Claude Monet au musée Marmottan

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Claude Monet au musée Marmottan
Claude Monet au musée Marmottan-Monet
Dossier pédagogique
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Sommaire
1°) Claude Monet en dates
p 3
2°) Repères chronologiques
p 5
3°) Claude Monet en images au musée Marmottan-Monet
P 6
4°) Le clan Monet
p 18
5°) Claude Monet a-t-il inventé l’art abstrait ?
p 23
6°) L’œil de Monet
p 26
7°) Monet et les Américains
p 28
8°) Histoire du musée
p 29
9°) Activité pédagogiques
p 30
Dossier réalisée par l’équipe de Arts magazine.
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1°) Claude Monet
Auguste Renoir, Portrait de Claude Monet debout, 1875, inv.5066 (c)musee
Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon
1840 Naissance à Paris d’Oscar-Claude Monet (14 novembre) fils de
Claude-Adolphe Monet, propriétaire, et de Louise-Justine née Aubrée.
1845 La famille s’installe au Havre
1855 Premiers succès comme caricaturiste
1858 Rencontre Eugène Boudin qui le pousse à peindre
1859 S’installe à Paris contre la volonté paternelle. Fréquente l’Académie
suisse où il se lie avec Pissarro
1861 Service militaire en Algérie. Parti pour sept ans, il est « racheté »
3025 F par sa tante en 1862
1862 Retour à Paris. Atelier Gleyre où il rencontre Renoir, Bazille et
Sisley.Préfère peindre à la campagne
1865 Premiers succès au Salon
1866 Nouveaux succès au Salon. Rencontre Manet
1867 À Paris, Camille Doncieux, son modèle, met au monde leur fils,
Jean. Seule. Claude est en Normandie pour calmer la fureur de son père.
Et peindre. Suivent des années créatives, mais financièrement difficiles
1869 Refusé au Salon
1870 Épouse Camille. Fuit la guerre à Londres. Il y rencontre son premier
marchand Paul Durand-Ruel
1871 Retour en France via les Pays-Bas où il achète des estampes
japonaises qu’il va collectionner avec passion.
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1874 Première exposition impressionniste. Expose, entre autres,
Impression Soleil Levant , acheté par Ernest Hoschédé, marchand de
tissus précieux.
1876 Décore le château d’Ernest et Alice Hoschédé à Montgeron.
Deuxième exposition impressionniste. Rencontre Gustave Caillebotte.
1877 troisième exposition impressionniste.
1878 Naissance de son second fils Michel. Ernest Hoschédé fait faillite et
les Monet s’installent à Vétheuil avec Alice et ses 6 enfants
1879 Quatrième exposition impressionniste. Mort de Camille
1880 Première exposition personnelle
1883 S’installe à Giverny avec Alice et les 8 enfants. Voyage en
méditerranée avec Renoir.
1884 Durand-Ruel lui achète 21 toiles pour 18 200 francs
1886 Séjour à Belle Île
1889 Expose avec Rodin chez Georges Petit, rival de Durand-Ruel
1890 Achète Giverny. Commence sa première série « Les Meules »
1892 Épouse Alice . Commence « Les cathédrales »
1893 Commence à creuser son bassin aux nymphéas.
1895 Expose 20 versions des Cathédrales
1898 Signe le manifeste des intellectuels en soutien au « J’accuse » de
Zola.
1902 Premiers achats par des musées français
1908 Séjour à Venise. Premier symptômes de la cataracte.
1911 Mort d’Alice. Dépression de Monet
1914 Mort de son fils Jean. Commence les grands « Nymphéas »
1918 Au lendemain de l’armistice, propose à son ami Clemenceau de
donner les grands Nymphéas à la France.
1923 Opération de la cataracte (il est quasi aveugle depuis dix ans).
1926 Meurt le 5 décembre
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2°) Repères chronologiques.
1830/48 Règne de Louis-Philippe
1837 Inauguration de la ligne Paris/Saint-Germain-en Laye, Première
ligne de chemin de fer « voyageurs » en France
1839 Invention de la photographie (Daguerre. Premiers travaux de
Niepce en 1826)
1848/1852 Deuxième République
1850 Fabrication des premiers tubes de peinture en France (Lefranc)
1852/1870 Second Empire
1861 Premier vélo à pédales (Pierre Michaux)
1870 Guerre de 70.
1870/1940 Troisième République
1873 L’Obéissante, automobile à vapeur, roule à 40 Km/h (Amédée
Bollée)
1871 La Commune de Paris
1879 invention de l’ampoule électrique (Edison)
1885 Louis Pasteur teste son vaccin contre la rage
1889 La Tour Eiffel, vedette de l’exposition universelle
1895 Invention de la radio (Marconi)
1900 Inauguration de la première ligne de métro à Paris
1911 Louis Blériot traverse la Manche en avion
1914/1918 Première guerre Mondiale
1921 Premier concert radiodiffusé par radio Tour Eiffel.
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3°)Claude Monet en images au musée Marmottan-Monet
Caricaturiste précoce, bosseur acharné, observateur affûté, jardinier hors
pair… une palette de talents qui impressionne !
J’étais un indiscipliné de naissance, confie Claude Monet en 1900 au
journaliste du Temps François Thiébault-Sisson. On n’a jamais pu me
plier, même dans ma petite enfance, à une règle. C’est chez moi que j’ai
appris le peu que je sais ». « Rebelle, l’artiste l’est dans l’âme », confirme
son bel-arrière-petit-fils Philippe Piguet. Monet résiste à ses professeurs
qu’il caricature ; tient tête à son père qui voudrait le voir suivre le chemin
de l’épicerie familiale plutôt que celui de la peinture. Il désobéit à sa tante
qui n’aurait pas trouvé indécent qu’il abandonne sa maîtresse, le modèle
Camille Doncieux, et leur jeune fils Jean. Il refuse de passer par la voie
royale de l’école des beaux-arts, et s’il finit par fréquenter l’atelier de
Charles Gleyre, il n’y reste que quelques semaines car il juge les conseils
de l’artiste déplorables.
Évidemment, il regimbe aussi devant l’institution : le Salon évince ses
toiles ? Qu’à cela ne tienne, il fonde la « société anonyme coopérative
d’artistes-peintres, sculpteurs, graveurs, etc. », à laquelle adhèrent
Renoir, Sisley, Berthe Morisot, Pissarro, Degas, Cézanne… et organise ce
qui sera la première exposition impressionniste ! Il sait même envoyer
balader ses acheteurs : en 1879, malgré le manque d’argent, il refuse de
vendre un tableau au baryton Jean-Baptiste Faure parce que ce dernier
l’avait vexé six ans auparavant… Ce caractère rebelle s’appuie non pas sur
une inébranlable confiance en soi (le peintre a d’affreux moments de
doute), mais sur une certaine « conscience de l’œuvre à venir et même de
son rôle dans l’histoire de l’art », affirme Philippe Piguet. II faut dire que
les bonnes fées lui ont donné au berceau un talent de dessinateur inné,
une capacité de travail peu commune, une vocation de fer, une vraie
appétence pour la nouveauté… et que la vie a mis sur son chemin des
femmes, des amis, des marchands qui l’ont incontestablement aidé à
grimper sur les cimes de l’art!
