Mariages forcés » en Suisse
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« Mariages forcés » en Suisse : causes, formes et ampleur Anna Neubauer et Janine Dahinden en collaboration avec Pauline Breguet et Eric Crettaz Édition Éditeur : Office fédéral des migrations (ODM) Quellenweg 6, CH-3003 Bern-Wabern www.bfm.admin.ch Cette étude a été réalisée par l’Université de Neuchâtel, Chaire d’études transnationales, sur mandat de l’Office fédéral des migrations (ODM). Auteur(e)s : Anna Neubauer et Janine Dahinden en collaboration avec Pauline Breguet et Eric Crettaz Responsable du projet : Janine Dahinden Graphisme : BlackYard GmbH Distribution : OFCL, Diffusion des publications fédérales, CH-3003 Berne www.publicationsfederales.admin.ch Numéro de commande : 420.045.f Photos : Keystone : couverture, pages 8, 48 Philipp Eyer et Stephan Hermann : pages 13, 26, 32, 42, 69, 88, 92, 107 Laurent Burst : page 18 Michael Sieber : pages 80, 85, 109 2 Contenu Introduction Partie I : Situation initiale et conception de l’étude 1 Situation initiale : les « mariages forcés » comme nouveau champ d’action en Suisse 1.1 Projet de loi 1.2 Mesures dans d’autres domaines 2 Mandat et objectifs de l’étude 3 Questions de recherche 4 Définition de l’objet de l’étude : penser la notion de « mariage forcé » du point de vue des sciences sociales 4.1 Complexité du phénomène et enjeux sous-jacents 4.1.1 Les « mariages forcés », une notion couvrant des situations diverses de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce 4.1.2 Mariages arrangés et « mariages forcés » 4.1.3 Les « mariages forcés » comme spirale de violence et conflit de générations 4.1.4 Mariages transnationaux 4.1.5 Sortir d’une logique d’« ethnicisation du sexisme » 4.2 Définition de travail du « mariage forcé » 5 Démarche méthodologique 5.1 Enquête on-line 5.2 Entretiens d’expert(e)s et focus groups Partie II : Résultats 6 Description et analyse des situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce 6.1 Ampleur du phénomène 6.1.1 Estimation du nombre de cas rencontrés par les institutions ayant participé à l’enquête 6.1.2 Comparaison avec d’autres estimations existantes 6.1.3 Proportion des types de cas 6.2 Profil socioprofessionnel des personnes concernées 6.2.1 Sexe et âge 6.2.2 Nationalité, lieu de naissance et statut de séjour 6.2.3 Formation et situation professionnelle 6.3 Types de contraintes et violences 6.3.1 Violence exercée au sein du cercle familial 6.3.2 Raisons à l’origine de la contrainte 5 8 9 9 10 12 13 14 15 15 16 16 17 19 23 24 25 30 32 33 33 33 36 38 39 40 45 51 52 53 58 3 6.4 Lien avec l’étranger : aspects transnationaux 6.5 Évolution des cas 6.6 Résumé et conclusions intermédiaires 7 Problèmes et lacunes en termes de prévention, prise en charge et protection 7.1 La situation dans les différents cantons 7.2 Institutions confrontées à cette problématique 7.3 Institutions et professionnel(le)s : autoévaluation des capacités d’action 7.4 Modes d’intervention les plus répandus au sein des institutions et enjeux 7.4.1 Enjeux liés au conflit de loyauté 7.4.2 Travail en réseau des institutions : chaînes d’intervention et enjeux 7.4.3 Enjeux du travail avec l’entourage familial 7.4.4 Protection des victimes, interventions policières et pénales 7.4.5 Enjeux juridiques et légaux 7.5 Résumé 61 64 65 68 70 71 76 78 80 82 84 87 89 90 Partie III : Recommandations 1 Question stratégique : doit-on considérer les « mariages forcés » comme spécifiques au domaine des migrations ou les aborder sous l’angle de l’égalité entre femmes et hommes, comme une forme de violence domestique ? 2 Travail en réseau : améliorer les chaînes d’intervention entre et au sein des institutions 3 Conflit de loyauté et dépendance des victimes envers les auteur(e)s 4 Les personnes touchées et leur prise en charge 4.1 Situations de types A, B et C : enjeux différents 4.2 Publics-cibles demandant des mesures spécifiques 4.2.1 Mineur(e)s 4.2.2 Hommes 4.2.3 Auteur(e)s de contraintes 5 Compétences des institutions 6 Dimension transnationale 7 Recherches supplémentaires 92 Liste des figures Liste des tableaux Bibliographie 4 93 97 99 101 101 104 104 105 106 108 109 111 112 113 114 Introduction Les « mariages forcés »1 font partie de ces sujets nourrissant des débats émotionnels qui apparaissent régulièrement sur le devant de la scène politique et médiatique. Dans les débats publics, les situations de contraintes en lien avec le mariage sont thématisées en tant que violences contre les droits humains et elles sont souvent présentées comme étant des pratiques « traditionnelles », « culturelles » ou « religieuses » liées à certains groupes d’immigré(e)s (Fulpius 2006 ; Naef 2009 ; Rivier et Tissot 2006). Il ne fait aucun doute que les situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce produisent et reproduisent des inégalités en termes de rapports de sexe – au sein des familles ou entre hommes et femmes – et que ces situations sont étroitement liées à diverses formes de violence. Pourtant, la question des « mariages forcés » telle qu’elle est discutée aujourd’hui dans les médias et l’arène politique soulève du point de vue des sciences sociales des questions auxquelles on ne saurait répondre avec le savoir disponible à l’heure actuelle. En effet, force est de constater que malgré l’actualité du thème et sa visibilité dans les médias – en Suisse et en Europe – nous ne disposons que de peu de connaissances empiriquement fondées. La thématique des « mariages forcés » a trouvé un écho discursif, médiatique et politique avant même d’avoir été pensée avec des outils de réflexion sociologique. Les rares études empiriques existantes montrent que sous les termes génériques de « mariages forcés » se cache un éventail de situations diverses de pressions et de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Elles démontrent également que cette forme de violence ne peut être expliquée ni par les « traditions » ou la « culture », ni par l’« islam ». À l’inverse, les chercheurs ont mis en évidence qu’à la source de ces situations se trouvent des processus politiques et sociaux complexes, et que le phénomène ne peut être compris sans prendre en compte les divers rapports de pouvoir qui sous-tendent ces situations (p. ex. Hamel 2011 ; Holzleithner et Strasser 2010 ; Riaño et Dahinden 2010). 1 Dans la présente étude, nous ne l’utilisons que comme discours rapporté d’autres acteurs et c’est pourquoi nous l’employons toujours entre guillemets. 5 Ainsi, même si plusieurs études sur le thème ont été mandatées ces dernières années en Suisse (ville de Zurich, canton de Vaud2) et en Europe (p. ex. en Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne3), nous nous trouvons actuellement face à d’importantes lacunes nous empêchant de comprendre le phénomène de façon globale. Pour le contexte suisse, l’ampleur exacte du phénomène, ses causes et le profil des personnes touchées restent largement méconnus. Un savoir fondé, indispensable à la mise en place de mesures concrètes et adéquates pour la prise en charge de personnes touchées, fait toujours défaut. C’est dans ce contexte que la motion d’Andy Tschümperlin «Aider efficacement les victimes de mariages forcés» a été acceptée par les deux Conseils, respectivement le 3.3.2010 (CN) et le 1.6.2010 (CE). Ainsi, le Conseil fédéral a été chargé de prendre, après étude approfondie, des mesures supplémentaires pour lutter contre les « mariages forcés », afin d’aider directement et efficacement les victimes. L’objectif de la présente étude, qui a été mandatée par l’Office fédéral des migrations (ODM) suite à cette motion, est d’apporter le savoir nécessaire à la mise sur pied de mesures efficaces. Dans cette perspective, nous avons été mandatées pour étudier l’ampleur et les formes des « mariages forcés » en Suisse ainsi que pour identifier des lacunes en termes de mesures dans les domaines de la prévention, l’orientation, la prise en charge et la protection. Ce rapport est structuré en trois parties. La première sera consacrée au contexte de l’étude, aux objectifs et au mandat, aux questions de recherche ainsi qu’à la méthodologie. Nous y retracerons brièvement la manière dont les débats entourant ce sujet se sont développés en Suisse en décrivant les mesures légales et juridiques ainsi que les projets pilotes qui ont été mis en place ces dernières années en vue d’une lutte contre les « mariages forcés » et de la prise en charge des victimes. Nous présenterons également la définition de « mariage forcé » retenue pour cette recherche et la manière dont celle-ci a déterminé la méthodologie utilisée. La deuxième partie du rapport rassemblera les résultats principaux de l’étude. Nous commencerons avec la description et l’analyse détaillée des situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. L’ampleur du phénomène, le profil des 6 personnes concernées ainsi que les types de contraintes et l’origine de ces contraintes seront également analysés. Ensuite nous nous focaliserons sur le traitement de cette problématique en termes de prévention, d’orientation, de prise en charge et de protection des victimes. Nous mettrons en évidence le type d’institutions qui sont confrontées à cette problématique. Ici, les enjeux et défis auxquels les professionnel(le)s sont confronté(e)s seront analysés avec un accent particulier sur les lacunes au sein des chaînes d’intervention. Finalement, sur la base des deux premières parties, des recommandations concernant des mesures futures pour la prévention et la prise en charge des victimes seront présentées dans la troisième et dernière partie du rapport. Nous aimerions remercier ici plusieurs personnes qui ont contribué à la réalisation de cette étude. Un grand merci tout d’abord à Marianne Hochuli et Regula Zürcher de l’Office fédéral des migrations (ODM) pour leur soutien tout au long de cette étude. Nous remercions également les membres du groupe d’accompagnement, Amina Benkais et Simone Eggler (Terre des femmes), Thomas Mayer (Office fédéral de la justice), Franziska Scheidegger (ODM), Simone Prodolliet (Commission fédérale pour les questions de migration, CFM) et Verena Wicki (Fabia Luzern). Leurs commentaires et feedbacks constructifs ont grandement contribué à améliorer ce texte. Finalement, nous aimerions également exprimer notre reconnaissance à nos interlocuteurs, en commençant par les personnes qui ont pris le soin de remplir notre questionnaire, sans l’engagement desquels cette étude n’aurait pas été possible. Nous aimerions également remercier les expert(e)s avec lesquel(le)s nous nous sommes entretenu(e)s et qui ont partagé avec nous leur savoir et leur expérience. 2 Riaño et Dahinden (2010), Lavanchy (2011). 3 Bundesministerium für Familien (2011), Zentrum für soziale Innovation (2007), Hester et al. (2007), Chantler et al. (2009). 7 Partie I : Situation initiale et conception de l’étude 8 1. Situation initiale : les « mariages forcés » comme nouveau champ d’action en Suisse En Suisse, le débat sur les « mariages forcés » existe depuis quelques années. Il est périodiquement relancé soit par des faits divers tragiques rapportés par les médias soit par l’actualité parlementaire, avec le dépôt d’une nouvelle initiative ou motion à ce sujet (p. ex. la question de Banga en 20044, l’intervention de ForsterVannini en 20055 et la motion importante de Heberlein en 20066)7. C’est particulièrement depuis 2007 que ce débat s’est intensifié, s’accompagnant de divers efforts pour venir en aide aux personnes concernées. de cette dernière, le Conseil fédéral a chargé, le 21.10.2009, le Département fédéral de justice et police (DFJP) d’élaborer un message et un projet de loi visant à renforcer la protection des victimes de « mariages forcés » notamment sur le plan pénal. Le 23.2.2011, le Conseil fédéral a adopté ce message. Celui-ci propose des modifications dans le Code civil, dans la loi fédérale sur le droit international privé, dans la loi sur le partenariat ainsi que dans la loi sur les étrangers et la loi sur l’asile. Le projet prévoit également la création d’une norme explicite au sein du Code pénal contre les « mariages forcés ».9 Dans les grandes lignes, le projet de loi prévoit que les mariages conclus sous contrainte soient à l’avenir poursuivis d’office et qu’une norme pénale explicite permette de les réprimer. De plus, les mariages avec des personnes mineures conclus entre ressortissants étrangers Dans le contexte suisse, deux champs d’actions peuvent être distingués. D’une part, des changements de lois ont été proposés dans une tentative de renforcer la lutte contre ce phénomène par une action dans le domaine juridique. D’autre part, des mesures non législatives concernant la prévention et la prise en charge ont été mises en place. Afin de contextualiser le mandat de cette étude et de soulever les lacunes dans l’approche actuelle du phénomène, il est nécessaire de brièvement esquisser ce qui a été entrepris jusqu’à présent. 6 www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte. 1.1. Projet de loi 7 Pour les détails de l’historique des débats parlemen- 4 Cf. www.parlament.ch/ab/frameset/f/n/4707/123354/ f_n_4707_123354_124137.htm 5 Cf. www.parlament.ch/ab/frameset/f/s/4707/122615/ f_s_4707_122615_122623.htm aspx?gesch_id=20063658 taires au niveau fédéral cf. www.ejpd.admin.ch/ En 2007, le Conseil fédéral a publié un rapport intitulé «Répression des mariages forcés et des mariages arrangés»8 (Conseil fédéral 2007). Suite à ce rapport important, unique dans le contexte suisse, et en exécution de la motion Heberlein, le Conseil fédéral a mené une procédure de consultation. Prenant acte des résultats content/ejpd/fr/home/themen/gesellschaft/ref_gesetzgebung/ref_zwangsheirat.html 8 Le rapport a été publié en exécution d’un postulat de la Commission des institutions politiques du Conseil national (05.3477 – Répression des mariages forcés et des mariages arrangés). 9 Cf. www.admin.ch/ch/f/ff/2011/2089.pdf 9 ne seront plus tolérés sur le territoire suisse (les mariages entre mineurs suisses étant déjà interdits). Les mariages avec des mineurs contractés à l’étranger ne seront en principe plus admis non plus. En outre, en cas de suspicion de « mariage forcé » ou d’un mariage avec une personne mineure, les autorités pourront à l’avenir suspendre la procédure de regroupement familial du conjoint. Deux nouvelles causes d’annulation absolue seront par ailleurs ajoutées dans le Code civil, qui auront pour effet qu’un mariage devra être annulé s’il a été conclu en violation de la libre volonté d’un des époux, ou si un des époux est mineur. Il est à noter que les actes suivants associés à la contrainte dans le cadre d’un mariage – menace, enlèvement, séquestration, violences physiques, sexuelles ou psychiques – sont déjà punissables dans le cadre de la disposition pénale relative à la contrainte existante et que les lois actuelles prévoient les moyens nécessaires pour punir ce type de contraintes (Riaño et Dahinden 2010). Dans ce sens, le projet de loi actuel a une visée plutôt symbolique. 1.2. Mesures dans d’autres domaines Le débat sur les « mariages forcés » a été lancé en Suisse par la publication, en 2006, du rapport de l’étude mandatée par la Fondation Surgir, La prévalence du mariage forcé en Suisse. Rapport de l’enquête exploratoire (Rivier et Tissot 2006), première étude sur cette problématique en Suisse. Suite à ce rapport, Surgir a fait une campagne d’affichage dans plusieurs villes de Suisse romande en 2008, 10 accompagnée par la mise en place d’une hotline qui a fonctionné jusqu’en 2010. Deux ONG ont entamé des activités dans ce domaine à la même période. Il s’agit notamment de zwangsheirat.ch. Cette association a été active d’une part sur le plan de la prévention et de l’information avec la production d’un film documentaire «Für mich war es Zwang …» Zwangsheirat in der Schweiz – Interviews mit Betroffenen, un colloque et une campagne de cartes postales sur le thème en 2006, ainsi qu’un rapport sur les mesures envisageables pour lutter contre les « mariages contraints » en Suisse en 2008. D’autre part, elle a mis en place un service de conseils gratuit et anonyme pour les victimes et offre un suivi des dossiers, notamment au niveau juridique. Depuis 2002, Terre des Femmes Schweiz, une ONG basée à Berne, est également impliquée dans la lutte contre les « mariages forcés ». Leur travail se situe plus à un niveau stratégique que dans la prise en charge de cas, notamment avec du lobbying au niveau politique (prises de position10). En 2006, elle a produit du matériel pédagogique pour des discussions sur les « mariages forcés » dans les écoles11 qui a été suivi par une campagne d’affichage en 2008 dans les rues de Zurich. Par ailleurs, deux études scientifiques ont été mandatées sur cette problématique, l’une par la Fachstelle für Gleichstellung de la ville de Zurich et l’autre par la Commission cantonale de lutte contre la violence domestique du canton de Vaud (CCLVD), pour servir de base à la mise en place de mesures. La première, qui porte sur la région de Zurich, a donné lieu à deux publications, un ouvrage scientifique (Riaño et Dahinden 2010) et une brochure (Fachstelle für Gleichstellung der Stadt Zurich 2010). La deuxième examine la question des « mariages forcés » dans le canton de Vaud (Lavanchy 2011). Le rapport du Conseil fédéral publié en 2007 et particulièrement la motion Heberlein ont demandé que des mesures dépassant le cadre des modifications légales en cours, comme des mesures de sensibilisation, conseils, protection et services de contact soient également prises. Pour combler une partie des lacunes existantes et pour élaborer des bonnes pratiques, l’Office fédéral des migrations a apporté, dès 2009, son soutien à des projets pilotes destinés à sensibiliser les migrant(e)s et à informer les professionnel(le)s qui prennent en charge les personnes concernées. Dans ce cadre, quatre projets pilotes ont été mis sur pied entre 2009 et 2011 en Suisse, portés par les institutions suivantes : Ausländerdienst Baselland et GGG Ausländerberatung Basel ; Bildungsstelle Häusliche Gewalt Luzern et Fachstelle für Gleichstellung Stadt Zurich ; Service de la cohésion multiculturelle de Neuchâtel; zwangsheirat.ch. Terre des Femmes Suisse a été mandatée pour coordonner les quatre projets en mettant activement en réseau les acteurs et en animant un site internet12. Le projet du Service de la cohésion multiculturelle de Neuchâtel (COSM) se caractérise par le fait qu’il coordonne quatre sous-projets dans d’autres cantons romands. En effet, le COSM est actif sur cette thématique depuis 2007 et a ainsi développés des instruments et acquis une expérience qu’il se propose de mettre à disposition des autres cantons romands. Ces projets pilotes ont mis en place diverses activités dans le domaine de la prévention avec pour objectif d’atteindre l’un des trois groupescibles suivants : les victimes, les familles et les professionnel(le)s. Toute une série de produits ont été élaborés et un éventail d’activités mis en place. On peut signaler tout d’abord la fabrication de flyers s’adressant à l’un ou l’autre des trois publics-cibles, traduits jusqu’en dix langues dans certains cantons. Conformément au concept de projet pilote, dont le but est de faire des émules aussi parmi les institutions et cantons qui ne touchent pas directement de financement dans ce cadre, des flyers concernant cette problématique existent maintenant dans 13 cantons. Des formations continues et des séances d’information ont été offertes principalement pour les professionnel(le)s mais également dans les associations de migrant(e) s. Des affiches ont été réalisées dans plusieurs cantons, ainsi qu’un spectacle de danse accompagné d’un dossier pédagogique. Ces projets pilotes se sont aussi déployés dans le domaine audiovisuel avec la fabrication d’un film et d’un 10 Une prise de position générale datant de juillet 2011 et une prise de position spécifique à propos du projet de loi sur les mesures contre les « mariages forcés » peuvent être téléchargées sur le site www.terre-desfemmes.ch 11 Il est prévu qu’une version entièrement retravaillée de ce matériel pédagogique a été publiée en 2012. 12 www.gegen-zwangsheirat.ch ou www.mariagesforces.ch, page consultée le 24.1.2012. 11 CD. Dans tous les cas, ces projets ont donné lieu à un important travail de mise en réseau et de clarifications des fonctions et compétences aux niveaux local, régional et national. À la fin de l’année 2011, l’Office fédéral des migrations a décidé de reconduire et soutenir financièrement tous ces projets pilotes pour deux années supplémentaires (2012/2013). 2. Mandat et objectifs de l’étude Ce bref tour d’horizon montre que la Suisse a commencé, ces dernières années, à prendre les choses en main pour lutter contre les « mariages forcés ». De tels efforts sont compréhensibles, mais ils peuvent également étonner, car ils ne sont pas ancrés dans des connaissances empiriques fiables. En effet, les travaux sur le projet de loi et l’appel d’offres pour les projets pilotes de lutte contre les « mariages forcés » ont été lancés avant que les résultats des deux études mentionnées plus haut n’aient été publiés. Ces études ont mis en évidence quelques éléments qui contribuent sans doute à mieux saisir ce phénomène, mais leur portée géographique est limitée (Zurich, canton de Vaud). En outre, de nombreuses dimensions de cette forme de contrainte restent sous-étudiées. Or, des mesures visant à lutter efficacement contre un phénomène très complexe – comme ces deux études l’ont montré – ne peuvent pas être prises sans les bases nécessaires. S’il est indéniable que des victimes de « mariage forcé » sont confrontées à des situations de violences qui relèvent d’une violation grave des droits humains et demandent donc une intervention des pouvoirs publics, on ne peut s’empêcher d’être critique face à cette précipitation à 12 agir. Le débat public actuel à ce sujet donne l’impression que les « mariages forcés » sont instrumentalisés par certains acteurs politiques et médiatiques pour des intérêts qui ne sont pas en premier lieu ceux des victimes. Ainsi, on constate à ce jour d’importantes lacunes qui empêchent de comprendre ce phénomène et ses différentes dimensions. On ne dispose que de peu d’informations sur la nature du caractère forcé du mariage et les formes de violences impliquées. Le profil des victimes – en termes d’âge, sexe, nationalité mais également par rapport à leur formation ou insertion dans le marché du travail ainsi que la distribution géographique en Suisse – reste dans l’ombre. De même, on en sait trop peu sur les mesures existantes – endehors des projets pilotes soutenus par l’ODM – et sur les enjeux et défis qu’implique un travail avec les victimes. La motion d’Andy Tschümperlin, «Aider efficacement les victimes de mariages forcés,» qui se trouve à l’origine de notre mandat, a été motivée par ces lacunes13. Par l’acceptation de cette motion, le Conseil fédéral a été chargé de prendre, après une étude approfondie, des mesures supplémentaires pour lutter contre les « mariages forcés », qui doivent permettre d’aider directement et efficacement les victimes. Nous avons été mandatées pour mener une étude devant combler, au moins partiellement, ces lacunes. Il nous a été demandé d’une part d’étudier les causes, les formes et l’ampleur des « mariages forcés », ainsi que le profil des victimes. D’autre part, l’étude avait aussi pour tâche d’indiquer où des mesures de lutte avaient déjà été prises et quelle était leur portée. Enfin, elle devait montrer par quelles mesures ciblées supplémentaires la prévention et la protection pourraient être renforcées et étendues. Il est à noter que notre mandat se limite à analyser le phénomène d’un point de vue sociologique et à creuser les aspects ne relevant pas du domaine légal et juridique, en se focalisant sur les mesures qui visent à améliorer la situation et la prise en charge des personnes touchées. 13 Cf. www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte. 3. Questions de recherche Le mandat consiste principalement en trois grandes questions qui visent des aspects différents du phénomène : les formes de « mariages forcés » et l’ampleur du phénomène d’une part et les mesures de prévention, prise en charge et protection d’autre part ont été définies comme des domaines à étudier, afin de pouvoir, sur cette base, formuler des recommandations pour des mesures supplémentaires. Ces dimensions ont été concrétisées dans les questions de recherches suivantes : aspx?gesch_id=20094229 13 Comment les formes de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce se manifestent-elles ? a) Quels types de situations de contrainte trouve-t-on en Suisse en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce ? b)Quelle est l’ampleur du phénomène ? c) Quel est le profil des personnes concernées (âge, sexe, nationalité, situation socio économique, formation, etc.) ? d)Ces situations de contrainte émergent-elles plutôt avant ou après le mariage ? e) A quels types de violences et de contrainte les personnes concernées sont-elles confron tées ? f) Quelles sont les situations et les acteurs à l’origine de la contrainte ? g)Quelle est la proportion de mariages transna tionaux parmi ces situations ? Les situations de contraintes dans ce type de mariage se distinguent-elles de celles prenant place au sein de mariages entre deux personnes habi tant en Suisse ? h)Dans quelle mesure s’agit-il d’un phénomène genré? Quelles lacunes peuvent être identifiées en termes de mesures de prévention, de prise en charge et de protection? i) Quelles sont les mesures existantes en Suisse pour soutenir les personnes concernées ? j) Quelles sont les modes d’intervention les plus répandus ? k) Quels sont les enjeux les plus importants pour un travail avec les personnes concer nées ? 14 Quelles sont les mesures à prendre pour une prise en charge efficace des victimes ? l) Quelles recommandations peut-on faire pour une prise en charge efficace ? 4. Définition de l’objet de l’étude : penser la notion de « mariage forcé » du point de vue des sciences sociales Il nous faut ici préciser l’objet de recherche, c’est-à-dire définir la notion de « mariage forcé » de sorte qu’elle puisse être pensée avec les outils des sciences sociales. En effet, la notion de « mariage forcé » est problématique, car il s’agit d’une notion politique qui simplifie à outrance les réalités sociales et tend à cacher la complexité des enjeux sous-jacents. Le défi principal auquel une étude sociologique est confrontée est que la notion de « mariage forcé » ne fait sens qu’à première vue. Selon une définition commune (p. ex. Conseil fédéral 2007: 9/10), on parle de « mariage forcé » lorsqu’un mariage est contracté sans la libre volonté d’un des deux conjoints au moins. Les pressions exercées sur la personne forcée à se marier peuvent se manifester de manières diverses, notamment sous forme de menaces, de chantage affectif et d’autres actes humiliants et peuvent être accompagnées de violence physique, sexuelle ou psychologique. En revanche, on parle d’un mariage arrangé lorsque l’union est certes initiée par des tiers, mais conclue avec la libre volonté des deux conjoints. À la différence du mariage arrangé où les conjoints restent libres de contracter un mariage, le « mariage forcé » porte gravement atteinte au droit à l’autodétermination de la personne concernée et constitue une violation des droits humains (cf. chap. 16, al. 2 de la Charte des droits humains) (Büchler 2007). Cette définition commune de « mariage forcé » pose problème et doit être soumise à réflexion avant de pouvoir servir pour une étude sociologique. À cette fin, nous présentons un bref tour d’horizon des points les plus importants qui ressortent des études existantes sur le sujet afin de pouvoir ensuite présenter notre définition de travail. 4.1. Complexité du phénomène et enjeux sous-jacents Les recherches sociologiques et autres sources concernant les « mariages forcés » montrent qu’il s’agit d’un phénomène qui est extrêmement complexe avec de nombreux enjeux sous-jacents. L’objectif n’est pas ici de donner une vue d’ensemble du savoir sociologique dont nous disposons sur ce sujet. Nous nous concentrons dans le cadre de ce tour d’horizon sur la discussion de cinq éléments principaux ressortant de la littérature et qui sont pertinents pour la définition de l’objet de l’étude.14 4.1.1. Les « mariages forcés », une notion couvrant des situations diverses de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce fait défaut dans la définition commune exposée ci-dessus. Les chercheur(e)s recommandent notamment de distinguer entre les situations de contraintes qui se manifestent avant la conclusion du mariage (Zwangsverheiratung) et celles qui apparaissent après (Zwangsehe)15. Ces deux cas de figure engendrent des problèmes distincts et demandent des mesures différentes. Le premier concerne des situations qui se caractérisent par le fait que des personnes a) se trouvent sous pression pour conclure un mariage dont elles ne veulent pas ; ou b) qu’elles n’ont pas le droit de maintenir une relation amoureuse ou de se marier avec une personne de leur choix. Le deuxième cas par contre signifie qu’un mariage est maintenu contre la volonté au moins d’un des conjoints – même si ce mariage a peut-être été conclu volontairement. Dans ce cas, la famille, le conjoint ou une autre personne empêchent une personne de divorcer. Il est possible que dans certaines situations les deux formes de contrainte (avant et après le mariage) soient présentes, mais ce n’est pas forcément le cas. Sur la base de ces réflexions, on peut conclure qu’une étude sociologique qui veut comprendre le phénomène en prenant en compte tous les 14 D’autres éléments de recherches antérieures en Plusieurs recherches (p. ex. Chantler et al. 2009 ; Meier 2010 ; Riaño et Dahinden 2010 ; Süçtü 2009) ont mis en évidence que sous les termes « mariages forcés » se cachait un éventail de formes différentes de situations de contraintes et pressions qui peuvent se manifester à des moments divers – un élément qui Suisse et en Europe seront mis en évidence et inclus dans la discussion des résultats (partie II). 15 La distinction entre « Zwangsverheiratung » et « Zwangsehe » qui fonctionne très bien en allemand est difficile à rendre en français. Les deux termes désignent respectivement la conclusion forcée d’un mariage et la poursuite forcée d’une union conjugale. 15 enjeux, doit tenter de saisir toutes ces formes de contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Seule une telle approche permet de rendre justice à la complexité du sujet et de formuler des recommandations par rapport à des mesures pour aider les victimes de façon efficace. 4.1.2. Mariages arrangés et « mariages forcés » La distinction entre un mariage arrangé et un « mariage forcé », qui est présentée comme allant de soi dans la définition commune, est dans la réalité difficile à déterminer clairement, car la frontière entre et les deux phénomènes est floue (Strassburger 2007 ; Strobl et Lobermeier 2007). La question de la définition de « contrainte/pression » est problématique, car elle inclut toujours un élément subjectif. De plus, une contrainte peut se présenter par la suite, même si un mariage a été conclu volontairement. Ces éléments expliquent qu’il est parfois impossible de déterminer si l’on se trouve face à un mariage arrangé ou « forcé ». Ce qu’on peut dire, c’est que beaucoup de situations de contrainte en lien avec le mariage, mais pas toutes, prennent leur source dans un mariage arrangé. Cependant, on ne peut en aucun cas conclure que tous les mariages arrangés donnent lieu à des situations de contraintes. Plusieurs chercheur(e)s proposent de concevoir la relation entre mariage arrangé et forcé comme un continuum entre les deux pôles de libre volonté et de contrainte (Hamel 2011 ; Zentrum für Soziale Innovation 2007). Il nous semble important d’inclure dans cette étude les mariages arrangés, à condition que les personnes concernées se sentent subjectivement sous pression pour accepter l’union 16 alors qu’elles y sont au fond opposées. 4.1.3. Les « mariages forcés » comme spirale de violence et conflit de générations Les situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce comprennent une dimension processuelle, qui fait défaut dans la définition commune du « mariage forcé » et qui complexifie considérablement le phénomène. Les études montrent qu’on peut parler d’une spirale, dans laquelle la violence va escaladant. Les problèmes entre les jeunes et leurs parents commencent en règle générale à l’adolescence, au moment où les jeunes commencent à développer leurs propres idées par rapport à l’amour, au mariage, à la vie et au travail. Leurs conceptions peuvent se trouver en conflit avec celles de leurs parents. C’est le cas quand les deux parties ne définissent pas les mêmes personnes comme des partenaires ou conjoints idéaux et quand les parents essayent d’imposer leur volonté à leurs enfants. Ces conflits peuvent revêtir un caractère plus ou moins violent, des fois ils sont résolus à un stade précoce, parfois ils aboutissent dans une escalade de violence. C’est particulièrement le stade précoce du conflit qui offre un potentiel élevé pour des mesures efficaces (cf. Riaño et Dahinden 2010). Ces résultats sont pris en compte dans cette étude de deux manières. D’une part, cette étude s’efforce de saisir également les conflits qui n’ont pas encore abouti à un « mariage forcé ». C’est par exemple le cas lorsqu’une personne s’adresse à un service de conseil parce qu’elle n’ose pas dire à ses parents qu’elle a un petit ami, sachant que cette information pourrait déclencher un conflit avec les parents ou lorsqu’une personne se sent sous pression d’être avec quelqu’un qu’elle n’a pas choisi. D’autre part, un accent particulier est mis dans cette étude sur la dimension processuelle du conflit. 