petit historique : c`est quoi un atelier

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petit historique : c`est quoi un atelier
•
Elise de Terlikowski
Dnsep "design graphique"
Ecole régionale des beaux-arts de Valence
juin 2010
sommaire
Introduction
p. 5 à 6
petit historique : c'est quoi un atelier ?
Selon Marie-José Mondzain
p. 9 à 10
delacroix/courbet
p. 12 à 16
mapping the studio ii with color shift,
flip flop and flip flop
(fat chance john cage)
p. 22 à 29
atelier de brancusi
p. 36 à 40
entretien avec eva kubinyi
p. 44
dexter sinister/Åbäke
p. 48 à 51
entretien avec nicolas frespech
p. 52 à 53
daniel buren/in situ
p. 54
entretien avec gaël etienne
p. 56 à 60
l'ordinateur, outil/espace de travail
p. 63 à 64
entretien avec franck david
p. 65 à 67
para-création
p. 68 à 69
conclusion
p. 70 à 71
bibliographie
p. 72 à 73
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INTRODUCTION
Comment définir l'atelier : Un espace de travail ? Un espace de
création ? Une représentation ? Comment le lieu agit-il sur les méthodes
et les manières de travailler des artistes, des designers ; sur leur mode de
réflexion, de conception, sur leurs pratiques ? Comment certains domaines
de la création ont-ils investi et questionné leur propre espace de travail
ou celui des autres ?
Certains voient leur espace de travail comme une pure fonctionnalité ;
d'autres le remettent en question ou le mettent en valeur. Dans un premier
temps, je souhaite parcourir l'histoire de l'atelier avec Marie-José Mondzain ;
dans un deuxième temps, je souhaite centrer mon propos sur les artistes qui
ont fait de leur atelier une représentation (Brancusi, Mondrian). Comment
le créateur se représente-t-il dans son atelier (Delacroix, Courbet). Puis,
j'aborderai les manières dont aujourd'hui il peut être représenté (Push Pin
Studio, Experimental Jet Set, Collectif 1.0.3). Comment, notamment, l'atelier
est-il utilisé à des fins artistiques (Bruce Nauman…) ? Enfin, comment le
positionnement de l'artiste ou du designer à l'égard des conditions
économiques et sociales, déterminent-elles leur rapport à l'espace de travail ?
(Daniel Buren, Dexter Sinister, Nicolas Frespech, Åbäke). Ou : « Quand les
attitudes deviennent formes 01 ».
Le moyen d'approfondir le sujet, c'est de confronter directement ces
questions à des créateurs. Je suis partie à leur rencontre, souvent dans leur
espace de travail, mais aussi dans des lieux, qui a priori, n'étaient pas des
lieux de travail (fast-food, café).
01 — Exposition à la Kunsthalle Bern en 1969, commissaire d’exposition : Harald Szeemann.
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Les questions, je les ai posées à Eva Kubinyi (Ruedi Baur et Associés),
à Gaël Etienne (Studio deValence). Je les ai soumise également à la joyeuse
exubérance de Nicolas Frespech, à Anne Couzon Cesca et Arnaud Bernus
(Collectif 1.0.3.) et à Franck David. À partir de leur réponse, j'ai tissé
un paysage de leur lieu de travail. J'ai cette idée que les espaces que sont
l'atelier, le loft, l'ordinateur, en renvoyant à leurs conditions de productions,
sont des espaces auto-référentiels. J'ai pu remarquer chez certains,
qu'interroger leur profession impliquait d'interroger leur espace. Romantique, méthodologique, expérimental : les exemples que je présente dans
ce texte sont des œuvres, des dispositifs, des textes et des paroles, structurés
par les questions de l'espace de travail. Ainsi, dans la majorité des
entretiens, les enjeux artistiques et professionnels se mêlent.
Et comme un entracte dans le mémoire, j’ai proposé aux différentes
personnes que j’ai rencontré, d’investir un carnet que j’avais préalablement
griffonné de formes, de questions, de phrases. Ainsi, au fil des rencontres,
le carnet s’est rempli et chacun (sauf le premier, à fortiori) a pu découvrir
l’écriture de l’autre ; comme une rencontre fictive.
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Vue de l'atelier de Ruedi Baur et Associés
Paris, 2010
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Petit historique :
C’est quoi un atelier ?
Selon Marie-José Mondzain
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A l’origine, le mot « atelier » du latin astella, signifie copeau ou éclat
de bois. Vers 1332, l’atelier désigne en français : « le lieu où sont réunis les
éclats de bois du charpentier ». C’est au XVIIIe siècle que le mot en français
fixe son sens pour devenir : « le lieu aussi bien que l’ensemble des ouvriers
groupés dans ce lieu où l’on travaille sous le même maître » ( Trévoux, 1773).
« Il est l’espace où la matière se transforme en objet finalisé, lieu privilégié
où la nature passe dans la culture ; son périmètre constitue un seuil :
il marque les bornes du groupe par rapport à tout ce qui lui est extérieur ;
hors de l’atelier et avant lui, il n’y a que nature brute, inerte, amorphe et
inintelligible ; à la sortie de l’atelier, le bois, la pierre, le métal, la terre,
et je rajouterai le papier ou toutes sortes et formes d’objets, sont devenus
œuvres de culture, valeur d’usage, objets esthétiques ».
C’est l’organisation sociale, économique et politique qui structure l’atelier,
avec un maître et ses ouvriers, tous soumis aux besoins de la société. Le
travail dans l’atelier change au cours de l’histoire, percuté par les transformations industrielles et celles des machines. Mais l’atelier a su se réinventer
et se restructurer, allant des mains de l’Église aux mains de l’État et enfin
à celles de la bourgeoisie. L’artisan et l’artiste se séparent distinctement à
partir de la Renaissance. L’atelier, lieu où se mélangent matières et individus,
est le lieu où la fabrication et l’apprentissage prennent progressivement
de la valeur.
Au cours des siècles, en Europe, l’artiste se met en scène, se peignant
en train de travailler. Mais il lui reste tout le côté technique qu’il donne à
ses apprentis (couleur, toiles,etc.). Au XIXe siècle, « les marchands de toiles,
de pinceaux, etc., dispensent les artistes de toutes tâches techniques ».
Le chevalet portatif ouvre un nouvel espace à l’artiste. Il amène un vent de
liberté, qui fait sortir l’artiste de son atelier pour se pencher sur la nature,
O2 — Marie-José Mondzain, Encyclopædia Universalis, « l’atelier »,
corpus 3, 2002, Paris, page 321 à 325. Toutes les citations de ce texte sont issues de cet article.
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la lumière. Les artistes, les poètes, les journalistes, les critiques se retrouvent
pour discuter et parler des phénomènes de la vie sociale, telles que les crises
économiques, de théorie, etc. Ainsi, l’atelier s’est transformé, en différents
espaces : espace social, espace de travail, espace personnel, provoquant
chez l’artiste, ses contradictions et son imagination, mettant ce lieu en
lumière :« ce qu’il a toujours été, périmètre mental et matériel indéfini du
travail dans son ‹ faire › le plus essentiel ».
Le créateur est toujours lié à son époque, et l’atelier reflête ses besoins
matériels et intellectuels. Mais ce sont les outils de travail qui influencent
une pensée. Redéfinir l’outil c’est changer de positionnement ; c’est comparer,
s’approprier une nouveauté. Nous sommes bien loin du temps où l’artiste
fabriquait ses outils de travail. J’ai demandé à Nicolas Frespech de me
dire ce qu’il ferait sans ordinateur, son outil de travail, il m’a répondu qu’il
serait perdu. Ma question était naïve. Aurais-je demandé à Delacroix ce
qu’il aurait fait sans son pinceau ? Mais l’idée, derrière cette question, c’est
de comprendre que selon les outils et les matériaux, l’espace de travail se
modifie forcement. Et maintenant, l’artiste peut avoir le même outil qu’un
trader, un journaliste, un graphiste, et Pierre-Michel Menger, dans Portrait
de l’artiste en travailleur 03, essaie de comprendre comment l’artiste se situe
dans notre société contemporaine : « Dans les représentations actuelles,
l’artiste voisine avec une incarnation possible du travailleur du futur, avec
la figure du professionnel inventif, mobile, indocile aux hiérarchies, intrasèquement motivé, pris dans une économie de l’incertain ».
Quelles sont les nouvelles représentations de l’espace de travail des
créateurs ? Qu’est ce qu’on y voit et qu’est ce que cela dit ?
03 —Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur (Métamorphoses du capitalisme),
éditions du Seuil et La République des Idées, décembre 2002, page 9.
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[…] Son exposition ‹ Quand
les attitudes deviennent forme ›
montée en 1969 à la Kunsthalle
de Berne est légendaire.
Elle a représenté un tournant décisif
dans l’histoire des expositions
d’art contemporain et a valu
à Harald Szeemann sa démission.
Rendre visible le processus artistique
jusque dans le produit final est une
démarche novatrice qui constituera
une révélation pour les uns et un
choc insupportable pour les autres,
en particulier l’establishment
bernois 04 .