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3-A Dessinateur hors pair, enfant, il a de l’or dans les doigts
Enfant, Oscar comme l’appelle ses parents, n’aime pas l’école qui lui fait
« l’effet d’une prison ». Il n’apprécie que les cours de son professeur de
dessin Jacques-François Ochard, ancien élève de David. En bon cancre qui
se respecte, il passe son temps à enguirlander la marge de ses livres et à
croquer sur ses cahiers la tête de ses professeurs, la déformant le plus
possible.« Je devins vite à ce jeu d’une belle force, racontera-t-il. À
15 ans, j’étais connu de tout Le Havre comme caricaturiste. » Résultat :
les notables s’arrachent ses portraits-charges qu’il vend 10 ou 20 francs
pièce. Et c’est ainsi qu’il accumule près de 2000 francs. Un joli pécule qui
lui permettra de filer à Paris malgré les objurgations paternelles (Adolphe,
son père, voulait le voir reprendre l’épicerie familiale).
Monet, Petit Pantheon théatral 1860
(c)musee Marmottan Monet Paris_
Bridgeman Giraudon_Presse
Monet Vin de Bordeaux 1857
(c)musee Marmottan Monet Paris_Monet Vieille normande de face 1857 (c)musee Marmottan
Monet Paris_Bridgeman Giraudon_Presse
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3-B Il devient peintre sous l’influence d’Eugène Boudin.
Le jeune Monet installe son chevalet en plein air pour peindre « sur le
motif » grâce à une invention récente : les tubes de peinture. Il suit
l’exemple de son maître Eugène Boudin surnommé « le roi des ciels », et
excelle à fixer sur la toile les moindres variations chromatiques. Exposé au
Salon de 1865, ses premiers tableaux, des marines, raviront les critiques
séduits par « une manière hardie de voir les choses ».
Eugene Boudin, Sur la plage, 1863 inv. 5035 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman
Giraudon_Presse
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3-C Le père de l’impressionnisme
Malgré des premiers succès très prometteurs, Claude Monet est vite banni
du Salon. Trop dérangeant. Qu’à cela ne tienne ! Le peintre crée une
société anonyme, une coopérative d’artistes avec ses amis Sisley, Degas,
Pissarro, Renoir… son maître, Boudin et une femme, (une seule !) Berthe
Morisot. Ils organisent un « Salon off » en 1874, 15 jours avant
l’ouverture du Salon officiel. Une toile en particulier, trop moderne pour
être honnête, quasi floue, pas finie, déchaîne les critiques et
l’incompréhension du public. C’est Impression, soleil levant, Un
journaliste, Louis Leroy, s’en prend particulièrement à ce tableau de
Monet. Il le trouve moins réussi qu’un brouillon de papier peint. Et pour le
ridiculiser, il titre son article dans le Charivari « L’exposition des
impressionnistes ». Le nom est resté, et aujourd’hui les œuvres des
impressionnistes – ces artistes qui essaient de restituer leurs sensations,
leurs impressions sur la toile – sont parmi les plus populaires du monde.
Monet Impression soleil levant 1873 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman
Giraudon_Press
À LIRE ÉGALEMENT LE LIVRET D’ARTS MAGAZINE
SUR L’IMPRESSIONNISME
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3-D Un œil incomparable
« Monet n’est qu’un œil, mais bon Dieu, quel œil ! » La formule de
Cézanne est restée célèbre. Il est vrai que Monet a un œil fascinant, à la
fois extrêmement observateur et imaginatif. Les critiques de l’époque
saluent son réalisme, voire son naturalisme, tant il sait capter et rendre
sur la toile la matérialité des rochers, les teintes des schistes et des
gneiss, les traces d’éboulis sur la falaise, les variations de couleur
des nuages dans les ciels normands… D’autres apprécient que le peintre
ait une vision si personnelle que les ombres deviennent violettes, la neige
de Norvège rose ou que Venise paraisse une ville hallucinatoire. Cette
combinaison signe son originalité, même si le poids des deux tendances
varie avec le temps. à ses débuts, il est fasciné par les nouveautés de la
société : les chemins de fer(ci-dessous), le tourisme, les loisirs… (cidessus) Pas étonnant pour un homme qui est lui-même progressiste (il est
passionné par les avions, achète une des premières automobiles…).
Monet Le train dans la neige. La locomotive 1875 (c)musee Marmottan Monet
Paris_Bridgeman Giraudon
Mais par la suite, son intérêt pour le paysage change… Petit à petit, les
signes de la vie moderne (trains, navires, guinguettes…) disparaissent des
toiles de Monet. Tout comme la figure se fait de plus en plus rare. Comme
si les recherches du peintre l’amenaient à se concentrer sur l’essentiel. Et
qu’est-ce que l’essentiel en peinture ? La forme, le plan, le vide. Les
recherches de Monet le mèneront à la limite de l’abstraction. Et ne
cesseront jamais, même lorsque devenu quasi aveugle, il ne peindra plus
qu’avec le souvenir des formes et des couleurs.
La Plage a! Pourville. Soleil couchant, 1882 Huile sur toile, 60 x 73
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3-E Le Raphaël de l’eau
La réverbération de la lumière, le miroir changeant des flots, les reflets
colorés des barques, de la végétation, du ciel… L’effet de mouvement et
de profondeur est ici saisissant grâce à une technique « tachiste »
innovante, une touche peu précise mais énergique, des tonalités assez
froides. Ce n’est pas pour rien que Monet sera baptisé le « Raphaël de
l’eau » par Manet.
Monet La Barque 1887 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_Presse
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3-F Bourreau de travail, ni le gel ni la fatigue ne l’arrêtent
Monet Paysage de Norvege Les maisons bleues 1895 (c)musee Marmottan Monet
Paris_Bridgeman Giraudon
Contrairement à la légende, Monet ne peint pas toujours en plein air,
directement sur le motif. Parfois, il termine ses tableaux à l’intérieur, ou il
les exécute entièrement en atelier comme les grands « Nymphéas ».
