La deuxième section des Galates : Jésus Christ crucifié

Transcription

La deuxième section des Galates : Jésus Christ crucifié
2. JESUS CHRIST CRUCIFIE
Lors de notre première rencontre, nous avons lu ensemble la première section de la
Lettre aux Galates. Nous entrons maintenant dans la seconde section, la section dite
« doctrinale », les chapitres 3 et 4. Aujourd’hui nous lirons les deux premières
séquences qui forment un bloc.
LA PREMIERE SEQUENCE (3,1-14)
Cette séquence comprend les quatorze premiers versets du chapitre 3. Nous procéderons pas à pas : d’abord, un passage après l’autre ; puis nous reprendrons le tout
pour avoir une vue d’ensemble. Cela est rendu nécessaire par le fait que le
raisonnement de Paul n’est pas toujours facile à suivre.
COMMENÇONS DONC PAR LE PREMIER PASSAGE (3,1-5)
1
Ô Galates insensés, qui vous a ensorcelés, vous aux yeux desquels Jésus Christ a été décrit
crucifié ? 2 C’est ceci seulement que je veux apprendre de vous : est-ce par les œuvres de la
Loi que vous avez reçu l’Esprit ou est-ce par l’écoute de la Foi ?
3
Êtes-vous si insensés, qu’après avoir commencé avec l’Esprit maintenant vous finissiez
avec la chair ? 4 Avez-vous éprouvé tant de choses en vain ? Et ce serait vraiment en vain !
5
Donc celui qui vous fournit l’Esprit et qui opère des puissances parmi vous est-ce par les
œuvres de la Loi ou est-ce par l’écoute de la Foi ?
Insensés !
Si Paul traite les Galates d’insensés, ce n’est pas pour les insulter, mais pour les
provoquer à réfléchir. Chacune des deux apostrophes vigoureuses, sur lesquelles
s’articule sa harangue, est suivie par une série de questions qui n’ont d’autre but que
de les amener à se rappeler leur histoire, à méditer sur leur expérience. À aucune des
cinq questions qu’il leur pose en rafale, l’apôtre ne fournit la moindre réponse. C’est
sans aucun doute qu’il fait fond sur leur intelligence et leur sagesse : ses interlocuteurs
sont en effet tout à fait capables d’y répondre, point par point.
Le don de l’Esprit
Il est bien évident que, lorsque les Galates sont venus à la foi, le don de l’Esprit ne
pouvait pas être lié à la pratique des œuvres de la Loi. Ils n’en avaient même pas
entendu parler car Paul avait focalisé toute sa prédication sur Jésus crucifié. Il serait
insensé de penser que maintenant il puisse en être autrement : les mêmes causes
produisant les mêmes effets, les prodiges de l’Esprit actuellement à l’œuvre ne
peuvent venir que de Dieu, que de la foi en Dieu. Ce qu’ils ont vécu, depuis le
commencement, c’est un don, le don de l’Esprit. Et ce qu’ils continuent d’expérimenter jusqu’aujourd’hui, c’est que l’Esprit ne vient pas d’eux-mêmes, de leurs propres
forces, mais de Dieu : c’est lui, et non pas eux, qui opère les merveilles, les miracles
qu’ils peuvent constater de leurs propres yeux. Si les Galates ont un peu d’intelligence,
ils comprendront que tout ce qu’ils ont éprouvé s’origine dans la croix du Christ.
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
2
L’ensorcellement
Dans sa dureté apparente, Paul excuse en quelque sorte les Galates. Leur
dévoiement est si incompréhensible, qu’il ne peut être que le fait d’un autre qui les a
envoûtés, d’une puissance maléfique qui les a « ensorcelés ». En effet, les adversaires
de Paul, sûrement visés par lui dès le début, sont eux-mêmes dépassés : si ce qu’ils
font est qualifié ainsi, c’est qu’ils sont le jouet d’une force diabolique qui veut anéantir
le dessein de Dieu.
Les œuvres de la Loi
C’est qu’à la puissance de Dieu s’oppose un ensorceleur. Celui-ci peut faire penser
au premier serpent qui voulut faire croire à l’humain qu’il était son propre maître, qu’il
était à lui-même sa propre origine, qu’il pouvait tenir son salut et sa vie de ses propres
forces, de ses propres œuvres. Croire que l’on peut vivre des œuvres de la Loi, c’est se
prendre pour la source de la vie, c’est se prendre pour Dieu. C’est être « insensé ».
PASSONS MAINTENANT AU SECOND PASSAGE (3,6-9)
6
7
Comme Abraham « crut en Dieu et cela lui fut compté comme justice »,
comprenez donc que ce sont les gens de Foi qui sont fils d’Abraham.
8
Et l’Écriture prévoyant que par la Foi Dieu justifierait les nations,
prédit à Abraham que « seront bénies en toi toutes les nations »,
9
de sorte que les gens de Foi seront bénis avec le croyant Abraham.
Par deux fois Paul cite l’Écriture, à propos de l’histoire d’Abraham. La première
citation (« il crut en Dieu et cela lui fut compté comme justice ») est tirée de Gn 15,6 :
Abram fait remarquer à Dieu qu’il s’en va sans enfant ; alors le Seigneur lui promet
que sa postérité sera aussi nombreuse que les étoiles du ciel, et Abram « crut en
Dieu ».
La deuxième citation (« seront bénies en toi toutes les nations ») reprend Gn 12,3
qui achève les premières paroles adressées par Dieu à Abram, quand il l’invite à
quitter son pays : « Seront bénies en toi toutes les familles de la terre ».