4.1.4. Mariages transnationaux La transnationalisation des réalités sociales est aujourd’hui un fait, tant pour les migrant(e)s que pour les Suisses (Dahinden 2009 ; Faist 2000 ; Glick Schiller et al. 1992 ; Pries 2008 ; Vertovec 2009). Par transnationalisation, nous comprenons les processus faisant émerger certains espaces sociaux qui ne se limitent pas à un seul pays et qui ont une pertinence pour la vie quotidienne et les identités des migrant(e)s. Les migrant(e)s développent et maintiennent des relations avec leur pays d’origine après la migration. Les mouvements continuels d’allers et retours des migrant(e)s qui traversent les frontières entre États, mais aussi entre différents systèmes culturels et sociaux, ont transformé le pays d’accueil et le pays d’origine en une arène unique d’actions sociales dans laquelle s’inscrit la marge de manœuvre des migrant(e)s. Dans un contexte d’intégration économique mondiale avancée, de développement des moyens de transport et d’émergence de nouvelles technologies de communication, l’intensité et la simultanéité de ces liens transnationaux ont augmenté, favorisant ainsi l’établissement de champs transnationaux durables ou occasionnels. En ce sens, les processus culturels, politiques et économiques qui intègrent le monde dans un seul système de relations, comme la chute du Mur de Berlin, ont sans doute également favorisé l’essor de pratiques transnationales. Une implication simultanée dans (au moins) deux endroits différents de la planète constitue ainsi souvent un élément clé de la pratique des migrants (Levitt et Glick Schiller 2004). Ils envoient des fonds, créent des entreprises ethniques. Certains migrants s’engagent dans des associations politiques et font du lobbying politique pour leur pays d’origine. Ou ils s’organisent dans des associations religieuses et recréent leurs pratiques religieuses dans l’espace transnational. Il n’est donc guère étonnant que des aspects transnationaux interviennent de façon importante dans la thématique dont il est question dans cette recherche. Les familles et les mariages ont aujourd’hui souvent un caractère transnational qui peut avoir des implications importantes. Plusieurs auteur(e)s mettent en évidence que dans les conditions actuelles de globalisation, d’inégalités sociales et économiques importantes entre différentes régions du monde et de régimes migratoires restrictifs, la famille transnationale joue un rôle important dans les stratégies matrimoniales (Aksaz 2009 ; Schmidt 2011a ; Waldis 2006). Lorsque les lois d’immigration deviennent plus restrictives, comme c’est le cas en Suisse pour les nonEuropéen(ne)s, un mariage avec une personne résidant à l’étranger peut être une stratégie de migration, surtout si la situation économique ou politique dans le pays d’origine est difficile (Abelmann et Kim 2004 ; Górny et Kepinska 2004 ; Suksomboon 2011 ; Timmerman 2008). À cela s’ajoutent des attentes de réciprocité et solidarités qui se déploient dans l’espace transnational et qui peuvent pousser des parents 17 à vouloir rendre service à des membres de leur famille élargie ou amis restés aux pays en mariant leur enfant avec une personne du pays d’origine (Beck-Gernsheim 2007a, 2011 ; Riaño et Dahinden 2010 ; Schmidt 2011b ; Williams 2010). Évidemment, les mariages transnationaux n’aboutissent de loin pas tous à des situations de contrainte. Mais les études montrent que des situations de contrainte peuvent émerger par la suite même si le mariage a été conclu avec l’accord des deux parties. Des hommes et des femmes des pays, villes ou villages d’origine 18 des migrant(e)s concluent des mariages avec une personne vivant en Suisse – ou dans un autre pays en Europe – dans l’idée de se former, gagner des libertés, augmenter leurs revenus ou acquérir d’autres formes d’indépendance. Pourtant, ces objectifs ne peuvent parfois pas être réalisés après le mariage et l’immigration. La confrontation avec la réalité place alors ces personnes devant des difficultés majeures. Des asymétries de pouvoir et des liens de dépendance peuvent amener ou renforcer des situations de contraintes en lien avec le mariage conclu. Dans le contexte suisse, cette situation problématique peut s’aggraver par des facteurs en lien avec le permis de séjour, étant donné qu’un divorce peut signifier en même temps la perte du permis de séjour (au cas où le mariage a duré moins de trois ans) ou peut avoir des conséquences négatives en termes sociaux (stigmatisation) ou économiques. Plusieurs études en Suisse ont ainsi montré que la situation des conjoints se présente très différemment – en termes de rapport de pouvoir, de dépendance, etc. – si les deux conjoints sont nés en Suisse ou si l’un d’entre eux vient d’ailleurs (Lavanchy 2011 ; Riaño et Dahinden 2010). En raison de ce qui précède, les deux cas de figure suivants ont été inclus dans l’étude: les cas où les conjoints concernés sont les deux nés en Suisse et les cas où une personne de nationalité etrangère vient de l’étranger en Suisse pour se marier avec une personne vivant dans ce pays. Nous avons aussi inclus les cas où les deux conjoints résidaient à l’étranger au moment du mariage, à condition qu’ils habitaient en Suisse au moment de l’étude. Dans les cas où les conjoints vivaient dans des pays différents avant le mariage, nous parlerons de mariage transnational. Cette étude inclut ainsi tous ces types de mariages, transnationaux ou non, étant donné qu’ils sont soumis à des enjeux différents, et nécessitent des mesures différentes. 4.1.5. Sortir d’une logique d’« ethnicisation du sexisme » Dans les débats politiques sur les « mariages forcés », deux perspectives se cristallisent en Suisse – mais également ailleurs en Europe, comme en Allemagne, en France, en Autriche ou en Grande-Bretagne. D’une part, un courant se dessine qui considère les « mariages forcés » comme une forme de violence contre les femmes et les droits humains s’expliquant par la « culture » et la tradition des minorités ou de groupes de migrant(e)s. Dans cette optique, il faut lutter contre ces formes culturelles ou religieuses d’oppression des femmes. D’autre part, un deuxième groupe de personnes s’oppose à de telles explications qu’elles qualifient d’ « ethnicisation du sexisme » et cherchent à la dépasser en adoptant une perspective genre et intersectionnelle qui insiste sur la diversité des populations et l’importance de différents rapports de pouvoir. Les premiers débats sont apparus dans le cadre du multiculturalisme en lien avec la question de la reconnaissance des droits et spécificités des minorités ethniques ou migrantes. Les « taches aveugles » du multiculturalisme ont été critiquées dans des publications « populaires » (Alltags- und populärwissenschaftliche Publikationen) (p. ex. Kelek 2005 ; Rivier et Tissot 2006 ; Windlin 2004), puis dans le discours académique. Les premières ont argumenté que la violence contre les femmes appartenant à certains de ces groupes était due à leur « culture ». Dans le domaine académique, l’article de Susan Moller Okin (1999) intitulé Is multiculturalism bad for women? suit une argumentation similaire. Moller Okin a identifié une contradiction entre la reconnaissance des droits des groupes définis en termes de culture d’une part et les droits des femmes d’autre part. Son argument principal est que la reconnaissance de la « culture » de certains 19 de groupes d’immigrés ou minorités ethniques revient à légitimer le fait que dans beaucoup de « cultures » les femmes n’ont pas de droits et qu’elles sont touchées par des inégalités et des violences – contrairement à la culture dite « occidentale ». Ce débat est toujours d’actualité, des philosophes féministes comme Elisabeth Badinter accusant l’islam d’« oppresser » les femmes. Un autre exemple issu du contexte suisse peut être trouvé dans les déclarations de la Commission fédérale pour les questions féminines. Elle prenait récemment position en affirmant que « les pratiques qui violent les droits des femmes et des jeunes filles doivent être clairement condamnées et abolies, sans égard pour la « protection des minorités culturelles ou religieuses » (Commission fédérale pour les questions féminines CFGF 2010 : 20). Ce discours donne l’impression qu’il faut choisir entre la lutte pour les droits des femmes ou la lutte pour la liberté dans le domaine religieux ou culturel. Entre temps, ces arguments ont été instrumentalisés par certains acteurs pour écarter les revendications des minorités ethniques ou religieuses, même si celles-ci n’ont rien à voir avec la question des femmes. Des partis populistes – qui sont ces mêmes cercles qui s’opposent aux revendications pour plus d’égalité entre femmes et hommes ici en Suisse – se découvrent des âmes de féministes lorsqu’il s’agit de questions du voile ou des « mariages forcés ». En d’autres termes, cette tendance commune à la plupart des pays d’Europe de ces dernières années de voir la différence culturelle ou religieuse comme problème – suivie par l’introduction de politiques néo-assimilationnistes, processus qui a été qualifié de « multiculturalism backlash » (Vertovec et Wessendorf 2010) – a été justifiée largement 20 par la référence aux droits humains et par la lutte contre la violence envers les femmes au sein des groupes d’immigré(e)s ou des minorités ethniques. Dans ce discours, l’égalité entre femmes et hommes, la liberté et l’autonomie des femmes sont présentées comme acquises dans la société majoritaire tandis que les femmes immigrées sont soumises et dominées par leur culture ou religion – une posture qui a été nommée « ethnicisation » ou « islamisation » du sexisme (Durand et Krefa 2008 ; Dustin et Phillips 2008 ; Holzleithner et Strasser 2010 ; Zentrum für Soziale Innovation 2007). Le deuxième courant qu’on trouve dans la littérature a non seulement mis en évidence les problèmes qui sous-tendent une telle ligne d’argumentation, mais il a en plus montré qu’il existe des moyens de sortir de ce dilemme supposé (lutter contre les inégalités et violences contre les femmes ou lutter contre les discriminations touchant les migrant(e)s) et qu’il est possible de lier les deux (Beck-Gernsheim 2007b ; Dahinden et al. 2012 ; Dietze 2009 ; Holzleithner et Strasser 2010 ; Phillips 2007 ; Volpp 2000, 2001). La première critique se situe au niveau conceptuel. Elle concerne les notions de culture et d’ethnicité telles qu’elles sont utilisées dans les débats évoqués précédemment et la manière dont elles sont liées à des questions de genre. Dans la logique de l’« ethnicisation du sexisme », c’est la « culture » des Turcs, des albanophones ou des musulmans qui est tenue pour responsable des « mariages forcés », car ces « cultures » seraient imprégnées d’idées traditionnelles et patriarcales quant aux rapports de sexes. La culture et les rapports de sexe sont dans ces débats publics déclinés selon des lignes nationales, ethniques ou religieuses et chaque « culture » a – dans cette logique – des caractéristiques inhérentes, stables, immuables et est responsable de la manière de penser et d’agir de chaque individu du groupe en question. De même, chaque « culture » a ses propres « rapport de sexes ». Dans une perspective de sciences sociales, une telle explication apparaît comme une réduction inadmissible de la réalité sociale. Premièrement, une telle logique ne prend pas en compte l’hétérogénéité au sein de ces groupes définis à priori en termes nationaux/ethniques ou religieux. Ensuite, dans ce discours, les groupes ethniques, nationaux ou religieux sont traités comme des phénomènes sociaux totaux dont les frontières de culture/identité/ communauté se recoupent automatiquement. La variété intraculturelle, les dynamiques et transformations deviennent impensables et on dénie aux membres de ces groupes la qualité d’acteur. Cette idée de culture, essentialiste et réifiante, a été critiquée depuis plusieurs décennies (Dahinden 2011a, 2011b ; Grillo 2003 ; Wicker 1996 ; Wikan 2002 ; Wimmer 1996). La « culture » dans une vision des sciences sociales est une question empirique et analytique et pourrait être définie comme « l’ensemble des dispositions acquises par les individus au cours de leur vie leur donnant la faculté de créer des concepts intersubjectifs et d’agir de manière sensée » (Wicker 1996 : 385, notre traduction). La culture est donc un processus ouvert qui doit être analysé et non un état. En d’autres termes, s’il existe sans aucun doute des différences culturelles, elles ne se laissent pas identifier à priori et ne peuvent pas être déclinées selon des lignes ethniques/nationales ou religieuses.16 Cette notion essentialiste de culture est de plus réductrice parce qu’elle laisse penser que la « culture » pourrait expliquer toutes les différences existant dans la société.17 Par des explications ayant recours à l’origine ethnique ou nationale, une dimension spécifique de la « différence » est mise en avant sans prendre en compte d’autres différences comme la classe sociale, le genre, l’âge, etc. Ainsi la « culture » ne peut en aucun cas, dans une perspective sociologique, expliquer le phénomène du « mariage forcé » comme elle ne peut pas expliquer des inégalités entre hommes et femmes. De ce fait, cela n’a pas de sens de penser qu’il existerait des « cultures » ayant des rapports de sexe spécifiques. De plus, le lien qui est fait dans ce discours ethnicisant entre « culture » et rapports de genre spécifique est problématique, car ce discours 16 Voici un exemple pour illustrer cela : une professeure d’anthropologie suisse a probablement une conception du monde similaire à celle d’un professeur d’anthropologie de Pristina, tandis qu’une paysanne du Haut-Valais raisonnerait probablement différemment. Les premiers lisent les mêmes livres et ont un quotidien semblable (enseignement, étudiant(e)s, conférences internationales, mobilité, etc.) et développent donc une vue (culture) similaire pendant que la paysanne dispose d’une biographie et d’une vie quotidienne radicalement différentes. 17 Il existe un courant au sein des sciences sociales qui affirme que ce discours culturaliste représente en fait une continuation du discours raciste; la « culture » ayant simplement remplacé la notion de « race » (Stolcke 1995). 21 instaure une hiérarchisation. De manière générale, la « culture occidentale d’égalité entre femmes et hommes» est opposée à toutes les autres. Or, le discours dominant pose la nécessité de l’émancipation des migrant(e)s ou groupes ethniques tout en négligeant l’hétérogénéité au sein de la population migrante et surtout implique en même temps qu’en Suisse l’égalité de genre est un fait accompli, la norme et le quotidien. Or, plusieurs études démontrent que ce n’est pas le cas. En laissant entendre que c’est uniquement les migrant(e)s qui ont besoin de s’émanciper, car l’égalité est acquise ici, cette approche disqualifie toute tentative de travailler sur les inégalités en termes de genre en Suisse. ce processus de différentiation. Dans ce sens, le genre n’est ni une caractéristique biologique, ni une identité stable et il ne se laisse pas décliner selon des lignes nationales ou culturelles. Une telle approche propose plutôt de concevoir le genre comme un élément activement produit, reproduit et transformé dans les pratiques sociales et les interactions – « doing » and « undoing » gender (West et Zimmermann 1991). Cette étude travaillera avec une telle approche, car nous considérons qu’elle peut donner des indications importantes pour comprendre le phénomène sans remettre en question le lien étroit du sujet avec les droit humains et en évitant l’ « ethnicisation du sexisme ». Différente(e)s chercheur(e)s proposent d’aborder ces phénomènes – comme les « mariages forcés » – avec une perspective à la fois de genre et d’intersectionalité (Anthias 2002 ; Crenshaw 1994). Une perspective genre est prometteuse, étant donné que les « mariages forcés » sont étroitement liés aux rapports sociaux de sexe et à des systèmes de domination genrés. Nous comprenons ici genre non pas comme synonyme pour sexe ou comme une structure sociale immuable, mais plutôt comme une catégorie relationnelle et analytique. Le genre peut donc être décrit comme la construction sociale et la production du féminin et du masculin, qui est liée à des identités d’une part, mais qui produit également des systèmes de domination et subordination d’autre part (Butler 1990 ; Gildemeister 2001 ; Parini 2010). Ce que les hommes ou les femmes devraient faire ou comment ils/elles devraient être va varier dans le temps, mais l’idée qu’ils/elles devraient faire et être des choses radicalement différentes constitue la base structurelle et symbolique de Vu le caractère intersectionnel des rapports de pouvoir, il semble important de saisir dans cette étude, en plus du genre, d’autres catégories de différences (âge, classe sociale, formation, etc.). De même, un accent particulier a été mis sur la question de la migration, tout en évitant de lier migration et « culture ». Les facteurs suivant ont été identifiés dans diverses études comme centraux pour la compréhension de ce phénomène : la situation de migration, les trajectoires et biographies migratoires, les situations d’exclusion et de marginalisation ainsi que la construction de frontières sociales par l’utilisation d’une notion essentialisée de culture (« nous » construit en opposition à « vous ») et les politiques migratoires (Riaño et Dahinden 2010 ; Samad et Eade 2002). Dans cette étude, nous suivrons ces considérations dans la mesure où les aspects en lien avec la migration seront pris en compte. Par contre, nous allons nous intéresser à toute nationalité potentiellement touchée par le phénomène, y compris les Suisses. 22 Ces points importants, qui permettent de rendre justice à la complexité du phénomène des « mariages forcés », guideront notre recherche sur plusieurs plans : d’une part, ils ont été directement liés au mandat et traduits dans les questions de recherches et ont donc été pris en compte lors du questionnaire et des entretiens (cf. chap. 5). D’autre part, ils nous ont servi pour traduire cette notion problématique de « mariage forcé » dans un langage sociologique, comme nous allons l’exposer dans les paragraphes qui suivent. 4.2. Définition de travail du « mariage forcé » Après ce tour d’horizon, il apparaît clairement qu’il est justifié de retenir une définition large de « mariage forcé » pour cette étude, qui permet d’inclure les aspects sociologiquement importants pour la compréhension du phénomène. Étant donné les problèmes liés à la notion de « mariage forcé » que nous avons exposés plus haut, nous avons soigneusement évité d’utiliser ce terme dans notre recherche, notamment au moment de la récolte des données17. En effet, comme le terme revêt des significations diverses pour les différents individus, il aurait été très probable que, si nous l’avions utilisé, les réponses à nos questions se seraient référées à des situations et à des définitions très différentes de ce phénomène, ce qui aurait affaibli la pertinence de notre étude. Pour contourner ce problème, nous avons défini le « mariage forcé » en distinguant trois types de situations concrètes dans lesquelles des pressions au sein des relations amoureuses sont exercées. Cette distinction a été effectuée sur la base des recherches antérieures discutées dans la partie précédente. Le « mariage forcé » est défini dans cette étude comme regroupant les trois types de situations suivants : Type A : Il s’agit d’une situation dans laquelle une personne subit des pressions pour se marier – le mariage n’ayant pas encore eu lieu – de la part d’un ou de plusieurs membres de son entourage (parents, membres de la famille élargie, futur[e] conjoint[e], ami[e]s ou autres). Cette personne n’est pas d’accord avec ce mariage mais se sent sous pression pour l’accepter. Type B : Cette situation est caractérisée par le fait que l’on empêche une personne de vivre la relation amoureuse de son choix. Il s’agit d’une personne qui veut entamer – ou qui vit déjà – une relation amoureuse mais qui se sent sous pression de la part de tiers (parent, membre de la famille élargie, ami[e] ou autre) pour renoncer à cette fréquentation ou mettre un terme à la relation. Type C : Il s’agit ici du fait que l’on empêche une personne de divorcer ou de se séparer de son/sa conjoint(e) alors qu’elle le désire. La personne se sent sous pression de la part d’un tiers (parent, membre de la famille élargie, ami[e], conjoint[e] ou autre) pour renoncer à ce projet. Le mariage peut avoir été conclu volontairement ou non. 23 5. Démarche méthodologique Afin de mener à bien cette recherche, nous avons choisi d’utiliser une démarche méthodologique qui vise à trianguler des méthodes de saisie de données quantitatives et qualitatives (Creswell 2003), en abordant le phénomène à travers la perspective d’expert(e)s en situation d’observation. Nous avons travaillé avec trois méthodes différentes qui ont été appliquées successivement : premièrement, nous avons interrogé – grâce à un questionnaire on-line – des professionnel(le)s des institutions et organisations susceptibles d’être en contact avec des personnes concernées par la problématique des contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Deuxièmement, nous avons mené des entretiens avec des expert(e)s afin d’approfondir quelques résultats issus des données quantitatives de la phase antérieure. Finalement, nous avons mené des focus groups où nous nous sommes concentrées sur la question des mesures existantes, des lacunes et des mesures supplémentaires à mettre en place. Figure 1 : Démarche méthodologique Enquête par questionnaire on-line (n=229) Échantillon: Professionnel(le)s des institutions/organisations susceptibles d’être en contact avec des personnes concernées par les « mariages forcés ». Domaines: état civil, formation, social, jeunesse, migration, santé, égalité-violence, police, autres. Analyse préliminaire de l’enquête: Input Objectif: État des lieux du phénomène ces deux dernières années en Suisse (situations, ampleur, profil des personnes et mesures) Définition de « mariage forcé » Type A: Une personne subit des pressions pour se marier Type B: On empêche une personne de vivre une relation amoureuse de son choix Type C: On empêche une personne de divorcer Entretiens d’expert(e)s (n=6) Échantillon: Professionel(le)s du terrain Objectif: Approfondir les résultats des données quantitatives de l’enquête on-line Focus groups (n=2) Échantillon: Responsables des projets pilotes Objectif: Approfondir la question des mesures 24 Cette perspective d’expert(e)s en situation d’observation que nous avons adoptée a des avantages, mais également des limites. Pour ce qui est des avantages, cette démarche, qui vise à interroger des professionnel(le)s au sein des institutions et organisations potentiellement touchées par des victimes de « mariage forcé », a permis à l’étude de couvrir toute la Suisse (les 26 cantons), ce qui était une condition du mandat. Notre étude avait non seulement pour objectif d’établir un « état des lieux » du phénomène des « mariages forcés » en Suisse, mais également de fournir des indications quant aux mesures à développer afin de venir en aide efficacement aux personnes concernées par cette problématique. Les professionnels se trouvent alors être les mieux positionnés pour parvenir à ce but puisque ce sont eux-mêmes qui sont au contact de ces personnes et qui tentent de leur venir en aide dans leur travail quotidien avec les moyens existants. Ce choix méthodologique nous a également permis d’avoir accès aux informations concernant les personnes qui se sont tournées vers une institution. À l’inverse, il faut souligner que nous n’avons pas eu accès directement aux personnes concernées elles-mêmes et à leurs propres perceptions de leur situation. Nous n’avons également pas d’informations quant aux personnes qui ne se sont jamais adressées à une institution, un service ou une organisation.18 Le non-accès à ces deux groupes constitue selon nous les limites de la perspective choisie. 5.1. Enquête on-line Comme il n’existe pas d’institutions chargées spécifiquement de cette thématique ni au niveau national, ni au niveau cantonal, il nous a fallu chercher à atteindre un large éventail d’institutions dans tous les cantons. Pour ce faire, nous avons procédé à une recherche étendue d’adresses électroniques des institutions susceptibles d’être en contact avec des personnes concernées par les « mariages forcés » selon la définition présentée ci-dessus (types A, B, C). Nous avons établi des listes d’adresses électroniques par catégories et par cantons. Les catégories dans lesquelles nous avons cherché des adresses étaient les suivantes: état civil, formation, social, jeunesse, migration, santé, égalité-violence, police et autres. L’idée était de couvrir le champ le plus large possible, puisqu’il n’existe pas d’informations précises indiquant les institutions où se rendent les personnes touchées par cette problématique. 18 C’est dans la nature du phénomène que les individus qui font l’expérience de situations de contraintes et de violences en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce ne soient que difficilement accessibles pour une recherche. Des victimes de ce type de contraintes ne considèrent pas obligatoirement leur situation comme un « mariage forcé », et en parler est souvent difficile pour eux/elles – comme c’est le cas lors d’autres formes de violence. Autrement dit, faire une recherche avec des personnes concernées demanderait un investissement Dans les paragraphes suivants, nous allons brièvement expliciter les différentes étapes de la recherche d’un point de vue méthodologique. en temps (pour pouvoir construire des relations de confiance) ainsi qu’une mise à disposition de ressources financières qui dépasseraient largement le cadre de ce mandat. 25 Afin d’établir les listes, nous sommes passées par des réseaux thématiques qui existent au niveau national (p. ex. les réseaux de services cantonaux de coordination et de lutte contre la violence domestique, réseaux de centres LAVI et centres Solidarité Femmes, réseaux du domaine de l’intégration, etc.). D’autre part, nous avons approfondi nos recherches pour certains cantons et villes que nous avons définis comme 26 prioritaires (Bâle, Berne, Fribourg, Genève, Neuchâtel, Saint-Gall, Vaud, Lausanne et Zurich). Ces cantons et villes ont été choisis soit parce qu’ils font partie des plus peuplés de Suisse, soit parce qu’ils sont déjà relativement avancés dans la mise en place de mesures spécifiques pour la lutte contre les « mariages forcés », donc aussi dans la sensibilisation des institutions. Pour ces cantons et villes prioritaires nous avons cherché les adresses une par une sur Internet dans toutes les catégories définies. Grâce à cette manière de procéder, nous avons pu envoyer notre questionnaire on-line à 1530 institutions recouvrant l’ensemble du territoire suisse. De plus, nous avons suggéré – ou demandé dans certains cas – aux destinataires de transférer le questionnaire à d’autres institutions ou personnes leur semblant pertinentes. Le nombre de personnes ayant reçu notre questionnaire n’est pas quantifiable mais, comme certaines institutions nous ont informé avoir transmis notre message plus loin, nous pouvons affirmer qu’il est supérieur à 1530. Qu’en est-il de la représentativité de notre échantillon ? De fait, d’un point de vue statistique, il n’est pas possible de générer un échantillon représentatif de « mariages forcés ». En effet, pour cela il faudrait posséder une liste exhaustive de tous les cas existants (base de sondage) puis sélectionner aléatoirement un sous-ensemble de ces cas, ce qui n’est, bien entendu, pas possible pour ce phénomène qui est en bonne partie caché, comme c’est le cas pour tous les actes socialement répréhensibles. Une approche envisageable serait de réaliser une étude comparable aux études de victimisation, courantes en criminologie, consistant à sélectionner aléatoirement un échantillon «représentatif» de la population puis de demander aux répondant(e)s sélectionné(e) s s’ils ou elles ont été victimes d’un des cas de contraintes définis plus haut. Toutefois, cette approche présente de nombreuses difficultés. Premièrement, le nombre de cas observés dans un échantillon de taille raisonnable serait proba- blement trop limité pour être fiable. De plus, comme il s’agit d’un sujet très délicat, qui se caractérise par une forte subjectivité, un certain nombre de répondants n’admettraient pas avoir été victimes de ce type de pressions. Deuxièmement, il est probable qu’une part non négligeable des personnes concernées ne maîtrisent pas suffisamment les langues officielles de notre pays pour pouvoir participer à une étude de victimisation habituelle, et il faudrait donc traduire le questionnaire dans un certain nombre de langues en plus de l’allemand, du français et de l’italien. Comme il n’est pas possible de traduire le questionnaire dans toutes les langues parlées en Suisse, la recherche introduirait d’emblée un biais en excluant les personnes parlant les langues qui ne sont pas les plus parlées parmi les migrant(e)s résidant en Suisse, problème qui ne se pose pas dans la présente étude. Troisièmement, une étude permettant d’avoir un échantillon de la population contenant un nombre suffisant de cas de contraintes serait un exercice très coûteux et de longue durée, sans toutefois pouvoir garantir que la représentativité soit réellement assurée. Comme indiqué plus haut, il n’est pas possible d’établir une liste exhaustive d’institutions confrontées aux cas de contraintes analysés dans cette étude, car il n’y a pas de base de sondage. Ainsi, il n’était pas possible non plus de réaliser un échantillon aléatoire de cette façon. Pour toutes ces raisons, nous avons donc procédé, en termes statistiques, à un échantillonnage par choix raisonné, en établissant une liste très large d’institutions potentiellement exposées. Ensuite, nous avons laissé le soin aux personnes contactées de transmettre notre demande aux collaborateurs de leur organisme ou à d’autres 27 institutions ayant eu affaire à des cas de contraintes, ce qui s’apparente à un échantillonnage par boule de neige (snowball sampling). Ce type d’échantillonnage, même s’il ne remplit pas une des conditions importantes pour l’obtention d’un échantillon représentatif, à savoir le fait de procéder à un tirage aléatoire, est régulièrement utilisé en sciences sociales et dans les études épidémiologiques/ de santé publique (Etter et Perneger 1999 ; Kendall et al. 2008 ; King et al. 2003), pour tirer des conclusions sur des populations ou des situations très spécifiques. Ainsi, il s’avère que l’approche proposée ici est probablement la meilleure pour réaliser une analyse quanti- tative des phénomènes de contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce, car elle propose un échantillon de bonne qualité de cas reportés aux institutions publiques et privées. Le nombre de personnes ayant participé et rempli, entièrement ou presque entièrement, le questionnaire s’élève à 229, alors que le nombre de personnes ayant rempli partiellement le questionnaire s’élève à 92, donc un total de 321 personnes ont répondu à notre enquête. En outre, 86 personnes nous ont envoyé un e-mail disant qu’elles n’avaient jamais rencontré de cas de contraintes tels que Figure 2 : Nombre de réponses au questionnaire par type d’institution (n=229) Institution non précisée Intégration (ONG. assoc.) LAVI Intégration (administration) Planning familial écoles professionnelles Solidarité Femmes Service de santé (écoles) École obligatoire États civils Police, justice Services sociaux Autres Services des migrations Services des mineurs Gymnases, lycées Bureau pour l’égalité Mesures de transition Association pour les femmes Aide pour auteurs de violence 28 44 22 19 16 15 14 11 10 10 10 9 9 8 6 6 6 5 4 3 2 décrits dans le courriel d’accompagnement. Cela représente au total un taux de réponse de 27% (si on prend comme dénominateur les 1530 questionnaires envoyés), ce qui est satisfaisant pour une enquête de ce type, sachant que les enquêtes CAWI (computer-assisted web interviewing) obtiennent systématiquement des taux de réponses plus bas que les questionnaires autoadministrés « papier et crayon » (Fan et Yan 2010) – le taux de réponse médian des études on-line se situant aux États-Unis aux alentours de 30% (Cook et al. 2000) – et que l’étude contient un certain nombre de caractéristiques qui font baisser les taux de réponses, en particulier un questionnaire long et un sujet délicat et tabou (Cook et al. 2000 ; Fan et Yan 2010). En fait, le taux de réponse indiqué ici est sous-estimé : en effet, dans la mesure où nous avons volontairement contacté un grand nombre d’institutions et où il n’est pas possible de savoir a priori si une institution est concernée par cette problématique, un certain nombre d’institutions contactées ne faisaient pas partie de notre univers statistique. Pour assurer la qualité des analyses, nous avons utilisé uniquement les 229 questionnaires ayant été remplis entièrement ou presque lors de l’élaboration des résultats. La figure suivante présentant le nombre de réponses au questionnaire par types d’institutions reflète l’étendue de l’envoi du questionnaire on-line. Sur les 229 personnes qui ont répondu à notre questionnaire de manière complète ou presque, 44 n’ont pas précisé l’institution au nom de laquelle elles le remplissaient (d’où la catégorie « institution non précisée » dans le tableau). Le questionnaire que nous leur avons envoyé opérationnalisait nos trois questions de recherche principales ainsi que nos sous-questions. Pour cela, nous avons repris la définition des trois types de situations A, B et C. Le questionnaire – qui a été traduit en trois langues (allemand, français, italien) – était constitué de deux grandes parties. La première était consacrée aux situations que les répondant(e)s avaient rencontrées dans le cadre de leur pratique professionnelle. Au sein de cette première partie, nous leur demandions, dans un premier temps, de décrire dans les détails la situation la plus récente à laquelle ils avaient été confrontés ces deux dernières années pour chaque type (A, B, C) et, dans un deuxième temps, nous leur demandions des informations globales sur toutes les situations (et non plus uniquement la plus récente) dont ils avaient eu connaissance – informations également limitées aux deux dernières années et pour les trois types. La deuxième partie du questionnaire portait sur les mesures prises ou qu’il aurait été souhaitable de prendre pour traiter les situations décrites dans la première partie. Le questionnaire couvrait tous les aspects principaux des questions de recherche. Les informations concernant uniquement les situations les plus récentes étant plus détaillées que celles portant sur l’ensemble des situations rencontrées dans l’intervalle de deux ans, nous avons utilisé dans les analyses les informations sur les situations les plus récentes. Cependant, lorsque les résultats entre les situations récentes et l’ensemble des situations divergent de manière significative, ce qui s’est révélé être très rare, nous le mentionnons dans le texte. 