Vieillissement et migrations internationales
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Vieillissement et migrations internationales
Note TDTE N°17 Immigration, diversité et prospérité économique 1 1 Auteurs Hillel Rapoport, Université d’Harvard Ces travaux ont bénéficié du soutien de la Caisse des Dépôts 4 Février 2013 « Seul le prononcé fait foi et ce compte-rendu n’engage pas les intervenants » Séminaire « L’impact de l’immigration sur l’économie du territoire » (2013), Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques - Caisse des Dépôts, note de la Chaire TDTE n°17 – Saison 2 www.tdte.fr La part de la population immigrée (née à l’étranger de parents étrangers) représente aujourd’hui près de 10% de la force de travail des pays de l’OCDE, proportion qui a doublé au cours des vingt dernières années et plus que triplé pour ce qui est de la population immigrée qualifiée. Cette diversité croissante des origines a potentiellement des implications économiques importantes. En effet, la théorie économique nous indique qu’une diversité accrue induit des coûts en termes de difficultés à communiquer ou à collaborer mais également des bénéfices en termes de complémentarités potentielles entre travailleurs issus d’horizons différents et qui interagissent au sein de structures de production complexes. La littérature sur ces questions s’est jusqu’à présent focalisée sur la diversité ethnique et linguistique, dont il a été montré qu’elle avait des effets négatifs sur les performances et la croissance économiques (Easterly and Levine, 1997, Alesina et al., 2003). 2 2 Dans un article récent, nous revisitons cette question en l’abordant sous l’angle de la diversité en termes de lieux de naissance.1 Il faut dire que celle-ci est très différente de la diversité ethno-linguistique, tant sur le plan statistique que sur le plan conceptuel. Statistiquement et de façon quelque peu contre-intuitive, les deux sont très peu corrélées (le coefficient de corrélation n’est que de 0.16). Cela peut paraître surprenant mais l’essentiel de la diversité ethno-linguistique (par exemple noirs/blancs aux Etats-Unis, flamands/wallons en Belgique, ou les mosaïques ethniques des pays africains) doit très peu à l’immigration. Conceptuellement, les deux sont également très différents. Reprenons les arguments sur les coûts de communication, le manque de cohésion sociale ou de confiance entre personnes issues d’horizons différents, ainsi que l’argument sur les bénéfices liés à la complémentarité dans les processus de production et provenant du fait que des individus divers peuvent contribuer à accroître la somme des savoirs, connaissances, pratiques et modes de traitement des problèmes et de raisonnement à la disposition d’un ensemble de travailleurs donnés. Si l’aspect « coûts » semble devoir s’appliquer à l’une ou l’autre forme de diversité, les bénéfices liés à d’éventuelles complémentarités apparaissent d’autant plus pertinents que les individus concernés ont grandi dans des contextes culturels différents, sont issus de systèmes scolaires différents, etc. Pour le dire autrement, on s’attend à ce que d’éventuelles complémentarités productives se manifestent plutôt pour la diversité liée aux lieux de naissance que pour celle liée aux origines ethniques, et ce d’autant plus que nous aurons affaire à des individus éduqués (porteurs de « qualifications » susceptibles d’être complémentaires de celles des natifs) et que les interactions se produisent dans des tâches complexes, qui combinent de nombreuses qualifications. Au total, on s’attend donc à ce que si les bénéfices de la diversité doivent l’emporter sur ses coûts, cela se produise dans les économies les plus avancées, 1 Notre approche s’inspire donc des travaux de l’économiste du travail Giovanni Peri, qui a pour cadre les villes et Etats américains (cf. Ottaviano and Peri, 2006, et Peri, 2012). De même, il existe une littérature « micro », issue principalement du management, qui s’est intéressée aux effets de la diversité sur la productivité des firmes ou des équipes, avec des résultats qui vont dans le sens des nôtres. Séminaire « L’impact de l’immigration sur l’économie du territoire » (2013), Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques - Caisse des Dépôts, note de la Chaire TDTE n°17 – Saison 2 www.tdte.fr dominées par les activités créatives et innovantes, et pour la frange la plus qualifiée de la force de travail. Ce sont ces propositions théoriques que nous avons cherché à tester empiriquement, en procédant en trois étapes. La première consiste évidemment à créer un indicateur de diversité liée aux lieux de naissance pour l’ensemble des pays du monde, ce qui suppose de disposer de données d’immigration (par pays de naissance et niveau d’éducation) pour chacun d’eux. Etonnamment, de telles données ne sont