Dossier d`accompagnement
Transcription
Dossier d`accompagnement
Du 12 au 23 décembre 2012 « Neige Noire » Variations sur la vie de Billie Holiday Cie Maroulotte Texte et mise en scène Christine Pouquet Théâtre | 9+ Dossier d’accompagnement Présentation …………………………….………………………………………………………………………………… La vie de Billie Holiday n'a rien d'un conte de fée. Pour cette diva de génie, l'existence fut surtout une suite d'épreuves pour lutter contre le racisme, le sexisme, et la misère. Pourtant le merveilleux est bien présent dans la volonté de l'artiste d'épanouir son talent, de poursuivre sa quête de musique et d'amour comme elle l'entend. D'où le désir de la metteuse en scène Christine Pouquet de raconter aux enfants cette destinée exceptionnelle, en prenant le chemin du conte fantastique, de l'humour et du swing. Comment l'imaginaire permet-il aux êtres malmenés par l'existence de se construire et de grandir? Après avoir monté « Debout » de Nathalie Papin, qui racontait l'histoire d'un enfant battu par sa mère, Christine Pouquet poursuit son questionnement dans « Neige Noire ». Et cette fois, la magie de la musique s'ajoute aux pouvoirs du rêve. La chanteuse Dominique Magloire interprète les chansons de Billie Holiday. A ses côtés, Philippe Gouin, dans le rôle du guitariste confident, introduit une note plus distanciée et comique. La forme pétillante de l'opéra jazz permet ainsi de lever les tabous en évitant les plates leçons de morale. La distribution Christine Pouquet | conception, texte et mise en scène Philippe Gouin | jeu Dominique Magloire | jeu et chant Cécilia Delestre | scénographie et costumes Christophe Sechet | création sonore Nicolas Gros | lumières et régie | Note d’intention J’ai imaginé Billie Holiday à 13 ans, autodidacte de jazz, écoutant les disques de Louis Amstrong et de Bessie Smith sur le vieux gramophone d’un bouge mal famé où se prostituait sa mère. J’ai écouté la voix de Billie Holiday dont les fêlures racontent la douleur de sa vie cabossée, j’ai eu envie de suivre les pas de cette femme hors du commun qui malgré ses blessures terribles est devenue l’une des plus célèbres chanteuses de jazz. Dans son autobiographie dictée à William Dufty ou écrite par lui …elle ment sur son histoire, dans le prénom de Bil -lie il y a lie et lie ne veut-il pas dire mentir en anglais ? Elle cherche à enjoliver sa vie uniquement parce qu’elle aspire à une vie meilleure avec des valeurs certaines. Ses mensonges ne font que dévoiler son vrai désir, un désir profond d’absolu, de perfection, d’avoir une famille idéale dont elle a tant manquée. Sa mère la néglige, son père l’abandonne dès la naissance. Ce père musicien absent, sans le vouloir lui transmet ce désir de la musique…Ce spectacle raconte cette quête du père et au-delà du père, l’amour retour aux origines ancestrales de la musique. Comme moi enfant, d’un coup de baguette magique je supprimais en imagination ma mère, mon père parce que je ne les trouvais pas conforme à ce que je voulais qu’ils soient, des parents aimants, des parents normaux. Et puis bien sûr Un désir d’absolu, de perfection Longtemps on a voulu enfermer Billie Holiday dans l’image d’une chanteuse de « bluettes » de petites chansons d’amour, mais si on tend l’âme, ces« bluettes deviennent de vrais chansons d’amour qui déchire le cœur. Et puis arrive la chanson qui deviendra sa chanson emblématique contre le racisme. Strange fruit est une ballade écrite par un Juif New-Yorkais qui a demandé à Billie Holiday de la chanter. Strange fruit est la première protest song. Il y a une légende autour de cette chanson qui voudrait que Billie Holiday ne comprenait pas les paroles de la chanson. Elle sait très bien de quoi elle parlait. Son père s’est vu refusé les portes d’un hôpital parce qu’il était noir. Elle-même a du subir les humiliations liées au racisme et au ségrégationisme ; dans sa carrière, les chanteurs Noirs ne pouvaient pas chanter ce qu’ils voulaient, une partie du répertoire était réservée aux blancs et pendant les tournées, elle a du un soir se barbouiller le visage de noir car on trouvait qu’elle avait la peau trop claire. Combien de fois a t-elle été interdite de fréquenter les lieux publics comme les toilettes, ce qui lui a valu une inflammation de la vessie etc…Il y a une rencontre entre un texte très chargé et elle, qui le chante avec une apparente absence. Elle chantait comme un instrument de musique. C’est en se calquant sur la trompette d’Armstrong qu’elle a appris le chant. Strange fruit va entrer dans l’Histoire. Cette chanson participe à la montée des consciences des Noirs sur le racisme. A cela s’ajoutent les soldats rentrant de la seconde guerre mondiale et l’affaire Rosa Parks1. Dans le premier film parlant, « le chanteur de jazz » (1927), le rôle principal est tenu par un blanc déguisé en noir. Il y a, à peine 55 ans, un Noir risquait sa vie à chaque coin de rue dans les états du sud des U.S.A. Petit à petit, les Noirs ont pris conscience de leur communauté. Il y a eu l’expansion et la popularité du jazz avec Louis Armstrong. L’art s’allie au politique jusqu’au free jazz, qui est un des moments les plus étonnants de l’histoire de la musique. 1 Rosa Parks est devenue célèbre parce que le 1er décembre 1955, à Montgomery(Alabama), elle refusa de céder sa place à un passager blanc dans un bus. Arrêtée par la police, elle se vit infliger une amende de 10 dollars (plus 4 dollars de frais de justice) le 5 décembre; elle fit appel de ce jugement. Un jeune pasteur noir inconnu de 26 ans, Martin Luther King, avec le concours de Ralph Abernathy, lança alors une campagne de protestation et de boycott contre la compagnie de bus qui dura 381 jours. Le 13 novembre 1956, la Cour suprême cassa les lois ségrégationnistes dans les bus, les déclarant anticonstitutionnels. Billie Holiday …………………………….………………………………………………………………………………… Eleanora Fagan est née à Baltimore le 7 avril 1915. Elle meurt à New-York le 17 juillet 1959. Une vie qui se brûle à tous les feux, amour, alcool et drogue, une vie qui se transcende dans la musique, dans le chant, dans le jazz. Le père ne reconnaît pas l’enfant mais vient de temps en temps lui rendre visite et la surnomme : Bill. Sa mère, n'a pas le temps de s'occuper d'Eleanora et la confie à sa famille : la fillette va d'un foyer à l'autre tandis que sa mère enchaîne les petits boulots à Baltimore, le week-end elle va à New-York et monnaye ses rencontres masculines. La petite Eleanora n'a pas la vie facile : elle endure les violences de sa tante Ida, et subit un premier traumatisme ; son arrière grand –mère est hydrolique, et par conséquent ne peut s’allonger et contrainte de toujours restée assise. Un jour elle demande à la gamine Billie de l’allonger pour lui raconter une histoire. Billie s’endort dans ses bras et celle-ci décède dans son sommeil. Eleanora se réveille étranglée par les bras de la morte et panique. Elle restera plongée dans un mutisme coupable pendant des semaines. Billie grandit dans Baltimore, ville où la musique était partout. La petite fille est libre, personne ne soucie d’elle ou lui prête attention. Sadie reprend Eleanora à sa charge après quelques années. Elle a onze ans lorsque, pendant l'une des nombreuses nuits que sa mère passe dehors, elle est violée par un voisin. Billie effectue plusieurs séjours à la Maison du Bon Pasteur, institution pour les jeunes délinquantes de couleur. Sa mère ouvre un restaurant et fait des pieds et des mains pour la récupérer. Billie quitte l’école et travaille avec sa mère. L’affaire périclite. Sadie part pour New-York et laisse Billie à une grand-mère d’adoption et Billie adopte le monde de la nuit. Elle rend de menus services dans un bordel, là elle a accès au salon privé et à son gramophone. Billie découvre Armstrong et succombe au chant de sa trompette. Elle s’amuse à imiter la voix enrouée du trompettiste, acquiert un répertoire et commence à aller chanter de club en club et dans les after