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Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 1/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 2/223 Éditions du Moment 15, rue Condorcet 75009 Paris www.editionsdumoment.com Tous les droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tout pays. © Éditions du Moment, 2016 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 3/223 Revenge Porn Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 4/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 5/223 Nathalie Koah Revenge Porn Foot, sexe, argent : letémoignagedel'ex deSamuel Eto'o ÉDITIONSDU MOMENT Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 6/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 7/223 I MAILLOT JAUNE Messix ans et quelques mois d’amours clandestines avec Samuel Eto’o m’ont ouvert les portes d’une vie de confort et de luxe. Voyages en jets, suites présidentielles, shopping illimité… On pourra me juger futile, vénale ou cupide. Mais ces temps de faste n’effaceront pas une enfance de dénuement. Je suis née au Cameroun, en 1987 à la clinique Sende de Yaoundé. Jusqu’à mes trois ans, j’ai vécu à Kribi, une ville côtière du Sud du pays aux plages paradisiaques, avant de revenir dans la capitale. Ma mère, Marie-Jeanne, était femme au foyer et mon père, Félix, homme d’affaires. Je suis l’aînée de leurs quatre enfants. Mon père était un Bassa, une ethnie bantoue originaire d’Égypte ancienne, où les croyances en la sorcellerie et les forces occultes restent très fortes. Nous étions une famille modeste, comme le Cameroun en connaît des centaines de milliers. Mais chez nous, ce statut ne revêt pas la même réalité qu’en France: nous avions un toit, et de quoi manger à notre faim. Rien 7 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 8/223 RevengePorn de plus. Nous ne pouvions prétendre ni aux loisirs ni aux vacances. Pas de quoi me plaindre. En Afrique, la subsistancen’est paslepoint dedépart d’unevieheureuse. Elleen est souvent l’accomplissement. J’étais une enfant timide, réservée, et une très bonne élève. À l’école élémentaire, j’enchaînais félicitations et tableaux d’honneur. Le week-end, mes parents me confiaient à ma marraine, Hélène, qui vivait dans la banlieue de Yaoundé. C’était une très belle femme, indépendante, dotée d’une personnalité forte. Un soir, alors quejedormaischez elle, j’ai étéréveilléepar desbruitsdans la maison. C’était la police. L’ex-compagnon d’Hélène, un homme jaloux qu’elle venait de quitter, l’avait tuée par balle dans son sommeil. Au Cameroun, l’indépendance et la liberté d’esprit peuvent coûter la vie aux femmes. Ce premier traumatisme n’en est pas vraiment un, car je n’ai gardéquepeu desouvenirsdema marraineet decettenuit tragique. Mais je crois avoir hérité d’une bonne partie de son caractère. Et desennuisqui vont avec. Je n’ai jamais vraiment su dans quelles affaires baignait mon père. Je sais simplement qu’il avait des activités liées aux marchés publics. Alors que je venais de fêter mes cinq ans, il a été arrêté par la police et placé en détention. Il est resté en prison pendant un an. Aujourd’hui encore, j’ignorelanatureprécisedecequ’on lui areproché. Du jour 8 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 9/223 Maillot jaune au lendemain, nous n’avions plus assez d’argent pour nous loger. Nous sommes partis vivre chez ma grand-mère à Obala, un village situé à une cinquantaine de kilomètres de Yaoundé. Ce déménagement forcé et les mois qui ont suivi constituent une période sombre de mon enfance. Ma timidité s’est transformée en une solitude noire. Je m’enfermais desheuresdurant danslachambredemagrand-mère. Jeme souviens des remontrances de ma mère après qu’elle m’a surprise en train de déchirer des draps avec un couteau. J’avais en moi une colère que personne ne s’expliquait, et que je n’arrivais pas à extérioriser autrement que par la violence. Un an plus tard, mon père est sorti de prison. Il n’avait plus de travail. Nous sommes allés vivre chez un ami de mes parents dans une grande maison d’Efoulan, un quartier pavillonnaire plutôt chic de la capitale. Vivre au milieu d’une famille de nouveau réunie a vite fait d’apaiser mesangoissesnaissantes. Malgré ses efforts, mon père n’a pas tout de suite réussi à retrouver un emploi stable. Son oisiveté a fini par le rendre susceptible et colérique envers ma mère. Leurs disputes se faisaient chaque jour plus intenses. Mes frères et moi étions épargnés par les cris, mais nous en étions les témoins horrifiés. De mon côté, mon statut de sœ ur aînée m’a rapidement transformée en garçon manqué. D’élève studieuse et réservée, je suis devenue une redoutable 9 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 10/223 RevengePorn bagarreuse de cour d’école, surtout si l’honneur de mes petits frères était en jeu. Je ne supportais pas qu’on leur fasse du mal. Je crois qu’au fond je craignais de les perdre. La mort de ma marraine et l’incarcération de mon père m’ont insufflé une peur panique de l’abandon, qui perdure aujourd’hui. En rentrant de l’école, la teigne de récré que j’étais se transformait en agneau. Je me souviens de ces après-midi entières passées à aider ma mère à cuisiner, ou à enlever les peaux mortes des pieds de mon père après sa sieste. Je jouais à la dînette comme à la carabine avec mes frères, que jedéguisais en fillesà l’occasion pour compenser ma frustration de ne pas avoir de petite sœ ur. Ces instants de complicité familiale restent parmi les plus beaux souvenirsdemon enfance. Ces temps heureux n’ont pas duré. À la fin de l’année 1996, alors que mon père commençait à retrouver une activité stable dans la construction de routes, mes parents ont organisé un dîner réunissant l’ensemble de ma famille paternelle. Les nombreux frères de mon père étaient naturellement invités, bien que ma mère n’ait pas vu leur présence d’un très bon œ il. Mes oncles ont toujours vivoté, et mêmesi mon pèren’était pasCrésus, il était jalousé. Mon oncle Michel était le plus envieux, doublé d’un alcoolique notoire. Au début du dîner, mais déjà ivre, il s’est mis en tête de porter un toast. Après les remerciements d’usage, le 10 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 11/223 Maillot jaune ton a changé. «Toi, tu as une bonne étoile, alors que nous n’avons rien », a-t il lancé à l’adresse de mon père. «Pourquoi n’avons-nous pas réussi dans la vie comme tu as réussi ?Les gens du village t’en veulent. Tu ne verras pas la nouvelle année. » Cette dernière phrase n’était pas une menace physique directe, mais plutôt la promesse d’un sort malveillant qui lui serait jeté. Ma mère est sortie de ses gonds. «Comment peux-tu direça?Comment peux-tu dire que tu vas manigancer pour que ton frère meure?» Mon père a tenté de calmer le jeu. «Il a trop bu », a-t il simplement commenté. La soirée s’est poursuivie presque comme si derien n’était. Jeressentaislapeur et l’impuissancedema mère. Je la partageais sans vraiment comprendre ce qui se tramait. Quelques jours plus tard, mon père est allé rendre visite à ses frères au village. En revenant, il nous a raconté que personne n’avait voulu lui serrer la main, sauf un inconnu, qui a insisté pour le saluer longuement. Une semaine après, il a ressenti unevivedouleur au bras. Cemal inconnu s’est bientôt généralisé. Il est décédédeux semaines plus tard. Je n’ai jamais vraiment cru au pouvoir de la sorcellerie mais je n’ai, à ce jour, pas d’explication plus rationnellepour expliquer samort brutale. La disparition de mon père nous a fait passer d’une vie modeste à la pauvreté. Obligée de travailler dans l’urgence, ma mère a ouvert un stand de brochettes de bœ uf dans un 11 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 12/223 RevengePorn centre commercial tout en s’inscrivant à une formation d’institutrice. Nous avons emménagé dans une chambre de Nkolndongo, un quartier chaud de Yaoundé. Nous dormions à quatre dans le même lit. Ma mère était alors enceinte de ma petite sœ ur. Mes frères et moi devions marcher une heure pour arriver à notre école. Le soir, nous mangions les brochettes que ma mère n’avait pas écoulées. Curieusement, même si nos conditions de vie s’étaient dégradées, je garde un souvenir assez heureux de cette période. Le long chemin vers l’école était prétexte à toute sorte de jeux et de rencontres amusantes. Un pompiste s’était pris d’affection pour nous, et nous donnait parfois 100 francs CFA (environ 15 centimes d’euro) avec lesquels nous achetions des beignets de blé ou de maïs. Ma mère n’avait pasassez d’argent pour payer mon concoursd’entrée au collège, mais grâce à ma tante qui avait de l’entregent, j’ai pu intégrer l’un des meilleurs établissements de la ville. Cecoup depoucedu destin n’apassuffi à memotiver. Mes résultats scolaires ont commencé à décliner. Je n’arrivais plus à me concentrer, je voulais faire la grande. J’avais envie de m’occuper de la maison, de mes deux frères et de masœ ur. En décrochant son diplôme d’institutrice, ma mère a fait bondir les revenus du foyer à 100 euros par mois – soit un peu plus que les 80 euros du Smic camerounais – ce qui 12 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 13/223 Maillot jaune nous a permis d’emménager dans un studio, toujours à Nkolndongo. Le souvenir de ce quartier, qui n’a pas tellement changé depuis, ne m’a jamais quitté. Le paysage se composait demaisonnettesou depetitsimmeublesdélabrés divisés en studios. Pour rentrer chez soi, on devait passer par le salon du voisin. Les toilettes communes trônaient au milieu de la cour intérieure. L’après-midi, à tour de rôle, une voisine cuisinait desbeignets deharicots rougesavec de la bouillie – le BHB, le plat des pauvres –, et voilà tous les enfants de l’immeuble qui rappliquaient. Ici, à part les denrées de base, les habitants n’ont rien. Pas même l’espoir d’uneviemeilleure. Maisilsont lajoieau cœ ur. Lesassiettes sont vides mais on se nourrit au rire, à la bonne humeur, à la solidarité, comme autant de remparts contre la misère. Plus tard, mon histoire d’amour avec Samuel m’a permis de voyager dans les plus beaux endroits de la planète, mais c’est à Nkolndongo que j’ai croisé les personnes les plus heureusesdu monde. À l’âge de quinze ans, je me suis offert une crise d’adolescence en bonne et due forme. À la maison, ma mère me confiait beaucoup de tâches ménagères, et j’avais beau comprendre la nécessité de l’aider à tenir le foyer, cette discipline me pesait. J’avais juste envie de sortir, de m’amuser. Je traînais encore une dégaine de garçon manqué et, sans surprise, l’une de mes activités préférées était le foot. 13 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 14/223 RevengePorn Au Cameroun, leballon rond est unereligion. Unecannette vide, trois copains, et voilà qu’un chemin de terre lambda se transforme en stade surchauffé. À l’époque, ma grande copine de jeu s’appelait Bout d’chou. Une fille du Sud de mon âge, au teint foncé, et aux formes déjà généreuses. Elle était magnifique, féminine, bien que cultivant le même côté garçon manqué que moi. Sans être très riche, elle était issue d’une famille plutôt aisée pour le quartier, et sa garderobe était bien plus fournie que la mienne. On se prêtait nos vêtements, et si je n’avais pas grand-chose à lui proposer, j’étais de mon côté ravie de pouvoir profiter de sa penderie. Chez moi, l’achat d’un nouveau vêtement était un événement rare. Je n’avais par exemple qu’une seule paire de chaussures pour l’année scolaire, et il me fallait en prendresoin. Quand elle pouvait se le permettre, ma mère essayait malgré tout de nous faire un petit cadeau. Je me rappelle d’une fois où le lycée nous avait demandé d’acheter un maillot jaune pour les cours de sport. Voyant une occasion de me faire plaisir, ma mère m’avait offert celui des Lions indomptables, l’équipe nationale de football du Cameroun. J’étais folle de joie. Bien sûr, c’était une imitation de mauvaise qualité. Mais je m’en fichais. Je le portais pour le sport bien sûr, et le gardais sous mes vêtements le reste de la journée. Mes copains voyant bien que c’était une copie 14 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 15/223 Maillot jaune médiocre en profitaient pour se moquer de moi. Peu importe. J’étais si fière. Fière de porter les couleurs des Lions. Fière aussi du nom du joueur de l’équipe floqué à l’arrière du maillot. Un détail qui avait sans doute échappé à ma mère au moment de l’achat. C’était celui de l’étoile montante de notre équipe nationale. Un jeune talent prometteur, brillant, charismatique, dont le nom faisait déjà rêver tout le pays. Un avant-centre comme le Cameroun en attendait depuis le grand Roger Milla. Un garçon dont le sourire charmeur affiché dans les journaux n’avait pas échappé aux jeunes filles de mon âge. Un certain Samuel Eto’o. Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 16/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 17/223 II LE DIEU DU STADE Le lycée a vu naître la femme que je suis aujourd’hui. J’ai commencé à me maquiller, à mettre du vernis, à m’apprêter. Les premières bluettes de cour de récré n’ont pas tardé. La situation financière du foyer s’améliorait, ma mère complétant ses revenus d’institutrice en donnant des cours du soir. L’année de mes seize ans, nous avons pu acheter une télévision, l’une des rares du quartier, devant laquelle s’agglutinaient nos voisins émerveillés. Les matchs des Lions étaient toujours prétextes à de grands rassemblements festifs autour du petit écran. Je n’en manquais pas unemiette, haranguant lesjoueursdepuislecanapéfamilial, vêtue de mon maillot fétiche. Samuel Eto’o, jeune recrue de Majorque, était devenu le chouchou de l’équipe nationale en participant à la victoire en 2000 de la Coupe d’Afrique desnations, puisdécrochant lamédailled’or aux jeux olympiquesdeSydney. 17 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 18/223 RevengePorn Mais même si le quotidien s’améliorait, nous étions loin de l’opulence. Je poursuivais ma scolarité au lycée Général Leclerc, le plus réputé de Yaoundé, le plus cher aussi. Ma mère ne plaisantait pas avec les études et n’hésitait pas à sacrifier confort et loisirs pour nous offrir la meilleure éducation possible. Mes copains et copines de classe étaient tousdesenfantsdericheshommesd’affaires, dehautsfonctionnaires, ou de membres du gouvernement. Malgré mes efforts, je ne pouvais pas m’aligner devant ce parterre de vêtements de marques et de bijoux clinquants. Ce décalage me frustrait. Ce n’était pas simplement de la jalousie, mais un sentiment d’injustice; celui d’être différente des autres parce que moins bien née. L’adulte que je suis devenue voit les choses autrement, mais la jeune fille de seize ans que j’étaissouffrait profondément decemauvaiscoup du destin. Je n’avais pas l’argent, mais j’ai vite compris au regard que les hommes portaient sur moi que je possédais un autre atout pour me mettre au niveau de mes camarades: ma beauté. En Afrique peut-être plus qu’ailleurs, donner de l’argent ou offrir des cadeaux à sa bien-aimée est une pratique courante et acceptée de tous. Il ne faut pas y voir une version arriérée des relations homme-femme mais le poids encore prégnant des traditions. Dans les villages, le versement d’une dot par la famille du mari à celle de son épouse est encore très répandu. Cette coutume scelle l’alliance 18 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 19/223 Ledieu du stade entre les clans, mais témoigne aussi de la stabilité financière de l’époux. La générosité des hommes envers leurs prétendantes est également le reflet du couple tel qu’il fonctionne encore majoritairement dans les sociétés africaines: le mari travaille et apporte le confort matériel, tandis que l’épouse s’occupe du bon fonctionnement du foyer et de l’éducation des enfants. Au stade du flirt, offrir des cadeaux à sa petite amie s’inscrit dans une logique assez similaire, même si l’intention est un peu différente. Il s’agit plus simplement de faire plaisir à celle qu’on aime tout en donnant des gages du sérieux dela relation. À l’heure de mes premiers émois, ce genre de considérations m’importait peu. J’étais à un âge où l’attirance pour l’autreétait laseuledonnéequi comptait. Mon premier petit ami s’appelait Yannick. C’était un garçon du lycée. Il avait un an de plus que moi. J’étais dingue de lui. Il venait d’une famille aisée. Son père était directeur de la caisse de prévoyance sociale. Il me traitait comme une princesse, même s’il n’avait pas suffisamment d’argent de poche pour me combler : il me répétait à longueur de journées que j’étais la plus belle, m’offrait parfois des chocolats, et ça me suffisait. Et puis du jour au lendemain il m’a quitté pour une autre, sans explications. J’étais dévastée. Ma peur panique de l’abandon a refait surface. J’étais belle mais pauvre. Aucun homme ne voudrait sérieusement d’une fille comme 19 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 20/223 RevengePorn moi. Bout d’chou est venue à la maison pour me réconforter. «Tu nedevraispassortir avec cegenredegarçons. Ilsne sont pas matures, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont. Tu es magnifique, tu peux te trouver quelqu’un déjà installé dans la vie, quelqu’un qui saura vraiment prendre soin de toi. » Ces paroles ont résonné en profondeur. Pourquoi se tourmenter ?Pourquoi laisser des hommes me faire du mal ?Je neveux plussouffrir, jeneveux plusm’attacher. C’est moi qui vais maîtriser le jeu. Profiter de ma beauté pour profiter de leur argent. Et devenir la grande dame enviable, désirable, àlaquellejeveux ressembler. Cette volonté de m’affranchir de ma condition sociale a entraîné une série de réactions en chaîne. Mes résultats scolaires ont chuté au point de me faire rater l’examen d’entrée en terminale. Je ne pensais qu’à sortir, m’amuser, séduire. Je passais mes soirées en boîte de nuit à danser et boire de l’alcool. J’avais encore du mal à m’imaginer sortir avec un homme plus âgé, même si les opportunités commençaient à se présenter. En attendant de franchir le pas, je suis sortie avec un camarade de classe, Bollah, un garçon de famille modeste comme moi. Mais, contrairement à Yannick, il multipliait les attentions, n’hésitant pas à partager son argent de poche en deux pour mes beaux yeux. Il m’offrait mon déjeuner, me payait le taxi pour rentrer chez moi le soir. Mes nouvelles aspirations créaient des tensions 20 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 21/223 Ledieu du stade avec ma mère. Je ne voulais plus rien faire à la maison. Mes bulletins de notes catastrophiques l’inquiétaient, mais au-delà, elle sentait bien que je tentais de m’extraire à tout prix de mon milieu. Un soir, j’ai eu droit à un long sermon. «Je me plie en quatre pour toi, mais apparemment ça ne te suffit pas. On dirait que tu as honte de ta famille. Quand tes amis viennent te chercher, tu ne les fais pas rentrer à la maison. » Elle n’avait pas tort. Un soir, alors que Bollah me ramenait chez moi, je lui avais ostensiblement refusé l’entrée de mon domicile. «Je n’ai pas envie que tu t’aperçoives que mon quotidien n’est pas si rose. J’ai peur que ça t’effraie et que tu me quittes. » Sa réponse m’a prise de court. «Je viens du même milieu que toi. De quoi as-tu peur ? On s’en fiche de tout ça. » Bollah et ma mère avaient raison. Mais mon logiciel avait déjà changé. Je voulais mener grand train, envers et contre tout. Ma relation avec Bollah s’est poursuivie au gré de ses attentions, toujoursplusnombreuses. À larentréedeterminale, il m’a donné la moitié de l’argent que ses parents lui avaient confié pour s’acheter des fournitures. J’ai aussi profité des largesses d’un oncle éloigné, qui m’a acheté un téléphone portable tout neuf, et m’a donné en plus cinquante ou cent euros. J’ai utilisé cet argent pour étoffer ma garde-robe, m’acheter ma première paire de tennis neuve, et un sac à main rutilant. En arrivant au lycée, parée de mes 21 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 22/223 RevengePorn plus beaux effets, je me suis sentie au-dessus du lot, fière, confiante. Je n’étais plus la gamine des quartiers, mais unefemmedu monde. Jen’ai pastardéà êtresuiviepar une petite cour d’admirateurs, à l’intérieur et à l’extérieur du bahut. Conscient lui aussi de mon pouvoir grandissant sur les hommes, mon cousin Dadou avait mis en place une véritable stratégie d’extorsion pour prétendants naïfs. Il me présentait à ses amis fortunés, nous laissait bavarder cinq minutes, puis les prenait à part pour recueillir leurscompliments sur ma plastique. Évidemment, le pigeon en profitait pour demander mes coordonnées. «Tu veux son numéro ? D’accord, mais ce n’est pas gratuit. » Nous nous partagions ensuite le butin. Ce qui était d’abord un jeu est devenu une véritable petite entreprise familiale. Inutile pour moi d’embrasser, encore moins de coucher : la seule perspective de pouvoir un jour me parler au téléphone suffisait à faire passer le client à la caisse. Les prétendants se bousculaient, dont certains affichaient une belle situation et des revenus confortables. Lesvoir venir mechercher àlasortiedescours avec leur grosse berline rendait mes copines de classe vertes dejalousie. Et m’emplissait d’unefiertéinfinie. Sans surprises, ma relation avec Bollah n’a pas survécu à ce rôle d’appât permanent que je m’étais créé. Les sollicitations ne manquaient pas, mais je n’avais ni l’envie ni le courage, au fond, de sauter le pas vers une relation avec un 22 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 23/223 Ledieu du stade homme plus âgé. J’avais beau me prendre pour une grande dame, jerestaisunelycéennededix-huit ans. Jevoulaisjuste jouer avec la crédulité des hommes et en profiter pour me faire plaisir. L’une de mes camarades de classe, Yolande, n’avait pas ces réticences: elle était déjà passée à l’étape supérieure. Nous nous sommes rapprochées au fil de l’année scolaire. C’était sans aucun doute l’une des filles les plus élégantes de l’établissement. Certaines de ses paires de chaussures valaient à elles seules un mois de salaire de ma mère. Je me prenais déjà pour une femme fatale, mais à côté de Yolande, je passais pour une diva de carton. Elle m’a vite remise à ma place. «Tu pourrais avoir beaucoup plus de choses si tu sortais avec ces garçons au lieu de les faire tourner en bourrique. Ils vont se lasser de tes promesses, et tu n’auras bientôt plus rien. » J’en étais consciente. Mais j’avais besoin de quelqu’un pour me faire entrer dans la vraie cour des grands. Yolande l’a senti, et a acceptéderemplir cettemission. Mon initiation débute quelques jours plus tard. Yolande m’invite à une après-midi shopping en vue de l’arrivée le soir même d’un de ses amis, un Camerounais qui vit en Suisse, et a flashé sur une photo de moi. Nous prévoyons de nous retrouver en boîte plus tard dans la soirée. Après nos emplettes au carrefour Bastos, un quartier chic de Yaoundé, nous cherchons un bar pour papoter autour d’un 23 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 24/223 RevengePorn verre. Une grosse Mercedes s’arrête à notre hauteur alors que nous nous apprêtons à traverser la rue. À son bord, deux hommes bien mis, la trentaine, nous adressent la parole. «Ça va les filles?Vous vous appelez comment ?» Je reste muette, interdite. Yolande prend la situation en main et sympathise tout naturellement avec le conducteur. Elle m’impressionne. Je n’arrive pas à ouvrir la bouche. Mes yeux sont fixés sur le passager, un très beau garçon, grand, au teint clair. Les deux compères expliquent être cousins et nous proposent de nous retrouver dans un bar du quartier le temps de garer leur bolide. J’ai envie de m’enfuir mais Yolande me convainc d’accepter, assurant que nous avons du temps avant de rejoindre son ami plus tard dans la soirée. En entrant dans le bar, les deux cousins sont déjà là. Ils jouent au billard et n’ont pas l’air très habiles. On sent qu’ils veulent nous impressionner. C’est raté. Yolande et moi prenons une table, et commençons à nous plonger dans la carte des cocktails. Nous n’en connaissons aucun, et finissons par choisir un breuvage inconnu à base de lait. La serveuse nous apporte une boisson tiède au goût amer infect. Je lui demande des glaçons pour tenter de rafraîchir la potion et la rendre buvable. La scène n’échappe pas aux cousins, qui nous rejoignent hilares. Celui au teint clair dit s’appeler Frédéric. «Le cocktail vous plaît ?» demande-t il. 24 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 25/223 Ledieu du stade Je tente une moue blasée. «Oui ça va. » «Ah bon ? Tu es costaud. Parce que moi, je trouve ça dégueulasse. Quand je vous ai entendues commander, je me suis dit que vous alliez le regretter. Et je ne crois pas m’êtretrompé. » Frédéric est plié en deux. Son rire est communicatif. Yolande et moi n’arrivons pas à nous retenir longtemps. L’anecdote brise instantanément la glace. Frédéric me demandemon âge. J’annoncevingt-troisans. «Mais ton véritable âge, c’est quoi ?» Je suis morte de honte. Il n’a pas cru une seconde à mon mensonge. «Dix-huit. » Je suis démasquée en un clin d’œ il. Inutile de vouloir «pipoter » davantage. Frédéric nous propose de venir dîner chez lui. Sabonne, dit-il, s’occuperadu repas. Jecomprends qu’il vit seul. Je me vois déjà chez lui, en épouse accomplie, en train de m’occuper de la maisonnée pendant qu’il travaille. Jemevoisdéjà en femme. En vrai. Ledîner est parfait, l’appartement magnifique. J’apprends qu’il appartient à sa sœ ur, car lui vit et travaille essentiellement en France. Je suis sous le charme. À vingt-neuf ans, Frédéric a tout de l’homme posé, qui s’assume seul. Il parle un français parfait. À la fin du repas, il propose de nous 25 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 26/223 RevengePorn déposer à la boîte de nuit. Je n’ai plus aucune envie de rencontrer l’ami suisse de Yolande. Au bout d’une heure sur place, je rappelle Frédéric qui vient me chercher et suggère de me déposer chez moi. Je n’ai pas envie qu’il voit la maison de ma mère, mais je souhaite encore moins qu’il pense que je le rejette. La vision de mon quartier ne paraît pas lui déplaire. Notrehistoired’amour commence. C’était la relation dont je rêvais. Même si Frédéric travaille en France, il revient souvent au Cameroun. Il m’apporte tout ce dont j’ai besoin. Il m’amène au lycée en voiture, et vient me chercher le soir. Toutes mes copines sont vertes. J’ai l’impression d’être une adulte. Je suis folle amoureuse. Je le présente à ma mère et à mes frères, il meprésenteàsasœ ur, Léonie. Unemèrecélibataireàlatête de sa société d’événementiel et de communication. Une femme forte, belle et autonome. Je l’admire. En l’absence de son frère, je me rapproche beaucoup d’elle, à tel point quej’emménage dansson appartement au bout dequelques semaines. Frédéric n’y voit pas d’inconvénient, bien au contraire. Nous sommes ensemble depuis trois ou quatre mois, et déjà il répète à l’envi qu’il me demandera en mariagelorsdeson prochain séjour àYaoundé. C’est rapide, certes, maisl’osmoseest parfaite. Pourquoi refuser ? Le mois de juin 2008 marque la fin de l’année scolaire. Le bac approche alors à grands pas, mais les études ne 26 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 27/223 Ledieu du stade m’intéressent plus, au grand dam de ma mère. Tandis que Frédéric passe l’essentiel de son temps en France, Léonie et moi devenons plus complices que jamais. Elle met alors un point final àson grand projet du moment : l’organisation de la Nuit des stars. Ce grand gala prévoit de réunir la crème des people d’Afrique de l’Ouest pour lever des fonds au profit de la lutte contre le cancer. Pour cette troisième édition, qui doit sedérouler à Abidjan, la listedesinvités est déjà prestigieuse: le footballeur Didier Drogba, le Premier ministre ivoirien Guillaume Soro, le chanteur congolais Fally Ipupa. Mais Léonie voit plus loin, et veut s’offrir la nouvelle star du foot camerounais: Samuel Eto’o. Le jeune prodige est devenu une star du ballon rond, signant quatre ans plus tôt un contrat de 24 millions d’euros avec le FC Barcelone. Sa saison 2008 avec le club catalan est en demi-teinte, l’équipe ne parvenant à décrocher aucun titre. En revanche, il a brillé plus tôt dans l’année au côté des Lions lors de la Coupe d’Afrique des nations. L’équipe nationale du Cameroun termine deuxième de la compétition, Eto’o devenant au passage le meilleur buteur de l’histoiredelaCAN avec seizebuts. Eto’o n’est plusunestar camerounaisemaisunesuperstar mondiale. Avec le Barça, il a déjà remporté deux championnats d’Espagne et, surtout, la Ligue des champions en 2006 contre Arsenal. Tout le Cameroun l’adule, et au-delà, c’est 27 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 28/223 RevengePorn l’Afrique entière qui célèbre l’avènement du prodige. Son parcours rend le personnage encore plus attachant. Enfant des rues, Samuel a atteint le sommet du football planétaireà la force de son seul talent. Passé par une académie pour sportifs de haut niveau à Douala, la deuxième ville du Cameroun, il tentesa chanceà l’adolescencedans lescentres de formation de grands clubs français, comme Cannes et Saint-Étienne, maisn’est pasretenu. C’est finalement leReal Madrid qui va flairer le bon coup, et lui offrir son premier contrat à l’âge de quinze ans. Il faut attendre son passage au club de Majorque, entre 2000 et 2004, pour voir éclore le champion qu’il va devenir. Lors de sa dernière saison avant son transfert à Barcelone, Eto’o permet à Majorque d’atteindre les huitièmes de finale de la coupe de l’UEFA, terminant meilleur marqueur de l’histoire du club avec soixante-dix butsinscrits durant la saison. Depuis, et malgré quelques pépins de santé, Eto’o est, avec son camarade du Barça, Ronaldinho, célébré comme l’un des plus grands avants-centresdesagénération. Sa stature internationale rend toute tentative d’approche difficile, même pour Léonie. Pourtant, la jeune femme ne démarrepasdezéro. Ellepeut compter sur un réseau solide, à commencer par le petit frère de Samuel, David, qu’elle fréquente depuis quelques mois déjà. Mais la superstar reste insaisissable. Nous sommes à une dizaine de jours de 28 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 29/223 Ledieu du stade l’événement, prévu pour le 27 juin, et Léonie n’a toujours pas réussi à caler une rencontre formelle avec celui qu’elle entend désigner commeleparrain delasoirée. En attendant le rendez-vous providentiel, l’organisatrice décide de se rendre au stade pour distribuer quelques invitations de dernière minute aux joueurs de l’équipe B des Lions indomptables, présents ce jour-là pour une séance d’entraînement. Connaissant ma passion du foot, elle me propose de l’accompagner, ce que j’accepte. Nous entrons dans le stadeAhmadou-Ahidjo deYaoundé, videdetout spectateur, avant de gagner la tribune présidentielle, tout aussi déserte. Sur la pelouse, l’équipe des cadets divisée en deux joue contre elle-même. Rien de bien passionnant, même pour une mordue comme moi. À mes côtés, Léonie et David, le cadet de Samuel, observent la rencontre sans plus de passion. Le match touche à sa fin, lorsque j’aperçois Alexandre Song surgir de nulle part et se diriger vers nous. Le milieu défensif d’Arsenal vient tailler le bout de gras avec David comme un vieux copain. Sa présence me surprend autant qu’elle m’intimide. Mon cœ ur s’emballe. Des joueurs de l’équipe A seraient-ils présents dans le stade?Je n’ose pas y croire. David sait, forcément. Je lui pose la question sans détour. «Oui, oui, AchilleEmanaest là. Et mon frèreaussi. » Lesbattementsfrénétiquesdemon cœ ur setransforment en galop. Samuel Eto’o. La star des stars. L’emblème d’un 29 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 30/223 RevengePorn pays. Le héros de mon adolescence. Je n’ai pas le temps de réaliser qu’il apparaît déjà, grimpant les escaliers dans notre direction. Lui et ses coéquipiers ont regardé le match quelquesmètresplusbas, danslestribunesspectateurs, hors de notre vue. Je le dévisage comme on scrute un tableau de maître. Il est habillé du survêtement jaune et vert des Lions. Moins sexy tu meurs. À cet instant, je suis d’ailleurs loin de porter sur lui le regard d’une femme séduite. Je suis juste une gamine émerveillée par la vision d’une légende vivante. Léonie, qui espérait secrètement croiser son chemin, sejette sur l’occasion et lui fait signedes’approcher denous. «Léonie?Comment vas-tu ?» J’ai le souffle coupé. Je veux à tout prix garder mon sang-froid. Ne surtout pas montrer que je suis en train de défaillir. Je rassemble toutes mes forces pour contenir l’état de surexcitation qui est le mien. Non, ne fais pas ta groupie, ce serait ridicule. Je reste assise là, faussement indifférente, le regard vide, tenant le sac de Léonie en attendant qu’elle termine sa conversation. Cinq secondes plus tard, je l’entends m’appeler. Je me retourne. Ils sont là, à deux mètres de moi. Léonie veut sûrement récupérer son sac pour en sortir l’invitation destinée à Samuel. Je le lui tends en évitant soigneusement le regard du numéro 9. Rien n’y fait : j’aperçois sa main qui se dirige vers la mienne. Impossible d’y couper. Je la lui serre en fixant mes chaussures. Je 30 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 31/223 Ledieu du stade sens ses doigts se refermer sur les miens. J’ai envie de courir me cacher sous un siège. Il ne veut rien lâcher, et continue de me tenir la main comme pour me forcer à plonger mon regard dans le sien. Mon flegme apparent va devenir suspect. Je cède. Son visage s’illumine. Pas un «bonjour », pas un «ça va». Juste deux mots qui résonnent encore en moi. «Très belle. » Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 32/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 33/223 III CHAMBRE AVEC VUE Je mentirais si je disais que cette première rencontre furtive m’a laissée indifférente. Aussi fugace fût-il, ce bref échange a été d’une intensité folle. Son compliment montrait qu’il avait été séduit par mon physique. Mais son regard était bien plus explicite encore. Sur le chemin de la voiture, le sourire de Léonie est lourd de sous-entendus. Je commence à me demander si m’amener au stade ce jour-là n’était pas une stratégie pour décrocher la venue du héros à son gala. En clair, j’ai l’impression d’avoir servi d’appât pour que Samuel daigne enfin lui parler. Cette idée ne me plaît guère. Dans la voiture qui nousramène chez Léonie, le frère de Samuel paraît lui aussi étrangement satisfait de cet après-midi en apparence sans grand intérêt. Il m’interroge l’air denepasy toucher. «Il t’a dit quoi mon frère? – Rien. Il m’a justedit quej’étaistrèsbelle. 33 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 34/223 RevengePorn – Je connais bien mon frère. Il aime les belles femmes tu sais. Jeneseraispassurprisquetu l’intéresses. » J’ai du mal à réprimer un rire franc. Moi, j’intéresserais Samuel Eto’o ?La bonne blague. Je ne suis qu’une jolie fille parmi d’autres. Lui peut avoir les plus belles femmes du mondeen claquant desdoigts. Et puis, hormismaplastique, je n’ai strictement rien à lui offrir. Quel intérêt de me choisir, moi, une gamine des quartiers de Yaoundé qui sort à peine de l’adolescence? Nous vivons dans deux mondessi différents. Laperspectivedemeretrouver un jour dans les bras de Samuel Eto’o me semble relever de la science-fiction. Et quand bien même, ma relation avec Frédéric m’apporte tout le bonheur dont je peux rêver. Je n’ai aucuneenviedeletromper, mêmeavec lastar desstars. Non, franchement, tout çaest ridicule. La journée touche à sa fin. Nous rentrons tous les trois chez Léonie. David insistepour rester dîner. J’ai ladésagréable impression qu’il veut mecuisiner. Au milieu du repas, Léonie reçoit un appel, et quitte la table quelques instants. À son retour, ellemedemandedelasuivredanssachambresousun prétextebidon. Puism’annoncedebut en blanc: «Coucou veut ton numéro. » Je savais que Coucou était le surnom que Léonie avait donné à Samuel. Je n’ai jamais su d’où venait ce sobriquet – de l’oiseau ?