04 — François Haubart, Http://archives.tsr.ch/Player/coupcœur-szeemann
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DELACROIX / COURBET
Que nous montre Delacroix, lorsqu’il peint le coin de son atelier ?
Eugène Delacroix peint des ateliers : le sien et celui de Michel-Ange.
Il commence par peindre un tableau intitulé Michel-Ange dans son atelier,
entre 1849 et 1850. Ce tableau représente le grand sculpteur assis,
entouré de deux de ses sculptures, la Madone Médicis et Moïse. Au premier
plan, Michel-Ange est assis sur une sorte de tabouret. Il se tient la tête
pour réfléchir plus facilement, un turban entoure sa tête et une longue
cape entoure son corps, son buste est penché vers l’arrière. Sa posture est
imposante. Le corps du sculpteur semble aussi peu figé que ses sculptures.
On peut sentir sa force mentale et physique, mais aussi le doute, la mélancolie. L’homme et ses sculptures sont prêts à se confondre. Au premier
plan, justement, par terre, se trouve un outil de travail, un ciseau. Un outil
qui ne peut pas aider l’artiste, pour le moment. Car Michel-Ange est en
pleine réflexion, le front plissé et le regard songeur. La pensée du sculpteur
emplit tout l’espace. L’atelier devient un espace où la création attend d’être
produite. La puissance de l’esprit entame l’espace de création. L’artiste est
mis au centre de la réflexion sur l’art. C’est par lui que les chefs-d’œuvres
naissent. L’artiste, ses œuvres et son atelier : cette vision romantique accentue
l’idée de génie. Comme si aucune force venant de l’extérieur ne pouvait
atteindre le silence de Michel-Ange. Cette œuvre n’est pas une commande.
C’est une représentation de la solitude, mais aussi une sorte d’autoportrait.
Car Eugène Delacroix s’identifie à Michel-Ange, éternel insatisfait qui est
au cœur de sa réflexion.
Cinq ans plus tard, en 1850, Eugène Delacroix reprend le thème de
l’atelier 05. Mais cette fois-ci, il va peindre son propre atelier. C’est une
manière de prendre le sujet à bras le corps, de se détacher de toutes
contraintes. L’atelier devient le sujet. Eugène Delacroix va inventer le sujet
de l’atelier ; il le représente, comme jamais cela n’a été fait.
Dans ce tableau : Coin de l’atelier, le poêle, l’artiste porte son regard
vers un simple poêle, vers la banalité des choses. La banalité au cœur de
l’art. Que voit-on ? Le coin d’une pièce comportant un auvent, un poêle
05 — Ce n’est pas encore l’atelier de la rue Fürstenberg, où il habita à partir de 1857
(lieu célèbre car ce fut également l’atelier de Claude Monet et de Frédéric Bazille. Aujourd’hui, Musée
national Eugène Delacroix).
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Michel-Ange dans son atelier
Eugène Delacroix
1849-1850
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chaud (le fer rouge), quelques ustensiles du peintre au sol et une porte
entrouverte. Delacroix a mis au rang de grand art la frugalité d’un coin
d’atelier ; il « reconnaît la valeur de ce qui était tenu pour insignifiant
et négligeable 06 ». Selon O’Doherty « C’est l’observation qui lance
l’œuvre 07 ». Delacroix laisse faire l’espace dans lequel il est. Il personnifie
cet espace, et le laisse libre de créer. Delacroix n’a peut être rien déplacé :
aucune mise en scène. Tout semble naturellement à sa place : « description
académique et observation radicale de la banalité 08 ». Delacroix reconnaît
la valeur de l’espace intime de l’artiste. Ici, rien ne nous dit que nous
sommes chez un grand artiste mondain. Il y a dans cette œuvre un sentiment
de solitude, d'enfermement.
La lumière vient de la droite, lumière artificielle ou lumière du jour ?
Le parquet prend une grande place dans la toile. L’auvent prend toute
la lumière. La chaleur qui ressort du tableau est représentée par le bois
de l’auvent, de la porte et du parquet. Entre l’auvent et une sorte de meuble
non-identifiable, on peut voir un pot de fleurs séchées : desséchées par
la chaleur du poêle ou par le manque d’eau ? Il y a ce rouge qui entame
le poêle. La chaleur de la pièce arrive jusqu’à nous. Ce coin d’atelier
prend-il beaucoup de place dans l’atelier de l’artiste ? Qu’y a-t-il d’intéressant
à peindre un coin de pièce. Il n’y a aucun objet de valeur ! Aucun élément
mentionne chez qui se trouve ce coin d’atelier. Mais nous savons que
nous sommes chez l’artiste, peut-être veut-il nous montrer un aspect de
l'artiste, dans toute sa banalité.
« […] Ce lieu, qui m’a vu entouré de peintures de toutes sortes et de
plusieurs qui me réjouissaient par leur variété et qui chacune éveillait
un souvenir et une émotion, me plaît encore dans la solitude. Il semble
qu’il soit doublé. J’ai là dedans une dizaine de petits tableaux que je
prends plaisir à finir. Sitôt que je suis levé, je monte à la hâte, prenant à
peine le temps de me peigner : j’y demeure jusqu’à la nuit, sans un seul
moment de vide ou de regret pour les distractions que les visites, ou ce
qu’on appelle les plaisirs, peuvent donner. Mon ambition est renfermée
dans ces murs. Je jouis des derniers instants qui me restent pour me voir
encore dans ce lieu qui m’a vu tant d’années, et dans lequel s’est passée
en grande partie la dernière période de mon arrière-jeunesse. […] Une
ambition effrénée n’a pas asservi mes facultés et ne m’a pas fait sacrifier
le plaisir de jouir de moi et de mes facultés au vain désir d’être admiré
06 — Brian O’Doherty, Studio and Cube on the relationship between where art is made and where
art is displayed. p.165.
07 — id.
08 — id.
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par les envieux dans quelque poste en vue, vain hochet des dernières
années, sot emploi pour l’esprit et pour le cœur de ces moments où
l’homme au déclin de sa vie devrait plutôt se recueillir dans ses souvenirs
ou dans de salutaires occupations de l’esprit, pour se consoler de ce qui
lui échappe et remplir ses dernières années autrement que dans les
affaires rebutantes dans lesquelles les ambitieux consument de longues
journées pour être vus quelques instants ou plutôt pour se voir sous le
soleil de la faveur. Je ne puis quitter sans une vive émotion ces humbles
lieux, où j’ai été tantôt triste et tantôt joyeux pendant tant d’années 09 ».
Gustave Courbet « ne veut pas raconter, mais il veut représenter 10 ».
Le grand tableau de Courbet 11 représente une scène dans son atelier à
Paris. Pour lui, c'est ça manière de voir la société : « C'est le monde qui vient
se faire peindre chez moi ». La société se retrouve capturée dans le tableau :
il y a la haute société et le peuple, il y a aussi les figures de l'art : le paysage,
le nu, l'autoportrait, la nature morte, etc. C'est par les mots « allégories
réelles » que Courbet nous propose d'autres interprétations. Le nu peut
représenter la Peinture : le tableau expose la dialectique entre le réel et
son image.
Courbet revendique sa vie d'artiste en se montrant avec tous ces
personnages autour de lui. Le paysage qu'il peint représente le paysage
familier d'Ornans, son village natal ; un modèle nu ; il mélange sa vie d'artiste
solitaire à sa vie sociale : une femme publique, un ouvrier, un exploiteur,
la misère et la richesse se côtoient, alors que du côté droit, se rencontrent
poètes, amateurs d'art, mécènes, amis. Courbet séparent bien les deux
parties, tout en les mettant dans un même espace : l'atelier. Tout ce monde
est venu dans cet atelier et a été photographié au préalable.
Delacroix et Courbet peignent leur atelier la même année. Ils questionnent la mise en figure du réel : celle de la banalité du quotidien pour l'un,
celle d'un univers à la fois objectif et personnel pour l'autre. « La réalité du
monde devient alors sa réalité à lui 12 ».
Le commerce que Courbet entretient avec le monde, Francis Bacon,
quant à lui, développera des décennies plus tard en remplissant son atelier
de photographies, de mots, d'images de presse, de livres de poésie,
de journaux…
09 — Delacroix, dans le Journal, décembre 1857.
10 — André Malraux, Le Musée Imaginaire, p.45.
11 — Gustave Courbet, L'atelier de l'artiste, 361 cm sur 598 cm, exposé au Musée d’Orsay,
12 — Jorge Coli, L’atelier de Courbet, Editions Hazan, 2007.
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Coin d’atelier, le poêle
Eugène Delacroix
1855
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l’Atelier du peintre
Gustave Courbet
1855
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MAPPING THE STUDIO II
with color shift,
flip flop and flip flop
(fat chance John Cage)
En 2001, Bruce Nauman crée une œuvre assez énigmatique. Mapping
the studio II with color shift, flip flop and flip flop (fat chance John Cage).
