portrait d`une femme d`influence par michel clerc - IE
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PORTRAIT D’UNE FEMME D’INFLUENCE PAR MICHEL CLERC ENTREPRENDRE Avril 2012 VÉRONIQUE QUEFFÉLEC, ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE « Désolée, pardonnez-moi, mais je suis en ligne avec les EtatsUnis. » Quand ce n’est pas avec les Etats-Unis, c’est avec l’Inde, avec Berlin, avec Bruxelles. Véronique Queffélec est une personne en ligne dans tous les sens du mot. Téléphonique, informatique. Quand elle n’est pas au téléphone, elle est sur son ordinateur. Son carnet d’adresses de 892 noms est lui aussi en ligne sur un site appelé « LinkedIn » qui lui permet de gérer ce qu’elle appelle ses « réseaux ». L’avoir devant soi, en chair et en os, les yeux dans les yeux, est un privilège. Il est rare qu’elle trouve le temps de s’évader de la cage virtuelle où l’invasion des humanoïdes remplace l’humaine et traditionnelle communication. Cette femme aux cheveux couleur de flamme et aux yeux verts, et cela se voit au premier coup d’œil, de manière quasi emblématique, est à l’image de ses origines : celtique jusqu’au bout des ongles. Bretonne avec les qualités et défauts de cette singulière communauté : le courage, La volonté, l’obstination, l’entêtement, le goût des horizons lointains. Curieusement, elle exerce un métier qui lui impose le silence et elle adore s’exprimer. Elle se définit elle-même comme une femme d’influence, une femme de l’ombre mais qui mériterait la lumière de la notoriété. Sa fille, Amanda Sthers, écrivain, est aussi jolie que sa mère et fut marié à Patrick Bruel qui lui a fait deux enfants. Incroyable d’imaginer que la personne hyperactive qui 1 est devant moi est déjà grand-mère et qu’elle exerce un métier appelé « lobbying » et qui, dit-elle, « existe sous d’autres formes et d’autres noms depuis la nuit des temps ». Au temps de Louis XIV, les courtisans exerçaient à la Cour de Versailles leur coupable industrie pour obtenir au profit de leurs obligés ceci ou cela en plaisant leur cause, à l’ombre du Roi, devant les décideurs de l’époque. Lobbying est un mot américain qui, à l’origine, signifiait « arpenter les couloirs » pour aller à la rencontre des décideurs ou des élus, notamment les sénateurs. En France, on le pratique pour aider ceux qui, dans leurs professions – qu’il s’agisse de PME, de régions entières, voire parfois des Etats ont besoin d’intermédiaires pour faire aboutir leurs projets ou éviter une décision contraire. - Pionnière du lobbying en France, comment êtes-vous devenue ce que vous êtes ? - Je suis, en effet, la première en France à avoir utilisé ce mot. J’ai posé les bases d’une profession proprement dite en France. J’ai commencé en 1986. Mon parcours universitaire (DEA de droit public, Certificat de droit de l’Environnement, DEA de sciences politiques) m’a permis d’avoir une cartographie précise des centres de décisions politiques et administratifs. J’ai travaillé pendant un an auprès d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation. Le lobbying c’est aussi un métier d’avocat. Il faut argumenter, il faut plaider non pas devant les tribunaux mais devant les institutions, les pouvoirs publics, les décideurs politiques et administratifs. - Est-ce que cela ne ressemble pas au trafic d’influence ? - Non, pas du tout. Car le trafic d’influence est d’une autre nature que l’influence. II s’agit d’un délit clairement défini dans plusieurs articles du code pénal et susceptible de sanctions pénales. Lorsqu’une personne physique ou morale dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une 2 mission de service public ou investie d'un mandat électif public constitue un réseau d’influence. Et que des échanges quelle que soit leur nature donne lieu à des « dons », nous sommes très loin du lobbying. Mon métier consiste à informer, évangéliser des décideurs élus ou nommés, des institutions françaises ou internationales, à la demande des entreprises, des associations professionnelles, parfois des ministères. Je dois leur expliquer les risques ou à contrario le bien fondé à tous égards (juridique, social, économique, technique) d’une décision, orientation ou d’une possible prise de position. On appelle ça « l’influence » - Citez-moi un cas précis. Celui qui vous a le plus amusé, le plus difficile… - Mon premier dossier de lobbying, en 1987-88, pour le compte de la margarine dans la guerre livrée contre le beurre : corps gras d’origine végétale contre corps gras d’origine animale. Après une campagne de pub infructueuse, les représentants de la margarine sont venus me voir et m’ont demandé : « qu’estce qu’on peut faire pour augmenter la consommation de margarine en France ? » Je leur ai dit : « Nous allons faire du lobbying marketing. » Nous avons réussi en 6 mois à augmenter la vente de margarine en France de près de 30% ! C’était extraordinaire de pouvoir intervenir dans le processus décisionnel. C’était un jeu intellectuel. Il était cependant frustrant d’être toujours condamné à l’ombre dans un monde de plus en plus médiatique. Je ne pouvais répondre à aucune interview sur le lobbying. Les entreprises publiques ou assimilées : Air France, EDF, La Caisse des Dépôts, la Caisse d’Epargne, etc., avaient des lobbyistes attitrés, sous le vocable pudique de « chargés de relation avec les pouvoirs publics » ou une autre appellation. Nous qui défendions les intérêts d’entreprises privées (banques, compagnies aériennes privées) devions user d’un « faux nez » pour avoir une carte d’accès au Parlement afin de rencontrer simplement les parlementaires ou suggérer des amendements. Aujourd’hui, quelle simplicité ! 3 Tout est sur le net ! Les amendements ne sont plus réservés à quelques « happy few ». Pourtant les règles d’accès au Parlement demeurent encore curieuses et iniques. L’AFCL œuvre beaucoup dans ce sens. Heureusement que le vrai Pouvoir n’est pas exactement là ! - Lobbying veut dire à l’origine « faire le couloir, écumer les couloirs », n’est ce pas ? - Le terme est né au Etats-Unis à la fin du 19ème siècle. Le Sénat américain avait brûlé. Les sénateurs étaient contraints de siéger dans un hôtel à proximité. Ceux qui souhaitaient influencer les sénateurs ont arpenté les couloirs « le lobby » de l’hôtel. - Vous avez arpenté les couloirs, vous-même ? - Oui, mais le lobbying ne se résume pas à cela. C’est aussi de la stratégie. - Quel est le rapport avec l'intelligence économique ? - Dans le cadre d’une session consacrée à l’intelligence économique à l’IHEDN, j’ai donné une conférence intitulée : « L’intelligence économique un outil de lobbying ». Expliquant notamment que si le lobbyiste devait savoir assembler rapidement les morceaux d’un puzzle, l’intelligence économique était l’outil de connaissance de ce puzzle. - Vous êtes une femme d’influence ? - Je suis une femme de l’ombre. Je fais du conseil stratégique pour les entreprises, les associations professionnelles, les personnes qui me donnent des causes à défendre. - Avez-vous déjà refusé des dossiers ? 4 - Je refuse certaines causes. J’ai, par exemple, refusé de défendre l’industrie chimique qui pollue les sols bretons. Un Etat qui ne me semblait pas respecter pleinement ma conception de la Démocratie. Un industriel de la Santé qui ne m’avait pas fourni les expertises scientifiques impératives et préalables à mon travail. - Où s’exerce le lobbying aujourd’hui en Europe ? A Bruxelles ? - C’est variable selon les dossiers mais en général, peu à Paris, Plus à Bruxelles, mais surtout à Berlin ! - Est-ce que le lobbying peut s’adresser aux PME ? - Oui, Elles peuvent se regrouper en associations professionnelles ayant les mêmes intérêts. Certains petits brasseurs l’ont fait à une certaine période. - Qui sont vos clients actuels ? - Actuellement, je travaille dans le domaine de la finance, l’agroalimentaire, celui de la santé. Puis pour un Etat. - Vous travaillez aussi beaucoup avec l’Inde, cette fédération de 29 Etats qui sollicitent souvent votre intermédiation. - Je représente en Europe All Indian Association of Industries. 