L`Islam en Asie centrale Le rôle politique de l`Islam en Asie centrale

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L`Islam en Asie centrale Le rôle politique de l`Islam en Asie centrale
L’Islam en Asie centrale
Le rôle politique de l’Islam en Asie
centrale à la veille de l’indépendance
L
Mehdi SANAIE *
’Islam constitue un élément important de l’identité des peuples de
l’Asie centrale et a joué un rôle déterminant dans l’union ethnique et
nationale de ces peuples, à la suite de leur l’indépendance. La présence
de l’Islam en Asie centrale date des premiers siècles de l’Hégire. Avant l’Islam
d’autres religions monothéistes cœxistaient dans cette région. La religion juive
y est la plus ancienne. Les juifs avaient établis de larges relations commerciales
avec leurs voisins régionaux. L’Asie centrale a été le lieu de rencontre et du
dialogue entre les cultures et les idées. Mais après l’apparition de l’islam, c’est
cette dernière religion qui s’y est imposée1 .
L’Islam est un élément culturel non négligeable de l’Asie centrale, ayant
une influence particulière dans l’histoire de cette région. Le processus
d’islamisation en Asie centrale, s’est effectué dans des périodes différentes.
Certaines partie de cette région ont connu l’Islam dans le premier siècle de
l’Hégire et d’autres, comme une partie de Kazakhstan ne l’ont connu qu’aux
XVIIIe et XIXe siècles. Cependant, les traditions de toute cette région sont
imprégnées visiblement de l’Islam. Les bédouins de l’Asie centrale ont adopté
l’Islam vers l’an 680 chrétien, et l’âge d’or islamique dans cette région a été
instauré avec le califat de Bagdad. Durant cette période et les années suivantes
suite, l’Asie centrale était considérée comme une partie de la terre de l’Islam,
et s’est liée aux pays musulmans par la route de la soie. Les mosquées se sont
édifiées et des écoles religieuses ont été construites et multipliées.
Avec la chute de Ghāzān (la dynastie mongole) et pour la première fois,
vers le milieu du XVIe siècle les musulmans de l’Asie centrale ont été gouvernés
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par la Russie tsariste. La domination russe s’est complétée au fur et à mesure
que la présence iranienne se dégradait à cause de perturbation interne. Malgré
cela jusqu’au début du XXe siècle, l’Islam garda son rôle primordial dans la
société et la vie des populations de ces régions. Avec l’instauration du pouvoir
soviétique, la lutte contre l’Islam a pris une ampleur sans précédent et des
millions de mosquées et écoles religieuses ont été détruits. Durant cette
période, le Turkestan a connu une modification forte de ses frontières et un
nouveau plan de la création d’un nouveau peuple soviétique s’est mis en
marche, un processus durant lequel les musulmans ont été réprimés à plusieurs
reprises. Ces répressions ont conduit à trois reprises un très grand nombre de
musulmans à l’exil vers d’autres régions de l’Asie centrale.
Pendant la deuxième guerre mondiale, un nombre important de Tatars
accusés par Staline d’être manipulés par les Allemands et par conséquence
exilés, de même qu’un certain nombre de musulmans du Sud de la Georgie et
enfin une partie des musulmans tchétchènes2, des Ingouches et des originaire
de Dāghestān ont été envoyés en exil dans différentes régions de l’Asie
centrale. Ces exilés expliquent aujourd’hui la diversité des nations musulmanes
de l’Asie centrale. En Union soviétiques, la plupart des musulmans vivent dans
l’Asie centrale, au Caucase et sur les bords de la Volga la plupart d’entre eux
sont adeptes de la confession hanafi (l’une des quatre confession Sunnites).
Par ailleurs les adeptes de la confession chāfé’i ( une autre des quatre
composantes de sunnisme) vivent dans la région du Caucase ainsi qu’au
Tadjikistan où vivent également un certain nombre des Ismaélites. Les
musulmans de Haut-Caucase sont de confession chiite aussi bien que sunnite.