– mais il le détestait. 34 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 35/223 Chambre avec vue «Eto’o?» Cette question de pure forme vise à me laisser deux ou trois secondes avant une réponse qui, je le sens, aura de lourdes conséquences. Finalement, ce micro-instant de réflexion ne sert à rien. Tout se bouscule dans ma tête. L’immense fierté que je ressens. L’honneur presque. Et puis l’inconnu, la peur. De quoi ? Je ne sais pas trop. Et enfin le visage de Frédéric, familier, protecteur, rassurant. J’ouvre labouchemaisrien nesort. Léonieprofitedecemoment de flottement pour m’imposer saréponse. «Ça ira, va. On va lui donner ton numéro. Il t’appellera pour te saluer, peut-être pour t’inviter quelque part. Tu as ta vie, il a la sienne. Ne t’inquiète pas. C’est un homme correct. » Je sens mes défenses tomber. Ce qu’elle me dit n’a en réalité aucun impact sur moi. C’est un constat tout bête qui me fait vaciller : Léonie est la sœ ur de mon compagnon. Pas une simple amie, mais sa sœ ur. Comment pourrait-elle me jeter dans les bras d’un autre? Comment pourrait-elle manigancer contre la chair de sa chair ? Cette pensée me convainc plus que n’importe quel argument. Je n’ai aucune raison d’avoir peur et je donne mon accord à Léonie. Je m’aperçois que c’est inutile, elle lui a déjà donnémon numéro. «Il t’appellera plustard dansla soirée, me dit-elle. 35 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 36/223 RevengePorn – D’accord. » Au fond de moi, je ressens une profonde excitation. Mais je ne veux pas laisser cette sensation m’envahir. Il n’y a rien entre Samuel Eto’o et moi. Il n’y aura jamais rien. Et c’est tant mieux, car je suis heureuse avec mon ami. Je me répète ces phrases en boucle pour qu’elles prennent le dessus sur mes émois naissants. Samuel ne m’appelle pas ce soir-là. Il attend le lendemain. Je reçois son coup de fil – en numéro masqué – en toute fin d’après-midi. Jesuis seulesur lebalcon de l’appartement que je partage avec Léonie. Je viens tout juste de raccrocher aprèsunelongueconversation avec Frédéric, qui setrouve encoreen France. Bien queje n’aiepasla moindre arrière-pensée, et sans que je ne me l’explique vraiment, cettecoïncidencem’embarrasseun peu. «Bonjour Nathalie, c’est Samuel. Tu vasbien ? – Bonjour Samuel. Oui, et vous?» Impossible de le tutoyer. Dans les églises comme dans nos prières, on n’hésite pas à tutoyer Dieu. Mais Samuel Eto’o ? Non. Cet excès de précaution installe une distance qui l’embarrasse. Je consens à faire un effort. «Ça fait quelquesminutesquej’essaiedet’appeler maistu étaisen ligne… » glisse-t il, l’air presque soucieux. – Oui. J’étaisavec mon copain. » 36 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 37/223 Chambre avec vue Voilà. Les choses sont claires. Mon premier véritable échange avec Samuel commence par une mise au point. Je ne veux pas laisser s’installer la moindre ambiguïté. Cette révélation m’ôte un poids du ventre. Elle n’a pas échappé à mon correspondant. «Tu asun copain ?me lance-t il. – Oui, oui. Tu nesavaispas?Léonienet’a pasdit ? – Non, ellenem’a pasdit ça, maisbon. Ça nefait rien. » Je n’ai pas envie d’épiloguer sur ce thème. Peut-être le sent-il ? Il prend soin de changer de sujet. La discussion reprend sur nos occupations respectives. Mes cours au lycée, son stage avec les Lions. On se parle comme de vieux copains. J’avoue y prendre du plaisir. À la fin de la conversation, Samuel me confirme qu’il sera le parrain de la Nuit des stars, qui approche à grands pas, et me demande si j’ai l’intention d’y aller. Je lui réponds que, pour l’instant, Léonie ne m’a pas invitée, et qu’à dire vrai, je ne vois pas ce qui justifierait la présence d’un quidam comme moi à ce grand raout. «Comment ? Mais non. Il faut que tu viennes», balaye-t il. Sa phrase sonne comme une injonction. Je comprends vite qu’il n’a pas l’habitude qu’on lui refuse quelque chose. Il a le pouvoir, la célébrité, l’argent. Personne ne lui résiste, et certainement pas les femmes qu’il convoite. Mais c’est 37 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 38/223 RevengePorn aussi quelqu’un de fier. Certaines superstars sans orgueil jouent de leur aura, ou allonge les billets pour vaincre les résistances. Samuel est différent. Il n’achètepas. On se quitte sans se donner de rendez-vous précis. Ni au Cameroun, ni à la Nuit des stars, ni ailleurs. Mes louvoiements ont dû l’inciter à la prudence. Nous avons simplement convenu de nous revoir bientôt. De mon côté, jesuisrassurée. Samuel s’est comportéen parfait gentleman. Si jel’intéressevéritablement au-delàd’unerelation amicale, il n’en a rien laissé paraître. Je commence à me demander si David et Léonie n’ont pas pris leurs désirs pour des réalités. Nulle déception dans ce constat, au contraire. Je suis amoureuse de Frédéric, et je n’ai aucune envie de devoir éconduireun monument delastaturedeSamuel Eto’o. En raccrochant, je me dis qu’il y a certainement matière à construire une ébauche d’amitié. Je me rue sur Google pour lire tout ce qu’Internet propose sur Samuel Eto’o. Je veux tout savoir, savie, sacarrière. Saviesentimentaleaussi. Ce dernier point m’intrigue, sans m’obséder pour autant. Bizarre: aucune des milliers de pages qui lui sont dédiées ne renseigne avec précision sur sa situation sentimentale. Marié, célibataire, divorcé?J’aperçoisça et là quelquesphotos et noms de femmes qui semblent avoir partagé sa vie. Maisrien desolideou d’actuel. Dont acte. 38 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 39/223 Chambre avec vue La Nuit des stars a lieu une dizaine de jours plus tard. Léonie me demande officiellement de venir assister à la soirée. J’accepte avec joie, mais Frédéric, lui, n’est pas très «chaud » à l’idée queje m’y rende. La présence decentaines d’hommes séduisants et endimanchés ne le rassure guère. Il n’imagine pas que mon amour pour lui est tel que même les avances à peine voilées de Samuel Eto’o en personne m’indiffèrent. Je me range à sa décision, mais Léonie, ne l’entendant pas de cette oreille, finit par convaincre son frère du bien-fondé de ma participation. Elle lui explique qu’elle aura sûrement besoin de mon aide pour l’organisation desfestivités. La veille de la cérémonie, le président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo affrèteun vol spécial pour lesorganisateurs et les VIP de la soirée. Je suis d’autant plus excitée que je suis entourée de membres éminents des Lions, comme Rigobert Song et son neveu Alexandre. À bord, je m’assois avec Léonie et David. Frédéric, qui était en France et devait nousrejoindredirectement à Abidjan, a ratéson vol à Paris. Impossible de trouver une nouvelle réservation avant la soirée, tout est complet depuis des semaines. Je suis déçue, maisjen’en laisserien paraîtrepour nepasgâcher la fête. Sur place, Léonie a réservé des dizaines de chambres dans deux hôtels différents: le Méridien, un établissement très chic pour les stars, et un autre moins huppé pour la 39 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 40/223 RevengePorn famille et les amis, où j’ai prévu de résider. Mais arrivée à l’accueil, la concierge ne trouve pas ma réservation. J’en parle à Léonie qui m’explique que je suis logée avec elle au Sofitel. Je suis agréablement surprise. Je suppose qu’elle a changé ses plans pour m’offrir un lot de consolation après l’actemanquédeFrédéric. Le séjour se passe merveilleusement. Le premier soir, nous dînons dans un grand restaurant privatisé par Didier Drogba. Samuel arrivelelendemain après-midi, jour du gala. Léonie part le chercher à l’aéroport et le ramèneà son hôtel. Elle m’a chargée de jouer les chaperons auprès des invités, afin de s’assurer qu’ils ne manquent de rien, et qu’ils respectent le planning serré de la journée. Parmi les tâches qui me sont confiées, je dois veiller à ce que les VIP descendent à l’heure de leur chambre pour rejoindre le convoi qui les amènera au Palais des congrès. Je prends mon rôle très au sérieux. À l’heure dite, tous les invités sont rassemblés dans le hall, prêts à partir. À une exception près. Samuel Eto’o se fait attendre. Je suis censée sonner la charge en téléphonant directement dans sa chambre. Mais je n’ose pas. Comment pourrais-je sermonner Dieu ? J’attrape Léonie au vol, qui me convainc de sauter le pas. Je demande à la réception de joindre sa chambre pour moi, mon mobile camerounais ne fonctionnant pas à Abidjan. J’ai pris soin de répéter mon 40 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 41/223 Chambre avec vue texte à l’avance pour paraître le moins offensant possible, maisjenesuispastranquillepour autant. «Allô Samuel ?C’est NathalieKoah. Voilà, je… – Nathalie?C’est toi ?Tu tombesbien, jetecherchais. – Pardon ? – Oui, j’essaiedetejoindresur ton portable, maisjetombe chaque foissur ton répondeur. » Je me demande ce qu’il mijote. J’imagine qu’il a besoin de quelque chose en prévision de la soirée. Un nœ ud papillon ?Un bouton de manchette?Même si c’est pour lui rendre service, j’avoue me sentir un peu flattée de l’intérêt qu’il me porte. «Oui, mon téléphone ne fonctionne pas en dehors du Cameroun, lui dis-je. – C’est parce qu’il faut le régler en mode “roaming” », glisse-t il sur un ton amusé. Je me sens bête. Ce détail trahit ma jeunesse une fois de plus. Je me ressaisis, n’oubliant pas l’objectif premier de mon appel. «Je m’en occuperai, mais en attendant, Léonie m’a demandé de tedirequetu esdéjà un peu en retard et… – D’accord. Monte. – Je monte? Ou c’est toi qui descends? Parce que ton chauffeur est là et… – Non, non, monte. » 41 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 42/223 RevengePorn Je ne comprends pas le but de la manœ uvre, mais je n’ai pas le temps de me poser des questions. Je file vers l’ascenseur à grandes enjambées. En sortant de la cabine, je vois une jeune femme quitter précipitamment la chambre de Samuel. Je la reconnais: c’est Teeyah, une chanteuse de zouk franco-ivoirienne très populaire en Afrique francophone. Je tourne le regard et j’aperçois le footballeur quasi nu, vêtu d’un simple boxer, dans l’encadrement de la porte. Son sourire trahit sa gêne. Il ne s’attendait pas à ce que je monte aussi vite. En clair, il n’avait sans doute pas prévu que j’assiste au départ précipité de son invitée. Il faut être naïf ou stupide pour ne pas deviner ce qui vient de se dérouler ici. Je m’approche de lui sans laisser paraître mon embarras, maisc’est lui qui m’adressela parole. «Ça va Nathalie?Alorsdis-moi, qu’est-cequi sepasse? – En fait, commejetedisaisau téléphone, tu esattendu en bas. Ceserait bien quetu t’habillesrapidement. – OK, d’accord. Heureusement quejemesuisdéjà douché. Jedoisdescendredanscombien detemps? – Dansdix minutesmaximum, s’il teplaît. – D’accord. » Il est agité, un brin nerveux, presque essoufflé. Il reste immobile, me fixe du regard comme s’il cherchait un prétexte pour me retenir. De mon côté, je n’ai aucune envie de 42 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 43/223 Chambre avec vue prolonger ma visite. Je dois trouver un moyen de prendre congé sans le vexer. «Il y a d’autres invités qui pourraient avoir besoin de moi en bas. Jevaisredescendre, OK ? – OK. » En me dirigeant vers l’ascenseur, je me demande pourquoi il a tant insisté pour me faire monter. Ça n’a servi à rien, si ce n’est à faire de moi un témoin forcé et gêné de son intimité. Je trouve l’épisode un peu navrant, mais la mission qui est la mienne me fait vite oublier l’anecdote. Samuel apparaît finalement en smoking dans le hall de la réception dans les délais promis. Je le fais monter dans la voiture qui lui est dédiée, et donne le top départ au cortège qui s’ébranle dans la nuit tombante. Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 44/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 45/223 IV LIONNE INDOMPTABLE La Nuit des stars est une réussite. Sur la scène du Palais descongrèsd’Abidjan, numérosd’artisteset défilésdemode se succèdent, sous l’œ il bienveillant de Léonie. Parrains du gala, Didier Drogba et Samuel font une brève apparition en début et fin de cérémonie. Pendant le reste de la soirée, l’attaquant de Barcelone et moi sommes assis à deux tables différentes. Je repense à l’étrange épisode de l’hôtel, cette conversation impromptue avec le grand Samuel Eto’o habillé d’un simple boxer dans l’encadrement d’une porte. Surréaliste. Et quel embarras! Je me surprends à sourire en merepassant lefilm. Samuel et moi n’avons pas de contacts durant les festivités. Entre deux tours de chant, je tente d’accrocher son regard sans y parvenir, et sans trop savoir pourquoi. Une fois la soirée terminée, le footballeur s’éclipse. Je reste avec Léonie et ses équipes pour débriefer le déroulement du gala. Pendant les échanges, le téléphone de Léonie se 45 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 46/223 RevengePorn met à sonner. Elle bavarde quelques secondes avec l’interlocuteur puis me tend l’appareil. «Nathaliec’est Samuel. Écoute, jedoisprendreun vol pour Barcelone. Jet’appelleplustard. D’accord ? – D’accord. » Encore une fois, j’ai du mal à saisir le but de notre échange. Maisjedoisavouer quejesuisheureusequ’il pense à moi. L’absence de contacts, même téléphoniques, depuis la scène de l’hôtel commençait à me travailler. Avais-je gaffé?L’intérêt qu’il semblait meporter s’était-il évaporéen quelquesheures?Cesinterrogationsmefont réaliser l’ambiguïté danslaquelle jem’enfonce peu à peu. Je n’attendsrien de cet homme et, en même temps, j’ai déjà peur qu’il m’échappe. Léonieet moi rentronsau Cameroun lelendemain. Nous profitons des vacances d’été qui débutent pour passer quelques jours chez sa mère à Douala. Je me suis inscrite dans une auto-école de la ville avec leprojet de décrocher le permis pour la rentrée. Mes journées sont rythmées par les leçonsdeconduiteet lesappelsdeFrédéric, toujoursbloqué par son travail en France. Je lui raconte la Nuit des stars, mon rôle de nounou improvisée, les strass, les paillettes, mon bonheur d’avoir pu approcher de près des célébrités du sport, des médias, de la politique. Je lui répète que j’aurais aimé qu’il soit là, près de moi. Bien sûr, je brûle 46 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 47/223 Lionneindomptable d’envie de lui raconter ma rencontre avec Samuel Eto’o, nos coups de fil improbables, l’anecdote de l’hôtel. Mais je n’y arrive pas. Chaque fois que je m’apprête à évoquer le sujet, quelque chose m’empêche de prononcer le nom de Samuel. Ce non-dit me met à mal à l’aise. J’ai peur que ces révélationsamènent Frédéric àavoir dessoupçonsinfondés. J’ai surtout peur de ne pas arriver à le convaincre qu’il se trompe. Ma conscience, jusqu’ici en paix, commence à me tourmenter. Car au-delà du récit de nos échanges innocents, comment lui expliquer que nous avons échangé nos numéros et que j’attends un nouvel appel de lui d’un jour à l’autre?Serais-je, au fond de moi, attirée par Samuel Eto’o ? J’osel’envisager pour lapremièrefois. Samuel tarde à me rappeler. Cette attente me frustre terriblement. Ce n’est qu’après cinq jours de silence que le coup de fil tant espéré arrive. «Désolé dene past’avoir rappelée plus tôt, commence-t il. Jesuisen vacancesà Miami. Avec ma famille. – Cettedernièreprécision mefait l’effet d’un coupdemassue. – Tu asunefamille?Tu esmarié? – Non, non jenesuispasmarié. Maisj’ai desenfants. – Ah bon ?Maistu n’espasmarié avec leur mère? – Non. Maison s’en reparlera. » Il botte en touche. Cette dérobade trahit son malaise. J’ai envie de tout savoir tout de suite. L’inversion des rôles 47 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 48/223 RevengePorn est frappante: c’est maintenant moi qui suis en demande. Je ravale ma frustration et remets mes interrogations à plus tard pour ne pas laisser transparaître mon trouble. Il reprend la parole et change de discussion. «Tu esoù là? – À Douala, chez ma belle-mère. – Ta belle-mère?Tu esmariée? – Non, non, chez la mèredemon copain quoi. » Nous partons dans un grand éclat de rire. Ce jeu du chat et de la souris vaut tous les aveux. Nous sommes en train de nous chercher, de nous séduire. Inutile de formaliser ce constat avec des mots. Au fond de nous-mêmes, noussavons. «Tu asdesvisaspour l’Europe?reprend-il, l’air de ne pas y toucher. – Non. Pourquoi ? – Mes enfants vont poursuivre leurs vacances aux États-Unis, mais moi je dois rentrer à Barcelone pour reprendre les entraînements. Et je serai seul. J’aurais bien aiméque tu viennes passer quelques jours là-bas avec moi. C’est dommage. – Oui, c’est bête. » Nous raccrochons avec la promesse de nous rappeler bientôt. Je reste un moment immobile. Sa proposition et ma molle déclinaison pour des raisons purement adminis- 48 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 49/223 Lionneindomptable tratives ne constituent pas simplement une étape de franchie dans notre relation naissante. C’est sa première pierre. Le point de départ qui scelle l’attirance mutuelle que nous avons l’un pour l’autre. Les jours suivants confirment que nous sommes passés du tâtonnement puéril à la parade amoureuse. Lesappelssefont quotidiens. Il metéléphonele matin au réveil, entre deux entraînements, le soir avant de se coucher. Nos discussions durent des heures, et balaient les événements de la journée passée ou à venir. Aucun mot doux, aucune allusion, aucun sous-entendu. On parle de tout et de rien, comme deux vieux camarades de régiment. Seule ma relation avec Frédéric est un sujet tabou. Ce souci mutuel de ne pas franchir la ligne rouge me permet de garder la conscience tranquille vis à-vis de mon compagnon. Mon cœ ur a déjà basculé mais ma tête refuse encore d’affronter lavérité. Cette apparente sérénité intérieure fait que je ne vois pas d’inconvénients à confesser l’existence de ces appels répétés à Léonie. Au contraire, j’y vois l’occasion de me rassurer sur ma probité. Qu’y a-t il de mal à téléphoner à un ami, même plusieurs fois par jour ?Elle n’y trouve rien à redire sur le fond, mais se vexe que Samuel ne daigne pas répondre à ses appels lorsqu’elle-même lui téléphone. Je décide qu’il est désormais préférable que je garde nos conversations secrètes. Les semaines passent. Les coups de 49 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 50/223 RevengePorn fil se font chaque jour plus nombreux, et les sujets abordés toujours aussi futiles. J’aime sa voix douce, son francparler, son humour ravageur. Son patriotisme aussi. Il n’a jamais oublié d’où il venait, et l’actualité du Cameroun le passionne. Le récit de son enfance me touche. Samuel a connu la misère dans une famille nombreuse d’un quartier pauvre de Douala. Il me décrit ces soirs où il se couchait sans manger, ou ces vêtements rafistolés par sa mère à l’infini. Il a très tôt voulu devenir footballeur mais n’avait aucune connaissance de ce milieu ou des moyens de parvenir à percer. Sa mère a tout fait pour l’en dissuader, allant jusqu’à le frapper pour qu’il abandonne ses rêves de sportif de haut niveau. Lui n’avait qu’un seul atout pour s’en sortir, la foi absolue en son talent. Pour s’évader de ce quotidien, il se fabriquait des ballons avec trois bouts de ficelle, et se régalait de beignets haricots lorsqu’il restait de la monnaie après les courses. Ces anecdotes me rappellent ma propre enfance, et contribuent encore un peu à nous rapprocher. Notre relation reste néanmoins parfaitement chaste et virtuelle. Sans doute un peu échaudé par ma prudence, Samuel ne réitère pas son invitation à venir passer du temps chez lui en Espagne. De mon côté, je suis encore trop attachée à Frédéric pour provoquer moi-même la rencontre. Ce statu quo dure si longtemps que mes projets 50 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 51/223 Lionneindomptable avec mon compagnon reprennent comme si de rien n’était. Pendant l’été, Frédéric s’installe vivre à Londres. Il veut que je suive une formation d’anglais de six mois au Nigeria, un pays anglophone, avant de le rejoindre dans la capitale britannique. Notre mariage est lui aussi toujours d’actualité: il a prévu que nous nous retrouvions au Cameroun au mois de décembre pour sa demande officielle. Frédéric veut fonder une famille et faire de moi une femme africaine typique qui s’occupe de la maison et des enfants. J’ai du mal à parler de ces plans de vie à Samuel. Au mois de septembre, alors que je prépare mes valises pour le Nigeria, je lui dévoile au téléphone les raisons de ce départ et les intentions qu’il cache. Je le sens blessé mais il se garde bien de l’avouer. J’atterris à Lagos, la capitale, le lendemain. Le choix de cette ville n’est pas un hasard, Léonie vient de s’y établir avec Éric, son petit ami de l’époque. Ils ont gentiment proposé de m’héberger le temps de ma formation. Frédéric a tenu à être présent pour mon installation, et doit rester sur place une semaine. Le soir de son arrivée, mon téléphone sonne alors que Léonie et moi sommes en train de préparer lerepasdanslacuisine. Lenom deSamuel s’affiche sur l’écran. Je suis pétrifiée. D’habitude, Samuel appelle en numéro masquémaispas cette fois. Leportable est posé sur le plan de travail lorsque la sonnerie retentit. Frédéric est à 51 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 52/223 RevengePorn deux pas, en train de regarder la télé dans le salon. Je me précipite sur l’appareil pour l’éteindre au moment où Léonie tourne la tête dans ma direction. J’ignore si elle a eu le temps de voir le nom affiché sur l’écran. Sa réaction d’indifférence me laisse croire le contraire. Je profite d’un moment de solitude plus tard dans la soirée pour envoyer un texto au footballeur. Je lui demande de se faire discret et de ne pas m’appeler à l’improviste jusqu’au départ de mon compagnon. Mon messagerestesansréponse. La journée qui suit est pour le moins étrange. Léonie est partie le matin pour quelques jours au Cameroun. Frédéric, lui, est alléchez lecoiffeur dansl’après-midi. Nous avons prévu de nous retrouver tous les deux le soir pour aller dîner puis sortir en boîte de nuit. L’heure tourne, et à 19 heures, jen’ai toujourspasdenouvellesdelui, tandisque son portable est sur répondeur. Il finit par décrocher après demultiplesrelances. Son ton est glacial. «Jesuisencorechez lecoiffeur. J’arrivebientôt à la maison et on va discuter. » Je suis interdite. Cette phrase est un avertissement universel de dispute à venir. Je crains de comprendre ce qui s’est passé. Léonie a vu le nom de Samuel sur mon téléphone, et s’est empressée d’aller tout raconter à son frère. Je n’arrive pas à y croire. C’est elle qui m’a jetée dans ses bras. C’est elle qui m’a demandé de l’appeler, qui m’a 52 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 53/223 Lionneindomptable encouragée à débuter cette fausse amitié que je redoutais. Comment pourrait-elle me trahir après avoir provoqué cette rencontre?Jeme rassure en merépétant qu’à ce stade, Samuel et moi n’avonsrien fait derépréhensible. Maisjesais qu’aussi innocente soit-elle, cette relation téléphonique est restée cachée par ma volonté. Frédéric y verra sans doute matièreàsoupçons. Comment lui donner tort ? En entrant dans l’appartement, mon compagnon est aussi froid qu’au téléphone. Son teint est rouge écarlate. Il donne l’impression d’une cocotte-minute prête à exploser. Je sens qu’il se fait violence pour rester calme, et me demande sans détour : «Tu n’asrien à medire? – À part quetu esbien coiffé, non. – Tu es sûre? Écoute-moi bien. Je veux être avec toi, me marier avec toi, fonder une famille avec toi. Mais si dès à présent tu me caches des choses, je ne crois pas que notre couple va seconstruiresur desbasessolides. – Jenevoispasdequoi tu parles. – Alorsjevaismecoucher. » Je le suis des yeux pendant qu’il quitte la pièce. Il n’a pas un regard pour moi. Jemesensterriblement honteuse, et en même temps, je me répète que je n’ai rien à me reprocher. J’ai envie de lui dire la vérité mais je n’ai pas le courage. Je me sens à la fois dévastée par mes errements, et trahie par 53 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 54/223 RevengePorn celle en qui j’avais le plus confiance. Mes pensées se bousculent. À ce moment, Éric fait irruption dans la maison. En désespoir decause, jelui demandes’il sait cequi aprovoqué lacolèredeFrédéric. Lecopain deLéoniem’avouetout. «On a appris que tu entretenais une relation avec Samuel depuisquatremois. – Comment ?Maisqui vousa dit ça? – C’est Samuel qui l’a annoncé lui-mêmeà Frédéric. » Je ne crois pas une seconde à se scénario. Pourquoi Samuel aurait-il lui-même vendu la mèche? Je persiste à nier. Tant que je ne saurais pas qui dit la vérité, je me tiens à cette ligne de défense. Je tente d’appeler Samuel, mais la liaison est mauvaise. J’ai tout juste le temps de lui dire que l’ambiance à la maison est délétère et je file me coucher avec l’intention de tirer les choses au clair le lendemain. Frédéric n’est pas dans notre lit, il est allé dormir seul dans uneautrechambre. Je ne ferme quasiment pas l’œ il de la nuit. À mon réveil, vers 7 heures, l’appartement est vide. Seule la nounou des enfants d’Éric, qui fait office de femme à tout faire de la famille, est présente. Cette dernière propose de me déposer chez lecoiffeur. Je la remercie et lui demande si elle a croisé Frédéric depuiscematin. Ellemerépond qu’ellel’adéposéà l’aéroport pour un vol à destination de Yaoundé une heure plus tôt. J’hallucine. Je lui téléphone dans la foulée, mais je 54 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 55/223 Lionneindomptable tombe sur sa messagerie. Je suis en train de le perdre. J’ai envie de pleurer, de le rattraper, de m’excuser. Mais je ne veux pas me laisser déborder par mes émotions. Je dois d’abord savoir ce qui s’est tramé dans mon dos. J’appelle Samuel qui tombe des nues et me jure qu’il n’y est pour rien. Je n’ai pas de raisons de mettre sa parole en doute puisque ces révélations mettent en péril le lien ténu que nous avons tissé. Léonie rejette elle aussi toute responsabilité, mais se montre moins bienveillante, en me reprochant denepasêtreau clair avec moi-même. Je tentede rester calme, de ne pas me précipiter. Je décide de prendre le temps de réfléchir, et d’aller chez le coiffeur pour m’aérer l’esprit. Sur le chemin, Samuel me rassure par texto, me répétant que nous n’avons aucun reproche à nous faire. Il me conseillede nepasparler la première, et de laisser Frédéric dérouler ce qu’il sait pour ne pas trop en dire moimême. Jesouris en pensant que lesavocats donnent le même genre de conseils aux délinquants en garde à vue. Mais j’ai bien l’intention de m’expliquer, et de m’excuser, quand bien même Samuel et moi n’avons fait que parler. Sur le chemin du retour, je m’apprête à contacter Frédéric pour faire amende honorable lorsqu’un appel devance mes plans. Surprise: c’est mamère! «Frédéric est là, à la maison. J’aimerais que vous vous parliez. » 55 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 56/223 RevengePorn Je sais qu’il m’en veut. Je sais aussi que je n’ai pas joué franc jeu. Mais la méthode me déplaît. Pourquoi aller se réfugier chez ma mère? Pourquoi la prendre à témoin de nos problèmes de couple?Elle marque une pause et poursuit. Je sais ce qu’elle va me demander. Et je n’ai pas envie de lui mentir. «Frédéric me dit que tu es avec Samuel Eto’o depuis quelque temps. – On se parleau téléphonemaman. On est justeamis. On n’est pasensemble. Jeteprometsquec’est la vérité. – Ce n’est pas ce que Frédéric m’a dit. Il m’a raconté que Samuel l’avait appelépour lui annoncer quevouscouchiez ensemble. Et qu’en plus vous ne vous protégiez pas. Il est trèsdéçu. » Un hoquet de dégoût me soulève l’estomac. Entendre ma pauvre mère répéter des mensonges n’est pas le pire. C’est le niveau de détails que Frédéric, dans son délire, a cru bon de lui confier qui me choque. Ma mère n’ignore pas que j’ai une vie sexuelle comme toutes les filles de mon âge, mais dans notre culture, ce ne sont pas des choses dont nousdiscutons. J’ai l’impression d’être mise à nue – au sens littéral – devant elle. Malgré nos disputes passées, maman reste mon roc. C’est la femme la plus forte du monde. Elle a élevé seule quatre enfants à la sueur de son front. Je veux désormais la protéger à mon tour, qu’elle puisse avoir 56 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 57/223 Lionneindomptable la paix et se reposer sur moi si besoin. Pas l’inverse. Elle n’a pas besoin d’être mêlée à des querelles d’amants contrariés aux relentsgraveleux. La compassion que je ressentais pour Frédéric disparaît en un éclair. Je jure à ma mère que cette histoire n’est qu’un tissu de mensonges et demande à parler à Frédéric. En deux phrases, j’exprimemon profond dégoût àl’homme que j’ai tant aimé et met fin à notre relation. À cet instant, je ne ressens ni soulagement ni tristesse. Simplement une boule de colère brute. J’ai besoin de parler à Samuel. Il me dit d’arrêter de me prendre la tête, de profiter de ma jeunesse, de reprendre mes études. Il me parle d’Europe, de voyages. Jeréalisequeledestin defemmeau foyer plan-plan que me promettait Frédéric n’était peut-être pas celui dont je rêvais. Le quotidien que Samuel me dépeint m’attire et m’excite. Je n’ai que dix-neuf ans et le monde à découvrir. Tel un avant-goût de cette vie qui s’offre à moi, la superstar me propose de rentrer au Cameroun sans attendre, tous frais payés, en business class. J’accepte immédiatement, comme une façon de lui montrer que le temps des hésitationsest révolu. À Yaoundé, je retrouve ma mère et mon petit frère Teddy. Nous déménageons dans la foulée dans une petite maison d’un quartier plus tranquille de la capitale. Samuel 57 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 58/223 RevengePorn est alorsàPariset m’annoncequ’il vient au Cameroun dans quelquesjours. «Je suis dans une boutique Guerlain. Tu veux quelque chose? – Oui, du maquillage, s’il teplaît. – Jetepassela vendeuse, dis-lui cedont tu asbesoin. » Je commence à goûter aux plaisirs que confère le statut de femme de footballeur. Je ne suis plus traitée en adolescente, comme avec mes premiers petits amis, ni en épouse bien rangée, comme avec Frédéric. Cette fois, je suis une diva. Quelle femme pourrait résister ?Le soir de son arrivée dans la capitale, Samuel vient me chercher à la maison dans une Mercedes classe S rutilante. Il porte une tenue décontractée, chemise et jean, et affiche ce sourire craquant qui n’appartient qu’à lui. Il me demande s’il peut entrer saluer ma mère, mais je lui réponds qu’elle est déjà couchée. Il descend de la voiture pour venir m’ouvrir la portière. Suprême élégance. Je sens mes dernières défenses tomber. Je n’essaie plus de jouer les fausses indifférentes. Mon regard sur lui n’est plus celui d’une groupie refoulée, mais celui d’une femme séduite. Je ne vois plus la superstar intimidante qu’il était jadis à mes yeux mais l’homme charmant et attentionné que je convoite. Nous dînons au Café de Yaoundé, un restaurant chic mais sans excès. À aucun moment la conversation ne porte 58 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 59/223 Lionneindomptable sur la nature de notre relation. Mais son attitude avec moi est clairement celled’un hommequi seconsidèreen couple. Il me donne du «ma princesse», «ma poupée». Je n’ai plus envie lutter. J’en ai marre de tout calculer. J’ai envie de lui dire qu’il ma conquise mais je n’y arrive pas. C’est inutile: il comprend par mes silences gênés et mes sourires équivoquesqu’il agagnélapartie. Nous retrouvons ses amis au Katios, une boîte de nuit branchée dont il est alors le copropriétaire. Ses gardes du corps nous précèdent et font ouvrir les portes de l’établissement devant nous. À l’intérieur, touslesregardssetournent vers Samuel. Les femmes le dévorent des yeux. Je me sens si fièred’êtrelà, à sescôtés. Lesvigilesnousescortent jusqu’au carré VIP où les serveuses sont à l’écoute de nos moindres désirs. Mais il n’est pas capricieux. Il se montre respectueux detous. De sesamisd’enfancedésargentés qui nousaccompagnent au petit personnel, chacun a droit à un petit mot, une attention, sans une once d’arrogance. Avec moi, il se montre d’une galanterie de tous les instants, allant jusqu’à tirer la chaise avant que je m’assoie. L’image d’un homme à femmes vulgaire et gâté qui circule à Yaoundé vole en éclats. Je me sens valorisée, importante à ses yeux comme à ceux du reste du monde. Lui, qui peut avoir les plus belles filles en un claquement de doigts, m’a fait la cour pendant cinq mois sans rien recevoir en retour si ce n’est 59 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 60/223 RevengePorn mes atermoiements. N’est-ce pas une preuve, sinon d’amour, au moins d’une attirance réelle et sincère qui dépassema seuleplastique? À la sortie, gentleman jusqu’au bout, il me propose de me déposer chez moi. «On sevoit demain ?demande-t il. – Non. Je veux rester avec toi. Je ne veux pas réveiller ma mère. Allonspasser la nuit où tu veux. » Samuel me ramène à l’hôtel Hilton où il réside pendant ses séjours au Cameroun. Nous montons dans sa chambre sans un mot, le regard fou de désir. La nuit s’étend, les ultimes confessions intimes laissent place aux plaisirs charnels. Alors que je m’endors dans ses bras, au petit matin, ma dernière pensée sonne comme une promesse de bonheur : je suis amoureuse de Samuel Eto’o. Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 61/223 V UN CHÂTEAU EN ESPAGNE Cette première nuit de novembre 2008 me donne un sentiment de paix intérieur. Mon histoire d’amour avec Samuel vient de débuter, mais notre complicité n’est pas neuve. M’abandonner dans ses bras n’est pas une opportunité que j’ai saisie au vol mais l’aboutissement logique d’un lien tissé jour après jour. Je ne suis pas la fan qui atterrit dans le lit de son idole sur un coup de chance ou de tête. Notre relation s’est construite dans la durée, la confiance et lerespect mutuel. Samuel se réveille avant moi. Je l’entends fouiller dans ses valises lorsque j’ouvre les yeux. Il vient me rejoindre et m’embrasse. «Tiens, ma petite femme se réveille», lancet il tout sourire. Ses mots qui me cueillent au pied du lit agissent comme une vague de chaleur douce. Je commande le petit-déjeuner – les beignets haricots de notre enfance – pendant qu’il prend sa douche. En sortant, il me rejoint à 61 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 62/223 RevengePorn table, et medemandecequejecomptefaireaprèsmesplans avortésau Nigeria. «Je ne sais pas trop. J’ai envie de reprendre mes études, maisoù ?Il faut quejeréfléchisse. – Réfléchis. Et tu medirascequetu veux faire. » Il m’explique qu’il a un déjeuner professionnel et propose qu’un de ses chauffeurs me ramène chez moi. Un dernier baiser et je quitte la suite le cœ ur ragaillardi. La Mercedes me dépose devant la porte d’entrée de la maison. Ma mère, qui m’observe depuis la véranda, n’en perd pas une miette. Suite à ma rupture avec Frédéric, je lui ai avoué mon intention de fréquenter davantage Samuel. Elle n’a pas cherché à m’en dissuader, et a même accepté de lui parler au téléphone deux ou trois fois. Je lui confirme avoir passé la soirée avec lui, sans entrer dans les détails. Son silence complice vaut approbation. Mes deux petits frères, Teddy et Fabrice, alors adolescents, entendent notre conversation et se ruent sur moi pour recueillir mes impressions sur leur héros. Le plus jeune, Teddy, douze ans, le plus mordu de foot, est lepremier à mesauter dessus. «Il est comment ?Il est grand? – Pastellement. En tout cas, il est pluspetit qu’à la télé. – Et il est gentil ? Il porte quoi comme chaussures? Il mange quoi ?Tu lui as parlé de moi ? Tu lui as dit que je jouaisau foot ?» 