Il laisse tourner dans son atelier une caméra de surveillance à infra-rouge
pendant quarante deux nuits, filmant une heure par nuit, réparties sur quatre
mois. Cette caméra fixe l’espace de l’atelier. Puisque l’atelier est filmé, on
imagine que l’artiste va arriver. Bruce Nauman décide de laisser faire les
choses, sans intervention de sa part. Bruce Nauman a simplement cadré
et branché le dispositif d’enregistrement de la bande, et il est parti. Quelle
est l’intention de l’artiste ? IL n’y en a peut être pas. L’artiste voulait-il être
rassuré ? Bruce Nauman s’explique : « Je restais dans l’atelier sans idée.
Il y avait le chat, les souris qui passaient et la caméra infra-rouge, il y avait
les vestiges, des restes de l’atelier et je me disais pourquoi ne pas laisser
les souris faire le travail 13 ». L’intention, la stratégie de Bruce Nauman est
« de voir le retrait comme forme d’art 14 ». Pendant son absence, la caméra
surveille l’atelier. L’œuvre exposée, c’est le spectateur, qui à son tour,
surveille les moindres changements. Ce lieu demeure un lieu de création,
il doit donc, pour Bruce Nauman, rester « actif ». Et c’est le spectateur qui
le rend actif.
L’enregistrement terminé, l’œuvre doit être exposée. Mapping the Studio
a été présentée à l’occasion de l’exposition Le Mouvement des Images.
Art et Cinéma 15. Je me souviens l'avoir vue, mais je me souviens aussi ne
pas l’avoir comprise. Je m’étais assise sur les fauteuils qui étaient à disposition
et je n’y avais passé que quelques minutes, en repartant comme si de rien
13 — Cité par Françoise Parfait, à propose de l’œuvre, Un dimanche, une œuvre, Centre Pompidou,
le 19 novembre 2006.
14 — Sabine Bouckaert dans Eurêka, p.89.
15 — Acquise par la Tate Modern de Londres, le Kunstmuseum de Bâle et le Centre Pompidou. Exposée
en 2007 au Centre Pompidou.
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Mapping the Studio II
Bruce Nauman
2001
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n’était. Ce rien ne m’avait pas interrogé. Ce n’est que cinq ans après que
j’ai pu comprendre cette œuvre, grâce à un texte de Sabine Bouckaert, dans
le livre Eurêka-le moment de l’invention-un dialogue entre art et science 16.
Les enregistrements visuels sont projetés sur sept murs d’une galerie du
musée, et « réparties autour de la pièce afin de reproduire le positionnement
original des caméras » (donc de l’atelier). Le noir et blanc de la caméra est
remplacé par un travail de colorisation. Et si on attend un quart d’heure, on
pourra voir que certaines images sont inversées. Au centre de la pièce sont
installés des fauteuils de bureaux, montés sur roulettes. Le spectateur peut
s’y installer et déambuler à son gré. Les projections sont accompagnées
d’un enregistrement sonore.
Que voit-on ? On voit l’atelier de l’artiste, des chaises, des tréteaux,
une échelle, des objets éparpillés par terre, une multitudes d’objets et de
vestiges de travaux de l’artiste. Et, il y a un bruit d’ambiance qui investit
la galerie du musée : Le bruit du vent, un miaulement, un train qui passe
au loin, le silence de la nuit. Et toutes apparitions précipitées (un chat qui
traverse l’atelier, l’ombre de l’artiste) se prennent au piège de la caméra.
L’artiste ne nous offre pas un espace vide mais son espace mental, rempli
de mémoire, de vie, d’attente. En d’autres termes, Bruce Nauman nous
montre l’absence de mouvement, le rien, le vide, l’errance. L’atelier est un
espace où l’artiste a créé, douté, somnolé, inventé. Cette œuvre est bien la
tradution de l’espace mental de l’artiste, une œuvre qui se crée sans l’artiste.
Et il nous fait découvrir en cela, l’attente. Mais cette fois-ci, ce n’est pas l’artiste
qui attend, mais bien le spectateur. Car comme il ne se passe pas grand
chose, nous prenons la position de l’artiste : l’espace doit peut être apporter
des réponses, des idées… « de l’art peut-être », propose Sabine Bouckaert.
Ainsi, Bruce Nauman laisse le temps aux événements de venir, de s’installer
et de se créer, un peu comme Christian Boltanski qui l’explique dans une
interview dans le magazine Le Point 17. Le journaliste lui demande pourquoi
il n’est pas tendre avec des artistes tels que Jeff Koons et Murakami.
Boltanski répond : « Ils sont dans la fabrication, travaillent avec des assistants.
Je suis très fier de n’avoir ni assistant ni secrétaire. Cela me donne une très
grande liberté. Je peux rester couché très longtemps, regarder la télé,
ne rien faire. Je tiens à faire les choses moi-même, parce que je travaille très
mal et que l’émotion vient de la chose non parfaite. Si j’avais un assistant,
je devrais lui donner quelque chose à faire, le payer, donc vendre. J’ai une
16 — Sabine Bouckaert dans Eurêka, « Bruce Nauman, hors champs ? Ou Comment faire
quand on a plus d’idée ? », L’Harmattan, 2008, 311 pages.
17 — Propos recueillis par Élisabeth Lévy et Christophe Ono-Dit-Biot dans « le Point.fr »,
publié le 6 janvier 2010.
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conception plus romantique : pour moi, l’art est une activité solitaire et
moins on agit, plus on crée. En vérité, les seuls moments de création sont
ceux où on ne fait rien. Seulement, c’est tellement difficile qu’on s’active,
on organise des expositions, bref, on joue à être un vrai monsieur. Mais
un artiste n’a pas de vie sociale 18 ». L’attente : elle mérite d’être filmée et captée afin de ne rien perdre de ce qui
se crée même lorsqu’il ne se passe rien. Même pour le spectateur qui, a son
tour, doit attendre qu’il se passe quelque chose, et prend alors, conscience
du temps réel : et ce temps réel est « une durée intime ». Un tel lieu aussi
propice à la création peut provoquer cette poétique de l’espace. L’atelier
fait l’œuvre, l’atelier est l’artiste, l’espace crée, un peu comme l’inconscient.
« La pensée a besoin d’espace » 19 : Cet espace semble indissociable de
l’œuvre de cet artiste. Cette œuvre représente un espace : un atelier, mais
aussi un espace mental : l’artiste. Ainsi, Bruce Nauman nous dit à travers
cette œuvre, que la création ne peut être dissociée de l’espace, car l’espace
intègre et nourrit une mémoire, des événements, des objets.
A l’entrée de la galerie, deux documents nous sont proposés, ressemblant
à des partitions. Ces deux partitions font écho au titre de l’œuvre. Flip, flop
and flip flop fait résonance aux bruits ambiants de l’installation, comme
pour mettre en avant l’insignifiant. Peut-on voir une partition créée sous
l’influence de la banalité du quotidien ? Le sous-titre (fat chance John Cage)
donne la réponse : Bruce Nauman rend hommage à son ami et c’est une
manière de « pointer le processus d’élaboration de l’œuvre et les richesses
découvertes dans le quotidien nocturne du studio. Comme John Cage,
il explore des domaines inusités de la création : la banalité de la vie d’artiste
à travers son lieu de création habituel, le studio 20 ». « L’art n’est intéressant pour moi que lorsqu’il cesse de fonctionner
comme de l’art 21 ».
Bruce Nauman ne nous montre pas une méthode de travail, mais il
demande aux spectateurs de choisir leur propre méthode en fonction
de cet espace. Il n’est plus le « chef » d’atelier. L’espace de création devient
une surface de création.
18 — Par ailleurs, Christian Boltanski a décidé de « vendre » sa vie à un riche investisseur, et de créer
un film/documentaire autour de cette idée.
19 — Sabine Bouckaert dans Eurêka, p.93.
20 — Catherine Van Assche. www.newmedia-art.org
21 — Bruce Nauman cité par Sabine Bouckaert dans Eurêka, p.101.
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Vue de l’installation de Mapping the Studio II
Bruce Nauman
2006
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S'il y a appropriation de cette surface, nos comportements sont influencés
aussi par l'environnement matériel de cette surface.
Un livre d'Abraham Moles 22 m'aide à décrire d'une autre manière ma
démarche. En effet, il propose dans son livre, La psychosociologie de
l'espace. D'abord, il différencie le lieu et l'espace : le lieu se différencie de
l'espace car il possède une identité (une appropriation humaine). Chaque
individu à sa propre représentation de l'espace dans lequel il est. La psychosociologie de l'espace analysé par A. Moles est une relation cognitive
comportements/environnements qui serait accentué dans les activités de
l'artiste, du designer. Cette relation cognitive permet de faire un lien entre
les créateurs et leur environnement professionnel. Si le bureau de Pietr
Mondrian est à l'image de son travail, je parlerai de psychosociologie de
la surface. Les comportements (liés à l'activité créatrice de l'artiste ou du
designer) sont influencés aussi selon l'environnement matériel de cette
surface. Le bureau de Mondrian est un tableau dédié à son travail. Il transforme son atelier en une composition plastique. Son atelier traduit son
travail. Son art nourrit la surface à moins qu'elle ne le nourrisse ? Il est dit
dans le livre de Brian O'Doherty que « la disposition des cendriers,
des objets sur les tables, etc., ne devait être altérée, afin de ne pas nuire
à ‹ l'équilibre › global du décor qu'il avait recherché ».
