Les Toulousains en 1991
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Les Toulousains en 1991
Les «TOULOUSAINS» PLÂTRES ORIGINAUX et SCULPTURES du XIXe SIÈCLE MUSEE DES AUGUSTINS Exposition du 1" octobre 1991 au 6 janvier 1992 11!IilitisTii i1 0 r Commissaires de l'exposition Denis Mifhau, Conservateur en Chef du Patrimoine, Conservateur du Musée des Augustins (D. M.) Monique Rey-Delqué, Conservateur au Musée des Augustins (M. R.-D.). A l'occasion de la grande manifestation «Musées en tête ! Octobre au Musée», organisée à travers toute la France en octobre 1991, le Musée des Augustins présente une abondante sélection de ses plâtres originaux et sculptures des artistes toulousains du XIXe siècle. Cette collection significative, l'une des plus importantes des musées français, illustre, à la fois, ce qu'a été l'évolution de la statuaire monumentale en France durant tout le XIXe siècle et, aussi et surtout, la part qu'ont prise les sculpteurs toulousains de la deuxième partie du siècle dans l'essor de l'art éclectique nouveau, parallèle à l'art de Rodin, aspect que cette exposition met particulièrement en relief. Pour cette présentation un intense travail de mise en état, qui se poursuit encore actuellement, a été accompli, assorti d'un certain nombre de mesures conservatoires pour assurer la sauvegarde du patrimoine sculptural de notre Ville, dans ses différents jardins, mesures qui ont d'ores et déjà permis le sauvetage des pièces les plus importantes, qui sont présentées dans cette exposition, et qui permettront de redonner aux Toulousains, dans leur Ville et dans les lieux pour lesquels il a été conçu, le décor qui fut mis en place dans le dernier quart du XIXe siècle, à l'initiative de la Municipalité. Cet aspect de décor urbain grandiose et prestigieux montre bien le rôle que Toulouse a joué dans l'épanouissement de cet art monumental, caractéristique d'une époque, et la continuité de la politique de la Ville en ce domaine. A v•---• Julien ANDRES Maire-Adjoint de Toulouse Délégué aux Musées Le renouveau de l'intérêt pour la sculpture du XIXe siècle permet de réévaluer une étonnante création que le sectarisme de l'avant-gardisme avait plongée dans les oubliettes de l'histoire et condamnée comme «art pompier». La réhabilitation actuelle conduit à constater que, aux côtés de la peinture, mais par des voies différentes, des voies propres, la sculpture du XIXe siècle a contribué à l'essor d'une certaine notion de la modernité, à l'évolution de l'imaginaire social et individuel, à la naissance de l'art et du goût modernes. Toulouse, son exceptionnel patrimoine antique, médiéval, renaissant et classique le prouve, est un pays de sculpteurs et on ne s'étonnera pas que ses artistes aient occupé une place importante dans la sculpture d'un siècle qui fut, plus que tout autre, un siècle de déploiement exceptionnel de la sculpture et surtout de la sculpture monumentale : Bernard Lange et Bernard Griffoul-Dorval ont été, dans la première moitié du siècle, deux des représentants éminents du Néoclassicisme, même si relativement peu connus au plan national ; au milieu du siècle, Prouha, lui aussi relativement mal connu, participa à l'inflexion du style dominant classicisant vers des interprétations romantiques et littéraires comparables à celles données par Rude, ou par Préault, l'un des rares sculpteurs à avoir trouvé grâce aux yeux d'un Baudelaire impitoyable pour la sculpture et les sculpteurs; enfin, dans les dernières années du siècle, sous l'égide de Falguière qui fut leur maître à presque tous, les Mercié, Marqueste, Labatut, Mengue, Rivière, Seysses et Ségoffin, formèrent ce groupe des «Toulousains», comme les appelèrent naturellement leurs confrères et les critiques, qui fut un des groupes les plus représentatifs et signifi- catifs d'une sculpture «fin de siècle» qui, même dans son académisme apparent et son décadentisme éclectique, était annonciatrice d'une nouvelle conception de l'art de sculpter : Rodin honora Falguière de son amitié et son estime, même au plus fort des démêlés pour le monument à Balzac. La nature même de l'exposition que nous présentons ici permet de souligner un des aspects les plus caractéristiques de la sculpture du XIXe siècle : art monumental, lié à la Ville, aux monuments publics et prestigieux, édifiant des oeuvres commémoratives et emblématiques au coeur de la circulation, la sculpture du XIXe siècle est un immense hymne de la pierre alors que l'essentiel de sa production a été le fait de modeleurs. Dans la très grande majorité des cas le sculpteur est un modeleur qui invente dans la terre malléable et ductile les formes à réaliser monumentalement dans le matériau noble, pierre ou marbre, mais aussi bronze, réalisation qui passe par l'intermédiaire d'un plâtre qui servira, tout aussi bien, à la mise au point dans la pierre ou le marbre par le sculpteur et ses praticiens, ou ses praticiens seuls, qu'à la fabrication des moules pour la fonte en bronze. L'aboutissement au plâtre original passe par toutes les étapes formelles de la recherche dans des esquisses, ébauches et études qui s'incarnent dans un modèle définitif que la fabrication du plâtre fait disparaître, d'où la dénomination de «plâtre original» et la valeur exceptionnelle donnée à ces matrices uniques qui permettent d'autres réalisations, agrandissements, réductions. Notre exposition est essentiellement constituée de tels plâtres originaux que, le plus souvent possible, on a présentés à côté de réalisations 5 en marbre, en pierre, en terre cuite ou en bronze. Cette caractéristique technique doit être associée à une autre détermination de la sculpture de cette époque, de nature économique et sociale et qui concerne le statut fonctionnel social de la sculpture : sous peine de se contenter d'une création de petites sculptures confinant à la bimbeloterie, le sculpteur aspire à être le maître d'ceuvre d'une statuaire monumentale dont les coûts, les investissements nécessaires, physiques, matériels et financiers, l'acculent à la dépendance des grandes commandes, publiques ou privées. On voit donc les conséquences sociales, morales et politiques d'une telle situation: l'oeuvre sculptée devient un enjeu, tant pour le créateur lui-même, que pour ses commanditaires et pour les publics auxquels ils s 'adressent, chacun avec son propre point de vue, et auxquels ils veulent transmettre leurs messages, parfois ambigus sinon contradictoires. Jamais comme au XIXe siècle la socialité de la sculpture n'a été aussi présente à l'esprit des artistes, et leur souci, car pour accéder à cette socialité encore fallait-il pouvoir réaliser. Par le travail de recherche formelle et plastique dans ses esquisses, ébauches et modèles, le sculpteur est et reste indéniablement le maître de sa création et de son invention, quitte même à se plier, pour avoir cette liberté créative, aux injonctions idéologiques et iconographiques des commanditaires et des décideurs, mais s'il crée, ainsi, ce qu'il veut, il se pose toujours avec angoisse la question de savoir pourquoi, et, surtout, pour qui et grâce à qui. Comme le peintre il peut, dans son atelier, créer ce qu'il veut et, comme le peintre, il peut espérer trouver amateur et acquéreur s'il arrive à exposer ou attirer d'éventuels clients dans son atelier, mais dans un tel système, son espoir se réduit le plus souvent à l'écoulement de sculptures de peti6 tes dimensions alors qu'il ambitionne d'être commandité de grande statuaire monumentale s'insérant dans des programmes pour lesquels les désignations des artistes, soit par concours, soit par commande directe, se font selon un processus de clientélisme qui est un véritable système de numerus clausus des élus qui a pesé d'un poids considérable sur la sculpture du XIXe siècle, et contribué à ce caractère d'académisme et de monotonie qu'ont vilipendé les grands critiques du temps, Gautier, Baudelaire, Zola et Huysmans. Des succès constants aux différentes étapes de l'enseignement de 1 'Ecole des Beaux-Arts, sous la coupe de l'Académie des Beaux-Arts jusqu'à la réforme de 1863, l'obtention du Prix de Rome, puis, à partir du moment où ce cursus accompli, on était admis, par un jury également dominé par l'Académie, à exposer au Salon annuel, la collecte difficile de médailles, étaient les véritables laissez-passer pour entrer dans la chapelle des bénéficiaires de grandes commandes publiques. Le poids extrêmement réactionnaire de l'autorité de l'Institut, le carcan de ce processus nécessaire de la formation qui seul ouvrait la porte de la commande publique, la pesanteur des rouages administratifs de la commande, quelle qu'ait été l'ouverture d'esprit de certains hauts responsables, expliquent l'aspect convenu, monotone, en un mot trop vague, «académique», de l'ensemble d'une production publique tendant à devenir un art officiel qui constitue l'immense majorité de cette sculpture du XIXe siècle et de cette exposition en particulier. On notera, cependant, que, dans le cadre même du système, l'administration des Beaux-Arts, très vraisemblablement consciente des inconvénients sinon des iniquités inhérentes à un tel processus de commandes, eut une sorte d'assistanat» social à l'égard de nombreux artistes écartés ou exclus du système, action d'assistanat relayée, fût-ce de façon inégale, par les collectivités locales et certains riches mécènes privés. Parallèlement, le goût privé pour la petite sculpture d'intérieur trouva, techniquement, une réponse sociale satisfaisante, avec l'industrie de la réduction en bronze et d'autres métaux de fonte ou de reproduction, et en terre-cuite. Pour les réductions en bronze, la machine de Colas, rendue publique en 1839, en même temps que la photographie, permit le développement d'une industrie et d'un commerce prospères où s 'illustra particulièrement la maison Barbedienne. Il faut remarquer, toutefois, que si de nombreux sculpteurs aujourd'hui oubliés, de ces «sculptiers» dont parle dédaigneusement Baudelaire, purent vivre ou survivre grâce à ces industries et ces commerces nouveaux, les entrepreneurs comme Barbedienne choisirent préférentiellement de reproduire et réduire, le plus souvent en essayant d'accaparer la propriété et les droit sur les originaux, les oeuvres des artistes les plus en cour, les plus connus, les plus appréciés de publics qui étaient, ne fût-ce que partiellement, les piliers idéologiques et sociaux de l'académisme régnant. Pour aussi fondées que paraissent les critiques déjà formulées au XIXe siècle, pour ne pas parler des condamnations sans appel formulées par les modernistes de notre siècle, la redécouverte des oeuvres, aujourd'hui, même de celles qui semblent le plus marquées par leur soumission au système que l'on vient de décrire très schématiquement, nous met en présence d'une création d'une étonnante richesse, d'une variété et d'une profusion formelles, qui nous mettent dans le devoir d'en tenter