Dominique Watrin - La Fureur de Lire
Transcription
Dominique Watrin - La Fureur de Lire
écrit par Luc Baba – sur base du Match d’Impro interdit aux moins de 18 ans du 2 mars écrit par Pierre HAZETTE – sur base du Match d’Impro du 17 mars 2014 Killbill – part 1 Killbill – part 2 Killbill – part 3 J’écrivais au guéridon, sous un masque blanc à gueule ouverte. Au bar fumaient des hommes lourds, et une femme aux cheveux ou blonds, ou teints. Elle parlait un mélange de français avec l’accent de Bruxelles, et de flamand avec un accent liégeois. Francine coulissa jusqu’au bar, où le patron semblait deviner la suite de la nuit dans le nombre de bouteilles vides. Elle revint en balançant sa géométrie comme une barque, posa les verres sur la table mouillée comme le fond de la barque susdite. Je remontai avant elle, et retrouvai ma chaise. Manquaient les trois veaux, et mon manuscrit. Ça me versa du plomb dans la poitrine. Elle frôlait la quarantaine et les braguettes, en cherchant à imiter le faciès du masque, et je prétendais écrire en écoutant ses miaulements. Quand elle disait un mot de ceux que les gosses devraient chercher au dictionnaire, elle donnait de la voix : - J’ai envie, dit-elle. Het is te veel. I go to the toilet. You come ? Salaud. - C’est con… c’est constitutionnel, hein, mon chou ? Les trois mecs osaient des jeux de mots avec moule et saucisse, et plus ils postillonnaient de calembours, plus elle fantasmait sur ma plume. Elle s’écria en me regardant : - La musique is goed. Heel goed ! C’était la BO de Kill Bill. Elle se tortilla sur le damier de la taverne, les doigts dirigés vers les seins de son T-shirt, où Marge Simpson se dandinait mieux qu’elle. Les triplés baissaient les yeux, et le reste. Elle s’approcha de moi, Marge en avant. - Parle français ? demanda-t-elle. - English. A l’entrée du hall, elle signa dans l’air quelques gestes appuyés, touillant de la langue entre ses dents pour que je cède. - Je m’appelle Francine. - Fwançaïne. - Ils ont pris ton texte, conclut-elle. Wat de fuck ! Les gros cons, quel ostracisme ! Hein ? - Oh yes ! cria-t-elle sans accent pendant que je plongeais le doigt mouillé dans son anus. Salaud ! Comment t’as su ? Wat de fuck ! - Bye, Frankie! - Comme quoi, dit-elle en s’appuyant au mur tagué, on peut prendre une femme par derrière même en la prenant par devant. Si mon mari comprenait ça, je serais pas obligée de me taper des mecs dans ce bar. Je sais même pas comment on dit sodomiser en anglais, putain. Sodomaïz mi ! risqua-t-elle. - C’était trop court, c’était agréable mais c’est toujours trop court. - Pardon ? Francine revint s’assoir en face de moi, vida son verre trop goulument, puis elle observa le guéridon pendant quelques secondes, le bar, le guéridon. Collant. Mouillé. Gras. Comme une barque. Je me levai pour partir, et le patron me salua d’un signe de tête sournois. Je lançai un regard à la gueule ouverte du masque. On lui avait pris son texte, aussi. Je lui souris tendrement avant de me laver les mains, lui tournant le dos. Alors elle vint se serrer contre moi. Là, elle frôla l’orgasme. - Les fils de pute. Je la rejoignis, la poussai dans un cabinet pour dames, m’agenouillai, soulevai sa jupe sous laquelle ne courait pas un fil de soie, et je touillai de l’index entre ses lèvres épatées. Quelques effleurements du point de la langue et de lents va-et-vient du doigt suffirent à la faire jouir et tousser dans son coude. - Bye, salaud. Je t’emmerde. Avant de regagner seul ma chambre d’hôtel, j’arpentai la digue et ses parfums de femme, quand un ressac de désir la traverse, et qu’elle est nue, et qu’elle se donne à la bouche, que son ventre est la vague porteuse du sel qui donne l’envie, quand l’horizon est une courbe où le soleil fond, que sa bouche à elle écume et te promet le large, et qu’il te restera le souvenir d’un souffle, et cette putain de poésie. La grande gueule de la poésie. Le masque. Mes notes flottaient sans doute dans l’eau noire, entre les mouettes assoupies. C’était bien comme ça. C’était bien. Luc Baba Comme je prétendais ne pas comprendre, elle ajouta : - Call me Fwankie ! - Fwankie ? - Yes. - Call me Bill. - Ok, Bill. Et donc, mon Bill, si je te parle, tu comprends rien du tout, alors? A vais-je trop bu de ti-punch, ce soir-là? Il faut dire que sous les tropiques les soirées froides sont plus chaudes que nos nuits estivales. Il faut dire aussi que des voisins étaient venus nous raconter leur sortie en mer et que, tout en se grattant là où les moustiques s’étaient régalés quelques heures plus tôt, ils avaient allongé le récit, l’œil fixé sur la deuxième bouteille dont le niveau baissait au point de faire trembler le dernier flacon en attente dans la porte du frigidaire. Leur journée avait commencé aux premières lueurs de l’aube. Ils étaient partis dans une pirogue cap à l’ouest. La mer était agitée. La pirogue tanguait au point que sa lanterne risquait de se fracasser. Le piroguier l’avait éteinte et le bateau piquait du nez pour se relever presque à la verticale. Enfin …à la verticale: c’est un propos de pêcheur. Il faut croire qu’ils sont tous passés par les cours du soir à Marseille. Peuchère ! Je le savais : avec eux, une histoire n’est jamais simple. Il faut qu’ils en rajoutent. Il faut peut-être que je vous les présente : il y a d’abord Jean-Michel-le Parisien. Il est inévitable de commencer par lui. C’est un Sénégaulois. (Vous ai-je dit que l’histoire a pour cadre une station balnéaire du Sénégal, accolée à un port de pêche sur la Petite Côte, à Saly, très précisément ?). Un Sénégaulois, c’est un individu hybride : il ne sait plus trop s’il est le produit de son histoire du nord de la Méditerranée ou s’il est définitivement fasciné par les marabouts, les rondeurs des femmes africaines ou la fidélité du soleil aux rendez-vous matinaux. Il y a aussi Marc, un dessinateur talentueux de BD, donc un Belge. Il n’y a qu’en Belgique que la BD atteint les sommets de l’art graphique. Et puis, il y a Paul, un autre Belge qui vient quand l’agenda politique le lui permet rechercher les moments exquis de l’existence, notamment en savourant les plats du restaurant de Lucie, son épouse. Enfin, pour compléter le tableau, Fédérico -on l’appelle Freddy-, mais c’est un peu dommage de sacrifier les sonorités de l’espagnol aux banalités d’un diminutif anglo-saxon. Bref, ils sont venus nous raconter leurs exploits du jour : ils sont fatigués et ils ont soif : l’air marin doit avoir déposé une couche de sel particulièrement résistante dans leurs gosiers en pente. Et pour la fatigue, les explications sont doubles. Une tentative de cambriolage a réveillé les résidents la nuit dernière. Deux malfrats ont escaladé le mur d’enceinte de la copropriété et, dénoncés par les gardiens de la résidence voisine, ils ont été traqués sous les cocotiers, les palmiers, les baobabs avant de disparaître dans un vide ventilé. Un gardien à l’oreille particulièrement alerte les dénicha au bruit que font les claquements de dents des gens apeurés. On les arracha de leur refuge à grands cris et moulinets de machettes. Il était près de deux heures du matin. Nos quatre toubabs -c’est ainsi qu’on appelle les blancs- ont peu dormi, car Bibi, le piroguier, ami de Paul, les attendait au ponton à six heures. Ils étaient au rendez-vous, bâillant et étirant leurs muscles, commentant la justice expéditive des Sénégalais encore nombreux dans la rue malgré l’heure tardive de la tentative de vol. C’était à qui administrerait aux cambrioleurs le coup de poing ou de pied le plus douloureux. On y allait même avec le plat de la machette. Avec le plat, seulement, car on ne se risquait pas à encourir les foudres de la police si le sang se mettait à couler. - Pardon ? - Si je te dis vas-y mets-moi un doigt dans le cul, par exemple, tu not understand ! - Exactly. - J’ad-doooore ! I go to the toilet. Come with me. Je lui montrai mon verre vide, puis le bar, où les trois fanaient sur pied. - One beer, Fwankie. Et donc, les quatre compères tout entiers accaparés par les souvenirs de la nuit, ne voyaient pas la mine inquiète de Bibi. - Oh, j’ad-doooore ! - «Hé, les toubabs, vous croyez que cela va aller?» Je fermai mon cahier, parce qu’elle y penchait son regard décousu. Elle n’a pas eu le temps de lire la première phrase : « La timidité du monde ne se cache pas dans les pierres.» Ils regardèrent le piroguier avec étonnement: que lui arrivait-il? - «Ma pirogue est mon seul bien. Je ne tiens pas à le perdre pour une partie de pêche. Et en passant, je ne voudrais pas annoncer à vos nanas qu’elles sont veuves, même si parfois elles en ont marre de vous.» Il partit d’un grand éclat de rire, et enchaîna en leur affirmant que la mer était grosse mais que la météo était rassurante pour les heures à venir. Les pêcheurs se consultèrent et décidèrent de tenter l’aventure des «petites secoues» comme on dit là-bas. Et des «petites secoues», ils en ont encaissées, quelque grandes aussi. Mais la météo avait dit vrai: l’océan se calma et les poissons se pressèrent sur les appâts. Le jour des oiseaux Aussi, ce soir-là, Rose, notre cordon bleu maison, une trentenaire résolument sénégalaise, aussi célibataire qu’elle est noire de peau, eut à préparer une carpe rouge. Elle la présenta dans une croute de sel qu’elle cassa devant mon épouse, Claudine , nos voisins et amis pêcheurs et moi, déjà fort occupés par le Chardonnay de chez Bouchard, qui disparaissait aussitôt qu’il touchait la table. On termina le repas en retrouvant à la demande unanime le ti-punch dont nous partageons, Rose et moi, le secret de fabrication. Les No uvelles A vrai dire, je devrais peut-être préciser que ce ti-punch maison a lui aussi une histoire : nous l’avons créé après maintes tentatives de recettes et donc, maintes dégustations, avec Jean-Pierre, un touriste bruxellois, et Jean, un préfet des études jodoignois en visite au Sénégal. Au terme de nos recherches, nous avons appelé notre mixture «Le walbruzat». Jean se reconnaissait dans la première syllabe: il est wallon et Jean-Pierre paraissait à l’aise de constater que Bruxelles n’était pas oubliée. Quant à la troisième syllabe, il faut chercher chez nos voisins flamands quel sens ces trois lettres peuvent avoir. de l’Im p r o Si vous consultez le dictionnaire, vous découvrirez que zat signifie «ivre, saoul». Le suffixe germanique de notre ti-punch débaptisé «walbruzat» s’expliquait parfaitement en fin de soirée. Certes, Rose avait bien observé que notre état justifierait quelques petits cafés bien serrés et elle avait résisté à ceux -il y en eut !- qui réclamèrent un Irish coffee, sous prétexte qu’on était le jour de la Saint-Patrick. Je ne sais plus comment, sur quel propos, la dispute commença. Paul avait raconté une histoire salace: un gars qui cherchait un moment de jouissance dans une ruelle aussi mal famée que mal éclairée, l’attention se portant vers les vitrines où s’exposaient des jambes, des cuisses, des seins sous des dentelles qui ne demandaient qu’à se volatiliser. La fille avait prévenu son client: A Les auteurs : u cours de la saison 2014, la Ligue d’Improvisation Belge a invité neuf auteurs à assister à un Match d’Impro, en leur lançant le défi d’écrire en trois jours une nouvelle tirée du Match. «Je regrette: je n’ai plus de clitoris» et le type avait répondu: «Ce n’est rien, je prendrai une Jupiler !» Sur ce, Jean-Michel, soucieux comme à son habitude de préserver non seulement la bienséance, mais attaché à une forme d’élégance qu’il pratique en toutes circonstances, enchaîna sur une histoire moins corsée et il cita Sacha Guitry : «Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier». Barbara Abel Barbara Abel est née en 1969. Son premier roman, L’instinct Maternel, lui vaut de recevoir le prix Cognac tandis qu’Un bel âge pour mourir a fait l’objet d’une adaptation à la télé. Barbara Abel, Luc Baba, Isabelle Bary, Xavier Deutsch, Pascale Fonteneau, Philippe Graton, Pierre Hazette, Ariane Lefort et Dominique Watrin se sont prêtés au jeu et, leur imagination rebondissant sur celle du spectacle, ont livré 10 nouvelles surprenantes, variées, inattendues, absurdes, poétiques, intimes ou épiques. Et là, la dispute s’enclencha : Fédérico prétendit que cette observation pleine de sous-entendus -pour les gens qui ne vivent pas en appartement, ni en bungalow évidemment-, était, non de Guitry, mais de Clémenceau. A première vue, la vraisemblance était du côté du Français, mais avec tout ce qui se passe au sommet de la République, le scooter de Hollande et les amours tumultueuses de Sarkozy faisaient planer un doute que Google ne put dissiper: nous étions en panne de Wifi. On se quitta donc réconciliés car les gens éméchés, s’ils sont prompts à prendre la mouche, sont aussi prêts à retrouver leurs éclats de rire à la moindre occasion. Durant la Fureur de Lire, les comédiens de la Ligue d’Impro s’emparent de ces textes pour vous proposer des interprétations lues et jouées en direct dans les bibliothèques de Namur (09/10 à 18h30), d’Ixelles (10/10 à 18h30) et dans le Grand Curtius de Liège (12/10 à 15h00). Voici les textes qui servent de base à leurs libres interprétations. Or donc, après leur départ, je me mis au lit en me demandant si je n’avais pas un peu forcé sur le «walbruzat». Je ne me le demandai pas longtemps car je sombrai aussitôt dans un sommeil profond, qui se peupla bientôt d’étranges personnages. Un petit garçon de quatre ou cinq ans, aux cheveux blonds comme les blés, jouait avec des soldats de plomb, devant une maison basse, que je reconnus. C’est ma maison natale ! Serait-ce moi, enfant ? Mon Dieu, il y a si longtemps. Et cette femme qui s’approche de moi et me prends par la main, elle porte une longue jupe noire, elle a, dans l’autre main, l’anse d’un seau galvanisé. Qui est-elle ? Nous contournons la maison. Une porte est ouverte dans le pignon. Une odeur forte se dégage. Une vache tourne lentement la tête vers nous et de ses yeux globuleux, nous observe, placide ; elle donne l’impression de mâcher du chewing-gum. Le mot me revient à l’esprit : la vache rumine. Elle a ça pour elle, la vache : elle rumine, comme le cheval hennit ou le chat ronronne ou le chien aboie. Elle rumine, indifférente au fait que ma grand-mère… Mon Dieu, je l’ai reconnue. La femme à la longue jupe noire est ma grand-mère, décédée il y a plus de soixante ans !!! Ma grand-mère, donc, s’empare d’un tabouret. Et voilà que, s’asseyant à côté de l’animal, elle approche une main décidée d’une poche volumineuse qui encombre le bas ventre de la vache, juste devant ses pattes arrière, se saisit des mamelles de l’animal, les tritures et fait tomber un lait fumant et écumant dans le seau qu’elle a calé entre ses jambes. Dernier titre paru : Derrière la haine, Paris, Poche, 2013 ©Fabienne Cressen Luc Baba Luc Baba est auteur d’une vingtaine d’ouvrages : romans, poésie, livres pour enfants. Egalement homme de scène, il a chanté Brassens, Brel, et Ferré. www.fureurdelire.be Son premier roman fut récompensé par le Prix pages d’Or. Titre à paraître : Elephant Island, Paris, Belfond, 2015 Bonnes lectures. Info : www.ligueimpro.be - [email protected] 0471/68.11.11 Le seau est vite rempli. Ma grand-mère le rapporte à la cuisine, pose le lait sur la table et remplit une tasse de ce liquide chaud encore de la chaleur animale. Je me souviens du rituel quotidien. Je me rappelle même qu’en wallon ce lait que je bois se dit «tchô modou», en français chaud après la traite. Et pendant que je bois le breuvage survitaminé, mes regards se portent vers la fenêtre. Philippe Graton Isabelle Bary Il y a derrière la vitre deux grands yeux écarquillés. Un enfant noir me regarde fixement. Avidement et pourtant amicalement. Il me sourit, mais son sourire est comme une blessure. Photojournaliste, Philippe Graton s’est toujours investi dans les aventures de Michel Vaillant. En 1994, il signe son premier scénario avec La Piste de Jade et crée la collection «Les Dossiers Michel Vaillant». Isabelle Bary est née à Bruxelles en 1968. Ingénieur commercial, Isabelle Bary commence à publier en 2005. Pierre HAZETTE Dernier titre paru : Michel Vaillant, nouvelle saison, Liaison dangereuse, tome 3, Marcinelle, Dupuis, 2014 Dernier titre paru : Zebraska, Avin, Luce Wilquin, 2014 écrit par Xavier Deutsch – sur base du Match d’Impro du 26 janvier 2014 ertains jours sont à chiens : on croise un labrador pelé sur le seuil d’une église, puis un corniaud qui, courant le long d’une palissade, vous regarde en prenant le risque de se cogner au pied d’un lampadaire. Une heure plus tard, c’est un border collie accroupi à la porte d’une bergerie, et l’on se dit que, même si ça ne comporte aucun sens apparent, il doit exister une histoire tracée entre les constellations pour faire s’aligner des chiens au long de votre journée. Il y a des jours à chiens, à femmes rousses, des jours à ciel brun. Ce jeudi était le jour des oiseaux et ça n’avait pas de sens apparent pour Louis, le gars qui descendait la rivière sur une barque peinte en noir, avec une ligne bleue sur l’étrave. Il avait décroché l’amarre avant l’aube. Il habitait un patelin dans les collines, traversé par la rivière, et ça n’avait pas pris des heures. Une cloche avait sonné quelque part, Louis s’était levé de sa paillasse et, sans bruit, s’était chauffé du café. Puis il était sorti de sa cabane pour marcher dix-sept pas et s’était retrouvé devant la rivière et les ténèbres. Il avait entendu le premier oiseau avant de le voir : une corneille qui devait avoir trouvé un coin de lumière. Il avait décroché l’amarre et la rivière avait fait le reste. Il faisait froid, d’un froid solide et pénétrant. D’un froid qui tombait des collines autant qu’il remontait de la rivière. Ça n’avait pas d’importance. Louis portait le chandail de laine et le pantalon de toile dans lesquels il avait dormi, et des bottines. C’était suffisant et, de toute façon, il ne pensait pas à ces choses. Il descendait à présent le courant. Il était assis comme ça, sur le banc de nage, et tenait ses rames comme on pose la main sur l’échine d’un âne, sans appuyer. Le crépuscule du matin avait fini par apparaître et la rivière était brune, et grosse des eaux de mars qui emportaient les carcasses de l’hiver, et tout ce que l’hiver avait gardé sous lui, toute la terre neigeuse et les aiguilles de sapin. Des racines de saule, des souches même flottaient comme des cadavres de bêtes grises que le dégel aurait surprises au sortir du terrier. L’eau, d’ailleurs, sentait l’humus et la charogne et ce n’était pas désagréable. Le courant suffisait à emporter la barque et Louis ne ramait pas vraiment, il se contentait de tremper une rame d’un côté pour rectifier sa trajectoire, ou de l’autre, il faisait confiance à sa rivière. C’était un gars simple, taillé d’une pièce et d’une seule dans un tronc de frêne. Il regardait surtout les bernaches dans le ciel vitreux, qui remontaient vers la baie, au nord, après avoir hiverné sur un littoral dont il n’avait aucune idée. Puis une pie était venue se poser sur la tête de l’étrave. Une étrangeté : la pie ne possède pas le moindre chromosome de sociabilité, mais Louis ne s’en faisait pas une histoire. Il regarda la pie aussi longtemps qu’elle voulut demeurer sur la tête de l’étrave, comme une petite figure de proue tournée vers la vallée. C’était une assez jolie chose finalement que cet oiseau perché sur ce poing de bois. Il arrivait à Louis d’être sensible à la joliesse de ce qu’il rencontrait. Il n’en faisait pas un présage, il n’en faisait le signe de rien. S’il possédait à un certain degré le sens de la beauté, comme tout le personnel forestier, il était étranger à ces jardins spirituels où les femmes lisent des significations. Dans un choucas volant de la droite vers la gauche, une femme voit l’avenir de son enfant ; Louis ne trouvait rien d’autre à y regarder qu’un choucas volant de la droite vers la gauche. Et, dans une rivière, il considérait une rivière. Celle-ci en valait une autre, qui descendait vers le fond du pays. Elle traversa une province, et ce fut midi. La pie était restée. Elle agitait de temps en temps ses ailes comme sous l’impulsion de s’envoler puis renonçait et demeurait sur ce bout de bois peint qui devait avoir de quoi lui plaire. On ne pénètre pas les raisons qui font agir une pie. Louis avait une conception personnelle de la rivière. Et de l’existence : il faut connaître la science de placer sa barque au bon endroit, le flux s’occupe du reste. La rivière est une vaste corde attachée à la barque