Sous le régime bolchevique de l’Union soviétique, les musulmans
étaient privés de leur culte et de leurs coutumes et les transgresseurs étaient
sérieusement réprimés. Le marxisme qui constituait le principe essentiel du
régime bolchevique était en soi la négation de toute religion mais les futures
orientations du régime ont démontré plus tard que dans les régions d’Asie
centrale et du Caucase, la culture islamique était plus particulièrement visée
que les autres cultures religieuses. Le processus de désislamisation s’est
effectuée via les politiques officielles anti-religieuses, les réformes de
l’éducation et la négation des anciennes structures religieuses et
traditionnelles et enfin par le programme de russification à travers le
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changement de la langue et l’installation des populations russes dans cette
région. Afin d’avoir le contrôle sur les musulmans, le gouvernement
soviétique a essayé de créer des instituions officielles qui assureraient en
apparence une certaine autogestion limitée des communautés musulmanes
tout en gardant le contrôle du gouvernement bolchevique3. Les études faites
avant et après la dissolution du système soviétique, démontrent que les
bolcheviques ne sont pas parvenus à rayer l’Islam de la vie des populations
d’Asie centrale et que la culture islamique a résisté à toute répression.
L’histoire connaît deux types de résistances de la part des population d’Asie
centrale qui ont été réprimées par le gouvernement central. Par exemple en
1929, dans le fameux procès de Tachkent un grand nombre de musulmans
appelées « les guides du mouvement » ont été jugés et condamnés. La
deuxième type est d’ordre latent et par un mouvement interne pour préserver
ses traditions ethniques et islamiques. Comme le mariage purement ethnique
et confessionnel considéré comme une tentative de sauvegarder des
traditions et des croyances religieuse et ethniques. Malgré la forte répression
exercée en Asie centrale, l’objectif de la formation du nouveau peuple russe
ne s’est jamais réalisés et les musulmans ont réussi à préserver l’Islam officiel
et non officiel (qu’on abordera plus tard) ainsi que leurs traditions. Pour
certains experts c’est justement cet échec à l’origine de l’éclatement du
système soviétique4.
Á ce stade, on doit rappeler deux phénomènes sociaux propres à l’Asie
centrale :
1) la distinction entre l’Islam officiel et non officiel.
2) l’existence de plusieurs confessions Soufi dans ces régions.
L’Islam officiel et non officiel
Il existait en Union soviétique plus de quarante religions et confessions
différentes. Le christianisme y occupait le premier rang et l’Islam le deuxième.
Aujourd’hui la plupart des musulmans vivent dans les républiques de l’Asie
centrale, d’Azerbaïdjan, Tatarstan et Bachghiristan. Sous le régime soviétique
d’une part la liberté de la religion était décrétée et d’autre part le
gouvernement surveillait à ce que la religion pouvait constituer dans
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l’imaginaire de la vie sociale, des Bureaux de Gestion des affaires musulmanes
de l’Union Soviétique ont été créés afin de résoudre cette contradiction. Cela
veut dire que les dirigeants soviétiques se sont aperçus de l’impossibilité de
l’effacement de la culture religieuse de la vie de ces populations.
En 1946, quatre centres Bureau indépendants de gestion des affaires
religieuses des musulmans ont été crées. Le Bureau des affaires religieuses des
musulmans de l’Asie centrale et du Kazakhstan à Tachkent, le bureau des
affaires religieuses de la partie européenne de l’Union soviétique et de la
Sibérie dans la ville d’ « Oufa », celui du Caucase du Nord dans la ville de
« Makhach Gahl’é » et enfin le Bureau des affaires religieuses des musulmans
du Nord-Caucase dans la ville de Bakou. Les trois premiers étaient chargé de
la gestion des affaires religieuses des Sunnites et étaient dirigés par les
« Mufti ». Le centre du Nord-Caucase qui s’occupait aussi bien des affaires des
Sunnites que des chiites, dirigé par un Cheikh-al-Islam5. Les dirigeants de ces
bureaux s’élisaient lors des congrès des représentants du clergé musulman.
Ces bureaux étaient chargé de décréter des fatwa6, de résoudre des problèmes
d’ordre religieux, d’envoyer des mots d’ordre pour les musulmans et
d’organiser le pèlerinage de la Mecque et d’autres lieux saints. Le centre de
l’Asie centrale et Kazakhstan était chargé des affaires de l’ensemble des
confessions des cinq républiques. Ce centre disposait de sections chargées de
fatwa, de designer les représentants dans les différentes républiques, et une
section de relation internationale et d’une direction de presse des musulmans
de l’Est de l’Union Soviétique. Il était en relation avec des écoles religieuses
d’autres pays islamiques, en particulier avec l’Al-Azhar de l’Egypte.
L’une des fonctions majeures de ces bureaux était la publication
d’ouvrages religieux. En 1969 et en 1986, une traduction du Coran en langue
russe, faite par Grachkowski, le grand expert de la langue arabe a été publiée.