l'histoire et l'explication en s'attachant à décrypter et à déchiffrer ce en quoi elle fut la manifestation et l'incarnation de son affranchissement des carcans des structures et du goût officiels, de sa subversion de ce goût officiel tout en s'y insérant et, ce faisant, formant un nouveau goût. * ** Sous l'Empire et la Restauration la sculpture était florissante à Toulouse. Les principaux sculpteurs, Lange, Vigan, Ajon, Pujol et Griffoul-Dorval avaient été formés à l'esthétique néo-classique par François Lucas. Le culte de l'Antiquité classique s'y nuance des apports de la sensibilité à la nature. Comme le théoricien Quatremène de Quincy le formulait, l'exemple de l'art antique était le moule dans lequel devait prendre corps une représentation de l'idée pure, ce qui est la véritable imitation, de type platonicien, mais la plupart des sculpteurs, et en particulier les toulousains, associaient à cet idéalisme rigoureux l'idée que la nature était tout aussi inspiratrice de formes expressives que les œuvres antiques. Si le choix des sujets est le plus souvent fait dans la littérature classique, épique ou lyrique, ou dans l'histoire qui permet, elle aussi, le recours à la figure allégorique et emblématique édifiante, le traitement même de ces figures, de préférence dans une nudité homérique et exemplaire, accepte toutes les séductions de la chair et de la peau que seule la nature peut insuffler et qu'il faut harmoniser avec le grand style de l'art antique. Un mélange de rigueur formelle antiquisante, de sensiblerie pré-romantique à la Jean-Jacques Rousseau, et du sensualisme naturaliste de Diderot, anime cette esthétique dont une formule d'Antonio Canova, le sculpteur italien le plus représentatif du mouvement et qui fut un des artistes préférés de Napoléon ler et des Napoléonides, résume bien la nature: Joui ce qui respire la vie... Les nus sont la vraie chair et la plus belle». L'acerbe critique moderniste a voué cette sculpture aux gémonies à cause de son érotisme glacial, sa répé7 titivité de modèles antiques altérés, son obsession de la figure isolée dans la séduction frigorifiante de ses carnations marmoréennes et de ses drapés stéréotypés, de sa nudité pudibonde et de ses accoutrements hypocritement suggestifs. Pourtant, au-delà de l'apparente rigueur formelle, il faut reconnaître la saveur du faire et du modelé, une invention expressive des attitudes et des gestes où se manifestent, d'abord, une grande virtuosité, mais, aussi et surtout, le goût du naturel et du vivant dans lequel cette virtuosité s'abreuve à l'art des jeux de la lumière à fleur de la matière sculptée, hérité de Donatello et de Coysevox tout autant que de l'analyse des antiques, mais qui s'abreuve aussi à toutes les expériences et les sensations d'une sensibilité moderne, celle que David avait magnifiée avec sa «Mort du jeune Barra» et son portrait de Madame Récamier, celle que, dans le même temps qu'eux, Ingres développait en peinture. Citer Ingres, ici, n'est pas innocent : si le maître montalbanais, qui fit ses premières armes à Toulouse chez Roques, est bien la figure la plus éminente du Néoclassicisme, il est aussi l'un des esprits les plus romantiques de son temps, même si la forme de son dessin et de sa peinture déplut aux romantiques. Or il se trouve que, par le jeu des dons et des envois de l'Etat, le musée des Augustins possède une «Chloris» de Pradier, qui n'est pas Toulousain. Cette oeuvre en marbre de 1849, mais dont la conception remonte à 1847, est caractéristique de cet aspect d'un Néo-classicisme évoluant vers une sensibilité romantique. Théophile Gautier admira cette sculpture et en vanta les mérites sensibles qui n'étaient pas néo-classiques et soulevaient l'enthousiasme de l'homme au gilet rouge de la bataille d'Hernani : «... on devine à l'abandon de la tête, au regard vague, à la bouche mi-ouverte, le doux vertige causé par les pénétrantes ardeurs et le 8 trouble amoureux du printemps». Et nous sommes à la même époque que celle où Ingres acheva sa «Vénus Anadyomène» ! Le romantisme est, en effet, difficilement définissable quant à sa forme, même si stylistiquement, surtout après 1830, certains éléments formels et techniques en deviennent caractéristiques, mais, en revanche, on peut mieux saisir un esprit et une sensibilité romantiques qui purent d'ailleurs, du fait de cette imprécision formelle du romantisme, affecter des formes apparemment classicisantes ou baroquisantes, le sentiment et la personnalité romantiques se manifestant dans le choix thématique et iconographique et l'effet littéraire de l'oeuvre. En ce sens le Romantisme apparaît d'abord comme une réaction mentale et une protestation contre l'idéalisme du Néo-classicisme et contre la contrainte de l'obligation de passer par les modèles canoniques formels de l'Antiquité, pour préconiser et prôner un retour à la vie et à la vie réelle et concrète de l'homme comme individu personnellement à l'épreuve du monde et des sentiments qu'il y éprouve. Cette exigence du vécu réel fait tomber les hiérarchies des genres et des sentiments et entraîne une redistribution complexe du beau et du laid, jusque-là idéalement définis comme opposition du noble et de l'ignoble, du bon et du mauvais, en les réunifiant dans la réalité de leur inextricable présence commune dans le vivre humain. Ne s'en tenant pas à cette opposition idéale théorique, les jeunes adeptes du Romantisme, s'appuyant, eux aussi, sur un nécessaire recours à un patrimoine et une tradition, à une culture, et en liaison intime avec leur appel à être au diapason des réalités vécues du monde moderne, se référaient à Dante et à Shakespeare et montraient comment, quoique relativement oblitérée par l'idéologie classicisante dominante, tout au long de l'histoire littéraire et artistique avait existé une création, faisant elle aussi tradition, fondée sur la sensibilité au réel et à ses contradictions dynamiques et sur une modernité sans cesse changeante. Chez Stendhal, Hugo, et surtout Baudelaire, la promotion de l'esprit romantique est indissociable de celle de l'aspiration à la modernité qui, par son mouvement même, est la négation de toute esthétique dogmatique reposant sur la notion de modèle traditionnel nécessaire. Aussi bien n'en découle-t-il pas de définition formelle précise et normative, et, de fait, les artistes qui se présentèrent eux-mêmes comme des romantiques ou furent reconnus tels par la critique, eurent-ils une production, en littérature comme dans les arts plastiques, d'une extrême diversité stylistique, jusques et y compris, pour certains d'entre eux, de donner l'impression d'être encore classiques dans la forme. Mais Delacroix lui-même, et, en sculpture, Pradier, David d'Angers et Rude, tout en revendiquant leur modernité de type romantique, s'affirmaient les pionniers d'un nouveau classicisme, mais d'un classicisme sans entraves ni oeillères. Cet aspect de la question du Romantisme explique en grande partie la relation extrêmement forte de toutes les créations plastiques de ce courant avec une littérature, ancienne ou moderne, qui puisse servir de terreau à la création dans la mesure même où les textes formulaient les faits et les sentiments correspondant à la sensibilité moderne et permettaient, en les traduisant et en les illustrant, l'expression des sentiments personnels propres de l'artiste créant cette illustration. Delacroix, dans son journal et sa correspondance, Baudelaire, dans ses textes esthétiques, insistent sur la culture littéraire, et poétique nécessaire à tout artiste pour pouvoir aborder avec gran- deur et personnalité l'expression de leur temps, et de leur sensibilité à leur temps, dans le but de créer une beauté moderne. Et pour le peintre ou le sculpteur, cette érudition littéraire, permettant le bon choix des bons sujets, devait se doubler d'une égale érudition dans le domaine des arts plastiques, de toutes époques et de tous lieux, pour la réadapter, suivant leur propre tempérament, à la création vivante et sensible aux données de la vie moderne. Cette conception entraîna, chez Delacroix comme chez Baudelaire, la condamnation formelle du Réalisme, ce qui peut paraître paradoxal mais s'explique fort bien dans le contexte historique. Chez tous deux, comme chez tous les artistes romantiques, la notion de création reposait sur sa véritable acception étymologique, la production d'une oeuvre originale qui n'existait aucunement antérieurement, et, à être une représentation, quelle soit une présentation autre, imaginée mais nouvelle, renouvelant son objet. Le Réalisme, à n'être qu'une copie, une reproduction de ce qu'il montre, n'est pas une création mais simplement une habileté technique de redoublement de ce qui existe déjà comme tel et que la reproduction ne modifie pas, pas plus qu'elle ne modifie le rapport mental et sensible que l'homme peut avoir avec l'objet motif comme avec sa reproduction. La hargne furibonde de Baudelaire contre la photographie, la machine de Colas et contre toute la production artistique qui n'est que reproduction aveugle et impersonnelle des modèles anciens et des petitesses anecdotiques du réel, s'explique ainsi, ce d'autant plus que le caractère industriel et mercantile, duplicateur à l'excès des procédés nouveaux lui paraissait être porteur de la mort de l'art, domaine du singulier et de l'exceptionnel, du personnel et de l'imaginaire, et lui apparaissait comme la preuve lamentable du narcis9 sisme médiocre d'une société bourgeoise en quête d'identité et qui ne voyait pas où était sa propre noblesse et sa modernité. Or le mouvement romantique fut très bientôt suivi par l'essor des courants réalistes qui, eux aussi, revendiquaient d'associer les contraires de la réalité dans leur expression artistique. Comme les artistes romantiques, ils prônaient le retour à la vie réelle, mais dans une vision positiviste des choses, qui s'explique dans le contexte philosophique et scientifique de cette époque; ils rejetaient toute esthétique normative fondée sur l'imitation de modèles formels antérieurs et formulaient une théorie de la transparence des choses dans leur seule vision : bien voir les choses, c'est les connaître et bien les reproduire, c'est en donner la connaissance scientifique et esthétique. La rupture entre Baudelaire et Courbet était inévitable, mais elle signifie qu'un bon bout de chemin avait été fait ensemble car il y avait eu, entre le Romantisme et le Réalisme, une entente partielle mais profonde sur le retour au vécu, tout autant qu'il y avait eu harmonie partielle mais profonde sur l'exigence de beauté formelle et d'idéalité incarnée de la beauté, entre les néoclassiques sincères et les artistes romantiques qui étaient tous en butte à la censure sclérosée et sclérosante de l'Académie. Dès le milieu du siècle, donc, devient évidente l'une des caractéristiques de tout le siècle : «l'enchevêtrement des styles», pour reprendre l'heureuse