hours. Une autre source d’inspiration de Billie sera Bessie Smith, la première grande chanteuse de jazz. Billie, treize ans, direction New-York, Harlem, et loge avec sa mère dans un bordel. Après un séjour en maison de redressement, Billie décide qu’elle sera chanteuse ; Elle convainc un jeune saxophoniste, Kenneth Hollon.Ils finissent par décrocher quelques engagements dans des clubs de Brooklyn et dans le Queens. Elle se choisit un nom de scène Billie Holiday. Son père lui fait rencontrer quelques musiciens, s’en suivent des engagements dans les clubs de Harlem. En 1933, une rencontre déterminante. John Hammond, issu de la grande bourgeoisie new-yorkaise, Il travaille pour la firme Columbia ; il est à l’affût de nouveaux talents. Il est immédiatement convaincu de celui de Billie. Un soir, Hammond débarque avec Benny Goodman En 1934, elle est engagée avec Bobby Henderson à l’Apollo. Peu de temps après, elle rencontre Lester Young. Il la nomme Lady Day, elle l’appelle Prez (pour président) et entre eux s’établit une grande complicité musicale. Elle et lui sillonnent les clubs après leurs engage- ments respectifs, du soir au matin. Billie chante également avec Duke Ellington qui la choisit pour son court-métrage Symphony in Black. À la même époque, elle entame une liaison avec le jeune saxophoniste Ben Webster. John Hammond programme le 2 juillet 1935 un enregistre- ment pour la firme Brunswick puis avec celui d'Artie Shaw. Une chanteuse noire dans un orchestre blanc ! La tournée avec ce dernier est pourtant écourtée, à cause du racisme des États du sud, où elle ne peut pas chanter, ni même réserver une chambre d'hôtel ou entrer dans un restaurant avec les musiciens de l'orchestre. Ben Webster, ainsi que Benny Goodman, le pianiste Teddy Wilson, le trompettiste John Truehart, le contrebassiste John Kirby et le batteur Cosy Cole. Enregistre avec Bilie What a Little Moonlight Can Do et Miss Brown to You en ressortent, gravés à la perfection, et figurent dans les meilleures ventes de l'année. Tout va bien pour Billie, qui enchaîne les aventures sentimentales. Elle installe sa mère à la tête d'un petit restaurant où, souvent, on se retrouve après la nuit pour le petit déjeuner. Elle devient dès lors l'une des vedettes du jazz new-yorkais, à travers de nombreux engagements qu'elle partage régulièrement avec Teddy Wilson. Le style de Billie, intimiste, s'adapte mal aux plus grands shows, réservés à Bessie Smith et à ses imitatrices. Peu importe : ses disques avec Lester Young se vendent bien et Billie chante bientôt avec le grand orchestre de Count Basie.Rentrée à New York, Billie continue de chanter dans les clubs grâce aux engagements que lui trouve John Hammond, en particulier au Café Society, le premier club où Noirs et Blancs étaient traités sur le même pied. C'est à cette époque qu'on la voit boire de plus en plus, et fumer de la marijuana entre les sets. C'est à cette époque aussi qu'elle enchaîne des liaisons féminines et qu'on la surnomme Mister Holiday. En mars 1939, un jeune professeur de lycée, Lewis Allan, écrit un poème et le met luimême en musique pour elle. Strange Fruit. Cette métaphore du lynchage des noirs dans la brise du sud devient la chanson-phare du Café Society et de Billie. La chanson déchaîne la controverse, et l'enregistrement qui en est bientôt tiré rencontre un immense succès. La chanteuse afro-américaine Billie Holiday l’interpréta pour la première fois en 1939, au Café Society à New York. Ce morceau écrit et composé par Abel Meeropol compte parmi les réquisitoires artistiques les plus vibrants contre les lynchages couramment pratiqués dans le sud des États- Unis ; elle est en outre considérée comme l’une des premières manifestations du mouvement pour les droits civiques dans ce pays. Le terme « Strange Fruit » est d’ailleurs devenu synonyme de lynchage. Le « Strange Fruit » évoqué dans le morceau est le corps d’un noir pendu à un arbre. La puissance émotionnelle du texte tient à son évocation de la vie rurale traditionnelle dans le sud des États-Unis, qu’il confronte à la dure réalité du lynchage. Ainsi, on peut lire dans la deuxième strophe : « Scène pastorale du vaillant Sud, Les yeux exorbités et la bouche tordue, Parfum du magnolia doux et frais, Puis une soudaine odeur de chair brûlée ». Les années suivantes voient Billie Holiday multiplier les enregistrements, les engagements, les succès, avec des musiciens de la stature de Roy Eldridge, Art Tatum, Benny Carter, Dizzy Gillespie... Mais elle entame également une liaison avec Jimmy Monroe pour qui elle quitte le domicile de sa mère, avant qu'ils ne se marient précipitamment. Son nouveau compagnon est un escroc, doublé d'un drogué. Il l'habitue à l'opium, puis à la cocaïne, avant de se retrouver en prison. Billie divorce de Monroe et enchaîne de nouveau les aventures, jusqu'à sa rencontre avec Joe Guy, un trompettiste be-bop qui la fournit en héroïne. À l'époque même où elle est la première artiste noire à chanter au "Met", où elle signe un contrat en or chez Decca, elle se retrouve sous la coupe de Joe Guy, dépendante à l'héroïne... Billie en parle sans concession : « Je suis rapidement devenue une des esclaves les mieux payées de la région, je gagnais mille dollars par semaine, mais je n'avais pas plus de liberté que si j'avais cueilli le coton en Virginie. » Dans les clubs, il se murmure qu'elle ne respecte pas ses engagements, qu'elle est souvent en retard, qu'elle se trompe dans les paroles. En 1945, Joe Guy monte une grande tournée pour Billie : "Billie Holiday and Her Orchestra". La tournée est déjà bien entamée lorsque Billie apprend la mort de sa mère Sadie, Duchess, comme l'avait surnommée Lester. Billie est effondrée, elle sombre dans la dépression, elle se réfugie un peu plus dans l'alcool, la drogue, et écourte sa tournée. Au lendemain de la guerre, Billie Holiday est au plus haut, elle entame sa collaboration avec le pianiste Bobby Tucker, ses disques se vendent bien (elle a signé en 1944 chez Decca, elle triomphe au Town Hall de New York en février 1946, et son répertoire s'élargit à quelques chansons indissociables de son personnage : Lover Man, Good morning Heartache (écrite pour elle par Irene Wilson), et ses propres compositions : Fine and Mellow, Billie's Blues, Do- n't Explain et God Bless the Child. Elle tourne aussi dans le film New Orleans d'Arthur Lubin, un long-métrage assez médiocre, mais qui réunit de grands jazzmen, dont Louis Armstrong et Woody Herman. « Billie rêvait de faire du cinéma. Hollywood, son glamour et ses stars la fascinaient.» À la même époque elle renoue avec Joe Guy et adopte le LSD. Son imprésario Joe Glaser lui impose une cure de désintoxication dans une clinique privée, début 1947. En vain : quelques semaines plus tard elle est arrêtée en possession de stupéfiants et condamnée à un an de prison. Billie fait scandale, et se trouve de plus dans une situation financière difficile : ses royalties ont disparu dans la drogue et les poches des hommes qui l'entourent... Elle sort de prison le 16 mars 1948, pour bonne conduite, mais ruinée. Le 27, elle chante à Carnegie Hall, plus belle que jamais, la voix épanouie, ses éternels gardénias dans les cheveux. Elle chante jusqu'à l'épuisement : vingt et une chansons, plus six pour les rappels. Un triomphe. Depuis sa sortie de prison, Billie s'est vue retirer sa carte de travail pour avoir enfreint les critères de « bonne moralité ». Elle ne peut plus chanter dans les clubs de New York (ou tout endroit vendant de l'alcool). Seule alternative, les grandes salles de concert : difficile d'en remplir les travées plus d'un ou deux soirs de suite. Par ailleurs elle est impliquée dans une bataille d'agents, entre Joe Glaser et Ed Fishman, qui s'occupe désormais d'elle. Malgré tout, Billie se produit avec Lionel Hampton à la radio, et avec Count Basie au Strand Theatre. Elle sort désormais avec John Levy, gangster de seconde zone que l'on surnomme