Liliane Lithenberg Votre remarque est étonnante capitaine. Je me suis fait exactement la même en comparent le bercement des flots à celui des bras maternelles. Van Derbeck (avec humour et complicité) La mer est un peu notre mère à tous. Rire du capitaine et de Liliane Lithenberg, fondu bateau sur l’eau, fondu musique Narrateur Cette femme mystérieuse sent petit à petit la vie envahir tout son être, comme un arbre qui ressuscite après un long hiver et qui fleurit sous la montée de la sève printanière. Liliane Lithenberg Je suis impressionnée de voir avec quel facilité vous manœuvrer ce puissant navire, capitaine. Van Derbeck (un peu flatté) Seul maître à bord après Dieu ! Liliane Lithenberg C’est se que l’on dit. Van Derbeck Mais ne vous y trompez pas, mademoiselle, nous ne sommes que des hôtes qui imposons notre présence aux flots et aux vents, et ceux-ci sont les seuls véritables maîtres. Bien des marins ont payés de leurs vies de c’êtres crus plus forts que les éléments. Bruit du bateau sur l’eau Narrateur L'attirance entre ces deux êtres devient chaque jour plus irrésistible, chaque heure plus puissante, comme elle le serait d’un aimant pour un morceau de fer. Musique, bruit du bateau sur l’eau et de vent Narrateur Le soleil se couche sur l’horizon. Liliane Lithenberg J’aime cette heure, où le soleil semble venir se noyer dans la mer. Van Derbeck Et dès que l’astre du jour nous prive de sa lumière, les étoiles viennent ponctuer la noiceur naissante du ciel. Liliane Lithenberg Comme des gerbes d’étincelles jaillissant d’une barre de fer en fusion sous le marteau d’un forgeron. Van Derbeck Un peu comme si le soleil s’enfonçait dans l’enclume et que les étincelles devenaient étoiles, au fur et à mesure que son incandescence diminue. Liliane Lithenberg (admiration taquine) Eh bien, capitaine. Derrière le rude marin se cacherait-il un poète ? Rire du capitaine et de Liliane Lithenberg Narrateur Ils restent ainsi, côte à côte, accoudés au gaillard arrière, rêveurs, regardant la nuit prendre possession du ciel. Liliane Lithenberg Regardez ! En voilà déjà une. Van Derbeck Celle-ci n’est pas une étoile, mademoiselle, mais une planète. C’est Vénus. Liliane Lithenberg Vénus ? La fameuse déesse de l’amour et de la beauté ? Van Derbeck Celle-là même. Nous l’appelons aussi l’étoile du berger. Liliane Lithengerg Vous les connaissez donc toutes, capitaine ? 8 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Van Derbeck Oh non ! De loin pas. Quel homme pourrait avoir la prétention de connaître l’infini ? Mais dans ma profession, il est indispensable d’en connaître les principales. C’est grâce à elles que nous pouvons connaître la position de notre navire et maintenir notre cap… Bruit du bateau et du vent …Cette nuit, nous avons une lune gibbeuse. Liliane Lithenberg Qu’est-ce que cela veut dire, capitaine ? Van Derbeck Voyez par vous-même Liliane. La lune est comme une virgule dans le ciel. Son arrondi est sur la droite, se qui signifie qu’elle va vers le premier croissant ascendant. Liliane Lithenberg Tiens ! C’est la première fois que vous m’appellez par mon prénom ! Van Derbeck (un peu gêné) Je vous prie de bien vouloir m’excuser. Liliane Lithenberg (faussement timide) Je vous en prie…il n’y a pas de mal. Narrateur S’en suit un silence gêné que s’empresse d’interrompre Liliane Lithenberg Liliane Lithenberg Quel est cette drôle de constellation, comme un anneau, que l’on a au dessus de nos têtes ? Van Derbeck Il s’agit de la couronne boréale, que nous autres marins nommons aussi la couronne de Bacchus. Liliane Lithenberg Mais que vient donc faire se Dieu paillard au