Thomas SILA - Beit Haverim
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Thomas SILA - Beit Haverim
Thomas SILA Judaïsme et homosexualité masculine dans la société israélienne CRFJ-CNRS Jérusalem Juillet-Septembre 2012 Principales conclusions de l’étude Ces conclusions générales ne sont pas exhaustives. Elles mettent en avant les éléments de réponse les plus communément admis par mes interlocuteurs, tout en mentionnant également certaines singularités. La lecture de l’ensemble de l’étude reste néanmoins indispensable afin d’approfondir la réflexion sur le sujet, mais également pour pénétrer davantage dans les complexités du monde juif religieux et de la société israélienne dans son ensemble. A ce titre, toutes les anecdotes racontées par mes interlocuteurs méritent que l’on s’y attarde. L’échantillon considéré est constitué par quatorze hommes âgés de vingt à soixante-douze ans, déclarés bisexuels ou homosexuels, et habitant principalement Jérusalem, mais aussi Tel Aviv pour quelques-uns. Les interviews ont été réalisées d’une manière générale dans des lieux publics 1 entre le 23 juillet 2012 et le dimanche 26 août 2012. Parmi ces hommes rencontrés, on retrouve principalement des individus exerçant des professions intellectuelles (enseignant et journaliste), des étudiants, des salariés des hautes-technologies et un rabbin. Sur le plan religieux, toutes les sensibilités sont représentées : des haredim2, des dati leumim3, des traditionnalistes, des massortis, des datlashim 4 et même un chrétien arabe. L’entretien avec dernier peut servir d’élément de comparaison d’un point de vue confessionnel mais également à l’aune du conflit israélo-palestinien. D’une manière générale, pour la plupart des individus interviewés, la relation entre leur homosexualité et le judaïsme demeure problématique. Cette difficulté varie bien entendu suivant le courant auquel ils adhèrent et suivant le degré d’expression de leur religiosité : ainsi, il est très difficile d’assumer pour soi et publiquement son homosexualité pour les haredim et les orthodoxes (dati leumim). Pour les autres, cela peut être plus facile dans la mesure où ils sont plus facilement intégrés au sein de leurs communautés religieuses, tandis que d’autres n’hésitent pas à interpréter la religion sous un angle plus personnel. Ceci leur permet de rendre les interdictions directement issues de la Torah ou de la Halakha moins contraignantes. 1 Principalement, des cafés du centre-ville de Jérusalem, mais également des parcs, et une fois même dans une voiture. 2 Les ultra-orthodoxes 3 Les sionistes religieux, affiliés à la mouvance orthodoxe. Il s’agit du courant majoritaire. 4 Ceux ayant fini par abandonner la religion. Ces personnes là ont tendance à clairement marquer une distinction entre « religion spirituelle » et « religion technique », ce que tendent à dénoncer les plus religieux d’entre eux, parmi lesquels Ben qui « ne cherche pas le confort dans la religion ». Il poursuit en précisant que « Ce n’est pas parce que certaines de Ses directives (à Dieu) sont contraignantes que l’on ne doit plus croire ». Cet avis est partagé par la plupart des hommes questionnés, Joel allant jusqu’à affirmer que « L’homosexualité est un prétexte brandi par certains pour quitter la religion ». Bien entendu, pour d’autres, la relation est vécue plus paisiblement : c’est le cas notamment de Joel qui ne voit « aucun lien entre homosexualité et religion ». La relation est apaisée dans le cas où l’individu accepte pleinement son homosexualité. Ceci explique notamment les tourments endurés par le rabbin Neal Kaunfer qui a mis près de la moitié de sa vie à accepter cette part de lui. On note chez les plus jeunes une plus grande facilité à accepter leur homosexualité comme le font remarquer le rabbin Kaunfer ou M 5. Les raisons principalement invoquées : le développement de l’Internet et des sites de rencontres qui permettent de briser la solitude et de s’informer ; les films et les séries télévisées, à l’instar de Srugim 6 , dans lesquels on retrouve de plus en plus de personnages homosexuels. Pour en revenir aux sites de rencontres, ceux-ci constituent le principal, et pour la grande majorité, le seul moyen permettant la rencontre avec d’autres garçons. Très rares sont ceux qui parviennent à rencontrer d’autres partenaires masculins dans le monde réel, d’autant plus qu’il y a, comme le rappelle Yeshai Moskovitch, « certains canaux de rencontres traditionnels auxquels (on) ne peu(t) pas avoir recours pour rencontrer d’autres hommes, à l’instar de la famille ». La remarque précédente concernant une acceptation plus facile de l’identité homosexuelle parmi les plus jeunes est toutefois à nuancer. Ben, âgé de cinquante-cinq ans, révèle avoir toujours accepté son homosexualité à 100%. Toutefois, il convient de préciser qu’aucun membre de sa famille n’est au courant, ce qui est le cas de la plupart des garçons rencontrés. Dans le cas de Ben, l’acceptation de l’homosexualité n’entre aucunement en conflit avec les interdictions incontournables de la Torah liées aux « coucheries masculines » qu’il respecte scrupuleusement. Parmi les facteurs rendant la relation entre homosexualité masculine et judaïsme conflictuelle, on retrouve principalement l’interdiction relative à la sodomie, contenue 5 6 Certains garçons interviewés ont souhaité garder l’anonymat. Cf. Annexe 4 explicitement dans le Lévitique7. Aucun ne remet en cause le caractère abominable, d’un point de vue biblique, de cette pratique. Toutefois, ceci n’empêche pas certains de la pratiquer avec plus ou moins de sérénité, bien que plusieurs années aient été nécessaires avant de franchir le pas. En effet, pour certains, comme pour Dylan ou Joel, la pratique de la sodomie donne lieu à l’activation d’ « une petite voix » qui leur dit qu’ils font quelque chose de « mal ». Pour les plus fidèles aux préceptes de la religion juive, hors de question d’outrepasser cette interdiction, dont la transgression est punie par la lapidation comme le rappelle le jeune Rafael. Ainsi, le fait de ne pas pratiquer la sodomie leur évite de pêcher, ôtant le sentiment de culpabilité, et donc pacifiant la relation entre homosexualité et judaïsme. Concevant les choses ainsi, beaucoup clament que seule la sodomie est interdite par Dieu, et donc, que toutes les autres pratiques sexuelles échappent à la punition divine. Dans cette logique, l’amour entre deux hommes ne peut être perçu comme illégal, Rotem affirmant que son « premier amour masculin (…) était tellement pur et innocent qu’en aucune manière Dieu peut condamner une telle chose ». La conviction que certains ont de cette indulgence et de l’amour de Dieu à leur égard peut faciliter l’acceptation de leur homosexualité. Le rabbin Neal Kaunfer rappelle tout le monde à l’ordre en ajoutant que « ce n’est pas seulement la sodomie qui est condamnée, mais toutes relations intimes entre deux hommes », faisant notamment référence aux interdictions formulées par certaines grandes autorités rabbiniques. Afin de limiter la gravité de l’acte commis, certains ont tendance à hiérarchiser les péchés, reléguant la sodomie derrière l’inceste, l’adultère ou le suicide qu’ils jugent plus graves. Le rapport aux grands textes religieux du judaïsme, et notamment à la Torah, a amené chacun de mes interlocuteurs à discuter de la traduction de « to’evah »8 par « abomination ». Tous reconnaissent une surinterprétation, lui préférant le sens de « déviance », ou bien d’ « erreur », d’ « égarement ». Comme le précise Dylan, le terme hébreu est traduit par « abomination » afin de « marquer le fait que l’acte sexuel entre hommes n’aboutit à aucune création, alors que le fait d’avoir des enfants fait partie des mitzvot à accomplir ». La question des enfants, et donc de la famille, est liée aux facteurs plus sociaux expliquant la dualité entre homosexualité masculine et judaïsme. La notion de « communauté » est fondamentale dans le judaïsme, et donc pour tous juifs religieux (y compris pour les autres). Ainsi, le juif ne peut se concevoir en dehors d’un cadre social, qu’il soit large (la communauté juive dans son ensemble) ou plus restreint (la famille, 7 8 L’un des cinq livres de la Torah Il s’agit du terme employé dans la Torah pour qualifier l’acte sexuel entre deux hommes. la synagogue du quartier…). Les gays religieux doivent donc faire face à cette problématique, chacun y répondant comme il le peut. Pour éviter le rejet familial, amical et communautaire, ce dont tous ceux qui sont encore « dans le placard » ont le plus peur, certains vont opter pour la dissimulation de leur identité sexuelle. Parmi les options à leur disposition : le mariage avec une femme hétérosexuelle ou bien avec une lesbienne religieuse9, qui leur permet de fonder une famille, ce que la plupart souhaite. Certains, comme Yeshai, ont envisagé cette option pensant développer des sentiments pour l’autre sexe avec le temps. Chose impossible lorsque l’on est homosexuel, au sens identitaire du terme. Toutefois, Joel, qui parle en expérience de cause, précise que les difficultés sentimentales et sexuelles vis-à-vis du sexe féminin concernent tous les hommes religieux, et en premier lieu les hétérosexuels. Parce qu’ils n’ont jamais vu, ni côtoyé intimement une femme avant le mariage, ceux-ci ne savent aucunement comment réagir face à un corps féminin. A ce sujet, le témoignage de Rafael est tout à fait parlant. Tous sont unanimes pour dire que ceci est imputable à la stricte séparation des sexes au sein du monde religieux, et notamment dans la sphère des yeshivot. Unanimité aussi pour dire que cette séparation imposée au sein de ces établissements religieux favorise la multiplication d’expériences homosexuelles à la seule fin d’assouvir un besoin. Cette conception développée de l’homosexualité au sein du monde religieux, comme un acte purement sexuel, « contribue à la négation de l’identité homosexuelle » selon Yeshai. Certains ont essayé la thérapie pour devenir hétérosexuel, quand d’autres ont envisagé le suicide. Et puis il y a ceux qui se battent au quotidien pour se faire reconnaître et accepter par leur communauté respective : c’est la mission que s’est assigné Daniel Jonas et toute l’équipe d’Havruta. Dans tous les cas, la faute de cette difficile relation entre homosexualité masculine et judaïsme est mise sur le compte de la société. C’est précisément sur elle qu’il faut agir, afin de bousculer les idées reçues et d’avancer sur le long chemin de la tolérance. Pour tout contact avec l’auteur de cette étude : [email protected] 9 Ceci constitue l’idée du projet Anachnu proposé par l’organisation orthodoxe Kamoha en collaboration avec le rabbin orthodoxe Harel. Interview de Dylan10 Bonjour Dylan. Merci d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement, en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai vingt-six ans. Je suis un haredi, tu sais ceux qui portent un chapeau noir, un costume et tout le reste… (Cette réponse est suivie d’un smiley). Quant à mon identité sexuelle…disons que je suis bisexuel même si je préfère les hommes. Mais bien que bisexuel, je n’envisage cependant pas de me marier. As-tu déjà fait part de cette volonté de ne pas te marier à l’un des membres de ta famille ? Plus largement, est-ce que l’un d’eux sait que tu es attiré par les hommes ? Ma mère sait que je suis attiré par les hommes et que je ne compte pas me marier. Ce sont deux choses qui l’affectent mais elle m’aime énormément alors elle essaye de s’y faire. Quand des familles lui proposent de me marier avec leurs filles, elle joue à celle qui n’a pas compris...C’est sa façon à elle de me montrer qu’elle accepte la situation si je puis dire… Tu n’envisages donc aucunement de fonder une famille un jour ? J’ai bel et bien l’intention d’avoir des enfants, soit en ayant recours à l’adoption, soit par voie naturelle…mais hors-mariage ! (Un nouveau smiley accompagne sa réponse) Hormis ta mère, personne d’autres n’est au courant dans ta famille à propos de ton attirance pour les hommes ? 10 Dylan est le seul interlocuteur à avoir refusé une rencontre ; les questions ont donc été posées directement sur le site internet Gayromeo. Non, le prix à payer serait bien trop fort : cela signifierait une excommunication du monde dans lequel j’évolue. Et puis, nous sommes une famille disons discrète, tant entre nous que vis-à-vis des autres. En tant qu’haredi, et donc élève de yeshiva, je suppose que tu es familier des citations suivantes tirées du Lévitique : « Ne cohabite point avec un mâle, d’une cohabitation sexuelle se serait une abomination. » (18 :22), « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » (18 :22). Le terme employé à chaque fois pour qualifier l’acte sexuel entre hommes est celui de « to’evah », traduit ici par « abomination ». N’es-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celuici considère ce que tu fais comme une « abomination » ? En aucun cas je considère ce que je fais comme une « abomination », même si je sais que ce n’est pas bien. A chaque fois que je sodomise un homme, j’ai conscience de commettre un pêché vis-à-vis duquel j’aurai à répondre un jour…Mais il y a bien plus grave comme pêché, à l’instar de l’inceste, de l’adultère ou du suicide. Il y a une chose qu’il faut également préciser, c’est qu’il n’est nulle part écrit qu’il est interdit d’aimer un autre homme : l’histoire de David et Jonathan11 le montre. Et puis, je suis convaincu que m’ayant créé tel que je suis, Dieu sera plus indulgent. Tu sais, je suis intimement convaincu que Dieu m’aime parce que je crois en sa Torah et parce que je mène ma vie avec intégrité. Le problème ce n’est pas Dieu, c’est la communauté : c’est elle qui n’accepte pas ce que je suis. La haine est un concept humain, sans aucun lien avec Dieu. Comment expliques-tu le fait que le terme de « to’evah » ait été traduit par « abomination » ? C’est pour marquer le fait que l’acte sexuel entre hommes n’aboutit à aucune création, alors que le fait d’avoir des enfants fait partie des mitzvot à accomplir. Pour les pratiquants, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, il est de toute façon quasiment impossible de respecter l’ensemble des mitzvot ; la seule chose qui reste alors à faire, c’est d’en respecter le plus possible du mieux possible. 11 Pour l’anecdote, un mouvement chrétien français de gays et lesbiennes s’appelle David et Jonathan. Connais-tu d’autres haredim attirés par les hommes ? Oui bien-sûr, mais ils ne savent pas pour moi par contre. Ce sont généralement des hommes qui se sont confiés lorsque nous étions ensemble à la yeshiva. Quant à ceux qui ne me l’ont pas avoué directement, je l’ai découvert en observant leur manière de séduire certains de mes camarades. D’une manière générale, il est encore très difficile d’en parler ouvertement, voir même impossible, surtout dans le milieu haredi. J’espère qu’un jour, il sera possible d’en parler plus librement au sein de nos communautés respectives. Interview de M.KH12 Bonjour M.KH. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement, en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai vingt-cinq ans. Je suis actuellement en cinquième année de médecine à l’Université hébraïque de Jérusalem. Je suis chrétien catholique, arabe et gay. Es-tu engagé en ce moment dans une relation sentimentale avec un autre garçon ? Non, et pour tout t’avouer je ne l’ai jamais été. Je n’ai que des relations sexuelles avec les garçons, dont la plupart sont juifs. Sans pouvoir vraiment trop l’expliquer, je pense qu’il est plus facile pour un juif de s’assumer en tant que gay que pour un arabe. Où as-tu l’habitude de rencontrer ces garçons avec qui tu as des relations sexuelles ? Je les rencontre via des sites Internet tels que Gayromeo, Atraf, ou bien Tapuz, mais également dans des bars gays. Il y en a un à Jérusalem, près de la mairie : le Mikveh. Là encore, ce sont principalement des juifs qui y vont (il sourit). Est-ce que tes amis savent que tu es homosexuel ? Certains sont au courant, même si je ne leur ai pas dit volontairement…Lors d’une soirée bien arrosée, une amie m’a ouvertement demandé si j’étais davantage attiré par les garçons ou par les filles. Ayant beaucoup bu, je lui ai alors répondu que je préférais les hommes, ce qu’elle s’est empressée de répéter à toute la classe. Mais ce « outing » n’a pas été un problème dans la mesure où tout le monde a très bien accepté la nouvelle. Parmi ces amis, y en a-t-il qui, comme toi, sont homosexuels et religieux ? 12 Cet interlocuteur a souhaité garder l’anonymat. Oui j’en ai quelques uns, principalement des gays religieux juifs ainsi que des chrétiens que j’ai principalement rencontrés à l’Open House de Jérusalem 13 . J’ai également une amie lesbienne protestante qui vit en Allemagne Et ta famille, est-elle au courant ? Tout le monde est au courant : mon père, ma mère, mon frère et mes quatre sœurs, mais personne ne l’accepte. Le moment où mes parents l’ont découvert fut très éprouvant…Un jour mon frère est entré dans ma chambre et s’est mis à fouiner dans mon ordinateur ; il a alors découvert mes conversations privées avec d’autres garçons sur Internet et s’est alors empressé de le dire à mes parents. Leur réaction fut effrayante : ils m’ont alors fait jurer, sous la contrainte, de demeurer à jamais hétérosexuel. J’ai promis…mais uniquement parce que j’avais très peur. Pour mes parents, l’homosexualité est une abomination réprouvée à la fois par Dieu et par la société. Mon père me répète souvent d’ailleurs qu’il aurait préféré que je ne sois jamais né. Justement, le fait que Dieu considère l’acte sexuel entre deux hommes comme une « abomination » (« to’evah ») ne constitue-t-il pas un problème pour toi ? J’ai déjà eu l’occasion d’aborder la question avec un ami juif religieux qui m’a dit que cette traduction de « to’evah » par « abomination » était erronée. Malheureusement, cette erreur n’a jamais été rectifiée, ce qui explique qu’on la retrouve dans le Nouveau Testament. Je reconnais cependant qu’être gay et religieux demeure difficile pour moi. Lorsque je prie Dieu, je lui demande deux choses : qu’Il me montre qu’il n’y a rien de mal à être gay ou bien qu’Il m’aide à arrêter à avoir des relations sexuelles avec d’autres garçons si cela est vraiment condamnable. En fait, je prie pour qu’Il m’aide. As-tu déjà songé à abandonner la religion en raison de ton homosexualité ? 13 Association LGBT israélienne qui s’occupe notamment de l’organisation de la Gay Pride de Jérusalem, en plus de celle de divers évènements et autres activités destinées aux LGBT de la ville. Je n’y ai jamais vraiment songé. En revanche, il est vrai que je me suis quelque peu détourné de la Bible et de la prière depuis que j’ai des relations sexuelles avec les garçons, soit depuis près de six ans. As-tu déjà songé à te marier avec une femme afin de dissimuler ton homosexualité ? Oui, j’ai déjà pensé à me marier dans cette optique avec une lesbienne arabe. Mais j’ai finalement abandonné l’idée car je n’avais pas envie de mentir à moi-même et aux autres jusqu’à la fin de ma vie, et notamment aux enfants que j’aurais pu avoir avec elle. As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, voir même Israël afin de vivre plus sereinement ton homosexualité ? Je songe actuellement à quitter Israël pour partir exercer aux Etats-Unis ; je suis d’ailleurs en train de passer les concours comme tu peux le voir (il me montre ses manuels d’entraînement). Ma principale motivation consiste à échapper à la pression que me fait constamment subir ma famille. Pour te donner un exemple de cette pression : dès qu’une Gay Pride a lieu dans l’une des villes du pays, mes parents m’harcèlent toute la journée au téléphone afin de s’assurer que je ne m’y rends pas. Ceci explique que depuis 2009, date à laquelle ils ont découvert mon homosexualité, je n’y participe plus. Interview de Joel Bonjour Joel. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai quarante-cinq ans. J’enseigne les humanités à l’Université hébraïque de Jérusalem. Je suis dati leumi, gay, marié et père de deux enfants. N’est-ce pas compliqué de concilier cette double vie ? Non, c’est même assez facile je dirais (il sourit). En ce qui concerne les hommes, je ne suis tombé jusqu’à présent que sur des célibataires vivant seuls, et donc pouvant recevoir. Il est vrai cependant que certains d’entre eux m’ont déjà demandé de choisir entre eux et ma famille…Quant à ma femme, elle sait que je suis homosexuel. Je lui ai avoué dix ans après notre mariage car je n’avais plus la force de lui mentir. Elle l’a très mal pris, me faisant promettre d’arrêter. Je lui ai alors répondu que je n’avais jamais choisi, ni demandé à être attiré les hommes, que cela faisait partie de moi, et que par conséquent je n’arrêterai pas. Comment pourrais-tu définir la relation que tu as actuellement avec ta femme ? Disons que la relation est assez tendue, mais pas uniquement à cause de mon homosexualité. L’une des choses qui l’irrite le plus est le fait que nous n’ayons plus de relations sexuelles depuis maintenant quelques temps. As-tu connu d’autres femmes avant de te marier ? Non, ma femme fut la première. Elle avait vingt-deux ans et moi vingt-quatre lorsque nous nous sommes mariés. La relation fut assez compliquée dès le début, et notamment à propos du sexe. En effet, il m’a été difficile d’avoir des relations sexuelles avec elle, cela a pris du temps. Mais cette difficulté est une difficulté qu’éprouvent également tous les hommes religieux juifs dans la mesure où ils n’ont jamais rencontré de corps féminin dénudé auparavant : c’est une première fois angoissante pour tous. Depuis quand sais-tu que tu es attiré par les hommes ? J’ai réellement pris conscience de cette attirance lorsque j’avais trente ans. J’ai eu depuis plusieurs relations sentimentales avec des hommes, dont une que j’entretiens en ce moment. Où as-tu l’habitude de rencontrer ces hommes ? Je les rencontre uniquement sur Internet, via le site Atraf. Est-ce que tes amis sont au courant de ton homosexualité ? La plupart d’entre eux le sont. Mais il s’agit pour la quasi-totalité d’homosexuels parmi lesquels d’anciens amants ; certains d’entre eux sont aussi religieux. Mais la religion n’est en aucun cas un facteur important pour moi, tant au niveau de mes amitiés que de mes relations sentimentales et sexuelles : je suis déjà sorti avec des non-juifs dont un arabe chrétien, un moine franciscain, ainsi qu’un catholique romain. Une anecdote amusante à propos de ce dernier : à chaque fois que l’on s’apprêtait à aller au lit ensemble, il enlevait systématiquement son chapelet et sa bague en couronne d’épines (il sourit). Est-ce que ta famille est au courant ? Personne dans ma famille n’est au courant. Ils seraient vraiment choqués je pense s’ils venaient à le découvrir…Nos relations sont bonnes et je veux qu’elles le restent. N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Il n’y a aucun problème à aimer un homme. Le seul problème réside dans la pratique de la sodomie entre hommes qui, elle, est condamnée par la Loi juive. Cela m’a d’ailleurs pris plusieurs années avant d’avoir des rapports anaux avec mes partenaires masculins, j’ai longuement hésité avant de franchir le cap. Même encore aujourd’hui, lorsque je pratique la sodomie, j’entends une petite voix qui me dit que je suis en train de faire quelque chose de mal…Mais je n’ai pas peur de la punition à venir : si Dieu veut vraiment me punir, qu’Il le fasse, je paierai l’addition comme tout un chacun. Ceci dit, la sodomie n’est pas le pire des pêchés et je pense quand même être une bonne personne ; une bonne personne qui veut profiter des plaisirs de la vie ici-bas (il sourit). Qu’est-ce qui t’attire dans la religion ? Je ne me suis jamais posé la question dans la mesure où j’ai grandi dans cet univers religieux. Mais si je devais y réfléchir maintenant…disons que la religion m’offre un chemin à suivre. Je pense que sans la religion, ma vie aurait été bien plus compliquée…Et puis il y a quelque chose de rassurant dans le fait de croire en Dieu : on peut Lui parler, Lui confier nos souhaits…on se sent moins seul. As-tu déjà songé à abandonner la religion à cause de ton homosexualité ? Non, jamais. L’homosexualité est un prétexte brandi par certains pour quitter la religion, jamais je ne ferai une chose pareille. Pour moi, il n’y a aucun lien entre homosexualité et religion. As-tu déjà songé à entamer une thérapie pour devenir hétérosexuel ? Là encore, je n’y ai jamais songé dans la mesure où je n’y crois pas et où je ne fais rien de mal. De quelle manière penses-tu que les gays séculiers perçoivent les gays religieux ? Je pense que certains d’entre eux doivent se dire que nous sommes des hypocrites. Quant aux autres, ceux que je qualifierais d’ « intelligents », je suis convaincu que la culture religieuse que nous possédons leur apparaît comme un plus : c’est précisément ce qui fait que nous sommes moins creux qu’eux. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou bien permanents ? J’ai fait ma scolarité à Jérusalem dans des lycées religieux, qui se distinguent des yeshivot traditionnels par l’enseignement de matières profanes également ; la séparation des sexes y était observée, mais cela ne m’a jamais posé de problème. Pour revenir plus précisément à ta question, je ne pense pas que cette séparation suscite le développement de comportements homosexuels sur le long terme ; en revanche, elle contribue incontestablement à multiplier les expériences homosexuelles occasionnelles comme la masturbation à deux. Interview de M.14 Bonjour M. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement, en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai vingt-neuf ans. Je suis infirmier à l’hôpital Hadassah ein Kerem de Jérusalem. Sur le plan religieux, je me définirais à la fois comme dati leumi et traditionnaliste, bien que je ne fasse pas vraiment de différence entre ces deux identités. Et je suis gay. Depuis quand sais-tu que tu es attiré par les garçons ? La prise de conscience s’est faite progressivement. J’ai d’abord senti que j’étais différent à l’âge de treize ans, mais sans vraiment pouvoir saisir la nature de cette différence. Ce fut assez difficile à vivre surtout que c’était il y a quinze ans : à cette époque, il n’y avait pas de connexion Internet haut-débit, encore moins de sites de rencontres gays. Il m’était donc impossible de m’informer, ni de communiquer avec d’autres jeunes confrontés aux mêmes difficultés que moi. Je me suis senti vraiment seul… (il s’interrompt). Ce n’est qu’à dix-huit ans que j’ai vraiment pris conscience de mon homosexualité. Où as-tu l’habitude de rencontrer des garçons ? Je les rencontre uniquement sur Internet, via les sites Atraf et Gayromeo. Je n’en rencontre jamais à l’extérieur, je suis bien trop timide pour cela. Es-tu déjà sorti avec une fille ? Non, jamais. Je ne suis pas du tout attiré par l’autre sexe. 14 Cet interlocuteur a souhaité garder l’anonymat. Est-ce que tes amis savent que tu es gay ? Mes amis hétérosexuels ne sont pas au courant. Certains de mes collègues de travail ont déjà essayé de me caser avec des filles, mais je ne me suis jamais rendu à aucun des rendez-vous organisés. Est-ce que ta famille est au courant ? Non, personne n’est au courant. A plusieurs reprises j’ai eu envie de leur dire, mais ce n’était jamais le bon moment…Un jour, je leur dirai, c’est sûr. As-tu des frères et sœurs ? J’ai deux sœurs plus âgées. As-tu déjà ressenti une quelconque pression de la part de tes parents à ton égard ? Jamais. Parmi tes amis, en as-tu qui, comme toi, sont gays et religieux ? Oui, un ou deux. Je connais également des gays musulmans et chrétiens que j’ai rencontré sur Atraf. La religion n’est pas pour moi ce qui définit en premier lieu l’homme: ce n’est qu’une composante de son identité. N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Dieu nous a fait à son image, comme Il l’a désiré. La seule chose qu’Il réprouve entre deux hommes, c’est la sodomie, le reste n’étant nulle part interdit. Pour ma part, cette interdiction ne me pose aucun problème puisque je l’outrepasse. Penses-tu que la religion influe sur la manière dont tu vis ton homosexualité ? Non, en aucune façon. Qu’est-ce qui t’attire dans la religion ? Ce qui m’attire tout particulièrement dans le judaïsme, c’est son caractère tolérant, le fait que chacun soit respecté pour ce qu’il est. As-tu déjà songé à abandonner la religion en raison de ton homosexualité ? Non, jamais. As-tu déjà songé à entamer une thérapie pour devenir hétérosexuel ? Ce sont des bêtises ! As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, ou bien encore Israël pour vivre plus sereinement ton homosexualité ? Non, je n’ai aucun problème à la vivre ici. De quelle manière penses-tu que les gays séculiers perçoivent les gays religieux ? Cette question amène à évoquer l’opposition entre Jérusalem et Tel Aviv…Pour la plupart des gays séculiers de Tel Aviv, les identités religieuse et homosexuelle sont incompatibles, tu dois choisir. Il leur est d’autant plus difficile à concevoir un quelconque lien entre les deux qu’ils n’ont eux-mêmes aucun contact avec le monde religieux. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels, occasionnels ou bien permanents ? Bien qu’ayant fréquenté des lycées religieux, je n’ai jamais vraiment réfléchi à cette question…Je comprends le besoin exprimé par certains vis-à-vis de cette séparation, mais je ne pense qu’elle rende les choses plus religieuses comme ils l’affirment. En revanche, je suis convaincu qu’elle favorise les expériences homosexuelles, mais sans pour autant déterminer de façon permanente l’identité sexuelle. As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha15 ? Qu’en penses-tu ? Je suis abonné à la newsletter de Havruta. Plus qu’une organisation, c’est pour moi une véritable communauté religieuse qui respecte l’orthodoxie, bien plus ouverte que Kamoha. 15 Deux jeunes organisations israéliennes destinées aux gays religieux. Interview d’Oren Bonjour Oren. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai vingt-quatre ans. Je suis étudiant-ingénieur à l’Université hébraïque de Jérusalem. Je me qualifierais de dati bisexuel. Quand as-tu réalisé que tu étais attiré par les garçons ? J’ai pris conscience de mon attirance pour les garçons après mon service militaire, lorsque j’avais vingt-et-un ans. Où as-tu l’habitude de rencontrer tes partenaires masculins et féminins ? En ce qui concerne les garçons, je les rencontre sur Internet via les sites Atraf et Gayromeo, ou bien lors de certaines soirées gays à Tel Aviv. J’ai eu une période où j’allais dans ces soirées au moins une fois par semaine, mais depuis un an, je n’y vais plus. Rencontrer des filles est tout de même plus facile : cela peut se produire partout. Est-ce que tes amis sont au courant de ton attirance pour les garçons ? Non, aucun. Et ta famille ? Personne n’est au courant non plus. Se serait terrible s’ils venaient à l’apprendre…Et puis nous avons de bonnes relations, je ne veux pas tout gâcher. Mais mon frère jumeau a des soupçons… As-tu déjà ressenti une quelconque pression de la part de tes parents à ton égard ? Je ressens constamment la pression de mes parents, et tout particulièrement de ma mère. Elle me demande souvent quand est-ce qu’elle aura enfin des petits-enfants. Elle me contraint même à faire des schidours afin que je rencontre une fille avec qui me marier. Mais le schidour, c’est davantage un truc de haredim (il sourit). Est-ce que, d’une certaine manière, ton attirance pour les garçons a un impact sur ta pratique religieuse ? Non, en aucune manière. En tant que bisexuel, je me sens libre de choisir entre les garçons ou les filles. Si le fait de fréquenter des garçons complique ma pratique religieuse, je suis prêt à y mettre un terme. A l’inverse, est-ce que le fait que tu sois religieux influe sur la manière dont tu vis ton attirance pour les garçons ? Dans ce sens, oui. Pour te donner un exemple, j’enlève ma kippa chaque fois que je rencontre un garçon avec lequel je m’apprête à avoir un rapport sexuel : j’ai trop peur de souiller la religion. Du fait de cette attirance pour les garçons, je ne peux pas dire que je suis le meilleur dati qui soit…mais pas le pire non plus ! N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Je suis convaincu que chaque bonne action mérite sa récompense et que chaque pêché mérite sa punition : je suis donc prêt à recevoir ma punition. Qu’est-ce qui t’attire dans la religion ? Pour moi, la religion c’est la Vérité. Est-il important que ton/ta futur(e) partenaire soit religieux (se) comme toi ? Je ne peux pas prédire de qui je vais tomber amoureux, donc la dimension religieuse importe peu. Ceci dit… (il s’interrompt)…il serait tout de même plus facile s’il/elle l’était. Ce qui est sûr en revanche, c’est que je ne peux transiger sur le fait que mes copines doivent être juives. Pour ce qui est des garçons, la religion pouvait poser problème auparavant, mais plus maintenant du moment que ce n’est pas un arabe ! As-tu déjà envisagé d’abandonner tes croyances en raison de ton homosexualité ? Jamais. As-tu déjà songé à te marier avec une fille afin de dissimuler ton attirance pour les hommes ? Non jamais. Ce que peuvent dire les autres de moi m’importe peu. As-tu déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner ton attirance pour les hommes ? Je ne crois pas à cette solution. As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, voir même Israël afin de vivre plus sereinement ton attirance pour les hommes ? Oui, j’y ai déjà songé. Tu sais, vivre avec ses parents, c’est assez oppressant, surtout dans ces conditions. Par exemple, je ne peux pas recevoir de garçons chez moi. Ayant trois nationalités, j’envisage notamment de partir m’installer à Londres. Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son attirance pour les hommes que pour un chrétien ou un musulman ? Sans aucun doute, le plus dur reste pour un musulman. A l’inverse, je pense qu’il est plus facile d’assumer une telle chose pour un chrétien que pour un juif. As-tu fréquenté des yeshivot ? J’ai fréquenté des lycées religieux. Comment as-tu vécu la séparation d’avec les filles ? Très mal, dans la mesure où je voulais être en contact avec elles. A cet âge-là, mes pulsions m’agitaient beaucoup… (il sourit). Penses-tu que cette séparation peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou bien permanents ? Oui, sans aucun doute. As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha ? Qu’en penses-tu ? Oui, je connais Havruta, mais pas Kamoha. Je trouve l’organisation Havruta un peu trop religieuse pour moi. Interview de Rafael Bonjour Rafael. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai vingt ans. Je suis étudiant dans un lycée religieux. Je suis bisexuel. Religieusement, si je devais me définir… (il réfléchit pendant de nombreuses secondes)…disons que je crois en Dieu mais je ressens de plus en plus la religion comme une contrainte, ce qui ébranle ma foi. Il est d’ailleurs probable que je finisse par devenir athéiste (il sourit). Mais bon, disons qu’à l’heure actuelle je suis traditionnaliste : je ne fais pas shabbat mais je porte une kippa comme tu peux le voir (il porte une kippa Dolce and Gabbana). Depuis quand es-tu attiré par les garçons ? Je le sais depuis que j’ai quatorze ans. Est-ce que tes amis sont au courant de ton attirance pour les garçons ? Un seul d’entre eux est au courant : il est religieux libéral et hétérosexuel. J’ai bien trop peur de le dire à mes autres amis hétérosexuels : crainte qu’ils ne veuillent plus faire d’activités sportives avec moi, crainte qu’ils ne veuillent plus me voir…Je l’ai également dit au rabbin de mon établissement suite à ses remarques homophobes incessantes. Pour te donner un exemple des propos qu’il pouvait tenir : il y a dans ma classe un garçon très efféminé. Un jour, celui-ci quitte la salle de cours pour aller aux toilettes ; le rabbin en profite alors pour rappeler à toute la classe que l’homosexualité est une maladie mentale. Excédé, je suis allé le voir quelques temps après afin de lui demander d’arrêter de dire de telles choses parce que j’étais moi-même attiré par les garçons. Je lui ai également demandé : « Si l’homosexualité est vraiment une maladie mentale, pourquoi n’y a-t-il pas de médicaments pour la soigner ?! ». Il m’a alors confié avoir été lui-même attiré par des garçons dans sa jeunesse. Mais bien entendu, maintenant, c’est un saint… (il sourit). Est-ce que ta famille est au courant ? Non, personne n’est au courant. Par contre, tout le monde est au courant que ma tante, issue de la branche ultra-orthodoxe de la famille, est lesbienne. Elle a d’ailleurs divorcé de son mari il y a peu pour pouvoir se marier avec son amie aux Etats-Unis (il rigole). En ce qui me concerne, je suis convaincu que toute cette frange ultra-orthodoxe de ma famille couperait les ponts avec moi s’ils apprenaient que j’étais attiré par les hommes. As-tu des frères et sœurs ? J’ai deux frères et deux sœurs ; je suis le plus jeune d’entre eux. As-tu déjà ressenti une quelconque pression de la part de tes parents à ton égard ? Je ressens une pression constante de la part de ma mère quant au fait qu’elle veuille des petits-enfants. Lorsque je lui réponds qu’il y a des chances pour qu’elle n’en ait pas, elle se met à pleurer et me demande sans cesse si je suis gay, m’affirmant que ça ne serait pas un problème pour elle. Je n’ai jamais osé profiter de ses paroles rassurantes pour lui avouer : j’ai bien trop peur de la réaction de mon père homophobe. Est-ce que, d’une certaine manière, ton attirance pour les garçons a un impact sur ta pratique religieuse ? Oui : je ne pratique pas la sodomie qui est interdite. A l’inverse, est-ce que le fait que tu sois religieux influe sur la manière dont tu vis ton attirance pour les garçons ? Aucune influence : je suis attiré par les garçons, ça ne changera pas. N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Etre gay et religieux, c’est très dur à concilier pour moi. Je me rappelle constamment que dans la Bible, la lapidation est le sort réservé à deux hommes ayant eu une relation sexuelle. Heureusement qu’Israël n’est pas une théocratie… Qu’est-ce qui t’attire dans la religion ? Principalement l’aspect social : les fêtes, les repas en famille, les rencontres à la synagogue… As-tu déjà songé à abandonner la religion en raison de ton homosexualité ? Oui j’y ai déjà pensé, parce que la religion ne respecte pas ce que je suis. Ceci dit, il n’y a pas que dans la sphère religieuse où l’homosexualité n’est pas acceptée. Il suffit de côtoyer les séculiers vivant hors de Tel Aviv pour s’en apercevoir, en particulier ceux des vielles générations. Et je ne parle même pas des mizrahim séculiers…L’homosexualité est en revanche bien mieux acceptée chez les ashkénazes séculiers. Quant à l’univers des dati leumi, on assiste depuis quelques années à une libération de la parole au sujet de l’homosexualité, et notamment chez les jeunes. As-tu déjà songé à te marier avec une fille afin de dissimuler ton attirance pour les hommes ? Non je n’y ai jamais songé. Il est évident par contre que si je devais me marier par choix, je ferais également celui d’avouer à ma femme mon attirance pour les hommes. La construction d’une famille fait partie de mes projets, que se soit avec une femme ou bien avec un homme (il s’interrompt). Mon père me tuerait s’il m’entendait (il rit nerveusement)…Dans le cas où je déciderais de construire une famille avec un homme, il est évident que nous adopterions, mais uniquement un enfant juif par commodité. As-tu déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner ton attirance pour les hommes ? J’y ai pensé il y a quelques mois, même si je suis convaincu de ses effets néfastes : ce sont précisément ces thérapies qui te rendent malades parce qu’elles te font davantage culpabiliser et t’empêchent de t’accepter tel que tu es. As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, voir même Israël afin de vivre plus sereinement ton attirance pour les hommes ? J’ai déjà songé à quitter Jérusalem pour Tel Aviv dans le cadre de mes études. Après mon service militaire, j’aimerais entamer des études pour devenir designer d’intérieur. A ce propos, mon rabbin n’a pas hésité à exprimer sa désapprobation, me disant que l’étude des arts était une perte de temps calomnieuse ! Sinon, j’envisage de partir en Suède où réside une partie de ma famille, la plus libérale (il sourit). De quelle manière penses-tu que les gays séculiers perçoivent les gays religieux ? Je pense que les gays séculiers se sentent désolés pour les gays religieux, persuadés qu’ils vivent dans un monde libre contrairement à ces derniers. J’ai tout de même noté chez ces mêmes gays séculiers, et plus largement dans le monde gay, une certaine fermeture d’esprit qui dénote avec l’image que l’on se fait de ce monde coloré et ouvert. Les différences y sont en fait assez mal acceptées, et je parle en connaissance de cause : je me sens souvent rejeté par rapport à ma bisexualité, ce qui accentue mon propre rejet de cette identité sexuelle. C’est un peu comme pour mon identité ashkénaze : le fait que certains pensent que je ne suis pas juif en raison de ma peau claire m’affecte beaucoup et alimente le conflit entre moi et cette autre identité. Est-il important que ton/ta futur(e) partenaire soit religieux (se) comme toi ? La religion n’a pas d’importance de ce côté-là. En revanche, pas d’arabes ! Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son attirance pour les hommes que pour un chrétien ou un musulman ? Pour les musulmans, cela reste le plus compliqué. A l’inverse, je pense que cela est plus facile pour les chrétiens, dans la mesure où ils ont davantage accepté, tout au long de ces dernières années, les diverses évolutions sociales et morales. Par contre, il est plus dur d’assumer son homosexualité pour un chrétien que pour un juif au Moyen-Orient. Ceci s’explique par le fait que ces chrétiens vivent généralement au sein de la société arabe très machiste. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels, occasionnels ou permanents ? Indéniablement, cette séparation contribue à une plus grande proximité entre garçons. Je suis d’ailleurs convaincu qu’il y a davantage de gays dans les yeshivot que dans les établissements d’Etat où cette séparation n’est pas appliquée. Personnellement, je profite beaucoup de cette proximité pour me rincer l’œil, notamment lors des visites au mikveh de ma yeshiva (il sourit). Je connais d’ailleurs un haredi qui a déjà eu des relations sexuelles avec d’autres garçons dans le mikveh, tu te rends compte ? Un lieu aussi sacré…C’est comme le seul bar gay de Jérusalem qui a récemment décidé de changer de nom et de s’appeler le Mikveh. Je trouve ça choquant ! Pour poursuivre sur les effets de cette séparation, je suis convaincu que si elle n’avait pas été appliquée dans les établissements que j’ai fréquentés, j’aurais été davantage capable de développer mes sentiments à l’égard des filles. Je vais te confier quelque chose : j’ai eu ma première relation sexuelle il y a deux ans et demi avec une prostituée pour la simple et bonne raison que j’étais incapable de communiquer avec une fille. Cette communication avec l’autre sexe est encore un problème aujourd’hui : voilà encore l’un des effets de cette séparation ! Pour moi, c’est précisément cette séparation qui est contre-nature ! As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha ? Qu’en penses-tu ? Oui, je connais Havruta mais je trouve l’organisation un peu trop religieuse pour moi. En revanche, je n’ai jamais entendu parler de Kamoha. Interview de Ben Bonjour Ben. Merci d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai cinquante-cinq ans. Je suis enseignant. Je suis un haredi, gay, divorcé et père de six enfants. Depuis quand sais-tu que tu es attiré par les hommes ? Depuis mon plus jeune âge. As-tu fréquenté d’autres filles avant de te marier ? Non, ma femme fut la première et la seule femme avec qui j’ai eu une relation. Où as-tu l’habitude de rencontrer tes partenaires masculins ? Uniquement sur Internet, par le biais d’Atraf. Serait-il important que ton futur partenaire de vie soit religieux comme toi ? C’est indispensable, ne serait-ce que pour des raisons pratiques : tu imagines si je fréquentais quelqu’un qui ramène du porc chez moi, ou bien qui allume la télévision pendant shabbat ! Est-ce que ta famille est au courant de ton homosexualité ? Non, personne n’est au courant. Je ne veux pas détruire l’harmonie qui existe entre moi et les membres de ma famille, ou les mettre mal à l’aise, d’autant plus que je pense qu’ils seraient incapables de gérer ce malaise. As-tu des frères et sœurs ? Non je suis enfant unique, élevé dans une famille séculière. As-tu déjà ressenti une quelconque pression de la part de tes parents à ton égard ? Oui, il m’est arrivé de ressentir une telle pression mais uniquement en ce qui concerne mon orientation de carrière, jamais à propos du mariage ou des enfants. Ils auraient voulu que je sois médecin, ou bien que j’exerce une autre profession libérale comme tout bon enfant juif : en somme une pression normale (il sourit). Est-ce que tes amis sont au courant de ton homosexualité ? Seuls mes amis gays sont au courant, et parmi lesquels je compte un certain nombre de religieux. L’un des membres de ma communauté haredi est au courant : c’est lui qui m’a confié le premier être attiré par les hommes. Est-ce que, d’une certaine manière, ton attirance pour les hommes a un impact sur ta pratique religieuse ? Mon homosexualité n’a jamais affecté ma pratique religieuse. Je pense même que c’est très courageux de ma part de m’être engagé sur la voie de la religion en étant homosexuel. A l’inverse, est-ce que le fait que tu sois religieux influe sur la manière dont tu vis ton homosexualité ? Dans ce sens, oui. Par exemple, je ne pratique pas la sodomie, ce qui m’évite de commettre une « to’evah ». N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Je suis arrivé à la religion par une démarche purement rationnelle, guidé par la recherche de la Vérité. Cette Vérité, c’est qu’il existe bel et bien un créateur qui nous a créés, nous ses créatures, et qu’en tant que tel, nous nous devons de suivre ses directives pour le respect de son œuvre. Ce n’est pas parce que certaines de ses directives sont contraignantes que l’on ne doit plus croire. Je ne vois aucun lien entre la coercition et la foi, c’est absurde. Je ne suis pas opportuniste : je ne cherche pas le confort dans la religion. Quant à la traduction de « to’evah » par « abomination », je ne suis pas d’accord. C’est un mot qui pourrait davantage se traduire par « déviance ». La traduction de « to’evah » par « abomination » fut choisie il y a fort longtemps plus ou moins arbitrairement sans que jamais personne n’ait vraiment trouvé à y redire. As-tu déjà songé à abandonner la religion à cause de ton homosexualité ? Non, jamais. Plus généralement, je n’ai jamais songé à abandonner quoi que se soit à cause de mon homosexualité. As-tu déjà songé à te marier avec une fille afin de dissimuler ton attirance pour les hommes ? Mon mariage n’a aucunement été guidé par cette intention : je désirais vraiment fonder une famille juive. Mon ex-femme ne l’a jamais su et ne le sait toujours pas. As-tu déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner ton attirance pour les hommes ? Non jamais, dans la mesure où j’ai toujours accepté mon identité sexuelle à 100%. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou permanents ? J’ai fait la plupart de ma scolarité dans des établissements séculiers ; ce n’est qu’après l’université que j’ai intégré pour la première fois une yeshiva. La séparation d’avec les filles qui y était observée ne m’a jamais posé de problème dans la mesure où je ne me suis jamais senti attiré par les filles. Mais oui, je pense que cette séparation peut développer des comportements homosexuels, qu’ils soient occasionnels ou permanents. As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha ? Qu’en penses-tu ? Oui je connais bien ces deux organisations. J’ai déjà participé à deux réunions organisées par Havruta, mais je ne m’y suis pas vraiment senti à l’aise en raison principalement de l’âge moyen des participants (une trentaine d’années). En revanche, je me sens bien plus proche de l’association Kamoha pour deux raisons : l’âge moyen plus élevé des participants et son respect plus grand de l’orthodoxie. Interview de Yeshai Bonjour Yeshai. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai trente-et-un ans. Je m’occupe du développement de produits high-tech pour une grande entreprise. Religieusement, je me qualifierais de juif, ce qui signifie pour moi connaître l’histoire du peuple juif, être familier de certains termes tels que « shabbat », « kashrout »…Sexuellement, je suis gay. Depuis quand sais-tu que tu es attiré par les hommes ? J’ai pris conscience de cette attirance à l’âge de douze ans, lorsque j’ai eu ce que je pourrais appeler mon premier rapport sexuel. Où as-tu l’habitude de rencontrer tes partenaires masculins ? Certains de mes partenaires furent des camarades de classe rencontrés dans les lycées religieux que j’ai fréquentés. Je les rencontre sinon sur Internet, par le biais d’Atraf, mais également dans des lieux normaux, c’est-à-dire ceux où se rencontrent d’ordinaire hommes et femmes : les rencontres avec d’autres hommes peuvent s’y faire naturellement bien que je n’ai jamais osé faire le premier pas (il sourit). Finalement, je me rends compte qu’il y a peu de différences entre les endroits où je rencontre des hommes et ceux où j’ai pu rencontrer des femmes, hormis le cadre de la yeshiva. Ceci dit, il y a certains canaux de rencontres traditionnels auxquels tu ne peux pas avoir recours pour rencontrer d’autres hommes, à l’instar de la famille. Est-ce que ta famille est au courant de ton homosexualité ? Ma famille la plus proche, c’est-à-dire celle avec laquelle je suis constamment en contact, est au courant. Ils l’acceptent même si ce n’est pas facile pour eux. As-tu des frères et sœurs ? J’ai trois sœurs plus âgées et un petit frère. As-tu déjà ressenti une quelconque pression de la part de tes parents à ton égard ? J’ai toujours ressenti cette pression parentale et notamment en ce qui concerne le mariage et les enfants. En revanche, depuis que j’ai avoué mon homosexualité, c’est terminé. Est-ce que tes amis sont au courant de ton homosexualité ? Même réponse que pour la famille. J’appartiens également à une communauté religieuse orthodoxe basée à Tel Aviv. Elle s’appelle Yachad, ce qui signifie « ensemble » ; étant ouverte aux homosexuels, ses membres sont également au courant. Est-ce que, d’une certaine manière, ton attirance pour les hommes a un impact sur ta pratique religieuse ? Je pense que si je n’avais pas été gay, je serais marié à l’heure qu’il est. Pour moi, être gay et religieux à la fois, c’est trop difficile ce qui explique que je ne suis plus que très modérément religieux. Du fait de mon homosexualité, j’ai pendant longtemps ressenti la religion comme une souffrance ; or je suis persuadé que Dieu, en qui je crois toujours, n’a jamais voulu que je souffre. J’ai donc décidé plus ou moins de mettre un terme à cette souffrance. Personnellement, je fais bien la distinction entre religion spirituelle (la croyance) et religion technique (les règles). A l’inverse, est-ce que le fait que tu sois religieux influe sur la manière dont tu vis ton homosexualité ? Oui, principalement en ce qui concerne la sodomie : j’ai mis un moment avant de franchir le cap. J’ai aussi cru pendant longtemps que l’homosexualité était une maladie, ce qui explique mes diverses tentatives pour essayer de remédier à cette attirance (il s’interrompt). J’ai même déjà songé au suicide. N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Pour moi, « to’evah » ne signifie pas « abomination » mais plutôt « erreur », « égarement ». D’une manière générale, il convient de faire attention aux traductions retenues à propos de tout ce qui touche aux interdits sexuels. Cette traduction de « to’evah » par « abomination » est une erreur de traduction commise par les chrétiens et que personne n’a pris la peine de rectifier. Et puis, le monde a bien changé depuis que Dieu a donné ses commandements à Moïse, ce que doit prendre en compte la communauté religieuse dans son ensemble ; il est donc nécessaire d’adapter ces commandements aux évolutions sociales qu’a connues l’humanité depuis lors. Je pense à la notion de « famille » par exemple : aujourd’hui une famille peut être constituée par deux personnes de même sexe auxquelles sont proposées plusieurs alternatives afin d’avoir des enfants. Ce sont précisément de tels changements qui doivent être pris en compte. Je pense également que Dieu a crée l’homme comme un être imparfait pouvant s’égarer, et donc commettre une « to’evah ». Qu’est-ce qui t’attire dans la religion ? Tu sais, j’ai été élevé au sein d’une famille religieuse, je n’ai donc jamais réfléchi à cette question. Etant d’une nature rebelle, j’ai cependant toujours réprouvé les règles te disant ce que tu peux faire et ce que tu ne peux pas faire. A l’inverse, j’ai toujours aimé dans le judaïsme sa spiritualité, son cérémonial, et son aspect social à travers les fêtes qui sont pour la famille l’occasion de se réunir. Serait-il important que ton futur partenaire de vie soit religieux comme toi ? Se serait plus facile, mais ce n’est pas un critère indispensable. As-tu déjà songé à te marier avec une fille afin de dissimuler ton attirance pour les hommes ? Oui, j’y ai déjà songé avec l’espoir que ce mariage puisse développer mon attirance pour les femmes. Et puis le mariage est tellement important dans le judaïsme…ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la communauté ultra-orthodoxe encadre très étroitement les rencontres hommes/femmes car c’est dans le cadre du mariage que doit s’accomplir le besoin et le devoir de reproduction. Une chose qu’il convient également de préciser, et que beaucoup de gens oublient, c’est l’importance du sexe dans le judaïsme. La Halakha précise en détails les conditions dans lesquelles doivent avoir lieu les rapports sexuels entre hommes et femmes : contacts physiques obligatoires (il n’est donc aucunement question de mettre un drap entre l’homme et la femme comme certains l’affirment au sujet des haredim), jouissance réciproque de l’homme et de la femme…A ce propos, la Gémara affirme même que si la femme jouit avant l’homme, l’enfant qui résultera de cet accouplement sera un garçon. Le judaïsme a bien conscience que ce qui tient le mariage, c’est le sexe. As-tu déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner ton attirance pour les hommes ? J’ai déjà essayé cette solution mais ça n’a pas marché. Le fait d’entamer cette thérapie a été l’occasion d’un premier aveu à mes parents de mon homosexualité, dans la mesure où se sont eux qui l’ont financés ; j’avais alors vingt-et-un ans. Ce n’est que sept ans plus tard que je leur ai avoué que la thérapie n’avait pas fonctionné. C’est dans le même temps que tout le reste de ma famille a été mis au courant de mon homosexualité par l’une de mes sœurs. Celleci pensait bien faire en expliquant à tout le monde les raisons de mon mal être de l’époque : je venais de connaître mon premier chagrin d’amour avec un homme. As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, voir même Israël afin de vivre plus sereinement ton homosexualité ? Je songe constamment à quitter Israël à cette fin. Mais deux raisons m’en empêchent: le fait que ma famille soit ici et qu’il est tout de même aujourd’hui de plus en plus facile de vivre son homosexualité en Israël, notamment pour un religieux ; il y a cinq ans encore, personne ne pouvait concevoir en Israël qu’il était possible d’être à la fois homosexuel et religieux. Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son attirance pour les hommes que pour un chrétien ou un musulman ? Le problème ce n’est pas la religion mais la société à laquelle tu appartiens. Je pense que la société juive est plus tolérante sur ce point que la société islamique. Bien entendu, des différences sont à noter au sein de chacune de ces communautés. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou permanents ? Cette séparation ne m’a jamais posé de problème dans la mesure où je me sentais davantage attiré par les garçons. Et puis je n’avais pas le temps pour rencontrer des filles : les journées de travail étaient très lourdes et la charge de travail personnel importante. Mais oui, je pense que cette séparation peut développer des comportements homosexuels, comme à l’armée ou en prison. Pour certains, ces relations sexuelles entre hommes ne sont que du sexe, et rien d’autre : il s’agit d’assouvir ses pulsions sexuelles dans la mesure où cela est impossible avec une fille avant le mariage. Cette pensée contribue à la négation de l’identité homosexuelle dans la sphère religieuse. J’ai moi-même pendant longtemps nié cette identité, assimilant cette attirance davantage à une tentation. En effet, il est communément admis dans le judaïsme que Dieu, dans un souci d’équilibre, a crée à la fois des anges bons et des anges dits de la passion. Selon ces croyances, se seraient ces derniers qui te pousseraient à avoir des relations homosexuelles ; il est ainsi expliqué que tu as été tenté par une créature de Dieu, mais qu’en aucun cas tu es homosexuel. As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha ? Qu’en penses-tu ? Plus que d’en avoir entendu parler, je fais partie du Bureau de Havruta. Quant à Kamoha…pour moi, cette association a pour seule finalité de lutter contre l’identité homosexuelle, ce qu’illustre d’ailleurs le projet Anachnu 16 qu’ils soutiennent ; ce projet répond aux attentes de la société et non à celles des individus. Interview de Rotem Bonjour Rotem. Merci d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions. Pourraistu commencer par te présenter brièvement en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai vingt-quatre ans. Je suis étudiant en communication visuelle à Bezalel, l’Académie des Arts et du Design de Jérusalem. Religieusement, si je devais me définir…ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas orthodoxe ; je suis religieux, mais à ma manière : par exemple je prends beaucoup de recul vis-à-vis de ce que disent les rabbins, alors que pour les orthodoxes, la parole du rabbin est sacrée, à tel point que s’il leur demanderait de sauter d’une falaise, ils le feraient sans réfléchir. Le fait que je sois pour l’égalité entre les sexes me distingue également des orthodoxes. Lorsque je suis parti poursuivre mes études théologiques à NewYork après l’armée, j’ai choisi d’intégrer une yeshiva égalitaire où étudient ensemble garçons et filles. Quant à mon identité sexuelle…d’une manière générale, je n’aime pas les étiquettes, mais si je devais en choisir une, se serait celle de bisexuel : je suis également attiré par les filles, mon corps réagit comme un hétérosexuel au contact d’un corps féminin (il sourit). Quand as-tu pris conscience de ton attirance pour les garçons ? Lorsque j’avais vingt-et-un ans, donc assez tardivement. Ca m’a pris du temps avant de comprendre clairement la nature de ce que je pouvais ressentir pour les garçons. Lorsque j’étais adolescent, certains pensaient que j’étais gay parce que je n’agissais pas comme un mec viril selon leur conception de la masculinité. Ca m’agaçait profondément dans la mesure où je me sentais hétérosexuel. Mais les choses ont commencé à changer…Pendant mon service militaire, j’ai travaillé à la radio militaire Galgalatz, la station la plus populaire du 16 Ce projet, officiellement mis sur pieds il y a près d’un an, a pour objectif de marier une lesbienne juive religieuse à un gay juif religieux afin qu’ils puissent fonder une famille. Ces mariages sont célébrés par un rabbin orthodoxe, le rabbi Harel, qui est d’ailleurs le rabbin officiel de l’organisation Kamoha. pays. J’y ai rencontré de nombreux homosexuels, ce qui m’a choqué au début dans la mesure où je viens d’un milieu où l’homosexualité est la pire des choses pouvant exister sur Terre. Plus généralement, à l’armée, j’ai eu l’occasion de rencontrer pleins de gays qui avaient fait leur coming-out et qui vivaient leur vie comme ils l’entendaient, heureux. Toujours en qualité de soldat, j’ai participé à l’un des voyages organisé par Taglit Birthright17au cours duquel je suis tombé amoureux pour la première fois d’un garçon, un Australien. Après son départ, je suis sorti avec une ancienne camarade de l’armée avec laquelle j’ai eu la relation la plus passionnelle que j’ai pu avoir jusqu’ici avec une fille. Parallèlement à cette passion, j’étais extrêmement troublé : comment pouvais-je éprouver des sentiments aussi forts à la fois pour une fille et pour un garçon ? L’acceptation de cette situation s’est faite progressivement, sans aucun conflit avec moi-même, à la différence de la plupart des gays religieux. En revanche, j’ai été en conflit avec la société, avec ma famille et mes amis qui n’acceptaient pas l’homosexualité. Est-ce que ta famille est au courant de ton attirance pour les garçons ? Mes parents sont au courant ainsi que mes quatre sœurs, à l’exception de la plus jeune qui a quatorze ans. Ce sont mes parents qui m’ont demandé de ne pas lui dire ; or nous avons une relation très fusionnelle et je suis persuadé qu’elle sera extrêmement vexée le jour où elle l’apprendra. Mes parents l’ont très mal accepté au début : ils ont arrêté de me soutenir financièrement, ce qui m’a contraint à trouver un boulot de serveur en parallèle de mes études. Et puis… (il s’interrompt). Un jour, ils m’ont contraint à aller voir un rabbin très mystique, qui pratique la magie, avec l’espoir qu’il puisse me guérir car pour ma famille, l’homosexualité est une maladie. J’ai finalement accepté à condition que de leur côté, ils rencontrent un ami à moi qui est gay orthodoxe et rabbin. Une fois le marché conclus, je suis donc allé voir ce rabbin-sorcier, et… (il s’interrompt à nouveau). Il m’a fait faire des choses…je n’en ai jamais parlé à personne, c’était horrible… (il s’interrompt). Mes sœurs aussi ont eu beaucoup de mal à l’accepter au début, et toujours encore. Pour te donner un exemple, lorsque j’ai annoncé il y a un mois à la plus âgée que je rompais avec le garçon avec qui je suis resté pendant un an et demie, elle a éclaté de joie, me souhaitant de pouvoir me marier bientôt. 