de Louis : quelque part en aval, une main la tire. Tout le jour, ils franchirent (Louis, la barque et la pie) des pays grisâtres, des lieux semés de pâturages et de forêts. L’hiver avait cuit l’herbe qui dessinait des plaques rousses qu’on ne verrait pas se redresser avant le mois d’avril et des pelotons de corneilles venaient y brouter. Tout ça n’était pas drôle. On rencontra la muraille d’une prison, une usine de papier. On traversa d’autres villages encore où semblait ne vivre personne. Des fermes silencieuses, des églises noires. Le vent maraudait comme un renard cinglé, il se glissait dans les sillons et ramonait les crevasses pour y soulever des poussières à manger. C’était assez malpropre mais Louis ne regardait pas la poussière que poursuivait le vent. Il y eut un endroit où la rivière s’élargissait et passait entre deux collines. Sur une rive se tenait un petit homme dépenaillé qui vivait là-haut et qui en était descendu. Il s’adressait à un autre homme, aussi petit que lui, également hirsute, mais pas de la même façon, qui occupait la rive opposée. Le premier homme était un bûcheron qui travaillait sur la tête de l’une des deux collines, et l’autre petit homme était un anachorète qui consacrait, sur l’autre colline, ses longues journées à la prière, à la méditation transcendantale, au jeûne, et qui ne paraissait pas bien se porter. Ils s’apostrophaient tous les deux, d’une rive à l’autre, au sujet d’un contentieux qui devait les absorber fort et que Louis ne comprit pas. Il passa sur sa barque, entre ces deux petits hommes, comme s’il coupait un fil qui devait les relier. Alors la pie tourna sa tête vers l’homme de droite, le bûcheron, et elle s’envola vers lui. Louis se retrouva seul sur sa barque et ce fut une bonne chose. Il n’aimait pas avoir de la compagnie trop longtemps. D’ailleurs la rivière s’élargissait encore et devenait un estuaire, car elle avait recueilli de nombreuses autres rivières. On eût pensé que la rivière était un homme qui en avait rejoint de nombreux autres allant sur la même route au point qu’une foule s’était formée. Oh ! la rivière était large à présent, et ses flots semblaient amollis. Le courant se faisait à la fois plus puissant, et plus doux. Il était comme un feulement sous la barque de Louis. Les branchages et les souches, et les bêtes mortes qui avaient flotté auprès de lui parfois depuis les collines, se faisaient plus rares et l’eau brune tendait vers le beige comme du café au lait qui aurait comporté plus de lait que de café. L’eau sentait bon, elle avait perdu son odeur de charogne et peu à peu ce fut un parfum de clarté qui domina les rivages. On allait vers quelque chose de très large, vers un territoire démesuré. Louis pesait davantage sur ses rames car il était plus difficile de mettre sa barque au bon endroit, dès lors que le courant avait forci, mais il ne ressentait aucune inquiétude. Il était là pour ça. Et le ciel s’ouvrit en même temps que la terre, et des oiseaux immenses se mirent à traverser l’horizon. Des goélands gris nageaient dans le vent à longs coups d’ailes et la mer fut devant l’étrave de la barque de Louis. C’était la mer. Il se trouvait au bord exact où la rivière rendait son nom. Elle touchait au terme de sa ligne et restituait son nom de rivière au grand bonhomme qui nomme les choses sur cette Terre. Louis laissa derrière lui sa rivière, ses collines, l’air chargé d’humus et d’hiver, et il fut sous le ciel. C’était un joli moment. La grande main qui tirait sa corde avait cessé de travailler. La barque à présent roulait toute seule sur un destin mal ficelé, ce qui rendait le travail de Louis plus difficile encore. Les eaux avaient pris la couleur du bitume et la barque était entourée de petites vagues métalliques aux frottements de lime sur les bords noirs de sa barque, alors Louis regarda où il se trouvait et il vit que c’était grand et que c’était peuplé de bêtes longues. Les poissons de la mer n’ont pas la même couleur que les loutres et les poissons des rivières, ils ne parlent pas le même langage. Une loutre peut se faire comprendre d’un brochet, il leur suffit de se montrer les dents. Louis partageait quelques bribes de ce patois des collines : les loutres les brochets, les écureuils, on arrivait à se faire comprendre. Mais il n’entendait pas un mot du langage salé, du langage de limaille et d’argent mouillé qui se pratiquait ici. Alors il regarda en arrière – s’il y avait bien un mouvement qu’il ignorait, c’était de regarder en arrière – et il vit un littoral sur lequel se tenait quelqu’un. Les vagues ne sont rien d’autre que des chiens. Elles jouent. Elles attrapent des ballons puis les rendent. Il fit alors quelque chose de nouveau : il changea de trajectoire. Il pesa sur ses rames et força le courant. Il s’approcha du littoral et, lorsqu’il fut auprès de cette personne, et lorsqu’il vit qu’elle était une petite fille blanche, il se demanda si cette personne pratiquait le même langage que le sien. Louis aperçut de grands oiseaux nageant vers le haut de la Terre et qui s’éloignaient dans la direction des collines et ça lui sembla si étrange qu’il se demanda s’il était dans la situation de leur dire «Au revoir» ou «Bonjour», et il ne dit rien, la largeur de l’espace empêchait les pensées de se tenir droites, mais il enjamba le bastingage de sa barque, qu’il avait portée sur le rivage, et il marcha dans le sable, et il marcha devant la fillette. Et ses pas pesaient lourd même s’ils ne faisaient pas de bruit. Ça ne servait à rien. La petite fille courait sur le littoral, devant les eaux. En avant, puis en arrière, puis encore en avant. Elle prononçait des paroles que Louis comprit, car elles étaient faites dans le même langage que le sien. La petite fille, lorsqu’elle reculait, disait «Au revoir !» Puis, lorsqu’elle s’avançait à nouveau, elle criait «Bonjour !» Puis, lorsqu’elle reculait encore, elle criait «Au revoir !» Le crépuscule du soir colorait le littoral d’une teinte désagréable et Louis comprit que les grands oiseaux s’en éloignassent. Il aurait aimé agir de la même façon. Mais on ne remonte pas le cours de l’existence. La barque flottait sur le rivage, le soleil disparaissait à l’ouest, Louis se remit sur le banc de nage, il empoigna ses deux rames et regarda le sens du flot. Louis comprit alors un secret extraordinaire. Dans sa vie, l’eau coulait toujours dans le même sens. Jamais on n’avait vu la rivière prendre la direction inverse de celle qu’elle avait empruntée auparavant. Or, sur ce littoral, les eaux se mouvaient dans un sens, puis en arrière, puis revenaient en avant, puis en arrière. Voilà pourquoi la petite fille leur disait «Au revoir» et «Bonjour». Et Louis se demanda si le soleil, par exemple, pouvait agir à l’imitation de ces flots étranges, et choisir de prendre soudain le cours inverse de sa trajectoire. Il regarda le soleil mais le soleil se comportait conformément à l’usage. Il glissait à l’ouest. Il retrouva le sens du flux, du grand flux de l’existence qui disparaît aux crépuscules de l’ouest. Il rama peu car le flux travailla pour lui et, bientôt, il s’approcha de l’horizon où se situent les grandes cataractes. Il entendit encore la fillette prononcer : «Au revoir !» C’était le jour des oiseaux. Louis, qui avait quitté sa colline dès l’aube et s’était livré au sens de la rivière, cessa de regarder quelque chose. La petite fille ne s’occupait pas de lui, elle courait en arrière chaque fois qu’une de ces vaguelettes métalliques semblait la rejoindre : «Bonjour !» Puis courait vers l’avant lorsque la vague se retirait du côté de son origine : «Au revoir !» Xavier Deutsch Pierre Hazette fut Ministre chargé de l’Enseignement secondaire, des Arts et des Lettres et de l’Enseignement spécialisé. Derniers titres parus : Hope, Namur, Mijade, 2014 Chaussée de Moscou, Neufchâteau, Weyrich, 2014 Pascale Fonteneau Née en Bretagne, d’une mère allemande et d’un père français, Pascale Fonteneau vit à Bruxelles. Auteur de nombreuses nouvelles, de pièces pour la radio et d’une quinzaine de romans. Xavier Deutsch Dominique Watrin est né en 1959 et vit à Binche. Auteur de différents ouvrages satiriques, il est aussi comédien et chroniqueur en radio et en télévision. © Anne Simon Dernier titre paru: Mieux vaut être belge et complexé que français et déprimé, Waterloo, La Renaissance du Livre, 2014 Il est également essayiste et romancier. © nabiscan Et deux oiseaux, qu’il ne connaissait pas, l’accompagnèrent un moment jusqu’au terme dernier de son flot. Dominique Watrin Pierre Hazette Xavier Deutsch est né à Leuven le 9 février 1965. Il est romancier et a publié depuis 1989 une quarantaine de livres. Derniers titres parus : Propriété privée, Arles, Actes Sud noir, 2010 Hasbeen, Bruxelles, Aden, 2010 Design : www.acg-bxl.be C La Fureur de lire présente : Le noir et le blanc Killbill part 1-2-3 Dernier titre paru : Perdition, Liège, CEFAL, 2013 Ariane Le Fort Née d’un père suisse et d’une mère verviétoise, Ariane Le Fort vit à Bruxelles depuis plus de trente ans. Actuellement, elle partage son temps entre un emploi de professeur dans une Haute Ecole bruxelloise et l’écriture. Dernier titre paru : Avec plaisir, François, Paris, Seuil, 2013 © Astrid di Crollalanza. i Les seins Humeur à fleur de peau de Marguerite écrit par Pascale Fonteneau – sur base du Match d’Impro du 2 février 2014 A écrit par Ariane Lefort – sur base du Match d’Impro du 9 février 2014 l aurait pu s’appeler Norbert, ça lui allait bien. Un côté mister Bean. Un peu de Lenny aussi, le pote d’Homer Simpson. Pas vraiment un cadeau, au départ, ce physique, et il avait bien failli rester coincé, avec sa tête bizarre et son long corps penché, dans son bled de Baie-Comeau, au bord du Saint-Laurent. Mais la vie, c’est jamais comme on croit. Il était sept heures trente-sept et l’avion descendait depuis un moment dans le grand gris du ciel belge, ça promettait, N. attendait la terre ferme avec une certaine curiosité. On aurait dit que le ciel était un trou sans fond. Mais soudain le sol se laissa voir, humide, brillant et sombre, champs étroits, maisons droites et hautes, briques rouges, routes encombrées de voitures aux phares qui perçaient à la fois la nuit finissante et la pluie qui tombait. C’était moche. Mais ça n’avait pas la moindre importance parce que N. était heureux. Oh le mot ne suffisait pas. N. n’en était carrément pas encore revenu. Une semaine à la ligue d’impro belge, tous frais payés, avion, hôtel, restos, TOUT. D’accord, il savait bien qu’il n’était pas le dernier des nains dans l’équipe canadienne mais n’empêche. Il appréciait le cadeau. Le joli privilège. Et il aimait déjà chaque minute de ces six jours. Mais ce qui le rendait heureux à ce point, pour tout dire, ce n’était pas tant la semaine qu’il allait passer sur le ring du théâtre Marni, non, c’était surtout la perspective de la passer sous le même ciel que Marguerite. Même si ce ciel était mou et gris et profond comme un puits. Marguerite. C’était la seule fille, au cours de toute sa vie, qu’il avait osé approcher et prendre dans ses bras avec une confiance qui d’habitude lui faisait salement défaut. C’était elle qui lui avait permis ça, avec son petit rire chatouillé, et sa timidité de gamine fraichement débarquée en terre étrangère et étrange. Elle était venue de Bruxelles à Baie-Comeau pour garder les trois enfants des Tremblay pendant l’été, et elle avait trouvé cteur depuis des années, Yves L. n’avait pas l’habitude de lire son horoscope. La trajectoire des astres, des étoiles ou de la lune ne l’intéressait pas. Yves L. était un individu sérieux et rationnel. A peine s’il se souvenait des dictons que récitait son grand père en se donnant des airs de celui à qui des générations de paysans auraient transmis des vérités plus secrètes que l’art d’accommoder le cochon. Qui boit de la Sauge en mai ne meurt jamais, était la seule maxime qu’Yves L. avait retenue de cette époque. Un été, il s’en était d’ailleurs habilement servi pour séduire une allemande végétarienne lors d’un festival de musique médiévale. Souvenirs confus de seins, de cuisses, de clavecins et de rutabagas au soja. Certainement l’épisode le plus extravaguant de sa jeunesse qui, pour le reste, avait suivi des chemins très ordinaires. chez N., qui habitait la maison juste à côté, le parfait allié pour survivre à ces trois gamins détestables, à l’isolement accentué par l’accent impossible de ces gens-là, et à la gastronomie toute personnelle de cette région du monde ; la nourriture belge déjà manquait passablement de finesse mais alors là, qui avait bien pu inventer la poutine ? Au bout des deux mois d’été, N. avait emmené Marguerite dans sa vieille Ford, dont le plancher rouillé partait en petits morceaux, faire le tour de la Gaspésie. Elle avait aimé ces petits villages en bois coloré sur fond de Saint-Laurent bleu et c’est la dernière nuit, dans la réserve faunique de Matane, avant de reprendre le ferry vers Baie-Comeau puis l’avion pour Bruxelles que, sous la tente, il avait baptisé les deux seins de Marguerite joie et tranquillité, c’était un peu débile mais ça ne regardait qu’eux, et ces petits noms lui permettraient de les garder plus présents encore quand il ne les verrait plus. Les jours précédents le début de cette histoire, Yves L. faisait son métier d’acteur. Après des mois de répétitions difficiles, il jouait au théâtre une pièce intitulée « Un étrange voyage », monologue exigeant écrit par un poète roumain emprisonné par les communistes au siècle dernier. Marqué par ses années de dissidence, l’auteur confrontait le concept d’enfermement aux univers, très libres, de Kerouac et de Céline. Seul sur scène pendant deux heures, un homme combattait fantasmes et renoncements qui le réveillaient la nuit et l’empêchaient de vivre le jour. Soucieux d’amener le spectateur au plus près de ces instants crépusculaires où rêves et réalité s’unissent pour le meilleur et pour le pire, le scénographe avait prévu que la pièce débuterait par dix minutes de noir absolu. Le retour de la lumière se faisait au moment où le rideau se levait sur un Yves L. jouant le rôle d’un poisson se heurtant sans arrêt aux parois de son bocal. Métaphore de l’homme se réveillant chaque matin enfermé dans une vie où il aurait à tourner en rond avec ses inquiétudes. Inlassablement. L’image était forte. Traducteur et metteur en scène se préparaient d’ailleurs à recevoir l’un ou l’autre prix. Yves L. était moins optimiste, mais il était heureux d’avoir obtenu un engagement. Cinq ans avaient passé et il ne les avait pas revus. L’avion avait atterri depuis quelques minutes, N. imita les autres voyageurs, il se redressa, s’ébroua à défaut de trouver de la place pour s’étirer convenablement, il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Et il eut tout à coup l’espoir fou que Marguerite l’attendait. Et il y crut pendant quelques minutes. Initialement prévu pour une semaine, son contrat avait été prolongé à la dernière minute. Séduit par la présence de génies littéraires cités en lettres capitales dans le dossier de subvention, un délégué du Ministère de l’Education à la Culture souhaitait en effet que les bancs du théâtre accueillent pour un mois les écoles et les organismes de jeunesse. Trop heureux de pouvoir offrir des places au prix d’un ticket de métro, la direction diffusa immédiatement l’information, qui finit par tomber dans l’oreille d’un certain Némo M., chef scout soucieux de diversifier les activités proposées à sa troupe. Fatigués de courir les sous bois froids et crottés des environs, les autres membres du staff votèrent également pour cette animation « théâtre » qui les dispenserait de la traditionnelle animation «crêpes», du premier dimanche de février. Pragmatique, par cette proposition culturelle, Némo M., espérait aussi gagner l’estime de Marina C., responsable régionale avec laquelle il rêvait de vivre heureux dans une belle maison entourée d’un beau jardin et d’une ribambelle de beaux enfants, sauf que le projet capota. Notamment à cause des suites dramatiques de cette funeste animation « théâtre ». « Capota heureusement », diront les partisans d’un épanouissement familial plus ambitieux. Vaste sujet qui ne sera pas développé ici. C’était idiot. Elle ne pouvait être là puisqu’elle ignorait qu’il débarquait à Zaventem ce matin. Il avait tout de même trouvé le courage de lui envoyer un petit mot pour lui annoncer sa venue prochaine mais si lui avait toujours, cinq ans après, la tête enfouie dans la rondeur et la douceur de ses seins, elle était plus que probablement passée à autre chose. Le monde avait tourné en cinq ans et elle aussi. Il s’était donc borné à lui écrire qu’il serait à Bruxelles pour quelques joutes d’impro et il avait donné les dates, le lieu. Au cas où. Léger. Lointain. Relax. Bien sûr. ***** Ariane Lefort Pour en revenir à notre histoire, le jour du drame, rien n’est venu perturbé le bon déroulement de la catastrophe. Réunis près du local à 14 heures, tous les scouts avaient poussé leurs cris de ralliement et s’étaient alignés devant le bâtiment. Le dernier arrivé, Gilles T., s’était fondu dans le groupe sans se faire remarquer. Présente à quelques mètres, sa mère en avait eu les larmes aux yeux. Ne pas se faire remar- La page blanche Le jour d’avant quer était en effet un exploit pour cet adolescent fantasque, colérique et imprévisible depuis l’enfance. Suivant docilement ses camarades vers la salle de spectacle, Gilles T. se répétait les consignes que lui avaient donnés sa mère : ne pas manger, ne pas se lever, ne pas crier, ne pas bouger, ne pas trépigner. Pour éviter de se dissiper, il concentrait son attention sur une photo reproduite dans le programme remis à l’entrée du théâtre. C’était la photo de l’acteur que tous les scouts verraient bientôt sur scène, mais que, lui, scout depuis un mois, avait déjà vu dans l’escalier d’un immeuble. Celui de sa tante précisément. Première tragique coïncidence, Yves L. habitait en effet deux étages plus bas que la sœur de la mère du jeune Gilles T. à l’origine de la calamité. Plus tôt dans la journée, ignorant encore tout de sa mort imminente, Yves L. s’était levé à 10 heures 30. Tout en buvant son café, il avait consulté la boîte à message de son téléphone portable, mais, contrairement à ce qu’il espérait, personne ne l’avait appelé pour applaudir sa prestation dans le monologue. Apparemment, personne ne se bousculait non plus pour lui proposer de figurer au générique d’un nouveau film ou d’une nouvelle performance artistique. Tout le monde semblait l’avoir déjà oublié, ce qui le contrariait, mais qui ne l’aurait pas surpris s’il s’était donné la peine de jeter un œil sur son horoscope chinois. Un horoscope de merde qui prévoyait une influence néfaste de l’astre Chinois Néant de la Terre. Un indice qui aurait pu lui mettre la puce à l’oreille. Au lieu de cela, vers midi, Yves L. avait enfilé un training et était parti faire une marche norvégienne de 5 km. Un entrainement indispensable pour ne pas trébucher quand on a plein de mots roumains dans la tête. Après le repas (poisson maigre et riz), il avait pris une douche, puis répété le début de la pièce en fermant les yeux. A dix-sept heures, Yves L. était monté sur scène, sans appréhension et sans se douter que le jeune garçon sorti de la salle après une heure causerait sa perte dans la soirée. Malgré les recommandations et les prières de sa mère, Gilles T. péta en effet un câble à la soixante-et-unième minute. Par miracle, il n’avait pourtant pas bougé pendant la longue période dans le noir. Il n’avait rien dit non plus quand Yves L. avait fait son numéro de poisson. Par contre, il avait vu rouge quand il avait cru reconnaître sa tante dans la scène où Yves L. décrivait en détail la femme blonde aux gros seins qui tiraillait sa conscience et aiguisait ses désirs nuit après nuit. Concrètement, Yves L. simulait le plaisir que lui donnait une voisine, symbolisée par deux pastèques et une perruque. Blonde, évidemment. Pour Gilles T., adolescent fantasque, colérique et imprévisible depuis l’enfance, ce fut trop. Très agité, il se leva et quitta le théâtre sous le nez de Némo M.. Sans se retourner, il fila fissa chez sa mère confesser les fantasmes sexuels d’Yves L. et de sa voisine blonde aux gros seins. Or, deuxième et ultime tragique coïncidence, on l’aura compris : la sœur de la mère de Gilles T, voisine d’Yves L. était effectivement blonde et avait effectivement des gros seins. Choquée, la mère de l’adolescent téléphona illico à sa sœur