C'est rendre visible la surface. Tout comme la Topographie anécdotée*
du hasard, Daniel Spoerri raconte tout ce qu'il peut voir sur sa table de
travail, le 17 octobre 1961 à 15h47. Le « relevé topographique » de cette
surface est, selon Roland Topor dans la préface, « un pense-bête plus fidèle
que la mémoire ». Chaque élément matériel du bureau est cartographié
sur un plan 370/1000, numéroté, et enfin décrit : la tâche du verre de vin
devient une représentation suggérant des anecdotes.
Poétique ou psychosociologie de la surface ? L’atelier est un espace stable,
régit par quatre murs, enfermant l’artiste et accompagne le devenir de
son œuvre. « L’espace existe par ce qui le remplit, le structure et en modifie
la perception 23 ».
Il y a dans le livre de Abraham Moles, Psychosociologie de l’espace 24,
page 61, un diagramme qui délimite les pièces d’un habitat en fonction de
leur portée privée ou publique. La question est de savoir dans quelle position
peut se trouver l’atelier ? Ou se trouve l’atelier, à la frontière du privé et du
public ? En dehors ?
22 — Abraham Moles et Elisabeth Rohmer, Psychosociologie de l’espace, éditions de L’Harmattan, 1998. 158 p.
23 — Victor Schwach cité par A. Moles dans Psychosociologie de l’espace. p. 61.
24 — id.
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31
32
Atelier de Piet Mondrian
Photographie de Fritz Glarner
New York
1944
33
Figure 8: public/privé
Diagramme situé page 61,
Psychosociologie de l'espace.
1998
35
> Catherine Lawless, dans son livre Artistes et
ateliers 25, édité en 1990, s’intéresse au changement
de statut de l’artiste contemporain et demande aux
artistes d’expliquer leur rapport à leur atelier.
Elle conclut sur le fait que l’ensemble des 14 artistes
interrogés (Pierre Buraglio, Daniel Buren, Gérard
Garouste, Annette Messager, Jean Pierre Raynaud,
Yves Reinier, Niki de Saint Phalle, etc.) voient leur
atelier, avant tout comme un lieu fonctionnel et pratique. L’atelier doit répondre à leurs besoins : produire,
stocker, montrer, etc. cela va jusqu’à l’absence
d’atelier, lorsque la création devient plus conceptuelle
et « communicationnelle ». Pour Catherine Lawless,
l’artiste « domine une relative neutralité face à un lieu
qui doit être d’abord adapté au travail ». Il est vrai
que l’on peut voir de plus en plus d’artistes et de graphistes travailler dans plusieurs ateliers. Ainsi, on ne
voit pas « la disparition de l’atelier mais plutôt son
éclatement ». Cet éclatement introduit la diversité,
et de nouvelles commandes prennent formes. « La
méditation et la réflexion romantique » ne sont plus
du tout adaptées à l’éclatement et l’urgence de vie
d’artiste. L’inspiration se trouve ailleurs, dans la rue,
dans les écoles d’art, dans les transports, etc.
Catherine Lawless interroge l’artiste dans la
société : « Si les artistes sont plus étroitement rattachés
à la société et à ses valeurs, comment la société
perçoit-elle à son tour leurs nouvelles exigences en
matière de conditions de travail ? »
25 — Catherine Lawless, Artistes et Ateliers, Editions J. Chambon, 1990.
36
ATELIER DE BRANCUSI
Toute la pensée de Brancusi est ordonnée dans un espace, celui de son
atelier. La pensée a besoin d’espace et de méthodes.
L’atelier transformé en œuvre : se sentant proche de Brancusi, Sarkis
eut également l’idée d’exposer son propre atelier. Selon lui, ses œuvres,
et ses objets ont besoin d’un lieu où « se charge l’histoire, un lieu d’attente »
et « Plus cet espace est plein, plus j’ai d’espace mental ». D’un côté, le travail,
de l’autre, la « salle d’attente », comme il le nomme.
Je ne suis jamais rentrée dans l’Atelier de Brancusi. Je préférerais demander
aux visiteurs, leur point de vue… Mais en attendant, j’apprendrais du catalogue de Beaubourg. L’exemple de l’atelier-musée a été créé par Constantin
Brancusi (1876-1957).
Après un certain nombres de déménagements, Brancusi s’est installé
dans l’impasse Ronsin à Paris. L’atelier de cet artiste détermine une conception très particulière du travail. L’espace en tant que tel organise, sépare,
accompagne les sculptures. Ainsi, le sculpteur a demandé que ses œuvres
ne soient pas séparées de l’atelier. Il fallait que la distance entre chaque
œuvre reste identique. Cela me fait penser un peu à un paysage. C'est-à-dire
que les éléments se sont formés, ont grandi dans ce paysage et il serait
aberrant de les déraciner et de les déplacer. « je suis même sûr que l’atelier
du sculpteur est un paysage intermédiaire ». Tony Cragg 26. Lorsque
Brancusi parle de son atelier, il parle souvent de la lumière qui s’y dégage.
Je l’ai découvert aussi chez Rothko. Un livre 27 est consacré à l’atelier de
Brancusi : ses correspondances, sa bibliothèque, des articles, son procès,
etc. C’est à l’occasion du XXe anniversaire du Centre Pompidou que l’atelier
de Brancusi a ouvert ses portes. Le livre retrace son histoire. Il nous explique
le cheminement d’un artiste et la transformation d’un espace intime en un
espace public.
C’est quoi l’atelier de Brancusi ? Tout d’abord, l’atelier reconstitué a été
conçu par Renzo Piano et s'ouvre au public en 1997, en face de Beaubourg.
La conservation de l’atelier de l’impasse Ronsin était un souhait et l’artiste
26 — L’atelier Brancusi, éditions du Centre Pompidou, la Collection, 1997.
27 — Tony Cragg cité dans L'atelier Brancusi, éditions du Centre Pompidou, la Collection, 1997.
37
38
Intérieur de l’atelier de Constantin Brancusi
Paris, circa
photographie de l’artiste
1925
39
en a fait un legs à l’Etat pour les collections nationales. Un testament dicté
par l’artiste le 12 avril 1956 : « Je lègue à l’État français pour le Musée
national d’art absolument tout ce que contiendront au jour de mon décès
mes ateliers situés à Paris, impasse Ronsin, numéro 11, n’exceptant que
l’argent comptant, les titres ou valeurs qui pourraient s’y trouver et qui
reviendront à mes légataires universels. Ce legs est fait à charge par l’Etat
français de reconstituer, de préférence dans les locaux du Musée national
d’art moderne, un atelier contenant mes œuvres, mes ébauches, établis,
outils, meubles ».
Comment exposer non pas une œuvre, mais l’œuvre d’une vie d’artiste ?
J’aime à imaginer le transport de l’atelier entier, pour le mettre dans un
autre lieu. Ce projet me semble utopique, et au final, le sachant réalisé,
je le trouve peut être moins intéressant. Car en lisant l’extrait de son testament, j’imagine le désarroi du MNAM. Comment faire ? L’impasse allait
être détruite et il fallait trouver suffisamment d’espace, dans Paris, pour
accueillir l’atelier de Constantin Brancusi ! L’idée me fait sourire. Chaque
élément de l’atelier doit rester à sa place, mais c’est impossible!
L'espace était habité par l’artiste, mais aussi par les œuvres, par les
débris, la poussière, etc. Et ce qui « remplace » maintenant l’artiste, car
il aimait faire des visites et commenter ses œuvres, ce sont des appareils
didactiques, publications, lumières artificielles et CD-Rom. Je n’arrive pas
à m’y faire… il faudrait peut-être que j’y aille alors… Je n’aurai pas le droit
a un « Entrez » de Brancusi. D’ailleurs, il se disait n’être plus que le gardien
de son propre musée 28.
Par contre, ce qui m’intéresse, ce n’est pas le travail de mise en œuvre
d’un tel projet, mais c’est le fait que Brancusi n’acceptait pas de voir ses
œuvres exposées sans une harmonie et sans cohérence avec l’espace. Car
pour lui, l’espace créé autour de la sculpture est aussi important que l'œuvre
elle-même. Il mettait en valeur ses sculptures en décorant son atelier (un
drap rouge derrière le grand coq, par exemple), et cette décoration était
donc intégrée dans la sculpture. Au final chaque élément dialoguait entre
eux, s’harmonisait, et le seul moyen de garder cette harmonie, était de faire
de son atelier, un musée. L’atelier doit être à la mesure des œuvres et les
œuvres à la mesure de l’espace de travail. Les œuvres sont liées à la hauteur
et à la largeur de l’atelier. Les sculptures deviennent alors des éléments
de l’architecture. L’espace ne pouvait rester vide. Les plâtres remplaçaient
les originaux. Il est souvent dit que l’atelier de Brancusi faisait figure
de cathédrale, de lieu fortement symbolique, perdant petit à petit son rôle
28 — Réginald Pollock, in Art&Antiques, art. cit., p.116
40
principal : un lieu de travail. Le sol de l’atelier supporte et accompagne les
socles, et ensuite, les sculptures. Les strates de l’espace : le sol, les socles,
les sculptures, et les verrières (ainsi, la lumière), forment un espace habité.
