Pratique du massage dans les psychothérapies à
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Pratique du massage dans les psychothérapies à
Collection Témoigner/Transmettre Bernard Durey en collaboration avec Chantal Couzinet et Philippe Costes Pratique du massage dans les psychothérapies à médiation corporelle Voyages aux pays des corps, des âmes, des terres et des eaux Prologue Tout au long de ma fréquentation des institutions spécialisées de tous ordres, j’ai pu constater que les personnels soignants ou chargés d’éducation étaient souvent utilisés bien en deçà de leurs potentialités personnelles et professionnelles. Peut-être n’avaient-ils pas non plus tendance à les développer, à les cultiver. Beaucoup croyaient qu’au sortir de la formation qu’ils avaient reçue, il suffisait de s’en tenir là. Très peu avaient compris que la formation n’est qu’un coup d’envoi, bien moins de dix pour cent de ce qu’il faudra découvrir et apprendre volontairement tout au long d’une vie. Il faut dire que les organisations institutionnelles fondées sur les jeux de la hiérarchie et des pouvoirs, limitent considérablement les possibilités de mises en place de dispositifs appropriés, vraiment adaptés aux besoins des usagers et consécutivement permettant l’émergence des compétences. J’ai été aussi désolé de voir une revue spécialisée brancher les éducateurs sur le militantisme. Tant pour les équipes de direction que pour les personnels de contact, c’est d’engagement et de compétence qu’il faut d’abord parler. Même avec les réductions des heures de travail, il est concevable en dehors des temps de présence sur le terrain, que tous les professionnels de l’éducation et de la santé sachent approfondir leurs connaissances et épanouir leur intelligence des situations auxquelles ils sont confrontés. Les uns et les autres pris dans la routine, rencontrent l’ennui. 5 Nous pouvons constater là le manque de cohérences, l’absence d’outils organiques spécifiques, un défaut de liberté dans une recherche articulée à de saines régulations. C’est tout l’esprit de la psychothérapie et de la pédagogie institutionnelles inventées par François Tosquelles, qu’il nous faut retrouver et apprendre à mettre en pratique. Beaucoup d’éducateurs sont ainsi en quête de nouvelles voies. Ils peuvent les trouver dans ce champ là. Si certains osent dire que c’est dépassé, je pense qu’ils se trompent complètement. La psychothérapie institutionnelle a été un mouvement, un courant d’idées. Il y a encore très peu d’endroits où elle a vraiment fait l’objet d’un dispositif permettant sa mise en pratique. Et pourtant quel plaisir quand cela se fait. De ces besoins nouveaux pour échapper à la monotonie et devenir plus compétents, j’en ai longuement parlé dans mon précédent ouvrage, Cohérences. Je n’y insiste donc pas. Dans la foulée de ce que je viens d’écrire, je dois dire que j’ai toujours beaucoup de plaisir à partager avec les éducateurs et autres soignants qui ont envie et besoin de s’engager dans la recherche et de développer leurs propres potentialités inventives. Aujourd’hui, ce sont une éducatrice et un éducateur qui m’ont stimulé ; ils m’avaient donné à lire leurs mémoires de fin d’études, deux textes de qualité, et ce sont eux qui ont suscité en moi le besoin et le désir d’écrire avec eux ce livre. Chantal nous dit comment elle a été confrontée à de grandes difficultés pour trouver une médiation lui permettant de rentrer en communication avec des personnes lourdement handicapées corps et âmes… Elle nous indique comment, par le massage, dans certaines conditions, elle a pu rencontrer l’autre, là où il se trouvait. En outre, cela aura eu comme effet, pour une part mais non la moindre, de redonner du sens à son rôle dans sa fonction de professionnelle. 