62 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 63/223 Un château en Espagne Son délugedequestionsmefatigueautant qu’il m’amuse. Je lui dis que nous en parlerons plus tard, et lui fais promettre solennellement, comme à Fabrice, de ne pas s’épancher sur notre relation auprès de ses amis. Je ne veux pas être l’attraction du quartier. Surtout, je ne veux pas que Samuel pense que j’utilise son nom pour me faire mousser auprèsdemon entourage. Jeconsidèrenotreamour comme un bien précieux, mais encore fragile. Et je tiens à tout prix à le préserver. La peur de l’abandon, que je traîne depuis l’enfance, nem’ajamaisquittée. Samuel est rentré à Barcelone. Les appels et échanges de textos reprennent de plus belle, à raison d’au moins deux coups de fil par jour, et un SMS toutes les demi-heures. L’attaquant du Barça dispute alors deux matchs par semaine: le mardi ou le mercredi en Champions League, et leweek-end en championnat national. Laveilledesmatchsà l’extérieur, il dort à l’hôtel, et nos conversations peuvent déborder jusqu’au milieu de la nuit. Lorsqu’il joue, nous privilégions les SMS. Cette boulimie de communication à tout crin n’est pas toujours très utile ni constructive, mais elle me rassure. Samuel a déjà fait preuve de la sincérité de ses sentiments en patientant de longues semaines avant de faire de moi sa «petite femme» comme il dit. Mais je reste attentive aux suites de cette idylle naissante et au sérieux de son engagement. Je ne veux pas être une fille 63 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 64/223 RevengePorn parmi d’autres ou son «plan » local lorsqu’il passe au Cameroun. Cette insécurité est aussi liée à son mode de fonctionnement à distance. Je peux lui envoyer des textos quand je veux, mais il ne décroche pas quand je téléphone. C’est toujours lui qui me rappelle. Je l’interroge plusieurs fois sur cette curieuse habitude, lui demande quelle en est la raison. Il ne répond jamais précisément, assurant qu’il est leplussouvent occupélorsdemesappels, et qu’il est plus simple pour lui de procéder ainsi. Son explication tient la route. Un homme au sommet du foot mondial n’a pas le tempslibred’unejeunefilleoisivededix-neuf ans. La question de mon avenir professionnel, justement, reste en suspens. En ce début décembre, l’année scolaire est déjà trop avancée pour que je puisse rattraper un cursus en cours. Samuel me conseille de prendre une année sabbatique pour réfléchir à ce que je veux faire, et être prête pour les inscriptions du mois de juin. Je reste à la maison, profitant de mes deux frères, de ma petite sœ ur encore en primaire, et de ma mère. À chaque match de Samuel, la famille se réunit devant l’écran pour acclamer notre champion. À la fin de la rencontre, Teddy lui téléphone pour recueillir ses impressions. Jelesentends disserter desheures sur la majesté de telle passe décisive, ou la pertinence de tel carton jaune. Teddy n’hésite pas à solliciter son idole sur la meilleure façon d’intégrer un grand centre d’entraînement 64 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 65/223 Un château en Espagne le plus tôt possible. Samuel l’en dissuade, et tente de le convaincre de se concentrer d’abord sur ses études. Le message a du mal à passer auprès de mon cadet qui voit en Samuel un modèle à imiter, quand bien même il ne partage passon immensetalent. Nous avons prévu de nous revoir à Yaoundé pour les fêtes de fin d’année. J’attends ces retrouvailles avec impatience. Lejour deson arrivée, il vient mechercher chez moi et me propose d’emblée de l’accompagner dans un institut de beauté où il a des habitudes. On ne peut pas dire que c’est le programme dont j’avais rêvé. Sur place, il me présente son esthéticienne attitrée, une certaine Carine qu’il dit connaîtredepuislongtemps. Jeremarquetout desuitesa peau parfaite alorsquela mienneporteencorelesstigmates de la puberté. Elle est grande, plutôt bien en chair. Tout le contraire de moi. Pendant la manucure, ils bavardent et rigolent comme deux vieux potes de chambrée. Leur complicité m’agace un peu mais Samuel a pris soin de me présenter comme sa «petite femme», coupant court à tout élan de jalousie de ma part. Une fois les soins terminés, je m’attends à aller dîner en tête à-tête avec mon amoureux mais ce dernier propose à ma stupéfaction que Carine se joigne à nous, ce qu’elle accepte. Mais de quel genre de retrouvailles s’agit-il ?Je préfère ne pas relever. Notre relation est trop fraîche et mon bonheur trop parfait pour que 65 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 66/223 RevengePorn j’émette des critiques. Après tout, ma réaction est peut-être un peu égoïste: n’a-t il pas le droit lui aussi de profiter de sesamis? Au restaurant, les deux compères en goguette monopolisent la discussion. Je les observe en train d’enchaîner sourires complices et private jokes sans que je puisse véritablement m’intégrer à la conversation. J’ai l’impression d’être sur la touche, mais surtout victime de mon jeune âge et de mon inexpérience de la vie en société. Je reste prostrée, sans oser ouvrir la bouche ou donner mon point de vue. Après le dîner, Samuel suggère que nous allions en boîte. À nouveau, je m’attends à ce que l’esthéticienne nous abandonne mais il n’en est rien. Cette fois, les échanges entre eux se font plus intimes. Carine raconte sa rupture avec une autre femme, et la difficulté qu’elle a eue à s’en remettre. J’avoue être surprise de cette confession. Lorsqu’elle part aux toilettes, je profite de son absence pour interroger Samuel. «Ta copine est lesbienne? – Non, elle est bi. Et d’ailleurs elle m’a dit que tu lui plaisais. Sa réponse me foudroie. Je commence à comprendre le manège autour de moi mais je ne veux pas y croire. Essaierait-il de me jeter dans ses bras? Je tente de faire comme si cette révélation m’indifférait. Je dois être trop 66 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 67/223 Un château en Espagne fleur bleue. Ce genre de pratiques est peut-être courant à l’âge adulte. Ne fais pas ta vierge effarouchée. Pourtant, la perspective de me retrouver dans un lit avec cette fille me dégoûte. Je n’ai évidemment aucun grief contre l’homosexualité. C’est juste que les femmes ne m’attirent pas. Au-delà, je m’attendais à une soirée romantique, et me voilà embarquée dans un plan où il est question que je couche avec une autre personne que l’homme que j’aime. J’enchaîne les coupes de champagne pour me désinhiber et cacher l’émoi que je ressens. La suite de la soirée renforce mes doutes sur le scénario qui se prépare. Samuel propose cette fois que Carine nous accompagne à l’hôtel, prétextant qu’il est trop tard pour qu’elle rentre chez elle. Il est 4 heures du matin passé. Dans le salon de la suite, d’autres bouteilles de champagne nous attendent. Je me dirige vers la chambre pour forcer Samuel à venir se coucher, en vain. Il me rejoint, et me demande ce qui ne va pas. «Je ne sais pas. Je pensais que Carine allait partir se coucher maiselleest encorelà. – On s’amuse un peu, c’est tout. Elle ne va pas tarder à partir. » Je suis rassurée, et en même temps j’ai peur de l’avoir offensé. Je ne vois rien de tel dans son regard, plutôt une sorte de tendresse. Je ne suis pas prête à ce genre 67 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 68/223 RevengePorn d’excentricités, et il le sent. Je regagne le salon, constatant que les deux amis continuent de boire et de rire. Je m’en veux d’avoir voulu casser cette complicité à cause de mon immaturité. Tout à coup, Carine se lance dans une danse lascive sur un morceau à la mode de Lady Ponce. Je la regarde avec admiration. J’aimerais être comme elle, décomplexée, désinhibée, libre. Je voudrais qu’elle me guide, qu’elle me fasse gagner en maturité, qu’elle m’apprennelescodes de lavied’adulte. Je lui demandeson numéro avec l’intention de la revoir. Elleaccepte avec plaisir et promet d’être là pour moi quand je le souhaite. Samuel observe la scène avec une bienveillance teintée de malice. Après le départ de Carine, nous nous endormons enlacéssansplusdedébats. La suite du séjour n’est pas beaucoup plus chaleureuse. Dès le lendemain, je ressens le besoin de l’interroger sur ses véritables liens avec Carine. Je soupçonne une ex, peut-être même une amante régulière. Le fait qu’elle soit si différente de moi me terrifie. N’a-t il pas, au fond, plus d’affinités avec une fille comme elle? Sa présence était-elle vraiment indispensable pour notre soirée de retrouvailles? Mon inquiétudecommenceun peu àl’énerver. «Écoute, c’est juste une très bonne amie que je ne vois pas souvent. J’avais simplement envie de passer du temps avec elle. » 68 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 69/223 Un château en Espagne Je ne suis pas très convaincue par sa réponse mais je ravale ma jalousie naissante. Je ne veux pas aller au clash. Je tente de faire bonne figure au risque de ne pas paraître très naturelle dans mon attitude. Nous nous voyons le soir, sans grande passion, tandis que sa journée est consacrée à de multiples rendez-vous auxquels je ne suis pas conviée. Le quatrièmejour, il m’annoncequ’il vafinalement passer Noël à Dubaï avec ses enfants et me laisse un peu d’argent pour acheter des cadeaux pour toute la famille. Je suis inquiète. L’idyllequi se profilait est en train detourner court. Je m’en veux d’avoir joué les saintes-nitouches le premier soir. Je le bombarde de SMSenamourés pendant son séjour à Dubaï. Il me répond qu’il m’aime aussi et que je lui manque. Je me raccroche à ces paroles pour tenter de positiver. Dans le même temps, je me rapproche de Carine comme prévu. Je passe la voir au salon, dans son appartement, et nous allons faire du sport en salle ensemble. J’admire son caractère enjoué et son indépendance. J’informe Samuel de chacune de nos rencontres. Il se montre ravi de cette bonne entente entrenous. À son retour à Barcelone, la litanie des appels et desSMS reprend de plus belle. Je suis heureuse de voir que les liensnesont pasrompus, et laflammeen apparenceintacte. Mais j’en attends plus. J’ai envie d’effacer le souvenir mitigé de sa venue à Yaoundé. J’aimerais qu’il m’invite à passer du 69 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 70/223 RevengePorn temps avec lui en Espagne. Il me dit que son agenda ne lui permet pas de me faire venir dans de bonnes conditions avant l’hiver. Je compte les jours jusqu’à la délivrance: mi-février, il m’annonceenfin quemon visa m’attend. Mon absence totale de situation professionnelle n’a pas été un obstacle. Samuel se vantait régulièrement de pouvoir obtenir un visa sur commandevia son réseau et ses amitiésdans les ambassades et consulats du Cameroun. Force est de constater qu’il n’a pas exagéré. La nouvelle me rend folle de joie. Je vais revoir Samuel, et visiter l’Europe pour la première fois! Mon vol, via Paris, est prévu pour le soir même. Pompidou, un proche de Samuel qui fait office d’homme à tout faire pour ses affaires camerounaises, s’occupe de la logistique. Je bourre une valise en trois minutes, entassant petits hauts et robes courtes, sans me rendre compte que l’hiver européen n’a rien à voir avec celui du Cameroun. Je grimpedans un bus direction l’aéroport mais nous sommes rapidement englués dans les bouchons. Je commence à paniquer. Je demande au chauffeur de s’arrêter et de me laisser prendre ma valise qui est en soute. Il refuse. Je ne veux rater mon vol sous aucun prétexte. Je décide d’abandonner mes affaires et de partir avec un sac rempli d’un jogging et d’une paire de tongs. Sur la route, j’attrape une moto-taxi qui me permet d’arriver à temps pour l’enregistrement. Mais dans quel état ! La route poussiéreuse m’a 70 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 71/223 Un château en Espagne totalement défigurée. Avant d’embarquer, je troque mon jean et mesbottessalespour mon survêt et mestongs. Quand j’arrive à Barcelone, le lendemain matin, Samuel m’attend sur le parking de l’aéroport dans sa Mercedes, accompagnéd’André, l’un desesamisd’enfancedevenu son brasdroit en Espagne. Il entrouvrelafenêtreet m’observede latêteaux piedsavant departir dansun grand éclat derire. «Koah ! Tu esen tongs! » Je me sens nulle. Il m’avait prévenue qu’il allait faire froid mais je ne pensais pas à ce point. Je suis frigorifiée, et j’ai l’air d’un indien dans la ville. Je lui raconte ma mésaventure du bus. Il n’arrive plus à s’arrêter de rire. «Si tu avaisratéton vol, on temettait danslesuivant ! » Ce moment de complicité réchauffe instantanément l’atmosphère, et efface d’un coup de baguette magique les doutes et les craintes emmagasinés depuis le séjour raté de Yaoundé. La présence d’André nous empêche de roucouler, mais nos regards illuminés trahissent la joie de ces retrouvailles. La voiture s’arrête en bas de l’hôtel Arts, un établissement Spa somptueux du bord de mer. J’en déduis qu’il n’est pas question que j’aille chez lui. Je ravale ma déception. Je sais qu’il vit avec ses enfants, et, au fond, je me doute bien qu’il a une compagne officielle. Mais nous n’avons jamais abordé le sujet. J’ai eu mille fois envie de le questionner, sans en avoir le courage. Et ce n’est 71 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 72/223 RevengePorn certainement pas maintenant, alors que ce séjour tant attendu s’ouvre sur un fou rire, que je vais prendre le risque de tout gâcher. Priorité urgente: j’ai besoin d’une garde-robe adaptée au climat européen. Samuel part s’entraîner et me laisse l’équivalent de 1500 euros pour acheter de quoi m’habiller. André m’accompagne faire les boutiques. J’avance dans la ville, surexcitée par le spectacle qui s’offre à moi. Tout m’émerveille. Les routes immaculées, ces drôles de taxis jaune et noir qui se ressemblent tous. J’écoute fascinée les conversationsen espagnol despassantsdont jenecomprends pas un traître mot. Je marche avec le portableen modevidéo pour garder une trace éternelle de ce moment magique. Après une heure de shopping, je pénètre dans ma chambre d’hôtel à 600 euros la nuit les bras chargés de sacs. C’est le deuxième choc. Tout est si grand, si beau, si neuf. J’ai l’air d’une gamine devant un pot de glace. Je m’extasie de la moindrepoignéedeporte, du moindrebout deplacard. Face à la baie vitrée, je répète «Nathalie à Barcelone, Nathalie à Barcelone», comme pour me convaincre que je ne suis pas dans un rêve. J’appelle ma mère pour lui raconter en direct tout ce que je vois, en vrac, sans filtre, en formant le vœ u qu’ellepuisseelleaussi un jour vivreun tel enchantement. Je bombarde Samuel de SMS reconnaissants. Je ne réalise pas encore que les dépenses qu’il a engagées pour moi 72 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 73/223 Un château en Espagne représentent une broutille par rapport à l’étendue de sa fortune. À l’époque, son salaire au Barça est de 10 millions d’euros par an. Mais l’argent ne fait pas tout. J’ai envie de passer du temps avec lui. Je lui demande s’il a prévu de me rejoindre après son entraînement. Il me répond que oui, et qu’il va venir dîner à l’hôtel. Après le repas, on se pose, enlacés, devant la télé. Je suis si bien dans ses bras. Il est affectueux et attentionné comme au premier jour. En fin de soirée, il regarde sa montre et siffle la fin de la récré de la manièrela plusinattendue qui soit. «La mèredesenfantsva partir dîner avec desamies, il faut quejerentre à la maison m’occuper despetits. » Ça y est. Le mystère est enfin levé. Je m’y attendais, et pourtant, la petite phrase me fait l’effet d’un uppercut en pleine face. J’ai envie de lui demander son nom, savoir à quoi elle ressemble, s’il l’aime, depuis quand, comment. Mais une fois de plus, j’encaisse sans broncher. Je dois réagir comme une adulte, faire semblant de m’en foutre. Je sais que toute question nous mènera au clash. S’il avait voulu m’en parler, s’il était à l’aise avec le sujet, nous l’aurions évoqué depuis longtemps. Je suis la maîtresse et le resterai. Je dois apprendre à vivre avec cette idée. Il ne m’appartient qu’à moitié. J’ai mal, mais je me tais. La perspective de le perdre est une souffrance bien plus intense encore. J’apprendrai plus tard dans la semaine, grâce à une 73 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 74/223 RevengePorn indiscrétion d’André, que son nom est Georgette. Je ne cherche pas à en savoir plus. J’ai déjà l’impression d’en savoir trop. Le séjour se poursuit sur le même mode intermittent. Nous passons ici et là une soirée ou un bout d’après-midi ensemble. J’essaie parfois de le retenir mais sans insister. Il me répond simplement qu’on se reverra vite. Alors je profite de chaque instant en sachant que le temps nous est compté. Je fais la grande fille, insensible à cette situation qui pourtant me dévaste. Je me raccroche à ces moments certes furtifs mais qui n’appartiennent qu’à nous. Un soir, après que j’ai dîné seule, il vient me chercher à l’hôtel sans me dire où nous allons. Nous arrivons bientôt en bas d’un immeuble superbe en plein milieu d’un quartier chic. Il m’emmène dans les étages et ouvre la porte d’un somptueux appartement. Au milieu du salon trône un immense canapé beige. J’aperçois dans une vitrine des trophées entassés et la photo d’un enfant. Je réalise d’un coup que je suis chez lui. Ou plutôt chez eux. L’excitation laisse place à un sentiment de malaise. J’ai envie de chercher des yeux des photos de sa compagne mais je me retiens. Je ne me sens pas à ma place. Samuel, lui, paraît très détendu. Son téléphone sonne. Il s’éloigne. Je suis sûre que c’est elle. J’ai envie de m’enfuir, alors qu’il considère sans doute son initiative comme une preuve d’amour. Le moindre 74 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 75/223 Un château en Espagne commentaire de ma part gâcherait tout et serait vécu comme un affront. Quelques instants plus tard, il réapparaît comme si de rien n’était, et m’invite à entrer dans la chambre à coucher. Je me laisse faire, pétrifiée. J’ai peur qu’elle débarque d’une seconde à l’autre mais l’attitude détachée de Samuel calme mes angoisses. En entrant dans la chambre, j’aperçois un berceau à côté du lit, ajoutant la honte à mon embarras. Il m’embrasse. J’essaie d’oublier où je suis. Nous passons la nuit là, sans aucune allusion au côté malsain de la situation. Le lendemain matin, dans la salle debain, je tombe sur une pile de sous-vêtements féminins qui sèchent dans la douche. Le meuble du lavabo est rempli de lotions de beauté pour femme. Elle est là, partout autour de moi. Je me trouve sale mais je lutte de toutes mes forces contre les remords. En quittant l’appartement, j’essaiede laver mon esprit de tout sentiment de culpabilité. Jen’ai pasdécidéd’être là. Jevoulaisjusteêtreavec Samuel. Malgré mes efforts, cet épisode me plombe, d’autant que les journées suivantes ne m’incitent pas à retrouver de la gaieté. Je passel’essentiel demon temps à fairedu shopping escorté par André, ou enfermée dans ma chambre d’hôtel devant des programmes télévisés en espagnol qui me restent logiquement hermétiques. Pire, lorsque je sors, j’ai l’impression que tout le monde me dévisage en se disant «cette fille-là en fait trop, on voit qu’elle n’est pas d’ici ». Je 75 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 76/223 RevengePorn mesensétrangèreàtout ça, àcetteviedefasteet deluxe. J’ai besoin de retrouver un environnement familier. Une aprèsmidi, alors que Samuel vient me rejoindre pour une pause tendresse, jem’en ouvreàlui. «Tu sais, quand tu n’es pas là, ce n’est pas évident pour moi. Je suis seule la plupart du temps, et je ne parle pas espagnol. Si j’allais par exemple à Paris, je pourrais passer du temps avec mes cousins, et toi tu pourrais faire un saut detempsen tempspour mevoir. » Je crains qu’il ne me prenne pour une ingrate. Il n’aurait sans doute pas tort. Je scrute sa réaction avec inquiétude. «C’est une bonne idée. Mes enfants sont bientôt en vacances et j’avais de toute façon prévu d’aller à Paris. Jeteprendsdesbilletset tu parsdemain. » Il nes’en rend pascompte, maismaproposition est aussi une forme d’acceptation de ma condition d’amoureuse clandestine. Je ne l’aurai jamais pour moi toute seule, je ne vivrai jamaisàsescôtés. Alorsautant installer dela distance. Rien n’est pire que de le savoir là, à quelques kilomètres de moi, sans pouvoir profiter de lui. À Paris, je ne serai pas esclavede cetteattentepermanente. Jepourrai avoir unevie en dehors de Samuel Eto’o, tout en restant liée à lui. Ce n’est pas l’histoire d’amour dont je rêvais, mais je ne perds pasdevuel’essentiel : c’est laseulequ’il est prêt à m’offrir. Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 77/223 VI LA PASSE DE TROIS L’excitation ressentie en arrivant à Barcelone n’est rien face à celle qui s’empare de moi lorsque j’atterris à Paris. Paris! Je suis à Paris! Au diable les boutiques de fringues, le Louvre, ou Saint-Germain-des-Prés. Moi, je n’ai qu’une obsession : voir la tour Eiffel en vrai. En préparant le voyage, Samuel m’avait demandé où je voulais résider. Il m’avait révélé posséder un grand appartement boulevard Suchet, dans le très chic XVI e arrondissement, où son voisin de palier n’était autre qu’Arthur, le producteur et animateur de télé. La suggestion était tentante mais je voulais d’abord m’assurer d’un détail important. «Dechez toi, on voit la tour Eiffel ? – Non, maischez moi, c’est chic, avait-il répondu, un brin vexé. – Alorsnon. Jepréfèrealler à l’hôtel. » En réalité, cette pirouette dissimulait mal mon renoncement à devenir sa compagne officielle. J’étais la maîtresse, 77 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 78/223 RevengePorn je devais donc loger à l’hôtel, comme toutes les maîtresses, et y attendre la visite impromptue et clandestine de mon amant. Au-delà, et même si l’appartement du boulevard Suchet était moins une demeure de famille qu’une vaste garçonnière, je ne voulais pas revivre l’épisode de Barcelone et sentir le fantôme de Georgette flotter autour de moi. À cela, s’ajoutait le plaisir égoïste de résider dans un bel établissement : le room service, le personnel au petit soin, le confort… Je veux bien renoncer à être la «légitime», mais je refuse de tirer un trait sur mon statut de princesse. Carine m’avait parlé de son séjour au Concorde Lafayette – renommé depuis Hyatt Regency – un hôtel quatre étoiles de la porte Maillot où elle avait posé ses valises lors d’un passage à Paris. Elle m’avait raconté la vue incroyable sur la tour Eiffel depuis sa fenêtre. J’avais dit à Samuel qu’à défaut d’avoir la même chambre, je voulais la même vue. Il avait accepté sans poser de questions. Serge, un des «hommes» de Samuel à Paris, vient me chercher à l’aéroport. Il est 23 heures, il fait nuit depuis longtemps, et le trajet entre Roissy et la capitale n’a de toute façon rien de transcendant. Mais le simple fait de me savoir danslavillelumièresuffit àmon enchantement. En arrivant à l’hôtel, je réalise que le standing de la chambre est loin de celui de ma suite barcelonaise. L’essentiel est ailleurs. En ouvrant lesrideaux, jel’aperçoisimmédiatement, grandiose, 78 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 79/223 La passedetrois majestueuse, rayonnante: la tour Eiffel ! Je tressaille de bonheur. J’ai besoin delefairesavoir. Sergemetend lacarte Sim française qu’il a pris soin d’acheter pour faciliter mon séjour. Mon premier réflexe est d’appeler au Cameroun pour fairedesjaloux. Macibleprioritaire: Carine. «Tu ne devineras jamais où je suis. À la Concorde Lafayette! – À la Concorde?Tu veux direau Concorde? – Oui voilà. – Pour la frimeon repassera. » Jenesaispasquand et comment Samuel viendramevoir. Ses deux frères vivent dans la capitale, tout comme nombre de ses amis. J’ai envie de passer du temps avec lui. Il me manque. Mon séjour à Barcelone a révélé une passion intacte. Je le revois un matin, dans notre chambre, en train defilmer avec mon portable mon premier petit-déjeuner de star dans un grand hôtel. Mon regard pétillant se perdait entrelesdélicesqui s’offraient àmoi et lavueépoustouflante sur la Méditerranée. Je ne savais plus où donner de la tête. «Nathalie Koah à Barcelone! » se moquait-t il, singeant mon enthousiasme. Ces moments de complicité sont rares mais si intenses qu’ils font de moi une femme capable d’accepter des compromis contre tous mes principes. Moi, Koah, la femme de caractère, belle et fière, qui mène la gent 79 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 80/223 RevengePorn masculine par le bout du nez, me voilà dans une chambre d’hôtel parisien à attendre que l’homme aimé daigne se montrer. Mais ici, cette attente paraît plus facilement supportable. Je parle la langue parfaitement et sans accent ou presque. Deux membres de ma famille vivent en France, l’un en banlieueparisienne, l’autreàNantes, unevillequeje ne connais pas. J’appelle ce dernier, un oncle dont je suis proche, le lendemain de mon arrivée, pour savoir comment jepeux lui rendrevisitelejour même. «Tu ne te rends pas compte, Nantes est à deux heures de train deParis», s’esclaffe-t il. Paris n’est pas la France semble-t il. Forte de ce constat, je me ravise et décide d’aller voir un de mes cousins à L’Haÿ-les-Roses, à une poignée de kilomètres de Paris. Je sors à peine de l’hôtel lorsque Samuel me téléphone. «Je suisà Paris, m’annonce-t il. – C’est vrai ?Comment ça? – Jesuisarrivéaujourd’hui en jet. – Où es-tu ? – À l’hôtel. Maistoi, tu n’y espas. » Le ton de cette dernière phrase n’est pas des plus chaleureux et refroidit instantanément mes ardeurs. Je dois vite rattraper lecoup. «Mais je ne savais pas que tu étais là! Je suis à quelques centainesdemètresdu Concorde. J’arrive. 80 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 81/223 La passedetrois – Non, cen’est pasla peine. – Arrête, c’est bon, j’arrivejetedis. » Je le sens en colère, pour la première fois. Je ne vois pas ce qu’il peut me reprocher. C’est plutôt moi qui, à cet instant, devrais lui faire un sermon. Il vient à Paris, et ne prend même pas la peine de me prévenir. Manifestement, je ne fais pas partie de ses plans initiaux. J’ai l’impression d’être une sorte de pause-café entre deux rendez-vous. Je fais demi-tour pour le rejoindre. Il est là, dans le hall de laréception. Son regard accusateur confirmemon jugement sur son état d’esprit. «Tu allaisoù ?melance-t il sansautreformedepolitesse. – Chez un cousin. – Alors voilà, tu es à peine arrivée, et tu es déjà en train de te balader par-ci par-là. C’est pour ça que tu voulais venir à Paris en fait. Tu voulais voir des gens. Tu ne peux donc pasrester en place?» Je rêve. Il est en train de me faire une scène de jalousie. À moi, celle qui doit rester dans l’ombre et accepter la présence d’une autre femme dans sa vie. Pendant qu’il passe l’essentiel de son temps avec Georgette, je vais simplement rendre visite à un cousin, mais la coupable, c’est moi. J’ai envie de pointer du doigt cette absurdité, mais le voir s’énerver pour la première fois me fait l’effet d’un anesthésiant. J’essaie de calmer le jeu. 81 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 82/223 RevengePorn «Écoute, je ne savais pas que tu étais à Paris, ça change tout bien entendu. J’irai voir mon cousin uneautrefois. – Non, tu peux y aller. De toute façon, j’ai prévu d’aller dîner dehors. – D’accord. » Ma fierté reprend le dessus. Je tourne les talons et quitte l’hôtel sans disserter. Cette fois, c’est moi qui suis en colère. Le procès est d’autant plus grotesque qu’il se garde bien, lui, de me dire où il va dîner et avec qui. Je me demande si c’est une provocation de sa part, ou le signe qu’il considère être libre de ses faits et gestes tandis que je me dois de lui rendre des comptes. Il me rappelle quelques heures plus tard alors que je suis chez mon cousin, et m’annonce qu’il rentre à Barcelone le soir même. J’ai envie de laisser éclater ma frustration en direct, mais je ne veux pas faire de scandale en public. Une fois rentrée à l’hôtel, je lui envoie un texto pour qu’il me contacte dès son atterrissage. L’appel qui suit est l’occasion d’enfin vider mon sac. «Jecommenceà en avoir marre. J’ai passédeux semainesà Barcelone où je t’ai vu à tout casser quatrefois. Et là, on a l’occasion desevoir, maistu nemeprévienspasquetu esà Paris, et tu reparsaussitôt. » Il reste impassible, comme si mes remarques ne le concernaient pas. 82 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 83/223 La passedetrois «Bon. Tu n’asqu’à rester encoredeux ou troisjoursà Paris et tu reviensmevoir à Barcelone. » Sa proposition me coupe dans mon élan. La tension redescend d’un coup. J’accepte, un peu stupéfaite. À ce moment de notre relation, Samuel sait qu’il me tient à sa merci. Il comprend, à travers mes reproches, que je suis amoureuse, et que je suis prête à tout pardonner contre un instant passé dans ses bras. Il profite de cette faiblesse pour mener la danse. Et y voit l’occasion de tester sans plus attendreleslimitesdemasoumission. Pendant les préparatifs de mon nouveau voyage à Barcelone, lescoupsdefilsreprennent, plusapaisés. Lesdiscussions s’orientent peu à peu vers des échanges à caractère sexuel. On se chauffe à distance, on fait monter le désir en prévision de nos retrouvailles. Parfois, Samuel s’interrompt, puisévoquesespropresexpériencessur un ton professoral. «Tu sais, j’ai déjà fait beaucoup de choses dans ma vie sur ce plan-là. Je suis quelqu’un qui s’ennuie très vite. Je peux avoir toutes les filles que je veux. Mais toi, tu es différente, jesaisquetu m’aimesvraiment. J’aimeêtreavec toi, maisnotrerelation sera plusforteencore si tu réussisà entrer dans mon monde. Tu deviendras alors incontournabledansma vie. » J’ai le sentiment qu’il me prépare psychologiquement à quelque chose. Mais quoi ? Ses insinuations sonnent aussi 83 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 84/223 RevengePorn comme une sorte d’appât, voire un chantage: si je veux devenir safavorite, jedoismemontrer àlahauteur desdéfis qu’il me lancera. Je ne pose pas davantage de questions. Je n’ai peur derien, sinon qu’il m’abandonne. Jeserai prête. Samuel me met en relation avec l’un de ses bras droits à Paris, un garçon nomméSonor, qui s’occupedespréparatifs de mon voyage. Je le rencontre à l’hôtel pour la première fois. C’est un ami d’enfance d’Eto’o. Il a la trentaine déjà bien tassée. C’est un grand Camerounais costaud au visage passe-partout. Il occupait un poste de bagagiste à l’aéroport de Douala jusqu’à ce que la carrière de Samuel explose. Comme d’autres de ses proches, il a alors profité des largesses de son ami, désormais riche et soucieux d’offrir une vie meilleure à ses compagnons d’infortune, pour devenir l’un de ses hommes à tout faire. Leur job : gérer toute la partie non sportive de sa vie afin qu’il puisse se consacrer à 100% au football. Sonor s’occupe des hôtels et des billets d’avions, pour lui comme pour ses invités. Il joue les hommes de compagnie ou endosse le rôle de banquier, distribuant argent et cadeaux au nom deson illustre patron. Ces petites mains de l’ombre, Samuel en possède dans chacune des villes où il réside régulièrement : Douala, Yaoundé, Barcelone, Paris, et Majorque. Mais de tous, c’est de Sonor dont il est le plus proche. Il ne s’agit pas d’un simple employé, c’est son frère, son confident. Là où 84 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 85/223 La passedetrois d’autres ne partagent avec la star qu’un repas de temps à autre, Sonor a un accès total, direct, et permanent à son boss. Il est dans tous les coups, dans toutes les combines, partageant tous ses secrets, même les plus intimes. Son influence est telle qu’il est l’un des rares à pouvoir maîtriser Samuel, à calmer son caractère chaud et tempétueux. Lui, au contraire, est un sphinx, un sage, une force tranquille. Mais son pouvoir, réel, n’est pas illimité. S’il peut tenter de leraisonner, il neserisquequerarement àlecontrarier. Je quitte Paris par un vol direct accompagnée de Sonor. Une suite avec lit à baldaquin à 500 euros la nuit m’est réservée à l’hôtel Omm, un établissement luxueux et design situé en centre-ville, tout près de la légendaire Casa Milà et du Camp Nou, le stade du FC Barcelone. La «force tranquille» occupe une chambre au même étage. Un match a lieu le soir même. Pour la première fois, Samuel m’invite à y assister. Je prends ce geste comme une preuve, si ce n’est de son amour, au moins de son attachement grandissant. Je ne suis plus la poupée que l’on garde enfermée dans une cagedorée. Cette marque d’affection me ragaillardit, et c’est le cœ ur léger et les yeux pleins d’étoiles que je me rends au stadeàpieds, toujoursen compagniedeson brasdroit. C’est la grande époque du duo Eto’o-Messi. Les deux attaquants squattent alorslessommets du football mondial. Assiseau bord dela pelouse, jeretrouved’autresprochesdu 85 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 86/223 RevengePorn numéro 9, parmi lesquels David, le cadet de Samuel. Je profite à fond du spectacle, les yeux rivés sur mon héros. Je ne me rappelle plus de l’affiche, mais ce soir-là, Samuel est éblouissant. Lorsqu’il marque son premier but, une vague d’émotion et de fierté me submerge. À l’instar du stade tout entier, je me lève de mon siège d’un bond, sautillant comme une puce, hurlant jusqu’à l’asphyxie. Gourde comme je suis, j’ignore que à peine mes fesses ont quittélesiège, il s’est referméautomatiquement. Et voulant me rasseoir, je m’affale par terre provoquant l’hilarité générale. Je suis partagée entre l’amusement et la honte. J’ai l’impression que chaque spectateur m’observe en chuchotant : «Regardecettefille, ellenevajamaisau stade! » Après quelques secondes, les rires bienveillants qui m’entourent finissent par mecontaminer. À la mi-temps, je suis conviée à monter jusqu’à la loge VIP. Là, une poignée de privilégiés choisis par les joueurs ou le staff peut profiter de rafraîchissements et d’un buffet offert par le club. Sonor ne m’a pas suivie, mais d’autres amis et son petit frère sont présents. Nous allons au bar commander un verre. Je m’installe sur un tabouret collé au comptoir. En tournant la tête, j’aperçois une femme assise sur lecanapé voisin. Son visage ne m’est pas inconnu. Elle porte une paire de cuissardes qui remontent jusqu’à une jupe noire plissée, et un chemisier blanc très classe. 