17 Organisation qui propose des séjours gratuits en Israël à de jeunes juifs du monde entier, principalement Américains, afin de les encourager à immigrer en Israël. Et tes amis ? Ils sont au courant. Ca n’a pas été facile à leur avouer dans la mesure où la plupart étaient homophobes. J’ai mis six mois avant de le dire à mon meilleur ami ; ma plus grande crainte était de le perdre, mais il a très bien réagi. Quant à mes autres amis, notamment ceux de la colonie dans laquelle j’ai grandi, j’ai attendu près de deux ans avant de leur confier. Ca a été un choc pour eux au début : j’ai du les rassurer et même les informer quant à ce que signifiait vraiment l’homosexualité : que ça ne se résume pas à la Gay Pride ou au fait de se déguiser en femme…toutes ces choses qu’ils associent à l’homosexualité et qui les répugnent. Maintenant ils m’organisent carrément des rencontres avec d’autres gays qu’ils connaissent, alors qu’au début ils ne voulaient pas entendre parler de mes relations homosexuelles. A l’inverse, l’annonce de mon attirance pour les garçons à mes amis séculiers de Tel Aviv n’a eu aucun effet, ça leur était complètement égal. Où as-tu l’habitude de rencontrer tes partenaires masculins ? Je les rencontre partout : à Bezalel où il y a beaucoup de gays, dans les bars gays où je vais avec mes amis, dans la rue aussi. Il m’arrive de temps en temps de les rencontrer également sur Internet via Atraf bien que je n’aime pas ce mode de rencontres basé exclusivement sur le sexe. Ce qui me pose problème avec Atraf en particulier, c’est qu’il y a beaucoup d’hommes mariés avec des enfants qui sont encore dans le placard. Par conséquent, ils sont incapables de se comporter de façon mature avec les autres garçons : on dirait de jeunes puceaux de quinze ans, tout est amplifié avec eux, les sentiments en particulier, ce qui explique que ces relations prennent fin rapidement. Le critère religieux est-il important dans le choix de tes partenaires ? Je sors d’une relation d’un an et demi avec un gay religieux. Au début, le critère religieux a facilité les choses, mais par la suite, c’est devenu problématique ; je me suis rendu compte qu’il était bien plus religieux que moi. Par exemple, je n’ai aucun problème à aller manger dans un restaurant non-kascher, alors que pour lui, c’est impossible. Je conçois le kashrout comme le plus gros mensonge de tout le judaïsme si l’on s’en réfère aux sources halakhiques qui ont fait de ces règles une absurdité. Et puis respecter le kashrout à la lettre revient très cher ! Pour revenir à ta question, il m’est arrivé de sortir avec des non-juifs aussi. Quant aux filles, je suis sorti avec des religieuses, mais aussi avec des non-religieuses et des non-juives, lorsque j’étais à New-York notamment. Mais tu sais, il est dur de sortir avec quelqu’un qui n’est pas religieux si tu es toi-même religieux. Les datlashim sont confrontés à cette même difficulté dans la mesure où, même s’ils ont décidé d’abandonner la religion, une partie d’eux y demeure attachée ce qui rend les relations avec les authentiques séculiers assez compliquées. Parmi tes amis, en as-tu qui, comme toi, sont gays et religieux ? Beaucoup de mes amis sont gays et religieux. Mais le problème avec ces relations amicales, voir même sentimentales dans certains cas, c’est que j’ai toujours le rôle de celui qui, parce qu’il s’assume et parce que eux se détestent, doit les aider à s’accepter : j’ai l’impression d’être leur psychologue ! Du coup, la relation s’en retrouve déséquilibrée. Et puis je ne te cache pas que ce milieu gay religieux est un peu étouffant à la longue… Est-ce que, d’une certaine manière, ton attirance pour les hommes a un impact sur ta pratique religieuse ? Je dirais que non, mais le judaïsme insiste beaucoup sur la notion de « communauté ». En tant que juif, tu as besoin de la communauté pour prier, célébrer les fêtes…Etre rejeté par ta communauté en raison de ton orientation sexuelle te prive de nombreuses choses, et notamment du concept fondamental de « partage ». C’est précisément pour éviter ce rejet que certains hommes préfèrent se marier et avoir des enfants, plutôt que d’assumer leur homosexualité. Ceci dit, cela ne les empêche pas de se créer un profil sur Atraf, ce que je trouve répugnant : comment font-ils pour vivre dans le mensonge à ce point ! A l’inverse, est-ce que le fait que tu sois religieux influe sur la manière dont tu vis ton homosexualité ? Avec mon précédent copain, nous ne pratiquions pas la sodomie pour des raisons religieuses. En discutant de cela avec mes amis gays, religieux et séculiers, je me suis rendu compte que la sodomie n’est pas une pratique sexuelle systématique chez les gays comme tout le monde le pense. Plus généralement, ce n’est pas la religion qui affecte ce que tu es mais la société dans laquelle tu évolues. Par exemple, j’explique mon attirance pour les individus à la peau claire parce que j’ai grandi dans une communauté d’ashkénaze18 pour qui la peau claire constitue l’un des principaux canons de beauté. De même, les quelques élans homophobes que je peux encore éprouver sont la conséquence du fait que j’ai grandi dans un univers homophobe. Par exemple, je n’aime pas que mes amis gays de Bezalel m’appellent Rotema, même si c’est pour rire. De même, j’ai encore un peu de mal avec les garçons efféminés ; l’une des premières choses que j’avais d’ailleurs dite à mes amis après leur avoir annoncé mon attirance pour les hommes était que je n’étais pas comme ces gays efféminés. N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Cette question soulève un débat théologique : qui a écrit la Torah ? Dieu ou les hommes ? Il est évident que sont les hommes qui l’ont rédigé et modifié, de même qu’ils ont modifié la Halakha. Ces modifications opérées par les rabbins avaient pour principal objectif de répondre aux contradictions de la Torah. De toute façon, je suis convaincu que personne ne peut accomplir tous les mitzvot sans commettre de pêchés. Je n’ai donc aucun problème quant au fait de ne pas pouvoir respecter certains d’entre eux du fait de mon attirance pour les garçons. Et puis, ce que j’ai vécu avec mon premier amour masculin, c’était tellement pur et innocent qu’en aucune manière Dieu peut condamner une telle chose. Qu’est-ce qui t’attire dans la religion ? J’ai grandi dans un univers très religieux comme tous mes amis de la colonie ; certains d’entre eux ont décidé d’abandonner la religion. Pour ma part, je n’ai pas hésité à poser les questions que je voulais, à lire…et j’ai finalement décidé de rester religieux. Ceci dit, il y a encore des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord à l’exemple de la manière dont la Halakha traite les femmes et les non-juifs. As-tu déjà songé à abandonner la religion à cause de ton homosexualité ? Aucunement, dans la mesure où je n’ai aucun problème avec Dieu. 18 Rotem est issu d’une famille séfarade. Songes-tu à te marier ? Peut-être, tout dépendra de qui je tomberais amoureux. Il est évident que mes parents seraient bien plus heureux si je tombais amoureux d’une fille, mais bon… As-tu déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner ton attirance pour les hommes ? Jamais. As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, voir même Israël afin de vivre plus sereinement ton homosexualité ? J’ai déjà quitté ma famille pour cela : c’est le seul contexte dans lequel il m’est impossible de vivre librement et sereinement. Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son attirance pour les hommes que pour un chrétien ou un musulman ? Le plus dur reste pour les musulmans et les haredim. En fait, peu importe la religion : tout dépend du degré de religiosité de chacun ; il est donc plus difficile pour les plus orthodoxes de concilier ouvertement homosexualité et religion que pour les autres. Je trouve ça triste car c’est justement cette difficulté qui les contraint à avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes dans les toilettes publiques de Jérusalem notamment. Je regrette aussi de ne pas pouvoir trouver de synagogues aussi ouvertes que certaines églises vis-à-vis de leurs fidèles homosexuels comme il en existe à New-York. De quelle manière penses-tu que les gays séculiers perçoivent les gays religieux ? Je porte toujours ma kippa, y compris dans l’univers gay séculier, et je peux te dire que ça fait son petit effet… (il sourit). Ca aide notamment à entamer la conversation dans la mesure où le fait de voir un gay porté une kippa surprend encore. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou permanents ? Commençons par mettre les choses aux claires : le fait de n’avoir aucun contact avec une fille avant le mariage n’est nulle part écrit dans la Torah ; il s’agit d’une règle de la Halakha. En ce qui me concerne, j’ai eu ma première relation sexuelle avec une fille hors-mariage, à dixneuf ans ; tous mes amis n’ont cessé alors de me répéter que c’était mal. Pour revenir à ta question, je pense que cette séparation contribue au développement de comportements homosexuels, comme c’est le cas aussi en prison. Quand tu vis dans un environnement composé uniquement d’individus du même sexe et que tu veux assouvir les pulsions sentimentales et sexuelles qui t’animent, les relations homosexuelles sont alors le seul moyen. As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha ? Qu’en penses-tu ? Je participe assez régulièrement aux évènements de Havruta. Quant à Kamoha…je considère cette organisation comme une organisation homophobe dont le seul but est de donner les outils nécessaires afin de rester dans le placard. Interview de E.19 Bonjour E. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement, en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai trente ans. Je suis journaliste. Religieusement, je me définirais comme un orthodoxe moderne : par « moderne », j’entends une certaine proximité avec quelques idées conservatrices et libérales telles que l’égalité entre les hommes et les femmes ; je fréquente d’ailleurs des minianes orthodoxes égalitaires à Jérusalem. Je préfère cette appellation d’ « orthodoxe moderne » à celle de « dati leumi » dans la mesure où je ne conçois pas de lien entre mon identité religieuse et l’Etat. Quant à mon identité sexuelle…disons que je suis bisexuel. Quand as-tu pris conscience de ton attirance pour les hommes ? Je suis conscient de cette attirance depuis que j’ai quatorze ans. Avec les hommes, ce n’est que sexuel ; ma première relation sexuelle fut d’ailleurs avec un homme. En revanche avec les filles, ce sont davantage des histoires de cœur. Où as-tu l’habitude de rencontrer tes partenaires masculins et féminins ? Pour ce qui est des garçons, je les rencontre uniquement sur Internet, via Atraf. Avec les filles en revanche, c’est plus facile, je peux les rencontrer partout. 19 Cet interlocuteur a préféré rester anonyme. Est-ce que ta famille est au courant de ton attirance pour les hommes ? Personne de ma famille n’est au courant. Je ne leur ai jamais dit dans la mesure où je n’ai pas encore décidé moi-même si je désirais plutôt vivre avec un homme ou avec une femme. Mais il est évident que je vais devoir choisir car je souhaite vraiment construire une relation sur le long terme, et dans ces conditions, le mensonge est inenvisageable. Ce sera dur car je serais contraint d’abandonner une partie de moi, mais bon…tout le monde est bien contraint d’abandonner quelque chose lorsqu’il décide de s’engager vis-à-vis de quelqu’un pour la vie. Ceci dit, je pense que ce que j’aurais à perdre sera plus profond que pour un hétérosexuel… As-tu des frères et sœurs ? J’ai un frère qui est plus jeune que moi. As-tu déjà ressenti une quelconque pression de la part de tes parents à ton égard ? Oui, je ressens cette pression en ce qui concerne le mariage et les enfants davantage de la part de ma mère. Et tes amis ? Quelques amis sont au courant, parmi lesquels des amis gays religieux juifs. Le critère religieux est-il important dans le choix de tes partenaires ? Oui c’est un critère important en ce qui concerne la personne avec qui je veux faire ma vie. Par contre je ne prête pas attention à ce critère lorsqu’il s’agit uniquement de relations sexuelles : je dois même dire que c’est plus facile d’avoir des rapports sexuels avec quelqu’un qui n’est ni religieux et ni juif (il sourit). Ma première relation sexuelle avec une femme fut d’ailleurs avec une non-juive que j’ai rencontrée à Londres il y a quelques mois. J’ai attendu longtemps avant d’avoir mon premier rapport sexuel avec une fille pour des raisons religieuses (pas de rapports sexuels avant le mariage). Ce sont ces mêmes raisons qui me faisaient ne pas vouloir pratiquer la sodomie avec un autre homme, mais cela a quand même eut lieu, par accident disons, lorsque j’étais à Paris… Est-ce que, d’une certaine manière, ton attirance pour les hommes a un impact sur ta pratique religieuse ? Non. A l’inverse, est-ce que le fait que tu sois religieux influe sur la manière dont tu vis ton homosexualité ? Oui, en ce qui concerne mes pratiques sexuelles avec les hommes : je ne pratique pas la sodomie, bien que cela soit arrivé une fois… (il semble gêné). N’est-ce pas un problème pour toi de croire en Dieu alors que celui-ci affirme dans la Torah que ce que tu fais est une « to’evah », une « abomination » (Lévitique, 18 :22) ? Non, dans le sens où je contextualise la Torah : ce texte a été écrit à une certaine période où effectivement la pratique de la sodomie entre hommes était considérée comme une « to’evah ». J’explique cela par l’influence de la culture égyptienne sur les Israélites, qui condamnait les rapports sexuels entre hommes mais pas l’homosexualité puisque cette notion n’existait pas encore. Qu’est-ce qui t’attire dans la religion ? Je pense que l’environnement dans lequel on grandit nous influence beaucoup. J’ai été élevé dans cet univers religieux même si je dois avouer que je suis plus religieux que mes parents. Je ne peux donc pas dire si j’ai choisi d’être religieux ou pas : je le suis et cela me convient. As-tu déjà songé à abandonner la religion à cause de ton homosexualité ? Non, je n’ai jamais songé sérieusement à abandonner la religion intégralement. J’insiste làdessus car la religion est un système : ce n’est pas parce que tu ne peux pas accomplir tous les mitzvot que tu dois tout quitter. Il y a des choses que je ne pourrais jamais abandonner comme le shabbat et la prière avec le téfiline. As-tu déjà songé à te marier avec une fille afin de dissimuler ton attirance pour les hommes ? Oui j’y ai déjà pensé, mais dans la mesure où je n’espère plus que mon attirance pour les hommes disparaisse, je n’y pense plus. Et puis je ne pourrais pas me marier avec une fille pour qui je n’éprouve aucune attirance dès le départ ; c’est pour cela que je ne pourrais pas adhérer à un projet comme Anachnu par exemple. As-tu déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner ton attirance pour les hommes ? Non, pas pour cette raison. En revanche, j’ai suivi une thérapie pour comprendre ce qui m’arrivait, ainsi que pour avoir quelqu’un avec qui en parler. As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, voir même Israël afin de vivre plus sereinement ton homosexualité ? J’y pense chaque fois que je suis en déplacement à l’étranger pour quelques mois, mais je n’ai pas envie de vivre ailleurs uniquement pour cette raison-là. Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son attirance pour les hommes que pour un chrétien ou un musulman ? Cela ne dépend pas de la religion à laquelle tu appartiens mais plutôt de la famille dans laquelle tu as grandi. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou permanents ? J’ai fréquenté des lycées religieux ainsi qu’une yeshiva traditionnelle après mon service militaire, mais cette séparation était normale pour moi. Je pense qu’effectivement cette séparation peut contribuer à développer des comportements homosexuels, qu’ils soient permanents ou non, bien que je n’en ai pas la preuve scientifique. As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha ? Qu’en penses-tu ? Je ne connais pas Kamoha ; en revanche, je connais bien Havruta même si je ne les ai jamais contactés : j’ai peur de me voir coller l’étiquette «gay » si j’y allais. D’une manière générale, je n’aime pas trop les étiquettes à l’instar de celle de bisexuelle. Par contre celle d’hétérosexuel ne me gênerait pas (il sourit) dans la mesure où cela est la norme sociale. Interview de A20 Bonjour A. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par te présenter brièvement, en insistant sur tes identités religieuse et sexuelle ? J’ai vingt-sept ans. Je travaille dans l’industrie high-tech. Je suis datlash et gay. Quand as-tu pris conscience de ton attirance pour les hommes ? Dès l’âge de treize ans, au regard de ce que je pouvais ressentir lorsque je voyais la photo d’un garçon dans les magazines. Cette attirance s’est confirmée au fil des années jusqu’à ce que je l’accepte vraiment à l’âge de vingt-trois ans, après un voyage en Amérique du Sud. Où as-tu l’habitude de rencontrer tes partenaires masculins ? Je les rencontre uniquement sur Internet, via Atraf et Grindr, même si j’ai déjà eu l’occasion de sortir au Mikveh et au Video Pub, les deux bars gays de Jérusalem, ainsi que dans une soirée gay à Tel Aviv. J’ai aussi eu l’occasion de me faire draguer naturellement par un camarade de l’Université hébraïque de Jérusalem : une rencontre, de bonnes relations, un texto dans lequel il m’avouait vouloir plus qu’une simple amitié…mais aucune suite de ma part. Est-ce que ta famille est au courant de ton attirance pour les hommes ? Mes parents et ma sœur sont au courant. Je leur ai dit lorsque je suis revenu d’Amérique du Sud, en même temps que ma décision d’abandonner la religion. Ils l’ont bien pris, sûrement parce que ma famille n’est pas une famille orthodoxe traditionnelle, mais davantage libérale. 20 Cet interlocuteur a préféré garder l’anonymat. En revanche mon frère n’est toujours pas au courant mais j’ai vraiment besoin de lui dire ; cela se fera bientôt… Par rapport à ton frère et à ta sœur, es-tu le plus jeune ou le plus vieux ? Je suis le plus jeune. As-tu déjà ressenti une quelconque pression de la part de tes parents à ton égard ? Non, aucune pression. Ceci s’explique sans doute encore par le fait que mes parents soient libéraux. Est-ce que tes amis sont au courant de ton homosexualité ? Mes amis les plus proches sont au courant, ainsi qu’un camarade de l’armée. Par contre, mes amis religieux d’enfance ne le savent pas. Pour quelles raisons as-tu décidé d’abandonner la religion ? Bien qu’ayant grandi dans un univers religieux, même si davantage libéral qu’orthodoxe, je ne me suis jamais sentit proche de Dieu, ni vraiment croyant. J’ai pourtant cherché des réponses à mes doutes, j’ai respecté les mitzvot mais rien n’y faisait : j’étais bien trop rationnel pour continuer à croire au fait que Dieu aurait donné la Torah aux Juifs et qu’Il aurait choisi ce peuple. Cette décision d’abandonner la religion s’inscrit donc dans un processus, qui culmine avec mon voyage en Amérique du Sud entrepris après mon service militaire. Au cours de celui-ci, j’ai respecté le kashrout et j’ai rencontré une fille qui est tombée amoureuse de moi : le premier élément a gâché une partie de mon voyage et le deuxième a confirmé mon attirance exclusive pour les hommes. J’ai donc décidé à mon retour d’assumer une bonne fois pour toutes ce que j’étais vraiment : non-croyant et gay. Comment ont réagi tes proches à cette décision ? Mes parents l’ont plutôt bien pris. En même temps, mon frère et ma sœur avaient déjà pris cette même décision bien avant moi, ce qui a sans doute aidé à préparer le terrain (il sourit). Y a-t-il des pratiques religieuses que tu as tout de même préservées ? Je vais encore tous les vendredis soirs à la synagogue pour shabbat. J’aime y voir mes amis, l’ambiance communautaire, le fait de bien m’habiller pour l’occasion…Et puis j’ai toujours des amis religieux dont certains sont gays. Serait-il important que ton partenaire soit également non-religieux ? Cela serait mieux car dans le cas contraire la situation serait trop conflictuelle je pense. D’ailleurs, même lorsque j’étais dati21, la plupart des garçons que j’ai pu fréquenter étaient non-religieux. Mais il est vrai que c’était davantage sexuel avec ces derniers, tout comme avec les non-Juifs, tandis que les relations sentimentales étaient réservées aux Juifs. Je n’ai pas vraiment d’explication logique à donner, les choses se sont simplement passées ainsi. Est-ce que, d’une certaine manière, ton attirance pour les hommes a eu un impact sur ta pratique religieuse ? Non. A l’inverse, est-ce que le fait d’avoir été religieux a eu un impact sur la manière dont tu as pu vivre ton homosexualité ? Lorsque tu es religieux, tu n’es pas seul : tu es inséré dans une communauté qui te surveille de près, ce qui peut être très contraignant. D’une manière générale, je pense qu’être religieux orthodoxe et gay est très problématique, d’autant plus que les rabbins condamnent unanimement tous types de rapport sexuel entre hommes, et pas seulement la sodomie. Est-ce que le fait d’être homosexuel a influencé ta décision d’abandonner la religion ? Je ne sais pas comment les choses se seraient déroulées si j’avais été hétéro, mais je suis convaincu que si je l’avais été, j’aurais abandonné la religion bien plus tôt. L’une des 21 Abréviation hébraïque signifiant « religieux ». principales fonctions de la religion pour moi fut de me protéger. Je m’explique : en étant religieux, tu ne peux pas toucher une fille avant le mariage, ni même y penser ou en parler. Ainsi, lorsque l’on me posait des questions embarrassantes sur les filles, je pouvais donc répondre : « Je suis religieux, je ne parle pas de ces choses-là. ». C’était pratique. As-tu déjà songé à te marier avec une fille afin de dissimuler ton attirance pour les hommes ? J’ai longtemps pensé, et je le pense encore un peu aujourd’hui, que le mariage est le moyen le plus facile de fonder une famille. Cependant, si tu décides de te marier avec une femme, tout en sachant pertinemment que tu es attiré par les hommes, tu dois lui dire au préalable même si tu as cessé de fréquenter des hommes. Je pense que cela est réalisable même si je doute que cela puisse m’arriver…Mais bon, j’ai très envie de fonder une famille, d’avoir des enfants…peut-être bien avec un homme qui sait, je ne sais pas trop encore. As-tu déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner ton attirance pour les hommes ? Je n’y ai jamais pensé et je n’y crois pas. Je partage d’ailleurs l’avis des psychiatres américains qui affirment que ces thérapies causent davantage de dégâts. As-tu déjà songé à quitter ta famille, Jérusalem, voir même Israël afin de vivre plus sereinement ton homosexualité ? Avant, j’étais persuadé que partir était la solution, mais aujourd’hui les choses ont changé : Israël est devenu plus libéral, beaucoup de gays y vivent. Je pense donc qu’il est possible d’être gay et heureux en Israël ; et puis j’aime ce pays. Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son attirance pour les hommes que pour un chrétien ou un musulman ? Vu de l’extérieur, cela a l’air très difficile pour les musulmans, bien plus que pour les juifs. En ce qui concerne les chrétiens, je pense que cela dépend de l’obédience à laquelle tu appartiens. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou permanents ? Il faut d’abord préciser une chose, c’est que cette séparation est aussi de rigueur à l’armée. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que ma vie aurait été plus simple si j’avais fréquenté des établissements mixtes au cours de ma scolarité. Jusqu’à ce que je quitte l’armée, je n’avais jamais eu d’amies filles ; je commence tout juste à en avoir, dont une avec laquelle je suis très proche. Pour revenir plus précisément à ta question, je pense que ton orientation sexuelle est décidée dès la naissance. Cette séparation peut avoir des répercussions sur la vie et la personnalité des garçons, mais pas sur leur sexualité. As-tu déjà entendu parler des associations Havruta et Kamoha ? Qu’en penses-tu ? Je connais l’organisation Havruta : je trouve que c’est un bon moyen pour rencontrer d’autres garçons ailleurs que sur Internet, un mode de rencontres que je n’affectionne guère même si c’est le seul auquel j’ai recours. J’ai donc déjà songé me rendre à l’un de leurs évènements, mais je ne sais pas trop…J’ai entendu dire que l’âge moyen des participants était assez élevé… (il sourit). Quant à Kamoha, j’en ai déjà entendu parler mais je n’y jamais vraiment prêté attention dans la mesure où il existe déjà les organisations Havruta, qui fait beaucoup parler d’elle, et Hod…alors une troisième ! Les gays religieux en Israël ne sont quand même pas aussi nombreux que cela, alors pourquoi autant d’organisations ?! (il sourit) Interview du rabbin Neal Kaunfer Bonjour rabbin Neal Kaunfer. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourriez-vous commencer par vous présenter brièvement en insistant sur vos identités religieuse et sexuelle ? J’ai soixante-douze ans. Je suis un rabbin du mouvement massorti, maintenant à la retraite, qui vit à New-York. Religieusement, je me définirais comme spirituel, et sexuellement comme gay. Votre famille est-elle au courant de votre homosexualité ? Mon plus jeune frère est au courant et il l’a bien accepté : il a même été d’un bon soutien. J’ai une cousine lesbienne qui est également au courant et dont je suis très proche : je pense d’ailleurs qu’il s’agit de l’une de mes seules amies filles. En revanche, mes parents ne l’ont jamais su. Quel type de relation avez-vous entretenu avec vos parents ? La relation avec mon père fut compliquée : j’étais très en colère contre lui, persuadé qu’il était responsable de mon homosexualité. Il n’a jamais été vraiment impliqué dans ma vie et j’ai longtemps cru que si j’avais bénéficié d’une présence masculine plus importante, je ne serais pas homosexuel. Pour compenser ce manque affectif paternel, je me suis alors tourné vers ma mère, mais là aussi la relation ne fut pas simple : elle avait tendance à prendre toutes les décisions à ma place, et puis elle ne cessait de me demander quand est-ce que j’allais me marier. Mais depuis que j’ai la cinquantaine, elle ne me le demande plus : je pense qu’elle sait, mais bien sûr nous n’en avons jamais parlé. Est-ce que vos amis sont au courant ? J’ai commencé à révéler mon homosexualité à d’autres lorsque j’avais quarante ans. C’est à ce même âge que je suis allé pour la première fois à la synagogue gay de New-York où j’ai rencontré d’autres gays religieux qui sont devenus mes amis ; je me suis également lié d’amitié pendant ces mêmes années avec des gays non-religieux. Depuis plus de dix ans maintenant, je suis une thérapie que je qualifierais de globale, dont le but est de m’aider à accepter toutes mes composantes identitaires, dont mon homosexualité. Dans cette dure bataille, j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup d’amis gays et hétérosexuels très ouverts d’esprit. Parmi ces derniers, il y a notamment un rabbin orthodoxe qui officie à Jérusalem et qui n’a aucun problème à m’embrasser ou à me faire une accolade alors qu’il sait pourtant que je suis gay et attiré par lui. Grâce à cette thérapie, mon homosexualité se manifeste davantage publiquement : je suis présent chaque année sur le char de la synagogue gay de New-York lors de la Gay Pride. Je ne pense pas que les jeunes aujourd’hui aient autant à lutter pour assumer leur homosexualité comme j’ai pu le faire. Je pense qu’il leur est plus facile d’accepter leur homosexualité que pour un jeune dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt : il n’y a qu’a voir à l’heure actuelle le nombre de séries télés ou de films qui présentent des personnages gays. Et votre entourage professionnel ? Parallèlement au rabbinat, mon activité principale a consisté à former de futurs enseignants pour des établissements religieux en grande partie. Je n’ai jamais avoué mon homosexualité à aucun de mes collègues pendant toute la période où j’ai exercé : j’avais trop peur de leur réaction dans la mesure où la plupart étaient orthodoxes ou massortis. N’est-ce pas problématique d’être à la fois religieux, gay et rabbin ? Le fait d’être rabbin a aggravé le conflit entre mes identités religieuse et sexuelle en raison de ma pleine conscience et connaissance des interdits religieux pesant sur l’homosexualité. Il y a dix ans encore, la relation entre religion et homosexualité était perçue comme un conflit : il fallait choisir entre l’une ou l’autre. Aujourd’hui, on tend à une plus grande acceptation de cette relation, résultat d’une révolution des consciences identitaires : plus l’on prend conscience de qui l’on est, plus l’on est en mesure de comprendre ce qui nous anime et de le clamer haut et fort. C’est ce qui s’est passé avec la révolution féminine dans les années 1970, suivie dans le même temps par la révolution homosexuelle. Cependant la relation conflictuelle entre religion et homosexualité persiste encore aujourd’hui chez les plus religieux. A l’inverse dans les mouvements réformé et massorti, cette révolution des consciences s’est traduite par l’acceptation des mariages homosexuels ainsi que des rabbins gays. En ce qui concerne ces derniers, leur acceptation date d’à peine quatre ans dans le mouvement massorti alors que les débats les concernant ont duré dix ans ! En revanche, aucune ouverture d’esprit ni chez les massortis ni chez les réformateurs, et encore moins chez les orthodoxes, au sujet des transsexuels, mais je suis convaincu que se sera la prochaine révolution identitaire. J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer quelques transsexuels religieux à la synagogue gay de New-York. Bien entendu, aucun n’est orthodoxe : cela est bien trop dur dans la mesure où ils sont automatiquement rejetés par leur famille, leur communauté…Dans ces conditions, il leur est donc impossible de pratiquer. Mais ce rejet persiste encore chez les gays religieux, y compris chez les orthodoxes modernes dont la majorité doit continuer à se cacher : Jérusalem illustre bien ce phénomène du placard. Ceci dit, je trouve qu’il y a chaque année de plus en plus de gays religieux, ainsi que de lesbiennes religieuses, qui défilent lors de la Gay Pride à Jérusalem. Outre le rejet de la famille et de la communauté, il ne faut pas non plus oublier le rejet exprimé par certains hommes hétérosexuels, religieux ou non, qui ont peur de l’homosexualité. Je me souviens qu’adolescent, certains garçons se moquaient souvent des gays et j’étais terrifié à chaque fois que je les entendais tenir de tels propos, même si je me persuadais qu’ils ne parlaient pas de moi ; je n’avais pas la force de m’assumer face à de tels individus, ni de créer un conflit. Est-ce que, d’une certaine manière, votre homosexualité a un impact sur votre pratique religieuse ? Etant devenu davantage spirituel, je peux à nouveau établir le lien entre mon homosexualité et ma religiosité. Le fait d’avoir dû affronter la relation initialement conflictuelle entre ces deux identités m’a permis d’évoluer en tant qu’être humain et de parvenir à la synthèse de l’ensemble de mes composantes identitaires. A l’inverse, est-ce que le fait d’être religieux a un impact sur la manière dont vous vivez votre homosexualité ? Une lecture très littérale de la Bible peut effectivement poser problème dans la mesure où il apparaît évident que l’acte sexuel entre deux hommes est interdit. Une chose vis-à-vis de laquelle il ne faut pas se fourvoyer, c’est que ce n’est pas seulement la sodomie qui est condamnée, mais toutes relations intimes entre deux hommes. Plus précisément, ce sont les actes que la Bible condamne, et non l’identité sexuelle, pour la simple raison que celle-ci n’existait pas à l’époque : le seul lien sentimental qu’elle peut concevoir entre deux hommes est l’amitié. L’identité homosexuelle, telle que nous la connaissons aujourd’hui, s’est construite durant les cinquante dernières années. Auparavant, personne ne pouvait croire que deux hommes ou deux femmes pouvaient vivre autre chose que du sexe : vivre ensemble, bâtir une relation de couple…La reconnaissance sociale a été la condition indispensable à la reconnaissance de l’identité homosexuelle. Le fait que cela soit maintenant assimilé contribue, je pense, à une meilleure acceptation du lien entre homosexualité et religion. Qu’est-ce qui pose finalement le plus de difficultés : la société ou la religion ? Je pense que la religion a influencé, et influence toujours, la société dans son ensemble en ce qui concerne l’homosexualité. Et puis il ne faut pas oublier que même si les femmes sont de plus en plus présentes, notre monde reste dominé par les hommes. Ceci explique l’homophobie latente qui règne dans la plupart des sociétés qui considèrent les relations sexuelles et sentimentales entre hommes comme une offense et une menace pour l’égo masculin. Qu’est-ce qui vous attire dans la religion ? Devenir religieux fut une décision que j’ai prise personnellement, lorsque j’avais treize ans ; en fait, plus que de devenir religieux, j’ai décidé de l’être encore plus que mes parents. Aux Etats-Unis, plusieurs programmes étaient proposés aux jeunes juifs afin de faire des études religieuses parallèlement à leurs études classiques. J’ai adhéré à l’un de ces programmes et il s’est avéré que j’étais très doué pour les études religieuses : tous mes enseignants, ainsi que ma famille et d’autres adultes n’ont eu de cesse de me complimenter et de m’encourager. A l’inverse, je n’étais pas doué dans les disciplines où la plupart des garçons de mon âge exprimaient habituellement leurs talents, à l’exemple du sport. C’était un problème, d’autant plus que je n’étais pas attiré par les filles, même si je refusais encore de me l’avouer. Voilà comment j’ai embrassé le monde juif qui, je dois dire, m’a donné une réelle structure de vie. Avez-vous déjà songé à abandonner la religion à cause de votre homosexualité ? Plutôt que d’abandonner la religion à cause de mon homosexualité, j’ai préféré fréquenter la synagogue gay de New-York. En ce moment, je redéfinis mon rapport à la religion afin d’apaiser le conflit entre mon esprit et mon cœur. Ceci me permet d’aborder la religion de façon plus émotionnelle et spirituelle. Avez-vous déjà songé à vous marier avec une femme afin de dissimuler votre attirance pour les hommes ? Je suis sorti avec des femmes jusqu’à mes quarante ans, moment à partir duquel je ne pouvais définitivement plus lutter contre mon homosexualité. Chaque fois que je sortais avec une fille, j’espérais que notre relation pourrait fonctionner et que mon attirance pour les hommes disparaîtrait… Avez-vous déjà songé à entamer une thérapie afin de refreiner votre attirance pour les hommes ? La première thérapie que j’ai entamée visait précisément à cela. Je me souviens de la première phrase que j’ai dite à mon psychanalyste : « S’il vous plaît, enlevez ça de moi, je ne peux pas vivre comme cela ! ». Celle que je suis maintenant depuis plus de dix ans n’a absolument rien à avoir : il s’agit désormais de trouver la paix, de comprendre les sentiments que je peux ressentir pour certains hommes et de tenter de construire une relation à partir de ces sentiments. Il y a quelque chose de très intéressant dont cette thérapie m’a fait prendre conscience : plus tu t’acceptes en tant qu’homosexuel, plus tu peux exprimer ton côté artistique. Dans son livre Gay Soul, Mark Thompson a développé la thèse selon laquelle plus tu refreines tes sentiments de nature homosexuelle, plus tu refreines en fait tous tes sentiments, ceux-ci étant tous liés. Dès l’âge de quatre/cinq ans, j’adorais danser, c’était vraiment naturel pour moi. Un jour, une femme est venue rendre visite à ma mère, m’a vu danser et lui a alors dit : « Tu dois l’arrêter ! Ce n’est pas pour les garçons ce qu’il fait mais pour les filles ! ». Ma mère m’a donc fait cesser immédiatement. Mes élans naturels de danseur se sont à nouveau manifestés lorsque j’étais au lycée par le biais de tournois de danse. Cette thérapie me permet à nouveau d’exprimer cette part de moi. J’ai d’ailleurs créé un groupe qui vise à combiner danse, mouvements du corps et musique juive, permettant ainsi d’exprimer sa judaïté plus artistiquement. Je parviens chaque fois à réunir une quinzaine de participants sur près de deux-cent contacts, et nous nous retrouvons au Centre communautaire hébraïque de New-York ou bien dans les synagogues qui acceptent de nous ouvrir leurs portes. La plupart refusent parce que ce que je propose est trop avant-gardiste pour eux, en ce sens que j’incite les Américains à s’exprimer à travers leurs corps, ce dont ils ont horreur : ils préfèrent davantage être assis, regarder, parler, analyser…alors que moi je leur dis : « Levez-vous de votre chaise, on ne va pas parler, mais bouger maintenant ! » (Il sourit). Serait-il important que votre partenaire de vie soit également religieux ? Ce qui serait important c’est qu’il soit également spirituel et pas trop conservateur, parce que je suis bien trop libéral désormais. Je préférerais aussi qu’il soit juif dans la mesure où ma judaïté est très présente dans ma vie. De quelle manière pensez-vous que les gays séculiers perçoivent les gays religieux ? Je pense que certains gays séculiers perçoivent la religion comme le principal ennemi de l’homosexualité, et c’est pour cette raison qu’ils sont très critiques vis-à-vis des gays religieux. Pour la plupart, il faut choisir : soit tu es gay, soit tu es religieux. Pensez-vous qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son attirance pour les hommes que pour un chrétien ou un musulman ? Je pense que cela est plus facile pour les juifs que pour les musulmans, dans la mesure où nous avons des mouvements libéraux qui nous permettent de vivre notre foi plus librement. Quant aux chrétiens, je pense que les protestants sont davantage progressistes que les catholiques, même si je connais une église catholique à New-York ouverte aux homosexuels. En tant que rabbin, est-ce que des gens se sont déjà adressés à vous au sujet de l’homosexualité afin de solliciter votre aide ? Non, mais il m’est souvent arrivé que de jeunes gens viennent me voir en m’avouant que la manière libérée avec laquelle je vis mon homosexualité influence la manière dont ils vivent la leur : je leur montre que l’on peut être plus âgé, gay, rabbin, heureux et libre. Lors de l’une des précédentes Gay Pride à New-York, un groupe de jeunes gays s’est adressé à moi en me disant : « Merci beaucoup ! C’est grâce à vous et à des gens de votre génération que le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui existe ». Interview de Daniel Jonas Bonjour Daniel. Merci d’avoir accepté cet entretien. En tant que président de l’organisation Havruta, pourrais-tu expliquer son rôle et son objectif ? Plus qu’une organisation, Havruta est une communauté de gays religieux ouverte à tous, aussi bien aux bisexuels qu’aux transsexuels, en passant par les séculiers… Notre action est à la fois interne et externe. Sur le plan interne, il s’agit de consolider les liens entre les membres de notre communauté par la tenue d’évènements tels que des réunions, des weekends, le shabbat22…En ce qui concerne notre action externe, nous nous efforçons d’être le porte-parole des gays religieux. Ceci explique notre présence dans les médias israéliens et internationaux, ou bien au sein de certains comités de la Knesset : nous avons récemment demandé au ministre de la Santé, Yaakov Litzman, un ultra-orthodoxe, la possibilité pour les homosexuels de recourir à une mère- porteuse en Israël. Afin que notre requête soit entendue, nous avons insisté sur la nécessité pour les couples juifs de même sexe de faire appel à une mère-porteuse juive afin que l’enfant soit lui-même juif. La réponse se fait toujours attendre…Nous sommes également en contact avec des rabbins, des enseignants et des élèves de yeshivot afin d’organiser des rencontres, mais aussi avec des politiciens israéliens et européens. Notre action a d’ailleurs été récompensée en décembre 2011 par le gouvernement français qui nous a remis le prix des droits de l’Homme : une première dans l’histoire des associations défendant les droits des LGBT. Nous sommes l’une des rares organisations en Israël à autant développer cette dimension extérieure. De quels moyens disposez-vous pour accomplir toutes ces actions ? Havruta est une organisation indépendante depuis maintenant deux ans : à l’époque nous étions incorporés dans la structure de l’Open House de Jérusalem. Lorsque j’ai commencé à travailler pour Havruta, il y a deux ans et demi, ma tâche a consisté à assurer cette transformation de statut de l’organisation. Havruta est constitué d’un Bureau de cinq membres permanents, tous bénévoles : le manque de moyens financiers ne nous permet pas 22 Cf. Annexe 1 encore de rémunérer ceux qui travaillent pour l’organisation, ni même de disposer de nos propres bureaux23, mais j’espère que cela sera bientôt possible (il sourit). Comment décrirais-tu la communauté de Havruta ? La majorité de ses membres sont des datim leumim. Nous avons également quelques datlashim, mais peu de haredim : ces derniers ont beaucoup de mal à venir vers nous. Il y a une chose que j’ai remarqué, c’est que les personnes qui participent à nos évènements sont davantage religieux que les autres, tandis que les plus religieux sont généralement ceux encore dans le placard. Mais les choses commencent à changer… Qu’est-ce que ces hommes viennent chercher auprès de Havruta ? La plupart nous contactent car ils se sentent seuls, perdus, et parce qu’ils ont peur. Généralement, lorsqu’ils prennent contact pour la première fois avec l’organisation, ils ne sont encore qu’au début du processus d’acceptation de leur identité sexuelle : beaucoup ne comprennent pas vraiment ce qui leur arrive et