expression de la grande exposition de sculptures du XIXe siècle, au Grand Palais en 1986. Et sans doute nous faut-il avouer la relativité et l'approximation de nos classifications qui sont plus une commodité d'exposition qu'une réalité strictement définissable. D 'ailleurs, au musée des Augustins, la sculpture romantique est peu représentée et essentiellement par des oeuvres d'artis10 tes non toulousains : Alexandre Renoir chez qui l'on voit, dans «Horace enfant» la même inflexion romanticiste du Néo-classicisme que celle que Gautier avait relevée chez Pradier, et surtout Auguste Préault dont le médaillon de bronze «Vitellius» est une oeuvre où l'on lit l'émergence fulgurante de données formelles propres au Romantisme : la brutalité manuelle du triturage de la matière modelée, l'exacerbation presque caricaturale des traits physionomiques, la fougue émotionnelle de la répartition des masses, des lumières et des ombres profondément creusées. Mais ces données formelles, avec leur aspect de non-fini qui pourtant exprime tout à la fois les caractères du modèle représenté et l'acte même du sculpteur informant la matière, si elles apparurent d'abord comme propres au Romantisme, devaient ensuite être reprises par de très nombreux artistes qui, sans être adeptes du Romantisme, prenaient conscience de ce que l'acte de donner forme à la matière figurative faisait partie de la figuration, dans un mouvement comparable à celui que Manet, les Impressionnistes, Cézanne et Van Gogh appliquaient à la peinture, et elles furent une des caractéristiques du modelage de Rodin. Le représentant régional du Romantisme est Prouha dont la «Psyché» reste formellement très classique mais qui traduit l'émoi littéraire personnel à un des thèmes les plus courus de cette époque. *** Alexandre Falguière, né en 1831, formé dans l'atelier Jouffroy àl'Ecole des Beaux-Arts de Paris, lui fut associé, après la réforme de 1863, et lui succéda, et il forma, ainsi, la plupart des sculpteurs représentés dans cette exposition. Il est le représentant type de l'artiste ayant fait carrière dans le système et ayant abondamment bénéficié des commandes publiques. De quatre ans le cadet de Carpeaux, de trois ans l'aîné de Degas et de neuf ans celui de Rodin, Falguière est quelque peu la victime des dates et de l'ombre que lui font ces contemporains phares. Car, à avoir été l'artiste officiel et public qu'il fut, il mérita, quelques réticences qui furent manifestées par eux, l'estime et même l'amitié de ces redoutables contemporains qui reconnaissaient en lui un de leurs pairs. Ce qui a retenu l'attention de la critique moderne à son égard, c'est son éclectisme décrit le plus souvent comme un caméléonisme stylistique pour récolter au mieux les commandes. Mais l'éclectisme, comme Charles Garnier, l'architecte de l'Opéra de Paris, put le dire à Napoléon III, sans être négation du style, était, justement, le style de l'époque, et il incarna en lui-même cet «enchevêtrement des styles» qui donna son air à l'air du temps. Et l'éclectisme de Falguière a ceci de particulier qu'on ne peut pas se tromper sur l'attribution de ses oeuvres, toutes reconnaissables comme étant de lui, malgré l'apparente variété impersonnelle de leur forme, et, qui plus est, on les reconnaît comme étant contemporaines de celles de Carpeaux, Degas et Rodin, et rivalisant sans trop de faiblesse avec elles. Cet éclectisme avait même une sorte de rationalité historique et on a souvent relevé que, consciemment ou non, les grandes institutions commanditaires des grands programmes, avaient leurs propres tendances stylistiques et que les artistes choisis, consciemment ou non, les faisaient leurs : la raide Justice privilégia le Néo-classicisme romain, suivie en cela par les institutions pénitentiaires et psychiatriques, 1 'Eglise, nostalgique de la soi-disant communion unanime et populaire du temps des grandes cathédrales, favorisa le Néo-gothique, Napoléon III, dans son euphorie de succéder à l'oncle dans le palais de nos rois, sacralisa un XVIIIe siècle de dessus de cheminée, boursouflé aux dimensions monumentales, tandis que les commanditaires privés, pour le paraître de leurs intérieurs luxuriants, se ruaient sur la reviviscence de la Renaissance et de l'art de Versailles. Falguière, comme tous les autres, s'y plia. La thématique de Falguière devait donc être très variée et diverse, au gré des commandes, et il adaptait son style et ses référence formelles aux besoins propres de chacune de ces commandes : grandes effigies expressives, où se retrouve le souffle dynamique des figures de David d'Angers et de Rude, nuancé par un souci d'effet théâtral contaminé par le naturalisme, pour les monuments à la mémoire de La Rochejacquelein et du Cardinal La Vigerie, allégorisme et symbolisme de type classicisant pour les figures de Vénus, Diane, Nymphe et autres déités féminines figurées à partir de sujets littéraires, réalisme et naturalisme pondérés pour les sujets édifiants, commémoratifs et narratifs dans des œuvres comme «La Suisse recevant l'armée française», «La Défense» ou «la sortie de l'école», mais dans tous les cas un souci constant de la vie de la chair dans et par le modelé, avec une sensibilité, voire une virtuosité dont ses élèves Mercié et Marqueste sauront tirer le meilleur. En 1877 Falguière fut au nombre des sculpteurs qui prirent la défense de Rodin qui se faisait alors connaître avec «l'âge d'airain» mais était accusé d'avoir uniquement procédé à un moulage du modèle vivant. Et dans cette polémique il adopta la position de la nécessaire invention formelle de l'artiste mais du recours tout autant nécessaire au moulage à vif comme apportant un vocabulaire concret manipulable par l'artiste, point de vue qui fut, théoriquement et pratiquement, celui de Rodin tout au long de sa carrière. Et en 1896 Falguière lui-même provoqua scandale en procédant par moulage du modèle vivant pour son portrait de Cléo de Mérode dont dérive notre «Petite bai11 gneuse». On peut voir, ainsi, que, s'étant coulé dans le moule du système officiel, comme créateur et comme professeur, Falguière y introduisait une liberté esthétique et technique qui contribua d'abord à la qualité de ses propres oeuvres et surtout à l'éveil du tempérament de ses élèves et au renouvellement de l'art de sculpter, même si son apport paraît moindre que celui de Carpeaux ou Rodin. Techniquement Falguière s'ouvrit aux possibilités modernes et il partagea avec Rodin et Rivière l'appétit pour les nouveaux matériaux sans cependant, comme eux, s'orienter vers le marcottage, les assemblages et réutilisations, et le polymatiérisme. Mais il fut l'un des tout premiers à recourir à la réduction et la répétition en céramique de grès flammé permettant une sorte de polychromie naturelle, procédé qu'il utilisa pour «la sortie de l'école». Deux autres élèves de Jouffroy et contemporains de Falguière sont représentés : Henry-Marie Maurette qui resta plus fidèle à l'esthétique classique romanticiste de Pradier et Rude, et Ponsin-Andarahy représentant étonnant du Réalisme : son «conteur arabe» et son «savetier Grégoire» nous montrent des types humains et sociaux jusque là rejetés de l'art et ils les montrent dans la réalité de leur vie et de leur pratique, avec une tendresse goguenarde et une sympathie profonde qui font songer aux regards que George Sand, Champfleury, et Courbet portaient alors sur les gens du peuple. En ce sens Ponsin-Andarahy est l'équivalent tou- 12 lousain de Constantin Meunier et Jules Dalou, ses contemporains et pionniers d'une esthétique de la représentation du travail et des travailleurs dans les conditions qui leur étaient faites dans la société qui leur était imposée, mais sans qu'il eût la même conscience sociale militante qu'eux, car ses figures en restent le plus souvent au niveau du pittoresque social : on songe, devant elles, à ces photographies de «types sociaux» exotiques, comme les romanichels, les musiciens ambulants italiens, les ramoneurs savoyards que les Disdéri, Fourne et Tournier composaient dans leurs studios avec des comédiens et figurants qu'ils faisaient poser pour ces faux tableaux vivants dont la clientèle bourgeoise était friande. Non que les figures de PonsinAndarahy ne soient sincères et effectivement authentiques dans leur sympathie pour leurs modèles, mais elles restent anecdotiques et, dans leur forme, elles reconstruisent la réalité de la prise sur le vif dans les structures de modèles classiques célèbres. Enfin, avec Thivier apparaît, dans son «cauchemar», l'aspect abyssal et troublant d'une imagination romantique qui emprunte aux modèles médiévaux des chimères, monstres et gargouilles, l'expression des figures irrationnelles de l'effroi et de l'envoûtement, associant au réalisme baroque et expressionniste de ces visions la taille très classique et idéalisée du corps de la femme écrasée par cette apparition démoniaque mais qui pourrait être un viol et un meurtre. 13 Tous les autres sculpteurs dont les œuvres sont exposées, furent, à deux ou trois exceptions près, les élèves de Jouffroy et Falguière ou de Falguière seul. Dans la plupart des cas ces sculpteurs entrèrent dans l'atelier parisien de Falguière après avoir fait leurs premières gammes à l'Ecole de Toulouse et y avoir glané des récompenses ou des bourses municipales leur permettant la montée chez le maître. Or il se trouve que depuis 1834, et sous l'impulsion de Griffoul-Dorval, de l'architecte Vitry et du dessinateur Gaillard, l'Ecole de Toulouse avait mis en application une réforme de l'enseignement du dessin, pour les étudiants en sculpture, architecture et métiers d'arts appliqués à l'industrie, qui était en rupture avec l'enseignement classique traditionnel : plus de recours à la gravure et à la copie des antiques, à la copie et à la répétition des plâtres et des détails formels, avant d'en arriver au modèle vivant, mais, parallèlement au travail à vue sur le modèle, l'acquisition de structures formelles de type géométrique permettant d'inventer des formes d'objets à créer, industriels, artisanaux ou artistiques, mais permettant aussi d'y réduire les formes du réel vu quand on voulait s 'adonner à un art figuratif et représentatif. Cette réforme qui ne se mit pas en place sans mal, était associée à un travail d'atelier pratique, pour les sculpteurs, qui faisait que les élèves sérieux qui sortaient de l'Ecole de Toulouse avaient un acquis comparable à celui des élèves de «La Petite Ecole» de Paris. La «Petite Ecole» avait été fondée sous Louis XV pour la formation des praticiens qui devaient travailler dans les manufactures royales et devint, en 1877, l'Ecole Nationale des Arts Décoratifs, et l'enseignement y était du même ordre que celui préconisé et mis en place à Toulouse à l'initiative de GriffoulDorval . Aussi de nombreux artistes, avant de tenter l'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, puisque 14 le passage y était