Mariages forcés » en Suisse

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Mariages forcés » en Suisse
« Mariages forcés » en Suisse :
causes, formes et ampleur
Anna Neubauer et Janine Dahinden
en collaboration avec Pauline Breguet et Eric Crettaz
Édition
Éditeur :
Office fédéral des migrations (ODM)
Quellenweg 6, CH-3003 Bern-Wabern
www.bfm.admin.ch
Cette étude a été réalisée par l’Université de Neuchâtel,
Chaire d’études transnationales, sur mandat de l’Office fédéral
des migrations (ODM).
Auteur(e)s : Anna Neubauer et Janine Dahinden
en collaboration avec Pauline Breguet et Eric Crettaz
Responsable du projet : Janine Dahinden
Graphisme :
BlackYard GmbH
Distribution :
OFCL, Diffusion des publications fédérales, CH-3003 Berne
www.publicationsfederales.admin.ch
Numéro de commande : 420.045.f
Photos :
Keystone : couverture, pages 8, 48
Philipp Eyer et Stephan Hermann : pages 13, 26, 32, 42, 69, 88, 92, 107
Laurent Burst : page 18
Michael Sieber : pages 80, 85, 109
2
Contenu
Introduction
Partie I : Situation initiale et conception de l’étude 1 Situation initiale : les « mariages forcés » comme nouveau champ d’action en Suisse
1.1 Projet de loi
1.2 Mesures dans d’autres domaines
2 Mandat et objectifs de l’étude
3 Questions de recherche
4 Définition de l’objet de l’étude : penser la notion de « mariage forcé »
du point de vue des sciences sociales
4.1 Complexité du phénomène et enjeux sous-jacents
4.1.1 Les « mariages forcés », une notion couvrant des situations diverses de
contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce
4.1.2 Mariages arrangés et « mariages forcés »
4.1.3 Les « mariages forcés » comme spirale de violence et conflit de générations
4.1.4 Mariages transnationaux
4.1.5 Sortir d’une logique d’« ethnicisation du sexisme »
4.2 Définition de travail du « mariage forcé »
5 Démarche méthodologique
5.1 Enquête on-line
5.2 Entretiens d’expert(e)s et focus groups
Partie II : Résultats
6 Description et analyse des situations de contraintes en lien
avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce
6.1 Ampleur du phénomène
6.1.1 Estimation du nombre de cas rencontrés par les institutions ayant participé à l’enquête
6.1.2 Comparaison avec d’autres estimations existantes
6.1.3 Proportion des types de cas
6.2 Profil socioprofessionnel des personnes concernées
6.2.1 Sexe et âge
6.2.2 Nationalité, lieu de naissance et statut de séjour
6.2.3 Formation et situation professionnelle
6.3 Types de contraintes et violences
6.3.1 Violence exercée au sein du cercle familial
6.3.2 Raisons à l’origine de la contrainte
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6.4 Lien avec l’étranger : aspects transnationaux
6.5 Évolution des cas
6.6 Résumé et conclusions intermédiaires
7 Problèmes et lacunes en termes de prévention, prise en charge et protection
7.1 La situation dans les différents cantons
7.2 Institutions confrontées à cette problématique
7.3 Institutions et professionnel(le)s : autoévaluation des capacités d’action
7.4 Modes d’intervention les plus répandus au sein des institutions et enjeux
7.4.1 Enjeux liés au conflit de loyauté
7.4.2 Travail en réseau des institutions : chaînes d’intervention et enjeux
7.4.3 Enjeux du travail avec l’entourage familial
7.4.4 Protection des victimes, interventions policières et pénales
7.4.5 Enjeux juridiques et légaux
7.5 Résumé
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Partie III : Recommandations
1 Question stratégique : doit-on considérer les « mariages forcés » comme spécifiques
au domaine des migrations ou les aborder sous l’angle de l’égalité entre femmes et
hommes, comme une forme de violence domestique ?
2 Travail en réseau : améliorer les chaînes d’intervention entre et au sein des institutions 3 Conflit de loyauté et dépendance des victimes envers les auteur(e)s
4 Les personnes touchées et leur prise en charge
4.1 Situations de types A, B et C : enjeux différents
4.2 Publics-cibles demandant des mesures spécifiques
4.2.1 Mineur(e)s
4.2.2 Hommes
4.2.3 Auteur(e)s de contraintes
5 Compétences des institutions 6 Dimension transnationale
7 Recherches supplémentaires
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Liste des figures
Liste des tableaux
Bibliographie
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Introduction
Les « mariages forcés »1 font partie de ces sujets nourrissant des débats
émotionnels qui apparaissent régulièrement sur le devant de la scène politique et médiatique. Dans les débats publics, les situations de contraintes en lien avec le mariage sont thématisées en tant que violences contre
les droits humains et elles sont souvent présentées comme étant des pratiques « traditionnelles », « culturelles » ou « religieuses » liées à certains
groupes d’immigré(e)s (Fulpius 2006 ; Naef 2009 ; Rivier et Tissot 2006).
Il ne fait aucun doute que les situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce produisent et reproduisent
des inégalités en termes de rapports de sexe – au sein des familles ou
entre hommes et femmes – et que ces situations sont étroitement liées à
diverses formes de violence. Pourtant, la question des « mariages forcés »
telle qu’elle est discutée aujourd’hui dans les médias et l’arène politique
soulève du point de vue des sciences sociales des questions auxquelles on
ne saurait répondre avec le savoir disponible à l’heure actuelle.
En effet, force est de constater que malgré l’actualité du thème et sa
visibilité dans les médias – en Suisse et en Europe – nous ne disposons
que de peu de connaissances empiriquement fondées. La thématique des « mariages forcés » a trouvé un écho discursif, médiatique et
politique avant même d’avoir été pensée avec des outils de réflexion
sociologique. Les rares études empiriques existantes montrent que sous
les termes génériques de « mariages forcés » se cache un éventail de
situations diverses de pressions et de contraintes en lien avec le mariage,
les relations amoureuses ou le divorce. Elles démontrent également que
cette forme de violence ne peut être expliquée ni par les « traditions »
ou la « culture », ni par l’« islam ». À l’inverse, les chercheurs ont mis en
évidence qu’à la source de ces situations se trouvent des processus politiques et sociaux complexes, et que le phénomène ne peut être compris
sans prendre en compte les divers rapports de pouvoir qui sous-tendent
ces situations (p. ex. Hamel 2011 ; Holzleithner et Strasser 2010 ; Riaño
et Dahinden 2010).
1
Dans la présente étude, nous ne l’utilisons que comme discours rapporté
d’autres acteurs et c’est pourquoi nous l’employons toujours entre guillemets.
5
Ainsi, même si plusieurs études sur le thème ont été mandatées ces dernières années en Suisse (ville de Zurich, canton de Vaud2) et en Europe
(p. ex. en Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne3), nous nous trouvons
actuellement face à d’importantes lacunes nous empêchant de comprendre le phénomène de façon globale. Pour le contexte suisse, l’ampleur
exacte du phénomène, ses causes et le profil des personnes touchées
restent largement méconnus. Un savoir fondé, indispensable à la mise
en place de mesures concrètes et adéquates pour la prise en charge de
personnes touchées, fait toujours défaut.
C’est dans ce contexte que la motion d’Andy Tschümperlin «Aider efficacement les victimes de mariages forcés» a été acceptée par les deux
Conseils, respectivement le 3.3.2010 (CN) et le 1.6.2010 (CE). Ainsi, le
Conseil fédéral a été chargé de prendre, après étude approfondie, des
mesures supplémentaires pour lutter contre les « mariages forcés »,
afin d’aider directement et efficacement les victimes. L’objectif de la
présente étude, qui a été mandatée par l’Office fédéral des migrations
(ODM) suite à cette motion, est d’apporter le savoir nécessaire à la mise
sur pied de mesures efficaces. Dans cette perspective, nous avons été
mandatées pour étudier l’ampleur et les formes des « mariages forcés »
en Suisse ainsi que pour identifier des lacunes en termes de mesures
dans les domaines de la prévention, l’orientation, la prise en charge et
la protection.
Ce rapport est structuré en trois parties. La première sera consacrée
au contexte de l’étude, aux objectifs et au mandat, aux questions de
recherche ainsi qu’à la méthodologie. Nous y retracerons brièvement
la manière dont les débats entourant ce sujet se sont développés en
Suisse en décrivant les mesures légales et juridiques ainsi que les projets
pilotes qui ont été mis en place ces dernières années en vue d’une lutte
contre les « mariages forcés » et de la prise en charge des victimes. Nous
présenterons également la définition de « mariage forcé » retenue pour
cette recherche et la manière dont celle-ci a déterminé la méthodologie
utilisée.
La deuxième partie du rapport rassemblera les résultats principaux de
l’étude. Nous commencerons avec la description et l’analyse détaillée
des situations de contraintes en lien avec le mariage, les relations
amoureuses ou le divorce. L’ampleur du phénomène, le profil des
6
personnes concernées ainsi que les types de contraintes et l’origine de
ces contraintes seront également analysés. Ensuite nous nous focaliserons sur le traitement de cette problématique en termes de prévention,
d’orientation, de prise en charge et de protection des victimes. Nous
mettrons en évidence le type d’institutions qui sont confrontées à cette
problématique. Ici, les enjeux et défis auxquels les professionnel(le)s sont
confronté(e)s seront analysés avec un accent particulier sur les lacunes
au sein des chaînes d’intervention.
Finalement, sur la base des deux premières parties, des recommandations concernant des mesures futures pour la prévention et la prise
en charge des victimes seront présentées dans la troisième et dernière
partie du rapport.
Nous aimerions remercier ici plusieurs personnes qui ont contribué à
la réalisation de cette étude. Un grand merci tout d’abord à Marianne
Hochuli et Regula Zürcher de l’Office fédéral des migrations (ODM) pour
leur soutien tout au long de cette étude. Nous remercions également
les membres du groupe d’accompagnement, Amina Benkais et Simone
Eggler (Terre des femmes), Thomas Mayer (Office fédéral de la justice), Franziska Scheidegger (ODM), Simone Prodolliet (Commission
fédérale pour les questions de migration, CFM) et Verena Wicki (Fabia
Luzern). Leurs commentaires et feedbacks constructifs ont grandement
contribué à améliorer ce texte. Finalement, nous aimerions également
exprimer notre reconnaissance à nos interlocuteurs, en commençant
par les personnes qui ont pris le soin de remplir notre questionnaire,
sans l’engagement desquels cette étude n’aurait pas été possible. Nous
aimerions également remercier les expert(e)s avec lesquel(le)s nous nous
sommes entretenu(e)s et qui ont partagé avec nous leur savoir et leur
expérience.
2 Riaño et Dahinden (2010), Lavanchy (2011).
3 Bundesministerium für Familien (2011), Zentrum für soziale Innovation (2007),
Hester et al. (2007), Chantler et al. (2009).
7
Partie I : Situation initiale et
conception de l’étude
8
1. Situation initiale : les « mariages
forcés » comme nouveau champ
d’action en Suisse
En Suisse, le débat sur les « mariages forcés »
existe depuis quelques années. Il est périodiquement relancé soit par des faits divers tragiques
rapportés par les médias soit par l’actualité
parlementaire, avec le dépôt d’une nouvelle
initiative ou motion à ce sujet (p. ex. la question
de Banga en 20044, l’intervention de ForsterVannini en 20055 et la motion importante de
Heberlein en 20066)7. C’est particulièrement
depuis 2007 que ce débat s’est intensifié, s’accompagnant de divers efforts pour venir en aide
aux personnes concernées.
de cette dernière, le Conseil fédéral a chargé, le
21.10.2009, le Département fédéral de justice
et police (DFJP) d’élaborer un message et un
projet de loi visant à renforcer la protection des
victimes de « mariages forcés » notamment sur
le plan pénal. Le 23.2.2011, le Conseil fédéral
a adopté ce message. Celui-ci propose des
modifications dans le Code civil, dans la loi
fédérale sur le droit international privé, dans la
loi sur le partenariat ainsi que dans la loi sur les
étrangers et la loi sur l’asile. Le projet prévoit
également la création d’une norme explicite
au sein du Code pénal contre les « mariages
forcés ».9
Dans les grandes lignes, le projet de loi prévoit
que les mariages conclus sous contrainte
soient à l’avenir poursuivis d’office et qu’une
norme pénale explicite permette de les réprimer. De plus, les mariages avec des personnes
mineures conclus entre ressortissants étrangers
Dans le contexte suisse, deux champs d’actions peuvent être distingués. D’une part, des
changements de lois ont été proposés dans une
tentative de renforcer la lutte contre ce phénomène par une action dans le domaine juridique. D’autre part, des mesures non législatives
concernant la prévention et la prise en charge
ont été mises en place. Afin de contextualiser le
mandat de cette étude et de soulever les lacunes dans l’approche actuelle du phénomène, il
est nécessaire de brièvement esquisser ce qui a
été entrepris jusqu’à présent.
6 www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.
1.1. Projet de loi
7 Pour les détails de l’historique des débats parlemen-
4 Cf. www.parlament.ch/ab/frameset/f/n/4707/123354/
f_n_4707_123354_124137.htm
5 Cf. www.parlament.ch/ab/frameset/f/s/4707/122615/
f_s_4707_122615_122623.htm
aspx?gesch_id=20063658
taires au niveau fédéral cf. www.ejpd.admin.ch/
En 2007, le Conseil fédéral a publié un rapport
intitulé «Répression des mariages forcés et des
mariages arrangés»8 (Conseil fédéral 2007).
Suite à ce rapport important, unique dans le
contexte suisse, et en exécution de la motion
Heberlein, le Conseil fédéral a mené une procédure de consultation. Prenant acte des résultats
content/ejpd/fr/home/themen/gesellschaft/ref_gesetzgebung/ref_zwangsheirat.html
8 Le rapport a été publié en exécution d’un postulat de
la Commission des institutions politiques du Conseil
national (05.3477 – Répression des mariages forcés et
des mariages arrangés).
9 Cf. www.admin.ch/ch/f/ff/2011/2089.pdf
9
ne seront plus tolérés sur le territoire suisse (les
mariages entre mineurs suisses étant déjà interdits). Les mariages avec des mineurs contractés
à l’étranger ne seront en principe plus admis
non plus. En outre, en cas de suspicion de
« mariage forcé » ou d’un mariage avec une
personne mineure, les autorités pourront à
l’avenir suspendre la procédure de regroupement familial du conjoint.
Deux nouvelles causes d’annulation absolue
seront par ailleurs ajoutées dans le Code civil,
qui auront pour effet qu’un mariage devra être
annulé s’il a été conclu en violation de la libre
volonté d’un des époux, ou si un des époux est
mineur.
Il est à noter que les actes suivants associés
à la contrainte dans le cadre d’un mariage –
menace, enlèvement, séquestration, violences
physiques, sexuelles ou psychiques – sont déjà
punissables dans le cadre de la disposition
pénale relative à la contrainte existante et que
les lois actuelles prévoient les moyens nécessaires pour punir ce type de contraintes (Riaño et
Dahinden 2010). Dans ce sens, le projet de loi
actuel a une visée plutôt symbolique.
1.2. Mesures dans d’autres domaines
Le débat sur les « mariages forcés » a été
lancé en Suisse par la publication, en 2006, du
rapport de l’étude mandatée par la Fondation Surgir, La prévalence du mariage forcé
en Suisse. Rapport de l’enquête exploratoire
(Rivier et Tissot 2006), première étude sur cette
problématique en Suisse. Suite à ce rapport,
Surgir a fait une campagne d’affichage dans
plusieurs villes de Suisse romande en 2008,
10
accompagnée par la mise en place d’une hotline qui a fonctionné jusqu’en 2010.
Deux ONG ont entamé des activités dans ce
domaine à la même période. Il s’agit notamment de zwangsheirat.ch. Cette association a
été active d’une part sur le plan de la prévention et de l’information avec la production d’un
film documentaire «Für mich war es Zwang
…» Zwangsheirat in der Schweiz – Interviews
mit Betroffenen, un colloque et une campagne
de cartes postales sur le thème en 2006, ainsi
qu’un rapport sur les mesures envisageables
pour lutter contre les « mariages contraints »
en Suisse en 2008. D’autre part, elle a mis en
place un service de conseils gratuit et anonyme
pour les victimes et offre un suivi des dossiers,
notamment au niveau juridique.
Depuis 2002, Terre des Femmes Schweiz, une
ONG basée à Berne, est également impliquée
dans la lutte contre les « mariages forcés ».
Leur travail se situe plus à un niveau stratégique
que dans la prise en charge de cas, notamment
avec du lobbying au niveau politique (prises de
position10). En 2006, elle a produit du matériel
pédagogique pour des discussions sur les « mariages forcés » dans les écoles11 qui a été suivi
par une campagne d’affichage en 2008 dans
les rues de Zurich.
Par ailleurs, deux études scientifiques ont été
mandatées sur cette problématique, l’une par la
Fachstelle für Gleichstellung de la ville de Zurich
et l’autre par la Commission cantonale de lutte
contre la violence domestique du canton de
Vaud (CCLVD), pour servir de base à la mise
en place de mesures. La première, qui porte
sur la région de Zurich, a donné lieu à deux
publications, un ouvrage scientifique (Riaño et
Dahinden 2010) et une brochure (Fachstelle
für Gleichstellung der Stadt Zurich 2010). La
deuxième examine la question des « mariages
forcés » dans le canton de Vaud (Lavanchy
2011).
Le rapport du Conseil fédéral publié en 2007
et particulièrement la motion Heberlein ont
demandé que des mesures dépassant le cadre
des modifications légales en cours, comme des
mesures de sensibilisation, conseils, protection
et services de contact soient également prises.
Pour combler une partie des lacunes existantes
et pour élaborer des bonnes pratiques, l’Office
fédéral des migrations a apporté, dès 2009,
son soutien à des projets pilotes destinés à
sensibiliser les migrant(e)s et à informer les
professionnel(le)s qui prennent en charge les
personnes concernées.
Dans ce cadre, quatre projets pilotes ont été
mis sur pied entre 2009 et 2011 en Suisse,
portés par les institutions suivantes : Ausländerdienst Baselland et GGG Ausländerberatung Basel ; Bildungsstelle Häusliche Gewalt
Luzern et Fachstelle für Gleichstellung Stadt
Zurich ; Service de la cohésion multiculturelle
de Neuchâtel; zwangsheirat.ch. Terre des
Femmes Suisse a été mandatée pour coordonner les quatre projets en mettant activement
en réseau les acteurs et en animant un site
internet12. Le projet du Service de la cohésion multiculturelle de Neuchâtel (COSM) se
caractérise par le fait qu’il coordonne quatre
sous-projets dans d’autres cantons romands.
En effet, le COSM est actif sur cette thématique depuis 2007 et a ainsi développés des
instruments et acquis une expérience qu’il se
propose de mettre à disposition des autres
cantons romands.
Ces projets pilotes ont mis en place diverses
activités dans le domaine de la prévention avec
pour objectif d’atteindre l’un des trois groupescibles suivants : les victimes, les familles et les
professionnel(le)s. Toute une série de produits
ont été élaborés et un éventail d’activités mis
en place. On peut signaler tout d’abord la
fabrication de flyers s’adressant à l’un ou l’autre
des trois publics-cibles, traduits jusqu’en dix
langues dans certains cantons. Conformément
au concept de projet pilote, dont le but est de
faire des émules aussi parmi les institutions et
cantons qui ne touchent pas directement de
financement dans ce cadre, des flyers concernant cette problématique existent maintenant
dans 13 cantons. Des formations continues
et des séances d’information ont été offertes
principalement pour les professionnel(le)s mais
également dans les associations de migrant(e)
s. Des affiches ont été réalisées dans plusieurs
cantons, ainsi qu’un spectacle de danse accompagné d’un dossier pédagogique. Ces projets
pilotes se sont aussi déployés dans le domaine
audiovisuel avec la fabrication d’un film et d’un
10 Une prise de position générale datant de juillet 2011
et une prise de position spécifique à propos du projet
de loi sur les mesures contre les « mariages forcés »
peuvent être téléchargées sur le site www.terre-desfemmes.ch
11 Il est prévu qu’une version entièrement retravaillée de
ce matériel pédagogique a été publiée en 2012.
12 www.gegen-zwangsheirat.ch ou www.mariagesforces.ch, page consultée le 24.1.2012.
11
CD. Dans tous les cas, ces projets ont donné
lieu à un important travail de mise en réseau et
de clarifications des fonctions et compétences
aux niveaux local, régional et national.
À la fin de l’année 2011, l’Office fédéral des
migrations a décidé de reconduire et soutenir
financièrement tous ces projets pilotes pour
deux années supplémentaires (2012/2013).
2. Mandat et objectifs de l’étude
Ce bref tour d’horizon montre que la Suisse a
commencé, ces dernières années, à prendre les
choses en main pour lutter contre les « mariages forcés ». De tels efforts sont compréhensibles, mais ils peuvent également étonner, car
ils ne sont pas ancrés dans des connaissances
empiriques fiables. En effet, les travaux sur le
projet de loi et l’appel d’offres pour les projets
pilotes de lutte contre les « mariages forcés »
ont été lancés avant que les résultats des
deux études mentionnées plus haut n’aient
été publiés. Ces études ont mis en évidence
quelques éléments qui contribuent sans doute
à mieux saisir ce phénomène, mais leur portée
géographique est limitée (Zurich, canton de
Vaud). En outre, de nombreuses dimensions de
cette forme de contrainte restent sous-étudiées.
Or, des mesures visant à lutter efficacement
contre un phénomène très complexe – comme
ces deux études l’ont montré – ne peuvent pas
être prises sans les bases nécessaires. S’il est indéniable que des victimes de « mariage forcé »
sont confrontées à des situations de violences
qui relèvent d’une violation grave des droits
humains et demandent donc une intervention
des pouvoirs publics, on ne peut s’empêcher
d’être critique face à cette précipitation à
12
agir. Le débat public actuel à ce sujet donne
l’impression que les « mariages forcés » sont
instrumentalisés par certains acteurs politiques
et médiatiques pour des intérêts qui ne sont
pas en premier lieu ceux des victimes.
Ainsi, on constate à ce jour d’importantes
lacunes qui empêchent de comprendre ce phénomène et ses différentes dimensions. On ne
dispose que de peu d’informations sur la nature
du caractère forcé du mariage et les formes de
violences impliquées. Le profil des victimes – en
termes d’âge, sexe, nationalité mais également
par rapport à leur formation ou insertion dans
le marché du travail ainsi que la distribution
géographique en Suisse – reste dans l’ombre.
De même, on en sait trop peu sur les mesures existantes – endehors des projets pilotes
soutenus par l’ODM – et sur les enjeux et défis
qu’implique un travail avec les victimes.
La motion d’Andy Tschümperlin, «Aider efficacement les victimes de mariages forcés,» qui
se trouve à l’origine de notre mandat, a été
motivée par ces lacunes13. Par l’acceptation de
cette motion, le Conseil fédéral a été chargé
de prendre, après une étude approfondie, des
mesures supplémentaires pour lutter contre
les « mariages forcés », qui doivent permettre
d’aider directement et efficacement les victimes.
Nous avons été mandatées pour mener une
étude devant combler, au moins partiellement,
ces lacunes. Il nous a été demandé d’une part
d’étudier les causes, les formes et l’ampleur des
« mariages forcés », ainsi que le profil des victimes. D’autre part, l’étude avait aussi pour tâche
d’indiquer où des mesures de lutte avaient
déjà été prises et quelle était leur portée. Enfin,
elle devait montrer par quelles mesures ciblées
supplémentaires la prévention et la protection
pourraient être renforcées et étendues.
Il est à noter que notre mandat se limite à analyser le phénomène d’un point de vue sociologique et à creuser les aspects ne relevant pas du
domaine légal et juridique, en se focalisant sur
les mesures qui visent à améliorer la situation et
la prise en charge des personnes touchées.
13 Cf. www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.
3. Questions de recherche
Le mandat consiste principalement en trois
grandes questions qui visent des aspects différents du phénomène : les formes de « mariages forcés » et l’ampleur du phénomène d’une
part et les mesures de prévention, prise en
charge et protection d’autre part ont été définies comme des domaines à étudier, afin de
pouvoir, sur cette base, formuler des recommandations pour des mesures supplémentaires. Ces dimensions ont été concrétisées dans
les questions de recherches suivantes :
aspx?gesch_id=20094229
13
Comment les formes de contraintes en lien
avec le mariage, les relations amoureuses
ou le divorce se manifestent-elles ?
a) Quels types de situations de contrainte
trouve-t-on en Suisse en lien avec le mariage,
les relations amoureuses ou le divorce ?
b)Quelle est l’ampleur du phénomène ?
c) Quel est le profil des personnes concernées
(âge, sexe, nationalité, situation socio économique, formation, etc.) ?
d)Ces situations de contrainte émergent-elles
plutôt avant ou après le mariage ?
e) A quels types de violences et de contrainte
les personnes concernées sont-elles confron tées ?
f) Quelles sont les situations et les acteurs à
l’origine de la contrainte ?
g)Quelle est la proportion de mariages transna tionaux parmi ces situations ? Les situations
de contraintes dans ce type de mariage se
distinguent-elles de celles prenant place au
sein de mariages entre deux personnes habi tant en Suisse ?
h)Dans quelle mesure s’agit-il d’un phénomène
genré?
Quelles lacunes peuvent être identifiées en
termes de mesures de prévention, de prise
en charge et de protection?
i) Quelles sont les mesures existantes en Suisse
pour soutenir les personnes concernées ?
j) Quelles sont les modes d’intervention les
plus répandus ?
k) Quels sont les enjeux les plus importants
pour un travail avec les personnes concer nées ?
14
Quelles sont les mesures à prendre pour
une prise en charge efficace des victimes ?
l) Quelles recommandations peut-on faire
pour une prise en charge efficace ?
4. Définition de l’objet de l’étude :
penser la notion de « mariage
forcé » du point de vue des sciences
sociales
Il nous faut ici préciser l’objet de recherche,
c’est-à-dire définir la notion de « mariage
forcé » de sorte qu’elle puisse être pensée
avec les outils des sciences sociales. En effet,
la notion de « mariage forcé » est problématique, car il s’agit d’une notion politique qui
simplifie à outrance les réalités sociales et tend
à cacher la complexité des enjeux sous-jacents.
Le défi principal auquel une étude sociologique
est confrontée est que la notion de « mariage
forcé » ne fait sens qu’à première vue. Selon
une définition commune (p. ex. Conseil fédéral
2007: 9/10), on parle de « mariage forcé »
lorsqu’un mariage est contracté sans la libre
volonté d’un des deux conjoints au moins. Les
pressions exercées sur la personne forcée à
se marier peuvent se manifester de manières
diverses, notamment sous forme de menaces,
de chantage affectif et d’autres actes humiliants
et peuvent être accompagnées de violence physique, sexuelle ou psychologique. En revanche,
on parle d’un mariage arrangé lorsque l’union
est certes initiée par des tiers, mais conclue
avec la libre volonté des deux conjoints. À la
différence du mariage arrangé où les conjoints
restent libres de contracter un mariage, le
« mariage forcé » porte gravement atteinte
au droit à l’autodétermination de la personne
concernée et constitue une violation des droits
humains (cf. chap. 16, al. 2 de la Charte des
droits humains) (Büchler 2007).
Cette définition commune de « mariage forcé »
pose problème et doit être soumise à réflexion
avant de pouvoir servir pour une étude sociologique. À cette fin, nous présentons un bref tour
d’horizon des points les plus importants qui
ressortent des études existantes sur le sujet afin
de pouvoir ensuite présenter notre définition
de travail.
4.1. Complexité du phénomène
et enjeux sous-jacents
Les recherches sociologiques et autres sources
concernant les « mariages forcés » montrent
qu’il s’agit d’un phénomène qui est extrêmement complexe avec de nombreux enjeux
sous-jacents. L’objectif n’est pas ici de donner
une vue d’ensemble du savoir sociologique
dont nous disposons sur ce sujet. Nous nous
concentrons dans le cadre de ce tour d’horizon
sur la discussion de cinq éléments principaux
ressortant de la littérature et qui sont pertinents
pour la définition de l’objet de l’étude.14
4.1.1. Les « mariages forcés », une notion couvrant des situations diverses de contraintes en
lien avec le mariage, les relations amoureuses
ou le divorce
fait défaut dans la définition commune exposée
ci-dessus. Les chercheur(e)s recommandent
notamment de distinguer entre les situations de
contraintes qui se manifestent avant la conclusion du mariage (Zwangsverheiratung) et celles
qui apparaissent après (Zwangsehe)15. Ces
deux cas de figure engendrent des problèmes
distincts et demandent des mesures différentes. Le premier concerne des situations qui se
caractérisent par le fait que des personnes a) se
trouvent sous pression pour conclure un mariage dont elles ne veulent pas ; ou b) qu’elles
n’ont pas le droit de maintenir une relation
amoureuse ou de se marier avec une personne
de leur choix. Le deuxième cas par contre
signifie qu’un mariage est maintenu contre la
volonté au moins d’un des conjoints – même
si ce mariage a peut-être été conclu volontairement. Dans ce cas, la famille, le conjoint ou
une autre personne empêchent une personne
de divorcer. Il est possible que dans certaines
situations les deux formes de contrainte (avant
et après le mariage) soient présentes, mais ce
n’est pas forcément le cas.
Sur la base de ces réflexions, on peut conclure
qu’une étude sociologique qui veut comprendre
le phénomène en prenant en compte tous les
14 D’autres éléments de recherches antérieures en
Plusieurs recherches (p. ex. Chantler et al.
2009 ; Meier 2010 ; Riaño et Dahinden 2010 ;
Süçtü 2009) ont mis en évidence que sous
les termes « mariages forcés » se cachait un
éventail de formes différentes de situations de
contraintes et pressions qui peuvent se manifester à des moments divers – un élément qui
Suisse et en Europe seront mis en évidence et inclus
dans la discussion des résultats (partie II).
15 La distinction entre « Zwangsverheiratung » et
« Zwangsehe » qui fonctionne très bien en allemand
est difficile à rendre en français. Les deux termes
désignent respectivement la conclusion forcée d’un
mariage et la poursuite forcée d’une union conjugale.
15
enjeux, doit tenter de saisir toutes ces formes
de contrainte en lien avec le mariage, les
relations amoureuses ou le divorce. Seule une
telle approche permet de rendre justice à la
complexité du sujet et de formuler des recommandations par rapport à des mesures pour
aider les victimes de façon efficace.
4.1.2. Mariages arrangés et « mariages forcés »
La distinction entre un mariage arrangé et un
« mariage forcé », qui est présentée comme
allant de soi dans la définition commune, est
dans la réalité difficile à déterminer clairement,
car la frontière entre et les deux phénomènes est floue (Strassburger 2007 ; Strobl et
Lobermeier 2007). La question de la définition
de « contrainte/pression » est problématique,
car elle inclut toujours un élément subjectif.
De plus, une contrainte peut se présenter par
la suite, même si un mariage a été conclu
volontairement. Ces éléments expliquent qu’il
est parfois impossible de déterminer si l’on se
trouve face à un mariage arrangé ou « forcé ».
Ce qu’on peut dire, c’est que beaucoup de situations de contrainte en lien avec le mariage,
mais pas toutes, prennent leur source dans
un mariage arrangé. Cependant, on ne peut
en aucun cas conclure que tous les mariages
arrangés donnent lieu à des situations de
contraintes. Plusieurs chercheur(e)s proposent
de concevoir la relation entre mariage arrangé
et forcé comme un continuum entre les deux
pôles de libre volonté et de contrainte (Hamel
2011 ; Zentrum für Soziale Innovation 2007).
Il nous semble important d’inclure dans cette
étude les mariages arrangés, à condition que
les personnes concernées se sentent subjectivement sous pression pour accepter l’union
16
alors qu’elles y sont au fond opposées.
4.1.3. Les « mariages forcés » comme spirale
de violence et conflit de générations
Les situations de contraintes en lien avec le
mariage, les relations amoureuses ou le divorce
comprennent une dimension processuelle, qui
fait défaut dans la définition commune du
« mariage forcé » et qui complexifie considérablement le phénomène. Les études montrent
qu’on peut parler d’une spirale, dans laquelle la
violence va escaladant. Les problèmes entre les
jeunes et leurs parents commencent en règle
générale à l’adolescence, au moment où les
jeunes commencent à développer leurs propres
idées par rapport à l’amour, au mariage, à la vie
et au travail. Leurs conceptions peuvent se trouver en conflit avec celles de leurs parents. C’est
le cas quand les deux parties ne définissent
pas les mêmes personnes comme des partenaires ou conjoints idéaux et quand les parents
essayent d’imposer leur volonté à leurs enfants.
Ces conflits peuvent revêtir un caractère plus
ou moins violent, des fois ils sont résolus à un
stade précoce, parfois ils aboutissent dans une
escalade de violence. C’est particulièrement le
stade précoce du conflit qui offre un potentiel
élevé pour des mesures efficaces (cf. Riaño
et Dahinden 2010). Ces résultats sont pris en
compte dans cette étude de deux manières.
D’une part, cette étude s’efforce de saisir également les conflits qui n’ont pas encore abouti
à un « mariage forcé ». C’est par exemple le
cas lorsqu’une personne s’adresse à un service
de conseil parce qu’elle n’ose pas dire à ses parents qu’elle a un petit ami, sachant que cette
information pourrait déclencher un conflit avec
les parents ou lorsqu’une personne se sent sous
pression d’être avec quelqu’un qu’elle n’a pas
choisi. D’autre part, un accent particulier est
mis dans cette étude sur la dimension processuelle du conflit.
4.1.4. Mariages transnationaux
La transnationalisation des réalités sociales est
aujourd’hui un fait, tant pour les migrant(e)s
que pour les Suisses (Dahinden 2009 ; Faist
2000 ; Glick Schiller et al. 1992 ; Pries 2008 ;
Vertovec 2009). Par transnationalisation, nous
comprenons les processus faisant émerger certains espaces sociaux qui ne se limitent pas à un
seul pays et qui ont une pertinence pour la vie
quotidienne et les identités des migrant(e)s.