pour l’engueuler. Choquée à son tour, la sœur prit un fusil de chasse et attendit l’acteur fautif, bien décidée à lui faire passer l’envie d’exhiber ses préférences sexuelles susceptibles de détraquer encore un peu plus le cerveau de son neveu déjà suffisamment perturbé. Quand l’acteur apparu vers 20 heures, la sœur tira pile entre les deux yeux, geste qui eut le mérite de clore définitivement un débat au cours duquel, de toute façon, peu de choses intelligentes auraient été dites. T - Salut Ketje, hurlait le similihominidé dès que Gabriel poussait la porte de son café. - Salut Zeus, répondait le jeune homme, conscient que son allusion à l’étymologie du prénom Théophile ne faisait rire personne. Ils étaient trop bêtes ou trop soûls pour comprendre, se disait-il, un état de bonheur vague et détaché de tout questionnement à l’égard de la vie et, qu’au fond, il enviait secrètement. Du haut de ses trentecinq ans, le «ketje» aficionado de Fanta Citron, de livres savants et de carnets de notes aux allures de pavés, tenait de l’extra-terrestre. Il était comme une sorte de framboise perdue dans un champ de betteraves. Pourtant, Gabriel revenait. À chaque panne de fantaisie, à chaque mauvais tour que lui jouait sa sacro-sainte inspiration, il poussait la porte de « Chez Théophile ». C’était plus fort que lui. Car, il devait bien l’admettre, en plus de son prénom raffiné, King Kong possédait un second symptôme d’élégance : un penchant exquis pour l’art contemporain. Une délicatesse inattendue qui ornait les murs jaunis de sa gargote et ravitaillait l’imaginaire perdu du jeune écrivain. Ce mercredi ne devrait pas échapper à la tradition. Gabriel commanderait sa limonade, Zeus s’esclafferait de son grognement de pourceau, tout autour se mettrait à valdinguer, à l’agresser. Il aurait envie de hurler, de partir, d’assassiner le cochon suant et ventru à la machette, puis les tableaux se mettraient à danser. Et tout reviendrait dans l’ordre établi. Il suffirait de regarder les toiles et de raconter ce qu’elles disent. Il sortirait alors les bouquins de son sac et le petit cahier aux pages quadrillées. Et il se mettrait à écrire. Sans s’arrêter. King Kong lui apporterait son Fanta et Gabriel lui demanderait avec déférence de plus être dérangé. La bête, soudain apprivoisée, s’exécuterait sans broncher. Le monde basculerait d’un coup. Les rôles s’inverseraient. Comme par magie. Pourtant, ce mercredi-là, rien ne se déroula comme prévu. Enfin presque. Il y eut le salut habituel entre Zeus et le ketje, la commande traditionnelle du breuvage jaune, l’hilarité ordinaire et les envies assassines. Puis, plus rien ! Pas de soumission divine de la part de Zeus, pas de boogie-woogie effréné des tableaux, pas de main pressée qui peine à suivre les idées sur le papier. Le bug. La page blanche. Gabriel n’avait jamais bu d’alcool. Il avait bien essayé une ou deux fois, pour faire comme les copains. Pour planer, se sentir bien. Mais la bière lui glissait dans la gorge avec la saveur d’un pipi de chat, le Whisky lui donnait l’impression d’avaler du Détoll et le vin de brouter du terreau. Il avait même développé une aversion telle au liquide maléfique qu’il restait enfermé dans son appartement les matins où le concierge de l’immeuble passait les carreaux du hall d’entrée à l’alcool ménager. Il méprisait tous ceux qui en consommaient, par ingestion et même par l’entremise du seau et des gants en caoutchouc. Ces gens-là manquaient définitivement d’imagination. Comme lui, aujourd’hui. Jamais il n’avait subi un tel châtiment. Il pouvait tout supporter, les moqueries, les angoisses, les troquets infâmes, la solitude, les questionnements écrit par Philippe GRATON – sur base du Match d’Impro du 31 mars 2014 – France vs Belgique écrit par Dominique Watrin – sur base du Match d’Impro du 23 février 2014 atrick R. (j’écris «R.» parce que je ne me souviens plus de son nom) trépignait d’impatience. Il tournait machinalement entre ses doigts le petit bout de papier vierge sur lequel il avait oublié de noter le jour de rendez-vous qu’il avait peur d’oublier. Il avala une grande goulée d’air. Une peur lancinante de s’être trompé de jour le tenaillait. Cela faisait tout juste un an que sa vie avait commencé à basculer. Il avait mené, jusqu’à ce fameux 14 février, une existence on ne peut plus normale. D’abord employé affecté au service des chemins de fer chargé de retrouver les wagons oubliés sur le réseau, il avait tout naturellement été promu pour bons et loyaux services, après vingt ans de carrière, comme chef de bureau du même service avec, à la clé, le droit de chercher les locomotives égarées plutôt que les wagons, un avancement dont il n’était pas peu fier. Son travail n’avait pas fondamentalement changé, mais retrouver des locomotives plutôt que des wagons, c’était nettement plus enivrant. Une locomotive, ça bouge par ses propres moyens et ça tire les wagons, ces voitures inertes et sans âme. En retrouver une, après des jours voire des semaines d’enquête, lui valait toujours une citation dans le carnet d’or de la revue du personnel des chemins de fer. Surtout quand le conducteur de la locomotive, égaré lui aussi, était retrouvé vivant dans son habitacle ! Tout roulait donc, comme Patrick R. le disait toujours en riant, lors de chaque pause déjeuner, à ses collègues des chemins de fer… jusqu’à ce funeste après-midi du 14 février. Ce jour-là, à 14h32 (on est ponctuel dans les chemins de fer), il avait franchi comme d’habitude le seuil de sa maison cinq façades (il ne faut jamais oublier de compter le toit), en entrant pied gauche d’abord. Son épouse, impeccablement vêtue d’une robe à lignes (on adore les lignes dans les chemins de fer) et coiffée avec une ligne bien droite au milieu, dressait la table. Assiettes strictement alignées face à face, couverts bien droits de part et d’autre de chacune d’entre elles, tout était normal… sauf ! Oui, sauf ! C’était la première fois que Patrick R. rencontrait un «sauf» dans sa vie. Et ce «sauf», c’était… une fleur ! Une rose rouge qui pointait dans un soliflore transparent disposé entre leurs deux assiettes. - C’est quoi, cette rose ? Questionna Patrick R. à l’adresse de sa femme, en dirigeant vers son oreille le mégaphone avec lequel il lui parlait toujours, car il ne supportait plus d’entendre sa voix autrement que transformée par un haut-parleur, comme celles qui annonçaient l’arrivée des trains dans les gares. Sa femme ne broncha pas. Après vingt-cinq ans de mariage, elle était sourde, à force de subir les conversations au mégaphone de son époux. Au début, cette manie de son mari l’avait un peu gênée, surtout lors de leurs ébats intimes, et le lendemain, quand elle croisait les voisins qui la félicitaient en l’appelant «Pupuce». Mais elle s’était habituée. - C’est quoi, cette rose, Pupuce ? Répéta Patrick R. - Mais c’est la rose de Saint-Valentin… On met, chaque année, une rose sur la table, le jour de la Saint-Valentin ! Répondit son épouse. Patrick R. s’étrangla. Il avait oublié le jour de la Saint-Valentin. C’était la première fois depuis son mariage qu’une telle mésaventure lui arrivait. Son mégaphone glissa entre ses doigts. Ce véritable séisme dans sa vie lui avait coupé la voix. Durant les semaines et les mois qui suivirent, les signes d’oubli se multiplièrent dans l’esprit de Patrick R. Une première fois, il laissa passer l’heure du casse-croûte qu’il déballait sur son bureau métallique, tous les jours sur le coup de 12h07, à l’arrivée du train en provenance de Liège. Puis, progressivement, il commença à oublier où se trouvaient les locomotives égarées qu’il avait retrouvées. Il se mit ensuite à oublier la signification des grands événements qui rythmaient sa vie, achetant une dinde pour célébrer la fête de Noël le 1er novembre, avant de chercher vainement des chrysanthèmes pour déposer sur la tombe de ses parents le jour de la fête nationale, en été. Plusieurs morales à caractère philosophique sont à tirer de cette triste fable, mais la plus importante, évidemment, est de se souvenir que les horoscopes, d’où qu’ils viennent, gagnent à être lus avec attention chaque matin. Au cas où. C’est pour mettre fin à cette lente glissade qu’il avait sollicité un rendez-vous auprès de la personne qu’il était sur le point de rencontrer. L’homme était un voyant, mais d’un registre extrêmement rare, pour ne pas écrire unique : il prédisait le passé. C’était une fameuse aubaine pour le pauvre Patrick S. (à l’instant où j’écris ces lignes, je ne sais plus si c’est «R.» ou «S.») de pouvoir rencontrer cet être exceptionnel. Pascale Fonteneau Lorsque la porte du cabinet du voyant s’ouvrit, Patrick S. fut frappé par la lumière éblouissante qui se dégageait de son antre. écrit par Isabelle BARY – sur base du Match d’Impro du 30 mars 2014 héophile éclata d’un rire gras. Une sorte de rugissement funèbre qui parcourut Gabriel de la tête aux pieds, comme le ferait un mauvais courant d’air. C’était comme si être un homme et commander une limonade était pour ce gros type aux idées préconçues un signe de faiblesse digne d’un esclaffement grossier. Tout en Théophile dégoûtait Gabriel, son rire vulgaire bien sûr, ses yeux plissés et jaunes aussi, puis son ventre gonflé moulé dans un maillot de corps tâché de graisse, ses bras flasques et moites, mais surtout son front étroit. La connerie, se demandait Gabriel, prend-elle si peu de place ? Ainsi, à chaque fois que le jeune homme sollicitait poliment sa boisson sucrée sans alcool, le sordide Théophile se mettait à japper. Gabriel avait beau passer commande de sa voix la plus caverneuse, planter ses yeux avec assurance dans le regard de crocodile du tenancier, rien n’arrêtait l’ouragan. L’instant suivant n’était plus qu’une infinie torture, le coucou de l’horloge ressemblait soudain à un vautour, le bruit des conversations à un massacre sanglant, les effluves de bière à un brouillard écossais, et les lampions de Noël, qui rayonnaient encore à Pâques, à des monstres de la mythologie grecque. Le rire du gros Théo se cognait aux murs graisseux de plus en plus fort, comme s’il célébrait la gloire de Zeus. Rien de plus normal quand on a un prénom qui honore les dieux antiques ! Pour finir, Gabriel n’avait que ce qu’il méritait. Personne ne l’obligeait à fréquenter ce bistro, à supporter ce rire affreux, ce sol collant de bière et de cacahouètes écrasées, ni le surnom de «ketje» dont l’ogre bruxellois l’avait affublé. P Match d’Impro 2024 - Vous êtes Patrick T. ? Articula le voyant. C’est alors qu’il leva la main en agitant mollement les doigts pour appeler Zeus qui, affalé derrière son bar, essuyait des verres à peine rincés. Dumont vs Dupont - Une bière s’il te plait, articula Gabriel avec émotion, anticipant l’éclat de rire généralisé ! écrit par Barbara Abel – sur base du Match d’Impro du 9 mars 2014 assidus, pourvu que le stylo vainque et que la page capitule. Et il finissait toujours par y arriver. Sauf aujourd’hui. - Une mousse pour le ketje, une, s’encouragea King Kong en actionnant sa tireuse à bière. - Dupont ? Le professeur esquisse un sourire satisfait. - Tu es sûr, chuchota judicieusement Théophile en posant la bière à cinq degrés sur la table de Gabriel ? - Non, là c’est Dumont. - Vous pouvez me passer Dupont ? - Nous sommes donc bien d’accord : le principal reproche que vous puissiez faire à Dumont, c’est d’être un… Dumont. - Je le veux, aboya presque Gabriel à la fois vexé et touché par la sollicitude de son bourreau ! C’est en regardant Zeus et son pas de phoque rejoindre le bar qu’il l’aperçut. Elle portait une robe jaune, suffisamment courte pour qu’on devine ses jambes fines, délicieusement galbées au niveau des mollets, suffisamment longue pour ne pas être vulgaire. Repliés sous sa chaise, ses pieds faisaient de petits mouvements délicieux qui troublaient Gabriel. Elle tournait une cuiller dans ce qui devait être une tasse de thé. Ses bras étaient fins, son cou fragile, son profil archangélique ! Gabriel but sa bière par petites goulées, sans vraiment réaliser qu’il ne s’agissait plus de sa citronnade. Il mit quelques instants à remarquer que la jeune fille restait immobile, lui laissant le loisir infini de l’observer sans être démasqué. Elle fixait un pan de mur invisible pour Gabriel. Il aurait dû se lever, parcourir la moitié du café et se retourner presque à côté d’elle pour apercevoir ce qu’elle admirait. La curiosité le démangeait. Mais la timidité le gardait cloué sur place. Il n’avait plus la moindre idée de l’œuvre cachée dans ce recoin, mais à voir le visage ébahi de la demoiselle, il supposait une merveille. Le genre de chose capable de vous dicter l’embryon d’un roman entier. Elle porta la tasse à la bouche, droite, un peu figée, comme une porteuse d’eau. Ce qu’elle dévisageait semblait l’habiter et Gabriel, un brin frustré, ne sut plus ce qu’il désirait vraiment regarder, cette jeune femme qui sans conteste lui faisait de l’effet où l’étrange mystère qu’elle dévorait des yeux. Il commanda une seconde bière. Zeus s’abstint cette fois de toute forme de mise en garde et posa la chope avec virilité entre les mains du gamin. «Bien roulée, hein ?» lui lança-t-il tout de même de son haleine chargée. Gabriel se détourna un peu pour éviter la terrible odeur, puis il ferma les yeux et serra le verre dans sa main. Que pouvait-il répondre à ça de toute façon, puisque c’était vrai ? Il ne dit donc rien, garda les paupières zippées et chercha de toutes ses forces les formes et les couleurs du tableau dissimulé. Mais son inspiration resta aussi plate qu’une limande et sa page impitoyablement blanche. Il prit une longue inspiration, cracha l’air lentement et vida son verre cul sec. Puis il ouvrit les yeux. Ça tournait un peu mais ce n’était pas le plus grave, la fille avait disparu. Gabriel posa un billet sur la table et se leva d’un bond. Chargé d’une vaillance toute neuve, il fonça tête baissée vers le poste d’observation tant convoité. Nom de Dieu ! Qu’y avait-il sur cette peinture ? Voilà qu’il blasphémait comme Zeus maintenant ! La transhumance fut plus chaotique que prévu jusqu’à la petite table carrée où trônait encore la tasse de thé. Gabriel l’atteignit tout vacillant. Et ce fut là, alors qu’il se retournait enfin pour faire face à l’objet tant convoité, que son cœur, qui déjà se prenait pour un djembé, lui remonta à la gorge. Le tableau ! Le tableau était blanc. Creux, vide, immaculé, désertique. Blanc quoi ! Comme sa page. Il éructa d’émotion, bruyamment, ce qui mit Zeus et ses compères en liesse. Qui était cette fille ? Que voyait-elle dans cette croute inhabitée? Il s’élança vers la porte. Avec un peu de chance, il pourrait la rattraper. Il lui dirait «Bonjour, je m’appelle Gabriel et j’aimerais vous offrir un thé» ou «…», bref, il se débrouillerait. Mais dehors, plus rien n’était à sa place. Ni le trottoir qui glissait à l’endroit du ciel, ni les passants qui riaient bêtement, ni les voitures qui tournaient idiotement autour de lui. Gabriel était ivre. Un comble ! Mais avant de s’écrouler de tout son long sur le macadam brûlant, son œil encore vif perçut une silhouette jaune tourner le coin de la rue lentement. Une silhouette jaune qui balayait de sa canne blanche un trottoir pour elle incertain. Quelques minutes plus tard, deux brancardiers hissaient Gabriel hilare dans l’ambulance. «Encore un alcoolo», lâcha l’un d’eux en soupirant. Mais Gabriel riait, c’était sa façon de lutter contre le sommeil, car il tenait son histoire à présent. Isabelle BARY - Je vais voir s’il est dispo. Quelques secondes d’absence. Silence. Le temps de compter jusque dix. Le professeur Markelbach patiente, il connait la procédure, quand Dumont est là, Dupont n’est jamais loin. - Bonjour professeur. Que me vaut l’honneur ? La voix est sournoise, timbre nasillard et intonation railleuse. C’est bien Dupont. - Ah, Dupont ! Ravi de vous entendre ! D’autant plus que j’ai de bonnes nouvelles pour vous ! - Des bonnes nouvelles ? ricane Dupont d’un ton narquois. Vous devez vous tromper d’interlocuteur, professeur. Les bonnes nouvelles, en général, c’est pour Dumont ! - Détrompez-vous, mon cher. C’est bien à vous que je m’adresse. Ça concerne également Dumont, mais c’est à vous que je désire l’annoncer en premier. Markelbach attend une réaction qui très vite se manifeste : un gloussement perfide, suivi d’un soupir un peu las. - Je vous écoute, professeur. Mais soyez bref, mon temps de parole est compté. - Je le sais mieux que quiconque, Dupont. Alors désensablez vos portugaises et préparez-vous à un choc. Votre… mésentente avec Dumont est toujours aussi problématique, je me trompe ? - Vous vous trompez sur le choix du terme, Markelbach : mésentente ne signifie rien. C’est de haine dont il est question ici. Le professeur ne se laisse pas démonter et enchaîne aussitôt : - Pouvez-vous me rappeler la cause de cette haine ? - Vous le savez aussi bien que moi, professeur. - J’ai besoin de vous entendre me le dire une fois encore. - A quoi jouez-vous, Markelbach ? - Faites-moi confiance, Dupont. Je vous écoute. Un second soupir, agacé cette fois. - Ça fait longtemps que les Dumont et les Dupont se détestent, grommelle Dupont. Mais là n’est pas le problème. - Vraiment ? - Je vous l’ai déjà dit, professeur : je suis au-delà des guerres ancestrales entre deux familles ennemies. Plus personne ne connaît les véritables griefs qui ont un jour opposé les Dumont aux Dupont. En revanche, ce que je ne peux admettre, c’est la suffisance et le mépris avec lesquels ce dégénéré de Dumont nous considère nous, les Dupont. - Il dit la même chose de vous. - Sans oublier cette mauvaise foi insupportable derrière laquelle il se retranche dès qu’on le met face à ses contradictions. - N’inversez pas les rôles, Markelbach. C’est lui qui ne supporte pas le fait que je sois un Dupont. - Admettons. Et si je vous disais que ce problème n’en est plus un ? - Vous croyez toujours au père Noël, professeur? Ce n’est pas sérieux… - C’est très sérieux, au contraire. Je serai bientôt en mesure de vous fournir la preuve irréfutable que les Dupont et les Dumont appartiennent en vérité à la même famille. Le silence qui suit cette déclaration est éloquent et le professeur Markelbach le savoure sans dissimuler une certaine satisfaction. - Impossible… murmure bientôt Dupont visiblement ébranlé. - Au contraire ! affirme Markelbach avec assurance. Votre ancêtre commun remonte à cinq générations, mais vous êtes tous les deux bel et bien issu de la même famille. La scission provient d’une erreur de transcription, comme ça arrivait souvent à l’époque. Un employé communal a mal retranscrit le nom de votre aïeul et le voilà rebaptisé Dupont. La branche cousine a, elle, gardé son patronyme de Dumont. - Mais alors… - Alors vous n’avez aucune raison de vous haïr comme vous le faites depuis si longtemps ! claironne le professeur sur le ton de l’évidence. Dupont se tait, abasourdi par la nouvelle. Les pensées se pressent dans son esprit, mélange d’émotions aux relents acides, chaos, incompréhension, pourquoi, déni, refus, jamais. Il fouille dans ses souvenirs, cherche la faille, fébrile, tâtonne à l’aveuglette parmi un troupeau de possibles, urgence de débusquer l’argument qui clouera le bec à cet enfoiré de Markelbach, se perd dans les recoins obscurs de sa mémoire… Trébuche sur l’évidence. - Vous en avez la preuve ? - Je vous l’apporte demain. Le professeur sourit d’un air béat. - Tout va aller beaucoup mieux maintenant, ajoute-t-il de cette voix doucereuse que Dupont crève maintenant d’envie d’entendre se casser, implorer, gémir, supplier… et s’éteindre. Quelques secondes encore de flottement, court moment suspendu dans l’apathie d’un dernier doute… - Infirmiers ! hurle soudain Dupont en tournant la tête en direction de la porte. Je veux retourner en cellule ! - Dupont… Heu Dumont ! Ne trouvez-vous pas que… - Ne m’appelez pas Dumont ! vocifère Dupont en brandissant un poing menaçant en direction du professeur. Je ne serai jamais un Dumont ! Jamais ! (Apparemment, Patrick S. s’appelait en fait Patrick T. ; mille excuses à nos lecteurs pour ce désagrément). Patrick T. opina du chef. Un chef de bureau opine toujours du chef. La salle dans laquelle le voyant l’introduisit était inondée par une lumière à mi-chemin entre les faisceaux de projecteur d’un théâtre et l’éclairage d’une boîte de nuit. La porte de la pièce s’ouvre, deux infirmiers font irruption et se dirigent vers le prisonnier. Celui-ci, fulminant, ne quitte pas Markelbach des yeux, le souffle court, les