par dérision « Al Capone ». Billie est toujours plongée dans l'héroïne, et le retrait de sa carte la force à chanter hors de New York, des engagements moins intéressants et moins bien rétribués. En outre, John Levy amasse désormais tout ce qu'elle gagne et la terrorise. Elle se fait prendre en possession de stupéfiants à San Francisco. Les ennuis persistent : elle subit toujours les violences de John Levy, son accompagnateur et ami Bobby Tucker l'abandonne, la police la suit de près et elle manque plusieurs fois de se faire prendre en possession d'héroïne... La presse ne manque pas une occasion de titrer sur elle, comme Down Beat en septembre 1950 : « Billie, de nouveau dans les ennuis ». Lors d'un enregistrement en 1949 pour Decca, avec notamment Horace Henderson, Lester Young et Louis Armstrong, Billie a bien du mal à tenir le rythme, elle se fait remarquer par ses retards, ses excès, et une diction de plus en plus empâtée par l'alcool. Decca ne renouvelle donc pas son contrat en 1950, Billie est plongée dans les dettes jusqu'au cou : John Levy, qui encaisse ses cachets, n'a payé aucune facture. Lorsqu'elle le quitte, elle perd beaucoup d'argent, mais retrouve une certaine liberté. Billie reste toutefois contrainte à faire de longues tournées puisqu'elle ne peut toujours pas chanter à New York. Fin 1950, elle renoue avec le succès à Chicago, en partageant l'affiche du Hi-Note avec le jeune Miles Davis. En 1951, Billie Holiday trouve une petite maison de production, Aladdin, pour laquelle elle enregistre quelques disques, mal reçus par les critiques. Elle rencontre également à Detroit un de ses anciens amants, Louis McKay, qu'elle avait connu à Harlem quand elle avait 16 ans. Marié et père de deux enfants, Louis McKay devient néanmoins son nouveau protecteur et contribue à relancer sa carrière. Elle s'installe sur la côte ouest, et signe un contrat pour le label Verve de Norman Granz. Elle retrouve alors des partenaires dignes d'elle : Charlie Shavers à la trompette, Barney Kessel à la guitare, Oscar Peterson au piano, Ray Brown à la contre- basse, Alvin Stoller à la batterie et Flip Philips au saxophone. Résultat : le disque Billie Holiday sings obtient un franc succès et est suivi de plusieurs autres sessions. Billie se voit néanmoins de nouveau refuser son permis de travail et alterne les tournées fatigantes et les grands concerts (à l'Apollo, à Carnegie Hall). 1954 voit Billie réaliser un vieux rêve : sa première tournée en Europe. Accompagnée de Louis McKay et de son pianiste Carl Drinkard, elle se rend en Suède, au Danemark, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, à Paris, en Suisse. Elle repasse par Paris en touriste, avant de rejoindre l'Angleterre où ses concerts sont couronnés de succès. Une tournée fructueuse et l'un des meilleurs souvenirs de Billie. De retour au pays, malgré la drogue, malgré l'alcool, elle se surpasse. Elle se produit à Carnegie Hall, au festival de Newport, à San Francisco, à Los Angeles, et continue d'enregistrer pour Verve. Down Beat lui décerne un prix spécialement créé pour elle. Elle embauche aussi une nouvelle accompagnatrice, la jeune Memry Midgett. Leur relation est plus qu'amicale, et Memry aide Billie dans ses tentatives pour décrocher de la drogue. En vain. Son influence ne plaît d'ailleurs pas à McKay qui la fait déguerpir. Le 2 avril 1955, Billie Holiday retrouve Carnegie Hall où elle participe au grand concert en hommage à Charlie Parker, mort le 12 mars. Aux côtés de Sarah Vaughan, Dinah Washington, Lester Young, Billy Eckstine, Sammy Davis Jr., Stan Getz, Thelonious Monk... Billie clôt le concert, aux alentours de quatre heures du matin. En août 1955, elle enregistre un nouvel album pour Verve : Music for Torching, un chef d'œuvre qu'elle réalise en compagnie de Jimmy Rowles au piano, Sweets Edison à la trompette, Barney Kessel à la guitare, Benny Carter à l'alto, John Simmons à la basse et Larry Bunker à la batterie. Puis, elle retrouve les clubs de la côte ouest. En 1956, Billie est arrêtée avec Louis McKay en possession de drogue : un nouveau procès est prévu. Elle effectue une nouvelle cure de désin- toxication, à l'époque où sort son autobiographie Lady Sings the Blues, pour l'essentiel une compilation de toutes ses anciennes interviews ré- unies par le journaliste William Dufty, admirateur de la diva. La santé de Billie se dégrade de plus en plus. Sa nouvelle pianiste, Corky Hale, témoignera plus tard du calvaire de Billie : son épuisement, les ravages de la drogue et de l'alcool, les longues manches pour cacher les traces de piqûres qui lui couvrent même les mains, la fatigue, la perte de poids, l'ivresse avant les concerts. La perspective de son procès avec McKay la terrorise. Enfin, ce dernier se consacre moins à elle... Elle apparaît au festival de Newport, ainsi qu'à la télévision, dans l'émission The Sound of Jazz, sur CBS, en compagnie, entre autres, de Lester Young, Coleman Hawkins, Ben Webster, Gerry Mulligan et Roy Eldridge, mais aussi du jeune Mal Waldron, son nouvel accompagnateur. Louis McKay et Billie se marient le 28 mars 1957 au Mexique, pour ne pas avoir à témoigner l'un contre l'autre lors de leur procès. Mais leur histoire est bel et bien terminée. Une fois le jugement prononcé (une mise à l'épreuve de douze mois), McKay quitte définitivement Billie et celle-ci engage une procédure de divorce. Elle enregistre Lady in Satin en février 1958, avec des chansons entièrement nouvelles et un orchestre dirigé par Ray Ellis, auteur des arrangements. Un album poignant, de même que son tout dernier, simplement intitulé Billie Holiday, enregistré début 1959. Elle fait également une apparition au festival de jazz de Monterey en octobre 1958, et effectue une nouvelle tournée européenne au mois de novembre. Elle est sifflée en Italie, où sa prestation est abrégée. À Paris, elle assure à grand-peine un concert à l'Olympia, exténuée. Sa tournée prend l'eau. Elle accepte de jouer au Mars Club avec Mal Waldron et Michel Gaudry à la contre- basse : le public est tout acquis à Billie qui y retrouve le succès. On se bouscule dans le Mars Club, on y retrouve les célébrités de l'époque : Juliette Gréco, Serge Gainsbourg, ou encore Françoise Sagan qui écrira « C'était Billie Holiday et ce n'était pas elle, elle avait maigri, elle avait vieilli, sur ses bras se rapprochaient les traces de piqûres. [...] Elle chantait les yeux baissés, elle sautait un couplet. Elle se tenait au piano comme à un bastingage par une mer démontée. Les gens qui étaient là [...] l'applaudirent fréquemment, ce qui lui fit jeter vers eux un regard à la fois ironique et apitoyé, un regard féroce en fait à son propre égard. » Depuis plusieurs années déjà, Billie est malade. Elle a des œdèmes aux jambes, mais aussi et surtout une cirrhose avancée. Pourtant elle ne mo- dère pas ses excès. Elle boit du matin au soir. Épuisée par sa deuxième tournée européenne, elle repart quelques mois plus tard à Londres pour participer à une émission de télévision, "Chelsea at Nine". Le retour est difficile. Billie apprend le 15 mars 1959, le décès de son ami, Lester Young. Billie est effondrée. Le 7 avril suivant, elle fête ses 44 ans. Elle assure des engagements dans le Massachusetts, puis le 25 mai, elle chante au Phoenix Theatre de New York, pour un concert de bien- faisance. Dans les coulisses, ses amis ne la reconnaissent même pas. Certains, dont Joe Glaser, veulent la faire hospitaliser : elle refuse. Le 30 mai, elle s'effondre chez elle et est admise au Metropolitan Hospital de Harlem. Outre sa cirrhose, on diagnostique une insuffisance rénale. Elle est traitée sous méthadone et se remet peu à peu. On lui interdit l'alcool et la cigarette, mais Billie trouve toujours un moyen de fumer en cachette. Voire pire : le 11 juin, on découvre un peu de poudre blanche cachée dans une boîte de mouchoirs. Billie Holiday est arrêtée et sa chambre mise sous surveillance policière pendant