milieu du ciel ? Van Derbeck La légende raconte, que, un soir de beuverie, les Dieux de l’Olympe se moquèrent de Bacchus, mettant en doute son origine divine. Celui-ci, vexé, se saisit de sa couronne et la lança au ciel où elle rest à jamais accrochée pour prouver qu’il est bel et bien un Dieu. Liliane Lithenberg Quelle belle histoire. Van Derbeck Et tellement incroyable, qu’elle ne peut-être que véridique. Rires complice du capitaine et le Liliane Lithenberg Narrateur Ils restèrent là, silencieux, contemplant le ciel limpide et étoilé. Le cœur et le corps remplit de désirs, l’esprit tenaillé par les carcans de la morale et de l’éducation. Liliane Lithengerg (songeuse) Pensez-vous que de là-haut, quelques êtres inconnus nous observent ? Van Derbeck (songeur) Allez savoir ? Narrateur Que peut une éducation, aussi rigoureuse soit elle, quand l'Amour, le grand, le vrai vous tend les bras ? Lui céder peut entraîner les remords, mais lui résister conduit au désespoir. Dans un cas comme dans l'autre l'esprit vit un enfer que les flammes du corps ne font qu’attiser. Musique meurt sur des bruits d’eau et de vent Le septième soir, tout comme la veille, Liliane Lithenberg est adossée à la barrière du gaillard arrière. Le soleil disparaît à l'horizon éclairant de mille feux le ciel et la mer. Comme si l'horizon n'était plus qu'un gigantesque incendie. Le soleil couchant illumine le visage de la jeune femme des plus incandescentes couleurs de la création, ses cheveux ne sont plus qu’une auréole des chaudes flammes célestes. 9 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Le capitaine van Derbeck qui se tient face à elle ne peut résister à la pulsion qui pousse tout son être vers cette femme à la beauté divine. Il s'approche d'elle, la saisit tendrement par la taille. Musique suspens reprend les dessus sur le bruit de l’eau Van Derbeck (très ému, un peu gauche) Mademoiselle…Liliane… Liliane Lithenberg (émue, amoureuse) Capitaine… Narrateur La jeune fiancée de Sacha Tandorowski n’oppose aucune résistance au beau capitaine, elle se fait féline et lui tend ses lèvres pour un langoureux baiser. Silence En un instant, le ciel jusqu'alors serein s'embrase de mille tonnerres et de mille éclairs. L'océan subitement déchaîné s'ouvre sous le navire, qui disparaît, englouti par les flots. À tout jamais. Légère pause Aussitôt, le ciel redevient limpide et sans nuage, la mer rassasiée retrouve sa tranquillité sereine. Scène 7 Narrateur Juillet 1991, le jeune Thomas SULLIVAN profite des vacances d'été pour gagner un peu d'argent en travaillant pour la capitainerie du port de New York. Pour cet étudiant de la prestigieuse université de Harvard, c'est là une belle occasion de gagner de quoi améliorer son confort pour la rentrée de septembre, car malgré qu'il soit un brillant étudiant en histoire et archéologie au bénéfice d'une bourse d'étude, la vie New yorkaise est dure pour un jeune universitaire qui n'a pas de famille pour le soutenir financièrement dans ses études. Son travail consiste à informatiser les documents d’archive de la capitainerie. En quelques clics de souris, il fait passer les vieux papiers poussiéreux et jaunis de l’ère de la plume à calligraphier, à celle de la puce au silicium. Même l’histoire n’échappe pas à la modernité. Il aide ainsi dans sa tâche le vieil archiviste de ces lieux que tout le monde appelle avec tendresse et respect « Le vieux Sam », un vieil homme joviale, aux yeux pétillant de malice et à l’humour parfois grivois, qui, s’il connaît le labyrinthe de ses archives sur le bout des doigts, semble quelque peu perdu dans les méandres abstraits