Nous ne sommes pas très éloigné de l’esprit de Bruce Nauman pour qui
l’espace, c'est-à-dire le vide, en dit autant que le plein (les strates de l’atelier).
Chez Brancusi, c’est aussi la matière qui devient sujet, car le fait de tailler
directement dans la pierre interroge aussi le rapport essentiel qu’à l’artiste
avec les matériaux.
Autre sujet complétant la démarche intuitive du sculpteur, c’est la photographie. Pourquoi la photographie ? Elle est au cœur de la production du
sculpteur. Comment les considérer ? Quels rôles ont-elles ? Peut-être pour
multiplier les angles de l’espace de l’atelier. Ou alors, la photographie
était-elle un moyen d’archiver la composition de l’espace pour le futur legs
au MNAM ?
Françoise Penders donne quelques pistes à ce sujet. Les photographies
de Brancusi font partis d’un ensemble que Françoise Penders définit par
« groupe mobile », dans son livre Brancusi, La photographie-L’atelier
comme ‹ groupe mobile › » 29. On peut expliquer le travail photographique
de Brancusi comme un réel travail de photographe, et non pas comme
un travail d’archiviste. On sait que le sculpteur avait un rapport très étroit
avec ses sculptures. Il faisait des plâtres dès qu’une de ses sculptures sortait
de son atelier. Qu’est-ce-qu’un « groupe mobile ». C’est un ensemble
de formes qui lie l’espace, la lumière, les reflets, les ombres et les sculptures
entre elles. Ses photos ne sont pas des représentations de ses sculptures.
Brancusi interroge la photographie, c’est-à-dire que la photographie
apporte un élément supplémentaire à l’élaboration du travail de Brancusi.
C’est apparemment la rencontre avec Man Ray qui provoque en lui le
besoin de travailler la photographie afin de « détourner le sens des sculptures ». La photographie permet de rendre l’espace vide en espace habité.
L’espace devient un élément plastique, comme une sorte de scène où les
sculptures deviennent personnages. Chaque sculpture, photographiée
plusieurs fois à divers endroits de l’atelier, prend une signification, un
aspect, un rôle différents. L’œuvre noue une relation supplémentaire avec
l’espace grâce aussi à la photographie. Cette démarche est loin d’être
isolée. Les « groupes mobiles » de Brancusi ont été aussi « comme une
forme d’anticipation aux work in progress des artistes des années 60 30 »,
ouvrant ainsi la photographie aux artistes.
29 — Anne-Françoise Penders, Brancusi, la photographie ou l’atelier comme « groupe mobile », Editions
La Lettre Volée, 1995.
30 — id.
41
42
Vue de l’atelier Brancusi
reconstitué par Renzo Piano1997
Paris , © Adagp
2007
44
ENTRETIEN
AVEC EVA KUBINYI,
RUEDI BAUR ET ASSOCIÉS,
LUNDI 22 FÉVRIER, 19H
Question Qu'est ce qui t'as fait venir
à Paris ?
Réponse L'atelier existait déjà. La
raison pour laquelle je suis venue
à Paris, c'est que dans les années
90, tout était centralisé sur Paris.
C'était pendant les projets de
François Mitterrand (restructuration
du Louvre, ouverture sur différents
musées, par exemple), et il y avait
une grande tradition marquant
la présence de l'architecture et du
graphisme.
En Allemagne, il n'y avait pas d'atelier exclusivement dédié à la culture.
C'était donc une vraie décision
stratégique. En 2000, Ruedi Baur
a ouvert un atelier à Zurich, avec
le même nombre de personnes
qu'à Paris, et depuis deux/trois
ans, un atelier s'est ouvert à Berlin.
Il y a aussi un laboratoire, avec des
gens qui sont détachés de l'atelier,
pouvant créer de plus petits projets,
et remettre en question les enjeux.
Mais 50% des projets se font en
France. Paris reste intéressant, et
internet ne suffit pas !
Q Pourquoi ?
R Soit tu es connu, soit tu dois créer
un contact. Il faut voir les clients très
souvent. La présence physique et
humaine est très importante. Il faut
expliquer à ceux qui n'ont pas notre
regard. Alors qu'un artiste ne va pas
expliquer son travail. Le graphiste ne
peut pas poser son travail, il a besoin
de l'expliquer.
Q Où se situe ton espace de création
(différent de l'espace de travail) ?
R L'espace de création se situe
devant le client. C'est là que le
débat s'installe. Il faut discuter
ensemble. L'espace de création
est déplacé. Travaillant l'espace
public, il y a forcement des rencontres. Placer l'objet dans l'espace,
faire des prototypes, l'espace de
création se fait sur place. Le designer, par exemple, peut se placer
entre l'artiste et le graphiste.
Q Qu'est ce qui change d'un
graphiste éditorial ?
46
> L’atelier de graphiste tend à s’ouvrir, à créer et
casser les frontières entre les disciplines. Le graphiste
tend à se fondre dans l’espace urbain… les artiste
et les graphistes et leurs outils s’adaptent en fonction
des lieux.
Entre s’ouvrir au monde extérieur et aux différentes
disciplines de créations et l’envie de s’éloigner de son
univers : Åbäke jouent avec les disciplines et l’espace.
Très peu d’ordinateurs, rencontres, etc. C’est une autre
manière de considérer le graphisme actuel. La pensée
et la création se font in-situ. Le graphiste et l’artiste
se libèrent du lieu géographique grâce aux médias
(informations, internet, téléphone, transport). L’atelier
devient un chantier, toujours en construction. Là où
le graphiste ou l’artiste s’installent, il y a possibilité de
travailler. L’espace est peuplé de possibilités.
L’espace de création capte la vie sociale. L’espace
de création ne capte pas seulement l’esprit de l’artiste,
mais aussi celui de la société. La Factory, emblème
de l’atelier d’artiste des années 60/70. Lieu de passage, de créations multiples. L’atelier se nourrit de
l’extérieur. Cet espace représente plus une idée qu’un
lieu. Warhol invente Le lieu : de l’idée à l’exposition
de cette idée. Cet espace entame tous les autres espaces (galerie, studio de tournage, salle de projection,
club, atelier de production,…) Cet espace permet à
l’artiste de déléguer le travail. L’artiste ne pense plus
dans son atelier, mais produit dans son atelier.
47
La Factory symbolise le pouvoir de l’artiste. C’est le
centre d’une chaîne de production. L’Usine de Warhol
absorbe jour et nuit tout ce qui rentre. La Factory est
un lieu de production d’images : celles que l’artiste
fabrique, mais aussi sa propre image. L’atelier devient
une structure. Cette structure se transforme, à partir
de 1974, lorsqu’il déménage et demande aux standardistes d’annoncer « bureau », au téléphone.
« Je pense que nous sommes du vide ici, à la Factory,
c’est génial, J’aime être du vide…31 ». Cette forme
de création/production est aux antipodes de l’atelier
d’artiste au sens romantique du terme.
Création/production se retrouve dans le même
espace, ce qui engendre, comme il le souhaitait,
un « artiste d’affaires ».
31 — Article de Pierre Sterkx, Beaux Arts Magazine, numéro 297, page 59.
48
DEXTER SINISTER /ÅBÄKE
Que provoque la démocratisation des outils dans le travail du designer
graphique ?
A travers des exemples précis, on trouve de nouvelles pratiques du
graphisme. Je dirais que c'est plus le redéploiement d’une pratique,
qu’une nouvelle pratique. En ne prenant que quelques exemples parmi
une multitude d’ateliers, on découvre que le design graphique n’évolue pas
forcément grâce aux nouveaux outils, mais grâce à une attitude face
à ces outils. Et qu’est ce que cela produit ? Cela produit une réflexion sur
les enjeux et l’ouverture aux différents domaines de création, conception,
production et distribution. Ces studios nous permettent de ne pas oublier
que chaque domaine se nourrit des autres. N’y a-t-il pas un sens politique
dans ces démarches ? L’idée n’est-elle pas de construire un mode de
relation ouvert ?
En 1989, apparaît un article dans Emigre, Ambition/Fear 32, apportant
un témoignage sur cette nouvelle technologie qu'est le Macintosh, dans
leurs pratiques quotidiennes. Ce nouvel outil rend possible toutes les fonctions exigées dans la publication (l'auteur, l'éditeur, le designer et
l'illustrateur) par un individu. Si ce nouvel outil demande d'être encore
plus créatif, et il est aussi effrayant car il faut reconsidérer tous les acquis
de la profession. Pour les auteurs, cette révolution suppose :
·un salut créatif de l’ennui de méthodologies familières.
·utiliser cette nouvelle technologie pour accélérer des processus de production traditionnel.