29 En outre, il nous a également paru important de rester ouvertes à tout autre type de situation dans laquelle des contraintes au sein des relations amoureuses seraient exercées. Ainsi, nous avons créé le « type D », dans lequel les professionnel(le)s pouvaient classer des situations ne correspondant pas à la typologie développée ci-dessus. Pourtant, les données ont montré que ce type D n’était presque jamais nécessaire et il n’en ressort aucune tendance ni aucun élément significativement intéressant. d’aborder avec des spécialistes les questions survenues lors de l’analyse préliminaire des données de l’enquête on-line. Ils ont également servi à mieux saisir quelques aspects de la thématique restés flous. Certains de nos interlocuteurs(trices) peuvent être qualifié(e)s de « professionnel(le)s du terrain », étant en contact direct avec des personnes concernées par les « mariages forcés ». D’autres possèdent plutôt une vision d’ensemble de la thématique et n’y sont pas confrontés directement par leur pratique professionnelle. Le questionnaire a été diffusé on-line en utilisant le programme Qualtrics et les données ont été analysées à l’aide du programme statistique SPSS. La dernière étape de notre recherche a été la réalisation de deux groupes de discussion, appelés aussi « focus groups » (Merton et al. 1990 [1956] ; Morgan 2001). L’objectif de ces focus groups était d’approfondir la question des mesures adéquates dans le domaine des « mariages forcés ». Dans ce but, nous avons rassemblé les responsables des sous-projets des cantons romands du projet pilote dirigé par le Service de la cohésion multiculturelle de Neuchâtel. Le second focus group a été 5.2. Entretiens d’expert(e)s et focus groups Dans une deuxième étape, nous avons fait six entretiens d’expert(e)s (Flick 1995). L’objectif de ces entretiens, faits par téléphone, était Tableau 1 : Expert(e)s et focus groups Entretiens Experte 1 Solidarité Femmes et LAVI, Suisse romande Experte 2 Solidarité Femmes, Suisse romande Experte 3 ONG, Suisse romande Expert 4 Fonctionnaire responsable d’un état civil, Suisse alémanique Expert 5 Fonctionnaire de la police des étrangers, Suisse alémanique Experte 6 ONG, spécialiste en matière de médiation de conflit, Suisse alémanique Focus groups Focus group 1 Responsables des sous-projets des cantons romands au sein du projet pilote dirigé par le Service de la cohésion multiculturelle de Neuchâtel Focus group 2 Responsables des projets pilotes de Suisse alémanique 30 effectué en Suisse alémanique et a réuni les responsables des autres projets pilotes19. Il nous a semblé pertinent de discuter de leurs expériences et de leurs visions de la thématique. Au début du focus group, nous avons présenté quelques résultats préliminaires de l’enquête on-line : cette démarche visait non seulement à déclencher le débat mais elle nous a également fourni des données qualitatives qui permettent d’interpréter les données quantitatives de l’enquête. Dans une première étape, il a été demandé aux participant(e)s de réagir aux résultats présentés et dans une deuxième étape, leurs expériences concernant les mesures ont été discutées tout en insistant sur les lacunes. Ainsi, il a été possible – c’est un avantage de cette méthode – de laisser discuter les participant(e)s qui ont développé des pistes futures pour des mesures efficaces concernant la prise en charge des personnes concernées par les « mariages forcés ». Les entretiens ainsi que les focus groups ont été enregistrés, transcrits et analysés à l’aide d’Atlas.ti à travers un codage ouvert et thématique (Flick 1995). 19 Pour plus d’informations sur ces projets pilotes de lutte contre les « mariages forcés », cf. chap. 1.2. 31 Partie II : Résultats 32 6. Description et analyse des situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce 6.1. Ampleur du phénomène 6.1.1. Estimation du nombre de cas rencontrés par les institutions ayant participé à l’enquête Comme différents auteur(e)s l’ont soulevé, chiffrer avec précision le phénomène des « mariages forcés » est une entreprise difficile voire impossible pour les raisons suivantes (Lavanchy 2011 ; Mirbach et al. 2006 ; Riaño et Dahinden 2010 ; Schiller 2010) : • Il n’existe pas à ce jour une définition claire et standardisée, sur laquelle tout le monde serait d’accord. Autrement dit, les représentations des répondant(e)s sont façonnées par des définitions diverses qui circulent et qui influencent leur perception des situations rencontrées. Certains cas n’ont peut-être pas été mentionnés du fait qu’ils ne correspondent pas à leurs représentations des « mariages forcés», notamment si l’origine ethnique des personnes concernées ne correspond pas à celles qu’on a l’habitude d’associer à ce phénomène ou quand il s’agit à première vue d’un cas de violence domestique. Au contraire, certains cas ont peut-être été classés dans la catégorie des « mariages forcés » à cause de la présence accrue de cette thématique dans le débat public, alors que le mariage ne joue qu’un rôle périphérique dans la problématique de la personne concernée. • La contrainte reste un élément subjectif qu’il ne sera jamais possible de définir objectivement. Dans ce sens, différents acteurs vont définir la contrainte de manière différente, ce qui rend le phénomène difficilement traduisible en chiffre. • On rencontre un problème de sous-déclaration. Dans le cas d’une enquête qui s’adresse aux institutions – comme la nôtre – il faut prendre en compte qu’une partie des personnes concernées par la problématique, pour des raisons diverses, ne s’adressent pas à une institution, et qu’en conséquence, des indications par rapport à ces personnes font défaut. • Il n’existe pas en Suisse de fichier central qui recense tous les cas de « mariages forcés » ou un type d’institutions qui s’occupe spécifiquement de ce genre de cas. Une enquête sur ce thème qui doit couvrir toute la Suisse se trouve devant l’impossibilité d’interroger toutes les institutions potentiellement en contact avec des personnes subissant des contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce sur l’ensemble du territoire. • Finalement, les personnes en situation de contrainte par rapport au mariage, aux relations amoureuses ou au divorce sont souvent vues par plusieurs institutions à la fois et peuvent donc être comptées à double, voire triple ou plus, si on additionne les cas vus par les différentes institutions. Pour des raisons d’anonymat et de protection des données, il est impossible pour une enquête à grande échelle d’identifier précisément les cas comptés à double parmi les cas recensés afin de les soustraire du total. 33 Cependant, il est clair que pour pouvoir déterminer des mesures à prendre, il est nécessaire d’avoir une idée aussi précise que possible de l’ampleur du phénomène. Pour surmonter les difficultés énumérées ci-dessus et donner une estimation du nombre de cas, nous avons procédé de la façon suivante : • Nous avons choisi de recueillir nos données en passant par les professionnel(le)s, considéré(e)s comme expert(e)s en situation d’observation, et en nous adressant à un spectre large d’institutions potentiellement confrontées à ce phénomène. • Notre enquête a été construite sur la base de trois types de situations de contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce bien délimitées ; ce qui permet aux interlocuteurs d’identifier les situations concrètes qu’ils rencontrent durant leur travail – en évitant qu’ils se basent exclusivement sur leurs propres représentations et définitions du « mariage forcé ». • Nous avons demandé aux institutions qui ont participé à notre enquête d’estimer le nombre de cas qu’elles avaient rencontrés durant les deux dernières années. • Nous leur avons demandé si les cas avaient également été traités par une autre institution pour pouvoir déduire dans nos estimations les cas potentiellement traités par plusieurs institutions. Néanmoins, cette démarche comporte une limite (cf. chap. 5) : toutes les institutions n’ont 34 pas pu être contactées et celles qui ont reçu notre enquête n’y ont pas toutes répondu. Sur la base de cette démarche, nos résultats offrent deux ensembles de chiffres qui seront discutés dans ce chapitre : • une estimation du nombre total de cas rencontrés par l’ensemble des institutions qui ont répondu à notre questionnaire • la proportion des différents types de cas tels qu’ils nous ont été rapportés par les institutions ayant participé à notre enquête Les chiffres présentés ci-dessous prennent en compte que 55% des institutions qui ont répondu à notre questionnaire savent que les cas qu’elles ont décrits ont été traités par au moins une autre institution.20 Dans ce sens, l’estimation du nombre de cas est présentée sous la forme d’une fourchette (cf. figure 3), composée d’une borne inférieure et d’une borne supérieure, indiquant respectivement l’estimation du nombre minimal et l’estimation du nombre maximal de cas rencontrés par les institutions ayant participé à notre enquête. La borne supérieure indique l’addition du nombre de cas déclarés par les différentes institutions dans notre questionnaire21. Or, comme nous l’avons évoqué plus haut, cette manière de calculer comporte le risque de présenter des chiffres trop élevés du fait que des cas vus par plusieurs institutions sont potentiellement comptés plusieurs fois22. C’est pourquoi, pour la borne inférieure, nous proposons une estimation du nombre de cas après élimination par calcul des doublons potentiels23. Figure 3 : Estimation du nombre de cas en Suisse (2009/2010) (n=303) 1000 800 909 Borne inférieure (après élimination des doublons potentiels) Borne supérieure 659 600 529 481 400 348 384 200 Cas de type A (pers. contrainte à se marier) Cas de type B (pers. contrainte à renoncer à une relation) Selon nos estimations, pendant les deux dernières années, 348 à 481 cas du type A, 384 à 529 cas du type B et 659 à 909 cas du type C ont été rencontrés par les institutions qui ont répondu à notre questionnaire. Cas de type C (pers. contrainte à rester mariée) 20 Seuls 16% des répondant(e)s ont dit que les cas décrits avaient été traités uniquement par leur institution. 29% ne savaient pas si leurs cas étaient traités par une autre institution. 21 Les réponses à choix pour cette question étaient Il est vraisemblable que les institutions qui sont confrontées à beaucoup de cas ont participé à notre enquête, car elles ont intérêt à ce que des connaissances plus précises existent à propos de ce phénomène et que l’importance de leur action soit reconnue. D’un autre côté, comme mentionné plus haut, en passant par les professionnel(le)s, on ne recense que les cas qui ont été traités par des institutions et non les cas des personnes isolées ou qui n’ont pas demandé d’aide. De ce point de vue, nos chiffres sont sous-évalués. présentées sous la forme de tranches (p. ex. « entre 6 et 10 cas »), avec comme dernier choix « plus de 60 cas : précisez ». Lors de l’addition des cas, nous avons utilisé la moyenne de la tranche indiquée (p. ex. : 25,5 pour la réponse « entre 21 et 30 cas »). Pour ce qui est de la dernière possibilité de réponse, nous avons utilisé le chiffre indiqué lorsque la personne avait pu le préciser ou avons employé le nombre 61 dans le cas contraire. 22 Nous avons choisi de conserver la borne supérieure malgré ce risque, car même si une personne a été vue par plusieurs institutions, il n’est pas sûr que les autres institutions aient répondu à notre enquête. 23 Voici le détail du calcul : 0,45 N + 0,55 (N/2) = borne inférieure. 35 6.1.2. Comparaison avec d’autres estimations existantes La comparaison de nos chiffres avec les études existantes fait apparaître une réalité contrastée. La seule autre enquête à avoir été menée au niveau suisse est celle mandatée par la Fondation Surgir (Rivier et Tissot 2006), qui avance une estimation de 17 104 cas pour tout le pays (p.11). Ce chiffre, bien plus élevé que les nôtres, est régulièrement repris dans la presse24. Cependant, la méthode utilisée par les auteures pour y parvenir se fonde sur une extrapolation qui pose problème pour plusieurs raisons. Leur enquête a permis de constater une moyenne de 8 cas par institution. Les auteures prennent le nombre d’établissements ayant une action sociale en Suisse selon l’OFS et multiplient ce chiffre par 8, ce qui donne le résultat de 17 104. Or cette manière de procéder plaque sur tous les établissements à action sociale une réalité observée dans certaines institutions choisies pour leur proximité avec la problématique et ne prend pas en compte les différences régionales (les chiffres obtenus dans les centres urbains sont extrapolés à toutes les régions de Suisse). De plus, elle néglige le fait que les cas peuvent être comptés à plusieurs reprises s’ils sont traités par plusieurs institutions. Enfin, les auteures n’indiquent pas de cadre temporel correspondant au nombre de cas avancé.25 2009). 100 réponses ont été récoltées qui recensent les cas rencontrés par diverses institutions du canton pendant les deux années 2007/2008. Dans cette enquête, trois catégories ont été distinguées : les « mariages forcés » qui ont effectivement été célébrés pendant ces deux années (39 cas), les menaces de « mariages forcés » (22 cas), et les personnes qui ont déclaré a posteriori qu’elles avaient été mariées de force (19 cas). On arrive donc à un total de 80 cas pour le canton de Lucerne recensés par cette enquête par opposition à 34 pour la nôtre26. Cette différence pourrait s’expliquer par le faible taux de réponses (5) que nous avons enregistré en provenance de ce canton. Il est évident que le nombre de cas recensés dans ces 5 réponses sera plus bas que celui des 100 réponses à l’enquête locale27. Pour le canton de Zurich, une étude montre que l’estimation du nombre de cas dépend du genre de professionnel(le)s auquel les auteures se sont adressées (Riaño et Dahinden 2010). Les institutions qui prennent en charge les migrant(e)s leur ont rapporté entre 1 et 10 cas par année. Les maisons d’accueil pour femmes victimes de 24 Cf. Budry (2010), De Graffenried (2011), Holthuizen (2008) et NZZ (2007). 25 Nous avons pris ici la borne supérieure puisque la méthode employée dans l’étude de Surgir ne permet pas de contrôler le problème des cas comptés à Les trois autres enquêtes disponibles se concentrent sur un seul canton. Il s’agit notamment d’une enquête interne effectuée par le Département lucernois de la justice et de la sécurité auprès des professionnel(le)s du canton pour le groupe de travail cantonal sur les « mariages forcés » (Justiz- und Sicherheitsdepartement 36 plusieurs reprises. 26 Il s’agit de la borne supérieure pour les mêmes raisons que celles évoquées à la note précédente. 27 Le faible taux de réponse peut d’ailleurs probablement s’expliquer par le fait qu’une enquête sur le même thème que la nôtre avait été effectuée auprès des mêmes institutions peu de temps auparavant. violences domestiques quant à elles affirment rencontrer entre une et trois dizaines de personnes dans ces situations par année (une institution parle de 10 à 12 personnes, l’autre de 20 à 30) (Riaño et Dahinden 2010: 63). Dans la mesure où les auteures ne donnent pas de chiffres pour l’ensemble du canton, il est difficile de comparer leurs résultats aux nôtres. Enfin, la dernière étude en date concernant la Suisse a été effectuée en 2010 dans le canton de Vaud (Lavanchy 2011). Lors de cette enquête, la chercheuse n’a pas donné de définition a priori, mais a laissé les professionnel(le)s décrire les cas qu’ils et elles considéraient comme entrer dans la catégorie de « mariages forcés ». Cela lui a permis de mettre en évidence 21 situations sur une période de dix ans. Ce chiffre est beaucoup moins élevé que le nôtre, qui pourtant ne concerne qu’une période de deux ans (138 cas comptés dans notre étude pour le canton de Vaud : 44 cas de type A, 51 cas de type B et 43 cas de type C28). Finalement, une étude menée récemment en Allemagne (Bundesministerium für Familien 2011) s’est adressée – comme la nôtre – aux institutions et fait état de 3443 cas pour l’année 2008 sur l’ensemble du pays. La définition utilisée distingue entre les menaces de « mariage 28 Nous utilisons la borne inférieure pour cette comparaison avec l’étude de Lavanchy, dont la méthode permet d’assurer que les cas ne sont pas comptés à double. 29 Nous utilisons ici la borne supérieure pour que la méthode de calcul soit comparable à l’étude allemande. forcé » et les « mariages forcés » réalisés. Il s’agit donc d’une définition plus étroite que la nôtre puisqu’elle couvre les situations correspondant au type A et une partie du type C (dans notre étude, l’important est la contrainte à poursuivre le mariage, indépendamment du fait de l’avoir conclu sous contrainte ou non). Si on compare le nombre de situation de type A dans les deux études (1771 pour l’étude allemande sur une année et 48129 pour la nôtre sur 2 ans), on peut dire que la différence du nombre de cas correspond approximativement à la différence de la taille de la population entre les deux pays. Les chiffres semblent donc relativement semblables. En résumé de cette comparaison, nous pouvons dire que dans certains cas nos chiffres sont considérablement plus bas que ceux avancés par d’autres études (le chiffre global de Surgir pour toute la Suisse et l’étude portant sur Lucerne), alors que dans d’autres, ils sont clairement plus élevés (le chiffre de Surgir avant extrapolation et celui avancé par Lavanchy pour le canton de Vaud). L’explication est à chercher tout d’abord du côté des méthodes employées et des définitions du « mariage forcé » retenues, qui diffèrent considérablement d’une étude à l’autre. En dehors des méthodes et définitions utilisées, la différence peut aussi provenir d’une plus grande prise de conscience et sensibilisation des professionnel(le)s, plus prompt(e)s à repérer des situations comme étant des « mariages forcés » au moment de notre enquête. Non seulement les études précitées auront-elles préparé le terrain pour la nôtre mais entre-temps, les projets pilotes de lutte contre les « mariages forcés » ont été lancés en Suisse (cf. chap. 1.2), participant à cette prise de conscience. 37 Cette comparaison avec d’autres études attire l’attention sur deux points: • Le phénomène des « mariages forcés » est impossible à chiffrer de manière précise et les définitions, variant grandement d’une étude à l’autre, produisent des chiffres très différents. Cela invite donc à une extrême prudence dans l’utilisation des estimations chiffrées. • Cette variété de définitions souligne par ailleurs la grande importance de préciser le plus possible les différentes situations qui se cachent derrière les termes très flous de « mariages forcés ». Un des apports de notre étude est d’avoir défini clairement trois types de situations et de pouvoir distinguer entre les trois dans les résultats que nous allons présenter. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut démêler toutes les dimensions du phénomène complexe de la contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. 6.1.3. Proportion des types de cas Si l’on observe la répartition des différents types (A , B ou C) par rapport au phénomène global, le fait suivant ressort : les cas concernant les personnes subissant des pressions pour rester mariées, qu’elles se soient mariées de leur plein gré ou de force, sont de loin les plus nombreux puisqu’ils représentent près de la moitié des cas, tandis que les cas de types A et B ne comptent respectivement que pour un quart (cf. figure 4). Or, ce résultat va à l’encontre des représentations habituelles des « mariages forcés ». Dans le grand public, le phénomène est étroitement associé avec les cas A, ce qui est notamment dû au traitement qui est réservé à ce thème dans les médias30. Ce résultat semble également mettre en question la perception de certain(e)s professionnel(le)s. En effet, la majorité des projets pilotes de lutte contre les « mariages forcés » ont été conçus en se basant surtout sur le type A, alors qu’il n’est pas prépondérant par rapport aux deux autres en termes d’ampleur. Enfin, signalons aussi que dans le projet de loi concernant les mesures de lutte contre les « mariages forcés » actuellement en discussion au Parlement, les cas de type C ne sont pas pris en compte. En effet, le projet se concentre sur des mesures visant le moment de la conclusion du mariage et fait abstraction des situations où le mariage est déjà prononcé31. Le choix d’une telle approche qui prend en compte aussi les cas où la contrainte se présente après le mariage (type C) met en lumière deux problématiques essentielles, qui se présentent de manière plus évidente pour les cas C mais sont importantes aussi pour les types A et B : 30 Cf. Amrein (2011), Holthuizen (2008), Bucher (2010), Budry (2010), Budry (2010), Gall (2006). 31 En ce qui concerne plus précisément l’absence des situations de contrainte dans un mariage déjà prononcé dans ce projet de loi, voir la prise de position commune de diverses institutions et organisations (www.terre-des-femmes.ch/images/stories/Themen/ Zwangsvereiratung/2011_tdf_zv_position_gesetzesvorlage.pdf, page consultée le 8.11.2011) et Sivaganesan (2011). 38 • la proximité de ces situations avec d’autres situations relevant de la violence domestique. La violence domestique est définie dans les recherches de la manière suivante (Gillioz et al. 1997 ; Gloor et Meier 2000 ; Godenzi 1993) : « On est en présence de violence domestique lorsqu’une personne exerce ou menace d’exercer une violence physique, psychique ou sexuelle au sein d’une relation familiale, conjugale ou maritale en cours ou dissoute. » (Bureau fédéral d’égalité entre femmes et hommes 2008: 5). Cela nous amènera dans la suite de ce rapport à réfléchir si ces situations de contraintes devraient être considérées comme des formes de violence domestique ou comme une forme de violence particulière et, en conséquence, si les mesures de lutte devraient être intégrées dans les mesures existantes pour la violence domestique ou si la mise en place de mesures distinctes est nécessaire. • l’importance du contexte migratoire et en particulier de la question du permis de séjour dans ces situations, sur laquelle nous reviendrons aussi plus loin. Par ailleurs, la distinction entre ces trois types fait apparaître des différences significatives en termes de profils des personnes concernées et de situations, comme nous allons le montrer dans les paragraphes qui suivent. Figure 4 : Proportions des différents types de cas (n=303) 25% 28% 47% Type A Type B Type C 6.2. Profil socioprofessionnel des personnes concernées Pour mettre en place des mesures efficaces, il est essentiel de disposer d’un maximum d’informations sur le public-cible afin de savoir où et comment l’atteindre efficacement. Pour cette raison, ce chapitre décrit le profil socioprofessionnel des personnes concernées, toujours – selon notre méthodologie – du point de vue des expert(e)s en situation d’observation. Les chiffres présentés dans ce chapitre proviennent de notre enquête on-line et concernent les cas les plus récents, car nous disposons pour ceux-ci d’informations plus précises (cf. chap. 5.1). Pour interpréter ces chiffres, nous nous sommes basées sur les entretiens avec des expert(e)s et les focus groups ainsi que sur la littérature. 39 Le résultat le plus important est l’extrême diversité des profils des personnes cherchant de l’aide auprès des institutions. Il n’existe pas un idéal type de jeune femme (ou homme) qui serait particulièrement touché par ce phénomène, mais au contraire, les institutions ont à faire à un éventail très large de personnes en termes d’âge, d’origine, de niveau de formation et de situation professionnelle. Cette diversité importante de profils sociodémographiques s’observe aussi dans des différences marquées entre les trois types de situations. Figure 5 : Sexe des personnes concernées 100% 80% 60% 87% 93% 92% 7% 8% Type B (n=114) Type C (n=91) 40% 6.2.1. Sexe et âge La figure 5 montre clairement que, quel que soit le type de situation pris en compte, les institutions rencontrent plus de femmes que d’hommes parmi les personnes qui subissent des pressions en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce32. Pourtant, même si beaucoup d’études éprouvent les mêmes difficultés que nous à obtenir des informations à ce sujet, la littérature existante démontre que les hommes sont aussi touchés par ce phénomène. L’étude d’Ahmet Toprak (2007) présente le point de vue de jeunes hommes d’origine turque vivant en Allemagne dont les mariages présentent des éléments de contrainte. Parmi les personnes ayant accepté de témoigner dans le film de Carole Roussopoulos (2008) et sur le CD préparé par la Fachstelle für Gleichstellung de la ville de Zurich se trouvent également des jeunes hommes. La récente étude allemande montre que, bien que beaucoup moins nombreux parmi les cas qui leur ont été signalés, les hommes qui demandent de l’aide sont tout aussi souvent 40 20% 13% 0% Type A (n=95) Femme Homme 32 Il est à signaler que les chiffres se présentent un peu différemment lorsqu’on prend en compte l’ensemble des cas rencontrés par les professionnel(le)s ces deux dernières années, le pourcentage d’hommes étant un peu plus élevé pour les cas de type B et de type C (14% dans les deux cas). Quoiqu’il en soit, le pourcentage d’hommes touchés reste en dessous de 15%. 33 Les auteur(e)s de l’étude attirent toutefois l’attention sur le fait qu’en raison du trop petit nombre de cas, ces résultats doivent être considérés plutôt comme des tendances. victimes de violence que les femmes et les types de violence sont les mêmes (Bundesministerium für Familien 2011: 43)33. Dans la mesure où les hommes sont aussi touchés, la question se pose pourquoi ce sont les femmes qui s’adressent aux institutions plutôt que les hommes. La grande asymétrie entre le nombre d’hommes et de femmes dans nos chiffres concernant le sexe des personnes concernées indique que nous nous trouvons face à un phénomène genré. Par là, nous n’entendons pas qu’il touche uniquement les femmes comme victimes de rapports de pouvoir qui seraient toujours à leur désavantage, mais plutôt que le genre, de façons diverses et complexes, a des incidences sur la manière dont ces situations sont produites et vécues. Le genre se reflète dans la division du travail, dans les réseaux sociaux, les représentations sociales, les attributions des identités et le statut social des hommes et des femmes en général. Il est également lié à des attentes par rapport au comportement. De plus, les régimes de genre impliquent des relations de domination qui caractérisent les masculinités et féminités dans une situation spécifique (Connell et Messerschmidt 2005). La famille et le mariage sont des arènes de négociations genrées, ancrées plus largement dans les contextes socioéconomique, politique et discursif. Les rôles sociaux au sein des familles, mais également les devoirs, discours et droits correspondants sont imprégnés de représentations genrées et, en conséquence, d’inégalités. Au sein des familles, la volonté de pousser les individus à respecter certaines attentes par rapport aux représentations de la féminité, respectivement de la masculinité, peut par ailleurs amener à des situations de contrainte – pour les deux sexes. Une perspective genrée ne permet pas seulement de mettre en lumière des éléments expliquant pourquoi les femmes sont plus souvent touchées par ce phénomène, elle donne aussi des pistes d’interprétation pour comprendre pourquoi les hommes se tournent moins souvent vers des institutions, même lorsqu’ils se trouvent dans des situations de contrainte : • Il est probable que les hommes se considèrent moins facilement comme des victimes et/ou éprouvent plus de difficultés à demander de l’aide. On peut en effet partir du principe d’une sous-déclaration plus élevée pour les hommes que pour les femmes, car, dans les représentations publiques, le « mariage forcé » est traité comme une thématique concernant uniquement les femmes, qui sont décrites comme des victimes. Dans un tel contexte discursif, il n’est pas étonnant que les hommes ne se sentent pas concernés par cette thématique et, en conséquence, ne cherchent pas d’aide (cf. Bundesministerium für Familien 2011). À ce titre, une sensibilisation qui vise les hommes pourrait être une mesure de prévention prometteuse. • Il existe des différences importantes en ce qui concerne les marges de manœuvre et les ressources dont disposent les hommes et les femmes lorsqu’ils ou elles se retrouvent dans de telles situations de contraintes. Ces marges de manœuvre sont construites par une symbolique genrée, en fonction de concepts normatifs qui produisent des rapports de forces asymétriques. Par exemple, 41 le statut des femmes et des hommes change avec le mariage : un mariage peut permettre aux hommes d’acquérir un statut plus élevé qu’auparavant (même si le mariage est contraint) étant donné qu’ils seront dorénavant souvent considérés comme chef de famille, ce qui implique un certain pouvoir et une certaine indépendance. La situation peut se présenter différemment pour les femmes qui, au lieu de gagner de l’indépendance après un mariage, sont plus souvent soumises à un contrôle plus serré (Riaño et Dahinden 2010). Il en découle que, en raison de ces mécanismes genrés, il existe plus de possibilités de mettre en place des stratégies d’évitement pour les hommes que pour les femmes, comme p. ex. de mener une « double vie » et de continuer/entamer une relation hors mariage. Néanmoins, les expert(e)s (focus group 2) ont relevé un autre facteur d’importance : dans les cas où un homme vient en Suisse pour se marier avec une femme qui est née ou a grandi en Suisse, les rapports de domination genrés se complexifient. Dans une telle constellation, les hommes ont une moins bonne connaissance du contexte et ne parlent peut-être pas la langue locale et peuvent se trouver dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur épouse, notamment au niveau de leur permis de séjour. • Selon certaines études, les hommes sont souvent plus âgés que leurs épouses, ce qui augmente les chances qu’ils aient déjà terminé leur formation ou qu’ils se soient déjà établis dans leur domaine professionnel au moment de mariage. Or, l’indépendance financière et professionnelle réduit la proba- 42 bilité de situations de contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses et le divorce (Berliner Arbeitskreis gegen Zwangsverheiratung 2007: 6). Figure 6 : Âge des personnes concernées 100% 11% 63% 60% 72% 27% 29% 28% Type A (n=95) Type B (n=114) Type C (n=93) 80% • Dans les cas où des hommes sont prêts à demander de l’aide, ils se trouvent confrontés au manque d’offre adéquate en Suisse (Schenk 2009: 107). En effet, une bonne partie de l’offre de conseils est pensée pour un public féminin, implicitement ou explicitement. L’offre d’hébergement quant à elle est pour l’heure quasi exclusivement réservée aux femmes. 60% 40% 20% 0% Concernant l’âge des personnes touchées, on constate que la plupart se trouve dans la tranche de 18 à 25 ans. Pourtant, on observe que les types A et B se distinguent nettement du type C. En effet, le type C (pressions pour empêcher un divorce) concerne avant tout des personnes se situant dans des tranches d’âge plus élevées. Ce résultat est significatif, car, comme nous l’avons vu, la majorité des projets de sensibilisation mis en place pour lutter contre les « mariages forcés » ont défini les jeunes comme public-cible34. Il indique qu’il faudra penser à des mesures n’étant pas uniquement centrées sur les jeunes afin de toucher aussi les personnes se trouvant dans les situations de type C. À propos de l’âge, un autre point mérite discussion, à savoir la présence de mineur(e)s parmi les personnes concernées. En effet, pour les types A et B, on constate près d’un tiers de mineur(e)s pour les cas récents, et si l’on considère l’ensemble des cas C de ces deux dernières années, on observe 5% de personnes de moins de 18 ans35. 10% Plus de 25 ans Entre 18 et 25 ans Moins de 18 ans 34 Les « communautés » étrangères sont souvent citées comme deuxième public-cible, mais pas dans l’idée d’y toucher d’autres potentielles victimes. Il s’agit plutôt d’y faire de la prévention auprès des auteur(e)s de violence. 35 Ainsi que 40% entre 18 et 25 ans et 55% de plus de 25 ans. 43 Les pressions en vue de renoncer à une relation amoureuse (type B) commencent à l’adoles cence, ce qui ne semble pas surprenant, puisque cela correspond à l’époque où les jeunes vivent leurs premières histoires d’amour ou commencent à sortir. C’est plus étonnant pour le type A et pour le type C, car le Code civil stipule que le mariage n’est légal en Suisse qu’à partir de 18 ans (art. 94, al.1, CC)36. Pour le type A, on peut faire l’hypothèse que les 36 Pour le détail des lois à ce sujet cf. Conseil fédéral (2011: 2056) et Meier (2010). 37 Les mariages entre mineurs sont aussi interdits dans pressions commencent bien avant le mariage lui-même. Une autre explication possible est que ces personnes sont destinées à être mariées (type A) ou ont été mariées (type C) dans un pays où les mariages entre personnes de moins de 18 ans sont légaux37 – cela risque toutefois de changer, car le projet de loi vise un changement de ce point (cf. chap. 1.1). Une étude récente effectuée en Allemagne, qui montre que 52% des « mariages forcés » ont eu lieu à l’étranger (Bundesministerium für Familien 2011: 39), va aussi dans le sens de cette hypothèse, sans pouvoir la confirmer entièrement. Enfin, il est possible que les personnes seront/ ont été mariées non devant un état civil mais de manière traditionnelle, religieuse ou autre, soit en Suisse soit à l’étranger. certains pays d’origine des personnes concernées. En Turquie, le mariage n’est en principe pas autorisé avant 18 ans. Pour des cas exceptionnels, avec autorisation du juge et des parents ou du représentant légal, une personne de 17 ans peut être autorisée à se marier (Code civil turc, art. 124). Au Kosovo, la situation est semblable, puisqu’une personne qui n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans révolus ne peut pas contracter de mariage. Dans des circonstances particulières et exceptionnelles, le juge peut accorder l’autorisation de mariage aux personnes âgées de plus de 16 ans révolus (loi sur la famille du Kosovo du 29 janvier 2006, art. 15 et 16). Il est intéressant de noter par ailleurs que le « mariage forcé » est explicitement interdit au Kosovo (Code pénal kosovar du 6 avril 2004, art. 207). La question de savoir comment ces appareils législatifs sont mis en application reste cependant ouverte. Des informations sur la situation juridique par rapport au mariage et au divorce dans d’autres pays d’origine peuvent être trouvées dans Berliner Arbeitskreis gegen Zwangsverheiratung (2007). 