des programmes informatiques. Le vieux Sam Alors, y’te plaît ce boulot, gamin ? Thomas (impressionné) Quant je vois tout ces vieux document, j’ai déjà l’impression de pratiquer mon futur métier, l’archéologie. Le vieux Sam (rigolard) Eh bin, j’espère qu’ils te donnent aussi des cours de spéléologie dans ton université, parce que tu risque fort de t’y paumer dans cette montagne de papier. Thomas (sur le même ton) Vous en faites pas, j’ai été scout. Le vieux Sam Enfin, si je ne te vois pas pendant quelque jours, j’enverrai la Garde Nationale à ta recherche. Rire des deux compères Thomas C’est quant même incroyable, tous ces trésors de papier qu’il y a dans ces locaux. J’ai l’impression que l’histoire de tous les habitants de se pays y figure. Le vieux Sam Tu ne crois pas si bien dire gamin. Certains de ces documents remontent bien avant l’indépendance de l’Amérique. Tout y figure, aussi bien le fret des bâtiments que les noms et les dates des navires mit en quarantaine par les épidémies. Les listes des noms des soldats qui sont partis pour les différentes guerres de notre histoire, et ceux qui sont malheureusement revenus au pays dans des cercueils. Les émigrants venus chercher fortunes et les forçats d’Europe à la recherche d’une nouvelle identité. Thomas 10 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Si j’ai bien compris, à part pour les rats et les passagers clandestins, on a bien des chances de retrouver nos ancêtres dans ces piles de documents. Le vieux Sam C’est exactement ça. Les clandestins et les indiens, parce qu’on a malheureusement trop tendance à oublier que les seuls américains de souche ont des plumes sur la tête… Rire des deux compères …Bon gamin, je e laisse avec tes bidules électroniques et moi, je retourne à ma bonne vieille plume. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver. N’hésites pas si tu as des questions. Musique, bruits de papier, imprimante… Le vieux Sam (joyeux) T’es paré gamin ? C’est l’heure d’attaquer le meilleur moment de la journée, l’instant sacré. Thomas Et quel est cet instant sacré ? Le vieux Sam Mais l’apéro, pardi gamin, l’apéro. Narrateur Le vieux Sam emmène le jeune Thomas dans une taverne située dans une petite rue perpendiculaire de la partie la plus ancienne du port, le « Old Clipper ». Taverne hors du temps, semblant, paradoxe avec cette ville ultra moderne, être restée suspendue dans son décor d’origine du 19ème siècle, ne concédant à la modernité que l’ampoule électrique et le réfrigérateur. Ambiance bistrot Günter (jovial) Salut vieux Sam ! Comme d’habitude, un double wisky ? Le vieux Sam (faussement outré) Evidemment gamin. Est-ce que j’ai une tronche à siroter des « baby » ? Günter (rigolard) Ça ! C’est sur que le dernier qui t’a vu sucer de la glace, il est pas jeune. Le vieux Sam (rigolard) Tu peux même dire qu’il est mort. Et avant ma naissance en plus. Günter Tu ne me présente pas ton jeune ami ? Le vieux Sam Si. Je te présente Tomas SULLIVAN, étudiant en archéologie, venu me donner un coup de main pour informatiser les documents de la capitainerie. Günter Un archéologue ? Eh bien. Rien qu’avec toi, il peut déjà faire sa thèse de doctorat. Salut, moi c’est Günter, mais tous le monde m’appelle « Bourbon Street », rapport à mon amour pour le jazz. Thomas Günter ? Vous êtes d’origine allemande ? Günter Bien observé, monsieur l’archéologue. Je suis d’origine juive allemande. Mes parents sont venus s’installer en Amérique quant le père Adolf a décidé de nous faire porter une étoile sur notre tricot. Ils ont pensé qu’il était préférable d’aller dans un pays qui en compte 52 sur son drapeau. Qu’est-ce que je te sers ? Thomas Un coca. Ils ont eu un bon réflexe vos parents. Bruit de verres que l’on sert. Günter Je te le fais pas dire. Sans ça, je serais pas là à te faire la causette. Le vieux Sam A part ça. Quoi de neuf dans ton auberge ? 