La justice de la Foi
La justice vient de Dieu seul. C’est lui qui, par la foi, justifie les nations, c’est par
Lui que la foi d’Abraham lui est accréditée comme justice. C’est Dieu qui bénit toutes
les nations en Abraham, car toute bénédiction vient de Dieu. Cela ne veut évidemment
pas dire que l’homme soit passif et que tout se joue en dehors de lui. Il est vrai que
pour Abraham au début il y a le vide de la stérilité et il est bien obligé de le
reconnaître ; il est vrai aussi que c’est Dieu qui lui promet une descendance et qui la
lui donnera. Mais la foi d’Abraham, la justice que Dieu lui reconnaît, ce fut
d’accueillir la promesse, d’y ajouter foi, de s’en remettre dans la nuit à la toute
puissance du Seigneur. L’activité de l’homme est d’accepter que Dieu agisse en lui, sa
justice est de reconnaître que Dieu seul est juste.
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
3
La descendance du Juste
Si telle est la justice, si le don d’une postérité plus nombreuse que les étoiles du ciel
vient de Dieu et non pas des œuvres de l’homme, alors les fils d’Abraham ne peuvent se
limiter à sa descendance selon la chair (7). Seuls seront ses descendants, et tous seront
ses fils, ceux qui, comme lui, seront justifiés par Dieu à cause de leur foi (9). Tel père,
tel fils. Les païens comme les Juifs peuvent être justifiés, bénis tous ensemble par Dieu
(8-9), dans la mesure, mais seulement dans la mesure où ils croiront que la vie et le salut
viennent de Dieu seul.
ET NOUS EN ARRIVONS AU TROISIEME ET DERNIER PASSAGE (3,10-14)
10
En effet tous ceux qui sont des œuvres de la Loi sont sous la malédiction, car il est écrit :
« Maudit quiconque ne s’attache pas à toutes les prescriptions du livre de la Loi pour les
faire ! » 11 Et que par la Loi personne ne soit justifié devant Dieu, c’est clair, car : « Le
juste par la Foi vivra » ; 12 et la Loi ne dépend pas de la Foi, mais « Celui qui les aura faites
vivra par elles. »
13
Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, étant devenu pour nous malédiction, car il est écrit : « Maudit quiconque est suspendu au bois ! », 14 afin que pour les
nations la bénédiction d’Abraham advienne dans le Christ Jésus, afin que la promesse de
l’Esprit nous la recevions par la Foi.
Ces quelques versets ne sont pas faciles à comprendre. Tâchons de suivre pas à pas
le raisonnement de Paul.
Dans les versets 10-11, les citations de l’Écriture s’opposent : ou bien l’homme
« vivra » « de la Foi » ou bien il « vivra » pour avoir « fait » les œuvres de la Loi,
c’est-à-dire « tout ce qui est écrit dans le livre de la Loi ». Ainsi les deux termes de
l’alternative sont nettement énoncés : ou bien la justice et la vie procèdent de
l’accomplissement de la Loi, ou bien ils sont les fruits de la Foi. La position de Paul
est, elle aussi, clairement exprimée dans le premier de ces deux versets : « que par la
Loi personne ne soit justifié devant Dieu, c’est clair, car : « Le juste par la Foi vivra ».
Dans les deux derniers versets (13-14), « la malédiction de la Loi » endossée par le
Christ « pour nous » (c’est-à-dire « à notre place ») s’oppose à « la bénédiction
d’Abraham » et à « la promesse de l’Esprit ». Ces deux versets sont en « nous », un
« nous » qui englobe le Juif Paul qui écrit aussi bien que les Galates auxquels il
s’adresse et qui font partie des « nations ».
Ce « nous » final renvoie au « tous » et au « quiconque » du début qui s’appliquent
aussi bien aux Galates qui veulent se mettre sous la Loi qu’aux Juifs qui s’y trouvaient
ou qui s’y trouvent encore soumis. Ainsi les trois premiers versets décrivent l’état de
« malédiction » où sont réduits ceux qui sont sous la Loi, tandis que les deux derniers
versets présentent la libération ou le « rachat » opéré par le Christ au bénéfice de tous.
Ce court passage ne compte pas moins de quatre citations de l’Ancien Testament.
Celles qui sont introduites par la formule « il est écrit » sont toutes deux tirées du
Deutéronome. Celle du verset 11 est prise d’Habaquq et celle du verset 12 vient du
Lévitique.
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
4
Arrêtons-nous seulement sur la citation du verset 13 qui reprend Dt 27,26 :
« Maudit quiconque est suspendu au bois ! » D’abord une petite question linguistique :
en hébreu le mot ‘ēṣ signifie aussi bien « arbre » que « bois ». Paul assimile la
crucifixion de Jésus à la coutume de pendre à un arbre les criminels, après qu’ils aient
été lapidés. Ils devaient être descendus et enterrés avant la nuit, afin de ne pas souiller
la terre d’Israël, car un pendu est une « malédiction de Dieu ». L’expression
« (sus)pendu au bois » est fréquente dans la première prédication chrétienne (Ac 5,30 ;
10,39 [13,29] ; 1P 2,24).
L’incapacité radicale de l’homme
Le livre de la Loi impose à l’homme d’accomplir tous ses commandements (10). Il
est en effet de la nature de la loi d’exiger qu’on observe ses préceptes et d’énoncer les
sanctions qui frapperont tous ceux qui violent ses interdits et n’observent pas ses
obligations. La Loi prévoit que celui qui aura fait tout ce qui est écrit dans son livre
vivra (12) et qu’en revanche celui qui n’accomplira pas tous les commandements sera
maudit (10), c’est-à-dire qu’il mourra. Si Paul commence, ex abrupto, par dire que
« tous ceux qui sont des œuvres de la Loi sont sous la malédiction » (10), c’est qu’il a
compris que l’homme est radicalement incapable d’observer toutes les prescriptions de
la Loi. La justice est hors de portée de l’homme, seul Dieu peut la donner. Comme la
vie dont la source se trouve en Lui seul.