44 La présence de mineur(e)s parmi les personnes concernées représente également un défi en termes des mesures. Une experte de Solidarité Femmes (entretien 2) a notamment soulevé le problème de la protection et de l’hébergement : du fait que ces personnes sont mineures, les parents devraient être informés du placement dans un centre d’hébergement ou du moins être avertis par l’office des mineurs que leur enfant est pris en charge. Par ailleurs, il n’existe pas en Suisse romande – contrairement à la Suisse allemande – une maison d’accueil spécifique pour les jeunes femmes et hommes. Cela est regrettable, car héberger les jeunes femmes avec les femmes adultes n’est pas une solution optimale. Finalement, les liens de dépendance des mineur(e)s envers leurs familles sont probablement plus prononcés que pour des personnes majeures et pourraient renforcer la loyauté envers la famille, ce qui est – comme nous le verrons plus bas – un des plus grands défis pour intervenir de façon efficace. En général, la question de l’ambiguïté de la personne face à sa situation et aux auteur(e)s des violences est plus forte pour les personnes plus jeunes, qui ont plus de difficultés à décider ce qui est le mieux pour elles, et en conséquence, de déterminer quelles mesures seraient à prendre (entretien 2). Figure 7 : Nationalité(s) des personnes concernées 100% 80% 60% 6.2.2. Nationalité, lieu de naissance et statut de séjour 81% 69% 80% 40% Comme le montre la figure 7, la majorité des personnes subissant des pressions en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce sont étrangères. Seuls environ 20% des personnes concernées ont la nationalité suisse (de naissance ou suite à une naturalisation) – ce qui est néanmoins un chiffre considérable étant donné la tendance des débats politiques et publics sur ce sujet à se focaliser sur les étrangers. Cette figure montre qu’une partie des personnes concernées (entre 3 et 10%) sont doubles nationales38. Parmi celles qui disposent uniquement de la nationalité suisse, nos chiffres permettent aussi de distinguer les personnes naturalisées des autres. Pour le type A, il y a 9% de Suisses naturalisé(e)s et 3% de Suisses de naissance39, tandis que pour le type B, on compte 12% de naturalisé(e)s, 6% de Suisses de naissance et 3% de Suisses pour lesquels nous n’avons pas de précision. Pour le type C, les personnes naturalisées représentent 6%, les Suisses de naissance 10% et les Suisses sans précision 1%. Notons que le type B (personnes forcées de renoncer à une relation amoureuse) se distingue par une plus grande proportion de personnes suisses et double nationales, soit près d’un tiers. 21% 20% 12% 0% 17% 7% 10% 3% Type A (n=93) Type B (n=108) Type C (n=91) Étrangères Suisses Double nationalité (Suisse et autre) 38 Voici les détails des sous-catégories pour les doublenationaux. Type A : 6% Suisse naturalisé et autre, 1% Suisse de naissance et autre ; type B : 8% Suisse naturalisé et autre, 1% Suisse de naissance et autre, 1% suisse sans précision et autre ; type C : 2% Suisse de naissance et autre, 1% Suisse sans précision et autre. 39 Notre enquête a permis de mettre à jour au total 19 situations impliquant des Suisses de naissance (types A, B et C confondus). Ces situations révèlent tout comme les autres une très grande diversité concernant les causes et les agents des contraintes. Dans un cas, la personne qui a rempli le questionnaire a précisé qu’il s’agissait d’une situation où la femme était enceinte et que des pressions étaient exercées en vue du mariage pour des raisons religieuses (catholicisme). 45 Nos résultats (cf. figure 8) montrent par ailleurs que plus d’un tiers des personnes relevant du type A et presque la moitié de celles concernées par le type B sont nées en Suisse40. Il s’agit donc de personnes qui n’ont pas migré elles-mêmes mais qui ont grandi en Suisse. Une fois de plus, le type C se distingue des deux autres : on constate que la part de personnes nées en Suisse est beaucoup plus faible. Être né en Suisse implique en général d’en parler une des langues, d’y avoir fait sa scolarité et d’en connaître les institutions, éléments qui sont plus souvent absents chez les personnes nées à l’étranger. Ainsi, le haut taux de personnes nées à l’étranger parmi les cas de type C est un élément important à prendre en compte lors de l’élaboration de mesures. Le statut de séjour des personnes concernées est un des points où les informations détenues par les professionnel(le)s se sont révélées lacunaires (près de 20% de réponses manquantes à cette question). Néanmoins nos chiffres montrent que la majorité des personnes se trouvant dans des situations relevant du type A et B sont établies en Suisse (permis C). En ce qui concerne les personnes subissant des pressions pour renoncer Figure 8 : Lieu de naissance des personnes concernées Figure 9 : Statut de séjour des personnes concernées (si étrangères) 100% 100% 80% 62% 80% 51% 60% 85% 20% Type A (n=80) Étranger Suisse 46 Type B (n=100) 34% Type C (n=89) 47% 76% 20% 38% 15% 0% 14% 58% 49% 6% 60% 40% 40% 8% 10% 0% Type A (n=62) Type B (n=64) Permis N ou F Permis B Permis C 47% Type C (n=66) à divorcer (type C), près de la moitié d’entre elles sont au bénéfice d’un permis B, car seuls 47% ont un permis d’établissement (C) et 6% un permis N ou F. Elles sont donc pour plus de la moitié dans une situation précaire du point de vue du permis de séjour. Les migrant(e)s au bénéfice d’un permis B obtenu par regroupement familial suite à un mariage forment une catégorie touchée par une forme particulière de précarité, étroitement liée à leur statut matrimonial. Ce point suscite depuis un certain temps de nombreux débats politiques en Suisse et différents acteurs demandent un permis de séjour indépendant du mariage41. Leur argument principal est que les personnes, en général des femmes, victimes de violence domestique risquent de perdre leur droit de séjour si elles quittent leur conjoint violent et sont donc poussées à retourner auprès de lui par les dispositions actuelles du droit des étrangers. La loi sur les étrangers prévoit qu’une personne au bénéfice d’un permis B qui divorce puisse garder son autorisation de séjour si elle remplit certaines conditions (durée de séjour de 3 ans, intégration réussie ou raisons personnelles majeures, qui comprennent la violence conjugale et une réintégration difficile dans le pays d’origine)42. La pratique montre cependant qu’il est extrêmement difficile de faire admettre aux autorités qu’une personne remplit ces conditions et le risque de perdre son permis en cas de divorce est réel. les situations de « mariages forcés ». Il est important de rappeler que 47% des personnes se trouvant dans des situations de type C disposent d’un permis B. Les expert(e)s ont soulevé ce point à différentes reprises. Dans le focus group alémanique notamment, une spécialiste mentionne le problème qu’il faut prouver, pour entrer dans ces cas de rigueur, une certaine intensité en termes de violence. 40 En ce qui concerne le lieu de naissance, il est à noter que dans près de 10% des cas, cette question est restée sans réponse et que les pourcentages se présentent légèrement différemment lorsqu’on considère tous les cas de ces deux dernières années (type B : 61% de personnes nées à l’étranger ; type C : 76% de personnes nées à l’étranger). 41 Cf. par exemple l’initiative parlementaire de Christine Goll en 1996 et la motion de Maria Roth-Bernasconi en 2009. À ce sujet, voir aussi Dubacher et Reusser (2011). 42 LEtr, art. 50. 1) Après dissolution de la famille, le droit du conjoint et des enfants à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité en vertu des art. 42 et 43 subsiste dans les cas suivants: 1 a.) l’union conjugale a duré au moins trois ans et l’intégration est réussie; 1 b.) la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour des raisons personnelles majeures. 2) Les raisons personnelles majeures visées à l’al. 1, let. b, sont notamment données lorsque le conjoint est victime de violence conjugale et que la réinté- Cette thématique, qui concerne toutes les migrantes au bénéfice d’un permis B par mariage et victimes de violence domestique, est aussi d’une extrême importance pour comprendre gration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise. 3) Le délai d’octroi de l’autorisation d’établissement est réglé à l’art. 34. 47 Autrement dit, l’application de l’article 50 de la LEtr laisse une marge de manœuvre qui est problématique surtout dans la mesure où il s’agit souvent de violence psychique difficile à prouver. Le pourcentage de requérant(e)s d’asile (permis N ou F) peut sembler relativement faible a priori dans ce graphique mais en fait, ils sont fortement surreprésentés parmi les personnes confrontées à ces problématiques de contrainte. En effet, les personnes au bénéfice d’un permis N ou F ne représentent que 2,2% des étrangers résidant en Suisse43. Parmi quelles populations étrangères ces types de contraintes sont-elles les plus répandues ? Quelle est l’origine nationale des personnes s’adressant aux institutions44 ? Le type A concerne majoritairement des personnes des Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka. Bien que les deux régions les plus représentées soient les mêmes, le type B présente un profil plus diversifié en termes de nationalités que le type A. On constate en effet la présence de personnes de régions absentes du type A (Asie du Sud-Est, Amérique du Sud, Afrique de l’Ouest et Afrique centrale). Les contraintes visant à empêcher une personne de divorcer (type C) sont elles aussi réparties sur plus de populations différentes. L’Amérique du Sud représente 8% des cas, alors qu’elle est absente pour les cas A. Le tableau 2 montre un taux moins élevé de personnes suisses pour le type C que pour le type B. Néanmoins, le taux relativement important de Suisses de naissance au sein de cette 48 43 Pourcentage calculé sur la base des chiffres de 2009 du tableau de l’OFS « Étrangers en Suisse selon l’autorisation de résidence ». 44 Il est à noter que dans un peu moins de 10% des cas, les professionnel(le)s n’ont pas répondu à cette question, probablement parce qu’ils ne détenaient pas l’information nécessaire. 45 Les différentes nationalités ont été regroupées selon les catégories géographiques utilisées par l’OFS. catégorie pour le type C est remarquable (10%, tandis que les Suisses de naissance représentent 4% pour le type A et 7% pour le type B.). de personnes des Balkans (ou de Turquie, etc.) parmi les personnes concernées par la problématique des « mariages forcés »? Ces informations sur les groupes de nationalités les plus représentées sont toutefois à prendre avec prudence et ne doivent pas être interprétées hâtivement. En effet, les fortes représentations de certaines nationalités peuvent provenir de leur proportion élevée au sein de la population résidant en Suisse – et inversement pour les nationalités faiblement représentées. En d’autres termes, il faut se poser la question suivante : n’est-ce pas simplement parce qu’il y a beaucoup de personnes des Balkans (ou de Turquie, etc.) en Suisse qu’on trouve beaucoup Afin de pallier à cette ambiguïté, nous avons mis en perspective les proportions des nationalités concernées par les «mariages forcés» (en distinguant les types A, B et C) avec la proportion de ces nationalités parmi la population totale résidant en Suisse. Le calcul a été effectué en divisant la proportion d’une catégorie de nationalités au sein de la population concernée par les « mariages forcés » par la proportion de cette même catégorie de nationalités au sein de la population résidant en Suisse. Tableau 2 : Nationalité(s) de la personne concernée Nationalités 45 Type A Type B n % n % Europe (non UE-27/AELE) : Albanie, ancienne Yougoslavie (sic), 52 56 44 41 Bosnie, Kosovo, Macédoine, Serbie-Monténégro, Turquie Suisse 11 12 22 20 Asie du Sud : Inde, Sri Lanka, Pakistan, Afghanistan 7 8 11 10 Double nationaux: Suisse – autre 7 8 11 10 Étrangers sans précision 6 6 5 4 Asie de l’Ouest : Irak, Syrie, Yémen 5 5 1 1 UE-27 : Italie, Portugal, Espagne, Roumanie, Slovénie 2 2 1 1 Afrique du Nord : Maroc 1 1 2 2 Afrique de l’Est : Érythrée, Somalie, Rwanda 1 1 2 2 Autre : personnes double nationales (pays de l’UE – pays tiers) 1 1 1 1 Asie du Sud-Est : Thaïlande, Birmanie 3 3 Amérique du Sud : Brésil, Pérou, Paraguay, Venezuela 2 2 Afrique de l’Ouest : Nigéria, Sénégal, Ghana 2 2 Afrique centrale : Cameroun, Rép. démocratique du Congo 1 1 Caraïbes : Haïti Total 93 100 108 100 Type C n % 36 40 15 17 10 11 3 3 6 7 1 1 3 3 3 3 2 2 7 8 2 2 2 2 1 1 91 100 49 Si le chiffre obtenu après cette opération est supérieur à 1, cela veut dire que les individus de la nationalité en question sont surreprésentés parmi les personnes concernées par les «mariages forcés», puisque proportionnellement, il y a plus de personnes de cette nationalité parmi les personnes concernées par les « mariages forcés » que parmi la population résidant en Suisse. Si au contraire le nombre obtenu est inférieur à 1, les personnes de cette nationalité sont sousreprésentées (cf. tableau 3). A titre d’exemple concret, voici le détail du calcul effectué pour l’Asie du Sud. Les personnes provenant de l’Asie du Sud représentent 10% des personnes concernées par les cas de type B, mais au sein de la population résidant en Suisse, elles ne représentent que 0,62%. Le chiffre obtenu est grandement supérieur à 1 (10:0,62=16,13), ce qui veut dire que les personnes provenant de l’Asie du Sud sont surreprésentées parmi les personnes concernées par les cas de type B. Le premier élément qui ressort de ce tableau est que, pour tous les types, les Suisses (de naissance et naturalisés) sont sous-représentés parmi les personnes concernées par les « mariages forcés » (de même que les personnes de l’Union européenne pour le type C). Au contraire, les étrangers hors Union européenne dans ce tableau sont tous fortement surreprésentés pour les trois types. L’apport essentiel de cette mise en perspective est de nuancer la prévalence de certains groupes de population par rapport à d’autres. Elle nous permet en effet de relativiser la prévalence parmi les personnes concernées de certaines nationalités en raison de leur forte proportion parmi la population résidant en Suisse. En particulier, elle montre que les personnes de Turquie et d’ancienne Yougoslavie, qui forment Tableau 3 : Sous-/surreprésentation des nationalités Type A Asie de l’Ouest (25) Asie du Sud (12,9) Europe (non UE-27/AELE)11,59 Suisse 0,16 Afrique de l’Est - Afrique du Nord - UE-27 / AELE - Type B Asie du Sud 16,13 Asie du Sud-Est (9,68) Europe (non UE-27/AELE) 8,49 Suisse 0,26 Afrique de l’Est - Afrique de l’Ouest - Afrique du Nord - Afrique centrale - Amérique du Sud - Asie de l’Ouest - UE-27 / AELE - Type C Asie du Sud 17,74 Amérique du Sud (17,02) Afrique du Nord (11,11) Europe (non UE-27/AELE) 8,28 Suisse 0,22 UE-27 / AELE (0,21) Afrique de l’Ouest Afrique centrale Asie du Sud-Est Asie de l’Ouest Caraïbes - - : Nous ne disposions que de 1 ou 2 observations, ce qui rend l’interprétation du résultat trop délicate pour la mentionner. ( ):Nous disposions de 3 à 9 observations, les résultats sont à interpréter avec précaution. 50 la catégorie «Europe non UE » ne ressortent pas de manière significative par rapport aux autres étrangers, contrairement à ce que les chiffres absolus laissaient penser. Ce sont au contraire les personnes de l’Asie du Sud (provenant essentiellement du Sri Lanka mais aussi d’Inde, du Pakistan et d’Afghanistan) qui apparaissent comme fortement surreprésentées parmi les personnes subissant des contraintes, en particulier pour les types B et C. Ce tableau permet aussi de mettre en lumière la place relativement importante dans le type C d’un groupe de population dont on ne parle jamais en lien avec les « mariages forcés », à savoir les personnes d’Amérique du Sud. Les chiffres absolus présentés dans le tableau 2 gardent une certaine signification et peuvent être utiles notamment pour mettre en place des mesures. Par exemple, si une institution veut faire un flyer de prévention contre les « mariages forcés » mais a des moyens uniquement pour le traduire en quatre langues, le traduire en albanais, en serbe, en turc et en tamoul reste le moyen de toucher le plus de personnes. Mais en termes d’explication du phénomène, cette mise en perspective montre qu’on ne peut pas mettre cette forme de contrainte en lien spécifiquement avec l’origine balkanique ou turque des personnes exerçant les pressions ou avec leur appartenance à l’islam. 6.2.3. Formation et situation professionnelle Quant au niveau de formation, l’élément le plus important est certainement que les personnes forcées à se marier ou à renoncer à une relation amoureuse (types A et B) sont en majorité en train de suivre ou ont terminé une formation professionnelle. Le profil de formation des personnes du type C est plus diversifié. On y trouve à la fois plus de personnes n’étant pas du tout allées à l’école et de personnes suivant ou ayant suivi une formation universitaire ou HES46. Figure 10 : Niveau de formation des personnes concernées 100% ompe lorsqu’on prend en compte tous les cas de type A de ces deux dernières années. Type A: 4% « N’est pas allé(e) à l’école », 40% « n’est pas allé(e) plus loin que l’école obligatoire », 44% « suit / a suivi une formation professionnelle », 12% « fait / a fait l’université ou une HES ». Sur ce point aussi il faut relever environ 10% de réponses manquantes pour cette question. 7% 68% 62% 11% 80% 60% 43% 40% 39% 20% 26% 0% 46 Néanmoins, la différence entre les types A et C s’est 6% Type A (n=84) 29% 2% 7% Type B (n=108) Type C (n=74) Fait / a fait l’université ou une HES Suit / a suivi une formation professionnelle N’est pas allé plus loin que l’école obligatoire N’est pas allé à l’école 51 Tableau 4 : Situation professionnelle des personnes concernées47 Situation professionnelle des personnes concernées Activité professionnelle régulière Activité professionnelle occasionnelle En formation Au chômage Bénéficie de prestations sociales Dépend de l’aide de son entourage Homme/femme au foyer Autres Total Cette bonne insertion dans le système de formation des personnes dont les situations relèvent du type A et B se retrouve aussi au niveau de leur situation professionnelle. En effet, elles sont en majorité en formation ou exercent une activité professionnelle régulière. Par opposition, les personnes subissant des pressions pour rester mariées (type C) ont un profil professionnel plus contrasté. Même si une bonne partie d’entre elles travaille, près de la moitié est dans une situation de dépendance envers l’aide sociale, l’assurance chômage ou l’entourage. Type A Type B Type C n % n % n % 33 38 34 30 28 31 3 4 8 7 25 28 47 54 61 55 7 8 1 1 5 4 6 7 7 8 6 5 13 14 7 8 5 4 15 16 1 1 4 4 25 27 1 1 3 3 3 3 100 115 126 112 122 134 Ainsi, pour le type C, à la question du permis de séjour s’ajoute la question d’une précarité augmentée en termes d’insertion dans le marché du travail ou dans le système éducatif. Ce résultat soulève évidemment des questions importantes en termes de mesures et de possibilités d’atteindre ce groupe-cible. Si un grand nombre des personnes concernées par les types A et B peuvent être atteintes par l’intermédiaire des écoles professionnelles ou d’autres institutions, cela n’est pas le cas pour le type C. 6.3. Types de contraintes et violences 47 La manière dont cette question était formulée dans notre questionnaire permettait des réponses multiples. Nous avons indiqué dans le tableau non pas les pourcentages par rapport au total des réponses mais les Nous en venons maintenant à la description plus précise des situations de contrainte dans lesquelles se trouvent les personnes rencontrées par les professionnel(le)s interrogé(e)s. pourcentages par rapport au total des répondant(e)s qui ont coché un item précis, ce qui permet de donner une meilleure idée du pourcentage de situations correspondant à un item. Le fait que les répondant(e)s pouvaient cocher plusieurs items explique que le total des pourcentages dépasse 100%. 52 Un des résultats principaux de l’enquête on-line et des entretiens est la grande diversité des situations de contraintes dans lesquelles les personnes touchées se trouvent. Une participante au focus group en Suisse allemande l’a exprimé ainsi : «Die Herausforderung ist ja, dass die Fälle so extrem unterschiedlich sind. Diese ganze Bandbreite, eine 19-jährige, verheiratete junge Frau, die direkt aus den Ferien zurückkommt und eben verheiratet ist und für die es schwierig ist, da wieder rauszukommen, wie auch eine 40jährige Frau mit Kindern.» 3 à 5% des cas il n’y avait pas de violence et la personne s’est adressée à l’institution à titre préventif. En d’autres termes, à la diversité des personnes touchées par ces phénomènes en termes de profil socioéconomique et démographique s’ajoute une diversité des situations de contraintes. Ce résultat a une portée importante pour l’élaboration de mesures efficaces, car il implique que les professionnel(le)s soient en mesure de saisir chaque fois la spécificité du cas pour trouver une manière adaptée d’intervenir. 100% Malgré la diversité, des tendances dans les types de contraintes auxquelles sont soumises les personnes concernées ont pu être mises en lumière et sont présentées dans les paragraphes qui suivent. 20% 6.3.1. Violence exercée au sein du cercle familial Les résultats montrent qu’il s’agit d’un phénomène où la présence de violence est forte et que c’est au sein de la famille que cette violence est exercée. Un premier indice du caractère violent du phénomène est donné par le fait que les personnes prennent contact avec les institutions à un stade relativement avancé du conflit, soit qu’il est déjà bien amorcé ou même déjà à un stade grave (74% pour le type A, 78% pour le type B et 84% pour le type C). Dans seulement Figure 11 : Gravité du conflit au moment de la prise de contact avec l’institution 80% 43% 34% 54% 60% 40% 31% 44% 30% 0% 22% 19% 11% 4% 3% 5% Type A (n=94) Type B (n=113) Type C (n=92) Conflit violent avec l’entourage Déjà en conflit avec son entourage Début de pressions Renseignement à titre préventif En particulier pour le type C, la prise de contact se fait dans plus de la moitié des cas lorsque le conflit est violent. Même pour les cas de type A et B, on remarque que seuls environ 20% des personnes arrivent lorsque le niveau de conflit est relativement bas. Or, nous y reviendrons, le degré de gravité du conflit au moment de la prise en charge a une influence déterminante 53 sur le type de mesures qui peut être pris et les enjeux qui y sont liés. Ces résultats révèlent donc un grand potentiel pour des projets de prévention qui permettraient aux personnes concernées de prendre conscience de la problématique et consulter plus tôt dans le conflit. L’analyse des types de pressions qui étaient exercées au moment où la personne a pris contact avec l’institution (figure 12) montre que ce phénomène est presque toujours accompagné de différents types de violences. La violence psychique est présente dans une grande majorité des situations, quel que soit le type concerné. Une analyse plus détaillée de la catégorie « violences psychiques » montre que les violences les plus répandues sont ici le chantage affectif, le contrôle des contacts et les menaces verbales. En plus, un type particulier de menaces verbales ressort, à savoir la menace de renvoyer ou faire renvoyer la personne dans son pays d’origine si elle ne se plie pas à la volonté de la personne qui exerce la pression. Les situations de type A et B sont parfois (dans 29% des cas pour le type A et 22% pour le type B) accompagnées de violences physiques mais très rarement de violences sexuelles. Figure 12 : Types de pressions et violences exercées au moment de la prise de contact avec l’institution48 89% 88% 80% 95% 100% 48 Il peut être utile de préciser que pour les sujets «violences sexuelles» et «pas de menaces explicites», il y avait un seul item à choix. Pour les «violences psy- 60% 57% chiques», il y en avait 6 (chantage affectif, contrôle des contacts, menaces verbales, saisie du salaire, interdiction de travailler, menace de renvoyer la 40% Type A Type B 29% 12% 22% 17% 1% 0% 18% 1% 20% 29% personne dans son pays). Les répondant(e)s en ont Type C sélectionné en moyenne entre 2,4 et 2,7. Pour les «violences physiques», il y avait 3 items à choix (jet d’objets, coups de pied et de poing, menace avec une arme). Les répondant(e)s en ont sélectionné en moyenne entre 1,2 et 1,5. 49 Les autres agents exerçant une pression cités par les Violences psychiques Violences physiques Pas de menaces explicites Violences sexuelles 54 répondant(e)s sont les suivants : la « communauté » (cité une fois pour le type A et une fois pour le type B) et l’État, de par la législation sur le droit des étrangers (cité 5 fois pour le type C). Les personnes forcées à rester mariées (type C) sont quant à elles plus souvent soumises à de la violence physique (57%), surtout des coups de pieds et des jets d’objets. Le type C se caractérise aussi par la forte présence (dans 29% des cas) de violences sexuelles. Les cas où les menaces ne sont pas encore explicites font référence à des situations où la personne a peur, car elle imagine/sait qu’elle sera mise sous contrainte mais ne l’est pas encore de manière explicite, car elle a caché jusqu’à présent son refus de se marier (cas A), sa relation (cas B) ou son intention de divorcer (cas C). Qui sont les personnes qui exercent ces formes de violences ? Les données montrent que les personnes concernées sont mises sous pression surtout par des membres de leur famille. Les personnes forcées à se marier (type A) ou dont on contrôle les relations amoureuses (type B) sont mises sous pression en premier lieu par la famille proche, à savoir surtout le père, puis la mère et les frères. La famille plus élargie, notamment les grands-parents et les oncles et tantes peut aussi être impliquée. Par contre, le côté du / de la (futur[e]) conjoint(e) joue un rôle peu important pour les cas de type A et, assez logiquement, presque inexistant dans les cas de type B. L’image s’inverse pour les personnes forcées à rester mariées contre leur gré (type C), puisque les agents principaux dans l’exercice de la contrainte sont clairement le/la conjoint(e) et la belle-famille. La famille proche est aussi impliquée mais à un degré moindre. Les ami(e)s et les enfants quant à eux ne jouent presque aucun rôle dans ces situations. Le fait que les pressions, les contraintes et les violences se passent en grande partie au sein de la famille a également été confirmé par des expert(e)s interviewé(e)s. Un autre aspect directement lié à ce résultat a également été mis en avant : il ressort des entretiens que le rôle pri- Tableau 5 : Personnes exerçant les pressions Personnes exerçant les pressions Type A Type B Type C n % n % n % Le père 83 88 99 87 31 33 La mère 49 52 70 61 25 27 Un ou plusieurs frères 42 45 47 41 15 16 Le ou la (futur[e]) conjoint(e) 17 18 3 3 73 79 Un membre de la famille élargie 24 26 33 29 22 24 Les parents du / de la (futur[e]) conjoint(e) 13 14 31 33 Une ou plusieurs sœurs 6 6 11 9 7 8 Des ami(e)s 5 5 3 3 2 2 Autres49 1 1 5 5 Les enfants Total 240 255 266 233 211 227 55 mordial joué par le cercle familial dans l’exercice des violences place les personnes concernées dans un conflit de loyauté et que cette dimension n’est pas suffisamment prise en compte dans les discussions autour de ce thème et des mesures à prendre (focus group 1 ; nous parlerons de ce conflit en détail plus bas, cf. chap. 7.4.1). L’importance de ces conflits de loyauté ressort aussi dans la prééminence du chantage affectif dans les différents types de menaces. De plus, il semble que les professionnel(le)s soient – selon leurs dires – souvent démuni(e)s pour trouver des mesures adéquates face à ces conflits de loyauté. Comme le dit une participante du focus group romand : « Quand on se retrouve dans une situation de conflit de loyauté, et c’est vrai que c’est vraiment souvent le cas, les jeunes ne veulent pas blesser leurs parents. Pas forcément parce qu’ils veulent suivre la tradition, mais simplement parce qu’il y a un lien affectif. » Nous verrons plus loin que c’est surtout à cause de ce conflit de loyauté que, bien des fois, les personnes concernées ne veulent pas que des mesures soient prises par les professionnel(le)s. Cette loyauté envers les membres de la famille et les difficultés qu’elle entraîne concerne les trois types de cas que nous avons définis. En effet, les résultats présentés plus haut montrent qu’une femme adulte qui souhaite divorcer (type C) peut aussi être l’objet de chantage affectif de la part de ses parents et/ou de son conjoint et donc éprouver des difficultés à prendre des mesures par peur de blesser ou décevoir des personnes proches. Néanmoins, les expert(e)s indiquent que ces conflits sont plus difficiles à gérer d’un point de vue émotionnel pour des personnes plus 56 jeunes, qui sont plus nombreuses dans les cas de type A et B. En effet, les jeunes ont peur de partir de leur famille en sachant que cela pourrait signifier une rupture de longue durée (experte Solidarité Femmes, entretien 2 ; cf. également Riaño et Dahinden 2010). Une experte d’une ONG de Suisse allemande a présenté cette problématique comme suit : «In vielen Fällen haben wir Konstellationen, wo die Personen noch sehr jung und vom Wohnen und finanziell abhängig sind plus aufgrund der psychosozialen Ressourcen, die sie mitbringen, auch nicht die Stärken haben, sich mit 16, 17, 18 von der Familie zu verabschieden. Bruch oder nicht Bruch ist da manchmal die Frage. Da ist es sicher sinnvoll, wenn man als Beraterin nicht einfach auf einen Bruch hinarbeitet, sondern schaut, was es sonst für Möglichkeiten gibt» (entretien 6). C’est également ce conflit de loyauté qui fait – toujours selon les expert(e)s et les participant(e)s des focus groups – que les personnes touchées ne portent pas plainte contre les membres de la famille. En plus, leur loyauté est encore plus mise à l’épreuve dans une situation de migration si la personne touchée sait qu’après une plainte une partie de la famille pourrait être amenée à devoir quitter le pays. En dehors du conflit de loyauté, un deuxième point lié au fait que ce type de violence est exercé essentiellement au sein de la famille mérite d’être soulevé : le caractère collectif de la violence dans ces situations. A la question de savoir quelles étaient les personnes exerçant les pressions, la plupart des répondants ont coché plusieurs réponses, en moyenne 2,38 réponses par situation50. Cela montre qu’il y a bien souvent plus d’une personne qui exerce les violences. Les expert(e)s que nous avons interrogé(e)s ont aussi relevé que les violences liées aux contraintes dans le mariage ne sont pas le fait d’un seul individu mais de toute une famille, voire d’une « communauté » (focus group 2)51. Une experte d’une ONG (Suisse romande) explique que ce n’est pas une violence comme les autres: « C’est très difficile à cause des familles, on n’a jamais à faire à une personne » (entretien 3). Deux des interlocutrices travaillant dans le domaine de la violence domestique ont soulevé que cet aspect collectif de la violence se retrouve dans d’autres formes de violence domestique (focus group 2, entretien 1). Ces quelques éléments illustrent clairement que les situations de « mariages forcés » sont une forme de violence perpétuée essentiellement au sein du cercle familial (élargi), mêlant violence psychique et physique et s’accompagnant souvent de forts conflits de loyauté de la victime par rapport aux auteur(e)s de la violence. Face à cette description rappelant clairement d’autres formes de violence domestique, une question s’impose : s’agit-il dans le cas des « mariages forcés » d’une forme spécifique de violence qui appelle des mesures spécifiques ou pourrait-on traiter ce phénomène dans le cadre des réflexions, mesures, politiques qui sont mises sur pied pour d’autres formes de violences domestiques ? Cette question est loin d’être anodine. En fait, nous avons observé un réel malaise chez certain(e)s professionnel(le)s face à la tendance actuelle de prendre des mesures législatives particulières et de mettre en place des projets pilotes spécifiques contre les « mariages forcés », en particulier parmi les spécialistes venant du domaine de l’égalité femme – homme et de la violence domestique. Dans les deux focus groups que nous avons menés, des doutes ont été exprimés quant à la pertinence de se concentrer sur la question des « mariages forcés » en séparant cette problématique de celle, plus large, de la violence domestique. Une experte du focus group romand a montré de l’inquiétude face à cet accent mis sur cette forme particulière de violence subie par les migrant(e)s : « Est-ce qu’on ne déplace pas un peu le problème ? » se demande-t-elle. Derrière cette question se cache la réflexion suivante : en définissant le « mariage forcé » séparément des autres violences domestiques, en soulignant les différences, on en fait un type de violence spécifique aux migrant(e)s, dont on peut discuter comme s’il n’avait pas grandchose à voir avec le contexte suisse. Par ailleurs, concentrer le débat sur cette question fait passer au deuxième plan la violence domestique bien présente en Suisse et qui touche aussi bien les femmes suisses qu’étrangères. Une manière similaire de juger le débat actuel sur les « mariages forcés » ressort aussi du présent extrait d’un message que nous avons reçu d’une institution à laquelle nous avions envoyé notre questionnaire : « Nous assistons depuis quelque temps à la montée d’un discours raciste et sexiste qui stigmatise 50 Plus précisément : 2,55 réponses en moyenne pour le type A, 2,33 pour le type B et 2,27 pour le type C. 51 Voir aussi le document « Zwangsverheiratung und Zwangsehe » de Terre des Femmes, www. terre-des-femmes.ch/images/stories/Themen/ Zwangsvereiratung/2011_pp_zwangsverheiratung_d. pdf (page consultée le 16.4.2012). 57 ‹l’autre› en prétendant que les discriminations faites aux femmes concerneraient davantage les populations migrantes. Ce discours prétend donc que l’égalité est acquise en Suisse et qu’il faudrait se préoccuper de l’intégration des populations migrantes qui mettraient en péril l’égalité entre femmes et hommes. Vous n’êtes bien sûr pas sans savoir que les discriminations faites aux femmes sont d’actualité en Suisse et qu’elles font partie même du système institutionnel (malgré les progrès législatifs de ces 20 dernières années) » (message électronique du 27.6.2011). Ainsi, les expert(e)s et ce message mettent en avant une tendance que nous avons discutée dans le chap. 4.1.5 comme comportant un danger d’«ethnicisation du sexisme ». Il est possible d’éviter une « ethnicisation » du problème en adoptant une approche qui mette en avant son caractère genré. Une telle approche peut rassembler diverses formes de violences domestiques sous l’idée de systèmes de domination spécifiques au genre et les combattre en tant que telles. Ainsi les « mariages forcés » ne seraient plus considérés comme un problème lié intrinsèquement à la « culture » et à l’origine des personnes concernées. Cette perspective a plusieurs avantages : domestique, insérer la thématique du « mariage forcé » au sein des débats sur la violence domestique aurait l’avantage de ne pas devoir réinventer la roue. • Définir le « mariage forcé » comme spécificité des migrant(e)s déconnectée de tout autre rapport en termes de genre peut contribuer à la stigmatisation des femmes migrantes comme « soumises et dominées » par leur origine, culture ou religion – tout en négligeant l’hétérogénéité au sein de la population migrante et surtout en impliquant en même temps qu’en Suisse l’égalité de genre est un fait accompli, la norme et le quotidien. Nous reviendrons en détail sur cette question dans les recommandations, car le choix de traiter les « mariages forcés » comme un phénomène séparé ou non a une incidence directe sur la manière de concevoir les mesures à mettre en place. 