plusieurs jours. On prévoit de la juger après sa convalescence. Celle-ci semble se passer au mieux, mais le 10 juillet, son état s'aggrave. On décèle une infection rénale et une congestion pulmonaire. Louis McKay et William Dufty sont à son chevet. Elle reçoit les derniers sacrements le 15 juillet. Le 17 juillet, à trois heures dix du matin, Billie Holiday meurt à l'hôpital. Quatre mois après celui qui fut son véritable seul ami Prez… La cérémonie funèbre se déroule le 21 juillet 1959 en l'église St. Paul. Trois mille personnes sont présentes et se bousculent jusque dans Columbus Avenue. Elle est enterrée au cimetière St. Raymond, dans le Bronx, dans la même tombe que sa mère. Louis McKay fait déplacer son cercueil dans une tombe séparée en 1960. À sa mort, Billie laisse à son ex- mari et seul héritier, mille trois cent quarante cinq dollars. Et ses droits : à la fin de 1959, en seulement six mois, les royalties sur ses ventes de disques s'élèvent à cent mille dollars. De quoi avoir une bonne idée de ce que Billie a pu dépenser aussi bien que de tout ce dont elle a pu être spoliée. Il n'y a pas de voix mieux identifiable, et qui ne résiste mieux à toutes les étiquettes, que celle de Billie Holiday. À 20 ans déjà, Billie s'est éman- cipée de ses modèles, notamment Bessie Smith et Louis Armstrong. Son timbre, son style sont uniques et reconnus par tous les amateurs de jazz outre-Atlantique. Son articulation un peu traînante est compensée par un sens du rythme unique, jouant avec les imperceptibles retards, les phrasés décontractés qui créent le swing si particulier de ses prestations. Billie à 20 ans, c'est aussi un timbre un peu enroué mais une diction parfaitement claire et admirée, ainsi qu'un vibrato discret, dont elle use pour donner à tel mot le poids nécessaire. Billie Holiday ne chante pas, elle joue dans tous les sens du terme, elle est à la fois enfant et actrice. Déjà dans les années 1930, cette sonorité si particulière et intimiste s'impose, quitte à se priver d'un plus grand succès populaire : tout le long de sa carrière, Billie manque de la puissance d'une Bessie Smith et de l'agilité d'une Ella Fitzgerald. Heureusement, Billie rencontre un contexte favorable grâce à deux éléments la généralisation du micro et la mode des chansons lentes, refrains d'amour et blues. Le fait d'avoir pu chanter très jeune avec les meilleurs jazzmen de l'époque n'a pu que stimuler ce talent, et l'entente entre Billie et Lester Young frôle le mimétisme sans jamais tomber dans l'imitation. Les excès de Billie ne sont pas sans conséquence sur sa voix. Dès les années 1940, elle peine souvent à se lancer au début des concerts et des séances d'enregistrement, elle a besoin d'un verre de gin ou de cognac « pour s'éclaircir la voix »... Elle a également beaucoup de mal à renouveler son répertoire et ne retient qu'à grand-peine les paroles de nouvelles chansons. Au fil des ans, sa diction si réputée devient pâteuse, son timbre légèrement enroué devient rauque, râpeux. La fatigue physique s'ajoute à tout cela. À quarante ans, Billie souffre quand elle chante, et cela s'entend. On entend aussi qu'elle n'a plus confiance en elle, en cette voix vacillante, qui la trahit si souvent. Mais ce que l'on entend aussi c'est qu'elle y met tout son cœur. Le charme opère toujours, jusque dans Lady in Satin, album raté pour certains, mais qui occupe une place particulière dans la discothèque des vrais amoureux de Billie. L'arrangeur et chef d'orchestre, Ray Ellis, sorti épuisé d'un enregistrement où la diva lui fit vivre un calvaire, refuse à l'époque d'assurer le mixage. Mais quelques temps plus tard, en entendant l'album, en constatant l'infinie tristesse qui caractérise des chansons comme I'm a Fool to Want You ou You've Changed, Ray Ellis comprend la portée artistique d'un tel témoignage, et accepte d'enregistrer avec Billie son album- testament, Billie Holiday. Le musicien a évoqué plus d'une fois le souvenir de l'enregistrement de Lady in Satin « Je dirais que le moment le plus intense en émotion fut de la voir écouter le playback de I'm a Fool to Want You. Elle avait les larmes aux yeux. Quand l'album fut terminé, j'ai écouté toutes les prises dans la salle de contrôle. Je dois admettre que j'étais mécontent de son travail, mais c'est parce que j'écoutais la musique, pas l'émotion. Ce n'est qu'en entendant le mixage final, quelques semaines plus tard, que j'ai compris que sa performance était vraiment formidable. » Le jazz …………………………….………………………………………………………………………………… Jazz, histoire et caractéristiques Le jazz est né à la Nouvelle-Orléans (Louisiane, USA) au début du 20ème siècle. Dans ses racines : le blues, le ragtime, les musiques traditionnelles de l’Afrique de l’ouest, le negro- spirituals, gospel, les work songs (chants de travail des esclaves dans les plantations de co- ton )... On donne plusieurs origines au mot JAZZ. « jazz » viendrait de « jass » qui en vieil anglais serait assimilable à « chass », signifiant « chasse », « poursuite ». Notons que, dans le premier style de jazz, nommé "New Orleans", les musiciens poursuivaient chacun une voie mélodique jouée en parallèle avec les autres. « Jass » serait une altération de « jasm », traduisible par "vitalité", "énergie". La dynamique toute particulière du jazz est évidemment l'une de ses principales caractéristiques « jass » serait dérivé de "chasse", un pas de danse condamné par les puritains. Ceci peut symboliser l'indiscutable aspect contestataire du jazz d'une part, et son rapport à la sensualité d'autre part; « jass » serait issu de « jasbo », signifiant « minstrel » (ménestrel); il faut savoir qu'on appelait "minstrels" des chanteurs blancs qui, au XIXème siècle, se barbouillaient le visage de cirage et imitaient le répertoire des chanteurs noirs « jass » serait lié au mot français "jaser" (bavarder). Comme dit ciavant à propos du New Orleans, les musiciens jouaient simultanément des mélodies différentes. Un discours multiple, autrement dit. Voilà qui peut ressembler à un bavardage de café du commerce ou de place publique. L'improvisation s'inscrit sans difficulté dans ce contexte « jass » désignerait en argot d'Afrique occidentale l'acte sexuel; le mot se serait étendu à la musique de jazz dans la mesure où celle-ci se jouait beaucoup dans les multiples maisons closes de La Nouvelle-Orléans. Pratique pour pratique... La fin de la guerre civile, et les surplus d'instruments de musique militaire qu'elle entraîna, ne fit qu'amplifier le mouvement. Les premiers jazz bands utilisaient fréquemment la structure et le rythme des marches, qui étaient le type de musique de concert le plus courant à l'époque. Malgré ses racines populaires, on trouve parmi les créateurs du jazz des musiciens de formation classique, tels que Lorenzo Tio ou Scott Joplin (pianiste de ragtime dans un hôtel qui composait en même temps un opéra – ce qui montre bien toutes les influences dont a pu hériter le jazz à cette époque). Un événement important dans le développement du jazz fut le durcissement des lois de Jim Crow sur la ségrégation raciale en Louisiane, dans les années 1890. Les musiciens professionnels de couleur ne furent plus autorisés à se produire en compagnie de musiciens blancs ; en revanche, ils trouvèrent facilement du travail parmi les fanfares et les orchestres noirs, qu'ils firent profiter de leur expérience de conservatoire. À l'aube de la première Guerre mondiale, on assista à une libéralisation des coutumes. Des salles de danse, des clubs et des salons de thé ouvrirent leurs portes dans les villes, et des danses noires telles que le cakewalk et le shimmy furent peu à peu adoptées par le public blanc, principalement les jeunes (les flappers). Ces danses apparurent tout d'abord lors de spectacles de vaudeville, puis lors de démonstrations de danse dans les clubs. La plupart du temps, la musique de ces danses n'avait rien à voir avec le jazz, mais c'était une musique nouvelle, et