Introduction à la méthode de Léonard de Vinci
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Introduction à la méthode de Léonard de Vinci
-M fdi INTRODUCTION A LA MÉTHODE DE LÉONARD DE VINCI DU MÊME AUTEUR LA SOIRÉE AVEC MONSIEUR TESTE LA JEUNE PARQ.UE ODES ç:»^' PAUL VALÉRY INTRODUCTION MÉTHODE DE LÉONARD DE VINCI A LA DEUXIÈME ÉDITION '*Topjr tr^/rWlorf \ PARIS ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE 35 ET 37, RUE MADAME A ÉTÉ RÉIMPOSÉ ET TIRÉ A PART SUR PAPIER LAFUMA DE VOIRON AU FILIGRANE DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE IL HUIT EXEMPLAIRES HORS COMMERCE NUMÉROTÉS DE A VIII. CENT EXEMPLAIRES SPÉCIALEMENT RÉSERVÉS AUX BIBLIOPHILES DE LANOUVELLE REVUE FRANÇAISE NUMÉROTÉS DE 1 A 100 ET 20 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 101 A 120 I EXEMPLAIRE N» ND TOUS DROITS DE REPRODUCTION DE TRADUCTION, RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS Y COMPRIS LA RUSSIE COPYRIGHT BY GASTON GALLIMARD 1919 NOTE ET DIGRESSIONS NOTE ET DIGRESSIONS Pourquoi l'auteur, dit-on, a-t-il faU aller son personnage en Hongrie? Parce qu'il avait envie de faire entendre un morceau de musique instrumentale dont le thème est hongrois. Il l'avoue sincèrement. Il l'eût mené partout ailleurs, s'il eût trouvé la moindre raison musicale de le faire. H. Beruoz. Avant-propos de la Damnation de Faust. Il me faut excuser d'un titre si ambitieux et si véritablement trompeur que celui-ci. Je n'avais pas le dessein d'en imposer quand je l'ai mis sur ce petit ouvrage. Mais il y a vingt-cinq ans que je l'y ai mis, et après ce long refroidissement, je le trouve un peu fort. Le titre avantageux serait donc adouci. Quant au texte... Mais le texte, on ne songerait même pas à l'écrire. Impossible! dirait maintenant la raison. Arrivé à l'ennième coup de la partie d'échecs que joue la connaissance avec l'être, on se flatte qu'on est instruit par l'adversaire; on en prend le visage; on devient dur pour le jeune homme qu'il faut bien souffrir d'avoir comme aïeul on lui trouve des faiblesses inexplicables, qui furent ses audaces; on reconstitue sa naïveté. C'est là se faire plus sot qu'on ne l'a jamais été. Mais sot par nécessité, sot par raison d'Etat! 11 n'est pas de tentation plus cuisante, ni plus ; NOTE ET DIGRESSIONS lo que celle du reniement de soi-même chaque jour est jaloux des jours, et c'est son devoir que de l'être; la pensée se défend désespérément d'avoir été plus forte la clarté du moment ne intime, ni de plus féconde, peut-être, : ; veut pas illuminer au passé de moments plus clairs qu'elle-même et les premières paroles que le contact du ; soleil ainsi balbutier au cerveau qui se réveille, fait dans ce Memnon donc, Relire, ombre de relire tendresse, acuité critique, et dans de ridicule — et après l'oubli, sans paternité; — se relire, sans avec froideur et une attente terriblement de mépris, c'est refaire, remment, son sonnent Nihil reputare actum... : l'air créatrice étranger, l'œil destructeur, ou pressentir que l'on referait, bien diffé- travail. L'objet en vaudrait la peine. Mais il n'a pas cessé d'être au-dessus de mes forces. Aussi bien je n'ai jamais rêvé de m'y attaquer ce petit essai doit son existence à : Madame Adam, qui, vers la fin de l'an 94, sur le gracieux avis de Monsieur Léon Daudet, voulut bien me demander de l'écrire pour sa Nouvelle Revue. Juliette Quoique j'eusse vingt-trois ans, mon embarras fut immense. Je savais trop que je connaissais Léonard beaucoup moins que je ne l'admirais. Je voyais en lui le personnage principal de cette Comédie Intellectuelle qui n'a pas jusqu'ici rencontré son poète, et qui serait pour mon goût bien plus précieuse encore que la Comédie Humaine, NOTE ET DIGRESSIONS ii même que la Divine Comédie. Je sentais que ce maître de ses moyens, ce possesseur du dessin, des images, du calcul, avait trouvé l'attitude centrale à partir de laquelle et les entreprises de l'art sont entre la connaissance et les opérations de les échanges heureux actes, singulièrement probables également possibles; l'analyse et les : pensée merveilleusement excitante. Mais pensée trop immédiate, pensée sans valeur, pensée infiniment répandue, et pensée bonne pour — — — parler, non pour Cet Apollon même. Quoi de écrire. me ravissait au plus haut degré de moi- plus séduisant qu'un dieu qui repousse le mystère, qui ne fonde pas sa puissance sur le trouble de notre sens; qui n'adresse pas ses prestiges au plus obscur, au plus tendre, au plus sinistre de nous-mêmes; qui nous force de convenir et non de ployer; et de qui le miracle est de s'éclaircir; la profondeur, une perspective bien déduite? Est-il meilleure marque d'un pouvoir authentique et légitime que de ne pas s'exercer sous un voile? Jamais pour Dyonisos, ennemi plus délibéré, ni si pur, ni armé de tant de lumière, que ce héros moins occupé de plier et de rompre les monstres que d'en considérer les ressorts; dédaigneux de les percer de flèches, tant il les pénétrait de ses questions; leur supérieur, plus que leur vainqueur, il signifie n'être pas sur eux de triomphe plus achevé que de les comprendre, presque au point de les reproduire et une fois saisi leur principe, il peut bien les abandonner, dérisoirement — — ; NOTE ET DIGRESSIONS 12 réduits à l'humble condition de cas très particuliers paradoxes explicables. et de Si légèrement que je l'eusse étudié, ses dessins, ses manuscrits m'avaient comme ébloui. De ces milliers de notes et de croquis, je gardais l'impression extraordinaire ensemble hallucinant d'étincelles arrachées par coups les plus divers à quelque fantastique fabrication. Maximes, recettes, conseils à soi, essais d'un raisonnement qui se reprend; parfois une description ache- d'un les vée; parfois il se parle et se tutoie... Mais je n'avais nulle envie de redire qu'il fut ceci et cela et peintre, et géomètre, et... Et, d'un mot, l'artiste du monde même. Nul ne : l'ignore. pour songer à développer par exemple, de déterminer le sens précis de cet Impeio, dont il fait si ou disserter de ce grand usage dans sa dynamique Sfumato, qu'il a poursuivi dans sa peinture) ni je ne me trouvais assez érudit, (et moins encore, porté à l'être), pour penser à contribuer, de si peu que ce fût, au pur Je n'étais pas assez savant le détail de ses recherches, — (essayer, ; ; accroissement des pour faits me déjà connus. Je ne sentais pas l'érudition toute la ferveur qui lui est due. L'éton- nante conversation de Marcel Schwob me charme propre plus qu'à ses sources. qu'elle durait. J'avais le plaisir sans la gagnait à son Je buvais tant peine. Mais enfin, NOTE ET DIGRESSIONS je me réveillais; ma 13 paresse se redressait contre l'idée des lectures désespérantes, des recensions infinies, des méthodes scrupuleuses qui préservent de la certitude. Je mon ami que de savants hommes courent bien plus de risques que les autres, puisqu'ils font des paris disais à que nous restons hors du jeu; et qu'ils ont deux manières de se tromper la nôtre, qui est aisée, et la leur, laborieuse. Que s'ils ont le bonheur de nous rendre quelques événements, le nombre même des vérités matérielles rétablies met en danger la réalité que nous cherchons. Le vrai à l'état brut est plus faux que le faux. Les documents nous renseignent au hasard sur la règle et sur l'exception. Un chroniqueur, même, préfère de nous conserver les singularités de son époque. Mais tout ce qui est vrai d'une époque ou d'un personnage ne sert pas toujours à les mieux connaître. Nul n'est identique au total exact de ses apparences; et qui d'entre nous n'a pas dit, ou qui n"a pas fait, quelque chose qui n'est pas sienne? Tantôt l'imitation, tantôt le lapsus, ou l'occasion, ou la seule lassitude accumulée d'être précisément celui qu'on est, altèrent pour un moment celui-là même; on nous croque pendant un dîner; ce feuillet passe à la postérité, tout habitée d'érudits, et nous voilà et : — — pour toute l'éternité littéraire. Un visage faisant la si on le photographie dans cet instant, c'est un document irrécusable. Mais montrez-le aux amis du jolis grimace, saisi; ils n'y reconnaissent sophismes à la discrétion de mes répugnance à de longs labeurs est ingé- J'avais bien d'autres dégoûts, tant la personne. NOTE ET DIGRESSIONS 14 nieuse. Toutefois, j'aurais peut-être affronté ces ennuis, me conduire à la fin que j'aimais. dans mes ténèbres la loi intime de ce grand Léonard. Je ne voulais pas de son histoire, ni seulement des productions de sa pensée... De ce front chargé de couronnes, je rêvais seulement à V amande... s'ils m'avaient paru J'aimais Que faire, parmi tant de réfutations, n'étant riche que que l'on soit de cupidité et d'orgueil de désirs, tout ivre intellectuels? Se monter la tête? — En cultiver le littéraire? Je brûlais Se donner enfin quelque fièvre délire? pour un beau Que sujet. peu devant c'est le papier! Une grande soif, sans doute, elle-même de s'illustre ruisselantes visions; elle agit sur je ne sais quelles sub- stances secrètes verre de comme Bohême qu'elle attend, fait la lumière invisible sur tout pénétré d'urane; elle elle diamante des cruches, éclaire elle se le ce peint l'opalescence de carafes... Mais ces breuvages qu'elle se frappe ne sont que spécieux ; mais je trouvais indigne, et je le trouve encore, d'écrire par le seul L'enthousiasme n'est pas un état d'âme enthousiasme. d'écrivain. Quelle grande que soit la puissance du feu, elle ne devient utile et motrice que par les machines où l'art l'engage; il faut que des gênes bien placées fassent obstacle à sa dissipation totale, et qu'un retard adroite- ment opposé au retour invincible de l'équilibre permette de soustraire quelque chose à l'ardeur. la chute infructueuse de NOTE ET DIGRESSIONS du discours, i<5 médite se sent être : l'un de lui est impulsion; l'autre prévoit, compose, modère, suplogique et mémoire, mainprime; un troisième, tient les données, conserve les liaisons, assure quelque durée à l'assemblage voulu... Ecrire devant être, le plus solidement et le plus exactement qu'on le puisse, de construire cette machine de langage ou la détente de l'esprit excité se dépense à vaincre des résistances réelles, il exige de l'écrivain qu'il se divise contre lui-même. C'est en quoi seulement et strictement l'homme tout entier est auteur. Tout le reste n'est pas de lui, mais d'une partie de lui, échappée. Entre l'émotion ou l'intention initiale, et ces aboutissements que sont l'oubli, le désordre, le vague, issues fatales de la pensée, son affaire est S'agit-il l'auteur qui le tout ensemble source, ingénieur, et contraintes — — — — d'introduire les contrariétés qu'il a créées, afin qu'interla nature purement transitive des phénomènes intérieurs, un peu d'action renouvelable et d'existence indépendante... posées, elles disputent à Peut-être, je m'exagérais en ce temps-là, le défaut évident de toute littérature, de ne satisfaire jamais l'ensemble de l'esprit, oisives aussi, je n'aimais pas qu'on laissât des fonctions quon pendant (c'est dire la exerce même les autres. Je puis dire chose), que je rien au-dessus de la conscience ; j'aurais chefs-d'œuvre que je croyais irréfléchis visiblement gouvernée. Ces erreurs, qu'il serait aisé trouve pas encore si ne mettais donné bien des pour une page de défendre, et que je ne infécondes que je n'y retourne quel- NOTE ET DIGRESSIONS i6 quefois, empoisonnaient mes tentatives. Tous mes pré- trop présents et trop définis, étaient aussi trop ceptes, me universels pour servir dans faut tant d'années pour que les aucune circonstance. Il vérités que l'on s'est deviennent notre chair même au lieu de trouver en moi ces conditions, ces obstacles comparables à des forces extérieures, qui permettent que l'on avance contre son premier mouvement, je m'y heurtais à des chicanes mal disposées; et je me faites ! Ainsi, rendais à plaisir les choses plus difficiles qu'il eût dû sembler à de jeunes regards qu'elles si le fussent. Et je ne voyais de l'autre côté que velléités, possibilités, faci- dégoûtante toute une richesse involontaire, vaine rêves, remuant et mêlant l'infini des celle des comme lité : choses usées. Si je commençais de jeter les dés sur un papier, je n'amenais que les mots témoins de l'impuissance de la pensée génie, mystère, profond..., attributs qui conviennent au néant, renseignent moins sur leur sujet que sur la personne qui parle. J'avais beau chercher à me leurrer, je répondais si cette politique mentale était courte promptement par mes sentences impitoyables à mes naissantes propositions, que la somme de mes échanges, : : dans chaque instant, était nulle. Pour comble de malheur, j'adorais confusément, mais passionnément, la précision je prétendais vaguement à ; la conduite de mes pensées. Je sentais, certes, qu'il faut bien, et de toute nécessité, que notre esprit prévu, le il compte sur ses hasards donne, il le reçoit; ses : fait pour l'im- attentes expresses sont sans effets directs, et ses opérations volontaires ou régulières ne sont utiles qu'après coup, — comme dans NOTE ET DIGRESSIONS 17 une seconde vie qu'il donnerait au plus clair de lui-même. Mais je ne croyais pas à la puissance propre du délire, à la nécessité de l'ignorance, aux éclairs de l'absurde, à l'incohérence créatrice. Ce que nous tenons du hasard tient toujours un peu de son père! Nos révélations, pensais-je, ne sont que des événements d'un certain — ordre, et il faut encore interpréter ces événements connais- faut toujours. Même les plus heureuses de nos intuitions sont en quelque sorte des résultats inexacts par excès, à l'égard de notre clarté ordinaire par défaut. au regard de la complexité infinie des moindres objets et des cas réels qu'elles prétendent nous soumettre. Notre mérite personnel, après lequel nous soupirons, ne consiste pas à les subir tant qu'à les saisir, à les saisir sants. Il le ; — — tant qu'à les discuter... Et notre riposte à notre « génie » vaut mieux parfois que son attaque. Nous savons trop, d'ailleurs, que défavorable à ce démon : la probabilité est nous souffle sans verpour une belle idée qu'il l'esprit gogne un million de sottises nous abandonne; et cette chance même ne vaudra finalement quelque chose que par le traitement qui l'accommode C'est ainsi que les minerais, inappréciables à notre fin. — dans leur gîtes et dans leurs filons, prennent leur importance au soleil, et par les travaux de la surface. Loin donc que ce soient les éléments intuitifs qui donnent leur valeur aux œuvres, ôtez les œuvres, et vos lueurs ne seront plus que des accidents spirituels perdus dans les statistiques de la vie locale du cerveau. Leur vrai prix ne vient pas de l'obscurité de leur origine, ni de la profondeur supposée d'où nous aimerions naïvement qu'elles sortent, et ni de la surprise précieuse qu'elles nous causent à nous-mêmes; mais bien d'une rencontre i8 NOTE ET DIGRESSIONS et enfin de l'usage réfléchi que nous c'est-à-dire, saurons en faire, de la collaboration de tout l'homme. Mais s'il est entendu que nos plus grandes lumières sont intimement mêlées à nos plus grandes chances d'erreur, et que la moyenne de nos pensées est, en quelque sorte, insignifiante, c'est celui en nous qui choisit, et c'est celui qui met en œuvre, qu'il faut exercer sans repos. Le reste, qui ne dépend de personne, est inutile à avec nos besoins, — — — invoquer comme la pluie. On le baptise, on le déifie, on il tourmente vainement n'en doit résulter qu'un choses accroissement de la simulation et de la fraude, si naturellement unies à