1700 entreprises privées et publiques essentiellement localisées dans le Maharashtra : (l’Etat de Mumbai) et le Gujarat (Etat à la croissance la plus rapide en Inde et l’un des Etats à plus forte croissance dans le monde). J’ai commencé Il y a une dizaine d’années timidement, au travers de la promotion de Small caps. Mais surtout depuis 2006. Ma présence après les avoir intrigués et amusés les impressionne. Une femme européenne, française lobbyiste en Inde a 5 beaucoup d’avantages. La féminité est un atout dans le lobbying et les affaires. Les indiens louent leurs capacités naturelles en termes d’intuition et de combativité. Les femmes indiennes si elles arrivent au sommet de la hiérarchie professionnelle possèdent une place à part entière et sont très traitées à l’identique des hommes. Mais elles sont encore très peu à l’atteindre. Les femmes indiennes sont extraordinaires. Le nouveau Président de l’Union Indienne (plus d’un milliard d’habitants) élu le 21 Juillet 2007 est une femme Pratibha Patil. - Quels sont vos réseaux ? - Des réseaux régionaux, bretons, celui de la diaspora indienne dans le monde , confessionnels, du monde de la culture, celui de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale). … et d’autres. Sur les 850 personnes que constitue mon réseau, 200 personnes sont en France. La plupart sont aux Etats-Unis et en Inde. - J’ai lu que vous étiez colonel de l’Armée de l’Air (réserve citoyenne), c’est exact ? - Oui, j’ai fait une année de formation de défense à l’IHEDN. - C’est une sorte de légion d’honneur. - C’est une reconnaissance pour des services rendus auprès du Haut Fonctionnaire de Défense (HFD) du ministère de l’Environnement. - Combien d’heures travaillez-vous par jour ? - 12 heures. - Combien d’heures au téléphone ? 6 - Facilement 4 h. Je ne dors pas avant 1h du matin et je me réveille à 7h. - C’est une vie de chien. Vous avez quand même une vie privée ? - Evidemment ! De temps en temps, je fais des breaks. Je m’évade ! surtout dans les musées. Je fais partie de 2 conseils d’administration dans le secteur de la Culture. Mais on me poursuit toujours par téléphone. Véronique Queffélec, bretonne et fière de l’être, avoue son admiration pour ces femmes qui dans le monde entier accèdent au pouvoir. Elle-même ne milite pas pour la parité mais pour l’égalité de traitement. Elle exerce son influence dans ce sens partout où elle est appelée par des associations, des régions et parfois même des gouvernements. Son métier lui interdit tout engagement politique. Elle a autant d’amis à droite qu’à gauche ou au centre. Ne comptez-pas sur elle pour poser sa candidature à l’élection présidentielle. Quant à l’avenir, si la France retombait sous la coupe des socialistes cela ne changerait rien pour elle. Si Sarko l’emportait sur Hollande cela ne changerait rien non plus. Quant à ses préférences personnelles, elle évite de les exprimer. Construire des réseaux comme les siens, c’est l’histoire de toute une vie. Michel Clerc Véronique Queffélec (http://www.ielobbying.info/wiki/index.php/Queff%C3%A9lec) est cofondatrice et responsable du développement d'Euromédiations (http://www.euromediations.com/). Après avoir exercé dans un cabinet d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation puis comme consultante à Burston-Marsteller, agence au sein duquel elle crée le département Public Affairs en 1987 avec Chris Fisher et Olivier Berman, elle contribue à initier le département Public Affairs d'autres puissantes agences de communication telles que 7 Delaitte & Associés, Hill & Knowlton, ou Civis Eurocom. Par ailleurs, Véronique Queffélec enseigne le droit parlementaire à Paris V de 1991 à 1993, et travaille dix ans comme conseiller d’un groupe de parlementaires (1983-1993). Parallèlement, elle crée en 1990 Intermédiations qu’elle quitte en 1993 pour fonder Euromédiations. L’expérience de Véronique Queffélec dans le lobbying couvre divers domaines dont la finance, l’environnement les nouvelles technologies et la santé. En 2006, Indiamédiations voit le jour, un cabinet de conseil spécialisé dans la conquête des marchés et instauration de partenariats en Inde. Véronique Queffélec aide aussi les entreprises indiennes à faire des fusions et acquisitions en Europe. 8
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