Le rachat par le Christ
En acceptant de mourir, suspendu au bois de la croix (13), le Christ a porté la
malédiction de la Loi (13). C’est en effet au nom de la Loi qu’il a été mis à mort :
« Nous avons une Loi et selon cette Loi il doit mourir : il s’est fait Fils de Dieu ! » (Jn
19,7). Or la malédiction pesait sur « nous », à savoir sur les juifs incapables d’observer
la Loi et sur les païens qui ne la connaissaient même pas. Il nous en a rachetés, en
payant à notre place le prix de notre libération. Lui, qui n’était pas coupable, a versé
avec son sang le salaire de notre péché. Ainsi se réalise en lui la bénédiction
d’Abraham, celle qui avait été promise pour toutes les nations.
L’Esprit est reçu par la Foi
L’Esprit, le souffle, c’est la vie qui anime la chair de l’homme. C’est par l’Esprit de
Dieu et par lui seul que tout homme vit. Cet Esprit ne vient pas de l’homme, il procède
et se reçoit d’un autre. C’est dans cet Esprit que le Christ Jésus a vécu, en totale
dépendance filiale de son Père. C’était déjà dans cet Esprit qu’Abraham avait marché,
sur la parole de Dieu, en mettant toute sa foi dans la promesse qui lui était faite (14).
C’est dans cet Esprit qu’il avait affronté la mort de son corps vieilli et la stérilité de sa
femme, pour recevoir de Dieu un fils. Et ce sera aussi dans le même Esprit qu’il
acceptera, dans la nuit de la foi, de lier sur le bois ce fils qui lui avait été donné, pour
offrir gracieusement ce qu’il avait reçu de la seule grâce de Dieu. Avec Jésus, la
promesse faite à Abraham se réalise (14), puisqu’en acceptant de porter injustement la
malédiction de l’injuste par sa mort sur le bois (13), il va, dans la foi la plus parfaite,
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
5
jusqu’à abandonner l’Esprit qu’il avait reçu de son Père, et que du même mouvement
il nous le livre (14).
La Loi annonce son accomplissement
Il pourrait sembler étrange à première vue, pour ne pas dire contradictoire, que Paul
fonde son argumentation contre la Loi, sur la Loi elle-même. C’est d’abord que tout
code juridique, quel qu’il soit, prévoit les modalités de changement, ou même
d’abrogation, de ses dispositions. Ce faisant, la loi elle-même reconnaît qu’elle ne
saurait jamais avoir le dernier mot et que la vie est toujours son maître, le maître
qu’elle doit servir, dût-elle en mourir. Sinon, elle serait un instrument de mort. La Loi
de Moïse ne fait pas exception à cette loi de la condition humaine. Ce n’est pas de
l’extérieur que Paul parle de la Loi. Un tiers exactement de son discours est tiré du
livre de la Loi. Toute sa démonstration tend à prouver que c’est la Loi elle-même qui
prévoit et annonce sa propre fin ; que la vie et la bénédiction ne proviennent pas de la
Loi, mais de Celui qui l’a édictée (14) ; que la justice n’est pas le fruit des œuvres de
l’homme qui accomplit les prescriptions de la Loi (11-12), mais que la fonction
fondamentale de la Loi est de faire prendre conscience à l’homme qu’il est radicalement incapable de l’accomplir (10) et que le salut ne peut lui venir que de la foi
qu’il accorde à l’Auteur de la Loi (11). Jusqu’au jour où, en un homme, Dieu luimême viendra lui montrer que la Loi tue et que seul l’Esprit vivifie (13). En
accomplissant son œuvre de mort en Jésus, la Loi signera son propre acte de décès. Et,
par le peuple à qui avait été donnée la Loi, le monde entier saura que c’est par la foi
qu’il peut accéder à la vie et recevoir la promesse de l’Esprit (14). En devenant par la
foi fils du croyant Abraham, et en étant par le Christ rachetés de la malédiction de la
Loi, ils pourront reconnaître qu’ils sont tous, comme lui, non pas fils de la Loi, mais
fils de Dieu.
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
6
ET MAINTENANT, REPRENONS L’ENSEMBLE DE LA SEQUENCE
1
Ô Galates insensés, qui vous a ensorcelés, vous aux yeux desquels Jésus Christ a été décrit
crucifié ? 2 C’est ceci seulement que je veux apprendre de vous : est-ce par les œuvres de la
Loi que vous avez reçu l’Esprit ou est-ce par l’écoute de la Foi ?
3
Êtes-vous si insensés, qu’après avoir commencé avec l’Esprit maintenant vous finissiez
avec la chair ? 4 Avez-vous éprouvé tant de choses en vain ? Et ce serait vraiment en vain !
5
Donc celui qui vous fournit l’Esprit et qui opère des puissances parmi vous est-ce par les
œuvres de la Loi ou est-ce par l’écoute de la Foi ?
6
Comme Abraham « crut en Dieu et cela lui fut compté comme justice »,
comprenez donc que ce sont les gens de Foi qui sont fils d’Abraham. 8 Et l’Écriture
prévoyant que par la Foi Dieu justifierait les nations, prédit à Abraham que « seront
bénies en toi toutes les nations », 9 de sorte que les gens de Foi seront bénis avec le
croyant Abraham.