6.3.2. Raisons à l’origine de la contrainte • Une telle démarche permettrait de lutter contre les inégalités genrées de genre en général, dans toutes les situations où on peut détecter des inégalités et des rapports de pouvoir, indépendamment de la nationalité des femmes ou des hommes concerné(e)s. Selon les institutions ayant participé à l’enquête, les personnes concernées par le type A et B énoncent deux raisons principales qui poussent les membres de leurs familles à les mettre sous pression que la personne se marie avec quelqu’un de la même origine ethnique/ nationale et/ou de la même origine religieuse (figure 13 et figure 14). Les résultats montrent cependant aussi que les situations de contrainte se déploient souvent selon plusieurs axes et que d’autres raisons entrent en jeu. • Comme diverses mesures ont été mises en place dans le contexte suisse pour aider les personnes concernées par la violence Concernant les personnes sous pression pour se marier (type A), les questions liées aux stratégies migratoires arrivent en troisième 58 Figure 13 : Raisons à l’origine de la contrainte (type A) (n=244) L’entourage souhaite que la personne épouse quelqu’un de la même origine ethnique/nationale 81% L’entourage souhaite qu’elle épouse quelqu’un de la même religion 50% Le ou la conjoint(e) pourra obtenir un permis de séjour en Suisse 29% Les proches souhaitent ce mariage, car elle a adopté un mode de vie trop différent du leur 23% 21% Les proches sont tenus par des promesses de mariage L’entourage souhaite qu’elle épouse quelqu’un de la même classe sociale / caste 15% L’entourage souhaite qu’elle épouse quelqu’un de la parenté élargie 15% 11% Le mariage doit se faire, car une somme d’argent est en jeu 9% Autres L’entourage souhaite ce mariage, car la personne est au chômage L’entourage veut remettre la personne dans le droit chemin, car elle est homosexuelle 6% 0% 0% position, lorsque le mariage est utilisé comme moyen d’obtenir un permis de séjour pour un(e) conjoint(e). En d’autres termes, les dynamiques dans les familles transnationales – décrites dans l’introduction – peuvent au moins partiellement expliquer l’homogamie ethnique et/ou religieuse souhaitées par les membres de la famille. Nous voyons aussi que les conflits de générations à propos du mode de vie et des valeurs jouent un rôle, lorsque le mariage est considéré comme un moyen pour remettre la personne dans le droit chemin. D’autres études ont montré que ce souhait est souvent motivé d’un côté par une peur des membres de la famille de perdre leurs enfants en cas d’un mariage avec une personne 20% 40% 60% 80% 100% d’une autre origine ethnique ou religieuse ou d’un autre côté par l’idée que seul un mariage avec une personne de la même origine ethnique/ religieuse ou linguistique puisse garantir que l’union soit durable (Riaño et Dahinden 2010). Par contre, aucune situation de contrainte du type A n’a été mise en lien avec l’orientation sexuelle des personnes concernées. Nous avions considéré cette possibilité dans notre enquête en proposant un item concernant l’homosexualité, car la littérature signalait des cas de personnes (hommes et femmes) forcées à se marier par leur famille en raison de leur homo ou bisexualité (Chantler et al. 2009 ; Hester et al. 2007 ; Lavanchy 2011 ; Thiemann 59 2007). Par ailleurs, en Grande-Bretagne, un flyer et un site internet52 spécifiques pour ce public-cible ont été créés respectivement par la Forced Marriage Unit (FMU) et le Albert Kennedy Trust. Le questionnaire a ainsi été envoyé à une quarantaine d’associations de défense du droit des homosexuel(le)s. Une seule l’a rempli tandis qu’une autre nous l’a renvoyé en disant qu’elle n’avait été confrontée à aucun cas de ce type. Celle qui a rempli le questionnaire a signalé entre 11 et 20 cas de type B et 2 du type C mais aucun du type A53. Par rapport aux personnes empêchées de vivre une relation de leur choix (type B), vient en troisième position une explication différente, où l’objection n’est pas liée à la personne choisie qui serait désapprouvée par la famille, mais simplement à l’âge de la personne mise sous pression. Parfois la contrainte vient du fait que l’entourage fait pression sur une personne pour qu’elle renonce à l’ami(e) qu’elle a choisi(e) pour accepter un(e) conjoint(e) choisi(e) par la famille. Enfin, les situations amenant aux contraintes de type C sont très différentes et plus diversifiées. Il y a tout d’abord la peur du rejet par la communauté en cas de divorce et le fait que le divorce en général est désapprouvé par l’entourage. Ce thème est apparu aussi lors du focus group alémanique, où un expert a expliqué qu’un divorce peut poser des problèmes majeurs à une femme, car il est entouré de stéréotypes négatifs et qu’il se peut qu’une femme divorcée ne puisse plus se remarier en raison du stigmate attaché au divorce. Cette considération met aussi en lumière les difficultés à faire marche arrière lorsqu’un mariage a eu lieu sous contrainte. Le divorce, dans Figure 14 : Raisons à l’origine de la contrainte (type B) (n=206) L’entourage désapprouve qu’il ou elle sorte avec une personne d’une autre origine ethnique/nationale 68% L’entourage désapprouve qu’il ou elle sorte avec une personne d’une autre religion 43% L’entourage trouve que la personne est trop jeune pour entamer une relation amoureuse 23% L’entourage a déjà choisi une autre personne avec laquelle il souhaite que la personne se marie 20% Autres 14% L’entourage désapprouve qu’il ou elle sorte avec une personne d’une autre classe sociale / caste 14% L’entourage trouve que le/la partenaire est trop jeune ou trop vieux/vieille 4% 0% 60 20% 40% 60% 80% 100% Figure 15 : Raisons à l’origine de la contrainte (type C) (n=218) La personne ne peut pas divorcer, car elle serait rejetée par sa famille et sa communauté 53% Elle a peur de ne plus revoir ses enfants / de ne pas obtenir la garde 45% L’entourage trouve que le divorce n’est pas une option envisageable 45% 39% La personne a peur de perdre son permis de séjour Elle a peur de se retrouver dans une situation économique difficile 36% 16% Autres 0% les cas où il est possible, n’est souvent pas une solution adéquate, justement pour les raisons évoquées ci-dessus. Toujours selon cet expert, essayer de trouver un moyen d’annuler le mariage s’avère une meilleure piste dans bien des cas. Toujours par rapport au type C, on constate aussi les raisons liées à ce que la personne pourrait perdre en cas de divorce, à savoir la garde de ses enfants ou la possibilité de les voir et son permis de séjour. Si, parmi l’ensemble des personnes concernées par le type C, on sélectionne uniquement les personnes qui ont un permis B, la peur de perdre son permis arrive en première position avec 74%. On retrouve ici la question de l’application de l’art. 50 de la LEtr mentionnée plus haut (cf. chap. 6.2.2). On constate sur ce tableau à quel point différents types de contraintes, relevant du cercle familial mais découlant aussi des dispositifs légaux et administratifs suisses se mêlent dans ces situations d’une grande complexité. 20% 40% 60% 80% 100% 6.4. Lien avec l’étranger : aspects transnationaux Nous avons décrit dans l’introduction qu’une dimension transnationale peut intervenir sous plusieurs formes par rapport au mariage et aux relations amoureuses. Pour ces raisons, nous avons cherché à savoir, au travers du questionnaire, où résidaient les personnes concernées par la relation sous contrainte. Le but est de mieux comprendre les problèmes et les enjeux qui interviennent dans les relations transnationales et de 52 http://lgbtforcedmarriage.org/, page consultée le 22.12.2011. 53 À titre de comparaison, 36% des associations d’homosexuel(le)s ayant répondu à l’enquête effectuée récemment en Allemagne ont dit avoir été confrontées à la thématique des « mariages forcés » (Zwangsverheiratung) (Bundesministerium 2011). 61 voir s’ils sont différents de ceux qui se présentent dans les relations locales. Pour le type A, nous avons demandé où résidaient les deux personnes au moment où le/ la professionnel(le) a eu connaissance de cette situation. Nos résultats montrent que dans 77% des cas, la personne est mise sous pression pour se marier avec quelqu’un qui réside à l’étranger : il s’agit donc d’un (potentiel, futur) mariage transnational. Ces stratégies transnationales s’expliquent par les raisons déjà évoquées plus haut. Il peut s’agir soit d’une volonté d’assurer une certaine homogamie, de retourner un geste de solidarité dans l’espace transnational, ou de fournir un permis de séjour au / à la conjoint(e) ou un mélange de ces raisons. Ces mariages transnationaux peuvent être officialisés devant un état civil soit en Suisse soit dans le pays de résidence du / de la conjoint(e) résidant à l’étranger (cf. Büchler et Fink 2008 pour une discussion de cette question d’un point de vue juridique). Il serait évidemment intéressant de savoir si le mariage est prévu en Suisse ou à l’étranger, mais comme selon notre définition du type A, le mariage n’a pas encore eu lieu, il était difficile de poser la question aux professionnel(le)s qui en seraient réduits à des conjectures. À titre de comparaison, l’étude allemande montre que 52% des mariages forcés ont eu lieu à l’étranger (Bundesministerium für Familien 2011: 39). L’expert d’un état civil que nous avons interviewé (entretien 4) donne des indications similaires. Il n’avait connaissance d’aucun cas où un état civil se serait opposé à conclure un mariage Figure 16 : Relation locale ou transnationale ? en raison de soupçons de contrainte, cela même 100% depuis l’introduction de l’al. 1bis de l’art. 65 10% de l’ordonnance sur l’état civil. Selon cet article 25% de loi, l’officier de l’état civil rappelle aux fiancés 80% qu’il ne peut célébrer le mariage s’il n’est pas 45% l’expression de leur libre volonté.54 L’expert 77% 60% explique: «Wenn die Leute dann endlich zur Ehevorbereitung bei uns sind, dann ist in den 40% Köpfen der Brautleute das schon weit gediehen. 75% Die meisten haben dann bereits akzeptiert, dass es an dieser Situation nichts zu ändern gibt. Da45% 20% rum wird es für uns enorm schwierig, überhaupt 23% irgendwas zu merken. (…) Man kennt sehr we0% nig oder kaum Fälle, bei denen Zwangsheiraten Type A Type B Type C am Schalter bei uns in der Schweiz anwesend (n=90) (n=113) (n=82) sind. Man sieht das in der Regel nicht. Es hat Mariage conclu entre 2 pers. résidant à l’étranger sich auch gezeigt, dass in der Regel, oder fast Rel. transnationale (1 p. en CH, 1 p. à l‘étranger) meistens, die Zwangsheiraten nicht bei uns, sonRelation entre deux personnes résidant en CH dern im Heimatland geschlossen werden.» 62 Les études menées dans d’autres pays ainsi que les entretiens indiquent que souvent les mariages transnationaux (avec ou sans contrainte) sont conclus pendant des vacances – ce qui pose des questions en termes de mesures spécifiques. En comparaison avec les cas de type A, la proportion est presque exactement inversée en ce qui concerne les relations amoureuses que l’entourage essaie d’empêcher (type B). Ces relations sont en majorité des relations locales, où les deux personnes concernées se trouvent en Suisse. Nos données ne contiennent pas d’information sur la nature des relations transnationales du type B (25% des cas), mais on peut faire l’hypothèse qu’il s’agit de relations liées pendant les vacances ou par internet. Les situations les plus diversifiées se retrouvent au sein des personnes mariées subissant des pressions pour renoncer à un projet de divorce (type C). Parmi elles, on voit tout d’abord une minorité (10%) de personnes qui se sont mariées alors qu’elles vivaient les deux à l’étranger et sont ensuite venues en Suisse. Nos résultats démontrent ainsi qu’il ne s’agit pour le type C que rarement de mariages problématiques « importés » (i.e. conclu à l’étranger par des personnes n’ayant aucun lien avec la Suisse au moment du mariage) : au contraire, dans 90% des cas, une personne du couple au moins vivait en Suisse (45%) juste avant le mariage. En effet, il s’agit soit d’un mariage transnational où un des conjoints vivait en Suisse ou d’un mariage « local » entre deux personnes résidant sur sol helvétique (45%). Les résultats permettent encore de distinguer plus précisément au sein de ces mariages transnationaux de type C. Ces 45% sont composés à 28% de cas où la personne qui subit la pression est celle qui résidait en Suisse avant le mariage et à 17% de cas où c’est la personne arrivée par mariage qui se retrouve dans une situation de contrainte. Comme nous l’avons évoqué plus haut (cf. chap. 6.2.1), le fait de résider en Suisse depuis longtemps et d’être la personne du couple qui dispose du permis de séjour dont dépend celui du conjoint donne des ressources considérables à la personne qui fait venir un(e) conjoint(e). Ces ressources complexifient les rapports de force induits par le genre et peuvent être utilisées en particulier par les femmes dans les négociations au sein du couple (Lavanchy 2011 ; Riaño et Dahinden 2010). D’un autre côté, une situation exposée par un(e) expert(e) montre qu’on ne peut pas partir du principe que seule la personne qui vient de l’étranger par mariage se trouve dans une situation de contrainte. Dans ce cas, une jeune femme avait été frappée par ses parents pour la forcer à travailler. « C’est là qu’il faut vraiment observer ce qui se passe, parce que pour faire venir (de l’étranger) son mari, elle (la cliente) devrait travailler. Parce que l’office de migration accepte de donner un permis de séjour au conjoint qui va venir que si la personne travaille. Elle doit fournir trois fiches de salaire et un bail à loyer. Et elle ne voulait pas travailler parce qu’elle savait que ça représentait la vie commune avec ce type. Donc elle n’en avait absolument pas envie » (entretien 1). Un autre 54 Introduit par le ch. I de l’ordonnance du 4 juin 2010, en vigueur depuis le 1er janvier 2011 (RO 2010 3061). 63 expert du focus group alémanique évoque les situations où cette relative position de force se retourne contre les femmes, car elle amène une augmentation de la violence à leur égard de la part du conjoint mis en situation de dépendance. 6.5. Évolution des cas Nous terminons ce chapitre sur la description et l’analyse des situations par quelques remarques sur l’évolution des cas. Nous avons en effet demandé aux différentes institutions ce qu’il advenait des cas qu’elles traitaient. Les réponses sont présentées dans la figure 17. Un premier élément qui ressort est qu’entre 25% et 31% des cas (tous types confondus) ont pu être résolus ou du moins ont vu une nette amélioration, alors que dans seulement environ 10%, la situation s’est aggravée, ce qui indique que les professionnel(le)s ne sont pas entièrement désarmé(e)s pour faire face à ces situations. Toutefois, deux autres faits d’importance ressortent de ce graphique, dont le premier est l’immobilisme attaché à ces situations. Pour 15% des cas de type A et environ un tiers des cas de type B et C, la situation n’évolue pas. On retrouve ici un élément qui a été cité à plusieurs reprises dans les entretiens que nous avons fait avec les expert(e)s : ces situations 55 Cela est valable pour les adultes. Dans des cas impliquant des mineur(e)s, selon cette personne, une procédure différente est appliquée. 64 sont extrêmement compliquées et demandent souvent un très long suivi et donc un engagement important de l’institution. Or ce suivi sur le long terme n’est pas toujours possible par manque de ressources. Cela nous amène au dernier résultat marquant de ce graphique, le fait que dans un grand nombre de cas les professionnel(le)s qui s’en sont occupés n’ont plus de nouvelles (36% des cas de type A). Ce résultat peut être interprété Figure 17 : Évolution des cas 100% 12% 80% 8% 8% 28% 24% 7% 9% 36% 60% 11% 40% 20% 0% 15% 32% 26% 25% Type A (n=94) Type B (n=110) 28% 31% Type C (n=92) Autres Je n’ai plus de nouvelles, ce n’est plus mon institution qui s’occupe de ce cas La situation s’est agravée La situation n’a pas du tout ou pas beaucoup évolué Le cas a été résolu, ou du moins la situation s’est nettement améliorée de manière très différente. On peut tout simplement en déduire que le cas a été transmis plus loin à une institution de confiance et qu’il n’est donc plus nécessaire de le suivre. Toutefois la majorité des expert(e)s que nous avons consulté trouve ce résultat alarmant et l’interprètent comme un signe que le travail en réseau ne fonctionne pas et que les cas sont passés plus loin et finissent par disparaître sans avoir trouvé de l’aide. Voici ce que nous en dit une experte : «Wir haben zum Teil Leute, die werden 4 Mal weitergeleitet, bevor sie bei uns landen, und das ist nicht gut. Es kann ja auch sein, dass sie beim 2. Mal dann aufhören zu suchen und alleingelassen sind. Da besteht Handlungsbedarf» (entretien 6, experte d’une ONG). Une troisième possibilité est suggérée par une personne travaillant pour un centre LAVI que nous avons interrogée. Elle a expliqué que les centres d’aide aux victimes étaient des centres d’intervention de crise – ce qui veut dire qu’ils voient les personnes lorsqu’elles demandent de l’aide au plus fort du conflit – et qu’il n’était pas rare que des personnes finissent par se débrouiller autrement et ne plus revenir si elles n’avaient plus besoin d’aide et que cela n’était pas forcément le signe d’un dysfonctionnement du système55. 6.6. Résumé et conclusions intermédiaires Quelles sont les principaux résultats ressortant de ce chapitre ? Pour répondre à cette question, au risque de perdre des finesses et nuances en route, nous proposons ici de résumer les résultats de manière concise tout en soulignant particulièrement ceux qui sont significatifs par rapport à des mesures envisageables pour lutter contre ce phénomène. Prévalence La méthodologie choisie a permis de montrer que les cas concernant les personnes subissant des pressions pour rester mariées (type C) sont de loin les plus nombreux puisqu’ils représentent près de la moitié des cas. Ce résultat est significatif étant donné que jusqu’à présent, les débats et les mesures proposées en Suisse (et ailleurs) pour lutter contre les « mariages forcés » se concentrent surtout sur les cas A et B alors qu’il faudrait inclure les situations des personnes qui sont déjà mariées et qui ne peuvent pas divorcer (type C). Profil des personnes touchées par ce phénomène On constate que le profil socioéconomique des personnes cherchant de l’aide auprès des institutions est extrêmement diversifié. Il n’existe pas un idéal-type de jeune femme (ou homme) qui serait particulièrement touché par ce phénomène, mais au contraire, les institutions ont à faire à un éventail très large de profils de personnes. Il découle de cette diversité qu’il est impossible de trouver une « mesure type » pour lutter contre ces contraintes, mais qu’il faut au contraire que les professionnels adaptent chaque fois les manières d’intervenir – en prenant en compte le profil spécifique des personnes cherchant de l’aide. Néanmoins, en se concentrant sur les points communs, on peut dégager trois types idéaux de profil, qui sont toutefois à prendre avec précaution tant les généralisations risquent d’être réductrices ici. 65 Le profil socioéconomique des personnes concernées par le type A (qui sont sous pression pour se marier) pourrait être décrit de manière idéal-typique de façon suivante : il s’agit principalement de jeunes femmes entre 18 et 25 ans, à 81% des étrangères mais dont plus d’un tiers était nées en Suisse et dont la majorité dispose d’un permis C. Les personnes concernées sont majoritairement originaires des Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka. Ces personnes sont en grande partie bien intégrées au marché du travail ou au système éducatif en Suisse. Concernant les personnes qu’on empêche de vivre une relation amoureuse de leur choix (type B), le profil se présente de manière suivante : ce sont également des jeunes femmes en majorité entre 18 et 25 ans, avec 69% d’étrangers, dont la moitié est née en Suisse et dont plus de la moitié dispose d’un permis C. Il s’agit également en majorité de personnes originaires des Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka, mais on y trouve aussi des naturalisé(e)s et des Suisses de naissance. Comme c’est le cas pour le type A, ces personnes sont majoritairement bien intégrées dans le marché de travail ou suivent une formation. En ce qui concerne le type C, cette catégorie de personnes semble à la fois différente des deux autres types mais aussi plus diversifiée en son sein: les femmes concernées par l’impossibilité de divorcer sont plus âgées (au-dessus de 25 ans en majorité), majoritairement nées à l’étranger et ne disposant pas de la nationalité suisse (80%). Plus de la moitié de ces personnes ont un permis B ou N/F et leur situation en termes de statut de séjour est donc plus précaire. Elles viennent principalement des 66 Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka, mais également de l’Amérique du Sud et d’autres pays. Ces femmes ne sont que partiellement intégrées au marché du travail, moins bien formées et la moitié se trouve dans une situation de dépendance économique. Dans ce type, la question se pose de savoir jusqu’où le permis de séjour, dans les cas où il est dépendant du mariage, augmente la précarité et la prévalence de violences. Cette différence entre les types A, B et C est très importante en termes de mesures. Tandis que les personnes confrontées à des problématiques liées au type A et B sont intégrées dans le marché du travail ou dans le système éducatif et peuvent en conséquence être atteintes en passant par les structures ordinaires comme les écoles ou les lieux de travail, les femmes forcées à rester mariées semblent plus difficiles à atteindre, car elles sont plus isolées. Deux thèmes ressortent également qui demandent réflexion. Alors que ce sont en grande majorité des femmes qui se tournent vers des institutions pour de l’aide, il faudrait réfléchir à une manière d’atteindre les hommes concernés. La question des mineur(e)s doit aussi être abordée en priorité, car cette population présente des défis particuliers en termes de mesures. Types de contraintes et violences À l’hétérogénéité en termes de profil socioprofessionnel et économique des personnes touchées par le « mariage forcé » s’ajoute le fait qu’elles se trouvent dans des situations de contraintes multiples : ce résultat montre clai- rement que l’élaboration de mesures adaptées demande une approche particulière à chaque personne concernée (« case management »), car il n’existe pas d’outils adaptés à toutes les situations. Les personnes prennent souvent contact avec les institutions lorsque le conflit est déjà violent – particulièrement dans le cas du type C. En général, les données montrent que le phénomène est accompagné d’un degré élevé de violences diverses et que la violence est exercée en premier lieu par un ou plusieurs acteurs de l’environnement familial. L’implication directe des membres de la famille place les personnes touchées par les violences dans un conflit de loyauté – similaire aux situations qu’on connaît du domaine de la violence domestique. Ce conflit de loyauté et la réticence qu’il induit chez les personnes concernées à prendre des mesures pour se défendre et se protéger est compréhensible, mais il est en même temps un des obstacles majeurs à l’intervention des professionnel(le)s. Ces similitudes (violences perpétrées par des membres du cercle familial, conflit de loyauté, etc.) amènent à s’interroger s’il ne valait pas mieux essayer de traiter cet ensemble très hétéroclite de situations de violence dans le cadre de la problématique de la violence domestique plutôt que de la traiter séparément comme « mariage forcé ». Raisons à l’origine de la contrainte Notre étude montre que les raisons principales se trouvant à la base de la contrainte pour les trois types de cas découlent des conceptions que les personnes exerçant la contrainte ont du mariage, du / de la conjoint(e) adéquat(e) et du divorce. Celles-ci les poussent à exercer des contraintes voire être violent(e)s envers un(e) de leurs proches pour qu’il ou elle se marie avec une personne de la même origine ethnique/ nationale/religieuse, renonce à fréquenter une personne d’une autre origine ou renonce à un divorce, perçu très négativement. On constate toutefois aussi que les situations sont souvent plus complexes et que des éléments divers s’imbriquent pour aboutir dans la contrainte. Nos résultats mettent clairement en lumière le rôle primordial et opérant à plusieurs niveaux du contexte migratoire dans les situations de contrainte liées au mariage et aux relations amoureuses. Dans les cas de type A et B, les projets que les parents ont pour leurs enfants, qui impliquent un fort degré d’endogamie, sont liés au fait que ces enfants sont élevés dans un contexte migratoire et que les parents espèrent les protéger en les gardant au sein de la famille ou de la communauté ethnique ou religieuse. Par ailleurs, dans le contexte actuel de politique migratoire restrictive de la Suisse, la question du mariage est étroitement liée au statut de séjour pour de nombreux étrangers à tel point que les restrictions de la législation suisse se mêlent aux autres facteurs qui aboutissent à des situations de contrainte. Pour les cas de type A, on voit que des personnes sont mises sous pression de se marier pour obtenir un permis pour leur futur(e) conjoint(e) (ou dans certains cas de requérant(e)s d’asile, peu fréquents dans notre étude, pour elles-mêmes). Ce lien est le plus frappant toutefois dans les cas de type C pour les personnes au bénéfice d’un permis B par mariage. Dans ce cas, la 67 peur de perdre son permis se mêle à d’autres facteurs, comme la violence du conjoint, pour empêcher ces femmes de divorcer. On constate ici que les contraintes liées aux dispositifs légaux et administratifs se mêlent de manière inextricable avec les contraintes et les violences provenant du cercle familial – une forme de violence pouvant tour à tour être la cause, le résultat ou s’ajouter de manière parallèle à l’autre et vice-versa – à tel point qu’il est illusoire de vouloir traiter une de ces formes de violences séparément de l’autre. Mariages transnationaux Cette importance du contexte migratoire se révèle aussi dans la dimension transnationale d’une partie des situations qui sont l’objet de cette étude. Dans la majorité des cas du type A et 45% des cas de type C, il s’agit de (potentiels, futurs) mariages transnationaux. Nous avons montré que la dimension transnationale de ces relations/unions mène à des asymétries dans les couples qui complexifient les rapports de pouvoir et peuvent influencer de diverses manières la présence de contrainte et de violences. Les dynamiques particulières aux couples trans nationaux doivent être prises en compte dans la recherche de solutions adaptées pour accompagner la personne mise sous pression. Évolution des cas Nos résultats montrent que près d’un tiers des cas (tous types confondus) ont pu être résolus ou du moins ont vu une nette amélioration, 68 alors que dans seuls environ 10%, la situation s’est aggravée. Ils indiquent aussi des difficultés dans la prise en charge de ces cas. Premièrement, l’immobilisme attaché à ces situations extrêmement compliquées et qui demandent souvent un très long suivi et donc un engagement important de l’institution. Tous ces cas qui n’évoluent pas sur de longues périodes plaident pour la mise en place de dispositifs qui permettraient un suivi à long terme – ce qui fait défaut pour l’instant. Deuxièmement, dans un grand nombre de cas, les professionnel(le)s qui s’en sont occupés n’ont plus de nouvelles. Plusieurs interprétations de ce fait sont possibles, mais il pourrait indiquer que le travail en réseau ne fonctionne pas et que les cas sont passés plus loin et finissent par disparaître sans avoir trouvé de l’aide. 7.Problèmes et lacunes en termes de prévention, prise en charge et protection Dans le présent chapitre nous allons approfondir la question des problèmes auxquels les professionnels sont confrontés lorsqu’ils ont à faire à une clientèle touchée par des situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Des indications et des pistes concernant des mesures potentielles ont déjà été données dans le dernier chapitre décrivant le profil et les situations des personnes concernées. Ici, nous développons les défis et lacunes les plus importants tels qu’ils ressortent du questionnaire et des entretiens d’expert(e)s. Toutefois, avant d’en venir précisément aux professionnels et aux défis auxquels ils sont confrontés nous allons élargir la vision et dire quelques mots sur le contexte dans lequel le travail prend place, en nous situant au niveau des cantons d’abord, puis au niveau des institutions. Dans une première partie, nous allons voir si tous les cantons sont pareillement sensibilisés à la problématique. Dans un deuxième point, nous mettrons en lumière le type d’institutions particulièrement confronté à des personnes se trouvant dans ces situations de contrainte. Ensuite, les capacités d’agir des professionnel(le)s seront analysées. Finalement, nous présenterons les enjeux autour de différents modes d’intervention visant à lutter contre les situations de contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. 69 7.1. La situation dans les différents cantons Il va sans dire qu’il n’était pas possible, dans le cadre temporel limité de ce mandat, de faire une recherche approfondie sur les mesures existantes dans chaque canton de Suisse. Pour donner une idée de ce qui se passe dans les différents cantons, nous devons nous en tenir aux résultats de l’enquête on-line et aux informations recueillies sur les projets pilotes. L’enquête on-line avait comme première visée de pouvoir faire des déclarations générales sur les mesures existant en Suisse et non pas de comparer la situation d’un canton à l’autre. Figure 18 : Nombre de réponses au questionnaire par canton (n=229) Canton non précisé Vaud Zurich Neuchâtel Genève Berne Jura Valais Bâle-Ville Argovie Saint-Gall Bâle-Campagne Tessin Thurgovie Fribourg Zoug Lucerne Appenzell Rhodes-Intérieures Obwald Schwytz Soleure Réseau national Glaris Uri Appenzell Rhodes-Extérieures Nidwald Grisons Schaffhouse 70 45 33 17 15 14 13 8 8 8 7 7 6 5 5 5 5 5 4 4 4 3 2 2 2 1 1 Néanmoins, en regardant le nombre de réponses que nous avons reçues au questionnaire en provenance des différents cantons, quelques hypothèses peuvent – prudemment – être énoncées à propos des régions de Suisse dans lesquelles une sensibilisation plus poussée par rapport à ce thème existe. La figure 18 représente le nombre de réponses au questionnaire par canton. Il est à noter qu’un nombre significatif de répondant(e)s n’ont pas indiqué leur canton. Il est relativement difficile d’interpréter ce tableau. En effet, le nombre d’adresses auxquelles le questionnaire a été envoyé varie grandement d’un canton à l’autre. En particulier, les cantons de Bâle, Berne, Fribourg, Genève, Neuchâtel, Saint-Gall, Vaud et les villes de Lausanne et de Zurich ont été considérés comme prioritaires et ont fait l’objet d’une recherche d’adresses particulièrement intensive. Deuxièmement, un très grand nombre de facteurs peuvent expliquer qu’une institution réponde ou ne réponde pas à ce type de questionnaire. Enfin, il faut évidemment considérer le nombre de réponses en fonction de la taille du canton. Néanmoins, nous pensons que ces chiffres permettent des énoncés prudents quant à la répartition géographique de la lutte contre ce phénomène. En effet, il est raisonnable de penser que pour remplir un questionnaire comme le nôtre, relativement onéreux en temps, il fallait une personne motivée et sensibilisée à la problématique. Ainsi, nous pouvons tenter l’hypothèse, mais cela reste uniquement une hypothèse, que les cantons présentant un haut taux de réponses (Vaud, Zurich, Neuchâtel, Ge- nève, Berne) sont d’une part ceux dans lesquels les professionnel(le)s sont confronté(e)s au plus grand nombre de cas et/ou d’autre part, ont été sensibilisé(e)s à cette problématique. Dans cette optique, que peut-on dire de ce tableau ? Ce tableau démontrerait une corrélation entre les cantons dans lesquels il existe des mesures (notamment les projets pilotes) et ceux qui ont répondu à notre questionnaire. Mais encore une fois, une telle interprétation est à prendre avec beaucoup de prudence. 7.2. Institutions confrontées à cette problématique Il nous semble utile de commencer par mettre en évidence quelles institutions doivent être sensibilisées et soutenues pour mettre en place des mesures efficaces dans le domaine des contraintes au sein des relations amoureuses et du mariage. Nous allons examiner aussi bien le nombre de cas par type d’institution que le degré de gravité des cas selon les institutions. L’élément le plus important mis en évidence ici est le large éventail d’institutions qui sont confrontées à cette problématique, même si – comme nous allons le démontrer – elles n’y sont pas toutes confrontées de la même manière. Quelles sont les institutions qui sont les plus touchées ou, au contraire, celles qui ne sont confrontées que de manière marginale à des personnes venant chercher de l’aide par rapport à cette problématique ? Pour répondre à cette question, nous avons regroupé celles qui ont participé à notre enquête par catégorie selon 71 Tableau 6 : Estimation du nombre de cas par type d’institution (borne inférieure56) LAVI Solidarité Femmes Intégration (ONG, associations) Intégration (administration) écoles professionnelles Police, justice Planning familial Services des migrations Autres états civils Association pour les femmes Services des mineurs Service de santé (écoles) Services sociaux école obligatoire Mesures de transition Gymnases, lycées Aide pour auteurs de violence Bureau pour l’égalité Type A 34 40 42 18 34 9 14 21 9 16 19 4 4 3 4 3 0 1 0 Type B 46 22 34 13 27 21 27 9 20 2 6 18 16 4 13 10 4 1 0 Type C 213 91 53 79 7 28 14 16 11 18 4 6 1 12 2 4 0 1 0 leurs mandats et additionné le nombre de cas rencontrés par les institutions d’une catégorie. 56 Pour ce graphique, nous avons pris les chiffres de la borne inférieure, car il aurait été difficilement lisible si nous y avions indiqué les deux bornes. Ce qui compte sur ce graphique est l’importance relative du nombre de cas lorsqu’on compare les différents types d’institution et non le nombre absolu de cas. 57 Dans quelques cantons, les tâches de conseils (centre LAVI) et celles d’hébergement d’urgence sont rassemblées dans une seule et même institution. Nous avons par principe classé les institutions qui ont cette double casquette dans la catégorie « centre LAVI ». 