Les migrant(e)s développent et maintiennent
des relations avec leur pays d’origine après la
migration. Les mouvements continuels d’allers
et retours des migrant(e)s qui traversent les
frontières entre États, mais aussi entre différents
systèmes culturels et sociaux, ont transformé le
pays d’accueil et le pays d’origine en une arène
unique d’actions sociales dans laquelle s’inscrit
la marge de manœuvre des migrant(e)s. Dans
un contexte d’intégration économique mondiale avancée, de développement des moyens
de transport et d’émergence de nouvelles
technologies de communication, l’intensité et
la simultanéité de ces liens transnationaux ont
augmenté, favorisant ainsi l’établissement de
champs transnationaux durables ou occasionnels. En ce sens, les processus culturels,
politiques et économiques qui intègrent le
monde dans un seul système de relations,
comme la chute du Mur de Berlin, ont sans
doute également favorisé l’essor de pratiques
transnationales.
Une implication simultanée dans (au moins)
deux endroits différents de la planète constitue
ainsi souvent un élément clé de la pratique
des migrants (Levitt et Glick Schiller 2004).
Ils envoient des fonds, créent des entreprises
ethniques. Certains migrants s’engagent dans
des associations politiques et font du lobbying
politique pour leur pays d’origine. Ou ils s’organisent dans des associations religieuses et recréent leurs pratiques religieuses dans l’espace
transnational. Il n’est donc guère étonnant
que des aspects transnationaux interviennent
de façon importante dans la thématique dont
il est question dans cette recherche. Les familles et les mariages ont aujourd’hui souvent
un caractère transnational qui peut avoir des
implications importantes.
Plusieurs auteur(e)s mettent en évidence que
dans les conditions actuelles de globalisation,
d’inégalités sociales et économiques importantes entre différentes régions du monde et
de régimes migratoires restrictifs, la famille
transnationale joue un rôle important dans
les stratégies matrimoniales (Aksaz 2009 ;
Schmidt 2011a ; Waldis 2006). Lorsque les
lois d’immigration deviennent plus restrictives,
comme c’est le cas en Suisse pour les nonEuropéen(ne)s, un mariage avec une personne
résidant à l’étranger peut être une stratégie de
migration, surtout si la situation économique
ou politique dans le pays d’origine est difficile
(Abelmann et Kim 2004 ; Górny et Kepinska
2004 ; Suksomboon 2011 ; Timmerman
2008).
À cela s’ajoutent des attentes de réciprocité et
solidarités qui se déploient dans l’espace transnational et qui peuvent pousser des parents
17
à vouloir rendre service à des membres de
leur famille élargie ou amis restés aux pays en
mariant leur enfant avec une personne du pays
d’origine (Beck-Gernsheim 2007a, 2011 ; Riaño
et Dahinden 2010 ; Schmidt 2011b ; Williams
2010). Évidemment, les mariages transnationaux
n’aboutissent de loin pas tous à des situations
de contrainte. Mais les études montrent que
des situations de contrainte peuvent émerger
par la suite même si le mariage a été conclu
avec l’accord des deux parties. Des hommes et
des femmes des pays, villes ou villages d’origine
18
des migrant(e)s concluent des mariages avec
une personne vivant en Suisse – ou dans un
autre pays en Europe – dans l’idée de se former,
gagner des libertés, augmenter leurs revenus
ou acquérir d’autres formes d’indépendance.
Pourtant, ces objectifs ne peuvent parfois pas
être réalisés après le mariage et l’immigration.
La confrontation avec la réalité place alors ces
personnes devant des difficultés majeures. Des
asymétries de pouvoir et des liens de dépendance peuvent amener ou renforcer des situations
de contraintes en lien avec le mariage conclu.
Dans le contexte suisse, cette situation problématique peut s’aggraver par des facteurs en
lien avec le permis de séjour, étant donné qu’un
divorce peut signifier en même temps la perte
du permis de séjour (au cas où le mariage a duré
moins de trois ans) ou peut avoir des conséquences négatives en termes sociaux (stigmatisation) ou économiques. Plusieurs études en Suisse
ont ainsi montré que la situation des conjoints
se présente très différemment – en termes de
rapport de pouvoir, de dépendance, etc. – si les
deux conjoints sont nés en Suisse ou si l’un d’entre eux vient d’ailleurs (Lavanchy 2011 ; Riaño et
Dahinden 2010).
En raison de ce qui précède, les deux cas de
figure suivants ont été inclus dans l’étude: les
cas où les conjoints concernés sont les deux
nés en Suisse et les cas où une personne de
nationalité etrangère vient de l’étranger en
Suisse pour se marier avec une personne vivant
dans ce pays. Nous avons aussi inclus les cas
où les deux conjoints résidaient à l’étranger au
moment du mariage, à condition qu’ils habitaient en Suisse au moment de l’étude. Dans
les cas où les conjoints vivaient dans des pays
différents avant le mariage, nous parlerons de
mariage transnational. Cette étude inclut ainsi
tous ces types de mariages, transnationaux
ou non, étant donné qu’ils sont soumis à des
enjeux différents, et nécessitent des mesures
différentes.
4.1.5. Sortir d’une logique d’« ethnicisation du
sexisme »
Dans les débats politiques sur les « mariages
forcés », deux perspectives se cristallisent en
Suisse – mais également ailleurs en Europe,
comme en Allemagne, en France, en Autriche
ou en Grande-Bretagne.
D’une part, un courant se dessine qui considère
les « mariages forcés » comme une forme de
violence contre les femmes et les droits humains
s’expliquant par la « culture » et la tradition des
minorités ou de groupes de migrant(e)s. Dans
cette optique, il faut lutter contre ces formes
culturelles ou religieuses d’oppression des femmes. D’autre part, un deuxième groupe de personnes s’oppose à de telles explications qu’elles
qualifient d’ « ethnicisation du sexisme » et
cherchent à la dépasser en adoptant une perspective genre et intersectionnelle qui insiste sur
la diversité des populations et l’importance de
différents rapports de pouvoir.
Les premiers débats sont apparus dans le cadre
du multiculturalisme en lien avec la question
de la reconnaissance des droits et spécificités
des minorités ethniques ou migrantes. Les
« taches aveugles » du multiculturalisme ont
été critiquées dans des publications « populaires » (Alltags- und populärwissenschaftliche Publikationen) (p. ex. Kelek 2005 ; Rivier
et Tissot 2006 ; Windlin 2004), puis dans
le discours académique. Les premières ont
argumenté que la violence contre les femmes
appartenant à certains de ces groupes était
due à leur « culture ». Dans le domaine académique, l’article de Susan Moller Okin (1999)
intitulé Is multiculturalism bad for women?
suit une argumentation similaire. Moller Okin a
identifié une contradiction entre la reconnaissance des droits des groupes définis en termes
de culture d’une part et les droits des femmes
d’autre part. Son argument principal est que
la reconnaissance de la « culture » de certains
19
de groupes d’immigrés ou minorités ethniques
revient à légitimer le fait que dans beaucoup
de « cultures » les femmes n’ont pas de droits
et qu’elles sont touchées par des inégalités
et des violences – contrairement à la culture
dite « occidentale ». Ce débat est toujours
d’actualité, des philosophes féministes comme
Elisabeth Badinter accusant l’islam d’« oppresser » les femmes. Un autre exemple issu
du contexte suisse peut être trouvé dans les
déclarations de la Commission fédérale pour
les questions féminines. Elle prenait récemment
position en affirmant que « les pratiques qui
violent les droits des femmes et des jeunes
filles doivent être clairement condamnées et
abolies, sans égard pour la « protection des minorités culturelles ou religieuses » (Commission
fédérale pour les questions féminines CFGF
2010 : 20). Ce discours donne l’impression
qu’il faut choisir entre la lutte pour les droits
des femmes ou la lutte pour la liberté dans le
domaine religieux ou culturel. Entre temps,
ces arguments ont été instrumentalisés par
certains acteurs pour écarter les revendications
des minorités ethniques ou religieuses, même
si celles-ci n’ont rien à voir avec la question des
femmes. Des partis populistes – qui sont ces
mêmes cercles qui s’opposent aux revendications pour plus d’égalité entre femmes et hommes ici en Suisse – se découvrent des âmes de
féministes lorsqu’il s’agit de questions du voile
ou des « mariages forcés ». En d’autres termes,
cette tendance commune à la plupart des pays
d’Europe de ces dernières années de voir la
différence culturelle ou religieuse comme problème – suivie par l’introduction de politiques
néo-assimilationnistes, processus qui a été qualifié de « multiculturalism backlash » (Vertovec
et Wessendorf 2010) – a été justifiée largement
20
par la référence aux droits humains et par la
lutte contre la violence envers les femmes au
sein des groupes d’immigré(e)s ou des minorités ethniques. Dans ce discours, l’égalité entre
femmes et hommes, la liberté et l’autonomie
des femmes sont présentées comme acquises
dans la société majoritaire tandis que les femmes immigrées sont soumises et dominées par
leur culture ou religion – une posture qui a été
nommée « ethnicisation » ou « islamisation »
du sexisme (Durand et Krefa 2008 ; Dustin et
Phillips 2008 ; Holzleithner et Strasser 2010 ;
Zentrum für Soziale Innovation 2007).
Le deuxième courant qu’on trouve dans la
littérature a non seulement mis en évidence
les problèmes qui sous-tendent une telle ligne
d’argumentation, mais il a en plus montré qu’il
existe des moyens de sortir de ce dilemme
supposé (lutter contre les inégalités et violences
contre les femmes ou lutter contre les discriminations touchant les migrant(e)s) et qu’il
est possible de lier les deux (Beck-Gernsheim
2007b ; Dahinden et al. 2012 ; Dietze 2009 ;
Holzleithner et Strasser 2010 ; Phillips 2007 ;
Volpp 2000, 2001).
La première critique se situe au niveau conceptuel. Elle concerne les notions de culture et
d’ethnicité telles qu’elles sont utilisées dans
les débats évoqués précédemment et la
manière dont elles sont liées à des questions
de genre. Dans la logique de l’« ethnicisation
du sexisme », c’est la « culture » des Turcs,
des albanophones ou des musulmans qui
est tenue pour responsable des « mariages
forcés », car ces « cultures » seraient imprégnées d’idées traditionnelles et patriarcales
quant aux rapports de sexes. La culture et les
rapports de sexe sont dans ces débats publics
déclinés selon des lignes nationales, ethniques
ou religieuses et chaque « culture » a – dans
cette logique – des caractéristiques inhérentes,
stables, immuables et est responsable de la
manière de penser et d’agir de chaque individu
du groupe en question. De même, chaque
« culture » a ses propres « rapport de sexes ».
Dans une perspective de sciences sociales, une
telle explication apparaît comme une réduction inadmissible de la réalité sociale. Premièrement, une telle logique ne prend pas en
compte l’hétérogénéité au sein de ces groupes
définis à priori en termes nationaux/ethniques
ou religieux. Ensuite, dans ce discours, les
groupes ethniques, nationaux ou religieux
sont traités comme des phénomènes sociaux
totaux dont les frontières de culture/identité/
communauté se recoupent automatiquement.
La variété intraculturelle, les dynamiques et
transformations deviennent impensables et on
dénie aux membres de ces groupes la qualité
d’acteur. Cette idée de culture, essentialiste et
réifiante, a été critiquée depuis plusieurs décennies (Dahinden 2011a, 2011b ; Grillo 2003 ;
Wicker 1996 ; Wikan 2002 ; Wimmer 1996).
La « culture » dans une vision des sciences sociales est une question empirique et analytique
et pourrait être définie comme « l’ensemble
des dispositions acquises par les individus au
cours de leur vie leur donnant la faculté de
créer des concepts intersubjectifs et d’agir de
manière sensée » (Wicker 1996 : 385, notre
traduction). La culture est donc un processus
ouvert qui doit être analysé et non un état. En
d’autres termes, s’il existe sans aucun doute
des différences culturelles, elles ne se laissent
pas identifier à priori et ne peuvent pas être
déclinées selon des lignes ethniques/nationales
ou religieuses.16 Cette notion essentialiste de
culture est de plus réductrice parce qu’elle
laisse penser que la « culture » pourrait expliquer toutes les différences existant dans la
société.17 Par des explications ayant recours à
l’origine ethnique ou nationale, une dimension
spécifique de la « différence » est mise en
avant sans prendre en compte d’autres différences comme la classe sociale, le genre, l’âge,
etc. Ainsi la « culture » ne peut en aucun cas,
dans une perspective sociologique, expliquer
le phénomène du « mariage forcé » comme
elle ne peut pas expliquer des inégalités entre
hommes et femmes. De ce fait, cela n’a pas de
sens de penser qu’il existerait des « cultures »
ayant des rapports de sexe spécifiques.
De plus, le lien qui est fait dans ce discours ethnicisant entre « culture » et rapports de genre
spécifique est problématique, car ce discours
16 Voici un exemple pour illustrer cela : une professeure
d’anthropologie suisse a probablement une conception du monde similaire à celle d’un professeur
d’anthropologie de Pristina, tandis qu’une paysanne
du Haut-Valais raisonnerait probablement différemment. Les premiers lisent les mêmes livres et ont un
quotidien semblable (enseignement, étudiant(e)s,
conférences internationales, mobilité, etc.) et développent donc une vue (culture) similaire pendant que
la paysanne dispose d’une biographie et d’une vie
quotidienne radicalement différentes.
17 Il existe un courant au sein des sciences sociales qui
affirme que ce discours culturaliste représente en fait
une continuation du discours raciste; la « culture »
ayant simplement remplacé la notion de « race »
(Stolcke 1995).
21
instaure une hiérarchisation. De manière générale, la « culture occidentale d’égalité entre
femmes et hommes» est opposée à toutes
les autres. Or, le discours dominant pose la
nécessité de l’émancipation des migrant(e)s ou
groupes ethniques tout en négligeant l’hétérogénéité au sein de la population migrante et
surtout implique en même temps qu’en Suisse
l’égalité de genre est un fait accompli, la norme
et le quotidien. Or, plusieurs études démontrent
que ce n’est pas le cas. En laissant entendre que
c’est uniquement les migrant(e)s qui ont besoin
de s’émanciper, car l’égalité est acquise ici, cette
approche disqualifie toute tentative de travailler
sur les inégalités en termes de genre en Suisse.
ce processus de différentiation. Dans ce sens, le
genre n’est ni une caractéristique biologique, ni
une identité stable et il ne se laisse pas décliner
selon des lignes nationales ou culturelles. Une
telle approche propose plutôt de concevoir le
genre comme un élément activement produit,
reproduit et transformé dans les pratiques sociales et les interactions – « doing » and « undoing » gender (West et Zimmermann 1991).
Cette étude travaillera avec une telle approche,
car nous considérons qu’elle peut donner des
indications importantes pour comprendre le
phénomène sans remettre en question le lien
étroit du sujet avec les droit humains et en
évitant l’ « ethnicisation du sexisme ».
Différente(e)s chercheur(e)s proposent d’aborder ces phénomènes – comme les « mariages
forcés » – avec une perspective à la fois de
genre et d’intersectionalité (Anthias 2002 ;
Crenshaw 1994). Une perspective genre est
prometteuse, étant donné que les « mariages
forcés » sont étroitement liés aux rapports sociaux de sexe et à des systèmes de domination
genrés. Nous comprenons ici genre non pas
comme synonyme pour sexe ou comme une
structure sociale immuable, mais plutôt comme
une catégorie relationnelle et analytique. Le
genre peut donc être décrit comme la construction sociale et la production du féminin et du
masculin, qui est liée à des identités d’une part,
mais qui produit également des systèmes de
domination et subordination d’autre part (Butler 1990 ; Gildemeister 2001 ; Parini 2010). Ce
que les hommes ou les femmes devraient faire
ou comment ils/elles devraient être va varier
dans le temps, mais l’idée qu’ils/elles devraient
faire et être des choses radicalement différentes
constitue la base structurelle et symbolique de
Vu le caractère intersectionnel des rapports de
pouvoir, il semble important de saisir dans cette
étude, en plus du genre, d’autres catégories
de différences (âge, classe sociale, formation,
etc.). De même, un accent particulier a été mis
sur la question de la migration, tout en évitant
de lier migration et « culture ». Les facteurs
suivant ont été identifiés dans diverses études
comme centraux pour la compréhension de
ce phénomène : la situation de migration,
les trajectoires et biographies migratoires, les
situations d’exclusion et de marginalisation ainsi
que la construction de frontières sociales par
l’utilisation d’une notion essentialisée de culture
(« nous » construit en opposition à « vous »)
et les politiques migratoires (Riaño et Dahinden 2010 ; Samad et Eade 2002). Dans cette
étude, nous suivrons ces considérations dans la
mesure où les aspects en lien avec la migration
seront pris en compte. Par contre, nous allons
nous intéresser à toute nationalité potentiellement touchée par le phénomène, y compris les
Suisses.
22
Ces points importants, qui permettent de rendre justice à la complexité du phénomène des
« mariages forcés », guideront notre recherche
sur plusieurs plans : d’une part, ils ont été
directement liés au mandat et traduits dans les
questions de recherches et ont donc été pris en
compte lors du questionnaire et des entretiens
(cf. chap. 5). D’autre part, ils nous ont servi
pour traduire cette notion problématique de
« mariage forcé » dans un langage sociologique, comme nous allons l’exposer dans les
paragraphes qui suivent.
4.2. Définition de travail
du « mariage forcé »
Après ce tour d’horizon, il apparaît clairement
qu’il est justifié de retenir une définition large
de « mariage forcé » pour cette étude, qui
permet d’inclure les aspects sociologiquement
importants pour la compréhension du phénomène. Étant donné les problèmes liés à la
notion de « mariage forcé » que nous avons
exposés plus haut, nous avons soigneusement
évité d’utiliser ce terme dans notre recherche,
notamment au moment de la récolte des
données17. En effet, comme le terme revêt des
significations diverses pour les différents individus, il aurait été très probable que, si nous
l’avions utilisé, les réponses à nos questions
se seraient référées à des situations et à des
définitions très différentes de ce phénomène,
ce qui aurait affaibli la pertinence de notre
étude.
Pour contourner ce problème, nous avons
défini le « mariage forcé » en distinguant trois
types de situations concrètes dans lesquelles
des pressions au sein des relations amoureuses
sont exercées. Cette distinction a été effectuée
sur la base des recherches antérieures discutées
dans la partie précédente. Le « mariage forcé »
est défini dans cette étude comme regroupant
les trois types de situations suivants :
Type A : Il s’agit d’une situation dans laquelle
une personne subit des pressions pour se marier
– le mariage n’ayant pas encore eu lieu – de la
part d’un ou de plusieurs membres de son entourage (parents, membres de la famille élargie,
futur[e] conjoint[e], ami[e]s ou autres). Cette
personne n’est pas d’accord avec ce mariage
mais se sent sous pression pour l’accepter.
Type B : Cette situation est caractérisée par le
fait que l’on empêche une personne de vivre la
relation amoureuse de son choix. Il s’agit d’une
personne qui veut entamer – ou qui vit déjà –
une relation amoureuse mais qui se sent sous
pression de la part de tiers (parent, membre de
la famille élargie, ami[e] ou autre) pour renoncer à cette fréquentation ou mettre un terme à
la relation.
Type C : Il s’agit ici du fait que l’on empêche
une personne de divorcer ou de se séparer de
son/sa conjoint(e) alors qu’elle le désire. La personne se sent sous pression de la part d’un tiers
(parent, membre de la famille élargie, ami[e],
conjoint[e] ou autre) pour renoncer à ce projet.
Le mariage peut avoir été conclu volontairement ou non.
23
5. Démarche méthodologique
Afin de mener à bien cette recherche, nous
avons choisi d’utiliser une démarche méthodologique qui vise à trianguler des méthodes de
saisie de données quantitatives et qualitatives
(Creswell 2003), en abordant le phénomène à
travers la perspective d’expert(e)s en situation
d’observation.
Nous avons travaillé avec trois méthodes différentes qui ont été appliquées successivement :
premièrement, nous avons interrogé – grâce à
un questionnaire on-line – des professionnel(le)s
des institutions et organisations susceptibles
d’être en contact avec des personnes concernées par la problématique des contraintes en
lien avec le mariage, les relations amoureuses
ou le divorce. Deuxièmement, nous avons mené
des entretiens avec des expert(e)s afin d’approfondir quelques résultats issus des données
quantitatives de la phase antérieure. Finalement, nous avons mené des focus groups où
nous nous sommes concentrées sur la question
des mesures existantes, des lacunes et des mesures supplémentaires à mettre en place.
Figure 1 : Démarche méthodologique
Enquête par questionnaire on-line (n=229)
Échantillon: Professionnel(le)s des institutions/organisations susceptibles d’être en
contact avec des personnes concernées par les « mariages forcés ». Domaines: état
civil, formation, social, jeunesse, migration, santé, égalité-violence, police, autres.
Analyse préliminaire
de l’enquête: Input
Objectif: État des lieux du phénomène ces deux dernières années en Suisse
(situations, ampleur, profil des personnes et mesures)
Définition de « mariage forcé »
Type A: Une personne subit des pressions pour se marier
Type B: On empêche une personne de vivre une relation amoureuse de son choix
Type C: On empêche une personne de divorcer
Entretiens d’expert(e)s (n=6)
Échantillon: Professionel(le)s du terrain
Objectif: Approfondir les résultats des données quantitatives de l’enquête on-line
Focus groups (n=2)
Échantillon: Responsables des projets pilotes
Objectif: Approfondir la question des mesures
24
Cette perspective d’expert(e)s en situation
d’observation que nous avons adoptée a des
avantages, mais également des limites. Pour
ce qui est des avantages, cette démarche, qui
vise à interroger des professionnel(le)s au sein
des institutions et organisations potentiellement touchées par des victimes de « mariage
forcé », a permis à l’étude de couvrir toute
la Suisse (les 26 cantons), ce qui était une
condition du mandat. Notre étude avait non
seulement pour objectif d’établir un « état des
lieux » du phénomène des « mariages forcés »
en Suisse, mais également de fournir des
indications quant aux mesures à développer
afin de venir en aide efficacement aux personnes concernées par cette problématique. Les
professionnels se trouvent alors être les mieux
positionnés pour parvenir à ce but puisque
ce sont eux-mêmes qui sont au contact de
ces personnes et qui tentent de leur venir
en aide dans leur travail quotidien avec les
moyens existants. Ce choix méthodologique
nous a également permis d’avoir accès aux
informations concernant les personnes qui se
sont tournées vers une institution. À l’inverse,
il faut souligner que nous n’avons pas eu
accès directement aux personnes concernées
elles-mêmes et à leurs propres perceptions de
leur situation. Nous n’avons également pas
d’informations quant aux personnes qui ne se
sont jamais adressées à une institution, un service ou une organisation.18 Le non-accès à ces
deux groupes constitue selon nous les limites
de la perspective choisie.
5.1. Enquête on-line
Comme il n’existe pas d’institutions chargées spécifiquement de cette thématique ni au niveau national, ni au niveau cantonal, il nous a fallu chercher à atteindre un large éventail d’institutions
dans tous les cantons. Pour ce faire, nous avons
procédé à une recherche étendue d’adresses
électroniques des institutions susceptibles d’être
en contact avec des personnes concernées par les
« mariages forcés » selon la définition présentée
ci-dessus (types A, B, C). Nous avons établi des
listes d’adresses électroniques par catégories et
par cantons. Les catégories dans lesquelles nous
avons cherché des adresses étaient les suivantes:
état civil, formation, social, jeunesse, migration,
santé, égalité-violence, police et autres. L’idée
était de couvrir le champ le plus large possible,
puisqu’il n’existe pas d’informations précises indiquant les institutions où se rendent les personnes
touchées par cette problématique.
18 C’est dans la nature du phénomène que les individus
qui font l’expérience de situations de contraintes et
de violences en lien avec le mariage, les relations
amoureuses ou le divorce ne soient que difficilement
accessibles pour une recherche. Des victimes de ce
type de contraintes ne considèrent pas obligatoirement leur situation comme un « mariage forcé »,
et en parler est souvent difficile pour eux/elles –
comme c’est le cas lors d’autres formes de violence.
Autrement dit, faire une recherche avec des personnes concernées demanderait un investissement
Dans les paragraphes suivants, nous allons
brièvement expliciter les différentes étapes de
la recherche d’un point de vue méthodologique.
en temps (pour pouvoir construire des relations de
confiance) ainsi qu’une mise à disposition de ressources financières qui dépasseraient largement le cadre
de ce mandat.
25
Afin d’établir les listes, nous sommes passées
par des réseaux thématiques qui existent au
niveau national (p. ex. les réseaux de services
cantonaux de coordination et de lutte contre la
violence domestique, réseaux de centres LAVI et
centres Solidarité Femmes, réseaux du domaine de l’intégration, etc.). D’autre part, nous
avons approfondi nos recherches pour certains
cantons et villes que nous avons définis comme
26
prioritaires (Bâle, Berne, Fribourg, Genève, Neuchâtel, Saint-Gall, Vaud, Lausanne et Zurich).
Ces cantons et villes ont été choisis soit parce
qu’ils font partie des plus peuplés de Suisse, soit
parce qu’ils sont déjà relativement avancés dans
la mise en place de mesures spécifiques pour la
lutte contre les « mariages forcés », donc aussi
dans la sensibilisation des institutions. Pour ces
cantons et villes prioritaires nous avons cherché
les adresses une par une sur Internet dans
toutes les catégories définies.
Grâce à cette manière de procéder, nous avons
pu envoyer notre questionnaire on-line à 1530
institutions recouvrant l’ensemble du territoire
suisse. De plus, nous avons suggéré – ou demandé dans certains cas – aux destinataires de
transférer le questionnaire à d’autres institutions ou personnes leur semblant pertinentes.
Le nombre de personnes ayant reçu notre questionnaire n’est pas quantifiable mais, comme
certaines institutions nous ont informé avoir
transmis notre message plus loin, nous pouvons
affirmer qu’il est supérieur à 1530.
Qu’en est-il de la représentativité de notre échantillon ? De fait, d’un point de vue
statistique, il n’est pas possible de générer un
échantillon représentatif de « mariages forcés ».
En effet, pour cela il faudrait posséder une liste
exhaustive de tous les cas existants (base de
sondage) puis sélectionner aléatoirement un
sous-ensemble de ces cas, ce qui n’est, bien entendu, pas possible pour ce phénomène qui est
en bonne partie caché, comme c’est le cas pour
tous les actes socialement répréhensibles.
Une approche envisageable serait de réaliser
une étude comparable aux études de victimisation, courantes en criminologie, consistant
à sélectionner aléatoirement un échantillon
«représentatif» de la population puis de
demander aux répondant(e)s sélectionné(e)
s s’ils ou elles ont été victimes d’un des cas de
contraintes définis plus haut. Toutefois, cette
approche présente de nombreuses difficultés.
Premièrement, le nombre de cas observés dans
un échantillon de taille raisonnable serait proba-
blement trop limité pour être fiable. De plus,
comme il s’agit d’un sujet très délicat, qui se
caractérise par une forte subjectivité, un certain
nombre de répondants n’admettraient pas avoir
été victimes de ce type de pressions. Deuxièmement, il est probable qu’une part non négligeable des personnes concernées ne maîtrisent pas
suffisamment les langues officielles de notre
pays pour pouvoir participer à une étude de victimisation habituelle, et il faudrait donc traduire
le questionnaire dans un certain nombre de
langues en plus de l’allemand, du français et de
l’italien. Comme il n’est pas possible de traduire
le questionnaire dans toutes les langues parlées
en Suisse, la recherche introduirait d’emblée
un biais en excluant les personnes parlant les
langues qui ne sont pas les plus parlées parmi
les migrant(e)s résidant en Suisse, problème
qui ne se pose pas dans la présente étude.
Troisièmement, une étude permettant d’avoir
un échantillon de la population contenant un
nombre suffisant de cas de contraintes serait un
exercice très coûteux et de longue durée, sans
toutefois pouvoir garantir que la représentativité soit réellement assurée.
Comme indiqué plus haut, il n’est pas possible d’établir une liste exhaustive d’institutions
confrontées aux cas de contraintes analysés
dans cette étude, car il n’y a pas de base de sondage. Ainsi, il n’était pas possible non plus de
réaliser un échantillon aléatoire de cette façon.
Pour toutes ces raisons, nous avons donc procédé, en termes statistiques, à un échantillonnage
par choix raisonné, en établissant une liste très
large d’institutions potentiellement exposées.
Ensuite, nous avons laissé le soin aux personnes
contactées de transmettre notre demande aux
collaborateurs de leur organisme ou à d’autres
27
institutions ayant eu affaire à des cas de
contraintes, ce qui s’apparente à un échantillonnage par boule de neige (snowball sampling). Ce type d’échantillonnage, même s’il
ne remplit pas une des conditions importantes
pour l’obtention d’un échantillon représentatif, à savoir le fait de procéder à un tirage
aléatoire, est régulièrement utilisé en sciences
sociales et dans les études épidémiologiques/
de santé publique (Etter et Perneger 1999 ;
Kendall et al. 2008 ; King et al. 2003), pour
tirer des conclusions sur des populations ou
des situations très spécifiques. Ainsi, il s’avère
que l’approche proposée ici est probablement
la meilleure pour réaliser une analyse quanti-
tative des phénomènes de contrainte en lien
avec le mariage, les relations amoureuses ou
le divorce, car elle propose un échantillon de
bonne qualité de cas reportés aux institutions
publiques et privées.
Le nombre de personnes ayant participé et
rempli, entièrement ou presque entièrement,
le questionnaire s’élève à 229, alors que le
nombre de personnes ayant rempli partiellement le questionnaire s’élève à 92, donc un
total de 321 personnes ont répondu à notre
enquête. En outre, 86 personnes nous ont
envoyé un e-mail disant qu’elles n’avaient jamais rencontré de cas de contraintes tels que
Figure 2 : Nombre de réponses au questionnaire par type d’institution (n=229)
Institution non précisée
Intégration (ONG. assoc.)
LAVI
Intégration (administration)
Planning familial
écoles professionnelles
Solidarité Femmes
Service de santé (écoles)
École obligatoire
États civils
Police, justice
Services sociaux
Autres
Services des migrations
Services des mineurs
Gymnases, lycées
Bureau pour l’égalité
Mesures de transition
Association pour les femmes
Aide pour auteurs de violence
28
44
22
19
16
15
14
11
10
10
10
9
9
8
6
6
6
5
4
3
2
décrits dans le courriel d’accompagnement.
Cela représente au total un taux de réponse
de 27% (si on prend comme dénominateur
les 1530 questionnaires envoyés), ce qui est
satisfaisant pour une enquête de ce type,
sachant que les enquêtes CAWI (computer-assisted web interviewing) obtiennent systématiquement des taux de réponses plus bas que
les questionnaires autoadministrés « papier
et crayon » (Fan et Yan 2010) – le taux de
réponse médian des études on-line se situant
aux États-Unis aux alentours de 30% (Cook et
al. 2000) – et que l’étude contient un certain
nombre de caractéristiques qui font baisser les
taux de réponses, en particulier un questionnaire long et un sujet délicat et tabou (Cook
et al. 2000 ; Fan et Yan 2010). En fait, le taux
de réponse indiqué ici est sous-estimé : en effet, dans la mesure où nous avons volontairement contacté un grand nombre d’institutions
et où il n’est pas possible de savoir a priori si
une institution est concernée par cette problématique, un certain nombre d’institutions
contactées ne faisaient pas partie de notre
univers statistique.
Pour assurer la qualité des analyses, nous
avons utilisé uniquement les 229 questionnaires ayant été remplis entièrement ou presque
lors de l’élaboration des résultats. La figure
suivante présentant le nombre de réponses au
questionnaire par types d’institutions reflète
l’étendue de l’envoi du questionnaire on-line.
Sur les 229 personnes qui ont répondu à
notre questionnaire de manière complète ou
presque, 44 n’ont pas précisé l’institution au
nom de laquelle elles le remplissaient (d’où la
catégorie « institution non précisée » dans le
tableau).
Le questionnaire que nous leur avons envoyé
opérationnalisait nos trois questions de recherche principales ainsi que nos sous-questions.
Pour cela, nous avons repris la définition des
trois types de situations A, B et C. Le questionnaire – qui a été traduit en trois langues (allemand, français, italien) – était constitué de deux
grandes parties. La première était consacrée aux
situations que les répondant(e)s avaient
rencontrées dans le cadre de leur pratique
professionnelle. Au sein de cette première
partie, nous leur demandions, dans un premier
temps, de décrire dans les détails la situation la plus récente à laquelle ils avaient été
confrontés ces deux dernières années pour
chaque type (A, B, C) et, dans un deuxième
temps, nous leur demandions des informations globales sur toutes les situations (et
non plus uniquement la plus récente) dont
ils avaient eu connaissance – informations
également limitées aux deux dernières années
et pour les trois types. La deuxième partie du
questionnaire portait sur les mesures prises ou
qu’il aurait été souhaitable de prendre pour
traiter les situations décrites dans la première
partie. Le questionnaire couvrait tous les
aspects principaux des questions de recherche. Les informations concernant uniquement
les situations les plus récentes étant plus
détaillées que celles portant sur l’ensemble
des situations rencontrées dans l’intervalle de
deux ans, nous avons utilisé dans les analyses
les informations sur les situations les plus
récentes. Cependant, lorsque les résultats
entre les situations récentes et l’ensemble des
situations divergent de manière significative,
ce qui s’est révélé être très rare, nous le mentionnons dans le texte.
29
En outre, il nous a également paru important
de rester ouvertes à tout autre type de situation dans laquelle des contraintes au sein des
relations amoureuses seraient exercées. Ainsi,
nous avons créé le « type D », dans lequel
les professionnel(le)s pouvaient classer des
situations ne correspondant pas à la typologie
développée ci-dessus. Pourtant, les données
ont montré que ce type D n’était presque
jamais nécessaire et il n’en ressort aucune
tendance ni aucun élément significativement
intéressant.
d’aborder avec des spécialistes les questions
survenues lors de l’analyse préliminaire des
données de l’enquête on-line. Ils ont également servi à mieux saisir quelques aspects de
la thématique restés flous. Certains de nos
interlocuteurs(trices) peuvent être qualifié(e)s
de « professionnel(le)s du terrain », étant en
contact direct avec des personnes concernées par les « mariages forcés ». D’autres
possèdent plutôt une vision d’ensemble de la
thématique et n’y sont pas confrontés directement par leur pratique professionnelle.
Le questionnaire a été diffusé on-line en utilisant le programme Qualtrics et les données
ont été analysées à l’aide du programme
statistique SPSS.
La dernière étape de notre recherche a été
la réalisation de deux groupes de discussion,
appelés aussi « focus groups » (Merton et al.