86 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 87/223 La passedetrois Elle est grande, avec beaucoup de prestance. Un bébé et une fillette de trois ou quatre ans l’accompagnent. Mon sang se fige dans mes veines. Georgette est là, à trois mètres de moi. Je sens son regard qui me fixe. J’ai envie de courir me cacher sous un tapis. Ses yeux continuent de chercher les miens. Je dois rester naturelle, ne pas montrer la panique qui me serre le ventre. Je me tourne vers David pour engager une conversation sans aucun intérêt. J’ai l’impression qu’un projecteur braque ses lumières sur moi. Les secondes s’égrènent à la vitesse d’un escargot. Je la sens se lever pour aller aux toilettes. Son chemisier me frôle. Mes tempes se mettent à chauffer sous l’effet de la nervosité. Reste calme. À son retour, le coup de sifflet de l’arbitre annonçant la reprise du match retentit. Je suis la première à me lever. En quittant la salle, je ne peux pas m’empêcher de jeter un dernier regard dans sa direction. Elle est en train d’enfiler un superbe manteau de fourrure avec une grâce majestueuse. Quelle élégance, quel charisme! En regagnant mon siège, je suis un peu KO. Davantage que de la gêne ou de la honte, c’est de l’intimidation que j’ai ressentie face à elle. Cette pensée me fait mal. Comment être à la hauteur ? Je reprends mes esprits. Je ne suis pas Georgette mais je plais à Samuel. Il doit trouver quelque chose en moi qu’il ne trouve pas en elle. Peu importe quoi. Je m’en contenterai. 87 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 88/223 RevengePorn À lafin dela rencontre, Sonor et moi rentronsàl’hôtel. Samuel m’y rejoint une heure plus tard. Sa présence me surprend. Si sa compagne officielle est à Barcelone, pourquoi ne passe-t il pas la soirée avec elle?Il entre dans ma chambre, et me tend un sac plastique. À l’intérieur, jedécouvreson maillot du match encorefumant, gorgéde sueur. Je redeviens pendant une seconde la groupie adolescente que j’étais, et le remercie. Nous allons dîner dans lequartier gay delavilleoù Messi réside. Jemerégaled’un plateau de fruits de mer pendant que Samuel se contente, comme souvent, d’un bon steak. De retour à l’hôtel, il s’assoit sur mon lit, demande à Sonor de nous rejoindre, et commande des bouteilles de champagne au room service. Son ami et moi descendons quelques coupes, Samuel s’abstenant, comme d’habitude, de boire de l’alcool. Il nous observe nous enivrer, l’air satisfait. Puis meglisseàl’oreille: «Tu sais, j’aime bien regarder ma copine faire l’amour à un autre homme. » J’avais senti ce moment venir. Tous les indices étaient là. Sonor qui me suit partout, nos discussions sibyllines sur son goût pour l’adrénaline, sa crainte de l’ennui, son besoin de me faire entrer dans «son monde». Pas besoin de dessins. Samuel a une hygiène de vie irréprochable, il ne boit 88 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 89/223 La passedetrois pas, ne se drogue pas. Cette source d’extravagances qu’il medécrivait ne pouvait venir que de sespratiques sexuelles. J’enchaîne les coupes de champagne pour me donner du courage. Je n’ai aucune envie de coucher avec Sonor, mais je ne veux pas décevoir mon homme. Sa façon de m’amener à accepter ce scénario a été très habile. Il ne menaçait pas de me quitter, pire que ça, il laissait entendre qu’il m’aimerait moins, qu’il perdrait la flamme, que je ne serais plus à ses yeux qu’une fille parmi d’autres. Il ne me promettait pas la haine, mais l’indifférence. Cette pensée est une torture. Je bois sans m’interrompre. J’ai déjà vidé sept ou huit coupes de champagne. Je n’arrive plus à analyser la situation. Ça va se faire. Ça se passera bien. Ça passera vite. Trou noir. À ce jour, je n’ai toujours aucun souvenir précis de cette nuit. Jemerappellesimplement d’uneimagedemoi en train defairel’amour. Avec Samuel ?Avec Sonor ?Avec lesdeux ? Jen’en saisrien. Lelendemain matin, c’est au côtédeSamuel que je me réveille. J’ai l’impression d’avoir un marteaupiqueur danslecrâne. Lui afficheun sourireradieux. «Mais qu’est-ce qui t’a pris de boire comme ça? Tu vois Sonor boire, alorstu boiscommelui ?Maislui, il tient bien l’alcool, contrairement à toi, me lance-t il hilare. – Qu’est-cequi s’est passéhier soir ?J’ai tout oublié. 89 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 90/223 RevengePorn – Net’inquiètepas. C’était unesuper soirée. Tu étaisdéchaînée, on ne pouvait plus t’arrêter. J’ai un décrassage avec l’équipetout à l’heure, jevaismepréparer. – D’accord. Maisj’ai fait quoi exactement ?» Sa réponse me surprend : – «J’ai prisdesphotos. Jeteferai voir plustard. » Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 91/223 VII SUR LE BANC DE TOUCHE Samuel parti en fin de matinée, je prépare ma valise. Il m’a proposé de retourner à Paris faire du shopping, et promis de venir m’y rejoindre dès le lendemain. J’ai la tête lourde comme une pastèque. Sonor n’a pas montré le bout de son nez depuis mon réveil. Je ne suis pas impatiente de le voir. J’ai peur de lire sur son visage le récit de ma nuit passée. Je le retrouve à la réception. Samuel a demandé que nous fassions le trajet ensemble jusqu’à la capitale. Je suis morte de honte mais j’essaye de cacher mon trouble. Plutôt que d’aborder frontalement le sujet de mes exploits nocturnes, je scrute sesfaits et gestesà la recherche du moindre indice. Peine perdue. Sonor est impassible, fidèle à luimême. Si une explosion atomique se produisait dans son jardin pendant qu’il dort, Sonor serait du genre à se retourner de l’autre côté en attendant que ça se passe. Moins émotif tu meurs. 91 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 92/223 RevengePorn Dans la voiture qui nous mène à l’aéroport, je me rends bien compte qu’il est inutile d’attendre ses confessions. Je craque. J’ai besoin de savoir. «Dis-moi, que s’est-il passé hier soir exactement ? Samuel m’a justedit quej’ai fait la folle. » L’insondable Sonor se met à sourire. Ce n’est pas fréquent. Et pas très rassurant. «Alors toi, tu n’es pas banale comme fille. Je me souviens avoir dit à Samuel : “Non mais tu as vu comment elle est ta petite femme?” Ah non mais franchement, tu nous as épatés. C’était vraiment unetrèsbonnesoirée. » Cette fois, le doute n’est plus permis. Je suis au bord du malaise. J’ai envie de disparaître de la surface de la terre. J’espère simplement ne pas avoir dépassé certaines limites. Jeveux bien êtreun peu délurée, maisjetiensàmerespecter, et respecter mon corps. Le pire, c’est que Sonor continue de tourner autour du pot. Les scénarios les plus crus restent ouverts. Je veux connaître les détails autant que je les redoute. J’ai couchéavec lui ?Avec eux deux ?Avec d’autres? Je n’ose pas poser la question aussi brutalement, mais je lui demandemalgrétout d’êtreun peu plusexplicite. «On s’est éclatés. C’était trop bien. Pour lesdétails, Samuel t’expliquera. » Je vais devoir me contenter de ce récit brouillon, et du rictussatisfait de Sonor. Je suisécœ urée, je mesenssale. J’ai 92 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 93/223 Sur lebanc detouche besoin de meconfier. Seule Carinepeut entendre ce quej’ai à dire. C’est une femme moderne, qui s’assume. À mon arrivée à Paris, je lui téléphone et lui déballe tout. Elle fait mine de ne pas s’offusquer, et m’assure que, quand bien même j’aurais couché avec deux hommes, il n’y a rien de déshonorant dans ce genre de pratiques. Je commence à philosopher. Et si elle avait raison ? Et si l’amour à trois faisait partie des choses normales de la vie? Samuel me rejoint comme prévu en fin d’après-midi au Concorde Lafayette. La soirée se déroule sans accrocs, sans grande chaleur non plus. Je ne m’explique pas son détachement apparent. Je prends l’avion pour Yaoundé le surlendemain. À peine arrivée, Samuel me téléphone pour m’annoncer qu’il veut rompre. «Je ne veux plus te voir. Tu ne sais pas tenir ta langue», me jette-t il à la figure. Pas besoin de m’en dire plus. Carine est allée rapporter mes confidences à Samuel. Il est furieux, persuadé que je vais m’épancher sur nos exploits dans tout le Cameroun. Sa colère me dévaste. Les larmes me montent aux yeux. Je suis en train de le perdre. Je lui jure qu’il se trompe, qu’en me confiant à Carine, je pensais m’adresser à une grande sœ ur. J’avais besoin d’une oreille amie, adulte, rassurante. Personne d’autre n’en saurait rien. Je plaide ma cause. Il faut que je l’appâte. Que je lui montre qu’il ne s’est pas 93 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 94/223 RevengePorn trompé en me choisissant. Que je peux faire autant, voire plus que ce je lui ai offert jusqu’à présent. «Tu vois bien que je suis à l’écoute de tes désirs. Je t’en ai apporté la preuveà Barcelone. » Il redescend d’un tour. «C’est vrai qu’on a passé un très bon moment. J’ai des photostu sais. Jevaistelesenvoyer. » Les émotions se succèdent sans me laisser le temps de reprendremarespiration. Meslarmessèchent. Nousrestons en ligne le temps du transfert. Les clichés s’affichent sur mon écran de Smartphone quelques secondes plus tard. Je me vois nue, sur le lit à baldaquin. Je reconnais mon homme. Sonor est là aussi. Nous avons fait l’amour à trois. Je le savais, mais j’avais besoin de le voir. Ce que je vois me choque. Mais je ne suis plus dans le dégoût. Je pense au sourire satisfait de Samuel à l’autre bout du fil. Pour une raison qui m’échappe, ces images le rendent heureux. Un bonheur pur, éclatant, contagieux. «Tu vois, c’est ça que j’aime», reprend-il, comme s’il me montrait un gâteau dans une vitrine de boulangerie. J’ai envie de lui dire que moi aussi. Mais je n’y arrive pas. Ma tête veut y croire, mais mon corps s’y refuse. Les images que je viens de voir me hantent déjà. Je ne peux pas non plus lui opposer une fin de non-recevoir. J’ai failli le perdre une fois. Il peut remettre sa menace à exécution 94 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 95/223 Sur lebanc detouche dans l’instant, et peut-être s’y tenir. J’essaie de la jouer fine en entrouvrant la porte. «Écoute, jenesuispastellement prêtepour ça tout desuite. On verra, d’accord ? – D’accord. » Nous sommes au mois de juin 2009. L’année scolaire se termine. Jusqu’en septembre, Samuel vient me rendre visiteàYaoundéune foistouslesdeux moisenviron. Entretemps, nos échanges par téléphone ont repris leur rythme de croisière. La complicité est intacte, et les allusions à ses fantasmes sexuels excentriques inexistantes. Je profite de ces moments d’accalmie dans notre relation pour penser à mon futur. Je viens de passer une année sabbatique sur le plan des études, et si Samuel subvient largement à mes besoins, jeressensl’envied’êtreautonomesur leplan financier. Au-delà, et même si la vie de palace m’attire, je ne veux pas me couper des réalités. Je suis issue d’une famille où les femmes n’ont pas peur de travailler. Beaucoup de filles de ma génération vont plus loin, et aspirent à s’épanouir dans leur vie professionnelle. J’en fais partie. Mais je n’ai toujours pas trouvé la voie qui me corresponde parfaitement. En y repensant, ma rencontre avec Carine m’a fait réaliser mon penchant naturel pour le métier d’esthéticienne. J’ai toujours aimé m’apprêter, mais je n’avais jamais pensé en faire mon métier. Renseignements 95 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 96/223 RevengePorn pris, l’amiedeSamuel est passéepar une formation à Mons, en Belgique. Le lieu est idéal, puisque situé à deux heures de Milan en train, où je pourrais facilement rendre visite à mon amoureux. Je lui soumets l’idée, qu’il approuve. Mon inscription validée, je me mets en quête d’un visa étudiant. Lorsqu’on vient du Cameroun et qu’on veut étudier en Europe, ce document n’est pas simple à obtenir, et mon absence de diplôme pèse lourd. L’entregent de Samuel n’y fera rien. Au mois d’octobre, mon visa est refusé. Je reparspour uneannéeblanche. Mon attention est à nouveau toute entière tournée vers mastar du ballon. J’attendsnosrencontresavec d’autant plus d’impatiencequelequotidien m’ennuie. Lesvisitessont toujours aussi espacées, mais elles restent régulières. Sa saison s’est achevée sur un triplé historique avec le FC Barcelone: championnat, coupe d’Espagne, Ligue des champions. Ce palmarèsincroyablenesuffit pasàleretenir. Depuisl’arrivée de Pep Guardiola en début de saison, l’ambiance n’est plus au beau fixe. Le coach espagnol ne cache pas sa préférence pour Lionel Messi, le sommet du foot mondial. Le départ de Ronaldinho, son grand copain, l’a aussi rendu nostalgique. Entre eux, c’était l’amour fou. Ce sont deux grands blagueurs, et Samuel n’aimerien tant quesepayer unebonne tranchederire. Il mevantait souvent sacapacitéàfairelafête jusqu’au petit matin et à êtreen formedeux heuresplustard 96 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 97/223 Sur lebanc detouche pour l’entraînement. «Je n’ai jamais vu un type comme Ronaldinho : il boit comme un trou toute la nuit, se pointe à l’heure le lendemain, et joue comme s’il s’était couché à 20 heures la veille», s’émerveillait-il. Heureusement, il restait Éric Abidal, son autre grand ami. Les deux compères passaient leur temps fourrés ensemble, au resto, en boîte, et lorsqu’ils étaient séparés, ils se téléphonaient pendant des heures comme deux copines de lycée. Samuel n’était pas insensible au charme de sa femme, une fille absolument magnifique. Il m’en parlait avec tellement d’admiration que j’avaisfini par lui faireunecrisedejalousie. Malgrésa mésententeavec Guardiola, Samuel était prêt à rempiler pour une saison supplémentaire. Les discussions avec leclub étaient bien avancées, et son salairede10 millions d’euros par an devait être revu à la hausse. Mais Guardiola qui leconsidérait commeun hasbeen et voulait sedébarrasser delui amisson veto et obtenu gain decause. Samuel, très fier, a du mal à s’épancher sur cet épisode douloureux. Peu aprèsson limogeage, jeréussisàaborder lesujet avec lui. «C’est dégueulasse ce qu’il t’a fait. Mais même si tu es brillant, il y aura toujours des gens qui ne t’apprécieront pas. – C’est parcequejesuisnoir. Au moins, Messi est blanc. Si j’avais été blanc, Guardiola ne m’aurait jamais traité commeça. Jamaisil nem’aurait chassé. » 97 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 98/223 RevengePorn Ultime coup du sort, alors qu’il est au sommet de son art, le Ballon d’or lui échappe au profit de son rival Messi. Il accuse le coup, persuadé une nouvelle fois que sa couleur de peau porte préjudice à sa carrière européenne. Enfant africain d’unefamillesanslesou, il alesentiment d’avoir dû en faire dix fois plus que les autres pour arriver au même niveau, et dedevoir continuer àlutter pour obtenir lareconnaissance de ses pairs. Il en veut notamment aux journaux français de ne pas le soutenir. Il en aurait la faveur, il en est convaincu, s’il était passé par un club hexagonal. Il cite souvent l’exemple de Didier Drogba, auquel il se sent supérieur sur le plan sportif, mais dont il n’a pas le dixième del’auraen France. Son transfert forcé à l’Inter de Milan pendant l’été n’est pas une mauvaise affaire pour autant. Il décroche un salaire de10,5 millionsd’euros, horsprimes, faisant delui lejoueur lemieux payéd’Italie. Il en profitepour s’offrir denouvelles voitures de sport hors de prix, et acquiert un appartement somptueux, via Monte Napoleone, l’équivalent des Champs-Élysées à Milan, sur trois ou quatre niveaux. À la rentrée, son déménagement et la reprise du championnat dans une ligue et une équipe qu’il ne connaît pas rendent difficile toute visite amoureuse de ma part. En revanche, il parvient à maintenir le rythme d’une escapade à Yaoundé tous les deux mois. Nous nous voyons à l’hôtel Hilton où il 98 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 99/223 Sur lebanc detouche a désormais sa suite attitrée. Les soirées sont douces, entre câlins et plateau-télé. Au petit matin, nous allons, au volant de sa Bentley, chercher des beignets au sucre, un mets qu’il adore, à la boulangerie voisine. S’il y a trop de monde devant le commerce, Samuel reste dans la voiture. Ces précautions et sa vie de couple officielle n’entachent pas le bon fonctionnement de notre relation. En réalité, nous évitons le sujet «Georgette». Il prend soin de ne jamais l’évoquer ouvertement, tout comme moi. Sa formule consacrée, s’il n’a pas d’autre choix que de mentionner son existence, est de dire : «la mère de mes enfants». J’y vois une acrobatie sémantique, certes, mais aussi une profonde marque de respect. D’ailleurs, s’il s’applique à ne jamais s’étendre sur sa compagne officielle, il ne la dénigre pas. De mon côté, j’accepte peu à peu cet état de choses, et j’agis comme si de rien n’était. Dans un sens, je tiens presque à protéger leur relation. En la détruisant, je sais que par ricochet je détruirais la nôtre. J’ai aussi peur de le mettre au pied du mur en l’obligeant à choisir l’une d’entre nous. Le risque est trop grand. Et si, au fond, il préférait Georgette à moi ? Je n’ai qu’une solution pour changer la donne: me rendre indispensable. Le temps joue pour moi. Et, qui sait, peut-être deviendrai-jeun jour la seulefemmedanssa vie?Cet espoir menourrit. 99 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 100/223 RevengePorn Je me contente de ce statu quo jusqu’au tournant de l’année 2010. Lorsque les périodes d’absence se prolongent, il m’envoiedel’argent pour payer leloyer demamère, aider mes petits frères, et m’offrir quelques vêtements et produits de beauté. Je suis reconnaissante, mais j’ai envie de passer du temps seul avec lui à Milan, où il a établi sa nouvelle vie, comme pour m’assurer d’en faire partie. Il me faut attendre lafin du moisdefévrier pour avoir son accord, et décrocher mon visatouristique. Jerésideàl’hôtel Art, un établissement branché à la déco contemporaine. Pas tellement mon style. Lui est en train d’emménager dans un nouvel appartement qu’il vient d’acheter pour labagatellede17 millionsd’euros. Dès le début du séjour, il se montre très présent, beaucoup plus qu’à Barcelone. Il passe me voir avant et après les entraînements, reste pour le petit-déjeuner le matin. Mais un souci inattendu vient parasiter ce tableau idyllique. Contrairement à l’Espagne, les paparazzi sont partout en Italie, et encoreplusàMilan, capitaleéconomiqueet médiatique. Le risque d’une photo volée est grand. Les balades main dans la main en pleine rue sont prohibées. Nous sommes obligés d’en tenir compte, et de déployer une stratégie de tous les instants. La journée, je fais les boutiques seule sans me cacher, mais dès qu’il me rejoint le soir, il s’engouffre en voiture dans le parking de l’hôtel, et nous en 100 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 101/223 Sur lebanc detouche ressortons quelques minutes plus tard pour aller dîner en banlieue, loin du centre-villeet descurieux. Une après-midi, alors qu’il rentre de l’entraînement, il m’annonce un peu froidement qu’il doit préparer sa valise pour aller à Monaco le lendemain. Il va suivre un stage de préparation aux futurs rencontres internationales sous le maillot des Lions indomptables. Je suis surprise et un peu triste de cette séparation imprévue, alors que je n’ai jamais passé autant de temps avec lui. Il perçoit ma déception et melanced’un air détaché: «Tu veux venir ? – Oui !!! » Il me répond dans un grand sourire: «Évidemment quej’allaiste leproposer ! » Pour une serial shoppeuse comme moi, Monaco est une Mecque. UnesortedeDisneyland delafripeet du luxepour grandes filles. Je n’avais pas ressenti pareille excitation depuisParis. Avant de faire une razzia, je me doisd’être à la hauteur du décor et des autochtones surlookées. Le matin du départ, je me pare de mes plus beaux atours, parmi lesquels quelques-uns des cadeaux que mon chéri vient de m’offrir pour Noël : une paire de chaussures Yves Saint Laurent en croco, et un téléphone portable rose estampillé Dolce & Gabbana. Je fais une halte chez le coiffeur et dans un salon debeautépour êtreau top du glamour, et j’attends 101 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 102/223 RevengePorn sagement que Samuel vienne me chercher à l’hôtel. Les heures passent. À 17 heures, il finit par se pointer devant l’établissement avec sa Mercedes coupée customisée, suivie par une deuxième voiture dans laquelle une poignée d’amis est installée pour nous accompagner. Mon brushing fait grise mine et mon maquillage s’est un peu affadi, mais j’ai toujours l’air d’être pomponnée pour aller dîner chez l’ambassadeur. Samuel, lui, est en jogging. Il me dévisage, prêt àexploser derire: «Koah ! Qu’est-ceque tu faishabilléecommeça? – Bah, on va à Monaco non ? – Oui, mais il n’empêche: depuis quand tu te fais belle pour un trajet en voiture?Parce que Monaco est à quatre heuresde route, on va arriver en soiréejetesignale. » Pendant que le convoi tout entier se tient les côtes, j’encaissecette nouvelle moquerie dont, pour unefois, je ne mesensquepartiellement responsable. Comme d’habitude, les rires ne tardent pas à me contaminer. L’ambiance à bord est excellente, et le voyage un délice pour les yeux. Nous empruntons des routes secondaires qui traversent des petitsvillagesdebord demer pluscharmantslesunsqueles autres. Nous arrivons en milieu de soirée à notre destination : l’hôtel Hermitage, l'un des plus beaux palaces du Rocher, où la chambre la plus étroite coûte 600 euros la nuit. Ici, tout n’est que yachts, parures, et voitures de sport. 102 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 103/223 Sur lebanc detouche Une suite est réservée pour nous deux. Le moindre détail respireleluxeabsolu. Tout brillejusqu’à la cuvette desWC. C’est beau. Presque trop. Lors de mes précédents voyages dans l’ombre de Samuel, j’ai déjà éprouvé ce sentiment désagréable de ne pas être à ma place. Mais jamais à un tel niveau. Le hall grouille de femmes apprêtées jusqu’aux orteils, d’hommes d’affaires endimanchés jusqu’aux ongles. Ils ont l’air familier de ce lieu pourtant si rare et exceptionnel. Samuel se comporte comme un poisson dans l’eau. Il fait partie du même monde qu’eux. Malgré tous ses efforts, tous ses cadeaux magnifiques pour que je me sente à l’aise dans cet environnement haut de gamme, j’ai l’impression d’être une pièce rapportée. Alors que mon footballeur s’occupe du check in, une bombe atomique fait son entrée dans le hall. Je n’ai jamais vu une blonde aussi belle, des yeux de biche, un corps parfait, des jambes interminables habillées d’une jupe marron à franges et d’une paire de bottes à talon. Je prie pour que Samuel ne la remarque pas mais c’est peine perdue: elle s’avance tout doucement vers la réception. J’aperçois les yeux de mon Jules s’arrêter net sur ce spécimen rare qu’il scrute dans ses moindres détails tandis qu’elle prend la direction des ascenseurs. Moi non plus je ne rate pas une miette de ce spectacle. Pour se convaincre du contraire, Samuel se tourne vers moi. Ma minerenfrognéelui décrocheun sourirecoupable. 103 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 104/223 RevengePorn J’envisage cette anecdote en apparence banale comme un mauvais présage. Quand j’arrive dans ma chambre, les affaires de Samuel ne sont pas là. Je lui demande pourquoi. Il me répond que le stage commence le soir même, et qu’il va loger à l’hôtel réservé pour l’équipe nationale. Cette révélation de dernière minute m’étonne. Il aurait pu m’en parler plus tôt. Il m’embrasse et prend congé. Le lendemain, je me lève de bonne heure pour aller me balader dans les rues sinueuses du Rocher. Les amis de Samuel me rejoignent en fin de matinée, et nous partons déjeuner dans un restaurant situé à côté du casino. Ma star me téléphone au milieu du repas. Il me dit qu’il sort de l’entraînement et vient me rejoindre à l’hôtel en début d’après-midi. Je lui fais monter des avocats à la vinaigrette, l’un de ses plats préférés. En mangeant, il me filme avec mon téléphone à la manière d’une interview me demandant sur un ton gentiment moqueur quelles sont les impressions de la «grande Nathalie» face à la beauté de Monte Carlo. Il s’amuse de me voir découvrir le monde et prend plaisir à partager mon enthousiasme presque enfantin devant les merveilles qui s’offrent à moi. Cette vidéo, que j’ai conservée jusqu’à ce jour, reste l’un des témoignages les plus touchants de ce qui constitue la période dorée de notre relation amoureuse. Je me sens bien, belle, aimée. Nous parlons de l’avenir. Il me jure que dès que j’aurai trouvé une formation, je viendrai 104 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 105/223 Sur lebanc detouche m’installer près de lui, en Europe. Les voyages accumulés depuis un an m’aideront à décrocher un visa d’étudiante dans l’espace Schengen. Nous nous verrons plus souvent, le week-end, parfois la semaine s’il n’a pas match. Cette perspective me ravit. Si je prends plus de place dans sa vie, il ne pourra plus se passer de moi. De nous. Ce sera alors à moi de jouer. De lui prouver qu’il est temps pour notre coupledepasser de l’ombreà la lumière. Ces instants de bonheur simple s’interrompent brutalement au troisième jour de notre périple monégasque. Samuel m’annonce sans crier gare que je vais devoir refaire mes valises et changer d’hôtel. «Celui-ci est complet à compter d’aujourd’hui. Mais ce n’est pas grave. On va te mettre ailleurs, dans un hôtel presque aussi beau », m’annonce-t il sans ménagement. Drôle de déconvenue. Dans quel genre d’hôtels de luxe oublie-t on dedireàun client qu’il lui faudrapartir en plein milieu de son séjour ? Impossible. Soit il me ment, soit il avait prévu de m’installer ici pour me faire plaisir quelques jours, avant de me faire déménager pour un lieu plus modeste. Mais si tel était le plan de départ, pourquoi ne pas mel’avoir dit à notre arrivée?Jenemeserais pasoffusquée, loin de là. Ce rebondissement n’annonce rien de bon. C’est surtout l’empressement avec lequel Samuel me demande de déguerpir qui me paraît suspect. Je m’interdis une fois 105 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 106/223 RevengePorn encoretout commentaire. Uneparolecontrariéedemapart serait perçue à raison comme un caprice d’enfant gâté. Son ami Serge, qui nous accompagne depuis le début du voyage, s’occupe de rassembler mes affaires et me conduit à la réception pour le check out. Il ne semble pas très à l’aise et se confond en excuses. Bizarre. Dans la voiture qui nous amène à l’autre hôtel, je joue les ingénues et l’interroge sur ce déménagement express en faisant mine de ne pas en connaîtrelaraison. «Il nefaut pasen vouloir à Samuel, merépond-il, contrit. Il nepouvait passavoir queGeorgetteallait venir lui rendre visite. Ceserait bêtequevousvouscroisiez danslescouloirs non ?» Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 107/223 VIII LA MAÎTRESSE TROMPÉE La nouvelle de la présence de Georgette à Monaco me fait l’effet d’une décharge électrique dans le cœ ur. Elle me renvoie instantanément à ma condition de maîtresse. Je l’avais presque oubliée, tant les derniers jours passés ensemble m’en avaient éloignée. Je me sens d’un coup vide, inutile. Je suis un meuble disgracieux dont on se débarrasse en urgence avant que les invités n’arrivent. J’ai honte. Cruelle ironie: je suis la maîtresse et je me sens trompée. Trahie par son mensonge et sa lâcheté de ne pas m’avoir avoué la vraie raison de mon exfiltration. Devant Serge, je fais bonne figure. Je ne dois pas paraître choquée. Manifestement, ses amis n’ont pas la même prudence que Samuel lorsqu’il s’agit d’évoquer Georgette. Le patron ne les a sans doute pas informés qu’il s’agissait là d’un sujet que nous n’abordons pas, ou du moins, pas de manière explicite. Ils pensent qu’entre nous le contrat est clair, et que j’accepte sanssourciller macondition defemmedel’ombre. Laréalité 107 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 108/223 RevengePorn n’est pas aussi simple. J’en prends conscience de la plus désagréabledesmanières. Je défais mes affaires dans ma nouvelle chambre lorsque Samuel m’appelle. Pour la première fois, je n’ai pas l’intention de laisser couler. J’ai atteint la limite qu’une femme amoureuse peut supporter. Je n’ai pas pour autant envie de tomber danslesketch dela femmeblessée, j’ai trop de fierté pour ça: jeveux qu’il avouelui-mêmeson erreur, son mensonge. Qu’il se senteaussi nul que jeme sens. «Ça va?Tu esbien installée? – Oui. Cet hôtel n’est pas aussi beau que l’autre, mais ce n’est pasgrave. – Parfait. Sinon, jemedemandaisun truc: est-cequetu es sûredevouloir venir au match ?» Son culot m’estomaque. Il ne me prend pas pour un meuble, il me prend pour une conne. Puisqu’il veut jouer, on va jouer. «Bien sûr que je veux venir. C’était le programme qu’on avait prévu, non ? Aller tous ensemble à Monaco pour assister à ton match. Tu te rappelles? – Oui c’est vrai, maisjemesuisdit quetu préféreraispeutêtrealler fairedu shopping ou tebalader à la place. – Écoute, laissetomber. Allez-y sansmoi. – Maissi. Guy va venir techercher. – Allez-y sansmoi jetedis. » 108 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 109/223 La maîtresse trompée Je raccroche sans plus d’explications. Mon ton était davantage las que colérique. J’avais envie de lui mettre son lingesalesouslenez, maisjen’en ai paseu laforce. Un détail m’en a empêchée: son match. Je ne veux pas être tenue pour responsabled’unecontre-performance. Cesouci dene pas perturber son esprit avant une rencontre restera un réflexejusqu’au bout de notre relation. Une fâcherie, même grave et justifiée, peut bien attendre une heure et demie pour éclater. Quelques minutes plus tard, son ami Guy vient sonner à ma porte. Je l’éconduis poliment, mais fermement. À la fin du match, Samuel est informédemon humeur massacrante et m’appelle pour en savoir plus. Cette fois, j’exprime sans ménagement mon courroux. – Tu tefichesde moi ?Tu saisqueGeorgettevient et tu ne medisrien ?Et aprèstu essaiesdemedissuader devenir au match sousun prétextebidon ? Il esquive, préférant me reprocher mon attitude avec Guy. «Il vient te chercher et tu lui claques la porte au nez. Ce n’est pascorrect. – Cen’est paslesujet. Jete voispeu, j’avaledes couleuvres pour toi, jeprendssur moi à longueur dejournée. Pour une fois que nous pouvons profiter un peu l’un de l’autre, tu fais venir la mère de tes enfants sans rien me dire? Si ça 109 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 110/223 RevengePorn doit sepasser commeça désormais, jepréfèrem’abstenir de faireledéplacement. – Et moi, jepréfèrenepasvenir tevoir cesoir, puisquetu es énervée. – Ça t’arrange bien puisque, de toute façon, c’est avec elle quetu avaisprévu depasser la soirée, n’est-cepas?» Nous en restons là. Nous quittons Monaco pour Milan le soir même, lui par avion, avec Georgette, moi en voiture, avec le reste de la bande. Je rentre à l’hôtel Art tandis que Samuel passe la soirée chez lui avec sa compagne. Je profite de ce moment de solitude pour réfléchir. À ses yeux, je suis un objet qu’on sort, qu’on planque, et qu’on ressort àl’envi. Mon propre regard sur moi-même ne me plaît guère plus. Jesuisuneamoureusetransie prêteà touteslescompromissions pour une heure aux côtés de son amant. J’appelle une amie camerounaise pour m’épancher. Je lui annonce que jesorsdepuisbientôt deux ansavec Samuel Eto’o. Elleest la première, en dehors de mon cercle familial, à qui je révèle cette liaison. Je lui raconte la folie des débuts et les doutes d’aujourd’hui. Elle me met en garde contre les illusions que je me fais, assure que les stars du foot comme lui changent de copine comme de maillot. Loin de me jalouser, elle m’incite à la méfiance, me répète que les hommes de son rang ne s’attachent jamais vraiment aux filles comme moi. Ces paroles ne sont pas celles que j’attendais, et pourtant, 110 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 111/223 La maîtressetrompée elles m’apaisent. Ça y est : j’envisage une rupture. Non par envie profonde, mais par instinct de sauvegarde. Cette relation est vouéeà me faire souffrir, et ce quejetraverse en est la meilleure preuve. Pluselledurera, plus la douleur sera grande. J’attends quelque chose qui n’arrivera pas, et que toutes les maîtresses sont convaincues d’obtenir un jour, prendre la place de la femme légitime. Réaliser cette évidence dès maintenant permettra de m’épargner beaucoup defrustrationset detristesse. En ai-jeseulement laforce? Je m’endors sur ces interrogations, téléphones coupés. Je ne les rallume que le lendemain vers 14 heures. Samuel a essayédem’appeler pendant lanuit. Levoilàqui tentedeme joindre à nouveau. J’essaie de faire le point en une seconde avant dedécrocher. Sanssuccès. Mespenséess’entremêlent. Savoix calmemeramènesur terre. «Tout va bien ?La nuit s’est bien passée? – Non, j’ai trèsmal dormi. Je n’aimepasce qui s’est passé hier. Tu m’asmenti. – C’est vrai quejenet’ai pasdit qu’ellevenait, maisjen’étais pasau courant. Elleavait deschosesà faireici, et quand elle m’a prévenu, j’ai été mis devant le fait accompli. Je me suis dit qu’elle voudrait déposer ses affaires à l’hôtel pendant le match. C’est pour ça que je t’ai fait partir de la chambre. Jen’avaispasprévu d’y passer la nuit avecelle. La preuve: jesuisrentrédormir à Milan lesoir même. 111 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 112/223 RevengePorn – Avec elle? – Non. Jet’assure. » Ses arguments tiennent la route. Je veux y croire. Je constate surtout qu’il tente d’arrondir les angles, et sa volonté de régler ce conflit qui me mine depuis la veille me fait du bien. Elle traduit aussi son envie de me garder auprès de lui. De ne pas rompre, comme je l’avais envisagé. Je sens que je dépose les armes. Il ne me laisse pas le temps de souffler, propose de venir me rejoindre dans la foulée, lâche une blague et réussit à me faire rire. Mes velléités d’émancipation s’envolent en un éclair. À son arrivée, je m’abandonne dans ses bras. Nous commandons des pâtes bolognaises au room service et regardons un DVD de Star Trek. Pendant le film, il me déshabille, et me masse le dos. Une après-midi de couple heureux et complice comme toutes les femmes en rêvent. En début de soirée, je m’attends à ce qu’il me quitte d’un instant à l’autre. Ça ne rate pas: il m’explique devoir partir pour retrouver un ami footballeur afin de lui remettre je ne sais quel document. Le retour à la réalité me blesse. Pas pour longtemps. «Tu m’accompagnes?me lance-t il tout de go. – Bien sûr. » Il enfileunevestebleu nuit en velours, et m’aideà enfiler un manteau chaud en soulignant «qu’il fait froid dehors». Nous allons à la rencontre de son ami qu’il me présente 112 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 113/223 La maîtresse trompée avec le sourire. Même s’il ne précise pas qui je suis à ses yeux, cette attention me touche. Je me sens valorisée. Pendant cette seconde où je serre la main de cet inconnu, je me prends à rêver de devenir un jour la femme de Samuel Eto’o. Cet instant change ma perception de notre relation. Il s’est mis en couple avec Georgette il y a longtemps. Peutêtre qu’il ne l’aime plus, mais qu’il reste avec elle le temps de s’occuper un peu de leurs deux enfants. Peut-être que bientôt, il s’en ira. Peut-êtrequ’alors, nousseronsensemble, pour devrai. Il faut quejesoispatiente. Cejour arrivera. C’est avec cette sérénité retrouvée que je prends l’avion le lendemain pour Paris. Commetoujours, un prochedeSamuel m’accompagne pour faciliter mon séjour sur place. C’est Serge qui s’y colle. Une série de matchs importants attend le joueur de l’Inter en Italie, et j’ai des envies de shopping dans lacapitalefrançaise. Mon cousin del’Haÿ-les-Rosesm’inviteà déjeuner dès mon arrivée. Je sens uneforme d’empressement inhabituel dans sa proposition. J’accepte, et au milieu du repas, j’apprendslavéritableraison demavenue. «Je pense que tu sors avec Samuel Eto’o. J’ai tort ? me demande-t il. – Pourquoi penses-tu ça? – Lors de ton premier passage à Paris, tu revenais de Barcelone, le club où il jouait à l’époque. Là, tu reviens de Milan, le club où il joue en ce moment. Et puis j’ai 113 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 114/223 RevengePorn desamisà Yaoundéqui m’ont dit quela rumeur là-basest persistante. » Je suis coincée. Tous les indices convergent. Après tout, je suis en famille, je n’ai pas de raison de louvoyer. J’admets que la rumeur est fondée. Je m’attends à de chaleureuses félicitations doublées d’un interrogatoire sur le «vrai » Samuel, jemetrompelourdement. «Méfie-toi, reprend-il. Samuel voit beaucoup de filles différentes ici à Paris. L’une d’elle vit près du Fouquet’s, à deux pas des Champs-Élysées, et vient d’accoucher d’un filsdont tout indiquequ’il est lepère. » Le ciel me tombe sur la tête. Je n’en crois pas un mot. D’ailleurs, pourquoi y croire? Comment mon cousin pourrait-il savoir ce genre de choses de source fiable?C’est évident, il ne fait que relayer des rumeurs idiotes. Comme toutes les célébrités, et à plus forte raison dans une petite communauté comme celle de la diaspora camerounaise, Samuel inspire des fantasmes plus extravagants les uns que les autres. C’est une cible facile: il est beau, riche et voyage sans arrêt. Mon cousin ajoute que je devrais me méfier. J’opine sans la moindre conviction, pour ne pas le froisser. Mais je repars l’esprit tranquille. Encore des calomnies de cour derécré. Je rentre au Concorde Lafayette. Je n’ai aucuneintention de confronter Samuel aux pseudorévélations de mon 114 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 115/223 La maîtresse trompée cousin. S’il doit me démentir chacune des coucheries qu’on lui prête aux quatre coins de la planète, on y passerait nos journées. Par ailleurs, jevois mal comment il pourrait trouver le temps, entre ses matchs, Georgette et leurs enfants, et nos propres escapades, de développer d’autres relations aussi fugaces soient-elles. Le lendemain, Samuel m’envoie ses SMS habituels. Mes réponses sont sèches et froides. Je me surprends moi-même. Les histoires de mon cousin me travaillent peut-êtredavantagequejeneveux l’admettre. En tout cas, je n’ai pas envie de me lancer dans de grandes discussions, ou dans des échanges de textos amoureux. Je décide de rallier le bar de l’hôtel pour surfer sur Internet avec mon ordinateur portableet boireunePiñacolada, mon cocktail préféré. J’aperçois dans le salon du lobby un visage qui m’est familier. Je le reconnais tout de suite: c’est Fally Ipupa. Cechanteur derumbacongolaise, superstar en Afriquefrancophone, possède aussi un public fidèle dans l’Hexagone. Il est considéré comme le disciple et le successeur de Koffi Olomidé, dont Samuel et moi sommes des fans absolus. Naturellement, j’aime aussi beaucoup la musique de Fally, qui est parvenu à moderniser les rythmes plus traditionnels deson mentor. Jel’avaisdéjàentraperçu àlaNuit desstarsà Abidjan et dans quelques soirées VIP au Cameroun, sans avoir eu l'occasion dediscuter au-delàdespolitessesd'usage. 