·les designers peuvent dorénavant contrôler tous les aspects de production et de conception.
·ce retour à nos idées primitives nous nous permet de reconsidérer les suppositions de base.
·cela apporte excitation et créativité qui ont été oublié depuis le jour de letterpress.
·ce temps économisé dans l’étape de production est souvent dépensé, voyant plus de possibilités
dans le design.
·ces designers doivent apprendre à distinguer intelligemment parmi tous les choix, une tâche
exigeant une compréhension solide des principes de base.
En 2010, les questions sont quasiment les mêmes. On voit en ce moment,
des studios de graphisme explorant différents champs de création. La
surproduction est remise en question au profit d’un « état d’esprit ». Je peux
32 — Zuzanna Licko et Rudy VanderLans, « Ambition/Fear », Emigre 11,
http://www.emigre.com/Editorial.
49
citer Dexter Sinister, sont installés à New York, Åbäke à Londres. Cette
manière de penser, donc de travailler, est influencée par la démocratisation
des nouveaux outils de création (logiciels de mise en page, imprimantes
laser, appareils photo numériques) et de production (impression à la
demande). Ce sont des explorateurs, ils se nourrissent du quotidien (les
voyages, les rencontres, etc.) et de l’espace dans lesquels ils déambulent.
Dans le magazine Back Cover n°3 33, Richard Hollis (grande figure du
design graphique britannique, né en 1934) discute avec Åbäke (studio
fondé en 2000, installé, pour le moment, à Londres) autour de leurs
pratiques. Le magazine a choisi deux figures du design graphique qui ont
une démarche très différentes mais qui, en même temps, ne s’éloignent
pas tellement, dans l’attitude. En effet, l’un explique que la démocratisation
des outils de travail permet à quiconque « de réaliser sa page perso sur
Myspace ». Mais cette démocratisation ne met pas, au final, en péril
le métier de graphistes, considérant tout simplement, que ce n’est pas le
même métier. De l’autre côté, Richard Hollis se demande si l’ordinateur
laisse encore le temps aux créateurs « d’écouter de la musique, ou laisser
son esprit voyager ». Si l’un voyage physiquement, l’autre voyage spirituellement. Mais je pense que ces deux générations de designers graphique
ont la même approche. Åbäke et Richard Hollis travaillent, ou ont travaillé,
avec des designers d’objets, avec des cinéastes, des cuisiniers, des éditeurs,
des écrivains, des commissaires d’exposition et des imprimeurs.
L’espace de travail peut par exemple devenir un restaurant occasionnel,
comme le font Martino Camper (designer), Alex Rich (graphiste) et Åbäke.
Les différents acteurs construisent un restaurant occasionnel, en apportant
et préparant la nourriture et en construisant le mobilier. C’est pour eux
« l’occasion de susciter rencontres et discussions ». L’idée de travailler avec
différents métiers n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est que la production renoue avec une certaine forme d'artisanat.
L’imprimeur et l’imprimante laser n’ont pas les même fonctions. Ainsi,
les graphistes peuvent selon leurs besoins, travailler avec l’un ou avec
l’autre, sans que l’un prenne la place de l’autre. Je crois que c’est ce qu’a
compris Åbäke, par exemple.
De l’autre côté de l’océan, nous avons le studio Dexter Sinister.
Dexter Sinister est plus un état d’esprit qu’un studio de graphisme classique,
un peu comme Åbäke. Stuart Bailey et David Reinfurt ont crée un local, studio,
33 — Conversation entre Abäke et Richard Hollis, Back Cover 3, Editions B42, Hiver/printemps 2010,
pages 2 à 11.
50
librairie, lieu de performances ou d'échanges, dans le sous-sol de la 38
Ludlow Street à New York, en 2006. C’est dans ce local de quelques mètres
carré que les deux graphistes, éditeurs, artistes ont élu domicile. Lorsque
j’ai découvert le nom de Dexter Sinister, je suis allée sur leur site internet
pour me renseigner. Je pensais tomber sur un site de graphistes ; que j’allais
pouvoir très facilement voir comment le studio fonctionnait. Mais il n’en
est rien. Car Dexter Sinister propose une attitude, un principe : le « Just-intime » workshop. On circule de lien en lien, de collaboration en collaboration. Rien n’est vraiment défini. Je pense que leur site internet n’est présent
que pour archiver leurs travaux. Le design du site … Si certains graphistes
s’appliquent à créer un style graphique, Dexter Sinister propose un style
de vie. C’est en faisant des petites choses du quotidien que l’ont crée. Il
me semble que la discussion est au centre de la création. Mais qui se perd
depuis un certain temps. Le graphiste envoie son fichier sur CD, l’imprimeur
le reçoit et tout cela devient très impersonnel, comme le souligne Richard
Hollis.
Le terme « Just-in-time », employé par Dexter Sinister (terme qui joue le
rôle de légende pour tous leurs événements) a été emprunté à l’entreprise
Toyota qui, dans les années 50, part du principe que tout peut être fait
dans un seul et même endroit : création, production, distribution.
Ainsi, l’entreprise parvient à « maintenir une demande fluide au moyen
d’ajustements rapides ».
On peut comprendre leur principe à travers un texte de Norman Potter,
extrait du livre Models & Constructs 34, qui figure sur la page du site 35
de Dexter Sinister. Dans ce texte publié en 1990, N. Potter compare la
méthode du designer aux modes de productions imposées dans l'industrie
automobile, le fordisme, et plus tard le concept de Toyota. Dexter Sinister
emprunte au toyotisme la formule « Just-in-time » qui, traduite, signifie
à flux tendu. Ce principe permet, à grande échelle, d’éviter des pertes en
questionnant les états de la surproduction. La méthode Toyota se basait
sur le principe « à la demande » qui évitait la surproduction et le stockage.
Ainsi Toyota parvenait à maintenir un production fluide en fonction des
besoins et de la demande.
Ce texte traduit le besoin d’indépendance de Stuart Bailey et David Reinfurt,
mais aussi le souci de se confronter à tous les domaines. Si Norman Potter
prend l’exemple de l’industrie automobile des années 50, c’est pour faire
34 — Norman Potter, Models & Constructs, édité en 1990 aux Editions Hyphen Press.
35 — http://www.dextersinister.org/
51
un parallèle avec le domaine de l’édition. Dexter Sinister évite les contraintes
de rendement économique, souvent étouffantes.
Avec l’essor de l’ordinateur personnel, les imprimantes lasers, les logiciels
de mise en page, l’accès au processus de production a ouvert la porte aux
graphistes indépendants. C'est pourquoi Dexter Sinister qui n'a pas de spécialité, peut-être en même temps éditeur, graphiste, imprimeur et écrivain.
Ce qu’il faut comprendre, je pense, c’est que Dexter Sinister propose une
approche et une attitude particulière, plutôt qu’un résultat. C’est en faisant
participer les gens, à des workshops ou à des événements, en vendant leurs
propres éditions, en les confectionnant eux même, que l’approche est
singulière. Il y a cette idée que l’atelier de graphisme est aussi une librairie,
un lieu de fabrication, et que les domaines se mélangent pour mieux les
manipuler. Ils se concentrent sur une manière de faire et non pas sur la
finalité. Ainsi, la production varie en fonction de la demande, sans chercher
le profit, de manière efficace.
C’est aussi une manière d’apprendre les choses dans différents domaines,
de ne pas se cantonner à une discipline, mais de créer un corpus de
connaissance au service de l’édition, de l’imprimerie, de la distribution, etc.
Dexter Sinister illustre leur démarche avec deux symboles : un bouclier
vierge, divisé en deux par une diagonale et une corne postale (muette).
James Goggin (graphiste londonien), en donne une interprétation qui me
semble intéressante : le bouclier est « comme un espace pour l’alliance
et/ou la division. Il a été proposé initialement pour accompagner La
Manifesta art biennal de 2006. La corne postale muette récupéré de
The Crying of Lot 49 (la Vente à la criée du lot 49) de Thomas Pynchon
est utilisée comme logo pour les annonces d’événements et pour différentes
productions 36 ».
J’ai trouvé sur le blog de Catherine Guiral 37 (graphiste indépendante),
une définition de certains termes employés par Dexter Sinister : « bend est
en héraldique la ligne qui sépare le blason en deux zones égales. Cette ligne
part du haut gauche pour finir en bas à droite. Il est dit « sinister » si la ligne
s’inverse pour partir du haut droit et se terminer au bas gauche (sinister
voulant dire gauche en latin) ».
36 — Ellen Lupton, Area 2, Phaidon, 2008.
37 — www.mercigeorges.com
52
ENTRETIEN
AVEC NICOLAS FRESPECH,
MARDI 26 JANVIER,
18H00
En 2004, Nicolas Frespech était enseignant à la faculté de Nîmes, il
est aujourd'hui enseignant à l'école d'art de Lyon. Il qualifie tout de suite
l’atelier comme un lieu nomade, qui lui fait penser au tableau de Courbet
où l’artiste est devant un paysage, avec son chevalet sur l’épaule.