l'ambition de la pensée que l'on peut douter si elles en sont ou le principe, ou le produit. Le mal de prendre une hypallage pour une découverte, une métaphore pour une démonstration, un vomissement de mots pour un torrent de connaissances capitales, et soi-même pour un oracle, ce mal naît avec nous. le : — Léonard de Vinci n'a pas de rapport avec ces désorParmi tant d'idoles que nous avons à choisir, puisqu'il en faut adorer au moins une, il a fixé devant son regard cette Rigueur Obstinée, qui se dit elle-même la dres. plus exigeante de toutes. (Mais ce grossière d'entre elles, celle-ci doit que toutes être la moins les autres s'ac- cordent pour haïr.) La rigueur instituée, une liberté positive est possible, tandis que la liberté apparente n'étant que de pouvoir obéir à chaque impulsion de hasard, plus nous en jouis- NOTE ET DIGRESSIONS sommes plus nous sons, comme 19 même enchaînés autour du bouchon sur mer, que rien n'attache, que tout sollicite, et sur lequel se contestent et s'annulent toutes les puissances de l'univers. L'entière opération de ce grand Vinci est uniquement déduite de son grand objet; comme si une personne particulière n'y était pas attachée, sa pensée paraît plus universelle, plus minutieuse, plus suivie et plus isolée qu'il n'appartient à une pensée individuelle. L'homme très élevé n'est jamais un original. Sa personnalité est aussi point, le insignifiante qu'il le faut. stitici de qui le il : les — conduisent, d'inégalités; aucune super- Pas de craintes vaines. l'intellect. peur des analyses Peu la — 11 n'a pas mené, ou bien ce sont elles aux conséquences éloignées; il imite, il innove 11 il ne pas l'ancien, parce qu'il est ancien; ni le nouveau, pour être nouveau mais il consulte en lui quelque chose d'éternellement actuel. du monde cette opposition 11 ne connaît pas le moins retourne au réel sans effort. ; rejette ; si mal définie, que devait, trois demi-siècles dénoncer entre l'esprit de finesse et celui de géométrie, un homme entièrement insensible aux arts, qui ne pouvait s'imaginer cette jonction délicate, mais naturelle, de dons distincts; qui pensait que la peinture est vanité; que la vraie éloquence se moque de l'éloquence: qui nous embarque dans un pari où il engloutit toute finesse et toute géométrie; et qui, ayant changé sa neuve lampe contre une vieille, se perd à coudre des papiers dans ses poches, quand c'était l'heure de donner à la France la gloire du calcul de l'infini... Pas de révélations pour Léonard. Pas d'abîme ouvert à sa droite. Un abîme le ferait songer à un pont. Un abîme si grosse et après lui, NOTE ET DIGRESSIONS 30 pourrait servir aux essais de quelque grand oiseau mécanique... Et lui se devait considérer animal pensant, comme un modèle absolument souple de bel doué de plusieurs modes de mouvement; sachant, sous la moindre intention du cavalier, sans défenses et sans retards, et délié; passer d'une allure à toute autre. Esprit de finesse, esprit de géométrie, on les épouse, on les abandonne, comme fait le cheval accompli ses rythmes successifs... 11 doit suffire à l'être suprêmement coordonné de se prescrire certaines modifications cachées et très simples au regard de la volonté, et immédiatement il passe de l'ordre des transformations purement formelles et des actes symboliques au régime de la connaissance imparfaite et des spontanées. Posséder cette liberté dans les changements profonds, user d'un tel registre d'accommoda- réalités tions, telle c'est seulement jouir de que nous l'imaginons chez de l'homme, l'intégrité les anciens. Une élégance supérieure nous déconcerte. Cette absence d'embarras, de prophétisme et de pathétisme; ces idéaux précis; ce tempérament entre les curiosités et les puisun maître de l'équilibre; ce sances, toujours rétabli par dédain de l'illusionnisme et des artifices, et chez le plus ingénieux des hommes; cette ignorance du théâtre, ce sont des scandales pour nous. Quoi de plus dur à concevoir pour des êtres la comme nous sommes, qui faisons de « sensibilité » une sorte de profession, qui prétendons à tout posséder dans quelques effets élémentaires de contraste et de résonance nerveuse, et à tout saisir quand NOTE ET DIGRESSIONS nous nous donnons l'illusion substance chatoyante et 21 de nous confondre à la mobile de notre durée? Mais Léonard, de recherche en recherche, se fait très simplement toujours plus admirable écuyer de sa propre nature; il dresse indéfiniment ses pensers, regards, développe ses actes; il exerce conduit l'une ses et l'autre main aux dessins les plus précis; il se dénoue et se rassemble, resserre la correspondance de ses volontés avec ses pouvoirs, pousse son raisonnement dans les arts, et préserve sa grâce. Une intelligence si détachée arrive dans son mouvement à d'étranges attitudes, comme une danseuse nous étonne, de prendre et de conserver quelque temps des figures de pure instabilité. Son indépendance choque nos instincts et se joue de nos vœux. Rien de plus libre, c'est-à-dire, rien de moins humain, que ses jugements sur l'amour, sur la mort. nous les donne à deviner par — 11 quelques fragments, dans ses cahiers. « L'amour dans sa fureur, (dit-il, à peu près), est chose si laide que la race humaine s'éteindrait, la natura si perderebbe, si ceux qui le font se voyaient. » Ce mépris est accusé par divers croquis, car le comble du mépris pour certaines choses est enfin de les examiner à loisir. II dessine donc çà et là des unions anatomiques, coupes effroyables à même l'amour. La machine erotique l'intéresse, la mécanique animale étant son domaine le préféré; mais un combat de sueurs et l'essoufflement des opranti, un monstre de musculatures anta- — — NOTE ET DIGRESSIONS 22 — une transfiguration en bêtes, cela semble que répugnance et que dédain... Son jugement sur la mort, il faut le tirer d'un texte assez court, mais texte d'une plénitude et d'une simplicité antiques, qui devait peut-être prendre place dans le préambule d'un Traité, jamais achevé, du Corps gonistes, n'exciter en lui — Humain. Cet homme, qui a disséqué dix cadavres pour suivre de quelques veines, songe l'organisation de notre corps est une telle merveille que l'âme, quoique chose divine, ne se sépare qu'avec les plus grandes peines le trajet : — de ce corps qu'elle habitait. Et je crois bien, dit Léonard, que ses lartnes et sa douleur ne sont pas sans raison... N'allons pas approfondir l'espèce de doute chargé de sens qui est dans ces mots. énorme Il suffit de considérer l'ombre la en formation projetée par quelque idée ici comme un mort, interprétée du corps, diminution de : désastre pour l'âme; cette chose divine! atteignant l'àme jusqu'aux larmes, et dans son plus chère, par qu'elle s'était faite la destruction d'une telle la mort La mort, œuvre la architecture pour y habiter! Je ne tiens pas à déduire de ces réticentes paroles une métaphysique selon Léonard mais je me laisse aller à un rapprochement assez facile, puisqu'il se fait de soi dans ma pensée. Pour un tel amateur d'organismes, le corps n'est pas une guenille toute méprisable; ce corps a trop de propriétés, il résout trop de problèmes, il possède trop de fonctions et de ressources pour ne pas répondre à quelque exigence transcendante, asse^ puissante pour le construire, pas asseï puissante pour se passer de sa complication. II est œuvre et instrument de quelqu'un qui a ; besoin de lui, qui ne le rejette pas volontiers, qui le NOTE ET DIGRESSIONS pleure comme on pleurerait le 2} pouvoir... Tel est le sen- timent du Vinci. Sa philosophie est toute naturaliste, très choquée par mot de le spiritualisme, très attachée au mot-à- physico-mécanique quand, sur le toute comparable à la philosophie de l'Eglise. L'Eglise, pour autant du moins, que l'Eglise est Thomiste, ne donne pas à l'âme séparée une existence bien enviable. Rien de plus pauvre que cette âme qui a perdu son corps. Elle n'a guère que l'être même c'est un minimum logique, une sorte de vie latente dans laquelle elle est inconcevable pour nous, et sans doute, pour elle-même. Elle a tout dépouillé pouvoir, vouloir; savoir, peut-être? Je ne sais même pas s'il lui peut souvenir d'avoir été, dans le temps et quelque part, la forme et \'a£te de son corps? 11 lui reste l'honneur de son autonomie... Une si vaine et si insipide condition n'est heureusement que passagère, si ce mot, hors de la durée, retient un sens la raison demande, et le dogme impose, la restitution de la chair. Sans doute, les qualités de cette l'explication point de l'âme, ; la voici — — : : — : chair suprême seront-elles bien différentes de celles notre chair aura possédées. tout autre chose ici 11 que faut concevoir, je pense, qu'un simple renversement du prin- cipe de Carnot et qu'une réalisation de l'improbable. Mais il est inutile de s'aventurer aux extrêmes de la physique, de rêver d'un corps glorieux dont la masse serait avec l'attraction universelle dans une autre relation que la nôtre, et cette masse variable en un tel rapport avec la vitesse de la lumière réalisée... la Qyoi qu'il que en Vagilité qui lui est prédite soit soit, théologie, retrouver dans taine vie l'âme dépouillée doit, selon un fonctionnelle; et par certain corps, ce une cer- corps nouveau, une sorte de matière qui permette ses opérations, et remplisse NOTE ET DIGRESSIONS 24 de merveilles incorruptibles ses vides catégories intellectuelles. Un dogme qui concède à l'organisation corporelle cette importance à peine secondaire, qui réduit remarquablement l'âme, qui nous interdit et nous épargne le ridicule de nous la figurer, qui va jusqu'à l'obliger de se réincarner pour qu'elle puisse participer à dogme la pleine vie éter- exactement contraire au spiritualisme pur, sépare, de la manière la plus sensible, l'Eglise, de la plupart des autres confessions chrétiennes. Mais il me semble que depuis deux ou trois siècles, il n'est pas d'article sur lequel la littérature religieuse ait passé plus nelle, ce si — légèrement. Apologistes, prédicateurs n'en parlent guère... La cause de ce demi-silence m'échappe. Je me suis égaré si loin dans Léonard que je ne sais pas tout d'un coup revenir à moi-même... Bah! Tout chemin m'y reconduira c'est la définition de ce moimême. 11 ne peut pas absolument se perdre, il ne perd : que son temps. Suivons donc un peu plus avant la pente et la tion de l'esprit; suivons-les malheureusement craintes, cela ne mène à aucun fond véritable. notre pensée la tenta- sans Même plus « profonde » est contenue dans les qui font que toute pensée est ne pénètre que dans une forêt de transpositions; ou bien c'est un palais fermé de miroirs, que féconde une lampe solitaire qu'ils enfantent à l'infini. Mais encore, essayons de notre seule curiosité pour conditions invincibles « suf>erficielle ». nous éclairer le On système caché de quelque individu de la NOTE ET DIGRESSIONS première grandeur; doit mouvement de imaginons et quand s'apparaître, il 25 peu près à comme il. dans le se regarde dans l'en- s'arrête quelquefois ses travaux et qu'il semble. aux nécessités et réadans le secret de la connaissance séparée. 11 voit comme nous et il voit comme soi. 11 a un jugement de sa nature et un sentiment de son artifice. 11 est absent et présent. 11 soutient cette espèce de dualité que doit soutenir un prêtre. Il 11 lités se considère d'abord assujetti communes; et il se replace ensuite sent bien qu'il ne peut pas se définir entièrement devant lui-même par les données et par les mobiles ordinaires. yivre, et même bien vivre, ce n'est qu'un quand que sa il mange, il moyen pour lui vie, et la moitié de son pain est consacrée. Agir, ce n'est encore qu'un exercice. Aimer, je ne sais pas 11 s'il quant non. yeux, c'est en recevoir un éclat de fausses pierreries. lui est possible. Et tres : alimente aussi quelque autre merveille lui faut Briller à d'au- à la gloire, cependant se découvrir je ne sais quels points de repère tellement placés que sa vie particulière et cette vie généralisée qu'il s'est trouvée, se La clairvoyance imperturbable qui le convaincre tout à même, fait), le lui composent. semble, (mais sans représenter tout entier à voudrait se soustraire à la peut pas ne pas conclure de tout le relativité lui- qu'elle ne reste. Elle a beau se transformer en elle-même, et de jour en jour, se reproduire aussi pure que le soleil, cette identité apparente emporte avec elle un sentiment qu'elle est trompeuse. Elle sait, dans sa fixité, être soumise à un mystérieux NOTE ET DIGRESSIONS 26 une modification sans témoin et elle enveloppe toujours, même à l'état le plus net de sa lucidité, une possibilité cachée de faillite et de totale ruine, comme il arrive au rêve le plus entraînement sait donc et à ; qu'elle — un germe inexplicable de non-réalité. lumineux supplice que de sentir tout, sans cesser de sentir que l'on est précis de contenir C'est une manière de que l'on voit encore visible, et l'objet concevable d'une attention étran- gère; et sans se trouver jamais le poste ni le regard qui ne laissent rien derrière eux. — Dunes est hic sernto, va bientôt dire le lecteur. Mais en ces matières, qui n'est pas vague est difficile, qui n'est pas difficile est nul. Allons encore un peu. Pour une présence d'esprit aussi sensible à elle-même, ferme sur elle-même par le détour de « l'Univers », tous les événements de tous les genres, et la vie, et la mort, et les pensées, ne lui sont que des figures subordonnées. Comme chaque chose visible est à la fois et qui se la chose qui y voit, grande qu'elle apparaisse à chaque instant, pâlit à la réflexion devant la seule persistance de l'attention elle-même. Tout le cède à cette universalité pure, à cette généralité insurmontable étrangère, indispensable, et inférieure à ainsi l'importance que la si conscience se sent être. Si tels sont du que de ces figures, s'ils événements ont le pouvoir de la supprimer, ils coup, destitués de toute signification conservent, ils rentrent dans son système. même la ; L'intelligence ignore d'être née, comme périra. de ses fluctuations et de Elle est instruite, oui, elle ignore qu'elle NOTE ET DIGRESSIONS son effacement final, mais au pas d'une autre espèce que très aisément, inamissible titre d'une notion qui n'est les autres; qu'elle a reconnu par ses expériences, diverses possibilités funestes, taine pente qui elle et se croirait, ce n'était un jour ou l'autre, inaltérable, et 27 si l'existence mène plus bas que d'une cer- tout. Cette pente fait pressentir qu'elle peut devenir irrésistible; elle prononce le commencement d'un éloignement sans spirituel, solidité, retour du soleil du maximum admirable de la netteté, de la du pouvoir de distinguer et de choisir; on la devine qui s'abaisse, obscurcie de mille impuretés psychologiques, obsédée de bourdons et de vertiges, à travers la confusion des temps et le trouble des fonctions, et qui se dirige défaillante au milieu d'un désordre inex- primable des dimensions de la connaissance, jusqu'à instantané et indivis qui étouffe ce chaos dans l'état la nullité. même à la mort qu'il l'est à la un système complet de substitutions psychologiques, Mais, opposé tout de vie, plus il est conscient et se remplace par lui-même, plus il de toute origine, et plus se dépouille-t-il, en quelque sorte, de toute chance de rupture. Pareil à l'anneau de fumée, le système tout d'énergies intérieures prétend merveilleusement à une indépendance et à une se détache Dans une très claire conscience, la phénomènes se trouvent tellement reliés, aticiidus, répondus; le