72 Nous voyons en tête de classement les institutions qui, en fonction de leur mandat légal, s’occupent spécifiquement de la prise en charge des cas de violence, i.e. les centres LAVI, qui fournissent écoute, informations, conseils juridiques, accompagnement psychologique et intervention de crise, ainsi que les centres d’accueil Solidarité Femmes, qui offrent un hébergement d’urgence pour les personnes victimes de violence57. Le rôle prioritaire de ces institutions n’est pas en soi surprenant. Premièrement, comme elles s’occupent de la prise en charge des cas, les personnes en situation de contrainte sont orientées vers elles par les autres institutions surtout lorsqu’il s’agit de les protéger et les mettre en sécurité dans le cas où elles sont confrontées à des violences multiples. En d’autres termes, cela fait partie du mandat et des compétences de ces institutions de s’occuper de victimes de violence. Deuxièmement, la probabilité qu’elles soient orientées vers ces institutions se trouve augmentée du fait que – comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent – les personnes se trouvant dans des situations de contrainte s’adressent à des institutions lorsque le conflit est déjà avancé et lorsqu’elles se trouvent confrontées à des violences diverses, alors que le cas aurait éventuellement pu être traité par une autre institution si la personne avait cherché de l’aide plus tôt. Troisièmement, dans cette logique, il n’est pas étonnant que ces deux catégories d’institutions soient les plus impliquées lorsqu’il s’agit de cas du type C où la proximité avec la violence domestique est très claire. Mais nos données montrent qu’elles jouent également un rôle-clé lorsqu’il s’agit des personnes confrontées au type A ou B. En d’autres termes, les situations dans lesquelles des personnes sont sous pression pour se marier ou lorsqu’elles doivent renoncer à une relation amoureuse impliquent aussi une violence telle que le recours à ces institutions est nécessaire, même si elle est moins souvent d’ordre physique que dans les cas C (cf. figure 12). est remarquable dans le sens que ces institutions n’ont pas pour mandat particulier de s’occuper de victimes de violence58. Ces associations jouent un rôle sur plusieurs tableaux : elles dépistent des cas qu’elles transmettent plus loin, reçoivent des personnes qu’elles orientent et conseillent mais, pour certaines d’entre elles, suivent aussi des dossiers, notamment pour les situations impliquant des complications liées au permis de séjour. Ainsi, on voit qu’un très gros travail est fourni par les associations et ONG actives dans le domaine de l’intégration et des migrations. Or, bien qu’elles soient confrontées à plus de cas de type A que les centres LAVI et les centres Solidarité Femmes, les institutions du domaine de l’intégration n’ont pas – dans la majorité des cas – un mandat spécifique pour s’occuper de ces questions. En Suisse romande par exemple, ce sont essentiellement des bureaux de l’administration qui sont impliqués dans les projets de prévention financés par l’ODM. La situation est plus diversifiée en Suisse allemande, où les porteurs de projets financés par l’ODM contre les « mariages forcés » sont à la fois des ONG, et des associations mais aussi des bureaux de l’administration (cf. chap. 1.2). Cela soulève la question si les projets – ou les mesures structurelles – visant à lutter contre ce phénomène ne devraient pas inclure de façon plus systématique ces institutions non étatiques. 58 Nous y avons classé aussi bien les centres de ren- Le grand nombre de cas rencontrés par les associations, ONG et fondations actives dans le domaine des migrations et de l’intégration, placées en troisième position dans ce tableau contres pour femmes migrantes que les services de conseils juridiques pour migrant(e)s, ainsi que les services d’interprétariat et autres œuvres d’entreaide pour les migrant(e)s. 73 Les bureaux de l’administration actifs dans le domaine de l’intégration arrivent justement en quatrième position. Les activités des institutions classées dans cette catégorie peuvent se situer sur deux plans. D’une part, certains de ces bureaux sont actifs à un niveau stratégique de mise en place de politique d’intégration et de projet de sensibilisation. D’autre part, certains rencontrent des migrant(e)s et font aussi office de bureau de conseil et d’orientation, par exemple par l’intermédiaire de permanences, ce qui est le cas notamment des centres de compétences intégration. Nos chiffres montrent que dans leurs tâches, ce type d’institution est en contact avec des personnes dans des situations de contrainte, particulièrement des personnes du type C. Certains sont plutôt actifs dans les conseils et l’orientation, tandis qu’une minorité s’occupe aussi de prise en charge de cas59. Figure 19 : Nombre de cas par degré de gravité et par type d’institution (Types A, B, C confondus; n=179) LAVI 3 12 23 5 6 Intégration (ONG, assoc.) 10 18 3 Solidarité Femmes 17 Police, justice 1 3 11 8 7 Autres À l’opposé, les bureaux pour l’égalité (faisant aussi partie de l’administration), qui pourraient être concernés par cette problématique et se situer à un niveau semblable que les bureaux d’intégration n’ont fait état d’aucun cas, ce qui indique qu’ils ne sont actifs par rapport à cette problématique qu’à un niveau stratégique ou, dans certains cantons, pas actifs du tout. 4 écoles professionnelles 2 4 7 Intégration (administration) 2 8 9 6 Service de santé (écoles) 3 2 5 Les écoles professionnelles quant à elles tombent dans cette catégorie d’institutions dont ce genre de problématique ne fait pas partie du mandat mais qui se trouvent en première ligne pour dépister des cas du fait de leur lien privilégié avec une certaine population. C’est ce type de professionnel(le)s qui sont en premier lieu visé par les projets pilotes de formation continue financés par l’ODM. Ils et elles ont en effet besoin d’informations pour pouvoir reconnaître 74 Renseignements à titre préventif Début des pressions Déjà en conflit avec entourage Conflit violent avec entourage 59 C’est notamment le cas dans le canton de Neuchâtel, où le Bureau pour la cohésion multiculturelle (COSM) centralise la prise en charge des cas de « mariages forcés » du canton. Figure 20 : Nombre de cas par degré de gravité et par type d’institution (suite) (Types A, B, C confondus; n=76) Services sociaux 1 4 6 Planning familial 9 4 école obligatoire Mésures de transition Services des mineurs 2 2 3 3 1 3 3 1 6 3 Association pour les femmes 1 1 3 3 3 États civils Services des migrations 1 1 5 Aide pour auteurs de violence Gymnases, lycées Bureau pour l’égalité 1 2 1 3 Renseignements à titre préventif Début des pressions Déjà en conflit avec entourage Conflit violent avec entourage ces situations lorsqu’ils et elles les rencontrent mais surtout aussi pour savoir où les orienter. Pour approfondir encore ces résultats concernant des institutions confrontées à la thématique, il est utile de se demander de surcroit à quel stade de violence se situent les cas auxquels les différentes institutions sont confrontées. Le raisonnement sous-jacent à cette démonstration est que le type de mesures à mettre en place est directement lié au niveau de violence impliqué, de même que les compétences dont doivent faire preuve les différentes institutions qui se trouvent confrontées à ces cas. Nous voyons dans ce graphique que seules quelques institutions sont en contact avec ce que nous avons défini comme le plus bas niveau de gravité, c’est-à-dire lorsque la personne vient se renseigner à titre préventif, avant même qu’il y ait des pressions. Bien que ces cas soient très rares, on constate qu’ils se retrouvent surtout dans trois types d’institutions : les associations et ONG actives dans le domaine de l’intégration, et, dans une moindre mesure, les bureaux pour l’intégration des administrations cantonales et les écoles obligatoires. Ce résultat peut donner un indice des endroits où faire de la prévention et/ou développer des mesures à bas seuil étant donné qu’ici le conflit n’est pas encore exacerbé et pourrait peut-être être évité. En ce qui concerne les deux niveaux intermédiaires, où les pressions commencent ou lorsque le conflit en est à son début, on remarque le rôle important joué par les plannings familiaux et autres services de consultations conjugales et à nouveau les institutions actives dans le domaine de l’intégration et des migrations, qu’elles soient de l’administration ou des associations et ONG. 75 On remarquera que les écoles professionnelles rencontrent aussi des cas à ce stade de violence. Ici la question se pose si ces institutions ont le savoir et les compétences adéquats pour agir lorsqu’elles sont confrontées à ces cas ou du moins pour les orienter correctement. En ce qui concerne les institutions confrontées aux cas les plus violents, il s’agit d’une part des centres LAVI, des centers Solidarité Femmes et de la police, qui sont trois types d’institutions dont les employé(e)s sont spécifiquement formé(e)s pour gérer ce type de situation et vers lesquelles on envoie ces personnes. Par contre, on remarquera que les associations et ONG actives dans le domaine de l’intégration et des migrations sont aussi confrontées à des cas où un haut degré de violence est impliqué. On peut imaginer qu’elles transmettent les dossiers plus loin à la LAVI ou à Solidarité Femmes ou qu’elles les traitent en collaboration avec eux. Ces résultats soulèvent quelques questions importantes que nous allons – partiellement pour le moins – approfondir dans les paragraphes qui suivent. On peut se demander notamment si toutes les institutions sont en mesure de réagir de façon adéquate lors qu’elles sont confrontées à ce phénomène – étant donné que la thématique ne fait souvent pas partie de leur mandat et que les situations des personnes qui s’adressent à elles sont si diversifiées. En d’autres termes, quelles compétences spécifiques, allant au-delà des compétences attendues des professionnel(le)s travaillant dans ces institutions, sont nécessaires pour agir efficacement dans ces situations ? 76 7.3. Institutions et professionnel(le)s : autoévaluation des capacités d’action La diversité des situations de contrainte dans lesquelles peuvent se trouver les personnes qui s’adressent aux institutions pose de nombreux défis aux professionnels. Comment estimentils leur capacité d’action face à des situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce ? 44% des institutions se considèrent plus ou moins efficaces, tandis que 41% se trouvent relativement démunies face à ces situations.60 Enfin, 15% des répondant(e)s se sentent démuni(e)s dans la majorité des cas. Quelles sont les institutions qui se sentent spécialement démunies ? Parmi les 20 répondant(e)s qui ont coché cette possibilité, 4 travaillent à l’état civil. Un entretien que nous avons fait avec un responsable d’un état civil (entretien 4) confirme que ceux-ci ont l’impression de ne pas être le bon endroit pour agir. Cela est dû notamment à l’impression que lorsque la personne arrive à l’état civil, la décision est déjà prise et il est trop tard pour lui venir en aide. Par ailleurs, la protection des données empêche l’état civil de prendre contact avec d’autres institutions à propos de cas précis. Ensuite, viennent trois répondant(e)s des écoles obligatoires et deux des écoles professionnelles, qui comme nous l’avons relevé, ne sont pas formé(e)s pour gérer ce genre de cas. Parmi les institutions qui se sentent souvent démunies et parfois efficaces, nous trouvons huit centres LAVI qui sont pourtant les endroits vers lesquels les autres institutions envoient ces cas lorsqu’il y a de la violence impliquée, et six ONG/associations actives dans le domaine des migrations. Figure 21 : Autoévaluation de la capacité d’action des institutions (n=131) 50% 40% 41% 30% 32% 20% 10% 15% 12% 0% Très souvent efficaces Efficaces mais parfois démunies Comment interpréter ce résultat que même des institutions dont le cœur du mandat consiste en la gestion de la violence se sentent démunies ? On peut supposer que soit la thématique de la violence en général est entourée d’enjeux importants, ou que ce type spécifique de violence pose encore des défis additionnels. Le désarroi que crée une bonne partie de ces situations au sein des institutions est très présent aussi dans nos entretiens et dans les discussions des focus groups. Il n’est donc pas surprenant que la sensibilisation et la formation 60 Toutefois, il est à noter qu’il n’a pas été facile de répondre à cette question. En effet, 25 répondant(e)s sur 156 ont choisi de cocher « il m’est difficile de répondre ». Parfois efficaces, souvent démunies Très souvent démunies des professionnel(le)s en contact avec des personnes susceptibles d’être concernées par ces situations de contrainte soient souvent citées comme une piste importante à suivre. Le premier pas dans ce domaine, comme l’a évoqué un(e) expert(e), est souvent tout simplement de rendre attentif à la complexité de la thématique : «Aber entweder hast du einen Fall oder du hast einen runden Tisch oder Vernetzung, wo sie (die Fachleute) dann merken: ‹Ups, das Thema ist komplex.› Und das heisst, eigentlich muss zuerst mal das Bewusstsein für das Nichtbewusstsein geschaffen werden.» (focus group 2). En particulier dans les écoles, il faut que les personnes avec lesquelles les jeunes sont en contact puissent reconnaître les signes et orienter les jeunes vers une institution où ils pourront 77 trouver des informations. À ce titre, une experte évoquait le fait que les personnes concernées étaient souvent en risque d’échec scolaire, et que des enseignant(e)s averti(e)s pourraient repérer ces situations derrière les difficultés strictement scolaires. Le but ici est une fois de plus de permettre, par la sensibilisation du corps enseignant, mais aussi du corps médical et du social, de repérer les cas le plus tôt possible pour faciliter l’intervention et augmenter les chances d’apaiser le conflit avant qu’il n’ait pris de l’ampleur. Pour ce type de professionnel(le)s, il s’agit donc de leur donner les clés pour repérer et mieux comprendre ces situations et les informations pour savoir où orienter les personnes au besoin. Il est intéressant de constater que des répondant(e)s au questionnaire ont mentionné la nécessité d’une autre forme de sensibilisation des professionnel(le)s, dont le but n’est pas de chercher à comprendre comment les dysfonctionnements dans des familles de migrant(e)s peuvent amener à ces contraintes mais comment les décisions administratives touchant les migrant(e)s peuvent elles aussi jouer un rôle essentiel dans ces situations de contrainte. Ils et elles ont aussi souligné l’importance de former les personnes de l’administration aux problèmes particuliers rencontrés par les personnes se trouvant dans des situations de type C, notamment 61 À cette question, il était possible de cocher plusieurs réponses. Le fait que nous ayons calculé les pourcen- lors des décisions sur les cas de rigueur par rapport à l’art. 50 de la LEtr. Comme nous l’avons évoqué avant, la marge de manœuvre qui existe dans l’application de cet article de loi donne un grand pouvoir d’appréciation à la personne qui statue sur le dossier. Il est essentiel que ces personnes comprennent toutes les finesses des situations de contrainte dans le mariage pour prendre ces décisions de manière équitable. La suite du chapitre nous donne des indications plus concrètes sur les défis et enjeux auxquels les professionnel(le)s sont confronté(e)s et qu’il faut prendre en compte pour pouvoir agir efficacement. Cela permettra de mieux saisir les limites des actions des institutions et professionnel(le)s que nous venons de mettre en lumière. 7.4. Modes d’intervention les plus répandus au sein des institutions et enjeux Nous avons cherché à savoir quels types d’intervention les institutions touchées mettaient en place dans ce domaine et saisi les enjeux qui les entourent. Ces points seront discutés en détail dans les pages qui suivent. Les résultats de l’enquête peuvent donner une première idée du type de mesures prises par les institutions. Ensuite, ces différentes formes d’interventions seront discutées plus en détail en prenant en compte les résultats des entretiens d’expert(e)s et des focus groups et en mettant en avant les défis qui y sont liés. tages de répondant(e)s et non les pourcentages de réponses explique que le total des pourcentages des différents items dépasse 100%. 78 La figure 22 montre que dans une grande majorité des cas (83%61), les actions du domaine mis en évidence comme étant essentiel dans ce domaine : dans un très grand nombre de cas, les professionnel(le)s contactent une autre institution, soit pour lui transmettre le cas (43%), soit pour le traiter en collaboration (57%). de l’information et des conseils sont prises pour accompagner ou aider les personnes touchées par cette problématique. Cependant, la gravité des situations rencontrées par les institutions se reflète dans le fait que, dans un nombre élevé de cas, des mesures plus spécifiques telles qu’un soutien juridique (36%) mais aussi un hébergement d’urgence (33%) et des mesures pour cacher la personne (29%) soient prises. Le travail en réseau est une fois de plus Du fait que ces situations sont intimement liées au contexte familial, des mesures qui ne concernent pas que la personne elle-même mais la personne et son entourage sont aussi Figure 22 : Mesures visant les personnes subissant des pressions (n=513) lnformations et conseils 83% Travail en partenariat avec une autre institution 57% Orientation vers une autre institution 43% Soutien juridique 36% Hébergement d’urgence 33% Mesures pour que les personnes ne soient pas retrouvées 29% Soutien financier 20% Autres 13% Aide pour trouver un travail Aucune mesure de ce type n‘a été prise 9% 3% 0% 15% 30% 45% 60% 75% 90% Figure 23 : Mesures visant les personnes subissant des pressions et leur entourage (n=236) Aucune mesure de ce type n‘a été prise Discussions avec l‘entourage Intervention policière ou une poursuite pénale Médiation au sein de la famille Mesures tutélaires Autres Mesures pour d‘autres personnes impliquées dans le conflit 35% 34% 26% 24% 16% 10% 9% 0% 10% 20% 30% 40% 79 parfois envisagées (cf. figure 23). Celles-ci peuvent prendre la forme d’une approche systémique cherchant à conserver le lien familial, avec recherche de dialogue (discussion avec l’entourage 34%, médiation au sein de la famille 24%), ou de mesures touchant d’autres personnes (9%)62. Parmi les mesures prises, celles visant à punir l’auteur(e) ou à l’empêcher de nuire arrivent en 3e position (intervention policière ou poursuite pénale, 26% des cas) et celles consistant en un placement en 5e position (mesures tutélaires, 16% des cas). Ces dernières peuvent signifier le placement d’un(e) mineur(e) concerné(e) dans un foyer ou une famille d’accueil mais aussi le placement d’enfants dans des cas de violences domestiques. Cependant on voit aussi que dans 35% des cas, aucune mesure impliquant l’entourage n’a été prise. Ce résultat semble surprenant au premier abord mais la suite du chapitre nous donnera des éléments pour l’interpréter. Même si ces résultats donnent une première idée générale, il est indispensable d’approfondir ces questions dans le détail pour saisir les enjeux liés à ces interventions. Les entretiens avec les expert(e)s ainsi que les focus groups nous donnent des idées plus claires et soulèvent en même temps des enjeux importants qui seront discutés un par un dans le reste de ce chapitre. 7.4.1. Enjeux liés au conflit de loyauté Le résultat que dans 35% des cas, aucune mesure impliquant l’entourage, n’a été prise est à mettre en lien avec un des enjeux importants de cette problématique, à savoir le conflit de loyauté dont nous avons déjà parlé plus haut. Nous nous basons pour cette interprétation sur un autre résultat de l’enquête. En effet, nous avons également demandé quelles mesures potentiellement utiles n’avaient pas été prises et pour quelles raisons. Les mesures les plus souvent citées en réponse sont celles qui touchent l’entourage et la raison pour laquelle elles n’ont pas été prises est, dans 56% des cas, que les personnes concernées ne le voulaient pas. Ainsi, celles-ci sont prêtes à faire un pas en allant parler de leur problème à des professionnel(le)s à condition de pouvoir le faire de manière cachée de leur entourage, mais refusent que quoi que ce soit puisse être entrepris qui impliquerait que leurs proches sachent qu’elles ont cherché de l’aide et parlé de cette situation hors du cercle familial. En d’autres termes, dans bien des cas, la personne concernée ne veut pas qu’on implique son entourage, car elle est prise dans un conflit de loyauté et d’affection envers les personnes la mettant sous pression ou la soumettant à des violences. On peut citer à ce propos cette phrase ajoutée en remarque dans notre questionnaire par un(e) professionnel(le) : «… die erste Massnahme (ist) die Beratung als solches, welche beinhaltet, dass Betroffene merken, was sie wirklich möchten. In der Regel (ein) sehr ambivalentes Verhalten, aus dem nicht schnell eine Massnahme abgeleitet werden kann.» 62 Nous pensons ici par exemple à des mesures d’intégration sociale (cours de langue, etc.) ou professionnelle pour les parents ou le/la conjoint(e). 80 Le conflit de loyauté se mêle aussi parfois à la peur des conséquences non seulement en termes de déception occasionnée aux proches mais aussi plus concrètement en termes de représailles violentes. Nos entretiens avec les expert(e)s montrent en effet que les personnes concernées estiment aussi parfois que ces mesures impliquant l’entourage sont dangereuses. L’ambivalence liée au conflit de loyauté et à la peur se retrouve chez d’autres victimes de violence domestique et notamment chez les personnes dans des situations relevant du type C (focus group 1). Ainsi, un des grands défis de la lutte contre les situations relevant de la contrainte dans le mariage et en lien avec des relations amoureuses semble être de trouver des solutions lorsque la personne concernée ne veut pas que les mesures proposées soient prises. Une experte de Solidarité Femmes / LAVI exprimait la situation ainsi : « On a une boîte à outils pour ces personnes qui est pas adaptée. On va dire à cette personne, vous pouvez déposer plainte, mais elle ne va pas le faire. Mais on va pas aller plus loin pour savoir qu’est ce qui fait qu’elle peut pas déposer plainte » (entretien 1). Néanmoins, une experte a nuancé ce constat en mettant en avant que ce conflit de loyauté était surtout très fort chez les personnes chez qui la dépendance affective était doublée d’une dépendance au niveau de logement et de l’entretien. Lorsqu’une personne dispose de ressources économiques, d’une formation ou d’un travail, elle est plus à même de faire des choix qui peuvent aller à l’encontre de la loyauté qu’elle ressent pour ses proches : «In den einzelnen Fällen, wenn die ökonomische Unabhängigkeit besser gegeben ist, verringern sich natürlich möglicherweise auch die Ambivalenz und die Loyalität (…) Ich habe nur dann festgestellt, dass sich Leute für einen Bruch entscheiden, wenn sie einerseits psychosozial als auch ökonomisch mit relativ guten Ressourcen ausgestattet sind. Sie haben dann immer noch einen Konflikt, also die Ambivalenz, dass sie eigentlich die Familie trotzdem nicht verlieren möchten, aber merken, dass sie sich entscheiden müssen. Sie können sich das dann wie auch leisten, weil sie einfach andere Möglichkeiten haben, um ihre Existenz zu sichern usw.» (experte ONG, entretien 6). 81 Pour permettre à ces personnes de se dégager de cette dépendance et de cette loyauté qui les empêchent souvent de décider sereinement ce qui est le mieux pour elles, les expert(e)s ont préconisé en premier lieu des mesures qui favorisent l’autonomisation de la personne : « Il faut l’aider à apprendre un métier, à faire un travail, il faut la réhabiliter. Les abris, c’est pas fait que pour dormir. C’est un lieu qui vous protège, mais on apprend en même temps à avoir une indépendance financière, on apprend un métier » (experte d’une ONG, entretien 3). Durant ce long processus d’autonomisation, la personne doit être suivie, notamment sur le plan psychologique : « On se sent mal quand on a perdu tous ses repères. Quand on a perdu sa famille, on perd tous ses repères pour ces jeunes filles-là. S’il n’y a pas un suivi important sur le plan psychologique, sur le plan du lieu d’habitation, sur le plan d’apprentissage d’un métier, et bien ayant perdu tous leurs repères, elles laissent tout tomber et elles retournent chez leur famille et elles font ce que la famille veut » (idem). En écho à l’idée que parfois, lorsque la dépendance économique est moins présente, le conflit de loyauté s’en trouve amoindri, certain(e)s professionnel(le)s ont mentionné l’importance d’une aide financière, qui peut dans certains cas être ponctuelle et se concentrer sur le moment de la rupture avec le conjoint ou la famille (experte Solidarité Femmes, entretien 1; questionnaire on-line). Ainsi, la possibilité d’un conflit de loyauté qui va compliquer la prise en charge est à prendre en compte à chaque fois que le conflit soit encore d’intensité basse ou qu’une violence 82 accrue soit présente. Ce lien très fort et la loyauté qui l’accompagne amènent des difficultés et des défis différents selon chaque situation spécifique et peuvent également être un obstacle pour le travail en réseau des institutions, car les personnes concernées hésitent à impliquer une autre institution. Ce dernier, bien que d’une importance primordiale, doit faire face à de nombreuses difficultés, comme nous allons le décrire dans ce qui suit. 7.4.2. Travail en réseau des institutions : chaînes d’intervention et enjeux La question de la collaboration entre les institutions et leur mise en réseau apparaît à plusieurs endroits dans les résultats et est un enjeu majeur par rapport au thème qui nous préoccupe. Nous avons vu dans le chapitre précédent que dans 43% des cas, l’institution transmet le cas à une autre institution et que dans 57% des cas il y avait un travail en partenariat. La question qui se pose est si on peut considérer que ces chaînes d’intervention fonctionnent bien ou si au contraire, il y a des lacunes. Une telle collaboration semble en fait indispensable vu la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les personnes touchées qui demande des interventions multiples et vu la diversité des institutions auxquels s’adressent ces personnes. Pas toutes les institutions n’ont mandat d’intervenir dans ces cas, ni les compétences nécessaires pour le faire. Les problématiques se mêlent au sein d’un même cas et aucune institution ne peut répondre à tous les besoins des personnes prises dans ces situations. En d’autres termes, une personne qui traite un aspect d’une situation doit savoir si et par qui les autres aspects sont traités. Pourtant, tant dans les données de l’enquête que dans celles des entretiens, il ressort que ce travail en réseau ne fonctionne pas toujours bien. Les données ont mis en lumière que 29% des répondant(e)s dans l’enquête ne savent pas si leur cas a été traité par une autre institution, et dans un grand nombre des cas, les professionnel(e)s qui s’en occupent n’ont plus de nouvelles (figure 17). Ces résultats indiquent que la communication entre institutions est à améliorer et qu’il existe un manque de suivi des dossiers. Une personne répondant à l’enquête on-line a ainsi écrit : « On constate que l’action des différentes autorités ou intervenants qui pourraient agir ou réagir face à ces situations n’est pas coordonnée. Souvent, chacun agit dans son coin et se sent démuni face à une situation de mariage forcé ou de contrainte. Il s’en suit que les autorités se renvoient souvent la balle, ce qui profite finalement à l’auteur de la contrainte… » (questionnaire online). Mais dans les entretiens également ce sujet a été soulevé plusieurs fois en en soulignant le caractère problématique: une experte du focus group alémanique s’exprimait ainsi : «Am allerschlimmsten ist es, denke ich, wenn eine Person davon betroffen ist und eine Stelle sucht und dann irgendwo weitergeleitet wird, und das eben versickert. Ich denke, das ist das, was wir vermeiden müssten.» Ce travail de réseau et de coordination commence au sein de l’institution qui traite un cas. Un(e) des expert(e) a soulevé : «Und bei der Intervention ist die Vernetzung wichtig, die Verfügbarkeit der Personen und der Ressour- cen, die da sind. Ein Problem ist immer wieder, dass man feststellt, die eine Organisation, die da beteiligt ist, hat zu wenig Zeit oder kann das oder jenes nicht. Wenn man sich eines Falls annimmt, muss man effektiv dann auch an diesem Fall dran sein. Und es sollten immer die gleichen Akteure sein. Nicht dass man innerhalb der Organisation die Ansprechpartner wechselt, es sollten die gleichen Leute sein» (entretien 5). Un deuxième pas dans cette chaîne d’intervention est de connaître les domaines de compétences des différentes institutions de la ville / du canton. Plusieurs personnes ont relevé des problèmes liés à une absence de coordination sur ce plan. Une mesure qui a été évoquée par un(e) des expert(e)s et par plusieurs répondant(e)s au questionnaire est la création d’une instance de coordination par ville/canton, qu’une institution prenne le rôle de coordination pour la prise en charge de ces cas. Dans la ville de Berne par exemple, c’est la police des étrangers qui prend ce rôle pour certains cas. Elle centralise les différentes actions nécessaires pour la prise en charge, met en place un case management et réunit les acteurs nécessaires. Dans l’exemple de Berne, l’institution qui prend ce rôle fait partie de l’administration, ce qui peut faciliter la tâche, mais on peut aussi imaginer qu’une institution hors administration s’en charge. Le souci ici est que cela demande à l’institution en question de pouvoir consacrer des ressources à ce travail, qui demande beaucoup d’investissement en temps. Une fois que le travail de clarification du rôle des uns et des autres a été fait, on peut envisager, ainsi que plusieurs personnes l’ont suggéré dans le questionnaire, de mettre en place des procédures plus ou moins standardisées pour la prise en 83 charge de cas. Dans le même sens, les différentes institutions pourraient définir une personne de référence pour les questions de contrainte au sein du mariage et des relations amoureuses, p. ex. la police et le service des mineurs. Cela permet à la fois à la personne de se spécialiser dans cette problématique et d’acquérir les compétences nécessaires mais aussi aux partenaires de s’adresser toujours au même interlocuteur. Dans le domaine de la collaboration et du travail en réseau, l’échange d’expériences et la mise en réseau à un niveau supracantonal, notamment par la tenue d’une table ronde annuelle, ont été mentionnés (focus group 2) comme moyen qui pourrait améliorer ce travail en réseau. Enfin, par rapport à cette chaîne d’intervention, il a été soulevé plusieurs fois qu’il manque un maillon, à savoir la prise en charge de l’auteur de violence : « Là, il manque, dans cette chaîne d’intervention, la partie qui prend en charge l’auteur de violence. Et ça, c’est une partie qui dans l’intervention en Suisse manque totalement. C’est important pour la protection des victimes et aussi pour que l’auteur de violences ait une personne de contact pour qu’il ne soit pas seul avec la situation » (entretien 2). En d’autres termes, il manque des instances qui font ce travail, ou alors les consultations sont payantes et donc peu accessibles. À cela s’ajoute que les centres LAVI et Solidarité Femmes ne rencontrent par principe pas les auteurs de violence. Ainsi, il est essentiel qu’ils puissent savoir que ceux-ci sont effectivement pris en charge par une autre institution. Ces réflexions soulèvent une question essentielle : faut-il établir une chaîne d’intervention indépendante et spécialisée pour les cas de 84 contraintes en lien avec le mariage ou les relations amoureuse, ou pourrait-on se baser sur les réseaux existants dans le domaine de violence domestique ou conjugale et y intégrer de nouvelles mesures ? Cette question est d’autant plus pertinente que pour les deux thématiques, les chaînes d’intervention sont confrontées à un défi majeur : l’exigence de confidentialité et de protection des données en raison de la nature délicate de ces situations. 22 répondant(e)s ont indiqué dans le questionnaire le respect de la protection des données comme raison pourquoi une mesure potentiellement utile n’a pas été prise. Un(e) expert(e) du domaine de la protection des victimes a cité comme une des mesures les plus importantes à mettre en place, de réfléchir à une manière de travailler en réseau qui respecte la protection des données et les droits des victimes. Il s’agit de faire mieux fonctionner la chaîne d’intervention en cas de violence tout en respectant la protection des données (entretien 2). 