6 Chantal avait déjà compris toute l’importance de la médiation corporelle dans la relation humaine. Intuitivement d’abord, puis ayant lu Frédéric Leboyer, elle avait massé ses propres enfants depuis leur naissance. Il fallait seulement aider Chantal à découvrir comment elle pouvait, en intervenant sur les corps d’adultes devenant ou devenus, apaiser leurs âmes d’enfants demeurées. « Demeuré » ! C’est un terme populaire pour désigner les personnes handicapées, les débiles. Quand dans les villages, les gens disaient de quelqu’un : « C’est un demeuré », ce n’était pas forcément péjoratif ou méprisant. C’était la constatation d’un état. Demeuré, c’est celui qui en était resté aux premiers instants de son émergence, celui qui n’avait pas pu avancer. J’ai parfois entendu dire aussi à la campagne : « c’est un moindre » ! C’està-dire celui qui n’a pas tout ce qu’il faudrait pour être comme nous. Aider des « demeurés » ou des « moindres » à souffrir moins, à participer un peu mieux à la vie et trouver une parcelle de bonheur ici-bas, tel n’est-il pas l’objectif des professionnels qui s’en occupent, bien au-delà des routines souvent déprimantes du quotidien. Philippe Costes avait développé ses aptitudes de potier avec Roland Dautry. Il a su exploiter cette découverte et en faire une médiation féconde dans son activité d’éducateur. Il avait compris d’abord pour lui-même, comment le toucher, le pétrir, le modeler la terre pouvaient conduire à des sublimations par la création. Est-ce à partir de cette expérience, ou parce qu’il faisait partie d’une équipe où le massage était parfois utilisé par des éducatrices ou éducateurs, pour apaiser des enfants ou adolescents profondément perturbés ? Bref, Philippe eut l’idée d’expérimenter le massage, occasionnellement, dans une perspective bien particulière : le passage de l’état de veille à celui de sommeil pour 7 des enfants ou adolescents pour lesquels ce moment était celui des mauvais souvenirs et des angoisses renouvelées. Il a accompagné des endormissements en utilisant diverses médiations. Il a raconté des histoires, murmuré des chansons. Il a su aussi masser des dos pour rassurer. Tel qu’il nous l’a décrit, il m’a rappelé certains textes du Browndale1 sur l’accompagnement aux moments de l’endormissement, et à ceux du réveil, au sortir parfois de cauchemars difficiles à assumer. Ce rappel et l’expérience de Philippe m’ont conduit à lui demander de témoigner dans cet ouvrage. De toutes façons, même s’il est dit qu’il n’est pas de progressions sans frustrations, il y a toujours une part de don dans la fonction éducative. Là, il y a la relation de maître à élève pour l’initiation à la création par la poterie, par exemple. Ailleurs ce sera un accompagnement vers un sommeil apaisé. Entre l’engagement de Chantal et celui de Philippe, il y a une grande différence. Pour Chantal, elle est essentiellement dans le « savoir-donner » à des personnes en mal d’épanouissement psychique et qui n’auront pas accès à des réalisations de nature à développer leurs narcissismes. Philippe, s’il apaise momentanément des anxiétés, entre sa tête pour comprendre et sa main pour le dire, il cultive surtout l’épanouissement des aptitudes créatrices. D’un côté, nous sommes dans « aider à pouvoir naître » un peu plus, un peu mieux à soi-même par les mains et l’intelligence d’autrui avec le cœur que l’intervenant y met. De l’autre, il est question de « faire apparaître des talents » pour celui ou celle, néanmoins sujet à part entière, qui a du mal à les faire fructifier. De toutes façons, dans tous les cas, du plus demeuré au mieux doté, il est question de renforcer, peu ou prou, la conscience de soi, pour favoriser un acheminement vers la conquête d’un peu plus d’identité. 