obligé pour pouvoir faire carrière, commençaient-ils leur formation à la «Petite Ecole», et ce fut, en particulier la voie qu'avait choisie Carpeaux. En 1863, après plus de trente ans de difficultés et de luttes, l'Ecole de Toulouse remporta le prix national de l'enseignement qui consacra la réforme de Griffoul-Dorval, Vitry et Gaillard, et justifie notre comparaison avec la qualité de l'enseignement de la «Petite Ecole». Il résultait de ce processus que les artistes qui entraient chez Falguière étaient pour la plupart déjà aguerris et que l'enseignement du maître, si superficiel et distant qu'il dût être, car les relations de l'époque sur l'enseignement à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris montrent assez cette superficialité et cette distance, n'avait à porter que sur les formes et le style et on ne s 'étonnera donc pas de ce que les élèves de Falguière aient été, plus que d'autres, les porteurs d'une habileté éclectique qui put trouver son champ d'expression dans l'élaboration d'un style formel très «fin de siècle». Antonin Mercie et Laurent Marqueste furent ses premiers élèves et bientôt ses confrères et successeurs. Mercie eut même une carrière plus officielle encore que celle de son maître puisqu'il mourut membre de l'Institut, Président des Artistes Français, Directeur de l'Ecole et Commandeur de la Légion d'Honneur. Cet excès d'honneur ne doit pas masquer la valeur de son oeuvre. Plus encore que chez Falguière on trouve chez Mercié et Marqueste une passion de l'épiderme, du modelé sensuellement infiltré dans une matière ductile qui se fait chair, émotion charnelle de la pierre et du marbre d'autant plus prégnante qu'elle passe souvent par un art du drapé mouillé plus révélateur et suggestif que la chair même, et qu'elle est le résultat d'une recherche formelle dans les esquisses et ébauches en terre où la spontanéité et la gestualité du travail privilégient plutôt, à ce niveau, l'acte du triturage et de la malaxation que celui de la quête de la douceur carnée qui n'apparaît avec toutes ses séductions qu'au niveau du modèle en plâtre original définitif prêt pour la transposition dans le marbre et dans la caresse du marbre. Pour une certaine modernité récente formée au primitivisme purificateur de Bourdelle et Maillol, aux exigences formelles du cubisme et des abstractions à tendance géométrique symbolique, cette succulence vénéneuse de la chair pelotée épidermiquement, ce «savon» pour employer l'appellation sarcastique de Maillol, c'est ce qu'il faut bannir. Mais il faudrait bannir Rodin, Camille Claudel et Medardo Rosso qui, à la même époque que nos «Toulousains», furent les poètes de la matière sensuellement informée. Encore fautil remarquer que ces artistes étaient attentifs à conserver toutes les étapes de leur travail et qu'ils accordaient autant d'importance à leurs ébauches brutales et spontanées où la structuration gestuelle approximative de la matière malléable amorphe en noyau de figure expressive l'emportait sur le fini aguichant de l'épiderme, qu'aux œuvres effectivement achevées et exhibant les appâts de leur leurre de chair. Il se trouve que grâce à un don de la veuve de l'artiste nous conservons ainsi un nombre très important d'esquisses de Marqueste, dont certaines rivaliseraient sans difficultés avec celles de Rodin ou de Matisse, et leur comparaison avec les oeuvres achevées de Marqueste explique pour une bonne part la qualité de ces oeuvres achevées, mais aussi soulève la question de la contradiction qui se joue entre elles. En tout cas Marqueste avait tenu à faire cuire ces petites oeuvres pour en assurer la conservation et on peut se demander s'il ne les considérait pas comme l'un des fleurons de sa création, mais pour lui, et à part égale avec ses meilleures oeuvres achevées où le fini, aussi sincèrement et consciencieusement traité qu'il ait été, était peut-être en partie une concession à l'attente du public. Cette séduction de la chair à fleur de peau s'accordait aux thématiques littéraires et symbolistes de cette sculpture : plus que jamais les sujets empruntés à la littérature et aux mythologies se déploient dans les Salons et sur la voie publique, offrant comme évidents aux yeux d'un public qui souvent les ignoraient, des personnages et des histoires incompréhensibles ou inconnus mais où ces publics recevaient l'évidence charnelle d'un personnage et d'une histoire dont on se souciait peu d'en savoir plus que la présence de la statue. Qu'il s'agisse d'évocations de personnages de la littérature ou d'incarnations de grands concepts moraux ou psychologiques de caractère symboliste, l'expression des sentiments à travers l'expressivité de la matière se faisant passer pour la chair même de la vie est l'obsession de cette sculpture dans une synthèse un peu hétéroclite de l'aspiration au renouvellement des formes classiques, de l'esprit romantique et d'un naturalisme qui accentue le caractère paradoxal de cet éclectisme. Mais là encore, cet éclectisme n'est pas n'importe lequel et il est reconnaissable entre tous, il est cet éclectisme des deux dernières décennies du siècle, celui du symbolisme et de l'Art Nouveau, celui de 1 'Ecole de Nancy et de Guimard, de Gustave Moreau et des naturalistes défendus par Zola et Huysmans. Et les «Toulousains» ont joué un rôle important dans l'émergence et l'épanouissement de cet éclectisme si typé stylistiquement : frémissement de la chair onctueuse sous des drapés frémissants de leur application moite sur la chair en attente de l'émoi, ondulations racoleuses des corps et des formes, stylisation 15 en arabesques aiguës des détails, affleurements cajoleurs de la lumière et creusements dramatiques des ombres, cet éclectisme crée véritablement un style à nul autre pareil et qu'il serait inconvenant d'appeler académisme sous prétexte qu'il n'eut pas l'heur de plaire aux sectarismes avant-gardistes qui naquirent peu après lui, car il ne plut pas, non plus, aux académistes de l'époque qui cédèrent vite la place à plus académiques qu'eux puisque les académistes du XXe siècle crièrent haro sur le baudet, avec les vrais novateurs dont ils dévoyèrent et émasculèrent les inventions, pour condamner cet art «fin de siècle», mais pour lui substituer la triste et affligeante figuration moderniste du «Retour à l'ordre» qui fit les beaux jours d'un radicalisme de comices agricoles et d'un moralisme pétainiste. Cet éclectisme des «Toulousains» de la fin du siècle exalta un érotisme de la matière figurative que condamnaient également les puristes et formalistes de la novation, Bourdelle et Maillol compris, et les moralistes de l'ordre social, Académie en tête, mais Académie prête à récupérer, en le vidant de son contenu, le renouvellement formel de l'art dû aux inventeurs de l'Art Moderne, de Manet à Matisse et Picasso. Il faut se souvenir que ces puristes et ces moralistes vilipendèrent «la danse» de Carpeaux et le «Balzac» de Rodin pour les raison formelles qui font, justement, toute la qualité et la saveur des sculpteurs toulousains de cette époque. Cet érotisme, si voracement et délicieusement sacralisateur du corps de la femme, chez Falguière, Marqueste, Gossin, Caussé ou Ségoffin, se fait révélateur des émotions troubles de 1 'éphébisme et de l'androgynie chez Laporte, Mercié et Sul-Abadie. Le corps palpitant de vie et d'envie de l'adolescence et de l'âge de l'épanouissement des sens et des sensations éprouvées, sourd de la matière, se déplie 16 d'abord timidement de son repliement foetal, se dresse, s'élance, s'anime et danse dans l'air et l'espace qui les justifient et les exaltent. La sculpture des (Toulousains» est une danse minérale effrénée, image d'une enivrante chorégraphie des esprits et des corps pris dans l'euphorie de leur appétit de vie et d'amour même si l'existence est éphémère et parce que l'existence est éphémère. Certes il n'y a pas que cela dans l'art des (Toulousains». La vie et l'histoire qu'ils vivaient appelaient aussi d'autres oeuvres, et, en particulier, la défaite de 1870, suscita des créations où la réflexion sur la mort et le sacrifice, l'élan civique et patriotique et le désastre des destins individuels, s'empare de cet appétit de vie, de chair et de matière, pour symboliser et incarner des narrations sans histoire des drames du monde et des êtres. Et à côté de cette joie de vivre et d'aimer, avec les mêmes caractéristiques formelles et stylistiques, mais dans une inflexion d'un baroquisme romantique sombre et ténébreux et tragique, la noirceur des temps dicta aussi, à Marqueste, dans «Persée et la Gorgone», à J.-M. Mengue, dans «Cain et Abel», à Rivière, dans «les deux douleurs» et «Oedipe», et à Ségoffin, dans «Judith», des oeuvres d'une forte puissance théâtrale et d'une grande tension spirituelle et psychologique. Et dans «le soir de la vie» A. Seysses symbolise avec une sereine résignation la solitude de l'artiste vieillissant entouré par les arts en une oeuvre monumentale caractéristique de cet éclectisme sensuel. *** La collection dont on peut présenter une importante sélection significative fut essentiellement constituée par les dons des auteurs eux-mêmes, ou par leurs veuves ou ayants droit, et par des envois de l'Etat, la part des achats de la ville ne représentant que moins de dix pour cent de l'avoir. Il n'en faut pas tirer des conclusions négatives sur la politique d'acquisitions de la Ville, même si l'on peut constater qu'à l'époque, la Ville fut peu attentive à la constitution du patrimoine muséographique moderne, mais voir, au contraire, dans ces gestes de dons des artistes et de leurs héritiers le remerciement qu'ils pensaient devoir faire à Toulouse pour l'aide à la création sculpturale qui avait été la sienne : les artistes et autres donateurs, offrirent à la Ville et au Musée les modèles et plâtres d'oeuvres dont la commande avait été faite par la Ville ou grâce à la Ville et dont la réalisation avait bénéficié des aides municipales. L'essentiel de ce qui doit être montré du patrimoine sculptural de cette époque est présenté ici, à l'excep- tion de quelques pièces qui demandent encore une restauration délicate et longue. Cette exposition sera suivie et complétée, au fur et à mesure de ces restaurations, par celle des oeuvres non encore montrées aujourd'hui, mais aussi par la présentation des oeuvres de Bourdelle, Maillol, Clercq, Gilbert-Privat, Parayre, Guenot et Abbal qui montreront, dans l'essor des «retours au style», des purismes et des primitivismes qui caractérisèrent les courants indépendants de la sculpture du début du XXe siècle, la permanence et la continuité de l'art de la sculpture à Toulouse. Denis MILHAU Conservateur en Chef du Patrimoine Conservateur en Chef du Musée des Augustins 17 18 1 - Bernard LANGE (Toulouse 1754-1839) PHILOPOEMEN A SELLASIE Statue en marbre H= 1m10 Signée sur le socle, à droite : B. LANGE Fcit 1829 Inv. Ra 895 Cat. 1865, N°875 Dans le piedestal est incrusté un médaillon à l'effigie de l'artiste : Lange, statuaire né à Toulouse le 7 août 1754, mort à Paris le 28 mai 1839. Pour faire échec à la tentative de reconstitution de la puissance de Sparte dans le Péloponèse, politique inaugurée par Cléomène, Aratos, chef de la ligue achéenne, dut, contraint et forcé, faire alliance avec Antigone Doson, roi de Macédoine. La bataille décisive qui vit l'échec de Cléomène eut lieu à l'été de 222 av. J.