7
10
En effet tous ceux qui sont des œuvres de la Loi sont sous la malédiction, car il est écrit :
« Maudit quiconque ne s’attache pas à toutes les prescriptions du livre de la Loi pour les
faire ! » 11 Et que par la Loi personne ne soit justifié devant Dieu, c’est clair, car : « Le
juste par la Foi vivra » ; 12 et la Loi ne dépend pas de la Foi, mais « Celui qui les aura faites
vivra par elles. »
13
Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, étant devenu pour nous malédiction, car il est écrit : « Maudit quiconque est suspendu au bois ! », 14 afin que pour les
nations la bénédiction d’Abraham advienne dans le Christ Jésus, afin que la promesse de
l’Esprit nous la recevions par la Foi.
L’arbre de la toute puissance
Des Juifs, ou des judaïsants, tentent de séduire les Galates pour leur faire croire
qu’ils seront justifiés par leurs œuvres. Paul demande d’emblée à ses correspondants
d’identifier l’ensorceleur qui se cache derrière eux. S’ils n’ont pas complètement perdu
le sens, ils sauront y reconnaître celui qui fit accroire au premier homme qu’il pouvait
s’emparer de l’arbre interdit, qu’ainsi ils seraient comme des dieux, qu’ils acquerraient
la toute puissance. On sait qu’ayant ajouté foi aux insinuations du serpent, le résultat
ne se fit pas attendre et nos premiers parents se retrouvèrent nus et destinés à la mort.
C’est à la même tentation que sont soumis les Galates : s’imagineront-ils que la justice
et la vie sont des choses qu’ils peuvent prendre, qu’ils sont en mesure d’atteindre par
leurs propres œuvres, ou bien croiront-ils que l’Esprit se reçoit et s’accueille d’un
autre ?
Le bois pour le sacrifice
Sur la parole de Dieu, Abram avait tout quitté, sûr que la promesse qui lui était faite
se réaliserait : Dieu ferait de lui un grand peuple. Et pourtant il s’est avéré que Sara est
stérile et les années ont passé. Abram est bien obligé de dire à Dieu qu’il s’en va sans
enfant. La parole de Dieu se réalise enfin, quand tout espoir humain était perdu, sans
doute pour faire éclater davantage que ce fils ne pouvait venir que de Dieu. Puis, alors
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
7
que l’enfant a déjà grandi, Abraham entend qu’il lui est demandé de sacrifier le fils de
la promesse, le fils unique par qui la descendance d’un peuple nombreux aurait pu lui
être donnée. Dans la foi, il charge le bois sur son fils Isaac et, quand tout est prêt, il le
lie et le met sur le bois. Ce qu’il lui est demandé de sacrifier en son fils, c’est sa toute
puissance de père, le fantasme qui lui ferait croire que ce fils est son œuvre et qu’il en
est le maître, qu’en lui il domine l’avenir et échappe à la mort.
L’arbre de la rédemption
Tout avait commencé dans un jardin, le jardin d’Éden. Dans un autre jardin, sur la
montagne que la tradition identifie à celle où Abraham offrit son fils, un arbre se
dresse auquel pend un homme, mort. Celui qui a renoncé à la toute puissance, qu’il
possédait pourtant dès avant la création du monde. Celui qui, en acceptant une mort
qu’il n’avait pas méritée, a voulu montrer par là ce que c’est que d’être fils. Le fils
c’est celui qui ne prend pas la place du père, qui ne considère pas comme une proie le
rang qui l’égale à lui (Ph 2,6), mais qui accueille sa vie comme le don d’un autre, qui
se reçoit dans tout son être de lui seul. Il a renoncé à la fausse justice des œuvres de la
Loi, pour n’être que confiance, écoute de la parole, foi pure. Dans le rocher sur lequel
se dresse la croix du Christ, appelé « lieu du Crâne », en hébreu Golgotha, la tradition
reconnaît le crâne du premier Adam. L’iconographie le représente arrosé et racheté par
le sang du Christ ; et l’on montre jusqu’aujourd’hui la « chapelle d’Adam » dans une
anfractuosité du rocher sous le Calvaire. En voulant s’approprier le fruit de l’arbre la
vie, le premier Adam a introduit la mort dans le monde ; en acceptant de supporter la
malédiction de la mort, le nouvel Adam a rendu à l’humanité toute entière la vie
nouvelle, la seule qui vaille, celle qui se reçoit et que Paul appelle le don de l’Esprit de
Dieu.
LISONS MAINTENANT LA DEUXIEME SEQUENCE (3,15-25)
Comme la précédente, cette deuxième séquence comprend trois passages. Nous
procéderons de la même manière : d’abord un passage après l’autre, puis une reprise
d’ensemble.
LISONS LE PREMIER PASSAGE (3,15-18)
15
Frères, je parle au plan humain : même un testament établi par un homme en bonne et
due forme, personne n’y retranche ou y rajoute. 16 Or c’est à Abraham qu’ont été faites les
promesses et à sa descendance. Il n’est pas dit « et aux descendances » comme pour
plusieurs, mais comme pour un seul « et à ta descendance », laquelle est le Christ.
17
Eh bien, voici ce que je dis : un testament déjà établi par Dieu en bonne et due forme, la
Loi qui est venue quatre cent trente ans après ne l’abroge pas de manière à annuler la
promesse. 18 Si en effet c’est en vertu de la Loi que l’on hérite, ce n’est plus en vertu de la
promesse ; or c’est par la promesse que Dieu a fait-grâce à Abraham.