8 C’est aussi ce dont il est question pour l’éducateur, pour l’éducatrice, le soignant ou la soignante : une renarcissisation par une revalorisation des aptitudes personnelles et professionnelles. Pour ma part, j’essaie de montrer comment j’ai été bouleversé, à l’occasion d’un voyage, par la découverte des terres du nord. Une sacrée rencontre ! Là, c’est la terre, telle qu’elle pouvait se présenter dans la nuit des temps, traces de son « archaïque » à elle. (Je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux humains inaccomplis, enfants d’une autre nuit où il n’y a pas d’espaces, ni de temps pour devenir sujet.) C’est de ces concordances, implicites ou évidentes, que je parlerai. Confronté au corps de la terre, à sa surface, par association d’idées, j’ai été renvoyé au corps humain, corps de l’homme, corps de la femme, yin et yang partout ! Partout, masculine ou féminine, d’une façon ou une autre, en bonheurs ou en tristesses, la nature nous impressionne. L’âme terrestre échange avec l’âme humaine. En tous points, en tous lieux, l’intelligence de notre environnement, à l’état brut, ou façonné, nous stimule, nous incite, nous féconde, fut-ce pour une bonne part, à notre insu. Il m’a semblé, il me semble que ce sont là des repères nous ouvrant des voies qui nous invitent à la relativité. Comme je l’évoquerai à nouveau au fil des escales, en Islande ou au Spitzberg, la croûte terrestre témoigne. Elle le fait par ses volcans en activité ou éteints, par les émanations de souffre au ras du sol, par ses roches bouleversées, par ses glaciers descendant inexorablement vers les eaux depuis des milliers de siècles, et encore par le partage entre six mois de jour continu et six mois d’obscurité. Là où il n’y a plus de traces des champs de neige, nous étions en juillet, il y a celles du monde animal adapté à ce milieu : les oiseaux bien sûr, mais aussi les renards, les phoques, les ours blancs. la pauvreté végétale s’accroît plus on va en direction de la 9 banquise. Il y a des petites plantes au ras du sol, des lichens, des mousses. On rencontre aussi des restes de plantes fragiles qui n’ont pas résisté. Des ossements légers signalent des combats pour une survie ou le témoignage d’animaux débiles qui sont morts sitôt nés… Nous étions là devant toutes les douleurs et toutes les forces de résistance de ce corps terrestre. C’était dans des régions inhabitables, inhabitées où l’homme n’a pu être qu’un passant. Tout cela n’était pas sans faire penser, avec l’évocation de la naissance de notre planète, à celle de l’homme avec les fécondations, les fécondités et les aléas pour l’une comme pour l’autre. Des philosophes ne nous disent-ils pas que tout l’univers est contenu dans chaque être humain ! C’est pourquoi nous parlons de corps et d’âmes ! Le corps, c’est ce qui est. Il n’est de réel que la matière, fûtelle vivante ou apparemment inerte. Réel de l’objet terrestre ou du sujet humain ? C’est ce réel qui permet de situer l’espace et le temps sous le regard de l’homme et avec toute son âme dans la mesure où l’on nous accordera que l’âme, quel que soit le sens qu’on y met, c’est ce qui fait naître ! ÂME Nous employons le mot « âme » comme principe de vie. Pour nous ce serait plutôt un équivalent de « psyché » ou psychisme. Son versant spirituel s’exprime aussi volontiers dans une forme poétique. L’âme c’est ce qui identifie le corps. C’est encore ce qui donnera accès au symbolique mais qui recouvre aussi le mystère, l’inconnaissable. C’est l’évocation de toute l’énergie vitale car il n’est pas à nos yeux d’existence de la pensée si elle ne se fonde sur les aptitudes du sensible. Nous n’y mettons pas de connotation religieuse, encore que les « croyants » puissent l’y mettre s’ils en éprouvent le besoin. 10 Nous n’y voyons pas d’incompatibilités. Du latin anima : souffle, vie, l’âme c’est ce qui vient habiter le corps dans les mouvements de l’histogenèse, entre deux mois et demi et le septième mois de la gestation et, partagé entre la génitrice-devenant-mère et le bébé en élaboration, s’exprimant par les connexions du sensoriel avec l’émotionnel, ce qui produira l’éprouvé, le sensible, l’affectif… ÉCART Ceux et celles qui nous liront pourront avoir véritablement accès à notre témoignage… s’ils ont compris que nous avons pris toute la mesure de l’écart entre le toucher soignant apaisant, vivifiant et d’autre part, le toucher génital producteur d’excitations, de tensions, du jouir, ce qui n’est pas l’objet de ce