traits marqués par la haine, sinistre rictus qui alerte le professeur. A-t-il fait une erreur en inventant cette information? Il n’a pas le temps de se poser la question: les infirmiers entreprennent de détacher le détenu dont les chevilles sont enchaînées aux pieds de la chaise, elle-même solidement soudée au sol… Au moment où il se sent libéré de toute entrave, Dupont repousse violemment ses gardiens vers l’arrière et se jette sur Markelbach qui roule aussitôt à terre en poussant un cri de terreur. Le forcené l’empoigne par la tête, lui arrache ses lunettes qu’il brise dans son poing furieux, s’apprête à lui fracasser le crâne… Son geste meurtrier est très vite stoppé par les deux molosses qui, vifs comme l’éclair, ont fondu sur lui et le maîtrisent aussitôt. Et tandis qu’il hurle injures et menaces, il est emmené hors de la pièce et reconduit en cellule. Markelbach se relève, tremblant. Rajuste le désordre de sa tenue, se recoiffe de gestes fébriles. Ramasse ses lunettes brisées. Une petite femme d’allure revêche, chignon serré sur le sommet du crâne et blouse blanche immaculée apparaît alors dans l’embrasure de la porte. - On ne peut pas dire que ce soit un franc succès… - C’est à voir, soupire le professeur. Passé le premier choc, peut-être que… - Allons, Makelbach, ne niez pas l’évidence. Je vous avais mis en garde : les deux personnalités d’un schizophrène comme Dumont sont bien trop marquées. Vouloir les réconcilier par un argument aussi simpliste était une tentative vouée à l’échec. Mais bon… Vous aurez essayé. Le voyant devina sa question et anticipa sa réaction, ce qui était plutôt bon signe de la part d’un voyant. - Je reçois toujours mes clients dans cette grande salle baignée de lumière. En fait, je suis un voyant lumineux. Patrick T. voulut sortir son mégaphone pour répondre, mais il l’avait oublié. - Ce n’est pas grave, prenez ce micro ! Anticipa à nouveau le voyant. - La lumière, je comprends, articula Patrick T., mais pourquoi ces gradins remplis de public ? - Parce que ! Le coupa le voyant qui avait décidément réponse à tout. - Oui, c’est vrai, j’aurais dû y penser ! Confessa Patrick T., penaud. - Donc, vous venez pour connaître votre passé parce que vous souffrez d’un mal qui n’est ni une amnésie, ni la maladie d’Alzheimer, résuma le voyant. - C’est exact ! Vous êtes très fort. Comment savez-vous tout ça ? - Rien qu’en vous voyant, puisque je suis voyant. Et aussi parce que vous me l’avez raconté au téléphone quand vous m’avez contacté. - Ah oui, forcément. J’avais oublié. Mais qu’est-ce qui me garantit que vous allez retrouver mon passé ? Paniqua Patrick U. (a posteriori, je pense que son nom commence par un «U»). - Eux ! Tonna le voyant, en balayant la salle du bras. Patrick U. balaya, lui, la salle du regard et détecta que chaque personne installée sur les gradins autour de lui tenait, sur les genoux ou entre les mains, une pantoufle brodée. - Si mon diagnostic est mauvais ou si votre explication est lente, empruntée, voire inintéressante et vide, tout ce public n’hésitera pas à nous pantoufler, poursuivit le voyant. - Pantoufler ? - Oui, comme lapider, mais avec une pantoufle. Ou savater. Ou espadriller, si vous préférez. Tout est une question de modèle. - Alors, allons-y. Intima Patrick U. - C’est très simple. Voilà ce qui vous est arrivé. En fait, vous avez volé les deux chiens d’un cycliste que vous avez agressé. Ensuite, vous êtes rentré chez vous et vous avez tué votre femme qui vous trompait avec le voisin pendant que vous jardiniez. Complètement banal ! La cause de cette saute d’humeur anodine remonte à votre enfance, car vous êtes né en même temps qu’un frère jumeau après une grossesse d’un an et demi. Confondant de banalité, je vous dis. - Un an et demi ! Et l’accouchement n’a pas été trop douloureux ? L a première pantoufle l’atteignit à la joue, juste sous la tempe. Max termina sa phrase sans se décontenancer mais surprit une faiblesse dans sa propre voix et vit une ombre passer dans le regard du jouteur face à lui. Max avait pourtant été très drôle jusquelà; le public avait rit de nombreuses fois ce soir, grâce à lui. Il préparait d’ailleurs la prochaine répartie, entraînant son adversaire sur le bon terrain pour son gag. Ça prend quelques secondes, bien sûr ; quelques répliques sans aucun rire pour armer la situation avant de lâcher son trait et de faire à nouveau exploser la salle de rire. Mais quelques secondes, c’était sans doute trop. Du moins pour celui qui avait lancé la pantoufle. Et ceux qui n’allaient pas tarder à l’imiter. Il le savait. - Oui, j’ai arrêté de fumer. Mais j’ai été sacrément aidé ! Une autre pantoufle le frappa dans le dos. Puis deux autres le frôlèrent. - Ah Bon ? Par qui ? Le jeune jouteur de l’équipe adverse, bien qu’inexpérimenté, avait compris l’appel du pied et posé la bonne question. Max allait pouvoir sortir sa réplique, aussi brève que désopilante. - L’alcool. Mais le public ne rit pas. Il avait été distrait par les pantoufles lancées. Celles-ci avaient percé la bulle, l’imaginaire dans lequel les jouteurs de la Ligue d’Impro emmenaient le public, l’emportaient dans une histoire inventée à partir de rien… Et ça fonctionnait ! Pas facile pourtant de construire un monde en quelques mots et d’y faire entrer cinq cents personnes ! Mais le talent et la magie opéraient et les spectateurs, hilares et attentifs, restaient pendus aux lèvres des artistes. Jusqu’au jet de pantoufles, qui avait rompu le charme. Personne ne rit à la réplique qui s’était fait attendre. Elle fut suivie d’un blanc. L’effet fut catastrophique. Une pluie de pantoufles s’abattit sur les jouteurs, hués à présent. Il fallait passer outre et reprendre, vite ! Improviser n’importe quoi, recapturer le public pour lui mettre autre chose en tête que cette rage. Un jouteur de chaque équipe sauta dans l’arène. Ils étaient quatre à présent au centre du théâtre. Tant mieux se dit Max, car le jeune jouteur qui lui faisait face semblait pétrifié, comme paralysé par la tournure qu’avaient soudain prise les événements. C’était un comédien, pourtant ! Il le savait, que le public était exigeant et changeant ! Et ingrat ! On peut le faire rire toute la soirée, il exprimera son mécontentement à la moindre baisse de rythme. Les deux jouteurs descendus en renfort dans l’arène tentèrent n’importe quoi, sans s’observer du coin de l’œil pour saisir, comme par télépathie, la nouvelle direction à donner à l’histoire. L’un fit l’acuponcteur maladroit et l’autre, une fille plutôt jolie, tenta de jouer l’épouse hystérique de l’ex-fumeur devenu alcoolique. Mais rien n’y fit, ça tournait à la pantalonnade, et puis le public avait goûté au sang et ne pensait plus qu’à cela. Il lui en fallait davantage. Les huées, les cris et les pantoufles fusaient. L’arbitre siffla. Il entra en scène, ses fiches de notes dans la main tendue vers les projecteurs. Il siffla longuement et, par le geste, obtint le silence. Le jeune jouteur regarda les autres comédiens avec une lueur d’espoir. Mais les autres jouteurs restèrent impassibles. Ils savaient, eux. Max aussi savait. La pantoufle, que chaque spectateur recevait en rentrant dans la salle, venait du Canada. Là-bas, durant les matchs de hockey, les spectateurs mécontents du jeu lançaient sur la patinoire leurs « claques » , ces semelles de caoutchouc que l’on fixe sous les chaussures pour ne pas glisser sur les trottoirs enneigés. Cela obligeait les arbitres à interrompre le jeu pour faire dégager la piste. Quelqu’un eut l’idée d’apporter cette touche folklorique aux matchs de la Ligue d’Impro. Cela fonctionna bien au début ; le public manifestait sa désapprobation d’un jeu devenu barbant, ou d’une décision partiale de l’arbitre, en jetant sa pantoufle sur le sol de la piste. Max, comme tous les comédiens et une bonne partie du public, désapprouva cette pratique. Un jet de pantoufle ne permettait pas à une improvisation de s’améliorer, au contraire. Elle décontenançait le jouteur, le dissuadait de prendre le temps de bâtir un meilleur scénario, ou d’être audacieux, de provoquer, de déranger et donc d’émouvoir le spectateur, notamment par une improvisation dramatique. Le public obligeait ainsi le joueur à plaire vite et au plus grand nombre. Pour Max, la pantoufle détruisait l’innovation et la profondeur. Et souvent, elle ne représentait pas l’avis de la majorité du public qui appréciait la performance d’un comédien. Elle permettait juste à une petite minorité de perturber une improvisation. Max voyait la pantoufle comme une dictature d’une minorité, un objet destructeur de talent. Il n’avait encore rien vu. On ne mit pas fin au lancer de pantoufle. Au contraire même ; dans les années 2010, un public plus jeune, peut-être moins éduqué, exploita cette liberté à d’autres fins : un jouteur Je m’appelle Anne-Laure, j’ai 7 ans, et je vais vous raconter mon histoire extraordinaire, parce que, si elle n’était pas extraordinaire, je ne la raconterais pas. C e matin, très très tôt, vers 10h30, j’ai ouvert la fenêtre parce que c’est l’été, et que maman elle dit toujours : «Quand c’est l’été, on ouvre la fenêtre. » Sauf que quand j’ai ouvert, j’ai reçu de la pluie et du vent sur la tête, alors j’ai refermé. Trop vite. Vu qu’au moment où je fermais, il y a trois fées qui voulaient entrer en volant. Trois fées, je le jure sur ma tête. Pan ! La fenêtre sur leur nez. Je les ai vues prendre des formes d’écrabouillées, elles étaient tordues, et elles louchaient, et elles ont glissé lentement sur la fenêtre en laissant des traces de limaces, puis elles ont disparu. Non, elles n’ont pas vraiment disparu, elles sont tombées, et ma chambre est au deuxième étage. Je suis vite descendue, mais pas par la fenêtre, par l’escalier, sinon j’aurais eu trop mal presque partout. J’ai vu les fées au pied du mur, et il y en a une, la rouge, elle a dit d’une voix qui a des dents cassées : - F’est comme fa que vous vaccueillez les fées, dans fon pays ! -Je m’efcuse, j’ai répondu en rigolant. Ve l’ai pas fait efprès. - Un vélo ? - Ah non, vous n’allez pas vous disputer ! Et la troisième a dit : - Oui, le vélo, c’est comme la natation, il vaut mieux apprendre très jeune. - Ne jetez pas de conclusions trop hâtives. Sa réaction fut… violente, j’en conviens. Mais peut-être que l’idée fera son chemin dans les méandres de son esprit malade et que ses deux personnalités pourront, sinon s’entendre, du moins cohabiter enfin… - Oh toi, l’arbitre ! ont grogné les deux autres. - Et comment savez-vous tout ça ? Je les ai rincées dans l’évier, et j’ai mis du rouge sur un bobo de la verte, qui a dit «aïe». Alors celle qui était blanche et noire comme un petit zèbre, elle est montée sur mon épaule, et elle m’a chuchoté dessus : La femme esquisse une moue dubitative. - Logique, en effet. Mais vous avez la preuve de ce que vous avancez ? - Il semble en effet que vous croyiez au Père Noël, professeur. - Oui, dans ma boule de cristal. - Attendons quelques jours. Nous verrons bien s’il y a une évolution. Tenez-moi au courant s’il y avait le moindre changement dans son comportement. - Oui. Le cocufiage pour tous, ça s’appelle. Qui dit «mariage pour tous» dit évidemment «cocufiage pour tous». Logique ! Patrick V. (j’en suis sûr maintenant, la mémoire me revient, son nom commençait par «V») fit le tour de la table transparente du voyant (à moins qu’il n’y eut pas de table) et examina la boule du voyant, transparente aussi (à moins qu’il n’y en eut pas non plus). Tous les passages de sa vie décrits par le voyant défilèrent à l’accéléré sous ses yeux. - Ça alors ! S’exclama Patrick V. - Comme vous voulez. - Ahurissant, hein ! Le professeur Markelbach eut rapidement des nouvelles de son patient. Quelques heures plus tard, il fut découvert dans sa cellule capitonnée, exsangue, allongé dans une mare de sang, un bris de verre de lunette planté dans sa trachée. Dupont avait tenu parole : il ne serait jamais un Dumont. - Oui, je retrouve enfin ces instants si émouvants que le traumatisme m’avait fait oublier. Barbara Abel - C’est le but ! - Quand je raconterai ça à mes collègues des chemins de fer, ça les laissera sans voie. Son interlocuteur n’eut pas l’occasion de lui répondre. Un énorme coup de sifflet coupa leur conversation. Un tonnerre d’applaudissements roula autour d’eux, marquant le succès du travail d’exhumation du passé. Une musique assourdissante démarra. Patrick W. (de sa vraie initiale) se dressa, fier et soulagé. Il s’approcha du voyant pour le serrer dans ses bras. Il n’en eut pas l’occasion. Le voyant lumineux venait de s’éteindre. Pour toujours ! La suite, je ne m’en souviens plus… Dominique Watrin Max savait qu’à cet instant, c’était cela que le public attendait. L’arrêt du match par l’arbitre obligeait les jouteurs à rester en place ; cela permettait aux spectateurs «Privilège» d’ajuster leur tir. Un coup retentit, tout le monde sursauta et des cris de surprise jaillirent du public, mêlés à quelques « aaah ! » de satisfaction. Le premier projectile toucha le jeune jouteur qui faisait face à Max au genou, il fut fauché brutalement et tomba sur le sol de la scène ou il hurla de douleur en tenant son genou sans doute brisé. Les applaudissements crépitèrent. Il fut étendu sur un brancard et, pendant son évacuation, reçut encore quelques pantoufles. Un deuxième tir de Flash-Ball toucha l’épouse hystérique dans le dos. Elle poussa un cri rauque comme si ses poumons avaient expulsé d’un coup tout l’air qu’ils contenaient ; elle tomba à genoux et, mains sur la poitrine et yeux grands ouverts, semblait incapable de reprendre son souffle. - Houuuuuu ! Ta gueule ! vociféra le public ; quelques pantoufles volèrent en direction de l’arbitre. - Etes-vous tous débiles ? protesta un spectateur plus âgé. Laissez ces artistes jouer ! Laissez-leur une chance de jouer ! - Houuuuuu ! Ta gueule ! vociféra le public ; quelques pantoufles volèrent en direction du protestataire. L’arbitre, les deux bras levés, se plaça au milieu de la scène. La comédienne touchée au dos s’écroula à ses pieds. De sa bouche s’écoula un peu de sang rose et mousseux. Les brancardiers revinrent et l’évacuèrent également. - J’entends votre mécontentement, cria l’arbitre au public. S’il y a un jouteur qui n’est pas à la hauteur, il faut trouver lequel, et suivre les règles du jeu ! - Oui ! Oui ! Les règles ! Votons !!! cria le public surexcité. - Est-ce lui ? demanda l’arbitre, accompagnant sa question d’un geste théâtral pour désigner le comédien entré en scène pour jouer l’acuponcteur maladroit. L’immense majorité du public montra la face bleue du petit carton. - Je vois beaucoup de bleu… ça veut donc dire non. Alors… Est-ce… L’arbitre se tourna vers Max, et pointa vers lui sa main crispée sur ses fiches. - … Lui ? - Ouiii !!! hurla le public en exhibant, pour une grosse majorité, la face rouge de leur carton. - Alors, dit l’arbitre en quittant la scène à reculons, lentement, d’un pas de sénateur romain, alors, rendez-lui justice ! Max se retrouva seul au milieu de la scène. Une musique retentit, un jingle qu’il détestait. L’éclairage changea, le public tapait des mains et des pieds. La musique s’arrêta d’un coup. Max baissa la tête. À ses pieds il vit une pantoufle, tachée d’un peu du sang perdu par sa collègue. Les Flash-Ball tonnèrent comme une rafale. Touché aux jambes, au torse, à la nuque, à la tête, à l’œil, Max s’effondra. Le public siffla, se leva pour applaudir, continua à hurler. Les brancardiers essoufflés réapparurent, et l’on passa de la musique tandis que la scène était entièrement nettoyée. La soirée n’était pas finie, il restait des jouteurs, et le public était chaud pour d’autres improvisations. Le spectateur âgé regarda sa montre, se leva et s’en alla. Philippe Graton - S’il vous plaît, s’il vous plaît, je vous en prie ! cria l’arbitre pour calmer le jeu. Je dois dé- (Pour Anne-Laure) écrit par Luc Baba – sur base du Match d’Impro pour enfants du 2 mars 2014 - Elle a pas fait exprès ! a crié la verte ! - Ah bon ! Un peu avant 2020, le public plus fortuné qui payait cher son abonnement «Privilège» pour avoir le droit d’être assis plus confortablement, d’arriver après le début du spectacle et de se faire servir des boissons pendant le match, le tout sous un éclairage permettant d’être admiré et envié du public populaire, se plaignit d’être trop loin pour lancer sa pantoufle avec précision. On pensa satisfaire ces spectateurs aisés en leur donnant à chacun dix pantoufles au lieu d’une, mais ça les encombrait sans les rendre plus adroits. Pour ne pas décevoir cette clientèle qui garantissait, à elle seule, la moitié des recettes de chaque soirée, on mit à leur disposition, dès 2017, des FlashBall. Ces espèces de fusils en plastique noir, gros et courts, ne lançaient pas de pantoufles mais de grosses balles en caoutchouc. Comme le vantait la publicité pour l’abonnement «Privilège», « le Flash-Ball possède la puissance d’arrêt d’un 38 Spécial. Grâce à des projectiles étudiés pour éviter la pénétration sur un individu normalement vêtu, il provoque à l’impact l’équivalent d’un KO technique ». Les privilégiés furent ravis. Mille fois mieux qu’avec une pantoufle ou une tomate pourrie, on pouvait envoyer au tapis un comédien ou un arbitre à plus de quinze mètres, sans le tuer. C’était très rigolo, mais mieux valait attendre et viser juste, car on n’avait droit qu’à une seule cartouche par soirée. terminer s’il y a eu faute ou insuffisance, et rendre ma décision ! Papa perdu - Non, ça s’est bien déroulé. Y a juste le vélo qui a eu un peu plus de mal à passer. Mais on ne fait pas de péridurale pour si peu. - Je suis le mari de l’amant de votre femme ! dont la tête ne lui revenait pas, un exercice de tir entre copains, un substitut à la «zappette» du téléviseur. La cible n’était plus le sol de la piste mais la tête de quelqu’un. Ils plièrent les pantoufles en rentrant le talon dans la partie avant, améliorant ainsi l’aérodynamisme du projectile, et ça se mit à canarder comme dans un jeu vidéo. Cette fois encore, on laissa faire. - C’est vrai qu’on a connu mieux, comme accueil. - Je m’excuse. Bienvenue dans notre monde. Je vous attendais depuis tant d’années ! - Tu as sept ans… - Ben oui, mais c’est déjà tant d’années, même qu’on a déjà déménagé une fois, à cause de papa qui a fouillé les armoires, et qui a trouvé un petit monsieur dedans. Et je crois que c’était une armoire magique, parce que le lendemain, papa et le petit monsieur, ils avaient disparu tous les deux. - Tu veux dire que tu n’as plus de papa ? a demandé la verte. - Ouais. - Alors la rouge, elle a dit : - Je crois que je comprends pourquoi nous devions venir ici. On a toujours une mission. Et là, à mon avis, la mission, c’est te trouver un nouveau papa. - Mais oui, mais le premier, je l’aimais bien, déjà, il me faisait rigoler en imitant Nora l’exploratrice, les lapins et les fous. - A propos d’exploratrice, a dit la verte, si on se mettait en chemin. Il y a un château sur la colline, où se réfugient des papas perdus. - C’est comme un magasin ? - Oui. Et c’est les soldes… Là, j’ai réfléchi tellement fort que j’avais les yeux tout pliés, et un peu mal à la tête. Puis j’ai dit : J’ai ouvert la fenêtre, il ne pleuvait presque plus, juste quelques larmes de crocodile. Elles m’ont dit au revoir sans bien comprendre, à mon avis. Oui, c’est un petit avis de sept ans, mais c’est le mien. Et elles ont volé très loin dans un rayon de soleil qui faisait de la vapeur dans les arbres. Alors j’ai crié aussi fort que j’ai pu : - C’est cool que vous existez ! C’est trop cool ! Et là, j’ai pleuré je me demande pourquoi, et j’ai couru jusqu’à maman qui m’a dit : - Non, ça va. - Ça ne va pas, ma princesse ? Et les fées m’ont regardée en se demandant à quoi elles allaient bien pouvoir servir maintenant que je disais non, ça va. Parce que maman, même si elle est un petit peu vieille, elle croit encore que ça existe, les princesses. - Pourquoi ? a demandé la zèbrette. - Parce que c’était en même temps l’amoureux de maman, alors il faudrait qu’on choisisse le même, sauf que les mamans, elles ne peuvent pas voir les fées ; donc non, ça va. Elles se sont tues encore plus fort, elles ont réfléchi aussi, avec un doigt sur la bouche, puis la verte a dit : - D’accord. Mais on peut quand même réaliser un vœu, oui ? Comme ça, on ne sera pas venues pour rien. J’ai souri en me balançant, et j’ai murmuré tout près d’elles : - Je crois que c’est déjà réalisé, parce que mon vœu, depuis que maman me raconte des histoires, c’est que ce ne