ils nous sollicitent justement pour comprendre. La seule chose que nous pouvons alors leur proposer, c’est de passer en revue les différentes options qui s’offrent à eux. Celles-ci dépendent bien entendu de la personne et de l’environnement dont elle provient. Je vais te donner un exemple : récemment un haredi gay en âge de se marier s’est présenté à moi. Je lui ai alors expliqué que seul lui pouvait prendre une décision et que, peu importe celle qu’il choisirait, celle-ci impliquerait des conséquences : s’il décide de se marier alors qu’il sait pertinemment qu’il est attiré par les hommes, il devra accepter de vivre dans le mensonge ; à l’inverse, s’il décide d’assumer ouvertement son homosexualité, il devra se résigner à quitter l’univers qu’il a connu jusqu’alors. De quelles manières contribuez-vous à assurer le lien entre les gays religieux et leurs communautés ? Deux étapes à une telle entreprise : tout d’abord, rappeler aux communautés, et tout particulièrement aux communautés orthodoxes, que nous existons en leur sein, et qu’ils 23 Daniel m’a reçu sur son lieu de travail. doivent par conséquent s’intéresser à la question de l’homosexualité. Suite aux propos homophobes encore tenus récemment par un rabbin des environs de Tel Aviv, nous avons décidé, il y a quelques semaines, d’initier une campagne d’affichage24 afin de sensibiliser à l’impact de tels mots sur les gays et les lesbiennes. L’une de nos premières cibles d’affichage fut les quartiers religieux des principales villes du pays, à commencer par Jérusalem. La deuxième étape vise à aller directement à la rencontre des rabbins et des élèves de yeshivot : certains de nos membres s’y rendent afin de témoigner et de sensibiliser à la question de l’homosexualité. Est-il facile d’établir ces contacts avec les leaders religieux ? Comment qualifierais-tu les relations que Havruta entretient avec certains d’entre eux ? Ces contacts sont difficile à établir, et il est encore plus difficile de convier des rabbins à nos réunions, ou bien encore de rendre publiques les relations que nous pouvons entretenir avec certains d’entre eux. L’ouverture de Havruta est ce qui leur pose le plus problème, à l’image de notre participation à la Gay Pride. Leur désapprobation à l’égard de cet évènement, ainsi que celle d’une partie des gays religieux, provient de l’image bien trop négative que les médias renvoient du mouvement, et qui ne reflète pas sa raison d’être principale. Pour nous, la participation de Havruta à la Gay Pride est importante parce qu’elle permet une nouvelle fois de montrer que les gays religieux existent, aussi bien au sein de la communauté LGBT que de la société religieuse : nous demandons d’ailleurs à la plupart des participants à la Gay Pride de Jérusalem de brandir tout au long de la marche un objet se rattachant à la yeshiva qu’ils ont fréquenté ou qu’ils fréquentent encore. Notre participation permet également de donner à l’évènement un autre visage, moins choquant, et de rapprocher l’univers des gays séculiers avec celui des gays religieux. Et puis, cela nous offre une belle publicité (il sourit). Et avec la classe politique ? Le problème avec les politiques, c’est qu’au-delà de leurs paroles, aucune action concrète n’est entreprise. Pour te donner un exemple : nous entretenons de bonnes relations avec le président de la Knesset, Reuven Rivlin, qui a récemment refusé le projet d’union civile pour 24 Cf. Annexe 2 les gays. Les relations peuvent être également conflictuelles avec les pouvoirs municipaux : cette année est la première où l’Open House de Jérusalem a pu obtenir les subventions municipales auxquelles elle a droit en qualité d’association sans avoir recours à la Cour suprême ! Outre nos relations aves certains politiciens israéliens, nous avons également de bons contacts avec des parlementaires européens, dont le président du LGBT Intergroup à Bruxelles, Michael Cashman : bien qu’étant d’ordinaire assez hostile à Israël, celui-ci a accepté sans aucun problème de nous rencontrer. Peut-être que le prix des droits de l’Homme que nous a remis le gouvernement français y a-t-il contribué…Il est vrai que depuis, nous sommes beaucoup sollicités et que les contacts se nouent plus facilement. Je pense que nous incarnons aux yeux de la plupart des gens une sorte de pont entre judaïsme, humanisme et sionisme. Penses-tu que le fait d’être religieux peut avoir un impact sur la façon de vivre son homosexualité ? Le problème fondamental, ce n’est pas la religion en elle-même, dans la mesure où chacun gère comme il l’entend ce qu’il peut ou ne peut pas faire, mais les institutions religieuses : ce sont elles qui affirment que la religion et l’homosexualité sont incompatibles. Ce qui les dérange principalement, c’est l’aspect social, comme le confirme le fait de mettre les gays et les lesbiennes dans le même panier, alors que rien n’est écrit dans la Torah au sujet de l’homosexualité féminine ! A l’inverse, penses-tu que l’homosexualité peut avoir un impact sur la pratique religieuse ? Pour certains, malheureusement oui. En ce qui me concerne, cela n’est plus un problème depuis que je suis sorti du placard. Mais là encore, le problème c’est la société : c’est elle qui a contribué à l’élaboration du mythe selon lequel les gays ne disposent d’aucun cadre de vie dans lequel évoluer (religieux, marital, familial…), en refusant justement ces cadres aux homosexuels ! Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son homosexualité que pour un chrétien ou un musulman ? Je ne pense pas qu’il y ait de réelles différences entre juifs et chrétiens, dans la mesure où les mêmes interrogations traversent ces deux communautés. Je m’en suis rendu compte lors d’un récent voyage en Europe au cours duquel j’ai eu l’occasion de parler avec certains dignitaires chrétiens homosexuels. Par contre, je pense que ceci est plus compliqué pour un musulman, même si je ne suis pas expert en la matière. Il convient cependant de noter que la Gay Pride de Jérusalem a plus d’une fois permis aux juifs, chrétiens et musulmans d’œuvrer main dans la main contre nous. Si cela peut apporter la paix entre eux ne serait-ce qu’un court instant, même à nos dépens… (Il rigole). Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels, occasionnels ou permanents ? Définitivement non ! Que penses-tu de l’organisation Kamoha et des actions qu’elle entreprend et soutient ? (Un silence)…Pour commencer, il convient de rappeler une chose, c’est que le fondateur de Kamoha, Amit, qui, d’ailleurs, n’est pas son vrai prénom, fut l’un des fondateurs de Havruta. Il a décidé de quitter Havruta pour plusieurs raisons, parmi lesquelles son opposition à notre participation à la Gay Pride, ainsi qu’au projet de synagogue gay et lesbienne que nous avions avec Bat Kol 25 ; ainsi, Amit n’a pas crée Kamoha pour aider les personnes en difficulté, mais seulement pour s’opposer à Havruta. Combien d’articles a-t-il pu écrire contre nous dans la presse nationale ! Ceci dit, cela nous a fait beaucoup de publicité (il sourit). Pour revenir à l’organisation, je pense que Kamoha peut répondre aux besoins de certains individus, même si je n’approuve pas la plupart des solutions proposées pour leur venir en aide. Nous sommes notamment opposés à 100% au projet Anachnu qui ne fait qu’alimenter le rejet de soi et l’homophobie. Ce projet est hypocrite et n’a pour seule fonction que de préserver les apparences. Je ris lorsque je lis sur le site de Kamoha que ce projet est un succès depuis son institutionnalisation : seulement trois mariages célébrés en un an ! Peut-on vraiment parler de succès dans ces conditions, surtout que le projet a bénéficié d’un intense matraquage médiatique au début ! Nous sommes également totalement contre les 25 Organisation de lesbiennes juives orthodoxes. thérapies visant à modifier l’orientation sexuelle. La plupart d’entre elles sont des thérapies que l’on pourrait qualifier de « punitives », dont le but est de modifier le conditionnement initial du cerveau au moyen de modifications comportementales. Un exemple de ce que préconisent ces thérapies : se faire mal dès que l’on est tenté de regarder un individu du même sexe que l’on trouve séduisant ; le cerveau comprend alors le message suivant : pour ne plus avoir mal, je dois arrêter d’agir ainsi. Les promoteurs de ces thérapies n’ont aucuns scrupules à faire culpabiliser les patients pour qui la méthode ne marche pas, en leur affirmant que la méthode est infaillible et que le problème provient d’eux ; certains deviennent alors encore plus durs envers eux-mêmes, tandis que d’autres, tellement désespérés, envisagent le suicide… Que répondrais-tu aux détracteurs de Havruta qui clament que l’organisation n’est pas orthodoxe ? Que se sont eux qui nous empêchent d’être religieux et intégrés à leur communauté et qui, par conséquent, nous contraignent à créer notre propre communauté ! Interview d’Amit26 Bonjour Amit. Merci d’avoir accepté cet entretien. Pourrais-tu commencer par expliquer les raisons qui t’ont poussé à quitter Havruta et à créer Kamoha ? Tu es bien informé… (il semble surpris). Pour moi, Havruta n’est pas une organisation orthodoxe mais davantage une organisation réformatrice-conservative. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si aucun rabbin orthodoxe ne la soutient, mais seulement des rabbins réformateurs ou massortis… J’ai donc crée Kamoha pour pallier à cette absence de véritable d’organisation gay orthodoxe. Lorsque je dis que Havruta est une organisation réformatriceconservative, je fais référence notamment à sa participation à la Gay Pride à laquelle je suis totalement opposée. Chez Kamoha, nous n’aimons pas ce mot de « fierté » car être gay n’est en rien une fierté d’un point de vue religieux, si l’on s’en réfère à la Halakha. Selon la Halakha, il serait donc impossible d’être à la fois gay et religieux ? Si tu décides d’assumer à 100% ton attirance pour les hommes et d’être religieux, tu dois sacrifier de nombreuses choses. Pour certains, la contrepartie sera de renoncer à faire quoi que se soit avec un autre homme, ni même de se marier avec une femme : en somme de rester seuls jusqu’à la fin de leur vie. J’y ai déjà songé personnellement, mais je suis arrivé à la conclusion que je n’en étais pas capable. En refusant de se marier, ceux-ci ne peuvent donc plus suivre les prescriptions de la Torah ; ils se réfèrent alors au Talmud dont l’importance est secondaire par rapport à celle de la Torah. Il est donc moins problématique de transgresser une règle figurant dans le Talmud que dans la Torah où il est explicitement écrit que le sexe entre hommes, c’est-à-dire la sodomie, est interdit. Qui s’adressent à Kamoha et que viennent-ils y chercher ? Il s’agit principalement d’hommes qui souffrent et qui ont besoin de parler. Aujourd’hui encore, un haredi de quarante ans, marié et père de famille, m’a téléphoné afin de me confier 26 Amit n’est pas son vrai prénom, mais celui qu’il « utilise pour s’exprimer au nom de la communauté gay orthodoxe » selon l’une de mes sources. son attirance pour les hommes. Est-ce que tu te rends compte que cet homme, marié depuis vingt ans, n’a jamais pu parler de cela à personne avant moi ! D’autres s’adressent à Kamoha afin de rencontrer des personnes comme eux, Kamoha signifiant d’ailleurs « comme toi ». Ils viennent également s’informer sur les possibilités de concilier orthodoxie et homosexualité : on nous demande souvent par exemple ce qu’il faut faire pour obtenir le pardon du Très-Haut27après avoir passé une nuit avec un garçon. Notre rôle est de leur dire que cette conciliation est possible, qu’ils n’ont pas besoin d’abandonner la religion et de devenir datlash juste parce qu’ils sont attirés par les hommes. Notre site Internet permet d’apporter des éléments de réponse tant à ces hommes en difficulté qu’à tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur le monde homosexuel, mais dans une perspective orthodoxe. Nous avons d’ailleurs de nombreux contacts avec des rabbins, et même notre rabbin officiel, le rabbin Areleh Harel. Nous en sommes très heureux dans la mesure où le rabbin est une autorité très importante dans le monde orthodoxe : c’est lui que l’on consulte chaque fois qu’un doute nous prend. Je ne dis pas que je consulte le rabbin Harel tout le temps sur tout et n’importe quoi, mais il est vrai que nous nous entretenons souvent ensemble…Notre dernière conservation remonte à la semaine dernière : il s’agissait de l’organisation d’un shabbat gay religieux le week-end dernier. Je ne savais pas trop si cela était une bonne ou une mauvaise idée. Je me disais que oui dans la mesure où l’occasion nous aurait été donnée d’être tous ensemble, mais d’un autre côté, tous ces hommes réunis dans le même lieu pendant un week-end, devant dormir ensemble…Je lui ai donc demandé ce qu’il en pensait et il m’a dit que c’était une bonne idée : ainsi, le shabbat a eu lieu et c’était vraiment super ! Que pensent les autres rabbins orthodoxes du soutien que vous prête le rabbin Harel ? Les choses ont changé dans le monde orthodoxe au sujet de l’homosexualité ces dernières années. Le rabbin Harel n’est pas un rabbin isolé : il est très connu et a de nombreuses relations dans le monde orthodoxe. Il dirige une yeshiva, est marié à la fille de l’un des plus grands rabbins israéliens, et père de famille. D’autres rabbins nous soutiennent également, à l’exemple du rabbin Menachem Borstein, proche des milieux ultra-orthodoxes. Plus généralement, il est plus facile pour les rabbins de nous soutenir nous car ne nous brandissons pas le rainbow flag. C’est là encore l’une des différences entre nous et Havruta : 27 Durant l’entretien, Amit n’a jamais prononcé le nom de « Dieu ». nous ne disons pas aux personnes qui viennent nous voir que nous allons les aider à assumer leur homosexualité ; nous préférons voir avec chacun ce qui est le plus approprié à sa situation. C’est pourquoi nous soutenons les personnes qui souhaitent entreprendre une thérapie afin de devenir hétérosexuel. Je m’explique : nous n’affirmons pas, contrairement à Atzat Nefesh28, que cette solution fonctionne à 100% pour tout le monde, tout comme nous refusons de reconnaître que ces thérapies n’ont aucune utilité : nous sommes convaincus que cela peut fonctionner pour certaines personnes. Personnellement, j’ai essayé cette solution, mais ça n’a pas marché ; en revanche, je connais des gens pour qui ça a marché. J’ai lu dans une interview que la première personne à qui tu as avoué ton attirance pour les garçons fut un rabbin. Peux-tu m’expliquer ce choix ? J’avais dix-huit ans lorsque j’ai pris conscience de mon homosexualité et j’avais alors très peur. Un jour, j’ai lu l’article d’un rabbin orthodoxe s’exprimant au sujet de l’homosexualité. Ses propos m’ayant plu, j’ai décidé de le rencontrer afin de discuter avec lui de mon attirance pour les garçons. Ceci a été largement facilité par le fait que je ne le connaissais pas et qu’il ne me connaissait pas, ce qui, dans le cas contraire, aurait été impossible. Et puis, le fait de le confier en premier lieu à un rabbin me paraissait logique : le rabbin est l’autorité que tu consultes chaque fois qu’un doute t’assaille parce qu’il connaît la Halakha mieux que toi. Quelle est la teneur des évènements organisés par Kamoha ? Les évènements que nous organisons changent à chaque fois : il peut s’agir d’aller voir un film, de discuter avec un rabbin, de passer shabbat ensemble… Le but de ces évènements est d’établir un groupe d’amis afin de briser la solitude dans laquelle peuvent se trouver certaines personnes du fait de leur homosexualité. Il y a parmi nos membres un gay religieux qui avait l’habitude de passer chaque shabbat tout seul dans son appartement de Jérusalem. Cette solitude est désormais finie depuis qu’il fréquente les autres membres de l’organisation : il a de nouveaux amis avec qui passer shabbat. Les gens ne peuvent pas rester seuls, ils ont besoin d’appartenir à un groupe, mais pas à un groupe dont l’objectif est la création d’une synagogue gay à Tel Aviv. Encore une fois, notre but n’est pas la constitution d’une 28 Organisation israélienne fondée en 2001 par le rabbin Shlomo Avimer dans le but de modifier irrévocablement le comportement sexuel de certains juifs (homosexualité, masturbation…). communauté gay religieuse indépendante, comme Havruta, mais l’intégration des gays religieux orthodoxes dans leurs propres communautés orthodoxes hétérosexuelles. De quelles manières contribuez-vous à informer la communauté orthodoxe au sujet de l’homosexualité ? Notre site Internet y contribue en grande partie, ainsi que les articles que nous publions dans la presse nationale. Ce sont d’ailleurs certains de ces articles qui ont poussé des rabbins à prendre contact avec nous. Nous avons également rencontré assez récemment des membres du comité en charge de l’éducation religieuse en Israël, qui se sont montrés étonnamment ouverts d’esprit sur le sujet. Cet entretien a débouché sur un accord visant à envoyer des représentants de Kamoha auprès des enseignants d’établissements religieux afin de les sensibiliser à la question : l’objectif est de les rendre capables de répondre à leurs élèves s’ils sont sollicités sur le sujet. Nous agissons donc en ce qui concerne l’éducation, mais dans l’ombre ; de toute évidence, les yeshivot ne nous permettraient pas de frapper à leurs portes afin d’aborder la question directement avec leurs élèves. Œuvrez-vous également à sensibiliser la classe politique israélienne sur le sujet ? Pas vraiment, dans la mesure où le combat politique consiste à acquérir des droits, à modifier les lois déjà existantes…en faveur des homosexuels. Or, nous ne recherchons aucunement ces droits ou une quelconque modification de la législation en vigueur. En ce qui concerne le mariage entre deux personnes de même sexe par exemple, notre position est très claire : nous y sommes totalement opposés ; le mariage de deux hommes ou de deux femmes n’existe pas. N’est-ce pas paradoxal d’affirmer sur votre site Internet que le fait d’être attiré par les hommes n’est pas un pêché, et en même temps d’être favorable aux thérapies visant à modifier l’orientation sexuelle ? La thérapie sert uniquement à empêcher les hommes attirés par les hommes d’outrepasser ce que la Torah, le Talmud et la Halakha interdisent. L’objectif est donc de vivre plus adéquation avec la parole du Très-Haut : être marié avec une femme, lui être loyal, et avoir des enfants avec. Il vaut mieux respecter Ses paroles que d’être attiré par les hommes, dormir avec, et tout le reste… Depuis que vous avez institutionnalisé le projet Anachnu il y maintenant près d’un an, seulement trois couples se sont mariés. Peut-on vraiment parler de succès comme vous le faites ? Mais c’est énorme ! Il y a même des gens qui nous disent que c’est trop ! Nous-mêmes nous ne pensions pas que cela fonctionnerait autant ; à vrai dire, nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre au début. En moins d’un an, près de deux-cent personnes nous ont contactés, deux couples se sont fiancés et trois se sont mariés. Et puis il y a des données relatives à bien garder en tête : la communauté religieuse homosexuelle en Israël est très restreinte, avec une proportion moyenne de deux hommes pour une femme ; tout le monde ne peut donc pas bénéficier de ce programme. Et puis, Israël ce n’est pas la France démographiquement parlant, il ne faut pas l’oublier (clin d’œil amusé d’Amit). Pourquoi est-il si difficile pour deux personnes de même sexe de construire une famille selon la Loi juive ? Le problème initial réside dans le fait qu’il s’agisse de deux hommes. Après tu peux décider de vivre avec un homme, mais tu n’as pas besoin de le dire publiquement ! Pourquoi faire une telle chose ? Pourquoi sortir du placard ? Pourquoi brandir le rainbow flag ? Bien sûr le fait de ne pas le dire et de ne jamais présenter à qui que se soit son partenaire peut alimenter les rumeurs, mais il y a une différence entre les rumeurs et le fait de sortir du placard : les conséquences ne sont pas les mêmes ! Dans le cas où tout le monde sait que tu es en couple avec un autre homme et que vous voulez des enfants, il faut alors penser à ces derniers : un enfant a besoin d’une mère ; cette conception de la famille est valable aussi bien dans le monde religieux que dans le monde séculier. Il faut également penser à son éducation : aucun établissement religieux n’acceptera d’accueillir un enfant qui a deux pères ! Et puis comment justifier de la judaïté d’un enfant adopté par deux hommes ? Tu as affirmé dans une interview qu’il était « possible de suivre la Loi juive, d’étudier la Torah, et d’être gay ». De quelle manière selon toi ? Prenons l’exemple suivant : tu es un gay extrême, c’est-à-dire que tu es sorti du placard et tu as un petit-ami avec lequel tu vis et tu pratiques la sodomie. Tout ce package réuni ne te permet pas de lire, ni même de toucher la Torah car cela rendrait le Livre impur. De l’autre côté, prenons un séculier qui conduit, touche de l’argent, fume…pendant shabbat. Si ce dernier rentre dans une synagogue, il sera accueilli les bras ouverts parce que les religieux auront l’espoir qu’il se rapproche de la religion. A l’inverse, les gays se font insultés, frappés…Mais en quoi être gay est-il pire que conduire une voiture pendant shabbat ?! J’ai également lu que tu considérais au début l’homosexualité comme « le grand-père de toutes les impuretés », « avi avot hatuma ». Pourquoi une telle définition ? Les homosexuels ont toujours été confondus avec des pervers, des animaux, et même des monstres ! J’ai grandi avec ces conceptions, et lorsque j’ai pris conscience de mon homosexualité, je me suis : « Mais quel est le rapport avec moi ? Ce sont eux les montres, ceux qui s’exhibent en slip sur les chars de la Gay Pride, pas moi ! ». Je pensais vraiment que le problème venait de moi, que j’étais le seul ; je me détestais à un tel point que j’ai déjà songé au suicide. J’ai aussi été très en colère contre le Très-Haut. Pour les séculiers également, être homosexuel est l’une des pires choses qui puissent arriver : combien de pères ont déjà dit à leurs fils gays : « J’aurais préféré que mon fils soit un criminel plutôt qu’homosexuel » ! Je ne parle même pas des Arabes qui tuent leurs enfants lorsqu’ils découvrent qu’ils sont gays ! Es-tu maintenant plus en paix avec ton identité homosexuelle ? (Un silence de plusieurs secondes précède la réponse) Oui, je ne suis plus en colère, ni contre le Très-Haut, ni contre moi. Par contre, je suis toujours contrarié par la situation actuelle qui nécessite l’existence de Kamoha. Mon souhait pour l’avenir serait que Kamoha n’existe plus, ce qui signifierait que tout irait mieux. Que penses-tu de l’organisation Hod29 ? 