l'engouement pour cette nouvelle musique expliquait l'engouement pour une certaine forme de jazz. Des compositeurs célèbres tels qu'Irving Berlin s'essayèrent alors au jazz, mais ils n'utilisaient que rarement cet attribut qui est la seconde nature du jazz : le rythme. Néanmoins, rien ne popularisa plus le jazz que le titre d'Irving Berlin Alexander's Ragtime Band (1911). Son succès fut tel qu'on l'entendit jusqu'à Vienne. Bien que ce ne fût pas un ragtime, les paroles décrivaient un orchestre de jazz qui mettait du rythme dans des chansons populaires, comme l'indique le vers « If you want to hear the Swanee River played in ragtime... » (Si vous voulez entendre Swanee River joué en ragtime...). King Oliver a été le chef d'un premier orchestre important, le « Creole Jazz Band » dont fera partie Louis Armstrong. Jelly Roll Morton a su transformer la musique de ragtime en jazz et il a enregistré avec ses « Red Hot Peppers » (qui comprenaient les meilleurs musiciens de Chicago) des chefs d'œuvres. Lors de quelques enregistrements spécifiquement destinés au public noir (les race records) Louis Armstrong amena une première évolution décisive du jazz : il jouait avec un orchestre typique de La NouvelleOrléans, ces orchestres où tous les musiciens improvisent simultanément. Mais Louis était un improvisateur hors pair, capable de créer des variations infinies à partir d'un même thème. Ses musiciens l'imitèrent, non plus tous en même temps, mais chacun leur tour. C'est ainsi que le jazz devint une forme de musique en solo. L'apparition des salles de danse influença le milieu du jazz de deux façons : les musiciens se firent plus nombreux, puisqu'ils commençaient à pouvoir vivre de leur musique, et le jazz – comme toutes les musiques populaires des années vingt – adopta le rythme 4/4 de la musique de danse. L'époque du swing Au milieu des années 1920 jusqu’à l’avènement du bebop dans les années 1940, on a vu l'essor d'un courant musical appelé l'« ère des big bands », « époque du swing », « swing », ou la période de middle jazz (jazz du « milieu »). Il est surtout caractérisé par le développement des grands orchestres et big bands et du swing. Lors des années 1920, la prohibition de la vente de boissons alcoolisées aux États-Unis a fermé les bars et les cabarets légaux. Mais ils furent rapidement remplacés par des bars clandestins où les clients venaient boire et écouter de la musique. Les airs que l'on y entendait demeuraient un mélange de styles – des morceaux de danse à la mode, des chansons récentes, des airs extraits de spectacles. Ce qu'un trompettiste surnomma un jour « Businessman's bounce music ». Cette période marqua la naissance de l'orchestre de Duke Ellington, au Cotton Club, ainsi que de l'orchestre de Count Basie, formé à partir de plusieurs groupes de Kansas City. La danse évolua avec la musique, ainsi naquit au début des années 30 dans la communauté noire- américaine le Lindy Hop (ou Jitterbug) qui devint un phénomène national dès 1935, avec la popularisation des big bands blancs avec en particulier Benny Goodman. Les premiers développements du jazz subirent l'influence de la ségrégation raciale, qui était alors très forte aux États-Unis. Les innovations, apportées principalement par les musiciens noirs des clubs, étaient enregistrées par des musiciens blancs, qui avaient tendance à donner au jazz des rythmes et des harmoniques orthodoxes. La lente dissolution de la ségrégation raciale s'amorça au milieu des années trente, quand Benny Goodman engagea le pianiste Teddy Wilson, le vibraphoniste Lionel Hampton et le guitariste Charlie Christian pour qu'ils se joignent à de petits groupes et à son big band. Au milieu des années trente, la popularité du swing et des big bands était à son sommet, transformant en stars des musiciens tels que Glenn Miller ou Duke Ellington. La principale influence du jazz est le blues, une musique rurale qui évolua avec la migration des populations noires vers les grandes agglomérations, à la fin du XIXe siècle. Parmi les premiers musiciens de jazz, nombreux étaient ceux qui vivaient de leur prestation dans de petites fanfares; les instruments de ces groupes devinrent les instruments de base du jazz : cuivres, instruments à anches et batterie. Les inventeurs du jazz sont des Africains déportés en Amérique, autrement dit des Afro- américains. Dès le XVIIème siècle, 200.000 Africains sont déportés sur le continent américain pour y être soumis à l'esclavage. Trois siècles plus tard, ils seront des millions. A partir de ce moment, la pratique musicale des Africains, si étouffée soit-elle par les Blancs, va néanmoins s'exercer et connaître l'influence de la musique qu'écoutent ou jouent les maîtres. L'intégration de certaines caractéristiques de ces musiques au niveau le plus profond de l'expression musicale africaine entraînera, après quelque trois siècles de macération, la création d'une expression nouvelle, marqué sur le plan rythmique par le phénomène du swing. Sur le plan mélodique, on constate notamment la création d'une gamme nouvelle dont les notes de tension, dites en anglais « blue notes », seront à l'origine du blues, qui fait partie intégrante du jazz. Il est important de garder en mémoire, lorsqu'on aborde le processus d'élaboration du jazz, le fait que la musique traditionnelle africaine contenait en elle les germes prédominants que sont : - des rythmes irréguliers ou "déhanchés" (ce terme nous paraît le mieux convenir à vulgariser ce que les musiciens reconnaîtront comme des "syncopes" et "contretemps"), qui transformeront puissamment la rythmique occidentale; - des gammes souvent pentatoniques (le musicien s'exprime au moyen de cinq notes différentes) qui, confrontées aux gammes de sept notes occidentales, entraîneront des transformations, peut-être même directement au niveau des deux notes supplémentaires, les fameuses "blue notes" du blues. (Cette dernière hypothèse est parfois contestée). Toute l'âme noire est là: deux notes dites "blue notes", baissées par rapport à la gamme « majeure » (gamme de référence en Occident) au moyen d'un « bémol », peuvent également ne pas l'être (grâce à un "bécarre"), au gré de l'humeur, de la mélancolie ou de la joie du chanteur... Cette versatilité (au sens anglais et positif du terme) constitue à elle seule une grande caractéristique du jazz. L'adhésion de plus en plus grande des Afro-américains à la religion protestante les conduit à chanter, à l'église, les chants sacrés des Blancs. Cependant, notamment au niveau de la langue anglo-saxonne dont ils ne maîtrisent pas bien les accents toniques, les Afro-américains vont bouleverser la manière traditionnelle d'interpréter ces chants. De toute manière, ni leurs structures rythmiques ancestrales, ni leurs structures mélodiques ne correspondent à la manière occidentale de concevoir la musique. Le mélange qui s'ensuit est fondamental dans le processus de création du jazz. A la fin du XIXème siècle, ce sont près de 300 ans de macération qui auront permis l'établissement d'un véritable swing constitutif du jazz, qui s'incarnera dans la musique d'église chantée, principalement sous la forme de « spirituals » et de « gospels ». L'origine du spiritual paraît remonter à la fin du XVIIIème siècle, reflétant plutôt l'expression de la souffrance que de la joie ou de l'espoir, lesquels furent du ressort du gospel à partir du début du XXème. Il est intéressant de constater que l'aspect ”dialogal” évoqué par une des acceptions du mot "jazz" est très présent dans le spiritual et le gospel (les fidèles font "la réplique" au prêtre, une phrase après l'autre); d'autre part, ce même rapport ”dialogal” existe dans un grand nombre de musiques ancestrales africaines... Grâce au gospel, les Noirs peuvent exprimer à l'église leurs sentiments profonds et... ancestraux. Le Révérend Kelsey parlait de "la joie extatique avec laquelle les Afro-américains interprétaient les psaumes et les cantiques. Ils