Reste qu’il travaille beaucoup dehors et par tous les temps. Et que ni le
froid ni la tempête ne l’empêchent de sortir. Il enfile trois manteaux
et s’échappe avec ses pinceaux, y compris lorsqu’il fait si froid que la
Seine gèle. Et il affronte sans problème la Norvège en hiver (ci-dessus)
pour y trouver une lumière qui l’intéresse. Dans la Creuse (ci-dessous), à
l’hiver 1889, les conditions météo sont si terribles que ses doigts se
couvrent d’engelures : il les enduit de graisse, met des gants et continue
de plus belle. À Belle-Île, en 1886, il travaille d’arrache-pied même si dans
la ferme où il est logé, les rats dans le grenier et les grognements du
cochon l’empêchent de dormir. C’est un « bosseur » qui n’hésite pas,
quand il est mécontent du résultat, à déchirer, brûler, détruire…
Valle"e de la Creuse. Effet du soir, 1889 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman
Giraudon
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3-G Businessman, il sait faire monter sa cote
Certes, il a été pauvre, mais pas tout le temps. Certains soulignent
malicieusement que même lorsque Monet crie famine, il a une bonne à la
maison. À ses débuts, il brade ses toiles environ 50 francs. Mais déjà
Camille en robe verte événement du Salon de 1866, est vendue
800 francs quand le salaire mensuel d’une bonne s’élève à peine à
30 francs. Durand-Ruel, son premier marchand, lui achète ses œuvres
300 francs au tournant des années 1870. Les ventes lui rapportent en tout
25000 francs en 1873 ! Mais six ans plus tard, il n’en gagne plus que la
moitié. Le peintre sait alors se renouveler et jouer de la rivalité entre les
galeristes pour organiser des expositions à succès (dont celle avec Rodin
en 1889). Sa cote atteint 2 500 francs par toile vers 1890. Elle ne cesse
de grimper. Monet demande 15 000 francs en 1894 pour chaque
« Cathédrale ». Et après la guerre de 1914, il vend certains des
« Nymphéas » plus de 30 000 francs pièce. De quoi finalement élever huit
enfants et entretenir Giverny avec sa horde de jardiniers.
Monet Nympheas 1903 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon
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3-H L’art de creuser son sujet : répétitions et séries
Dès ses premiers coups de pinceau ou presque, Monet s’essaie
à peindre des toiles par paire, en représentant un même motif sous des
éclairages différents. Une méthode qu’il utilise ensuite de loin en loin
avec, le plus souvent, des cadrages et des formats variables. Puis, dans
les années 1880, il commence à travailler, sous des angles de plus en plus
proches, quatre, cinq, voire neuf fois le même sujet tel le ravin de la
Creuse ou la vallée de la seine. Il s’agit pour lui de saisir les fugaces effets
de lumière : il met en chantier plusieurs toiles en même temps et les
avance en parallèle en fonction des différentes heures du jour et de la
météo. Il lui est arrivé de travailler sur onze tableaux distincts lors d’une
journée ! à l’inverse, quand des pluies incessantes bloquent son travail
pendant plusieurs jours, il est parfois obligé, le soleil revenu, de faire
enlever les feuilles qui ont poussé entre-temps et lui ont changé son
motif !
Monet, La Seine a Port-Villez. Effet du soir, 1894 inv.5025 (c)musee Marmottan Monet,
Paris_Bridgeman Giraudon_/ Monet, La Seine a Port-Villez. Effet rose, 1894 in.5002 (c)musee
Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon
À force de répéter ses sujets, et peut-être inspiré par les suites
d’estampes japonaises dont il est grand collectionneur, Claude Monet en
arrive au concept de série : « Meules » (en 1890 et 1891), « Peupliers »
(en 1891), « Cathédrales » (datées de 1894, mais réalisées en 1892 et
1893) avant « Londres » et « Venise »… La différence avec les vallées de
la seine par exemple ? D’abord le nombre : quinze, vingt, trente…
Surtout, dorénavant, le peintre cherche non seulement à travailler les jeux
de lumière, mais aussi à produire un effet de groupe : les toiles sont
retravaillées en atelier pour en harmoniser les couleurs et l’unité.
D’ailleurs, elles sont conçues dès le départ pour être exposées ensemble.
Comme l’écrit Camille Pissarro à son fils Lucien : « Je regretterais que tu
ne sois ici avant la fermeture de l’exposition de Monet ; ses “Cathédrales”
vont être dispersées d’un côté et d’autre, et c’est surtout dans son
ensemble qu’il faut que ce soit vu ».
Cathédrale de Rouen. Effet de soleil. Fin de journée, 1892Huile sur toile, 100 x
65 cm5002 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudo
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3-I Quand Monet affronte la lumière du sud
Monet a longtemps été un grand voyageur, toujours à la recherche de
motifs inédits. Habitué des ambiances froides et humides du Nord, il est
d’abord dérouté par la lumière de la Méditerranée lorsqu’il descend dans le
Sud en 1884. Comment « saisir le ton de ce pays » ? ll relève le défi avec
une palette plus chatoyante, des contrastes plus forts et un style plus
spontané qui, il le sait, va plaire aux collectionneurs.
Monet Vallee de Sasso Effet de soleil 1884 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman
Giraudon
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3-J La passion du jardinage
Dès son arrivée à Giverny en 1883, Monet s’attaque au jardin. Il remplace
les épicéas de l’allée centrale par des rosiers, les arbres fruitiers par des
cerisiers du Japon, et relègue le potager hors de sa vue… Sous ses
fenêtres, il ne tolère que les fleurs ! Du printemps à l’automne, le jardin
est toujours coloré. « Dès qu’une fleur se fane, je l’abats, je la remplace.
Les fleurs ne peuvent pas vieillir », confiera-t-il en 1926 à un journaliste.
Ses goûts sont éclectiques : roses, tulipes, soleils, dahlias, gloxinias,
capucines, iris… Les plants sont regroupés par couleur dans des parterres
rectangulaires. Une organisation chromatique qui fera dire à sa femme
Alice : « Le jardin est ton autre atelier, elle est là ta palette ».
Pour Monet, les fleurs sont une source d’inspiration. Le maître partage la
passion du jardinage avec plusieurs de ses amis : Octave Mirbeau,
Georges Clemenceau, Gustave Caillebotte et Lucien Guitry. Son érudition
grandit au fil des années. Sa bibliothèque recèle la meilleure encyclopédie
d’horticulture de l’époque, le Nicholson et Mottet en cinq volumes. Et
lorsqu’il s’absente pour peindre, parfois pendant de longues semaines, il
ne peut s’empêcher, dans ses lettres, de prodiguer des conseils :
« Étiqueter les dahlias par couleur, acheter des tuteurs en châtaignier
pour les rosiers, semer les gazons, bouturer les petites capucines… »
Comme en peinture, le jardinier Monet recherche la perfection. Au début,
les enfants sont mis à contribution, mais très vite, ce sont des
professionnels qui assurent l’entretien. À la fin de sa vie, Monet emploiera
une dizaine de jardiniers ! Avec eux, il se lancera même dans la création
d’hybrides et obtient un iris baptisé Blanche, un pavot Monetti et un dahlia
Digouennaise.