texte, mais peut-être faut-il en dire un peu plus à propos de l’écart. Pour mieux comprendre les difficultés de certains, il est précieux de référer à l’individu dit normal, celui qui dispose de tous les moyens structurels, même si des aléas d’ordre névrotiques ne lui permettent pas d’en profiter pleinement. Mesurons donc bien cet écart entre les données de l’archaïque du sujet dans l’ébauche de la structuration fondamentale d’une part, et d’autre part, l’avènement de sa maturité avec la fin biologiquement présumée de l’adolescence vers l’âge de vingt-cinq ans. Entre l’origine et les aboutissements de cette étape dans la vie d’un homme ou d’une femme, il y a eu un mouvement relativement harmonique avec toutes sortes de variations d’un individu à l’autre. Ce mouvement a concerné l’évolution et la croissance du corps, l’épanouissement de la vie psychique et le développement intellectuel. Pour tous, les données sont analogues mais dans des rapports variables et personnalisés. Dans le parcours de l’enfant présumé « normal » structurellement – ceux dont parle principalement Philippe Costes et que 11 j’évoque moi aussi –, il est évident que leurs normalités sont marquées de blessures psychiques, non cicatrisées, qui les retiennent en partie parfois jusque dans l’archaïque, traces d’écueils lors de la structuration fondamentale. Quand je parle d’archaïque et de structuration fondamentale, je rappelle que je le situe dans cette période qui s’étend entre la conception et le stade du miroir, soit environ dix huit mois, neuf pour la gestation et huit ou neuf après la naissance. LIBIDO Quand Freud nous a proposé une lecture de l’évolution libidinale de l’être humain, son objet de recherche dominant était la névrose. Il a donc pris appui, comme il l’écrit dans les Essais, sur la surface perceptive considérée comme acquise. C’est dire qu’il nous parle de l’évolution normale de l’enfant à partir de sa naissance et ayant franchi structurellement l’étape du stade du miroir. Il a donc travaillé dans sa recherche surtout à partir de personnes disposant de toutes leurs potentialités. C’est dans la foulée qu’il nous parle des étapes libidinales : orale-analegénitale. Dans notre approche, il sera ici beaucoup question de polyhandicapés, notamment avec Chantal Couzinet, mais aussi d’enfants ou d’adolescents névrotiques ou border-lines dans ce qu’évoque Philippe Costes. SUJETS AVÉRÉS Pour ceux-là aussi il y a des traces qui font frein ou blocage. Il faudra bien les aborder là d’où elles s’originent produisant des effets sur le soma, la psyché et le mental. Nous pouvons dire encore, plus simplement : sur le corps, l’âme et l’esprit. C’est ici que je dois bien situer ce que j’ai désigné comme écarts. Il y en a pour l’individu disposant de tous ses potentiels sous 12 formes de freins ou blocages qui se manifestent souvent sous différentes formes de grande anxiété, comme une insécurité basique. Ces états viennent alors barrer en partie les aptitudes à penser, embrumer la réflexion. Or souvent, ces états anxieux prennent leurs origines au plus profond de l’être et c’est alors que le soin doit se porter là où souffre le sujet. Héraclite d’Ephèse en avait déjà parlé avec la métaphore de l’araignée (Les Fragments) : toute personne qui éprouve une grande douleur quelque part dans son corps en verra accaparée toute sa pensée. Quelqu’un qui souffre d’une appendicite « sera » dans son ventre ! Un autre qui se sera brisé la jambe « sera » dans sa fracture jusqu’à ce que la douleur s’en aille… De même pour celui ou celle qui a souffert les affres de l’abandon, ils seront toujours dans les angoisses du manque et dans une demande répétitive insistante, pénible pour les autres, incitant parfois au rejet. Il en sera ainsi tant que rien n’aura été entrepris pour tenter un « dénouement ». Si la parole vient mettre du sens sur l’origine de la détresse et sur les troubles du comportement qu’elle a engendrés, la souffrance ne saurait s’atténuer qu’avec beaucoup de tendresse, des « câlins », de ceux qui ont manqué au bébé, de ces « corps à corps » qui viendront apaiser, mais pourtant ne pourront jamais remplacer tout à fait ceux qui auront tant manqué en temps voulu, dès la naissance. Pour ces personnes que j’ai dites structurellement normales, ce qui importe pour l’éducateur, le soignant, c’est de bien situer le sens de ses interventions, dans ses attitudes et ses paroles pour éviter tout risque d’ambiguïté dans sa relation à un enfant, un adolescent qui est en route libidinale vers un épanouissement de sa génitalité. Il ne faut pas oublier non plus que c’est dans la mesure où l’affectivité d’un enfant, d’un adolescent, aura pu s’épanouir, que son entrée dans la génitalité pourra s’opérer aussi sainement que 13 possible. Pour ceux-là, et en ce qui concerne la médiation par le massage bien situé dans le « prendre soin », il s’agira souvent d’interventions ponctuelles ou à court terme, comme dans le cas d’Eric relaté par Philippe Costes. SUJETS-POTENTIELS Pour les polyhandicapés, les autistes, ils en sont restés le plus souvent à des impossibilités à entrer vraiment en relation, soit du fait des malformations organiques, soit à partir des ratages de connexions in-utéro. Pour eux, il y a une impossibilité, au plus loin, au plus profond, de vivre l’organisation de la structuration fondamentale et même parfois de ne pas pouvoir l’aborder du tout. C’est alors l’univers du sensible, du sensoriel qui est dans un chaos qui empêche toute évolution, toute maturation. Bien évidemment, ici il ne saurait être question d’évolution libidinale harmonieuse. Les moyens n’y sont pas. Il s’agit donc avant tout de les aider à éprouver leur corps sinon leur ouvrir un accès à sa conscience. Cela ne peut avoir lieu que dans la relation avec un autre, toujours le même, repéré, repérable, qui l’aidera à entrer un peu dans un processus d’humanisation. Les soignants de polyhandicapés, d’autistes, sont bien contraints de s’occuper des corps, ne fut-ce que pour des raisons de soins d’hygiène. Il n’y a pas d’autre alternative pour ces personnes dépendantes. Situer le massage, voire le bain suivi du massage dans un processus thérapeutique en prenant le temps qu’il y faut, c’est donner du sens au travail du professionnel soignant et tenter une structuration au moins élémentaire du sujet potentiel. Nous avions vérifié, dans le cadre de l’institution Solstices, entre 1975 et 1986, que penser le soin de cette façon (voir 14 Autismes et humanité) avait permis des évolutions très importantes. Pour les polyhandicapés, nous n’avons pas d’autres prétentions que soulager des souffrances. Le rapport au génital, chez les uns et chez les autres, ne se posera que s’ils ont grandement évolué. Pour l’éducateur, l’éducatrice, l’AS ou l’AMP, il suffit d’être au clair avec soi-même, de pouvoir parler de son travail et de ses réactions en réunion de régulation. En situation de massage, chacun, chacune restera ce qu’il doit être : quelqu’un qui aide, qui soigne, ce qui n’empêche pas d’y mettre de ce que je désigne comme « tendresse humanisante ». BLOCAGES Je crois que tout est clair à ce sujet dans le sens où je l’ai écrit plus haut : « Intervenir sur des corps d’adultes pour apaiser leurs âmes d’enfants demeurés » ! C’est bien de cela qu’il est question mais pas seulement. En effet, s’agisse-t-il d’enfants, d’adolescents ou d’adultes, il est vrai que tous ont souffert de ce qu’on désigne communément comme un « blocage », c’est-à-dire comme un arrêt, comme un empêchement. Celui-ci peut concerner un aspect partiel dans l’épanouissement d’une personnalité pour des raisons d’ordre névrotique. Il peut être aussi global, mais il s’agit toujours d’une part plus ou moins importante d’impossible épanouissement de la psyché, fut-il consécutif à des désordres embryonnaires ou intervenant à partir des connexions manquées aux moments de l’histogenèse. Dans tous les cas, nous sommes renvoyés au domaine du sensible et à ses blessures. C’est souvent dans l’éprouvé, dans