associaient la danse et la liturgie". A partir du moment où les Afro-américains sont libérés de l'esclavage (1865), ils auront accès à des instruments de Blancs. Ils passent alors peu à peu des tambours, planches à laver, balafons primitifs, importés d'Afrique et éventuellement perfectionnés sur le continent américain (en ce qui concerne le banjo), à des instruments de fanfare (trompette, clarinette, trombone), ainsi qu'au piano. Jouant de ces instruments, ils s'inspirent du répertoire européen (musiques pour fanfares, musique classique pour piano) mais, selon le principe décrit ci-avant, ils détournent la musique de son style original pour l'imprégner peu à peu des acquis du swing et du blues. Cet aboutissement se produit au début du XXème siècle. Dans cette évolution, il ne faut pas négliger l'apport des Créoles (les Noirs des colonies françaises, non soumis à l'esclavage), qui étaient aussi bien commerçants qu'hommes d'affaires ou... musiciens. Ainsi de Sidney Bechet, qui fut l'un des premiers jazzmen reconnus, et s'illustra dans le premier style de jazz, nommé "New Orleans". Ainsi aussi de Ferdinand Joseph La Menthe, dit "Jelly Roll Morton", qui se disait l'inventeur du jazz... NB: Il a été beaucoup question de swing, en tant qu'élément constitutif du jazz. Souvenons- nous que ce terme sert également à définir un style de jazz correspondant à une époque. Le swing en tant que caractéristique rythmique existe dans tout le jazz, quels que soient le style et l'époque (tout au moins jusqu'aux années '60 où certains musiciens rompent expressément avec lui). A propos de disques, signalons d'emblée que toute l'histoire du jazz en dépend. L'industrialisation du disque permettra aux musiciens de s'écouter les uns les autres en dépit des distances géographiques ou des conditions sociales (accès aux lieux de concerts trop coûteux, cours de musique inexistants ou trop onéreux également). Le centre de l'explosion jazz de la fin du XIXème siècle fut La Nouvelle-Orléans en Louisiane, dans le sud-est des Etats-Unis. Congo square, notamment, était le théâtre de grandes fêtes où les Afro-américains jouaient de la musique et dansaient, bientôt rejoints par des Antillais dont les rythmes exotiques se fondirent à la macération néoorléanaise. On y entendait notamment des cake-walks, des jubas antillaises et des bamboulas. Tout était prétexte à fête: mariages, anniversaires, funérailles, repas, soirées masquées... Ce que confirment les propos d'un esclave africain emmené en Virginie en 1752: « Nous sommes ce que l'on pourrait appeler un peuple de danseurs, musiciens et poètes. De sorte que chaque événement important (...) est célébré par des danses accompagnées de musiques et de chants ». D'autres centres que La Nouvelle-Orléans doivent être pris en considération, tels Memphis ou Kansas City. Pour mémoire, la guerre de Sécession permit aux Afro-américains d'obtenir la liberté (malheureusement entachée du fonds irréductible de racisme que l'on sait) et, dès 1868, d'acquérir la nationalité américaine. L'abolition de l'esclavage alla bien entendu en faveur de l'épanouisse- ment du jazz. De cette période, nous n'avons aucun témoignage enregistré. Il faut imaginer une musique africaine ancestrale mélangée à des structures rythmiques et mélodiques proches des musiques populaires européennes pratiquées pas les colons blancs. Formation des musiques afro-américaines L'improvisation, les gammes, les accords Une des grandes différences entre la musique classique et le jazz est l'improvisation. La musique classique repose sur l'écriture sans laquelle elle n'existerait pas. Quelques exceptions confirment cette règle: les cadences de concertos, autrefois improvisées, l'harmonisation de basses continues dans la musique baroque, les improvisations à l'orgue... Mais c'est peu de chose par rapport au jazz où l'improvisation est la caractéristique compositionnelle, les « thèmes » (mélodies) - convenus ou écrits représentant uniquement la carte d'identité du morceau. Le jazz se réfère en effet à des thèmes qui, joués sur des trames harmoniques, donnent libre cours à l'invention. Voici deux autres formulations de ce principe fondamental : une mélodie est jouée sur un certain nombre d'accords (groupes de notes) qui en sont l'accompagnement. Après, sur les mêmes accords, on invente d'autres lignes mélodiques, on improvise; plus concret encore: on peut chanter une chanson en s'accompagnant d'une guitare pour ensuite (donc après avoir fait entendre la mélodie principale de cette chanson) se plaire à inventer sur les mêmes accords que l'accompagnement les mélodies que l'on veut (autrement dit : dont on a l'inspiration au moment même).En jazz, on nomme la succession des accords « grille d'accords », la mélodie principale étant appelée « thème » et les lignes mélodiques inventées ayant pour nom « improvisation ». Free jazz Le free jazz (ou New Thing) est un style de musique qui se développe dans les années 1950 et 60, emmené par les pionniers Charles Mingus, Ornette Coleman, Eric Dolphy et Albert Ayler. John Coltrane est un des musiciens qui, dans ses dernières œuvres, réalise quelques- uns des meilleurs morceaux de free jazz. Comme toutes les autres formes de jazz, le free jazz est toujours pratiqué. Le free jazz utilise les bases du jazz mais avec une composition moins structurée que les styles précédents. L'improvisation, par exemple, y tient une grande place, le free jazz étant d'ailleurs un des principaux « inspirateur » du genre improvisation libre. Cependant, le free jazz est beaucoup plus facile à caractériser par la comparaison, par ses différences d'avec les autres formes de jazz, sortes de tiroirs pratiques dans lesquels on range des genres très différents, tels que le ragtime des débuts, le swing, le be-bop, le jazz fusion, ou encore des styles plus récents tels que l'ethno-jazz, que par une définition nette. Ces autres formes de jazz ont des tempos puissants, sur des rythmes métriques, habituellement en 4/4, ou parfois en 3/4. Le free jazz maintient normalement un rythme de base, mais sans mètre régulier, avec accélérations et baisses subites, comme la houle marine. Il arrive souvent que les musiciens d'un même orchestre jouent sur des tempos différents. Un rythme général se dégage cependant de cette musique, le tempo n'a pas disparu. Ce genre de musique a influencé des artistes tels que Miles Davis, Tim Buckley ou encore Frank Zappa à un moment de leur parcours musical. Le free jazz s'inscrit aussi dans une logique militante et politique. En effet les musiciens de jazz firent les frais des politiques discriminatoires états-uniennes de par leur aïeux esclaves d'Afrique mais aussi de par les lois racistes sévissant au moins jusque dans les années soixante aux États-Unis. Le free jazz voulut donc être aussi une libération culturelle profonde en rompant radicalement avec les schémas de la musique occidentale (musique tonale et rythme en binaire ou en ternaire) et pour certains musiciens (Albert Ayler, Archie Shepp) un retour aux sources de la musique noire, à travers le blues par exemple. En même temps on vit beaucoup de noirs états-uniens se convertir à l'islam et changer de nom (voir Cassius Clay par exemple). Tout cela s'inscrit dans le mouvement des droits civiques dont Martin Luther King ou Malcolm X furent les symboles et les martyrs. Sources : wikipedia et jazz en ligne (médiathèque) La ségrégation aux Etats-Unis …………………………….