Monet Les Iris jaunes 1924-1925 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_
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3-K Avec les Nymphéas, Monet crée son propre motif
Les trente dernières années de la vie de Monet sont en grande partie
consacrées aux séries des « Nymphéas ». En 1893, la propriété de
Giverny s’agrandit d’un terrain situé juste en face du jardin, entre la route
et le cours d’eau. L’artiste veut y installer un bassin. Comme il l’avouera
lui-même, ce sera « une œuvre lente, poursuivie avec amour ». Dès le
début, Monet a une idée très précise : un étang, un pont japonais, un
saule pleureur, des nénuphars… Tout est réfléchi et agencé de sorte à
accentuer les jeux de lumière et les reflets des végétaux sur la surface de
l’eau. Ici, le peintre et le jardinier ne font plus qu’un. Le jardinier façonne
un paysage unique et complexe pour les besoins du peintre. Autour du
bassin, des iris et des agapanthes. Sur l’eau, des hybrides de nénuphars,
les célèbres nymphéas roses. Monet se les procure dès 1894 auprès du
pépiniériste Joseph Bory Latour-Marliac, qui a créé cette variété à partir
d’un nymphéa sauvage rouge apparu dans le fjord suédois de Fagertärn.
Mais Monet ne commencera à peindre ces fleurs aquatiques que quelques
années plus tard. « J’ai mis du temps à comprendre mes nymphéas »,
explique-t-il modestement. Plus le temps passe, plus ce bassin et sa
végétation l’obsèdent. Alice, sa femme, en est parfois exaspérée : « J’ai
besoin d’air, écrit-elle dans une de ses lettres. On ne peut pas rester
enfermé comme cela dans un tableau ». Elle voit juste : il s’agit bien là
d’une œuvre d’art. D’ailleurs, avec l’âge, Monet renonce aux voyages et
pose son tréteau sur les rives de ce bassin qui devient son sujet quasi
unique, et le thème de sa dernière œuvre monumentale : les
« Nymphéas », exposés à l’Orangerie à Paris
Monet Nympheas Effet du soir 1897 (c)musee Marmottan Monet Paris Bridgeman Giraudon
2 - Nympheas 1917-1919 (c)musee Marmottan Monet Paris Bridgeman Giraudon
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4°) Le clan Monet
Le peintre est un indépendant. Mais pas un solitaire. Ses fidèles l’ont aidé
à monter sur les cimes de l’art.
Sa famille
Claude-Adolphe (1800-1871) et Louise Justine (1805-1857) Monet,
ses parents.
En 1845, Monsieur Monet installe sa famille au Havre, parce qu’il rentre
dans l’entreprise d’épicerie de son beau-frère Lecadre. Il s’oppose à la
vocation de son fils. Et surtout à ses amours hors-mariage avec Camille
Doncieux. Madame Monet est beaucoup plus proche du tempérament
artistique d’Oscar (comme elle l’appelle) mais elle meurt quand le jeune
homme a 16 ans.
Marie-Jeanne Lecadre (1790-1870)
Demi-sœur aînée de Monet père, peintre amateur, sans enfant, elle prend
en affection le jeune Oscar-Claude, surtout après le décès de sa mère. Elle
croit aux talents de son neveu, le pousse à suivre des cours et le
recommande à ses amis artistes. Un temps, elle lui versera une pension et
« rachètera » la fin de son service militaire (3!025 F)
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Camille son premier amour sur la plage de Trouville.
Monet Sur la plage a
Trouville 1870 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_
Camille Doncieux (1847-1879)
Premier amour de Monet, elle a 18 ans quand elle commence à poser pour
Claude. Elle devient son modèle favori, et la mère de son fils Jean, né en
1867, au grand dam de la famille Monet. Camille meurt en 1879, peu
après la naissance de Michel. Dès lors, le paysage prendra définitivement
le pas sur la figure dans l’œuvre du peintre.
Alice Hoschédé 1844-1911
Épouse du premier mécène de Claude Monet elle s’installe, après la faillite
de son mari, avec ses six enfants chez les Monet en 1878. Et restera
après la mort de Camille l’année suivante. Véritable ange du foyer, Alice
tient la maison, veille à la table (Monet est très gourmand), élève les
enfants… Elle sait aussi merveilleusement calmer la mauvaise humeur du
maître lorsque ce dernier est contrarié par la météo. Claude l’épouse
en 1892. Sa disparition au cours de l’année 1911 abat le peintre.
Michel Monet et Jean-Pierre Hoschédé, les deux petits derniers de la famille
recomposée de Claude Monet. Monet, Michel Monet et Jean-Pierre Hoschede, 1881
inv. 2060 (c)musee Marmottan Monet, ParisBridgeman Giraudon
Michel Monet (1878-1966)
Après la mort de son frère aîné en 1914, Michel Monet reste le seul
descendant direct du peintre et son unique héritier. Explorateur dilettante,
il meurt en léguant Giverny et la collection de tableaux de son père au
musée Marmottan.
19
Jean Monet (1867-1914)
Fils aîné de l’artiste et de Camille Doncieux, il épouse Blanche Hoschédé
(deuxième fille d’Alice). Chimiste, iltravaille auprès de son oncle Léon
Monet. En 1911, il se reconvertit et ouvre un élevage de truite. Mais
malade il meurt en 1914
Blanche Hoschédé-Monet (1865-1947)
Blanche est la belle-fille de Claude à double titre : elle est la fille d’Alice et
la femme de Jean, le fils aîné. Peintre, elle apprend le métier auprès de
son beau-père. Elle vient tenir Giverny après la mort de sa mère et de son
mari. Clemenceau la surnomme « l’Ange bleu ».
Son mécène
Ernest Hoschédé (1837-1891)
Riche négociant en dentelle et cachemire, Ernest Hoschédé aime la
peinture moderne. Il achète Impression, soleil levant en 1874. Et deux
ans plus tard, commande des panneaux décoratifs à Monet pour le
château de sa femme Alice, à Montgeron. Juste avant de faire faillite.
Ses confrères
Auguste Renoir (1841-1919)
Ce camarade de jeunesse partage avec Monet les folles journées créatives
en bord de Seine (La Grenouillère) et la misère. Auguste Renoir parcourt
des lieues à pied pour donner à la famille de son ami, ses maigres
quignons de pain. Ils restent proches malgré des chemins artistiques
différents.
Gustave Caillebotte (1848-1894)
« Riche et généreux, deux qualités qui s’opposent d’habitude », dixit
Monet. Gustave Caillebotte aide ses amis impressionnistes en leur
achetant des tableaux, en louant des ateliers… Il lègue sa magnifique
collection à l’état. Qui d’abord n’en veut pas (elle est aujourd’hui à Orsay).
ll a, tout comme Monet, la passion des fleurs.