29 Organisation de gays religieux orthodoxes créée en mars 2008 ; Havruta, Hod et Kamoha constituent les trois organisations de gays religieux orthodoxes en Israël. Nous avons des divergences avec eux, notamment en ce qui concerne les thérapies. Kamoha est la seule organisation de juifs gays orthodoxes en activité sur le territoire israélien : nous organisons des évènements une fois par mois, tantôt à Tel Aviv, tantôt à Jérusalem, nous mettons à jour très régulièrement notre site Internet à la différence de Hod30… Ils ont essayé au début de faire quelque chose, notamment de prendre contact avec des rabbins, mais cela n’a rien donné. Penses-tu que la séparation des sexes observée scrupuleusement dans la sphère religieuse, et notamment dans les yeshivot, peut contribuer à développer des comportements homosexuels occasionnels ou permanents ? J’ai été en yeshiva, mais non… (un très long silence est marqué, il semble alors gêné)…Vraiment je ne sais pas quoi répondre à cette question. Penses-tu qu’il est plus facile pour un juif religieux d’assumer ouvertement son homosexualité que pour un chrétien ou un musulman ? Je ne pense pas que cela soit facile pour les chrétiens, peut-être même moins que pour les juifs. Quant aux musulmans, ceux-ci n’hésitent pas à massacrer les gays ! 30 Effectivement, les dernières mises à jour de la version anglaise du site datent de 2008. De même, aucune réponse n’a été donnée à mon mail à ce jour. Annexe 1 : Compte-rendu du sabbat organisé par Havruta31 Eté 2012. Je viens de décrocher mon premier stage au CRFJ (Centre de Recherche Français à Jérusalem), dépendance du CNRS. Le directeur, Olivier Tourny, et l’anthropologue, Florence Heymann, me mirent au défi : réaliser une enquête sociologique sur le rapport entre homosexualité masculine et judaïsme32. Excité par ce nouveau challenge, me voici partit en quête de témoignages. Une semaine après le début de mes recherches, je réussis à m’entretenir avec Daniel Jonas, le président de Havruta33, l’une des associations de gays religieux les plus médiatisées d’Israël. Désireux de vouloir m’aider dans mon travail, il me convie au shabbat que l’organisation a préparé pour ses membres. « Tu vas rencontrer des gens très intéressants », me dit-il. Vendredi 3 août 2012, 19 heures. Je pénètre au sein de l’Institut Kerem, non loin du centreville de Jérusalem, accompagné d’une bouteille de vin rouge kasher qui m’a été conseillée dans un magasin de vins de la rue Emek Refaim34. La bouteille semble faire plaisir à Daniel qui court dans tous les sens, affairé aux derniers préparatifs de la soirée. C’est à peine s’il a le temps de m’avouer ne pas connaître ce vin, et de me demander de poser la bouteille sur la table « au cas où quelqu’un veuille bien en boire ». Je me rappelle alors les propos tenus la veille par Yeshai Moskovitch, l’un des membres du Bureau de Havruta : « Tu peux ramener le vin mais je doute que certains en boivent. Tu n’es pas juif ». Bon…on verra le moment venu. La bouteille toujours à la main, je me présente auprès des quelques personnes déjà présentes. Parmi elles, se trouvent un rabbin new-yorkais du nom de Neal Kaunfer, un couple d’Allemands judéo-chrétien, et un juif espagnol. Le ton éclectique de la soirée est d’ores et déjà donné. La conversation débute sans plus tarder : le rabbin new-yorkais est ici en vacances, tandis que l’un des deux Berlinois35 et le Barcelonais étudient l’hébreu et la Torah afin de renouer avec leur judaïté. 31 Vendredi 3 août 2012 Les résultats de cette enquête seront présentés pour la première fois publiquement lors d’un débat organisé par Les Eveillés et Socialisme et Judaïsme mardi 26 février 2013 au Cercle Bernard Lazare, 10 rue Saint-Claude, 75003 Paris, à partir de 20 heures. 33 http://havruta.org.il/english 34 Rue très connue à Jérusalem, située au cœur de la colonie allemande. 35La plupart des participants rencontrés lors de la soirée m’ont demandé à ce que ne figurent pas leurs noms dans le compte-rendu. 32 Pendant ce temps, les autres participants font leur entrée : poignées de mains et accolades sont de mise pendant près d’une demi-heure. Vers vingt heures, Daniel fait une annonce générale dans la cour, invitant tout le monde à se rassembler dans la salle de prière du premier étage, pour que débute la cérémonie du Kabbalat Shabbat36 : attention, c’est parti ! Une fois dans la salle, chacun dispose les chaises de manière à créer plusieurs niveaux d’arc de cercles. Le résultat est plus ou moins harmonieux…L’office sera présidé par Daniel pendant près d’une heure. J’assiste donc pour la première fois de ma vie à une inauguration de shabbat: des prières, beaucoup de chansons au rythme assez entraînant (on est bien loin des chants grégoriens), des claquements de mains…Chacun est libre durant l’office : certains prient à voix haute avec ferveur, tandis que d’autres murmurent à peine ; d’autres se lèvent régulièrement alors que certains restent assis ; certains en profitent pour faire la causette avec leurs voisins qu’ils n’ont pas vu depuis un moment ; et puis il y a moi, le mécréant, qui observe. Même si je ne comprends pas un mot de ce qui est dit, je parviens à ressentir l’énergie véhiculée par l’assemblée : c’est puissant. Une fois l’office terminé, chacun redescend et prend place autour des tables dressées dans la cour. Je retrouve alors mes camarades du début. Bien que nous soyons installés, interdiction encore de boire ou manger : il faut d’abord que soient récités le Anna be-kho’ah37 et le Lekhah Dodi38, puis que soit accompli le kiddoush39. Lors du Lekhah Dodi, le rabbin Neal Kaunfer m’avoue que dans certaines synagogues gays des Etats-Unis, les paroles ont été modifiées afin que la mariée se transforme en marié. Une fois le cérémonial accompli, nous nous asseyons et commençons enfin à manger. Heureusement car mon ventre grognait de plus en plus. Et là, on me rappelle qu’une chose a été oubliée : le lavement des mains. Bon… et bien direction la cuisine où est disposé un bac d’eau prévu à cet effet. Je me demande alors ce que cette eau a de spécial. « Rien, elle sort du robinet », me répond-t-on. Les mains ayant été lavées, les entrées commencent à circuler de table en table et les conversations à s’engager. L’Espagnol avoue alors être encore dans le placard. Il me dit que, compte-tenu de l’environnement dans lequel il évolue, il lui est impossible de clamer son s’agit de la cérémonie d’entrée en shabbat. Prière juive implorant la protection et le soutien de Dieu pour le retour de la diaspora juive en Israël. 38Autre prière juive chantée le vendredi soir à la tombée de la nuit afin d’accueillir la « fiancée shabbat ». 39 Cérémonie de sanctification du shabbat (ou d’un autre jour saint suivant le calendrier hébraïque) au moyen d’une bénédiction prononcée sur une coupe de vin kasher. 36Il 37 homosexualité haut-et-fort. J’essaye d’en savoir plus, mais apparemment le sujet le met très mal à l’aise. Je rappelle alors que les gays sont autorisés à se marier en Espagne, contrairement à la France, ce qui permet de changer de sujet rapidement. Le mariage intéresse mes voisins de table dans la mesure où sont présents deux couples mariés : les deux Berlinois et deux Israéliens dont l’un, Elroi, parle le français (enfin un !). Les premiers se sont mariés il y a un an à Berlin et les seconds quelques années auparavant aux Pays-Bas. Ils évoquent alors le Pacs et pensent qu’il s’agit d’un mariage civil pour les couples de même sexe. Je m’empresse de leur rappeler les réalités de ce pacte, et plus généralement de la condition des homosexuels en France: que cela ne va pas de soi, que de nombreux combats doivent encore être menés. Ils semblent quelque peu surpris (dire une telle chose du pays des droits de l’Homme !) mais je les rassure immédiatement en leur disant que le mariage et l’adoption pour tous font partie des promesses électorales du nouveau président François Hollande. Un peu de patience encore… Le fait d’avoir évoqué la France facilite la conversation avec Elroi qui y a séjourné durant plusieurs mois. Il me confesse que le fait d’être gay et religieux à Tel Aviv est un frein aux rencontres. Cela fut la cause d’un long célibat qui lui a fait envisager l’abandon de la religion. Heureusement pour lui, il rencontra à temps son actuel mari, religieux et habitant Tel Aviv lui aussi. Il profite de notre conversation pour me dire que la religiosité de Jérusalem lui manque parfois. Etonné, je lui demande alors les raisons qui l’ont poussé à emménager à Tel Aviv : « le travail, comme la plupart des gens ici, car c’est là-bas que se trouve le travail, pas à Jérusalem». Ayant encore faim, je me mets dans la queue pour le buffet. Face à moi se trouve une jeune fille, l’une des rares présentes à la soirée, coiffée avec des dreadlocks. Elle vient de temps en temps aux événements de l’organisation en tant que bisexuelle et agnostique. Le spectre des participants s’agrandit de plus en plus. De retour à ma place, il est désormais question de la position des différents courants du judaïsme à l’égard de l’homosexualité. Mes voisins de table appartiennent pour la plupart au judaïsme conservateur (massorti), bien plus tolérant vis-à-vis des homosexuels que le courant orthodoxe ; ceci explique en grande partie leur choix. Soudain, un homme se lève et demande l’attention de toute l’assistance. Le silence gagne subitement les quatre-vingt-dix convives, tandis qu’Elroi s’installe à mes côtés afin de me traduire le discours qui est sur le point d’être prononcé. Pendant quinze minutes, le futur rabbin a insisté sur la nécessité pour les gays religieux de rester soudés et de s’aider mutuellement au sein d’une communauté à part entière ; de continuer à œuvrer en faveur du développement de cette communauté parce que la force réside dans le fait d’être ensemble. L’exemple de la communauté juive est d’ailleurs abondamment repris. Le discours est fort : tout le monde a les yeux rivés sur lui, tandis que ses paroles semblent toucher le cœur et l’esprit de chacun, même le mien. Il me donne presque envie de faire partie moi aussi de cette communauté solidaire. Un tonnerre d’applaudissements conclut ses dernières paroles. La fin du discours coïncide pratiquement avec la fin du repas, ce qui permet aux personnes présentes d’aller de table en table afin de discuter avec les autres participants. Je fais donc de même en m’installant à un coin de table d’où émane des mélodies orientales. On me sourit, je souris, je ferme les yeux, j’écoute, je suis transporté. Cependant l’heure tourne, tout comme ma tête, car kasher ou non, du vin reste du vin. Mes voisins de table n’ont d’ailleurs pas dit non à la bouteille que j’ai ramenée. Alors que je m’apprête à partir, un jeune homme m’interpelle pour converser. Il se présente à moi comme étant un dati light40. « C’est avec l’âge que j’ai décidé de prendre du recul par rapport à la religion. Plus tu grandis, plus tu te découvres, ainsi que le monde extérieur. En faisant cette découverte, tu décides si tu veux continuer ou non à croire » m’explique-t-il. Etant sur le point de lui serrer la main, il me pose la question que personne ne m’avait encore posée depuis le début de la soirée : « Es-tu religieux ?- Non- Pourquoi ?- Parce que je préfère d’abord croire en moi avant de croire en quelque chose de plus grand- C’est une bonne réponse. Shabbat Shalom- Shabbat Shalom ». 40 Une personne dont la religiosité s’exprime très faiblement. Annexe 2 Campagne d’affichage de l’organisation Havruta afin de lutter contre les propos homophobes (Source : http://awiderbridge.org/orthodox-gay-organization-takes-tolerance-campaign-intothe-public-sphere/) Annexe 3 : Réunion de l’English Speaker Group à l’Open House de Jérusalem Parmi les différentes activités proposées par l’Open House de Jérusalem, principale association gay de la ville, figure la réunion du lundi soir des LGBT maîtrisant encore peu l’hébreu et séjournant en Israël. Flairant l’opportunité de pouvoir y faire des rencontres intéressantes, je décide donc de m’y rendre41. Peu de monde encore à mon arrivée : les deux animateurs du groupe, un gay et une lesbienne afin de respecter la parité, un Américain originaire de New-York ayant fait son aliya il y a deux ans et qui vit désormais à Tel Aviv, et une lesbienne également américaine qui songe de plus en plus à immigrer. Etant habitués à se retrouver chaque semaine, chacun évoque la semaine qu’il vient de passer : les livres et films découverts, les problèmes de plomberie, les tracas causés par une armée de cafards…Pendant ce temps, un certain nombre de jeunes qui ne participent pas au groupe ne cessent d’aller et venir dans la salle de l’Open House. Je demande alors à Lynley, l’animatrice du groupe, qui ils sont. Elle me dit qu’ils font partie de l’organisation Al-Qaws (L’arc-en-ciel) qui œuvre en faveur d’une meilleure intégration des LGBT palestiniens dans la société civile palestinienne. Une information bonne à savoir… Entre temps, un nouveau venu a fait son apparition : David, un autre Américain qui a fait son aliya il y a maintenant plus de vingt ans. Je remarque alors qu’il porte une kippa : intéressant…Assez rapidement nous engageons la conversation à travers laquelle il me confie son histoire : gay, père de trois fils, récemment divorcé. Il insiste tout particulièrement sur la procédure de divorce qui fut très difficile : « Chaque fois que je rentrais du travail, j’avais l’habitude de m’annoncer une fois la porte franchie, et à chaque fois, ma femme me répondait. Mais un jour, aucune réponse. J’ai donc réitéré mon appel qui demeura sans réponse. Je me dirige alors vers la cuisine et trouve ma femme le dos tourné au-dessus de l’évier. Je m’approche et constate qu’elle pleure à chaudes larmes. Je la prends dans mes bras, tente de la réconforter, mais en vain. Je lui demande alors ce qui ne va pas et elle m’avoue qu’elle ne m’aime plus et qu’elle souhaite divorcer. Et là les larmes repartent de plus belle…Elle s’en voulait terriblement de ne plus m’aimer et je ne pouvais pas supporter de la voir autant se 41 Lundi 6 août 2012 faire souffrir pour cela. J’ai donc décidé, pour qu’elle cesse de culpabiliser, de lui révéler mon homosexualité. Sur le moment, elle s’est montrée très compréhensive, presque comme une amie, jusqu’à ce qu’elle décide de l’avouer à ses parents. Et là…l’enfer a commencé ! Ils l’ont poussé à engager un avocat enragé, réputé pour ses prises de position contre l’homosexualité, afin de tout me prendre : la maison, les enfants, l’argent…Ils n’ont cessé de clamer haut-et-fort mon homosexualité comme principal motif du divorce, alors que je l’avais annoncé à mon ex-femme bien après qu’elle m’ait avoué ne plus m’aimer, après vingt ans de mariage ! Je n’ai eu de cesse de le crier auprès des juges rabbiniques qui se sont montrés, à ma grande surprise, très indulgents à mon égard. Ils ont répondu que mon orientation sexuelle ne les concernait, que ce n’était pas ce qu’ils devaient juger. Depuis lors, elle et ses parents compliquent constamment les visites parentales auxquelles j’ai droit afin de m’empêcher de voir mes enfants. Elle ne cesse également de le raconter à tout le monde, à nos anciens amis, voisins…Certains d’entre eux m’ignorent totalement lorsque je les croise au supermarché désormais. Je lui dis que ce n’est pas à moi qu’elle fait le plus de mal en agissant de la sorte, mais à nos enfants qui doivent constamment subir les remarques et moqueries quant au fait que leur père soit homosexuel. Mais elle n’y pense pas…elle est comme aveuglée par une espèce de rage à mon égard, alimentée par ses parents. » A son tour, il me pose des questions à mon sujet et notamment sur les raisons de mon séjour en Israël. Lui annonçant que je travaille sur la relation entre homosexualité et judaïsme dans la société israélienne, ce qui a l’air de l’enthousiasmer, il me conseille la lecture d’un livre qui a fait grand bruit il y a quelques années aux Etats-Unis, Wrestling with God and Men. Homosexuality in the Jewish Tradition ; son auteur, le rabbin Steven Greenberg, est un orthodoxe. Une chance pour moi que l’ouvrage soit justement sous mes yeux sur les étagères de l’Open House. Autorisé à l’emprunter, je quitte donc le groupe en les remerciant pour leur accueil, et tout particulièrement David pour s’être aussi intimement livré. Il est désormais temps pour moi de me plonger dans une intense lecture. Annexe 4 : Gros plan sur le personnage de Ro’i dans la série télévisée israélienne Srugim Angoissé à l’idée de comment occuper mes soirées à Jérusalem pendant deux mois, il m’aura fallu peu de temps pour mettre le nez dans les séries télévisées israéliennes, à commencer par Srugim. Cette série suit le quotidien de cinq orthodoxes trentenaires vivant à Jérusalem, et aborde toutes les problématiques auxquelles ils peuvent être confrontés. L’introduction dans la saison 2 du personnage de Ro’i, le frère de Nati, l’un des personnages principaux, permet d’aborder la question de l’homosexualité masculine dans l’univers juiforthodoxe. Son attirance pour les hommes n’est évoquée qu’à partir du cinquième épisode de la saison 2, au moment où sa relation avec Reut, l’un des autres personnages principaux, semble devenir de plus en plus sérieuse. A la fin de l’épisode, Nati avoue à son jeune frère qu’il pense que Reut est celle qui lui faut, et qu’il se demandait d’ailleurs quand est-ce qu’il l’avait vu aussi heureux avec une fille pour la dernière fois. La perche est ici facilement tendue, et Ro’i la saisit. Il annonce son attirance pour les hommes à son frère, incarnation parfaite du macho et de l’éthos sabra, de manière progressive et de façon à ce qu’il comprenne sans avoir à le dire clairement : Ro’i commence par lui dire que sa relation avec Reut n’ira pas plus loin, qu’il n’est pas attiré par elle, et qu’enfin il n’est pas attiré par les filles ; cette dernière formule lui permet d’éviter de prononcer le terme de « gay ». En guise de première réaction, Nati rigole et lui demande, mais sans même poser la question, s’il a déjà eu des relations sexuelles avec un homme. Le « non » de Ro’i semble soulager Nati qui dit à Ro’i qu’il n’est pas gay (noter que Nati emploie le mot), que tout ceci, c’est dans sa tête. Ro’i ne semble pas de cet avis, ce qui irrite Nati qui ordonne à son frère de rester vivre avec lui, sous-entendu afin de le surveiller, de ne jamais ramener à la maison son ami gay Meir, rencontré le matin même à la synagogue, et de finir la vaisselle. L’épisode suivant commence par montrer Nati consultant des sites dédiés à l’homosexualité masculine. Il constitue ainsi un dossier pour Ro’i qu’il dépose sur son bureau, ce qui déplaît fortement à son frère qui lui avoue que ses sites le torturent depuis qu’il a dix-sept ans. Bien que l’image et les pages ne soient pas clairement visibles, il est fortement probable qu’il soit fait référence ici au site d’Atzat Nefesh, une organisation dont l’objectif est de refreiner toute expression de l’homosexualité. Nati lui demande alors ce qu’il compte faire avec Reut. Ro’i envisage de