7.4.3. Enjeux du travail avec l’entourage familial Nous avons vu que deux des mesures prises par les institutions consistent en une discussion avec l’entourage (34%) ou une médiation au sein de la famille (24%). Ces deux interventions concernent donc un travail avec l’entourage, c’est-à-dire directement avec les auteur(e)s de la pression ou de la violence – voire avec d’autres membres de la famille. On y a souvent recours lorsque le niveau de violence n’est pas trop élevé et que la personne concernée peut gérer ces situations. Elles peuvent aussi être appliquées dans les cas où la personne concernée refuse de porter plainte contre les membres de sa famille ou quand elle ne veut ou ne peut pas assumer une rupture avec sa famille pour des raisons de loyauté ou de liens affectifs. Pour les personnes touchées par ce phénomène, de grandes difficultés se présentent lorsque le lien avec la famille vient à être brisé, raison pour laquelle tout un pan de la prise en charge se concentre, si la situation le permet, sur des mesures qui favorisent la conservation ou le rétablissement du lien et du dialogue avec la famille. À ce titre, plusieurs expert(e)s ont évoqué une approche que l’on peut qualifier de systémique, qui prend en compte l’entourage de la personne concernée. En effet, plusieurs études ont démontré que les situations de contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce sont souvent liées à des dysfonctionnements plus larges au sein des familles (Bundesministerium für Familien 2011 ; Lavanchy 2011 ; Riaño et Dahinden 2010). Cependant, les entretiens et les focus groups démontrent des enjeux importants lors de ce genre d’interventions qui peuvent aussi contribuer à expliquer que de telles mesures ne soient pas prises dans 35% des cas (figure 23). Comme le dit un(e) expert(e) : «Man hört immer, dass Fachpersonen sagen: Vermittlung ist wichtig. Unsere Erfahrung ist jedoch nicht, dass diese dauernd zum Einsatz kommt. Weil das braucht relativ viele Voraussetzungen, die gegeben sein müssen. Ein Vermittlungssetting muss bewusst erstellt werden. Es gibt auch Killer-Kriterien, wie zum Beispiel die Gefahren lage.» (experte ONG, entretien 6). Un des aspects les plus délicats lors de ce genre d’interventions est en effet, d’une part, la recherche d’un équilibre entre la tentative de calmer la situation au sein de la famille et de rendre possible ainsi une communication et, d’autre part, l’exigence d’assurer la sécurité de la personne 85 mise sous pression. En d’autres termes, dans les cas où on n’arrive pas à convaincre les membres de la famille, la question de la protection de la personne touchée par la violence se pose de toute urgence. Les expert(e)s ont soulevé plusieurs conditions pour qu’une telle intervention ait du succès. La citation suivante résume bien deux éléments clés : « Dans ces situations-là où il y a extrêmement de pressions de l’entourage familial, on regarde aussi si elle trouve des alliés. Parce qu’il y a des fois un frère, une sœur qui la comprend. Là on regarde avec elle comment est-ce qu’on pourrait faire pour qu’il y ait un dialogue en famille. (…) Et ça c’est seulement la femme qui peut dire jusqu’où elle peut aller parce qu’elle connaît ces dynamiques et son milieu familial. Il y a deux possibilités de travailler : il y a des femmes qui nous disent : oui, j’ai une tante avec elle je sais je peux parler, elle va venir pour parler avec mon cousin et mon mari. (…) Nous on n’est pas présent, nous on accompagne la femme là-dedans en disant qu’est-ce qu’elle pourrait mettre comme élément pour qu’elle soit respectée. Et puis, il y a des femmes qui disent : moi je connais un prêtre. Par exemple des personnes religieuses qui ont un impact autoritaire sur l’auteur de violence. Ce sont des moyens qui sont très intéressants parce qu’ils permettent de remettre un dialogue dans un certain cadre où il y a une autorité. Mais il faut que ça soit une autorité qui soit reconnue par l’auteur de violence, sinon ça ne sert à rien » (entretien 2). Voici comment un(e) autre expert(e) conçoit les éléments importants pour qu’une médiation 86 puisse porter ses fruits : «Zuerst schauen, welche bereits involvierten Akteure im System vorhanden sind. Nicht zwingend Fachpersonen, sondern Leute, die bereits über einen positiven Kontakt zu den Eltern verfügen und auch die Legitimation haben. Da sind beispielsweise Personen aus dem eigenen familiären System, oder z.B. die Leiterin, bei der die Tochter die Ausbildung absolviert, die dann so zu einer Schlüsselperson wurde, weil die schon zu Beginn einen guten Kontakt zu den Eltern hatte und die Legitimation, bei Problemen in der Ausbildung mit den Eltern darüber zu sprechen. Daran konnte sie anknüpfen. Ein weiteres Kriterium: einen gemeinsamen Nenner ins Zentrum rücken. Eher pragmatischer Art als moralangehaftete Wertediskussion. Zum Beispiel wenn die Tochter massiven Leistungsabfall in der Schule hat usw., dass man das als Anlass nimmt und die Sorge um Abschluss der Ausbildung, was ja oft auch ein Anliegen der Eltern ist. Dieses Thema anschauen und wie man das gewährleisten kann und weniger direkt reingehen und sagen: Sie machen da etwas, was in unserer Kultur überhaupt nicht geht, usw. Das wäre der falsche Ansatz. Gemeinsame Nenner von Interessen, die auch ganz fassbar sind, als Aufhänger nehmen für die Vermittlung» (experte ONG, entretien 6). En d’autres termes, il s’agit ici d’une configuration classique de médiation de conflit de famille (Von Sinner 2005). Pourtant, cette médiation peut prendre plusieurs formes, notamment en ce qui concerne le type de personne qui va intervenir au sein de la famille. Comme le dit la citation, il faut que cette personne soit une alliée de la personne touchée par le conflit, mais également qu’elle soit acceptée par les autres membres de la famille, et surtout qu’elle ait de l’autorité aux yeux des auteur(e)s de violence. Différentes possibilités existent ici comme le relèvent les entretiens. Si la personne de l’institution dispose d’une formation de médiateur ou médiatrice de conflit, ça peut être elle qui va intervenir. Il se peut – comme dit dans la citation – qu’un autre membre de famille, une personne ressource pour la personne concernée, puisse mettre en dialogue et en communication les membres de la famille qui sont en conflit. Il est aussi possible qu’une personne extérieure, une autorité reconnue aux yeux des auteur(e)s de la violence intervienne (prêtre, enseignante qui aurait un bon contact avec les parents, etc.). Ou finalement, des médiateurs/ médiatrices interculturel(le)s peuvent endosser ce rôle. Cependant, il faut préciser dans ce cas qu’il n’est pas question de « culturaliser » ou d’« ethniciser » les conflits ; danger qui a été traité largement dans la littérature (Dahinden 2005 ; Wüstehube 2010) et qui a également été soulevé par un(e) des expert(e)s. Cette personne nous a dit, à propos de son rôle lorsqu’elle supervise d’autres professionnel(le)s voulant utiliser la médiation dans ce type de conflit : «(Unsere Funktion ist es) die Rolle von Kultur in dem Ganzen zu reflektieren, auch andere Einflussdimensionen, die sie (andere Professionnelle) vielleicht zu wenig sehen, weil sie es vielleicht kulturalisieren oder so.» (entretien 6, experte d’une ONG spécialisée en résolution des conflits). Ce sont ces compétences en médiation de conflit qui sont déterminantes. Une difficulté liée à l’intervention de médiateurs culturels réside dans le fait qu’une telle intervention implique souvent la présence d’une personne, interprète ou médiateur/trice, de la même origine ethnique, linguistique ou religieuse que la victime. Or, non seulement cela peut engendrer des conflits de rôles et une « culturalisation » de la situation, mais il arrive aussi que les victimes refusent le contact avec ces personnes, car elles ne leur font pas confiance, en raison de leur proximité avec la « communauté », comme deux expert(e)s nous l’ont confirmé. De nouveau, cette réalité plaide contre une approche culturaliste de cette situation qui cherche des solutions à ces situations passant par l’implication de personnes de la même origine que les victimes. 7.4.4. Protection des victimes, interventions policières et pénales Dans certaines situations par contre, lorsque le niveau de violence est trop élevé, des mesures impliquant le retrait de la personne de son entourage familial, voire une rupture définitive, s’imposent. Il peut aussi arriver que des interventions policières ou pénales contre les auteur(e)s de la violence soient nécessaires. Plusieurs mesures prises par les institutions concernent directement la sécurité et la protection des personnes touchées par ce problème : mettre à disposition des hébergements d’urgence (33%), des mesures pour que les personnes ne puissent pas être retrouvées (29%), des interventions policières ou poursuite pénale (26%) ou encore des mesures tutélaires (16%). Il existe dans tous les cantons de Suisse des centres d’accueil d’urgence pour des personnes dans ces situations. En effet, la loi sur l’aide aux victimes (LAVI), entrée en vigueur 87 le 1er janvier 1993, a imposé aux cantons de mettre sur pied des antennes et des centres de consultation pour les victimes, y compris un service d’urgence accessible à toute heure (Bureau fédéral d’égalité entre femmes et hommes 2008). Néanmoins, les entretiens montrent que l’offre d’hébergement n’est pas suffisante ou pas adaptée pour les situations spécifiques de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Tout d’abord, l’offre en nombre de places dans les centres d’hébergement d’urgence n’est pas suffisante dans tous les cantons, selon l’appréciation des membres des focus groups. Ensuite, et cela est le point qui a été soulevé avec le plus d’insistance par 88 les expert(e)s, des solutions d’hébergement à long terme sont nécessaires. Beaucoup de structures ne peuvent accueillir ces personnes que quelques semaines, voire quelques mois, mais cela est jugé insuffisant, en particulier dans les cas de jeunes personnes qui quittent leur famille et doivent se réorienter. Finalement, il manque des lieux d’hébergement spécifiques à certains publics, en premier lieu les jeunes filles. Une experte a cité la Mädchenhaus de Zurich en exemple en regrettant qu’il n’existe pas de structure similaire en Suisse romande (entretien 2). L’offre d’hébergement d’urgence pour les hommes quant à elle est inexistante. Il semblerait que dans certains cas, en raison du manque d’offre d’héberge- ment adaptée, les hommes dans ces situations puissent être envoyés en psychiatrie (expert[e] focus group 2). Un expert a aussi relevé que pour les cas de type B, il manquait des lieux d’hébergement pouvant accueillir des couples en danger (focus group 2). Un autre point qui a été soulevé et qui concerne la protection des victimes dans une situation de danger accru concerne des questions de changement d’identité et/ou de changement de noms. Un expert (entretien 5) a notamment mentionné la nouvelle loi fédérale sur la protection extra procédurale des témoins (Ltém)63 qui permettra d’agir dans ce sens dans le futur. Actuellement, une telle procédure est très compliquée et lourde d’un point de vue administratif, toujours selon le même expert, et devrait être facilitée avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, même s’il exprime des réserves sur la mise en œuvre et la coopération des acteurs dans ces cas. En bref, cette loi devrait faciliter la création d’une nouvelle identité ou l’anonymisation des données d’une victime de sorte qu’elle ne puisse pas être retrouvée par ses proches. Par rapport aux mesures touchant les auteur(e)s de la violence, un élément est sorti dans les entretiens qui vaut la peine d’être discuté ici. Ces situations sont caractérisées par le fait que les violences liées aux contraintes dans le mariage ne sont pas le fait d’un seul individu mais de toute une famille ou de plusieurs personnes (focus group 2). Une experte d’une ONG : « C’est très difficile à cause des familles, on a jamais à faire à une personne » (entretien 3). Ce fait a comme conséquence de rendre le dépôt de plainte plus difficile – s’il faut le faire contre plusieurs membres de la famille. Dans le questionnaire, plusieurs répondant(e)s ont signalé comme mesure pour résoudre ces situations, des mesures visant à éloigner les auteur(e)s de violence, tel que le renvoi de l’agresseur dans son pays d’origine. La première chose à signaler est que cette mesure ne fonctionne que pour les auteurs étrangers. Deuxièmement, il faut attirer l’attention sur le fait que ces mesures ne sont pas efficaces dans les cas où la contrainte n’est pas exercée par une seule personne mais par un collectif et que les agresseurs sont donc interchangeables. Par ailleurs, il ne faut pas négliger le fait que ce genre de mesures peuvent rendre encore plus difficile pour des jeunes femmes les démarches à l’encontre de leurs proches en raison des conséquences qu’elles occasionneraient. Une experte a raconté le cas d’une jeune femme qu’elle avait accompagnée qui avait renoncé à porter plainte contre son père pour « mariage forcé », car elle avait peur que cela signifie le renvoi de toute sa famille, notamment ses petites sœurs (entretien 1). 7.4.5. Enjeux juridiques et légaux Bien que faire une expertise en termes juridiques ou légaux de la thématique discutée ne fasse pas partie du mandat de cette recherche, certains aspects sont apparus de manière récurrente lors de l’enquête et des entretiens qui touchent au domaine juridique. 63 www.admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/1788/Bundesbeschluss.pdf 89 Le premier élément a déjà été mentionné et concerne le droit de séjour des conjoints étrangers après divorce (art. 50, LEtr). C’est un point central pour comprendre les situations de type C et notamment pour comprendre une spécificité de certaines de ces situations. En effet, bien des personnes de cette catégorie demandent de l’aide avec des problématiques de violences domestiques et peuvent être prises en charge par les réseaux de lutte contre la violence domestique et les mêmes mesures peuvent s’appliquer (focus group 2, entretien 2). Il y a toutefois un élément qui rend leur prise en charge plus compliquée et qui est intimement liée à l’origine étrangère de la majorité des personnes concernées. Une experte a exposé le problème ainsi : « C’est évident que c’est la LEtr qui pose problème. Les femmes ne peuvent pas se séparer. Les associations Solidarité Femmes dénoncent régulièrement cette situation à la cité. » Il semblerait en effet que l’élément déterminant qui distingue ces situations de la violence domestique qui touche les femmes suisses est la précarité du droit de séjour, qui rend la décision d’une séparation beaucoup plus difficile. Les mesures à prendre pour venir en aide à ces femmes découlent d’une réflexion sur l’art. 50 de la LEtr et son application64. Un autre point relevant du droit de séjour a aussi été mentionné dans le focus group en Suisse allemande : le droit de retour pour des personnes établies auparavant en Suisse et contraintes à se marier à l’étranger. Nos résultats montrent que dans 77% des situations de type A, les personnes sont mises sous pression pour se marier avec une personne à l’étranger. Il est clair qu’une partie de ces mariages n’auront pas lieu en Suisse mais à l’étranger et présentent donc un défi particulier en termes 90 de mesures. Suite à ce mariage, la personne qui vivait en Suisse va soit revenir en Suisse avec son conjoint / sa conjointe, soit rester à l’étranger. Il arrive aussi que la personne qui a été forcée à se marier à l’étranger soit aussi contrainte de s’y installer. Une mesure préconisée par une experte serait de garantir un droit de retour en Suisse à ces personnes même si la validité de leur permis de séjour est échue entre temps, car elles sont restées trop longtemps à l’étranger65. Un pareil droit au retour pour victime de « mariage forcé » jusqu’à dix ans après avoir quitté le pays existe en Allemagne66. 7.5. Résumé Les résultats montrent que c’est un grand éventail d’institutions différentes qui ont à faire à une clientèle se trouvant dans des situations de contraintes. Cependant, pas toutes n’y sont confrontées de la même manière, étant donné que les situations de contraintes sont très diversifiées. Cette diversité soulève justement la question de savoir si les institutions peuvent agir de manière adéquate face à ces situations, surtout lorsqu’on considère qu’il s’agit parfois d’institutions qui n’ont pas pour mandat de traiter ces cas ou pour lesquelles ce genre de travail ne se trouve pas au centre de leurs missions, prestations ou compétences. Cela est particulièrement le cas pour les associations, ONG et fondations actives dans le domaine des migrations mais également pour les écoles professionnelles. Les analyses montrent par ailleurs que la quasi-totalité des institutions se trouvent confrontées à des cas de niveau de violence variable, qui demande chacun un type d’intervention différent qui ne peuvent pas tous être proposés au sein d’une même institution. En conséquence, il n’est pas étonnant que la moitié des personnes ayant répondu à notre questionnaire se considère plus ou moins démunies face à ces situations. Une sensibilisation et formation plus poussée des professionnel(le)s est donc nécessaire. Même si les institutions offrent un éventail large de modes d’intervention, comme le montre l’enquête, il y a plusieurs difficultés à surmonter pour que celles-ci soient efficaces. L’analyse de ces difficultés nous permet de mieux comprendre les défis auxquels les professionnel(le)s doivent faire face. La loyauté ressentie par les personnes touchées envers les auteur(e)s représente un défi important. Ce conflit de loyauté accompagne chaque prise en charge et doit être géré par les professionnel(le)s. La prise en charge est également handicapée par le fonctionnement imparfait des réseaux de coopération entre les institutions et les chaînes d’intervention. Cependant une telle coopération entre les institutions est indispensable pour que les mesures soient efficaces : les situations sont complexes et il est rare qu’une seule institution ait les compétences d’en gérer tous les aspects. De plus, des lacunes ont été constatées dans ces chaînes d’intervention, notamment en ce qui concerne la prise en charge des auteur(e)s de violences. Un autre défi consiste à trouver l’équilibre entre les tentatives de mettre en dialogue les membres de la famille en conflit – par une médiation de conflit – et de protéger les victimes. La médiation de conflit peut être une intervention efficace lorsqu’elle remplit certaines conditions. Par rapport à la protection des victimes, les résultats montrent que l’offre d’hébergement n’est pas suffisante et pas toujours adaptée, notamment en ce qui concerne une prise en charge à long terme. Finalement, les enjeux par rapport au permis de séjour qui touchent surtout les femmes dont les situations relèvent du type C, représentent un défi majeur pour une prise en charge adéquate. Une fois de plus on constate que les problématiques qui entourent les situations de contraintes en lien avec des relations amoureuses et le mariage sont très similaires à ce qu’on connaît du domaine de la violence domestique et qu’il s’agit d’intervenir dans cette logique – tout en évitant de culturaliser ou ethniciser ces conflits. 64 Le Département fédéral de justice et police est en train de mener une réflexion à ce sujet. Une table ronde sur la question a eu lieu et une étude est mandatée. 65 Une personne qui ne dispose pas de la nationalité helvétique peut perdre son permis C si elle reste plus de 6 mois à l’étranger. LEtr, art. 61, al. 2 : « Si un étranger quitte la Suisse sans déclarer son départ, l’autorisation de courte durée prend automatiquement fin après trois mois, l’autorisation de séjour ou d’établissement après six mois. Sur demande, l’autorisation d’établissement peut être maintenue pendant quatre ans. » 66 Cf. la prise de position sur le projet de loi contre les « mariages forcés » commune à diverses institutions et organisations, www.terre-des-femmes.ch/images/ stories/Unser_Engagement/Gutachten_Stellungnahmen/pp_gesetzesartikel_zwangsheirat.pdf, page consultée le 12.1.2012. 91 Partie III : Recommandations 92 Nous consacrons cette troisième et dernière partie à formuler des recommandations pour une prise en charge efficace des personnes devant faire face à des contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Ces pistes de réflexion se basent sur les résultats de cette étude et sont donc ancrées dans les informations présentées aux chapitres précédents. Le chapitre est construit selon la logique suivante : les recommandations sont organisées en fonction des thématiques les plus importantes ressortant de l’étude. Pour chaque thématique, nous allons reprendre les résultats les plus importants et en tirer des pistes ou des mesures qu’il serait souhaitable de mettre en place. Nous commencerons avec des questions stratégiques. Nous verrons que, selon les résultats, il serait judicieux de favoriser une approche de ces situations de contraintes en termes de rapports de genre et de les considérer comme une forme de violence domestique. Cette ré orientation stratégique a des conséquences au niveau du travail en réseau entre les institutions, qui sont discutées au deuxième point. Nous décrirons aussi le conflit de loyauté vécu par des victimes envers les auteur(e)s de violence et nous en tirerons des conclusions quant aux mesures à prendre pour cet aspect de la problématique. Nous formulerons des recommandations par rapport à la diversité des personnes touchées et nous présenterons des publics-cibles demandant des efforts spécifiques. Ensuite, nous soulèverons les mesures à prendre en lien avec les compétences des institutions touchées. Nous présenterons aussi les défis liés à la dimension transnationale de la problématique. Enfin, nous formulerons quelques pistes pour des recherches futures qui visent à combler les lacunes actuelles dans la compréhension du phénomène. 1. Question stratégique : doit-on considérer les « mariages forcés » comme spécifiques au domaine des migrations ou les aborder sous l’angle de l’égalité entre femmes et hommes, comme une forme de violence domestique ? Enjeux et défis principaux Un premier résultat important de l’étude est de mettre en lumière l’extrême diversité des situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses et le divorce. Sous le terme générique et politique de « mariage forcé » se cache en effet un éventail de situations très différentes. Ce résultat remet en question l’utilité de la catégorie-même de « mariage forcé », car il est difficile de trouver des caractéristiques nettes qui d’une part, sont communes à toutes ces situations et d’autre part, les distinguent clairement d’autres situations de violence. Cette diversité peut tout d’abord être constatée au niveau des profils des personnes cherchant de l’aide auprès des institutions. Il n’existe pas un idéal-type de jeune femme (ou homme) qui serait particulièrement touché(e) par le phénomène, mais au contraire, les institutions ont à faire à un éventail très large de personnes en termes d’âge, d’origine, de niveau de formation et de situations professionnelles. À cette variété en termes de profil s’ajoute une diversité des situations de contrainte et de violence. 93 Au-delà de cette diversité de profils et de situations, trois points communs ont été mis en lumière par l’étude : le phénomène est étroitement lié à la question du genre et à différents rapports de pouvoir ; il est accompagné de multiples formes de violence qui se déploient au sein du couple ou de la famille et cela place les victimes dans un fort conflit de loyauté. Le phénomène est genré dans la mesure où il affecte aussi bien les hommes que les femmes mais pas de la même manière, car il est étroitement lié à des systèmes de domination genrée et à des rapports sociaux de sexe en général. Bien que les femmes soient plus nombreuses que les hommes parmi les personnes rencontrées par les institutions qui subissent des pressions en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce (environ 90%), nous avons montré que les hommes sont aussi concernés, en tant que victimes et/ou auteurs de violence. Ce phénomène est lié aux représentations de la féminité et la masculinité, auxquelles sont liées des attentes de comportements considérés comme corrects pour les femmes et les hommes. La famille et le mariage sont à considérer comme des arènes de négociations genrées, au sein desquelles des relations de domination sont produites et reproduites, en lien étroit avec les contextes socioéconomique, culturel, politique et discursif. Cela ne s’applique pas uniquement à la population migrante, mais également aux Suissesses et aux Suisses. Les auteur(e)s de pressions et de menaces sont en grande majorité, comme l’étude l’a mis en évidence, des membres de la famille (pères, mères, frères, (futur[e]s) conjoint(e)s, membres de la famille élargie, parents du / de la (futur[e]) 94 conjoint[e], sœurs). Or, la pression et les violences sont infligées par une ou plusieurs personnes exploitant leurs positions dominantes dans un rapport de force. À cela s’ajoute qu’il s’agit d’un phénomène caractérisé par la présence marquée de diverses formes de violences (psychiques pour tous les types, physiques et sexuelles particulièrement pour le type C). C’est dans le domaine de la famille au sens large que cette violence est exercée, violence qui peut avoir un aspect collectif puisque la contrainte ne provient généralement pas d’une seule personne mais de plusieurs proches, voire de la famille élargie. Finalement, les situations de contrainte sont souvent accompagnées d’un conflit de loyauté prononcé de la victime envers les auteur(e)s de la violence (cf. point 2 ci-dessous). Ces caractéristiques correspondent parfaitement à la définition de «Gewalt im sozialen Nahraum», c’est-à-dire de violence domestique67. Ces résultats soulèvent une question stratégique importante concernant la manière d’aborder cette thématique: est-il judicieux de traiter ce sujet à part en tant que spécificité du domaine « migration » comme c’est le plus souvent le cas aujourd’hui ou ne vaudrait-il pas mieux approcher les contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce sous l’angle de l’égalité entre hommes et femmes, comme une forme de violences domestiques? 67 La notion allemande de «Gewalt im sozialen Nahraum» serait plus précise pour caractériser ce phénomène. Cependant, étant donné qu’au niveau fédéral la notion de « violence domestique » est employée, nous avons décidé d’utiliser cette dernière. Recommandations R 1: Une approche stratégique en termes d’égalité hommes-femmes comme porte d’entrée pour lutter contre ce phénomène et pour la prise en charge des victimes Au niveau conceptuel, les résultats montrent clairement qu’il serait judicieux de favoriser une approche de ces situations de contraintes en termes de rapports de pouvoir de genre et comme une forme de violences domestiques. Il s’agit d’éviter de traiter ce sujet à part comme spécificité du domaine des migrations, même s’il est évident que le contexte migratoire peut jouer un rôle important dans ces situations (permis de séjour, aspects transnationaux, danger d’« ethnicisation du sexisme », etc.). Une telle réorientation stratégique présente les avantages suivants : • Elle permettrait de lutter contre les inégalités en termes de genre – à tous les niveaux – dans toutes les situations où on peut détecter des inégalités et des rapports de pouvoir, indépendamment de la nationalité des individus concernés. Il deviendrait ainsi possible d’inclure la thématique dans le cadre large d’une prévention primaire dans les domaines du genre et des droits humains. • Dans les débats publics, les « mariages forcés » sont traités comme un problème « culturel » lié aux migrant(e)s, tandis que ce discours est influencé par une conception essentialiste de la culture et de l’ethnicité. Cette conception a pour effet de stigmatiser les migrant(e)s comme des personnes aux mœurs étranges apportant avec elles des problèmes inconnus de la population suisse. Cette « ethnicisation du sexisme » (cf. chap. 4.1.5) comporte plusieurs problèmes. La logique qui associe le phénomène des « mariages forcés » aux immigrés et qui l’isole de toute autre explication en termes de genre, donne l’impression erronée que toutes les femmes migrantes, et uniquement elles, nécessitent une émancipation. Cette logique néglige l’hétérogénéité de la population migrante et implique qu’en Suisse, une égalité de genre est acquise, ce qui n’est pas le cas. Or, les politiques en matière d’égalité de genre qui se focalisent exclusivement sur les femmes migrantes comportent un danger de lutter contre le sexisme en donnant l’impression erronée que celui-ci est l’apanage exclusif de certains groupes nationaux étrangers. Cependant, la violence domestique et les inégalités en termes de genre ne sont pas inconnues en Suisse. L’approche stratégique proposée permettrait de sortir d’une logique ethnicisante et culturalisante, tout en mettant l’accent sur des questions d’égalité en termes de genre et sur une lutte contre les violences domestiques. Cela dans un esprit des droits humains, indépendamment de la nationalité des personnes concernées. 95 • De plus, diverses mesures efficaces ont été mises en place ces dernières années en Suisse afin de venir en aide aux personnes concernées par la violence domestique. Ainsi, des compétences spécifiques en lien avec cette thématique ont été développées au sein de diverses institutions et des réseaux aux niveaux national, cantonal et communal ont vu le jour. Ce savoir et ces réseaux existants pourraient ainsi être développés et rendus accessibles à cette forme de violence domestique, ce qui éviterait de « réinventer la roue ». • Toutefois, il est important de souligner qu’il ne s’agit pas, par cette proposition, d’écarter le fait que la thématique de la migration joue un rôle essentiel dans cette problématique – dans la mesure où on ne considère pas que la thématique des migrations est équivalente à celle de la « culture ». Ce choix stratégique impliquerait au contraire d’inclure certains enjeux spécifiques liés à la thématique de la migration, dont certains sont présentés dans les recommandations suivantes, au sein des concepts, outils, institutions et réseaux existants dans le domaine de la violence domestique. En effet, une série de recherches recommandent déjà depuis un certain nombre d’année de favoriser une ouverture des institutions envers la diversité/migration, au lieu de créer des insti- 96 tutions parallèles pour les migrants (pour la Suisse Arn 2004 ; Dahinden 2006 ; Dahinden et Bischoff 2010 ; Dahinden et al. 2005 ; Dahinden et al. 2003 ; Squires 2005 ; Wüest-Rudin 2005). D’ailleurs, la stratégie de différents acteurs au niveau fédéral va également dans le sens d’une telle intégration de la diversité – au lieu de séparer la thématique de la migration. La Commission fédérale pour les questions de migration et l’Office fédéral de la santé publique par exemple suivent ces stratégies depuis un moment. L’idée que l’intégration se réalise en principe dans le cadre des structures ordinaires est aussi fixée dans la législation fédérale sur les étrangers. Cet aspect a d’ailleurs encore été renforcé dans le projet de révision partielle de la LEtr. • Finalement, une telle approche, qui met l’accent sur le genre plutôt que sur les « femmes migrantes », permettrait d’inclure des réflexions quant aux hommes (cf. point 4.2 ci-dessous) – du moins si on considère qu’une politique d’égalité entre hommes et femmes inclut les deux sexes – non seulement au niveau de la prévention en termes d’égalité, mais aussi en termes de travail avec les auteur(e)s de violence – domaine, nous y reviendrons, dans lequel des lacunes existent actuellement. 2. Travail en réseau : améliorer les chaînes d’intervention entre et au sein des institutions Enjeux et défis principaux La diversité et la complexité des situations mises en lumière par l’étude expliquent qu’il est rare qu’une seule institution ait les compétences d’en gérer tous les aspects. Dans l’enquête, 55% des institutions ont répondu que les cas qu’elles avaient décrits avaient aussi été traités par d’autres institutions. Mais ces institutions travaillent-elles ensemble ou en parallèle ? La recherche révèle que la communication et la co opération entre institutions ne sont pas idéales. En effet, 29% des répondants ne savent pas si les cas qu’ils ont traités ont aussi été vus par une autre institution. En ce qui concerne l’évolution des situations, les résultats montrent que dans près d’un tiers des cas, les professionnel(le)s n’ont plus de nouvelles. Plusieurs interprétations de ce fait sont possibles, mais il pourrait indiquer, comme le pensent plusieurs des expert(e)s interviewé(e)s, que le travail en réseau fonctionne mal, ce qui implique un risque que les cas soient passés plus loin et finissent par disparaître sans avoir trouvé de l’aide. Or, non seulement il est important qu’une personne dans une telle situation puisse bénéficier d’un suivi correct, mais une collaboration efficace entre institutions est essentielle, car ces situations se caractérisent par une forte présence de violence et, dans les cas les plus graves, la protection de la personne implique le secret notamment face à des personnes de la famille. L’étude a mis en lumière des lacunes dans la détermination des compétences des différentes institutions et des dysfonctionnements dans la collaboration. L’exigence de confidentialité et de protection des données en raison de la nature délicate de ces situations empêche la collaboration entre institutions ou la rend plus difficile. Recommandations R 2 a : Mobiliser les réseaux et institutions travaillant dans le domaine d’égalité de genre et de violence domestique pour ce phénomène En premier lieu, il faut adapter les réseaux en fonction du choix stratégique présenté dans la recommandation 1. L’idée est d’éviter la création de nouveaux réseaux ou plateforme d’échange d’expérience entre institutions spécifiques pour les « mariages forcés » et de travailler avec les réseaux existants. Il s’agit d’introduire la thématique des contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce dans les réseaux déjà existants pour la violence domestique et l’égalité de genre. Ces politiques et structures existantes devraient être renforcées et développées de manière à pouvoir traiter ces thématiques. R 2 b : Mettre en réseaux les acteurs du domaine de la migration, du domaine d’égalité des chances et de la violence domestique Étant donné les compétences acquises ces dernières années par les acteurs du 97 domaine de l’intégration par rapport à cette problématique, il semble important, lors de cette réorientation stratégique, de mettre tous les acteurs impliqués en réseau. Concrètement, cela implique de mettre ensemble les institutions du domaine de l’égalité entre femmes et hommes et de la violence domestique avec celles du domaine de la migration et de l’intégration. R 2 c : Clarification des chaînes d’intervention Les réseaux travaillant dans le domaine de l’égalité ainsi que des spécialistes en matière de migration existent dans chaque canton – où ils sont probablement liés à d’autres institutions locales. Chaque canton/ville pourrait désigner une institution, qui prendrait le rôle d’instance de coordination pour le canton / la ville. Cette instance de coordination devrait clarifier les chaînes d’intervention entre les institutions touchées par la problématique ou par la prise en charge de ces cas dans le canton / la ville concerné(e). La mise en place de ces formes de coopération au niveau cantonal / des villes devrait comporter des réflexions par rapport à la protection des données. Cette institution peut faire partie de l’administration ou non. Cependant, il serait souhaitable qu’il s’agisse d’une institution pouvant remplir cette fonction dans un sens correspondant à l’orientation stratégique discutée dans la recommandation no 1. Il pourrait s’agir par exemple du bureau pour l’égalité ou d’un centre LAVI. Dans les faits, il s’agira de voir dans chaque canton ou 98 ville à travers quelles institutions ou réseau cette coordination et orientation stratégique pourront être concrétisées. La même réflexion est à mener en ce qui concerne la coordination au niveau national de tout ce qui touche aux contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Il faudrait désigner une institution qui pourrait s’occuper de la coordination des institutions désignées dans chaque canton/ville et les mettre en réseau. Ensuite, il faudrait clarifier les tâches de cette institution nationale (p. ex. mise en réseau des acteurs, monitoring de la thématique, organisation des tables rondes, conférences, etc.). Ce rôle pourrait revenir par exemple au Bureau fédéral de l’égalité, tout comme pour la violence domestique. Évidemment, des spécialistes du domaine des migrations devront aussi être inclu(e)s dans ces réseaux, s’ils n’y sont pas déjà. R 2 d : Clarification des procédures et des formes de coopération au sein des institutions Un tel travail de réseaux ne concerne pas seulement les procédures et les formes de coopération entre les institutions au niveau de la ville, du canton et du pays, mais également au sein d’une institution. Ainsi les institutions qui sont touchées d’une manière ou d’une autre par la problématique