Le discours se développe en deux temps : ce qui vaut entre les hommes (15-16) vaut
aussi pour Dieu (17-18). Ce qui est d’abord appelé « testament » est ensuite qualifié de
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
8
« promesse(s) », au pluriel ou au singulier, opposée à « la Loi ». Ce terme de
« promesse » n’est jamais utilisé dans le Pentateuque, mais la réalité y est, bien
présente. Au sens large, le terme traduit par « testament » (diathēkē) signifie « disposition (légale) » ; c’est le terme utilisé aussi pour désigner l’« alliance ».
Notons un point particulièrement important : contrairement à l’alliance conclue
entre Dieu et les fils d’Israël par l’entremise de Moïse, l’alliance avec Abraham n’est
pas conditionnée par l’observance d’un commandement. En Gn 15, l’alliance est
annoncée comme un don, un don gratuit, ce qu’exprime le terme de « promesse »
utilisé par Paul : « Ce jour-là le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces
termes : “À ta postérité je donne ce pays” » (Gn 15,18). Un don sans contrepartie.
Il en va de même au chapitre 17. Seule la circoncision est demandée par Dieu, non
pas tant comme commandement que comme « signe » de l’alliance qui doit marquer la
chair de chaque enfant mâle (Gn 17,11) ; un peu comme l’arc-en-ciel est le « signe »
de l’alliance conclue avec Noé (Gn 9,9-17) et ne saurait évidemment représenter un
commandement.
Le nombre de quatre cent trente ans vient du Peutateuque. Selon Gn 15,13, le
Seigneur révèle à Abram durant son sommeil que ses descendants seront esclaves dans
un pays étranger « durant quatre cents ans ». Selon Ex 12,40-41 leur séjour fut de
quatre cent trente ans : « Le séjour des Israélites en Égypte avait duré quatre cent
trente ans. Le jour même où prenait fin les quatre cent trente ans, toutes les armées du
Seigneur sortirent du pays d’Égypte ».
Le bénéficiaire du testament
Le verset 16 fait difficulté. Il dit ceci : « Or c’est à Abraham qu’ont été faites les
promesses et à sa descendance. Il n’est pas dit “et aux descendances” comme pour
plusieurs, mais comme pour un seul “et à ta descendance”, laquelle est le Christ ». Ce
verset apparaît comme une sorte de digression qui interrompt le cours du
raisonnement. En effet, l’exemple d’« un testament promulgué par un homme » (15)
est ensuite appliqué, dans la deuxième partie, au « testament déjà-promulgué par
Dieu ». En réalité, l’application est faite dès le début : comme si Paul avait hâte de
préciser que le testament dont il veut parler est celui qui a été fait au bénéfice
d’Abraham et de « sa semence ». En revanche, il n’explicite pas le contenu de ce qu’il
appelle maintenant « les promesses ». On pourrait penser au don de la terre de Canaan
(Gn 15,7.18-21 ; 17,8), ou même à la bénédiction qu’il recevra de la part de toutes les
nations de la terre (Gn 22,18). Toutefois, ce pluriel semble se concentrer, sous la
plume de Paul, dans le don d’une semence, car il n’évoque rien d’autre. Au nom
d’« Abraham » par lequel commence sa longue phrase (16) correspond à la fin celui du
« Christ » ; c’est là qu’il voulait en venir en faisant converger sur une seule personne
la descendance nombreuse promise au patriarche.
Un testament irrévocable et gratuit
Dès le début, Paul énonce sa thèse : une fois qu’un testament est promulgué, rien ni
personne ne peut l’invalider. Ensuite, il y revient encore, mais en nommant cette foisci ce qui pourrait sembler avoir annulé la promesse, à savoir « la Loi ». Postérieure de
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
9
plus de quatre siècles, la Loi ne saurait abroger la promesse. Le testament établi par
Dieu n’est pas remis en cause par la Loi. Opposée au don gracieux de l’héritage (18),
on comprend que « la Loi » signifie en l’occurrence l’observance de la Loi. L’héritage,
la promesse, la grâce ne sont pas le fruit des œuvres de la Loi, ce n’est pas l’homme
qui les obtient par ses propres forces, c’est Dieu qui les donne comme un père transmet
l’ensemble de ses biens à ses fils, sans qu’ils aient rien eu à faire.
PASSONS AU DEUXIEME PASSAGE (3,19-21a)
19
Pourquoi donc la Loi ? Elle fut ajoutée en vue des transgressions jusqu’à ce qu’arrive la
descendance à qui était destinée la promesse ; elle a été promulguée par des anges par le
moyen d’un médiateur. 20 Or ce médiateur n’est pas médiateur d’un seul, et Dieu est seul.
21
La Loi est donc contre les promesses [de Dieu] ? Jamais de la vie !
La Torah ne mentionne pas d’anges dans la transmission de la Loi ; toutefois en Dt
33,2 la Septante les introduit : « Le Seigneur est venu du Sina [...] des anges avec lui ».
Cette tradition, bien attestée dans la littérature juive, est présente dans les Actes, à la
fin du discours d’Étienne : « vous qui avez reçu la Loi par le ministère des anges et ne
l’avez pas observée » (Ac 7,53).
Quant au « médiateur » dont parle Paul, même si le mot ne se trouve pas dans le
Pentateuque, cela n’empêche pas que la réalité y soit présente. L’expression « par le
moyen de Moïse » est employée en Lv 26,46 : « Tels sont les décrets, les coutumes et
les lois qu’établit le Seigneur, entre lui et les Israélites, sur le mont Sinaï, par
l’intermédiaire de Moïse ».