1990 [1956] ; Morgan 2001). L’objectif de ces
focus groups était d’approfondir la question
des mesures adéquates dans le domaine des
« mariages forcés ». Dans ce but, nous avons
rassemblé les responsables des sous-projets
des cantons romands du projet pilote dirigé
par le Service de la cohésion multiculturelle
de Neuchâtel. Le second focus group a été
5.2. Entretiens d’expert(e)s
et focus groups
Dans une deuxième étape, nous avons fait six
entretiens d’expert(e)s (Flick 1995). L’objectif
de ces entretiens, faits par téléphone, était
Tableau 1 : Expert(e)s et focus groups
Entretiens
Experte 1
Solidarité Femmes et LAVI, Suisse romande
Experte 2
Solidarité Femmes, Suisse romande
Experte 3
ONG, Suisse romande
Expert 4
Fonctionnaire responsable d’un état civil, Suisse alémanique
Expert 5
Fonctionnaire de la police des étrangers, Suisse alémanique
Experte 6
ONG, spécialiste en matière de médiation de conflit, Suisse alémanique
Focus groups
Focus group 1 Responsables des sous-projets des cantons romands au sein du projet pilote
dirigé par le Service de la cohésion multiculturelle de Neuchâtel
Focus group 2 Responsables des projets pilotes de Suisse alémanique
30
effectué en Suisse alémanique et a réuni les
responsables des autres projets pilotes19. Il
nous a semblé pertinent de discuter de leurs
expériences et de leurs visions de la thématique. Au début du focus group, nous avons
présenté quelques résultats préliminaires de
l’enquête on-line : cette démarche visait non
seulement à déclencher le débat mais elle
nous a également fourni des données qualitatives qui permettent d’interpréter les données
quantitatives de l’enquête. Dans une première
étape, il a été demandé aux participant(e)s
de réagir aux résultats présentés et dans une
deuxième étape, leurs expériences concernant
les mesures ont été discutées tout en insistant
sur les lacunes. Ainsi, il a été possible – c’est
un avantage de cette méthode – de laisser
discuter les participant(e)s qui ont développé
des pistes futures pour des mesures efficaces
concernant la prise en charge des personnes
concernées par les « mariages forcés ».
Les entretiens ainsi que les focus groups ont
été enregistrés, transcrits et analysés à l’aide
d’Atlas.ti à travers un codage ouvert et thématique (Flick 1995).
19 Pour plus d’informations sur ces projets pilotes de
lutte contre les « mariages forcés », cf. chap. 1.2.
31
Partie II : Résultats
32
6. Description et analyse des situations de contraintes en lien avec le
mariage, les relations amoureuses
ou le divorce
6.1. Ampleur du phénomène
6.1.1. Estimation du nombre de cas rencontrés
par les institutions ayant participé à l’enquête
Comme différents auteur(e)s l’ont soulevé,
chiffrer avec précision le phénomène des « mariages forcés » est une entreprise difficile voire
impossible pour les raisons suivantes (Lavanchy
2011 ; Mirbach et al. 2006 ; Riaño et Dahinden
2010 ; Schiller 2010) :
• Il n’existe pas à ce jour une définition claire
et standardisée, sur laquelle tout le monde
serait d’accord. Autrement dit, les représentations des répondant(e)s sont façonnées
par des définitions diverses qui circulent et
qui influencent leur perception des situations
rencontrées. Certains cas n’ont peut-être pas
été mentionnés du fait qu’ils ne correspondent pas à leurs représentations des
« mariages forcés», notamment si l’origine
ethnique des personnes concernées ne
correspond pas à celles qu’on a l’habitude
d’associer à ce phénomène ou quand il s’agit
à première vue d’un cas de violence domestique. Au contraire, certains cas ont peut-être
été classés dans la catégorie des « mariages
forcés » à cause de la présence accrue de
cette thématique dans le débat public, alors
que le mariage ne joue qu’un rôle périphérique dans la problématique de la personne
concernée.
• La contrainte reste un élément subjectif qu’il
ne sera jamais possible de définir objectivement. Dans ce sens, différents acteurs vont
définir la contrainte de manière différente, ce
qui rend le phénomène difficilement traduisible en chiffre.
• On rencontre un problème de sous-déclaration. Dans le cas d’une enquête qui s’adresse
aux institutions – comme la nôtre – il faut
prendre en compte qu’une partie des personnes concernées par la problématique, pour
des raisons diverses, ne s’adressent pas à une
institution, et qu’en conséquence, des indications par rapport à ces personnes font défaut.
• Il n’existe pas en Suisse de fichier central qui
recense tous les cas de « mariages forcés » ou
un type d’institutions qui s’occupe spécifiquement de ce genre de cas. Une enquête sur
ce thème qui doit couvrir toute la Suisse se
trouve devant l’impossibilité d’interroger toutes les institutions potentiellement en contact
avec des personnes subissant des contraintes
en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce sur l’ensemble du territoire.
• Finalement, les personnes en situation de
contrainte par rapport au mariage, aux
relations amoureuses ou au divorce sont
souvent vues par plusieurs institutions à la
fois et peuvent donc être comptées à double,
voire triple ou plus, si on additionne les cas
vus par les différentes institutions. Pour des
raisons d’anonymat et de protection des
données, il est impossible pour une enquête
à grande échelle d’identifier précisément les
cas comptés à double parmi les cas recensés
afin de les soustraire du total.
33
Cependant, il est clair que pour pouvoir déterminer des mesures à prendre, il est nécessaire
d’avoir une idée aussi précise que possible de
l’ampleur du phénomène. Pour surmonter
les difficultés énumérées ci-dessus et donner
une estimation du nombre de cas, nous avons
procédé de la façon suivante :
• Nous avons choisi de recueillir nos données en passant par les professionnel(le)s,
considéré(e)s comme expert(e)s en situation
d’observation, et en nous adressant à un
spectre large d’institutions potentiellement
confrontées à ce phénomène.
• Notre enquête a été construite sur la base
de trois types de situations de contrainte
en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce bien délimitées ; ce
qui permet aux interlocuteurs d’identifier
les situations concrètes qu’ils rencontrent
durant leur travail – en évitant qu’ils se
basent exclusivement sur leurs propres
représentations et définitions du « mariage
forcé ».
• Nous avons demandé aux institutions qui ont
participé à notre enquête d’estimer le nombre de cas qu’elles avaient rencontrés durant
les deux dernières années.
• Nous leur avons demandé si les cas avaient
également été traités par une autre institution pour pouvoir déduire dans nos estimations les cas potentiellement traités par
plusieurs institutions.
Néanmoins, cette démarche comporte une
limite (cf. chap. 5) : toutes les institutions n’ont
34
pas pu être contactées et celles qui ont reçu
notre enquête n’y ont pas toutes répondu.
Sur la base de cette démarche, nos résultats
offrent deux ensembles de chiffres qui seront
discutés dans ce chapitre :
• une estimation du nombre total de cas
rencontrés par l’ensemble des institutions qui
ont répondu à notre questionnaire
• la proportion des différents types de cas tels
qu’ils nous ont été rapportés par les institutions ayant participé à notre enquête
Les chiffres présentés ci-dessous prennent en
compte que 55% des institutions qui ont répondu à notre questionnaire savent que les cas
qu’elles ont décrits ont été traités par au moins
une autre institution.20 Dans ce sens, l’estimation du nombre de cas est présentée sous la
forme d’une fourchette (cf. figure 3), composée
d’une borne inférieure et d’une borne supérieure, indiquant respectivement l’estimation
du nombre minimal et l’estimation du nombre
maximal de cas rencontrés par les institutions
ayant participé à notre enquête.
La borne supérieure indique l’addition du
nombre de cas déclarés par les différentes institutions dans notre questionnaire21. Or, comme
nous l’avons évoqué plus haut, cette manière
de calculer comporte le risque de présenter
des chiffres trop élevés du fait que des cas vus
par plusieurs institutions sont potentiellement
comptés plusieurs fois22. C’est pourquoi, pour
la borne inférieure, nous proposons une estimation du nombre de cas après élimination par
calcul des doublons potentiels23.
Figure 3 : Estimation du nombre de cas en Suisse (2009/2010) (n=303)
1000
800
909
Borne inférieure (après élimination des doublons potentiels)
Borne supérieure
659
600
529
481
400
348
384
200
Cas de type A (pers.
contrainte à se marier)
Cas de type B (pers. contrainte
à renoncer à une relation)
Selon nos estimations, pendant les deux dernières années, 348 à 481 cas du type A, 384 à
529 cas du type B et 659 à 909 cas du type C
ont été rencontrés par les institutions qui ont
répondu à notre questionnaire.
Cas de type C (pers.
contrainte à rester mariée)
20 Seuls 16% des répondant(e)s ont dit que les cas
décrits avaient été traités uniquement par leur
institution. 29% ne savaient pas si leurs cas étaient
traités par une autre institution.
21 Les réponses à choix pour cette question étaient
Il est vraisemblable que les institutions qui sont
confrontées à beaucoup de cas ont participé
à notre enquête, car elles ont intérêt à ce que
des connaissances plus précises existent à
propos de ce phénomène et que l’importance
de leur action soit reconnue. D’un autre côté,
comme mentionné plus haut, en passant par
les professionnel(le)s, on ne recense que les cas
qui ont été traités par des institutions et non les
cas des personnes isolées ou qui n’ont pas demandé d’aide. De ce point de vue, nos chiffres
sont sous-évalués.
présentées sous la forme de tranches (p. ex. « entre
6 et 10 cas »), avec comme dernier choix « plus de
60 cas : précisez ». Lors de l’addition des cas, nous
avons utilisé la moyenne de la tranche indiquée
(p. ex. : 25,5 pour la réponse « entre 21 et 30 cas »).
Pour ce qui est de la dernière possibilité de réponse,
nous avons utilisé le chiffre indiqué lorsque la
personne avait pu le préciser ou avons employé le
nombre 61 dans le cas contraire.
22 Nous avons choisi de conserver la borne supérieure
malgré ce risque, car même si une personne a été
vue par plusieurs institutions, il n’est pas sûr que les
autres institutions aient répondu à notre enquête.
23 Voici le détail du calcul : 0,45 N + 0,55 (N/2) = borne
inférieure.
35
6.1.2. Comparaison avec d’autres estimations
existantes
La comparaison de nos chiffres avec les études
existantes fait apparaître une réalité contrastée. La seule autre enquête à avoir été menée
au niveau suisse est celle mandatée par la
Fondation Surgir (Rivier et Tissot 2006), qui
avance une estimation de 17 104 cas pour tout
le pays (p.11). Ce chiffre, bien plus élevé que les
nôtres, est régulièrement repris dans la presse24.
Cependant, la méthode utilisée par les auteures
pour y parvenir se fonde sur une extrapolation
qui pose problème pour plusieurs raisons. Leur
enquête a permis de constater une moyenne
de 8 cas par institution. Les auteures prennent
le nombre d’établissements ayant une action
sociale en Suisse selon l’OFS et multiplient
ce chiffre par 8, ce qui donne le résultat de
17 104. Or cette manière de procéder plaque
sur tous les établissements à action sociale
une réalité observée dans certaines institutions
choisies pour leur proximité avec la problématique et ne prend pas en compte les différences
régionales (les chiffres obtenus dans les centres
urbains sont extrapolés à toutes les régions de
Suisse). De plus, elle néglige le fait que les cas
peuvent être comptés à plusieurs reprises s’ils
sont traités par plusieurs institutions. Enfin, les
auteures n’indiquent pas de cadre temporel
correspondant au nombre de cas avancé.25
2009). 100 réponses ont été récoltées qui recensent les cas rencontrés par diverses institutions
du canton pendant les deux années 2007/2008.
Dans cette enquête, trois catégories ont été distinguées : les « mariages forcés » qui ont effectivement été célébrés pendant ces deux années
(39 cas), les menaces de « mariages forcés » (22
cas), et les personnes qui ont déclaré a posteriori
qu’elles avaient été mariées de force (19 cas). On
arrive donc à un total de 80 cas pour le canton
de Lucerne recensés par cette enquête par
opposition à 34 pour la nôtre26. Cette différence
pourrait s’expliquer par le faible taux de réponses (5) que nous avons enregistré en provenance
de ce canton. Il est évident que le nombre de cas
recensés dans ces 5 réponses sera plus bas que
celui des 100 réponses à l’enquête locale27.
Pour le canton de Zurich, une étude montre que
l’estimation du nombre de cas dépend du genre
de professionnel(le)s auquel les auteures se sont
adressées (Riaño et Dahinden 2010). Les institutions qui prennent en charge les migrant(e)s
leur ont rapporté entre 1 et 10 cas par année.
Les maisons d’accueil pour femmes victimes de
24 Cf. Budry (2010), De Graffenried (2011), Holthuizen
(2008) et NZZ (2007).
25 Nous avons pris ici la borne supérieure puisque la
méthode employée dans l’étude de Surgir ne permet
pas de contrôler le problème des cas comptés à
Les trois autres enquêtes disponibles se concentrent sur un seul canton. Il s’agit notamment
d’une enquête interne effectuée par le Département lucernois de la justice et de la sécurité
auprès des professionnel(le)s du canton pour
le groupe de travail cantonal sur les « mariages
forcés » (Justiz- und Sicherheitsdepartement
36
plusieurs reprises.
26 Il s’agit de la borne supérieure pour les mêmes
raisons que celles évoquées à la note précédente.
27 Le faible taux de réponse peut d’ailleurs probablement s’expliquer par le fait qu’une enquête sur le
même thème que la nôtre avait été effectuée auprès
des mêmes institutions peu de temps auparavant.
violences domestiques quant à elles affirment
rencontrer entre une et trois dizaines de personnes dans ces situations par année (une institution
parle de 10 à 12 personnes, l’autre de 20 à 30)
(Riaño et Dahinden 2010: 63). Dans la mesure
où les auteures ne donnent pas de chiffres pour
l’ensemble du canton, il est difficile de comparer
leurs résultats aux nôtres.
Enfin, la dernière étude en date concernant la
Suisse a été effectuée en 2010 dans le canton de
Vaud (Lavanchy 2011). Lors de cette enquête, la
chercheuse n’a pas donné de définition a priori,
mais a laissé les professionnel(le)s décrire les cas
qu’ils et elles considéraient comme entrer dans
la catégorie de « mariages forcés ». Cela lui a
permis de mettre en évidence 21 situations sur
une période de dix ans. Ce chiffre est beaucoup moins élevé que le nôtre, qui pourtant ne
concerne qu’une période de deux ans (138 cas
comptés dans notre étude pour le canton de
Vaud : 44 cas de type A, 51 cas de type B et
43 cas de type C28).
Finalement, une étude menée récemment en
Allemagne (Bundesministerium für Familien
2011) s’est adressée – comme la nôtre – aux
institutions et fait état de 3443 cas pour l’année
2008 sur l’ensemble du pays. La définition
utilisée distingue entre les menaces de « mariage
28 Nous utilisons la borne inférieure pour cette comparaison avec l’étude de Lavanchy, dont la méthode
permet d’assurer que les cas ne sont pas comptés
à double.
29 Nous utilisons ici la borne supérieure pour que la
méthode de calcul soit comparable à l’étude allemande.
forcé » et les « mariages forcés » réalisés. Il s’agit
donc d’une définition plus étroite que la nôtre
puisqu’elle couvre les situations correspondant
au type A et une partie du type C (dans notre
étude, l’important est la contrainte à poursuivre
le mariage, indépendamment du fait de l’avoir
conclu sous contrainte ou non). Si on compare
le nombre de situation de type A dans les deux
études (1771 pour l’étude allemande sur une
année et 48129 pour la nôtre sur 2 ans), on
peut dire que la différence du nombre de cas
correspond approximativement à la différence de
la taille de la population entre les deux pays. Les
chiffres semblent donc relativement semblables.
En résumé de cette comparaison, nous pouvons dire que dans certains cas nos chiffres sont
considérablement plus bas que ceux avancés par
d’autres études (le chiffre global de Surgir pour
toute la Suisse et l’étude portant sur Lucerne), alors
que dans d’autres, ils sont clairement plus élevés (le
chiffre de Surgir avant extrapolation et celui avancé
par Lavanchy pour le canton de Vaud).
L’explication est à chercher tout d’abord du
côté des méthodes employées et des définitions
du « mariage forcé » retenues, qui diffèrent
considérablement d’une étude à l’autre. En
dehors des méthodes et définitions utilisées,
la différence peut aussi provenir d’une plus
grande prise de conscience et sensibilisation des
professionnel(le)s, plus prompt(e)s à repérer des
situations comme étant des « mariages forcés »
au moment de notre enquête. Non seulement
les études précitées auront-elles préparé le terrain pour la nôtre mais entre-temps, les projets
pilotes de lutte contre les « mariages forcés »
ont été lancés en Suisse (cf. chap. 1.2), participant à cette prise de conscience.
37
Cette comparaison avec d’autres études attire
l’attention sur deux points:
• Le phénomène des « mariages forcés » est
impossible à chiffrer de manière précise et
les définitions, variant grandement d’une
étude à l’autre, produisent des chiffres très
différents. Cela invite donc à une extrême
prudence dans l’utilisation des estimations
chiffrées.
• Cette variété de définitions souligne par
ailleurs la grande importance de préciser le
plus possible les différentes situations qui
se cachent derrière les termes très flous de
« mariages forcés ». Un des apports de notre
étude est d’avoir défini clairement trois types
de situations et de pouvoir distinguer entre
les trois dans les résultats que nous allons
présenter. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut
démêler toutes les dimensions du phénomène
complexe de la contrainte en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce.
6.1.3. Proportion des types de cas
Si l’on observe la répartition des différents types
(A , B ou C) par rapport au phénomène global, le
fait suivant ressort : les cas concernant les personnes subissant des pressions pour rester mariées,
qu’elles se soient mariées de leur plein gré ou de
force, sont de loin les plus nombreux puisqu’ils
représentent près de la moitié des cas, tandis que
les cas de types A et B ne comptent respectivement que pour un quart (cf. figure 4).
Or, ce résultat va à l’encontre des représentations
habituelles des « mariages forcés ». Dans le grand
public, le phénomène est étroitement associé avec
les cas A, ce qui est notamment dû au traitement
qui est réservé à ce thème dans les médias30. Ce
résultat semble également mettre en question
la perception de certain(e)s professionnel(le)s.
En effet, la majorité des projets pilotes de lutte
contre les « mariages forcés » ont été conçus en
se basant surtout sur le type A, alors qu’il n’est
pas prépondérant par rapport aux deux autres
en termes d’ampleur. Enfin, signalons aussi que
dans le projet de loi concernant les mesures de
lutte contre les « mariages forcés » actuellement
en discussion au Parlement, les cas de type C ne
sont pas pris en compte. En effet, le projet se
concentre sur des mesures visant le moment de
la conclusion du mariage et fait abstraction des
situations où le mariage est déjà prononcé31.
Le choix d’une telle approche qui prend en
compte aussi les cas où la contrainte se présente
après le mariage (type C) met en lumière deux
problématiques essentielles, qui se présentent de
manière plus évidente pour les cas C mais sont
importantes aussi pour les types A et B :
30 Cf. Amrein (2011), Holthuizen (2008), Bucher
(2010), Budry (2010), Budry (2010), Gall (2006).
31 En ce qui concerne plus précisément l’absence des
situations de contrainte dans un mariage déjà prononcé dans ce projet de loi, voir la prise de position
commune de diverses institutions et organisations
(www.terre-des-femmes.ch/images/stories/Themen/
Zwangsvereiratung/2011_tdf_zv_position_gesetzesvorlage.pdf, page consultée le 8.11.2011) et
Sivaganesan (2011).
38
• la proximité de ces situations avec d’autres
situations relevant de la violence domestique.
La violence domestique est définie dans les
recherches de la manière suivante (Gillioz
et al. 1997 ; Gloor et Meier 2000 ; Godenzi
1993) : « On est en présence de violence
domestique lorsqu’une personne exerce ou
menace d’exercer une violence physique,
psychique ou sexuelle au sein d’une relation
familiale, conjugale ou maritale en cours ou
dissoute. » (Bureau fédéral d’égalité entre
femmes et hommes 2008: 5). Cela nous
amènera dans la suite de ce rapport à réfléchir si ces situations de contraintes devraient
être considérées comme des formes de violence domestique ou comme une forme de
violence particulière et, en conséquence, si
les mesures de lutte devraient être intégrées
dans les mesures existantes pour la violence
domestique ou si la mise en place de mesures distinctes est nécessaire.
• l’importance du contexte migratoire et en
particulier de la question du permis de séjour
dans ces situations, sur laquelle nous reviendrons aussi plus loin.
Par ailleurs, la distinction entre ces trois types
fait apparaître des différences significatives en
termes de profils des personnes concernées et de
situations, comme nous allons le montrer dans les
paragraphes qui suivent.
Figure 4 : Proportions des différents types
de cas (n=303)
25%
28%
47%
Type A
Type B
Type C
6.2. Profil socioprofessionnel
des personnes concernées
Pour mettre en place des mesures efficaces, il est
essentiel de disposer d’un maximum d’informations sur le public-cible afin de savoir où et comment l’atteindre efficacement. Pour cette raison,
ce chapitre décrit le profil socioprofessionnel des
personnes concernées, toujours – selon notre
méthodologie – du point de vue des expert(e)s
en situation d’observation. Les chiffres présentés
dans ce chapitre proviennent de notre enquête
on-line et concernent les cas les plus récents, car
nous disposons pour ceux-ci d’informations plus
précises (cf. chap. 5.1). Pour interpréter ces chiffres, nous nous sommes basées sur les entretiens
avec des expert(e)s et les focus groups ainsi que
sur la littérature.
39
Le résultat le plus important est l’extrême
diversité des profils des personnes cherchant
de l’aide auprès des institutions. Il n’existe pas
un idéal type de jeune femme (ou homme) qui
serait particulièrement touché par ce phénomène, mais au contraire, les institutions ont à
faire à un éventail très large de personnes en
termes d’âge, d’origine, de niveau de formation
et de situation professionnelle. Cette diversité
importante de profils sociodémographiques
s’observe aussi dans des différences marquées
entre les trois types de situations.
Figure 5 : Sexe des personnes concernées
100%
80%
60%
87%
93%
92%
7%
8%
Type B
(n=114)
Type C
(n=91)
40%
6.2.1. Sexe et âge
La figure 5 montre clairement que, quel que
soit le type de situation pris en compte, les
institutions rencontrent plus de femmes que
d’hommes parmi les personnes qui subissent
des pressions en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce32.
Pourtant, même si beaucoup d’études éprouvent les mêmes difficultés que nous à obtenir des informations à ce sujet, la littérature
existante démontre que les hommes sont aussi
touchés par ce phénomène. L’étude d’Ahmet
Toprak (2007) présente le point de vue de
jeunes hommes d’origine turque vivant en
Allemagne dont les mariages présentent des
éléments de contrainte. Parmi les personnes
ayant accepté de témoigner dans le film de Carole Roussopoulos (2008) et sur le CD préparé
par la Fachstelle für Gleichstellung de la ville de
Zurich se trouvent également des jeunes hommes. La récente étude allemande montre que,
bien que beaucoup moins nombreux parmi les
cas qui leur ont été signalés, les hommes qui
demandent de l’aide sont tout aussi souvent
40
20%
13%
0%
Type A
(n=95)
Femme
Homme
32 Il est à signaler que les chiffres se présentent un peu différemment lorsqu’on prend en
compte l’ensemble des cas rencontrés par les
professionnel(le)s ces deux dernières années, le
pourcentage d’hommes étant un peu plus élevé
pour les cas de type B et de type C (14% dans
les deux cas). Quoiqu’il en soit, le pourcentage
d’hommes touchés reste en dessous de 15%.
33 Les auteur(e)s de l’étude attirent toutefois l’attention
sur le fait qu’en raison du trop petit nombre de cas,
ces résultats doivent être considérés plutôt comme
des tendances.
victimes de violence que les femmes et les types
de violence sont les mêmes (Bundesministerium
für Familien 2011: 43)33.
Dans la mesure où les hommes sont aussi
touchés, la question se pose pourquoi ce
sont les femmes qui s’adressent aux institutions plutôt que les hommes. La grande
asymétrie entre le nombre d’hommes et de
femmes dans nos chiffres concernant le sexe
des personnes concernées indique que nous
nous trouvons face à un phénomène genré.
Par là, nous n’entendons pas qu’il touche
uniquement les femmes comme victimes de
rapports de pouvoir qui seraient toujours à
leur désavantage, mais plutôt que le genre, de
façons diverses et complexes, a des incidences sur la manière dont ces situations sont
produites et vécues. Le genre se reflète dans
la division du travail, dans les réseaux sociaux,
les représentations sociales, les attributions
des identités et le statut social des hommes
et des femmes en général. Il est également lié
à des attentes par rapport au comportement.
De plus, les régimes de genre impliquent des
relations de domination qui caractérisent les
masculinités et féminités dans une situation
spécifique (Connell et Messerschmidt 2005).
La famille et le mariage sont des arènes de
négociations genrées, ancrées plus largement
dans les contextes socioéconomique, politique et discursif. Les rôles sociaux au sein des
familles, mais également les devoirs, discours
et droits correspondants sont imprégnés de
représentations genrées et, en conséquence,
d’inégalités. Au sein des familles, la volonté
de pousser les individus à respecter certaines
attentes par rapport aux représentations de
la féminité, respectivement de la masculinité,
peut par ailleurs amener à des situations de
contrainte – pour les deux sexes.
Une perspective genrée ne permet pas seulement de mettre en lumière des éléments expliquant pourquoi les femmes sont plus souvent
touchées par ce phénomène, elle donne aussi
des pistes d’interprétation pour comprendre
pourquoi les hommes se tournent moins souvent vers des institutions, même lorsqu’ils se
trouvent dans des situations de contrainte :
• Il est probable que les hommes se considèrent moins facilement comme des victimes
et/ou éprouvent plus de difficultés à demander de l’aide. On peut en effet partir du
principe d’une sous-déclaration plus élevée
pour les hommes que pour les femmes, car,
dans les représentations publiques, le « mariage forcé » est traité comme une thématique concernant uniquement les femmes, qui
sont décrites comme des victimes. Dans un
tel contexte discursif, il n’est pas étonnant
que les hommes ne se sentent pas concernés
par cette thématique et, en conséquence, ne
cherchent pas d’aide (cf. Bundesministerium
für Familien 2011). À ce titre, une sensibilisation qui vise les hommes pourrait être une
mesure de prévention prometteuse.
• Il existe des différences importantes en ce
qui concerne les marges de manœuvre et
les ressources dont disposent les hommes et
les femmes lorsqu’ils ou elles se retrouvent
dans de telles situations de contraintes.
Ces marges de manœuvre sont construites
par une symbolique genrée, en fonction de
concepts normatifs qui produisent des rapports de forces asymétriques. Par exemple,
41
le statut des femmes et des hommes change
avec le mariage : un mariage peut permettre aux hommes d’acquérir un statut plus
élevé qu’auparavant (même si le mariage est
contraint) étant donné qu’ils seront dorénavant souvent considérés comme chef de
famille, ce qui implique un certain pouvoir
et une certaine indépendance. La situation
peut se présenter différemment pour les
femmes qui, au lieu de gagner de l’indépendance après un mariage, sont plus souvent
soumises à un contrôle plus serré (Riaño
et Dahinden 2010). Il en découle que, en
raison de ces mécanismes genrés, il existe
plus de possibilités de mettre en place des
stratégies d’évitement pour les hommes que
pour les femmes, comme p. ex. de mener
une « double vie » et de continuer/entamer
une relation hors mariage. Néanmoins, les
expert(e)s (focus group 2) ont relevé un
autre facteur d’importance : dans les cas où
un homme vient en Suisse pour se marier
avec une femme qui est née ou a grandi en
Suisse, les rapports de domination genrés se
complexifient. Dans une telle constellation,
les hommes ont une moins bonne connaissance du contexte et ne parlent peut-être
pas la langue locale et peuvent se trouver
dans une situation de dépendance vis-à-vis
de leur épouse, notamment au niveau de
leur permis de séjour.
• Selon certaines études, les hommes sont
souvent plus âgés que leurs épouses, ce
qui augmente les chances qu’ils aient déjà
terminé leur formation ou qu’ils se soient
déjà établis dans leur domaine professionnel
au moment de mariage. Or, l’indépendance
financière et professionnelle réduit la proba-
42
bilité de situations de contrainte en lien avec
le mariage, les relations amoureuses et le
divorce (Berliner Arbeitskreis gegen Zwangsverheiratung 2007: 6).
Figure 6 : Âge des personnes concernées
100%
11%
63%
60%
72%
27%
29%
28%
Type A
(n=95)
Type B
(n=114)
Type C
(n=93)
80%
• Dans les cas où des hommes sont prêts à
demander de l’aide, ils se trouvent confrontés au manque d’offre adéquate en Suisse
(Schenk 2009: 107). En effet, une bonne
partie de l’offre de conseils est pensée pour
un public féminin, implicitement ou explicitement. L’offre d’hébergement quant à elle
est pour l’heure quasi exclusivement réservée
aux femmes.
60%
40%
20%
0%
Concernant l’âge des personnes touchées, on
constate que la plupart se trouve dans la tranche
de 18 à 25 ans. Pourtant, on observe que les
types A et B se distinguent nettement du type C.
En effet, le type C (pressions pour empêcher un
divorce) concerne avant tout des personnes se
situant dans des tranches d’âge plus élevées. Ce
résultat est significatif, car, comme nous l’avons
vu, la majorité des projets de sensibilisation mis
en place pour lutter contre les « mariages forcés » ont défini les jeunes comme public-cible34.
Il indique qu’il faudra penser à des mesures
n’étant pas uniquement centrées sur les jeunes
afin de toucher aussi les personnes se trouvant
dans les situations de type C.
À propos de l’âge, un autre point mérite
discussion, à savoir la présence de mineur(e)s
parmi les personnes concernées. En effet, pour
les types A et B, on constate près d’un tiers de
mineur(e)s pour les cas récents, et si l’on considère l’ensemble des cas C de ces deux dernières
années, on observe 5% de personnes de moins
de 18 ans35.
10%
Plus de 25 ans
Entre 18 et 25 ans
Moins de 18 ans
34 Les « communautés » étrangères sont souvent citées
comme deuxième public-cible, mais pas dans l’idée
d’y toucher d’autres potentielles victimes. Il s’agit
plutôt d’y faire de la prévention auprès des auteur(e)s
de violence.
35 Ainsi que 40% entre 18 et 25 ans et 55% de plus de
25 ans.
43
Les pressions en vue de renoncer à une relation
amoureuse (type B) commencent à l’adoles­
cence, ce qui ne semble pas surprenant,
puisque cela correspond à l’époque où les
jeunes vivent leurs premières histoires d’amour
ou commencent à sortir. C’est plus étonnant
pour le type A et pour le type C, car le Code
civil stipule que le mariage n’est légal en Suisse
qu’à partir de 18 ans (art. 94, al.1, CC)36. Pour
le type A, on peut faire l’hypothèse que les
36 Pour le détail des lois à ce sujet cf. Conseil fédéral
(2011: 2056) et Meier (2010).
37 Les mariages entre mineurs sont aussi interdits dans
pressions commencent bien avant le mariage
lui-même. Une autre explication possible est
que ces personnes sont destinées à être mariées
(type A) ou ont été mariées (type C) dans un
pays où les mariages entre personnes de moins
de 18 ans sont légaux37 – cela risque toutefois
de changer, car le projet de loi vise un changement de ce point (cf. chap. 1.1). Une étude
récente effectuée en Allemagne, qui montre
que 52% des « mariages forcés » ont eu lieu
à l’étranger (Bundesministerium für Familien
2011: 39), va aussi dans le sens de cette hypothèse, sans pouvoir la confirmer entièrement.
Enfin, il est possible que les personnes seront/
ont été mariées non devant un état civil mais de
manière traditionnelle, religieuse ou autre, soit
en Suisse soit à l’étranger.
certains pays d’origine des personnes concernées.
En Turquie, le mariage n’est en principe pas autorisé
avant 18 ans. Pour des cas exceptionnels, avec autorisation du juge et des parents ou du représentant
légal, une personne de 17 ans peut être autorisée
à se marier (Code civil turc, art. 124). Au Kosovo, la
situation est semblable, puisqu’une personne qui
n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans révolus ne
peut pas contracter de mariage. Dans des circonstances particulières et exceptionnelles, le juge peut
accorder l’autorisation de mariage aux personnes
âgées de plus de 16 ans révolus (loi sur la famille
du Kosovo du 29 janvier 2006, art. 15 et 16). Il est
intéressant de noter par ailleurs que le « mariage
forcé » est explicitement interdit au Kosovo (Code
pénal kosovar du 6 avril 2004, art. 207). La question
de savoir comment ces appareils législatifs sont
mis en application reste cependant ouverte. Des
informations sur la situation juridique par rapport au
mariage et au divorce dans d’autres pays d’origine
peuvent être trouvées dans Berliner Arbeitskreis
gegen Zwangsverheiratung (2007).
44
La présence de mineur(e)s parmi les personnes
concernées représente également un défi en
termes des mesures. Une experte de Solidarité
Femmes (entretien 2) a notamment soulevé le
problème de la protection et de l’hébergement :
du fait que ces personnes sont mineures, les
parents devraient être informés du placement
dans un centre d’hébergement ou du moins être
avertis par l’office des mineurs que leur enfant
est pris en charge. Par ailleurs, il n’existe pas
en Suisse romande – contrairement à la Suisse
allemande – une maison d’accueil spécifique
pour les jeunes femmes et hommes. Cela est
regrettable, car héberger les jeunes femmes
avec les femmes adultes n’est pas une solution
optimale. Finalement, les liens de dépendance
des mineur(e)s envers leurs familles sont probablement plus prononcés que pour des personnes majeures et pourraient renforcer la loyauté
envers la famille, ce qui est – comme nous le
verrons plus bas – un des plus grands défis
pour intervenir de façon efficace. En général, la
question de l’ambiguïté de la personne face à sa
situation et aux auteur(e)s des violences est plus
forte pour les personnes plus jeunes, qui ont
plus de difficultés à décider ce qui est le mieux
pour elles, et en conséquence, de déterminer
quelles mesures seraient à prendre (entretien 2).