11 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Günter J’ai encore eu un groupe de matelots qui m’ont soutenus mordicus qu’ils ont croisés la route du « Hollandais volant ». Le vieux Sam Et d’où qu’ils venaient ? Günter Ils remontaient l’archipel des Antilles. Ils l’aurait vu à environ 400 miles nautiques au nord-est de Puerto Rico. Le vieux Sam En plein dans le triangle. Günter Comme d’hab. Thomas C’est quoi cette histoire de « Hollandais volant » ? Günter C’est une vieille légende de marin. Il y aurait, dans le triangle des Bermudes, un cap hornier à quatre mâts, battant pavillon hollandais et qui flotterai au dessus des flots qui hanterait la région et qui ferait sombrer quiconque croise sa route de trop près. Le vieux Sam Oh, une légende, c’est vite dit. Günter Voyons Sam ! Tu ne vas tout de même pas me faire croire que tu prêtes foi à ces histoires ? Se ne sont que des délires de marins qui ont abusé du rhum dédouané ou qui sont resté trop longtemps sur le pont sans casquette sous le soleil tropical. Le vieux Sam Va savoir ? Pour moi, la plupart des légendes sont quant même basées sur des fonds de vérité. Günter Là, tu délires. Le vieux Sam (s’emportant) Comment ça, je délire. T’es juif, tu crois en Dieu. Je suis né chrétien et on m’a expliqué pendant toute mon enfance, le petit Jésus en long, en large et en travers. Dans toutes nos ville, on leu a construit des résidences secondaires plus belles les unes que les autres. Des millions de gens croient en eux et les prient. Pourtant, personne ne les a jamais vus. Tiens, j’irai même plus loin. Si demain y’a un mec qui arrive dans ton bar et qui te dit : -Je suis Dieu et j’aimerai un double whisky. Tu le servirai poliment et t’appellerai aussi sec l’asile psychiatrique le plus proche pour qu’ils viennent le chercher illico en ambulance. Mais tu prendrais quant même soin d’encaisser son verre avant qu’ils lui mettent la camisole. Alors, je suis désolé, mais si on crois en Dieu, en Jésus, en Allah ou en Bouddha, y’a pas de raison pour qu’on ne croie pas au « Hollandais volant », au monstre du Loch Ness ou au père Noël. Günter Bon, ça va, j’ai compris, je remets une tournée sur le compte de la maison. Le vieux Sam (rigolard) Ah ! Tu vois, quant on t’explique…(redevenu sérieux) N’empêche, que légende ou pas, les victimes du triangle des Bermudes sont bien réelles. Günter On se fait une partie de dés ? Le vieux Sam Fait chauffer la piste. Günter Tu fais une partie avec nous Thomas ? Thomas Je veux bien, mais je sais pas y jouer. 12 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Le vieux Sam T’inquiètes gamin, on va t’apprendre. Bruitage bistrot…musique. Scène 8 Le vieux Sam Alors, bien dormi gamin ? Thomas J’ai pas fermé l’œil de la nuit. Cette histoire de hollandais volant m’a turlupiné. J’ai passé la nuit à surfer sur internet, et j’ai trouvé des témoignages surprenants. Le vieux Sam De quel genre ? Thomas Des marins, ou des aviateurs qui n’ont jamais eu l’occasion de se cotoyer, mais tous relatent les mêmes événements. Le vieux Sam Et quel sont-ils ? Thomas Par une journée dégagée ou dans une nuit claire, sur une mer d'huile sans la moindre brise de vent, tout à coup la radio devient muette. Les instruments de bords s'affolent. L'aiguille de la boussole se met à tournoyer comme une toupie. La mer se couvre de lames déferlantes. Le ciel se charge en