………………………………………………………………………………… Le contexte historique Afro-américain Un afro-américain (ou africainaméricain) est un Américain dont les origines sont perçues comme étant d'Afrique noire. Il peut également être appelé « Noir américain ». Popularisé par Malcolm X dans les années 1960, le terme est devenu d'un usage commun aux États-Unis à la fin des années 1980. Le but de l'expression était de définir les Américains de couleur de peau noire par leurs origines, comme le sont les citoyens d'origine italienne ou irlandaise, et non plus uniquement par leur couleur. La plupart des afro-américains sont descendants de personnes amenées d’Afrique aux Amériques en tant qu’esclaves entre le XVIe siècle et le XIXe siècle. Aux Etats-Unis, on écrit African American et surtout pas « African-American »), selon le principe du no hyphen : le trait d'union serait en effet considéré comme particulièrement péjoratif. La ségrégation aux États -Unis Aux États-Unis d'Amérique, le terme d’African American désigne un citoyen ou un habitant des États-Unis de type ethnique noirafricain. C’est notamment le cas sur les formulaires officiels destinés à préparer des statistiques ou à accompagner des politiques de discrimination positive. Ceux dont les ancêtres ont été transportés en qualité d’esclaves d’Afrique aux Caraïbes ou en Amérique latine, mais qui sont venus aux États-Unis en personnes libres, sont classés aux États-Unis dans la catégorie afroaméricains ou dans une autre catégorie qui peut être latino-américain, haitianoaméricain ou caraibéen américain. Notons qu’un Américain aux origines maghrébines sauf s'il est noir - ou un Blanc originaire d’Afrique du Sud, donc de l’Afrique, ne seront pas désignés African American. Époque coloniale Les premiers esclaves africains débarquent au début du XVIIe siècle dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord. Dès cette époque, on peut observer des métissages avec les Blancs. Pendant la guerre d'indépendance américaine, des soldats africains, qu'ils soient esclaves ou libres, ont participé au conflit dans les deux camps, loyaliste et insurgent. On estime que 5 000 africains ont combattu aux côtés des Américains et plusieurs d'entre eux furent affranchis. La Révolution américaine plaça au coeur des débats politiques la place et le statut des africains dans la société. Le Congrès continental discuta intensément de l'esclavage. Thomas Jefferson, dans la Déclaration d'indépendance américaine, préféra ignorer le sujet, afin de ne pas mécontenter les régions du Sud qui vivaient de l'économie de plantation. Si la Constitution américaine fondait les bases démocratiques de la nouvelle République, elle excluait les africains du droit de vote, de même que les femmes, les Amérindiens et les pauvres. L'abolition de l'esclavage Dès 1770, les sociétés Quakers de Nouvelle- Angleterre s'interdisent toutes pratiques esclavagistes. Seuls quelques États du Nord s'engagent rapidement dans la voie de l'abolition de l'esclavage : le Vermont l'interdit dès 1773. En 1807, la traite des noirs est officiellement abolie aux États-Unis. Dans les années 1820, la Female Anti-slavery Society dénonce l'esclavage. En 1865 est promulgué le 13e amendement interdisant l'esclavage, après la guerre de Sécession. La ségrégation Après 1865, un grand nombre d'anciens esclaves se retrouvent sans travail et de nombreux planteurs font faillite. Commence alors un exode massif des africains vers les villes industrielles du Nord du pays. La Guerre de Sécession laissa des rancoeurs dans les États du Sud : après la fin de l'occupation militaire est mise en place la ségrégation par peur du métissage et par la psychose du viol des femmes blanches par les hommes africains4. Les lois Jim Crow instaurent le développement séparé mais égal, c'est-à-dire la ségrégation dans les lieux publics. Les africains sont également victimes de violences, de lynchages et de la haine du Ku Klux Klan. La ségrégation raciale institutionalisée a pris fin en tant que pratique officielle à travers les efforts de militants pour les droits civiques comme Rosa Parks et Martin Luther King, qui ont lutté de la période allant de la fin de la deuxième Guerre Mondiale, à l'adoption du Voting Rights Act et du Civil Rights Act soutenue par le président Lyndon Johnson. La majorité de leurs efforts était des actes de désobéissance civile avec pour but de violer les règles et lois de ségration raciale en refusant par exemple de céder un siège, dans le compartiment réservé aux noirs dans un bus, à une personne blanche (Rosa Parks), ou en organisant des sit-ins dans des restaurants exclusivement réservés aux blancs. Les droits civils et la marche vers l'égalité Les premières mesures contre la ségrégation sont prises dans les états du Nord après la Seconde Guerre mondiale, compte-tenu de l'effort de guerre soutenu par les africains dans l'armée américaine. En 1949, l'armée entre dans une phase de déségrégation totale. Grâce aux efforts de l'avocat afroaméricain Thurgood Marshall et du NAACP, la ségrégation scolaire est déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême des États-Unis en 1954 (arrêt Brown v. Board of Education). Les autres lois Jim Crow ont été abolies par le Civil Rights Act de 1964 et le Voting Rights Act. Les années 1960 sont marquées par la figure de Martin Luther King (19291968) qui organisa et dirigea des marches pour le droit de vote, l'emploi des minorités, et d'autres droits civiques élémentaires pour les afroaméricains. Il est surtout connu pour son discours « I have a dream » (J'ai un rêve), prononcé le 28 août 1963 devant le Lincoln Memorial à Washington durant la marche pour l'emploi et la liberté. Il rencontre John F. Kennedy qui lui apporte un grand soutien pour la lutte contre la discrimination raciale. La déségrégation prend une tournure violente avec de nombreux assassinats, des émeutes dans certaines villes et dans les ghettos : entre 1965 et 1968, les violences font 250 morts et 8000 blessés dans tout le pays. En 1968, un rapport de la commission Kerner s'intéresse aux causes de ces violences et représente le point de départ de la politique de discrimination positive. La discrimination positive (affirmative action) Le premier à utiliser l'expression Affirmative action est le président américain John Fitzgerald Kennedy ; elle fut ensuite reprise par son successeur à la Maison Blanche Lyndon Johnson. Leur idée était que, malgré les lois en faveur de l'égalité, les Noirs resteraient en retard par rapport au reste de la population américaine. Le but était de faire en sorte que les Noirs soient davantage représentés dans les emplois qualifiés, les universités, les médias, etc. Dès les années 1960, des emplois préférentiels sont mis en place. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une politique de quotas : en 2003, la Cour Suprême a condamné le principe des quotas comme étant contraire à l'égalité devant la loi et à la libre concurrence. Les résultats sont jugés convaincants aux États-Unis : en 1960, 13 % des Afro- Américains appartenaient aux classes moyennes, ils sont 66 % en 2008. Démographie Selon le recensement de 2005, environ 39,9 millions d'afro-américains vivent au ÉtatsUnis soit 13,8% de la population totale. 54,8% résident dans les États du Sud, 17.6% dans le Nord-est, 18,7% dans le Midwest et seulement 8,9% dans les États de l'Ouest. 