Figure 7 : Nationalité(s) des personnes
concernées
100%
80%
60%
6.2.2. Nationalité, lieu de naissance
et statut de séjour
81%
69%
80%
40%
Comme le montre la figure 7, la majorité des
personnes subissant des pressions en lien avec
le mariage, les relations amoureuses ou le
divorce sont étrangères. Seuls environ 20% des
personnes concernées ont la nationalité suisse
(de naissance ou suite à une naturalisation) – ce
qui est néanmoins un chiffre considérable étant
donné la tendance des débats politiques et publics sur ce sujet à se focaliser sur les étrangers.
Cette figure montre qu’une partie des personnes concernées (entre 3 et 10%) sont
doubles nationales38. Parmi celles qui disposent
uniquement de la nationalité suisse, nos chiffres
permettent aussi de distinguer les personnes
naturalisées des autres. Pour le type A, il y a
9% de Suisses naturalisé(e)s et 3% de Suisses
de naissance39, tandis que pour le type B, on
compte 12% de naturalisé(e)s, 6% de Suisses
de naissance et 3% de Suisses pour lesquels
nous n’avons pas de précision. Pour le type C,
les personnes naturalisées représentent 6%, les
Suisses de naissance 10% et les Suisses sans
précision 1%. Notons que le type B (personnes
forcées de renoncer à une relation amoureuse)
se distingue par une plus grande proportion
de personnes suisses et double nationales, soit
près d’un tiers.
21%
20%
12%
0%
17%
7%
10%
3%
Type A
(n=93)
Type B
(n=108)
Type C
(n=91)
Étrangères
Suisses
Double nationalité (Suisse et autre)
38 Voici les détails des sous-catégories pour les doublenationaux. Type A : 6% Suisse naturalisé et autre,
1% Suisse de naissance et autre ; type B : 8% Suisse
naturalisé et autre, 1% Suisse de naissance et autre,
1% suisse sans précision et autre ; type C : 2% Suisse
de naissance et autre, 1% Suisse sans précision et autre.
39 Notre enquête a permis de mettre à jour au total
19 situations impliquant des Suisses de naissance
(types A, B et C confondus). Ces situations révèlent
tout comme les autres une très grande diversité concernant les causes et les agents des contraintes. Dans
un cas, la personne qui a rempli le questionnaire a
précisé qu’il s’agissait d’une situation où la femme était
enceinte et que des pressions étaient exercées en vue
du mariage pour des raisons religieuses (catholicisme).
45
Nos résultats (cf. figure 8) montrent par
ailleurs que plus d’un tiers des personnes relevant du type A et presque la moitié de celles
concernées par le type B sont nées en Suisse40.
Il s’agit donc de personnes qui n’ont pas migré
elles-mêmes mais qui ont grandi en Suisse.
Une fois de plus, le type C se distingue des
deux autres : on constate que la part de
personnes nées en Suisse est beaucoup plus
faible. Être né en Suisse implique en général
d’en parler une des langues, d’y avoir fait sa
scolarité et d’en connaître les institutions, éléments qui sont plus souvent absents chez les
personnes nées à l’étranger. Ainsi, le haut taux
de personnes nées à l’étranger parmi les cas
de type C est un élément important à prendre
en compte lors de l’élaboration de mesures.
Le statut de séjour des personnes concernées
est un des points où les informations détenues
par les professionnel(le)s se sont révélées lacunaires (près de 20% de réponses manquantes
à cette question).
Néanmoins nos chiffres montrent que la majorité des personnes se trouvant dans des situations relevant du type A et B sont établies en
Suisse (permis C). En ce qui concerne les personnes subissant des pressions pour renoncer
Figure 8 : Lieu de naissance
des personnes concernées
Figure 9 : Statut de séjour des personnes
concernées (si étrangères)
100%
100%
80%
62%
80%
51%
60%
85%
20%
Type A
(n=80)
Étranger
Suisse
46
Type B
(n=100)
34%
Type C
(n=89)
47%
76%
20%
38%
15%
0%
14%
58%
49%
6%
60%
40%
40%
8%
10%
0%
Type A
(n=62)
Type B
(n=64)
Permis N ou F
Permis B
Permis C
47%
Type C
(n=66)
à divorcer (type C), près de la moitié d’entre
elles sont au bénéfice d’un permis B, car seuls
47% ont un permis d’établissement (C) et 6%
un permis N ou F. Elles sont donc pour plus de
la moitié dans une situation précaire du point
de vue du permis de séjour.
Les migrant(e)s au bénéfice d’un permis B
obtenu par regroupement familial suite à un
mariage forment une catégorie touchée par
une forme particulière de précarité, étroitement liée à leur statut matrimonial. Ce point
suscite depuis un certain temps de nombreux
débats politiques en Suisse et différents
acteurs demandent un permis de séjour
indépendant du mariage41. Leur argument
principal est que les personnes, en général
des femmes, victimes de violence domestique
risquent de perdre leur droit de séjour si elles
quittent leur conjoint violent et sont donc
poussées à retourner auprès de lui par les dispositions actuelles du droit des étrangers. La
loi sur les étrangers prévoit qu’une personne
au bénéfice d’un permis B qui divorce puisse
garder son autorisation de séjour si elle remplit certaines conditions (durée de séjour de
3 ans, intégration réussie ou raisons personnelles majeures, qui comprennent la violence
conjugale et une réintégration difficile dans
le pays d’origine)42. La pratique montre
cependant qu’il est extrêmement difficile de
faire admettre aux autorités qu’une personne
remplit ces conditions et le risque de perdre
son permis en cas de divorce est réel.
les situations de « mariages forcés ». Il est
important de rappeler que 47% des personnes se trouvant dans des situations de type
C disposent d’un permis B. Les expert(e)s ont
soulevé ce point à différentes reprises. Dans
le focus group alémanique notamment, une
spécialiste mentionne le problème qu’il faut
prouver, pour entrer dans ces cas de rigueur,
une certaine intensité en termes de violence.
40 En ce qui concerne le lieu de naissance, il est à
noter que dans près de 10% des cas, cette question
est restée sans réponse et que les pourcentages
se présentent légèrement différemment lorsqu’on
considère tous les cas de ces deux dernières années
(type B : 61% de personnes nées à l’étranger ; type
C : 76% de personnes nées à l’étranger).
41 Cf. par exemple l’initiative parlementaire de Christine
Goll en 1996 et la motion de Maria Roth-Bernasconi
en 2009. À ce sujet, voir aussi Dubacher et Reusser
(2011).
42 LEtr, art. 50.
1) Après dissolution de la famille, le droit du conjoint
et des enfants à l’octroi d’une autorisation de séjour
et à la prolongation de sa durée de validité en vertu
des art. 42 et 43 subsiste dans les cas suivants:
1 a.) l’union conjugale a duré au moins trois ans et
l’intégration est réussie;
1 b.) la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour
des raisons personnelles majeures.
2) Les raisons personnelles majeures visées à l’al. 1,
let. b, sont notamment données lorsque le conjoint
est victime de violence conjugale et que la réinté-
Cette thématique, qui concerne toutes les migrantes au bénéfice d’un permis B par mariage
et victimes de violence domestique, est aussi
d’une extrême importance pour comprendre
gration sociale dans le pays de provenance semble
fortement compromise.
3) Le délai d’octroi de l’autorisation d’établissement
est réglé à l’art. 34.
47
Autrement dit, l’application de l’article 50 de
la LEtr laisse une marge de manœuvre qui est
problématique surtout dans la mesure où il
s’agit souvent de violence psychique difficile
à prouver.
Le pourcentage de requérant(e)s d’asile (permis N ou F) peut sembler relativement faible a
priori dans ce graphique mais en fait, ils sont
fortement surreprésentés parmi les personnes
confrontées à ces problématiques de contrainte. En effet, les personnes au bénéfice d’un
permis N ou F ne représentent que 2,2% des
étrangers résidant en Suisse43.
Parmi quelles populations étrangères ces types
de contraintes sont-elles les plus répandues ?
Quelle est l’origine nationale des personnes
s’adressant aux institutions44 ? Le type A
concerne majoritairement des personnes des
Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka.
Bien que les deux régions les plus représentées
soient les mêmes, le type B présente un profil
plus diversifié en termes de nationalités que
le type A. On constate en effet la présence
de personnes de régions absentes du type A
(Asie du Sud-Est, Amérique du Sud, Afrique de
l’Ouest et Afrique centrale).
Les contraintes visant à empêcher une personne de divorcer (type C) sont elles aussi
réparties sur plus de populations différentes.
L’Amérique du Sud représente 8% des cas,
alors qu’elle est absente pour les cas A. Le
tableau 2 montre un taux moins élevé de
personnes suisses pour le type C que pour le
type B. Néanmoins, le taux relativement important de Suisses de naissance au sein de cette
48
43 Pourcentage calculé sur la base des chiffres de 2009
du tableau de l’OFS « Étrangers en Suisse selon
l’autorisation de résidence ».
44 Il est à noter que dans un peu moins de 10% des
cas, les professionnel(le)s n’ont pas répondu à cette
question, probablement parce qu’ils ne détenaient
pas l’information nécessaire.
45 Les différentes nationalités ont été regroupées selon
les catégories géographiques utilisées par l’OFS.
catégorie pour le type C est remarquable (10%,
tandis que les Suisses de naissance représentent
4% pour le type A et 7% pour le type B.).
de personnes des Balkans (ou de Turquie, etc.)
parmi les personnes concernées par la problématique des « mariages forcés »?
Ces informations sur les groupes de nationalités les plus représentées sont toutefois à
prendre avec prudence et ne doivent pas être
interprétées hâtivement. En effet, les fortes représentations de certaines nationalités peuvent
provenir de leur proportion élevée au sein de la
population résidant en Suisse – et inversement
pour les nationalités faiblement représentées.
En d’autres termes, il faut se poser la question
suivante : n’est-ce pas simplement parce qu’il
y a beaucoup de personnes des Balkans (ou de
Turquie, etc.) en Suisse qu’on trouve beaucoup
Afin de pallier à cette ambiguïté, nous avons
mis en perspective les proportions des nationalités concernées par les «mariages forcés» (en
distinguant les types A, B et C) avec la proportion de ces nationalités parmi la population totale résidant en Suisse. Le calcul a été effectué
en divisant la proportion d’une catégorie de
nationalités au sein de la population concernée
par les « mariages forcés » par la proportion de
cette même catégorie de nationalités au sein de
la population résidant en Suisse.
Tableau 2 : Nationalité(s) de la personne concernée
Nationalités 45
Type A Type B
n % n %
Europe (non UE-27/AELE) : Albanie, ancienne Yougoslavie (sic),
52 56 44 41
Bosnie, Kosovo, Macédoine, Serbie-Monténégro, Turquie
Suisse
11 12 22 20
Asie du Sud : Inde, Sri Lanka, Pakistan, Afghanistan
7 8 11 10
Double nationaux: Suisse – autre
7 8 11 10
Étrangers sans précision
6 6
5 4
Asie de l’Ouest : Irak, Syrie, Yémen
5 5
1 1
UE-27 : Italie, Portugal, Espagne, Roumanie, Slovénie
2 2
1 1
Afrique du Nord : Maroc
1 1
2 2
Afrique de l’Est : Érythrée, Somalie, Rwanda
1 1
2 2
Autre : personnes double nationales (pays de l’UE – pays tiers)
1 1
1 1
Asie du Sud-Est : Thaïlande, Birmanie
3 3
Amérique du Sud : Brésil, Pérou, Paraguay, Venezuela
2 2
Afrique de l’Ouest : Nigéria, Sénégal, Ghana
2 2
Afrique centrale : Cameroun, Rép. démocratique du Congo
1 1
Caraïbes : Haïti
Total
93 100 108 100
Type C
n %
36 40
15 17
10 11
3 3
6 7
1 1
3 3
3 3
2 2
7 8
2 2
2 2
1 1
91 100
49
Si le chiffre obtenu après cette opération est
supérieur à 1, cela veut dire que les individus de
la nationalité en question sont surreprésentés
parmi les personnes concernées par les «mariages forcés», puisque proportionnellement, il y a
plus de personnes de cette nationalité parmi les
personnes concernées par les « mariages forcés » que parmi la population résidant en Suisse.
Si au contraire le nombre obtenu est inférieur à
1, les personnes de cette nationalité sont sousreprésentées (cf. tableau 3).
A titre d’exemple concret, voici le détail du calcul
effectué pour l’Asie du Sud. Les personnes provenant de l’Asie du Sud représentent 10% des
personnes concernées par les cas de type B, mais
au sein de la population résidant en Suisse, elles
ne représentent que 0,62%. Le chiffre obtenu
est grandement supérieur à 1 (10:0,62=16,13),
ce qui veut dire que les personnes provenant
de l’Asie du Sud sont surreprésentées parmi les
personnes concernées par les cas de type B.
Le premier élément qui ressort de ce tableau est
que, pour tous les types, les Suisses (de naissance et naturalisés) sont sous-représentés parmi
les personnes concernées par les « mariages
forcés » (de même que les personnes de l’Union
européenne pour le type C). Au contraire, les
étrangers hors Union européenne dans ce
tableau sont tous fortement surreprésentés pour
les trois types. L’apport essentiel de cette mise
en perspective est de nuancer la prévalence de
certains groupes de population par rapport à
d’autres. Elle nous permet en effet de relativiser
la prévalence parmi les personnes concernées de
certaines nationalités en raison de leur forte proportion parmi la population résidant en Suisse.
En particulier, elle montre que les personnes de
Turquie et d’ancienne Yougoslavie, qui forment
Tableau 3 : Sous-/surreprésentation des nationalités
Type A
Asie de l’Ouest
(25)
Asie du Sud
(12,9)
Europe (non UE-27/AELE)11,59
Suisse 0,16
Afrique de l’Est
-
Afrique du Nord
-
UE-27 / AELE
-
Type B
Asie du Sud
16,13
Asie du Sud-Est
(9,68)
Europe (non UE-27/AELE) 8,49
Suisse
0,26
Afrique de l’Est
-
Afrique de l’Ouest
-
Afrique du Nord
-
Afrique centrale
-
Amérique du Sud
-
Asie de l’Ouest
-
UE-27 / AELE
-
Type C
Asie du Sud
17,74
Amérique du Sud
(17,02)
Afrique du Nord
(11,11)
Europe (non UE-27/AELE) 8,28
Suisse
0,22
UE-27 / AELE
(0,21)
Afrique de l’Ouest
Afrique centrale
Asie du Sud-Est
Asie de l’Ouest
Caraïbes
-
- : Nous ne disposions que de 1 ou 2 observations, ce qui rend l’interprétation du résultat trop délicate pour la mentionner.
( ):Nous disposions de 3 à 9 observations, les résultats sont à interpréter avec précaution.
50
la catégorie «Europe non UE » ne ressortent pas
de manière significative par rapport aux autres
étrangers, contrairement à ce que les chiffres
absolus laissaient penser. Ce sont au contraire les
personnes de l’Asie du Sud (provenant essentiellement du Sri Lanka mais aussi d’Inde, du Pakistan et d’Afghanistan) qui apparaissent comme
fortement surreprésentées parmi les personnes
subissant des contraintes, en particulier pour les
types B et C. Ce tableau permet aussi de mettre
en lumière la place relativement importante dans
le type C d’un groupe de population dont on ne
parle jamais en lien avec les « mariages forcés »,
à savoir les personnes d’Amérique du Sud.
Les chiffres absolus présentés dans le tableau 2
gardent une certaine signification et peuvent être
utiles notamment pour mettre en place des mesures. Par exemple, si une institution veut faire un
flyer de prévention contre les « mariages forcés »
mais a des moyens uniquement pour le traduire
en quatre langues, le traduire en albanais, en
serbe, en turc et en tamoul reste le moyen de toucher le plus de personnes. Mais en termes d’explication du phénomène, cette mise en perspective
montre qu’on ne peut pas mettre cette forme de
contrainte en lien spécifiquement avec l’origine
balkanique ou turque des personnes exerçant les
pressions ou avec leur appartenance à l’islam.
6.2.3. Formation et situation professionnelle
Quant au niveau de formation, l’élément
le plus important est certainement que les
personnes forcées à se marier ou à renoncer
à une relation amoureuse (types A et B) sont
en majorité en train de suivre ou ont terminé
une formation professionnelle. Le profil de
formation des personnes du type C est plus
diversifié. On y trouve à la fois plus de personnes n’étant pas du tout allées à l’école et de
personnes suivant ou ayant suivi une formation universitaire ou HES46.
Figure 10 : Niveau de formation
des personnes concernées
100%
ompe lorsqu’on prend en compte tous les cas de type A
de ces deux dernières années. Type A: 4% « N’est pas
allé(e) à l’école », 40% « n’est pas allé(e) plus loin que
l’école obligatoire », 44% « suit / a suivi une formation
professionnelle », 12% « fait / a fait l’université ou une
HES ». Sur ce point aussi il faut relever environ 10% de
réponses manquantes pour cette question.
7%
68%
62%
11%
80%
60%
43%
40%
39%
20%
26%
0%
46 Néanmoins, la différence entre les types A et C s’est­
6%
Type A
(n=84)
29%
2%
7%
Type B
(n=108)
Type C
(n=74)
Fait / a fait l’université ou une HES
Suit / a suivi une formation
professionnelle
N’est pas allé plus loin que
l’école obligatoire
N’est pas allé à l’école
51
Tableau 4 : Situation professionnelle des personnes concernées47
Situation professionnelle des personnes concernées
Activité professionnelle régulière
Activité professionnelle occasionnelle
En formation
Au chômage
Bénéficie de prestations sociales
Dépend de l’aide de son entourage
Homme/femme au foyer
Autres
Total
Cette bonne insertion dans le système de
formation des personnes dont les situations
relèvent du type A et B se retrouve aussi au
niveau de leur situation professionnelle. En
effet, elles sont en majorité en formation ou
exercent une activité professionnelle régulière.
Par opposition, les personnes subissant des
pressions pour rester mariées (type C) ont
un profil professionnel plus contrasté. Même
si une bonne partie d’entre elles travaille,
près de la moitié est dans une situation de
dépen­dance envers l’aide sociale, l’assurance
chômage ou l’entourage.
Type A Type B Type C
n % n % n %
33 38 34 30 28 31
3 4
8 7 25 28
47 54 61 55 7 8
1 1
5 4 6 7
7 8
6 5 13 14
7 8
5 4 15 16
1 1
4 4 25 27
1 1
3 3 3 3
100 115 126 112 122 134
Ainsi, pour le type C, à la question du permis
de séjour s’ajoute la question d’une précarité
augmentée en termes d’insertion dans le
marché du travail ou dans le système éducatif.
Ce résultat soulève évidemment des questions importantes en termes de mesures et
de possibilités d’atteindre ce groupe-cible. Si
un grand nombre des personnes concernées
par les types A et B peuvent être atteintes par
l’intermédiaire des écoles professionnelles ou
d’autres institutions, cela n’est pas le cas pour
le type C.
6.3. Types de contraintes et violences
47 La manière dont cette question était formulée dans
notre questionnaire permettait des réponses multiples.
Nous avons indiqué dans le tableau non pas les pourcentages par rapport au total des réponses mais les
Nous en venons maintenant à la description
plus précise des situations de contrainte dans
lesquelles se trouvent les personnes rencontrées
par les professionnel(le)s interrogé(e)s.
pourcentages par rapport au total des répondant(e)s
qui ont coché un item précis, ce qui permet de donner
une meilleure idée du pourcentage de situations correspondant à un item. Le fait que les répondant(e)s
pouvaient cocher plusieurs items explique que le total
des pourcentages dépasse 100%.
52
Un des résultats principaux de l’enquête on-line
et des entretiens est la grande diversité des
situations de contraintes dans lesquelles les personnes touchées se trouvent. Une participante
au focus group en Suisse allemande l’a exprimé
ainsi : «Die Herausforderung ist ja, dass die Fälle
so extrem unterschiedlich sind. Diese ganze
Bandbreite, eine 19-jährige, verheiratete junge
Frau, die direkt aus den Ferien zurückkommt
und eben verheiratet ist und für die es schwierig
ist, da wieder rauszukommen, wie auch eine 40jährige Frau mit Kindern.»
3 à 5% des cas il n’y avait pas de violence et
la personne s’est adressée à l’institution à titre
préventif.
En d’autres termes, à la diversité des personnes touchées par ces phénomènes en termes
de profil socioéconomique et démographique
s’ajoute une diversité des situations de contraintes. Ce résultat a une portée importante pour
l’élaboration de mesures efficaces, car il implique que les professionnel(le)s soient en mesure
de saisir chaque fois la spécificité du cas pour
trouver une manière adaptée d’intervenir.
100%
Malgré la diversité, des tendances dans les
types de contraintes auxquelles sont soumises
les personnes concernées ont pu être mises en
lumière et sont présentées dans les paragraphes
qui suivent.
20%
6.3.1. Violence exercée au sein du cercle
familial
Les résultats montrent qu’il s’agit d’un phénomène où la présence de violence est forte
et que c’est au sein de la famille que cette
violence est exercée.
Un premier indice du caractère violent du phénomène est donné par le fait que les personnes
prennent contact avec les institutions à un
stade relativement avancé du conflit, soit qu’il
est déjà bien amorcé ou même déjà à un stade
grave (74% pour le type A, 78% pour le type B
et 84% pour le type C). Dans seulement
Figure 11 : Gravité du conflit au moment de la
prise de contact avec l’institution
80%
43%
34%
54%
60%
40%
31%
44%
30%
0%
22%
19%
11%
4%
3%
5%
Type A
(n=94)
Type B
(n=113)
Type C
(n=92)
Conflit violent avec l’entourage
Déjà en conflit avec son entourage
Début de pressions
Renseignement à titre préventif
En particulier pour le type C, la prise de contact
se fait dans plus de la moitié des cas lorsque le
conflit est violent. Même pour les cas de type A
et B, on remarque que seuls environ 20% des
personnes arrivent lorsque le niveau de conflit
est relativement bas. Or, nous y reviendrons, le
degré de gravité du conflit au moment de la
prise en charge a une influence déterminante
53
sur le type de mesures qui peut être pris et les
enjeux qui y sont liés. Ces résultats révèlent
donc un grand potentiel pour des projets de
prévention qui permettraient aux personnes
concernées de prendre conscience de la problématique et consulter plus tôt dans le conflit.
L’analyse des types de pressions qui étaient
exercées au moment où la personne a pris
contact avec l’institution (figure 12) montre que
ce phénomène est presque toujours accompagné de différents types de violences.
La violence psychique est présente dans une
grande majorité des situations, quel que soit
le type concerné. Une analyse plus détaillée de
la catégorie « violences psychiques » montre
que les violences les plus répandues sont ici le
chantage affectif, le contrôle des contacts et les
menaces verbales. En plus, un type particulier
de menaces verbales ressort, à savoir la menace
de renvoyer ou faire renvoyer la personne dans
son pays d’origine si elle ne se plie pas à la
volonté de la personne qui exerce la pression.
Les situations de type A et B sont parfois (dans
29% des cas pour le type A et 22% pour le
type B) accompagnées de violences physiques
mais très rarement de violences sexuelles.
Figure 12 : Types de pressions et violences
exercées au moment de la prise de contact
avec l’institution48
89%
88%
80%
95%
100%
48 Il peut être utile de préciser que pour les sujets «violences sexuelles» et «pas de menaces explicites», il
y avait un seul item à choix. Pour les «violences psy-
60%
57%
chiques», il y en avait 6 (chantage affectif, contrôle
des contacts, menaces verbales, saisie du salaire,
interdiction de travailler, menace de renvoyer la
40%
Type A
Type B
29%
12%
22%
17%
1%
0%
18%
1%
20%
29%
personne dans son pays). Les répondant(e)s en ont
Type C
sélectionné en moyenne entre 2,4 et 2,7. Pour les
«violences physiques», il y avait 3 items à choix (jet
d’objets, coups de pied et de poing, menace avec
une arme). Les répondant(e)s en ont sélectionné en
moyenne entre 1,2 et 1,5.
49 Les autres agents exerçant une pression cités par les
Violences psychiques
Violences physiques
Pas de menaces explicites
Violences sexuelles
54
répondant(e)s sont les suivants : la « communauté »
(cité une fois pour le type A et une fois pour le type B)
et l’État, de par la législation sur le droit des étrangers
(cité 5 fois pour le type C).
Les personnes forcées à rester mariées (type C)
sont quant à elles plus souvent soumises à de la
violence physique (57%), surtout des coups de
pieds et des jets d’objets. Le type C se caractérise aussi par la forte présence (dans 29% des
cas) de violences sexuelles.
Les cas où les menaces ne sont pas encore explicites font référence à des situations où la personne a peur, car elle imagine/sait qu’elle sera
mise sous contrainte mais ne l’est pas encore de
manière explicite, car elle a caché jusqu’à présent son refus de se marier (cas A), sa relation
(cas B) ou son intention de divorcer (cas C).
Qui sont les personnes qui exercent ces formes
de violences ?
Les données montrent que les personnes
concernées sont mises sous pression surtout
par des membres de leur famille. Les personnes forcées à se marier (type A) ou dont on
contrôle les relations amoureuses (type B)
sont mises sous pression en premier lieu par
la famille proche, à savoir surtout le père, puis
la mère et les frères. La famille plus élargie,
notamment les grands-parents et les oncles et
tantes peut aussi être impliquée. Par contre, le
côté du / de la (futur[e]) conjoint(e) joue un rôle
peu important pour les cas de type A et, assez
logiquement, presque inexistant dans les cas
de type B. L’image s’inverse pour les personnes
forcées à rester mariées contre leur gré (type C),
puisque les agents principaux dans l’exercice de
la contrainte sont clairement le/la conjoint(e) et
la belle-famille. La famille proche est aussi impliquée mais à un degré moindre. Les ami(e)s
et les enfants quant à eux ne jouent presque
aucun rôle dans ces situations.
Le fait que les pressions, les contraintes et les
violences se passent en grande partie au sein
de la famille a également été confirmé par
des expert(e)s interviewé(e)s. Un autre aspect
directement lié à ce résultat a également été mis
en avant : il ressort des entretiens que le rôle pri-
Tableau 5 : Personnes exerçant les pressions
Personnes exerçant les pressions
Type A Type B Type C
n % n % n %
Le père
83 88 99 87 31 33
La mère
49 52 70 61 25 27
Un ou plusieurs frères
42 45 47 41 15 16
Le ou la (futur[e]) conjoint(e)
17 18
3 3 73 79
Un membre de la famille élargie
24 26 33 29 22 24
Les parents du / de la (futur[e]) conjoint(e)
13 14 31 33
Une ou plusieurs sœurs
6 6 11 9 7 8
Des ami(e)s
5 5
3 3 2 2
Autres49
1 1 5 5
Les enfants
Total
240 255 266 233 211 227
55
mordial joué par le cercle familial dans l’exercice
des violences place les personnes concernées
dans un conflit de loyauté et que cette dimension n’est pas suffisamment prise en compte
dans les discussions autour de ce thème et des
mesures à prendre (focus group 1 ; nous parlerons de ce conflit en détail plus bas, cf. chap.
7.4.1). L’importance de ces conflits de loyauté
ressort aussi dans la prééminence du chantage
affectif dans les différents types de menaces.
De plus, il semble que les professionnel(le)s
soient – selon leurs dires – souvent démuni(e)s
pour trouver des mesures adéquates face à ces
conflits de loyauté. Comme le dit une participante du focus group romand : « Quand on
se retrouve dans une situation de conflit de
loyauté, et c’est vrai que c’est vraiment souvent
le cas, les jeunes ne veulent pas blesser leurs parents. Pas forcément parce qu’ils veulent suivre
la tradition, mais simplement parce qu’il y a un
lien affectif. »
Nous verrons plus loin que c’est surtout à cause
de ce conflit de loyauté que, bien des fois, les
personnes concernées ne veulent pas que des
mesures soient prises par les professionnel(le)s.
Cette loyauté envers les membres de la famille et
les difficultés qu’elle entraîne concerne les trois
types de cas que nous avons définis. En effet, les
résultats présentés plus haut montrent qu’une
femme adulte qui souhaite divorcer (type C) peut
aussi être l’objet de chantage affectif de la part
de ses parents et/ou de son conjoint et donc
éprouver des difficultés à prendre des mesures
par peur de blesser ou décevoir des personnes
proches. Néanmoins, les expert(e)s indiquent que
ces conflits sont plus difficiles à gérer d’un point
de vue émotionnel pour des personnes plus
56
jeunes, qui sont plus nombreuses dans les cas de
type A et B. En effet, les jeunes ont peur de partir de leur famille en sachant que cela pourrait
signifier une rupture de longue durée (experte
Solidarité Femmes, entretien 2 ; cf. également
Riaño et Dahinden 2010). Une experte d’une
ONG de Suisse allemande a présenté cette problématique comme suit : «In vielen Fällen haben
wir Konstellationen, wo die Personen noch sehr
jung und vom Wohnen und finanziell abhängig
sind plus aufgrund der psychosozialen Ressourcen, die sie mitbringen, auch nicht die Stärken
haben, sich mit 16, 17, 18 von der Familie
zu verabschieden. Bruch oder nicht Bruch ist da
manchmal die Frage. Da ist es sicher sinnvoll,
wenn man als Beraterin nicht einfach auf einen
Bruch hinarbeitet, sondern schaut, was es sonst
für Möglichkeiten gibt» (entretien 6).
C’est également ce conflit de loyauté qui fait –
toujours selon les expert(e)s et les participant(e)s
des focus groups – que les personnes touchées
ne portent pas plainte contre les membres de
la famille. En plus, leur loyauté est encore plus
mise à l’épreuve dans une situation de migration
si la personne touchée sait qu’après une plainte
une partie de la famille pourrait être amenée à
devoir quitter le pays.
En dehors du conflit de loyauté, un deuxième
point lié au fait que ce type de violence est
exercé essentiellement au sein de la famille
mérite d’être soulevé : le caractère collectif de
la violence dans ces situations. A la question de
savoir quelles étaient les personnes exerçant les
pressions, la plupart des répondants ont coché
plusieurs réponses, en moyenne 2,38 réponses
par situation50. Cela montre qu’il y a bien souvent
plus d’une personne qui exerce les violences. Les
expert(e)s que nous avons interrogé(e)s ont aussi
relevé que les violences liées aux contraintes
dans le mariage ne sont pas le fait d’un seul
individu mais de toute une famille, voire d’une
« communauté » (focus group 2)51. Une experte
d’une ONG (Suisse romande) explique que ce
n’est pas une violence comme les autres: « C’est
très difficile à cause des familles, on n’a jamais
à faire à une personne » (entretien 3). Deux des
interlocutrices travaillant dans le domaine de la
violence domestique ont soulevé que cet aspect
collectif de la violence se retrouve dans d’autres
formes de violence domestique (focus group 2,
entretien 1).
Ces quelques éléments illustrent clairement que
les situations de « mariages forcés » sont une
forme de violence perpétuée essentiellement au
sein du cercle familial (élargi), mêlant violence
psychique et physique et s’accompagnant souvent de forts conflits de loyauté de la victime par
rapport aux auteur(e)s de la violence. Face à cette
description rappelant clairement d’autres formes
de violence domestique, une question s’impose :
s’agit-il dans le cas des « mariages forcés »
d’une forme spécifique de violence qui appelle
des mesures spécifiques ou pourrait-on traiter
ce phénomène dans le cadre des réflexions,
mesures, politiques qui sont mises sur pied pour
d’autres formes de violences domestiques ?
Cette question est loin d’être anodine. En
fait, nous avons observé un réel malaise chez
certain(e)s professionnel(le)s face à la tendance
actuelle de prendre des mesures législatives
particulières et de mettre en place des projets pilotes spécifiques contre les « mariages
forcés », en particulier parmi les spécialistes
venant du domaine de l’égalité femme –
homme et de la violence domestique. Dans les
deux focus groups que nous avons menés, des
doutes ont été exprimés quant à la pertinence
de se concentrer sur la question des « mariages
forcés » en séparant cette problématique de
celle, plus large, de la violence domestique.
Une experte du focus group romand a montré
de l’inquiétude face à cet accent mis sur cette
forme particulière de violence subie par les
migrant(e)s : « Est-ce qu’on ne déplace pas un
peu le problème ? » se demande-t-elle.
Derrière cette question se cache la réflexion
suivante : en définissant le « mariage forcé »
séparément des autres violences domestiques,
en soulignant les différences, on en fait un type
de violence spécifique aux migrant(e)s, dont on
peut discuter comme s’il n’avait pas grandchose à voir avec le contexte suisse. Par ailleurs,
concentrer le débat sur cette question fait
passer au deuxième plan la violence domestique
bien présente en Suisse et qui touche aussi bien
les femmes suisses qu’étrangères. Une manière
similaire de juger le débat actuel sur les « mariages forcés » ressort aussi du présent extrait d’un
message que nous avons reçu d’une institution à
laquelle nous avions envoyé notre questionnaire :
« Nous assistons depuis quelque temps à la montée d’un discours raciste et sexiste qui stigmatise
50 Plus précisément : 2,55 réponses en moyenne pour
le type A, 2,33 pour le type B et 2,27 pour le type C.
51 Voir aussi le document « Zwangsverheiratung
und Zwangsehe » de Terre des Femmes, www.
terre-des-femmes.ch/images/stories/Themen/
Zwangsvereiratung/2011_pp_zwangsverheiratung_d.
pdf (page consultée le 16.4.2012).
57
‹l’autre› en prétendant que les discriminations
faites aux femmes concerneraient davantage
les populations migrantes. Ce discours prétend
donc que l’égalité est acquise en Suisse et qu’il
faudrait se préoccuper de l’intégration des populations migrantes qui mettraient en péril l’égalité
entre femmes et hommes. Vous n’êtes bien sûr
pas sans savoir que les discriminations faites aux
femmes sont d’actualité en Suisse et qu’elles font
partie même du système institutionnel (malgré
les progrès législatifs de ces 20 dernières
années) » (message électronique du 27.6.2011).
Ainsi, les expert(e)s et ce message mettent en
avant une tendance que nous avons discutée
dans le chap. 4.1.5 comme comportant un danger d’«ethnicisation du sexisme ».
Il est possible d’éviter une « ethnicisation »
du problème en adoptant une approche qui
mette en avant son caractère genré. Une telle
approche peut rassembler diverses formes de
violences domestiques sous l’idée de systèmes
de domination spécifiques au genre et les combattre en tant que telles. Ainsi les « mariages
forcés » ne seraient plus considérés comme un
problème lié intrinsèquement à la « culture »
et à l’origine des personnes concernées. Cette
perspective a plusieurs avantages :
domestique, insérer la thématique du
« mariage forcé » au sein des débats sur la
violence domestique aurait l’avantage de ne
pas devoir réinventer la roue.