115 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 116/223 RevengePorn Il est assis à quelques mètres de moi, avec une fille et quelques amis. Nos regards se croisent. Constatant que je suis seule à ma table, il me salue et me fait signe de le rejoindre. Je me lève avec mon ordinateur. À cet instant, Serge fait son entrée dans le hall. Il me regarde et tourne la tête en fronçant les sourcils vers Fally, comprenant que je m’apprêtaisàleretrouver. Craignant touteconclusion hâtive et erronée, je dévie de trajectoire l’air de rien vers Serge qui, commetoujours, s’adresseàmoi sur un ton paternel. «Tout va bien, petitesœur ? – Oui ça va. – Tu es en froid avec Samuel ? Il paraît que tu ne donnes pasbeaucoup denouvelles. – Non, tout va bien. C’est juste qu’en ce moment, j’ai la têteailleurs. Maisça va passer. – C’est pour ça quetu allais rejoindre Fally? – Mais non, je suis assise là au bar, je bois un cocktail depuis tout à l’heure. Je t’ai vu entrer, et je me suis levée pour venir tevoir, tout simplement. – Ok, ok. » Je ne suis pas très fière de mon subterfuge, mais je ne veux pas prendre lerisque d’unecrise de jalousie injustifiée. Fally est une célébrité presque aussi populaire que Samuel au Cameroun et au-delà. Une discussion même amicale entrelechanteur et moi pourrait créer destensionsinutiles. 116 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 117/223 La maîtresse trompée Jen’ai pasbesoin decompliquer cequi n’est déjàpassimple. Je retourne m’asseoir à ma table sans gloire, en prenant soin de fuir le regard de Fally pour éviter d’ajouter au ridicule de la situation. Quelques minutes passent. Un serveur vient me dire au nom de Fally qu’il aimerait que je vienne lui parler. Je ne peux pas me défiler deux fois. La curiosité d'échanger avec l’artiste est trop forte. Je m’assure que Serge n’est pas dans les parages et je me lance. Le chanteur m’accueilleavec un sourire. Jecroisqu’il m’areconnue. – Salut… Nathaliec’est ça? – Oui c’est ça! Tu vasbien ? – Oui ça va. Tu faisquoi à Paris? – Jesuisen vacances. – Tu veux prendreun verre? – Non merci, jenepréfèrepas. – Ah oui pardon, jet’ai vu avec ton copain tout à l’heure. – Non, non, ce n’est pas mon copain. En fait c’est un ami demon copain. » Jel’ignoreencore, maisFally est un habituédu Concorde Lafayette. Il enregistrealorsun nouvel album au studio dela Grande Armée, située dans l’enceinte du Palais des congrès voisin. Il connaît Serge de vue, et sait qu’il est l’un des bras droits de Samuel Eto’o dans la capitale. Dans le petit monde des Camerounais de Paris, tout se sait. Il comprend immédiatement mes réticences: soit je suis la copine du 117 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 118/223 RevengePorn footballeur, soit jesuiscelled’un desesamisparisiens. Dans les deux cas, je ne peux pas aller prendre un verre avec lui au vu et su de tous. Je n’ai pas pour autant envie de laisser filer pareille occasion de partager un moment avec lui. J’ai aussi noté ce regard hostile de Serge envers le chanteur, comme s’il existait un passif entre les deux hommes. Je me rappelle alors de rumeurs qui courent au Cameroun, selon laquelle Samuel et Fally sont brouillés, mais j'en ignore la raison. Il me faut tirer ça au clair. Je lui propose de nous retrouver dans un café en face du Palais des congrès cinq minutes plus tard, ou je le rejoins en ayant vérifié que la voieest libre. Nous papotons le temps de passer commande. Sa présence à mes côtés m’impressionne et me rappelle ma première rencontre avec Samuel. Je me concentre pour paraîtreleplusnaturel possiblealorsquej’ai envied’envoyer mille textos à mes copines pour leur raconter que je suis assiseavec legrand Fally Ipupadont ellessont toutesamoureuses. Il entamelaconversation. «Tu vienssouvent danscet hôtel ? – Ça m’arriveoui, quand jesuisen vacancesà Paris. – J'ai bien vu que tu n'as pas voulu t'approcher quand je t'ai fait signe tout à l'heure. C'était drôle de te voir te dérouter au dernier moment. Tu es la copine de Samuel Eto’o non ? 118 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 119/223 La maîtresse trompée – Pardon ?» Il n’a pas mis longtemps à cracher sa Valda. La franchise de sa question me désarçonne. – Oui, c'est vrai. Jen'ai pasosévenir tevoir car jesaisqu'il y a des tensions entre Samuel et toi. Mais je n'en connais pasla raison. Jepensaisquevousétiez amis. Jevousai vus discuter à la Nuit desstars. – Oui, on se connaît depuis longtemps, je lui ai même fait desdédicacesdansmeschansons. – Que s’est-il passé depuis? J’ai bien vu les regards mauvaisqueSergeet toi avez échangéstout à l’heure. – Samuel m’a fait un sale coup l’année dernière. Je fréquentais une fille, Aurélie, une métisse. Samuel l’a repérée à la Nuit des stars, et après le gala, sa bande a mis le grappin dessus. Ilssefréquentent toujoursaujourd’hui. Elle descend à l’hôtel GeorgeV quand ilssevoient à Paris. Cene sont pasdes chosesqu’on fait entre amis. Mais ce n'est pas leplusgrave: il utiliseAuréliepour fairecirculer desragots selon lesquels je serais un collectionneur de femmes. C'est d'autant plus gonflé de sa part que je vois défiler dans cet hôtel pasmal defillesqui viennent pour son bon plaisir et quejemesuistoujoursgardédefairesavoir. » J’ai le souffle coupé. Pourquoi me dit-il des choses pareilles?J’imagine Serge en train de faire monter des filles au bon vouloir du patron. Un jour moi, un jour une autre. 119 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 120/223 RevengePorn Je ne suis pas la maîtresse, je suis un plan parmi les plans, un joujou, un sas de décompression temporaire. Ces pensées m’écœ urent. Si mon cousin a peut-être voulu jouer les protecteurs et fait preuve de zèle en relayant des rumeurs infondées, le chanteur, lui, n’a aucun intérêt à me mentir. On se connaît à peine, on ne se reverra peut-être jamais. Je ne vois pas non plus pourquoi un artiste international de sa trempe se fourvoierait en associant son nom à des calomniesdebasétage. On ne raconte pas à une quasi-inconnue qu’on a été trompé pour le plaisir de converser. J’ai la rage au ventre. Samuel medégoûte. Jemedégoûte. Quelleconne. Comment ai-je pu être aussi naïve? Comment, moi, la fille de la rue, jepensaispouvoir conquérir touteseulelecœ ur del’homme le plus convoité du continent africain ?J’ai envie de rentrer chez moi. J’ai envie de tout casser. Fally et moi échangeons nos numéros et nous nous séparons. Sur le chemin de ma chambre, les larmes que je retenais tant bien que mal se déversent librement. KO sur mon lit, j’écoute en boucle le morceau Broken-Hearted Girl – la fille au cœ ur brisée – deBeyonce. «Je neveux pasmeséparer detoi Jeneveux pasd’un cœur brisé Jeneveux pasrespirer sanstoi Jeneveux pasjouer cerôle 120 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 121/223 La maîtresse trompée Parfois jetedétestemais jenemeplainspas Car j’ai peur quetu t’en ailles. » Aucun discours ne peut traduire aussi bien ce que je ressens à cet instant. J’aime un salaud. Mais je ne veux plus être la fille au cœ ur brisée. Depuis deux ans, ma relation avec Samuel n’a pas évolué d’un iota. Les moments de bonheur, réels, ne sont que brefs répits entre deux longues périodes d’absence et d’incertitude. Aujourd’hui, je réalise que mon impatience de le retrouver n’a sans doute jamais été partagée. Pour lui, je n’étais qu’un numéro de chambre sur une liste. Beaucoup d’hommes couchent avec une fille un soir et coupent les ponts. Samuel est bien plus pervers. Il vousgardedansson escarcelle. Il vousfait croirequevous êtes différente des autres. Il y a ceux qui vous prennent et vous jettent comme un Kleenex. Samuel considère les femmes comme un mouchoir en tissu : il vous use et vous réutilisejusqu’àladéchirure. Je repense à Frédéric, mon ex. Il me manque. Je me suis laisséembarquer dansunehistoirequi n’était paslamienne. J’ai été éblouie par un mirage de célébrité, de paillettes et de luxe. Frédéric était un homme simple, calme, posé. Il m’aimait pour ce que je suis. Je repense à ma vie avec lui lorsque Samuel m’appelle. Je ne veux plus prendre de précautions. J’ai trop mal. Je déverse un flot de colère et de tristesseininterrompu. 121 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 122/223 RevengePorn «Tu t’esfoutu demoi. – Dequoi tu parles?Tout allait bien depuisMilan. Qu’estcequi t’arrive? – Arrête. Tu vois d’autres filles. Tu as un enfant, ici à Paris. Tu fréquentes une certaine Aurélie. Je ne suis plus dupe. Je ne veux plus être avec toi. Plus jamais. Ne m’appelle plus. » Je lui raccroche au nez. Il me rappelle une fois, deux fois, trois fois. Ma seule réaction est d’augmenter le volume de ma musique et de me plonger dedans. Mes larmes trahissent moins ma haine envers lui que tous ces mois de frustration et d’illusions perdues. On frappe à ma porte. C’est forcément Serge qui vient faire la retape. J’ignore sa présence et j’augmente encore un peu le volume de mon Mac. Après quelques secondes d’attente, il entre avec un passe fourni par la réception. C’est lui qui paye la chambre, il peut y accéder comme il veut. Il est au téléphone et me tend l’appareil. C’est Samuel. J’attrape le portable et le jette au sol. «Je ne veux pas lui parler. C’est un salopard. Fichez-moi tous la paix. Je ne veux plus être ici. Je rentre au Cameroun. – Tu as parlé à Samuel d’une certaine Aurélie. C’est Fally qui t’a raconté cette histoire? J’ai bien vu que vous vous regardiez tout à l’heure. 122 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 123/223 La maîtresse trompée – Non, c’est une copine qui m’a dit ça. Tout Paris le sait. Ça n’a rien à voir avec Fally. Laissez-le en dehors de tout ça. » Serge reste impassible. Il voit bien que me raisonner ne sert à rien. Il sort comme il est entré, sans ouvrir la bouche. Jem’endorsdansun mélangedechagrin et desoulagement. Je prends un vol pour Yaoundé dès le lendemain, les yeux encore rougis par ma nuit noyée dans les larmes. Ma mère vient me chercher à l’aéroport. Mon état de fatigue et de nervosité ne lui échappe pas. Elle me demande ce qui se passe. Je lui explique que Samuel n’est pas le samaritain qu’elle croit, qu’il est volage et me considère comme un membreanonymedeson cheptel. «Cen’est pas la version qu’il m’a donnée, réagit-elle. Il se décarcassepour toi, et en retour, tu nefaisrien d’autresque l’engueuler à longueur dejournée. » Ma propre mère n’est d’aucun soutien. Je n’ai pas la force de lui raconter toutes les horreurs que j’ai entendues sur Samuel. Je lui indique simplement que notre histoire est finie, et lui demande de respecter mon choix. Elle opine sansgrande conviction. Les jours qui suivent me replongent dans le train-train quotidien, loin du champagne et des palaces européens. Je passe mes journées, enfermée chez moi, mis à part une ou deux sorties avec des amis. L’ennui cède bientôt la place 123 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 124/223 RevengePorn à la mélancolie. J’étais persuadée que Samuel me rappellerait pour s’expliquer, pour s’excuser. Libre à moi ensuite d’accorder du crédit ou non à ses justifications. Mais rien ne se passe. Une semaine, puis deux, puis trois… Un mois après ma crise de Paris, je n’ai toujours aucune nouvelle de lui. Ai-je été trop loin, trop vite? Je n’ai même pas essayé de vérifier si ce que Fally m’avait dit était vrai. Je me suis laissé dominer par mes émotions, sans lui donner une chance de se défendre. J’ai hurlé, je l’ai insulté, puis je lui ai raccroché au nez. Je commence à culpabiliser. Plus que son absence, c’est son silence qui me pèse. J’ai besoin d’un mot, d’un geste, d’une preuve de vie. Après plus d’un mois sans échanges, je craque, et lui envoie un texto d’excuses. Si nous devons nous quitter, faisons-le avec calme et respect, comme deux adultes civilisés. Pas de réponse. Un mois s’écoule encore sans aucun signe de sa part. J’ai peur qu’il lui soit arrivé quelque chose. C’est idiot, toute la presse mondiale en aurait parlé. Au fond, je crains qu’il m’ait effacé de sa vie pour de bon. Cette idée m’est insupportable. J’étais prête à discuter, désormais, je suis prête à lui pardonner. Tout. Sans plus d’explications. J’ai besoin de sa voix, son rire, son corps. Mes appels comme mes textos se heurtent à un vide sidéral. Pardonne-moi, écoutemoi. Il tient bon. Moi plus. Je dois trouver un moyen d’attirer son attention. Je ne connais qu’une façon de lui 124 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 125/223 La maîtresse trompée faire renoncer à toutes ses résolutions. J’attrape mon téléphone et rédige le SMS qui mettra forcément fin à son mutisme. «J’ai vu un film hier soir avec deux femmes qui faisaient l’amour avec un homme. J’ai trouvéça bien. » Sa réponse est laconique. Je la sais lourde de sousentendus. «Comment vas-tu ?» Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 126/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 127/223 IX FRAPPE CADRÉE Je me dirige, talons hauts et tête basse, dans l’entrée du Hilton de Yaoundé. Nous sommes en juin 2010. Cela fait un mois que Samuel et moi avons renoué le contact. J’ai tout fait pour provoquer cette réconciliation. Ces huit semaines de silence m’ont fait réaliser que je ne pouvais pas me passer de lui. Ce cauchemar interminable m’a transformée en femme soumise. Nous avons beaucoup parlé. J’ai fait amende honorable, me décrivant comme une fille trop gâtée qui ne pensait qu’à elle-même. Je lui ai promisdememettreàsaplace, d’essayer d’êtreplusmature, de lui faire davantage plaisir. Cette nouvelle Nathalie créée sur mesure pour ses bons soins l’enthousiasmait comme jamais. Il m’a expliqué que sa vie de footballeur était difficile, qu’il était obligé d’être toujours au top, de ne commettre aucun excès. À la moindre erreur, au moindre accident, il pouvait perdre du jour au lendemain tout ce qu’il avait mis si longtemps à construire. Sa vie entière et 127 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 128/223 RevengePorn celle de son entourage reposaient sur sa seule aptitude à bien jouer au football. Ce stress permanent méritait bien quelques moments de détente à la hauteur de ses sacrifices. Voilàlemessagequ’il mefallait intégrer. «Moi, ce que j’aimerais, c’est de savoir qu’après une journée difficile, tu m’attendes dans une chambre avec une autre fille, développe-t il. Que lorsque j’arrive, vous voustouchiez, et qu’on fassel’amour à trois. Si toi et moi sommes séparés quelques jours, et qu’avant un match je décide de passer du temps avec une autre fille à l’hôtel, ce n’est pas grave, au contraire. J’aurai plaisir à prendre desphotos denousdeux, à teles envoyer, et à teraconter ce qu’on a fait. Ces expériences nous rendront encore plus complices. On partagera tout. C’est ça que j’attends d’unefillecommetoi. Tu esbelle, tu esintelligente. Jesais que tu peux entrer dans mon monde. Notre relation deviendra alors spéciale, unique. Plus rien ne pourra nous séparer. » Je ne l’avais jamais senti aussi proche de moi. Pour la premièrefois, j’avaisl’impression d’entrer dansson intimité la plus absolue, de détenir la clé de son affection, et peutêtre celle de son amour. Je devais vaincre mes réticences naturelles à m’adonner à ces fantaisies sexuelles, et me convaincre que j’étais capable de supporter ce type de relations ouvertes. Je me suis renseignée sur Internet en allant 128 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 129/223 Frappecadrée voir dessiteset forumséchangistes. Jemesuisrendu compte que cette pratique était moins originale que je ne le pensais. De nombreux couples paraissaient s’y adonner avec bonheur. J’ai fini par me persuader que la vie en Europe était différente, que j’étais à la ramasse, et qu’il fallait que je me metteàlapage. Nefaispastagamine. Nefaispastajalouse. En entrant dans le hall de l’hôtel, je suis prête à devenir la femme qu’il veut que je sois. Lui a décidé de me mettre à l’épreuve sans tarder. J’entre dans sa suite, une cigarette à la bouche. Je n’ai jamais fumé jusqu’alors, mais j’ai pris cette habitudedepuisquelquesjours. Ellefait partiedel’attirail de la nouvelle Nathalie, plus mûre, plus européenne. Samuel me fait la réflexion, mais ne disserte pas là-dessus. L’imperturbable Sonor est lui aussi présent dans la chambre. Sans la moindre gêne, Samuel commence à se déshabiller, fait un tour danslasalledebainset en ressort nu. Il s’allongesur moi. Sonor nous rejoint. Cette fois, je suis parfaitement consciente de ce qui est en train de se passer. Nous faisons l’amour touslestrois, et jen’en ratepasunemiette. Pendant que les deux amis prennent du bon temps, je n’arrête pas de réfléchir. Le naturel revient au galop. Cette posture me dégoûte. Je suis un objet, un ballon que chacun se renvoie. J’essaie de penser à l’enfer de l’absence de Samuel, au bonheur pur qui se lit à cet instant sur son visage. C’est injuste: je joue un rôle, et plus je suis une autre, plus il 129 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 130/223 RevengePorn est lui-même. Je l’entends me donner du «ma poupée», «ma chérie», des motsque je n’ai plus entendus depuis nos premiers flirts. Ces paroles douces me donnent le courage d’aller au bout du spectacle. Je n’y mets pas le cœ ur, mais mon corpsfait illusion. J’ai beau me convaincre du contraire, cette nuit est une épreuve. En rentrant chez ma mère le lendemain, la honte reprend le dessus. Pourquoi n’est-il pas jaloux ? Pourquoi aime-t il me voir dans les bras d’un autre?Qu’y a-t il de si merveilleux, de si épanouissant dans ce tableau ? En poussant la porte de la maison, le regard de ma mère sur moi double l’écœ urement que je ressens. La crasse me colle à la peau. Lesjoursqui suivent avec leretour deSamuel à Milan sont l’occasion d’une nouvelle introspection. N’existe-t il aucun autre moyen de le rendre heureux ? Ses textos, plus enamourés que jamais, valent toutes les réponses. «Je t’aime tellement », «tu es merveilleuse», «j’espère vite te revoir ». Je suis piégée. J’ai joué son jeu, je suis entrée dans «son monde» comme il dit. Il n’y a plus de marche arrière possible sauf à provoquer sa colère et une inévitable rupture. Cette perspective m’effraie plus que tous les plans partouze du monde. Je ferai face. D’autres y arrivent. De toutefaçon, jen’ai pluslechoix. Les mois s’enchaînent, et si les SMS et les appels sont toujours réguliers, ils sont moins fréquents, par ma faute. 130 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 131/223 Frappecadrée Sans doute un peu échaudée par le rôle que je m’impose, je ne pousse pas le footballeur à la consommation. Et puis il y a sa carrière, toujours plus prenante. Samuel a repris le championnat italien pendant l’été. Sa saison 2009-2010 a dépassé toutes nos espérances et bluffé la planète foot. Pour la deuxième année d’affilée, mais sous un maillot différent, il a remporté le triplé, championnat national, coupe, et Ligue des champions. Ce palmarès est d’autant plus époustouflant qu’avant l’arrivéedeSamuel, leonzemilanais avait perdu de sa superbe. Cette performance inédite le place logiquement parmi les favoris au Ballon d’or. Là, une nouvelle fois, c’est son ancien coéquipier du FC Barcelone Lionel Messi qui décroche le graal. Comme l’année passée, Samuel digère mal ce qu’il considère comme une preuve supplémentaire de désamour – et de racisme larvé – de la presse européenne, et française en particulier. «J’ai redressé l’équipe et nous avons tout gagné. Je méritais ce Ballon d’or », m’a-t il confiéau détour d’uneconversation. De mon côté, j’essaie de me trouver une occupation professionnelle. Être adulte, c’est aussi être autonome. Si je gagne un salaire, même médiocre, je suis convaincue que Samuel me respectera davantage. Je ne serai jamais son égale en terme de revenus, mais je ne veux plus être la fille oisive incapable de s’acheter à manger sans son aide financière. J’entame une formation d’anglais, en attendant 131 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 132/223 RevengePorn qu’une opportunité digne de ce nom se présente. Remplir mes journées me rend moins dépendante des invitations de Samuel à venir le rejoindre en Europe. Sachant ce que nos rendez-vous intimes me réservent désormais, je ne les réclame plus avec autant de vigueur. Au mois de décembre, alors qu’il rentre passer les fêtes au Cameroun comme chaque année, je me montre disponible. Cette fois, c’est à Douala, la ville d’où il est originaire, qu’il passe l’essentiel de ses vacances. À mon arrivée à l’hôtel Méridien où il m’a donnérendez-vous, jemerendscomptequ’il nousaréservé deux chambres séparées. La mienne est au troisième étage, sa suite est au sixième. Je l’interroge sur cette curiosité. «C’est parce qu’Étienne est avec moi, il va dormir dans ma chambre», balaye-t il. Étienne est son premier fils, fruit d’une liaison précédente. Il est âgé de neuf ans. Je trouve étrange, voireun peu malsain, delemêler àsabanded’amis, à laquelle s’est intégrée la mère de Samuel, et au milieu de laquelletrôneunefemmequi n’est pasGeorgette. Passons. Le premier soir, nous faisons notre traditionnel tour en boîte de nuit. J’y rencontre Ayden, une présentatrice de journaux télévisés célèbre en Afrique qui fait partie du cercle des intimes du footballeur depuis quelque temps déjà. Elle est très belle, avec un physique peu commun dans nos contrées. Nous nous saluons poliment. Elle me raconte qu’elle est heureuse de pouvoir souffler, que le boulot la 132 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 133/223 Frappecadrée tue, qu’elle est épuisée. Sa complainte sonne faux. Elle veut se donner de l’importance. Pfff, trop de travail, trop dur quoi ! Son numéro m’agace. Ce n’est que le début. Je passe la soirée à observer sans moufter la complicité évidente qui règne entre elle et Samuel. Elle rit aux éclats au moindre mot qui sort de sa bouche. Il est flatté. Le duo se lance dans un zouk endiablé pendant trois morceaux. Elle se dandine à s’en déboîter les hanches. Elle en fait trop, mais il en redemande. Je connais le regard qu’il porte sur elle: c’est celui qu’il portait sur moi jadis. Je ne décroche pas un mot de la soirée, ce qui ne semble guère émouvoir Samuel. Je contiens mes réflexes naturels de jalousie. Si l’ancienne Nathalie aurait pété les plombs au grand jour, la nouvellese retient de tout esclandre. À notre retour à l’hôtel au petit matin, je monte dans ma chambre l’air indifférent. Je sens queSamuel mesuit. Jeretrouvepeu àpeu lesourire, jusqu’à ce qu’il m’annonce vouloir passer du temps avec sa mère avant des’endormir. «Avec ta mère?Maintenant ?À 5 heuresdu matin ? – Oui. Je n’ai pas pu lui parler depuis notre départ en boîte. Jenela voispassouvent tu sais. – J’ai du mal à y croire. Maissi tu y tiens. » Bien entendu, je ne suis pas dupe. C’est avec Ayden qu’il vapasser lanuit. Ou peut-êtreavec uneautreaprèstout. Jene disrien. Car sescoucheriesimproviséesconstituent pour moi 133 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 134/223 RevengePorn un test grandeur nature: jusqu’où suis-je prête à le suivre? Jusque quand vais-je supporter d’être une pièce rapportée? Je fais un transfert sur Georgette: c’est moi, désormais, la femme-vitrine. Celle que l’on trimballe au gré de ses humeurs, et que l’on plante au moment de partager un moment d’intimité. Je fais partie du décor, je suis une jolie armoire devant laquelle on passe sans s’arrêter. Je sens mes récentesrésolutionsdefemmesoumiseen train desefissurer. La deuxième journée est presque identique à la première. Mon attitude flegmatique aussi. Au troisième jour, la vitrine se brise. Après avoir passé une nouvelle nuit seule, je prépare mes valises pour quitter l’hôtel. La rancœ ur secrètement accumulée depuis des jours se déverse dans un SMSenragé: «Tu me prends vraiment pour une idiote. Tu découches tous les soirs sans la moindre gêne. Je sais que tu ne dors passeul. Jesuisjeunemaispasstupide. Tu neprendsmême plusla peinedetrouver desexcuses. Jepars. – Tu esvraiment unepeste. Tout letempsà teplaindre. » Saréponsem’encouragedansmadécision. Fini leflegme. DehorslaservileNathalie. Latigressefait son grand retour. «Si je suis une peste, toi, tu es un beau salopard. Tu ramènes des filles à Paris, à Douala, à Yaoundé sans doute. Je ne supporte plus d’être traitée comme une moins querien. Jerentre chez moi. – Ok. » 134 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 135/223 Frappecadrée Pendant que je boucle mes bagages, Samuel ne lâche pas l’affaire et me bombarde de textos enragés. Je fais la morte, et j’appelle David, le cadet de Samuel dont je m’étais rapprochée ces derniers temps, pour lui annoncer mon départ et les raisons qui s’y attachent. «Je sais bien que mon frère change de filles comme de chemises, confesse-t il. Ce n’est pas un secret. Avant, il essayait de trouver des stratagèmes, de vous voir séparément, mais maintenant qu’il a moins de temps, il ne prend plus de précautions, et vous réunit dans un même lieu. Il est comme ça. Oui, c’est un salaud. Tu n’es pas obligée de le supporter, mais si tu veux être avec lui, tu doisl’accepter. Lesautresl’acceptent, alorsquetoi, tu veux vivre une histoire d’amour. Samuel n’est pas la bonne personnepour ça. » La justesse de son analyse me fait l’effet d’une douche glacée après une cuite. Il a raison. Ma décision est prise: je ne veux plus l’accepter. Je tourne les talons. Sur le chemin de la gare routière, Sonor m’appelle et me demande de revenir à l’hôtel discuter avec lui. Je n’en ai aucune envie, mais la douceur et la sérénité olympienne du bras droit de Samuel ont un effet apaisant immédiat. Je consens à venir lui dire en face ce qui me pousse à fausser compagnie à toute la bande. Contrairement à son patron, Sonor ne s’énervera pas et pourra même abonder dans mon sens. J’ai 135 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 136/223 RevengePorn confiance en son jugement, souvent bien plus rationnel que celui de Samuel. Je fais demi-tour pour le rejoindre. Il me cueille à la réception et m’invite à l’accompagner jusqu’à l’ascenseur. Nous montons au sixième étage. Je devine ce qui se trame et lui indique qu’il n’est pas question de tenter un rabibochage de dernière minute. Ma fureur, un temps radoucie, se réveille pour de bon. Dans lecouloir qui jouxte sa suite, jetraiteSamuel de touslesnoms. Sonor mesupplie de ne pas faire de scandale en public, jure que son boss n’est pas dans la chambre, et me convainc de le suivre à l’intérieur pour discuter au calme. Je suis décidément bien trop naïve: une minute plus tard, Samuel fait son entrée, habillé d’un costard. Son élégance tranche avec son faciès delion enragé. Je nel’ai jamaisvu dans un tel état. «Jesuisrentrédeboîteà5heuresdu matin. J’ai desréunions toute la journée, ça ne servait à rien que je vienne dormir deux heures avec toi. Voilà pourquoi je ne suispasvenu te rejoindredansta chambre. Et toi, tu netrouvesrien deplus intelligent quedemebombarder detextosstupides?Pour qui tu teprends?» Son ton agressif me pétrifie. Le garçon gentil, galant, blagueur dont je suis tombée amoureuse cache un homme capable de colères intenses, violentes. Sonor quitte la pièce discrètement. Son départ n’est pas fait pour me rassurer. 136 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 137/223 Frappecadrée Samuel enlève sa veste et me lance cette fois un regard dedéfi. «Maintenant, tu vasmedireen facetout cequetu m’asdit par écrit. » L’ambiance délétère devient stressante. Pour la première fois depuis bientôt trois ans, Samuel me fait peur. Mon seul réconfort face à ce déluge de haine est de me savoir du côté de la vérité. Je me raccroche à cette conviction pour me trouver le courage de répliquer et me lève à mon tour. «Je n’ai pas d’explication à te donner. Je n’en ai plus. Nousdeux c’est terminé. Tu esun salopard. Tu esun beau parleur. Tu es un manipulateur. Tu voulais que je te dise tout ça en face?Eh bien c’est fait. » Dans un silence de mort, Samuel me décoche une gifle monumentale. Je m’écroule par terre, la main posée sur ma joue à vif. La douleur est intense. Je reste interdite, bouche bée, comme si je découvrais le vrai visage de l’homme que j’ai en face de moi. De quoi est-il capable?L’effroi me serre les boyaux. Il s’avance, le doigt tendu, et les yeux gorgés d’hémoglobine. «À qui tu parles comme ça? À qui, hein ? Pour qui tu te prends? Depuis que je suis avec toi, je ne me suis jamais énervé. Tu fais toujours tes gamineries, et moi je te passe tout. Tu teprendspour lebonhommedanscecouple?C’est toi qui décides?» 