La fin de la Loi
À peine posée la question du « pourquoi » de la Loi, Paul y répond, mais de
manière lapidaire et quelque peu énigmatique, en tout cas sans s’expliquer. Ce n’est
certes pas pour faire pécher ceux avec lesquels il concluait une alliance que Dieu avait
donné la Loi. Toutefois, comme Paul l’avait déjà dit à la fin de la séquence précédente,
l’expérience avait montré que l’homme était incapable de « s’attacher à toutes les
choses écrites au livre de la Loi pour les faire » et il se trouvait par conséquent « sous
la malédiction » (3,10). En ce sens, c’était bien « en vue des transgressions » que la
Loi avait été ajoutée, c’est-à-dire pour manifester que l’homme s’en trouvait irrémédiablement prisonnier. L’Apôtre y reviendra dès le début du passage suivant (21).
La Loi n’a qu’un temps
Certes la Loi « a été ajoutée » à la promesse, mais ce ne sera que pour un temps
limité. De même qu’elle avait été édictée pas moins de quatre cent trente ans après les
promesses que Dieu fit à Abraham, ainsi elle n’est pas destinée à se maintenir pour
toujours : en effet, elle cessera d’être en vigueur dès que sera venue « la semence »
d’Abraham à qui ont été faites les promesses, c’est-à-dire « le Christ » (16).
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
10
L’origine de la Loi
Faisant sienne une tradition bien attestée, Paul insiste sur le fait que, contrairement
à la promesse faite à Abraham, la Loi n’avait pas été donnée directement par Dieu. Il
redouble même les intermédiaires entre Dieu et le peuple d’Israël : en effet, ce n’est
pas seulement « par des anges » que la Loi a été disposée, mais en outre « par le
moyen d’un médiateur ». Ce médiateur n’est pas nommé, et on peut comprendre qu’il
s’agit de Moïse ; mais là n’est pas le point. Ce qui importe à Paul est, sinon d’opposer,
du moins de bien distinguer la Loi de la promesse. Le médiateur dont il est question a
servi d’intermédiaire non pas directement entre Dieu et les fils d’Israël, mais entre les
anges et eux ; ce qui n’était pas le cas de la promesse adressée à Abraham par le Dieu
unique lui-même. La différence est donc significative de la supériorité de la promesse
sur la Loi, même si, bien sûr, il n’est pas question de prétendre que « la Loi est contre
les promesses » (21ab).
NOUS EN ARRIVONS AU TROISIEME ET DERNIER PASSAGE DE LA SEQUENCE (3,21B-25)
Si en effet une Loi avait été donnée qui ait le pouvoir de faire vivre, ce serait effectivement
par la Loi que serait la justice. 22 Mais l’Écriture a tout enfermé sous le péché afin que la
promesse, par la Foi en Jésus Christ, fut donnée à ceux qui croient.
23
Avant l’arrivée de la Foi, nous étions gardés enfermés sous la Loi, jusqu’à la Foi qui
devait être révélée, 24 de sorte que la Loi est devenue notre pédagogue jusqu’au Christ, afin
que par la Foi nous soyons justifiés. 25 Mais la Foi arrivée, nous ne sommes plus sous un
pédagogue.
L’enfermement sous la Loi
Si Paul répète le verbe « enfermer » (22.23), c’est sans doute qu’il entend donner
une image de la Loi limitative, contraignante, restrictive. C’est effectivement le rôle de
la Loi que de fixer des limites, d’imposer des contraintes et des restrictions. L’image
du « pédagogue », cet esclave chargé par le père de conduire son fils mineur vers son
maître, permet d’entrevoir ce que l’apôtre a en tête. Le pédagogue de l’époque n’est
qu’un intermédiaire entre le père et le maître ; il guide et surveille l’enfant, mais ce
n’est pas lui qui « fait vivre », qui donne la vie, ce n’est pas lui non plus qui instruit
l’enfant jusqu’à en faire un adulte libre et responsable. Ce n’est pas la Loi qui « fait
vivre » et qui procure « la justice » (21).
L’enfermement sous le péché
Mais Paul ne se contente pas de dire que nous étions enfermés sous la Loi, il avait
affirmé auparavant que « l’Écriture avait enfermé tout sous le péché ». Ce qui ne laisse
pas d’étonner : on pourrait en effet comprendre que Dieu a donné la Loi pour faire
pécher les fils d’Israël. De même, quand il est dit que la Loi n’est pas capable de faire
vivre (21), on pourrait interpréter, en toute logique, qu’elle conduit à la mort. De
même encore, si la justice ne vient pas de la Loi (21), c’est que celle-ci porte à
l’injustice. Tenant présent le contexte, en particulier la Foi qui s’oppose à la Loi, on
comprendra que, si la Loi ne peut donner ni la justice ni la vie, en revanche elle donne
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
11
la connaissance du péché, et donc de la mort, dont elle est incapable de préserver celui
qui y est soumis.
Le don de la promesse
Ce qui s’oppose à l’enfermement sous la Loi et le péché, c’est le don de la promesse
(22). Ou plus exactement, la finalité de la Loi était, comme celle du pédagogue, de
conduire au Christ qui seul pouvait faire comprendre que ce qui « fait vivre » et
procure « la justice », c’est la foi en Celui qui a donné la promesse, que la vie et la
justice sont un don gratuit de Dieu en Jésus Christ.
La révélation de la Foi
Il n’a pas fallu moins qu’une « révélation » (23), c’est-à-dire un don d’en-haut, pour
que l’on réalise enfin que la Loi ne pouvait être qu’un enfermement « sous le péché »
et que c’est la Foi seule en Christ qui pouvait procurer la justice et donc la vie. Même
si le temps du pédagogue est désormais révolu, son rôle et sa grandeur n’en demeurent
pas moins de nous avoir conduit jusqu’au Christ dont l’Écriture atteste qu’il avait été
promis.