Frédéric Bazille (1841-1870)
Infatigable compagnon d’ateliers et de virées à la campagne, Frédéric
Bazille ne cesse dans les années 1860 de soutenir matériellement Monet,
malgré ses propres difficultés financières. Il admire fortement le peintre
qui le traite un peu de haut. Il meurt pendant la guerre de 1870.
20
Camille Pissarro (1830-1903)
Peintre Danois, né aux Iles Vierges, Pissarro rencontre Monet en 1859 à
Paris. Il participe au groupe impressionniste dès la première exposition de
1874. Leur amitié ne se démentira pas jusqu’à la mort de Pissarro.
Berthe Morisot (1841-1895)
Modèle, notamment pour Manet (dont elle épousera le frère) et peintre
(elle fut l’élève de Corot), Berthe Morisot rejoint le groupe impressionniste
dès l’exposition de 1874. « C’est la seule femme peintre que je connaisse,
dira Claude Monet. Avec elle pas de littérature, pas de leçon apprise.
L’impression est directe et d’une sensibilité si féminine. »
Alfred Sisley (1839-1899)
Peintre anglais, né à Paris, Sisley rencontre Monet en 1862. Il fait partie
de l’aventure impressionniste mais ne connaît que peu de succès de son
vivant. Pauvre et malade, il meurt en laissant ses enfants à la
recommandation de Monet .
Edouard Manet (1832-1883)
Leur histoire commence mal : au Salon de 1866, tout le monde félicite
Manet pour son tableau La Dame à la robe verte… une œuvre qui est en
fait de Monet ! Fureur de Manet qui finit par s’adoucir et même acheter
des toiles à Monet. Ce dernier, après la mort de son « homonyme », se
bat pour faire entrer Olympia au musée du Louvre.
Paul Cézanne (1839-1906)
Monet admire beaucoup le maître de la Sainte Victoire. Il garde
notamment, dans sa chambre à Giverny, Le nègre Scipion, tableau qu’il
considère comme un « morceau de première force ». C’est avec cette toile
qu’il convainc Clémenceau de l’importance de Cézanne.
Ses maîtres
Eugène Boudin (1824-1898)
Le peintre s’entiche du jeune caricaturiste qui pourtant, à leur rencontre
vers 1856, trouve les marines du Honfleurais « dégoûtantes ». Mais
Boudin convainc l’adolescent de peindre avec lui en plein air. « Ce fut tout
à coup comme un voile qui se déchire : j’avais compris, j’avais saisi ce
que pouvait être la peinture. »
Johan Barthold Jongkind (1819-1891)
Le paysagiste hollandais croise Monet en 1862 à Honfleur, et le prend
sous son aile. « II fut à partir de ce moment-là mon vrai maître et c’est à
lui que je dus l’éducation définitive de mon œil. »
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Ses marchands
Paul Durand-Ruel (1831-1922)
Durand Ruel rencontre Monet à Londres en 1870. Il lui achète aussitôt des
tableaux (300 F) et soutient par la suite activement la cote de son
poulain. Malgré les infidélités de ce dernier, il l’aide à acheter Giverny en
1890. Et il est le tout premier à exporter Monet et les impressionnistes en
Amérique.
Théo Van Gogh (1857-1891)
Théo Van Gogh achète son premier Claude Monet en 1885, avant même
l’arrivée à Paris de Vincent, son frère. Il organise deux expositions
personnelles du peintre en 1888 et 1889, mais, simple employé de la
maison Goupil, il ne peut rivaliser avec les autres marchands.
Georges Petit (1856-1920)
Grand rival de Durand-Ruel, Georges Petit est un habile homme d’affaires
qui attire dans sa galerie de nombreux impressionnistes. En 1889, il
organise chez lui la grande exposition Claude Monet (145 toiles)/Auguste
Rodin (36 sculptures). Un triomphe.
Ses amis
Georges Clemenceau (1841-1929)
C’est « le Tigre » qui sort le peintre de la dépression où l’a plongé la mort
d’Alice et l’oblige à reprendre ses pinceaux. Il l’appelle « mon pauvre
vieux crustacé », « mon cher homme des bois ». Et lui fait livrer du
charbon pour ses serres pendant la guerre. Selon la légende, à
l’enterrement de Monet, il aurait ôté le drap noir du cercueil pour y
déposer un tissu fleuri.
Octave Mirbeau (1848-1917)
Le journaliste et romancier Octave Mirbeau défend le style novateur de
Monet dès le milieu des années 1880. Il sera un des familiers de Giverny,
malgré la jalousie qu’éprouve Alice Hoschédé envers Madame Mirbeau.
Gustave Geoffroy (1855-1926)
Critique d’art, historien, romancier Gustave Geoffroy publie son premier
article élogieux sur Monet en 1884. Leur amitié ne se démentira pas, et il
écrit la première biographie du peintre en 1922
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5°) Claude Monet a-t-il inventé l’art abstrait ?
À voir l’influence du père de l’impressionnisme sur les ténors de
l’abstraction, on peut se poser la question…
Monet inventeur de l’art abstrait ? En voilà une interrogation inhabituelle
concernant le chef de file des impressionnistes ! Car pour représenter ses
paysages, il est allé jusqu’à installer son chevalet à l’extérieur afin de
peindre les couleurs des champs de coquelicots, les reflets du soleil sur la
Tamise, la cathédrale de Rouen à différentes heures du jour… Et pourtant,
difficile de ne pas voir une parenté entre les artistes abstraits américains
d’après la Seconde Guerre mondiale et lui. Et s’il ne cherchait pas à être
un peintre abstrait, il n’en apparaît pas moins comme un précurseur du
mouvement. En effet, ses recherches sur les effets de lumière ou de
brume et sa volonté d’exprimer ses sensations amènent Monet, à partir
des années 1890 – il a alors une cinquantaine d’années –, à diluer les
formes et à s’éloigner peu à peu d’une représentation réaliste du monde.
Il s’enferme à cette époque dans sa propriété de Giverny, en Normandie,
où il mène des expériences d’une incroyable originalité. à contre-courant
des recherches d’un Cézanne ou d’un Picasso, qui font évoluer l’art vers la
géométrie. D’autant plus qu’à partir des années 1910, atteint de la
cataracte, le maître perçoit de moins en moins formes et couleurs : plus
que jamais, ses œuvres frisent l’abstraction.
Pas étonnant, donc, qu’il ait inspiré les peintres qui ont osé renoncer à la
figuration. Ainsi dès 1895, Vassily Kandinsky tombe en arrêt devant un
tableau de la série des « Meules ». Dans un premier temps, il n’en
distingue pas le sujet, mais son émotion n’en est pas moins intense : le
Russe comprend que l’art n’a pas besoin de représenter un objet réel. Ses
toiles se font, dès lors, moins figuratives. Et vers 1910, le voilà devenu un
des fondateurs de l’art abstrait.