un instant de nuages noirs et lourds dans un fracas de tonnerre étourdissant accompagnés d'éclairs éblouissants. Puis, l'océan s'ouvre dans un tourbillonnement d'écume, comme si la mer avait été éventrée de l'intérieur par une main géante et semblant surgir des fonds abyssaux, jaillit un Cap hornier à quatre mâts, la voilure en lambeaux et battant pavillon hollandais. Il s'élève lentement au dessus des vagues dans une lumière fluorescente et flotte à quelques mètres au dessus des flots avant de s'avancer inexorablement sur sa victime et, quant il l'atteint, il s'enfonce avec elle dans les tumultes de cet océan déchaîné. Sitôt, sa proie engloutie, le tonnerre et les éclairs cessent, le ciel se dégage comme par enchantement et la mer redevient limpide comme si rien ne c'était passé. C’est troublant n’est-ce pas ? Qu’en penses-tu ? Le vieux Sam Oh, se que j’en dis moi, c’est qu’on a beau être, paraît-il, la plus évoluée des créatures, qu’on pense maîtriser les science et les techniques avec tous nos bidules électroniques, ça n’empêche pas qu’il y a encore bien des choses qui échappent complètement à notre compréhension. Thomas Oui, mais là, tu admettras qu’on patauge en plein dans l’irrationnel. Le vieux Sam Irrationnel pour notre façon d’aborder notre vision du monde. Thomas Pourquoi ? Il y en a d’autres ? Le vieux Sam Je sais pas, mais j’ai souvent l’impression que nous raisonnons comme si notre cerveau était une boussole, mais dont nous ne nous préoccupions que du nord et que nous ignorons, voir dénigrons les autres points cardinaux. Alors, dès qu’un problème échappe à notre logique rassurante, on parle d’irrationnel pour les moins superstitieux d’entre nous, de diabolisme pour les plus craintifs et on se retourne vite fait vers le divin pour nous rassurer, comme des enfants qui ont peur dans la nuit. Thomas T’as peut-être raison vieux Sam. Le vieux Sam J’en sais rien. De toute façon, je suis arrivé maintenant à un âge où on se dit qu’on aura bientôt, peut-être toutes les réponses, mais qu’on pourra malheureusement pas en faire profiter à ceux qui sont resté à la surface. Si tu vois se que je veux dire. Thomas 13 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Je vois, t’es un sacré philosophe le jour, mais ça t’empêche pas de tricher aux dés le soir… Rires …Toujours est-il que cette histoire me turlupine et que j’ai bien l’intention d’approfondir le sujet. Le vieux Sam J’te souhaite bien du courage gamin. En attendant, si on se mettait au boulot ? Musique, bruits de papier et d’ordinateur Scène 9 Narrateur Les jours et les semaines passent, ponctués entre le classement des archives, véritable travail de bénédictin, et les interminables apéritifs au « Old Clipper » dont les parties de dés donnent toujours l’excuse d’une nouvelle tournée. Autour de la piste, Thomas, Le vieux Sam, Günter, ainsi que des marins de passage venus de tous les horizons évoquent souvent de vieilles légendes de marine dans lesquelles, le « Hollandais volant » figure toujours en bonne place. Pour certains, il s’agirait du fantôme d’un flibustier des Caraïbes, pour d’autres il viendrait des côtes chiliennes. Il y en a qui prétendent qu’il naviguait sur le brick-goélette « Marie-Céleste ». La seule chose dont on soit sur, c’est que cette légende a largement abreuvé la littérature et le cinéma, et que même Richard Wagner s’en est inspiré dans son « Vaisseau fantôme. Tout se déroulait donc le plus normalement du monde, jusqu’à se jour de la mi-août où le jeune Thomas entre précipitamment dans le bureau du vieux Sam. Thomas (surexcité) Sam, Sam, il faut que je te fasse part de ma