REPRENONS POUR FINIR L’ENSEMBLE DE LA SEQUENCE (3,15-25)
15
Frères, je parle au plan humain : même un testament établi par un homme en bonne et
due forme, personne n’y retranche ou y rajoute. 16 Or c’est à Abraham qu’ont été faites les
promesses et à sa descendance. Il n’est pas dit « et aux descendances » comme pour
plusieurs, mais comme pour un seul « et à ta descendance », laquelle est le Christ.
17
Eh bien, voici ce que je dis : un testament déjà établi par Dieu en bonne et due forme, la
Loi qui est venue quatre cent trente ans après ne l’abroge pas de manière à annuler la
promesse. 18 Si en effet c’est en vertu de la Loi que l’on hérite, ce n’est plus en vertu de la
promesse ; or c’est par la promesse que Dieu a fait-grâce à Abraham.
19
Pourquoi donc la Loi ? Elle fut ajoutée en vue des transgressions jusqu’à ce
qu’arrive la descendance à qui était destinée la promesse ; elle a été promulguée par
des anges par le moyen d’un médiateur. 20 Or ce médiateur n’est pas médiateur d’un
seul, et Dieu est seul. 21 La Loi est donc contre les promesses [de Dieu] ? Jamais de
la vie !
Si en effet une Loi avait été donnée qui ait le pouvoir de faire-vivre, ce serait effectivement
par la Loi que serait la justice. 22 Mais l’Écriture a tout enfermé sous le péché afin que la
promesse, par la Foi en Jésus Christ, fut donnée à ceux qui croient.
23
Avant l’arrivée de la Foi, nous étions gardés enfermés sous la Loi, jusqu’à la Foi qui
devait être révélée, 24 de sorte que la Loi est devenue notre pédagogue jusqu’au Christ, afin
que par la Foi nous soyons justifiés. 25 Mais la Foi arrivée, nous ne sommes plus sous un
pédagogue.
Les deux interrogations qui se trouvent au centre de la séquence posent la question
du rôle de la loi et de son rapport avec « les promesses ».
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
12
La Foi dans la promesse
Comme un testament, les promesses de Dieu faites à Abraham sont le fruit d’une
initiative divine totalement gratuite. Comme l’héritage, qui n’est pas dû à quelque
mérite que ce soit de la part de son bénéficiaire. Les promesses sont un don gracieux ;
« c’est par la promesse que Dieu a fait-grâce à Abraham » (18). L’alliance conclue
avec le patriarche n’est en rien conditionnée par la pratique de quelque commandement que ce soit. Comme l’héritage, la promesse « fait vivre » celui qui croit au don,
celui qui l’accueille dans la foi comme il a accueilli la vie que lui a donné l’auteur de
ses jours. La promesse est en effet celle d’une descendance, d’une « semence », c’est
le don de la filiation. Filiation dans celui que la Foi fait reconnaître comme le Fils de
Dieu, le Messie, Jésus le Christ. Croire au don signifie accorder sa foi en même temps
à l’auteur du don, le seul Dieu, et à celui qui incarne le don du Père, son Fils unique.
Croire à « la promesse », c’est croire à « la semence », « laquelle est le Christ ».
La garde de la Loi
S’imaginer que la Loi a le pouvoir de « faire vivre », ce serait croire que l’obéissance à ses commandements permettrait à l’homme d’acquérir « la justice ». Ce serait
renoncer à « l’héritage » et à sa « grâce ». Alors, « pourquoi donc la Loi ? » Elle ne
saurait tout d’abord se substituer à la promesse, en l’abrogeant. Venue bien longtemps
après elle, elle n’était pas destinée à demeurer toujours en vigueur. Son rôle était
transitoire, son temps était compté. Une fois la promesse réalisée en Christ, elle n’a
plus de raison d’être : son rôle est révolu, comme celui du pédagogue dès l’instant que
le fils a atteint sa maturité. Et pourtant, la Loi avait une fonction à remplir, et celle-ci
était essentielle. « Elle fut ajoutée en vue des transgressions ». Il fallait en effet que les
fils d’Israël fassent l’expérience, douloureuse comme peut l’être la vérité, que ce
n’était pas par sa pratique de la Loi qu’ils étaient capables d’atteindre la justification et
la vie. Ils pouvaient seulement constater qu’ils restaient « enfermés sous le péché »,
incapables radicalement d’obéir aux commandements, d’être fidèles à la Loi. Il fallait
bien que la Loi fut ajoutée « en vue des transgressions », pour que l’on puisse
découvrir qu’il n’était d’autre voie que celle de la foi en la gratuité de la promesse. Tel
fut en effet le chemin qui devait porter les prophètes de l’Exil à prédire la nouvelle
alliance, celle qui repose sur le pardon des péchés et n’est pas conditionnée par
l’observance de la Loi (Jr 31,31-34).
EN MANIERE DE CONCLUSION
En manière de conclusion, je vous propose une ultime reprise pour avoir une idée
plus synthétique de l’ensemble des deux séquences : ce ne sera pas une répétition mais
une récapitulation. Selon le principe que le sens de l’ensemble est plus que la somme
des éléments.