passé si bien employé; le nouveau si promptement compensé; l'état de relation totale si nettement reconquis que rien ne semble pouvoir com- insécabilité parfaites. ni.'i7ioire et les mencer, rien se terminer, au sein de cette activité presque NOTE ET DIGRESSIONS 28 pure. L'échange perpétuel de choses qui la constitue, l'as- sure en apparence d'une conservation indéfinie, car elle n'est attachée à aucune; et elle ne contient pas quelque cUment-limiie, quelque objet singulier de perception ou de pensée, tellement plus réel que tous les autres, que quelque autre ne puisse pas venir après lui. Il n'est pas une telle idée qu'elle satisfasse aux conditions inconnues de la conscience au point de la faire évanouir. Il n'existe pas de pensée qui extermine le pouvoir de penser, et le conclue, une certaine position du pêne qui ferme définitivement la serrure. Non, point de pensée qui soit pour de son développement la pensée une résolution née même, et comme un accord final de cette dissonnanco permanente. — Puisque la connaissance ne se connaît pas d'extrémité, puisque aucune idée n'épuise la tâche de la conscience, il faut bien qu'elle périsse dans un événement incompréhensible que lui prédisent et que lui préparent ces affres et ces sensations extraordinaires dont je parlais; qui nous esquissent des mondes instables et incompatibles avec la plénitude de la vie; mondes inhumains, mondes infirmes et comparables à ces mondes que le géomètre ébauche en jouant sur les axiomes, le physicien en supposant d'autres constantes que celles admises. Entre la netteté de et la vie et la simplicité de la mort, les rêves, les malaises, les extases, tous ces états à demi impossibles, qui intro- duisent, dirait-on, des valeurs approchées, des solutions ou transcendantes dans l'équation de connaissance, placent d'étranges degrés, des variétés irrationnelles la et NOTE ET DIGRESSIONS des phases ineffables, — car il n'est point de 39 noms pour des choses parmi lesquelles on est bien seul. Comme la sommeil avec perfide la musique compose suite attention, et fait la synthèse d'êtres intimes ainsi les fluctuations de percevoir des modes l'équilibre l'extrême momentanés, psychique donnent à aberrants de l'existence. tons en nous des formes de du libertés les l'enchaînement de et la sensibilité Nous por- qui ne peuvent pas réussir, mais qui peuvent naître. Ce sont des instants dérobés à la critique implacable de la durée ils ne résistent pas au fonctionnement complet de notre être ou nous périssons, ou ils se dissolvent. Mais ce sont des monstres pleins de leçons que ces monstres de l'entendeespaces dans lesment, et que ces états de passage, quels la continuité, la connexion, la mobilité connues sont altérées; empires où la lumière est associée à la douleur; champs de forces oij les craintes et les désirs orientés ; : — nous assignent d'étranges circuits; matière qui est faite de temps; abîmes littéralement d'horreur, ou d'amour. ou de quiétude; régions bizarrement soudées à ellesmêmes, domaines non-archimédiens qui défient le mouvement; sites perpétuels dans un éclair; surfaces qui se creusent, conjuguées à notre nausée, infléchies sous nos moindres intentions... On ne peut pas dire qu'ils sont réels; on ne peut pas dire qu'ils ne le sont pas. Qui ne les a pas traversés ne connaît pas le prix de la lumière naturelle et du milieu le plus banal; il ne connaît pas la véritable fragilité du monde, qui ne se rapporte pas à l'alternative de l'être et du non-être; ce serait trop simple! L'étonnement. ce n'est pas que les choses soient; c'est qu'elles soient telles, et non telles autres. La figure de ce monde fait partie d'une famille de figures dont nous pos- — NOTE ET DIGRESSIONS 30 sédons sans C'est le Au où le savoir tous les éléments de groupe infini. secret des inventeurs. sortir de ces intervalles, et des écarts personnels présence de poisons dans le système les faiblesses, la nerveux, mais où les forces et les finesses aussi de l'atla logique la plus exquise, la mystique bien cultivée, conduisent diversement la conscience, celle-ci vient tention, donc à soupçonner toute la réalité accoutumée de n'être qu'une solution, parmi bien d'autres, de problèmes universels. Elle s'assure que les choses pourraient être asseï différentes de ce qu'elles sont, sans qu'elle-même fût iî'ès dif- férente de ce qu'elle est. Elle ose considérer son « corps » son « monde » comme des restrictions presque arbiimposées à l'étendue de sa fonction. Elle voit qu'elle correspond, ou qu'elle répond, non à un monde, mais à quelque système de degré plus élevé dont les éléments soient des mondes. Elle est capable de plus de combinaisons internes qu'il n'en faut pour vivre; de plus et traires de rigueur que toute occasion pratique n'en requiert et n'en supporte; elle se juge plus profonde que l'abîme même de la vie et de la mort animales; et ce regard sur sa condition ne peut réagir sur elle-même, tant elle s'est reculée et placée hors du tout, et tant elle s'est appliquée à ne jamais figurer dans quoi que ce soit qu'elle puisse c&ncevoir ou se répondre. Ce n'est plus qu'un corps noir qui tout absorbe et ne rend rien. Retirant de ces remarques exactes et de ces prétentions inévitables une hardiesse périlleuse forte de cette espèce d'indépendance et d'invariance qu'elle est contrainte de ; NOTE ET DIGRESSIONS s'accorder, elle se pose enfin semblante de l'être comme sans visage, 31 directe et res- fille sans origine, auquel incombe et se rapporte toute la tentative du cosmos... Encore un peu, et elle ne compterait plus comme existences nécessaires que deux entités essentiellement inconnues Soi et X. Toutes deux abstraites de tout, impli: quées dans tout, impliquant tout. Egales et consubstan- tielles. L'homme que l'exigence de l'infatigable esprit conduit à ce contact de ténèbres éveillées, et à ce point de pré- sence pure, se perçoit à la comme nu suprême pauvreté de la et dépouillé, et réduit puissance sans objet; vic- time, chef-d'œuvre, accomplissement de la simplification de l'ordre dialectique; comparable à cet état où parvient la plus riche pensée quand elle s'est assimilée à elle-même, et reconnue, et consommée en un petit groupe et de caractères et de symboles. Le faisons sur un objet de même réflexions, il travail l'a que nous dépensé sur le sujet qui réfléchit. Le voici sans instincts, presque sans images; et il n'a 11 n'a pas de semblables. Je dis homme, et plus de but. je dis : il, : par analogie et par manque de mots. ne s'agit plus de choisir, ni de créer; et pas plus de Rien nest à surmonter, et il ne peut pas même être question de se détruire. Tout « génie » est maintenant consumé, ne peut plus servir de rien. Ce ne fut qu'un moyen pour atteindre à la dernière simplicité. 11 n'y a pas d'acte du génie qui ne soit moindre que l'acte d'être. Une loi magnifique habite et 11 se conserver que de s'accroître. NOTE ET DIGRESSIONS }2 fonde l'imbécile; plus fort ne trouve pas mieux l'esprit le en soi-même. Enfin, cette conscience accomplie s'étant contrainte à se définir par le total des choses, — connaissance sur ce Tout, doit commencer par nier une et comme l'excès de la qui pour s'affirmer elle, infinité de fois, une infinité d'éléments, et par épuiser les objets de son pouvoir sans épuiser ce pouvoir même, elle est donc différente du — néant, d'aussi peu que l'on voudra. — Elle fait songer naïvement à une assistance invisible logée dans l'obscurité d'un théâtre. Présence qui ne peut pas se contempler, condamnée au spectacle adverse, et qui sent toutefois qu'elle compose toute cette nuit hale- tante, invinciblement orientée. Nuit complète, nuit nétrable, nuit absolue; impémais nuit nombreuse, nuit très avide, nuit secrètement organisée, toute construite d'or- ganismes qui se limitent et se compriment; nuit compacte aux ténèbres bourrées d'organes, qui battent, qui soufflent, qui s'échauffent, et qui défendent, chacun selon sa nature, leur emplacement et leur fonction. En regard de l'intense et mystérieuse assemblée, brillent dans un cadre fermé, et s'agitent, tout le degré, avoir un si le Sensible, Possible. Rien ne peut naître, périr, moment, un lieu, ce n'est sur cette scène définie, conscrite, et que l'Intelligible, être à quelque — un sens, une figure, que les destins ont cir- l'ayant séparée de je ne sais quelle con- fusion primordiale, comme furent au premier jour les NOTE ET DIGRESSIONS ténèbres séparées de donnée à la la lumière, ils 33 ont opposée et subor- condition àîêtre vue... * Si je vous ai menés dans cette solitude, cette netteté désespérée, c'est qu'il fallait bien jusqu'à conduire à et que je me suis faite d'une puissance intellectuelle. Le caractère de l'homme est la conscience; et celui de la conscience, une perpétuelle sa dernière conséquence l'idée exhaustion, un détachement sans repos et sans exception de tout ce qu'y paraît, quoi qui paraisse. Acte inépuisable, indépendant de la qualité comme de la quantité des choses apparues, et par lequel Vbomme de l'esprit doit enfin se réduire quoi que ce Tous sciemment à un refus indéfini d'être soit. phénomènes, d'une sorte successivement par un geste identique, apparaissent dans une certaine équivalence. Les sentiments et les pensées sont enveloppés dans cette condamnation uniforme, étendue à tout ce qui est perceptible. Il faut bien comprendre que rien n'échappe à la rigueur de cette exhaustion; mais qu'il suffit de notre attention pour mettre nos mouvements les plus intimes au rang des événements et des objets extérieurs du moment qu'ils sont observables, ils vont se joindre à Couleur et douleur souvetoutes choses observées. nirs, attente et surprises; cet arbre, et le flottement de son feuillage, et sa variation annuelle, et son ombre comme sa substance, ses accidents de figure et de posiles d'égale répulsion, et par comme là frappés rejetés : — tion, les traction, ; pensées très éloignées qu'il rappelle à ma distout cela est égal... Toutes choses se sub- — } NOTE ET DIGRESSIONS 34 stituent, — ne serait-ce est impossible Il que pas définition la l'activité de des l'esprit ne choses? le con- traigne pas enfin à cette considération extrême et élémentaire. tions, Ses mouvements multipliés, ses intimes contestases perturbations, ses retours analytiques, que qui résiste à l'entrain des sens, à la dissipation des idées, à l'affaiblissement des souvenirs, à la variation lente de l'organisme, à l'action Ce n'est que incessante et multiforme de l'univers? laissent-ils d'inaltéré? Qu'est-ce — cette conscience seule, à l'état le plus abstrait. Notre personnalité elle-même, que nous prenons grossièrement pour notre plus intime et plus profonde propriété, pour notre souverain bien, n'est qu'une chose, et muable et accidentelle, auprès de ce moi le plus nu ; puisque nous pouvons penser à elle, calculer ses intérêts, et même les perdre un peu de vue, elle n'est donc qu'une divinité psychologique secondaire, qui habite notre miroir et qui obéit à notre nom. Elle est de l'ordre des Pénates. Elle est sujette à la douleur, friande de parfums comme les faux dieux, et comme eux, la tentation des vers. Elle s'épanouit dans les louanges. Elle ne résiste pas à la force des vins, à la délicatesse des paroles, à la sorcellerie de la musique. Elle se chérit, et se trouve par conduire. Elle se disperse dans le démence, elle se plie bizarrement aux carnaval de la elle est conanamorphoses du sommeil. Plus encore trainte, avec ennui, de se reconnaître des égales, de là docile et facile à : s'avouer qu'elle est inférieure à est amer et inexplicable. telles autres; et ce lui NOTE ET DIGRESSIONS Tout, d'ailleurs, événement; convenir qu'elle est un simple qu'il lui faut figurer, du monde, dans a la fait commencé 35 avec tous les accidents les statistiques et dans les tables; qu'elle par une chance séminale, et dans un inci- dent microscopique; qu'elle a couru des milliards de risques; été façonnée par une quantité de rencontres, et qu'elle est en somme, tout admirable, toute volontaire, tout accusée et étincelante qu'elle puisse être, l'effet d'un incalculable désordre. Chaque personne étant un « jeu de la nature », jeu de l'amour et du hasard, la plus belle intention, et même la plus savante pensée de cette créature toujours improvisée, se sentent inévitablement de leur origine. Son acte est toujours relatif, ses chefs-d'œuvre sont casuels. Elle pense périssable, elle pense individuel, elle pense par raccrocs; et elle ramasse le meilleur de ses idées dans des occasions fortuites et secrètes qu'elle se garde Et d'ailleurs, elle n'est pas sûre d'être posid'avouer. tivement quelqu'un; elle se déguise et se nie plus facilement qu'elle ne s'affirme. Tirant de sa propre inconsistance quelques ressources et beaucoup de vanité, elle met dans les fictions son activité favorite. Elle vit de romans, elle épouse sérieusement mille personnages. Son héros n'est jamais soi-même... Enfin, les neuf dixièmes de sa durée se passent dans ce qui n'est pas encore, dans ce qui n'est plus, dans ce — qui ne peut pas être; tellement que notre véritable présent a neuf chances sur dix de n'être jamais. Mais chaque vie si particulière possède toutefois, à la NOTE ET DIGRESSIONS }6 profondeur d'un trésor, la permanence fondamentale d'une conscience que rien ne supporte; et comme l'oreille retrouve et reperd, à travers les vicissitudes de la symphonie, un son grave et continu qui ne cesse jamais d'y résider, mais qui cesse à chaque instant d'être saisi, le moi pur, élément unique et monotone de l'être même dans le monde, retrouvé, reperdu par lui-même, habite éternellement notre sens; cette profonde 7wte de l'existence domine, dès qu'on l'écoute, toute la complication des conditions et des variétés de l'existence. L'œuvre capitale et cachée du plus grand esprit n'estelle pas de soustraire cette attention substantielle à la lutte des vérités ordinaires? Ne faut-il pas qu'il arrive à se définir, contre toutes choses, par cette pure relation — immuable entre les objets les plus divers, ce qui confère une généralité presque inconcevable, et le lui porte en quelque manière, à la puissance de l'univers correspas sa chère personne qu'il élève à ce haut degré, puisqu'il la renonce en y pensant, et qu'il la substitue dans la place du sujet par ce moi inqualifiable, qui n'a pas de nom, qui n'a pas d'histoire, qui pondant? — Ce n'est ni moins réel que le centre de mais masse d'une bague ou d'un système planétaire, qui résulte de tout, quel que soit ce tout... Tout à l'heure, le but évident de cette merveilleuse n'est pas plus sensible, — vie intellectuelle était encore... de s'étonner d'elle-même. Elle s'absorbait à se faire des enfants qu'elle admirât; bornait à ce qu'il y a de plus beau, de plus doux, de plus clair et de plus solide; elle n'était gênée que de elle se sa comparaison avec d'autres organisations concurrentes; elle s'embarrassait du problème puisse jamais se proposer, et le plus étrange que l'on que nous proposent nos NOTE ET DIGRESSIONS semblables, lité et 37 qui consiste simplement dans des autres intelligences, dans la la pluralité possibi- du singu- lier, dans la coexistence contradictoire de durées indépendantes entre elles, toi capUa, toi tempora, problème comparable au problème physique de la relativité, mais incomparablement plus difficile... Et voici que son zèle pour être unique l'emportant, et — — que son ardeur pour être toute puissante l'éclairant, elle a dépassé toutes créations, toutes desseins