lui dire, ce à quoi s’oppose Nati. Au contraire, pour ce dernier, Ro’i doit rassurer Reut en lui disant qu’il souhaite fonder une famille et avoir des enfants. Mais Ro’i insiste sur le fait de vouloir lui dire, précisant qu’il ne peut cacher une telle chose, ce à quoi Nati rétorque qu’elle partira au moment même où elle l’apprendra. La conversation se termine alors en queue de poisson. Deux scènes plus tard, Ro’i retrouve Reut dans un café. Il commence à lui parler de son premier amour mais sans employer ni le genre masculin, ni féminin. Un détail peut cependant mettre la puce à l’oreille dans ses propos : il précise en effet que ce premier amour eut lieu lors de sa première année de yeshiva, passée donc en compagnie de garçons exclusivement. Reut l’interrompt assez régulièrement, employant naturellement le pronom « elle », persuadée qu’il s’agit d’une file (de qui d’autre Ro’i aurait-il pu tomber amoureux ?). Il essaye tant bien que mal de lui dire qu’il s’agissait en fait d’un garçon, mais il n’y parvient pas, et interrompt son récit. Reut lui dit alors qu’il n’est pas obligé de lui confier cette histoire maintenant, qu’ils ont tout le temps pour ça. Ro’i acquiesce ; la première tentative a échoué. De retour de son rendez-vous avec Reut, Ro’i a une nouvelle discussion avec Nati qui insiste à nouveau sur le fait de ne rien révéler à Reut, de peur qu’elle s’empresse de le raconter et qu’ensuite « toute la ville » soit au courant. Ro’i comprend donc que ce qui dérange le plus son frère sont les « qu’en dira-t-on » ; il semble écœuré et quitte la pièce. L’impossibilité d’avoir pu avouer son attirance pour les hommes à Reut conduit Ro’i à filtrer les appels de cette dernière jusqu’au moment où celui-ci décide finalement de décrocher, prétextant qu’il est malade et qu’il ne peut pas la voir. Mais cette dernière insiste et arrive finalement chez Ro’i avec de la soupe. Il profite de sa venue pour tenter une nouvelle fois de lui dire, mais en vain. Face à ce nouvel échec, il préfère lui dire qu’il est persuadé qu’entre eux deux, ça ne marchera pas ; elle quitte l’appartement en pleurs. Cette dernière rencontre a complètement retourné Ro’i, ce que perçoit son frère qui lui demande alors ce qui ne va pas. Ro’i répond qu’il a rompu avec Reut, ce qui semble réjouir Nati qui lui dit qu’il est préférable qu’il ne lui ait pas dit. Avec un regard noir, Ro’i lui répond : « Ainsi, ton nom ne sera pas sali ! ». Ne pouvant se contenter de la raison exprimée par Ro’i quelques heures plus tôt au sujet de leur séparation, Reut retourne chez lui le soir même afin d’en savoir davantage. Face à la colère de Reut, il parvient finalement à lui avouer que son premier amour n’était pas une fille mais un garçon. Elle semble estomaquée, et lui demande alors pourquoi est-ce qu’il continue à sortir avec des filles, précisant que cela n’est pas juste. Furieuse, elle claque la porte. Et moi, j’enchaîne directement avec le septième épisode. La première scène de ce nouvel épisode débute sur un plan de Reut en train de consulter l’une des pages du site Internet de l’organisation Havruta. L’une de ses collègues s’en aperçoit et lui fait remarquer que les gays religieux, c’est comme les religieux qui mangent du porc, ça n’existe pas. Reut semble peu satisfaite par cette réponse. L’une des scènes suivantes concerne Ro’i : ne pouvant plus rentrer dans l’appartement de Nati parce qu’il a oublié ses clés et parce que Nati a fermé la porte et qu’il filtre ses appels, Ro’i décide d’aller attendre au parc. Installé sur un banc, il aperçoit alors un garçon en train de promener son chien. Celui-ci décide de venir s’asseoir à côté de Ro’i et d’entamer la conversation, lui demandant notamment où est-ce qu’il a l’habitude d’aller prier. Cependant, au moment où il lui tend la main, Ro’i se dérobe et part en courant comme apeuré. De retour à la maison le soir même, Nati profite de la présence de Ro’i pour lui avouer qu’il n’aurait pas dû avouer son attirance pour les hommes à Reut aussi tôt ; plus il le dira et plus il se retrouvera seul. Cette conversation avec Nati pousse Ro’i à avoir une conversation avec son ami Meir, lui aussi attiré par les hommes, marié et père de quatre enfants. Meir est du même avis que Nati : Ro’i l’a dit trop tôt à Reut. Meir avoue alors qu’il l’a dit à sa femme qu’après le deuxième enfant. Roi lui demande alors comment est-ce qu’il fait pour vivre de la sorte. Un silence de quelques secondes s’installe, puis Meir propose à Ro’i d’avoir une discussion avec Reut ; il accepte. Bien que sceptique au départ, Reut accepte finalement de rencontrer Meir après que celui-ci lui ait téléphoné. Au cours de leur conversation, il lui dit qu’elle peut le préserver de cette attirance pour les hommes, et plus largement le sauver : la rencontre avec sa femme l’a notamment empêché de se suicider. Il est intéressant de voir ici le rôle qui peut être assigné à la femme, comme un remède et une protection contre l’homosexualité. Cette thématique de la « femme-remède » ou « femme-protection » est également présentée dans le film de Haim Tabakman, Tu n’aimeras point. Ce film aborde la question de l’homosexualité dans le milieu ultra-orthodoxe à travers la relation passionnelle, mais ô combien proscrite, entre Aaron, membre respecté de la communauté haredi de Jérusalem, marié et père de quatre enfants, et le jeune Ezri, apprenti dans sa boucherie et ancien étudiant de yeshiva. Dans l’avant-dernière scène, après que la relation avec Ezri ait tourné court, Aaron demande à sa femme de le protéger du mal qui l’a gagné. Retour à Srugim : dans la scène qui suit la rencontre entre Meir et Reut, on voit Ro’i qui passe shabbat seul, alors que celui-ci avait l’habitude d’accompagner son frère chez ses amis. Chez eux justement se trouvent dans le même temps Nati et Reut qui ont une discussion à propos de Ro’i. Nati essaye de rassurer Reut en lui disant que son frère ne peut pas être gay, que c’est son ami Meir qui lui a mis toutes ces idées dans la tête et qu’être gay n’est pas inné mais un choix. Cette conversation semble avoir eu un certain effet sur Reut puisqu’elle se rend chez Ro’i afin d’avoir de plus amples explications. Elle lui demande s’il a déjà eu des petits-copains, ce à quoi il répond que non. Elle lui demande également s’il est attiré par les femmes, question à laquelle il peine à répondre, laissant sous-entendre que cela est difficile à dire lorsque l’on a passé dix ans dans une yeshiva, sans aucun contact avec l’autre sexe. La troisième question concerne les enfants : il répond que c’est quelque chose qu’il veut vraiment. Elle termine enfin en lui demandant s’ils ont une chance ensemble : il pense et il espère que oui. Elle lui fait alors promettre de lui dire s’il changeait d’avis et lui demande s’il veut prendre sa main ; il ne répond pas, il la prend. Le dixième épisode est l’occasion pour Reut de présenter pour la première fois Ro’i à sa sœur Eliesheva. Rapidement, cette dernière suspecte Ro’i d’être homosexuel, avouant à Reut qu’il lui rappelle un garçon qu’elle avait connu, qui s’est révélé être gay et qui est parti s’installer en Allemagne avec un Arabe originaire de Ramallah vendeur de journaux. Autant de détails qui laissent sous-entendre qu’il mène une vie de dépravé selon Eliesheva, ce qui agace Reut qui abandonne sa sœur au beau milieu de son cours d’accouchement. Le soir même, Reut et Ro’i vont dîner au restaurant. A travers les propos qu’il tient, la serveuse suspecte également l’homosexualité de Ro’i. Elle rit alors de lui avec l’une de ses collègues ce dont s’aperçoit Reut mais pas Ro’i. Elle décide alors de quitter le restaurant sans donner aucune explication à Ro’i. Alors qu’invitée chez sa sœur avec Ro’i le lendemain, Reut décide finalement de décliner l’invitation : elle a trop peur des questions que pourrait lui poser Eliesheva au cours de la soirée. Elle l’avoue finalement à Ro’i, puis se met à pleurer ; il la prend alors dans ses bras et l’embrasse. Le lendemain, Reut s’empresse de dire à sa sœur que Ro’i n’est techniquement pas gay, le sourire aux lèvres. Comme pour Nati quelques épisodes auparavant, on remarque que ce qui semble le plus poser problème à Reut est le regard que peuvent porter les autres sur Ro’i et sa relation avec. Dans l’épisode suivant, Meir confesse à Ro’i avoir fauté avec un garçon par le biais d’un site de rencontres entre hommes, ce qui l’a contraint à quitter le domicile conjugal. Ro’i semble très énervé par cette nouvelle et lui demande pourquoi est-ce qu’il a fait une chose pareille. Meir lui avoue que ses heures de cours à la yeshiva ont été réduites et que par conséquent il est bien plus impliqué dans la vie de famille, ce qui lui a fait peur. Ro’i essaye de le raisonner en lui disant d’aller voir sa femme, de lui dire que c’était un écart et que cela ne se reproduira plus. « Je ne peux pas promettre une telle chose » lui répond-t-il. L’aveu de Meir semble avoir bouleversé Ro’i. Alors que Reut essaye de le joindre, Ro’i est en train de prendre certaines parties de son visage en photo ; on comprend alors qu’il songe également à se créer un profil sur un site de rencontres entre hommes, comme Meir. Finalement, Ro’i rejoint Reut qui est au chevet de sa sœur qui vient d’accoucher, mais on sent que quelque chose ne va pas. Ayant terminé de prendre des photos du bébé, Eliesheva propose de prendre une photo de ce dernier avec Ro’i et Reut. Ro’i affirme que c’est une mauvaise idée mais Eliesheva insiste, et va jusqu’à lâcher un « Allez, on sourit tonton et tata ! ». Ceci contrarie tellement Ro’i que la photo n’est finalement pas prise. Ro’i rentre alors chez lui, monte sur le toit de son immeuble et prie. Reut décide finalement de se rendre chez Ro’i afin de savoir ce qui ne va pas. Il lui avoue alors ce que Meir lui a confié le matin même. Elle rétorque qu’il n’est pas Meir, ce qui fait exploser Ro’i : celui-ci crie qu’il ne changera jamais et qu’elle-même ne parviendra pas à le faire changer. Elle lui répond qu’ils y arriveront, avant que tous deux ne s’endorment l’un contre l’autre. L’avant-dernier épisode de la saison 2 est l’occasion pour Reut et Ro’i de quitter Jérusalem le temps d’une journée. Une fois arrivés sur leur lieu de villégiature, ils se précipitent au bord d’un bassin afin d’y tremper leurs pieds. Soudain, deux jeunes garçons font leur apparition de l’autre côté du bassin, se déshabillent et plongent dans l’eau. On sent alors le malaise s’installer : Ro’i qui essaye de ne pas les regarder et Reut qui scrute le comportement de Ro’i … A leur retour, Reut ne peut s’empêcher de revenir sur ce qui s’est passé au cours de la journée : elle s’excuse, dit à Ro’i qu’elle ne veut pas le tester mais que parfois, cela se produit accidentellement. La conversation prend alors une autre tournure : elle lui demande s’il veut acheter un appartement avec elle, renchérissant en lui disant qu’elle l’aime. Il ne répond pas. Elle semble alors comprendre…Il lui dit alors que, définitivement, leur relation n’a aucune chance et s’en va : c’est terminé. Le dernier épisode de la saison marque la célébration du remariage du père de Ro’i et Nati. Lors des préparatifs, Ro’i s’entretient avec son père qui lui demande s’il ne pense pas que Nati est gay, parce que celui-ci peine à trouver une femme. Ro’i rigole et rassure son père en lui disant que ce n’est pas le cas. Mais le père prend la chose au sérieux : il dit à Ro’i que même si Nati l’était, il faudrait le soutenir et continuer à l’aimer car il est hors de question de perdre un autre membre de la famille42. Au cours des festivités, Ro’i fait part à Nati de la conversation qu’il a eue quelques heures plus tôt avec son père. Nati sourit, puis regarde Ro’i et lui demande ce qu’il compte faire : « ce que j’ai toujours fait jusqu’alors ». 42 La mère meurt dans le premier épisode de la saison 2. Annexe 5 : Conférence du mardi 26 février 2013 organisée par Les Eveillés et Socialisme et Judaïsme « Mariage pour tous, PMA, Gestation pour autrui : le débat » Eléments de l’étude « Judaïsme et homosexualité masculine dans la société israélienne » relatifs au thème du débat La plupart des hommes interviewés 43 ont exprimé leur désir d’avoir des enfants, et plus largement de fonder une famille. Les bisexuels, eux, ne sont toujours pas décidés quant à savoir s’ils souhaitent construire ce cadre avec un homme ou une femme. Il convient également de préciser que deux des hommes interwivés, gays, se sont mariés avec une femme et ont eu des enfants avec afin de satisfaire ce désir de fonder une famille juive. Dans l’un des cas, la femme fut mise au courant dix ans après la célébration du mariage car l’homme n’avait « plus la force de lui mentir ». Parmi les réponses données par les différents interlocuteurs ayant envisagé le mariage avec une autre femme, on remarque une tendance à une conception restreinte de la famille au sens du mariage entre un homme et une femme. Le désir d’enfants amène à se poser la question du comment ? Parmi les réponses émises, on retrouve l’adoption et la voie naturelle (cf. les bisexuels et l’incertitude précédemment mentionnée). En ce qui concerne l’adoption, Rafael a notamment précisé que s’il choisissait cette option avec un homme (et il n’est pas le seul), tous deux adopteraient uniquement un enfant juif. Cette réponse revenant assez fréquemment au sein de la communauté gay juive, l’organisation Havruta a demandé 44 au ministre de la Santé, Yaakov Litzman, un ultra-orthodoxe, la possibilité pour les homosexuels de recourir à une mère-porteuse juive afin que l’enfant soit juif. Rappelons que les couples hétérosexuels peuvent avoir recours à la GPA en Israël depuis une quinzaine d’année, ainsi qu’à la PMA à laquelle ont recours essentiellement des femmes 43 44 La majorité d’entre eux a souhaité garder l’anonymat. Cette demande date du printemps 2012. célibataires. Notons également la possibilité légale pour les couples homosexuels israéliens d’adopter depuis 2008. Au sujet du désir exprimé par des couples d’hommes d’avoir des enfants, le président de l’organisation Kamoha45 alerte sur le fait qu’il faille « penser à ces derniers », argumentant que « l’enfant a besoin d’une mère » et qu’ « aucun établissement religieux n’acceptera d’accueillir un enfant qui a deux pères » (dans le cas où les deux hommes considérés sont religieux pratiquants), allant jusqu’à poser la question suivante : « comment justifier de la judaïté d’un enfant adopté par deux hommes46 ? ». Ce qui pourrait expliquer ce désir d’enfant, outre le désir inhérent à l’individu, est le fait que la reproduction soit l’un des mitzvot 47 que le bon juif doit accomplir. C’est pour cela notamment que l’acte sexuel entre deux hommes est considéré comme une « to’evah » parce qu’il n’aboutit à aucune création. Certains des hommes interviewés ont confié avoir déjà envisagé de se marier avec une femme afin de dissimuler leur homosexualité, et notamment avec une lesbienne : ceci constitue l’idée même du projet Anachnu, institutionnalisé par Kamoha et le rabbin orthodoxe Harel. Le projet est vivement critiqué par ses opposants qui le conçoive comme un moyen « d’alimenter le rejet de soi et l’homophobie (…dans le but) de préserver les apparences ». D’ailleurs, Kamoha a très clairement formuler sa position vis-à-vis du mariage de couples de même sexe : « nous y sommes totalement opposés. Le mariage de deux hommes ou de deux femmes n’existe pas ». Parmi ceux qui ont pensé à cette option, aucun n’a réussi à franchir le pas, parce que l’idée de devoir mentir à leur femme, à leurs enfants et à eux-mêmes leur était insupportable. La possibilité d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe pourrait limiter ce genre de pratique et inciter à la conclusion de véritables mariages d’amour. Ce que certains attendent aussi de cette union avec une femme : pouvoir, avec le temps, développer des sentiments à son égard et donc renoncer définitivement à leur attirance pour les hommes. Dans le cas de Joel, marié et père de deux enfants, le mariage ne l’empêche aucunement de continuer à fréquenter des hommes, ce qui est bien évidemment source de conflits avec sa femme, d’autant plus que celle-ci est au courant. La plupart de ceux ayant 45 Organisation israélienne destinée aux gays religieux de confession juive, se déclarant comme étant la seule « véritablement orthodoxe » 46 47 NB : le judaïsme ne reconnaît que la filiation matrimoniale. Commandements divins réfléchi à cette option sont unanimes pour reconnaître la nécessité de confier, au préalable, leur attirance pour les hommes à leur future compagne, afin d’éviter que le mensonge s’installe dans le quotidien du couple. Pour Rotem, c’est précisément parce que ces hommes sont encore dans le placard qu’ils ne savent pas « se comporter de façon mature avec les autres garçons » et qu’ils sont « contraint(s) à avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes dans les toilettes publiques de Jérusalem ». Comme le précise Rotem, le mariage est également choisi par certains pour éviter le rejet par la communauté. Pour les juifs, la communauté revêt une valeur très importante puisque c’est dans ce cadre précisément que s’accomplissent tous les actes de sociabilité liés à la tradition (fêtes, prière…). L’institution du mariage fait peser une pression sur les jeunes juifs, alimentée par la famille et principalement la mère selon la majorité des réponses obtenues. Ceci s’explique en premier lieu par le fait que le mariage soit le cadre dans lequel se réalise le devoir (mitzva) de la procréation ; autrement, il est ici question de la famille, l’un des principaux niveaux de la communauté au sein du monde juif. Ceci explique l’encadrement rapproché de cette institution par les autorités religieuses qui, selon mes sources, exercent un véritable contrôle du système de rencontres précédant le mariage (cf. le schidour = rencontres organisées entre jeunes filles et jeunes hommes dont l’objectif est l’organisation rapide d’un mariage, généralement au bout de quelques rendez-vous + les règles relatives à l’abstinence avant le mariage). La Halakha48 et la Gémara49 vont jusqu’à encadrer la vie sexuelle du couple (cf. la question du plaisir réciproque notamment), prouvant ainsi que la religion juive a bien conscience que « ce qui tient le mariage, c’est le sexe » selon Yeshai Moskovitch 50 . Il reconnaît que, pour sa part, la pression parentale relative au mariage a pris fin le jour où il a avoué son homosexualité à ses parents. Comme si l’attente de voir son enfant construire une famille s’envolait. Certains, dont Yeshai qui est membre du Bureau d’Havruta, ont reconnu la nécessité pour les autorités religieuses de prendre en compte les évolutions sociales que le monde a connues et connaît depuis plusieurs décennies, au sujet notamment de la notion de « famille ». Il s’agirait donc de reconnaître l’existence des familles homoparentales et leur droit à recourir aux techniques procréatives autorisées en Israël pour les couples hétérosexuels (GPA et PMA). 48 Il s’agit de la Loi juive, constituée essentiellement par la Loi écrite (la Torah) et la Loi orale. Interprétation de la Michna, compilation écrite par des rabbins de toutes les lois orales juives. 50 Il est l’un des seuls de mes interlocuteurs à avoir autant abordé le sujet. 49 « Le monde a bien changé depuis que Dieu a donné ses commandements à Moïse » rappelle Yeshai. La société israélienne est elle aussi traversée par ces débats relatifs au mariage, à la PMA, et GPA pour tous. Les différents courants du judaïsme ont chacun exprimé leur avis : refus catégorique pour le milieu haredi 51 et orthodoxe, même si l’on tend à une plus grand libération de la parole sur le sujet chez les orthodoxes, due en partie à l’action de l’organisation Havruta52 ; acceptation du mariage pour les couples de même sexe chez les réformés53 et les massortis54 d’une manière générale. Notons qu’en Israël, le mariage civil n’existe pas, que se soit pour les couples hétérosexuels ou homosexuels. Entretenant de bonnes relations avec Reuven Rivlin, le président de la Knesset, Havruta a tenté de faire pression sur ce dernier pour qu’il accepte le projet d’union civile ouverte aux couples de même sexe, ce à quoi monsieur Rivlin s’est refusé. Daniel Jonas, président de Havruta, fait remarquer que c’est la société qui prive les homosexuels des cadres traditionnels que sont le mariage, la famille, la vie religieuse….Ceci explique l’émergence de communautés religieuses homosexuelles à l’instar de celle d’Havruta, afin de rompre avec cet isolement social. 51 Il s’agit des ultra-orthodoxes. Autre organisation israélienne destinée aux gays religieux de confession juive. 53 Ces derniers considèrent la Halakha comme une référence indicative mais non obligatoire. 54 Adeptes du judaïsme conservateur. Une partie est cependant opposée à cette égalité des droits, de même que de concéder le rabbinat à des homosexuels. 52