soit pas tout à fait des histoires. Luc Baba i Les seins Humeur à fleur de peau de Marguerite écrit par Pascale Fonteneau – sur base du Match d’Impro du 2 février 2014 A écrit par Ariane Lefort – sur base du Match d’Impro du 9 février 2014 l aurait pu s’appeler Norbert, ça lui allait bien. Un côté mister Bean. Un peu de Lenny aussi, le pote d’Homer Simpson. Pas vraiment un cadeau, au départ, ce physique, et il avait bien failli rester coincé, avec sa tête bizarre et son long corps penché, dans son bled de Baie-Comeau, au bord du Saint-Laurent. Mais la vie, c’est jamais comme on croit. Il était sept heures trente-sept et l’avion descendait depuis un moment dans le grand gris du ciel belge, ça promettait, N. attendait la terre ferme avec une certaine curiosité. On aurait dit que le ciel était un trou sans fond. Mais soudain le sol se laissa voir, humide, brillant et sombre, champs étroits, maisons droites et hautes, briques rouges, routes encombrées de voitures aux phares qui perçaient à la fois la nuit finissante et la pluie qui tombait. C’était moche. Mais ça n’avait pas la moindre importance parce que N. était heureux. Oh le mot ne suffisait pas. N. n’en était carrément pas encore revenu. Une semaine à la ligue d’impro belge, tous frais payés, avion, hôtel, restos, TOUT. D’accord, il savait bien qu’il n’était pas le dernier des nains dans l’équipe canadienne mais n’empêche. Il appréciait le cadeau. Le joli privilège. Et il aimait déjà chaque minute de ces six jours. Mais ce qui le rendait heureux à ce point, pour tout dire, ce n’était pas tant la semaine qu’il allait passer sur le ring du théâtre Marni, non, c’était surtout la perspective de la passer sous le même ciel que Marguerite. Même si ce ciel était mou et gris et profond comme un puits. Marguerite. C’était la seule fille, au cours de toute sa vie, qu’il avait osé approcher et prendre dans ses bras avec une confiance qui d’habitude lui faisait salement défaut. C’était elle qui lui avait permis ça, avec son petit rire chatouillé, et sa timidité de gamine fraichement débarquée en terre étrangère et étrange. Elle était venue de Bruxelles à Baie-Comeau pour garder les trois enfants des Tremblay pendant l’été, et elle avait trouvé cteur depuis des années, Yves L. n’avait pas l’habitude de lire son horoscope. La trajectoire des astres, des étoiles ou de la lune ne l’intéressait pas. Yves L. était un individu sérieux et rationnel. A peine s’il se souvenait des dictons que récitait son grand père en se donnant des airs de celui à qui des générations de paysans auraient transmis des vérités plus secrètes que l’art d’accommoder le cochon. Qui boit de la Sauge en mai ne meurt jamais, était la seule maxime qu’Yves L. avait retenue de cette époque. Un été, il s’en était d’ailleurs habilement servi pour séduire une allemande végétarienne lors d’un festival de musique médiévale. Souvenirs confus de seins, de cuisses, de clavecins et de rutabagas au soja. Certainement l’épisode le plus extravaguant de sa jeunesse qui, pour le reste, avait suivi des chemins très ordinaires. chez N., qui habitait la maison juste à côté, le parfait allié pour survivre à ces trois gamins détestables, à l’isolement accentué par l’accent impossible de ces gens-là, et à la gastronomie toute personnelle de cette région du monde ; la nourriture belge déjà manquait passablement de finesse mais alors là, qui avait bien pu inventer la poutine ? Au bout des deux mois d’été, N. avait emmené Marguerite dans sa vieille Ford, dont le plancher rouillé partait en petits morceaux, faire le tour de la Gaspésie. Elle avait aimé ces petits villages en bois coloré sur fond de Saint-Laurent bleu et c’est la dernière nuit, dans la réserve faunique de Matane, avant de reprendre le ferry vers Baie-Comeau puis l’avion pour Bruxelles que, sous la tente, il avait baptisé les deux seins de Marguerite joie et tranquillité, c’était un peu débile mais ça ne regardait qu’eux, et ces petits noms lui permettraient de les garder plus présents encore quand il ne les verrait plus. Les jours précédents le début de cette histoire, Yves L. faisait son métier d’acteur. Après des mois de répétitions difficiles, il jouait au théâtre une pièce intitulée « Un étrange voyage », monologue exigeant écrit par un poète roumain emprisonné par les communistes au siècle dernier. Marqué par ses années de dissidence, l’auteur confrontait le concept d’enfermement aux univers, très libres, de Kerouac et de Céline. Seul sur scène pendant deux heures, un homme combattait fantasmes et renoncements qui le réveillaient la nuit et l’empêchaient de vivre le jour. Soucieux d’amener le spectateur au plus près de ces instants crépusculaires où rêves et réalité s’unissent pour le meilleur et pour le pire, le scénographe avait prévu que la pièce débuterait par dix minutes de noir absolu. Le retour de la lumière se faisait au moment où le rideau se levait sur un Yves L. jouant le rôle d’un poisson se heurtant sans arrêt aux parois de son bocal. Métaphore de l’homme se réveillant chaque matin enfermé dans une vie où il aurait à tourner en rond avec ses inquiétudes. Inlassablement. L’image était forte. Traducteur et metteur en scène se préparaient d’ailleurs à recevoir l’un ou l’autre prix. Yves L. était moins optimiste, mais il était heureux d’avoir obtenu un engagement. Cinq ans avaient passé et il ne les avait pas revus. L’avion avait atterri depuis quelques minutes, N. imita les autres voyageurs, il se redressa, s’ébroua à défaut de trouver de la place pour s’étirer convenablement, il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Et il eut tout à coup l’espoir fou que Marguerite l’attendait. Et il y crut pendant quelques minutes. Initialement prévu pour une semaine, son contrat avait été prolongé à la dernière minute. Séduit par la présence de génies littéraires cités en lettres capitales dans le dossier de subvention, un délégué du Ministère de l’Education à la Culture souhaitait en effet que les bancs du théâtre accueillent pour un mois les écoles et les organismes de jeunesse. Trop heureux de pouvoir offrir des places au prix d’un ticket de métro, la direction diffusa immédiatement l’information, qui finit par tomber dans l’oreille d’un certain Némo M., chef scout soucieux de diversifier les activités proposées à sa troupe. Fatigués de courir les sous bois froids et crottés des environs, les autres membres du staff votèrent également pour cette animation « théâtre » qui les dispenserait de la traditionnelle animation «crêpes», du premier dimanche de février. Pragmatique, par cette proposition culturelle, Némo M., espérait aussi gagner l’estime de Marina C., responsable régionale avec laquelle il rêvait de vivre heureux dans une belle maison entourée d’un beau jardin et d’une ribambelle de beaux enfants, sauf que le projet capota. Notamment à cause des suites dramatiques de cette funeste animation « théâtre ». « Capota heureusement », diront les partisans d’un épanouissement familial plus ambitieux. Vaste sujet qui ne sera pas développé ici. C’était idiot. Elle ne pouvait être là puisqu’elle ignorait qu’il débarquait à Zaventem ce matin. Il avait tout de même trouvé le courage de lui envoyer un petit mot pour lui annoncer sa venue prochaine mais si lui avait toujours, cinq ans après, la tête enfouie dans la rondeur et la douceur de ses seins, elle était plus que probablement passée à autre chose. Le monde avait tourné en cinq ans et elle aussi. Il s’était donc borné à lui écrire qu’il serait à Bruxelles pour quelques joutes d’impro et il avait donné les dates, le lieu. Au cas où. Léger. Lointain. Relax. Bien sûr. ***** Ariane Lefort Pour en revenir à notre histoire, le jour du drame, rien n’est venu perturbé le bon déroulement de la catastrophe. Réunis près du local à 14 heures, tous les scouts avaient poussé leurs cris de ralliement et s’étaient alignés devant le bâtiment. Le dernier arrivé, Gilles T., s’était fondu dans le groupe sans se faire remarquer. Présente à quelques mètres, sa mère en avait eu les larmes aux yeux. Ne pas se faire remar- La page blanche Le jour d’avant quer était en effet un exploit pour cet adolescent fantasque, colérique et imprévisible depuis l’enfance. Suivant docilement ses camarades vers la salle de spectacle, Gilles T. se répétait les consignes que lui avaient donnés sa mère : ne pas manger, ne pas se lever, ne pas crier, ne pas bouger, ne pas trépigner. Pour éviter de se dissiper, il concentrait son attention sur une photo reproduite dans le programme remis à l’entrée du théâtre. C’était la photo de l’acteur que tous les scouts verraient bientôt sur scène, mais que, lui, scout depuis un mois, avait déjà vu dans l’escalier d’un immeuble. Celui de sa tante précisément. Première tragique coïncidence, Yves L. habitait en effet deux étages plus bas que la sœur de la mère du jeune Gilles T. à l’origine de la calamité. Plus tôt dans la journée, ignorant encore tout de sa mort imminente, Yves L. s’était levé à 10 heures 30. Tout en buvant son café, il avait consulté la boîte à message de son téléphone portable, mais, contrairement à ce qu’il espérait, personne ne l’avait appelé pour applaudir sa prestation dans le monologue. Apparemment, personne ne se bousculait non plus pour lui proposer de figurer au générique d’un nouveau film ou d’une nouvelle performance artistique. Tout le monde semblait l’avoir déjà oublié, ce qui le contrariait, mais qui ne l’aurait pas surpris s’il s’était donné la peine de jeter un œil sur son horoscope chinois. Un horoscope de merde qui prévoyait une influence néfaste de l’astre Chinois Néant de la Terre. Un indice qui aurait pu lui mettre la puce à l’oreille. Au lieu de cela, vers midi, Yves L. avait enfilé un training et était parti faire une marche norvégienne de 5 km. Un entrainement indispensable pour ne pas trébucher quand on a plein de mots roumains dans la tête. Après le repas (poisson maigre et riz), il avait pris une douche, puis répété le début de la pièce en fermant les yeux. A dix-sept heures, Yves L. était monté sur scène, sans appréhension et sans se douter que le jeune garçon sorti de la salle après une heure causerait sa perte dans la soirée. Malgré les recommandations et les prières de sa mère, Gilles T. péta en effet un câble à la soixante-et-unième minute. Par miracle, il n’avait pourtant pas bougé pendant la longue période dans le noir. Il n’avait rien dit non plus quand Yves L. avait fait son numéro de poisson. Par contre, il avait vu rouge quand il avait cru reconnaître sa tante dans la scène où Yves L. décrivait en détail la femme blonde aux gros seins qui tiraillait sa conscience et aiguisait ses désirs nuit après nuit. Concrètement, Yves L. simulait le plaisir que lui donnait une voisine, symbolisée par deux pastèques et une perruque. Blonde, évidemment. Pour Gilles T., adolescent fantasque, colérique et imprévisible depuis l’enfance, ce fut trop. Très agité, il se leva et quitta le théâtre sous le nez de Némo M.. Sans se retourner, il fila fissa chez sa mère confesser les fantasmes sexuels d’Yves L. et de sa voisine blonde aux gros seins. Or, deuxième et ultime tragique coïncidence, on l’aura compris : la sœur de la mère de Gilles T, voisine d’Yves L. était effectivement blonde et avait effectivement des gros seins. Choquée, la mère de l’adolescent téléphona illico à sa sœur pour l’engueuler. Choquée à son tour, la sœur prit un fusil de chasse et attendit l’acteur fautif, bien décidée à lui faire passer l’envie d’exhiber ses préférences sexuelles susceptibles de détraquer encore un peu plus le cerveau de son neveu déjà suffisamment perturbé. Quand l’acteur apparu vers 20 heures, la sœur tira pile entre les deux yeux, geste qui eut le mérite de clore définitivement un débat au cours duquel, de toute façon, peu de choses intelligentes auraient été dites. T - Salut Ketje, hurlait le similihominidé dès que Gabriel poussait la porte de son café. - Salut Zeus, répondait le jeune homme, conscient que son allusion à l’étymologie du prénom Théophile ne faisait rire personne. Ils étaient trop bêtes ou trop soûls pour comprendre, se disait-il, un état de bonheur vague et détaché de tout questionnement à l’égard de la vie et, qu’au fond, il enviait secrètement. Du haut de ses trentecinq ans, le «ketje» aficionado de Fanta Citron, de livres savants et de carnets de notes aux allures de pavés, tenait de l’extra-terrestre. Il était comme une sorte de framboise perdue dans un champ de betteraves. Pourtant, Gabriel revenait. À chaque panne de fantaisie, à chaque mauvais tour que lui jouait sa sacro-sainte inspiration, il poussait la porte de « Chez Théophile ». C’était plus fort que lui. Car, il devait bien l’admettre, en plus de son prénom raffiné, King Kong possédait un second symptôme d’élégance : un penchant exquis pour l’art contemporain. Une délicatesse inattendue qui ornait les murs jaunis de sa gargote et ravitaillait l’imaginaire perdu du jeune écrivain. Ce mercredi ne devrait pas échapper à la tradition. Gabriel commanderait sa limonade, Zeus s’esclafferait de son grognement de pourceau, tout autour se mettrait à valdinguer, à l’agresser. Il aurait envie de hurler, de partir, d’assassiner le cochon suant et ventru à la machette, puis les tableaux se mettraient à danser. Et tout reviendrait dans l’ordre établi. Il suffirait de regarder les toiles et de raconter ce qu’elles disent. Il sortirait alors les bouquins de son sac et le petit cahier aux pages quadrillées. Et il se mettrait à écrire. Sans s’arrêter. King Kong lui apporterait son Fanta et Gabriel lui demanderait avec déférence de plus être dérangé. La bête, soudain apprivoisée, s’exécuterait sans broncher. Le monde basculerait d’un coup. Les rôles s’inverseraient. Comme par magie. Pourtant, ce mercredi-là, rien ne se déroula comme prévu. Enfin presque. Il y eut le salut habituel entre Zeus et le ketje, la commande traditionnelle du breuvage jaune, l’hilarité ordinaire et les envies assassines. Puis, plus rien ! Pas de soumission divine de la part de Zeus, pas de boogie-woogie effréné des tableaux, pas de main pressée qui peine à suivre les idées sur le papier. Le bug. La page blanche. Gabriel n’avait jamais bu d’alcool. Il avait bien essayé une ou deux fois, pour faire comme les copains. Pour planer, se sentir bien. Mais la bière lui glissait dans la gorge avec la saveur d’un pipi de chat, le Whisky lui donnait l’impression d’avaler du Détoll et le vin de brouter du terreau. Il avait même développé une aversion telle au liquide maléfique qu’il restait enfermé dans son appartement les matins où le concierge de l’immeuble passait les carreaux du hall d’entrée à l’alcool ménager. Il méprisait tous ceux qui en consommaient, par ingestion et même par l’entremise du seau et des gants en caoutchouc. Ces gens-là manquaient définitivement d’imagination. Comme lui, aujourd’hui. Jamais il n’avait subi un tel châtiment. Il pouvait tout supporter, les moqueries, les angoisses, les troquets infâmes, la solitude, les questionnements écrit par Philippe GRATON – sur base du Match d’Impro du 31 mars 2014 – France vs Belgique écrit par Dominique Watrin – sur base du Match d’Impro du 23 février 2014 atrick R. (j’écris «R.» parce que je ne me souviens plus de son nom) trépignait d’impatience. Il tournait machinalement entre ses doigts le petit bout de papier vierge sur lequel il avait oublié de noter le jour de rendez-vous qu’il avait peur d’oublier. Il avala une grande goulée d’air. Une peur lancinante de s’être trompé de jour le tenaillait. Cela faisait tout juste un an que sa vie avait commencé à basculer. Il avait mené, jusqu’à ce fameux 14 février, une existence on ne peut plus normale. D’abord employé affecté au service des chemins de fer chargé de retrouver les wagons oubliés sur le réseau, il avait tout naturellement été promu pour bons et loyaux services, après vingt ans de carrière, comme chef de bureau du même service avec, à la clé, le droit de chercher les locomotives égarées plutôt que les wagons, un avancement dont il n’était pas peu fier. Son travail n’avait pas fondamentalement changé, mais retrouver des locomotives plutôt que des wagons, c’était nettement plus enivrant. Une locomotive, ça bouge par ses propres moyens et ça tire les wagons, ces voitures inertes et sans âme. En retrouver une, après des jours voire des semaines d’enquête, lui valait toujours une citation dans le carnet d’or de la revue du personnel des chemins de fer. Surtout quand le conducteur de la locomotive, égaré lui aussi, était retrouvé vivant dans son habitacle ! Tout roulait donc, comme Patrick R. le disait toujours en riant, lors de chaque pause déjeuner, à ses collègues des chemins de fer… jusqu’à ce funeste après-midi du 14 février. Ce jour-là, à 14h32 (on est ponctuel dans les chemins de fer), il avait franchi comme d’habitude le seuil de sa maison cinq façades (il ne faut jamais oublier de compter le toit), en entrant pied gauche d’abord. Son épouse, impeccablement vêtue d’une robe à lignes (on adore les lignes dans les chemins de fer) et coiffée avec une ligne bien droite au milieu, dressait la table. Assiettes strictement alignées face à face, couverts bien droits de part et d’autre de chacune d’entre elles, tout était normal… sauf ! Oui, sauf ! C’était la première fois que Patrick R. rencontrait un «sauf» dans sa vie. Et ce «sauf», c’était… une fleur ! Une rose rouge qui pointait dans un soliflore transparent disposé entre leurs deux assiettes. - C’est quoi, cette rose ? Questionna Patrick R. à l’adresse de sa femme, en dirigeant vers son oreille le mégaphone avec lequel il lui parlait toujours, car il ne supportait plus d’entendre sa voix autrement que transformée par un haut-parleur, comme celles qui annonçaient l’arrivée des trains dans les gares. Sa femme ne broncha pas. Après vingt-cinq ans de mariage, elle était sourde, à force de subir les conversations au mégaphone de son époux. Au début, cette manie de son mari l’avait un peu gênée, surtout lors de leurs ébats intimes, et le lendemain, quand elle croisait les voisins qui la félicitaient en l’appelant «Pupuce». Mais elle s’était habituée. - C’est quoi, cette rose, Pupuce ? Répéta Patrick R. - Mais c’est la rose de Saint-Valentin… On met, chaque année, une rose sur la table, le jour de la Saint-Valentin ! Répondit son épouse. Patrick R. s’étrangla. Il avait oublié le jour de la Saint-Valentin. C’était la première fois depuis son mariage qu’une telle mésaventure lui arrivait. Son mégaphone glissa entre ses doigts. Ce véritable séisme dans sa vie lui avait coupé la voix. Durant les semaines et les mois qui suivirent, les signes d’oubli se multiplièrent dans l’esprit de Patrick R. Une première fois, il laissa passer l’heure du casse-croûte qu’il déballait sur son bureau métallique, tous les jours sur le coup de 12h07, à l’arrivée du train en provenance de Liège. Puis, progressivement, il commença à oublier où se trouvaient les locomotives égarées qu’il avait retrouvées. Il se mit ensuite à oublier la signification des grands événements qui rythmaient sa vie, achetant une dinde pour célébrer la fête de Noël le 1er novembre, avant de chercher vainement des chrysanthèmes pour déposer sur la tombe de ses parents le jour de la fête nationale, en été. Plusieurs morales à caractère philosophique sont à tirer de cette triste fable, mais la plus importante, évidemment, est de se souvenir que les horoscopes, d’où qu’ils viennent, gagnent à être lus avec attention chaque matin. Au cas où. C’est pour mettre fin à cette lente glissade qu’il avait sollicité un rendez-vous auprès de la personne qu’il était sur le point de rencontrer. L’homme était un voyant, mais d’un registre extrêmement rare, pour ne pas écrire unique : il prédisait le passé. C’était une fameuse aubaine pour le pauvre Patrick S. (à l’instant où j’écris ces lignes, je ne sais plus si c’est «R.» ou «S.») de pouvoir rencontrer cet être exceptionnel. Pascale Fonteneau Lorsque la porte du cabinet du voyant s’ouvrit, Patrick S. fut frappé par la lumière éblouissante qui se dégageait de son antre. écrit par Isabelle BARY – sur base du Match d’Impro du 30 mars 2014 héophile éclata d’un rire gras. Une sorte de rugissement funèbre qui parcourut Gabriel de la tête aux pieds, comme le ferait un mauvais courant d’air. C’était comme si être un homme et commander une limonade était pour ce gros type aux idées préconçues un signe de faiblesse digne d’un esclaffement grossier. Tout en Théophile dégoûtait Gabriel, son rire vulgaire bien sûr, ses yeux plissés