137 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 138/223 RevengePorn Je n’ose plus parler. J’ai peur qu’il me frappe à nouveau. Mes yeux se remplissent de larmes. Je n’ai qu’un espoir : que mon silence le ramène sur terre. Je me trompe. «Si tu ouvres encore la bouche, je te jette du sixième. » Jeprendssamenaceau sérieux. LeSamuel quejeconnais ne ferait pasde mal à une mouche. Celui qui setient devant moi est incontrôlable. J’ai envie de crier au secours. Dans un réflexe de quasi-survie, je m’empare de mon téléphone pendant qu’il m’injurie de plus belle, et j’appelle le dernier numéro composé, celui de ma mère, à qui j’avais annoncé mon retour prématuréà Yaoundé. Lorsquej’entendsdécrocher, jem’adresseàellebien fort : «Maman ?» Samuel est pris de court. Il interrompt sa litanie d’insultes, m’arrache le téléphone des mains, et porte l’appareil à son oreille sans me quitter des yeux. En l’espace d’une seconde, son visage change d’expression. Le lion enragé se mue en doux agneau. La transformation physique est saisissante. «Allô maman ? Quoi, tu as entendu crier ? Non, non, ne t’inquiète pas. Nathalie fait encore des histoires. Tu le sais, je fais tout pour elle, je lui apporte tout ce dont elle a besoin, mais ça ne suffit jamais. Le pire c’est que jel’aimebeaucoup, maman. Jeveux faired’elleunegrande dame. » 138 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 139/223 Frappecadrée J’entends ma mère lui demander d’essayer d’arranger les choses comme il peut. Je suis estomaquée par la scène à laquelle j’assiste et par le culot sans limite de Samuel. «Tu as raison. On va se parler elle et moi. Au revoir, maman. » Il raccroche. L’appel de ma mère semble avoir un effet sédatif sur son coup de sang. Je prie pour que l’accalmie me profite. Mon vœ u semble exaucé. L’agneau prend définitivement le dessus. Samuel secoue la tête comme pour se réveiller d’un mauvais rêve. «Écoute, je ne suis pas ici que pour la fête. J’ai aussi du travail. Je n’aurais pas dû m’emporter. Je n’aurais pas dû te laisser dormir seule comme je l’ai fait. Mais ces réunions m’ont empêché de suivre l’agenda que je m’étaisfixé. » Je n’en croispasun mot, maisjefaissemblant d’acquiescer. Ne surtout pas réveiller la bête endormie. J’abonde dans son sens en n’ayant qu’une idée en tête: sortir d’ici le plus vite possible. Il me laisse quitter la suite sans un mot. Je ne me retourne pas et rejoins à petites foulées la voiture qui m’attend. La panique qui s’est emparée de moi me poursuit encore. Elle ne m’abandonne qu’une fois dans le bus qui me ramène à Yaoundé. À ma mère qui s’inquiète des suites de notre dispute, je dis que tout est arrangé, pour couper court à la conversation. Enfermée chez moi jusqu’à 139 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 140/223 RevengePorn la Saint-Sylvestre, je n’ai qu’une crainte: que Samuel tente de me recontacter. Il n’en sera rien, jusqu’au passage du Nouvel An. Le simple fait de voir son nom s’afficher sur mon écran ravive le souvenir de ce huis clos infernal où j’ai craint pour ma vie. J’ouvreson texto la bouleau ventre. «Bonne année. » Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 141/223 X HORS- JEU VOLONTAIRE L’année 2011 débute par de bonnes résolutions. L’épisode de la gifle est peut-être l’électrochoc dont j’avais besoin. Cela fait maintenant trois ans que nous sommes amants. De passablement toxique, notre relation est devenue perverse. L’irruption de la violence dans nos disputes m’en fait prendre conscience de la manière la plus brutale qui soit. Samuel me considère comme un objet dont il dispose à sa guise. Il ne peut pas accepter que je contredise satoute-puissance. Demon côté, jen’arrivepasà melibérer de son emprise comme je le voudrais. Mes tentatives de séparation se sont soldées par des échecs. À la moindre main tendue, j’ai rappliqué comme un chien derrière son maître. Je suis comme une droguée, partagée entre volonté de me désintoxiquer, et faiblesse face à la sensation de manque. Il me faut changer de stratégie. Si je n’arrive pas à rompre tout net avec Samuel, je peux essayer de m’en détacher progressivement. M’émanciper, côtoyer d’autres 141 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 142/223 RevengePorn personnes, me faire de nouveaux amis. Apprendre à combler le vide insupportable que crée son absence, et réussir à m’en accommoder. Me dire que la vie sans lui est possible. Pour finalement, un jour, sauter lepas. Jereprendscontact avec Fally et avec mon ancien «beaufrère», le mari de Léonie. Je partage avec eux mes doutes, mes envies. Ils évitent de se prononcer sur le fond de ma relation, préférant me conseiller de reprendre mes études. J’y suis résolue mais l’année scolaire est encore une fois bien trop avancée pour espérer rattraper un cursus en cours de route. Alors, je m’amuse. J’aimeraissortir le soir avec des amis, boire des verres, danser, mais au Cameroun, Samuel a des yeux partout. Il apprendrait d’une manière ou d’une autre mes escapades solitaires, s’en offusquerait, et me demanderait delui rendredescomptes. Seul moyen d’échapper à ses radars: partir m’aérer à l’étranger. Je profite de sesweek-endsdematchspour faireun saut au Nigeria, et au Gabon, entourée de quelques amis. Samuel subvient à mes besoins, continuant de m’envoyer chaque mois 1 million de francs CFA, soit l’équivalent d’environ 1500 euros. Certains me trouveront culottée de profiter de son argent malgré les heurts, maisvu son immensefortune, c’est unegoutted’eau par rapport àl’océan desouffrancesqu’il mefait endurer. Les premiers temps, cette méthode «douce» d’émancipation à distance fonctionne mal. Je déploie des efforts 142 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 143/223 Hors-jeu volontaire surhumains pour ne plus le voir ou le contacter aussi souvent qu’avant. De son côté, il ne se montre guère soucieux de ne pas avoir de mes nouvelles pendant trois ou quatre jours d’affilée. Il n’oublie pas le jour de mon anniversaire, au mois de février, mais se contente de me gratifier d’un messagepar texto sanseffusionsparticulières. Cette apparente indifférence m’irrite. Et lorsque je trouve enfin le courage de couper les ponts pendant une semaine, il me suffit d’un coup de fil à ma mère pour apprendre que Samuel l’a contactée, a fait ceci, lui a raconté cela. Je le chassepar laporte, il revient par lafenêtre. Au mois d’avril, je passe à la vitesse supérieure. Je décide de passer cinq jours à Dubaï avec des amis de lycée partis du Cameroun pour vivre en Allemagne. J’évite soigneusement deparler à Samuel deceprojet. À l’atterrissage, jevois qu’il a tenté de me joindre. Je tente de résister à l’envie de lui répondre. Sans succès. Je lui annonce par message où je suis, puis je coupe mon téléphone. Je le rallume à l’hôtel et, cettefois, j’ai droit àun appel en bonneet dueforme. «Pourquoi tu pars comme ça sans me prévenir ? Avec qui es-tu partie?Quel est le nom de ton hôtel ?Quel est le numéro dela chambre?» Je l’ai foutu en rogne. Je ne dois pas céder. Il faut que j’arrive à lui tenir tête. 143 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 144/223 RevengePorn «Ce n’est pas un hôtel, c’est un appartement. Il n’y a pas de numéro de chambre, désolée. C’est moi qui t’appellerai. Plustard. – Maispour qui tu teprends?Tu croisquejevaisattendre sagement que tu sois disponible pour me téléphoner ? Qui sont cesgens?Jeveux leursnoms, leursvisages, envoie-moi desphotosd’eux. – Oui, bien sûr. Je vais leur demander de poser devant l’objectif au milieu du dîner et leur dire : “Ne vous inquiétez pas, c’est pour mon copain”. – Tu meprends pour un con ?Tu peux faire desphotosde voussans lesfaireposer, nesoispasstupide. – Toi, quand je te demande où tu es et avec qui, tu ne me réponds pas. Eh bien avec moi, désormais, c’est pareil. Point final. » Çay est, laguerreest déclarée. Avec letemps, j’ai compris que Samuel n’avait qu’un seul véritable point faible: il déteste que la situation lui échappe. Je peux coucher avec son meilleur ami s’il le décide, qu’il s’occupe du jour, du lieu, et de la mise en scène. Mais partir dîner avec un ami au restaurant sans lui en avoir parlé?Insupportable. Il doit rester maître du jeu à tout prix. Il est le roi, nous sommes ses sujets. Sa jalousie ne s’exprime au grand jour que s’il n’a pas la main. Cette fois, c’est moi qui distribue les jetons. Je vais lui distiller les infos au compte-gouttes, exploiter au 144 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 145/223 Hors-jeu volontaire mieux ce début de jalousie pour lui faire sentir qu’il n’a pas lecontrôle, quejesuislibredemesfaitset gestes. Jesensque j’ai trouvélafaille, et jevaism’y engouffrer. Samuel me bombarde d’appels toutes les cinq minutes. Je n’y réponds que sporadiquement, par un bref texto du style : «On est au resto, je te rappelle», ou «Il y a de la musique, on ne s’entendra pas». Mes réponses évasives le rendent fou. Un après-midi, je croise par hasard dans un gigantesque centre commercial un Camerounais expatrié que mon cousin m’avait présenté alors que j’étais encore au lycée. Cyril, la trentaine bien tassée, avait flashé sur moi lors d’un de ses séjours au pays. Ses affaires sont ici, à Dubaï, où il vit à l’année. L’hommeest sympathique, galant, mais ne me plaît pas physiquement. Les années n’ont pas modifié ce premier ressenti, mais je vois là l’occasion de tester les limites de Samuel. Je daigne répondre à l’un de sesnombreux appelset lui décriscette rencontre fortuite en travestissant un peu lavérité. «C’est fou non, de le croiser comme ça, dans un centre commercial ? C’est bizarre, je le trouve plutôt beau mec. Mesgoûtsont dû changer depuisl’adolescence. En plus, ses affairesmarchent bien, il a unebellevoiture. » Ma stratégie est un succès. «C’est sûrement un escroc, un parasite, legenredetypequi nefait rien desa vieà part profiter desautres. 145 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 146/223 RevengePorn – Ça m’étonnerait. Mais je vais pouvoir le vérifier, il nous a tousinvitésà dîner chez lui. – Tu vasy aller ? – Bien sûr ! Pourquoi pas?» Il est désarçonné. La situation lui échappe totalement. Il tente de me mettre en contact avec l’un de ses amis sur place, me promettant qu’il va mieux s’occuper de moi, me trouver un bel hôtel, nous faire sortir, moi et mes amis. Il veut reprendrelecontrôle, coûtequecoûte. Jenepeux pas faillir maintenant. Au contraire, je me demande jusqu’où je peux aller. Mon attitude n’est pas celle d’une revancharde blessée: je veux lui faire sentir la jalousie profonde qui m’a si souvent assaillie. Lui faire réaliser la souffrance que j’ai endurée, qu’elle lui torde les boyaux comme elle a tordu les miens. Et peut-être, au fond, lui faire prendre conscience des sentiments qu’il a pour moi. J’ai passé la seconde, j’enclenchelatroisième. «Tu sais, j’ai rencontré un type sympa ici, un local, un musulman. Jecroisqu’il meplaît. » L’histoire est bidon, mais crédible. Son attention est totale. Je m’attends à une explosion de rage. «C’est vrai ? Mais vas-y, fonce! Il est comment ? Couche avec lui, fais-lui une gâterie, fais ce que tu veux, mais surtout, prendsdesphotosdela scène, jeveux tout voir. » 146 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 147/223 Hors-jeu volontaire Le sol s’effondre sous mes pieds. Je voulais l’énerver, lui faire mal. Je n’ai réussi qu’à l’exciter. Sa réaction me coupe la chique. Dans son délire, il m’envoie des photos de lui en action avec des filles, et s’appuiesur sespropres expériences pour mesuggérer desidéesdemiseen scèneet depositions. Possédé par son vice, il ne se rend même pas compte qu’il me montre, pour la première fois, des clichés de ses ébats avec d’autres femmes. Je n’ignorais pas cette réalité, mais le choc est violent. Je tente d’effacer de ma mémoire ces images de débauche. Pendant ce temps, lui, ne s’arrête plus debavasser. «Tu te mets dans ce sens, comme ça le mec peut te prendre en photo comme ça, après ça vous changez decôté… » Sa litanie inépuisable me blesse, mais entraîne dans le même temps un effet secondaire inattendu. Il est à mes pieds, soumis, à ma merci. Lesrôlessont inversés: c’est moi qui suis toute-puissante cette fois. Cette victoire suffit à me contenter. Mais elle a un goût amer. Deux heures plus tard, j’annonceàSamuel quej’ai couchéavec lebel inconnu, sans avoir réussi à immortaliser nos cabrioles. Pas le culot de sortir l’appareil photo. Trop embarrassant, trop compliqué. Je lui explique que c’était un coup d’un soir, qu’il n’y aura pasdedeuxièmetour. Il est déçu maisseréjouit malgrétout demon initiative. 147 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 148/223 RevengePorn «Tu as enfin compris ce que j’aime. C’est mon bonheur, c’est mon vice. Continuons sur cette voie. Nous allons être heureux touslesdeux. » En rentrant au Cameroun, j’ai le sentiment d’avoir percé définitivement le mystère Samuel Eto’o. Oui, c’est un homme romantique, galant, drôle. Mais ses attentions ne sont qu’un appât, un marchepied pour vous entraîner dans ses fantasmes. Il a le vice dans la peau, mais n’en éprouve aucune fierté. Il a fallu trois ans de louvoiement pour qu’il s’en ouvre de manière explicite. Je le sens presque libéré, soulagé de pouvoir désormais aborder le sujet sans détours. Lors des conversations qui suivent, il ne s’en prive pas, et me dresse le portrait rêvé d’une vie libertine à ses côtés. Il a tout réussi, a de beaux enfants, une belle carrière. Mais l’argent ne suffit pas. Il se sent seul. Ses «délires», comme ils les appellent, voilà ce qui le rend vraiment heureux, mais il ne peut les partager avec personne ou presque. Bien sûr, il peut trouver facilement des femmes qui acceptent ses exigences, et même avoir recours à des prostituées s’il le faut. Mais ces filles de passage ne lui plaisent pas. Avec moi, il se sent bien, en confiance. Nous sommes attachés l’un à l’autre. Cette affection réciproque rendra plus intense encore l’expérience du libertinage. Il me noie sous une pluie de scénarios plus exotiques les uns que les autres. Clubs privés, yeux bandés, mains attachés… Il me jouait 148 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 149/223 Hors-jeu volontaire 50 NuancesdeGrey avant l’heure. J’abondedansson sensau téléphone, mais je n’arrive pas à m’imaginer l’accompagner dans les folles parties fines qu’il nous promet. Dans le même temps, je me sens privilégiée d’avoir accès à la plus secrète intimité de son être. Si j’ignore où il me mène, je ne veux pas briser ce lien nouveau qui nous unit. Je décide de déployer une sorte de stratégie de l’évitement : maintenir le contact à distance, alimenter virtuellement le foyer de son désir, et trouver un prétexte pour ne pas laisser le champ libreàsesprojetslibidineux s’il provoqueunerencontre. Mon plan fonctionne. À l’été 2011, nous nous retrouvons quelques jours au Concorde Lafayette. Ses obsessions ne gâchent pas nos escapades amoureuses. À l’exception du visionnage d’un film porno mettant en scène un couple delesbiennes, il n’est pasquestion defantaisiessexuelles. Ce n’est pas la première fois qu’il met en sourdine ses lubies devant moi, commes’il préférait lefantasmeàlaréalité. À la rentrée, il quittel’Inter deMilan pour l’Anzhi Makhachkala, un club du Daguestan, l’unedesrégionslesplusoccidentales de Russie. L’équipe est anonyme, l’enjeu sportif nul, mais peu importe: le numéro 9 ne supporte plus le mépris du football européen pour son talent. Il a le sentiment d’avoir porté son équipe à bout de bras, parvenant à remporter un seul trophée d’ampleur – la coupe d’Italie –, sans, une fois de plus, en récolter les fruits. Pour la troisième année 149 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 150/223 RevengePorn consécutive, c’est Messi qui a décroché le Ballon d’or, Samuel ne terminant même pas dans le trio de tête. Ce nouvel échec qu’il considère comme un manque de reconnaissance criant constitue le tournant de sa carrière. «Puisque je ne peux pas être numéro un sur le plan sportif, je vais l’être sur le plan financier », m’explique-t il. Il se montredisponibleau plusoffrant, et c’est lepetit club russe, dirigé par un milliardaire local, qui propose le plus gros chèque, avec 20 millions d’euros de salaire par an. Les titres des journaux sportifs du monde entier célébrant le «joueur le mieux payé de tous les temps» sonnent comme une revanche pour le petit Camerounais miséreux. Mais il l’éloignedesesproches. Malgréun jet privémisàsadisposition par le club pour faciliter ses déplacements, ses visites en Europe se font plus rares, tout comme nos occasions deretrouvailles. Je profite de cette parenthèse forcée pour me recentrer sur moi-même. L’oisiveté et mes tourments incessants avec Samuel m’ont fait prendre du poids. Mes journées s’étirent entregrignotages intempestifset coma télévisuel. Jenepeux plus végéter indéfiniment, il me faut un travail de toute urgence. Une nouvelle compagnie aérienne, Camair-co, vient de se lancer au Cameroun. Ils cherchent des hôtesses d’accueil. Je postule à l’automne, forte de mes nouvelles compétences en anglais. L’entretien se passe bien. Je suis 150 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 151/223 Hors-jeu volontaire prise à l’essai pendant trois mois, comme agent d’escale à l’aéroport deYaoundé. Letest est positif, et jesuistitularisée à mon poste au début de l’année 2012. Salaire net : l’équivalent de 400 euros par mois. C’est peu, mais je m’en accommode. L’argent n’est pas ma motivation première. Je suisfièredemelever lematin, d’aller travailler, et derentrer crevée le soir. Plus que tous les séjours en hôtel cinq étoiles, mon nouveau statut desalariéemodestemedonnel’impression d’accéder enfin au monde des adultes. Ce rythme de vie normale retrouvé m’aide à m’émanciper à la fois sur le plan personnel et sur le plan sentimental. Je ne suis plus dépendante des appels de Samuel. J’ai d’autres occupations danslajournéequederester lenez colléàmon Smartphone entre deux paquetsde chips. Le contact entre nousn’est pas rompu, mais nos quotidiens respectifs chargés nous offrent un bol d’air fraisnécessaire. Noséchangessefont plusrares, mais sont aussi moins futiles. S’il n’a pas, dans un premier temps, encouragé mon choix de travailler, ma condition de femme active ne semble finalement pas lui déplaire. Il me parle avec plus d’égards, plus de respect. Au fil des mois, j’entends ici et là des bruits de couloir sur telle ou telle liaison qu’on lui prête. Chaque fois, je ressens un petit pincement au cœ ur. Mais mon esprit est vite accaparé par ma mission du jour, mesclients, meschefs. Jen’ai plusletemps de jouer lesdétectives, de m’apitoyer sur nous. Preuve dece 151 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 152/223 RevengePorn détachement progressif, jerépondsàl’invitation deFally qui me propose en avril de venir en République démocratique du Congo à l’occasion de la sortie de son nouvel album. J’y passe deux jours. Je me sens plus épanouie et sereine que jamais. Notre amitié se renforce. Un soir, après l’un de ses concerts de promotion, nous flirtons brièvement. Cette incartade n’aura pas de suite. Elle témoigne simplement de mon état d’esprit du moment. Je me garde bien d’en parler à Samuel, pour ne pas troubler cette période de quiétude inespéréequenoustraversons. Il lesaurabien assez tôt. Je n’ai pas encore de vacances officielles, mais j’obtiens deux jours de repos au mois de juin, à l’occasion du jubilé de Patrick M’Boma. L’ancien joueur des Lions, devenu consultant pour Canal +, est une figure vénérée du football camerounais. Samuel me prévient qu’il compte faire le déplacement, et nous convenons de nous retrouver dans sa suite du Hilton lors de son séjour. Je suis heureuse de le retrouver, mais la passion n’est plus là. Tout du moins, j’attends un geste de sa part pour raviver la flamme. À mon arrivéeàlaréception, jecroiseAyden, lajournalisteantillaise dont j’avais fait plus ample connaissance à Douala deux ans plus tôt. J’ai un désagréable sentiment de déjà-vu. Elle s’annonce à la réception. Mes vieux réflexes d’espionne se réveillent. Ni uneni deux, jefiledansla chambrede Samuel pour scruter un changement de comportement. Il est au 152 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 153/223 Hors-jeu volontaire téléphone. Étranges retrouvailles. Je l’entends converser avec une voix féminine à qui il glisse : «Tu es déjà là?Ok j’arrive. » Il raccroche et se tourne vers moi sans grandes effusions. J’ai latêtequefont lesenfantsquand ilspréparent un salecoup. «J’ai croiséAyden en bas, lui dis-je. – Ah oui. C’est possible, il y a beaucoup de journalistes pour le jubilé. Dis-moi, tu m’as dit que tu voulais acheter unevoiture non ?Tu veux laquelle? Ce retournement acrobatique trahit son sentiment de culpabilité. Même si la folie des débuts est loin, je me réjouissais sincèrement de le revoir enfin seul à seul. Il va falloir le partager. Je n’ai plus l’énergie pour lui faire une scène. Ces derniers mois, j’ai appris à vivre sans sa présence physique. Jepeux y arriver. Jenesuissimplement pasencore prête à couper tous les liens. De son côté, il n’a pas changé. Me voir après des semaines de séparation n’a pas eu l’air de l’émouvoir plus que ça. Le soir, Samuel me dit qu’il va dîner au restaurant avec ses amis pour parler affaires. Quelques minutes plus tard, j’apprends par l’une de mes taupes qu’il est en boîte avec le reste de la bande. Laquelle ramènera-t il dans son lit ? Ça ne m’intéresse pas. Je m’endorsseule, en pensant àlavoiturequeSamuel m’offrira bientôt. Je n’attends plus d’excuses, ni de grand discours, ni d’engagement de sa part. À partir de maintenant, je veux 153 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 154/223 RevengePorn simplement profiter de ce qu’il me donne, au sens propre comme au figuré: des cadeaux, de l’argent, et un peu de temps quand il le souhaite. Ma démarche peut paraître cynique, elle n’est que le résultat d’un profond sentiment de résignation. Il ne changera pas. Je ne le changerai pas. Après le jubilé, Samuel rentre en Russie. Deux semaines plustard, sur sesordres, l’un desessbiresvient mechercher un matin pour m’emmener à la banque et me remettre un sac rempli de billets. Je me rends avec le butin chez le concessionnaire. Je repars au volant d’un SUV Hyundai IX35, payé cash 40 000 euros, les cheveux aux vents et la consciencetranquille. Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 155/223 XI AU FOND DE SES FILETS Jenecoursplusaprèsmon princecharmant en crampons. Samuel voulait fairedemoi uneadulte. Il y est parvenu, mais je ne suis sans doute pascelle qu’il avait en tête. Ma priorité, c’est mon travail. Trop de prisesde tête, trop defrustrations. L’amoureusedépitéeest devenueune«workinggirl »pressée. J’enchaîne les heures, parfois jusqu’au bout de la nuit, avec l’énergie d’un Stakhanov. Je veux briller, performer. Le reste est accessoire. Samuel et moi continuons de nous donner desnouvellesrégulièrement, sansflammeni drame. Delui, je n’espèreplusrien, sinon debeaux cadeaux, debeaux voyages, et un brin de tendresse. En clair, des biens matériels et du sexe. C’est bien suffisant pour assurer mon bien-être. Maintenant j’optimise, je rentabilise. Il a fallu du temps pour queje comprenne enfin qu’en amour, le meilleur moyen de ne pas êtredéçueest encoredenerien attendre. La distance et nos emplois du temps respectifs ont largement contribué à mon changement d’état d’esprit. Quand 155 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 156/223 RevengePorn bien même je serais toute entière dévouée à ma superstar, nos rendez-vous ne pourraient pas dépasser une nuit tous les deux ou trois mois. Je n’ai pas encore de congés payés, et le week-end, Samuel est bloqué par les matchs de son championnat. Ce n’est qu’en février 2013 que je décroche enfin mes premières vacances officielles, qui coïncident avec mon anniversaire, le 7 du mois. Samuel m’offre un séjour à Paris. J’espère qu’il pourra m’y rejoindre, au moins le temps de venir souffler les bougies avec moi. Il décline, prétextant un stage d’entraînement avec les Lions. J’ai beau jouer les indifférentes, je suis un peu triste: cela fait quand même huit mois qu’on ne s’est pas vus. Au Concorde Lafayette, je retrouve l’indéboulonnable Sonor, qui me propose de passer mon déjeuner d’anniversaire avec lui et quelques amis à l’Atelier, le grand restaurant de Joël Robuchon sur les Champs-Élysées. J’accepte, mais le cœ ur n’y est pas. J’enfile une paire de Louboutin offerte par Samuel comme une marque de son absence. Au milieu du repas, je sens des mains se poser sur mes épaules. Je tourne la tête. Mon footballeur affiche ce sourire malicieux que j’aime tant. Je suis touchée par cette arrivée à laquelle j’étais à mille lieues de m’attendre. Après le dessert, direction le shopping. Je repars de l’avenue Montaigne avec un sac Céline en python à 2700 euros, un sac Chanel à 3 250 euros, une montre et des ballerines de la même 156 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 157/223 Au fond desesfilets marque, et une fourrure Burberry à 3000 euros. Sa générosité sans limites m’attendrit. Il s’amuse à me regarder faire lesessayagescommedanslacélèbrescènedePretty Woman. La journée se termine par une soirée dans son appartement du XVI e arrondissement. C’est un vrai palace, avec unesalle de cinéma au milieu duquel trône une chaussure de foot en or. L’heure avançant, la bande nous quitte petit à petit. Seul Sonor reste avec nous. Ça recommence. Je viens de passer une journée de rêve. Comment dire non ? Je suis piégée. Samuel monte dans la chambre pour se changer et nouslaisse, moi et Sonor, danslesalon. Cedernier m’enlace lorsque son patron fait irruption. Comme toujours, Samuel observed’abord sansbouger. Il est aux anges. Moi, jenesuis plus choquée comme avant. Je fais le job sans dégoût mais sans enthousiasme non plus. On m’a donné du plaisir, j’en donneen retour. Ni plusni moins. Nos escapades se poursuivent, toujours aussi espacées. Paris, Majorque, où Samuel a joué et possède toujours une superbe maison avec piscine, puis Paris à nouveau. Dans l’intervalle, le numéro 9 a quitté Anzhi. Les rapports avec le club se sont tendus. Même avec son immense talent, il ne pouvait pas faire de miracles, et les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les Russes ne peuvent plus suivre financièrement et proposent à Samuel de diviser son salaire par trois, 157 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 158/223 RevengePorn lui offrant 7 millions d’euros par saison. Nous en parlons. Jelui conseillederefuser : «Tu as trois Champions League à ton actif, tu n’as plus rien à prouver. Reviens en Europe, n’importe quel club te proposera le même salaire et tu retrouveras un niveau de jeu qui tecorrespond. – Tu asraison. » Il caresse un instant l’idée du PSG, mais il n’y connaît personne. En revanche, son ancien entraîneur de l’Inter, José Mourinho, vient d’être embauché par Chelsea. Samuel reprend contact avec le «special one» et propose de le rejoindre. Le club londonien consent à lui verser un salaire de 8 millions d’euros. Samuel accepte sans sourciller. Il sait qu’il n’est plus aussi en forme qu’avant, et l’admet du bout des lèvres en privé. Il s’en veut d’être parti au Daghestan pour le plaisir de faire le buzz, sans se rendre compte qu’il perdrait sur le plan sportif ce qu’il ramasserait en espèces sonnantes et trébuchantes. À ses yeux, Mourinho lui fait même une fleur en l’intégrant dans son effectif, et Samuel lui en sait gré. Les premiers temps s’avèrent pourtant difficiles. S’apercevant des limites physiques de l’avant-centre, l’entraîneur portugais ne fait que rarement appel à lui, et c’est sur lebanc detouchequ’il passel’essentiel despremiers matchs. Être relégué au rang de figurant est un camouflet difficile à supporter pour Samuel, d’autant que l’équipe 158 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 159/223 Au fond desesfilets enchaîne lesperformances. Il ronge son frein en silence: lui seul est responsabledelabaissedeson niveau dejeu. Cesdifficultéssportivesle rendent plusdisponibles à nos échanges téléphoniques. Je lui parle de mon travail à l’aéroport qui me donne plus que jamais des envies de voyages. Il me demande où je rêverais d’aller. Ma réponse fuse: New York ! Mes désirs sont des ordres. Impossible pour lui de m’accompagner, et pourtant, alorsqu’il setrouveàLondres, il organise pour moi un séjour tous frais payés début novembre à l’hôtel Mandarin Oriental, en plein Manhattan. L’établissement est le plus incroyable qu’il m’ait été donné de visiter, avec sa réception perchée au trentième étage. Ma chambre, sans être dingue, possède une vue magique sur Central Park. Je le noie sous une pluie de textos surexcités, regrettant simplement de nepas l’avoir à mes côtés. Ma joie est decourtedurée. Lelendemain demon arrivée, mon petit frère m’appelle pour m’annoncer la mort de mon grandpère. Je suis dévastée. Depuis le décès de mon père, il était devenu la figure paternelle à laquelle je m’étais raccrochée. J’ai besoin depleurer, deparler. Jesorsmon téléphonepour informer Samuel, mais un MMS reçu au même moment m’en empêche. Il est deRolande, l’unedemesamieshôtesse del’air. Ellem’envoieunephoto brasdessusbrasdessousde Samuel et Marie-Christine, une autre de nos collègues, avec qui il avait eu une histoire d’amour il y a cinq ou six ans. Le 159 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 160/223 RevengePorn cliché, daté du jour de mon arrivée aux États-Unis, constituait la photo de profil BBM nouvellement mise à jour de notre ancienne camarade. Leur sourire complice est pour moi un crachat à la figure. La seule épaule sur laquelle j’ai envie d’épancher le chagrin de mon deuil est occupée par une autre. C’est la goutte de trop. Je mets ma douleur entre parenthèses le temps d’appeler Samuel. La photo ? Quelle photo ?Ah oui, celle-là. Il ne sait pas. Ah si, il a croisé cette Marie-Christine dans une gare, et cette dernière voulait un selfiepour safille. Il sefout demoi, maislemoment est trop mal choisi. Jeraccrochenet. Je n’ai pas les moyens de changer moi-même mon billet, et il est exclu queje demandequoi quecesoit àSamuel après ce nouvel affront. Je reste à New York jusqu’à mon vol retour, cinq jours plus tard. Je pense à mon grand-père, à mon père, et à leur regard sur ma vie, depuis les cieux. Je les sais heureux de me voir m’épanouir dans un travail sérieux. Mais j’ai moins de certitude quant à ma situation sentimentale. Seraient-ils fiers de me voir sans cesse malmenée par un homme qui collectionne les femmes sous prétexte qu’il peut tout s’offrir ?Je connais la réponse. Elle ajoute à ma douleur. Peut-être est-ce le déclic qu’il me fallait pour mettre un terme définitif à cette mascarade amoureuse. En rentrant chez ma mèreàYaoundé, jedécidedesolder lescomptes. Un appel, un seul. Ledernier. 160 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 161/223 Au fond desesfilets «En cinq ans, nous en sommes au même point qu’au premier jour. Pire: nous nous voyons au débotté, et le reste du temps, tu vois d’autres femmes à ta guise, sans mêmeparler dela mèredetesenfants. Jesuista pute. Jene suisplus une gamine. J’ai vingt-six ans, mais à tesyeux, je nesuisrien d’autre qu’unepute. » Il comprend que cette dispute ne ressemble pas aux autres. Il tente de crier pour couvrir ma voix, sa technique préférée quand il se sent acculé. Je fais mine de ne pas l’entendre, et continue de déverser mon fiel. Il baisse d’un ton et temporise. «C’est faux. Jeteprometsquejevaisassumer notrerelation à partir de maintenant. Tu es la seule qui connaisse toutes les facettes de ma personnalité et qui m’accepte comme je suis. Tu saistout demoi, et tu esencorelà. – Si tu penses ce que tu dis, alors on ne se cache plus. À partir d’aujourd’hui, je veux t’entendre crier sur tous les toitsquenous sommesun couple, un vrai. – C’est d’accord. – Tu mens. Ou alors prouve-le dès maintenant, et laissemoi montrer au mondequenoussommesensemble. – Tu peux y aller. Ici, à Londres, jenevisplusavec la mère desenfants. Et c’est toi que jeveux. » La rumeur de sa séparation officielle avec Georgette courait depuis quelques temps. Je l’espérais vraie, il me le 161 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 162/223 RevengePorn confirme. L’information meréchauffelecœ ur. Maisl’heure n’est plus aux belles paroles. Quelques secondes à peine après avoir raccroché, j’ouvre mon compte Facebook. J’y publie une sélection de photos de notre couple prises aux quatre coins du monde ces cinq dernières années: Paris, Milan, Barcelone, Londres… Je n’oublie aucun de nos voyages jusqu’ici secrets. J’ajoute quelques portraits intimes de Samuel en train de dormir, ou dans la baignoire, en prenant soin de sélectionner des clichés où il n’apparaît pas nu. Je clique sur «publier ». Je compte bien sur ma liste de cinq cents amis pour que la nouvelle se transmette comme un virus et se répande dans tout le Cameroun et au-delà à la vitesse de la lumière. En fermant les yeux, je repasse le film de notre histoire avec ses hauts et ses bas. Elle n’est pas parfaite, loin de là. Mais c’est la nôtre. Peut-être va-t elle enfin répondre à mes espoirs depuis si longtempsenfouis? Lanuit est courte. Dès5 heuresdu matin, mon téléphone s’affole. Je saisis l’appareil : l’écran affiche des dizaines de SMSet d’appelsmanqués. Laplupart proviennent du même correspondant : Samuel. J’égrènequelquestextospour comprendrelaraison deson agitation. «Mais tu es folle? Tu as mis des photos de nous sur Facebook ?» 162 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 163/223 Au fond desesfilets J’ai été stupide d’y croire. Il n’est pas juste furieux : il est complètement paniqué. Tu m’asbien dit quetu étaisprêt à assumer notrerelation ? À la rendre publique à la face du monde? Eh bien voilà, j’ai appliquétesbonnes résolutionsà la lettre. – Oui mais c’était à moi de le faire. Laisse-moi juste un peu de temps. » Pourquoi attendre encore, si ce n’est pour mieux sedéfiler ?Baratin. Je sais désormais à quoi m’en tenir. Je lui écris qu’il peut dormir sur ses deux oreilles, et que les photos vont disparaître dans la minute. Au passage, je lui indique qu’il doit désormaismeconsidérer àsesyeux commemorte et enterrée. «Danscecas, tu doismerendretouslescadeaux quejet’ai offerts. Vêtements, bijoux, voiture. Tout. – Avec plaisir. Viensteservir. » Mon réveil brutal et la crise de nerfs qui a suivi m’ont vidée de toutes mes forces. Je m’endors les yeux humides sans même m’en rendre compte. À 7 heures, mon petit frère Fabrice vient frapper à ma porte. «C’est Serge. Il veut tevoir. » Je pourrais écrire le scénario à l’avance. Mais même si je ne veux plus entendre parler de son patron, je garde de l’estime pour Serge. Les yeux et les cheveux encore englués 163 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 164/223 RevengePorn de larmes, je lui résume la situation pour couper court à toute tentative de rabibochage. «J’aime peut-être encore Samuel. Mais c’est ma tête qui gouverne maintenant. S’il veut qu’on reste amis, qu’il me laisse le temps de digérer ce qu’il m’a fait. Je n’ai rien d’autreà ajouter. » Serge m’écoute sans chercher à me relancer. Il sort son téléphone, s’absente une minute, et revient. «Samuel a porté plainte contre toi pour violation de la vie privée. » Mon premier réflexe est de rire à gorge déployée. Il faut vraiment qu’il ait perdu les pédales pour en arriver à des extrémités pareilles. Il a compris que je ne plaisantais pas, et ne sait plus quoi faire pour se venger. J’ai du mal à croire à la réalité de sa plainte. Je me dis surtout qu’aucun service de police ou de gendarmerie ne pourra prendre cette procédure au sérieux. Serge m’assure que les forces de l’ordre avaient l’intention de venir perquisitionner chez moi, mais qu’il les en a empêchées. De fait, si j’ai la conscience tranquille, je n’ai qu’à l’accompagner à la gendarmerie pour prouver ma bonne foi. J’y vois l’occasion de tuer dans l’œ uf cette bouffonnerie. Je réunis mes deux téléphones et mon ordinateur et nous prenons le chemin de la caserne du Lac. Sur place, un officier nousaccueille. Il mesaluepoliment et gratifie Serge d’un chaleureux «Salut, comment tu vas?» 164 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 165/223 Au fond desesfilets Ces deux-là ont l’air d’être copains comme cochons. Je commence à réaliser le traquenard dans lequel je suis tombée. Mais l’uniforme en impose au simple quidam que je suis. À sa demande, je lui remets ordinateur et téléphones. «On va simplement vérifier qu’il n’y a pas de photos compromettantes pour les besoins de l’enquête, ce ne sera pas long», promet-il. Faites donc, maisqu’on en finisse une bonne fois pour toutes. Qu’ils mènent leur enquête et qu’ils me foutent la paix. Mon grand-père doit être enterré dans deux jours. J’ai d’autrespréoccupations. À mon grand désespoir, le sketch n’est pas terminé. En sortant de la gendarmerie, Serge me dit que nous devons désormais aller voir le procureur. C’est lui qui a reçu la plainteet dirigel’enquête. S’il faut en passer par là pour que je rentre chez moi blanchie, qu’il en soit ainsi. Au tribunal de première instance, le magistrat me confirme l’ouverture des investigations. Cette fois, je craque, et m’effondre en larmes. Je m’épanche dans son bureau : ma rupture avec Samuel, nos crises, les photos, mon deuil… La sincérité de madétressen’échappepasàl’hommedeloi. «L’enquête ne sera pas longue. D’ici là, rentrez chez vous, et occupez-vousdevotre deuil. » Jerentrechez moi épuisée, vidée. J’ai l’impression d’avoir joué dans un mauvais film. Tout cela ne peut pas être réel. Mais si tel est le cas, alors je viens d’avoir la démonstration 165 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 166/223 RevengePorn de la puissance de Samuel. Comment un homme peut-il mobiliser l’autorité judiciaire de toute une ville à 7 heures du matin pour un tel Vaudeville? Je suis persuadée que la procédure n’ira nulle part. Ma crainte est ailleurs: jusqu’où la colère de Samuel peut-il le mener ? Quelle sera la prochaine étape? Dans le secret de notre relation, je pouvais parfois avoir le dessus sur lui. Dehors, il est invincible. Je dois rester sur mes gardes, ne pas l’énerver plus que de raison. Il est une superstar mondiale, je suis une hôtesse d’accueil lambda. À cejeu-là, lui seul peut gagner. À mon retour à la maison, j’évite soigneusement de faire le récit de ma matinée à ma mère. Cette histoire la dépasserait, et pourrait l’inquiéter inutilement. Fabrice, qui aassisté à l’arrivée de Serge dans ma chambre et a vu les photos sur mon Facebook, veut en savoir plus. Je lui explique que Samuel fait des histoires à cause des clichés que j’ai postés, sans m’étendre. Nous partons à Obala, le village de mon grand-père pour assister à la veillée funèbre. Elle doit durer deux jours. Je suis partagée entre le chagrin du deuil, et l’incertitudedemon sort judiciaire. Au coursdelaveillée, je n’ai aucune nouvelle de la gendarmerie ou de la justice. Le seul moyen demecontacter est d’appeler sur mon téléphone professionnel, le seul que les autorités aient consenti à me laisser. Après trois jours sans nouvelles, le portable sonne enfin. La famille au complet est réunie autour d’un dîner. 