88% vivent dans des aires urbaines. Avec plus de 2 millions de résidents noirs, New York City a la plus importante population noire urbaine des États-Unis. Parmi les villes de plus de 100 000 habitants, Gary dans l'Indiana a le plus fort pourcentage d'habitants noirs (85%), suivi de peu par Detroit dans le Michigan (83%). Atlanta en Géorgie (65%), Philadelphie en Pennsylvanie (43%) et Washington, D.C. (60%) sont aussi des centres importants de population Strange fruit, histoire de la première « protest song » « Strange Fruit » Southern trees bear a strange fruit Blood on the leaves and blood at the root, Black body swinging in the Southern breeze, Strange fruit hanging from the poplar trees. Pastoral scene of the gallant South, The bulging eyes and the twisted mouth, Scent of magnolia sweet and fresh And the sudden smell of burning flesh ! Here is a fruit for the crows to pluck, For the rain to gather, for the wind to suck, For the sun to rot, for a tree to drop, Here is a strange and bitter crop. Fruit étrange Des arbres du Sud portent un fruit étrange, Du sang sur les feuilles et du sang aux racines, Un corps noir oscillant à la brise du sud, Fruit étrange pendu dans les peupliers. Scène pastorale du valeureux Sud, Yeux exorbités, bouche tordue, Parfum de magnolia doux et frais, Et une odeur soudaine de chair brûlée ! Ce fruit sera cueilli par les corbeaux Ramassé par la pluie, aspiré par le vent, Pourri par le soleil, lâché par un arbre, C’est là une étrange et amère récolte. Enregistrements Columbia Records, avec qui Billie Holiday était sous contrat à l’époque, refusa de produire l’enregistrement de « Strange Fruit ». Comme la maison de production ne fit aucune déclaration officielle à l’époque, on ne peut que supputer les motifs de son refus. D’une part, le public blanc du Sud des États-Unis trouvait la chanson trop subversive et sa publication aurait eu des répercussions négatives sur les affaires ; d’autre part, elle représentait un véritable hiatus dans le répertoire standard de Billie Holiday, qui comportait essentiellement des chansons traditionnellement jouées dans les boîtes de nuit. Finalement, la chanteuse obtint l’accord de Commodore Records, une petite maison de disques juive de New York, pour enregistrer Strange Fruit . Paradoxalement, bien que ce morceau fasse partie intégrante de l’histoire de la musique américaine et qu’il reste très apprécié du public, il n’est que rarement interprété. Pour nombre d’auditeurs, la chanson, et notamment son interprétation par Billie Holiday, est jugée déstabilisante, voire douloureuse à entendre. Pour un chanteur, interpréter ce morceau est une véritable gageure car la version de Billie Holiday fait date, d’où une pression énorme. D’autres interprètes célèbres de « Strange Fruit » Josh White, Car- men McRae, Eartha Kitt, Cassandra Wilson, Nina Simone, Tori Amos, Pete Seeger, Diana Ross, Dee Dee Bridgewater, Marcus Miller (à la clarinette basse), Robert Wyatt, Jeff Buckley et Sting. Tricky en a réalisé un remix et Lester Bowie une version instrumentale avec son groupe Brass Fantasy. En 2002, Joel Katz a tourné un documentaire sur la chanson. Répercussions Pour le mouvement des droits civiques, « Strange Fruit », de par sa dimension symbolique, eut un effet comparable au refus de Rosa Parks de céder sa place à un Blanc dans un bus, le 1er décembre 1955. Outre « We Shall Overcome » et peut-être aussi « The Murder of Emmett Till » de Bob Dylan, aucune autre chanson n’est aussi intimement liée au combat politique des Noirs pour l’égalité. Élevée au rang de Marseillaise Noire ou qualifiée avec mépris de chanson de propagande à ses débuts, la chanson a progressivement pris une dimension apolitique, en tant que réquisitoire pour la dignité et la justice. Le livre « Blues Legacies and Black Feminism »d’Angela Davis a joué un rôle important dans la manière dont Billie Holiday était perçue. Jusque-là, considérée comme une « simple chanteuse de variété », à l’image de son répertoire, les recherches d’Angela Davis ont révélé une femme pleine d’assurance, tout à fait consciente du contenu et de l’effet de « Strange Fruit ». D’ailleurs, Billie Holiday la chantait de façon ciblée et en variait souvent l’interprétation. Pour Angela Davis, « Strange Fruit » a relancé de façon décisive la tradition de la résistance et de la pro- testation dans la musique et la culture noire américaine, mais aussi dans celles des autres communautés. Alors qu’en 1939, le Time Magazine qualifiait le morceau « Strange Fruit » de musique de propagande, le même magazine hissait, soixante ans plus tard, le titre au rang de chanson du 20e siècle. « Strange Fruit » a longtemps été « carmen non grata » à la radio aux États-Unis, la BBC a tout d’abord refusé de la diffuser et elle était officiellement interdite sur les ondes sud-africaines du temps de l’Apartheid. Pistes pédagogiques …………………………….………………………………………………………………………………… Ce spectacle musical peut être l’occasion d’aborder ces thématiques avec vos élèves selon différents axes. L’histoire du jazz Avec écoute de morceaux emblématiques en soulignant la particularité de ce courant musical : une musique portant en son sein l’entrechoquement de deux mondes : le nord et le sud. Le jazz, une « musique noire » née d’une situation intolérable, une réaction à la domination culturelle blanche. Le jazz comme vecteur de la conscience noire aux USA. L’histoire de la lutte pour la reconnaissance des droits civiques des noires aux USA à travers les portes paroles de ce mouvement : Figures emblématiques et leurs mots. Lecture des paroles de la chanson « Strange Fruit » traduite et analyse du contenu. Lectures d’extraits de discours célèbres pour la lutte des droits civiques en voyageant dans le temps jusqu’à aujourd’hui. Mise en perspective des différentes voix de résistance aux ségrégations. Et aujourd’hui, qu’en est-il ? Débat et discussion avec les étudiants sur comment ils perçoivent l’état des injustices sociales et culturelles. Pistes d’activités - Ecouter des morceaux de blues, de gospel, de free jazz… http://www.jazz-styles.com/ - Découvrir la vie d'un grand musicien de jazz tel que Louis Armstrong OLLIVIER Stéphane, « Louis Armstrong », Gallimard Jeunesse, 2009 En Français Lire un roman en lien avec le jazz CLAVERIE Jean, « Little Lou », Gallimard, 2002 Résumé : Lou est un petit garçon noir qui vit dans une ville américaine durant les années 1920, une enfance pauvre et heureuse, dans une famille passionnée par la musique. Très tôt, il découvre le jazz et rêve d'être un grand pianiste. Une chance va s'offrir à lui suite à un règlement de compte au cours duquel un pianiste est blessé. Sauvé par Lou, celui-ci le fera travailler durement pour qu'il le remplace au grand concert. Thèmes : - L'Amérique des années 1920 : l'émigration des noirs du Vieux Sud rural vers les villes industrialisées du Nord, la musique noire américaine (blues, jazz, gospel), la pauvreté et la ségrégation raciale, la prohibition et le gangstérisme En Histoire CM2 On peut aborder de manière simplifiée : l'esclavage, la guerre de Sécession, la formation des Etats-Unis d'Amérique, les lois de ségrégation, la prohibition... Bibliographie et discographie …………………………….………………………………………………………………………………… Bibliographie Jazz BLOCH Muriel et FARKAS Marie-Pierre, « Le swing des Marquises », Naïve, 2008 CLAVERIE Jean, « Little Lou », Gallimard, 2002 GERBER Alain, « Le roi du jazz », Bayard, 1994 OLLIVIER Stéphane, “Louis Armstrong”, Gallimard, 2009 SILLORAY Olivier, « Le grand piano noir », Bayard Jeunesse, 2008 Repères discographiques - Lady Day & Pres, intégrale Billie Holiday - Lester Young, 1937-1941, Frémeaux et associés - Billie Holiday, New York - Los Angeles, 1935-1944, Frémeaux et associés, 2 vol.Commodore Master Takes, 1939-1944, Commodore - Lady Day: The Complete Billie Holiday on Columbia (1933-1944), Columbia Billie's Blues, Blue Note, 1954 - Billie Holiday at Storyville, Black Lion, 1954 - The Complete Billie Holiday on Verve, 1945-1959, Verve - Lady Sings the Blues, Verve, 1954 - Music for Torching, Verve, 1955 - All or Nothing at All, Verve, 1955 - Songs for Distingué Lovers, Verve, 1957 - Body and Soul, Verve, 1957 - Solitude, Verve - Lady in Satin, Columbia, 1958 - Last Recording, Verve, 1959 - I'am Fool To Want You by Billie Holiday Bibliographie autour de Billie Holiday - Billie Holiday et Dufty, William, Lady Sings the Blues, traduit de l'anglais par Danièle Robert, Marseille, Parenthèses, col. "Epistrophy",1984. - Danièle Robert, Les Chants de l'aube de Lady Day, Cognac, Le temps qu'il fait, 1993. - Véronique Chalmet, Billie Holiday, Paris, Payot, 2005. - Angela Davis, Blues Legacies and Black Feminism - Sylvia Fol, Billie Holiday, Paris, Gallimard, coll. Folio biographies, 2005. - Michel Fontanes, Billie Holiday et Paris, Éditions Rive Droite. - Alain Gerber, Lady Day, Fayard, Paris, 2005 - David Margolick, Strange Fruit, traduit de l'anglais par Michèle Valencia, 10/18, Paris, 2001 - Marc-Édouard Nabe, L'âme de Billie Holiday, Paris, Denoël, 1986.