découverte. Le vieux Sam (paternel) Oh là ! Détends-toi gamin. Tu vas me faire une crise cardiaque. Tiens, assieds toi et explique tout au vieux Sam. Bruit de chaise, papier que l’on dépose sur le bureau Thomas Tiens, regardes ces documents que j’ai découvert dans nos archives. Bruit de papiers Le vieux Sam Faits voir…Oui, je vois. Se sont les documents d’un cap hornier sous pavillon hollandais qui a mouillé ici en novembre 1864, la « Marie-Madeleine…ça nous rajeunis pas… Bruit de papier …Ah ! Je vois sur cet autre document que se bâtiment a été déclaré auprès de la Lloyd’s assurance de Londres comme ayant disparu corps et bien. La Lloyd’s a d’ailleurs remboursé le navire et sa cargaison à son armateur. Désolé, mais je ne vois rien là dedans qui justifie que tut te mettes dans des états pareil. C’était monnaie courante en se temps-là qu’un cap hornier disparaisse en mer. Thomas Oui, je sais, mais un cap hornier hollandais. Le vieux Sam Ah je vois, tu penses à se « Hollandais volant » ! Thomas Attends, c’est pas tout. Regarde se passage. Bruit de papier Le vieux Sam Effectivement, c’est pas banal pour l’époque que d’avoir une passagère à bord d’un bâtiment de ligne commercial. Mais je vois toujours pas le rapport. Thomas Regarde les noms. Le vieux Sam Mademoiselle Liliane Lithengerg… Thomas (le coupant) Et qui a payé le voyage ? Le vieux Sam 14 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Un certain Sacha Tandorowski, citoyen russe. Désolé, je suis peut-être idiot, mais ça me dit toujours rien. Thomas T’inquiètes pas. Moi non plus, ça me disait rien au départ. J’ai tourné et retourné le problème dans tous les sens, et se matin, j’ai eu un flash. Le vieux Sam Si tu veux bien me faire profiter de tes lumière. Moi aussi j’aimerai comprendre. Thomas J’y viens. Tu sais que ça fait deux ans que, pour compléter mon cursus, je suis ses cours de théologie. Le vieux Sam (moqueur) Ça y est. Je sens que tu vas nous appeler le divin à la rescousse. Thomas Te moques pas, c’est très sérieux. J’ai fais des recherches sur internet pour voir si je trouvais quelque chose sur cette Liliane Lithenberg et se Sacha Tandorowski. Le vieux Sam (toujours moqueur) Et alors ? Quel sont les résultats de vos investigations mon cher Sherlock Holmes ? Thomas Mes recherches m’ont fait faire une partie de ping pong entre la Russie, l’Autriche et la Roumanie. Tu n’imagines pas ma surprise quant j’ai découvert que Sacha Tandorowski est né dans la région de Saint-Pétersbourg en 1163. Quant à Liliane Lithenberg, j’ai retrouvé sa trace du côté de Vienne en 1178. Le vieux Sam Oh là, gamin. T’emballes pas. Je te rappelle que la « Marie Madeleine a sombré en 1864. D’après les documents que tu m’as fait voir, ils devaient avoir dans les 20, 30 ans. Or là, tu veux me faire croire qu’ils avaient grosso modo 700 ans ? Le Botox avait pas encore été inventé que je sache. Thomas Attends ! C’est là que ça devient complètement dingue. J’ai retrouvé leur trace en 1442 dans un village du nom de Moldoveanu dans les alpes de Transylvanie en Roumanie. Ils vivaient apparemment ensemble dans un château appartenant à un certain comte Vlade Tepes, dit Vlade l’Empaleur. Mais tu en a certainement entendu parler sous le nom de Comte Dracula. Le vieux Sam Eh, c’est que tu commencerais à me faire froid dans le dos avec ton histoire gamin. Thomas Du coup, j’ai repensé à mes cours de théologie. J’ai fais quelques recherches dans les chapitres faisant état des kabbales hébraïque, et après, j’ai relus dans les paraboles de la Genèse, l’histoire de Lilith. Le vieux Sam Qui c’est cette Lilith ? Thomas C’est la première femme