-C. à Sellasie, située à dix kilomètres environ au nord de Sparte sur la route qui vient de Tégée. Lors de cette rencontre, nous dit Plutarque, dans «Les Vies Parallèles» (Philopoemen, VI 1 à 13), Philopoemen, jeune officier de 31 ans originaire de la ville arcadienne de Mégalopolis, joua un rôle décisif et fit preuve d'un acte de bravoure célébré ici dans fo3uvre statuaire de Lange : il eut les deux cuisses traversées à la fois de part en part par un javelot... Comme ceux qui étaient là n'osaient y toucher et que la bataille atteignait son paroxysme, Philopoemen brisa le javelot par le milieu et se fit arracher séparément chacun des deux tronçons. Ainsi débarrassé, il tira son épée, traversa les premiers rangs et marcha à l'ennemi». Cette oeuvre, qui date de 1829, a été exposée au salon de 1833. La fille de Lange en fit don au Musée ainsi que du médaillon réalisé par Antonin Etex à la mémoire de son père. M. R.-D. 19 2 - James PRADIER (1790-1852) LE PRINTEMPS OU CHLORIS CARESSEE PAR ZEPHIR Marbre de Paros 1849 -L Orn 67 -Pro= 0m40. H= 1m 65-L Inscription : en bas à gauche: J. Pradier 1849, sur le devant du socle en lettres grecques : Monis. Acquis par l'état en 1849. Déposé au Musée des Augustins en 1849. Inv. 990. Cat. 1865, N°903. Exposition : 1849, Paris, Salon N°2311 1986, Paris, La Sculpture française au XIX siècle, cat. 185. Cette sculpture illustre parfaitement les transformations qui apparaissent dès le deuxième quart du XIXe siècle dans la conception que l'on pouvait avoir désormais de l'art antique. L'antiquité ne sert plus de référence que pour le choix des sujets. Ici, le thème de Chloris, déesse des fleurs chez les Grecs, femme de Zéphir, identifiée plus tard avec la Flore des Romains, ne s'ancre pas du tout dans une réalité historique ou archéologique mais sert de prétexte, à Pradier, pour chanter et exalter la beauté de la femme. Cette représentation va totalement à l'encontre de la connaissance et de la conception que l'on avait de l'art antique qui, en faisant référence au thème de la «Vénus Anadyomène», figure en fait l'éveil de la sensualité : «on devine à l'abandon de la tête, au regard vague, à la bouche mi-ouverte, le doux vertige causé par les pénétrantes ardeurs et le trouble amoureux du printemps». (Théophile Gauthier, Salon de 1849, cit dans Cat. Sculptures XIX, p.299.) Un plâtre de cette oeuvre est conservé au Musée Historique de Genève. Nous savons par les textes que c'est Pradier luimême qui, après l'intervention des praticiens, reprit et acheva en taille directe cette sculpture. M. R.-D. 20 3 - Pierre-Bernard PROUHA (1822-1888) PSYCHE Statue en marbre H= 1m 63-1-0m 72. Signée sur le tronc du palmier : PROUHA en capitales romaines rehaussées de rouge - 1867. Don du Ministère des Beaux-Arts en 1868. Inv. Ra 992. Psyché, conformément au récit qu'en fait Apulée dans Les Métamorphoses est une jeune fille d'une grande beauté, aimée par l'Amour qui lui promet que le bonheur qu'elle connait chaque nuit dans un palais enchanté, sera éternel, à la condition expresse qu'elle ne cherche jamais à connaître le visage de son amant. Mais Psyché, mal conseillée par ses soeurs jalouses, allume une lampe pour contempler son époux endormi et laisse tomber sur lui une goutte d'huile. E Amour se réveille et s'enfuit. Commence alors pour Psyché une longue suite d'épreuves imposées par Vénus, dévorée de jalousie, dont la jeune fille sortira victorieuse avec l'aide secréte de l'Amour. Elle devient dès lors immortelle et est unie pour toujours à Cupidon. Ce mythe qui paraît être d'origine platonicienne, symbolise la destinée de l'âme déchue qui, après de nombreuses épreuves, est unie à l'amour divin. Il connut une importance très grande dans l'art néo-classique et a été plus particulièrement le support du courant «alexandrin», caractérisé par des figures féminines élégantes et un peu maniérées, dont le chef de file était Canova. La sculpture ici exposée, tant par le thème qu'elle présente que stylistiquement , s'inscrit parfaitement dans un tel courant. M. R.-D. 21 4- Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) TARCISIVS, MARTYR CHRETIEN Statue en plâtre. H=Om 63^1 m45. Signée et datée sur le dessus de la terrasse, devant à droite : A. FALGUIERE. Don de l'artiste en 1875. Inv. Ra 950. Falguière s'est directement inspiré pour cette œuvre du chapitre «Le Viatique» consacré à Tarcisius d'un roman très largement traduit et diffusé, publié en 1854 par le cardinal 22 Wiseman, archevêque de Westmister : Fabiola ou l'Eglise des Catacombes. Tarcisius, jeune chrétien, assailli par la plèbe alors qu'il portait l'eucharistie se fit lapider plutôt que de profaner l'hostie. C'est l'ceuvre la plus célèbre et la plus connue de Falguière. Il la réalisa alors qu'il était pensionnaire à la Villa Médicis (1868) et reconnaissait être très inspiré par les corps graciles des adolescents et les «chairs pauvres et exsangues qui laissaient saillir le squelette» tel le plus jeune enfant de l' Ugolin de Carpeaux. Falguière était très attaché à cette œuvre. Il en réalisa luimême le marbre alors qu'il était encore en Italie. M. R.-D. 5- Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) FEMME AU PAON Statue en plâtre. H= 2 m-L= 1 m 35 -Pro. 0m48. Signature à gauche, sur le nuage : A. FALGUIERE. Don de l'auteur. Inv. Ra 954. Une statue en marbre a été exécutée selon ce modèle (Inv. Ra 960). Scène de genre - On trouve, très fréquemment dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l'intégration dans l'art d'éléments de la vie quotidienne. La voie avait été ouverte par l'esthétique néo-classique puis de façon beaucoup plus affirmée par les Romantiques. La sculpture de genre acquiert peu à peu ses titres de noblesse puisque, à l'Exposition Universelle de 1855, le Pêcheur Napolitain de Rude et le Vendangeur improvisant de Duret ont été primés. La confrontation dans cette exposition du plâtre, conservé dans les réserves du Musée, et de la sculpture en marbre largement érodée par les intempéries, justifie les mesures de restauration qui sont actuellement prises. L'ensemble des sculptures exposées dans les jardins de la ville seront à terme remplacées par des moulages afin d'en assurer leur conservation. M. R.-D. 23 6- Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) DIANE Statue en plâtre. H = 1 m 75 - 1 = 0 m 70 - Pro. = 0 m 62. Sans signature. Salon de 1892, N° 4353. Don de Mme Falguière. Inv. Ra 953. Une statue en marbre à été exécutée selon ce modèle (Inv. Ra 959). Comme tous les sculpteurs du XIXe siècle Falguière créa de nombreuses figures féminines isolées et plus ou moins dénudées qui représentaient autant de déesses et héroines de la mythologie antique dont les aventures ou les caractères étaient figurés en s'inspirant de ce que la sculpture antique et les statuaires renaissantes et classiques donnaient comme modèles. L'indéniable apport de Falguière c'est d'avoir maintenu cette tradition de la figure féminine isolée comme représentative d'un thème narratif et psychologique incarné par un personnage mythologique, mais il lui imprima un aspect réaliste nouveau faisant que la figure ne soit plus seulement un schéma formel stéréotypé du canon antique obligatoire mais une représentation qui puisse être aussi celle d'une femme de son temps, suivant un mouvement que Courbet, en peinture, avait inauguré avec sa «baigneuse» de 1853 que Napoléon III aurait cravachée de rage, et qui, peu après, conduisit Rodin à considérer la figure, féminine ou masculine, comme l'incarnation de l'humanité dans l'universalité de son 24 7 - Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) NYMPHE COURANT Statue en Marbre. H^1 m 71 - 1 = 0 m 62 - Pro.^1 m 55. Signée à gauche sur le socle : A. FALGUIERE. Statue offerte à la Ville de Toulouse par un américain de Boston, qui l'avait achetée à Falguière. Entrée au Musée le 28 avril 1906. Inv. Ra 961. destin spirituel et l'individualité de chaque personnage créé, ce qui correspondait au «rôle divin» de la sculpture tel que le concevait Baudelaire. Vénus, Diane, Phryné ou Nymphe se confondent ainsi avec les baigneuses, ou avec les figures allégoriques modernes, et leurs modèles concrets sont les modèles du temps tels que les photographes comme Braquehais, Berthier, J.-F. Moulin, Eugène Durieu et Delacroix, Julien Valou de Villeneuve et Henri Voland nous les donnent à voir, à la même époque. La plupart de ces nus photographiques reprenaient les types inventés idéalement par Ingres mais offraient la vue d'un modèle moyen, au canon nouveau, un peu lourd et trapu, légèrement infiltré aux hanches, la poitrine généreuse. D'ailleurs le portrait en pied et nu de Cléo de Mérode que Falguière moula à vif en 1896 et qui fit scandale, ne diffère pas formellement de ses autres figures à sujet mythologique ou à thème moderne. Mais dans ces dernières, Falguière invente, dans une conception proche de celle de Rodin, une figuration du mouvement apparemment réaliste, qui est une élaboration abstraite de la véracité du mouvement représenté d'un mouvement réel absent : la «nymphe courant» est une danseuse à la barre revue et corrigée par les nécessités de la stabilité, et la «Diane» est un composé d'une Vénus d'Ingres et d'une danseuse de Degas. D. M . 25 8 - Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) LA MUSIQUE Statue en plâtre. H= 2m 25-1 1m 25. Signature sur le tronc d'arbre : A Falguière. Salon de 1889. Don de Madame Falguière. Inv. Ra 956. A la différences des déités nues et autres allégories dévêtues à l'antique que Falguière sculpta abondamment, cette allégorie de la musique est une figure moderne, au sens où l'entendait Baudelaire, d'une entité universelle, et une figure moderne habillée, dans l'élégance précieuse et aguichante d'une féminité très proche, ici, de celle des figurines vénéneuses du Modern'style, et prenant ses distances avec l'idéalisme mesuré par le naturalisme que l'on pouvait constater dans sa «Diane» et sa «Nymphe courant». S'appuyant au tronc d'arbre dont elle épouse la flexion subtile, la femme, ajustée et suggestivement dévoilée dans sa robe collante, tient un violon pendant, et se présente comme une bourgeoise proustienne recevant dans son salon, faisant de l'allégorie, tout à la fois, une scène de genre moderniste et une figure de la féminité intemporelle. D. M. 26 9 - Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) «A LA PORTE DE L'ECOLE» Groupe en plâtre. H = 1 m 82 -1 = 0 m 67 - Pro. = 0 m 78. Signé sur le socle, à gauche: A. FALGUIERE. Salon 1889, N° 4346. Don de Mme FALGUIERE. Inv. 955. La sculpture de genre avec le traitement des sujets de la vie quotidienne s'est développée dès l'époque romantique mais a eu beaucoup de mal à s'imposer avant la deuxième moitié du XIXe siècle où de tels thème sont désormais présentés aux différents Salons et peuvent même y être primés. Falguière a été sensible à la vie des gens du peuple. Il s'est essayé, ici, à la représentation d'un sujet plus intimiste, celle d'une femme de condition modeste avec ses deux enfants. Notons la justesse de l'observation des personnages de ce groupe plein de charme et le réalisme des vêtements, qui ne laisse aucun doute sur leur origine sociale. M. R.