Cette traduction a été particulièrement diffusée et employée dans les
républiques de l’Asie centrale.
Al-Djāmi-al-Sahih, l’œuvre de l’Imam Alikhāri, le récit de la vie de ce
dernier en 2 volumes, Al-Chamael-al-Taboubeh, une grammaire de la langue
arabe, Hidāyat-al-Nach, Usul-al-Feqh, Al-mutaliat-al-Azhariya et des dizaines
d’autres livres ont été publiés par le bureau de l’Asie centrale et du
Kazakhstan. Depuis 1968 le journal des musulmans de l’Union Soviétique
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était publié dans les langues arabe, persan, dari7, anglaise, française et
ouzbek. Ce journal publiait des articles dans les domaines religieux, fatwa, et
d’autres thèmes touchant toutes les affaires religieuses8.
Le bureau de l’Asie centrale et du Kazakhstan, dirigeait également, deux
instituts : « Madrasse-Mir-Arabe » et l’Institut « Imam Ismaïl Bukhāri » à
Tachkent. La plupart des membres du clergé officiel des républiques de l’Asie
centrale ont été formés dans ces deux instituts. La fondation de l’Ecole MirArabe à Bukhara remonte au début du XVIe siècle.
Cheikh Ghāza Asghar interprète et narrateur brillant de la fin du XIXe
siècle et Sadre-eddin-Eyni un savant connu Tadjik ont aussi été formés dans
cette école. Après la fondation du Bureau des affaires religieuses de l’Asie
centrale et Kazakhstan en 1946, cette école a été mise sous le contrôle de
cette dernière. L’Ecole Mir-arabe est l’une des écoles les plus réputées du
monde Islamique où de nombreux étudiants ont été formés dans différentes
branches des sciences religieuses.
En 1958 l’Institut « Imam Ismaïl Bukhāri » a été aussi fondé sous la
direction du bureau de l’Asie centrale9. Cet Institut est programmé et géré
comme une université et de nombreux étudiants y ont été formés dans des
disciplines différentes des sciences religieuses. Après quelques années le
clergé formé dans ces deux instituts s’exerçait dans les différentes villes de
l’Asie centrale en tant que l’Imam des prières et contribuait à d’autres
cérémonies religieuses. Le bureau des affaires religieuses de l’Asie centrale et
Kazakhstan gérait aussi des mosquées dans plusieurs villes tout en restant en
relation permanente avec celles-ci. L’action de ces bureaux s’explique dans le
cadre de la politique du gouvernement centrale et l’Islam officialisé, mais le
champ d’action des croyants ne se limitait pas au cadre officiel et l’activité
religieuse se faisait aussi par d’autres circuits.
L’Islam non officiel consistait dans l’existence d’un état d’esprit religieux
spontané parmi la population, l’activité des prêtres (mollah) qui n’étaient pas
reconnus officiellement, le maintien d’une relation privée avec le sacré et
enfin d’une manière générale la préservation de l’Islam dans le cadre des
tradition ethniques. Bien que l’existence de ces centres officiels ait contribué
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à la Sauvegarde de l’Islam en Asie centrale mais ce qui a finalement préservé
les populations musulmanes et voué à l’échec le plan de forger un peuple
unique soviétique, était l’esprit religieux et l’attachement de la population à
ses origines. C’était le même Islam non officiel qui lors de la Perestroïka a fait
entendre le chant de l’appel à la prière à partir des minarets des mosquées.
Les confessions différentes de l’Asie centrale sont à l’origine de la
préservation de la religion parmi la population et ont dirigé la vie sociale
surtout dans les régions éloignées. Le rôle social de cet Islam non officiel se
manifeste sous deux formes :
1) à travers les fidélités ethniques.
2) via la confession Soufiste.
– Chez les musulmans existe trois formes de fidélité à l’Islam : la fidélité
ethnique, la fidélité nationale et la fidélité transnationale. Bien que les deux
dernières formes se sont affaiblies sous le pouvoir communiste et que cet état
d’esprit a disparu en apparence, mais les habitants de ces régions ont à travers
leurs liens ethniques, maintenu les lois islamiques et ont démontré ainsi qu’ils
ne cherchent pas leur identité nationale dans un pouvoir communiste.
C’étaient les même valeurs islamiques qui à travers le cadre ethnique ont
démontré la fidélité nationale à l’Islam dès lors que la perestroïka l’a permis. A
l’heure actuelle les républiques de l’Asie centrale sont en train de redécouvrir
leur identité en tant qu’un élément de la société unique des pays musulmans.