et jaunes aussi, puis son ventre gonflé moulé dans un maillot de corps tâché de graisse, ses bras flasques et moites, mais surtout son front étroit. La connerie, se demandait Gabriel, prend-elle si peu de place ? Ainsi, à chaque fois que le jeune homme sollicitait poliment sa boisson sucrée sans alcool, le sordide Théophile se mettait à japper. Gabriel avait beau passer commande de sa voix la plus caverneuse, planter ses yeux avec assurance dans le regard de crocodile du tenancier, rien n’arrêtait l’ouragan. L’instant suivant n’était plus qu’une infinie torture, le coucou de l’horloge ressemblait soudain à un vautour, le bruit des conversations à un massacre sanglant, les effluves de bière à un brouillard écossais, et les lampions de Noël, qui rayonnaient encore à Pâques, à des monstres de la mythologie grecque. Le rire du gros Théo se cognait aux murs graisseux de plus en plus fort, comme s’il célébrait la gloire de Zeus. Rien de plus normal quand on a un prénom qui honore les dieux antiques ! Pour finir, Gabriel n’avait que ce qu’il méritait. Personne ne l’obligeait à fréquenter ce bistro, à supporter ce rire affreux, ce sol collant de bière et de cacahouètes écrasées, ni le surnom de «ketje» dont l’ogre bruxellois l’avait affublé. P Match d’Impro 2024 - Vous êtes Patrick T. ? Articula le voyant. C’est alors qu’il leva la main en agitant mollement les doigts pour appeler Zeus qui, affalé derrière son bar, essuyait des verres à peine rincés. Dumont vs Dupont - Une bière s’il te plait, articula Gabriel avec émotion, anticipant l’éclat de rire généralisé ! écrit par Barbara Abel – sur base du Match d’Impro du 9 mars 2014 assidus, pourvu que le stylo vainque et que la page capitule. Et il finissait toujours par y arriver. Sauf aujourd’hui. - Une mousse pour le ketje, une, s’encouragea King Kong en actionnant sa tireuse à bière. - Dupont ? Le professeur esquisse un sourire satisfait. - Tu es sûr, chuchota judicieusement Théophile en posant la bière à cinq degrés sur la table de Gabriel ? - Non, là c’est Dumont. - Vous pouvez me passer Dupont ? - Nous sommes donc bien d’accord : le principal reproche que vous puissiez faire à Dumont, c’est d’être un… Dumont. - Je le veux, aboya presque Gabriel à la fois vexé et touché par la sollicitude de son bourreau ! C’est en regardant Zeus et son pas de phoque rejoindre le bar qu’il l’aperçut. Elle portait une robe jaune, suffisamment courte pour qu’on devine ses jambes fines, délicieusement galbées au niveau des mollets, suffisamment longue pour ne pas être vulgaire. Repliés sous sa chaise, ses pieds faisaient de petits mouvements délicieux qui troublaient Gabriel. Elle tournait une cuiller dans ce qui devait être une tasse de thé. Ses bras étaient fins, son cou fragile, son profil archangélique ! Gabriel but sa bière par petites goulées, sans vraiment réaliser qu’il ne s’agissait plus de sa citronnade. Il mit quelques instants à remarquer que la jeune fille restait immobile, lui laissant le loisir infini de l’observer sans être démasqué. Elle fixait un pan de mur invisible pour Gabriel. Il aurait dû se lever, parcourir la moitié du café et se retourner presque à côté d’elle pour apercevoir ce qu’elle admirait. La curiosité le démangeait. Mais la timidité le gardait cloué sur place. Il n’avait plus la moindre idée de l’œuvre cachée dans ce recoin, mais à voir le visage ébahi de la demoiselle, il supposait une merveille. Le genre de chose capable de vous dicter l’embryon d’un roman entier. Elle porta la tasse à la bouche, droite, un peu figée, comme une porteuse d’eau. Ce qu’elle dévisageait semblait l’habiter et Gabriel, un brin frustré, ne sut plus ce qu’il désirait vraiment regarder, cette jeune femme qui sans conteste lui faisait de l’effet où l’étrange mystère qu’elle dévorait des yeux. Il commanda une seconde bière. Zeus s’abstint cette fois de toute forme de mise en garde et posa la chope avec virilité entre les mains du gamin. «Bien roulée, hein ?» lui lança-t-il tout de même de son haleine chargée. Gabriel se détourna un peu pour éviter la terrible odeur, puis il ferma les yeux et serra le verre dans sa main. Que pouvait-il répondre à ça de toute façon, puisque c’était vrai ? Il ne dit donc rien, garda les paupières zippées et chercha de toutes ses forces les formes et les couleurs du tableau dissimulé. Mais son inspiration resta aussi plate qu’une limande et sa page impitoyablement blanche. Il prit une longue inspiration, cracha l’air lentement et vida son verre cul sec. Puis il ouvrit les yeux. Ça tournait un peu mais ce n’était pas le plus grave, la fille avait disparu. Gabriel posa un billet sur la table et se leva d’un bond. Chargé d’une vaillance toute neuve, il fonça tête baissée vers le poste d’observation tant convoité. Nom de Dieu ! Qu’y avait-il sur cette peinture ? Voilà qu’il blasphémait comme Zeus maintenant ! La transhumance fut plus chaotique que prévu jusqu’à la petite table carrée où trônait encore la tasse de thé. Gabriel l’atteignit tout vacillant. Et ce fut là, alors qu’il se retournait enfin pour faire face à l’objet tant convoité, que son cœur, qui déjà se prenait pour un djembé, lui remonta à la gorge. Le tableau ! Le tableau était blanc. Creux, vide, immaculé, désertique. Blanc quoi ! Comme sa page. Il éructa d’émotion, bruyamment, ce qui mit Zeus et ses compères en liesse. Qui était cette fille ? Que voyait-elle dans cette croute inhabitée? Il s’élança vers la porte. Avec un peu de chance, il pourrait la rattraper. Il lui dirait «Bonjour, je m’appelle Gabriel et j’aimerais vous offrir un thé» ou «…», bref, il se débrouillerait. Mais dehors, plus rien n’était à sa place. Ni le trottoir qui glissait à l’endroit du ciel, ni les passants qui riaient bêtement, ni les voitures qui tournaient idiotement autour de lui. Gabriel était ivre. Un comble ! Mais avant de s’écrouler de tout son long sur le macadam brûlant, son œil encore vif perçut une silhouette jaune tourner le coin de la rue lentement. Une silhouette jaune qui balayait de sa canne blanche un trottoir pour elle incertain. Quelques minutes plus tard, deux brancardiers hissaient Gabriel hilare dans l’ambulance. «Encore un alcoolo», lâcha l’un d’eux en soupirant. Mais Gabriel riait, c’était sa façon de lutter contre le sommeil, car il tenait son histoire à présent. Isabelle BARY - Je vais voir s’il est dispo. Quelques secondes d’absence. Silence. Le temps de compter jusque dix. Le professeur Markelbach patiente, il connait la procédure, quand Dumont est là, Dupont n’est jamais loin. - Bonjour professeur. Que me vaut l’honneur ? La voix est sournoise, timbre nasillard et intonation railleuse. C’est bien Dupont. - Ah, Dupont ! Ravi de vous entendre ! D’autant plus que j’ai de bonnes nouvelles pour vous ! - Des bonnes nouvelles ? ricane Dupont d’un ton narquois. Vous devez vous tromper d’interlocuteur, professeur. Les bonnes nouvelles, en général, c’est pour Dumont ! - Détrompez-vous, mon cher. C’est bien à vous que je m’adresse. Ça concerne également Dumont, mais c’est à vous que je désire l’annoncer en premier. Markelbach attend une réaction qui très vite se manifeste : un gloussement perfide, suivi d’un soupir un peu las. - Je vous écoute, professeur. Mais soyez bref, mon temps de parole est compté. - Je le sais mieux que quiconque, Dupont. Alors désensablez vos portugaises et préparez-vous à un choc. Votre… mésentente avec Dumont est toujours aussi problématique, je me trompe ? - Vous vous trompez sur le choix du terme, Markelbach : mésentente ne signifie rien. C’est de haine dont il est question ici. Le professeur ne se laisse pas démonter et enchaîne aussitôt : - Pouvez-vous me rappeler la cause de cette haine ? - Vous le savez aussi bien que moi, professeur. - J’ai besoin de vous entendre me le dire une fois encore. - A quoi jouez-vous, Markelbach ? - Faites-moi confiance, Dupont. Je vous écoute. Un second soupir, agacé cette fois. - Ça fait longtemps que les Dumont et les Dupont se détestent, grommelle Dupont. Mais là n’est pas le problème. - Vraiment ? - Je vous l’ai déjà dit, professeur : je suis au-delà des guerres ancestrales entre deux familles ennemies. Plus personne ne connaît les véritables griefs qui ont un jour opposé les Dumont aux Dupont. En revanche, ce que je ne peux admettre, c’est la suffisance et le mépris avec lesquels ce dégénéré de Dumont nous considère nous, les Dupont. - Il dit la même chose de vous. - Sans oublier cette mauvaise foi insupportable derrière laquelle il se retranche dès qu’on le met face à ses contradictions. - N’inversez pas les rôles, Markelbach. C’est lui qui ne supporte pas le fait que je sois un Dupont. - Admettons. Et si je vous disais que ce problème n’en est plus un ? - Vous croyez toujours au père Noël, professeur? Ce n’est pas sérieux… - C’est très sérieux, au contraire. Je serai bientôt en mesure de vous fournir la preuve irréfutable que les Dupont et les Dumont appartiennent en vérité à la même famille. Le silence qui suit cette déclaration est éloquent et le professeur Markelbach le savoure sans dissimuler une certaine satisfaction. - Impossible… murmure bientôt Dupont visiblement ébranlé. - Au contraire ! affirme Markelbach avec assurance. Votre ancêtre commun remonte à cinq générations, mais vous êtes tous les deux bel et bien issu de la même famille. La scission provient d’une erreur de transcription, comme ça arrivait souvent à l’époque. Un employé communal a mal retranscrit le nom de votre aïeul et le voilà rebaptisé Dupont. La branche cousine a, elle, gardé son patronyme de Dumont. - Mais alors… - Alors vous n’avez aucune raison de vous haïr comme vous le faites depuis si longtemps ! claironne le professeur sur le ton de l’évidence. Dupont se tait, abasourdi par la nouvelle. Les pensées se pressent dans son esprit, mélange d’émotions aux relents acides, chaos, incompréhension, pourquoi, déni, refus, jamais. Il fouille dans ses souvenirs, cherche la faille, fébrile, tâtonne à l’aveuglette parmi un troupeau de possibles, urgence de débusquer l’argument qui clouera le bec à cet enfoiré de Markelbach, se perd dans les recoins obscurs de sa mémoire… Trébuche sur l’évidence. - Vous en avez la preuve ? - Je vous l’apporte demain. Le professeur sourit d’un air béat. - Tout va aller beaucoup mieux maintenant, ajoute-t-il de cette voix doucereuse que Dupont crève maintenant d’envie d’entendre se casser, implorer, gémir, supplier… et s’éteindre. Quelques secondes encore de flottement, court moment suspendu dans l’apathie d’un dernier doute… - Infirmiers ! hurle soudain Dupont en tournant la tête en direction de la porte. Je veux retourner en cellule ! - Dupont… Heu Dumont ! Ne trouvez-vous pas que… - Ne m’appelez pas Dumont ! vocifère Dupont en brandissant un poing menaçant en direction du professeur. Je ne serai jamais un Dumont ! Jamais ! (Apparemment, Patrick S. s’appelait en fait Patrick T. ; mille excuses à nos lecteurs pour ce désagrément). Patrick T. opina du chef. Un chef de bureau opine toujours du chef. La salle dans laquelle le voyant l’introduisit était inondée par une lumière à mi-chemin entre les faisceaux de projecteur d’un théâtre et l’éclairage d’une boîte de nuit. La porte de la pièce s’ouvre, deux infirmiers font irruption et se dirigent vers le prisonnier. Celui-ci, fulminant, ne quitte pas Markelbach des yeux, le souffle court, les traits marqués par la haine, sinistre rictus qui alerte le professeur. A-t-il fait une erreur en inventant cette information? Il n’a pas le temps de se poser la question: les infirmiers entreprennent de détacher le détenu dont les chevilles sont enchaînées aux pieds de la chaise, elle-même solidement soudée au sol… Au moment où il se sent libéré de toute entrave, Dupont repousse violemment ses gardiens vers l’arrière et se jette sur Markelbach qui roule aussitôt à terre en poussant un cri de terreur. Le forcené l’empoigne par la tête, lui arrache ses lunettes qu’il brise dans son poing furieux, s’apprête à lui fracasser le crâne… Son geste meurtrier est très vite stoppé par les deux molosses qui, vifs comme l’éclair, ont fondu sur lui et le maîtrisent aussitôt. Et tandis qu’il hurle injures et menaces, il est emmené hors de la pièce et reconduit en cellule. Markelbach se relève, tremblant. Rajuste le désordre de sa tenue, se recoiffe de gestes fébriles. Ramasse ses lunettes brisées. Une petite femme d’allure revêche, chignon serré sur le sommet du crâne et blouse blanche immaculée apparaît alors dans l’embrasure de la porte. - On ne peut pas dire que ce soit un franc succès… - C’est à voir, soupire le professeur. Passé le premier choc, peut-être que… - Allons, Makelbach, ne niez pas l’évidence. Je vous avais mis en garde : les deux personnalités d’un schizophrène comme Dumont sont bien trop marquées. Vouloir les réconcilier par un argument aussi simpliste était une tentative vouée à l’échec. Mais bon… Vous aurez essayé. Le voyant devina sa question et anticipa sa réaction, ce qui était plutôt bon signe de la part d’un voyant. - Je reçois toujours mes clients dans cette grande salle baignée de lumière. En fait, je suis un voyant lumineux. Patrick T. voulut sortir son mégaphone pour répondre, mais il l’avait oublié. - Ce n’est pas grave, prenez ce micro ! Anticipa à nouveau le voyant. - La lumière, je comprends, articula Patrick T., mais pourquoi ces gradins remplis de public ? - Parce que ! Le coupa le voyant qui avait décidément réponse à tout. - Oui, c’est vrai, j’aurais dû y penser ! Confessa Patrick T., penaud. - Donc, vous venez pour connaître votre passé parce que vous souffrez d’un mal qui n’est ni une amnésie, ni la maladie d’Alzheimer, résuma le voyant. - C’est exact ! Vous êtes très fort. Comment savez-vous tout ça ? - Rien qu’en vous voyant, puisque je suis voyant. Et aussi parce que vous me l’avez raconté au téléphone quand vous m’avez contacté. - Ah oui, forcément. J’avais oublié. Mais qu’est-ce qui me garantit que vous allez retrouver mon passé ? Paniqua Patrick U. (a posteriori, je pense que son nom commence par un «U»). - Eux ! Tonna le voyant, en balayant la salle du bras. Patrick U. balaya, lui, la salle du regard et détecta que chaque personne installée sur les gradins autour de lui tenait, sur les genoux ou entre les mains, une pantoufle brodée. - Si mon diagnostic est mauvais ou si votre explication est lente, empruntée, voire inintéressante et vide, tout ce public n’hésitera pas à nous pantoufler, poursuivit le voyant. - Pantoufler ? - Oui, comme lapider, mais avec une pantoufle. Ou savater. Ou espadriller, si vous préférez. Tout est une question de modèle. - Alors, allons-y. Intima Patrick U. - C’est très simple. Voilà ce qui vous est arrivé. En fait, vous avez volé les deux chiens d’un cycliste que vous avez agressé. Ensuite, vous êtes rentré chez vous et vous avez tué votre femme qui vous trompait avec le voisin pendant que vous jardiniez. Complètement banal ! La cause de cette saute d’humeur anodine remonte à votre enfance, car vous êtes né en même temps qu’un frère jumeau après une grossesse d’un an et demi. Confondant de banalité, je vous dis. - Un an et demi ! Et l’accouchement n’a pas été trop douloureux ? L a première pantoufle l’atteignit à la joue, juste sous la tempe. Max termina sa phrase sans se décontenancer mais surprit une faiblesse dans sa propre voix et vit une ombre passer dans le regard du jouteur face à lui. Max avait pourtant été très drôle jusquelà; le public avait rit de nombreuses fois ce soir, grâce à lui. Il préparait d’ailleurs la prochaine répartie, entraînant son adversaire sur le bon terrain pour son gag. Ça prend quelques secondes, bien sûr ; quelques répliques sans aucun rire pour armer la situation avant de lâcher son trait et de faire à nouveau exploser la salle de rire. Mais quelques secondes, c’était sans doute trop. Du moins pour celui qui avait lancé la pantoufle. Et ceux qui n’allaient pas tarder à l’imiter. Il le savait. - Oui, j’ai arrêté de fumer. Mais j’ai été sacrément aidé ! Une autre pantoufle le frappa dans le dos. Puis deux autres le frôlèrent. - Ah Bon ? Par qui ? Le jeune jouteur de l’équipe adverse, bien qu’inexpérimenté, avait compris l’appel du pied et posé la bonne question. Max allait pouvoir sortir sa réplique, aussi brève que désopilante. - L’alcool. Mais le public ne rit pas. Il avait été distrait par les pantoufles lancées. Celles-ci avaient percé la bulle, l’imaginaire dans lequel les jouteurs de la Ligue d’Impro emmenaient le public, l’emportaient dans une histoire inventée à partir de rien… Et ça fonctionnait ! Pas facile pourtant de construire un monde en quelques mots et d’y faire entrer cinq cents personnes ! Mais le talent et la magie opéraient et les spectateurs, hilares et attentifs, restaient pendus aux lèvres des artistes. Jusqu’au jet de pantoufles, qui avait rompu le charme. Personne ne rit à la réplique qui s’était fait attendre. Elle fut suivie d’un blanc. L’effet fut catastrophique. Une pluie de pantoufles s’abattit sur les jouteurs, hués à présent. Il fallait passer outre et reprendre, vite ! Improviser n’importe quoi, recapturer le public pour lui mettre autre chose en tête que cette rage. Un jouteur de chaque équipe sauta dans l’arène. Ils étaient quatre à présent au centre du théâtre. Tant mieux se dit Max, car le jeune jouteur qui lui faisait face semblait pétrifié, comme paralysé par la tournure qu’avaient soudain prise les événements. C’était un comédien, pourtant ! Il le savait, que le public était exigeant et changeant ! Et ingrat ! On peut le faire rire toute la soirée, il exprimera son mécontentement à la moindre baisse de rythme. Les deux jouteurs descendus en renfort dans l’arène tentèrent n’importe quoi, sans s’observer du coin de l’œil pour saisir, comme par télépathie, la nouvelle direction à donner à l’histoire. L’un fit l’acuponcteur maladroit et l’autre, une fille plutôt jolie, tenta de jouer l’épouse hystérique de l’ex-fumeur devenu alcoolique. Mais rien n’y fit, ça tournait à la pantalonnade, et puis le public avait goûté au sang et ne pensait plus qu’à cela. Il lui en fallait davantage. Les huées, les cris et les pantoufles fusaient. L’arbitre siffla. Il entra en scène, ses fiches de notes dans la main tendue vers les projecteurs. Il siffla longuement et, par le geste, obtint le silence. Le jeune jouteur regarda les autres comédiens avec une lueur d’espoir. Mais les autres jouteurs restèrent impassibles. Ils savaient, eux. Max aussi savait. La pantoufle, que chaque spectateur recevait en rentrant dans la salle, venait du Canada. Là-bas, durant les matchs de hockey, les spectateurs mécontents du jeu lançaient sur la patinoire leurs « claques » , ces semelles de caoutchouc que l’on fixe sous les chaussures pour ne pas glisser sur les trottoirs enneigés. Cela obligeait les arbitres à interrompre le jeu pour faire dégager la piste. Quelqu’un eut l’idée d’apporter cette touche folklorique aux matchs de la Ligue d’Impro. Cela fonctionna bien au début ; le public manifestait sa désapprobation d’un jeu devenu barbant, ou d’une décision partiale de l’arbitre, en jetant sa pantoufle sur le sol de la piste. Max, comme tous les comédiens et une bonne partie du public, désapprouva cette pratique. Un jet de pantoufle ne permettait pas à une improvisation de s’améliorer, au contraire. Elle décontenançait le jouteur, le dissuadait de prendre le temps de bâtir un meilleur scénario, ou d’être audacieux, de provoquer, de déranger et donc d’émouvoir le spectateur, notamment par une improvisation dramatique. Le public obligeait ainsi le joueur à plaire vite et au plus grand nombre. Pour Max, la pantoufle détruisait l’innovation et la profondeur. Et souvent, elle ne représentait pas l’avis de la majorité du public qui appréciait la performance d’un comédien. Elle permettait juste à une petite minorité de perturber une improvisation. Max voyait la pantoufle comme une dictature d’une minorité, un objet destructeur de talent. Il n’avait encore rien vu. On ne mit pas fin au lancer de pantoufle. Au contraire même ; dans les années 2010, un public plus jeune, peut-être moins éduqué, exploita cette liberté à d’autres fins : un jouteur Je m’appelle Anne-Laure, j’ai 7 ans, et je vais vous raconter mon histoire extraordinaire, parce que, si elle n’était pas extraordinaire, je ne la raconterais pas. C e matin, très très tôt, vers 10h30, j’ai ouvert la fenêtre parce que c’est l’été, et que maman elle dit toujours : «Quand c’est l’été, on ouvre la fenêtre. » Sauf que quand j’ai ouvert, j’ai reçu de la pluie et du vent