-D. 27 10- Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) «LA SUISSE ACCUEILLE L'ARMEE FRANÇAISE» Groupe en plâtre. H^111122 -1=01-n60-Pro.= 0 m58. Signé à droite sur le terrain: A. FALGUIERE, 1874. Salon de 1875, N° 3065. Don de l'auteur. Inv. Ra 952. La capitulation de Sedan le 2 septembre 1870 entraîne la chute de l'empire et la création dès le 4 septembre d'un «Gouvernement de la Défense Nationale» présidé par le Général Trochu à Paris, investi par les troupes allemandes. En province, Gambetta improvise en quatre mois trois armées de 600 000 hommes, l'armée de la Loire, l'armée du Nord et l'armée de l'Est confiée à Bourbaki. Alors que Bazaine avait capitulé à Metz le 27 octobre, que Paris résistait, Bourbaki, à l'Est, débloque Belfort défendu par Denfert-Rochereau, bat les troupes allemandes à Villersexel le 9 janvier. Arrêté devant Héricourt et repoussé jusqu'à Besançon et la frontière suisse, il n'échappe à la capitulation qu'en se jetant sur la Suisse qui, inquiète de la prédominence allemande, accepte de recueillir les troupes françaises aussitôt désarmées (ler février 1871). Cette terre cuite, et le plâtre qui en a été moulé, illustre parfaitement les commandes publiques que pouvaient avoir les sculpteurs pour commémorer des évènements politiques importants. La sculpture colossale de Antonin Mercié appelé «Quand Même» dont nous présentons ici un tirage en bronze (n° 16) a été commandée par la Ville de Belfort et fait référence aux mêmes évènements. M. R.-D. 28 11 - Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) HENRI DE LA ROCHEJACQUELEIN Statue en plâtre. H= 2m 16 -L=0m 80. Sans signature. Salon de 1895. Don de Mme FALGUIERE. Inv. Ra 957. Sculpture mémoire, présentée au Salon de 1895, par Falguière qui a, ici, adapté son style à la nature du sujet. Il a su magnifiquement exprimer la fierté et le tempérament rebelle de Henri de La Rochejacquelein (1772-1794) qui déclarait à la troupe de paysans vendéens qui se révoltait avec lui : «Si j'avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi». Après avoir été promu généralissime des troupes vendéennes et malgré les victoires de Laval, Fougères et Avranches, sa «grande armée» fut anéanti en 1793. Il fut lui-même tué dans une escarmouche. Il avait à peine 22 ans. Napoléon dit de lui : «qui sait ce qu'il fût devenu». M. R . D. - 29 12 - Alexandre FALGUIERE (Toulouse 1831 - Paris 1900) LE CARDINAL LAVIGERIE Statue en plâtre. H= 4 m-l= 1m 73. Sans signature. Don de Mme FALGUIERE. Inv. Ra 958. Modèle des statues en bronze élevées à Biskra et à Bayonne. Evêque de Nancy en 1863, puis d'Alger en 1857, il fonde en 1868 la congrégation séculière des Pères Blancs (puis en 1869 celle des Sœurs Blanches), de type apostolique et de spiritualité ignatienne, ceci afin de promouvoir l'évangélisation des populations musulmanes et animistes d'Afrique. Dès 1878, sa délégation s'étend à toute l'Afrique équatoriale. Promu cardinal par Léon XIII en 1882, il devient archevêque d'Alger et de Carthage et Primat d'Afrique. Il joue aussi un rôle politique. En prononçant le «toast d'Alger» (1890) il tente de lancer, en accord avec Léon XIII, une politique de ralliement des catholiques à la République. Cette action n'eut qu'un faible impact et succombera avec l'affaire Dreyfus. Falguière réalise cette monumentale effigie théâtrale et expressive d'un homme qui a marqué son époque par son sens des réalités contemporaines et sa volonté d'adapter l'Eglise aux bouleversements politiques et culturels du XIXe siècle. Ce plâtre a servi de modèles au sculptures érigées à Bayonne (sa ville natale) et à Biskra. M. R.-D. 30 13 - Charles PONSIN - ANDARAHY (Toulouse 1833-1855) CONTEUR ARABE Statue en plâtre. H= 1 m25 -I= 0 m 60 -Pro. 0 m 95. Signée sur le terrain à droite: PONSI - ANDARAHY, 1873. Salon 1876, N° 3551. Don de l'auteur. Inv. Ra 988. Représentation qui illustre le mouvement orientaliste qui se développa durant tout le XIXe siècle. L'Orient était au goût du jour et fascinait les Occidentaux. La campagne de Bonaparte en Egypte avait ouvert la voie. Un faisceau d'évènements tant politiques que culturels favorisait cet engouement : récits de voyage des écrivains (Voyage de ?bilis de Chateaubriand), romans (Salambô de Flaubert, les Orientales de Hugo), les expositions universelles avec leur pavillon orientaux, la conquête de l'Algérie (1830), le percement de l'isthme de Suez (1869), l'installation en 1864, Place de la Concorde, de l'obélisque provenant de Louxor... Les œuvres picturales et sculptées n'échappent pas à la règle. Sont ici réunis par PonsinAndarahy, tous les «ingrédients» pour faire une œuvre dans la lignée orientaliste : tout d'abord le thème, le conteur est arabe ; ensuite la pose du personnage, pose orientale par excellence qui permet en outre une composition harmonieuse par le jeu des courbes du dos et des bras ; enfin le détail minutieux du costume, du collier et du tapis sur lequel est assis le conteur. M. R.-D. 31 14 - CHARLES PONSIN-ANDARAHY (Toulouse 1833-1855) LE SAVETIER GREGOIRE Statue en plâtre. H 1 m 63 - 1 0 m 61 - Pro. 0 m 85. Signée sur la paroi gauche du socle: PONS.-AND., 1884. Salon 1884, N° 3825. Achat de la Ville, 28 octobre 1886. Inv. Ra 989. Directement inspiré de la fable de La Fontaine, Le Savetier et le Financier, dont les deux premiers vers sont reproduits sur le siège sur lequel est assis le personnage : «Un savetier chantait du matin jusqu'au soir ; C'était merveille de le voir». Cette représentation est directement liée au courant réaliste qui se développe durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Les petits métiers exercés par le petit peuple des rues ont attiré bon nombre de sculpteurs. Est ici exprimée l'idée de la revalorisation du travail manuel. On devine l'esprit frondeur du Savetier, son insouciance mais aussi son ardeur au travail et son sourire heureux prouvent les satisfactions que l'on peut y trouver. M. R.-D. 32 15 - Antonin MERCIE (Toulouse 1845 - Paris 1916) DAVID VAINQUEUR DE GOLIATH Statue en plâtre. Fl= 1 m97 -1-0m 75. Signature surie terrain, à droite: MERCIE. Salon de 1872. Don de l'Etat, juin 1874. Inv. Ra 982. Modèle de la statue en bronze présentée dans l'exposition. C'est pendant son séjour à Rome qu'Antonin Mercie exécuta son «exquis David» (La Gazette des Beaux-Arts, 1889-2) qu'il exposa au Salon de 1872 et qui lui valut une médaille de première classe. Directement inspiré de la sculpture du quattrocento florentin, il donne avec son David une réplique moderne, gracile et effilée de celui de Verrocchio. M. R .-D. 33 16- Antonin MERCIE (Toulouse 1845 - Paris 1916) «QUAND MEME» Groupe en bronze. Signé à gauche, sur un enroulement du cartouche : MERCIE. Réduction du modèle en plâtre (H = 2 m 90- I = 1 m 58) du groupe fait pour la Ville de Belfort et exposé en 1882. (cf. notice n° 10, p. 28). 34 M. R.-D. 17 - Eugène THIVIER (1845 1920) LE CAUCHEMAR Statue en marbre. H^1 m 23 -1 2m 15 - Pro. 0 m 71. Achetée par la Ville de Toulouse avant 1939. Inv. Pi 1156. Ce «cauchemar» du sculpteur parisien Thivier ne s'inscrit donc théoriquement pas dans notre présentation des «Toulousains». Pourtant cette oeuvre répond aux mêmes données stylistiques et formelles ou iconographiques que celles des «Toulousains» et elle fut certainement commandée ou ache- tée par la Ville, pour cette raison, à la suite d'un Salon, à Paris ou à Toulouse. Son thème est typique de l'orientation naturaliste et psychologique d'une sculpture qui se donne à réprésenter les joies et les affres de l'existence des êtres. On sait que Thivier sculpta des allégories de la fortune, de l'amour, mais aussi un «fantôme». Stylistiquement ce «cauchemar» tente la synthèse entre le Néo-classicisme de la forme féminine, la femme écrasée ou alanguie au sol reprenant presque textuellement le type de la «femme piquée par un serpent» qui fit la gloire passagère de Clésinger au Salon de 1847, et d'un Néo-gothique anecdotique dans la figure satanique du monstre-gargouille qui attaque, en rêve comme en réalité, la jeune femme en proie à ses délires oniriques. D. M. 35 18 - Laurent MARQUESTE (Toulouse 1848-1920) CUPIDON Statue en plâtre teinté. H 1 m02 -1= 0 m 45 -Pro. —Orn49. Signée à gauche sur le nuage: L. MARQUESTE. Inv. Ra 1044. Avant d'être les chefs de file des «Toulousains», Falguière, Mercié et Marqueste avaient formé, avec Dubois et Chapu, le groupe des «Florentins». Chez Marqueste, l'admiration pour Donatello, Verrocchio, Michel-Ange et Cellini, se lit tout au long de sa carrière. Si le thème de Cupidon remonte, littérairement et plastiquement à l'Antiquité, il est traité ici en filtrant les modèles antiques d'un jeune corps accroupi à travers la vision dynamique de la composition et le sens raffiné de la lumière caressant la fébrilité de la chair que Marqueste, comme Carpeaux dans le groupe de «la danse», empruntait, en les réactualisant, à Donatello, mais aussi à Botticcelli, l'acuité graphique des profils offrant la même précision agitée que celle des figures du grand peintre florentin. D. M. 36 19 - Laurent MARQUESTE (Toulouse 1848 - Paris 1920) SERIE DE MAQUETTES Inv. Ra 1047. Don de Mme Marqueste. Le XIXe siècle privilégie, pour le décor sculpté des monuments funéraires, les bas-reliefs inspirés de l'Antiquité et surtout des figures allégoriques représentant le plus souvent un membre de la famille du défunt dans l'attitude d'une grande douleur. L'iconographie est toujours sensiblement la même. Les figures sont le plus souvent assises, affaissées sur leur genoux, le visage caché dans leur mains, accablées par un profond désespoir. Sont ici présentées une série de maquettes de Laurent Marqueste de diverses tailles pour une étude gestuelle et corporelle de ce type de sculpture. M. R .