• Définir le « mariage forcé » comme spécificité
des migrant(e)s déconnectée de tout autre
rapport en termes de genre peut contribuer
à la stigmatisation des femmes migrantes
comme « soumises et dominées » par leur
origine, culture ou religion – tout en négligeant l’hétérogénéité au sein de la population migrante et surtout en impliquant en
même temps qu’en Suisse l’égalité de genre
est un fait accompli, la norme et le quotidien.
Nous reviendrons en détail sur cette question
dans les recommandations, car le choix de traiter
les « mariages forcés » comme un phénomène
séparé ou non a une incidence directe sur la manière de concevoir les mesures à mettre en place.
6.3.2. Raisons à l’origine de la contrainte
• Une telle démarche permettrait de lutter
contre les inégalités genrées de genre en général, dans toutes les situations où on peut
détecter des inégalités et des rapports de
pouvoir, indépendamment de la nationalité
des femmes ou des hommes concerné(e)s.
Selon les institutions ayant participé à l’enquête, les personnes concernées par le type
A et B énoncent deux raisons principales qui
poussent les membres de leurs familles à les
mettre sous pression que la personne se marie
avec quelqu’un de la même origine ethnique/
nationale et/ou de la même origine religieuse
(figure 13 et figure 14). Les résultats montrent
cependant aussi que les situations de contrainte
se déploient souvent selon plusieurs axes et que
d’autres raisons entrent en jeu.
• Comme diverses mesures ont été mises en
place dans le contexte suisse pour aider
les personnes concernées par la violence
Concernant les personnes sous pression pour
se marier (type A), les questions liées aux
stratégies migratoires arrivent en troisième
58
Figure 13 : Raisons à l’origine de la contrainte (type A) (n=244)
L’entourage souhaite que la personne épouse quelqu’un
de la même origine ethnique/nationale
81%
L’entourage souhaite qu’elle épouse quelqu’un de la
même religion
50%
Le ou la conjoint(e) pourra obtenir un permis de séjour
en Suisse
29%
Les proches souhaitent ce mariage, car elle a adopté un
mode de vie trop différent du leur
23%
21%
Les proches sont tenus par des promesses de mariage
L’entourage souhaite qu’elle épouse quelqu’un de la
même classe sociale / caste
15%
L’entourage souhaite qu’elle épouse quelqu’un de la
parenté élargie
15%
11%
Le mariage doit se faire, car une somme d’argent est en jeu
9%
Autres
L’entourage souhaite ce mariage, car la personne est au
chômage
L’entourage veut remettre la personne dans le droit
chemin, car elle est homosexuelle
6%
0%
0%
position, lorsque le mariage est utilisé comme
moyen d’obtenir un permis de séjour pour un(e)
conjoint(e). En d’autres termes, les dynamiques
dans les familles transnationales – décrites dans
l’introduction – peuvent au moins partiellement
expliquer l’homogamie ethnique et/ou religieuse
souhaitées par les membres de la famille.
Nous voyons aussi que les conflits de générations
à propos du mode de vie et des valeurs jouent
un rôle, lorsque le mariage est considéré comme
un moyen pour remettre la personne dans le
droit chemin. D’autres études ont montré que
ce souhait est souvent motivé d’un côté par une
peur des membres de la famille de perdre leurs
enfants en cas d’un mariage avec une personne
20% 40%
60%
80% 100%
d’une autre origine ethnique ou religieuse ou
d’un autre côté par l’idée que seul un mariage
avec une personne de la même origine ethnique/
religieuse ou linguistique puisse garantir que
l’union soit durable (Riaño et Dahinden 2010).
Par contre, aucune situation de contrainte du
type A n’a été mise en lien avec l’orientation
sexuelle des personnes concernées. Nous
avions considéré cette possibilité dans notre
enquête en proposant un item concernant
l’homosexualité, car la littérature signalait des
cas de personnes (hommes et femmes) forcées
à se marier par leur famille en raison de leur
homo ou bisexualité (Chantler et al. 2009 ;
Hester et al. 2007 ; Lavanchy 2011 ; Thiemann
59
2007). Par ailleurs, en Grande-Bretagne, un
flyer et un site internet52 spécifiques pour ce
public-cible ont été créés respectivement par la
Forced Marriage Unit (FMU) et le Albert Kennedy
Trust. Le questionnaire a ainsi été envoyé à une
quarantaine d’associations de défense du droit
des homosexuel(le)s. Une seule l’a rempli tandis
qu’une autre nous l’a renvoyé en disant qu’elle
n’avait été confrontée à aucun cas de ce type.
Celle qui a rempli le questionnaire a signalé
entre 11 et 20 cas de type B et 2 du type C mais
aucun du type A53.
Par rapport aux personnes empêchées de vivre
une relation de leur choix (type B), vient en
troisième position une explication différente, où
l’objection n’est pas liée à la personne choisie
qui serait désapprouvée par la famille, mais
simplement à l’âge de la personne mise sous
pression. Parfois la contrainte vient du fait que
l’entourage fait pression sur une personne pour
qu’elle renonce à l’ami(e) qu’elle a choisi(e) pour
accepter un(e) conjoint(e) choisi(e) par la famille.
Enfin, les situations amenant aux contraintes de
type C sont très différentes et plus diversifiées. Il
y a tout d’abord la peur du rejet par la communauté en cas de divorce et le fait que le divorce
en général est désapprouvé par l’entourage.
Ce thème est apparu aussi lors du focus group
alémanique, où un expert a expliqué qu’un
divorce peut poser des problèmes majeurs à une
femme, car il est entouré de stéréotypes négatifs
et qu’il se peut qu’une femme divorcée ne puisse
plus se remarier en raison du stigmate attaché au
divorce. Cette considération met aussi en lumière
les difficultés à faire marche arrière lorsqu’un mariage a eu lieu sous contrainte. Le divorce, dans
Figure 14 : Raisons à l’origine de la contrainte (type B) (n=206)
L’entourage désapprouve qu’il ou elle sorte avec une
personne d’une autre origine ethnique/nationale
68%
L’entourage désapprouve qu’il ou elle sorte avec une
personne d’une autre religion
43%
L’entourage trouve que la personne est trop jeune pour
entamer une relation amoureuse
23%
L’entourage a déjà choisi une autre personne avec
laquelle il souhaite que la personne se marie
20%
Autres
14%
L’entourage désapprouve qu’il ou elle sorte avec une
personne d’une autre classe sociale / caste
14%
L’entourage trouve que le/la partenaire est trop jeune ou
trop vieux/vieille
4%
0%
60
20% 40%
60%
80% 100%
Figure 15 : Raisons à l’origine de la contrainte (type C) (n=218)
La personne ne peut pas divorcer, car elle serait rejetée
par sa famille et sa communauté
53%
Elle a peur de ne plus revoir ses enfants / de ne pas
obtenir la garde
45%
L’entourage trouve que le divorce n’est pas une option
envisageable
45%
39%
La personne a peur de perdre son permis de séjour
Elle a peur de se retrouver dans une situation
économique difficile
36%
16%
Autres
0%
les cas où il est possible, n’est souvent pas une
solution adéquate, justement pour les raisons
évoquées ci-dessus. Toujours selon cet expert, essayer de trouver un moyen d’annuler le mariage
s’avère une meilleure piste dans bien des cas.
Toujours par rapport au type C, on constate
aussi les raisons liées à ce que la personne
pourrait perdre en cas de divorce, à savoir la
garde de ses enfants ou la possibilité de les voir
et son permis de séjour. Si, parmi l’ensemble
des personnes concernées par le type C, on
sélectionne uniquement les personnes qui ont
un permis B, la peur de perdre son permis arrive
en première position avec 74%. On retrouve
ici la question de l’application de l’art. 50 de la
LEtr mentionnée plus haut (cf. chap. 6.2.2). On
constate sur ce tableau à quel point différents
types de contraintes, relevant du cercle familial
mais découlant aussi des dispositifs légaux et
administratifs suisses se mêlent dans ces situations d’une grande complexité.
20% 40%
60%
80% 100%
6.4. Lien avec l’étranger : aspects
transnationaux
Nous avons décrit dans l’introduction qu’une
dimension transnationale peut intervenir sous
plusieurs formes par rapport au mariage et aux
relations amoureuses. Pour ces raisons, nous
avons cherché à savoir, au travers du questionnaire, où résidaient les personnes concernées par
la relation sous contrainte. Le but est de mieux
comprendre les problèmes et les enjeux qui interviennent dans les relations transnationales et de
52 http://lgbtforcedmarriage.org/, page consultée le
22.12.2011.
53 À titre de comparaison, 36% des associations
d’homosexuel(le)s ayant répondu à l’enquête
effectuée récemment en Allemagne ont dit avoir été
confrontées à la thématique des « mariages forcés »
(Zwangsverheiratung) (Bundesministerium 2011).
61
voir s’ils sont différents de ceux qui se présentent
dans les relations locales.
Pour le type A, nous avons demandé où résidaient les deux personnes au moment où le/
la professionnel(le) a eu connaissance de cette
situation. Nos résultats montrent que dans 77%
des cas, la personne est mise sous pression pour
se marier avec quelqu’un qui réside à l’étranger :
il s’agit donc d’un (potentiel, futur) mariage
transnational. Ces stratégies transnationales
s’expliquent par les raisons déjà évoquées plus
haut. Il peut s’agir soit d’une volonté d’assurer
une certaine homogamie, de retourner un geste
de solidarité dans l’espace transnational, ou de
fournir un permis de séjour au / à la conjoint(e)
ou un mélange de ces raisons.
Ces mariages transnationaux peuvent être
officialisés devant un état civil soit en Suisse soit
dans le pays de résidence du / de la conjoint(e)
résidant à l’étranger (cf. Büchler et Fink 2008
pour une discussion de cette question d’un
point de vue juridique).
Il serait évidemment intéressant de savoir si le
mariage est prévu en Suisse ou à l’étranger,
mais comme selon notre définition du type A, le
mariage n’a pas encore eu lieu, il était difficile
de poser la question aux professionnel(le)s qui
en seraient réduits à des conjectures. À titre de
comparaison, l’étude allemande montre que
52% des mariages forcés ont eu lieu à l’étranger (Bundesministerium für Familien 2011: 39).
L’expert d’un état civil que nous avons interviewé (entretien 4) donne des indications similaires. Il n’avait connaissance d’aucun cas où un
état civil se serait opposé à conclure un mariage
Figure 16 : Relation locale ou transnationale ?
en raison de soupçons de contrainte, cela même
100%
depuis l’introduction de l’al. 1bis de l’art. 65
10%
de l’ordonnance sur l’état civil. Selon cet article
25%
de loi, l’officier de l’état civil rappelle aux fiancés
80%
qu’il ne peut célébrer le mariage s’il n’est pas
45%
l’expression de leur libre volonté.54 L’expert
77%
60%
explique: «Wenn die Leute dann endlich zur
Ehevorbereitung bei uns sind, dann ist in den
40%
Köpfen der Brautleute das schon weit gediehen.
75%
Die meisten haben dann bereits akzeptiert, dass
es an dieser Situation nichts zu ändern gibt. Da45%
20%
rum wird es für uns enorm schwierig, überhaupt
23%
irgendwas zu merken. (…) Man kennt sehr we0%
nig oder kaum Fälle, bei denen Zwangsheiraten
Type A
Type B
Type C
am Schalter bei uns in der Schweiz anwesend
(n=90)
(n=113)
(n=82)
sind. Man sieht das in der Regel nicht. Es hat
Mariage conclu entre 2 pers. résidant à l’étranger sich auch gezeigt, dass in der Regel, oder fast
Rel. transnationale (1 p. en CH, 1 p. à l‘étranger) meistens, die Zwangsheiraten nicht bei uns, sonRelation entre deux personnes résidant en CH dern im Heimatland geschlossen werden.»
62
Les études menées dans d’autres pays ainsi
que les entretiens indiquent que souvent
les mariages transnationaux (avec ou sans
contrainte) sont conclus pendant des vacances
– ce qui pose des questions en termes de
mesures spécifiques.
En comparaison avec les cas de type A, la
proportion est presque exactement inversée
en ce qui concerne les relations amoureuses
que l’entourage essaie d’empêcher (type B).
Ces relations sont en majorité des relations
locales, où les deux personnes concernées se
trouvent en Suisse. Nos données ne contiennent pas d’information sur la nature des
relations transnationales du type B (25% des
cas), mais on peut faire l’hypothèse qu’il s’agit
de relations liées pendant les vacances ou par
internet.
Les situations les plus diversifiées se retrouvent au sein des personnes mariées subissant
des pressions pour renoncer à un projet de
divorce (type C). Parmi elles, on voit tout
d’abord une minorité (10%) de personnes
qui se sont mariées alors qu’elles vivaient les
deux à l’étranger et sont ensuite venues en
Suisse. Nos résultats démontrent ainsi qu’il
ne s’agit pour le type C que rarement de
mariages problématiques « importés » (i.e.
conclu à l’étranger par des personnes n’ayant
aucun lien avec la Suisse au moment du
mariage) : au contraire, dans 90% des cas,
une personne du couple au moins vivait en
Suisse (45%) juste avant le mariage. En effet,
il s’agit soit d’un mariage transnational où un
des conjoints vivait en Suisse ou d’un mariage
« local » entre deux personnes résidant sur sol
helvétique (45%).
Les résultats permettent encore de distinguer
plus précisément au sein de ces mariages
transnationaux de type C. Ces 45% sont composés à 28% de cas où la personne qui subit la
pression est celle qui résidait en Suisse avant le
mariage et à 17% de cas où c’est la personne
arrivée par mariage qui se retrouve dans une
situation de contrainte. Comme nous l’avons
évoqué plus haut (cf. chap. 6.2.1), le fait de
résider en Suisse depuis longtemps et d’être la
personne du couple qui dispose du permis de
séjour dont dépend celui du conjoint donne
des ressources considérables à la personne
qui fait venir un(e) conjoint(e). Ces ressources
complexifient les rapports de force induits par
le genre et peuvent être utilisées en particulier
par les femmes dans les négociations au sein
du couple (Lavanchy 2011 ; Riaño et Dahinden
2010). D’un autre côté, une situation exposée
par un(e) expert(e) montre qu’on ne peut pas
partir du principe que seule la personne qui
vient de l’étranger par mariage se trouve dans
une situation de contrainte. Dans ce cas, une
jeune femme avait été frappée par ses parents
pour la forcer à travailler. « C’est là qu’il faut
vraiment observer ce qui se passe, parce que
pour faire venir (de l’étranger) son mari, elle (la
cliente) devrait travailler. Parce que l’office de
migration accepte de donner un permis de séjour au conjoint qui va venir que si la personne
travaille. Elle doit fournir trois fiches de salaire
et un bail à loyer. Et elle ne voulait pas travailler
parce qu’elle savait que ça représentait la vie
commune avec ce type. Donc elle n’en avait
absolument pas envie » (entretien 1). Un autre
54 Introduit par le ch. I de l’ordonnance du 4 juin 2010,
en vigueur depuis le 1er janvier 2011 (RO 2010 3061).
63
expert du focus group alémanique évoque les
situations où cette relative position de force se
retourne contre les femmes, car elle amène une
augmentation de la violence à leur égard de
la part du conjoint mis en situation de dépendance.
6.5. Évolution des cas
Nous terminons ce chapitre sur la description et
l’analyse des situations par quelques remarques
sur l’évolution des cas. Nous avons en effet
demandé aux différentes institutions ce qu’il
advenait des cas qu’elles traitaient. Les réponses
sont présentées dans la figure 17.
Un premier élément qui ressort est qu’entre
25% et 31% des cas (tous types confondus)
ont pu être résolus ou du moins ont vu une
nette amélioration, alors que dans seulement
environ 10%, la situation s’est aggravée, ce qui
indique que les professionnel(le)s ne sont pas
entièrement désarmé(e)s pour faire face à ces
situations.
Toutefois, deux autres faits d’importance
ressortent de ce graphique, dont le premier est
l’immobilisme attaché à ces situations. Pour
15% des cas de type A et environ un tiers des
cas de type B et C, la situation n’évolue pas.
On retrouve ici un élément qui a été cité à
plusieurs reprises dans les entretiens que nous
avons fait avec les expert(e)s : ces situations
55 Cela est valable pour les adultes. Dans des cas impliquant des mineur(e)s, selon cette personne, une
procédure différente est appliquée.
64
sont extrêmement compliquées et demandent
souvent un très long suivi et donc un engagement important de l’institution. Or ce suivi sur
le long terme n’est pas toujours possible par
manque de ressources.
Cela nous amène au dernier résultat marquant
de ce graphique, le fait que dans un grand
nombre de cas les professionnel(le)s qui s’en
sont occupés n’ont plus de nouvelles (36% des
cas de type A). Ce résultat peut être interprété
Figure 17 : Évolution des cas
100%
12%
80%
8%
8%
28%
24%
7%
9%
36%
60%
11%
40%
20%
0%
15%
32%
26%
25%
Type A
(n=94)
Type B
(n=110)
28%
31%
Type C
(n=92)
Autres
Je n’ai plus de nouvelles, ce n’est plus mon
institution qui s’occupe de ce cas
La situation s’est agravée
La situation n’a pas du tout ou pas beaucoup évolué
Le cas a été résolu, ou du moins la situation
s’est nettement améliorée
de manière très différente. On peut tout simplement en déduire que le cas a été transmis
plus loin à une institution de confiance et
qu’il n’est donc plus nécessaire de le suivre.
Toutefois la majorité des expert(e)s que nous
avons consulté trouve ce résultat alarmant et
l’interprètent comme un signe que le travail en
réseau ne fonctionne pas et que les cas sont
passés plus loin et finissent par disparaître sans
avoir trouvé de l’aide. Voici ce que nous en
dit une experte : «Wir haben zum Teil Leute,
die werden 4 Mal weitergeleitet, bevor sie bei
uns landen, und das ist nicht gut. Es kann ja
auch sein, dass sie beim 2. Mal dann aufhören
zu suchen und alleingelassen sind. Da besteht
Handlungsbedarf» (entretien 6, experte d’une
ONG). Une troisième possibilité est suggérée
par une personne travaillant pour un centre
LAVI que nous avons interrogée. Elle a expliqué
que les centres d’aide aux victimes étaient des
centres d’intervention de crise – ce qui veut
dire qu’ils voient les personnes lorsqu’elles
demandent de l’aide au plus fort du conflit
– et qu’il n’était pas rare que des personnes
finissent par se débrouiller autrement et ne
plus revenir si elles n’avaient plus besoin d’aide
et que cela n’était pas forcément le signe d’un
dysfonctionnement du système55.
6.6. Résumé et conclusions intermédiaires
Quelles sont les principaux résultats ressortant
de ce chapitre ? Pour répondre à cette question,
au risque de perdre des finesses et nuances
en route, nous proposons ici de résumer les
résultats de manière concise tout en soulignant
particulièrement ceux qui sont significatifs par
rapport à des mesures envisageables pour lutter
contre ce phénomène.
Prévalence
La méthodologie choisie a permis de montrer
que les cas concernant les personnes subissant
des pressions pour rester mariées (type C) sont
de loin les plus nombreux puisqu’ils représentent près de la moitié des cas. Ce résultat est
significatif étant donné que jusqu’à présent,
les débats et les mesures proposées en Suisse
(et ailleurs) pour lutter contre les « mariages
forcés » se concentrent surtout sur les cas A
et B alors qu’il faudrait inclure les situations
des personnes qui sont déjà mariées et qui ne
peuvent pas divorcer (type C).
Profil des personnes touchées
par ce phénomène
On constate que le profil socioéconomique des
personnes cherchant de l’aide auprès des institutions est extrêmement diversifié. Il n’existe
pas un idéal-type de jeune femme (ou homme)
qui serait particulièrement touché par ce
phénomène, mais au contraire, les institutions
ont à faire à un éventail très large de profils de
personnes. Il découle de cette diversité qu’il est
impossible de trouver une « mesure type » pour
lutter contre ces contraintes, mais qu’il faut au
contraire que les professionnels adaptent chaque fois les manières d’intervenir – en prenant
en compte le profil spécifique des personnes
cherchant de l’aide.
Néanmoins, en se concentrant sur les points
communs, on peut dégager trois types idéaux
de profil, qui sont toutefois à prendre avec précaution tant les généralisations risquent d’être
réductrices ici.
65
Le profil socioéconomique des personnes
concernées par le type A (qui sont sous pression
pour se marier) pourrait être décrit de manière
idéal-typique de façon suivante : il s’agit principalement de jeunes femmes entre 18 et 25 ans,
à 81% des étrangères mais dont plus d’un tiers
était nées en Suisse et dont la majorité dispose
d’un permis C. Les personnes concernées sont
majoritairement originaires des Balkans, de la
Turquie et du Sri Lanka. Ces personnes sont
en grande partie bien intégrées au marché du
travail ou au système éducatif en Suisse.
Concernant les personnes qu’on empêche de
vivre une relation amoureuse de leur choix (type
B), le profil se présente de manière suivante : ce
sont également des jeunes femmes en majorité
entre 18 et 25 ans, avec 69% d’étrangers, dont
la moitié est née en Suisse et dont plus de la
moitié dispose d’un permis C. Il s’agit également en majorité de personnes originaires des
Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka, mais on
y trouve aussi des naturalisé(e)s et des Suisses
de naissance. Comme c’est le cas pour le type
A, ces personnes sont majoritairement bien
intégrées dans le marché de travail ou suivent
une formation.
En ce qui concerne le type C, cette catégorie
de personnes semble à la fois différente des
deux autres types mais aussi plus diversifiée en
son sein: les femmes concernées par l’impossibilité de divorcer sont plus âgées (au-dessus
de 25 ans en majorité), majoritairement nées à
l’étranger et ne disposant pas de la nationalité
suisse (80%). Plus de la moitié de ces personnes ont un permis B ou N/F et leur situation
en termes de statut de séjour est donc plus
précaire. Elles viennent principalement des
66
Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka, mais
également de l’Amérique du Sud et d’autres
pays. Ces femmes ne sont que partiellement
intégrées au marché du travail, moins bien formées et la moitié se trouve dans une situation
de dépendance économique. Dans ce type, la
question se pose de savoir jusqu’où le permis
de séjour, dans les cas où il est dépendant du
mariage, augmente la précarité et la prévalence de violences.
Cette différence entre les types A, B et C est
très importante en termes de mesures. Tandis
que les personnes confrontées à des problématiques liées au type A et B sont intégrées dans
le marché du travail ou dans le système éducatif
et peuvent en conséquence être atteintes en
passant par les structures ordinaires comme les
écoles ou les lieux de travail, les femmes forcées
à rester mariées semblent plus difficiles à atteindre, car elles sont plus isolées.
Deux thèmes ressortent également qui demandent réflexion. Alors que ce sont en grande
majorité des femmes qui se tournent vers des
institutions pour de l’aide, il faudrait réfléchir à
une manière d’atteindre les hommes concernés. La question des mineur(e)s doit aussi
être abordée en priorité, car cette population
présente des défis particuliers en termes de
mesures.
Types de contraintes et violences
À l’hétérogénéité en termes de profil socioprofessionnel et économique des personnes
touchées par le « mariage forcé » s’ajoute le
fait qu’elles se trouvent dans des situations de
contraintes multiples : ce résultat montre clai-
rement que l’élaboration de mesures adaptées
demande une approche particulière à chaque
personne concernée (« case management »),
car il n’existe pas d’outils adaptés à toutes les
situations.
Les personnes prennent souvent contact avec
les institutions lorsque le conflit est déjà violent
– particulièrement dans le cas du type C. En
général, les données montrent que le phénomène est accompagné d’un degré élevé de
violences diverses et que la violence est exercée
en premier lieu par un ou plusieurs acteurs de
l’environnement familial. L’implication directe
des membres de la famille place les personnes
touchées par les violences dans un conflit de
loyauté – similaire aux situations qu’on connaît
du domaine de la violence domestique. Ce
conflit de loyauté et la réticence qu’il induit
chez les personnes concernées à prendre des
mesures pour se défendre et se protéger est
compréhensible, mais il est en même temps
un des obstacles majeurs à l’intervention des
professionnel(le)s. Ces similitudes (violences
perpétrées par des membres du cercle familial,
conflit de loyauté, etc.) amènent à s’interroger
s’il ne valait pas mieux essayer de traiter cet ensemble très hétéroclite de situations de violence
dans le cadre de la problématique de la violence
domestique plutôt que de la traiter séparément
comme « mariage forcé ».
Raisons à l’origine de la contrainte
Notre étude montre que les raisons principales
se trouvant à la base de la contrainte pour les
trois types de cas découlent des conceptions
que les personnes exerçant la contrainte ont
du mariage, du / de la conjoint(e) adéquat(e) et
du divorce. Celles-ci les poussent à exercer des
contraintes voire être violent(e)s envers un(e) de
leurs proches pour qu’il ou elle se marie avec
une personne de la même origine ethnique/
nationale/religieuse, renonce à fréquenter une
personne d’une autre origine ou renonce à un
divorce, perçu très négativement.
On constate toutefois aussi que les situations
sont souvent plus complexes et que des éléments divers s’imbriquent pour aboutir dans la
contrainte.
Nos résultats mettent clairement en lumière le
rôle primordial et opérant à plusieurs niveaux
du contexte migratoire dans les situations de
contrainte liées au mariage et aux relations
amoureuses. Dans les cas de type A et B, les
projets que les parents ont pour leurs enfants,
qui impliquent un fort degré d’endogamie,
sont liés au fait que ces enfants sont élevés
dans un contexte migratoire et que les parents
espèrent les protéger en les gardant au sein de
la famille ou de la communauté ethnique ou
religieuse. Par ailleurs, dans le contexte actuel
de politique migratoire restrictive de la Suisse,
la question du mariage est étroitement liée au
statut de séjour pour de nombreux étrangers
à tel point que les restrictions de la législation
suisse se mêlent aux autres facteurs qui aboutissent à des situations de contrainte. Pour les
cas de type A, on voit que des personnes sont
mises sous pression de se marier pour obtenir
un permis pour leur futur(e) conjoint(e) (ou
dans certains cas de requérant(e)s d’asile, peu
fréquents dans notre étude, pour elles-mêmes).
Ce lien est le plus frappant toutefois dans les
cas de type C pour les personnes au bénéfice
d’un permis B par mariage. Dans ce cas, la
67
peur de perdre son permis se mêle à d’autres
facteurs, comme la violence du conjoint, pour
empêcher ces femmes de divorcer.
On constate ici que les contraintes liées aux
dispositifs légaux et administratifs se mêlent
de manière inextricable avec les contraintes et
les violences provenant du cercle familial – une
forme de violence pouvant tour à tour être la
cause, le résultat ou s’ajouter de manière parallèle à l’autre et vice-versa – à tel point qu’il est
illusoire de vouloir traiter une de ces formes de
violences séparément de l’autre.
Mariages transnationaux
Cette importance du contexte migratoire se
révèle aussi dans la dimension transnationale
d’une partie des situations qui sont l’objet de
cette étude.
Dans la majorité des cas du type A et 45% des
cas de type C, il s’agit de (potentiels, futurs)
mariages transnationaux. Nous avons montré que la dimension transnationale de ces
relations/unions mène à des asymétries dans les
couples qui complexifient les rapports de pouvoir et peuvent influencer de diverses manières
la présence de contrainte et de violences. Les
dynamiques particulières aux couples trans­
nationaux doivent être prises en compte dans la
recherche de solutions adaptées pour accompagner la personne mise sous pression.
Évolution des cas
Nos résultats montrent que près d’un tiers des
cas (tous types confondus) ont pu être résolus
ou du moins ont vu une nette amélioration,
68
alors que dans seuls environ 10%, la situation
s’est aggravée.
Ils indiquent aussi des difficultés dans la prise
en charge de ces cas. Premièrement, l’immobilisme attaché à ces situations extrêmement
compliquées et qui demandent souvent un très
long suivi et donc un engagement important
de l’institution. Tous ces cas qui n’évoluent
pas sur de longues périodes plaident pour la
mise en place de dispositifs qui permettraient
un suivi à long terme – ce qui fait défaut pour
l’instant.
Deuxièmement, dans un grand nombre de cas,
les professionnel(le)s qui s’en sont occupés
n’ont plus de nouvelles. Plusieurs interprétations de ce fait sont possibles, mais il pourrait
indiquer que le travail en réseau ne fonctionne
pas et que les cas sont passés plus loin et finissent par disparaître sans avoir trouvé de l’aide.
7.Problèmes et lacunes en termes
de prévention, prise en charge et
protection
Dans le présent chapitre nous allons approfondir
la question des problèmes auxquels les professionnels sont confrontés lorsqu’ils ont à faire
à une clientèle touchée par des situations de
contraintes en lien avec le mariage, les relations
amoureuses ou le divorce. Des indications et
des pistes concernant des mesures potentielles
ont déjà été données dans le dernier chapitre
décrivant le profil et les situations des personnes
concernées. Ici, nous développons les défis et
lacunes les plus importants tels qu’ils ressortent
du questionnaire et des entretiens d’expert(e)s.
Toutefois, avant d’en venir précisément aux
professionnels et aux défis auxquels ils sont
confrontés nous allons élargir la vision et dire
quelques mots sur le contexte dans lequel le
travail prend place, en nous situant au niveau
des cantons d’abord, puis au niveau des
institutions. Dans une première partie, nous
allons voir si tous les cantons sont pareillement sensibilisés à la problématique. Dans un
deuxième point, nous mettrons en lumière le
type d’institutions particulièrement confronté à
des personnes se trouvant dans ces situations
de contrainte. Ensuite, les capacités d’agir des
professionnel(le)s seront analysées. Finalement, nous présenterons les enjeux autour de
différents modes d’intervention visant à lutter
contre les situations de contrainte en lien avec
le mariage, les relations amoureuses ou le
divorce.
69
7.1. La situation dans les différents cantons
Il va sans dire qu’il n’était pas possible, dans le
cadre temporel limité de ce mandat, de faire
une recherche approfondie sur les mesures
existantes dans chaque canton de Suisse.
Pour donner une idée de ce qui se passe dans
les différents cantons, nous devons nous en
tenir aux résultats de l’enquête on-line et aux
informations recueillies sur les projets pilotes.
L’enquête on-line avait comme première visée
de pouvoir faire des déclarations générales sur
les mesures existant en Suisse et non pas de
comparer la situation d’un canton à l’autre.
Figure 18 : Nombre de réponses au questionnaire par canton (n=229)
Canton non précisé
Vaud
Zurich
Neuchâtel
Genève
Berne
Jura
Valais
Bâle-Ville
Argovie
Saint-Gall
Bâle-Campagne
Tessin
Thurgovie
Fribourg
Zoug
Lucerne
Appenzell Rhodes-Intérieures
Obwald
Schwytz
Soleure
Réseau national
Glaris
Uri
Appenzell Rhodes-Extérieures
Nidwald
Grisons
Schaffhouse
70
45
33
17
15
14
13
8
8
8
7
7
6
5
5
5
5
5
4
4
4
3
2
2
2
1
1
Néanmoins, en regardant le nombre de réponses que nous avons reçues au questionnaire en
provenance des différents cantons, quelques
hypothèses peuvent – prudemment – être
énoncées à propos des régions de Suisse dans
lesquelles une sensibilisation plus poussée par
rapport à ce thème existe.
La figure 18 représente le nombre de réponses
au questionnaire par canton. Il est à noter qu’un
nombre significatif de répondant(e)s n’ont pas
indiqué leur canton.
Il est relativement difficile d’interpréter ce tableau. En effet, le nombre d’adresses auxquelles
le questionnaire a été envoyé varie grandement
d’un canton à l’autre. En particulier, les cantons
de Bâle, Berne, Fribourg, Genève, Neuchâtel,
Saint-Gall, Vaud et les villes de Lausanne et de
Zurich ont été considérés comme prioritaires
et ont fait l’objet d’une recherche d’adresses
particulièrement intensive. Deuxièmement, un
très grand nombre de facteurs peuvent expliquer qu’une institution réponde ou ne réponde
pas à ce type de questionnaire. Enfin, il faut
évidemment considérer le nombre de réponses
en fonction de la taille du canton.
Néanmoins, nous pensons que ces chiffres
permettent des énoncés prudents quant à la
répartition géographique de la lutte contre ce
phénomène. En effet, il est raisonnable de penser que pour remplir un questionnaire comme
le nôtre, relativement onéreux en temps, il
fallait une personne motivée et sensibilisée à
la problématique. Ainsi, nous pouvons tenter
l’hypothèse, mais cela reste uniquement une
hypothèse, que les cantons présentant un haut
taux de réponses (Vaud, Zurich, Neuchâtel, Ge-
nève, Berne) sont d’une part ceux dans lesquels
les professionnel(le)s sont confronté(e)s au plus
grand nombre de cas et/ou d’autre part, ont été
sensibilisé(e)s à cette problématique.
Dans cette optique, que peut-on dire de ce
tableau ? Ce tableau démontrerait une corrélation entre les cantons dans lesquels il existe des
mesures (notamment les projets pilotes) et ceux
qui ont répondu à notre questionnaire. Mais
encore une fois, une telle interprétation est à
prendre avec beaucoup de prudence.
7.2. Institutions confrontées
à cette problématique
Il nous semble utile de commencer par mettre
en évidence quelles institutions doivent être
sensibilisées et soutenues pour mettre en place
des mesures efficaces dans le domaine des
contraintes au sein des relations amoureuses
et du mariage. Nous allons examiner aussi bien
le nombre de cas par type d’institution que le
degré de gravité des cas selon les institutions.
L’élément le plus important mis en évidence
ici est le large éventail d’institutions qui sont
confrontées à cette problématique, même
si – comme nous allons le démontrer – elles
n’y sont pas toutes confrontées de la même
manière.