La théorie de « la vie quotidienne » de Miche du Seneau peut bien
expliquer ce phénomène. Il tente à démontrer que tout les peuples ne vivent
pas avec les grandes idées et idéologie et c’est leur quotidien qui remplie leur
vie. L’Islam a joué un rôle essentiel dans la programmation du quotidien des
populations de l’Asie centrale et a contribué ainsi à la sauvegarde de l’identité
islamique de ces sociétés.
Les confessions soufies
Les confessions et les écoles de pensée religieuses de tendance soufie
ont aussi à leur tour joué un rôle important dans l’Asie centrale. Les
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confessions naghchbandieh, kobravieh, yasavieh, ghaderieh et tchachtieh
sont parmi les plus importantes.
Ces confessions Soufies ont été propagées dans l’Asie centrale durant
les périodes différentes. La plus importante d’elles, est la confession
naghchbandieh. Cette confession a été fondée au XIVe siècle par Baha’eddinNaghchband et à travers l’Iran et l’Asie centrale et par la route de la soie elle
s’est dirigé vers la Chine. Elle a également des adeptes en Iran, en Inde, en
Turquie et même dans les pays Balkans. Au sujet de Soufisme en Asie
centrale, la spécialiste Chirine Akiner écrit :
« Dès l’arrivée de l’Islam dans cette région, le Soufisme y a connu un
développement important. Bukhara et Khiveh qui au Moyen-Âge étaient les
deux plus importants centres d’enseignement de Soufieh se trouvent dans
l’Ouzbékistan actuel. Les deux centres ont une importance majeure quant à
la propagation des différentes écoles du Soufisme dans le monde de
musulman. Nadjm-eddin-Kobrā (1145-1221) a enseigné à Khiveh une école
de pensée connue sous le nom de Kobravieh. A Boukharā, Baha’eddinNaghchbandieh (1318-1389) a propagé l’école Naghchbandieh connu sous le
nom de Tarighat-e-Khajegān (la voie des maîtres). Les deux confessions, et en
particulier la dernière ont eu une influence profonde et se sont répandues
dans l’ensemble de l’Asie centrale, du Caucase, les bords de la Volga,
l’Anatolie, le Kurdistan et l’Inde. L’un des règles fondamentaux de cette école
est le respect du principe Salfé Saleh10, ce qui a rapproché considérablement
cette confession sunnite à l’école chiite. La confession Naghchbandieh
représente même à nos jours la plus grande confession Soufi et continue a
avoir des adeptes en Orient et Occident »11.
« Ghaderieh » est aussi une école de pensée cohérente qui est né à la
suite de la révolution d’Octobre et l’entrée des Tchétchènes et des Ingouches
au Kazakhstan.
En ce qui concerne la confession Ghaderieh il faut tenir compte de deux
points : premièrement, les Tchétchènes et les Ingouches ont joué un rôle très
important dans la sauvegarde de l’Islam non seulement dans le Caucase mais
dans l’ensemble de la Russie Soviétique et en particulier dans l’Asie centrale.
Deuxièmement, pendant plusieurs décennies durant le régime soviétique, le
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Kazakstan a été le refuge des populations d’autres républiques qui se sont vu
obligées de s’exiler. Sous le gouvernement de Staline les Tchétchènes et les
Ingouches se sont vu contraints à l’exil. Une partie d’entre eux se sont
réfugiés au Kazakstan, ce qui en résulte c’est la propagation de la confession
Ghaderieh.
« L’école Yasavi » dont le guide est Khadjeh-Ahmad Yasavi est aussi une
autre des confessions Soufi influentes et réputées au Kazakhstan et dans
l’ensemble de l’Asie centrale. Khadjeh-Ahmad Yasavi s’est insurgé dans le sud
de Kazakstan et y fonda une nouvelle confession en s’inspirant de l’école
Naghchbandieh. Yasavi et ses adeptes ont eu une influence importante quant
à la diffusion de l’Islam dans le sud de Kazakhstan.
Le mausolée de Khadjé-Ahmad a été construit par Amir Teymur et il est
un lieu de pèlerinage de ses admirateurs. Ce mausolée qui est situé dans la
ville de Turkistant située dans le sud de Kazakstan dont le centre est
Tchimkent, a été construit par des maîtres et architectes iraniens dans un style
s’inspirant de l’art Irano/Islamique12. Khadjeh-Ahmad Yasavi bénéficie même
aujourd’hui d’une notoriété chez les musulmans de l’Asie centrale et sa
tombe est visitée par les pèlerins de Kazakstan et d’autres république voisines,
au même titre que les adeptes de Baha’eddin Naghchbandieh visitent son
mausolée à Bukharā et le sollicitent d’exaucer leurs vœux.