-D. 37 20 - Laurent MARQUESTE (Toulouse 1848 - Paris 1920) VELLEDA Statue en plâtre. H 1 m 40 - L 1 m 65 - Pro. 0 m 77. Signée à droite sur la terrasse : MARQUESTE. Salon de 1877, N° 3990. Don de l'auteur. liiv. Ra 974. Ce n'est pas du personnage historique de Velleda, la célèbre prophétesse germaine qui souleva avec Civilis une partie de la Gaule mais qui, trahie par les siens, mourut en captivité à Rome après avoir participé au triomphe de Dioclétien dont s'est inspiré, ici, Laurent Marqueste mais de la transposition qu'en a faite Chateaubriand dans un des plus beaux épisodes des Martyrs. «Bientôt elle touche à la rive, s'élance à terre, attache sa nacelle au tronc d'un saule, et s'enfonce dans le bois, en s'appuyant sur la rame de peuplier qu'elle tenait à la main. Elle passa tout près de moi sans me voir Sa taille était haute; une tunique noire, courte et sans manches, servait à peine de voile à sa nudité. Elle portait une faucille d'or suspendue à une ceinture d'airain, et elle était 38 couronnée d'une branche de chêne. La blancheur de ses bras et de son teint, ses yeux bleus, ses lèvres de rose, ses longs cheveux blonds qui flottaient épars, annonçaient la fille des Gaulois, et contrastaient, par leur douceur, avec sa démarche fière et sauvage. Elle chantait d'une voix mélodieuse des paroles terribles, et son sein découvert s'abaissait et s'élevait comme l'écume des flots». Chateaubriand - oeuvres romanesques et voyages, La Pléiade, t. Il, p. 253. Le sculpteur campe devant nous une Velleda, à la «bouche un peu dédaigneuse» aux manières «tantôt hautaines, tantôt voluptueuses» qui, farouche et passionnée, médite sur son amour impossible. Elle est une incarnation des rêves voluptueux de chacun, mais également l'émanation de l'âme celtique qui s'est toujours opposée, avec courage et orgueil, à la domination romaine. Le début du XIXe siècle est marqué par un retour érudit à l'antique mais également par un véritable gallicanisme d'abord littéraire. Dès 1807 paraissent les Mémoires de l'académie Celtique. Après 1850, on découvre Ossian, on invente les Bardes... liensemble de la production artistique de la fin du siècle, est gagné par le développement de ces nouveaux thèmes. M. R.-D. 21 - Jean-Antoine-Marie IDRAC (Toulouse 1849 - Paris 1884) SALAMBÔO Statue en plâtre. H^1m80-l= 0 in 52 -Pro.Orn87. Signée sous le pied droit : A. IDRAC. Marbre exposé au Salon de 1882, N°4492. Don d'un particulier le 30 juillet 1903. Inv. Ra 966. (cf. notice n° 29, p. 47). 39 22 - Jean-Antoine-Marie IDRAC ('Pouloue 1849 - Paris 1884) MERCURE INVENTANT LE CADUCEE Statue en plâtre. Om 92 -l= 1 m90 -Pro. 0m70. Signée sur le socle : IDRAC, Rome. Don d'un particulier le 3 février 1888. Inv. Ra 965. Idrac dans un style tout aussi délié et sensuel que celui de sa Salambô (n° 21) a figuré un des épisodes fondamentaux de la vie de Mercure. La Fable raconte qu'il tenta, un jour, 40 de séparer deux serpents qui se battaient. Le caducée, formé de la baguette de laurier ou d'olivier et des deux serpents, était créé et devint l'emblème de la concorde. La composition de cette pièce est très originale. liélément principal de la représentation, le caducée, est entièrement décentré dans l'angle gauche de la sculpture, mis en valeur par la convergence des lignes et des courbes du corps de Mercure. Reproduction en bronze de ce plâtre par Thiebaut frères à Paris, acheté par la Ville de Toulouse en 1887 et placé au square du Capitole. M. R 23 - Alexandre-Gabriel LAPORTE (Toulouse 1850-1904) TIRCIS Statue en plâtre. H^1 m 40 - I 1 m 30 - Pro. = 1m. Sans signature. Salon 1886, N° 4129. Don de l'auteur en 1890. Inv. Ra 972. A.-G. Laporte s'est, ici, inspiré de Virgile qui dans ses Bucoliques permet à Mélibée d'assiter à un concours poétique entre Corydon et Thyrsis. Les deux rivaux échangent des couplets de quatre vers chacun dans lesquels ils font des invocations aux dieux de la campagne ou chantent leurs amours. Le prix est décerné à Corydon. Thyrsis symbolise le poète naissant représenté sous les traits juvéniles d'un adolescent, invocant les Pâtres d'Arcadie - qui de tradition sont passés maîtres dans la musique et dans les poésies champêtres - leur demandant de ceindre son front du baccar (plante qui passait pour éloigner les maléfices) «de peur qu'une langue malfaisante ne nuise au futur poète». M. R.-D. 41 24 - Gabriel-Edouard PECH (Albi 1854 - Saint-Loup Cammas 1930) SOPHOCLE Statue en plâtre. H= 2 m20 -l= 0m90-Pro. 0 m 90. Signée à droite sur le terrain : G. PECH, Paris, 1840- à droite sur le champ du socle: PECH sculpteur. Salon 1890, N° 4327. Don de l'auteur en 1986. Inv. Ra 986. Appelé «Sophocle» par l'inventaire de 1912, ce jeune homme dansant avec légèreté et brandissant victorieusement une lyre fait très probablement référence à un épisode peu connu de la vie du grand tragique grec: c'est lui qui fut en effet chargé, dès l'âge de quinze ans, de diriger le choeur qui chanta le péan après la victoire de Salamine. Le sculpteur l'a représenté sous les traits d'un jeune éphèbe gracile et nubile dansant triomphalement pour fêter la victoire du peuple athénien. M. R .-D. 42 25 - Jean-Marie MENGUE (Bagnères-de-Luchon 1855-1949) CAIN ET ABEL Groupe en plâtre. H 2 m - 1^1 m 70 - Pro. 1 m 75. Signé à gauche: J. MENGUE, 1874. Salon 1894, N° 3388. Don de l'auteur. Inv. Ra. 980. Caïn fils aine d'Adam et Eve et Abel son jeune frère, avaient selon la genèse, fait une offrande à Dieu. Ce dernier préféra celle d'Abel. Caïn en ressentit une violente jalousie et tua son frère. Dieu le maudit et le condamna à vivre errant. Ce tragique épisode de la Bible a, durant tout le XIXe siècle, largement inspiré les créateurs et on le trouve dans toutes les formes de la production artistique. Mengue, par sa composition, qui joue de l'opposition des volumes entre la gracilité du corps d'Abel et la puissance massive de Caïn et le jeu des lignes et des courbes, a su parfaitement exprimer l'intensité du moment où Caïn réalise l'horreur du geste qu'il vient de commettre et la malédiction qui va s'abattre sur lui. M. R.-D. 43 26 - Louis GOSSIN (né à Paris) AMO Statue en plâtre. H = 1 rn90-1 0m69 -Pro.^Dm 45. Signée sur le terrain, à droite : L. GOSSIN. Salon 1882, N° 4433. Dépôt de l'Etat, 10 juillet 1889. Inv. Ra 964. Appelée à tort «Amo» par Rachou dans son inventaire de 1912, cette réprésentation est un hymne à l'amour. Une toute jeune fille, la tête légèrement renversée, prise d'un vertige trouble, s'accroche à un support sur lequel elle écrit «Amori» («A l'Amour»). La première impression est celle du ravissement, de la volupté qui l'envahit et de l'abandon inéluctable qui va s'ensuivre. Mais à cette sensation de félicité se mèle un sentiment de perdition irrémédiable très fortement suggéré par les végétaux acérés et voraces qui emprisonnent les jambes de la jeune fille et déjà l'empêchent de s'enfuir. Les deux éléments sont unis l'un à l'autre, emportés vers leur destin. Une telle représentation s'inscrit parfaitement dans la lignée du courant symboliste qui crée un rapport nouveau entre l'image et l'idée. Limage dépasse la seule représentation d'une forme ou d'un volume et, par sa force suggestive, matérialise, en les transposant au-delà des apparences, une idée ou des sentiments qui touchent les sensibilités. M. R.-D. 44 27 - Théodore RIVIERE (Toulouse 1857 - Paris 1920) LES DEUX DOULEURS Groupe en plâtre. H 2 m 35 - Diam. 1 m 42. Provient de l'atelier de l'artiste, acheté en 1970 à Mme Andriot, fille du sculpteur. Inv. 70-3-1. Surtout connu pour son apport à la polychromie et au polymatiérisme de la sculpture, pour son orientalisme, et pour son art de reliefs historiques à figuration abondante comme sur un plateau de cinéma, Rivière créa aussi d'importantes sculptures monumentales symboliques, emblématiques et allégoriques. Dans les «Deux douleurs» Rivière cherche à traduire par une masse compacte subtilement modelée la gravité, le poids et l'accablement des sentiments. On y trouve une tendance au pathos proche de celle de Rodin, et, comme chez Rodin, l'obsession de la masse informe qui prend corps expressif dans son opacité même. Cette opacité est caressée d'un drapé mouillé et collant, animé d'ondulations graphiques semblables aux arabesques éoliennes des voiles de Loïe Fuller ou de quelque Salomé symboliste, suivant une technique et un style où l'on décèle l'influence d'Antonin Merdé dont Rivière fut l'élève. D. M. 45 28 - Auguste SEYSSES (Toulouse 1862-1946) LE SOIR DE LA VIE Statue en marbre. H — 2 m 40 -1 = 1 m 94 - Pro. = 1 m 68. Signée à gauche: At. SEYSSES. Inv. en cours. Commande de la Ville pour une fontaine à l'entrée des allées Frédéric Mistral, «le soir de la vie» est caractéristique de la conception architecturale de la sculpture monumentale éclectique fin de siècle, avec, ici, une oeuvre qui se suffit à elle-même par sa composition, mais qui est aussi conçue pour couronner un ensemble architecturé complexe. Par sa thématique elle combine habilement le genre et le naturalisme, avec la figure de l'artiste âgé et pensif, et l'allégorie symbolique et charnelle, avec les figures de muses et d'arts en une masse ondoyante de féminité enveloppante. Cette iconographie de la gloire futile qui n'arrive qu'à l'automne de la vie s'accommode d'un style extrêmement pictural de la composition comme du traitement de chaque figure, de chaque volume, ce qui était, à la fois, la qualité et la limite de l'enseignement de Falguière dont Seysses fut l'élève, mais qui montre cependant, ici, son sens de l'effet et de la monumentalité. D. M. 46 29 - Emile-Marius BERGES (Toulouse 1863 - début XXe siècle) SALAMBÔ Statue en plâtre. H^1 m 05 - 1 — 1 m 42 - Pro.^0 m 88. Signée sur le socle : E. BERGES, 90. Salon de 1890, mention honorable. Don de l'auteur, 20 mai 1896. Inv. Ra 936. Tant Idrac que Berges, et dans des réalisations plastiques totalement différentes, ont illustré le même passage de la Salambô de Flaubert, celui où la fille d'Hamilcar, s'étant laissée convaincre par le prêtre Shahabarim d'aller reprendre à Matho le zaimph, le voile sacré de la déesse «d'où dépendent les destinées de Carthage», se prête aux exigences de purifications de prière et de jeûne imposés par le prêtre. «... Salambô, avec un balancement de tout son corps, psalmodiait des prières, et ses vêtements, les uns après les autres, tombaient autour d'elle. La lourde tapisserie trembla, et par-dessus la corde qui la supportait, la tête du python apparut. Le python se rabattit et lui posant sur la nuque le milieu de son corps, il laissait pendre sa tête et sa queue, comme un collier rompu dont les deux bouts traînent jusqu'à terre. Salambô l'entoura autour de ses flancs, sous ses bras, entre ses genoux; puis le prenant à la machoire, elle approcha cette petite gueule triangulaire jusqu'au bord de ses dents, et, en fermant à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons de la lune. La blanche lumière semblait l'envelopper d'un brouillard d'argent, la forme de ses pas humides brillait sur les dalles, des étoiles palpitaient dans la profondeur de l'eau ; il serrait contre elle ses noirs anneaux tigrés de plaques d'or. Salambô haletait sous ce poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait mourir; et du bout de sa queue il lui battait la cuisse tout doucement ; puis la musique se taisant, il retomba...». Ces deux oeuvres qui illustrent à la lettre le texte de Flaubert, s'inscrivént parfaitement dans la lignée du courant orientaliste qui s'est développé durant tout le XIXe siècle, dont une des sources d'inspiration a été les œuvres littéraires et plus particulièrement les romans et les récits de voyages. (cf. n° 13). M. R.