Quelles sont les institutions qui sont les plus
touchées ou, au contraire, celles qui ne sont
confrontées que de manière marginale à des
personnes venant chercher de l’aide par rapport
à cette problématique ? Pour répondre à cette
question, nous avons regroupé celles qui ont
participé à notre enquête par catégorie selon
71
Tableau 6 : Estimation du nombre de cas par type d’institution (borne inférieure56)
LAVI
Solidarité Femmes
Intégration (ONG, associations)
Intégration (administration)
écoles professionnelles
Police, justice
Planning familial
Services des migrations
Autres
états civils
Association pour les femmes
Services des mineurs
Service de santé (écoles)
Services sociaux
école obligatoire
Mesures de transition
Gymnases, lycées
Aide pour auteurs de violence
Bureau pour l’égalité
Type A
34
40
42
18
34
9
14
21
9
16
19
4
4
3
4
3
0
1
0
Type B
46
22
34
13
27
21
27
9
20
2
6
18
16
4
13
10
4
1
0
Type C
213
91
53
79
7
28
14
16
11
18
4
6
1
12
2
4
0
1
0
leurs mandats et additionné le nombre de cas
rencontrés par les institutions d’une catégorie.
56 Pour ce graphique, nous avons pris les chiffres de la
borne inférieure, car il aurait été difficilement lisible
si nous y avions indiqué les deux bornes. Ce qui
compte sur ce graphique est l’importance relative
du nombre de cas lorsqu’on compare les différents
types d’institution et non le nombre absolu de cas.
57 Dans quelques cantons, les tâches de conseils (centre LAVI) et celles d’hébergement d’urgence sont
rassemblées dans une seule et même institution.
Nous avons par principe classé les institutions qui
ont cette double casquette dans la catégorie « centre LAVI ».
72
Nous voyons en tête de classement les institutions qui, en fonction de leur mandat légal,
s’occupent spécifiquement de la prise en
charge des cas de violence, i.e. les centres LAVI,
qui fournissent écoute, informations, conseils
juridiques, accompagnement psychologique
et intervention de crise, ainsi que les centres
d’accueil Solidarité Femmes, qui offrent un
hébergement d’urgence pour les personnes
victimes de violence57. Le rôle prioritaire de ces
institutions n’est pas en soi surprenant.
Premièrement, comme elles s’occupent de
la prise en charge des cas, les personnes en
situation de contrainte sont orientées vers elles
par les autres institutions surtout lorsqu’il s’agit
de les protéger et les mettre en sécurité dans
le cas où elles sont confrontées à des violences
multiples. En d’autres termes, cela fait partie du
mandat et des compétences de ces institutions
de s’occuper de victimes de violence. Deuxièmement, la probabilité qu’elles soient orientées
vers ces institutions se trouve augmentée du
fait que – comme nous l’avons montré dans le
chapitre précédent – les personnes se trouvant
dans des situations de contrainte s’adressent
à des institutions lorsque le conflit est déjà
avancé et lorsqu’elles se trouvent confrontées
à des violences diverses, alors que le cas aurait
éventuellement pu être traité par une autre
institution si la personne avait cherché de l’aide
plus tôt. Troisièmement, dans cette logique,
il n’est pas étonnant que ces deux catégories
d’institutions soient les plus impliquées lorsqu’il
s’agit de cas du type C où la proximité avec
la violence domestique est très claire. Mais
nos données montrent qu’elles jouent également un rôle-clé lorsqu’il s’agit des personnes
confrontées au type A ou B. En d’autres termes,
les situations dans lesquelles des personnes
sont sous pression pour se marier ou lorsqu’elles doivent renoncer à une relation amoureuse
impliquent aussi une violence telle que le
recours à ces institutions est nécessaire, même
si elle est moins souvent d’ordre physique que
dans les cas C (cf. figure 12).
est remarquable dans le sens que ces institutions n’ont pas pour mandat particulier de
s’occuper de victimes de violence58. Ces associations jouent un rôle sur plusieurs tableaux :
elles dépistent des cas qu’elles transmettent
plus loin, reçoivent des personnes qu’elles
orientent et conseillent mais, pour certaines d’entre elles, suivent aussi des dossiers,
notamment pour les situations impliquant des
complications liées au permis de séjour. Ainsi,
on voit qu’un très gros travail est fourni par les
associations et ONG actives dans le domaine
de l’intégration et des migrations. Or, bien
qu’elles soient confrontées à plus de cas de
type A que les centres LAVI et les centres Solidarité Femmes, les institutions du domaine de
l’intégration n’ont pas – dans la majorité des
cas – un mandat spécifique pour s’occuper de
ces questions. En Suisse romande par exemple,
ce sont essentiellement des bureaux de l’administration qui sont impliqués dans les projets
de prévention financés par l’ODM. La situation
est plus diversifiée en Suisse allemande, où les
porteurs de projets financés par l’ODM contre
les « mariages forcés » sont à la fois des ONG,
et des associations mais aussi des bureaux de
l’administration (cf. chap. 1.2). Cela soulève la
question si les projets – ou les mesures structurelles – visant à lutter contre ce phénomène ne
devraient pas inclure de façon plus systématique ces institutions non étatiques.
58 Nous y avons classé aussi bien les centres de ren-
Le grand nombre de cas rencontrés par les
associations, ONG et fondations actives dans
le domaine des migrations et de l’intégration,
placées en troisième position dans ce tableau
contres pour femmes migrantes que les services de
conseils juridiques pour migrant(e)s, ainsi que les
services d’interprétariat et autres œuvres d’entreaide pour les migrant(e)s.
73
Les bureaux de l’administration actifs dans le
domaine de l’intégration arrivent justement en
quatrième position. Les activités des institutions
classées dans cette catégorie peuvent se situer
sur deux plans. D’une part, certains de ces
bureaux sont actifs à un niveau stratégique de
mise en place de politique d’intégration et de
projet de sensibilisation. D’autre part, certains
rencontrent des migrant(e)s et font aussi office
de bureau de conseil et d’orientation, par
exemple par l’intermédiaire de permanences, ce
qui est le cas notamment des centres de compétences intégration. Nos chiffres montrent que
dans leurs tâches, ce type d’institution est en
contact avec des personnes dans des situations
de contrainte, particulièrement des personnes
du type C. Certains sont plutôt actifs dans les
conseils et l’orientation, tandis qu’une minorité
s’occupe aussi de prise en charge de cas59.
Figure 19 : Nombre de cas par degré de gravité
et par type d’institution
(Types A, B, C confondus; n=179)
LAVI
3
12
23
5
6
Intégration (ONG, assoc.)
10
18
3
Solidarité Femmes
17
Police, justice
1
3
11
8
7
Autres
À l’opposé, les bureaux pour l’égalité (faisant
aussi partie de l’administration), qui pourraient
être concernés par cette problématique et se
situer à un niveau semblable que les bureaux
d’intégration n’ont fait état d’aucun cas, ce qui
indique qu’ils ne sont actifs par rapport à cette
problématique qu’à un niveau stratégique ou,
dans certains cantons, pas actifs du tout.
4
écoles professionnelles
2
4
7
Intégration
(administration)
2
8
9
6
Service de santé (écoles)
3
2
5
Les écoles professionnelles quant à elles tombent dans cette catégorie d’institutions dont ce
genre de problématique ne fait pas partie du
mandat mais qui se trouvent en première ligne
pour dépister des cas du fait de leur lien privilégié avec une certaine population. C’est ce type
de professionnel(le)s qui sont en premier lieu
visé par les projets pilotes de formation continue financés par l’ODM. Ils et elles ont en effet
besoin d’informations pour pouvoir reconnaître
74
Renseignements à titre préventif
Début des pressions
Déjà en conflit avec entourage
Conflit violent avec entourage
59 C’est notamment le cas dans le canton de Neuchâtel,
où le Bureau pour la cohésion multiculturelle
(COSM) centralise la prise en charge des cas de
« mariages forcés » du canton.
Figure 20 : Nombre de cas par degré de gravité
et par type d’institution (suite)
(Types A, B, C confondus; n=76)
Services sociaux
1
4
6
Planning familial
9
4
école obligatoire
Mésures de transition
Services des mineurs
2
2
3
3
1
3
3
1
6
3
Association pour
les femmes
1
1
3
3
3
États civils
Services des migrations
1
1
5
Aide pour auteurs
de violence
Gymnases, lycées
Bureau pour l’égalité
1
2
1
3
Renseignements à titre préventif
Début des pressions
Déjà en conflit avec entourage
Conflit violent avec entourage
ces situations lorsqu’ils et elles les rencontrent
mais surtout aussi pour savoir où les orienter.
Pour approfondir encore ces résultats concernant des institutions confrontées à la thématique, il est utile de se demander de surcroit à
quel stade de violence se situent les cas auxquels
les différentes institutions sont confrontées. Le
raisonnement sous-jacent à cette démonstration
est que le type de mesures à mettre en place est
directement lié au niveau de violence impliqué,
de même que les compétences dont doivent
faire preuve les différentes institutions qui se
trouvent confrontées à ces cas.
Nous voyons dans ce graphique que seules
quelques institutions sont en contact avec ce
que nous avons défini comme le plus bas niveau
de gravité, c’est-à-dire lorsque la personne vient
se renseigner à titre préventif, avant même qu’il
y ait des pressions. Bien que ces cas soient très
rares, on constate qu’ils se retrouvent surtout
dans trois types d’institutions : les associations
et ONG actives dans le domaine de l’intégration,
et, dans une moindre mesure, les bureaux pour
l’intégration des administrations cantonales et
les écoles obligatoires. Ce résultat peut donner
un indice des endroits où faire de la prévention et/ou développer des mesures à bas seuil
étant donné qu’ici le conflit n’est pas encore
exacerbé et pourrait peut-être être évité. En ce
qui concerne les deux niveaux intermédiaires,
où les pressions commencent ou lorsque le
conflit en est à son début, on remarque le rôle
important joué par les plannings familiaux et
autres services de consultations conjugales et à
nouveau les institutions actives dans le domaine
de l’intégration et des migrations, qu’elles soient
de l’administration ou des associations et ONG.
75
On remarquera que les écoles professionnelles
rencontrent aussi des cas à ce stade de violence.
Ici la question se pose si ces institutions ont le
savoir et les compétences adéquats pour agir
lorsqu’elles sont confrontées à ces cas ou du
moins pour les orienter correctement.
En ce qui concerne les institutions confrontées
aux cas les plus violents, il s’agit d’une part
des centres LAVI, des centers Solidarité Femmes
et de la police, qui sont trois types d’institutions dont les employé(e)s sont spécifiquement
formé(e)s pour gérer ce type de situation et
vers lesquelles on envoie ces personnes. Par
contre, on remarquera que les associations et
ONG actives dans le domaine de l’intégration et
des migrations sont aussi confrontées à des cas
où un haut degré de violence est impliqué. On
peut imaginer qu’elles transmettent les dossiers
plus loin à la LAVI ou à Solidarité Femmes ou
qu’elles les traitent en collaboration avec eux.
Ces résultats soulèvent quelques questions importantes que nous allons – partiellement pour
le moins – approfondir dans les paragraphes qui
suivent. On peut se demander notamment si
toutes les institutions sont en mesure de réagir
de façon adéquate lors qu’elles sont confrontées
à ce phénomène – étant donné que la thématique ne fait souvent pas partie de leur mandat
et que les situations des personnes qui s’adressent à elles sont si diversifiées. En d’autres
termes, quelles compétences spécifiques,
allant au-delà des compétences attendues des
professionnel(le)s travaillant dans ces institutions, sont nécessaires pour agir efficacement
dans ces situations ?
76
7.3. Institutions et professionnel(le)s :
autoévaluation des capacités d’action
La diversité des situations de contrainte dans
lesquelles peuvent se trouver les personnes qui
s’adressent aux institutions pose de nombreux
défis aux professionnels. Comment estimentils leur capacité d’action face à des situations
de contraintes en lien avec le mariage, les
relations amoureuses ou le divorce ? 44%
des institutions se considèrent plus ou moins
efficaces, tandis que 41% se trouvent relativement démunies face à ces situations.60 Enfin,
15% des répondant(e)s se sentent démuni(e)s
dans la majorité des cas.
Quelles sont les institutions qui se sentent spécialement démunies ? Parmi les 20 répondant(e)s
qui ont coché cette possibilité, 4 travaillent à
l’état civil. Un entretien que nous avons fait
avec un responsable d’un état civil (entretien 4)
confirme que ceux-ci ont l’impression de ne pas
être le bon endroit pour agir. Cela est dû notamment à l’impression que lorsque la personne
arrive à l’état civil, la décision est déjà prise et il
est trop tard pour lui venir en aide. Par ailleurs,
la protection des données empêche l’état civil
de prendre contact avec d’autres institutions
à propos de cas précis. Ensuite, viennent trois
répondant(e)s des écoles obligatoires et deux
des écoles professionnelles, qui comme nous
l’avons relevé, ne sont pas formé(e)s pour
gérer ce genre de cas. Parmi les institutions
qui se sentent souvent démunies et parfois
efficaces, nous trouvons huit centres LAVI qui
sont pourtant les endroits vers lesquels les
autres institutions envoient ces cas lorsqu’il y
a de la violence impliquée, et six ONG/associations actives dans le domaine des migrations.
Figure 21 : Autoévaluation de la capacité d’action des institutions (n=131)
50%
40%
41%
30%
32%
20%
10%
15%
12%
0%
Très souvent
efficaces
Efficaces mais
parfois démunies
Comment interpréter ce résultat que même des
institutions dont le cœur du mandat consiste en
la gestion de la violence se sentent démunies ?
On peut supposer que soit la thématique de la
violence en général est entourée d’enjeux importants, ou que ce type spécifique de violence
pose encore des défis additionnels.
Le désarroi que crée une bonne partie de
ces situations au sein des institutions est très
présent aussi dans nos entretiens et dans les
discussions des focus groups. Il n’est donc pas
surprenant que la sensibilisation et la formation
60 Toutefois, il est à noter qu’il n’a pas été facile de
répondre à cette question. En effet, 25 répondant(e)s
sur 156 ont choisi de cocher « il m’est difficile de
répondre ».
Parfois efficaces,
souvent démunies
Très souvent
démunies
des professionnel(le)s en contact avec des personnes susceptibles d’être concernées par ces
situations de contrainte soient souvent citées
comme une piste importante à suivre.
Le premier pas dans ce domaine, comme l’a
évoqué un(e) expert(e), est souvent tout simplement de rendre attentif à la complexité de
la thématique : «Aber entweder hast du einen
Fall oder du hast einen runden Tisch oder Vernetzung, wo sie (die Fachleute) dann merken:
‹Ups, das Thema ist komplex.› Und das heisst,
eigentlich muss zuerst mal das Bewusstsein
für das Nichtbewusstsein geschaffen werden.»
(focus group 2).
En particulier dans les écoles, il faut que les
personnes avec lesquelles les jeunes sont en
contact puissent reconnaître les signes et orienter les jeunes vers une institution où ils pourront
77
trouver des informations. À ce titre, une experte
évoquait le fait que les personnes concernées
étaient souvent en risque d’échec scolaire, et
que des enseignant(e)s averti(e)s pourraient
repérer ces situations derrière les difficultés
strictement scolaires. Le but ici est une fois
de plus de permettre, par la sensibilisation du
corps enseignant, mais aussi du corps médical
et du social, de repérer les cas le plus tôt possible pour faciliter l’intervention et augmenter les
chances d’apaiser le conflit avant qu’il n’ait pris
de l’ampleur. Pour ce type de professionnel(le)s,
il s’agit donc de leur donner les clés pour
repérer et mieux comprendre ces situations
et les informations pour savoir où orienter les
personnes au besoin.
Il est intéressant de constater que des
répondant(e)s au questionnaire ont mentionné
la nécessité d’une autre forme de sensibilisation
des professionnel(le)s, dont le but n’est pas de
chercher à comprendre comment les dysfonctionnements dans des familles de migrant(e)s
peuvent amener à ces contraintes mais comment les décisions administratives touchant les
migrant(e)s peuvent elles aussi jouer un rôle
essentiel dans ces situations de contrainte. Ils et
elles ont aussi souligné l’importance de former
les personnes de l’administration aux problèmes
particuliers rencontrés par les personnes se trouvant dans des situations de type C, notamment
61 À cette question, il était possible de cocher plusieurs
réponses. Le fait que nous ayons calculé les pourcen-
lors des décisions sur les cas de rigueur par rapport à l’art. 50 de la LEtr. Comme nous l’avons
évoqué avant, la marge de manœuvre qui existe
dans l’application de cet article de loi donne
un grand pouvoir d’appréciation à la personne
qui statue sur le dossier. Il est essentiel que ces
personnes comprennent toutes les finesses des
situations de contrainte dans le mariage pour
prendre ces décisions de manière équitable.
La suite du chapitre nous donne des indications
plus concrètes sur les défis et enjeux auxquels
les professionnel(le)s sont confronté(e)s et
qu’il faut prendre en compte pour pouvoir
agir efficacement. Cela permettra de mieux
saisir les limites des actions des institutions et
professionnel(le)s que nous venons de mettre
en lumière.
7.4. Modes d’intervention les plus
répandus au sein des institutions et
enjeux
Nous avons cherché à savoir quels types d’intervention les institutions touchées mettaient en
place dans ce domaine et saisi les enjeux qui les
entourent. Ces points seront discutés en détail
dans les pages qui suivent.
Les résultats de l’enquête peuvent donner une
première idée du type de mesures prises par les
institutions. Ensuite, ces différentes formes d’interventions seront discutées plus en détail en
prenant en compte les résultats des entretiens
d’expert(e)s et des focus groups et en mettant
en avant les défis qui y sont liés.
tages de répondant(e)s et non les pourcentages de
réponses explique que le total des pourcentages des
différents items dépasse 100%.
78
La figure 22 montre que dans une grande majorité des cas (83%61), les actions du domaine
mis en évidence comme étant essentiel dans ce
domaine : dans un très grand nombre de cas, les
professionnel(le)s contactent une autre institution, soit pour lui transmettre le cas (43%), soit
pour le traiter en collaboration (57%).
de l’information et des conseils sont prises
pour accompagner ou aider les personnes
touchées par cette problématique. Cependant,
la gravité des situations rencontrées par les
institutions se reflète dans le fait que, dans un
nombre élevé de cas, des mesures plus spécifiques telles qu’un soutien juridique (36%) mais
aussi un hébergement d’urgence (33%) et des
mesures pour cacher la personne (29%) soient
prises. Le travail en réseau est une fois de plus
Du fait que ces situations sont intimement
liées au contexte familial, des mesures qui ne
concernent pas que la personne elle-même
mais la personne et son entourage sont aussi
Figure 22 : Mesures visant les personnes subissant des pressions (n=513)
lnformations et conseils
83%
Travail en partenariat avec
une autre institution
57%
Orientation vers une autre institution
43%
Soutien juridique
36%
Hébergement d’urgence
33%
Mesures pour que les personnes
ne soient pas retrouvées
29%
Soutien financier
20%
Autres
13%
Aide pour trouver un travail
Aucune mesure de ce type n‘a été prise
9%
3%
0% 15%
30% 45%
60% 75%
90%
Figure 23 : Mesures visant les personnes subissant des pressions et leur entourage (n=236)
Aucune mesure de ce type n‘a été prise
Discussions avec l‘entourage
Intervention policière ou une poursuite pénale
Médiation au sein de la famille
Mesures tutélaires
Autres
Mesures pour d‘autres personnes
impliquées dans le conflit
35%
34%
26%
24%
16%
10%
9%
0% 10%
20%
30%
40%
79
parfois envisagées (cf. figure 23). Celles-ci
peuvent prendre la forme d’une approche systémique cherchant à conserver le lien familial,
avec recherche de dialogue (discussion avec
l’entourage 34%, médiation au sein de la famille 24%), ou de mesures touchant d’autres
personnes (9%)62.
Parmi les mesures prises, celles visant à punir
l’auteur(e) ou à l’empêcher de nuire arrivent en
3e position (intervention policière ou poursuite
pénale, 26% des cas) et celles consistant en un
placement en 5e position (mesures tutélaires,
16% des cas). Ces dernières peuvent signifier le
placement d’un(e) mineur(e) concerné(e) dans
un foyer ou une famille d’accueil mais aussi le
placement d’enfants dans des cas de violences
domestiques.
Cependant on voit aussi que dans 35% des cas,
aucune mesure impliquant l’entourage n’a été
prise. Ce résultat semble surprenant au premier
abord mais la suite du chapitre nous donnera
des éléments pour l’interpréter.
Même si ces résultats donnent une première
idée générale, il est indispensable d’approfondir
ces questions dans le détail pour saisir les enjeux liés à ces interventions. Les entretiens avec
les expert(e)s ainsi que les focus groups nous
donnent des idées plus claires et soulèvent en
même temps des enjeux importants qui seront
discutés un par un dans le reste de ce chapitre.
7.4.1. Enjeux liés au conflit de loyauté
Le résultat que dans 35% des cas, aucune
mesure impliquant l’entourage, n’a été prise est
à mettre en lien avec un des enjeux importants
de cette problématique, à savoir le conflit de
loyauté dont nous avons déjà parlé plus haut.
Nous nous basons pour cette interprétation sur
un autre résultat de l’enquête. En effet, nous
avons également demandé quelles mesures
potentiellement utiles n’avaient pas été prises
et pour quelles raisons. Les mesures les plus
souvent citées en réponse sont celles qui touchent l’entourage et la raison pour laquelle elles
n’ont pas été prises est, dans 56% des cas, que
les personnes concernées ne le voulaient pas.
Ainsi, celles-ci sont prêtes à faire un pas en allant
parler de leur problème à des professionnel(le)s à
condition de pouvoir le faire de manière cachée
de leur entourage, mais refusent que quoi que
ce soit puisse être entrepris qui impliquerait que
leurs proches sachent qu’elles ont cherché de
l’aide et parlé de cette situation hors du cercle
familial. En d’autres termes, dans bien des cas, la
personne concernée ne veut pas qu’on implique
son entourage, car elle est prise dans un conflit
de loyauté et d’affection envers les personnes
la mettant sous pression ou la soumettant à des
violences. On peut citer à ce propos cette phrase
ajoutée en remarque dans notre questionnaire
par un(e) professionnel(le) : «… die erste Massnahme (ist) die Beratung als solches, welche
beinhaltet, dass Betroffene merken, was sie
wirklich möchten. In der Regel (ein) sehr ambivalentes Verhalten, aus dem nicht schnell eine
Massnahme abgeleitet werden kann.»
62 Nous pensons ici par exemple à des mesures d’intégration sociale (cours de langue, etc.) ou professionnelle pour les parents ou le/la conjoint(e).
80
Le conflit de loyauté se mêle aussi parfois à
la peur des conséquences non seulement en
termes de déception occasionnée aux proches
mais aussi plus concrètement en termes de
représailles violentes. Nos entretiens avec les
expert(e)s montrent en effet que les personnes
concernées estiment aussi parfois que ces mesures impliquant l’entourage sont dangereuses.
L’ambivalence liée au conflit de loyauté et à
la peur se retrouve chez d’autres victimes de
violence domestique et notamment chez les
personnes dans des situations relevant du type C
(focus group 1). Ainsi, un des grands défis
de la lutte contre les situations relevant de la
contrainte dans le mariage et en lien avec des
relations amoureuses semble être de trouver
des solutions lorsque la personne concernée
ne veut pas que les mesures proposées soient
prises. Une experte de Solidarité Femmes / LAVI
exprimait la situation ainsi : « On a une boîte à
outils pour ces personnes qui est pas adaptée. On va dire à cette personne, vous pouvez
déposer plainte, mais elle ne va pas le faire.
Mais on va pas aller plus loin pour savoir qu’est
ce qui fait qu’elle peut pas déposer plainte »
(entretien 1).
Néanmoins, une experte a nuancé ce constat
en mettant en avant que ce conflit de loyauté
était surtout très fort chez les personnes chez
qui la dépendance affective était doublée
d’une dépendance au niveau de logement et
de l’entretien. Lorsqu’une personne dispose de
ressources économiques, d’une formation ou
d’un travail, elle est plus à même de faire des
choix qui peuvent aller à l’encontre de la loyauté
qu’elle ressent pour ses proches : «In den einzelnen Fällen, wenn die ökonomische Unabhängigkeit besser gegeben ist, verringern sich natürlich
möglicherweise auch die Ambivalenz und die
Loyalität (…) Ich habe nur dann festgestellt, dass
sich Leute für einen Bruch entscheiden, wenn
sie einerseits psychosozial als auch ökonomisch
mit relativ guten Ressourcen ausgestattet sind.
Sie haben dann immer noch einen Konflikt, also
die Ambivalenz, dass sie eigentlich die Familie
trotzdem nicht verlieren möchten, aber merken,
dass sie sich entscheiden müssen. Sie können
sich das dann wie auch leisten, weil sie einfach
andere Möglichkeiten haben, um ihre Existenz
zu sichern usw.» (experte ONG, entretien 6).
81
Pour permettre à ces personnes de se dégager
de cette dépendance et de cette loyauté qui
les empêchent souvent de décider sereinement
ce qui est le mieux pour elles, les expert(e)s
ont préconisé en premier lieu des mesures qui
favorisent l’autonomisation de la personne :
« Il faut l’aider à apprendre un métier, à faire
un travail, il faut la réhabiliter. Les abris, c’est
pas fait que pour dormir. C’est un lieu qui vous
protège, mais on apprend en même temps à
avoir une indépendance financière, on apprend
un métier » (experte d’une ONG, entretien 3).
Durant ce long processus d’autonomisation,
la personne doit être suivie, notamment sur le
plan psychologique : « On se sent mal quand
on a perdu tous ses repères. Quand on a perdu
sa famille, on perd tous ses repères pour ces
jeunes filles-là. S’il n’y a pas un suivi important
sur le plan psychologique, sur le plan du lieu
d’habitation, sur le plan d’apprentissage d’un
métier, et bien ayant perdu tous leurs repères,
elles laissent tout tomber et elles retournent
chez leur famille et elles font ce que la famille
veut » (idem).
En écho à l’idée que parfois, lorsque la dépendance économique est moins présente,
le conflit de loyauté s’en trouve amoindri,
certain(e)s professionnel(le)s ont mentionné
l’importance d’une aide financière, qui peut
dans certains cas être ponctuelle et se concentrer sur le moment de la rupture avec le
conjoint ou la famille (experte Solidarité
Femmes, entretien 1; questionnaire on-line).
Ainsi, la possibilité d’un conflit de loyauté qui
va compliquer la prise en charge est à prendre
en compte à chaque fois que le conflit soit
encore d’intensité basse ou qu’une violence
82
accrue soit présente. Ce lien très fort et la
loyauté qui l’accompagne amènent des difficultés et des défis différents selon chaque situation
spécifique et peuvent également être un obstacle pour le travail en réseau des institutions, car
les personnes concernées hésitent à impliquer
une autre institution. Ce dernier, bien que
d’une importance primordiale, doit faire face à
de nombreuses difficultés, comme nous allons
le décrire dans ce qui suit.
7.4.2. Travail en réseau des institutions :
chaînes d’intervention et enjeux
La question de la collaboration entre les institutions et leur mise en réseau apparaît à plusieurs
endroits dans les résultats et est un enjeu majeur par rapport au thème qui nous préoccupe.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que
dans 43% des cas, l’institution transmet le cas
à une autre institution et que dans 57% des cas
il y avait un travail en partenariat. La question
qui se pose est si on peut considérer que ces
chaînes d’intervention fonctionnent bien ou si
au contraire, il y a des lacunes.
Une telle collaboration semble en fait indispensable vu la diversité des situations dans
lesquelles se trouvent les personnes touchées
qui demande des interventions multiples et vu
la diversité des institutions auxquels s’adressent
ces personnes. Pas toutes les institutions n’ont
mandat d’intervenir dans ces cas, ni les compétences nécessaires pour le faire. Les problématiques se mêlent au sein d’un même cas et
aucune institution ne peut répondre à tous les
besoins des personnes prises dans ces situations. En d’autres termes, une personne qui
traite un aspect d’une situation doit savoir si et
par qui les autres aspects sont traités. Pourtant,
tant dans les données de l’enquête que dans
celles des entretiens, il ressort que ce travail en
réseau ne fonctionne pas toujours bien.
Les données ont mis en lumière que 29% des
répondant(e)s dans l’enquête ne savent pas
si leur cas a été traité par une autre institution, et dans un grand nombre des cas, les
professionnel(e)s qui s’en occupent n’ont plus
de nouvelles (figure 17). Ces résultats indiquent
que la communication entre institutions est à
améliorer et qu’il existe un manque de suivi des
dossiers.
Une personne répondant à l’enquête on-line
a ainsi écrit : « On constate que l’action des
différentes autorités ou intervenants qui pourraient agir ou réagir face à ces situations n’est
pas coordonnée. Souvent, chacun agit dans son
coin et se sent démuni face à une situation de
mariage forcé ou de contrainte. Il s’en suit que
les autorités se renvoient souvent la balle, ce qui
profite finalement à l’auteur de la contrainte… »
(questionnaire online). Mais dans les entretiens
également ce sujet a été soulevé plusieurs fois
en en soulignant le caractère problématique:
une experte du focus group alémanique s’exprimait ainsi : «Am aller­schlimmsten ist es, denke
ich, wenn eine Person davon betroffen ist und
eine Stelle sucht und dann irgendwo weitergeleitet wird, und das eben versickert. Ich denke,
das ist das, was wir vermeiden müssten.»
Ce travail de réseau et de coordination commence au sein de l’institution qui traite un cas.
Un(e) des expert(e) a soulevé : «Und bei der
Intervention ist die Vernetzung wichtig, die
Verfügbarkeit der Personen und der Ressour-
cen, die da sind. Ein Problem ist immer wieder,
dass man feststellt, die eine Organisation, die
da beteiligt ist, hat zu wenig Zeit oder kann
das oder jenes nicht. Wenn man sich eines Falls
annimmt, muss man effektiv dann auch an
diesem Fall dran sein. Und es sollten immer die
gleichen Akteure sein. Nicht dass man innerhalb
der Organisation die Ansprechpartner wechselt,
es sollten die gleichen Leute sein» (entretien 5).
Un deuxième pas dans cette chaîne d’intervention est de connaître les domaines de
compétences des différentes institutions de la
ville / du canton. Plusieurs personnes ont relevé
des problèmes liés à une absence de coordination sur ce plan. Une mesure qui a été évoquée par un(e) des expert(e)s et par plusieurs
répondant(e)s au questionnaire est la création
d’une instance de coordination par ville/canton,
qu’une institution prenne le rôle de coordination pour la prise en charge de ces cas. Dans la
ville de Berne par exemple, c’est la police des
étrangers qui prend ce rôle pour certains cas.
Elle centralise les différentes actions nécessaires
pour la prise en charge, met en place un case
management et réunit les acteurs nécessaires. Dans l’exemple de Berne, l’institution qui
prend ce rôle fait partie de l’administration, ce
qui peut faciliter la tâche, mais on peut aussi
imaginer qu’une institution hors administration
s’en charge. Le souci ici est que cela demande
à l’institution en question de pouvoir consacrer des ressources à ce travail, qui demande
beaucoup d’investissement en temps. Une fois
que le travail de clarification du rôle des uns et
des autres a été fait, on peut envisager, ainsi
que plusieurs personnes l’ont suggéré dans le
questionnaire, de mettre en place des procédures plus ou moins standardisées pour la prise en
83
charge de cas. Dans le même sens, les différentes institutions pourraient définir une personne
de référence pour les questions de contrainte
au sein du mariage et des relations amoureuses,
p. ex. la police et le service des mineurs. Cela
permet à la fois à la personne de se spécialiser
dans cette problématique et d’acquérir les compétences nécessaires mais aussi aux partenaires
de s’adresser toujours au même interlocuteur.
Dans le domaine de la collaboration et du travail en réseau, l’échange d’expériences et la mise
en réseau à un niveau supracantonal, notamment
par la tenue d’une table ronde annuelle, ont été
mentionnés (focus group 2) comme moyen qui
pourrait améliorer ce travail en réseau.
Enfin, par rapport à cette chaîne d’intervention,
il a été soulevé plusieurs fois qu’il manque un
maillon, à savoir la prise en charge de l’auteur
de violence : « Là, il manque, dans cette chaîne
d’intervention, la partie qui prend en charge
l’auteur de violence. Et ça, c’est une partie qui
dans l’intervention en Suisse manque totalement.
C’est important pour la protection des victimes et
aussi pour que l’auteur de violences ait une personne de contact pour qu’il ne soit pas seul avec
la situation » (entretien 2). En d’autres termes,
il manque des instances qui font ce travail, ou
alors les consultations sont payantes et donc peu
accessibles. À cela s’ajoute que les centres LAVI
et Solidarité Femmes ne rencontrent par principe
pas les auteurs de violence. Ainsi, il est essentiel
qu’ils puissent savoir que ceux-ci sont effectivement pris en charge par une autre institution.
Ces réflexions soulèvent une question essentielle : faut-il établir une chaîne d’intervention
indépendante et spécialisée pour les cas de
84
contraintes en lien avec le mariage ou les relations amoureuse, ou pourrait-on se baser sur les
réseaux existants dans le domaine de violence
domestique ou conjugale et y intégrer de
nouvelles mesures ? Cette question est d’autant
plus pertinente que pour les deux thématiques,
les chaînes d’intervention sont confrontées à un
défi majeur : l’exigence de confidentialité et de
protection des données en raison de la nature
délicate de ces situations. 22 répondant(e)s
ont indiqué dans le questionnaire le respect
de la protection des données comme raison
pourquoi une mesure potentiellement utile n’a
pas été prise. Un(e) expert(e) du domaine de
la protection des victimes a cité comme une
des mesures les plus importantes à mettre en
place, de réfléchir à une manière de travailler en
réseau qui respecte la protection des données
et les droits des victimes. Il s’agit de faire mieux
fonctionner la chaîne d’intervention en cas de
violence tout en respectant la protection des
données (entretien 2).
7.4.3. Enjeux du travail avec l’entourage familial
Nous avons vu que deux des mesures prises
par les institutions consistent en une discussion
avec l’entourage (34%) ou une médiation au
sein de la famille (24%). Ces deux interventions
concernent donc un travail avec l’entourage,
c’est-à-dire directement avec les auteur(e)s de la
pression ou de la violence – voire avec d’autres
membres de la famille. On y a souvent recours
lorsque le niveau de violence n’est pas trop
élevé et que la personne concernée peut gérer
ces situations. Elles peuvent aussi être appliquées dans les cas où la personne concernée
refuse de porter plainte contre les membres de
sa famille ou quand elle ne veut ou ne peut pas
assumer une rupture avec sa famille pour des
raisons de loyauté ou de liens affectifs.