disponibles que depuis peu, grâce à l’énorme travail de collecte et d’harmonisation fourni par des organisations internationales telles que l’OCDE ou la Banque Mondiale. Une fois ces données obtenues (cf. Docquier et al., 2011), elles nous ont permis de calculer un indicateur de diversité (indice dit de Herfindahl, que l’on utilise également pour la diversité ethno-linguistique ou, en économie industrielle, comme indicateur de (dé)concentration sectorielle) et qui traduit en fait la probabilité pour un pays donné que deux individus qui y seraient tirés au hasard aient le même pays de naissance. Cet indice a ensuite fait l’objet d’une décomposition statistique entre ce que l’on pourrait appeler une marge extensive, la part de la population née à l’étranger (ou la taille de l’immigration), et une marge intensive capturant la diversité de la population immigrée (ou diversité de l’immigration). 3 3 La seconde étape consiste à insérer ces indicateurs de taille et de diversité de l’immigration dans des régressions explicatives des niveaux de prospérité économique. Cela revient à écrire un modèle empirique de type: ln yk,t = α + β₁∗diversité des migrantss,k,t + β₂∗part de l’immigrations,k,t + β₃∗effets d’origines,k,t + β₄∗capital humaink,t + β₅∗taille du marchék,t + β₆∗Γk,t + β₇∗Δk + β₈∗Φk,t + β₉∗Ψk,t + ηt + ε où yk,t est un indicateur de niveau de vie ou de productivité (typiquement, le PIB par habitant ou la productivité totale des facteurs par habitant) pour le pays d’accueil k à la date t (nos régressions utilisent les données pour les années 1990 et 2000), la taille et la diversité de l’immigration dans la population en âge de travailler mesurées pour les niveaux de qualification s (force de travail totale, qualifiée ou non-qualifiée, le seuil de démarcation étant placé à BAC+2), les effets d’origine nous donnent la moyenne pondérée des niveaux de vie ou de productivité dans les pays dont sont issus les migrants, et Γ, Δ, Φ et Ψ sont des vecteurs de variables capturant les caractéristiques des pays d’accueil en termes de géographie (superficie, latitude, etc.), de liens commerciaux, de qualité institutionnelle et de diversité linguistique et ethnique. Enfin, ηt est un effet-fixe temporel (capturant le cycle économique pour l’économie mondiale) et ε, un terme d’erreur ou résidu. Séminaire « L’impact de l’immigration sur l’économie du territoire » (2013), Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques - Caisse des Dépôts, note de la Chaire TDTE n°17 – Saison 2 www.tdte.fr Ainsi, par exemple, le coefficient β₁ -- qui est notre principal coefficient d’intérêt -- nous donne l’effet de la diversité de l’immigration sur le niveau de revenu ou de productivité une fois que l’on a contrôlé pour la taille de l’immigration et pour le fait que les migrants viennent de pays plus ou moins riches (ainsi que, bien entendu, pour toutes les autres variables décrites ci-dessus). De même, le coefficient β2 nous donne l’effet de la taille relative de l’immigration sur les niveaux de revenu ou de productivité une fois que l’on a contrôlé pour la diversité de l’immigration, pour le fait que les migrants viennent de pays plus ou moins riches, et pour l’ensemble des autres variables de contrôle. Le jeu consiste ensuite à tester la sensibilité des résultats à des changements de spécifications par lesquels on introduit ou retire certaines variables, on modifie la définition d’autres variables, on procède à des divers échantillonnages de pays, etc., et ce afin de pouvo r se concentrer sur les résultats « robustes », ceux qui résistent aux changements de spécifications et auxquels on accordera donc plus de crédit. Le seul résultat véritablement robuste qui émerge de nos analyses est celui d’un effet positif, statistiquement et économiquement significatif de la diversité de la migration qualifiée sur les niveaux de revenu et de productivité des pays riches (la moitié la plus riche ou la plus productive de l’échantillon). C’est précisément ce à quoi l’on s’attendait sur la base des discussions théoriques ci-dessus sur la balance entre coûts et bénéfices de la diversité. 