L’auteur a visité lui-même les deux lieux et a été témoin du respect et
la vénération manifestés par les visiteur. Les Kauzaks considèrent le pèlerinage
de la tombe de kadjeh-ahmad-Yasavi comme le Hadj Mineur.∗ Même le
gouvernement du Kazakstan vénère Yasavi et après l’indépendance, il
accorde une importance particulière à la ville de Turkestan considérée comme
capitale spirituelle.
Naghchbandieh est la plus importante confession soufie dans le monde
et ses adeptes sont répandus de l’Asie centrale jusqu’aux Balkans, de la
Yougoslavie à l’Inde.
Bien que l’étude du rôle du Soufisme comme une part de l’Islam non
official, mérite une étude à part, mais il faut prêter une attention particulière
au rôle du « gardien » de la religion que cette confession a tenu. Il est
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important de savoir que même durant la période communiste bien que le
clergé formé par ces confessions n’était pas reconnu officiellement par
l’administration et n’y avait aucune place, ses membres ont eu néanmoins le
rôle du guide parmi la population. Par exemple alors qu’en Kirghizie Abdolal-Madjid-Ghāri a été nommé par le jurisprudence islamique, comme l’Imam
du mosquée, le succès et le rôle du guide spirituel se tenait par le soufi « Elias
Taqsir » et ses disciples. Elias Taqsir est un savant qui a entrainé beaucoup de
disciples et a contribué également à la survie de l’Islam en Kirghizie. Il habite
dans un village situé à 25 km de Bichkek le centre de la Kirghizie où il a fondé
une école religieuse qui à la suite de l’indépendance des républiques
soviétiques a connu un succès important avec une centaine d’étudiants. Dans
les autres républiques également on peut constater le même phénomène où
les clercs non officiels bénéficient de plus de notoriété que ceux désignés
officiellement.
Par rapport à ce qu’on vient de dire on peut conclure que malgré les
tentatives multiples du gouvernement central de l’union soviétique et malgré
les plans qui attaquaient directement ou indirectement les principes et la
culture islamiques, les musulmans des républiques de l’Asie centrale et du
Caucase n’ont pas oublié cette religion et l’on préservé avec méthodes
différentes et en particulier dans le cadre de leurs traditions ethniques et
locaux. Ce phénomène s’est manifesté davantage avec l’effondrement de
l’Union Soviétique.
L’Islam après l’effondrement de l’Union soviétique
Malgré la volonté de remplacer la religion par une hérésie scientifique,
comme nous avons constaté , l’Islam a continué à exister en tant qu’un
caractéristique de l’identité culturelle et ethnique en Asie centrale.
La dernière décennie du régime Soviétique fut marquée par un
renouveau islamique. Cette évolution était due d’une part aux activités d’un
certain mouvement qui profitant d’une relative liberté politique cherchaient à
lui donner un deuxième souffle. Ces mouvements étaient originaires du vallée
de Farghaneh, dans les cercles des professeurs de Théologie. D’autre part le
gouvernement soviétique tentait de résister à la menace islam non officiel par
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la collaboration avec les institutions religieuses officielles et en s’appuyant sur
l’Islam traditionnel de la région. C’est durant la même période que des jeunes
guides comme Mohamed Sediq, Akbar Turdjān-Zadeh Mourad Nissain-BeigUglu et Nassr-allah-ibn-Ibad-allah qui avaient une haute formation acquise
dans les instituts locaux et étrangers, ont accédé à la direction des Bureaux
des affaires religieuses de l’Asie centrale. Toujours durant la même période on
est témoin d’efforts plus importants dans la construction des mosquées et
publication d’ouvrages religieux13. Vers la fin des années 80 et le début des
années 90, les courants islamistes se divisaient en trois groupes :
– L’Islam traditionnel et conservateur qui avait fusionné avec les
traditions profondes et l’identité locale de la population de l’Asie centrale.
L’ouverture politique des dernières années du régime soviétique et les débuts
des années 90 ont permis aux guides religieux de tenter de donner un
renouvellement aux structures religieuses détruites auparavant par le
gouvernement soviétique. Ces tentatives ont été perçues avec enthousiasme
par la population qui construisait des mosquées, des écoles et des instituts
religieux et qui participait volontairement aux fêtes et cérémonies religieuses.