Les étudiants de la faculté, à cette époque en 2004, n’avaient toujours pas
accès à internet dans leur lieu d’étude. Mais Nicolas Frespech proposait
déjà, de travailler sur la mobilité. Ensuite, je lui demande quel est son outil
de travail : « le téléphone, qui devient un outil d’édition, de conservation,
de monstration et de diffusion ».
Et ton atelier ? Tes outils ? : « Et bien c’est un stylo, que j’utilise tout le temps.
Mais au niveau des outils, c’est l’ordinateur. Dès qu’une idée arrive, je le
‹ balance › sur un flux RSS ».
Avant, Nicolas Frespech faisait beaucoup d’arborescences et de dessins.
Puis, le logiciel « picnic », lui a permis de concevoir un espace comme une
édition en ligne. Mais depuis quelques temps, Nicolas. retourne à l’idée
d’atelier classique, plus ou moins. C'est-à-dire qu’il utilise des objets, par
exemple, une boite de médicament réinvestie avec une puce électronique,
qu'il anime. Peut être un retour à la sculpture… Son travail s’ancre dans un
contexte historique très précis : l’avènement d’internet.
Je lui demande de définir cet idée d’atelier classique : « C’est sale! il peut
se trouver dans la cuisine… Jamais de lieux précis et véritable. Je préfère
l’espace, c’est-à-dire les lieux comme la rue, la cuisine, la forêt! Oldenburg
a cassé les barrière du marché… Damien Hirsh a décidé de se débarasser
des galeries, considérant qu’il y avait trop de contraintes ».
53
Aujourd’hui, l’atelier de Nicolas Frespech est partout et utilise les éléments
du quotidien.
Je lui demande : et si on vous enlevait l’ordinateur, votre outil de création ?
il me répond : je n’aurai plus ma place, je serais nul…
Un atelier nomade, des cours nomades, aux Beaux Arts de Lyon : travailler
dans la cafétaria, dans la bibliothèque, tout est espace de travail. Mais
il considère que cette expérience n'a pas marché. Peut-être parce que les
consignes n’étaient pas claires ou pas rassurantes…
Les élèves n’étaient pas dans un espace « complice », perdant ainsi leur
repère… Pour notre rencontre, l’atelier nomade de N.F. sera le fastfood !
54
DANIEL BUREN/IN SITU
L'atelier est comme le cadre d'une œuvre : il limite, encadre et enveloppe
la création. Si la marquise, le socle, le châssis, la galerie ou le musée sont
généralement perçus comme ce qui enferme l'œuvre, l'atelier en est le tout
premier cadre, mais aussi sa limite. En 1971, Daniel Buren, artiste connu
pour son travail in situ, témoigne de sa relation avec l'idée d'atelier dans un
texte intitulé « Fonction de l'atelier ». Une œuvre produite dans un atelier doit
être transportable et manipulable. Mais, l'œuvre se trouve isolée du monde
réel, elle est donc plus proche de sa réalité lorsqu'elle se trouve encore dans
le lieu de sa production. En sortant, elle s'éloigne de sa propre réalité. C'est
par un exemple précis que Daniel Buren nous explique ceci : en 1955, il visite
les ateliers de Picasso, Chagall et Masson, et découvre leurs tableaux. Il revoit
plus tard ces mêmes tableaux dans des galeries, et voici ce qu'il en dit :
« Lorsque je visitais leurs expositions, j'étais très déçu par ce que je voyais.
les toiles que j'avais aperçues dans les ateliers me laissaient une impression
bizarre dans le contexte de l'exposition. […] Il y avait perte 38 ».
L'œuvre perd-elle de sa force en sortant de l'atelier ? En tout cas, c'est
ce que refuse Buren : elle ne doit pas être étrangère de son lieu d'exposition.
La question était de savoir comment faire pour s'éloigner de l'atelier tout
en créant : la rue est l'espace de travail non plus intime mais public.
Ce qui est intéressant dans le discours de Daniel Buren, c'est sa radicalité : l'atelier s'installe dans la galerie ou dans la rue. Le seul lieu fermé
qu'il s'octroie, c'est un bureau pour écrire son courrier. Le lien étroit entre
espace et création prend toute sa signification dans ses explications :
« L'œuvre dépend du lieu ». Du coup, l'atelier est éliminé, et les questions
d'espace sont à réinventer. La rue, la galerie deviennent des espaces neutres
où les idées de l'artiste doivent s'adapter. Ce qui me semble aussi très
intéressant, c'est la relation que l'artiste entretient avec le dessin. Il conserve
depuis des années ses dessins dans des archives, et parfois, les propose
à la vente. Du coup : ses œuvres sont, ou dans l'espace public (donc, elles
sortent du marché), ou sont détruites après avoir été exposées.
38 — Marion Chanson, L’atelier de Daniel Buren, Thalia Editions, 2007, 78 pages.
56
ENTRETIEN
AVEC GAËL ETIENE,
DEVALENCE,
MARDI 23 FÉVRIER, 11H30
Question Mon projet de diplôme
a pour origine un texte de Sabine
Bouckaert qui a écrit sur l'œuvre
de Bruce Nauman : Mapping The
Studio. Il a filmé l'atelier en son
absence. Cette œuvre pose alors les
questions de l'attente, de la création
sans l’artiste : l’atelier crée l’œuvre.
A partir de là, J'ai voulu réfléchir
et travailler sur le thème de l'atelier.
Réponse Ce n'est pas la même
chose, l’atelier d’artiste et l’atelier
de graphiste.
Q Oui, mais on se rend compte
qu’il y a aussi beaucoup de similitudes. C’est ça qui m’intéresse.
Par exemple, Åbäke, Dexter Sinister
sont des collectifs qui travaillent
dans différents domaines. Il défont
les frontières entre l’art, le graphisme, la production, le design…
R Il n’y en a pas beaucoup comme
eux…
Q Mais cela crée une ouverture…
R En 2006, on avait été invité par
Jérôme Delormas qui était directeur
du C.R.A.C (qui allait devenir le
Lux°). Au départ, c’était un projet
assez grand, situé à la fois au Lux°,
à la galerie Art 3 à Valence et dans
un château dédié à des manifestations artistiques près de Valence.
Jérôme nous avait demandé d’exposer notre travail, de construire
une exposition. Nous, en tant que
graphistes, nous n’avons jamais
revendiqué le fait d’être artistes,
de devoir exposer.
Le côté muséal du design de
manière général nous fait un peu
peur. Mettre sous verre, sous vitrine,
sous spot, des choses de l’ordre du
design, qui sont des choses qui sont
faites pour être utilisées, ne nous
intéressent pas trop. En 2006, ça
faisait cinq ans qu’on travaillait.
Si on avait été à la retraite, que les
objets deviennent à la limite des
incunables, à la rigueur… Mais
là on préférait faire des choses
plutôt que de montrer des choses.
Alors, on a proposé à Jérôme de
déplacer, ce qu’on appelait encore
57
l’atelier, à l’époque, (en souriant,
car l’atelier d’aujourd’hui est plus
un bureau qu’un atelier) sur place,
au rez de chaussée du Lux°. En fait,
on a déplacé notre bureau là-bas.
Et on en a profité pour faire un
projet qu’on avait en tête depuis
longtemps. Il y avait un budget de
production plutôt important. Ce
projet était de créer une revue de
graphisme réunissant des textes
sur le graphisme, des traductions
et des commandes de textes à des
graphistes et à des gens qui peuvent
en parler.
C’est là qu’est née Marie Louise,
qui est devenu plus tard Back Cover.
Et pendant un mois, en novembre
2006, on a été, tous les matins, à
8h, Alex et moi, jusqu’à tard le soir,
sur place. Le bureau était là, sauf
qu’il n’y avait pas toutes les archives.
On avait recréé le bureau. Le matin,
s’était fermé, mais l’après-midi, les
gens pouvaient venir voir ce qu'est
le lieu de travail d’un graphiste.
Notre proposition était peut-être
artistique car on se mettait en scène
à la manière d’un artiste comme
dans les années 70. En gros,
les gens pouvaient venir voir des
graphistes travailler et voir à quel
point ce n’est pas forcément
séduisant (rire).
Q Et les gens venaient vous poser
des questions ? Et quels genres
de questions ?
R Il y avait les étudiants de l’école qui
étaient là, qui avaient été là pour le
vernissage, et qui, de toute façon,
étaient au courant. Ils posaient
des questions spécifiques sur la
typographie car au même moment
on développait la DADA Grotesk
qu’on avait commencé à dessiner
à l’époque du catalogue Dada. On
voulait l'utiliser dans Marie Louise,
comme une sorte de spécimen.
Donc on avait pleins de documents
au mur là dessus. Sinon, on avait
un canapé avec une étagère et nos
bouquins, et les gens pouvaient voir
notre production et nous parler si
ils voulaient. Du coup les questions
étaient : C’est quoi être graphiste ?
Est ce que vous êtes infographiste ?
Ça pouvait être varié. C’est quoi
votre boulot ? Pourquoi êtes-vous là ?