les plus grands, en œuvres même temps et jusqu'à ses qu'elle dépose toute tendresse pour elle-même, et toute préférence pour ses vœux. Elle immole en un moment son Elle se sent conscience pure : il individualité. ne peut pas en exister deux. Elle est le moi, le pronom universel, appellation de ceci qui n'a pas de rapport avec un visage. O quel point de transformation de l'orgueil, et comme il est arrivé où il ne savait pas qu'il allait! Quelle modération le récompense de ses triomphes! Il fallait bien qu'une vie si fermement dirigée, et qui a traité comme des obstacles ou que l'on tourne ou que l'on renverse, tous les objets qu'elle pouvait se proposer, ait enfin une conclu- sion inattaquable, non une conclusion de sa durée, mais une conclusion en elle-même... Son orgueil l'a conduite jusque là, et là se consume. Cet orgueil conducteur l'abandonne étonnée, nue, infiniment simple sur le pôle de ses trésors. Ces pensées ne sont pas mystérieuses. On aurait pu que le groupe le plus général de nos transformations, qui comprend toutes sensations, écrire tout abstraitement NOTE ET DIGRESSIONS 3S toutes idées, tous jugements, tout ce intus et extra, me Je toute admet un suis laissé aller au clarté, et j'ai qui se manifeste invariant. delà de toute patience et de succombé aux idées qui me sont venues pendant que je parlais de ma tâche. J'achève en peu de mots cette peinture un peu simplifiée de mon état encore quelques instants à passer en 1894. Rien de si curieux que la lucidité aux prises avec l'insufFisancc. Voici à peu près ce qui arrive, ce qui devait : arriver, ce qui m'arriva. un personnage manie de n'aimer que le fonctionnement des êtres, et dans les œuvres, que leur génération. Je savais que ces œuvres sont toujours des falsifications, des arrangements, V auteur n'étant heureusement jamais Vhomme. La vie de celui-ci n'est pas la vie de celui-là accumulez tous les détails que vous pourrez sur la vie de Racine, vous n'en tirerez pas l'art de faire ses vers. Toute la critique est dominée par ce l'homme est cause de l'œuvre, principe suranné comme le criminel aux yeux de la loi est cause du crime, lis en sont bien plutôt l'effet! Mais ce principe pragmaJ'étais placé dans la nécessité d'inventer capable de bien des œuvres. J'avais la : : — le juge et le critique; la biographie est plus simple que l'analyse. Sur ce qui nous intéresse le plus, elle n'apprend absolument rien... Davantage! La véritable vie d'un homme, toujours mal définie, même pour son voisin, même pour lui-même, ne peut pas être utilisée dans une explication de ses œuvres, si ce n'est indirectement, et moyennant une élaboration très soigneuse. tique allège NOTE ET DIGRESSIONS Donc, maîtresses, ni aventures, — on ni est conduit 39 créanciers, ni anecdotes, au système le plus honnête ni : imaginer à l'exclusion de tous ces détails extérieurs, un être théorique, un modèle psychologique plus ou moins grossier, mais qui représente, en quelque sorte, notre propre capacité de reconstruire l'œuvre que nous nous sommes proposé de nous expliquer. Le succès est très douteux, mais le travail n'est pas ingrat s'il ne résout pas les problèmes insolubles de la parthénogenèse intellectuelle, du moins il les pose, et dans une netteté incom: parable. Dans circonstance, cette conviction était la mon seul bien positif. La nécessité où j'étais placé, le vide que j'avais si bien de toutes les solutions antipathiques à ma nature, fait l'érudition tout me écartée, les ressources rhétoriques un mettait dans confesse, je ne trouvai pas fortuné Léonard désordre de infligeai tous mieux que mes propres mon mes esprit dans complexité du sien, je bien des difficultés qui comme changeai me le l'in- lui désirs à titre de choses possédées. Je lui prêtai Je d'attribuer à agitations, transportant le la temps-là, J'osai différées, désespéré... Enfin, je état s'il les me hantaient dans ce eût rencontrées et surmontées. mes embarras en considérer sous son sa puissance nom, supposée. et utiliser ma per- sonne. Cela était faux, mais vivant. Un jeune homme, curieux de mille choses, ne doit-il pas, après tout, ressembler assez bien à un homme de la Renaissance? Sa naïveté NOTE ET DIGRESSIONS 40 même ne représente-t-elle pas l'espèce de naïveté relative créée par quatre siècles de découvertes au détriment des hommes — de ce temps-là? Et puis, plus gros. Je ne puis enlève, mais pensai-je, Hercule que nous; n'avait pas plus de muscles même ils pas déplacer n'étaient le que rocher qu'il structure de nos machines n'est pas diffé- la rente; je lui corresponds os par os, fibre par fibre, acte par acte, et notre similitude me permet l'imagination de ses travaux. Une brève d'autre parti sciemment autre que réflexion que connaître fait l'on puisse prendre. qu'il Il n'y a pas faut se mettre nous occupe... Et quel à la place de l'être qui nous-mêmes peut répondre, quand nous appe- lons un esprit? On n'en trouve jamais qu'en soi. C'est notre propre fonctionnement qui, seul, peut nous appren- dre quelque chose sur toute chose. Notre connaissance, à mon sentiment, a pour pouvons avoir de notre corps. Quel que soit X, limite être, conscience que la — et peut-être, nous de notre pensée que j'en ai, si je la je sois. On peut l'ignorer ou le savoir, le subir ou le désirer, mais il n'y a point d'échappatoire, point d'autre issue. L'intention de toute pensée est en nous. C'est avec notre propre substance la presse, tend vers moi, quel que que nous imaginons et que nous formons une pierre, une plante, un mouvement, un objet : une image quelconque n'est peut-être qu'un commencement de nous-mêmes... lionardo mio lionardo che tanto penate. Quant au vrai Léonard, il fut ce qu'il fut... Ce mythe, NOTE ET DIGRESSIONS 41 gagne indéfidans l'histoire. Plus on va, plus précisément il grandit. Les expériences d'Ader et des Wright ont illuminé d'une gloire rétrospective le Code sur le vol des oiseaux; le germe des théories de Fresnel se trouve dans certains passages des manuscrits toutefois, plus étrange niment à de être replacé l'Institut. Au que tous de cours recherches du regretté M. la de les autres, fable ces Duhem années, les sur les Origines de la dernières ont permis d'attribuer à Léonard le théorème fondamental de la composition des forces, et une notion du principe du traquoique incomplète très nette statique — — vail virtuel. 1919- A MARCEL SCHWOB INTRODUCTION MÉTHODE DE LÉONARD DE VINCI LA A 1 II reste d'un nom, et les homme 894 ce que donnent à songer son œuvres qui font de ce nom un signe d'admiration, de haine ou d'indifférence. Nous pen- sons qu'il a pensé, et nous pouvons retrouver entre ses œuvres cette nous pouvons nôtre. Aisément, ordinaire mobiles : et pensée qui lui vient de nous pensée à l'image de refaire cette nous nous représentons un homme de simples souvenirs en ressuscitent les réactions Parmi élémentaires. : la les les actes indifférents qui constituent l'extérieur de son nous trouvons existence, les nôtres lui, et le ; la nous en sommes cercle d'activité déborde pas de celui qui même le suite lien aussi que son être qu'entre bien que suggère ne nous appartient. Si nous INTRODUCTION A LA MÉTHODE 46 que faisons cet individu excelle en quelque point, nous en aurons plus de mal vaux et les chemins de son nous figurer à esprit. les tra- Pour ne pas nous borner à l'admirer confusément, nous serons contraints d'étendre la propriété qui dans un sens notre imagination de domine en possédons, sans doute, que de les facultés l'esprit ou lui, le dont nous ne et germe. Mais restes de son loppées à la paraissent considérables dans tous les fois, si toutes choisi sont largement dévesi les action genres, la figure en devient de plus en plus difficile à saisir dans son unité et tend à D'une extrémité de autre, il y a de cette telles échapper à notre effort. étendue mentale à une distances que nous n'avons jamais parcourues. La continuité de cet ensemble manque à notre connaissance, comme s'y dérobent ces informes haillons d'espace qui séparent des objets connus, et traînent au hasard des intervalles; comme se perdent à chaque instant des myriades de hors du petit nombre de ceux que II le langage faut pourtant s'attarder, s'y faire, faits, éveille. surmonter la peine qu'impose à notre imagination cette réunion d'éléments hétérogènes par rapport à intelligence, ici, se confond avec ordre unique, d'un seul moteur elle. Toute l'invention et désire d'un animer DE LÉONARD DE VINCI d'une sorte de semblable le 47 système qu'elle s'im- pose. Elle s'applique à former une image décisive. Avec une violence qui dépend de son ampleur et de sa lucidité, elle finit par reconquérir sa propre unité. Comme par l'opération d'un mécanisme, une hypo- thèse se déclare, et se montre l'individu qui a tout la fait, où tout vision centrale a dû se passer, le cerveau monstrueux ou l'étrange animal qui a tissé des milliers de purs liens entre tant de formes, et de qui ces constructions énigmatiques et diverses furent travaux, l'instinct faisant sa demeure. La produc- les tion de cette hypothèse est un phénomène qui com- mais point de hasard. porte des variations, vaut ce que vaudra l'analyse logique dont être l'objet. Elle est le fond de nous occuper Je me et nous la elle Elle devra méthode qui va servir. propose d'imaginer un homme de qnt auraient paru des actions tellement distinctes que je viens à leur supposer une pensée, pas de plus étendue. Et je veux qu'il ment de les la n'y en aura il ait différence des choses infiniment aventures pourraient bien se vois que tout l'oriente toujours, et à la (1) Hottinato rigore ; : nommer un II est fait senti- vif, dont analyse. Je c'est à l'univers qu'il rigueur (i). si songe pour n'ou- obstinée rigueur. Devise de L. de Vinci. ~'\ INTRODUCTION A LA MÉTHODE 48 de ce qui entre dans blier rien qui est : nul arbuste. de ce qui regarde. Il naturelles, d'être le confusion de ce descend dans Il tout atteint le monde, aux habitudes la et aux structures et il seul qui construise, énumère, églises, profondeur s'y éloigne et se de partout, les travaille il debout des laisse plit est à la lui arrive émeuve. des forteresses; il Il accom- des ornements pleins de douceur et de grandeur, mille engins, et les figurations rigoureuses de mainte recherche. Il abandonne les débris d'on ne sait quels grands jeux. Dans ces passe-temps, qui se mêlent de sa science, laquelle ne se distingue pas d'une passion, il a le charme de sembler toujours penser chose... Je le suivrai se et l'épaisseur familière qu'il dans la mouvant dans du monde, où il se fera à autre l'unité brute la nature si pour y toucher, et finira de concevoir un objet qu'elle ne l'imitera difficulté contienne pas. Un nom manque à cette créature de pensée, pour conferTir l'expansion de termes trop éloignés d'ordi- naire et qui se déroberaient. Aucun ne me paraît plus convenir que celui de Léonard de Vinci. Celui qui se représente un arbre est forcé de se représenter un ciel ou un fond pour l'y voir s'y tenir. une sorte de logique presque sensible et Il y a là presque DE LÉONARD DE VINCI 49 inconnue. Le personnage que je désigne se réduit à une déduction de ce genre. Presque rien de ce que j'en saurai dire ne devra s'entendre de l'homme qui a illustré ce nom dence que juge impossible à mal définir. J'essaye je : je ne poursuis pas une coïnci- de donner une vue sur vaille le détail d'une vie intellec- une suggestion des méthodes que toute trou- tuelle, implique, une^ choisie parmi la multitude des choses imaginables, modèle qu'on devine grossier, mais de toute façon préférable aux suites d'anecdotes douteuses, aux commentaires des catalogues de collections, ferait aux dates. Une que fausser cet essai. Elle telle l'intention tout érudition ne hypothétique de ne m'est pas inconnue, mais j'ai sur- tout à ne pas en parler, pour ne pas donner à con- fondre une conjecture relative à des termes fort généraux, avec lité si les débris extérieurs d'une personna- bien évanouie qu'ils nous offrent de son existence pensante, autant que jamais la la certitude celle de ne mieux connaître. Mainte erreur, gâtant les jugements qui se portent sur les oeuvres humaines, est due h un oubli singu- INTRODUCTION A LA MÉTHODE 50 lier de leur génération. -Nvent qu'elles n'ont On ne se souvient pas sou- pas toujours été. Il en est provenu une sorte de coquetterie réciproque qui lement taire — jusqu'à les bles; les hum- qu'elles soient bien que fort peu d'auteurs aient Et, courage de dire comment je crois qu'il n'y en pas risqués à savoir. le — craignons les nous allons jusqu'à redouter naturelles. généra- trop bien cacher Nous origines d'un ouvrage. fait ont formé leur œuvre, ils beaucoup plus qui Une le telle recherche se soient commence par l'abandon pénible des notions de gloire et des épithètes laudatives; elle ne supporte aucune idée de supériorité, aucune manie de grandeur. duit à découvrir la relativité tion. Elle est nécessaire produits les sous l'apparente perfec- pour ne pas croire que profondément esprits sont aussi font paraître. différents Certains sciences, par exemple, et ceux des en particulier, présentent une armature qu'on Elle con- les dirait telle que les leurs^ travaux des mathématiques limpidité de leur l'œuvre de personne. Ils ont quelque chose (Xinbumain. Cette disposition n'a pas été inefficace. Elle a si fait supposer une distance grande entre certaines études, et les arts, que les comme les sciences esprits originaires en ont été tout séparés dans l'opinion et juste autant que les DE LÉONARD DE VINCI résultats de leurs travaux semblaient 51 l'être. Ceux-ci, pourtant, ne diffèrent qu'après les variations d'un commun, fond qu'ils par ce qu'ils en conservent et ce en négligent, en formant leurs langages et leurs symboles. Il faut donc avoir quelque défiance à l'égard des livres et des expositions trop Ce qui est fixé noXis abuse, et ce qui est être regardé change fait pour d'allure, s'ennoblit. C'est mou- vantes, irrésolues, encore à que les opérations de la l'esprit servir, avant qu'on ou théorème ou chose loi, pures. merci d'un moment, vont pouvoir nous appelées divertissement les ait d'art, et qu'elles se soient ,^ éloignées, en s'achevant, de leur ressemblance. Intérieurement, il y a un,.draine. Drame, aven- tures, agitations, tous les mots de cette espèce peu- vent s'employer, pourvu qu'ils soient plusieurs et Ce drame se corrigent l'un par l'autre. plus souvent, tout comme Cependant, nous gardons et les illustres notes forcent à les les les se perd le pièces de Ménandre. manuscrits de Léonard de Pascal. Ces lambeaux nous interroger. Ils nous font deviner par quels sursauts de pensée, par quelles bizarres intro- ductions des événements et des sensations continuelles, après quelles se immenses minutes de langueur sont montrées h des hommes les ombres de INTRODUCTION A LA MÉTHODE 52 œuvres leurs ^ans futures, recourir à de si fantômes qui précédent, les grands exemples qu'ils empor- tent le danger des erreurs de l'exception, il suffit d'observer quelqu'un qui se croit seul et donne; qui recule devant une idée; qui saisit; qui nie, sourit à rien ou se contracte, et la mime s'aban- l'étrange situation de sa propre diversité. Les fous s'y livrent devant tout le monde. Voilà des exemples qui lient immédiatement des déplacements physiques, finis, comédie personnelle dont d'ici je sont des images mentales et prendre que, si l'on fait de ces images pour ne mesurables il s'évanouir lire que à la Les acteurs est aisé de com- parlais. particularité la leur succession, leur fréquence, leur périodicité, leur facilité diverse d'association, leur durée enfin, trouver des analogies dans on est vite tenté le monde de leur dit matériel, d'en rapprocher les analyses scientifiques, de leur supposer un milieu, une continuité, des propriétés de déplacement, des masses, de l'énergie. vitesses On et, de s'avise alors suite, des qu'une foule de ces systèmes sont possibles, que l'un d'eux en particulier usage, ne vaut pas plus qu'un autre, et que leur précieux, car il éclaircit toujours quelque chose, doit être à chaque instant surveillé et restitué DE LÉONARD DE VINCI 53 à son rôle purement verbal. Car l'analogie n'est pré- cisément que la faculté combiner, de faire coexister la partie la partie de ou non, la de varier images, de les les de l'une avec volontairement l'autre et d'apercevoir, de leurs structures. Et cela rend liaison indescriptible l'esprit, qui est leur lieu. Les paroles y perdent leur vertu. Là, elles se forment, elles jaillissent devant ses yeux c'est lui qui nous décrit les : mots.