les aptitudes à éprouver, à situer, à définir, que nous avons à comprendre ce qui s’y passe, pourquoi cela a lieu, pour pouvoir mieux aider, mieux soigner. Écrire : « atteindre des âmes d’enfants demeurés », est donc correct dans le sens où le sujet-potentiel en est resté là, mais c’est insuffisant si nous ne considérons pas la nature des désordres 15 dans le développement, lesquels sont à l’origine des troubles et des tourments. Ainsi quand nous parlons du toucher par le massage, c’est bien dans le champ de l’éprouvé, des relations initiales qu’il s’agit. D’une part le toucher reste le premier sens à s’éveiller in utero, d’autre part, c’est aussi celui de la première rencontre à la naissance. Dans notre travail, nous y associons l’odorat que nous sollicitons par le biais des huiles essentielles. Oui ! L’olfactif est le deuxième sens à émerger au cours de la gestation. À la naissance, le nouveau-né rencontrera sa génitrice-devenue-mère dans un contact peau à peau et la perception de son odeur. Cette rencontre sera plus ou moins intense selon les bébés et plus ou moins édulcorée selon la nature du handicap quand il y a lieu. Ainsi je me suis efforcé de l’exposer aussi clairement que possible dans mon dernier livre Cohérences, le soin devrait donc s’ordonnancer à partir de la source du mal, de l’origine d’un manque, d’un ratage dans les temps de la structuration fondamentale. Tenant compte de l’importance de la rencontre première du bébé dans un parcours normal, le soignant y référera et s’adressera donc au soigné pour ce qui est « en souffrance » en lui, dans les deux sens du terme : le retard et les blessures. L’intervention auprès du soigné, en cas d’indication de massage, prendra donc sens tant par le toucher et l’odorat que corrélativement par le goût, l’ouïe et la vue. Bien sûr, les modalités seront pensées en fonction des particularités de chacun. L’intention signifiante de la part du soignant sera d’abord reçue dans le sensible et, si possible, alimentera le conceptuel, l’écho de l’éprouvé dans les mots. LE GÉNITAL La plupart des personnes lourdement handicapées sont, pour la plus grande part d’eux-mêmes, demeurées dans l’archaïque et 16 n’ont pas la possibilité de s’approprier leur génitalité même quand elle s’exprime physiologiquement. Ainsi, même pour ceux qui manifestent des pulsions à cet égard, dans des masturbations par exemple, c’est davantage à mettre sur le compte d’une quête de sensations dans un corps pas encore trouvé, ou à jamais inaccessible au présumé-sujet. Souvent, on pourra considérer ces gestes comme équivalents d’un onanisme infantile. Ils sont sans aboutir à une éjaculation, ni à un orgasme, sauf cas exceptionnels. Mais pouvons-nous comprendre alors quelle peut en être la signification pour l’individu dépourvu des moyens d’y mettre un sens au-delà de la sensation immédiate. Dans tous les cas cependant, reconnaissons que chaque individu, même très régressé, a sa propre personnalité, si pathologique soit-elle. Il nous appartient de bien analyser chaque cas pour ne pas risquer de nous lancer dans des interprétations projectives et faire fausse route. Ces différences qui semblent évidentes chez les polyhandicapés ou les autistes, ne le sont pas du tout d’emblée pour des enfants, adolescents ou adultes des deux sexes et disposant de leurs potentialités de sujets-avérés. Même si des blocages névrotiques les ont empêchés de se servir de tous leurs moyens, il sera tout à fait indispensable pour eux que les éducateurs ou les soignants situent bien la nature de leurs interventions, tant par leurs attitudes qu’en paroles. C’est cela aussi que nous avons voulu exprimer tout au long de cet ouvrage et que le lecteur voudra bien retenir. LE MASSAGE POUR QUI ? Le « massage » dont il va être question au cours de nos exposés doit donc être considéré comme un outil utile pour certaines personnes de tous âges selon leurs difficultés mais certainement pas comme une panacée. Il se situe parmi d’autres médiations, 17