Entre 1987 et 1994, en Ouzbékistan le nombre des mosquées est passé de
quatre vingt sept à trois mille et les écoles religieuses de deux à cinquante.
Pendant la même période le nombre des mosquées de la Kerghisi est passé
de Trente quatre à mille . Les rangs serrés de la prières, durant le Ramadan,
l’auto-organisation de la prière de l’Aid-al-Fitr avec une très grande
participation, les activités des prêcheurs locaux et étrangers, la publication et
la distribution du Coran et d’autres ouvrages religieux et même l’affichage
des autocollants de slogans religieux sur les part vitres des voitures,
témoignent tous du développement de ce renouveau islamique.
Durant la période post-soviétique on constate une attitude favorable de
l’Etat vis à vis de l’Islam qui est en réalité la continuation de la politique
officielle de la fin des années 80. Le soutien des dirigeants de l’Asie centrale
de l’Islam traditionel s’expliquait par la crainte d’un vide spirituel qui pouvait
favoriser la naissance et le développement des tendances intégristes.
Bien que les lois constitutionnelles des républiques insistent sur la
séparation de l’Etat et la religion, durant les années qui ont suivi
l’indépendance, les dirigeants de l’Asie centrale ont ouvertement soutenu
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l’enseignement religieux et la connaissance de l’Islam, de façon que NazarBaïef le président de la République du Kazakhstan qui était à la tête d’un pays
où 50% de la population était non musulmane, a donné personnellement
l’ordre de la construction d’une nouvelle mosquée dans la région Almati. Il a
même assisté une fois avec son épouse à la prière de l’Aïd-al-Fetir. Ainsi les
dirigeants des républiques de l’Asie centrale essayent de contrôler l’apparition
des tendances intégristes et radicaux islamique, en apportant leur soutien à
une autre forme de l’Islam. Vers la fin des années 90 la plupart de ces
républiques ont établi des lois sur l’observation des activités religieuses en
particulier celles filières des fondations étrangères. Selon ces lois, dans les cinq
républiques de l’Asie centrale, les centres religieux sont tenus d’avoir une
autorisation préalable des autorités de l’Etat, pour tout activité religieuse. Les
autorités de l’Etat ont également porté leur soutien au Bureau des affaires
religieuses de l’Asie centrale et du Caucase qui à la suite de l’effondrement
du système soviétique s’était séparé du Bureau Central. A une reprise au
Kazakstan, Abd-al-Sattar Darbiss qui n’avait aucun antécédent d’études
religieuses et qui était conseiller de l’ambassade du Kazakhstan en Arabie
Saoudite, a remplacé Murad Beyq-Nissan-Uglu qui pendant dix ans avait la
direction des affaires religieuses du pays. En Kirghizie également la pression
de l’Etat a conduit à la destitution du Mufti Hakim Seu-Beyq en 1993. En
Ouzbekistan aussi de manière officielle les religieux doivent prouver leur
fidélité à l’Etat afin d’avoir l’autorisation et tout ceci est supervisé par le
Bureau des affaires religieuses. A la suite de la destitution et l’exil volontaire
du Mufti de cet état en 1993 cette république a adopté une politique
entièrement favorable à celle de l’Etat. Le Tadjikistan et le seul cas où le Parti
du Mouvement Islamique qui était déclaré illégal en 1993, a retrouvé son
statut légal lors des élections de 1999 et a réussi même d’avoir deux sièges
au Parlement14.
L’intégrisme islamique
Alors qu’une distinction nette n’est pas encore faite entre l’Islam
traditionnel et les tendances intégristes dans les républiques de l’Asie
centrale, le courant radical connu sous le nom « Wahabite » est cité par les
autorités de l’état comme une menace sérieuse. Le terme Wahabite est
employé dans beaucoup de contextes. On peut dire que l’élément commun
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entre tous ces mouvements radicaux se présente par le refus des pouvoirs
officiels, par la volonté de participer au pouvoir politique, leur opposition à
l’Islam officiel et cependant par la volonté de retour vers les valeurs
fondamentalistes de l’Islam.
Se sont justement ces tendances radicaux qui à la suite de
l’effondrement du système soviétique ont fait ressentir la menace des groupes
intégristes devant laquelle une coalition tactique s’est formée entre les
partisans d’un islam traditionnel et les représentants de l’Etat, alors que dans
les dernières années de la période soviétique une certaine alliance s’était
formée entre les groupes radicaux et les représentants de l’islam traditionnel.