^ L'homme emporte sance fait la en sont ainsi des visions, dont la puis- y rapporte son histoire. Elles géométrique. De là tombent ces déci- sienne. le lien 11 sions qui étonnent, ces perspectives, ces divinations foudroyantes, ces justesses du jugement, ces illuminations, ces incompréhensibles inquiétudes, et des^ sottises. On se demande avec stupéfaction, dans certains cas extraordinaires, en invoquant des dieux abstraits, le génie, l'inspiration, mille autres, d'où viennent ces accidents. qu'il s'est créé Une fois de plus on croit quelque chose, car on adore le mys- tère et le merveilleux autant qu'ignorer les coulisses on traite la logique de rrùraele, prêt depuisjjn n£. jours — Il étaj^ peut-être sans mûr. Il m ais l'in s piré ; ét ait y avait pensé tou- s*en douter autres étaient encore à ne pas voir, il — et où les avait regardé, INTRODUCTION A LA MÉTHODE 54 combiné que et ne faisait plus Le_ secret r— celui Bonaparte, Léonard de comme dans son lire comme de celui que possède une celui esprit. fois la plus haute intelligence -r^est et ne peut être que dans trouvèrent les relations qu'ils de trouver forcés — entre des qu'ils furent dont nous choses U est certain qu'au échappe la moment décisif, ils n'avaient plus loi — de continuité. qu'à effectuer des actes définis. L'affaire suprême, celle que le monde — comme regarde, n'était plus qu'une chose simple comparer deux longueurs. Ce point de vue rend perceptible méthode qui nous occupe. Dans ce milieu, est native, élémentaire. Elle en est la vie la définition. que celui de l'unité elle même Et quand des penseurs aussi puissants auquel je songe long de ces lignes le reti- rent de cette propriété ses ressources implicites, ont le droit d'écrire dans et plus clair aisé : le Facil cosa é farsi universale! prodigieux Ils clarté finale 11 est peuvent, une minute, instrument qu'ils sont — un prodige. quittes à nier instantanément Mais cette ils un moment plus conscient de se rendre universel! admirer et ne s'éveille qu'après de longs errements, d'indispensables idolâtries. La conscience des opérations de la pensée, qui est la DE LÉONARD DE VINCI logique méconnue dont même ment, dans conceptions, des j'ai parié, n'existe les plus fortes têtes. de puissance la 55 que rare- Le nombre prolonger, les l'abondance des trouvailles sont autres choses et se produisent en dehors du jugement que l'on porte sur leur nature. Cette opinion est cependant d'une importance aisée à représenter. Une un bruit peuvent position, simultanément; on peut près qu'on voudra le une pro- imaginés presque être les faire se suivre d'aussi l'un ; fleur, quelconque de ces objets de pensée peut aussi se changer, être déformé, perdre successivement sa physionomie de l'esprit qui le tient; ce pouvoir, seule, lui — mais la initiale connaissance de confère toute sa valeur. Seule, permet de critiquer ces formations, de elle préter, au gré les inter- de n'y trouver que ce qu'elles contiennent de ne pas en étendre Avec les états et directement à ceux commence l'analyse de toutes de la réalité. les phases intellectuelles, de tout ce qu'elle va pou- voir nommer elle folie, idole, trouvaille, — auparavant nuances, qui ne se distinguaient pas autres. d'une elles Elles étaient commune faisaient irresponsables, des variations substance; elles se les unes des équivalentes comparaient, des flottaisons indéfinies et quelquefois pouvant se comme nommer, ^6 INTRODUCTION A LA MÉTHODE toutes du même système. La conscience des pen- sées que Ton a, en tant que ce sont des pensées, est de reconnaître cette sorte d'égalité ou d'homogé- de sentir que toutes néité; combinaisons de les sorte sont légitimes, naturelles, et que la méthode la consiste à les exciter, à les voir avec précision, à chercher ce qu'elles impliquent. A un point de observation cette double vie mentale, qui réduit être le rêve d'un série de ce rêve, dormeur ou de cette pensée ordinaire à la éveillé, il apparaît que la nue de combinaisons, de con- la de perceptions, qui se groupe autour d'une trastes, recherche ou qui file se développe avec indéterminée, selon le plaisir, une régularité perceptible, une continuité évidente de machine. L'idée surgit alors (ou le désir) de précipiter le cours de cette suite, d'en porter les termes à \turJimitej à celle de leurs expressions imaginables, changé. Et tuel, si ce mode laquelle après tout sera d'être conscient devient habi- on en viendra, par exemple, à examiner d'em- blée tous les résultats possibles d'un acte envisagé, tous les rapports d'un objet conçu, pour arriver de suite à s'en défaire, à la faculté de deviner toujours une chose plus intense ou plus exacte que donnée, au pouvoir de se réveiller la chose hors d'une pensée DE LÉONARD DE VINCI 57 qui durait trop. Quelle qu'elle soit, une pensée qui se fixe prend les caractères d'une dans de la le hypnose langage logique, une idole; dans construction poétique et de l'art, et devient, le domaine une infruc- tueuse monotonie. Le sens dont je parle et qui prévoir lui-même, à imaginer l'ensemble l'esprit à se de ce qui de la allait s'imaginer dans le détail, succession, ainsi résumée, est la présenté sous et avec les individus forme d'une véritable passion la une énergie singulière permet toutes et l'effet condition de toute généralité. Lui, qui dans certains s'est mène ; qui, dans les arts, avances et explique l'emploi de plus en plus fréquent de termes resserrés, de raccourcis et de contrastes violents, existe implicite- ment sous les sa forme rationnelle au fond de toutes conceptions mathématiques. C'est une opération très semblable à lui, qui, sous le ment par récurrence (1), extension, — jusqu'à sommation la d'épargner un elle s'élève à nombre de raisonne- donne à ces analyses depuis et qui, nom le infinitésimale, fait plus que indéfini d'expériences inutiles des êtres plus complexes, parce que tation consciente de leur type de l'addition mon acte est : l'imi- un nouvel acte qui (1) L'importance philosophique de ce raisonnement a Hé, pour la première fois, mise en évidence par M. Poincaré dans un article récent. 58 INTRODUCTION A LA MÉTHODE enveloppe toutes les adaptations possibles du premier. Ce tableau, drames, remous, lucidité, s'oppose de lui-même mouvements et à d'autres scènes noms de « Nature » ou de à d'autres qui tirent de nous les « Monde » dont nous ne savons et chose faire autre que nous en distinguer, pour aussitôt nous y remettre. Les philosophes ont généralement abouti à impli- quer notre existence dans cette notion, la nôtre même; mais ont à l'on sait qu'ils ne vont guère au delà, car faire de débattre ce qu'y virent leurs prédécesseurs, bien personne. Les savants et ment joui, et les dans et elle ils plus que d'y regarder en les artistes uns ont fini en ont diverse- par mesurer, puis construire; et les autres par construire avaient mesuré. Tout ce soi-même dans le qu'ils ont comme fait se s'ils replace de milieu et y prend part, le conti- nuant par de nouvelles formes données aux matériaux qui de bâtir, le constituent. Mais avant d'abstraire et on observe : la personnalité des sens, leur docilité différente, distingue et trie proposées en masse développées par celles qui l'individu. La parmi les qualités seront retenues et constatation d'abord subie, presque sans pensée, avec le est senti- DE LÉONARD DE VINCI ment de lente et 59 se laisser emplir et celui d'une circulation comme resse et qu'on heureuse : il arrive qu'on s'y inté- donne aux choses qui étaient fermées, on y ajoute, on se des points particuliers, on se les irréductibles, d'autres valeurs; plaît davantage à exprime et il se produit énergie que les déformera réfléchie sens auraient le site à restitution d'une reçue; bientôt elle son tour, y employant universel commence, templer simplement, et gner de spectacles. II il la pensée réelle, lui aussi, par con- revient toujours à s'impré- retourne aux ivresses de tant particulier et à l'émotion chose la d'une personne. L'homme y comme quand on les que donne la l'ins- moindre regarde tous deux, si bien clos par toutes leurs qualités et concentrant de toute manière tant d'effets. La plupart des gens y voient par l'intellect bien plus souvent que par les yeux. Au lieu d'espaces colorés, ils prennent connaissance de concepts. Une forme cubique, blanchâtre, en hauteur, et trouée de reflets de vitres est immédiatement une maison, pour eux la : Maison! Idée complexe, accord de qualités abs- ,-j INTRODUCTION A LA MÉTHODE 6o traites. S'ils de mouvement des se déplacent, le fenêtres, la continûment leur sensation, leur échappe, concept ne change pas. un lexique que d'après mal objets, les ils Ils beaux sites. leur rétine, connaissent ignorent Ils — car le perçoivent plutôt selon ils si approchent vaguement plaisirs et les souffrances d'y voir, qu'ils les files translation des surfaces qui défigure le reste. si les ont inventé Mais là, ils se régalent d'un concept qui fourmille de mots. (Une règle générale de cette faiblesse qui existe dans tous les domaines de la connaissance est précisément choix de lieux évidents, définis, qui facilitent, l'œuvre d'art, qui est tique.) Ces beaux le le repos en des systèmes mettent à la portée... ainsi toujours plus ou moins didac- eux-mêmes sites leur sont assez fermés. Et toutes les modulations que les petits pas, la ne du regard ménagent, lumière, l'appesantissement les atteignent pas. Ils ne font ni ne défont rien dans leurs sensations. Sachant horizontal des eaux tranquilles, est debout un au fond de éclat d'épaule, ils la le méconnaissent que vue ; si le niveau la mer bout d'un nez, deux doigts trempent au hasard dans un coup de lumière qui les isole, eux ne se font jamais à n'y voir qu'un bijou neuf, enrichissant leur vision. Ce bijou est un fragment d'une per- DE LEONARD DE VINCI sonne qui seule ils tion, le tement rien à rejettent existe, leur est nombre de fini ce qui connue. Et, manque d'une 6i comme appella- leurs impressions se trouve stric- d'avance! (i) L'usage du don contraire conduit à de véritables analyses. nature. On ne peut Ce mot, dire qu'il dans est tout à fait particulier. évoque des images personnelles, déterminant mémoire ou vent, il l'histoire grand Traité vague travail élémentaire s'oppo- sant à l'humain, d'une quantité le la d'un individu. Le plus sou- suscite la vision d'une éruption verte, et continue, d'un (i) Voir dans la qui paraît général et contenir toute possibilité d'expérience, Il s'exerce dé la ptinturt, monotone la proposition qui va CCLXXI. memoria passa riserbare tutti gli aspriti o mutationi d'alcun membre di qualunque animal si sia... E percbi ogni quantità continua i divisibitt in in/inito... » II est impossible qu'une mémoire puisse retenir tous les aspects d'aucun membre de n'importe quel animal. Démonstration géométrique par la divisibilité à l'infini d'une grandeur continue. Ce que j'ai dit de la vue s'étend aux autres sens. Je l'ai choisie parce qu'elle me paraît le plus spirituel de tous. Dans l'esprit, les images visuelles prédominent. C'est entre elles que s'exerce le plus souvent la faculté analogique. Le terme inférieur de cette faculté qui est la comparaison de deux objets peut même recevoir pour origine une erreur de jugement accompagnant une sensation peu distincte. La forme et la couleur d'un objet sont si évidemment principales qu'elles entrent dans la conception d'une qualité de cet objet se référant ï un autre sens. Si l'on parle de la dureté du fer, presque toujours l'image visuelle du fer sera produite et rarement une image auditive. « Impossibil* cbe una INTRODUCTION A LA MÉTHODE 62 nous recouvrir, de quelque chose plus forte que nous, s'enchevêtrant, se déchirant, dormant, brodant encore, et à qui, personnifiée, les poètes accordèrent de la cruauté, de tions. 11 faut la bonté donc placer et plusieurs autres inten- qui regarde et peut celui bien voir dans un coin quelconque de ce qui est. L'observateur est pris dans une sphère qui ne se brise jamais, où mouvements et il y a des différences qui seront les objets, et dont conserve close malgré que toutes renouvellent et s'y déplacent. d'abord que arrive à sentir calme^lui venant (i ) : à Nul souvenir, je puisse le concevoir que ses impressions moins du monde de Il fini trouble tant qu'il s'égale à ce ainsi, je concevrai dans un rêve. ques, le pour peu que qu'il regarde. Et rent le portions s'en L'observateur n'est est cet espace fini. il aucun pouvoir ne durant surface se la condition de cet espace la chaque instant les les celles qu'il du bien, diffè- recevrait du mal, du de ces formes toutes quelcon- où son propre corps se compte. Et voici len- (i) Sans toucher les questions physiologiques, je mentionne le cas d'un individu atteint de manie dépressive que j'ai vu dans une clinique. Ce malade, qui était dans l'état de vie ralentie, reconnaissait les objets avec une lenteur extraordinaire. Les sensations lui parvenaient au bout d'un temps considérable. Aucun besoin ne se faisait sentir en lui. Cette forme, qui prend parfois le nom de manie stupide, est excessive- ment rare. DE LÉONARD DE VINCI tement unes qui commencent de se les 6j faire oublier, de ne plus être vues qu'à peine, tandis que d'au- et tres parviennent à se faire apercevoir avaient toujours été. Une où là elles très intime confusion des changements qu'entraînent dans et la lassitude, avec — la vision sa durée, ceux dus aux mouvements or- dinaires, doit se noter. Certains endroits sur l'éten- due de cette vision s'exagèrent, malade semble plus gros et comme un membre encombre a de son corps, par l'importance que qu'on l'idée lui donne la douleur. Ces points forts paraîtront plus faciles à plus retenir, doux spectateur s'élève à à être vus. C'est la rêverie, et de là que désormais il le va pouvoir étendre à des objets de plus en plus nom- breux des caractères particuliers provenant des premiers et des mieux connus. donné en gré, Il il Il perfectionne l'espace se souvenant d'un précédent. Puis, à son arrange et défait ses impressions successives. peut apprécier d'étranges combinaisons comme un être total et solide : un groupe de il regarde fleurs ou d'hommes, une main, une joue qu'il isole, une tiiche un mur, une rencontre d'animaux mê- de clarté sur lés par hasard. Il se met sembles invisibles dont Il devine les à vouloir se figurer des en- les parties lui sont données. nappes qu'un oiseau dans son vol en- INTROPUCTION