sur la tête, alors j’ai refermé. Trop vite. Vu qu’au moment où je fermais, il y a trois fées qui voulaient entrer en volant. Trois fées, je le jure sur ma tête. Pan ! La fenêtre sur leur nez. Je les ai vues prendre des formes d’écrabouillées, elles étaient tordues, et elles louchaient, et elles ont glissé lentement sur la fenêtre en laissant des traces de limaces, puis elles ont disparu. Non, elles n’ont pas vraiment disparu, elles sont tombées, et ma chambre est au deuxième étage. Je suis vite descendue, mais pas par la fenêtre, par l’escalier, sinon j’aurais eu trop mal presque partout. J’ai vu les fées au pied du mur, et il y en a une, la rouge, elle a dit d’une voix qui a des dents cassées : - F’est comme fa que vous vaccueillez les fées, dans fon pays ! -Je m’efcuse, j’ai répondu en rigolant. Ve l’ai pas fait efprès. - Un vélo ? - Ah non, vous n’allez pas vous disputer ! Et la troisième a dit : - Oui, le vélo, c’est comme la natation, il vaut mieux apprendre très jeune. - Ne jetez pas de conclusions trop hâtives. Sa réaction fut… violente, j’en conviens. Mais peut-être que l’idée fera son chemin dans les méandres de son esprit malade et que ses deux personnalités pourront, sinon s’entendre, du moins cohabiter enfin… - Oh toi, l’arbitre ! ont grogné les deux autres. - Et comment savez-vous tout ça ? Je les ai rincées dans l’évier, et j’ai mis du rouge sur un bobo de la verte, qui a dit «aïe». Alors celle qui était blanche et noire comme un petit zèbre, elle est montée sur mon épaule, et elle m’a chuchoté dessus : La femme esquisse une moue dubitative. - Logique, en effet. Mais vous avez la preuve de ce que vous avancez ? - Il semble en effet que vous croyiez au Père Noël, professeur. - Oui, dans ma boule de cristal. - Attendons quelques jours. Nous verrons bien s’il y a une évolution. Tenez-moi au courant s’il y avait le moindre changement dans son comportement. - Oui. Le cocufiage pour tous, ça s’appelle. Qui dit «mariage pour tous» dit évidemment «cocufiage pour tous». Logique ! Patrick V. (j’en suis sûr maintenant, la mémoire me revient, son nom commençait par «V») fit le tour de la table transparente du voyant (à moins qu’il n’y eut pas de table) et examina la boule du voyant, transparente aussi (à moins qu’il n’y en eut pas non plus). Tous les passages de sa vie décrits par le voyant défilèrent à l’accéléré sous ses yeux. - Ça alors ! S’exclama Patrick V. - Comme vous voulez. - Ahurissant, hein ! Le professeur Markelbach eut rapidement des nouvelles de son patient. Quelques heures plus tard, il fut découvert dans sa cellule capitonnée, exsangue, allongé dans une mare de sang, un bris de verre de lunette planté dans sa trachée. Dupont avait tenu parole : il ne serait jamais un Dumont. - Oui, je retrouve enfin ces instants si émouvants que le traumatisme m’avait fait oublier. Barbara Abel - C’est le but ! - Quand je raconterai ça à mes collègues des chemins de fer, ça les laissera sans voie. Son interlocuteur n’eut pas l’occasion de lui répondre. Un énorme coup de sifflet coupa leur conversation. Un tonnerre d’applaudissements roula autour d’eux, marquant le succès du travail d’exhumation du passé. Une musique assourdissante démarra. Patrick W. (de sa vraie initiale) se dressa, fier et soulagé. Il s’approcha du voyant pour le serrer dans ses bras. Il n’en eut pas l’occasion. Le voyant lumineux venait de s’éteindre. Pour toujours ! La suite, je ne m’en souviens plus… Dominique Watrin Max savait qu’à cet instant, c’était cela que le public attendait. L’arrêt du match par l’arbitre obligeait les jouteurs à rester en place ; cela permettait aux spectateurs «Privilège» d’ajuster leur tir. Un coup retentit, tout le monde sursauta et des cris de surprise jaillirent du public, mêlés à quelques « aaah ! » de satisfaction. Le premier projectile toucha le jeune jouteur qui faisait face à Max au genou, il fut fauché brutalement et tomba sur le sol de la scène ou il hurla de douleur en tenant son genou sans doute brisé. Les applaudissements crépitèrent. Il fut étendu sur un brancard et, pendant son évacuation, reçut encore quelques pantoufles. Un deuxième tir de Flash-Ball toucha l’épouse hystérique dans le dos. Elle poussa un cri rauque comme si ses poumons avaient expulsé d’un coup tout l’air qu’ils contenaient ; elle tomba à genoux et, mains sur la poitrine et yeux grands ouverts, semblait incapable de reprendre son souffle. - Houuuuuu ! Ta gueule ! vociféra le public ; quelques pantoufles volèrent en direction de l’arbitre. - Etes-vous tous débiles ? protesta un spectateur plus âgé. Laissez ces artistes jouer ! Laissez-leur une chance de jouer ! - Houuuuuu ! Ta gueule ! vociféra le public ; quelques pantoufles volèrent en direction du protestataire. L’arbitre, les deux bras levés, se plaça au milieu de la scène. La comédienne touchée au dos s’écroula à ses pieds. De sa bouche s’écoula un peu de sang rose et mousseux. Les brancardiers revinrent et l’évacuèrent également. - J’entends votre mécontentement, cria l’arbitre au public. S’il y a un jouteur qui n’est pas à la hauteur, il faut trouver lequel, et suivre les règles du jeu ! - Oui ! Oui ! Les règles ! Votons !!! cria le public surexcité. - Est-ce lui ? demanda l’arbitre, accompagnant sa question d’un geste théâtral pour désigner le comédien entré en scène pour jouer l’acuponcteur maladroit. L’immense majorité du public montra la face bleue du petit carton. - Je vois beaucoup de bleu… ça veut donc dire non. Alors… Est-ce… L’arbitre se tourna vers Max, et pointa vers lui sa main crispée sur ses fiches. - … Lui ? - Ouiii !!! hurla le public en exhibant, pour une grosse majorité, la face rouge de leur carton. - Alors, dit l’arbitre en quittant la scène à reculons, lentement, d’un pas de sénateur romain, alors, rendez-lui justice ! Max se retrouva seul au milieu de la scène. Une musique retentit, un jingle qu’il détestait. L’éclairage changea, le public tapait des mains et des pieds. La musique s’arrêta d’un coup. Max baissa la tête. À ses pieds il vit une pantoufle, tachée d’un peu du sang perdu par sa collègue. Les Flash-Ball tonnèrent comme une rafale. Touché aux jambes, au torse, à la nuque, à la tête, à l’œil, Max s’effondra. Le public siffla, se leva pour applaudir, continua à hurler. Les brancardiers essoufflés réapparurent, et l’on passa de la musique tandis que la scène était entièrement nettoyée. La soirée n’était pas finie, il restait des jouteurs, et le public était chaud pour d’autres improvisations. Le spectateur âgé regarda sa montre, se leva et s’en alla. Philippe Graton - S’il vous plaît, s’il vous plaît, je vous en prie ! cria l’arbitre pour calmer le jeu. Je dois dé- (Pour Anne-Laure) écrit par Luc Baba – sur base du Match d’Impro pour enfants du 2 mars 2014 - Elle a pas fait exprès ! a crié la verte ! - Ah bon ! Un peu avant 2020, le public plus fortuné qui payait cher son abonnement «Privilège» pour avoir le droit d’être assis plus confortablement, d’arriver après le début du spectacle et de se faire servir des boissons pendant le match, le tout sous un éclairage permettant d’être admiré et envié du public populaire, se plaignit d’être trop loin pour lancer sa pantoufle avec précision. On pensa satisfaire ces spectateurs aisés en leur donnant à chacun dix pantoufles au lieu d’une, mais ça les encombrait sans les rendre plus adroits. Pour ne pas décevoir cette clientèle qui garantissait, à elle seule, la moitié des recettes de chaque soirée, on mit à leur disposition, dès 2017, des FlashBall. Ces espèces de fusils en plastique noir, gros et courts, ne lançaient pas de pantoufles mais de grosses balles en caoutchouc. Comme le vantait la publicité pour l’abonnement «Privilège», « le Flash-Ball possède la puissance d’arrêt d’un 38 Spécial. Grâce à des projectiles étudiés pour éviter la pénétration sur un individu normalement vêtu, il provoque à l’impact l’équivalent d’un KO technique ». Les privilégiés furent ravis. Mille fois mieux qu’avec une pantoufle ou une tomate pourrie, on pouvait envoyer au tapis un comédien ou un arbitre à plus de quinze mètres, sans le tuer. C’était très rigolo, mais mieux valait attendre et viser juste, car on n’avait droit qu’à une seule cartouche par soirée. terminer s’il y a eu faute ou insuffisance, et rendre ma décision ! Papa perdu - Non, ça s’est bien déroulé. Y a juste le vélo qui a eu un peu plus de mal à passer. Mais on ne fait pas de péridurale pour si peu. - Je suis le mari de l’amant de votre femme ! dont la tête ne lui revenait pas, un exercice de tir entre copains, un substitut à la «zappette» du téléviseur. La cible n’était plus le sol de la piste mais la tête de quelqu’un. Ils plièrent les pantoufles en rentrant le talon dans la partie avant, améliorant ainsi l’aérodynamisme du projectile, et ça se mit à canarder comme dans un jeu vidéo. Cette fois encore, on laissa faire. - C’est vrai qu’on a connu mieux, comme accueil. - Je m’excuse. Bienvenue dans notre monde. Je vous attendais depuis tant d’années ! - Tu as sept ans… - Ben oui, mais c’est déjà tant d’années, même qu’on a déjà déménagé une fois, à cause de papa qui a fouillé les armoires, et qui a trouvé un petit monsieur dedans. Et je crois que c’était une armoire magique, parce que le lendemain, papa et le petit monsieur, ils avaient disparu tous les deux. - Tu veux dire que tu n’as plus de papa ? a demandé la verte. - Ouais. - Alors la rouge, elle a dit : - Je crois que je comprends pourquoi nous devions venir ici. On a toujours une mission. Et là, à mon avis, la mission, c’est te trouver un nouveau papa. - Mais oui, mais le premier, je l’aimais bien, déjà, il me faisait rigoler en imitant Nora l’exploratrice, les lapins et les fous. - A propos d’exploratrice, a dit la verte, si on se mettait en chemin. Il y a un château sur la colline, où se réfugient des papas perdus. - C’est comme un magasin ? - Oui. Et c’est les soldes… Là, j’ai réfléchi tellement fort que j’avais les yeux tout pliés, et un peu mal à la tête. Puis j’ai dit : J’ai ouvert la fenêtre, il ne pleuvait presque plus, juste quelques larmes de crocodile. Elles m’ont dit au revoir sans bien comprendre, à mon avis. Oui, c’est un petit avis de sept ans, mais c’est le mien. Et elles ont volé très loin dans un rayon de soleil qui faisait de la vapeur dans les arbres. Alors j’ai crié aussi fort que j’ai pu : - C’est cool que vous existez ! C’est trop cool ! Et là, j’ai pleuré je me demande pourquoi, et j’ai couru jusqu’à maman qui m’a dit : - Non, ça va. - Ça ne va pas, ma princesse ? Et les fées m’ont regardée en se demandant à quoi elles allaient bien pouvoir servir maintenant que je disais non, ça va. Parce que maman, même si elle est un petit peu vieille, elle croit encore que ça existe, les princesses. - Pourquoi ? a demandé la zèbrette. - Parce que c’était en même temps l’amoureux de maman, alors il faudrait qu’on choisisse le même, sauf que les mamans, elles ne peuvent pas voir les fées ; donc non, ça va. Elles se sont tues encore plus fort, elles ont réfléchi aussi, avec un doigt sur la bouche, puis la verte a dit : - D’accord. Mais on peut quand même réaliser un vœu, oui ? Comme ça, on ne sera pas venues pour rien. J’ai souri en me balançant, et j’ai murmuré tout près d’elles : - Je crois que c’est déjà réalisé, parce que mon vœu, depuis que maman me raconte des histoires, c’est que ce ne soit pas tout à fait des histoires. Luc Baba écrit par Luc Baba – sur base du Match d’Impro interdit aux moins de 18 ans du 2 mars écrit par Pierre HAZETTE – sur base du Match d’Impro du 17 mars 2014 Killbill – part 1 Killbill – part 2 Killbill – part 3 J’écrivais au guéridon, sous un masque blanc à gueule ouverte. Au bar fumaient des hommes lourds, et une femme aux cheveux ou blonds, ou teints. Elle parlait un mélange de français avec l’accent de Bruxelles, et de flamand avec un accent liégeois. Francine coulissa jusqu’au bar, où le patron semblait deviner la suite de la nuit dans le nombre de bouteilles vides. Elle revint en balançant sa géométrie comme une barque, posa les verres sur la table mouillée comme le fond de la barque susdite. Je remontai avant elle, et retrouvai ma chaise. Manquaient les trois veaux, et mon manuscrit. Ça me versa du plomb dans la poitrine. Elle frôlait la quarantaine et les braguettes, en cherchant à imiter le faciès du masque, et je prétendais écrire en écoutant ses miaulements. Quand elle disait un mot de ceux que les gosses devraient chercher au dictionnaire, elle donnait de la voix : - J’ai envie, dit-elle. Het is te veel. I go to the toilet. You come ? Salaud. - C’est con… c’est constitutionnel, hein, mon chou ? Les trois mecs osaient des jeux de mots avec moule et saucisse, et plus ils postillonnaient de calembours, plus elle fantasmait sur ma plume. Elle s’écria en me regardant : - La musique is goed. Heel goed ! C’était la BO de Kill Bill. Elle se tortilla sur le damier de la taverne, les doigts dirigés vers les seins de son T-shirt, où Marge Simpson se dandinait mieux qu’elle. Les triplés baissaient les yeux, et le reste. Elle s’approcha de moi, Marge en avant. - Parle français ? demanda-t-elle. - English. A l’entrée du hall, elle signa dans l’air quelques gestes appuyés, touillant de la langue entre ses dents pour que je cède. - Je m’appelle Francine. - Fwançaïne. - Ils ont pris ton texte, conclut-elle. Wat de fuck ! Les gros cons, quel ostracisme ! Hein ? - Oh yes ! cria-t-elle sans accent pendant que je plongeais le doigt mouillé dans son anus. Salaud ! Comment t’as su ? Wat de fuck ! - Bye, Frankie! - Comme quoi, dit-elle en s’appuyant au mur tagué, on peut prendre une femme par derrière même en la prenant par devant. Si mon mari comprenait ça, je serais pas obligée de me taper des mecs dans ce bar. Je sais même pas comment on dit sodomiser en anglais, putain. Sodomaïz mi ! risqua-t-elle. - C’était trop court, c’était agréable mais c’est toujours trop court. - Pardon ? Francine revint s’assoir en face de moi, vida son verre trop goulument, puis elle observa le guéridon pendant quelques secondes, le bar, le guéridon. Collant. Mouillé. Gras. Comme une barque. Je me levai pour partir, et le patron me salua d’un signe de tête sournois. Je lançai un regard à la gueule ouverte du masque. On lui avait pris son texte, aussi. Je lui souris tendrement avant de me laver les mains, lui tournant le dos. Alors elle vint se serrer contre moi. Là, elle frôla l’orgasme. - Les fils de pute. Je la rejoignis, la poussai dans un cabinet pour dames, m’agenouillai, soulevai sa jupe sous laquelle ne courait pas un fil de soie, et je touillai de l’index entre ses lèvres épatées. Quelques effleurements du point de la langue et de lents va-et-vient du doigt suffirent à la faire jouir et tousser dans son coude. - Bye, salaud. Je t’emmerde. Avant de regagner seul ma chambre d’hôtel, j’arpentai la digue et ses parfums de femme, quand un ressac de désir la traverse, et qu’elle est nue, et qu’elle se donne à la bouche, que son ventre est la vague porteuse du sel qui donne l’envie, quand l’horizon est une courbe où le soleil fond, que sa bouche à elle écume et te promet le large, et qu’il te restera le souvenir d’un souffle, et cette putain de poésie. La grande gueule de la poésie. Le masque. Mes notes flottaient sans doute dans l’eau noire, entre les mouettes assoupies. C’était bien comme ça. C’était bien. Luc Baba Comme je prétendais ne pas comprendre, elle ajouta : - Call me Fwankie ! - Fwankie ? - Yes. - Call me Bill. - Ok, Bill. Et donc, mon Bill, si je te parle, tu comprends rien du tout, alors? A vais-je trop bu de ti-punch, ce soir-là? Il faut dire que sous les tropiques les soirées froides sont plus chaudes que nos nuits estivales. Il faut dire aussi que des voisins étaient venus nous raconter leur sortie en mer et que, tout en se grattant là où les moustiques s’étaient régalés quelques heures plus tôt, ils avaient allongé le récit, l’œil fixé sur la deuxième bouteille dont le niveau baissait au point de faire trembler le dernier flacon en attente dans la porte du frigidaire. Leur journée avait commencé aux premières lueurs de l’aube. Ils étaient partis dans une pirogue cap à l’ouest. La mer était agitée. La pirogue tanguait au point que sa lanterne risquait de se fracasser. Le piroguier l’avait éteinte et le bateau piquait du nez pour se relever presque à la verticale. Enfin …à la verticale: c’est un propos de pêcheur. Il faut croire qu’ils sont tous passés par les cours du soir à Marseille. Peuchère ! Je le savais : avec eux, une histoire n’est jamais simple. Il faut qu’ils en rajoutent. Il faut peut-être que je vous les présente : il y a d’abord Jean-Michel-le Parisien. Il est inévitable de commencer par lui. C’est un Sénégaulois. (Vous ai-je dit que l’histoire a pour cadre une station balnéaire du Sénégal, accolée à un port de pêche sur la Petite Côte, à Saly, très précisément ?). Un Sénégaulois, c’est un individu hybride : il ne sait plus trop s’il est le produit de son histoire du nord de la Méditerranée ou s’il est définitivement fasciné par les marabouts, les rondeurs des femmes africaines ou la fidélité du soleil aux rendez-vous matinaux. Il y a aussi Marc, un dessinateur talentueux de BD, donc un Belge. Il n’y a qu’en Belgique que la BD atteint les sommets de l’art graphique. Et puis, il y a Paul, un autre Belge qui vient quand l’agenda politique le lui permet rechercher les moments exquis de l’existence, notamment en savourant les plats du restaurant de Lucie, son épouse. Enfin, pour compléter le tableau, Fédérico -on l’appelle Freddy-, mais c’est un peu dommage de sacrifier les sonorités de l’espagnol aux banalités d’un diminutif anglo-saxon. Bref, ils sont venus nous raconter leurs exploits du jour : ils sont fatigués et ils ont soif : l’air marin doit avoir déposé une couche de sel particulièrement résistante dans leurs gosiers en pente. Et pour la fatigue, les explications sont doubles. Une tentative de cambriolage a réveillé les résidents la nuit dernière. Deux malfrats ont escaladé le mur d’enceinte de la copropriété et, dénoncés par les gardiens de la résidence voisine, ils ont été traqués sous les cocotiers, les palmiers, les baobabs avant de disparaître dans un vide ventilé. Un gardien à l’oreille particulièrement alerte les dénicha au bruit que font les claquements de dents des gens apeurés. On les arracha de leur refuge à grands cris et moulinets de machettes. Il était près de deux heures du matin. Nos quatre toubabs -c’est ainsi qu’on appelle les blancs- ont peu dormi, car Bibi, le piroguier, ami de Paul, les attendait au ponton à six heures. Ils étaient au rendez-vous, bâillant et étirant leurs muscles, commentant la justice expéditive des Sénégalais encore nombreux dans la rue malgré l’heure tardive de la tentative de vol. C’était à qui administrerait aux cambrioleurs le coup de poing ou de pied le plus douloureux. On y allait même avec le plat de la machette. Avec le plat, seulement, car on ne se risquait pas à encourir les foudres de la police si le sang se mettait à couler. - Pardon ? - Si je te dis vas-y mets-moi un doigt dans le cul, par exemple, tu not understand ! - Exactly. - J’ad-doooore ! I go to the toilet. Come with me. Je lui montrai mon verre vide, puis le bar, où les trois fanaient sur pied. - One beer, Fwankie. Et donc, les quatre compères tout entiers accaparés par les souvenirs de la nuit, ne voyaient pas la mine inquiète de Bibi. - Oh, j’ad-doooore ! - «Hé, les toubabs, vous croyez que cela va aller?» Je fermai mon cahier, parce qu’elle y penchait son regard décousu. Elle n’a pas eu le temps de lire la première phrase : « La timidité du monde ne se cache pas dans les pierres.» Ils regardèrent le piroguier avec étonnement: que lui arrivait-il? - «Ma pirogue est mon seul bien. Je ne tiens pas à le perdre pour une partie de pêche. Et en passant, je ne voudrais pas annoncer à vos nanas qu’elles sont veuves, même si parfois elles en ont marre de vous.» Il partit d’un grand éclat de rire, et enchaîna en leur affirmant que la mer était grosse mais que la météo était rassurante pour les heures à venir. Les pêcheurs se consultèrent et décidèrent de tenter l’aventure des «petites secoues» comme on dit là-bas. Et des «petites secoues», ils en ont encaissées, quelque grandes aussi. Mais la météo avait dit vrai: l’océan se calma et les poissons se pressèrent sur les appâts. Le jour des oiseaux Aussi, ce soir-là, Rose, notre cordon bleu maison, une trentenaire résolument sénégalaise, aussi célibataire qu’elle est noire de peau, eut à préparer une carpe rouge. Elle la présenta dans une croute de sel qu’elle cassa devant mon épouse, Claudine , nos voisins et amis pêcheurs et moi, déjà fort occupés par le Chardonnay de chez Bouchard, qui disparaissait aussitôt qu’il touchait la table. On termina le repas en retrouvant à la demande unanime le ti-punch dont nous partageons, Rose et moi, le secret de fabrication. Les No uvelles A vrai dire, je devrais peut-être préciser que ce ti-punch maison a lui aussi une histoire : nous l’avons créé après maintes tentatives de recettes et donc, maintes dégustations, avec Jean-Pierre, un touriste bruxellois, et Jean, un préfet des études jodoignois en visite au Sénégal. Au terme de nos recherches, nous avons appelé notre mixture «Le walbruzat». Jean se reconnaissait dans la première syllabe: il est wallon et Jean-Pierre paraissait à l’aise de constater que Bruxelles n’était pas oubliée. Quant à la troisième syllabe, il faut chercher chez nos voisins flamands quel sens ces trois lettres peuvent avoir. de l’Im p r o Si vous consultez le dictionnaire, vous découvrirez que zat signifie «ivre, saoul». Le suffixe germanique de notre ti-punch débaptisé «walbruzat» s’expliquait parfaitement en fin de soirée. Certes, Rose avait bien observé que notre état justifierait quelques petits cafés bien serrés et elle avait résisté à ceux -il y en eut !