166 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 167/223 Au fond desesfilets C’est Serge. Voir son nom s’afficher me soulage. Je m’imagine que Samuel s’est rendu compte des dégâts provoqués par son coup de sang, qu’il culpabilise, et veut m’annoncer lafin despoursuites. Laréalitéest tout autre. «Tu aslenuméro deTeddy?m’interroge le bras droit. – Pour quoi faire? Fabrice est au courant de nos problèmes, mais Teddy ne sait rien. Laissez mon petit frère en dehorsdetout ça. – Samuel voudrait lui parler deson foot. » Ça m’a tout l’air d’une basse manœ uvre. Mais s’il disait vrai ? Je ne peux pas laisser une opportunité échapper à Teddy. La star l’appelle dans la seconde qui suit. Je garde uneoreille sur leur échange. La conversation semble effectivement tourner autour du ballon rond, des progrès de Teddy, desrésultatsdeson club. Puismon frèretend l’appareil à ma mère. Cette fois, il est bel et bien question de moi. Je m’approche du combiné. Ma mère ouvre grand les yeux. J’entends Samuel lui raconter que je le trompe depuis des mois avec Fally Ipupa. D’où peut-il sortir une connerie pareille?Il développe et annonce qu’il a eu connaissance de nombreux échangessuspectspar SMS. Il est vrai quel’artiste et moi, au bord du flirt il y a quelques mois, avons depuis tissé une relation amicale très forte. Je me suis confiée à lui sans détours, ne cachant rien de mes questionnements et des difficultés que Samuel et moi traversions. Savoir que 167 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 168/223 RevengePorn j’entretiens depuis des années une amitié si intime sans son consentement est un affront. À cela, s’ajoutent d’évidentessuspicionsqueFally et moi ayonspoussénotreamitié jusquesouslesdraps. C’est faux maisledémontrer ne serait passimple. Ma mère est blême. «Samuel va t’appeler. Necriepass’il teplaît », medit-elle. Si de banales photos de vacances m’ont conduit dans le bureau du procureur, où cette découverte va-t elle m’emmener ? En prison ? Cette hypothèse, aussi absurde soit-elle, ne me paraît pas si farfelue. Je tremble de tout mon corps en décrochant l’appareil. «C’est moi le type instable? C’est moi le mec volage? Tu as oublié de me dire que tu avais toi-même tes petits secrets! Quetu allaisretrouver Fally dansmon dos! Et que vousdisiez du mal demoi. » Il me cite les conversations les unes après les autres, datées, mot pour mot, en sélectionnant soigneusement les plus ambigües, ou celles où je me plains de son attitude. Dansl’uned’elles, Fally m’écrit : «Allez viens, jevaistefaire un enfant ». Uneblaguedestinéeàmefairesourirealorsque je traversais une énième crise avec mon footballeur. Pour Samuel, c’est forcément du premier degré. Je plaide ma cause, perdued’avance. 168 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 169/223 Au fond desesfilets «Fally et moi sommes amis. Il m’a écouté quand j’avais besoin de me confesser. Et puis comment sais-tu tout ça? Tu t’esprocurémesconversations? – Bien sûr queoui. Jeconnaistout lemondeau Cameroun, à touteslesstratesdu pouvoir. Tu voiscequejepeux faire? Jepeux détruireta vie. Jepeux tebroyer si jeveux. » Je suis au bord du malaise. Je cherche un endroit pour m’asseoir. Comment peut-il être aussi menaçant en plein milieu de mon deuil ? Son ego blessé a pris possession de son être. Il est fou, littéralement. J’ai eu un avant-goût de l’étendue de son pouvoir. Il ne feint pas l’influence qui est la sienne. Il va me faire virer. Il va m’envoyer au tribunal. Les scénarios les plus noirs défilent dans ma tête. Je n’ai aucun moyen de lutter. Je baisse les armes. «Les messages que tu as lus sont authentiques. Vas-y, broie-moi. Si c’est le seul moyen de te faire sortir de ma vie, fais-le. » Il se calme et marque une pause. Puis reprend d’une voix douce. «J’ai une meilleureidée. Nousallonsnousvoir. Tu vasme raconter ton histoire d’amour avec Fally. Et avec tous les autres hommes avec qui tu m’as trompé. Je veux tout savoir. Danslesmoindresdétails. Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 170/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 171/223 XII UNE ÉTRANGE MISSION Quel genre d’hommes revanchards au discours menaçant choisit de vous inviter dans un hôtel cinq étoiles en plein cœ ur des quartiers chics de Londres pour régler ses comptes?Il faut s’appeler Samuel Eto’o pour esquisser ce genre de plan «diabolique». Après s’être déchirés en pleine veillée funèbre, le footballeur et moi avons convenu de nous voir ce 29 novembre 2013 dans la capitale anglaise pour une confrontation en face à face. Il veut recueillir le récit de mes tromperies supposées avec Fally Ipupa, et tous les hommes avec qui j’ai pu converser depuis cinq ans et avec lesquels il me prête une liaison. J’ai longuement hésité. Une seule raison m’a décidé à faire le voyage: la violence de sacolèrecontinuedem’inquiéter. Il mefaut arriver àcalmer ses instincts destructeurs. Obtenir des autorités camerounaises ma convocation au petit matin pour six ou sept photos de vacances publiées sur Internet démontre une capacitédenuisancesillimitée. 171 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 172/223 RevengePorn La réception du palace m’indique le numéro d’une chambre réservée à mon nom. En y pénétrant, je constate que le déclassement ne fait pas partie de son arsenal de représailles. Sans mes téléphones, je n’ai pas d’autre choix quedelui envoyer un e-mail pour lui annoncer mon arrivée. Sa demeure londonienne est tout près, située juste derrière le Ritz voisin. J’ai à peine le temps de défaire mes bagages qu’il fait son apparition, en compagnie d’Étienne, alors âgé de onze ans. J’avais revu le jeune garçon l’an passé, dans la maison de son père à Majorque où il passait des vacances. Un selfie que nous avions alors réalisé sur la plage faisait partie de la collection de clichés que j’avais postée sur Facebook quelques jours plus tôt. En m’apercevant, Samuel remballe les courtoisies d’usage, et me lance d’un ton accusateur en désignant son jeune fils : «Regarde. C’est lui que tu asexposésur Internet. » L’attaqueest indigne. Étienneest déjà courtisé depuis longtemps par lesmédias camerounais, et son visage connu de tous. Je ne relève pas cette bassesse, meconcentrant sur leduel àvenir. L’adolescent quittelachambreà la demandedeson père. Sans un mot, Samuel attrape une feuille et un stylo, me les tend, et exige: «Raconte tout. Souviens-toi de tout, et je te pardonne. Quand jereviendrai du match, jelirai cequetu asécrit. » 172 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 173/223 Uneétrangemission Son calme olympien me glace. L’hostilité est intacte. Il sort sans plus d’effusions. Je me retrouve seule, avec ma feuilleet mon stylo, prêteàcoucher mesconfessionsintimes sur papier. La situation est grotesque, mais la peur de réveiller le monstre chasse vite le ridicule de ma posture. Il faut que j’écrive quelque chose, n’importe quoi. La liste de mes correspondants masculins est longue, et hormis avec Fally, je n’ai joué la carte de la séduction avec aucun d’entre eux. Je dois filtrer, trouver le bon dosage, ne pas en dire trop, ni pas assez. Je saisis le stylo, et note : «Amadou, un fonctionnaire camerounais rencontré par l’intermédiaire du travail. Bon ami. » Je barre. Ce numéro de cirque est absurde. Je commande un bol de porridge au room service en continuant de tergiverser. Le voyage m’a épuisée. Je me couche un instant, tente une sieste express, me relève, fais les cent pas. Tout ça n’a aucun sens. En atterrissant à Londres, la fraîcheur de l’air m’avait surprise. Je décide de suspendre mes aveux le temps d’aller acheter un pantalon jogging. En vérité, touslesprétextessont bonspour retarder lemoment dela«rédaction »… À mon retour, la réceptionniste me reconnaît, et m’explique que Samuel m’a cherchée partout. Mon estomac se noue. Je monte dans la chambre en imaginant la violence de sa réaction. Il est là, allongé sur le lit, jambes croisées, habillé d’un survêtement noir et d’un débardeur 173 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 174/223 RevengePorn blanc. À sa vue, mon cœ ur décroche et vient s’écraser dans mon ventre. J’ai la trouille comme jamais. «Je suis là depuis un moment. Tu as fait ce que je t’ai demandé?» Son regard noir vaut avertissement. Ce n’est pas le moment de jouer à la maligne. «Non, j’arrive pas. – Comment ? Toi, Nathalie, l’éloquente, l’intarissable, tu n’aspasréussi à écrireun mot ? – Procédons autrement. Pose-moi des questions, et je te répondrai. » J’essaie de reprendre la main. Je ne veux pas découvrir mon jeu avant desavoir avec précision l’étendueet lateneur desessoupçons. Drôled’ironie: il y acinq ans, lorsquemon ex-petit ami de l’époque, Frédéric, avait découvert notre correspondance secrète, c’est Samuel lui-même qui m’avait conseillédenepasparler lapremière. «On va faire mieux que ça, reprend-il. Tu vas tout confesser en vidéo. Jevaistefilmer avec mon iPad pendant que tu déroules ton récit. N’oublie rien. Ton passeport est ici et nesortira pasdecettechambre. Dela mêmemanière, je ne te rendrai tes téléphones qu’une fois que tu m’auras tout raconté. » Jusqu’ici, je pensais qu’un policier ou un magistrat complice lui avait lu mes textos à distance. Je n’avais pas 174 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 175/223 Uneétrangemission imaginé qu’un officiel, quel qu’il soit, ait été suffisamment culotté pour lui envoyer mes portables à Londres. Son pouvoir dépasse mes pronostics les plus sombres. Il attrape une chaise, s’assoit, et pose ses pieds sur un pouf. Le ton de sa voix est toujours aussi serein, et rend la mise en scène plus angoissante encore. Je ne peux plus me dérober. Je m’installe sur le lit, prête à me livrer et à en assumer les conséquences. «Il y a eu Amadou, un fonctionnaire, l’ami d’unecollègue. Nousn’avonsrien fait ensemble. J’ai aussi parléavecIdo, un militairecamerounais. Nousavonsprisun verreunefois… » J’égrène les noms des hommes qui ont croisé mon chemin depuisledébut demaliaison avec Samuel. Certainsont voulu me séduire, bien sûr, mais je n’ai pas donné suite. Et puis quand bien même j’aurais cédé à la tentation, Samuel est mal placé pour me faire un procès en coucheries. Mes confessions terminées, il s’abstient de tout commentaire. Les traits fermés de son visage indiquent que ma prestation nelesatisfait pas. «Je m’en fous de ces gars-là. Celui qui m’intéresse, c’est Fally. » Cette obsession du chanteur m’intrigue. J’y vois une rivalité d’ego entre deux monstres sacrés dans leur discipline respective. Il faut bien avouer aussi que Fally 175 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 176/223 RevengePorn est le seul avec qui mes échanges par textos trahissent une certaineambiguïté. «On a commencé à se voir un an après que notre relation a débuté. On s’est vus à Paris et à Kinshasa. On a flirté, c’est vrai, maisc’était un jeu deséduction. Cen’est pasallé bien loin. » Je vois son regard se noircir. Ses orteils craquent, sa tête s’incline légèrement sur le côté. Je connais ses signes: ils annoncent une montée de colère. C’est cruel, mais le spectacle de sa douleur me fait du bien. Maintenant, c’est lui qui morfle. Je rajoutedesdétails, j’en invente, pour appuyer là où ça fait mal. Telle période où tu me croyais en voyage avec untel, j’étais avec Fally. Tel moment où je te disais que j’étais au travail, j’étais avec Fally. Au fond, chaque minute de mon temps libre était tout entier consacré à Fally. À la fin de mon exposé, c’est tout juste si Fally et moi n’avions pas marché sur la lune. «J’espère que tu vas me pardonner », dis-je en guise de conclusion. Je n’ai plus qu’à attendre le prononcé de la sentence. Samuel coupe la caméra de son iPad. J’essaie de lire son ressenti dans ses yeux. J’y lis une douleur intense. Après un bref silence, il prend laparole. «Comment tesens-tu ? – Libéréed’un poids. » 176 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 177/223 Uneétrangemission Je ne l’ai jamais vu aussi mal. La seule fois où je l’ai vu pleurer, c’était après un match raté des Lions pour la qualification à la coupe d’Afrique des nations. Son expression de douleur est la même, mais il parvient à retenir ses larmes. Je le vois se relever, s’asseoir, se relever à nouveau. Il est KO. Finalement, il se sert un verre d’eau, et s’autorise encore quelques secondes de réflexion. Voilà, mon juge est prêt à rendre son verdict. «Jetepensaistellement amoureuse. Jen’ai rien vu venir. Mais moi aussi je t’ai fait du mal. J’ai fréquentéd’autres femmes. Tu m’as interrogé à New York sur une certaine MarieChristine. Elle tient une agence d’hôtesses au Cameroun et me fournit des prostituées pour mes jeux sexuels. Voilà. Je suisdésolé. Jen’ai pasdeleçonsà tedonner. Jetepardonne. En revanche, jene pardonne pas à Fally. Jeveux qu’il paye. Vous allez vous revoir dans l’intimité, tu vas prendre des photos de lui nu, et tu vas me les envoyer. Ce que j’en ferai par la suiteneteregardepas. Aprèsquoi, toi et moi pourrons repartir sur desbasessaines. » Je suis abasourdie. Samuel me rend mes téléphones et mes cartes mémoire. Mon stock de messages est intact mais nosphotosont disparu. Son jugement est rendu, il n’y a pas d’appel possible. Je reste à Londres cinq jours de plus, à la demande de Samuel. Il n’a pas voulu me rendre mon passeport. J’aurais 177 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 178/223 RevengePorn préféré rentrer au pays, mais je n’ai pas osé le contrarier. Le séjour se poursuit dans une ambiance étrange faite de rancœ ur enfouie et de complicité surjouée. Le lendemain de mes confessions, il m’invite à le suivre au camp d’entraînement de Chelsea. C’est un grand vaisseau de verre et de bois perdu dans la nature. Pendant qu’il s’échauffe, je déambule dans les couloirs, éblouie par les vitrines de trophées et les portraits des joueurs accrochés aux murs. Samuel me rejoint dans la salle du restaurant pour prendre lepetit-déjeuner. J’aperçois, assiseàcôtédenous, lalégende vivantedu foot anglaisJohn Terry. Lecapitaineet défenseur du club londonien partage le repas avec ses deux enfants, deux faux jumeaux desix ou sept ansdont unepetiteblonde à queue-de-cheval jolie à croquer. Cette scène de bonheur m’offre une pause bienvenue, à la fois tendre et émouvante, au milieu de la crise violente que Samuel et moi traversons. Ce dernier en profite pour me parler de ses rapports avec Mourinho. Le climat entre les deux hommes s’est tendu, l’attaquant se sentant délaissé et se plaignant du caractère trop autoritaire du coach. «Il faut dire que moi aussi j’ai une personnalité assez forte», complète-t il. J’aurais du mal à prétendre le contraire. La semaine s’écoule, plus paisible que je ne l’aurais imaginé. Sur le trajet qui m’amène à l’aéroport, Samuel me rend mon passeport comme on donne un bon point. «Au fait, tu en es où pour les photos 178 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 179/223 Uneétrangemission deFally ?» m’interroge-t il. Jepensaisquecetteidée saugrenue avait été lancée sous le coup de l’énervement et lui était sortie de la tête depuis lors. Je suis prise de court. «Je les ferai au Cameroun. Ce sera plus simple. » Ma réponse improviséen’apasl’air delui déplaire. À mon retour à Yaoundé, j’ai la sensation d’avoir passé une semaine plongée dans un mauvais rêve. Mais bizarrement, mes sentiments à l’égard de Samuel sont plus équivoques que je ne pensais. Je n’ai rien oublié de sa brutalité verbale et parfois physique, et pourtant, la fin de mon escapade londonienne a amorcé un début de normalisation dans nos rapports. Je ne suis plus amoureuse de lui, mais jementiraissi j’affirmais ne pas ressentir une certaine affection à son égard. Peut-être que ces derniers moments passés sans aucune dispute m’ont simplement rappelé nos jours heureux. Je dois aussi avouer que l’entendre reconnaître ses torts et s’excuser m’a chamboulée. C’est si raredesapart. Pendant les semaines qui suivent, Samuel ne perd pas de vue la mission qu’il m’a confiée. Il me relance fréquemment sur les moyens que je compte déployer pour arriver à ses fins. Je suis coincée: je n’ai aucune envie de mener son projet à bien, et dans le même temps, faire la sourde oreille m’exposerait à d’imprévisibles représailles. La seule échappatoire possible est de lui faire croire que j’ai la ferme 179 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 180/223 RevengePorn intention de remplir son objectif, d’échafauder un semblant de stratagème, puis de lui rendre compte, faussement dépitée, de mon échec final dans cette entreprise. Nous serons quittes, et jepourrai enfin retrouver ma liberté. À l’occasion de l’une de ses nombreuses relances, j’esquisse une ébauche de plan : «Fally est en concert à Yaoundé, le 22 décembre. Voilà une belle opportunité. » De fait, j’avais de toute façon prévue de m’y rendre et d’en profiter pour voir Fally. Si des témoins nous surprennent, Samuel aura la confirmation que j’étais bel et bien présente au côté du chanteur, et mon baratin n’en sera que plus crédible. Laveilledeson arrivéeau Cameroun, Fally prend contact avec moi, et nousconvenonsdenousretrouver directement au Hilton le lendemain. J’enfile une belle robe bustier noire et le rejoins dans sa chambre en début de soirée. Nous sommes heureux de nous revoir. «Salut Cooper, comment ça va?» me lance-t il avec son sourire le plus éclatant. Ce surnom était né quelques mois plus tôt de ma passion dévorante pour la Mini Cooper, dont l’un des modèles constituait la photo de profil de ma messagerie Blackberry. Fally avait utilisé ce gentil sobriquet dans l’une de ses chansons sortie quelques mois plus tôt, Service, où il évoque en fin de morceau «Nathalie Koah Cooper facile à garer ». Plus tard, lors de la médiatisation de ma liaison avec Samuel, les Camerounais utiliseront cette anecdote pour railler la 180 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 181/223 Uneétrangemission prétenduelégèretédemesmœ urs. En vérité, commel’explicitera d’ailleurs Fally dans une interview, «facile à garer » est une expression congolaise populaire qui s’applique à une personne facile à vivre, pas du genre encombrante. Je l’avais pris comme tel, et le clin d’œ il m’a amusée autant qu’il m’aflattée. Sans plus attendre, je préviens Samuel par texto que j’ai retrouvé l’artiste comme prévu. Le footballeur se réjouit. «S’il faut que tu couches avec lui, n’hésite pas. » Sa perversitéest intacte. Connaissant lepersonnage, jemedemandesi c’est la perspective de voir sa vengeance accomplie ou celle de m’imaginer dans le lit de Fally qui l’excite à ce point. Dans tous les cas, si je n’ai aucune intention d’aller au bout de ses folies, je ne peux pas revenir les mains vides de mon expédition. Samuel ne me lâchera pas tant qu’il n’aura pas, sinon la photo tant attendue, du moins une preuve de ma bonne volonté. Il va falloir la jouer fine. Je n’ai rien avalé de la journée. Fally me commande un hamburger à la réception. Pendant ma dégustation, il met un morceau de rumba et se met à danser sans se départir de ce sourire accroché en permanenceàson visage. Comment pourrais-jefairedu mal àcet homme?J’élaboreunestratégiedu moindremal en un battement de cil. Je dis à Fally qu’il est tard, que j’embauche demain matin à 6 heures, et qu’il a de son côté un concert à préparer. Il acquiesce, part se changer dans la salle de bains, 181 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 182/223 RevengePorn et revient s’installer au lit en caleçon. Je m’allonge près de lui pour lui faire un bisou, et j’en profite pour faireun selfie denousdeux. Il seprêteau jeu avec amusement. Jereparsde l’hôtel, fière de mon stratagème. La photo témoigne d’une évidente proximité et nous présente ensemble sur un lit en tenue légère. Je ne sais toujours pas ce que voudra en faire Samuel, mais il ne pourra qu’admettre mon investissement sincère dans la mission qu’il m’a confiée. Sur le chemin du retour, je lui transmets le cliché par BlackBerry Messenger avec lecommentairesuivant : «C’est le maximum que j’ai pu faire. J’espère que ça te conviendra. » Sa réponse douche mes espoirs. «Je t’avais dit que je voulais une photo de lui nu. Complètement. – C’est impossible. Jenepeux past’avoir ça. – Tu nepeux pasou tu neveux pas? – Tu vois bien que j’ai fait le job. Je suis allée le voir pour toi. J’ai pris une photo de lui presque nu. J’ai pris des risques. Tu n’aurasrien deplus. » Silence. Rideau. J’entame l’année 2014 plus sereine que jamais. Pour moi, la page Eto’o est définitivement tournée. Sur le plan sentimental tout du moins. En réalité, nos liens ne sont pas complètement rompus. L’épisode malsain des photos de 182 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 183/223 Uneétrangemission Fally expurgé, et nos rapports étant depuis lors pacifiés, je m’accommode de l’idée de pouvoir faire de Samuel Eto’o un ami. Peut-être pas celui que vous appelez le soir pour confier vos peurs intimes et vos angoisses profondes, mais un compagnon de jeu et de rires de circonstances. Nos disputes à répétition et l’intensité qu’elles ont pu avoir ne s’effaceront jamais de ma mémoire, mais le temps a fait son œ uvre. Je suis consciente qu’il serait plus sain de couper les ponts, mais je ne peux pas m’y résoudre. Comme après chaque crise violente, Samuel se montre affable, prévenant, repentant. Lorsqu’au premier trimestre, il nous prend de nous revoir quelques jours à Londres et à Paris, il n’est plus question de Fally, de vengeances, ou de tromperies. Seule reste la complicité qui nous a toujours unis. À Londres, pour mon anniversaire, il m’offre une montre Rolex Datejust en or rose sertie de diamants. Valeur : 25 000 euros. Superbe objet, mais pas mon style. Je me surprends à lui dire qu’elle ne me plaît pas trop, comme si je n’avais plus besoin de faire semblant. Le lendemain, nous nous envolons en jet pour Paris, où Frédéric Bongo, le frère d’Ali, le président du Gabon, se marie selon les traditions. Le vol est émaillé de fortes turbulences. Mon footballeur est terrorisé: à chaque secousse, il m’agrippe la main et répète en chuchotant «A djob djem, a djob djem » qui signifie «Mon Dieu » en bassa. Cette fragilité inconnue 183 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 184/223 RevengePorn m’attendrit. Avec ce nouvel équilibre, c’est tout un pan chaotique de ma vie qui disparaît. Le reste est à l’avenant : ma famille, mes amis, mon travail, le tableau, sans être toujours parfait, est complet. Du côté de la carrière de Samuel, le bilan est plus mitigé. Le 19 janvier, il inscrit un triplé – le fameux hat-trick – lors d’un match de championnat contre Manchester United, un exploit qu’aucun Blues n’avait réalisé depuis soixante ans, preuve qu’il a encore du répondant. Ses problèmes avec Mourinho ne sont pas réglés pour autant. L’entraîneur continue de lui mener la vie dure, en limitant son temps de jeu au profit des jeunes talents de l’équipe. Au mois de février, c’est le clash. Lors d’une interview télévisée, et alors qu’il croit son micro coupé, le coach portugais ironise sur l’âge supposé de Samuel, plus avancé que ce qu’il prétendrait. «Il a trente-deux ans, peut-être trente-cinq, je ne sais pas. » La boutade n’est pas du tout du goût de Samuel. «Ce typeest un connard », commente-t il lors d’une denos conversations. Le sujet est sensible, car la rumeur tenace. Pour ma part, je pense avoir résolu le mystère lors d’une de nos précédentes escapades amoureuses. À chaque hôtel où il réside, Samuel entrepose d’énormes sommes d’argent en liquidedanslecoffredesa chambre. Lecodequ’il choisit est toujours le même: 1976. Son année de naissance?C’est maconviction. Si tel est lecas, cettedatelevieillirait decinq 184 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 185/223 Uneétrangemission années, puisqu’il a toujours affirmé être né en 1981. Je n’ai jamais osé le lui demander frontalement, car la déduction m’est toujours apparue logique, et la question beaucoup trop tabouepour pouvoir êtreabordéecalmement. Fin mars, Samuel m’annonce au téléphone qu’il part au Portugal pour un stage de préparation avec les Lions indomptables. L’ambiance au sein de l’équipe nationale camerounaise n’est guère plus réjouissante qu’au sein du Onze londonien. «Je n’aime pas les sorciers», me répètet il en boucle. «Les sorciers», c’est le surnom qu’il a donné aux coéquipiersavec qui il nes’entend pas, àlatêtedesquels figure Alexandre Song, son ennemi juré. Ce dernier est le neveu deRigobert Song, monument national au Cameroun, et ancien capitaine des Lions, qui a perdu son brassard quelques années plus tôt au profit de Samuel. Un épisode vécu comme une «trahison » par le clan Song. Face aux «doyens» dont il se méfie, l’attaquant se rapproche de Jean II Makoun et Achille Webo avec lesquels il forme le bloc des«innocents». Lestensionsentrelesjoueursont vite fait de rejaillir sur les résultats, l’équipe échouant à se qualifier deux annéesdesuitepour laCAN, en 2012 et 2013. Consciente des instants difficiles qu’il s’apprête à traverser, je lui envoie un message de soutien le premier jour de son stage, en lui conseillant de rester avec ses amis. Je travaille alors de nuit, de 18 heures à 1 heure du matin. Le 185 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 186/223 RevengePorn lendemain, juste avant ma prise de poste, je m’enquiers par texto de l’atmosphère au sein des Lions. «Ça va», répond Samuel dansun messagesec qui nelui ressemblepas. Jen’ai plus de nouvelles jusqu’au troisième jour. Lorsque j’arrive chez moi, épuisée par ma journée à l’aéroport, Samuel m’appelleet videson sac. «Jesavaisqu’il y avait un complot contremoi. Un complot auquel participeFally. » En entendant le nom du chanteur, je comprends que la discussion va être houleuse. Je suis loin de m’imaginer à quel point. «De quoi parles-tu ? Pourquoi est-il encore question de Fally? – Ce matin, quelqu’un est venu me raconter que Rigobert Song avait mandaté Fally pour coucher avec toi simplement pour leplaisir demefairedu mal. » Je n’arrive pas à réprimer un rire. Dans quelle histoire tordue tente-t il une nouvelle fois de m’embarquer ? «ÉcouteSamuel, calme-toi, ça n’a absolument aucun sens. – Au contraire, c’est lumineux. Ce Fally est venu empiéter sur mon territoire. Si tu as encore un peu d’amour pour moi, tu dois te sacrifier. Je veux que tu fasses les photos. Je veux ma vengeance. » Tout allait si bien depuis trois mois. En un éclair, le Samuel que je déteste refait surface. L’homme jaloux, 186 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 187/223 Uneétrangemission colérique, paranoïaque, agressif, que j’avais presque fini par occulter. Je pensais pouvoir faire de lui un ami. Ça n’arriverapas. Il vafalloir l’effacer demavie. «J’en ai marre de nos problèmes. Tu ne changeras jamais. J’ai donné. Oublie-moi. » J’espère du plus profond de mon cœ ur que cette énième altercation est la dernière. Aussi incroyable que ça puisse paraître, j’ai toujours de l’affection pour Samuel. Je n’ai juste plus le courage de la porter. Pendant cinq ans, on s’est aimés, on s’est détestés, jusqu’à s’épuiser. Notre couple défunt méritedereposer en paix. Une semaine passe. Mon refus semble avoir été reçu et digéré. Du moins le croyais-je. Le jour de la fin de son stage au côté des Lions, Samuel ressurgit dans ma vie. Voir son nom s’afficher sur mon écran ne provoque plus chez moi qu’un sentiment de lassitude. «Tu aspasséunebonnejournée? – Oui, ça va. – Jesuisen train d’acheter une montre. J’hésite entredeux modèles. Je vais t’envoyer des clichés de la boutique pour quetu m’aidesà choisir. » Son dilemme m’indiffère à un point qui m’étonne moimême. Bien entendu, ce n’est qu’un leurre: sa prise de contact n’a en réalité rien à voir avec ces tergiversations horlogères. 187 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 188/223 RevengePorn «Au fait, tu aspu fairelesphotosdeFally ?» Ce n’est plus une obsession, c’est de la monomanie. Quand va-t il enfin cesser de revenir à la charge? «Merde! Tu m’entends? Je n’ai pas les photos. Je ne les aurai jamaisparce quejenelesferai jamais. – Tu as jusqu’à la fin du mois pour les obtenir. Sinon, commenceà courir. » Ces menaces ne m’impressionnent plus. Je suis déjà passée par là. J’en ai bavé, mais j’ai survécu. Il n’a qu’à appeler ses copains des forces de l’ordre. Je connais le chemin. J’enfonce le clou. «Tu ferais mieux de passer à autre chose. N’insiste pas. C’est non. » Sa réponse n’est pas une menace. Elle est une promesse. «Alorsobserve. » Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 189/223 XIII ARRÊTS DE JEU Je suis prête pour mon grand rendez-vous galant. J’ai sorti l’artillerie lourde: blazer blanc, paire de Louboutin et pochette Dior noires. Belle gosse. Dans quelques minutes, Samuel viendra me chercher devant l’hôtel Fouquet’s, à deux pas des Champs-Élysées, pour m’emmener dîner. Je mets une touche finale à mon maquillage. Notre dernière crise autour des photos de Fally nu date du mois dernier. Jenepouvaisplusrester seulefaceàsesmenacesrépétéeset, pour la première fois, j’ai tout déballé à ma mère. Lestromperies, lecommissariat, lesmenaces, lechantageaux photos. Lechoc fut brutal, ellequi ignorait tout delafacesombrede la star. Aussi désemparée que moi, ma mère s’est mise en relation avec l’un desesamisavocatspour m’aider àtrouver une issue. Ce dernier m’a vite fait comprendre que devant un tribunal, et quel que soit le motif, la parole du grand Samuel Eto’o serait difficilement remise en question par les juges. Ma seule chance, m’a-t il expliqué, serait d’avoir des 189 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 190/223 RevengePorn preuves concrètes de son machiavélisme. Son conseil : ne pasfermer laporteau footballeur, maisau contraire, encourager les contacts, et enregistrer dès à présent toutes mes conversationsavec lui et sagarderapprochée. L’idée était brillante. Je l’ai appliquée sans tarder. Dès le lendemain deson glaçant «Alorsobserve», Samuel adépêché chez moi Kadji, un garçon imposant manifestement coutumier des basses besognes, pour me faire la leçon. L’homme demain ajouéfranc jeu sur lesintentionsdu patron. «Si tu ne fais pas les photos de Fally qu’il te demande, on va te faire des ennuis. On dira au procureur Bifouna que tu as escroqué Samuel. Tous les deux sont amis. Il suffira delui montrer touteslesfacturesdescadeaux qu’il t’a faits, et l’historique des transactions bancaires entre son compte et letien. On te demandera alorsde rendre del’argent que tu n’aspas, et tu irasen prison. » La menace était limpide. Je n’ai pas sourcillé. Ce que Kadji ignorait, c’est que mon Blackberry en mode enregistreur n’avait raté aucun détail du scénario qu’il s’est appliqué à me détailler. Mais aussi convaincant soit-il, ce premier élément nesuffisait pas. Jedevaisêtreen mesurede prouver l’existence d’une relation amoureuse entre Samuel et moi, aujourd’hui éteinte, mais jadis bien réel, pour justifier ce déluge de présents. Il me fallait donc la ressusciter, unedernièrefois, pour assurer définitivement mesarrières. 190 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 191/223 Arrêtsdejeu Devant la glace de ma suite du palace parisien, je me trouve des allures de James Bond girl. La référence est de circonstance. Pour gagner la confiance de Samuel, j’ai pris soin de lui faire croire que j’étais décidée à mener à bien la tâche qu’il m’avait confiée. Dans mon sac à main, mon Smartphone est prêt à consigner toutes les conversations que nous aurons durant le dîner. À 20 heures, mon cavalier gare sa Rolls Royce Phantom bleu devant l’hôtel et sort m’ouvrir la portière. Galant comme au premier jour. En me voyant descendre les marches de la réception, il me gratified’un «wow »flatteur en guisedesalut. Il alui aussi sorti le grand jeu, arborant un costume bleue et une chemise blanche à rayures du plus bel effet. Sans perdre de vue l’objectif de la soirée, je me dis qu’il n’y a rien d’étonnant à cequecet hommeait réussi àmefairesuccomber. Dans la voiture qui nous emmène au restaurant, mes talents de comédienne se révèlent au grand jour. Je dévore des yeux le salaud qui me fait vivre l’enfer depuis six mois. Son sourireest celui despremiersémois. Jedoislepousser à se livrer sans réserve. Le téléphone du footballeur vient casser l’harmonie de l’instant. Il affiche «Nicole», le deuxième prénom deGeorgette. «Je suis en train de retrouver un ami espagnol. On va manger, et après je vais rentrer », lui dit-il, sans le moindre embarras. 191 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 192/223 RevengePorn Je pouffe intérieurement. Samuel s’excuse, et pose sa main sur ma cuisse. Il effleure au passage le sac à main enregistreur posé entre nos deux sièges. «Pas de problème Samuel. » Il s’attendait sans doute à un esclandre, mais ma réaction ne paraît pas pour autant le surprendre. Il doit me croiredansun bon jour. Ouf. Au dîner, la conversation s’éloigne vite de nos préoccupations quotidiennes pour s’arrêter sur l’état de notre relation. Mon sac à main est posé sur le coin de la table pour ne rien rater de nos échanges. Samuel n’y voit que du feu, et se lance dans un monologue plein de tendresse, du genre de ceux que j’ai bêtement espérés pendant tant d’années. «Il faut quej’assainissema vie. Jenepeux plusdépenser de l’argent à tout crin pour mes amis comme je le fais. Il faut que j’assure l’avenir de ma famille. Et si toi et moi avons aussi un enfant, il faut quejepuisseassurer son futur dela mêmemanière. » Sa tirade illustre le gouffre qui s’est creusé entre nous. Samuel n’a aucune idée de mon état d’esprit après le cauchemar qu’il m’a fait endurer. Comment peut-il croire que je veuille encore de lui, ou – plus fort encore – que je sois prête à avoir un enfant avec lui ? Cette évocation me ramène à un souvenir douloureux. Six mois plus tôt, j’étais tombée enceinte de Samuel. Il n’en a jamais rien su. J’avais 192 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 193/223 Arrêtsdejeu arrêté la pilule, pensant que nos rapports sexuels de plus en plus espacés rendaient cette précaution inutile. Je n’avais pas mis longtemps à choisir d’avorter : même folle amoureuse, il était hors de question de faire un enfant avec un homme qui multiplie les conquêtes. Si cette décision s’est imposée à moi, elle n’en restait pas moins source de souffrance et constitue alors une cicatrice encore vive. Je n’en laisse rien paraître. Face à cette évocation soudaine d’une paternité à venir, j’abonde dans son sens, sans en rajouter, pour ne pas rendre la scène plus pathétique qu’elle ne l’est. Mon seul souci, à cet instant, est que le micro de mon Blackberry remplisse sa mission. Nous rentrons à l’hôtel. J’ai déjà gagné la partie. Si l’on m’accuse un jour d’avoir spolié Samuel à son insu, j’aurai toute la panoplie d’enregistrements qui prouvera ma bonne foi : les déclarations d’amour, les menaces, et le chantage aux photos. En grimpant les marches de la réception, je savoure ma victoire d’un rictus discret. Samuel est toujours à mes côtés. Il m’apprend que l’un de ses amis parisiens, Qualité, va nous rejoindre pour partager un verre. Je me méfiedecerebondissement imprévu dansl’agenda denotre soiréeromantique. Nousnousretrouvonstouslestroisdans ma suite. Pendant que je me démaquille, je reçois le SMS tant redouté. «J’ai enviequemon copain teprenne. » 193 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 194/223 RevengePorn Mes poils se dressent instantanément sur mes bras. C’est une maladie. Le pire, c’est qu’une heure plus tôt, il me faisait un récital larmoyant sur la nécessité de mettre de l’ordre dans son existence. Rien de mieux pour se ranger des voitures que de regarder sa future femme coucher avec son pote! J’ai envie de crier mon dégoût mais je ne veux pas prendre le risque de l’énerver. Je suis bien placée pour connaître son caractère impulsif et la violence qu’il peut entraîner. J’inspire profondément, et lui glisse d’une voix douce: «Il n’est pasquestion queton ami et moi fassionsquoi que cesoit. » Il n’insiste pas. Qualité s’en va. Je me crois sauvée, mais cette fois, c’est Samuel qui me rejoint dans la chambre. J’avais prévu cette éventualité, je m’y étais préparée psychologiquement. Je pose incognito mon Blackberry, toujours en marche, sur la table de chevet, en prenant soin de le retourner pour nepasquela lumièrerougedel’enregistreur trahisse mon rôle d’espionne au beau milieu de la nuit. «Viensau lit », lâche-t il d’un air coquin. Pendant nosébats, je simule à tout crin. Ne surtout pas éveiller ses soupçons: un faux pasm’exposerait àuneexplosion derageaux conséquences imprévisibles. Je suis moins écœ urée que triste de devoir en arriver là. Une fois le rapport terminé, il m’enlace tendrement. 