Pour les personnes touchées par ce phénomène, de grandes difficultés se présentent
lorsque le lien avec la famille vient à être brisé,
raison pour laquelle tout un pan de la prise en
charge se concentre, si la situation le permet,
sur des mesures qui favorisent la conservation
ou le rétablissement du lien et du dialogue avec
la famille. À ce titre, plusieurs expert(e)s ont
évoqué une approche que l’on peut qualifier de
systémique, qui prend en compte l’entourage
de la personne concernée. En effet, plusieurs
études ont démontré que les situations de
contrainte en lien avec le mariage, les relations
amoureuses ou le divorce sont souvent liées à
des dysfonctionnements plus larges au sein des
familles (Bundesministerium für Familien 2011 ;
Lavanchy 2011 ; Riaño et Dahinden 2010).
Cependant, les entretiens et les focus groups
démontrent des enjeux importants lors de
ce genre d’interventions qui peuvent aussi
contribuer à expliquer que de telles mesures
ne soient pas prises dans 35% des cas (figure
23). Comme le dit un(e) expert(e) : «Man hört
immer, dass Fachpersonen sagen: Vermittlung
ist wichtig. Unsere Erfahrung ist jedoch nicht,
dass diese dauernd zum Einsatz kommt. Weil
das braucht relativ viele Voraussetzungen, die
gegeben sein müssen. Ein Vermittlungssetting
muss bewusst erstellt werden. Es gibt auch
Killer-Kriterien, wie zum Beispiel die Gefahren­
lage.» (experte ONG, entretien 6). Un des
aspects les plus délicats lors de ce genre d’interventions est en effet, d’une part, la recherche
d’un équilibre entre la tentative de calmer la
situation au sein de la famille et de rendre possible ainsi une communication et, d’autre part,
l’exigence d’assurer la sécurité de la personne
85
mise sous pression. En d’autres termes, dans les
cas où on n’arrive pas à convaincre les membres
de la famille, la question de la protection de la
personne touchée par la violence se pose de
toute urgence.
Les expert(e)s ont soulevé plusieurs conditions
pour qu’une telle intervention ait du succès.
La citation suivante résume bien deux éléments clés : « Dans ces situations-là où il y a
extrêmement de pressions de l’entourage familial, on regarde aussi si elle trouve des alliés.
Parce qu’il y a des fois un frère, une sœur qui
la comprend. Là on regarde avec elle comment est-ce qu’on pourrait faire pour qu’il
y ait un dialogue en famille. (…) Et ça c’est
seulement la femme qui peut dire jusqu’où
elle peut aller parce qu’elle connaît ces
dynamiques et son milieu familial. Il y a deux
possibilités de travailler : il y a des femmes
qui nous disent : oui, j’ai une tante avec elle
je sais je peux parler, elle va venir pour parler
avec mon cousin et mon mari. (…) Nous on
n’est pas présent, nous on accompagne la
femme là-dedans en disant qu’est-ce qu’elle
pourrait mettre comme élément pour qu’elle
soit respectée. Et puis, il y a des femmes qui
disent : moi je connais un prêtre. Par exemple
des personnes religieuses qui ont un impact
autoritaire sur l’auteur de violence. Ce sont
des moyens qui sont très intéressants parce
qu’ils permettent de remettre un dialogue
dans un certain cadre où il y a une autorité.
Mais il faut que ça soit une autorité qui soit
reconnue par l’auteur de violence, sinon ça ne
sert à rien » (entretien 2).
Voici comment un(e) autre expert(e) conçoit les
éléments importants pour qu’une médiation
86
puisse porter ses fruits : «Zuerst schauen,
welche bereits involvierten Akteure im System
vorhanden sind. Nicht zwingend Fachpersonen,
sondern Leute, die bereits über einen positiven
Kontakt zu den Eltern verfügen und auch die
Legitimation haben. Da sind beispielsweise
Personen aus dem eigenen familiären System,
oder z.B. die Leiterin, bei der die Tochter die
Ausbildung absolviert, die dann so zu einer
Schlüsselperson wurde, weil die schon zu
Beginn einen guten Kontakt zu den Eltern hatte
und die Legitimation, bei Problemen in der
Ausbildung mit den Eltern darüber zu sprechen.
Daran konnte sie anknüpfen. Ein weiteres Kriterium: einen gemeinsamen Nenner ins Zentrum
rücken. Eher pragmatischer Art als moralangehaftete Wertediskussion. Zum Beispiel wenn die
Tochter massiven Leistungsabfall in der Schule
hat usw., dass man das als Anlass nimmt und
die Sorge um Abschluss der Ausbildung, was
ja oft auch ein Anliegen der Eltern ist. Dieses
Thema anschauen und wie man das gewährleisten kann und weniger direkt reingehen und
sagen: Sie machen da etwas, was in unserer
Kultur überhaupt nicht geht, usw. Das wäre
der falsche Ansatz. Gemeinsame Nenner von
Interessen, die auch ganz fassbar sind, als Aufhänger nehmen für die Vermittlung» (experte
ONG, entretien 6).
En d’autres termes, il s’agit ici d’une configuration classique de médiation de conflit de
famille (Von Sinner 2005). Pourtant, cette médiation peut prendre plusieurs formes, notamment en ce qui concerne le type de personne
qui va intervenir au sein de la famille. Comme
le dit la citation, il faut que cette personne
soit une alliée de la personne touchée par le
conflit, mais également qu’elle soit acceptée
par les autres membres de la famille, et surtout
qu’elle ait de l’autorité aux yeux des auteur(e)s
de violence.
Différentes possibilités existent ici comme le
relèvent les entretiens. Si la personne de l’institution dispose d’une formation de médiateur
ou médiatrice de conflit, ça peut être elle qui
va intervenir. Il se peut – comme dit dans la
citation – qu’un autre membre de famille, une
personne ressource pour la personne concernée, puisse mettre en dialogue et en communication les membres de la famille qui sont en
conflit. Il est aussi possible qu’une personne
extérieure, une autorité reconnue aux yeux des
auteur(e)s de la violence intervienne (prêtre,
enseignante qui aurait un bon contact avec les
parents, etc.). Ou finalement, des médiateurs/
médiatrices interculturel(le)s peuvent endosser
ce rôle. Cependant, il faut préciser dans ce cas
qu’il n’est pas question de « culturaliser » ou
d’« ethniciser » les conflits ; danger qui a été
traité largement dans la littérature (Dahinden
2005 ; Wüstehube 2010) et qui a également
été soulevé par un(e) des expert(e)s. Cette
personne nous a dit, à propos de son rôle
lorsqu’elle supervise d’autres professionnel(le)s
voulant utiliser la médiation dans ce type de
conflit : «(Unsere Funktion ist es) die Rolle von
Kultur in dem Ganzen zu reflektieren, auch
andere Einflussdimensionen, die sie (andere
Professionnelle) vielleicht zu wenig sehen,
weil sie es vielleicht kulturalisieren oder so.»
(entretien 6, experte d’une ONG spécialisée en
résolution des conflits). Ce sont ces compétences en médiation de conflit qui sont déterminantes. Une difficulté liée à l’intervention de
médiateurs culturels réside dans le fait qu’une
telle intervention implique souvent la présence
d’une personne, interprète ou médiateur/trice,
de la même origine ethnique, linguistique ou
religieuse que la victime. Or, non seulement
cela peut engendrer des conflits de rôles et
une « culturalisation » de la situation, mais il
arrive aussi que les victimes refusent le contact
avec ces personnes, car elles ne leur font pas
confiance, en raison de leur proximité avec
la « communauté », comme deux expert(e)s
nous l’ont confirmé. De nouveau, cette réalité
plaide contre une approche culturaliste de
cette situation qui cherche des solutions à ces
situations passant par l’implication de personnes de la même origine que les victimes.
7.4.4. Protection des victimes, interventions
policières et pénales
Dans certaines situations par contre, lorsque le niveau de violence est trop élevé, des
mesures impliquant le retrait de la personne
de son entourage familial, voire une rupture
définitive, s’imposent. Il peut aussi arriver
que des interventions policières ou pénales
contre les auteur(e)s de la violence soient
nécessaires. Plusieurs mesures prises par les
institutions concernent directement la sécurité
et la protection des personnes touchées par ce
problème : mettre à disposition des hébergements d’urgence (33%), des mesures pour que
les personnes ne puissent pas être retrouvées
(29%), des interventions policières ou poursuite
pénale (26%) ou encore des mesures tutélaires
(16%).
Il existe dans tous les cantons de Suisse des
centres d’accueil d’urgence pour des personnes dans ces situations. En effet, la loi sur
l’aide aux victimes (LAVI), entrée en vigueur
87
le 1er janvier 1993, a imposé aux cantons de
mettre sur pied des antennes et des centres
de consultation pour les victimes, y compris
un service d’urgence accessible à toute heure
(Bureau fédéral d’égalité entre femmes et
hommes 2008). Néanmoins, les entretiens
montrent que l’offre d’hébergement n’est
pas suffisante ou pas adaptée pour les
situations spécifiques de contraintes en lien
avec le mariage, les relations amoureuses ou
le divorce. Tout d’abord, l’offre en nombre
de places dans les centres d’hébergement
d’urgence n’est pas suffisante dans tous les
cantons, selon l’appréciation des membres
des focus groups. Ensuite, et cela est le point
qui a été soulevé avec le plus d’insistance par
88
les expert(e)s, des solutions d’hébergement
à long terme sont nécessaires. Beaucoup de
structures ne peuvent accueillir ces personnes
que quelques semaines, voire quelques mois,
mais cela est jugé insuffisant, en particulier
dans les cas de jeunes personnes qui quittent
leur famille et doivent se réorienter. Finalement, il manque des lieux d’hébergement spécifiques à certains publics, en premier lieu les
jeunes filles. Une experte a cité la Mädchenhaus de Zurich en exemple en regrettant qu’il
n’existe pas de structure similaire en Suisse
romande (entretien 2). L’offre d’hébergement
d’urgence pour les hommes quant à elle est
inexistante. Il semblerait que dans certains
cas, en raison du manque d’offre d’héberge-
ment adaptée, les hommes dans ces situations
puissent être envoyés en psychiatrie (expert[e]
focus group 2). Un expert a aussi relevé que
pour les cas de type B, il manquait des lieux
d’hébergement pouvant accueillir des couples
en danger (focus group 2).
Un autre point qui a été soulevé et qui
concerne la protection des victimes dans
une situation de danger accru concerne des
questions de changement d’identité et/ou de
changement de noms. Un expert (entretien 5)
a notamment mentionné la nouvelle loi
fédérale sur la protection extra procédurale
des témoins (Ltém)63 qui permettra d’agir dans
ce sens dans le futur. Actuellement, une telle
procédure est très compliquée et lourde d’un
point de vue administratif, toujours selon le
même expert, et devrait être facilitée avec
l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, même
s’il exprime des réserves sur la mise en œuvre
et la coopération des acteurs dans ces cas. En
bref, cette loi devrait faciliter la création d’une
nouvelle identité ou l’anonymisation des données d’une victime de sorte qu’elle ne puisse
pas être retrouvée par ses proches.
Par rapport aux mesures touchant les auteur(e)s
de la violence, un élément est sorti dans les
entretiens qui vaut la peine d’être discuté ici.
Ces situations sont caractérisées par le fait que
les violences liées aux contraintes dans le mariage ne sont pas le fait d’un seul individu mais
de toute une famille ou de plusieurs personnes
(focus group 2). Une experte d’une ONG :
« C’est très difficile à cause des familles, on a
jamais à faire à une personne » (entretien 3).
Ce fait a comme conséquence de rendre le
dépôt de plainte plus difficile – s’il faut le faire
contre plusieurs membres de la famille. Dans
le questionnaire, plusieurs répondant(e)s
ont signalé comme mesure pour résoudre
ces situations, des mesures visant à éloigner
les auteur(e)s de violence, tel que le renvoi
de l’agresseur dans son pays d’origine. La
première chose à signaler est que cette mesure
ne fonctionne que pour les auteurs étrangers.
Deuxièmement, il faut attirer l’attention sur
le fait que ces mesures ne sont pas efficaces
dans les cas où la contrainte n’est pas exercée
par une seule personne mais par un collectif
et que les agresseurs sont donc interchangeables. Par ailleurs, il ne faut pas négliger le
fait que ce genre de mesures peuvent rendre
encore plus difficile pour des jeunes femmes
les démarches à l’encontre de leurs proches
en raison des conséquences qu’elles occasionneraient. Une experte a raconté le cas d’une
jeune femme qu’elle avait accompagnée qui
avait renoncé à porter plainte contre son père
pour « mariage forcé », car elle avait peur
que cela signifie le renvoi de toute sa famille,
notamment ses petites sœurs (entretien 1).
7.4.5. Enjeux juridiques et légaux
Bien que faire une expertise en termes juridiques
ou légaux de la thématique discutée ne fasse pas
partie du mandat de cette recherche, certains
aspects sont apparus de manière récurrente lors
de l’enquête et des entretiens qui touchent au
domaine juridique.
63 www.admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/1788/Bundesbeschluss.pdf
89
Le premier élément a déjà été mentionné et
concerne le droit de séjour des conjoints étrangers après divorce (art. 50, LEtr). C’est un point
central pour comprendre les situations de type C
et notamment pour comprendre une spécificité
de certaines de ces situations. En effet, bien
des personnes de cette catégorie demandent
de l’aide avec des problématiques de violences
domestiques et peuvent être prises en charge par
les réseaux de lutte contre la violence domestique
et les mêmes mesures peuvent s’appliquer (focus
group 2, entretien 2). Il y a toutefois un élément
qui rend leur prise en charge plus compliquée et
qui est intimement liée à l’origine étrangère de la
majorité des personnes concernées. Une experte
a exposé le problème ainsi : « C’est évident que
c’est la LEtr qui pose problème. Les femmes ne
peuvent pas se séparer. Les associations Solidarité
Femmes dénoncent régulièrement cette situation
à la cité. » Il semblerait en effet que l’élément
déterminant qui distingue ces situations de la
violence domestique qui touche les femmes suisses est la précarité du droit de séjour, qui rend la
décision d’une séparation beaucoup plus difficile.
Les mesures à prendre pour venir en aide à ces
femmes découlent d’une réflexion sur l’art. 50 de
la LEtr et son application64.
Un autre point relevant du droit de séjour a
aussi été mentionné dans le focus group en
Suisse allemande : le droit de retour pour des
personnes établies auparavant en Suisse et
contraintes à se marier à l’étranger. Nos résultats montrent que dans 77% des situations de
type A, les personnes sont mises sous pression
pour se marier avec une personne à l’étranger. Il est clair qu’une partie de ces mariages
n’auront pas lieu en Suisse mais à l’étranger et
présentent donc un défi particulier en termes
90
de mesures. Suite à ce mariage, la personne qui
vivait en Suisse va soit revenir en Suisse avec son
conjoint / sa conjointe, soit rester à l’étranger. Il
arrive aussi que la personne qui a été forcée à
se marier à l’étranger soit aussi contrainte de s’y
installer. Une mesure préconisée par une experte
serait de garantir un droit de retour en Suisse
à ces personnes même si la validité de leur
permis de séjour est échue entre temps, car elles
sont restées trop longtemps à l’étranger65. Un
pareil droit au retour pour victime de « mariage
forcé » jusqu’à dix ans après avoir quitté le pays
existe en Allemagne66.
7.5. Résumé
Les résultats montrent que c’est un grand
éventail d’institutions différentes qui ont à faire
à une clientèle se trouvant dans des situations
de contraintes. Cependant, pas toutes n’y sont
confrontées de la même manière, étant donné
que les situations de contraintes sont très diversifiées. Cette diversité soulève justement la question de savoir si les institutions peuvent agir de
manière adéquate face à ces situations, surtout
lorsqu’on considère qu’il s’agit parfois d’institutions qui n’ont pas pour mandat de traiter ces
cas ou pour lesquelles ce genre de travail ne se
trouve pas au centre de leurs missions, prestations ou compétences. Cela est particulièrement
le cas pour les associations, ONG et fondations
actives dans le domaine des migrations mais
également pour les écoles professionnelles. Les
analyses montrent par ailleurs que la quasi-totalité des institutions se trouvent confrontées à des
cas de niveau de violence variable, qui demande
chacun un type d’intervention différent qui ne
peuvent pas tous être proposés au sein d’une
même institution.
En conséquence, il n’est pas étonnant que la
moitié des personnes ayant répondu à notre
questionnaire se considère plus ou moins démunies face à ces situations. Une sensibilisation et
formation plus poussée des professionnel(le)s est
donc nécessaire.
Même si les institutions offrent un éventail large
de modes d’intervention, comme le montre
l’enquête, il y a plusieurs difficultés à surmonter
pour que celles-ci soient efficaces. L’analyse de
ces difficultés nous permet de mieux comprendre les défis auxquels les professionnel(le)s
doivent faire face.
La loyauté ressentie par les personnes touchées envers les auteur(e)s représente un défi
important. Ce conflit de loyauté accompagne
chaque prise en charge et doit être géré par
les professionnel(le)s. La prise en charge est
également handicapée par le fonctionnement
imparfait des réseaux de coopération entre les
institutions et les chaînes d’intervention. Cependant une telle coopération entre les institutions
est indispensable pour que les mesures soient
efficaces : les situations sont complexes et il est
rare qu’une seule institution ait les compétences
d’en gérer tous les aspects. De plus, des lacunes
ont été constatées dans ces chaînes d’intervention, notamment en ce qui concerne la prise en
charge des auteur(e)s de violences. Un autre défi
consiste à trouver l’équilibre entre les tentatives
de mettre en dialogue les membres de la famille
en conflit – par une médiation de conflit – et
de protéger les victimes. La médiation de conflit
peut être une intervention efficace lorsqu’elle
remplit certaines conditions. Par rapport à la
protection des victimes, les résultats montrent
que l’offre d’hébergement n’est pas suffisante
et pas toujours adaptée, notamment en ce qui
concerne une prise en charge à long terme.
Finalement, les enjeux par rapport au permis de
séjour qui touchent surtout les femmes dont les
situations relèvent du type C, représentent un
défi majeur pour une prise en charge adéquate.
Une fois de plus on constate que les problématiques qui entourent les situations de contraintes
en lien avec des relations amoureuses et le mariage sont très similaires à ce qu’on connaît du
domaine de la violence domestique et qu’il s’agit
d’intervenir dans cette logique – tout en évitant
de culturaliser ou ethniciser ces conflits.
64 Le Département fédéral de justice et police est en train
de mener une réflexion à ce sujet. Une table ronde sur
la question a eu lieu et une étude est mandatée.
65 Une personne qui ne dispose pas de la nationalité
helvétique peut perdre son permis C si elle reste plus
de 6 mois à l’étranger. LEtr, art. 61, al. 2 : « Si un
étranger quitte la Suisse sans déclarer son départ,
l’autorisation de courte durée prend automatiquement fin après trois mois, l’autorisation de séjour
ou d’établissement après six mois. Sur demande,
l’autorisation d’établissement peut être maintenue
pendant quatre ans. »
66 Cf. la prise de position sur le projet de loi contre les
« mariages forcés » commune à diverses institutions
et organisations, www.terre-des-femmes.ch/images/
stories/Unser_Engagement/Gutachten_Stellungnahmen/pp_gesetzesartikel_zwangsheirat.pdf, page
consultée le 12.1.2012.
91
Partie III : Recommandations
92
Nous consacrons cette troisième et dernière
partie à formuler des recommandations pour
une prise en charge efficace des personnes
devant faire face à des contraintes en lien avec
le mariage, les relations amoureuses ou le
divorce. Ces pistes de réflexion se basent sur les
résultats de cette étude et sont donc ancrées
dans les informations présentées aux chapitres
précédents.
Le chapitre est construit selon la logique suivante : les recommandations sont organisées en
fonction des thématiques les plus importantes
ressortant de l’étude. Pour chaque thématique, nous allons reprendre les résultats les plus
importants et en tirer des pistes ou des mesures
qu’il serait souhaitable de mettre en place.
Nous commencerons avec des questions stratégiques. Nous verrons que, selon les résultats,
il serait judicieux de favoriser une approche
de ces situations de contraintes en termes de
rapports de genre et de les considérer comme
une forme de violence domestique. Cette ré­
orientation stratégique a des conséquences au
niveau du travail en réseau entre les institutions,
qui sont discutées au deuxième point. Nous
décrirons aussi le conflit de loyauté vécu par
des victimes envers les auteur(e)s de violence
et nous en tirerons des conclusions quant aux
mesures à prendre pour cet aspect de la problématique. Nous formulerons des recommandations par rapport à la diversité des personnes
touchées et nous présenterons des publics-­cibles
demandant des efforts spécifiques. Ensuite,
nous soulèverons les mesures à prendre en lien
avec les compétences des institutions touchées.
Nous présenterons aussi les défis liés à la
dimension transnationale de la problématique.
Enfin, nous formulerons quelques pistes pour
des recherches futures qui visent à combler les
lacunes actuelles dans la compréhension du
phénomène.
1. Question stratégique : doit-on
considérer les « mariages forcés »
comme spécifiques au domaine
des migrations ou les aborder sous
l’angle de l’égalité entre femmes
et hommes, comme une forme de
violence domestique ?
Enjeux et défis principaux
Un premier résultat important de l’étude est de
mettre en lumière l’extrême diversité des situations de contraintes en lien avec le mariage, les
relations amoureuses et le divorce. Sous le terme
générique et politique de « mariage forcé »
se cache en effet un éventail de situations très
différentes. Ce résultat remet en question l’utilité de la catégorie-même de « mariage forcé »,
car il est difficile de trouver des caractéristiques
nettes qui d’une part, sont communes à toutes
ces situations et d’autre part, les distinguent
clairement d’autres situations de violence.
Cette diversité peut tout d’abord être constatée
au niveau des profils des personnes cherchant
de l’aide auprès des institutions. Il n’existe pas
un idéal-type de jeune femme (ou homme) qui
serait particulièrement touché(e) par le phénomène, mais au contraire, les institutions ont à
faire à un éventail très large de personnes en
termes d’âge, d’origine, de niveau de formation
et de situations professionnelles. À cette variété
en termes de profil s’ajoute une diversité des
situations de contrainte et de violence.
93
Au-delà de cette diversité de profils et de
situations, trois points communs ont été mis en
lumière par l’étude : le phénomène est étroitement lié à la question du genre et à différents
rapports de pouvoir ; il est accompagné de
multiples formes de violence qui se déploient au
sein du couple ou de la famille et cela place les
victimes dans un fort conflit de loyauté.
Le phénomène est genré dans la mesure où il
affecte aussi bien les hommes que les femmes
mais pas de la même manière, car il est étroitement lié à des systèmes de domination genrée
et à des rapports sociaux de sexe en général.
Bien que les femmes soient plus nombreuses
que les hommes parmi les personnes rencontrées par les institutions qui subissent des pressions en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce (environ 90%), nous avons
montré que les hommes sont aussi concernés,
en tant que victimes et/ou auteurs de violence.
Ce phénomène est lié aux représentations de
la féminité et la masculinité, auxquelles sont
liées des attentes de comportements considérés
comme corrects pour les femmes et les hommes. La famille et le mariage sont à considérer
comme des arènes de négociations genrées, au
sein desquelles des relations de domination sont
produites et reproduites, en lien étroit avec les
contextes socioéconomique, culturel, politique
et discursif. Cela ne s’applique pas uniquement
à la population migrante, mais également aux
Suissesses et aux Suisses.
Les auteur(e)s de pressions et de menaces sont
en grande majorité, comme l’étude l’a mis en
évidence, des membres de la famille (pères,
mères, frères, (futur[e]s) conjoint(e)s, membres
de la famille élargie, parents du / de la (futur[e])
94
conjoint[e], sœurs). Or, la pression et les violences sont infligées par une ou plusieurs personnes exploitant leurs positions dominantes dans
un rapport de force. À cela s’ajoute qu’il s’agit
d’un phénomène caractérisé par la présence
marquée de diverses formes de violences (psychiques pour tous les types, physiques et sexuelles particulièrement pour le type C). C’est dans
le domaine de la famille au sens large que cette
violence est exercée, violence qui peut avoir un
aspect collectif puisque la contrainte ne provient
généralement pas d’une seule personne mais
de plusieurs proches, voire de la famille élargie.
Finalement, les situations de contrainte sont
souvent accompagnées d’un conflit de loyauté
prononcé de la victime envers les auteur(e)s
de la violence (cf. point 2 ci-dessous). Ces
caractéristiques correspondent parfaitement à
la définition de «Gewalt im sozialen Nahraum»,
c’est-à-dire de violence domestique67.
Ces résultats soulèvent une question stratégique
importante concernant la manière d’aborder
cette thématique: est-il judicieux de traiter ce
sujet à part en tant que spécificité du domaine
« migration » comme c’est le plus souvent le cas
aujourd’hui ou ne vaudrait-il pas mieux approcher les contraintes en lien avec le mariage, les
relations amoureuses ou le divorce sous l’angle
de l’égalité entre hommes et femmes, comme
une forme de violences domestiques?
67 La notion allemande de «Gewalt im sozialen
Nahraum» serait plus précise pour caractériser ce
phénomène. Cependant, étant donné qu’au niveau
fédéral la notion de « violence domestique » est employée, nous avons décidé d’utiliser cette dernière.
Recommandations
R 1: Une approche stratégique en termes
d’égalité hommes-femmes comme porte
d’entrée pour lutter contre ce phénomène
et pour la prise en charge des victimes
Au niveau conceptuel, les résultats montrent
clairement qu’il serait judicieux de favoriser
une approche de ces situations de contraintes en termes de rapports de pouvoir de
genre et comme une forme de violences
domestiques. Il s’agit d’éviter de traiter ce
sujet à part comme spécificité du domaine
des migrations, même s’il est évident que le
contexte migratoire peut jouer un rôle important dans ces situations (permis de séjour,
aspects transnationaux, danger d’« ethnicisation du sexisme », etc.).
Une telle réorientation stratégique présente
les avantages suivants :
• Elle permettrait de lutter contre les
inégalités en termes de genre – à tous
les niveaux – dans toutes les situations
où on peut détecter des inégalités et des
rapports de pouvoir, indépendamment
de la nationalité des individus concernés.
Il deviendrait ainsi possible d’inclure la
thématique dans le cadre large d’une
prévention primaire dans les domaines du
genre et des droits humains.
• Dans les débats publics, les « mariages
forcés » sont traités comme un problème
« culturel » lié aux migrant(e)s, tandis
que ce discours est influencé par une
conception essentialiste de la culture
et de l’ethnicité. Cette conception a
pour effet de stigmatiser les migrant(e)s
comme des personnes aux mœurs étranges apportant avec elles des problèmes
inconnus de la population suisse. Cette
« ethnicisation du sexisme » (cf. chap.
4.1.5) comporte plusieurs problèmes.
La logique qui associe le phénomène
des « mariages forcés » aux immigrés
et qui l’isole de toute autre explication
en termes de genre, donne l’impression
erronée que toutes les femmes migrantes, et uniquement elles, nécessitent une
émancipation. Cette logique néglige l’hétérogénéité de la population migrante
et implique qu’en Suisse, une égalité de
genre est acquise, ce qui n’est pas le cas.
Or, les politiques en matière d’égalité
de genre qui se focalisent exclusivement
sur les femmes migrantes comportent
un danger de lutter contre le sexisme en
donnant l’impression erronée que celui-ci
est l’apanage exclusif de certains groupes
nationaux étrangers. Cependant, la
violence domestique et les inégalités
en termes de genre ne sont pas inconnues en Suisse. L’approche stratégique
proposée permettrait de sortir d’une logique ethnicisante et culturalisante, tout
en mettant l’accent sur des questions
d’égalité en termes de genre et sur une
lutte contre les violences domestiques.
Cela dans un esprit des droits humains,
indépendamment de la nationalité des
personnes concernées.
95
• De plus, diverses mesures efficaces ont été
mises en place ces dernières années en
Suisse afin de venir en aide aux personnes
concernées par la violence domestique.
Ainsi, des compétences spécifiques en lien
avec cette thématique ont été développées au sein de diverses institutions et des
réseaux aux niveaux national, cantonal
et communal ont vu le jour. Ce savoir et
ces réseaux existants pourraient ainsi être
développés et rendus accessibles à cette
forme de violence domestique, ce qui
éviterait de « réinventer la roue ».
• Toutefois, il est important de souligner
qu’il ne s’agit pas, par cette proposition,
d’écarter le fait que la thématique de
la migration joue un rôle essentiel dans
cette problématique – dans la mesure où
on ne considère pas que la thématique
des migrations est équivalente à celle
de la « culture ». Ce choix stratégique
impliquerait au contraire d’inclure certains
enjeux spécifiques liés à la thématique de
la migration, dont certains sont présentés
dans les recommandations suivantes, au
sein des concepts, outils, institutions et
réseaux existants dans le domaine de la
violence domestique. En effet, une série
de recherches recommandent déjà depuis
un certain nombre d’année de favoriser
une ouverture des institutions envers la diversité/migration, au lieu de créer des insti-
96
tutions parallèles pour les migrants (pour
la Suisse Arn 2004 ; Dahinden 2006 ;
Dahinden et Bischoff 2010 ; Dahinden et
al. 2005 ; Dahinden et al. 2003 ; Squires
2005 ; Wüest-Rudin 2005). D’ailleurs, la
stratégie de différents acteurs au niveau
fédéral va également dans le sens d’une
telle intégration de la diversité – au lieu
de séparer la thématique de la migration.
La Commission fédérale pour les questions de migration et l’Office fédéral de
la santé publique par exemple suivent ces
stratégies depuis un moment. L’idée que
l’intégration se réalise en principe dans le
cadre des structures ordinaires est aussi
fixée dans la législation fédérale sur les
étrangers. Cet aspect a d’ailleurs encore
été renforcé dans le projet de révision
partielle de la LEtr.
• Finalement, une telle approche, qui met
l’accent sur le genre plutôt que sur les
« femmes migrantes », permettrait d’inclure des réflexions quant aux hommes
(cf. point 4.2 ci-dessous) – du moins si
on considère qu’une politique d’égalité entre hommes et femmes inclut les
deux sexes – non seulement au niveau
de la prévention en termes d’égalité,
mais aussi en termes de travail avec les
auteur(e)s de violence – domaine, nous
y reviendrons, dans lequel des lacunes
existent actuellement.
2. Travail en réseau : améliorer les
chaînes d’intervention entre et au
sein des institutions
Enjeux et défis principaux
La diversité et la complexité des situations mises
en lumière par l’étude expliquent qu’il est rare
qu’une seule institution ait les compétences
d’en gérer tous les aspects. Dans l’enquête,
55% des institutions ont répondu que les cas
qu’elles avaient décrits avaient aussi été traités
par d’autres institutions. Mais ces institutions
travaillent-elles ensemble ou en parallèle ? La
recherche révèle que la communication et la co­
opération entre institutions ne sont pas idéales.
En effet, 29% des répondants ne savent pas si
les cas qu’ils ont traités ont aussi été vus par une
autre institution.
En ce qui concerne l’évolution des situations, les
résultats montrent que dans près d’un tiers des
cas, les professionnel(le)s n’ont plus de nouvelles.
Plusieurs interprétations de ce fait sont possibles,
mais il pourrait indiquer, comme le pensent plusieurs des expert(e)s interviewé(e)s, que
le travail en réseau fonctionne mal, ce qui
implique un risque que les cas soient passés plus
loin et finissent par disparaître sans avoir trouvé
de l’aide.
Or, non seulement il est important qu’une
personne dans une telle situation puisse bénéficier d’un suivi correct, mais une collaboration
efficace entre institutions est essentielle, car ces
situations se caractérisent par une forte présence
de violence et, dans les cas les plus graves, la
protection de la personne implique le secret
notamment face à des personnes de la famille.
L’étude a mis en lumière des lacunes dans la
détermination des compétences des différentes
institutions et des dysfonctionnements dans la
collaboration. L’exigence de confidentialité et de
protection des données en raison de la nature
délicate de ces situations empêche la collaboration entre institutions ou la rend plus difficile.
Recommandations
R 2 a : Mobiliser les réseaux et institutions travaillant dans le domaine
d’égalité de genre et de violence
domestique pour ce phénomène
En premier lieu, il faut adapter les réseaux en
fonction du choix stratégique présenté dans
la recommandation 1. L’idée est d’éviter la
création de nouveaux réseaux ou plateforme
d’échange d’expérience entre institutions
spécifiques pour les « mariages forcés » et
de travailler avec les réseaux existants.
Il s’agit d’introduire la thématique des
contraintes en lien avec le mariage, les
relations amoureuses ou le divorce dans
les réseaux déjà existants pour la violence
domestique et l’égalité de genre. Ces
politiques et structures existantes devraient
être renforcées et développées de manière
à pouvoir traiter ces thématiques.
R 2 b : Mettre en réseaux les acteurs du
domaine de la migration, du domaine
d’égalité des chances et de la violence
domestique
Étant donné les compétences acquises
ces dernières années par les acteurs du
97
domaine de l’intégration par rapport à cette
problématique, il semble important, lors de
cette réorientation stratégique, de mettre
tous les acteurs impliqués en réseau. Concrètement, cela implique de mettre ensemble
les institutions du domaine de l’égalité entre
femmes et hommes et de la violence domestique avec celles du domaine de la migration
et de l’intégration.
R 2 c : Clarification des chaînes
d’intervention
Les réseaux travaillant dans le domaine de
l’égalité ainsi que des spécialistes en matière
de migration existent dans chaque canton –
où ils sont probablement liés à d’autres institutions locales. Chaque canton/ville pourrait
désigner une institution, qui prendrait le rôle
d’instance de coordination pour le canton / la
ville. Cette instance de coordination devrait
clarifier les chaînes d’intervention entre les
institutions touchées par la problématique
ou par la prise en charge de ces cas dans le
canton / la ville concerné(e). La mise en place
de ces formes de coopération au niveau
cantonal / des villes devrait comporter des
réflexions par rapport à la protection des
données. Cette institution peut faire partie
de l’administration ou non. Cependant,
il serait souhaitable qu’il s’agisse d’une
institution pouvant remplir cette fonction
dans un sens correspondant à l’orientation
stratégique discutée dans la recommandation
no 1. Il pourrait s’agir par exemple du bureau
pour l’égalité ou d’un centre LAVI. Dans les
faits, il s’agira de voir dans chaque canton ou
98
ville à travers quelles institutions ou réseau
cette coordination et orientation stratégique
pourront être concrétisées.