-D. 47 30- Victor SEGOFFIN (Toulouse 1867-1925) JUDITH ET HOLOPHERNE Concours Lemaire - jugement du 10 mars 1896. Premier prix à M. Segoffin. Statue en bronze. H = 1m 78-1 = 0m 561. Datée : 1896. Inv. 48-4-1. Don de l'exécuteur testamentaire de Mme Segoffin. Magnifique représentation de Judith brandissant à la fois la tête d'Holopherne et le glaive qui lui a permis de venger son époux et son peuple. Il se dégage de cette sculpture une force triomphante qui rend parfaitement compte des sentiments de l'héroïne juive qui, alors qu'Holopherne général de Nabuchodonosor assiégeait Bethulie, alla le trouver dans son camp, le captura et le séduit par sa beauté et, quand elle le vit assoupi par l'ivresse, lui coupa la tête. Les juifs la suspendirent aux murs de leur ville et les Assyriens, terrifiés, levèrent le siège. M. R.-D. 48 31 - LES QUATRE SAISONS En 1889 un très riche amateur toulousain commanda à Falguière, Mercié, Marqueste et Labatut , les quatre représentants les plus célèbres alors de la sculpture toulousaine, les représentations des Arts et des saisons, tels que chacun d'eux les avaient déjà représentés, et présentés dans divers Salons, pour la décoration de son propre salon, commande à laquelle il ajoutait celle d'une réplique réduite de la Vélléda de Marqueste. Toutes ces sculptures devaient être en marbre de Carrare, de même gabarit, et portées par des socles uniformes spécialement dessinés. Le Musée des Augustins a eu l'opportunité de pouvoir acquérir en vente publique les quatres saisons, le Printemps par Marqueste, l'Eté par Mercié, l'Automne par Falguière et l'Hiver par Labatut . Les figures du printemps, de l'été et de l'automne reproduisent bien l'éclectisme des trois artistes et celle de l'hiver permet de voir chez Labatut le devenir du réalisme anecdotique d'un Ponsin-Andarahy mais infléchi d'un naturalisme baroquisant et méticuleux comparable à celui que Huysmans critiquait. Ces quatre statues furent exécutées par des praticiens avec les méthodes modernes de réduction, et achevées et signées par les artistes, ce qui est un exemple caractéristique des systèmes économiques et sociaux de diffusion de cette époque. D. M. 49 Les différentes étapes de la fabrication d'une sculpture Le modelage : Le moulage : Le sculpteur faisait avant tout oeuvre de modeleur après avoir réalisé, dans certains cas mais pas de façon systématique, une série de dessins préparatoires. Il imprégnait l'action directe de ses mains sur un matériau de prédilection pour ce type de réalisation, l'argile, naturellement plastique et ductile. Avec ses doigts, il modelait et façonnait des ébauches ou des esquisses. L'ébauche permet à l'artiste de mettre en forme sa pensée, de lui donner un volume, alors que l'esquisse, plus élaborée, plus détaillée, plus fouillée, préfigure et précise plastiquement ce que sera la forme définitive de la sculpture. Le volume est créé autour de l'ébauche définitive à l'aide de boulettes d'argile rajoutées à la spatule, de colombins façonnés, roulés entre les mains du modeleur, simplement appliqués ou écrasés par les doigts de l'artiste qui travaille les formes avec ses pouces et fait vibrer la matière. Il était indispensable d'avoir ce que Préault Laurent Marqueste : ébauche appelle «la folie du pouce». Les esquisses pouvaient être également réalisées à la cire qui a pour caractéristique de pouvoir être utilisée à chaud comme à froid. Le principe était identique. Autour d'une masse de cire encore molle (répartie pour les pièces de dimensions plus importantes autour d'une armature métallique), les volumes étaient travaillés de la même façon avec une adjonction progressive de matière. Après avoir ainsi donné forme à sa pensée, en façonnant de telles maquettes, le sculpteur réalisait une œuvre à dimensions, le plus souvent en terre glaise ou dans un matériau trop fragile pour être conservé. Cette oeuvre était ensuite moulée à creux perdu. Etait alors réalisé, par applications successives de plâtre, un moule fait d'une seule pièce pour les reliefs, de deux ou plusieurs valves pour les sculptures en ronde-bosse. Le modèle initial était donc détruit et le modèle en plâtre ainsi obtenu, dont les différentes parties étaient assemblées par une «couture», devenait oeuvre unique, que l'on appelle plâtre original. Il arrivait que cette empreinte en plâtre soit prise directement sur le modèle vivant comme ce fut le cas pour la Cléo de Mérode de Falguière. Cette méthode de travail était couramment employée mais ne devait être utilisée que comme point de départ pour une réalisation originale de l'artiste. Certains sculpteurs ont du s'expliquer et se justifier car le public, mis au courant d'une telle pratique, avait fait un scandale, lors d'une présentation au Salon, pensant que l'ceuvre qu'on leur présentait n'était qu'un assemblage de moulages pris sur le vif, sans aucune intervention de l'artiste. Ce fut le cas pour la C/éo de Falguière mais également pour I 'Age d'Airain de Rodin. La notion contemporaine que nous avons du moulage, fait référence à une technique totalement différente qui est Alexandre Falguière : La Baigneuse, esquisse. 50 Julien Causse: La Muse Euterpe, moule bi-valve. celle du moule à bon creux : moule en plusieurs parties réalisé dans différentes matières, en plâtre, en terre et actuellement en résine, fait pour être conservé et réutilisé et permettant la fabrication de tirages en nombre important. La taille directe et la technique de la mise aux points : La taille directe consistait, pour le sculpteur, à travailler directement le bloc de marbre ou de pierre. Il attaquait le matériau à l'aide du ciseau et du maillet, afin de réaliser l'oeuvre qu'il avait conçue. Technique traditionnelle qui fait référence à Michel-Ange à qui on vouait, au XIXe siècle, une profonde admiration mais également, travail épuisant qui nécessitait une très grande force physique et ne laissait pas de place aux erreurs : tout coup de burin malheureux était irrémédiable. James Pradier a privilégié cette technique du travail direct sur le marbre. Il donnait aux praticiens des modèles de toutes petites dimensions qui devaient être agrandis quatre à cinq fois. Devant les ébauches informes qu'on lui soumettait, il prenait le ciseau et la masse et terminait lui-même sa sculpture : «Il avait acquis une telle confiance en lui-même qu'il croyait pouvoir se prendre pour ainsi dire corps à corps avec un marbre à peine dégrossi» (in Statue de chair, p. 149). Le XIXe siècle a privilégié la technique de la mise aux points et des trois compas, méthode qui permettait aux praticiens d'exécuter avec exactitude, à partir du modèle le plus souvent de dimensions réduites créé par le sculpteur, des réalisations en marbre ou en pierre. Le modèle pouvait être également à grandeur, tel le Tarcisius, présenté dans cette exposition où les traces de mise au point sont visibles. Pour la sculpture monumentale, il était impossible, sur Alexandre Falguière La Musique, esquisse avec Mise aux points. les échafaudages des chantiers, de travailler sur des modèles à grandeur. On utilisait des maquettes réduites au 1/3 et reproduites grâce aux trois compas et à l'échelle de conversion. La technique de la mise aux points est une caractéristique du XIXe siècle qui a privilégié le travail collectif en atelier avec maîtres, disciples, élèves et ouvriers. Dans ces ateliers, il se pratiquait une division du travail de plus en plus marquée entre le sculpteur, concepteur du modèle, et le praticien qui exécutait Pceuvre définitive sur laquelle le sculpteur n'intervenait pas. Quelques exceptions toutefois ! On sait que Falguière, jeune prix de Rome, lorsqu'il réalisa son Parcisius alors qu'il était pensionnaire à la Villa Médicis, avait écrit en 1867 à Nieuwerkerke à propos de l'achat de son plâtre : «Cette proposition, je l'accepte avec reconnaissance, mais à une condition cependant, c'est qu'il me sera permis d'en faire un marbre» (in L'Art en France sous le Second Empire, p. 277). Il s'était plaint plusieurs fois d'avoir eu un bloc de marbre de mauvaise qualité pour réaliser sa sculpture. Le marcottage : Ce terme qui est emprunté à l'horticulture, définit un mode de multiplication des végétaux. Il désigne aussi une technique qui consiste à créer une sculpture originale en réemployant une ou plusieurs parties d'une oeuvre sculptée, déjà exécutée par l'artiste et en les agençant de façon différente ou en les associant à de nouveaux éléments. C'est Rodin qui a le plus souvent et avec une grande maîtrise utilisé ce procédé. L' Edition : La montée très marquée de la bourgeoisie et les changements profonds qui ont affecté la société française durant la deuxième moitié du XIXe siècle ont créé de nouveaux rapports entre les commanditaires et les artistes. Pour assouvir les besoins de la nouvelle classe dirigeante, il devint nécessaire de produire en série les œuvres les plus célèbres et les plus connues des artistes français. Ceci était rendu possible par le développement de deux techniques : la fonte au sable (moule réalisé sur un modèle à l'aide d'un sable spécial dans lequel est confectionné un noyau qui se retrouve ensuite dans l'exemplaire en bronze, ce qui permettait d'économiser le matériau et de réaliser des œuvres de faible poids) 51 et la réduction mécanique rendu possible grâce à l'invention par Achille Collas, en 1837, du pantographe qui permettait d'obtenir mécaniquement des agrandissements ou des réductions d'objets. L'édition des œuvres d'art en bronze, mais aussi en plâtre et en terre cuite a été très prospère et particulièrement lucrative pour les maisons de fondeurs, dont les plus connus sont celle de Frémiet et de Barbedienne, qui ont très rapidement compris le parti qu'ils pouvaient tirer d'une telle activité en répondant à une demande de plus en plus forte. MW-D. Bibliographie —L'Art en France sous le Second Empire, Paris, Grand Palais, 11 mai - 13 août 1979. —La sculpture française au XLY' siècle, Paris, Grand Palais, 10 avril - 28 juillet 1986. Edition en bronze du Conteur Arabe de Ponsin-Andarahy. —Statues de chair - sculptures de James Pradier (1790-1852), Genève, Musée d'Art et d'Histoire, 17 octobre 1985 - 2 février 1986- Paris, Musée du Luxembourg, 28 février - 4 mai 1986. Photographies : Bernard Delorme - Toulouse Photocomposition et mise en page : Composer - Toulouse Photogravure : Barès - Toulouse Impression : Multi Color - Grisolles Façonnage: Techni-Brochage - Toulouse Dépôt légal: 3 trimestre 1991 ISBN: 2-901820-01-8 @ 1991 - Musée des Augustins - Toulouse 52 MAIRIE DE TOULOUSE MUSEE DES AUGUSTINS 21, rue de Metz ^ 31000 TOULOUSE Prix : 70 F