Bien que la libéralisation des cultes et des activités religieuses dans certaines
républiques de l’Asie centrale telles que le Kazakhstan, le Tadjikistan et
l’Ouzbékistan en 1989, a favorisé les conditions médiatiques et sociales des
activités religieuses, l’apparition des personnalités et des groupes influents et
la crainte qu’ils suscitaient a eu pour conséquence l’interdiction des Partis
religieux. Malgré ces interdictions, la popularité de ces groupes ont permis à
ces Partis de continuer et de développer leurs activités de une façon latente.
Parmi les Partis dont l’activité est interdite dans les cinq républiques de
l’Asie centrale on peut citer le « Mouvement du Renouveau Islamique » qui
cherchait à fonder un gouvernement religieux dans la région. L’activité
essentielle de ce Parti se déroule dans l’Ouzbékistan, Tadjikistan et d’une
façon plus limitée en Kirghizie. Dans la mesure où l’activité illégale de ce Parti
ne permet pas de dresser un bilan de son action et de ces membres, mais ses
sympathisants actifs seul en Ouzbékistan sont estimés à 50000 personnes. Ce
Parti s’oppose à toute tendance rationaliste ou ethnique et s’inspire
d’avantage du régime islamique du Pakistan que de la République Islamique
d’Iran. Deux autres Partis islamiques Al Tahrir et Mouvement Islamique sont
les partis les plus actifs d’Ouzbekistan et exercent une influence sur les
républiques voisines. Le Parti politico/religieux Al Tahrir qui cherche à fonder
un gouvernement islamique sous le régime du Califat est un mouvement
transnational fondé en 1953 à Bethléem et à la suite d’une cessecion des
Frères Musulmans et qui s’est très vite développé dans le Moyen-Orient, le
nord de l’Afrique. Al Tahrir, est un parti politique avec une idéologie islamique
dont l’objectif est de retourner les musulmans du monde entier à un mode de
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vie conforme à l’Islam originel et à une société gérée par la Chari’a sous la
direction d’un Calife. Les hommes et les femmes arabes ou nom arabes de
race blanche ou autre peuvent s’y adhérer car ce Parti est celui de l’ensemble
des musulmans. Ce Parti réclame une lutte politique contre les nantis, contre
les pays colonialistes qui dominent les pays islamiques et aussi contre les
dirigeants des pays arabes et musulmans.
L’activité de ce Parti a commencé en 1992 à Ouzbékistan et depuis ils
ont remplacé le mot Ouzbékistan par « Velayat » pour désigné une partie
d’un gouvernement islamique mondial. La structure de ce parti est formée de
cercles secrets formés chacun de cinq à sept membres. Chaque cercle est relié
à l’autre par un Muchrif15.
Selon la politique déclarée par le Parti Al Tahrir16, il croit aux méthodes
pacifistes et considère le Djihad comme une activité idéologique. Ce parti a
eu des sécessions internes en 1997 et 1999 à la suite desquelles, Al-Akrām et
le Parti Hizb-al-Nusrat se font jour. Le Parti Al Tahrir, croit quant à lui, à une
purification morale conforme aux valeurs fondamentaux de l’Islam qui ne
serait réalisable que dans le cadre d’un gouvernement islamique. Par ce fait il
est accusé de projeter l’anéantissement des Etats par la force.
Les sympathisants de ce Parti ont été fortement réprimés en Ouzbékistan
et déclarés comme fondamentalistes, aux Tadjikistān, Kirghizie, et au
Kazakhstan. Les organisations des droits de l’homme rappellent que le Parti Al
Tahrir défend l’idée d’un gouvernement islamique mais qu’il reste néanmoins
dans le cadre de la loi constitutionnelle de chacune des républiques. Ce Parti
dont le centre des activités est basé dans la vallée Farghaneh n’a jamais
participé directement aux actes violents mais la sensibilité des autorités à son
égard s’expliquent par l’influence qu’il exerce sur certains mouvements
intégriste tels que le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan. Ce dernier qui s’est
nommé plus tard le « Parti Islamique de Turkménistan » a organisé dans les
années 1999 et 2000 des attaques terroristes dans la capitale d’Ouzbékistan.
Plus tard il s’est installé en Afghanistan et selon certaines sources ses membres
ont rejoint les rangs d’Al-Qaïda.