Le fondement de leur expérience
Pour engager une section que l’on appelle « doctrinale », Paul n’a pas recours à des
affirmations de type dogmatique. Il s’appuie sur l’histoire, non pas d’abord sur
l’histoire d’Israël, l’histoire du salut, mais sur celle de ses destinataires. Tout a
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
13
commencé pour eux quand ils ont reçu l’Esprit, sans que la Loi n’y ait été pour quoi
que ce soit. Et, s’ils ont reçu l’Esprit par qui Dieu, dans le présent, « opère des
merveilles parmi eux », c’est parce que c’est Jésus Christ crucifié qui leur a été
annoncé, auquel ils ont accordé leur foi. C’est la croix du Christ qui est plantée à
l’entrée de ces deux séquences et qui ainsi domine tout le discours de Paul, toute son
argumentation. Christ, dont les mains et les pieds sont cloués au bois, est l’icône de la
grâce, à savoir tout le contraire des œuvres, puisqu’il se trouve réduit à la plus radicale
impuissance. Ainsi, l’apôtre commence par renvoyer ses destinataires à leur propre
expérience, à leur propre histoire en ses commencements, et à son caractère fondateur.
Avant de recourir à quelque démonstration, à quelque preuve scripturaire que ce soit, il
invite les Galates à réfléchir sur ce qu’ils ont expérimenté de la grâce de l’Esprit, au
commencement, à ce qui représente donc le socle inébranlable sur lequel repose leur
foi et leur espérance.
Abraham au fondement de la foi de tous
Ayant renvoyé les Galates à leur propre expérience de la foi, Paul en vient à celui
qui est au fondement de la foi non seulement d’Israël mais aussi de toutes les nations.
C’est sur la figure d’Abraham que la première séquence est focalisée, et c’est lui qui,
après le Christ, est le personnage le plus marquant de toute la sous-section. Le père des
croyants est mis en parallèle, et en opposition, avec un autre personnage clé de
l’histoire du salut, mais dont le nom n’est jamais mentionné : en vis-à-vis d’Abraham,
le lecteur reconnaît Moïse, le « médiateur » par qui est venue la Loi. De l’histoire
d’Abraham Paul ne retient que ce qui met en valeur sa foi seule, sans que soit
mentionnée son obéissance aux ordres de Dieu. Fort âgé et atteint par la stérilité de son
épouse, il crut néanmoins en Dieu qui lui promettait une descendance ; déjà bien
longtemps auparavant, dès le début de son appel, il avait cru à la bénédiction qui lui
était promise, pour lui et pour « toutes les familles de la terre ». La première séquence
revient en finale sur la « bénédiction d’Abraham » advenue « pour les nations », par
laquelle les descendants d’Abraham selon la chair reçoivent eux aussi, par la foi, la
promesse de l’Esprit. Toute la seconde séquence explicitera le rapport entre la foi
d’Abraham et les œuvres la Loi que le dernier passage de la première séquence avait
exposé sous l’aspect tranché de l’opposition entre malédiction et bénédiction.
La grâce de la filiation
La seconde séquence insiste tout au long sur une réalité qu’elle mentionne sept fois,
le chiffre de la perfection, qu’elle met non seulement au singulier, mais aussi au
pluriel : « la promesse » ou « les promesses », et même sous forme verbale. Il semble
toutefois, tout au moins à première vue, que leur objet n’est pas nommé. Qu’est-ce
donc qui a été promis à Abraham ? Les deux citations alléguées au centre de la
première séquence sont tirées de récits où c’est une descendance qui est promise au
patriarche. L’arrivée d’un enfant – tous les parents le savent – est emblématique du
don absolu. Ce le fut à un degré extrême pour Abraham, étant donné son âge et la
stérilité de sa femme, comme ce devait l’être aussi du reste pour son fils puis pour son
petit-fils. La filiation représente aussi tous les autres dons, tout ce dont on « hérite »,
2. Christ crucifié (Ga 3,1-25)
14
c’est-à-dire sans mérite, sans avoir rien eu à faire, sans « œuvres » qu’on aurait dû
accomplir. C’est ce sur quoi insistent les deux séquences. Au patriarche, qui se
morfondait de devoir partir sans enfant, il a été désormais « fait-grâce » d’une
descendance qui aboutit à celui qui, en quelque sorte, représente à lui seul la promesse,
« le Christ ». Mais la semence d’Abraham s’étend aussi à toutes les nations, qui sont
devenus par la foi ses « fils ».
La justification par la foi de Jésus Christ
Deux fois, le don de la justice est dénié à la Loi : « Et que par la Loi personne n’est
justifié devant Dieu, c’est clair, car “le juste vivra par la foi” » (11) ; « Si une loi avait
été donnée qui ait le pouvoir de faire vivre, ce serait par la Loi que serait la justice »
(21). Chaque fois, il est bien précisé que ce n’est pas elle qui fait « vivre ». Seule la foi
peut procurer justice et vie. On sait les discussions qu’a suscitées l’expression pistis
Iēsou Christou (22), littéralement « la foi de Jésus Christ », que l’on peut comprendre
comme la foi dont le Christ est l’objet – la foi en lui – ou dont il est le sujet – la foi
qu’il a eue en Dieu. Il n’est pas impossible que l’ambiguïté soit voulue, laissant place à
l’interprétation. Si le sens subjectif était retenu, la mort de Jésus en croix serait à
considérer non pas tant comme une « œuvre » accomplie pour notre « rachat », mais
avant tout comme le témoignage le plus éclatant de son abandon, de sa confiance
radicale en celui qui pouvait le sauver de la mort, en un mot de sa « foi ». Ainsi, ce
serait la foi en celui dont la foi pure nous a rachetés de la malédiction de la Loi, qui
nous ferait reconnaître en Dieu seul la source de la justice et de la vie.
40 239
Pour 60 mn : 40 600