4 4 La question qui se pose alors, et qui est l’objet de notre troisième étape, est de savoir si le lien positif entre diversité de l’immigration qualifiée et niveaux de revenu et de productivité dans les pays riches peut recevoir une interprétation « causale ». En effet, on peut parfaitement imaginer que la corrélation positive mise en évidence soit due à une causalité inverse, à savoir au fait que les économies les plus avancées attirent tout simplement plus de migrants (ce qui est avéré), et des migrants d’origines plus diverses (ce qui l’est moins). Par ailleurs, on peut aussi imaginer que prospérité économique et diversité de l’immigration n’aient pas de liens directs l’une avec l’autre mais soient en réalité conjointement déterminées par une troisième variable, dite « omise » dans le sens où elle peut ne pas être mesurable, ou à laquelle on n’a tout simplement pas pensé (ce pourrait être par exemple, dans notre cas, la capacité multidimensionnelle que peut avoir un pays à tirer partie de la mondialisation économique). Pour éviter de tels écueils, les économistes ont recours à des techniques dites de variables instrumentales, qui consistent à prédire les variables d’intérêt – ici la taille et la diversité de l’immigration – par des variables qui n’ont pas d’influence par ailleurs sur les variables expliquées – ici les niveaux de revenu et de productivité. La solution retenue dans notre cas est d’avoir recours à un modèle de gravité permettant de prédire les flux de migration bilatéraux à partir de variables exogènes (principalement, des variables géographiques bilatérales telles que la distance, l’existence d’une frontière commune, etc.). Sur la base de ces flux bilatéraux prédits, on peut construire pour chaque pays un indicateur de diversité prédite et substituer celui-ci à la diversité observée dans notre modèle empirique. Les résultats obtenus selon cette méthode sont très similaires à ceux obtenus dans les régressions simples, ce qui nous conforte dans l’idée que la diversité de l’immigration qualifiée a bien un impact positif sur les niveaux de revenus et de Séminaire « L’impact de l’immigration sur l’économie du territoire » (2013), Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques - Caisse des Dépôts, note de la Chaire TDTE n°17 – Saison 2 www.tdte.fr productivité des économies avancées et dans notre interprétation selon laquelle cet impact positif est dû à des complémentarités entre individus issus d’horizons divers dans leurs interactions productives. 5 5 Ces résultats ont potentiellement des implications nombreuses et importantes en matière de politique économique et, en premier lieu, en matière de politiques d’immigration. Jusqu’à présent en effet, celles-ci se focalisent sur les dimensions de quantité (combien de visas délivrer ?) et de qualité (faut-il privilégier les individus les plus qualifiés et éduqués ?), mais négligent la dimension de la diversité. La seule exception, à notre connaissance, est la fameuse « green card lottery » aux Etats-Unis, dont le nom officiel – peu de gens le savent -est en fait la « diversity lottery » et qui permet de distribuer chaque année environ cent mille visas dans l’objectif proclamé d’augmenter la diversité de la population américaine ; en effet, la loterie est organisée de façon à privilégier les candidats issus de pays peu représentés dans l’immigration passée vers les Etats-Unis. La seconde implication pour les politiques d’immigration est que l’on voit se dessiner des cercles vicieux ou vertueux entre quantité, qualité et diversité de l’immigration. Sachant qu’une immigration plus qualifiée et plus diverse est non seulement plus profitable sur le plan économique mais également mieux acceptée voire soutenue par les opinions publiques, on peut sans trop rêver imaginer un monde à la fois plus ouvert, plus prospère et plus divers. Le scénario inverse alliant une immigration faible, peu qualifiée et peu diversifiée et où chaque aspect renforce l’autre est bien entendu également possible. Si les Etats-Unis nous paraissent illustrer assez bien le régime vertueux, il nous faut malheureusement constater que la France semble quant à elle enfermée dans une toute autre logique. Séminaire « L’impact de l’immigration sur l’économie du territoire » (2013), Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques - Caisse des Dépôts, note de la Chaire TDTE n°17 – Saison 2 www.tdte.fr Référence Alesina A., A. Devleeschauwer, S. Kurlat and R. Wacziarg (2003), "Fractionalization.", Journal of Economic Growth, 8(2): 155-194. Alesina, A., J. Harnoss and H. Rapoport (2013). “Birthplace diversity and economic prosperity”. NBER Working Paper No 16883, January. Docquier, F., A. Marfouk, C. Özden and C. Parsons (2011), "Geographic, Gender and Skill Structure of International Migration." Mimeo, Université Catholique de Louvain, September. Easterly, W. and R. Levine (1997), "Africa's Growth Tragedy: Policies and Ethnic Divisions." Quarterly Journal of Economics,, 112(4): 1203-1250. Ottaviano, G. and G. Peri (2006), "The Economic Value of Cultural Diversity: Evidence from U.S. Cities." Journal of Economic Geography, 6(1): 9-44. Peri, G. (2012), "The effect of immigration on productivity: evidence from US States." Review of Economics and Statistics, 94(1): 348-358. 6 6 Séminaire « L’impact de l’immigration sur l’économie du territoire » (2013), Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques - Caisse des Dépôts, note de la Chaire TDTE n°17 – Saison 2 www.tdte.fr
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