Une des meules de Monet a poussé Kandinsky sur le chemin de l’abstraction
La Meule par Monet 1889-1890 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon.jpg
Cependant, s’il suscite l’engouement de Kandinsky, Monet, après sa
période impressionniste, reste mal compris. Inaugurés un an après sa
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mort, en 1927, au musée de l’Orangerie à Paris, les panneaux décoratifs
des « Nymphéas », avec leurs formes presque méconnaissables, laissent
le public indifférent. Pour qu’on s’y intéresse, il faut attendre
l’enthousiasme des artistes abstraits américains des années 1950 :
Jackson Pollock, bouleversé par un triptyque des « Nymphéas » exposé au
MoMA à New York, Sam Francis, qui vient admirer les panneaux in situ, ou
encore Joan Mitchell, qui s’installe à Vétheuil, près de Giverny, dans une
maison où avait vécu le peintre. Claude Monet se trouve alors érigé en
grand-père de l’abstraction.
Le geste pictural constitue l’œuvre d’art
Vous vous frottez les yeux en vous demandant ce que Monet a bien pu
peindre là ? Il s’agit du pont japonais de son jardin de Giverny. Mais le
dessin disparaît derrière les coups de pinceau. D’ailleurs, à cette date,
en 1918, le maître a cessé de travailler en extérieur. « Par endroits, on
aperçoit même la toile brute, preuve que le geste et l’émotion importent
plus à Monet que la représentation d’un paysage . Pas surprenant que le
Français ait suscité l’enthousiasme de l’Américain Jackson Pollock ! Pour
cet artiste abstrait des années 1950, une œuvre est constituée avant tout
par le geste pictural, qui doit exprimer un sentiment. On doit donc en
percevoir le jaillissement. C’est ce qu’on appelle l’« Action painting »
Le Pont japonais par Monet vers 1918 (c) musée Marmottan, Paris Bridgeman Giraudon
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La lumière surgit des couleurs
Regardez cette lumière qui jaillit de la couleur, à l’intérieur du tableau cidessous ! Dans la peinture classique, elle émanait d’un point précis – une
lanterne, le soleil du matin ou du soir… – et projetait des ombres sur la
scène représentée. Mais Monet rompt avec cette tradition. Pour lui, la
lumière ne constitue pas un simple « éclairage » : elle emplit toute la toile
de ses vibrations. « La couleur doit toujours sa luminosité à la force du
contraste plus qu’à ses qualités propres, et ces couleurs primaires
paraissent plus lumineuses lorsqu’elles s’opposent à leurs
complémentaires », affirme-t-il. Dans ce paysage, la lumière surgit du
choc visuel entre les rouges, les bleus et les verts, et exprime les
sentiments du peintre face à la nature… soixante-dix ans avant les
champs colorés de Mark Rothko !
Charing Cross Bridge Fumees dans le brouillard impression par Monet 1899-1901 (c) musée
Marmottan Monet, Paris Bridgeman Giraudon
La forme et l’espace en 3D se diluent
Voyez ces glycines (ci-dessus), originellement destinées à surmonter
les « Nymphéas » du musée de l’Orangerie : pas de perspective et aucun
élément en trois dimensions ! Monet dilue les contours, jusqu’à rendre les
formes presque méconnaissables, transformant la végétation et l’étang en
simples étendues colorées. Grâce à un cadrage resserré, l’espace, sans
commencement ni fin, semble déborder l’œuvre. Voilà qui est visionnaire !
Quarante ans plus tard, aux États-Unis, pour Sam Francis la forme sera en
effet constituée par la tache colorée. Et ses aplats de couleur, disposés
sans hiérarchie, paraîtront, comme ici, se prolonger au-delà du cadre.
Les Glycines par Monet (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon
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6°) L’œil de Claude Monet
Quinze années durant, Monet a souffert de cataracte. Cette
maladie eut-elle une incidence sur ses dernières toiles ?
Au début des années 1920, grâce à sa prodigieuse mémoire des couleurs,
Monet peint sa maison et le jardin aux roses, avec des teintes éclatantes
alors qu’il doit la percevoir dans un brouillard « boueux » comme à gauche
(La maison vue du jardin 1922-1924 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman
Giraudon_presse/ Pof Michael.F Marmor)
Un ciel verdâtre, des marguerites entièrement jaunes, des roses rouges
devenues maronnasses... Voilà ce que devait voir Claude Monet en 1912,
lorsque l’on décela chez lui les symptômes de la cataracte. Ce maître de la
couleur, habitué à jouer sur les nuances les plus subtiles et dont Cézanne
affirmait qu’il n’était « qu’un œil », perdait progressivement la vue. « Je
ne percevais plus les couleurs avec la même intensité... Les rouges
m’apparaissaient boueux... », déclarait-il en 1915. L’impressionniste
rangeait même ses tubes de couleur de façon méthodique pour être sur
de ne pas se tromper. Aujourd’hui grâce à des travaux d’ophtalmologues,
on peut voir à travers les yeux malades du peintre et comprendre
comment ces troubles de la vue ont eu un impact sur son art.
Premier constat, l’œil opacifié de Monet altérait sa perception de l’espace.
L’artiste perdait en effet sa « vision binoculaire », permettant de voir
l’environnement proche en relief et en profondeur. « Il avait plus de
difficulté à recréer dans ses toiles la distance entre le premier et le second
plan », estime Philippe Lanthony, ophtalmologue, auteur du livre Des yeux
pour peindre (éd. RMN). Quelle conséquence sur l’œuvre ? Ce spécialiste
des pathologies de l’œil invite à bien observer la série du maître
représentant le pont japonais dans son jardin de Giverny. Avant que ne se
déclare la maladie, le pont, plus clair, se détache vraiment bien du reste
du jardin. Après, il semble se dissoudre complètement dans la nature.
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Autre handicap!: la vision de Monet devenait floue. Avant qu’il ne
consente à se faire opérer (avec un relatif succès) en 1923, l’acuité de son
œil gauche était tombée à 1/10e, si faible qu’il ne pouvait plus ni lire ni
écrire. Au même moment, le peintre réalise des toiles à la limite de
l’abstraction où les formes des arbres et des plantes se font de plus en
plus imprécises.