qu’aurait créé Dieu. Non pas d’une côte d’Adam, mais directement de la matière originelle. Le vieux Sam J’ai jamais entendu parler de cette nana. Thomas Normal, elle n’est pas bibliquement correcte. Tu penses, elle refusait de se soumettre à l’autorité de Dieu, elle n’acceptait pas d’être l’éternelle seconde d’Adam et comme elle ne se sentait pas la vocation pour devenir charmeuse de serpents, elle a préféré rejoindre le diable aux Enfers pour l’hiver pour ne revenir se joindre aux hommes qu’avec le retour du printemps. Le vieux Sam Une frileuse en somme. Thomas Toujours est-il, que les curés se sont empressés de la rayé de leur liturgie. Dés fois qu’elle donnerait des idées à nos femmes. Le vieux Sam C’est vrai qu’une femme libre et libérée dans leurs églises, ils ne supporteraient pas ça ces pisse vinaigre. 15 / 16 La légende du hollandais volant ______________________________________________________________ Thomas Se qui m’a mit la puce à l’oreille, c’est que, si tu prends la première syllabe du prénom et du nom de Liliane Lithenberg, tu obtiens « Lilith ». Le vieux Sam Bien vu. Mais se n’est peut-être qu’un hasard ! Thomas Et si tu procède de même avec Sacha Tandorowski, tu obtiens « Satan ». Le vieux Sam Etonnant, et inquiétant. Que conclus-tu de tout cela ? Thomas On sait que la « Marie Madeleine » a appareillé en novembre 1864 pour rejoindre Los Angeles par le Cap Horn. Le vieux Sam En tous cas, c’est se qui était prévu. Thomas A cette période de l’année, à New York, c’est l’hiver, ou presque. La saison morte, celle où Lilith tiens compagnie à Satan. Le vieux Sam C’est se que j’ai cru comprendre. Thomas En 1864, notre pays vivait une des périodes les plus troubles de son histoire. Guerre de Sécession, guerres indienne. L’anarchie la plus totale régnait de la côte Atlantique à celle du Pacifique. Tous ces éléments ne pouvaient que séduire se diable de Satan, et on peut aisément imaginer qu’il caressait l’espoir d’y étendre son royaume, avec Lilith à ses côtés pour lui donner une descendance. Le vieux Sam Et quelle ville aurait pu mieux lui servir de capital pour son nouveau domaine que Los Angeles, la cité des anges. Thomas Mais le problème, c’est que pour rejoindre la côte ouest, la « Marie Madeleine » devait passer par les tropiques, zone où l’hiver n’existe pas. Le vieux Sam Alors, tu penses que Lilith, avec le retour des beaux jours se serait amourachée d’un homme. Elle n’avait que l’embarras du choix à bord de la « Marie Madeleine. Thomas Surement. Mais, si comme on prétend que Dieu voit tout, ça doit être valable pour le diable aussi, et que, rendu fou de jalousie, il aura préféré la sacrifier avec tout l’équipage de la « Marie Madeleine ». Le vieux Sam Mais alors, pourquoi y a-t-il toujours autant de naufrages inexpliquer dans le triangle des Bermudes ? Thomas Vas savoir. Peut-être est-il toujours amoureux d’elle et qu’il refuse que quiconque s’approche de son tombeau. Le vieux Sam Elle est incroyable ton histoire, mais elle tient la route, ou plutôt la mer. Mais, à supposer que se soit là la vérité. Que peut-on faire contre cette malédiction ? Thomas A ma connaissance, rien. Se n’est pas parce que l’on a trouvé la réponse à une question qu’on a forcément la solution. Tout se qu’on peut faire, c’est prier pour les marins et les pilotes disparus dans se sinistre triangle. Prier pour l’âme de Lilith. Prier pour que plus personne ne croise la route de se maudit navire. Prier pour que Satan soit enfin repu de sa vengeance et qu’il accepte enfin l’idée du célibat. Le vieux Sam Et pourquoi pas pour qu’il rentre au séminaire, tant qu’on y est. 16 / 16