- qui réclamèrent un Irish coffee, sous prétexte qu’on était le jour de la Saint-Patrick. Je ne sais plus comment, sur quel propos, la dispute commença. Paul avait raconté une histoire salace: un gars qui cherchait un moment de jouissance dans une ruelle aussi mal famée que mal éclairée, l’attention se portant vers les vitrines où s’exposaient des jambes, des cuisses, des seins sous des dentelles qui ne demandaient qu’à se volatiliser. La fille avait prévenu son client: A Les auteurs : u cours de la saison 2014, la Ligue d’Improvisation Belge a invité neuf auteurs à assister à un Match d’Impro, en leur lançant le défi d’écrire en trois jours une nouvelle tirée du Match. «Je regrette: je n’ai plus de clitoris» et le type avait répondu: «Ce n’est rien, je prendrai une Jupiler !» Sur ce, Jean-Michel, soucieux comme à son habitude de préserver non seulement la bienséance, mais attaché à une forme d’élégance qu’il pratique en toutes circonstances, enchaîna sur une histoire moins corsée et il cita Sacha Guitry : «Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier». Barbara Abel Barbara Abel est née en 1969. Son premier roman, L’instinct Maternel, lui vaut de recevoir le prix Cognac tandis qu’Un bel âge pour mourir a fait l’objet d’une adaptation à la télé. Barbara Abel, Luc Baba, Isabelle Bary, Xavier Deutsch, Pascale Fonteneau, Philippe Graton, Pierre Hazette, Ariane Lefort et Dominique Watrin se sont prêtés au jeu et, leur imagination rebondissant sur celle du spectacle, ont livré 10 nouvelles surprenantes, variées, inattendues, absurdes, poétiques, intimes ou épiques. Et là, la dispute s’enclencha : Fédérico prétendit que cette observation pleine de sous-entendus -pour les gens qui ne vivent pas en appartement, ni en bungalow évidemment-, était, non de Guitry, mais de Clémenceau. A première vue, la vraisemblance était du côté du Français, mais avec tout ce qui se passe au sommet de la République, le scooter de Hollande et les amours tumultueuses de Sarkozy faisaient planer un doute que Google ne put dissiper: nous étions en panne de Wifi. On se quitta donc réconciliés car les gens éméchés, s’ils sont prompts à prendre la mouche, sont aussi prêts à retrouver leurs éclats de rire à la moindre occasion. Durant la Fureur de Lire, les comédiens de la Ligue d’Impro s’emparent de ces textes pour vous proposer des interprétations lues et jouées en direct dans les bibliothèques de Namur (09/10 à 18h30), d’Ixelles (10/10 à 18h30) et dans le Grand Curtius de Liège (12/10 à 15h00). Voici les textes qui servent de base à leurs libres interprétations. Or donc, après leur départ, je me mis au lit en me demandant si je n’avais pas un peu forcé sur le «walbruzat». Je ne me le demandai pas longtemps car je sombrai aussitôt dans un sommeil profond, qui se peupla bientôt d’étranges personnages. Un petit garçon de quatre ou cinq ans, aux cheveux blonds comme les blés, jouait avec des soldats de plomb, devant une maison basse, que je reconnus. C’est ma maison natale ! Serait-ce moi, enfant ? Mon Dieu, il y a si longtemps. Et cette femme qui s’approche de moi et me prends par la main, elle porte une longue jupe noire, elle a, dans l’autre main, l’anse d’un seau galvanisé. Qui est-elle ? Nous contournons la maison. Une porte est ouverte dans le pignon. Une odeur forte se dégage. Une vache tourne lentement la tête vers nous et de ses yeux globuleux, nous observe, placide ; elle donne l’impression de mâcher du chewing-gum. Le mot me revient à l’esprit : la vache rumine. Elle a ça pour elle, la vache : elle rumine, comme le cheval hennit ou le chat ronronne ou le chien aboie. Elle rumine, indifférente au fait que ma grand-mère… Mon Dieu, je l’ai reconnue. La femme à la longue jupe noire est ma grand-mère, décédée il y a plus de soixante ans !!! Ma grand-mère, donc, s’empare d’un tabouret. Et voilà que, s’asseyant à côté de l’animal, elle approche une main décidée d’une poche volumineuse qui encombre le bas ventre de la vache, juste devant ses pattes arrière, se saisit des mamelles de l’animal, les tritures et fait tomber un lait fumant et écumant dans le seau qu’elle a calé entre ses jambes. Dernier titre paru : Derrière la haine, Paris, Poche, 2013 ©Fabienne Cressen Luc Baba Luc Baba est auteur d’une vingtaine d’ouvrages : romans, poésie, livres pour enfants. Egalement homme de scène, il a chanté Brassens, Brel, et Ferré. www.fureurdelire.be Son premier roman fut récompensé par le Prix pages d’Or. Titre à paraître : Elephant Island, Paris, Belfond, 2015 Bonnes lectures. Info : www.ligueimpro.be - [email protected] 0471/68.11.11 Le seau est vite rempli. Ma grand-mère le rapporte à la cuisine, pose le lait sur la table et remplit une tasse de ce liquide chaud encore de la chaleur animale. Je me souviens du rituel quotidien. Je me rappelle même qu’en wallon ce lait que je bois se dit «tchô modou», en français chaud après la traite. Et pendant que je bois le breuvage survitaminé, mes regards se portent vers la fenêtre. Philippe Graton Isabelle Bary Il y a derrière la vitre deux grands yeux écarquillés. Un enfant noir me regarde fixement. Avidement et pourtant amicalement. Il me sourit, mais son sourire est comme une blessure. Photojournaliste, Philippe Graton s’est toujours investi dans les aventures de Michel Vaillant. En 1994, il signe son premier scénario avec La Piste de Jade et crée la collection «Les Dossiers Michel Vaillant». Isabelle Bary est née à Bruxelles en 1968. Ingénieur commercial, Isabelle Bary commence à publier en 2005. Pierre HAZETTE Dernier titre paru : Michel Vaillant, nouvelle saison, Liaison dangereuse, tome 3, Marcinelle, Dupuis, 2014 Dernier titre paru : Zebraska, Avin, Luce Wilquin, 2014 écrit par Xavier Deutsch – sur base du Match d’Impro du 26 janvier 2014 ertains jours sont à chiens : on croise un labrador pelé sur le seuil d’une église, puis un corniaud qui, courant le long d’une palissade, vous regarde en prenant le risque de se cogner au pied d’un lampadaire. Une heure plus tard, c’est un border collie accroupi à la porte d’une bergerie, et l’on se dit que, même si ça ne comporte aucun sens apparent, il doit exister une histoire tracée entre les constellations pour faire s’aligner des chiens au long de votre journée. Il y a des jours à chiens, à femmes rousses, des jours à ciel brun. Ce jeudi était le jour des oiseaux et ça n’avait pas de sens apparent pour Louis, le gars qui descendait la rivière sur une barque peinte en noir, avec une ligne bleue sur l’étrave. Il avait décroché l’amarre avant l’aube. Il habitait un patelin dans les collines, traversé par la rivière, et ça n’avait pas pris des heures. Une cloche avait sonné quelque part, Louis s’était levé de sa paillasse et, sans bruit, s’était chauffé du café. Puis il était sorti de sa cabane pour marcher dix-sept pas et s’était retrouvé devant la rivière et les ténèbres. Il avait entendu le premier oiseau avant de le voir : une corneille qui devait avoir trouvé un coin de lumière. Il avait décroché l’amarre et la rivière avait fait le reste. Il faisait froid, d’un froid solide et pénétrant. D’un froid qui tombait des collines autant qu’il remontait de la rivière. Ça n’avait pas d’importance. Louis portait le chandail de laine et le pantalon de toile dans lesquels il avait dormi, et des bottines. C’était suffisant et, de toute façon, il ne pensait pas à ces choses. Il descendait à présent le courant. Il était assis comme ça, sur le banc de nage, et tenait ses rames comme on pose la main sur l’échine d’un âne, sans appuyer. Le crépuscule du matin avait fini par apparaître et la rivière était brune, et grosse des eaux de mars qui emportaient les carcasses de l’hiver, et tout ce que l’hiver avait gardé sous lui, toute la terre neigeuse et les aiguilles de sapin. Des racines de saule, des souches même flottaient comme des cadavres de bêtes grises que le dégel aurait surprises au sortir du terrier. L’eau, d’ailleurs, sentait l’humus et la charogne et ce n’était pas désagréable. Le courant suffisait à emporter la barque et Louis ne ramait pas vraiment, il se contentait de tremper une rame d’un côté pour rectifier sa trajectoire, ou de l’autre, il faisait confiance à sa rivière. C’était un gars simple, taillé d’une pièce et d’une seule dans un tronc de frêne. Il regardait surtout les bernaches dans le ciel vitreux, qui remontaient vers la baie, au nord, après avoir hiverné sur un littoral dont il n’avait aucune idée. Puis une pie était venue se poser sur la tête de l’étrave. Une étrangeté : la pie ne possède pas le moindre chromosome de sociabilité, mais Louis ne s’en faisait pas une histoire. Il regarda la pie aussi longtemps qu’elle voulut demeurer sur la tête de l’étrave, comme une petite figure de proue tournée vers la vallée. C’était une assez jolie chose finalement que cet oiseau perché sur ce poing de bois. Il arrivait à Louis d’être sensible à la joliesse de ce qu’il rencontrait. Il n’en faisait pas un présage, il n’en faisait le signe de rien. S’il possédait à un certain degré le sens de la beauté, comme tout le personnel forestier, il était étranger à ces jardins spirituels où les femmes lisent des significations. Dans un choucas volant de la droite vers la gauche, une femme voit l’avenir de son enfant ; Louis ne trouvait rien d’autre à y regarder qu’un choucas volant de la droite vers la gauche. Et, dans une rivière, il considérait une rivière. Celle-ci en valait une autre, qui descendait vers le fond du pays. Elle traversa une province, et ce fut midi. La pie était restée. Elle agitait de temps en temps ses ailes comme sous l’impulsion de s’envoler puis renonçait et demeurait sur ce bout de bois peint qui devait avoir de quoi lui plaire. On ne pénètre pas les raisons qui font agir une pie. Louis avait une conception personnelle de la rivière. Et de l’existence : il faut connaître la science de placer sa barque au bon endroit, le flux s’occupe du reste. La rivière est une vaste corde attachée à la barque de Louis : quelque part en aval, une main la tire. Tout le jour, ils franchirent (Louis, la barque et la pie) des pays grisâtres, des lieux semés de pâturages et de forêts. L’hiver avait cuit l’herbe qui dessinait des plaques rousses qu’on ne verrait pas se redresser avant le mois d’avril et des pelotons de corneilles venaient y brouter. Tout ça n’était pas drôle. On rencontra la muraille d’une prison, une usine de papier. On traversa d’autres villages encore où semblait ne vivre personne. Des fermes silencieuses, des églises noires. Le vent maraudait comme un renard cinglé, il se glissait dans les sillons et ramonait les crevasses pour y soulever des poussières à manger. C’était assez malpropre mais Louis ne regardait pas la poussière que poursuivait le vent. Il y eut un endroit où la rivière s’élargissait et passait entre deux collines. Sur une rive se tenait un petit homme dépenaillé qui vivait là-haut et qui en était descendu. Il s’adressait à un autre homme, aussi petit que lui, également hirsute, mais pas de la même façon, qui occupait la rive opposée. Le premier homme était un bûcheron qui travaillait sur la tête de l’une des deux collines, et l’autre petit homme était un anachorète qui consacrait, sur l’autre colline, ses longues journées à la prière, à la méditation transcendantale, au jeûne, et qui ne paraissait pas bien se porter. Ils s’apostrophaient tous les deux, d’une rive à l’autre, au sujet d’un contentieux qui devait les absorber fort et que Louis ne comprit pas. Il passa sur sa barque, entre ces deux petits hommes, comme s’il coupait un fil qui devait les relier. Alors la pie tourna sa tête vers l’homme de droite, le bûcheron, et elle s’envola vers lui. Louis se retrouva seul sur sa barque et ce fut une bonne chose. Il n’aimait pas avoir de la compagnie trop longtemps. D’ailleurs la rivière s’élargissait encore et devenait un estuaire, car elle avait recueilli de nombreuses autres rivières. On eût pensé que la rivière était un homme qui en avait rejoint de nombreux autres allant sur la même route au point qu’une foule s’était formée. Oh ! la rivière était large à présent, et ses flots semblaient amollis. Le courant se faisait à la fois plus puissant, et plus doux. Il était comme un feulement sous la barque de Louis. Les branchages et les souches, et les bêtes mortes qui avaient flotté auprès de lui parfois depuis les collines, se faisaient plus rares et l’eau brune tendait vers le beige comme du café au lait qui aurait comporté plus de lait que de café. L’eau sentait bon, elle avait perdu son odeur de charogne et peu à peu ce fut un parfum de clarté qui domina les rivages. On allait vers quelque chose de très large, vers un territoire démesuré. Louis pesait davantage sur ses rames car il était plus difficile de mettre sa barque au bon endroit, dès lors que le courant avait forci, mais il ne ressentait aucune inquiétude. Il était là pour ça. Et le ciel s’ouvrit en même temps que la terre, et des oiseaux immenses se mirent à traverser l’horizon. Des goélands gris nageaient dans le vent à longs coups d’ailes et la mer fut devant l’étrave de la barque de Louis. C’était la mer. Il se trouvait au bord exact où la rivière rendait son nom. Elle touchait au terme de sa ligne et restituait son nom de rivière au grand bonhomme qui nomme les choses sur cette Terre. Louis laissa derrière lui sa rivière, ses collines, l’air chargé d’humus et d’hiver, et il fut sous le ciel. C’était un joli moment. La grande main qui tirait sa corde avait cessé de travailler. La barque à présent roulait toute seule sur un destin mal ficelé, ce qui rendait le travail de Louis plus difficile encore. Les eaux avaient pris la couleur du bitume et la barque était entourée de petites vagues métalliques aux frottements de lime sur les bords noirs de sa barque, alors Louis regarda où il se trouvait et il vit que c’était grand et que c’était peuplé de bêtes longues. Les poissons de la mer n’ont pas la même couleur que les loutres et les poissons des rivières, ils ne parlent pas le même langage. Une loutre peut se faire comprendre d’un brochet, il leur suffit de se montrer les dents. Louis partageait quelques bribes de ce patois des collines : les loutres les brochets, les écureuils, on arrivait à se faire comprendre. Mais il n’entendait pas un mot du langage salé, du langage de limaille et d’argent mouillé qui se pratiquait ici. Alors il regarda en arrière – s’il y avait bien un mouvement qu’il ignorait, c’était de regarder en arrière – et il vit un littoral sur lequel se tenait quelqu’un. Les vagues ne sont rien d’autre que des chiens. Elles jouent. Elles attrapent des ballons puis les rendent. Il fit alors quelque chose de nouveau : il changea de trajectoire. Il pesa sur ses rames et força le courant. Il s’approcha du littoral et, lorsqu’il fut auprès de cette personne, et lorsqu’il vit qu’elle était une petite fille blanche, il se demanda si cette personne pratiquait le même langage que le sien. Louis aperçut de grands oiseaux nageant vers le haut de la Terre et qui s’éloignaient dans la direction des collines et ça lui sembla si étrange qu’il se demanda s’il était dans la situation de leur dire «Au revoir» ou «Bonjour», et il ne dit rien, la largeur de l’espace empêchait les pensées de se tenir droites, mais il enjamba le bastingage de sa barque, qu’il avait portée sur le rivage, et il marcha dans le sable, et il marcha devant la fillette. Et ses pas pesaient lourd même s’ils ne faisaient pas de bruit. Ça ne servait à rien. La petite fille courait sur le littoral, devant les eaux. En avant, puis en arrière, puis encore en avant. Elle prononçait des paroles que Louis comprit, car elles étaient faites dans le même langage que le sien. La petite fille, lorsqu’elle reculait, disait «Au revoir !» Puis, lorsqu’elle s’avançait à nouveau, elle criait «Bonjour !» Puis, lorsqu’elle reculait encore, elle criait «Au revoir !» Le crépuscule du soir colorait le littoral d’une teinte désagréable et Louis comprit que les grands oiseaux s’en éloignassent. Il aurait aimé agir de la même façon. Mais on ne remonte pas le cours de l’existence. La barque flottait sur le rivage, le soleil disparaissait à l’ouest, Louis se remit sur le banc de nage, il empoigna ses deux rames et regarda le sens du flot. Louis comprit alors un secret extraordinaire. Dans sa vie, l’eau coulait toujours dans le même sens. Jamais on n’avait vu la rivière prendre la direction inverse de celle qu’elle avait empruntée auparavant. Or, sur ce littoral, les eaux se mouvaient dans un sens, puis en arrière, puis revenaient en avant, puis en arrière. Voilà pourquoi la petite fille leur disait «Au revoir» et «Bonjour». Et Louis se demanda si le soleil, par exemple, pouvait agir à l’imitation de ces flots étranges, et choisir de prendre soudain le cours inverse de sa trajectoire. Il regarda le soleil mais le soleil se comportait conformément à l’usage. Il glissait à l’ouest. Il retrouva le sens du flux, du grand flux de l’existence qui disparaît aux crépuscules de l’ouest. Il rama peu car le flux travailla pour lui et, bientôt, il s’approcha de l’horizon où se situent les grandes cataractes. Il entendit encore la fillette prononcer : «Au revoir !» C’était le jour des oiseaux. Louis, qui avait quitté sa colline dès l’aube et s’était livré au sens de la rivière, cessa de regarder quelque chose. La petite fille ne s’occupait pas de lui, elle courait en arrière chaque fois qu’une de ces vaguelettes métalliques semblait la rejoindre : «Bonjour !» Puis courait vers l’avant lorsque la vague se retirait du côté de son origine : «Au revoir !» Xavier Deutsch Pierre Hazette fut Ministre chargé de l’Enseignement secondaire, des Arts et des Lettres et de l’Enseignement spécialisé. Derniers titres parus : Hope, Namur, Mijade, 2014 Chaussée de Moscou, Neufchâteau, Weyrich, 2014 Pascale Fonteneau Née en Bretagne, d’une mère allemande et d’un père français, Pascale Fonteneau vit à Bruxelles. Auteur de nombreuses nouvelles, de pièces pour la radio et d’une quinzaine de romans. Xavier Deutsch Dominique Watrin est né en 1959 et vit à Binche. Auteur de différents ouvrages satiriques, il est aussi comédien et chroniqueur en radio et en télévision. © Anne Simon Dernier titre paru: Mieux vaut être belge et complexé que français et déprimé, Waterloo, La Renaissance du Livre, 2014 Il est également essayiste et romancier. © nabiscan Et deux oiseaux, qu’il ne connaissait pas, l’accompagnèrent un moment jusqu’au terme dernier de son flot. Dominique Watrin Pierre Hazette Xavier Deutsch est né à Leuven le 9 février 1965. Il est romancier et a publié depuis 1989 une quarantaine de livres. Derniers titres parus : Propriété privée, Arles, Actes Sud noir, 2010 Hasbeen, Bruxelles, Aden, 2010 Design : www.acg-bxl.be C La Fureur de lire présente : Le noir et le blanc Killbill part 1-2-3 Dernier titre paru : Perdition, Liège, CEFAL, 2013 Ariane Le Fort Née d’un père suisse et d’une mère verviétoise, Ariane Le Fort vit à Bruxelles depuis plus de trente ans. Actuellement, elle partage son temps entre un emploi de professeur dans une Haute Ecole bruxelloise et l’écriture. Dernier titre paru : Avec plaisir, François, Paris, Seuil, 2013 © Astrid di Crollalanza.