A LA MÉTHODE 64 gendre, courbe sur laquelle glisse une pierre la cée, les surfaces qui définissent nos gestes, lan- et les déchirures extraordinaires, les arabesques fluides, les chambres informes, créées dans un réseau pénétrant par tout, insectes, humain, rayure grinçante du tremblement des la le roulis des arbres, les roues, sourire le marée. Parfois, les traces de ce imaginé se laissent voir sur les sables, sur les eaux; la qu'il a parfois sa rétine elle-même peut comparer, dans le temps, à quelque objet la forme de son déplace- ment. Des formes nées du mouvement, sage vers mes, la les il y a un pas- mouvements que deviennent h l'aide d'une simple variation de goutte de pluie paraît comme une les for- durée. Si la ligne, mille vi- comme un son continu, les accidents de ce comme un plan poli et que la durée de l'im- brations papier pression s'y emploie seule, une forme stable peut se remplacer par une rapidité convenable dans le trans- fert périodique d'une chose (ou élément) bien choi- sie. Les géomètres pourront introduire vitesse dans l'étude des formes, les écarter de feront qu'une s'élève, celle comme des mouvements jetée qu'une statue s'allonge, se dresse. ; ils la pourront et les langages qu'une Et temps, le le montagne vertige de DE LÉONARD DE VINCI l'analogie, actions à la la logique de la 65 continuité transporte ces limite de leur tendance, à l'impossibilité d'un arrêt. Tout se meut de degré en degré, imaginairement. Dans cette chambre et parce que je laisse cette pensée durer seule, les objets agissent la flamme de lampe la place, la table se décrit bile, les infinie notion des corps, nœuds, la ; les routes, les on continûment. Voici ressaisir à travers circulation des contours, il pouvoir, d'oubli ordonné acquise, fin, pour se l'écheveau des vitesses, tion vite qu'elle rideaux coulent sans une complexité lée des si consume sur en est immo- fauteuil se le : comme installe la la mê- chutes, les tourbillons, faut recourir à notre grand — _et, sans détruire la no- une conception abstraite : celle des ordres de grandeur. donné l'agrandissement de dans Telle, », <\ qui est ce expire l'ivresse de ces choses particulières — desquelles il longuement, si l'on n'y a pas de science. En les regardant y pense, elles se changent; et si l'on n'y pense pas, on se prend dans une torpeur qui tient et consiste fixe comme hypnotiquement pour d'une feuille, tains hommes ciale, la un rêve tranquille, l'angle d'un s'éveiller dès qu'on ressentent, avec où l'on meuble, l'ombre les voit. Cer- une délicatesse spé- volupté de V individualité des objets. Ils pré- INTRODUCTION A LA MÉTHODE 66 fèrent avec délices, dans — d'être unique une chose, du théâtre h faculté et la fiction et les qu'on a nommée, à cette extrémité, d'identification (i). rément absurde qualité qu'elles ont toutes. Curiosité qui trouve son expression ultime dans arts cette à la Rien n'est plus délibé- description que cette témérité d'une personne se déclarant qu'elle est un objet dé- terminé objet dans le et qu'elle fût-il la en ressent matériel (2) ! les impressions — cet Rien n'est plus puissant vie Imaginative. L'objet choisi devient comme centre de cette vie, un centre d'associations de plus en plus nombreuses, suivant que cet objet est plus ou moins complexe. Au fond, peut être tive, qu'un moyen ne cette faculté d'exciter la vitalité Imagina- de transformer une énergie potentielle en ac- tuelle, jusqu'au point où tique pathologique, et elle devient une caractéris- domine affreusement la stu- pidité croissante d'une intelligence qui s'en va. Depuis le regard pur sur les choses jusqu'à ces états, l'esprit n'a fait qu'agrandir ses fonctions, créer des êtres selon pose les problèmes que toute sensation et qu'il résout plus lui ou moins aisément, suivant (1) Edgar Poë, sur Shakespeare (Marginalia). (2) Si l'on ëclaircit pourquoi l'identification à un objet matériel paraît plus absurde que celle à un objet vivant, on aura fait un pas dans la question. DE LÉONARD DE VINCI qu'il lui est duction de demandé une tels êtres. à la pratique même ou moins plus 67 forte pro- On voit que nous touchons de ici pensée. Penser consiste, la temps que nous y donnons, à errer parmi des motifs dont nous savons, avant tout, que presque tout nous les le connaissons plus ou moins bien. Les choses pourraient donc se classer d'après d'après facilité ou la notre compréhension, degré de familiarité que nous avons avec le elles, et à offrent difficulté qu'elles la selon les résistances diverses que nous op- posent leurs conditions ou leurs parties pour être imaginées ensemble. Reste à conjecturer de cette graduation de Le monde régulières. feuilles ; la est irrégulièrement Les cristaux en maints ornements de semé de dispositions sont ; stries, les fois, et du vent sur les sables et les fleurs, les de taches sur les fourrures, les ailes, les coquilles des les traces l'histoire complexité. animaux ; eaux, etc. Par- ces effets dépendent d'une sorte de perspective de groupements inconstants. L'éloignement produit ou les altère. Le temps les montre voile. Ainsi le nombre des ou les les décès, des naissances, des INTRODUCTION A LA MÉTHODE 68 crimes et des accidents présente une régularité dans sa variation, qui s'accuse d'autant plus qu'on le re- cherche dans plus d'années. Les événements surprenants et les plus asymétriques par rapport au les plus cours des instants voisins, rentrent dans un semblant d'ordre par rapport à de plus vastes périodes. On peut ajouter à ces exemples, celui des instincts, des habitudes et des moeurs, et jusqu'aux apparences de périodicité qui ont fait naître tant de systèmes de philosophie historique. La connaissance des combinaisons régulières appartient pu aux sciences diverses, s'en constituer, et, n'a pas lorsqu'il au calcul des probabilités. Notre dessein n'a besoin que de cette remarque faite dès que nous avons commencé d'en parler les : combi- naisons régulières, soit du temps, soit de l'espace, le champ de elles paraissent sont irrégulièrement distribuées dans notre investigation. Mentalement, s'opposer à une quantité de choses informes. Je pense qu'elles pourraient se qualifier les miers guides de position n'était l'esprit (i) Ce mot n'est pas un », si une telle pre- pro- immédiatement convertible. De toute façon, elles représentent d'insérer dans humain « ici la continuité {\). au sens des mathématiciens. intervalle un infini dénombrable et Une pensée^ Il un ne s'agit pas infini indé- DE LÉONARD DE VINCI comporte un changement ou un tion, par exemple), fixes par rapport à moire ou dans entre des transfert (d'atten- éléments elle et qu'elle choisit de ne pas se confondre, la la mé- la fait élémentaire travail à exercer se réduit différentielle. Ainsi une plus facile à concevoir de toutes parce qu'il n'y a pas d'effort plus petit les lignes, pour le purement ligne droite sera dans leur différence si une simple distance, au à cette notion supposés perception actuelle. Si ces éléments la sont parfaitement semblables, ou se réduit à 69 pensée que celui à exercer en passant de l'un de ses points à un autre, chacun d'eux étant sembla- blement placé par rapport à tous les autres. En d'au- tres termes, toutes ses portions sont tellement ho- mogènes, courtes qu'on les conçoive, qu'elles se si réduisent toutes à une seule, toujours c'est pourquoi l'on élevé de complexité, c'est à représenter les il la A un degré plus lieu dans le temps ou ne s'agit que de l'intuition naïve, d'objets qui de choses semblables nant, de cet ordre. et périodicité qu'on de- ou la moins éton- font penser à des lois, des lois qui parlent aux yeux. L'existence possibilité : propriétés continues, car cette périodicité, quelle ait nombrable de valeurs; même réduit toujours les dimensions des figures à des longueurs droites. mande de la est le premier fait, non le INTRODUCTION A LA MÉTHODE 70 dans chose que l'espace, n'est autre la division d'un objet de pensée, en fragments tels qu'ils puissent se remplacer l'un par — ou définies, mêmes l'autre, à de certaines conditions multiplication de cet objet sous les la conditions. Pourquoi, de tout ce qui existe, une partie seule- ment devient la figure si y a un instant où complexe, où l'événement paraît peut-elle se réduire ainsi ? neuf qu'il faut si renoncer à Il d'ensemble, à les saisir poursuivre leur traduction en valeurs continues. quel point les Euclides se sont-ils arrêtés dans telligence des formes ? de la A quel degré de final C'est d'une recherche où l'on ne peut s'em- pêcher d'être tenté par On l'in- l'interruption continuité figurée se sont-ils heurtés? un point A les doctrines de l'évolution. ne veut pas s'avouer que cette borne peut être définitive. e sûr est que toutes fondement l'aide et les spéculations ont pour pour but l'extension de la continuité à de métaphores, d'abstractions et de langages, Les arts en font un usage dont nous parlerons bientôt. ^~^l^ous arrivons à nous représenter se laissant réduire, çà et Tantôt nos sens y là, le monde comme en éléments intelligibles. suffisent, d'autres fois les plus in- DE LÉONARD DE VINCI génieuses méthodes s'y emploient, mais demeurent vides. Les tentatives le royaume de notre héros. naire de symétrie qui la 71 il reste des lacunaires. C'est a un sens extraordi- Il problème de tout. lui fait toute fissure de compréhension s'introduit la Il est Il A produc- On voit de quelle commodité comme une hypothèse physique. tion de son esprit. peut être. ici il faudrait l'inventer, mais l'homme existe; il versel peut maintenant s'imaginer. Un uni- Léonard de Vinci peut exister dans nos esprits, sans les trop éblouir, au titre d'une notion : une rêverie de son pouvoir peut ne pas se perdre trop vite dans brume de mots que à l'inconsistance de la pensée. Croirait-on même Il se fût satisfait de tels garde, cet esprit plus la de formes, un trésor toujours attitudes de la et qui grandit domaine. Une foule possibles, la Il de les selon d'êtres, vaste clair puissance toujours l'extension de son dans l'étendue du extraordinaire de choses distinctes arranger de mille manières, le constituent. est le maître des visages, des anatomies, des chines. Il sait des une foule de souvenirs force de reconnaître monde un nombre et une nature, lui- mirages? symbolique, collection imminente la et d'épithètes considérables, propices de quoi se fait un sourire; il ma- peut le INTRODUCTION A LA MÉTHODE 72 mettre sur il face d'une maison, la échevèle et aux plis des eaux, frise les filaments des feux. En bouquets formidables, les péripéties des attaques les trajectoires d'un jardin si sa ; langues les main figure combine, se décrivent qu'il de milliers de boulets écrasant les ra- velins de cités et de places, à peine construites par lui dans tous leurs détails et fortifiées. Comme riations des choses lui paraissaient dans le lentes, Il il envolée éperdue, dans time que où (i). v> Il dans des enfants, l'idée Il a le une poignée de sable égarée de chaque com- il le petit secret de une douleur et connaît les restrictions du geste la simplicité composer des suggère la leurs parties est du cada- êtres fantastiques dont l'existence devient probable, où ment qui accorde in- corps « timide et brus- des vieillards et des femmes, vre. déluge. dans leur ensemble mécani- une passion se tort est le dans l'indépendance apparente ou les sentir vie de leurs fragments, dans battant va- calme trop tempêtes, batailles, les les s'est élevé à les voir que, et à la adore si les si le raisonne- rigoureux vie et le naturel de l'ensemble. 11 qu'il fait un du déluge, etc., au Traité de dans les manuscrits de l'Institut. (Ed. Ravaisson-MoUien.) Aux manuscrits de Windsor se voient les dessins des tempêtes, bom(i) Voir la description d'une bataille, la peinture ti l)ardements, etc. DE LEONARD DE VINCI un ange, un monstre en prenant ce qui christ, est connu, ce qui est partout, dans un ordre nouveau, en profitant de l'illusion de l'abstraction de et la peinture, laquelle ne produit qu'une seule qualité des choses, et les évoque toutes. Des précipitations ou des lenteurs simulées par les chutes des terres et des pierres, des courbures aux massives poussant sur draperies les toits des multipliées; aux arborescences fumées lointaines, aux hêtres gazeux des horizons; des poissons aux oiseaux ; des étincelles solaires de minces miroirs des aux éclats mer aux de bouleau; des feuilles marchant sur la mille écailles golfes; des oreilles et les des boucles aux tourbillons figés des coquilles, va. Il passe de la coquille à l'enroulement de meur des ondes, de veines qui taires des mouvements élémen- de reptation, aux couleuvres du nageur en langes moulant iixQ dans le (i), sillage des dans les manuscrits de la fluides. colle Il vivifie. en écharpes, des muscles. alouettes en L'air, il effilo- mousseuses de bulles fuites que ces routes aériennes (i) Croquis il les efforts chures d'ombre, en il tu- peau des minces étangs à des la tiédiraient, à L'eau, autour le la la et leur l'Institut. fine respiration INTRODUCTION A LA MÉTHODE 74 doivent défaire à laisser et travers bleuâtres de l'espace, l'épaisseur du les cristal feuillets vague de l'espace. modes de reconstruit tous les édifices; tous les Il s'ajouter des matériaux les plus différents le tentent. jouit des choses distribuées dans les dimensions Il de des l'espace; dômes tendus voussures, des galeries ; des masses que retient en des et l'air des charpentes, des loges alignées ; dans des leur poids arcs; des ricochets des ponts; des profondeurs de la verdure des arbres s'éloignant dans une atmosphère où elle boit; les triangles de la structure des vols migrateurs dont aigus vers le sud montrent une combi- naison rationnelle d'êtres vivants. Il sel se joue, il s'enhardit, il traduit dans cet univer- langage tous ses sentiments avec dance de ses ressources métaphoriques Son goût de n'en pas plus léger fragment, finir le L'abon- clarté. permet. le avec ce que contient moindre éclat du monde le lui renouvelle sa force et la cohésion de son être. Sa joie finit en décorations de fêtes, mantes, et quand volant, à la il le il en inventions char- rêvera de construire un verra s'élever pour chercher de homme la neige cime des monts et revenir en épandre sur pavés de la ville tout vibrants de chaleur, l'été. les Son DE LÉONARD DE VINCI émotion s'élude en tait. de visages purs que délice une moue d'ombre, en fripe se le 75 le Sa haine connaît toutes geste d'un dieu qui les armes, toutes du ruses de l'ingénieur, toutes les subtilités tège. qu'il établit 11 stra- des engins de guerre formidables, protège par saillants, les les bastions, les caponnières, les les fossés garnis d'écluses subitement l'aspect d'un siège; et pour déformer me je souviens, en y goûtant la belle défiance italienne du xvi^ siècle, qu'il a bâti des donjons où quatre volées d'escalier, même indépendantes autour du mercenaires de leurs chefs, gages Il se les troupes de soldats à unes des autres. adore ce corps de l'homme et de mesure à tout. Il en sent rose peut venir jusqu'à tane les axe, séparaient les le surpasse vingt qui qu'un grand pla- d'un jet d'où redescend jusqu'à ses boucles; et forme rayonnante une femme hauteur, et qu'une la la lèvre; et fois, la qu'il salle possible, le feuillage emplit de sa une concavité de voûte qui s'en déduit, une place naturelle qui compte ses pas. 11 guette la chute légère du pied qui se pose, le squelette silencieux dans comcidences de la marche, tout le les