Islam Karimof le Président de la République d’Ouzbékistan a une
approche plus prudente vis-à-vis du Parti Al Tahrir et à quelques reprises par
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l’intermédiaire de ses représentants il a eu une certaine collaboration avec ce
dernier. Contrairement à Mouvement Islamique d’Ouzbékistan qui est
considéré comme un groupe terroriste, la classification américaine n’y place
pas le Parti Al Tahrir.
Le mouvement islamique d’Ouzbékistan fondé en 1999 vise
ouvertement le renversement du gouvernement d’Islam Karimof et ne se
limite pas aux activités idéologiques et éducatives. Parmi ses chefs on peut
nommer « Tahir Yuldāch » et « Djom’é Namghāni » les deux accusés
d’attentat à la bombe en 1997 à Tachkent et condamnés à mort.
D’après certains spécialistes l’une des activités essentielles de ce groupe
est comme celle d’Al-Qaïda, une trafique organisée de drogue spécialement
de l’héroïne entre l’Afghanistan et l’Europe via l’Asie centrale.
Le « Pari Idalat Isfanie » et le « Parti Démocratique Islamique » sont
également deux autres Partis relativement actifs en Ouzbékistan dont les
activités sont déclarées illégales17. En ce qui concerne le radicalisme islamique
le Kazakh et le Kirghize sont d’avantage sous l’influence des régions du sud
situées aux frontières de Tadjikistān et Ouzbékistan. Le seul parti islamique
actif fondé spécifiquement au Kazakhstan est le parti « Ālāch » crée en 1990,
avec de tendances chauvinistes et pro turques. Les activités de ce parti sont
également déclarées illégales. En ce qui concerne le radicalisme islamique, le
Kazakhstan et le Kersnik sont d’avantage sous l’influence du Mouvement du
Renouveau Islamique. Les interdictions strictes et les spécificités ethniques et
culturelles des Turkmènes n’ont pas laissé un espace favorable aux activités
des fondamentalistes musulmans dans cette république.
Au Tadjikistan aussi deux Partis principaux ont été actifs, le Parti du
Renouveau Islamique et le Mouvement Islamique. Après une série de guerres
internes ce dernier a adapté son activité aux limites fixées par la loi
constitutionnelle.
Avec ce qu’on vient de voir, on peut conclure que la clandestinité de
certains mouvement islamistes en Asie centrale, la répression exercée sur eux,
le manque de statistiques et d’informations exactes ne permettent pas une
définition exacte de leurs activités. Par conséquent on peut difficilement faire
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Géostratégiques n° 12 - Avril 2006
la distinction entre leurs revendications légales auxquelles les lois
constitutionnelles de ces pays pourraient répondre et les actes de violences
commis par ailleurs. Il faut rappeler enfin que les problèmes structurels et
financiers de ces partis ainsi que les différences culturelles et ethniques qui les
séparent sont aussi les causes de la restriction du champ de leurs actions par
les autorités.
* Directeur du département d’études sur la Russie et l’Europe de l’Est à l’Université
de Téhéran et ex-conseiller culturel en Russie et au Kazakhstan.
Note
1. Revue d’études sur l’Asie centrale et Caucase, Téhéran, Eté 1994.
2. Alexendre Benigson; Les Musulmans de l’Union soviètique, traduit en
persan 1991
3. Daghestani et Amerah, Muslim in the former soviet Union, Amman;
Centre for international studies; 1992; pp. 7-21.
4. Berzinski; Le Grand échec, traduit en persan
5. Cheikh-al-Islam : grade supérieur dans la hiérarchie cléricale chiite.
6. Fatwa : décret religieux
7. Dari : Le persan parlé dans l’Asie Centrale.
8. E. Deldom ; Islam en Russie soviètique.
9. Ibid., p.
10. Slaf-Saleh : le respect absolu du prophète, des Imams et de leur
descendance.
11. Shirin Akiner; Les Peuplades musulmans de l’Union Soviétique, traduit en
persan.
12. Revue d’études sur l’Asie centrale, N°1, 1992
13. Le pèlerinage de la Mecque étant le Majeur.
14. S.Akiner, op. cit.
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15. Le rapport du ministère de la Culture de Kazakhstan; 1995.
16. Muchrif : chef
17. www.Hizb-ut-tahrir.org
18. S. Akiner in revue d’études sur l’Asie centrale, Printemp 2004.
Voir aussi : Abdullaiev; et Barens, Plan of compromise. The Tajikistan
peace process; London 2001/
S.Akiner, The contestation of islam in post soviet central Asia; London ;
Routledge 2003
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