seraient également amenées à mettre en place une procédure de case management en leur sein. 3. Conflit de loyauté et dépendance des victimes envers les auteur(e)s Enjeux et défis principaux L’étude a montré que la violence se situe essentiellement au sein du couple ou de la famille. Cela implique que les personnes concernées se trouvent la plupart du temps dans un conflit de loyauté envers les auteur(e)s de la contrainte; ce qui rend le traitement de ces cas souvent difficile et très long. Ce conflit de loyauté n’est pas seulement lié au jeune âge des personnes concernées, mais également à la question de leur dépendance envers les auteur(e)s de violence, qui peut prendre la forme de dépendance affective, économique ou liée au statut de séjour. L’enquête, mais également les expert(e)s, ont relevé l’ambiguïté des personnes par rapport aux mesures qu’elles souhaitent voir prises. Souvent, elles s’opposent à toute mesure impliquant l’entourage, car elles ont peur que cela ne porte préjudice à leurs proches ou ne provoque la rupture du lien qu’elles entretiennent avec eux. Ainsi, le refus des victimes est la raison principale citée par les professionnel(le)s expliquant qu’aucune mesure de ce type ne soit prise. La problématique du conflit de loyauté revêt une grande importance mais n’est pas suffisamment prise en compte dans les discussions autour de ce thème et lors des prises en charge. Cette dimension est bien connue des personnes qui travaillent dans l’accompagnement de victimes de violences domestiques en général et fait partie des défis majeurs de la prise en charge. De plus, nos résultats attestent du rôle additionnel et primordial de la migration d’une part, et de l’âge des victimes d’autre part, qui peuvent renforcer ce conflit de loyauté. Pour les types A et B, les différences de biographie entre les générations liées à la migration ainsi que les politiques migratoires peuvent renforcer le conflit de loyauté. Lorsque des membres de la famille exercent des pressions sur leurs proches pour qu’ils se marient avec une personne de la même origine ethnique/nationale/religieuse/linguistique ou pour qu’ils renoncent à fréquenter une personne d’une autre origine perçue négativement, il s’agit d’un conflit de générations, qui provient de la différence dans les biographies migratoires des deux générations. Les parents espèrent protéger les jeunes en les gardant au sein de la communauté ethnique/nationale/ linguistique ou religieuse, ce qui, à leurs yeux est une garantie pour un mariage durable. Les enfants ayant grandi ici, dont les biographies se distinguent fortement de celles de leurs parents, ont d’autres conceptions des relations amoureuses et du choix du conjoint. Pourtant, dans un contexte de plus en plus strict – au niveau des lois, mais aussi en regard de discours stigmatisants – envers les étrangers, leur loyauté est mise à rude épreuve. Les jeunes ont conscience que de chercher de l’aide auprès des institutions ou des autorités suisses peut avoir des conséquences négatives sur le statut de séjour de leurs proches (p. ex. dans le cas où un membre de la famille devrait quitter la Suisse ou ne pourrait pas être naturalisé). Pour les cas du type A, on voit que des personnes sont mises sous pression 99 pour se marier afin d’obtenir un permis pour leur futur(e) conjoint(e). C’est une question de loyauté, aussi bien pour les personnes concernées que pour les parents, de venir en aide – grâce à un mariage qui permet l’obtention d’un permis de séjour – aux amis, aux connaissances ou à la famille restés dans le pays et vivant dans des conditions économiques ou politiques difficiles. Finalement, dans les cas de type C, pour les victimes venues en Suisse par regroupement familial, la dépendance envers le/la conjoint(e) en terme de droit de séjour en Suisse (car le divorce peut signifier la perte du permis) représente un facteur supplémentaire éprouvant la loyauté de la personne concernée. Le conflit de loyauté est, selon notre étude, particulièrement violent pour les jeunes et plus présent parmi les personnes concernées par les cas de type A et B. Bien que l’ambiguïté existe aussi chez des personnes mariées plus âgées, concernées par les situations de type C, le conflit se présente toutefois de manière encore plus forte chez les jeunes, car la rupture avec la famille est souvent terriblement difficile à envisager. La dépendance affective, mais aussi économique des jeunes personnes, a fortiori des mineur(e)s, est spécialement vive puisqu’ils habitent souvent encore chez leurs parents et n’ont pas fini leur formation. A contrario, notre étude montre que ce conflit de loyauté peut se trouver amoindri lorsque le problème de la dépendance économique est réglé. La dépendance des victimes envers les auteur(e)s de violence rend souvent l’hébergement de ces personnes nécessaires pour 100 les protéger dans les cas où le conflit a une dimension violente qui implique un danger immédiat. Or, l’étude a montré que l’offre d’hébergement pour les victimes n’est pas suffisante ou pas adaptée à ces situations. En particulier, des solutions d’hébergement et/ou de suivi psycho-social à long terme, qui font défaut pour le moment, seraient nécessaires. En effet, dans les cas où des jeunes quittent leurs familles, ils doivent se réorienter, ce qui est un processus de longue durée, dans lequel ils doivent être accompagnés. Recommandations R 3 a : Prise en compte du conflit de loyauté lors de toute prise en charge Le conflit de loyauté doit être considéré comme une thématique commune à toutes les situations de contraintes et de violences en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce et d’autres violences domestiques. Cette thématique doit être discutée et réfléchie en particulier par les professionnel(le)s en charge des victimes. La possibilité d’un conflit de loyauté est à prendre en compte lors de chaque prise en charge, que le conflit soit encore d’intensité basse ou qu’une violence accrue soit présente. Le contexte migratoire ainsi que l’âge des personnes concernées sont également à prendre en compte lors de la recherche de solutions. R 3 b : Renforcer l’autonomie économique des personnes touchées L’autonomie économique des personnes est un facteur permettant de minimiser fortement la dépendance des personnes envers leur famille et, en conséquence, le conflit de loyauté. Il s’agit donc de soutenir les personnes concernées dans des projets de formation ou dans la recherche d’un emploi. R 3 c : Offre d’hébergement étendue et suivi à long terme pour assurer l’autonomie des personnes touchées Étant donné qu’il s’agit de personnes qui doivent souvent quitter leur logement familial lorsqu’elles veulent s’éloigner des auteur(e)s de violence, l’offre d’hébergement doit être étendue. Il serait également pertinent de renforcer toutes les mesures qui permettent une prise en charge à long terme des victimes. Nous pensons ici à des solutions d’hébergement à long terme qui font défaut pour le moment mais aussi à un suivi psychosocial qui permette d’assurer l’autonomie des personnes touchées. 4. Les personnes touchées et leur prise en charge 4.1. Situations de types A, B et C : enjeux différents Enjeux et défis principaux Il existe des différences importantes de profil sociodémographique entre les personnes concernées par les trois différents types de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Les résultats nous permettent également de constater que les situations qui aboutissent à ces contraintes sont elles aussi extrêmement diverses et complexes, car de nombreux éléments s’y trouvent imbriqués. La méthodologie choisie a permis de montrer que les cas concernant les personnes subissant des pressions pour rester mariées (type C) sont de loin les plus nombreux puisqu’ils forment près de la moitié des cas, alors que les cas de types A et B représentent chacun environ un quart des personnes concernées. Le profil socioéconomiques des personnes concernées par le type A (qui sont sous pression pour se marier) pourrait être décrit de manière « idéal-typique » de façon suivante : il s’agit principalement de jeunes femmes entre 18 et 25 ans, à 81% des étrangères mais dont plus d’un tiers est né en Suisse et dont la majorité dispose d’un permis C. Les personnes concernées sont majoritairement originaires des Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka. Ces personnes sont en grande partie bien intégrées au marché du travail ou au système éducatif suisse. 101 Concernant les personnes qu’on empêche de vivre une relation amoureuses de leur choix (type B), le profil se présente de manière suivante : ce sont également des jeunes femmes en majorité, ayant entre 18 et 25 ans, à 69% étrangères, dont la moitié sont nées en Suisse et dont plus de la moitié disposent d’un permis C. Il s’agit également en majorité de personnes originaires des Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka, mais on y trouve aussi des naturalisé(e)s et des Suisses de naissance. Comme pour le type A, ces personnes sont majoritairement bien intégrées dans le marché de travail ou suivent une formation. La catégorie de personnes concernées par le type C semble à la fois différente des deux autres types mais aussi plus diversifiée en son sein. Ce sont également en majorité des femmes qui sont concernées par l’impossibilité de divorcer, elles sont plus âgées (au-dessus de 25 ans en majorité), majoritairement nées à l’étranger et ne disposent pas de la nationalité suisse (80%). Plus de la moitié de ces personnes ont un permis B ou N/F et leur situation en termes de statut de séjour est donc plus précaire. Elles viennent principalement des Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka, mais également d’Amérique du Sud et d’autres pays. Ces femmes ne sont que partiellement intégrées au marché du travail, moins bien formées que les types A et B, et la moitié se trouve dans une situation de dépendance économique. De plus, ce type présente les plus hauts taux de violences physiques et sexuelles, et plus de la moitié de ces personnes prennent contact avec une institution lorsque le conflit a déjà atteint un stade violent (alors que ce taux est de 43% pour le type A et 34% pour le type B). 102 Cette différence entre les types A, B et C est très importante en termes de mesures. Tandis que les personnes confrontées à des problématiques liées au type A et B sont intégrées dans le marché du travail ou dans le système éducatif et peuvent, en conséquence, être atteintes en passant par les structures ordinaires comme les écoles ou les lieux de travail, les femmes forcées à rester mariées semblent plus difficiles à atteindre, car elles sont plus isolées. Le type C est de plus celui pour lequel les questions de permis et l’influence du contexte migratoire sont les plus prégnantes, et celui qui fait le mieux ressortir la responsabilité des lois et des institutions suisses dans le règlement de ce problème. Ici, les contraintes liées aux dispositifs légaux et administratifs se mêlent de manière inextricable aux violences provenant du cercle familial – une forme de violence pouvant tour à tour être la cause, le résultat ou s’ajouter de manière parallèle à l’autre et inversement. Les personnes du type C sont souvent prises en charge par les réseaux et institutions actives dans le domaine de la violence domestique. Pourtant, l’étude a montré que ces structures se sentent parfois démunies pour agir lorsque les problèmes de droit de séjour viennent compliquer les situations, comme c’est le cas lorsque les femmes victimes de violence domestique sont en danger de perdre leur permis de séjour si elles divorcent d’un conjoint violent quand le mariage n’a pas duré trois ans. Recommandations R 4.1 a : Inclusion du type C dans les efforts de lutte Pour lutter efficacement contre ce phénomène, il est indispensable d’inclure les personnes touchées par les cas C. Jusqu’à présent, les débats et les mesures proposées contre les « mariages forcés » – projet de loi, projets pilotes – se sont concentrées surtout sur les cas A et B. Des efforts particuliers pour atteindre ces publics-cibles touchés par des situations de type C sont nécessaires, en particulier au niveau de la prévention pour que ces personnes consultent à un stade plus précoce du conflit. R 4.1. b : Prévention pour les types A et B à travers les structures de formation et d’apprentissage Une sensibilisation pour les cas A et B peut se faire à travers les écoles, les places d’apprentissage ou d’autres institutions en lien avec la formation. Pour le type C, la situation est plus complexe et demande des mesures spécifiques. R 4.1. c : Mesures spécifiques pour les personnes touchées par les situations de type C • Comme les personnes concernées par le type C sont en moyenne plus âgées que celles des deux autres catégories, on ne peut pas envisager des projets de prévention uniquement pour les jeunes – comme c’est souvent le cas actuellement dans les projets pilotes – car ils ont des grandes chances de passer totalement à côté de ce public-cible. • Il est essentiel de mettre en place des offres de conseil, de soutien et de prise en charge à bas seuil, i.e. gratuites, accessibles pour des personnes qui travaillent la journée ou doivent s’occuper d’enfants et peu bureaucratiques. • Par ailleurs, on pourrait envisager la mise en place de programmes spécifiques d’informations pour les personnes qui arrivent en Suisse par mariage, afin de les informer et de les sensibiliser dès le début de leur séjour. Ces programmes de sensibilisation doivent être conçus dans l’approche que nous avons définie, c’est-à-dire, entre autres inclure des informations sur les droits de ces personnes par rapport à leur permis de séjour en cas de divorce et sur les offres de soutien pour les victimes de violence domestique. • Une réflexion devrait être menée au niveau politique sur le lien entre violence domestique et permis de séjour au niveau des lois et de leur application (en particulier l’art. 50 de la LEtr) pour éviter que des femmes victimes de violences domestiques restent auprès de conjoints violents par peur d’être renvoyées dans leur pays. Des formations continues devraient être mises en place en vue de sensibiliser les fonctionnaires chargé(e)s de traiter les dossiers des victimes de violence domestique dont le droit de séjour est compromis par leur divorce. 103 4.2. Publics-cibles demandant des mesures spécifiques Au vu des lacunes décrites dans cette étude, trois groupes de personnes peuvent être définis pour lesquels il semble nécessaire de mettre en place des mesures spécifiques. Il s’agit des mineur(e)s, des hommes et des auteur(e)s de violence et de contrainte. 4.2.1. Mineur(e)s Enjeux et défis principaux Les chiffres de l’enquête révèlent une forte présence de mineur(e)s, presqu’un tiers, parmi les personnes concernées par les situations de type A et B. Nous nous trouvons là face à un enjeu important en termes de mesures, car il s’agit d’une catégorie de personnes vulnérables qui nécessite des efforts particuliers de protection. Les résultats montrent que la prise en charge des mineur(e)s présente des difficultés particulières qui résident surtout dans la dépendance forte envers leur famille, ce qui les place – comme mentionné précédemment – dans un fort conflit de loyauté lorsqu’il s’agit de prendre des mesures à l’encontre des auteur(e)s de la contrainte. Cette dépendance est renforcée par le fait que les mineur(e)s habitent en général encore chez leurs parents et n’ont pas encore fini une formation qui leur permettrait d’être indépendant(e)s économiquement. Certaines questions liées à la problématique des contraintes dans le cadre du mariage visant particulièrement les mineur(e)s ont été reconnues et sont inclues dans le projet de loi sur les « mariages forcés ». Néanmoins, la question dépasse largement la norme juridique qui interdit un mariage impliquant des mineurs. Dans le cas de personnes mises sous pression pour renoncer à une relation amoureuse (type B) par exemple, il n’est pas Recommandations R 4.2 a : Développement de l’offre d’hébergement pour les mineur(e)s R 4.2 b : Prévention à travers l’école obligatoire Une des mesures les plus urgentes à prendre par rapport à ce public-cible est le développement de l’offre d’hébergement pour les mineur(e)s, particulièrement en Suisse romande. Il est également nécessaire de prendre en compte les difficultés particulières liées au jeune âge dans le traitement de ces cas, et d’entreprendre notamment un travail sur le conflit de loyauté chez les adolescent(e)s. Contrairement à ce que pourrait faire penser l’idée du mariage, des jeunes en dessous de 18 ans sont bel et bien concernés. Il vaudrait ainsi la peine de réfléchir au rôle à jouer pour les écoles obligatoires concernant les efforts de sensibilisation de cette population – toujours dans une optique de prévention primaire en termes d’égalité de genre, de droits humains et de violence domestique. 104 (encore) question de mariage. Des pressions très fortes peuvent toutefois exister qui nécessitent la prise en charge de ces jeunes. Une difficulté actuelle mise en lumière par l’étude réside dans l’absence de mesures adéquates pour l’hébergement des mineur(e)s. 4.2.2. Hommes Enjeux et défis principaux Les résultats présentent un faible taux d’hommes concernés par des situations de contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce (entre 7 et 13% selon le type). Toutefois, on peut partir du principe que les hommes éprouvent plus de difficulté à demander de l’aide, car dans les représentations publiques, il s’agit d’un problème dont les femmes sont présentées en tant que victimes. Par ailleurs, notre étude a montré l’absence d’offre adéquate en termes de conseils et d’hébergement pour les hommes victimes de ces situations. Enfin, il manque une stratégie claire pour un travail avec les hommes en tant qu’auteurs de violence et de contrainte, ce qui est particulièrement problématique du point de vue d’une prévention primaire. Recommandations Recommandations R 4.2 c : Inclure les hommes dans les mesures en tant que victimes mais aussi en tant qu’auteurs Il est important de prendre conscience que les hommes peuvent aussi être concernés par ces situations – en tant que victimes ou auteurs. L’adoption d’une stratégie d’égalité de genre par rapport à la problématique des contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce permet de saisir la complexité des rapports de domination et de dépendance au sein du couple et de la famille élargie et permet de sensibiliser les deux sexes à ces questions. Ainsi, des efforts particuliers pour sensibiliser les hommes sont nécessaires sur deux plans : d’une part, il s’agit – comme mentionné – de renforcer les politiques et mesures en termes d’égalité de genre en général. De cette façon, on peut sensibiliser les hommes à ce qu’ils ont à gagner en admettant des rapports de sexe plus égalitaires. Et d’autre part, il faut des mesures spécifiques de sensibilisation pour les hommes potentiellement touchés par ces situations afin de surmonter les obstacles qui les empêchent de demander de l’aide aux institutions. Les professionnel(le)s devraient aussi être sensibilisé(e)s et préparé(e)s à rencontrer des hommes qui pourraient être dans cette situation. Finalement, sur le plan opérationnel, il faut urgemment mettre en place une offre d’hébergement pour les hommes concernés par ces situations. Par ailleurs, des lieux d’hébergement où les couples pourraient résider ensemble, dans les cas de type B, devraient être envisagés. 105 4.2.3. Auteur(e)s de contraintes Enjeux et défis principaux Le travail avec les auteur(e)s de pressions peut prendre deux formes, la prise en charge des auteur(e)s de violence en tant que tels et les efforts de médiation entre les victimes et les auteur(e)s de violence. L’étude a montré que l’offre pour prendre en charge ou travailler avec les auteur(e)s de violence n’est pas suffisante. Les professionnel(le)s travaillant avec les victimes ont exprimé le besoin de savoir qu’un travail est aussi effectué avec les auteur(e)s. Pour l’instant, cette question est surtout considérée sous l’angle du renvoi des auteur(e)s. Or, nous avons mis en évidence le caractère collectif de cette forme de violence, qui remet en question l’efficacité du renvoi de l’auteur, car celui-ci est rarement seul à exercer la contrainte. Par ailleurs, le lien familial entre la personne concernée et les auteur(e) s – tout comme le conflit de loyauté qui y est lié – rendent plus complexe la décision de la personne concernée de parler de sa situation à un(e) professionnel(le). Ces liens rendent également, pour la personne concernée, plus difficile la prise de mesures si cela s’accompagne de la perspective du renvoi d’un membre de la famille, par exemple le père, qui peut de plus compromettre le séjour du reste de la famille. Notre étude a montré que dans certaines situations, un travail avec l’entourage familial et la victime pouvait porter des fruits. Un des aspects les plus délicats lors de ce genre d’intervention est la recherche d’un équilibre entre la tentative de calmer la situation au sein de la famille en 106 rendant possible une communication à travers une médiation de conflit et assurer la sécurité de la personne mise sous pression. Une médiation de conflit (qui n’est pas ici à comprendre comme une médiation « interculturelle ») peut être une pratique efficace lorsqu’elle remplit certaines conditions (pas de danger immédiat pour la victime, médiation conduite par une personne formée en médiation de conflit, médiateur[trice] accepté[e] également par les auteur(e)s de la pression, etc.). L’avantage de ce type de mesures est d’éviter la rupture avec les familles, qui sont à la fois l’origine des contraintes mais paradoxalement aussi – le cas échéant – une source importante de soutien affectif et économique pour les personnes concernées. Recommandations R 4.2 d : Développer des mesures pour un travail avec les auteur(e)s de violence ou de contrainte Un travail avec les auteur(e)s de violence et de contrainte semble opportun, d’autant plus que c’est une question qui a été introduite depuis un moment dans le domaine de la violence domestique – même si un tel travail pourrait se compliquer par le fait qu’on a parfois à faire à plusieurs auteur(e)s. Ainsi, considérer les auteur(e)s de violence uniquement comme des individus devant être renvoyés dans leur pays ne contribue pas à une solution. Dans ce sens, une offre à bas seuil de prise en charge des auteur(e)s de violence, accessible pour des personnes sans ressources, devrait être développée dans toute la Suisse et institutionnalisée. R 4.2 e : Développer des instruments de médiation Une offre de médiation de conflits professionnelle doit être développée et institutionnalisée dans tous les cantons. Cependant, les médiations ne doivent être tentées que lorsque certaines conditions sont remplies (pas de danger immédiat pour la victime, médiation conduite par une personne formée en médiation de conflit, personne acceptée par toutes les parties participant au conflit (donc également les auteur(e)s de la pression, etc.). La recherche de solution par la médiation ne doit pas faire passer à l’arrière-plan la nécessité de mettre en place une offre de protection pour les cas où cela est nécessaire (cf. recommandations 3 c, 4.2 a et 4.2 c). 107 5. Compétences des institutions Enjeux et défis principaux L’étude a mis en évidence qu’un large éventail d’institutions sont confrontées à la thématique et qu’elles ont à faire à une clientèle se trouvant dans des situations de contraintes extrêmement diverses. Cela soulève la question des compétences des institutions – et des professionnel(le)s y travaillant – à agir adéquatement lors qu’ils sont confrontés à ces cas. En effet, il s’agit parfois d’institutions qui n’ont pas pour mandat de traiter ces cas ou pour lesquelles ce genre de travail ne se trouve pas au centre de leurs missions, prestations ou compétences. C’est notamment le cas pour les associations, ONG et les fondations actives dans le domaine des migrations, mais également pour les écoles professionnelles. Même si toutes ces institutions ne sont pas censées s’engager dans la prise en charge directe des victimes, le simple fait de les conseiller et les orienter correctement demande déjà des compétences qui ne sont pas forcément présentes actuellement. Les difficultés rencontrées par certaines institutions se reflètent dans le fait que la moitié des professionnel(le)s ayant répondu au questionnaire se considèrent plus ou moins démuni(e)s face à ces situations. Recommandation R 5 : Trois stratégies pour augmenter les compétences des institutions/ professionnel(le)s Pour faire face au désarroi des professionnel(le)s et au fait que des personnes touchées par ce phénomène s’adressent à des institutions qui parfois n’ont ni le mandat ni les compétences pour traiter la thématique de façon adéquate, trois stratégies possibles se dégagent : • Un travail de sensibilisation des professionnel(le)s étant touchés par ce sujet pour les thématiques d’égalité de genre et de violence domestique ainsi qu’un « gender mainstreaming » plus général dans les institutions (cf. recommandation 1). • En même temps, il faut sensibiliser ces professionnel(le)s à la diversité de la population vivant actuellement en Suisse, notamment en leur transmettant des connaissances par rapport aux enjeux de la migration (concrètement du permis de séjour et des aspects transnationaux, du danger d’une ethnicisation du sexisme, de l’inutilité d’une notion essentialiste de « culture », etc.). • Le renforcement du travail en réseau entre les institutions et la clarification des processus de coopération (cf. re commandation 2). 108 6. Dimension transnationale Enjeux et défis principaux Une transnationalisation des réalités sociales est aujourd’hui un fait – il n’est donc guère étonnant que des aspects transnationaux interviennent de façon importante dans la thématique dont il est question ici. En effet, dans la majorité des cas du type A (77%) et dans 45% des cas de type C, il s’agit de (potentiels, futurs) mariages transnationaux. Cela s’explique en partie par le fait que dans un monde globalisé caractérisé par des inégalités sociales et économiques, auxquelles s’ajoutent des politiques d’admission de plus en plus restrictives, un mariage transnational peut être une stratégie de migration et de mobilité sociale. Même dans les relations entre deux personnes se trouvant en Suisse, une dimension transnationale est souvent présente sous la forme de réseaux transnationaux de solidarité qui lient les familles à des parents restés à l’étranger par toutes sortes d’obligations. Tandis que la vie s’organise de plus en plus dans des espaces qui transcendent les cadres nationaux, la mise en place de politique de lutte reste encore prisonnière d’une pensée qui prend l’État-nation comme référence qu’elle considère comme « container social, économique et culturel ». La dimension transnationale amène avec elle des défis particuliers qui apparaissent, selon l’étude, surtout dans deux types de situations. Premièrement, une personne suisse – ou disposant d’un permis de séjour ou d’établissement en Suisse – peut se trouver dans une situation de contrainte à l’étranger, où elle est mise sous pression pour se marier ou est retenue suite 109 à un mariage non consenti. Il est compliqué dans ces cas de prendre des mesures de protection, car elles doivent se déployer dans un espace transnational, ce qui implique des questions complexes de souveraineté nationale et de droit. La dimension transnationale peut deuxièmement engendrer des difficultés particulières pour les couples dont un des conjoints est arrivé en Suisse par mariage. Ces situations génèrent souvent des asymétries au sein de ces couples qui complexifient les rapports de pouvoir et peuvent influencer de diverses manières la présence de contraintes et de violences de différentes sortes. Recommandations R 6 a : Prise en compte de la dimension transnationale par les professionnel(le)s R 6 b : Réflexion sur des formes d’aide dépassant les frontières nationales Face à cette transnationalisation des pratiques matrimoniales et aux défis particuliers qu’elle engendre, il est important que la dimension transnationale de ces problématiques soit systématiquement prise en compte par les professionnel(le)s qui rencontrent les personnes concernées en Suisse. En effet, une grande partie de ces situations ne peuvent pas être comprises ni donc traitées convenablement si l’aspect des réseaux transnationaux de solidarité est mis de côté. Notamment, les dynamiques particulières aux couples transnationaux (dont un des conjoints est arrivé en Suisse par mariage) et leurs influences complexes sur les rapports de pouvoir au sein du couple doivent être considérées dans la recherche de solutions adaptées pour accompagner la personne mise sous pression. Une réflexion doit être menée sur la man ière dont la lutte contre les contraintes dans les relations amoureuses et le mariage pourrait être conçue dans un cadre dépassant le cadre national. Quels types de système d’aide allant au-delà des frontières nationales pourraient être envisagés et quels sont les acteurs avec qui il faudrait collaborer ? 110 R 6 c : Droit de retour vers la Suisse La situation particulière des personnes disposant d’un droit de séjour en Suisse qui se trouvent empêchées de rentrer dans ce pays, car elles sont mises dans une situation de contrainte à l’étranger en lien avec un projet de mariage ou un mariage réalisé, nécessite des réflexions plus approfondies en vue d’un changement de législation. On pourrait envisager qu’un droit de retour pour des personnes établies auparavant en Suisse et contraintes de se marier à l’étranger soit garanti, même si la validité de leur permis de séjour serait échue entre temps, car elles seraient restées trop longtemps à l’étranger. 7. Recherches supplémentaires Cette recherche constitue un premier pas pour établir un savoir fondé sur le phénomène des contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce pour l’ensemble de la Suisse. Toutefois, nous avons évoqué les limites qu’elle comporte dans le rapport. Il existe toujours des lacunes importantes empêchant une compréhension complète du phénomène, qu’il serait souhaitable de combler au moyen de recherches supplémentaires. Recommandation R 7 : Recherches supplémentaires Le changement de perspective que nous proposons, c’est-à-dire une approche genrée et l’inclusion du sujet dans la thématique plus large de la violence domestique, ouvre de nouvelles pistes de recherche ainsi que de nouvelles possibilités pour saisir le phénomène statistiquement. En effet, nous avons discuté de nombreux problèmes qui surgissent lorsqu’il s’agit de chiffrer les « mariages forcés ». Cependant, un monitoring et des données chiffrées fiables sont indispensables pour la mise en œuvre de mesures adéquates, c’est pourquoi il nous semble important de mener des réflexions plus poussées sur cette question. Une étude de faisabilité, qui clarifierait de quelle façon saisir des données sur ces formes de violences dans les bases de données existantes et les inclure dans les enquêtes menées dans ce domaine de violence (domestique), semble nécessaire. Même si notre étude n’a pas établi l’homosexualité comme un élément important dans ce domaine, d’autres recherches ont mis en évidence que des contraintes en vue du mariage sont parfois exercées sur les personnes homosexuelles. Il manque dans le contexte suisse une étude qui pourrait approfondir cette question par une approche remettant en question l’hétéronormativité du discours entourant ces violences. Il manque par ailleurs à l’heure actuelle des recherches de type qualitatif-interprétatif qui pourraient saisir le vécu, les perspectives, les interprétations, les ressources et les stratégies des personnes concernées, mais également des auteur(e)s de contraintes, afin de comprendre les dynamiques intrafamiliales de ces conflits. De telles recherches pourraient faire ressortir les aspects transnationaux des réseaux de solidarité et mettre en lumière les constructions de la masculinité et de la féminité ainsi que les systèmes de dominations multiples (genre, âge, ethnicité, etc.) qui sont en jeu. On constate également un manque de recherches juridiques et sociologiques réfléchissant à la dimension transnationale et à son traitement dans les lois et les politiques. Comme nous l’avons évoqué dans les recommandations 6 a et 6 b, les mesures mises en place doivent prendre en compte la dimension transnationale de ces situations. Or, pour le moment, la majorité des études existantes – qui sont commandées par des gouvernements en vue de mettre en place des politiques dans ce domaine – sont envisagées dans un cadre national étroit qui ne permet pas d’étudier ces dynamiques trans nationales dans toute leur complexité. 111 Liste des figures Figure 1 : Démarche méthodologique 24 Figure 2 : Nombre de réponses au questionnaire par type d’institution 28 Figure 3 : Estimation du nombre de cas en Suisse (2009/2010) 35 Figure 4 : Proportions des différents types de cas 39 Figure 5 : Sexe des personnes concernées 40 Figure 6 : Âge des personnes concernées 43 Figure 7 : Nationalité(s) des personnes concernées 45 Figure 8 : Lieu de naissance des personnes concernées 46 Figure 9 : Statut de séjour des personnes concernées (si étrangères) 46 Figure 10 : Niveau de formation des personnes concernées 51 Figure 11 : Gravité du conflit au moment où la personne a pris contact avec l’institution 53 Figure 12 : Types de pressions et violences exercées au moment de la prise de contact avec l’institution 54 Figure 13 : Raisons à l’origine de la contrainte (type A) 59 Figure 14 : Raisons à l’origine de la contrainte (type B) 60 Figure 15 : Raisons à l’origine de la contrainte (type C) 61 Figure 16 : Relation locale ou transnationale ? 62 Figure 17 : Évolution des cas 64 Figure 18 : Nombre de réponses au questionnaire par canton 70 Figure 19 : Nombre de cas par degré de gravité et par type d’institution 74 Figure 20 : Nombre de cas par degré de gravité et par type d’institution (suite) 75 Figure 21 : Autoévaluation de la capacité d’action des institutions 77 Figure 22 : Mesures visant les personnes subissant des pressions 79 Figure 23 : Mesures visant les personnes subissant des pressions et 112 leur entourage 79 Liste des tableaux Tableau 1 : Expert(e)s et focus groups 30 Tableau 2 : Nationalité(s) de la personne concernée 49 Tableau 3 : Sous-/surreprésentation des nationalités 50 Tableau 4 : Situation professionnelle des personnes concernées 52 Tableau 5 : Personnes exerçant les pressions 55 Tableau 6 : Estimation du nombre de cas par type d’institution (borne inférieure) 72 113 Bibliographie Abelmann, Nancy et Hyunhee Kim (2004). «A Failed Attempt at Transnational Marriage: Maternal Citizenship in a Globalizing South Korea», dans Constable, Nicole (éd.), Cross-Border Marriage: Gender and Mobility in Transnational Asia. 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