chairs, les jeu superficiel de chaleur et fraîcheur frôlant les nudités, blancheur diffuse ou bronze, fondues sur un mécanisme. Et la INTRODUCTION A LA MÉTHODE 76 face, cette chose éclairante, des choses visibles, lière plus à difficile Dans éclairée, la plus particu- magnétique, plus la regarder sans y lire, le la possède. mémoire de chacun, demeurent quelques la centaines de visages avec leurs variations, vague- ment. Dans la sienne, nie à l'autre, ils étaient ordonnés et elles physionomie se suivaient d'une à l'autre; d'une iro- d'une sagesse à une moindre, d'une bonté à une divinité, yeux, points fixes dont — par symétrie. Autour des l'éclat se et se tirer jusqu'à tout dire, le change, il fait masque où jouer se con- fondent une architecture complexe et des moteurs — distincts sous l'uniforme peau. Dans . multitude la comme une des : il ne semble pas, part des autres, devoir se une nation, à même Le nombre et art. celui-ci paraît de ces combinaisons régulières dont nous avons parlé j esprits, une lier, tradition, à la comme la plu- pour être compris, à un groupe exerçant communication de le ses actes en font un objet symétrique, une sorte de sys- tème complet en lui-même, ou qui se rend tel inces- l_samment. Il est fait pour désespérer l'homme moderne qui est détourné dès l'adolescence, dans une spécialité où l'on croit qu'il doit devenir supérieur parce DE LEONARD DE VINCI qu'il y est enfermé méthodes, on invoque : la 77 variété des quantité des détails, l'addition conti- la nuelle de faits et de théories, pour n'aboutir qu'à confondre l'observateur patient, culeux de ce qui — sans mérite si ce le comptable méti- l'individu qui est, mot a un sens ! se réduit, non — aux habitudes minutieuses d'un instrument, avec celui pour qui ce de l'hypothèse, l'édificateur travail est fait, le poète Au de matériaux analytiques. la direction monotone, la premier, patience, la spécialité et tout le temps. L'absence de pensée est sa qualité. Mais Tautre^doit circuler au travers des séparations et des cloisonne- ments. Son rôle est de suggérer états ici les enfreindre. une analogie de la spécialité avec ces de stupéfaction dus à une sensation prolongée, auxquels j'ai fait allusion. Mais, le meilleur est que, neuf fois sur dix, toute dans un ordre et Je voudrais est argument grande nouveauté obtenue par l'intrusion de moyens, de notions qui n'y étaient pas prévus d'attribuer ces progrès h la ; venant formation d'images, puis de langages, nous ne pouvons éluder cette consé- quence que par un la homme, quantité de ces langages possédée influe singulièrement sur le nombre des chances qu'il peut avoir d'en trouver de nouveaux. 11 serait facile de montrer que tous les esprits 78 INTRODUCTION A LA MÉTHODE qui ont servi chercheurs et de substance d'ergoteurs, nourri, pendant des siècles, manie humaine de universels. Les faire noms des générations de à et dont les restes ont l'opinion humaine, la écho, ont été plus ou moins d'Aristote, Descartes, Leibniz, Kant, Diderot, suffisent à l'établir. Nous touchons maintenant aux joies de la construciion. Nous tenterons de justifier par quelques exemples les précédentes vues, et de montrer, dans son application, d'un jeu général de vît seraient la nécessité pensée. Je voudrais que l'on la avec quelle difficulté j'effleurerai presque la possibilité et les résultats particuliers que des concepts en obtenus, si apparence étrangers ne s'y employaient en nombre. Celui que n'a jamais le saisi — fût-ce en rêve dessein d'une entreprise qu'il est le finie quand voient qu'elle commence, et qui n'a pas connu l'enthousiasme brûlant une minute de même, le — maître d'aban- donner, l'aventure d'une construction les autres ! poison de la conception, le lui- scrupule, la froideur des objections intérieures et cette lutte des pensées alternatives où la plus forte et la plus uni- DE LÉONARD DE VINCI même dans par de la le triompher devrait verselle la nouveauté, — de l'habitude, celui qui n'a pas regardé blancheur de son papier une image troublée possible, par et le qui ne seront pas choisis, une bâtisse qui n'y hanté même 79 le regret de tous les signes — est pas, ni — vu dans celui l'air limpide que n'ont pas vertige de Téloignement d'un but, l'inquié- tude des moyens, désespoirs, le la prévision des lenteurs et des calcul des phases progressives, le rai- sonnement projeté sur l'avenir, même y désignant ce qu'il ne faudra pas raisonner alors, celui-là ne connaît pas davantage, quel que soit d'ailleurs son savoir, la richesse et la ressource et l'étendue spirituelle qu'illumine le fait conscient les dieux ont reçu de l'esprit de construire. Et humain le don de créer, parce que cet esprit étant périodique et abstrait, peut agrandir ce qu'il conçoit jusqu'à ce qu'il ne le con- çoive plus. Construire existe entre un projet ou une vision déterminée, et substitue matériaux que l'on a choisis. un ordre à un autre qui que soient pierres, les les On est initial, quels objets qu'on ordonne, .Ce sont des des couleurs, des mots, des concepts, des hommes, etc., leur nature particulière ne change pas les conditions générales de cette sorte de mu- INTRODUCTION A LA MÉTHODE 8o sique où si l'on ne joue encore que elle poursuit la métaphore. rôle le du timbre, L'étonnant est de ressentir parfois l'impression de justesse et de con- sistance dans constructions humaines les — faites de l'agglomération d'objets apparemment irréductibles — comme tout, lorsqu'on celui qui les a disposées leur eût si connu de secrètes affinités. s'aperçoit mense majorité des lui-même le Mais Tétonnement dépasse que l'auteur, cas, est incapable compte des chemins détenteur d'un pouvoir dont il dans l'im- de se rendre suivis et qu'il est ignore les ressorts. ne peut jamais prétendre d'avance à Il un succès. Par quels calculs les parties d'un édifice, les éléments d'un drame, ils les à se pouvoir composantes d'une comparer entre eux? Par quelle d'analyses obscures elle victoire, arrivent- la série production d'une œuvre est- amenée? En pour est d'usage de se référer à l'instinct mais ce qu'est l'instinct n'est pas trop pareil cas, éclaircir, éclairci il lui-même, et, d'ailleurs, il faudrait ici avoir recours à des instincts rigoureusement exceptionnels et personnels, c'est-à-dire à la notion contradictoire d'une « habitude héréditaire » qui ne serait pas plus habituelle qu'elle n'est héréditaire. Construire, dès que cet effort aboutit à quelque DE LEONARD DE VINCI compréhensible résultat, commune mesure ment ou un doit 8i songer à faire une des termes mis en œuvre, un élé- principe que suppose déjà de prendre conscience et le fait simple qui peut n'avoir d'autre existence qu'une abstraite ou imaginaire. pouvons nous représenter un tout fait Nous ne de change- ments, un tableau, un édifice de qualités multiples, que comme ou loij nous au des modalités d'une seule matière lieu dont la même continuité cachée est affirmée par instant que nous reconnaissons pour un ensemble, pour domaine tigation, cet édifice. chique de de notre inves- limité Voici encore ce postulat psy- continuité qui connaissance au principe de ressemble l'inertie dans dans la notre méca- nique. Seules, les combinaisons purement abstraites, purement différentielles, telles peuvent se construire à remarquons les autres que les l'aide d'unités qu'elles sont dans le même numériques, déterminées; rapport avec constructions possibles que les portions régulières dans le monde avec celles qui ne le sont pas. Il les y a dans l'art modes, toutes un mot qui peut en nommer tous les fantaisies et qui supprime d'un INTRODUCTION A LA MÉTHODE 82 coup toutes prétendues difficultés tenant à son les opposition ou à son rapprochement avec cette nature, jamais définie, et pour cause : c'est ornement. Qu'on veuille bien se rappeler successivement les de courbes, les plus antiques objets et de temples; stries des anciens; gothiques; laque et le connus, les profils les carreaux, les spires, les cristallisations les voluptueux des Arabes; tries groupes coïncidences de divisions couvrant les les les ondes, et de vases oves, les murs les ossatures et les symé- les feux, les fleurs sur la bronze japonais; et dans chacune de ces époques, l'introduction des similitudes des plantes, des bêtes et hommes, des ces ressemblances évoque le : la perfectionnement de le peinture, la sculpture. langage et sa mélodie primitive, ration des paroles et de la Qu'on sépa- la musique, l'arborescence de chacune, l'invention des verbes, de l'écriture, la complexité figurée des phrases devenant possible, curieuse des mots l'intervention si d'autre part, le système des sons s'assouplissant, s'étendant de la voix aux résonances des matériaux, s'approfondissant par l'usage des timbres. lèle l'harmonie, se variant Enfin qu'on aperçoive progrès des formations de sortes abstraits; la le par paral- pensée à travers d'onomatopées psychiques et, primitives, les les DE LEONARD DE VINCI symétries et les contrastes élémentaires, idées de substance, les métaphores, les de 83 puis les bégayements logique, les formalismes et les entités, les êtres la métaphysiques... Toute sous cette multiforme peut s'apprécier vitalité rapport ornemental. Les manifestations énu- le mérées peuvent se considérer finies comme d'espace ou de temps contenant diverses variaqui sont parfois tions, connus, mais dont la naire sont négligés, des objets L'effet est le l'efifet. ainsi le caractère un public, à et signification et l'usage ordi- De cet ordre dépend but ornemental, et l'œuvre prend d'un mécanisme à impressionner faire surgir les émotions et se répondre images. De est caractérisés pour que n'en subsistent que l'ordre et les réactions mutuelles. les des portions ce point de vue, aux la arts particuliers ce aux autres sciences. De conception ornementale que même la mathématique que les est notions phy- siques de temps, longueur, densité, masse, etc.. ne sont dans les calculs que des quantités homogènes et ne retrouvent leur individualité que dans prétation des résultats, et de ordonnés en vue d'un la de même effet sont l'inter- les objets choisis comme détachés plupart de leurs propriétés et ne les reprennent INTRODUCTION A LA MÉTHODE 84 que dans cet effet, donc C'est spectateur. dans l'esprit non prévenu du que une abstraction par l'œuvre d'art peut se construire, et cette abstraction est plus ou moins énergique, plus ou moins facile à définir, selon que les éléments empruntés à en sont des portions plus ou la réalité moins complexes. Inversement, c'est par une sorte d'induction, par la production d'images mentales que toute œuvre d'art et cette production doit être également ou moins énergique, plus ou moins fatigante selon qu'un simple entrelacs sur un vase ou une ptus phrase brisée de Pascal la sollicite. Le peintre dispose sur un plan des pâtes colorées dont lignes les de séparation, fusions et les heurts doivent les épaisseurs, lui servir les à s'exprimer. Le spectateur n'y voit qu'une image plus ou moins fidèle de chairs, de gestes, de paysages, comme par quelque fenêtre du mur du musée. Le tableau se juge dans de la l,e même laideur de la esprit que figure, d'autres en reux; certains se livrent à verbeuse ; la réalité. la On se plaint tombent amou- psychologie quelques-uns ne regardent que les qui leur paraissent toujours inachevées. Le la plus mains fait est DE LÉONARD DE VINCI que, par une insensible exigence, 85 tableau doit le reproduire les conditions physiques et naturelles de notre milieu. La pesanteur s'y exerce, propage comme ici ; et, la lumière s'y graduellement, se placèrent au premier rang des connaissances picturales tomie et la perspective méthode : série cependant que je crois la plus sûre pour juger une peinture, c'est la de n'y rien reconnaître d'abord la l'ana- de et faire pas à pas que nécessite une présence d'inductions simultanée de taches colorées sur un pour s'élever de métaphores en champ limité, métaphores, de suppositions en suppositions à l'intelligence du sujet — parfois à la simple conscience du plaisir eu d'avance. n'a pas toujours donner un plus amusant Je ne pense pas pouvoir exemple des dispositions générales peinture que Joconde de la la auquel l'épithète de mystérieux semble », fixée. tune de susciter dans toutes ou à l'égard de ce « sourire de célébrité la irrévocablement tions » — qu'on \< la Ce pli de visage a eu phraséologie, les littératures, Impressions » les d'art. que légitiment, de « Sensa- titres Il la for- est enseveli sous l'amas des vocables et disparaît parmi tant de para- graphes qui commencent finissent à une à le déclarer description d'âme troublant et généralement INTRODUCTION A LA MÉTHODE 86 vague. Ce moins cependant des études mériterait Il enivrantes. n'est pas d'imprécises observations de signes arbitraires que se servait Léonard. La*"*^ et Joconde n'eût jamais été faite. Une sagacité perpé- •^b—' tuelle le guidait. Au fond de la Cène, qui s'ouvre derrière Jésus, milieu, du y a trois fenêtres. Celle il distinguée est des autres par une corniche en arc de cercle. Si l'on prolonge cette courbe, on obtient une circonférence dont le centre est sur lignes de trie la fresque aboutissent à ce point de l'ensemble est longue ligne de y en a un, la est celui-là, je crains, n'est de telles peut être pas dans la symé- comment nous et éclairci. peinture, néanmoins, les la s'il combinaisons; nous choisirons l'exemple saisissant communication entre la d'agape. Le mystère, de savoir celui ; à ce centre et à relative table jugeons mystérieuses Ce Christ. Toutes les grandes le qu'il faut que de diverses activités de la la pensée. La foule des suggestions émanant du besoin de diversifier et de peupler une surface, la ressem- blance des premières tentatives de cet ordre avec certaines ordinations naturelles, sensibilité rétinienne seront d'entraîner le ici l'évolution délaissées, de la de crainte lecteur vers des spéculations bien trop / DE LÉONARD DE VINCI arides. Un plus vaste art celui-ci, servira mieux nos et employé j'ai pour désigner plus fortement l'intervention humaine dans pour donner à vers rielle logique la — ce sujet, lecteur une une direction suggestion mot prend maintenant monument presque toute la compose (qui civilisation) est à dessein problème de le sa restreinte. L'architecture devient notre Le de choses du monde, les du l'esprit du l'ancêtre intentions. Le mot de construction que — comme et 87 la maté- signification exemple. Cité, laquelle est un être si complexe que notre connaissance y épèle successivement un décor faisant partie du ciel et changeant, puis une richissime texture de motifs selon hauteur, largeur et profondeur, infiniment variés par les perspectives puis une chose solide, caractères d'animal : résistante, une subordination, une brure, et, finalement, une est l'agent, qui conduit ; hardie, avec des machine dont la mem- pesanteur de notions géométriques à des considérations dynamiques et jusqu'aux spéculations les plus ténues de la physique moléculaire INTRODUCTION A LA MÉTHODE 88 dont il tatifs des structures. C'est à travers suggère les théories, modèles représen- les le monument, ou plutôt parmi ses échafaudages imaginaires faits — son pour accorder ses conditions entre elles appropriation avec sa stabilité, ses proportions avec forme avec sa matière sa situation, sa harmoniser chacune de même, libres conditions ces le mieux l'édifice, conduit jusqu'à la le que ; le soleil l'opportunité de le formes de et des voussures du vent qui la