La même réflexion est à mener en ce qui
concerne la coordination au niveau national
de tout ce qui touche aux contraintes en
lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Il faudrait désigner une
institution qui pourrait s’occuper de la
coordination des institutions désignées dans
chaque canton/ville et les mettre en réseau.
Ensuite, il faudrait clarifier les tâches de
cette institution nationale (p. ex. mise
en réseau des acteurs, monitoring de la
thématique, organisation des tables rondes,
conférences, etc.). Ce rôle pourrait revenir
par exemple au Bureau fédéral de l’égalité,
tout comme pour la violence domestique.
Évidemment, des spécialistes du domaine
des migrations devront aussi être inclu(e)s
dans ces réseaux, s’ils n’y sont pas déjà.
R 2 d : Clarification des procédures
et des formes de coopération au sein
des institutions
Un tel travail de réseaux ne concerne pas
seulement les procédures et les formes de
coopération entre les institutions au niveau
de la ville, du canton et du pays, mais
également au sein d’une institution. Ainsi
les institutions qui sont touchées d’une manière ou d’une autre par la problématique
seraient également amenées à mettre en
place une procédure de case management
en leur sein.
3. Conflit de loyauté et dépendance
des victimes envers les auteur(e)s
Enjeux et défis principaux
L’étude a montré que la violence se situe
essentiellement au sein du couple ou de la famille. Cela implique que les personnes concernées se trouvent la plupart du temps dans un
conflit de loyauté envers les auteur(e)s de
la contrainte; ce qui rend le traitement de ces
cas souvent difficile et très long. Ce conflit de
loyauté n’est pas seulement lié au jeune âge
des personnes concernées, mais également
à la question de leur dépendance envers les
auteur(e)s de violence, qui peut prendre la
forme de dépendance affective, économique
ou liée au statut de séjour.
L’enquête, mais également les expert(e)s, ont
relevé l’ambiguïté des personnes par rapport
aux mesures qu’elles souhaitent voir prises.
Souvent, elles s’opposent à toute mesure
impliquant l’entourage, car elles ont peur
que cela ne porte préjudice à leurs proches
ou ne provoque la rupture du lien qu’elles
entretiennent avec eux. Ainsi, le refus des
victimes est la raison principale citée par
les professionnel(le)s expliquant qu’aucune
mesure de ce type ne soit prise. La problématique du conflit de loyauté revêt une grande
importance mais n’est pas suffisamment prise
en compte dans les discussions autour de ce
thème et lors des prises en charge.
Cette dimension est bien connue des personnes qui travaillent dans l’accompagnement de
victimes de violences domestiques en général
et fait partie des défis majeurs de la prise en
charge. De plus, nos résultats attestent du
rôle additionnel et primordial de la migration
d’une part, et de l’âge des victimes d’autre
part, qui peuvent renforcer ce conflit de
loyauté.
Pour les types A et B, les différences de
biographie entre les générations liées à la
migration ainsi que les politiques migratoires peuvent renforcer le conflit de loyauté.
Lorsque des membres de la famille exercent
des pressions sur leurs proches pour qu’ils
se marient avec une personne de la même
origine ethnique/nationale/religieuse/linguistique ou pour qu’ils renoncent à fréquenter une
personne d’une autre origine perçue négativement, il s’agit d’un conflit de générations, qui
provient de la différence dans les biographies
migratoires des deux générations. Les parents
espèrent protéger les jeunes en les gardant au
sein de la communauté ethnique/nationale/
linguistique ou religieuse, ce qui, à leurs yeux
est une garantie pour un mariage durable. Les
enfants ayant grandi ici, dont les biographies
se distinguent fortement de celles de leurs parents, ont d’autres conceptions des relations
amoureuses et du choix du conjoint. Pourtant, dans un contexte de plus en plus strict
– au niveau des lois, mais aussi en regard de
discours stigmatisants – envers les étrangers,
leur loyauté est mise à rude épreuve. Les
jeunes ont conscience que de chercher de
l’aide auprès des institutions ou des autorités
suisses peut avoir des conséquences négatives
sur le statut de séjour de leurs proches (p.
ex. dans le cas où un membre de la famille
devrait quitter la Suisse ou ne pourrait pas
être naturalisé). Pour les cas du type A, on voit
que des personnes sont mises sous pression
99
pour se marier afin d’obtenir un permis pour
leur futur(e) conjoint(e). C’est une question
de loyauté, aussi bien pour les personnes
concernées que pour les parents, de venir
en aide – grâce à un mariage qui permet
l’obtention d’un permis de séjour – aux amis,
aux connaissances ou à la famille restés dans
le pays et vivant dans des conditions économiques ou politiques difficiles. Finalement, dans
les cas de type C, pour les victimes venues en
Suisse par regroupement familial, la dépendance envers le/la conjoint(e) en terme de
droit de séjour en Suisse (car le divorce peut
signifier la perte du permis) représente un
facteur supplémentaire éprouvant la loyauté
de la personne concernée.
Le conflit de loyauté est, selon notre étude,
particulièrement violent pour les jeunes et
plus présent parmi les personnes concernées
par les cas de type A et B. Bien que l’ambiguïté existe aussi chez des personnes mariées
plus âgées, concernées par les situations de
type C, le conflit se présente toutefois de
manière encore plus forte chez les jeunes, car
la rupture avec la famille est souvent terriblement difficile à envisager. La dépendance
affective, mais aussi économique des jeunes
personnes, a fortiori des mineur(e)s, est
spécialement vive puisqu’ils habitent souvent
encore chez leurs parents et n’ont pas fini
leur formation. A contrario, notre étude
montre que ce conflit de loyauté peut se
trouver amoindri lorsque le problème de la
dépendance économique est réglé.
La dépendance des victimes envers les
auteur(e)s de violence rend souvent l’hébergement de ces personnes nécessaires pour
100
les protéger dans les cas où le conflit a une
dimension violente qui implique un danger
immédiat. Or, l’étude a montré que l’offre
d’hébergement pour les victimes n’est pas
suffisante ou pas adaptée à ces situations. En
particulier, des solutions d’hébergement et/ou
de suivi psycho-social à long terme, qui font
défaut pour le moment, seraient nécessaires.
En effet, dans les cas où des jeunes quittent
leurs familles, ils doivent se réorienter, ce qui
est un processus de longue durée, dans lequel
ils doivent être accompagnés.
Recommandations
R 3 a : Prise en compte du conflit de
loyauté lors de toute prise en charge
Le conflit de loyauté doit être considéré
comme une thématique commune à
toutes les situations de contraintes
et de violences en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le
divorce et d’autres violences domestiques. Cette thématique doit être
discutée et réfléchie en particulier par
les professionnel(le)s en charge des
victimes. La possibilité d’un conflit de
loyauté est à prendre en compte lors
de chaque prise en charge, que le
conflit soit encore d’intensité basse ou
qu’une violence accrue soit présente. Le
contexte migratoire ainsi que l’âge des
personnes concernées sont également à
prendre en compte lors de la recherche
de solutions.
R 3 b : Renforcer l’autonomie économique des personnes touchées
L’autonomie économique des personnes
est un facteur permettant de minimiser
fortement la dépendance des personnes
envers leur famille et, en conséquence, le
conflit de loyauté. Il s’agit donc de soutenir les personnes concernées dans des
projets de formation ou dans la recherche
d’un emploi.
R 3 c : Offre d’hébergement étendue
et suivi à long terme pour assurer
l’autonomie des personnes touchées
Étant donné qu’il s’agit de personnes qui
doivent souvent quitter leur logement
familial lorsqu’elles veulent s’éloigner des
auteur(e)s de violence, l’offre d’hébergement doit être étendue.
Il serait également pertinent de renforcer toutes les mesures qui permettent
une prise en charge à long terme des
victimes. Nous pensons ici à des solutions
d’hébergement à long terme qui font
défaut pour le moment mais aussi à un
suivi psychosocial qui permette d’assurer
l’autonomie des personnes touchées.
4. Les personnes touchées et leur
prise en charge
4.1. Situations de types A, B et C :
enjeux différents
Enjeux et défis principaux
Il existe des différences importantes de profil
sociodémographique entre les personnes
concernées par les trois différents types de
contraintes en lien avec le mariage, les relations amoureuses ou le divorce. Les résultats
nous permettent également de constater que
les situations qui aboutissent à ces contraintes
sont elles aussi extrêmement diverses et complexes, car de nombreux éléments s’y trouvent
imbriqués.
La méthodologie choisie a permis de montrer
que les cas concernant les personnes subissant
des pressions pour rester mariées (type C) sont
de loin les plus nombreux puisqu’ils forment
près de la moitié des cas, alors que les cas de
types A et B représentent chacun environ un
quart des personnes concernées.
Le profil socioéconomiques des personnes
concernées par le type A (qui sont sous pression pour se marier) pourrait être décrit de
manière « idéal-typique » de façon suivante :
il s’agit principalement de jeunes femmes entre
18 et 25 ans, à 81% des étrangères mais
dont plus d’un tiers est né en Suisse et dont la
majorité dispose d’un permis C. Les personnes
concernées sont majoritairement originaires des
Balkans, de la Turquie et du Sri Lanka. Ces personnes sont en grande partie bien intégrées au
marché du travail ou au système éducatif suisse.
101
Concernant les personnes qu’on empêche de
vivre une relation amoureuses de leur choix
(type B), le profil se présente de manière
suivante : ce sont également des jeunes femmes en majorité, ayant entre 18 et 25 ans,
à 69% étrangères, dont la moitié sont nées
en Suisse et dont plus de la moitié disposent
d’un permis C. Il s’agit également en majorité
de personnes originaires des Balkans, de la
Turquie et du Sri Lanka, mais on y trouve aussi
des naturalisé(e)s et des Suisses de naissance.
Comme pour le type A, ces personnes sont
majoritairement bien intégrées dans le marché
de travail ou suivent une formation.
La catégorie de personnes concernées par le
type C semble à la fois différente des deux
autres types mais aussi plus diversifiée en
son sein. Ce sont également en majorité des
femmes qui sont concernées par l’impossibilité
de divorcer, elles sont plus âgées (au-dessus
de 25 ans en majorité), majoritairement nées à
l’étranger et ne disposent pas de la nationalité
suisse (80%). Plus de la moitié de ces personnes
ont un permis B ou N/F et leur situation en termes de statut de séjour est donc plus précaire.
Elles viennent principalement des Balkans, de la
Turquie et du Sri Lanka, mais également d’Amérique du Sud et d’autres pays. Ces femmes ne
sont que partiellement intégrées au marché du
travail, moins bien formées que les types A et
B, et la moitié se trouve dans une situation de
dépendance économique. De plus, ce type présente les plus hauts taux de violences physiques
et sexuelles, et plus de la moitié de ces personnes prennent contact avec une institution
lorsque le conflit a déjà atteint un stade violent
(alors que ce taux est de 43% pour le type A et
34% pour le type B).
102
Cette différence entre les types A, B et C est
très importante en termes de mesures. Tandis
que les personnes confrontées à des problématiques liées au type A et B sont intégrées
dans le marché du travail ou dans le système
éducatif et peuvent, en conséquence, être
atteintes en passant par les structures ordinaires comme les écoles ou les lieux de travail,
les femmes forcées à rester mariées semblent
plus difficiles à atteindre, car elles sont plus
isolées. Le type C est de plus celui pour lequel
les questions de permis et l’influence du
contexte migratoire sont les plus prégnantes,
et celui qui fait le mieux ressortir la responsabilité des lois et des institutions suisses dans le
règlement de ce problème. Ici, les contraintes
liées aux dispositifs légaux et administratifs se
mêlent de manière inextricable aux violences
provenant du cercle familial – une forme de
violence pouvant tour à tour être la cause, le
résultat ou s’ajouter de manière parallèle à
l’autre et inversement.
Les personnes du type C sont souvent prises
en charge par les réseaux et institutions
actives dans le domaine de la violence domestique. Pourtant, l’étude a montré que ces
structures se sentent parfois démunies pour
agir lorsque les problèmes de droit de séjour
viennent compliquer les situations, comme
c’est le cas lorsque les femmes victimes de
violence domestique sont en danger de perdre
leur permis de séjour si elles divorcent d’un
conjoint violent quand le mariage n’a pas
duré trois ans.
Recommandations
R 4.1 a : Inclusion du type C dans les
efforts de lutte
Pour lutter efficacement contre ce phénomène, il est indispensable d’inclure les
personnes touchées par les cas C. Jusqu’à
présent, les débats et les mesures proposées
contre les « mariages forcés » – projet de
loi, projets pilotes – se sont concentrées surtout sur les cas A et B. Des efforts particuliers pour atteindre ces publics-cibles touchés
par des situations de type C sont nécessaires, en particulier au niveau de la prévention
pour que ces personnes consultent à un
stade plus précoce du conflit.
R 4.1. b : Prévention pour les types A et
B à travers les structures de formation et
d’apprentissage
Une sensibilisation pour les cas A et B peut se
faire à travers les écoles, les places d’apprentissage ou d’autres institutions en lien avec
la formation. Pour le type C, la situation
est plus complexe et demande des mesures
spécifiques.
R 4.1. c : Mesures spécifiques pour les
personnes touchées par les situations de
type C
• Comme les personnes concernées par le
type C sont en moyenne plus âgées que celles des deux autres catégories, on ne peut
pas envisager des projets de prévention
uniquement pour les jeunes – comme c’est
souvent le cas actuellement dans les projets
pilotes – car ils ont des grandes chances de
passer totalement à côté de ce public-cible.
• Il est essentiel de mettre en place des
offres de conseil, de soutien et de prise en
charge à bas seuil, i.e. gratuites, accessibles pour des personnes qui travaillent la
journée ou doivent s’occuper d’enfants et
peu bureaucratiques.
• Par ailleurs, on pourrait envisager la mise
en place de programmes spécifiques d’informations pour les personnes qui arrivent
en Suisse par mariage, afin de les informer
et de les sensibiliser dès le début de leur
séjour. Ces programmes de sensibilisation
doivent être conçus dans l’approche que
nous avons définie, c’est-à-dire, entre
autres inclure des informations sur les
droits de ces personnes par rapport à leur
permis de séjour en cas de divorce et sur
les offres de soutien pour les victimes de
violence domestique.
• Une réflexion devrait être menée au niveau
politique sur le lien entre violence domestique et permis de séjour au niveau des lois
et de leur application (en particulier l’art. 50
de la LEtr) pour éviter que des femmes
victimes de violences domestiques restent
auprès de conjoints violents par peur d’être
renvoyées dans leur pays. Des formations
continues devraient être mises en place
en vue de sensibiliser les fonctionnaires
chargé(e)s de traiter les dossiers des victimes de violence domestique dont le droit
de séjour est compromis par leur divorce.
103
4.2. Publics-cibles demandant
des mesures spécifiques
Au vu des lacunes décrites dans cette étude,
trois groupes de personnes peuvent être définis
pour lesquels il semble nécessaire de mettre
en place des mesures spécifiques. Il s’agit des
mineur(e)s, des hommes et des auteur(e)s de
violence et de contrainte.
4.2.1. Mineur(e)s
Enjeux et défis principaux
Les chiffres de l’enquête révèlent une forte présence de mineur(e)s, presqu’un tiers, parmi les
personnes concernées par les situations de type
A et B. Nous nous trouvons là face à un enjeu
important en termes de mesures, car il s’agit
d’une catégorie de personnes vulnérables qui
nécessite des efforts particuliers de protection.
Les résultats montrent que la prise en charge des
mineur(e)s présente des difficultés particulières
qui résident surtout dans la dépendance forte
envers leur famille, ce qui les place – comme
mentionné précédemment – dans un fort conflit
de loyauté lorsqu’il s’agit de prendre des mesures à l’encontre des auteur(e)s de la contrainte.
Cette dépendance est renforcée par le fait que
les mineur(e)s habitent en général encore chez
leurs parents et n’ont pas encore fini une formation qui leur permettrait d’être indépendant(e)s
économiquement.
Certaines questions liées à la problématique
des contraintes dans le cadre du mariage
visant particulièrement les mineur(e)s ont été
reconnues et sont inclues dans le projet de
loi sur les « mariages forcés ». Néanmoins,
la question dépasse largement la norme
juridique qui interdit un mariage impliquant
des mineurs. Dans le cas de personnes mises
sous pression pour renoncer à une relation
amoureuse (type B) par exemple, il n’est pas
Recommandations
R 4.2 a : Développement de l’offre
d’hébergement pour les mineur(e)s
R 4.2 b : Prévention à travers l’école
obligatoire
Une des mesures les plus urgentes à prendre
par rapport à ce public-cible est le développement de l’offre d’hébergement pour
les mineur(e)s, particulièrement en Suisse
romande. Il est également nécessaire de
prendre en compte les difficultés particulières liées au jeune âge dans le traitement
de ces cas, et d’entreprendre notamment
un travail sur le conflit de loyauté chez les
adolescent(e)s.
Contrairement à ce que pourrait faire penser l’idée du mariage, des jeunes en dessous
de 18 ans sont bel et bien concernés. Il
vaudrait ainsi la peine de réfléchir au rôle
à jouer pour les écoles obligatoires concernant les efforts de sensibilisation de cette
population – toujours dans une optique
de prévention primaire en termes d’égalité
de genre, de droits humains et de violence
domestique.
104
(encore) question de mariage. Des pressions
très fortes peuvent toutefois exister qui nécessitent la prise en charge de ces jeunes. Une
difficulté actuelle mise en lumière par l’étude
réside dans l’absence de mesures adéquates
pour l’hébergement des mineur(e)s.
4.2.2. Hommes
Enjeux et défis principaux
Les résultats présentent un faible taux d’hommes
concernés par des situations de contrainte en
lien avec le mariage, les relations amoureuses
ou le divorce (entre 7 et 13% selon le type).
Toutefois, on peut partir du principe que les
hommes éprouvent plus de difficulté à demander de l’aide, car dans les représentations
publiques, il s’agit d’un problème dont les
femmes sont présentées en tant que victimes.
Par ailleurs, notre étude a montré l’absence
d’offre adéquate en termes de conseils et
d’hébergement pour les hommes victimes de
ces situations. Enfin, il manque une stratégie
claire pour un travail avec les hommes en tant
qu’auteurs de violence et de contrainte, ce qui
est particulièrement problématique du point
de vue d’une prévention primaire.
Recommandations
Recommandations
R 4.2 c : Inclure les hommes dans les
mesures en tant que victimes mais aussi
en tant qu’auteurs
Il est important de prendre conscience que
les hommes peuvent aussi être concernés
par ces situations – en tant que victimes ou
auteurs. L’adoption d’une stratégie d’égalité de genre par rapport à la problématique
des contraintes en lien avec le mariage, les
relations amoureuses ou le divorce permet
de saisir la complexité des rapports de
domination et de dépendance au sein du
couple et de la famille élargie et permet
de sensibiliser les deux sexes à ces questions. Ainsi, des efforts particuliers pour
sensibiliser les hommes sont nécessaires sur
deux plans : d’une part, il s’agit – comme
mentionné – de renforcer les politiques et
mesures en termes d’égalité de genre en
général. De cette façon, on peut sensibiliser les hommes à ce qu’ils ont à gagner
en admettant des rapports de sexe plus
égalitaires. Et d’autre part, il faut des mesures spécifiques de sensibilisation pour les
hommes potentiellement touchés par ces situations afin de surmonter les obstacles qui
les empêchent de demander de l’aide aux
institutions. Les professionnel(le)s devraient
aussi être sensibilisé(e)s et préparé(e)s à
rencontrer des hommes qui pourraient être
dans cette situation.
Finalement, sur le plan opérationnel, il
faut urgemment mettre en place une offre
d’hébergement pour les hommes concernés
par ces situations. Par ailleurs, des lieux
d’hébergement où les couples pourraient
résider ensemble, dans les cas de type B,
devraient être envisagés.
105
4.2.3. Auteur(e)s de contraintes
Enjeux et défis principaux
Le travail avec les auteur(e)s de pressions peut
prendre deux formes, la prise en charge des
auteur(e)s de violence en tant que tels et les
efforts de médiation entre les victimes et les
auteur(e)s de violence.
L’étude a montré que l’offre pour prendre en
charge ou travailler avec les auteur(e)s de violence n’est pas suffisante. Les professionnel(le)s
travaillant avec les victimes ont exprimé le
besoin de savoir qu’un travail est aussi effectué
avec les auteur(e)s. Pour l’instant, cette question
est surtout considérée sous l’angle du renvoi
des auteur(e)s. Or, nous avons mis en évidence
le caractère collectif de cette forme de violence,
qui remet en question l’efficacité du renvoi
de l’auteur, car celui-ci est rarement seul à
exercer la contrainte. Par ailleurs, le lien familial
entre la personne concernée et les auteur(e)
s – tout comme le conflit de loyauté qui y est
lié – rendent plus complexe la décision de la
personne concernée de parler de sa situation
à un(e) professionnel(le). Ces liens rendent
également, pour la personne concernée, plus
difficile la prise de mesures si cela s’accompagne
de la perspective du renvoi d’un membre de la
famille, par exemple le père, qui peut de plus
compromettre le séjour du reste de la famille.
Notre étude a montré que dans certaines situations, un travail avec l’entourage familial et la
victime pouvait porter des fruits. Un des aspects
les plus délicats lors de ce genre d’intervention
est la recherche d’un équilibre entre la tentative
de calmer la situation au sein de la famille en
106
rendant possible une communication à travers
une médiation de conflit et assurer la sécurité de
la personne mise sous pression. Une médiation de conflit (qui n’est pas ici à comprendre
comme une médiation « interculturelle ») peut
être une pratique efficace lorsqu’elle remplit certaines conditions (pas de danger immédiat pour
la victime, médiation conduite par une personne
formée en médiation de conflit, médiateur[trice]
accepté[e] également par les auteur(e)s de la
pression, etc.). L’avantage de ce type de mesures
est d’éviter la rupture avec les familles, qui sont
à la fois l’origine des contraintes mais paradoxalement aussi – le cas échéant – une source
importante de soutien affectif et économique
pour les personnes concernées.
Recommandations
R 4.2 d : Développer des mesures
pour un travail avec les auteur(e)s
de violence ou de contrainte
Un travail avec les auteur(e)s de violence
et de contrainte semble opportun, d’autant
plus que c’est une question qui a été introduite depuis un moment dans le domaine
de la violence domestique – même si un
tel travail pourrait se compliquer par le fait
qu’on a parfois à faire à plusieurs auteur(e)s.
Ainsi, considérer les auteur(e)s de violence
uniquement comme des individus devant
être renvoyés dans leur pays ne contribue
pas à une solution. Dans ce sens, une
offre à bas seuil de prise en charge des
auteur(e)s de violence, accessible pour des
personnes sans ressources, devrait être
développée dans toute la Suisse et institutionnalisée.
R 4.2 e : Développer des instruments
de médiation
Une offre de médiation de conflits professionnelle doit être développée et institutionnalisée dans tous les cantons. Cependant,
les médiations ne doivent être tentées que
lorsque certaines conditions sont remplies
(pas de danger immédiat pour la victime,
médiation conduite par une personne
formée en médiation de conflit, personne
acceptée par toutes les parties participant
au conflit (donc également les auteur(e)s de
la pression, etc.).
La recherche de solution par la médiation
ne doit pas faire passer à l’arrière-plan la
nécessité de mettre en place une offre de
protection pour les cas où cela est nécessaire
(cf. recommandations 3 c, 4.2 a et 4.2 c).
107
5. Compétences des institutions
Enjeux et défis principaux
L’étude a mis en évidence qu’un large éventail
d’institutions sont confrontées à la thématique
et qu’elles ont à faire à une clientèle se trouvant
dans des situations de contraintes extrêmement
diverses. Cela soulève la question des compétences des institutions – et des professionnel(le)s
y travaillant – à agir adéquatement lors qu’ils
sont confrontés à ces cas. En effet, il s’agit
parfois d’institutions qui n’ont pas pour mandat
de traiter ces cas ou pour lesquelles ce genre
de travail ne se trouve pas au centre de leurs
missions, prestations ou compétences. C’est
notamment le cas pour les associations, ONG
et les fondations actives dans le domaine des
migrations, mais également pour les écoles
professionnelles. Même si toutes ces institutions
ne sont pas censées s’engager dans la prise en
charge directe des victimes, le simple fait de les
conseiller et les orienter correctement demande
déjà des compétences qui ne sont pas forcément présentes actuellement.
Les difficultés rencontrées par certaines institutions se reflètent dans le fait que la moitié des
professionnel(le)s ayant répondu au questionnaire se considèrent plus ou moins démuni(e)s
face à ces situations.
Recommandation
R 5 : Trois stratégies pour augmenter
les compétences des institutions/
professionnel(le)s
Pour faire face au désarroi des
professionnel(le)s et au fait que des
personnes touchées par ce phénomène
s’adressent à des institutions qui parfois
n’ont ni le mandat ni les compétences pour
traiter la thématique de façon adéquate,
trois stratégies possibles se dégagent :
• Un travail de sensibilisation des
professionnel(le)s étant touchés par ce
sujet pour les thématiques d’égalité de
genre et de violence domestique ainsi
qu’un « gender mainstreaming » plus
général dans les institutions (cf. recommandation 1).
• En même temps, il faut sensibiliser
ces professionnel(le)s à la diversité de
la population vivant actuellement en
Suisse, notamment en leur transmettant des connaissances par rapport aux
enjeux de la migration (concrètement
du permis de séjour et des aspects
transnationaux, du danger d’une ethnicisation du sexisme, de l’inutilité d’une
notion essentialiste de « culture »,
etc.).
• Le renforcement du travail en réseau
entre les institutions et la clarification
des processus de coopération (cf. re­
commandation 2).
108
6. Dimension transnationale
Enjeux et défis principaux
Une transnationalisation des réalités sociales
est aujourd’hui un fait – il n’est donc guère
étonnant que des aspects transnationaux interviennent de façon importante dans la thématique dont il est question ici. En effet, dans la
majorité des cas du type A (77%) et dans 45%
des cas de type C, il s’agit de (potentiels, futurs)
mariages transnationaux. Cela s’explique en
partie par le fait que dans un monde globalisé
caractérisé par des inégalités sociales et économiques, auxquelles s’ajoutent des politiques
d’admission de plus en plus restrictives, un
mariage transnational peut être une stratégie
de migration et de mobilité sociale. Même dans
les relations entre deux personnes se trouvant
en Suisse, une dimension transnationale est
souvent présente sous la forme de réseaux
transnationaux de solidarité qui lient les familles
à des parents restés à l’étranger par toutes
sortes d’obligations. Tandis que la vie s’organise
de plus en plus dans des espaces qui transcendent les cadres nationaux, la mise en place
de politique de lutte reste encore prisonnière
d’une pensée qui prend l’État-nation comme
référence qu’elle considère comme « container
social, économique et culturel ».
La dimension transnationale amène avec elle
des défis particuliers qui apparaissent, selon
l’étude, surtout dans deux types de situations.
Premièrement, une personne suisse – ou disposant d’un permis de séjour ou d’établissement
en Suisse – peut se trouver dans une situation
de contrainte à l’étranger, où elle est mise sous
pression pour se marier ou est retenue suite
109
à un mariage non consenti. Il est compliqué
dans ces cas de prendre des mesures de
protection, car elles doivent se déployer dans
un espace transnational, ce qui implique des
questions complexes de souveraineté nationale et de droit. La dimension transnationale
peut deuxièmement engendrer des difficultés
particulières pour les couples dont un des
conjoints est arrivé en Suisse par mariage. Ces
situations génèrent souvent des asymétries
au sein de ces couples qui complexifient les
rapports de pouvoir et peuvent influencer de
diverses manières la présence de contraintes et
de violences de différentes sortes.
Recommandations
R 6 a : Prise en compte de la dimension
transnationale par les professionnel(le)s
R 6 b : Réflexion sur des formes d’aide
dépassant les frontières nationales
Face à cette transnationalisation des pratiques matrimoniales et aux défis particuliers
qu’elle engendre, il est important que la
dimension transnationale de ces problématiques soit systématiquement prise en compte
par les professionnel(le)s qui rencontrent
les personnes concernées en Suisse. En
effet, une grande partie de ces situations ne
peuvent pas être comprises ni donc traitées
convenablement si l’aspect des réseaux
transnationaux de solidarité est mis de côté.
Notamment, les dynamiques particulières
aux couples transnationaux (dont un des
conjoints est arrivé en Suisse par mariage) et
leurs influences complexes sur les rapports
de pouvoir au sein du couple doivent être
considérées dans la recherche de solutions
adaptées pour accompagner la personne
mise sous pression.
Une réflexion doit être menée sur la man­
ière dont la lutte contre les contraintes dans
les relations amoureuses et le mariage pourrait être conçue dans un cadre dépassant
le cadre national. Quels types de système
d’aide allant au-delà des frontières nationales pourraient être envisagés et quels sont
les acteurs avec qui il faudrait collaborer ?
110
R 6 c : Droit de retour vers la Suisse
La situation particulière des personnes
disposant d’un droit de séjour en Suisse qui
se trouvent empêchées de rentrer dans ce
pays, car elles sont mises dans une situation
de contrainte à l’étranger en lien avec un
projet de mariage ou un mariage réalisé,
nécessite des réflexions plus approfondies
en vue d’un changement de législation. On
pourrait envisager qu’un droit de retour
pour des personnes établies auparavant en
Suisse et contraintes de se marier à l’étranger soit garanti, même si la validité de leur
permis de séjour serait échue entre temps,
car elles seraient restées trop longtemps à
l’étranger.
7. Recherches supplémentaires
Cette recherche constitue un premier pas pour
établir un savoir fondé sur le phénomène des
contraintes en lien avec le mariage, les relations
amoureuses ou le divorce pour l’ensemble de
la Suisse. Toutefois, nous avons évoqué les
limites qu’elle comporte dans le rapport. Il existe
toujours des lacunes importantes empêchant
une compréhension complète du phénomène,
qu’il serait souhaitable de combler au moyen de
recherches supplémentaires.
Recommandation
R 7 : Recherches supplémentaires
Le changement de perspective que nous proposons, c’est-à-dire une approche genrée et l’inclusion du sujet dans la thématique plus large de la
violence domestique, ouvre de nouvelles pistes
de recherche ainsi que de nouvelles possibilités
pour saisir le phénomène statistiquement.
En effet, nous avons discuté de nombreux
problèmes qui surgissent lorsqu’il s’agit de
chiffrer les « mariages forcés ». Cependant,
un monitoring et des données chiffrées fiables
sont indispensables pour la mise en œuvre
de mesures adéquates, c’est pourquoi il nous
semble important de mener des réflexions plus
poussées sur cette question. Une étude de
faisabilité, qui clarifierait de quelle façon saisir
des données sur ces formes de violences dans
les bases de données existantes et les inclure
dans les enquêtes menées dans ce domaine de
violence (domestique), semble nécessaire.
Même si notre étude n’a pas établi l’homosexualité comme un élément important dans
ce domaine, d’autres recherches ont mis
en évidence que des contraintes en vue du
mariage sont parfois exercées sur les personnes
homosexuelles. Il manque dans le contexte
suisse une étude qui pourrait approfondir
cette question par une approche remettant
en question l’hétéronormativité du discours
entourant ces violences. Il manque par ailleurs à
l’heure actuelle des recherches de type qualitatif-interprétatif qui pourraient saisir le vécu, les
perspectives, les interprétations, les ressources
et les stratégies des personnes concernées, mais
également des auteur(e)s de contraintes, afin
de comprendre les dynamiques intrafamiliales
de ces conflits. De telles recherches pourraient
faire ressortir les aspects transnationaux des
réseaux de solidarité et mettre en lumière les
constructions de la masculinité et de la féminité
ainsi que les systèmes de dominations multiples
(genre, âge, ethnicité, etc.) qui sont en jeu.
On constate également un manque de recherches juridiques et sociologiques réfléchissant à
la dimension transnationale et à son traitement
dans les lois et les politiques. Comme nous
l’avons évoqué dans les recommandations
6 a et 6 b, les mesures mises en place doivent
prendre en compte la dimension transnationale
de ces situations. Or, pour le moment, la majorité des études existantes – qui sont commandées par des gouvernements en vue de mettre
en place des politiques dans ce domaine – sont
envisagées dans un cadre national étroit qui
ne permet pas d’étudier ces dynamiques trans­
nationales dans toute leur complexité.
111
Liste des figures
Figure 1 : Démarche méthodologique
24
Figure 2 : Nombre de réponses au questionnaire par type d’institution 28
Figure 3 : Estimation du nombre de cas en Suisse (2009/2010) 35
Figure 4 : Proportions des différents types de cas
39
Figure 5 : Sexe des personnes concernées
40
Figure 6 : Âge des personnes concernées
43
Figure 7 : Nationalité(s) des personnes concernées
45
Figure 8 : Lieu de naissance des personnes concernées
46
Figure 9 : Statut de séjour des personnes concernées (si étrangères)
46
Figure 10 : Niveau de formation des personnes concernées
51
Figure 11 : Gravité du conflit au moment où la personne a pris contact
avec l’institution
53
Figure 12 : Types de pressions et violences exercées au moment
de la prise de contact avec l’institution
54
Figure 13 : Raisons à l’origine de la contrainte (type A)
59
Figure 14 : Raisons à l’origine de la contrainte (type B)
60
Figure 15 : Raisons à l’origine de la contrainte (type C)
61
Figure 16 : Relation locale ou transnationale ?
62
Figure 17 : Évolution des cas
64
Figure 18 : Nombre de réponses au questionnaire par canton
70
Figure 19 : Nombre de cas par degré de gravité et par type d’institution 74
Figure 20 : Nombre de cas par degré de gravité et par type d’institution (suite)
75
Figure 21 : Autoévaluation de la capacité d’action des institutions 77
Figure 22 : Mesures visant les personnes subissant des pressions
79
Figure 23 : Mesures visant les personnes subissant des pressions et
112
leur entourage 79
Liste des tableaux
Tableau 1 : Expert(e)s et focus groups
30
Tableau 2 : Nationalité(s) de la personne concernée
49
Tableau 3 : Sous-/surreprésentation des nationalités
50
Tableau 4 : Situation professionnelle des personnes concernées
52
Tableau 5 : Personnes exerçant les pressions
55
Tableau 6 : Estimation du nombre de cas par type d’institution
(borne inférieure)
72
113
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