194 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 195/223 Arrêtsdejeu «Je t’aime, Nathalie. Mais sache que si tu me trompes de nouveau, je suis capable de te faire violer, et de te fairetuer. » Message reçu. Dans l’avion qui me ramène à Yaoundé, je célèbre intérieurement le succès de mon escapade. Ses déclarations d’amour sans équivoque balayeront toute accusation d’escroquerie. Bien entendu, je me garde bien de lui révéler les coulisses de mon manège parisien. Deux jours plus tard, je décide de mettre un point final à notre histoire d’amour. Plus de dernière chance, plus d’ultimatum. Un message, un seul, pour faire table rase d’une relation où le pire a fini par occulter le meilleur. «Il n’y aura pasdephotosdeFally, Samuel. Si tu veux que nous restions amis, je suis d’accord. Sinon, je romps. Définitivement. » Il sent ma détermination. Inutile de débattre. Ce tempslà est révolu, pour lui comme pour moi. «Ok. J’accepte la rupture. Mais ne crois pas que je vais en rester là. J’ai fait detoi cequetu esdevenueaujourd’hui. Je peux te défaire. À partir de maintenant, considère-moi commeton ennemi. » Son message s’accompagne de la liste des cadeaux qu’il me faut lui rendre au plus vite. Je connais ce refrain par 195 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 196/223 RevengePorn cœ ur. J’effectue une ultime sauvegarde sur carte mémoire de nos cinq ans d’échanges tous azimuts: textos, MMS, e-mails. Jedoispouvoir dégainer àtout moment l’historique complet de notre liaison clandestine. Une fois cette mission accomplie, j’efface pour de bon Samuel de ma vie numérique: numéro deportablebloqué, listenoiresur WhatsApp et autres applis de messagerie. C’est comme si je voyais l’homme que j’ai tant aimé disparaître sous mes yeux. Cet ultime coup de balai vient sceller symboliquement la fin de notre union. Un bref pincement vient m’enserrer le cœ ur. La séquence nostalgie s’arrête là. Je sais que la colère de Samuel va bientôt s’abattre sur moi. C’est une question d’heures, peut-être de jours. Je l’attends. Je n’ai plus peur. Enfin. La rumeur de la vengeance imminente du footballeur se répand bientôt dans toute la ville. Je l’ignore superbement. Dix jours après avoir rompu toute communication, les foudresdivinesquelebruit delaruemeprédit m’ont encore épargnée. Après tout, la coupe du monde de foot au Brésil approchant à grands pas, l’attaquant a peut-être d’autres chats à tacler. Kadji a bien tenté de me mettre quelques coups de pression par téléphone, mais je ne prends plus la peine de lui répondre. Pour moi, la vie reprend son cours. Le travail, lesamis, la fête. Le 28 mai, à ma sortie du bureau vers 23 heures, je m’autorise une soirée en boîte en compa- 196 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 197/223 Arrêtsdejeu gnie de mes deux petits frères, Fabrice et Teddy. J’ai envie de danser, de m’offrir une cuite. En entrant dans la discothèque, une connaissance m’annonce que Kadji est présent àl’intérieur et qu’il mecherche. Labelleaffaire. Qu’il vienne donc me trouver que je puisse lui dire en face de me foutre la paix. Je me trémousse comme jamais. L’alcool coule à flots. Vers 4 heures du matin, la fatigue m’assaille. J’ai trop bu. Un de mes amis me cueille au débotté alors que je m’apprêteàpartir. «Je te présente un copain à moi qui est commissaire. Tout le monde ici sait que tu es menacée. Il va t’escorter jusque chez toi pour assurer ta sécurité. » Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris, mais je fais un «oui » de la tête pour approuver l’initiative. Mes frères et moi rejoignons la voiture sur le parking. Je confie le volant à Fabrice, consciente que je ne suis pas en état de conduire. Nous prenons la route. Le véhicule de l’officier lance une manœ uvre pour nous dépasser lorsqu’un taxi surgi de nulle part vient s’intercaler entre nos deux véhicules. Fabrice est obligé de freiner. Derrière nous, un pickup de la police fait son apparition, nous imposant de nous arrêter. Un homme équipé d’un talkie-walkie en descend, tape à la vitre, et me fixe du regard. «NathalieKoah ?Descendez du véhicule jevousprie. » 197 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 198/223 RevengePorn Le moment tant redouté est arrivé. Dans un sens, je suis soulagé de ne plus vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. J’espère que l’issue sera heureuse, mais l’essentiel est de mettre un point final à cette comédie qui n’a que trop duré. Dans la voiture qui nous conduit à cent à l’heure au commissariat, jeremercie le ciel d’avoir pu anticiper l’inévitable. J’ignore encore si mes précautions auront l’effet escompté, mais je ne pars pas désarmée. La patrouille qui s’est chargéedemon casignoresuperbement lesdeux ou trois commissariats que nous croisons sur le chemin. C’est finalement dans un poste de police situé à cinq kilomètres du lieu de mon arrestation que nous entrons. Samuel doit y avoir quelques amis. À cette heure avancée de la nuit, le commissariat du 2e arrondissement est désert. Dans le hall d’accueil, un gradédepermanence, commissaire adjoint, me montreun papier. L’ivressem’empêchededéchiffrer correctement ledocument. «Samuel Eto’o a porté plainte contre vous pour escroquerie», résume l’officier. Jerissi fort queFabricesesent obligédemecalmer. Mon hilarité est autant provoquée par l’absurdité de la situation que par mon taux d’alcoolémie, qui m’aide, semble-t il, à dédramatiser. Jetentedereprendre mesespritset m’adresse àl’officier sur un ton complice. 198 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 199/223 Arrêtsdejeu «C’est une histoire de rupture sentimentale mal digérée. Vousperdez votretemps. » Contre toute attente, le policier paraît accorder du crédit à mes paroles. «Écoute-moi, petite sœur, ne te lance pas dans un bras de fer avec ce monsieur. Je me fiche de ce que tu as fait ou non. Envoie un message à ton copain pour lui dire que tu t’excuses. Tu te rendras service. Certaines femmes passent troisjoursici en cellulepour cegenredechoses. » Si elle est exacte, cette information me scandalise bien plus encore que mon propre cas. De toute façon, plutôt mourir que d’implorer son pardon. Le commissaire adjoint prend acte de mon refus, me retire mes téléphones, et m’annonce que je vais être entendue par le commissaire principal. Jelui demandeau passages’il est bien légal d’arrêter un suspect à4 heuresdu matin en pleineruesanspreuve solided’uneinfraction. «Le procureur a signé un mandat d’arrêt autorisant votre interpellation à toute heure et en tout lieu », me répond le gradé, en me tendant un papier signé du procureur Bifouna. Tout s’éclaire. Le piège se referme peu à peu. Le commissariat se remplit vers 7 heures. Mon audition approche. Je fais appel à l’avocat qui m’avait conseillé d’enregistrer mes échanges avec le footballeur et sa clique. 199 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 200/223 RevengePorn J’entre en sa compagnie dans le bureau du commissaire principal. Kadji est présent, au nom du plaignant. J’ai eu le temps de dessoûler : j’ai retrouvé la confiance qui m’avait animée depuis mon retour de Paris. Mon interlocuteur est un homme assez âgé, chétif, dégarni. Il affiche d’entrée une nervosité palpable. Le gradé me dresse la liste des 200 millions de francs CFA de cadeaux que Samuel a fournie dans sa plainte. Il s’attarde sur les 30 millions réglés en cash pour payer ma voiture. Un véhicule qui, selon le document, devait être utilisé par la fondation Samuel Eto’o, mais que j’aurais détourné à mon profit. Je balaye l’accusation d’un reversdemain. «C’est un mensonge, tout simplement parce que je n’ai jamais entretenu de rapports professionnels avec M. Eto’o. Il s’agissait d’une relation exclusivement sentimentale. C’est à ce titre que ce véhicule m’a été offert. M. Eto’o n’a pas supporté notre rupture, et veut désormais récupérer ce qu’il m’a offert. » L’argument semble porter. L’officier s’empare des factures apportées par Kadji en guise de preuves, et constate qu’elles se montent à seulement 17 millions de francs CFA. «Il en manque beaucoup pour arriver aux 200 millions évoqués dans la plainte. Où est le reste? demande le policier au bras droit du footballeur. 200 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 201/223 Arrêtsdejeu – C’est tout ce que nous avons pu rassembler pour l’instant », répond Kadji, penaud. La partie semble tourner à mon avantage. Je profite de ce rebondissement inespéré pour porter l’estocade. «Jetiensà préciser queM. Eto’o m’a demandédefairedes photos du chanteur Fally Ipupa nu, j’ai refusé. Voilà la raison pour laquellenous sommesréunisici. » Kadji manque de s’étouffer devant mon culot. Le commissaireadjoint, qui nousavait rejointsentre-temps, en a assez entendu. Il résume la situation à l’adresse du sbire embarrassé. «Une rupture, et voilà qu’il vous faut tout récupérer. Jusqu’au moindre sac à main. » Le bras droit de Samuel s’avoue vaincu. «Oui. Mêmelessacsà main. » Cette fois, je sens la victoire proche. Kadji en personne vient de reconnaître à demi-mot qu’il ne s’agit là que d’une vengeance amoureuse de bas étage. Le commissaire se tourne vers moi. J’attends qu’il sonne la fin de la récré. «Eh bien Madame, remettez-leur donc les cadeaux. Sans quoi jeserai obligédevousgarder en celluledegardeà vue en attendant la décision du procureur. – Trèsbien. Montrez-moi lechemin dela cellule. » Je n’ai plus rien à perdre. Le peu de confiance qu’il me restait dans les institutions de mon pays vient de s’envoler 201 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 202/223 RevengePorn à tout jamais. Le château de cartes monté par Samuel et sa bande s’effondre sous les yeux des policiers, mais ils n’en tirent aucune conséquence en ma faveur. Je suis coupable, quoi que je dise, quoi que je fasse. Il me reste mes précieux enregistrements mais il est hors de question que je les confie à ces pantins désarticulés. On m’amèneen cellule. Jen’ai jamaisvu un endroit aussi sale de toute ma vie. On dirait un ancien bureau désaffecté, au milieu duquel trône un canapé délabré. Voilà qui me change de la vie de palace. Je passe trois jours et deux nuits dans ce cloaque. Le comble est atteint lorsque mon avocat tente à son tour de me faire entendre raison, et m’incite à signer un protocole d’accord avec Samuel ouvrant la voie à la restitution de sescadeaux. Plus on m’encourage dansce sens, moinsjel’envisage. Cen’est pasunequestion d’argent, c’est une question d’honneur : céder ferait de moi le joujou deSamuel Eto’o pour toujours. Jepréfèredeloin passer cent ansàcroupir derrièrelesbarreaux. Dehors, mon entourage proche se mobilise. Mon ami Amadou, avec lequel Samuel me suspectait à tort d’avoir une liaison secrète, apprend mes mésaventures par mon petit frère Teddy. C’est un homme influent lui aussi. En faisant jouer sesrelations, il obtient un réexamen du dossier par le procureur. Je connais le nom et le poste de l’intervenant haut placé qui a permis ce miracle mais je ne tiens pas 202 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 203/223 Arrêtsdejeu à l’ébruiter. Son courage, dans un pays encore largement minépar lacorruption desélites, pourrait lui coûter cher. Je suis extraite de la cellule un samedi matin, après trois jours de cauchemar. C’est Teddy qui vient m’annoncer la nouvelle de ma libération. Le substitut du procureur est lui aussi présent. Il m’explique que je peux rentrer chez moi, et que je dois rester à la disposition des enquêteurs si la suite des investigations nécessite une nouvelle convocation. J’attends encore de connaître les raisons de ce dénouement avant de m’en réjouir. Amadou m’attend à la sortie du commissariat. Il m’explique les coulisses du revirement, et me jure qu’il ne faut y voir aucun tour de passe-passe. «La procédure était totalement illégale. C’est une affaire civile, et non pénale. La loi ne prévoit ni mandat d’arrêt, ni garde à vue pour ce type de cas. Mes amis ne t’ont pas fait une fleur : ils n’ont fait qu’exiger la stricte application dela loi. » Je rentre chez moi sale, exténuée, mais l’esprit libéré. Pour autant, derrière le soulagement, subsiste un arrièregoût d’amertume. Que se serait-il passé si Amadou n’était pas intervenu ?Quel sort réserve-t on à celles qui vivent la mêmeinjusticequemoi maisn’ont paslesrelationsqui leur permettent de faire valoir leurs droits?L’affaire Eto’o-Koah cache sans doute des milliers de cas similaires aux conséquences sûrement bien plus dévastatrices. En m’endormant 203 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 204/223 RevengePorn enfin après deux nuits blanches ou presque, je pense au scandale quotidien vécu par ces femmes sans titres, esclaves d’un patriarcat archaïque et de la corruption ordinaire, qui n’ont paslachancequej’ai eue. Une dizaine de jours passent. Je n’ai pas de nouvelles deSamuel ou sesapôtres, mêmedemanièreindirecte. L’épilogue de mon arrestation a sans doute refroidi ses ardeurs, et mis en sourdine pour un temps son sentiment de toutepuissance. C’est devant ma télé que je m’apprête à revoir mon ancien amant pour la première fois depuis des mois. Après bien des péripéties, l’équipe nationale du Cameroun s’est qualifiée pour la coupe du monde au Brésil. Mon ressentiment à l’égard de Samuel n’empêche pas mon souhait de voir les Lions et son capitaine briller sur les pelouses et porter haut noscouleurs. Lejour del’ouverturedelacompétition arrive enfin. Le pays tout entier retient son souffle. Je suis dans mon salon, suspendue à la télévision qui diffuse la cérémonie d’ouverture, lorsqu’une amie, Pamela, m’envoie un curieux messagepar leserviceen ligneWhatsApp. «Tesphotossont dehors! » Dequoi parle-t elle?Mesphotos?Jenecomprendsrien. Pamela marque une pause le temps de rédiger un nouveau message. Des milliers d’images se bousculent dans ma tête. Oh mon Dieu. Oh mon Dieu. «Desphotosdetoi nue! Partout sur Internet ! » Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 205/223 XIV L’HEURE DE LA VENGEANCE Les messages affluent par dizaines. Je ne sais plus où donner de la tête. Les alertes viennent de partout : SMS, e-mails, messages instantanés. Des amis, des connaissances, des inconnus. Tous m’informent que des photos intimes de moi circulent comme un virus de portable en portable et sur les réseaux sociaux. Mon corps se met à trembler. Reste calme. Paniquer ne sert à rien. Je dois voir les clichés en personne pour me rendre compte de l’ampleur du désastre avant de m’apitoyer sur mon sort et d’envisager une réaction. Je demande à Pamela de m’envoyer une copie de ce qu’elleavu. Saréponsesonnecommeun mauvaisprésage. «Je nepeux pasNathalie. C’est trop… c’est trop cru. » Mon pouls s’accélère. Si je ne peux pas les voir, je dois en connaître la source. Pamela est la première à m’avoir informée. Elle doit connaître l’origine de leur publication. «Je les ai reçues via un groupe d’amis basé à New Bell », me signale-t elle. 205 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 206/223 RevengePorn New Bell. Le quartier pauvre de Douala où Samuel a grandi. Il y possède logiquement sa base de fans la plus fidèle, la plus dévouée aussi. Je commence à envisager le pire: acculé après l’échec de sa plainte, le footballeur a cherché un moyen alternatif de me nuire. En fouillant dansnoscinq annéesd’échangesincessants, il adéterrédes photos intimes qu’il avait prises lui-même ou que j’avais eu l’imprudence de lui envoyer et les a diffusées à ses soutiens pour qu’ils les propagent à leur tour. J’ai été stupide de penser qu’il s’avouerait vaincu. C’est mal le connaître que d’imaginer qu’il puisse accepter un affront, quel qu’il soit. On ne défie pas le grand Samuel Eto’o. On s’incline. Ou l’on payecher son audace. Cette déduction m’incite à réagir à toute vitesse. J’enfile une veste et file chez mon avocat en courant. Je lui déballe le peu d’informations en ma possession. Il m’indique qu’il va se pencher sur une riposte sans trop savoir où il met les pieds. Sur le chemin du retour, quelques imprudents ont cru bon de me faire suivre les clichés en question. Je suis chez moi lorsque je trouve le courage d’ouvrir les fichiers joints à leurs messages d’alerte. Le choc est d’une violence inouïe. Je manque de m’effondrer. Il n’y a aucune place pour l’imagination. Tout est là. Mon corps nu, dans les postures les plus dégradantes, et jusque dans les moindres détails. L’une d’elle me montre en plein ébat avec un 206 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 207/223 L’heuredela vengeance hommeque je reconnais comme étant Sonor. Une autre est un selfie pris devant un miroir dans le plus simple appareil. Une autre encore, sans doute la plus choquante, me présente en train de me masturber les quatre fers en l’air. Ce n’est pas juste de la nudité: ce sont des instantanés de ma viesexuellejetésen pâtureau public. Bravo. Ça y est. Il a gagné. Samuel m’a tuée. Son geste n’est pas une simple revanche, aussi cynique et perverse soit-elle: c’est un assassinat social. Je ne souhaiterais pas pareilleinfamieàmon pireennemi. Il n’apashésitéàl’infliger àcellequi l’a tant aimé. Jecrie, jepleure, dansun déluge de rage et de haine mêlées. C’est trop. C’est insupportable. C’est irréversible. Jem’écroule, inconsciente, terrasséepar le choc. Fabrice, qui avait lui aussi été destinataire des clichés et avait entendu mes hurlements depuis sa chambre, me découvre au sol, inanimée, et appelle les secours. Quelques minutes plus tard, pompiers et Samu font irruption dans le salon, et me placent sous perfusion avant de m’évacuer d’urgenceversl’hôpital. Je me réveille tuyautée de partout. Les médecins expliquent m’avoir injecté du glucose pour me remettre sur pieds. En me rappelant la raison de mon état et de ma présenceici, ma crise de larmesrepart deplusbelleet paraît ne plus devoir cesser. Me voir ainsi offerte à la face du monde n’est pas le pire. C’est lorsque je pense à mes frères, 207 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 208/223 RevengePorn à ma mère, mes oncles, mes cousins, à tous ceux qui me sont cherset qui ont vu ou verront un jour ceshorreursque je plonge dans le désespoir le plus absolu. Comment vivre avec une pareilleabomination sur la conscience?Comment sortir dans la rue en supportant le regard des miens, des autres?Aucun homme ne voudra de moi. Mon employeur va me virer, et aucune entreprise ne m’embauchera plus. Tuez-moi. Jepréfèrecrever. Jamaisjenepourraism’en relever. Il n’y a pas, il n’y aura jamais d’issue à cette souffrance qui mepoursuivratoujours. Dans cette épreuve que j’estime alors insurmontable, Fabrice est un soutien précieux. Mon jeune frère ne se voile pas la face, admettant que c’est une épreuve terrible à traverser, mais qu’au bout, le temps effacera l’affront comme les blessures. Ses paroles me donnent le courage de résister à l’envie d’en finir. Je trouve la force de sécher mes larmes, en m’appuyant sur ceux que j’aime et sur ma foi en Dieu. Après deux jours d’hospitalisation, je suis autorisée à rentrer chez moi. Je rallume mes téléphones et me connecte sur Internet. Jeme suislogiquement préparée à lire lespires horreurs sur mon compte. Je suis servie. Les commentaires autour des photos se résument en une seule phrase : «Cette fille est une pute». La finesse de l’analyse est éclatante. Par un heureux hasard, la publication des clichés coïncidait avec les premiers articles de presse sur mon incarcération 208 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 209/223 L’heuredela vengeance abusive. Les journaux locaux présentaient alors l’histoire de ma détention sous un jour qui m’était favorable, racontant les déboires de la maîtresse de Samuel Eto’o face au courroux du footballeur. A contrario, ceux qui s’étaient intéressés à ces articles voyaient dans l’apparition de ces clichés la preuve que la superstar avait été manipulée par une fille de mauvaise vie. Je n’étais plus une victime, mais un bourreau. Aucun decesespritsbrillantsnes’imaginaient que Samuel pouvait être à l’origine de leur diffusion afin, justement, deretourner l’histoireàson avantage. Comme souvent sur Internet, le monstre échappe rapidement à son créateur. Les faux profils utilisant les photos à des fins de détournement fleurissent. «L’inconnu de la photo » finit même par être assimilé à un ministre en exercice, ce qui donne à l’affaire une ampleur nationale! D’autres tout aussi inspirés créent de faux profils avec mon vrai nom, sur lesquels mon double usurpé se vante de tout faire pour détruire la carrière en déclin du footballeur. Les insultes redoublent d’intensité. Je veux parler, expliquer, démentir. Je veux surtout que l’opinion se pose enfin la question qu’elle devrait se poser depuis le premier jour : exception faite des selfies, qui a pris ces photos? La réponse coule de source: une troisième personne présente au moment de la prise mais qu’on ne voit bien sûr pas à l’image. Ne pourrait-il pas s’agir de Samuel ?Je bous 209 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 210/223 RevengePorn intérieurement, prête à convoquer une conférence de presse mondiale s’il le faut. Malgré ma détermination, mon avocat m’incite à rester silencieuse. Il souhaite que je réserve mes déclarations à la justice pour ne pas mettre en péril la procédure que nous pourrions lancer. Afin d’éviter que la situation ne dégénère davantage, mon conseil consent à ce que je réponde à une seule et unique interview radiophonique. J’y livre quelques repères de mon histoire dans les limites fixées par la loi : ma relation avec Samuel, nos partouzes, mes tentatives de rupture, le chantage des photos de Fally, mon refus d’y céder et la riposte par mes clichés intimes diffusés sur le web que j’attribue évidemment à Samuel. Pour convaincre mes interlocuteurs, j’insiste sur la présence évidente d’un «troisième homme», et je mets en avant le préjudice inestimable que me causent ces clichés par rapport au prétendu bénéfice que je suis supposée pouvoir en tirer. Mon intervention, suivie par le pays tout entier, produit l’effet escompté. L’opinion, qui faisait bloc contre moi, se divise. La plupart des journaux et sites web d’actu relaient mes arguments en soulignant leur pertinence. D’autres, le plus souvent dédiés au sport, continuent invariablement de soutenir Samuel en criant au complot. D’autres encore, plutôt conservateurs, s’offusquent qu’une jeune fille se vante en public de participer à des parties fines, sans savoir 210 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 211/223 L’heuredela vengeance qu’il ne s’agissait pas pour moi d’un choix assumé et réfléchi mais d’un geste d’amour pour mon homme. La société camerounaise, patriarcale, voit encore assez largement d’un mauvais œ il qu’une femme ose revendiquer sa liberté sur le plan sexuel. Sans surprise, les amis de Samuel se frottent les mains et m’inondent de messages revanchards du type: «Tu as voulu jouer dans la cour des grands, tu t’es cassé la gueule». Moins attendue, la réaction des femmes sur les réseaux sociaux est sans doute celle qui me déçoit le plus. Les commentaires sont pour la plupart très négatifs, raillant ici ma légèreté, là ma soumission aveugle aux fantasmesexcentriquesd’Eto’o. Heureusement, je peux aussi compter sur quelques soutiens. Des anonymes d’abord, qui me croisent, me reconnaissent dans la rue et livrent des messages d’encouragement spontanés. Des lettres et des appels ensuite, de personnes de mon entourage lointain ou d’anciennes connaissances choquées par le traitement qui m’est réservé. Fally, dont le nom est apparu à la faveur de quelques articles malveillants, me contacte lui aussi. Je lui raconte tout, de la rupture orageuse aux photos de lui que Samuel m’avait commandées. Il ne se montre pas plus étonné que ça: on lui a rapporté qu’une autre maîtresse camerounaise du footballeur s’était vu confier la même mission quelques mois plus tôt. Comme à son habitude, il n’a pas un mot 211 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 212/223 RevengePorn plus haut que l’autre envers Samuel. Son détachement et sa hauteur d’esprit m’impressionnent. Face à l’épreuve que je traverse, il se montre compatissant, et m’apporte un soutien réel mais discret : sa stature de personnalité publique aurait tôt fait de relancer la machine à fantasmes autour de mon personnage. Dans ce flot de coups de fil ininterrompu, je reçois l’appel inattendu d’une personnalité camerounaise de très haut rang, dont je préfère taire le nom. Mon petit frère et moi l’appelons«qui tu sais». Cette figure de la vie publique du pays tient à m’assurer en personne de sa profonde sympathie. «Peu importe ce que vous avez fait. Je réagis en tant que mari et père, et je ne souhaite à personne de vivre ce qui vous arrive. Mais soyez courageuse. J’ai lu dans la presse que vous aviez fait un séjour à l’hôpital et que vous aviez songéà en finir. Nebaissez paslesbras. » La bienveillance de«qui tu sais» va plusloin. Il meparle des possibilités de contre-attaques judiciaires, et m’incite à déposer plainte sans plus attendre. Il finit son appel en me demandant quel serait mon vœ u le plus cher pour tenter d’oublier l’épreuve que je traverse. Ma réponse est simple: je ne peux plus regarder mes compatriotes dans les yeux sans me dire qu’ils m’ont vue dans le plus simple appareil. Je veux partir quelques jours loin du Cameroun pour pou- 212 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 213/223 L’heuredela vengeance voir mebalader dans la ruel’esprit en paix. Mon bon samaritain exauce mon souhait, et m’envoie l’équivalent de 30 000 euros pour m’offrir le voyage de mes rêves. Je me pince pour y croire. Je choisis de partir pour un long périple qui me mène à Miami, Washington et Mykonos. Cettethérapieest un succèset mecoupedu marasmecybernétique dans lequel je me noyais. Aujourd’hui encore, j’ignore les motivations profondes de cette incroyable générosité, mais je conserverai une dette envers cet homme jusqu’àlafin demesjours. Ma réplique médiatique enclenchée et mes batteries rechargées, mes choix sont limités: me morfondre ou faire front. Passé le choc despremiers temps, la deuxième option a mes faveurs, d’autant que le buzz hors norme engendré par l’affaire a fini par attirer l’attention de la délégation générale de la sûreté nationale. L’institution, au-dessus de tout soupçon, est l’équivalent camerounais de la direction générale de la police nationale française. Le délégué en personne me convoque un matin pour recueillir ma version de cette curieuse histoire qui commence à agiter le landernau dela politique. Cet hommeassez âgém’inspiretout desuite confiance. J’exhume à cette occasion et pour la première fois mes enregistrements clandestins. Après les avoir entendus, il m’invite à rédiger une plainte nominative contre Samuel Eto’o. Jem’exécute avec un bonheur et une sérénité 213 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 214/223 RevengePorn que je n’avais pas éprouvés depuis longtemps. Cette fois, je me sens écoutée, et j’ai le sentiment que les choses vont enfin bouger. L’enquête est confiée à un inspecteur qui convoque Samuel à son retour du mondial pour une confrontation. Le joueur fait faux bond, prétextant des réunions de débriefing sur le naufrage de la sélection nationale. Il en sera de même quelques jours plus tard à la deuxième tentative. La procédure exige alors qu’un mandat d’amener soit rédigé par le procureur. Lelendemain, Samuel quitteleCameroun en rejoignant l’aéroport de Douala en taxi banalisé. Il n’y reviendra qu’un an plus tard, en juin 2015. Entre-temps, sa plainte initiale, celle qui m’avait valu mes trois jours de garde à vue, avait été classée sans suite faute d’éléments. Ma plainte auprès du délégué, elle, piétinait. Son retour au pays a relancé nos poursuites judiciaires respectives par la voie de citations directes croisées envoyées via nos avocats, pour escroquerie concernant la procédure qui me vise, et pour menaces, chantage, et déclaration mensongère pour celle qui cible Samuel. Les deux restent aujourd’hui en cours. J’ai, pour ma part, tenu à porter plainte également à Paris, commelalégislation françaiselepermet pour lesdélits commissur Internet, en m’attachant lesservicesd’un avocat pénaliste de haut rang, M e Thibault de Montbrial, célèbre pour avoir notamment défendu les intérêts de Nafissatou 214 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 215/223 L’heuredela vengeance Diallo en France dans le combat judiciaire qui l’opposait à DominiqueStrauss-Kahn. Aujourd’hui, si toutes les blessures ne sont pas refermées, j’ai quasiment reprisunevienormale. J’ai récemment quitté mon emploi d’hôtesse d’accueil pour me consacrer à ma marque de lingerie sexy, Psychee by NK, lancée au Cameroun à l’été 2015. Je m’y investis à temps plein, m’occupant des modèles depuis le design jusqu’à la fabrication en passant par le marketing. J’ai aussi consenti à ouvrir une page Facebook officielle pour mettre un terme aux nombreuses usurpations qui fleurissaient ici et là. J’y poste principalement l’actualité de Psychee by NK, et quelques photos personnelles prises lors de mes voyages ou instants de loisirs. J’y suis soucieuse de ma vie privée, comme je l’étais pendant ma relation avec Samuel. Plus d’un an après la fin de ma liaison avec Samuel Eto’o et son épilogue qui a bouleversé mon existence à tout jamais, je ne ressens plus de haine vis à-vis de l’homme avec qui j’ai partagé plus de six années de ma vie. De notre histoire, je préfère retenir l’affection profonde et sincère, l’immense complicité, et les fous rires interminables. Je ne lui veux sincèrement aucun mal. Ce témoignage n’est pas celui d’une femme voulant se venger de l’homme qui l’a tant blessée. C’est une mise au point finale de l’actrice principale d’un feuilleton fait d’amour, de sexe et d’argent, qui a secoué le football 215 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 216/223 RevengePorn africain et mondial, et qui mérite désormais de se terminer. C’est aussi un appel aux femmes, en Afrique et ailleurs, à ne plus se laisser marcher sur les pieds, et à puiser le courage nécessaire pour faire face aux hommes puissants qui, un jour peut-être, tenteront de leur faire croire que la loi ne s’appliquequ’aux faibles. Ilsont tort. Nathalie Koah, décembre 2015 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 217/223 REMERCIEMENTS Je remercie avant tout Dieu de m'avoir sortie de ce cycle toxique et de m'avoir permis d’être en paix avec l’éducation et les convictions qui m’ont été inculquées. Je remercie ma mère Marie-Jeanne pour sa dévotion, son amour inconditionnel et son soutien intarissable. Je remercie mes frères Fabrice et Teddy et ma sœ ur Johanna pour lesmêmesraisons. Je remercie tonton Mathurin Minlo pour le père qu'il est devenu, pour moi comme pour mes frères. Je remercie M e Fochive pour son idée brillante qui a fait de moi une femme libre, et mes autres avocats, qui poursuivent mon combat devant les tribunaux. Je remercie ma grande famille, ma grand-mère, ma tante, mon oncle, mes cousins et cousines. Je remercie Amadou A. pour son aide précieuse dans ma libération. 217 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 218/223 RevengePorn Je remercie «Qui tu sais» pour m'avoir donné la force de me battre pour la vérité. Je remercie mes ami(e)s Huberline T., Nadia M., Guy M., LisaT., IssaI., PamelaE., RolandeE… pour leur amitié! Je remercie mes followers sur Instagram et Facebook qui, pour la plupart, me soutiennent encore aujourd’hui et le font savoir autour d’eux. Ils sont une source de motivation au quotidien. Je remercie les médias qui ont rendu ma parole audible et ont su résister aux campagnesde diffamation téléguidées. Je remercie mon «grand frère» pour TOUT. C’est grâce à toi que j'ai eu la force, non seulement d'écrire ce livre, mais aussi de m’épanouir sur le plan professionnel. Je remercie mes collègues de travail qui m'ont témoigné leur sympathie. Je remercie tous ceux qui, de près ou de loin, se soucient de ma santé et de mon bonheur. Samuel, je te pardonne sincèrement, mais surtout, je te remercie. Tu as beaucoup contribué, peut-être malgré toi, à façonner la femme que je suis devenue. Puisse Dieu apaiser ton cœ ur en profondeur. Papa, grand-père, paix à vos âmes. Merci de veiller sur moi de là où vous êtes. Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 219/223 TABLE DES MATIÈRES I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. Maillot jaune. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le dieu du stade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chambre avec vue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lionne indomptable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un château en Espagne. . . . . . . . . . . . . . . . . . La passe de trois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sur le banc de touche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La maîtresse trompée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Frappe cadrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Hors-jeu volontaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Au fond de ses filets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une étrange mission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Arrêts de jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’heure de la vengeance . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 17 33 45 61 77 91 107 127 141 155 171 189 205 Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 220/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 221/223 Dépôt légal : février 2016 ISBN : 978-2-35417-479-8 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 222/223 Dossier : EdDuMoment_340269 Document : RevengePorn_340269 Date : 20/1/2016 16h11 Page 223/223 Cet ouvrage a été mis en page par IGS-CP à L’Isle-d’Espagnac (16)