Surtout, à cause de la cataracte, le coloriste ne discernait plus les
« vraies » couleurs. En simplifiant, on pourrait dire qu’une sorte de voile
jaune recouvrait tout ce qu’il voyait et que certaines teintes, elles,
disparaissaient totalement, notamment le rouge et le bleu. Monet, pour
compenser, a pu être tenté d’utiliser des couleurs de plus en plus crues,
surtout en forçant l’intensité de celles qu’il ne percevait plus. C’est du
moins l’opinion d’un autre ophtalmologue, Michael F. Marmor, qui
consacre à ce sujet un chapitre passionnant dans Monet, l’œil
impressionniste (éd. Hazan).« On commence à voir apparaître des teintes
saturées au moment où la maladie progresse, alors qu’elles étaient
totalement absentes jusque-là, note le spécialiste. La cataracte a joué sur
la faculté de Monet à apprécier les couleurs, de telle manière que même
en cherchant à retrouver les bonnes teintes de mémoire, il était incapable
de travailler avec précision. Après son opération, dans ses grands
Nymphéas pour l’Orangerie par exemple, il revient à des œuvres moins
abstraites, aux nuances plus subtiles. » Autre élément appuyant
l’hypothèse de Marmor: lorsqu’il a mis ses nouvelles lunettes sur son œil
opéré, Monet détruisit beaucoup de toiles réalisées les années
précédentes.
« La plupart des historiens d’art nient le rôle de la pathologie. Pour eux, le
génie explique tout, regrette Philippe Lanthony. Pourtant, cette analyse
apporte une explication à l’évolution de certains peintres. Je pense à
Degas, borgne à l’âge de 35 ans, dont le style s’est relâché au fur et à
mesure que sa vue se dégradait, ou à Munch, qui voyait des points noirs,
du fait d’une hémorragie touchant son œil, points qu’il transformait en
oiseaux menaçants sur la toile. » Pourquoi pas simplement regarder d’un
autre œil le génie du peintre, qui, malgré l’obscurité envahissant son
champ de vision, jetait sur la toile une nature lumineuse ?
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7°) Monet et les Américains
Claude Monet n’a pas fondé d’école à proprement parler et n’a jamais eu
d’élève (sauf sa belle-fille, Blanche Hoschédé, fille de sa seconde femme
Alice). Il s’est portant retrouvé chef de file malgré lui des artistes
étrangers tentés par l’aventure impressionniste.
En 1883, le maître s’installe dans la maison du Pressoir, à Giverny, qui ne
compte alors guère plus de 300 âmes. Le foyer prend bientôt des allures
de maison tribale, car en plus de l’artiste et de sa compagne Alice
Hoschedé, de ses deux fils et des six enfants d’Alice, surgissent bientôt de
nombreux talents américains qui espèrent se familiariser avec la peinture
moderne. Vers 1885, John Singer Sargent (1856-1925), sans doute le
plus grand portraitiste d’outre-atlantique au XIXe siècle, est le premier à
rendre visite à la célébrité locale. Il le représente même peignant à l’orée
d’un bois. En 1886, c’est au tour de Théodore Robinson (1852-1896) de
l’approcher. Ce peintre de talent sera l’un des premiers à s’essayer à la
touche impressionniste. Le courant passe si bien qu’il entretient une
correspondance avec Monet et détaille sa méthode de travail dans son
journal. En 1887, c’est John Leslie Breck (1860-1899) qui s’introduit chez
le patriarche. -Monet le laisse même peindre dans son jardin. Avant de le
congédier définitivement, celui-ci s’intéressant de trop près à une de ses
belles-filles ! On pourrait en citer beaucoup : Theodore Butler (18611936), plus chanceux, qui se mariera avec une des filles d’Alice, Suzanne.
Mais aussi Lilla Cabot Perry (1848-1933) ou Frederick Carl Frieseke
(1874-1939), qui entretenaient avec lui plus que des rapports de bon
voisinage. Durant la quarantaine d’années qu’il passe à Giverny, Claude
Monet s’impose finalement comme le chef spirituel de cette colonie
d’artistes jeunes qui rôdent autour de sa propriété. Même s’il finit par
devenir inaccessible, retranché dans son jardin, les quelque 350 artistes
passés par le village viennent pour apercevoir cette figure quasi
légendaire, glaner quelques conseils ou même copier ses sujets. C’est
ainsi que l’on retrouve la célèbre touche, rapide et colorée, de Monet ou
ses effets de lumière dans la plupart des tableaux de cette génération.
Breck ira jusqu’à brosser une série de douze meules de foin pour tenter de
percer le secret du maestro ! Si vous passez par Giverny, faites un détour
par la tombe de Monet. Tout près se trouve la stèle de Butler, qui s’est fait
enterrer à deux pas de son beau-père. Un dernier témoignage du lien fort
entre Monet et sa « famille » américaine
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8°) Histoire du musée
Le Musée Marmottan Monet, ancien pavillon de chasse de Christophe
Edmond Kellermann, duc de Valmy, est acquis en 1882 par Jules
Marmottan. Son fils Paul en fait sa demeure et l’agrandit d’un pavillon de
chasse destiné à recevoir sa collection d’objets d’art et de tableaux
Premier Empire. A sa mort, en 1932, il lègue à l’Académie des Beaux-Arts
l’ensemble de ses collections ainsi que son hôtel particulier qui devient le
musée Marmottan en 1934 ainsi que la bibliothèque de Boulogne riche en
documents historiques.
En 1957, le Musée Marmottan Monet reçoit en donation la collection de
Victorine Donop de Monchy, héritée de son père le Docteur Georges de
Bellio, médecin de Manet, Monet, Pissarro, Sisley et Renoir qui fut l’un des
premiers amateurs de la peinture impressionniste.
Michel Monet, second fils du peintre, lègue en 1966 à l’Académie des
Beaux-Arts sa propriété de Giverny et sa collection de tableaux héritée de
son père pour le Musée Marmottan. Il dote ainsi le Musée de la plus
importante collection au monde d’œuvres de Claude Monet. L’architecte
académicien et conservateur du Musée Jacques Carlu construit alors une
salle inspirée de celle des grandes décorations de l’Orangerie des Tuileries
pour y recevoir la collection.
Les œuvres réunies par Henri Duhem et son épouse Mary Sergeant
viennent admirablement compléter ce fonds en 1987 grâce à la générosité
de leur fille Nelly Duhem. Peintre et compagnon d’armes des postimpressionnistes, Henri Duhem fut aussi un collectionneur passionné
rassemblant les œuvres de ses contemporains.
En 1996, la Fondation Denis et Annie Rouart est créée au sein du Musée
Marmottan Monet dans le respect du souhait de sa bienfaitrice. Le Musée
enrichit alors ses collections d’œuvres prestigieuses de Berthe Morisot,
Edouard Manet, Edgar Degas, Auguste Renoir ou encore Henri Rouart.
Daniel Wildenstein offre l'exceptionnelle collection d'enluminures de son
père au Musée Marmottan en 1980.
Depuis lors de nombreux autres legs, tout aussi importants, sont venus
compléter les collections du musée tels que ceux d’Emile Bastien Lepage,
de Vincens Bouguereau, d’Henri Le Riche, de Jean Paul Léon, d’André
Billecocq, de Gaston Schulmann, de la Fondation Florence Gould, de Roger
Hauser, de Cila Dreyfus, ou encore celui de Thérèse Rouart.