l'arc, du les obsé- lumière libre sur les encagée dans touche aux planchers. faix une à à sentir les efforts contrariés corniches, et diffuse, vera et jugera fera le paraîtra à suivre le poids des les vibrations à prévoir les les l'homme qui long des murs fondation des charpentes, salles elle- une d'une clarté la s'en rapprochera, fenêtre, et ce qu'il apercevra; tuiles, avec peut se jouer à con- Elle cevoir les sensations futures de tour de ; pour ses trois dimensions entre elles, intelligence léonardienne. dera et ses millions d'aspects entre eux, ses équi- entre eux, que nous recomposons faîtes — Elle les éprou- linteau sur les supports, les difficultés des voûtes, les cascades d'escaliers vomis de leurs perrons, et toute l'invention qui ornée, se termine en défendue, mouillée de une masse durable, vitres, faite pour DE LÉONARD DE VINCI nos vies, pour contenir nos paroles 89 et d'où fuient nos fumées. Communément, l'architecture méconnue. est L'opinion qu'on en a varie du décor de théâtre à la maison de rapport. Je prie qu'on se rapporte à la la Cité pour en apprécier la généralité, et notion de qu'on veuille bien, pour en connaître le charme com- plexe, se rappeler l'infinité de ses aspects bilité d'un édifice est l'exception déplacer jusqu'à le mouvoir ; : l'immo- le plaisir est de se de toutes et à jouir les combinaisons que donnent ses membres, qui varient des : la colonne tourne, galeries monument, les mille glissent, profondeurs dérivent, visions s'évadent du mille accords. (Maint projet d'une église, jamais réalisée, se rencontre dans les manuscrits de Léonard. généralement un Saint-Pierre de On y devine Rome, que regretter celui de Michel-Ange. Léonard, à la fin la fait de période ogivale et au milieu de l'exhumation des antiques, retrouve, entre ces deux types, dessein des Byzantins des coupoles, les ; l'élévation d'une le grand coupole sur gonflements superposés de dômes foisonnant autour du plus haut, mais avec une hardiesse et une pure ornementation que les architectes de Justinien n'ont jamais connues.) INTRODUCTION A LA MÉTHODE 90 L'être de pierre existe dans l'espace appelle espace est relatif à fices qu'on voudra; conception de la qu'on ce : tels édi- l'édifice architectural interprète l'espace et conduit à des hypothèses sur sa nature, d'une manière toute particulière, car un est à la fois il équilibre de matériaux par rapport à un ensemble statique tation, la gravi- dans chacun visible et, de ces matériaux, un autre équilibre, moléculaire et mal connu. Celui qui compose un monument se représente d'abord pesanteur et pénètre aussitôt la après dans l'obscur royaume atomique. au problème de naisons la doivent structure : s'imaginer 11 se heurte savoir quelles combi- pour satisfaire aux conditions de résistance, d'élasticité, etc., s'exerçant dans un espace donné. ment logique de maine la architectural, praticiens, l'on passe On voit quel est l'élargisse- question, et si comment, du do- généralement abandonné aux aux plus profondes théories de physique générale et de mécanique. Grâce à la docilité de l'imagination, les propriétés d'un édifice et celles intimes d'une substance quel- conque s'éclairent mutuellement. L'espace, dès que nous voulons nous vide, le figurer, cesse aussitôt d'être se remplit d'une foule de constructions arbi- traires et peut, dans tous les cas, se remplacer par DE LÉONARD DE VINCI la 91 juxtaposition de figures qu'on sait rendre aussi Un petites qu'il est nécessaire. qu'on pourra nellement si complexe concevoir, multiplié et proportion- le rapetissé, milieu dont édifice, les représentera propriétés d'un l'élément dépendront de de cet élément. Nous nous trouvons celles ainsi pris et nous déplaçant dans une quantité de structures. Qu'on remarque autour de de quelles façons soi dif- férentes l'espace est occupé, c'est-à-dire formé, con- cevable, et qu'on fasse un effort vers les conditions qu'impliquent, pour être perçues, avec leurs qualités particulières, les choses diverses, une un étoffe, minéral, un liquide, une fumée, on ne s'en donnera une idée nette qu'en grossissant une particule de ces textures et en y intercalant un édifice tel que sa simple multiplication reproduise une structure ayant les mêmes l'aide que propriétés de ces conceptions, sans discontinuité à travers ment si distincts construction la de celle nous pouvons les l'artiste plus poétique et A considérée... circuler domaines apparemet du savant, de même la la plus fantas- tique jusqu'à celle tangible et pondérable. Les pro- blèmes de la composition problèmes de l'analyse; sont et c'est réciproques des une conquête/)s>r/ba- logique de notre temps que l'abandon de concepts INTRODUCTION A LA METHODE 92 trop simples au sujet de non moins que de ries la substantialistes la constitution de la matière, formation des idées. Les rêve- que autant dogmatiques disparaissent, explications les science de former et la des hypothèses, des noms, des modèles, se libère des théories préconçues de et de l'idole sim- la plicité. Je viens d'indiquer, avec le lec- me saura gré ou m'excusera, une me paraît considérable. Je ne saurais teur différent évolution qui mieux une brièveté dont de l'exemplifier qu'en prenant dans les écrits Léonard lui-même une phrase dont on chaque terme qu'elle soit s'est compliqué dirait que et purifié jusqu'à ce devenue une notion fondamentale de connaissance moderne du monde : « la L'air, dit-il, est rempli d'infinies lignes droites et rayonnantes, entrecroisées et tissues sans que l'une le parcours d'une autre, et chaque objet la explication). » vraie Laria emprunte jamais elles représentent pour forme de leur raison (de leur c piena d'infinité Unie rette e radiose insieme intersegate e intessute san^a ocbupatione liina dellaltra rapresantano aqualuncbe obietto laurea forma delta lor cbagione (Man. A, phrase paraît contenir le fol. 2). premier germe de des ondulations lumineuses, surtout si la on Cette théorie la rap- DE LÉONARD DE VINCI proche de quelques autres sur donne Elle du l'image le 93 mêine squelette sujet (i). système d'un d'ondes dont toutes ces lignes seraient les directions de propagation. Mais je ne tiens guère à ces sortes de prophéties scientifiques, toujours suspectes trop ; de gens pensent que Du reste, pements logiques dons ici les anciens avaient tout inventé. une théorie ne vaut que par ses dévelopet expérimentaux. Nous ne possé- que quelques affirmations dont l'observation intuitive est ondes de l'eau et du son. des rayons, L'intérêt de l'origine celles la citation des est dans sa forme, qui nous donne une clarté authentique sur une méthode, le long de cette étude. encore le la Ici, même dont j'ai parlé tout l'explication ne revêt pas caractère d'une mesure. Elle ne consiste que dans l'émission d'une image, d'une mentale concrète entre des phénomènes, pour être rigoureux, — entre les mènes. Léonard semble avoir eu cette sorte d'expérimentation relation — disons, images des phénola conscience de psychique, et il me paraît que, pendant trois siècles après sa mort, cette méthode n'a reconnue par personne, tout été le (1) Voir le manuscrit A, Siccome la pi*tra gittala n/ll' acqua...,ttc.; voir aussi la curieuse et par G. LtBRi, et vivante Histoirt dis Scituces matbématiqufs, V Essai sur Us ouvrages mathématiques de Léonard, par J.-B. Venturi. Paris, an V (1797). INTRODUCTION A LA MÉTHODE 94 servant, — — également, peut-être — que fameuse monde nécessairement. Je s'en est-ce beaucoup s'avancer et séculaire question la du vide peut se rattacher à la du . ! plein et conscience ou à conscience de cette logique imaginative à distance est crois Une l'in- action une chose inimaginable. C'est par une abstraction que nous Dans notre déterminons. la une abstraction seule poicst facere saltiis. Newton lui-même, qui a donné leur forme analyesprit, tique aux actions à distance, connaissait leur insuffisance explicative. Mais retrouver dans Léonard. Après des la il était réservé à méthode de glorieux travaux mathématiques science physique les Lagrange, des d'Alembert, Ampère et Faraday de de bien d'autres, il la des Laplace, apporta des concep- tions d'une hardiesse admirable, qui ne furent ralement que le des litté- prolongement, par son imagination, des phénomènes observés; et son imagination était remarquablement lucide « que ses idées pouvaient si s'exprimer sous se comparer à la forme mathématique ordinaire celle et des mathématiciens de profes- sion (i) ». Les combinaisons régulières que forme la autour des pôles de l'aimant furent, dans limaille (i) Clerk Maxwell, préface au Traité trad. Seligmann-Lui. d'ilectriciti et de magnètismt, DE LÉONARD DE VINCI son esprit, modèles de les 95 transmission des an^ la ciennes actions à distance. Lui aussi voyait des sys- tèmes de lignes unissant tous tout l'espace, pour expliquer les même triques et nous les résistance de mais ; comme ici compréhension mathématicien, ticiens gravitation la apprécions ne il remplissant les corps, ! phénomènes ces lignes de force, de celles la Faraday différait que par l'expression de élec- moindre n'était pas des mathéma- sa pensée, par l'ab- sence des symboles de l'analyse. « Faraday voyait, par les yeux de son esprit, des lignes de force traver- où sant tout l'espace mathématiciens voyaient les des centres de force s'attirant à distance; voyait un où milieu tance (i) ». Une J. Maxwell mathématique ne voyaient que ils la dis- nouvelle période s'ouvrit pour science physique à Clerk Faraday la suite de Faraday; dans le langage de son maître, les imagina- eut les idées la quand et traduit tions scientifiques s'emplirent de telles visions domi- nantes. L'étude du milieu des actions électriques et léculaires, demeure physique moderne. lieu formé, siège des relations intermo- principale occupation La précision de la de plus en plus Maxwell, préface au Traité d'iUctriciti Seligmann-Lui. (1) Cl£RK trad. la qu'il avait et dt maptitiimt, INTRODUCTION A LA MÉTHODE 96 grande demandée l'énergie, appeler à manie cinétique, ont la modes de des figuration la volonté de voir, et ce qu'on pourrait la apparaître des fait constructions hypothétiques d'un intérêt logique et psychologique immense. Pour lord Kelvin, par exemple, besoin d'exprimer le une naturelles par liaison les plus subtiles actions mentale, poussée jusqu'à pouvoir se réaliser matériellement, est explication lui mécanique. Un tel esprit un modèle substitue à l'atome inerte, démodé de Boscovitch et des physidu commencement de ce siècle, un mécanisme ponctuel, ciens que toute vif si paraît devoir aboutir h et déjà extraordinairement complexe, pris dans de l'éther, trame la qui devient lui-même une construction assez perfectionnée pour satisfaire aux très diverses conditions qu'elle doit remplir. Cet esprit ne effort pour passer de l'architecture de pierre ou de dans les fer; il cristalline à celle symétries des trabes et des entretoises, offrent à la tels les gypses et compression, au clivage, remment, au tion des aucun retrouve dans nos viaducs, symétries de résistance que De fait trajet — les ou, diffé- de l'onde lumineuse. hommes nous paraissent avoir eu l'intui- méthodes que nous avons indiquées nous permettons les quartz même ; nous d'étendre ces méthodes au DE LÉONARD DE VINCI delà de la science physique: nous croyons qu'il ne absurde serait ni 97 se créer un ni tout à modèle de impossible de vouloir fait continuité des opérations la d'un Léonard de Vinci ou de tout intellectuelles autre esprit déterminé par l'analyse des conditions à remplir... Les artistes et feuilleté ceci les dans amoureux d'art qui auraient l'espoir d'y retrouver quelques- unes des impressions obtenues au Louvre, à Florence ou à Milan, devront présente. Néanmoins, je me pardonner la déception ne crois pas m'être trop éloigné de leur occupation favorite, malgré l'appa- au contraire, avoir effleuré rence. Je pense, blème, capital étonnerai, pour eux, de le pro- composition. J'en sans doute, plusieurs en disant que de telles difficultés relatives à abordées la l'effet et résolues ù l'aide sont généralement de notions et de mots extraordinairements obscurs et entraînant mille embarras. Plus d'un définition passe du beau, de son la vie temps à changer sa ou du mystère. Dix INTRODUCTION A LA MÉTHODE 98 minutes de simple attention pour suffire . . <y» justice faire soi-même doivent à de ces idola specus et pour reconnaître l'inconsistance de l'accouplement d'un nom abstrait, toujours vide, à une vision tou- jours personnelle et rigoureusement personnelle. même, sur la De plupart des désespoirs d'artistes se fondent ou l'impossibilité leur art une image qui la difficulté moyens de de rendre par leur semble se dé- colorer et se faner en la captant dans sur une toile ou sur une les une phrase, portée. Quelques autres mi- nutes de conscience peuvent se dépenser à constater de vouloir produire dans qu'il est illusoire d'autrui les fantaisies même du Ce projet est Ce qu'on appelle une sien propre. à peu près inintelligible. un véritable problème de rendement réalisation est dans lequel n'entre à aucun degré la clef que chaque auteur attribue mais seulement du public. la le sens particulier, à ses matériaux, nature de ces matériaux et l'esprit Edgar Poe qui troublé, l'éclair même de fut, la dans ce siècle littéraire confusion et de l'orage poétique et de qui l'analyse s'achève parfois, celle l'esprit comme de Léonard, en sourires mystérieux, a clairement sur la effets, l'attaque psychologie, sur la établi probabilité des de son lecteur. De ce point de vue, tout déplacement d'éléments fait pour être aperçu et DE LÉONARD DE VINCI jugé dépend de quelques lois 99 générales et d'une ap- propriation particulière, définie d'avance pour une catégorie prévue d'esprits auxquels cialement ; et l'œuvre d'art devient tinée à exciter et à combiner les il s'adressent spé- une machine desformations indivi- duelles de ces esprits. Je devine l'indignation qu'une telle suggestion, tout à fait éloignée du sublime peut susciter; mais l'indignation elle-même naire, une bonne preuve de ce que j'avance sera d'ailleurs, je vois que, que ceci soit en rien une œuvre — sans, d'art. Léonard de Vinci approfondir cette mécani- qu'il appelait même le paradis des sciences, avec la puissance naturelle qu'il s'adonnait à l'inven- tion de visages purs et fumeux. Et la même étendue lumineuse avec ses dociles êtres possibles est de ces actions qui se ralentirent en œuvres dernière page du mince cahier, tout la préférée, l'aviation, : à la mangé de son écriture secrète et des calculs aventureux recherche le lieu distinctes. Lui n'y trouvait pas des passions différentes sa ordi- il où tâtonne s'écrie, — foudroyant son labeur imparfait, illuminant sa pa- INTRODUCTION A LA METHODE loo tience et les obstacles par l'apparition d'une vue spirituelle, obstinée certitude : suprême Le grand oiseau prendra son premier vol monté sur un grand cygne; et remplissant l'univers de stupeur, remplissant de sa gloire toutes les écritures, louange éternelle au nid où naquit il !» — « Piglierà il primo volo il grande uccello sopra del dosso del suo magnio cecero e empiendo l'universo di stupore, empiendo di sue fama tuttc le scritture e nacqiie. » grogria eterna al nido dove IMPRIME PAR JULIEN CREMIEU RUE PIERRE-DUPONT 13 ET A SURESNES (SEINE) 15, ND 623 L5V335 1919 Valéry, Paul Introduction à la méthode de Léonard de Vinci 2. éd. PLEASE CARDS OR DO NOT REMOVE SLIPS UNIVERSITY FROM THIS OF TORONTO POCKET LIBRARY / i