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9°) Activités pédagogiques
9-A Le nouveau nom (Histoire des arts/Français)
-
Après avoir raconté le scandale impressionniste, trouver un autre
titre pour Impression Soleil Levant.
Puis décliner-le pour donner un nouveau nom aux Impressionnistes
9-B Devenons caricaturistes (Histoire des arts/ Informatique)
-
Observez les caricatures de Claude Monet
Recherche encadrée dans le dictionnaire et sur Internet : qu’est-ce
qu’une caricature ? Trouver des exemples de caricatures, anciennes
et contemporaines Quels sont leurs points communs ? etc.
Avec un logiciel de caricature gratuit à télécharger sur Internet,
caricaturer un héros de BD, un présentateur vedette de la télévision,
un(e) chanteur(se)……
9-C Le mystère des couleurs (Arts plastiques/Sciences)
-
Rappel sur les couleurs primaires (rouge, jaune, bleu) secondaires
(violet, orange, vert) et les associations de complémentaires
-
Les impressionnistes étaient de savants coloristes. Ils connaissaient
notamment les travaux du chimiste Eugène Chevreul et sa Loi du
contraste simultané des couleurs énoncée en 1839 dans un ouvrage
intitulé De la loi du contraste simultané des couleurs et de
l'assortiment des objets colorés.
o À retenir : A) Une couleur n’est pas perçue isolément des
couleurs qui l’entourent. Et toute couleur perçue appelle sa
complémentaire pour exister. L’oeil a tendance à appeler la
couleur manquante complémentaire pour former un équilibre
neutre dans notre cerveau. Exemple pratique : le bleu appelle
sa complémentaire soit du orange. Donc un rouge ou un jaune
placés juste à côté paraîtront plus « orangés ». Tandis que le
bleu s’il est placé à côté du rouge tirera vers le vert (à cause
30
de la complémentaire du rouge) et placé à côté du jaune tirera
vers le violet. Bien entendu d’après cette loi, les couleurs
complémentaires s’exaltent l’une l’autre (Observez Impression
Soleil Levant)
o B) D’autre part, à partir de deux taches de couleurs
différentes, l’oeil opère ce que l’on appelle un mélange
optique, c’est-à-dire que ces deux couleurs (ou plus),
distinctes sont perçues simultanément comme une
combinaison, une fusion en une nouvelle couleur.Ce principe a
notamment été utilisé par les impressionnistes et les
pointillistes. Au lieu d'employer un vert mélangé sur la palette
(mélange mécanique), ils appliquaient sur la toile une touche
de jaune superposée ou juxtaposée à une touche de bleu. (
Cette loi est abondamment utilisée dans les procédés de
reproduction photomécanique (sérigraphie, imprimerie...). Les
surfaces colorées sont décomposées en points ou en trames
de couleurs séparées (trois couleurs primaires + le noir = la
quadrichromie), qui se fondent dans l'oeil du spectateur de
façon à ce que la couleur se mélange par simple perception :
d'où le terme mélange optique.)
-
Observez des tableaux impressionnistes et pointillistes (Seurat). Et
des images tramées en quadrichromie
Peindre avec des couleurs pures un rond jaune entouré de bleu ou
de rouge, un rond bleu entouré de jaune ou de rouge etc.…
Observez les différences de perception.
Peindre une nature morte uniquement avec des petits points de
couleurs.
9-D L’énigme du Nénuphar (mathématiques)
-
Un nénuphar double de surface tous les jours et met trente jours à
recouvrir tout un lac. Combien de jours faudra-t-il au nénuphar
pour qu'il recouvre la moitié de ce lac ?
31
9-E Moderne, vous avez dit moderne ? (art plastique/Histoire)
Les Impressionnistes ont peint la nature mais aussi la modernité de leur
époque : trains, usines, nouvelle société des loisirs….
- Sur la notion de modernité : enquête auprès des parents, grandsparents sur ce qui est nouveau, moderne. Demander ce qui est
utilisé aujourd’hui et qui n’existait pas quand les parents/grandsparents étaient petits
- Représenter cette modernité : peinture, photo, collage…
9-F Jeux de lumière (art plastique/science)
Une des obsessions de Claude Monet : saisir l’instant, peindre un même
motif à différentes heures du jour et/ou selon les saisons.
-
Si possible placez un objet dans la cour de l’école dans endroit
ensoleillé. Observer/photographier le matin, à midi, l’après midi… un
jour d’automne, un jour d’hiver un jour de printemps. Observez les
changements de lumière, le trajet du soleil dans le ciel, les
mouvements de l’ombre etc.
- Travail sur la rotation de la Terre sur elle-même et autour du soleil :
le jour et la nuit, les fuseaux horaires, les saisons….
(Une bonne documentation sur http://www.acnice.fr/clea/lunap/html/Revolution/RevolutionEnBref.html)
9-G la grande saga du paysage (histoire des arts/ sciences)
Claude Monet est assurément un des grands paysagistes de l’art
occidental.
- Avec des reproductions esquissez l’histoire de la peinture de
paysage. Exemple : Les riches heures du Duc de Berry, un portrait
Renaissance avec un paysage à travers la fenêtre ou derrière le
sujet (La Joconde), Le Lorrain, Poussin, Watteau, Constable, Turner,
Corot, Millet, Courbet… Puis les Impressionnistes. Enfin, Derain,
Soutine, Dufy… jusqu’à friser l’abstraction avec Nicolas de Staël.
- Observer, chercher, réfléchir . Pistes : qu’appelle-t-on un
“paysage” ? Qu’est-ce qu’un paysagiste ? (Un peintre de paysages
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-
-
et/ou un dessinateur qui aménage les jardins et les“espaces verts”.
Quelle sorte de paysagiste est Claude Monet à Giverny ? Les deux.).
Pourquoi n’y a-t-il pas de sculpteurs paysagistes? Pourquoi les
tableaux sont-ils presque toujours horizontaux (et non verticaux
comme dans les portraits). Décrire chaque paysage (identifier le
lieu, l’heure (l’aurore, la soirée...), la saison. Distinguer le
permanent -relief, cours d’eau, bâtiments…- de l’éphémère -lumière,
ombres et reflets, saison, météo…). Les indices de l’activité humaine
sont-ils plus ou moins importants/nature ? Voit-on la ligne
d’horizon ? Quelle proportion accordée au ciel ? Distinguer le
premier plan (en bas), le plan intermédiaire (au centre), l’arrièreplan (en haut). Quelle est la différence entre une peinture de
paysage, une carte, un plan, une photographie ?
À travers ces paysages, questionnement sur
naturel/sauvage/artificiel. Un jardin est-il naturel ? Une forêt de pins
dans les Landes ? la forêt amazonienne ? L’Antarctique ? Existe-t-il
encore des endroits « sauvages » sur la planète ?
Dessinez l’endroit le plus (le moins) naturel que vous connaissez
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