Il y avait des gens assez agressifs
et, au contraire, des gens qui comprenaient et qui nous posaient des
questions beaucoup plus précises.
Q Justement, ça ne vous faisait pas
bizarre de travailler et de répondre
à des questions en même temps ?
R Ah mais si ! On a été pris à notre
propre jeu. On montrait qu’on
n'avait pas grand chose à montrer,
en fait. On donnait parfois rendezvous à des gens l’après-midi et ils
pouvaient voir la réalité d’un studio
de graphisme. Au final, on n'avait
pas le temps de répondre aux
questions et ils nous voyaient courir
d’un bureau à l’autre. On a fait de
cet espace d’exposition un espace
58
de travail :Un espace de travail et un
espace de représentation.
On ne voulait pas du tout, au départ,
que ce soit de l’ordre de l’exposition.
Mais on a quand même exposé des
photos qu’on a commandé à des
photographes ; des photos de notre
boulot en situation. Par exemple,
le livre Dada en situation, avec
quelqu’un qui est en train de le lire
et des choses à la limite de l’absurde
par moment. (je ne sais pas où elles
sont, mais je pourrais vous les montrer plus tard). On avait aussi à cette
occasion là, réaliser une série de
boites pour protéger les catalogues
Dada, réalisée par les étudiants de
l’école. On avait prévu beaucoup
de choses, comme une conférence.
On a failli faire un workshop mais
on n'a pas eu le temps. On avait
fait bosser les étudiants sur l’organisation de l’exposition, trouver
les bureaux, trouver les chaises,
les étagères, les mobiliers et faire
fabriquer ces boites. Au départ,
c’était pour le catalogue Dada et le
commissaire de l’exposition voulait
que ce soit un ouvrage gratuit pour
que les gens puissent le prendre,
un peu comme les journaux gratuits.
Mais il s’avérait que c’était impossible. On a imaginé de faire un mur
avec les livres. Mais le projet est
resté inachevé. Alors on en a profité,
à Valence, pour faire justice à ce
que l’on voulait faire. On a créé
ces boites, tirées à trois mille exemplaires et on a recréé ce mur dans
« l’atelier » justement, qui s’est effon-
dré en plein milieu de l’exposition.
Et voilà, c’était une façon pour nous
de tester des choses qu’on aurait pas
testé dans notre studio. Et je pense
que Marie Louise, on ne l’aurait pas
fait. On aurait eu du mal à lancer le
magazine sans l’énergie qu’il y avait
derrière l’exposition.
Q Est-ce que cet espace, cet atelier,
vous aide à construire une méthode ?
R Non, clairement non. Non, c’est
pour ça qu’on est frustré. On se
rend compte qu’on a rempli le lieu
comme un œuf. A droite, il y a les
stocks des Editions B42. Et on souhaite avoir un espace dans lequel
on peut poser les choses. Ce lieu
ne nous empêche pas de créer mais
je pense qu’un bureau plus grand,
où on ne serait pas les uns sur les
autres, où on aurait des endroits
pour parler, respirer, mais aussi
poser des choses, tout simplement,
ce serait préférable. On est allé en
Suisse, à Zurich, car on a fini l’identité visuelle d’une galerie qui ouvrait
il y a quinze jours. On en a profité
pour aller chez Marco Walser
d’Electrosmog, qui est devenu aussi
leur studio. Ils ont un espace très
vaste ; c’est un espace, je pense, dont
les webdesigners n’ont pas forcément besoin. Alors que les designers
ont besoin de cet espace. En tout
cas, tous les gens qui travaillent sur
des objets ont besoin d’espace. Je
me rends compte que quand on
crée des objets, on a besoin de les
59
poser, de les comparer. Ici, on n'a
pas l’espace qu’il faut. C’est pour ça
qu’on veut partir. Cet espace, on ne
l’a jamais vraiment aimé. On a bien
aimé le bâtiment, un peu désuet,
années 70, un peu pompidonien.
Mais on aurait aimé un peu plus de
lumière. En ce moment, nous sommes en train de chercher un endroit
dans lequel on va pouvoir trouver de
nouvelles manières de circuler, de
faire circuler les objets (à ce même
moment, ils avaient eu une réponse
positive pour une nouvel atelier
dans Paris). Dans tous les cas, on a
une géographie a réinventer.
Q J’ai rencontré Eva Kubinyi (Rudi
Baur et Associés). Et Eva questionnait l’espace de travail selon les
différents domaines de graphisme.
Pour elle, le graphisme spatial
(signalétique) n’a pas besoin du
même espace que le graphisme
éditorial. Son domaine de création
est partout, c’est-à-dire, chez le
client, lors de repérages, etc. Alors
que le graphisme éditorial utilise
l’espace de travail différemment.
Voyez-vous cette différence ?
R Nous avons très peu fait de signalétique. Mais effectivement… En ce
moment on en fait une pour le Centre d’Art de Vassivière qui est une île.
Et avec ce projet, j’aimerai avoir plus
d’espace pour tester des choses.
Quand on a fait la signalétique pour
Dada, justement, on a fait beaucoup
de tests. On avait une pièce dans
notre atelier (à Mains d’œuvres à
Saint Ouen) qui était libre. Mains
d’œuvres c’est aussi un bâtiment
industriel comme il y en a beaucoup
en banlieue, et pas tant que ça à
Paris. L’espace est nécessaire, et je
comprends tout à fait ce que veut
dire Eva, parce que son espace de
création ce n’est pas sa table et son
ordinateur, mais sa tête et l’espace
dans lequel elle va devoir se projeter
pour imaginer des protocoles. Nos
domaines sont différents, mais cela
n’empêche pas ce besoin d’espace.
Q Et la ville de Paris était stratégique ? quand êtes-vous arrivés
à Paris ?
R C’est venu naturellement.
On est arrivé en 1999 à Paris.
J’avais fait plusieurs stages dans des
structures à Paris. Au départ, je ne
savais pas trop où est-ce que j’allais.
Je suis allé par hasard chez Péréstroïka (design culturel et institutionnel), ensuite chez Labomatic avec
Pascal Béjean et Frédéric Bortolotti,
où je faisais pas mal de dessin de
lettre. En fait, Paris m’a beaucoup
plu et je ne me voyais pas vivre et
travailler ailleurs, et petit provincial,
j’avais vraiment envie de monter à
Paris. À ce moment là, Alex est passé
par les Arts Déco de Paris en 1999
et ça faisait longtemps qu’on voulait
bosser ensemble. On s’est dit, on y
va, on prend le nom de la ville où on
passé nos diplômes et ça sera notre
marque de fabrique. Après, il n’y a
60
pas eu vraiment de stratégie si ce
n’est qu’on se doutait qu’il y avait
plus de clients et que c’était plus
facile de commencer une activité
à Paris qu’ailleurs.
Q Est-ce que maintenant la donne
change ?
R À voir… mais c’est vrai que quand
on voit des amis à Zurich qui ont
des locaux géants, pas chers ou à
Bruxelles, c’est pareil. On se dit,
pourquoi rester à Paris… C’est
tellement compliqué de trouver un
lieu. Mais on a déjà notre vie à Paris,
les choses sont sédimentées. Mais
rien n’est complètement fermé.
[…] Quant au carnet
Ce qui serait intéressant, c’est de
voir les commanditaires, les historiens comme Catherine de Smet.
Ces gens travaillent et rencontrent
depuis des années les graphistes.
Quand on a lancé F7, notre idée
c’était de faire rencontrer les gens,
face au public, le commanditaire
et le graphiste, à Mains d’œuvre.
On a fait rencontré Philippe Millot
et les Editions Cent Pages. Et c’est
vrai que par moment, les gens
réglaient leur compte directement
ou alors ils racontaient le simple fait
que tout se passe bien. Les questions
du public étaient très
importantes, car c’était des questions que l’on se pose tout le temps :
comment ça se passe avec le client ?
Pour nous, l’idée a toujours été de
se demander comment faire de
belles choses avec un client. Ça ne
suffit pas d’avoir une bonne culture,
d’être un bon designer graphiquement, typographiquement et visuellement, il faut savoir rencontrer
les personnes qui correspondent.
C’est primordial.
61
62
Batiment du Studio deValence.
2010
63
L’ORDINATEUR,
OUTIL/ESPACE
DE TRAVAIL
La question de l’espace de travail virtuel est posée : Le collectif 1.0.3
a élaboré un projet, MISMA, qui consiste à représenter le contenu de
l’ordinateur sous forme de « cartographies », des Planiscopes. Le contenu
de l’ordinateur devient alors un « paysage » de mots. Un espace virtuel.
« Une manière de parler de l’ensemble de son travail sans en montrer la
production », selon les 1.0.3. Révéler nos schémas mentaux. L'ordinateur,
qui est un outil, devient une toile, au sens propre du terme. Les trois artistes
du collectif récupèrent les intitulés de chaque fichier issu de l'ordinateur
de diverses personnes occupant diverses activités professionnelles. La collecte de ces données donnent lieu à deux séries de mise en forme. Elle peut
être synthétisée sous la forme d'une image imprimée en grand format.
Elle peut également être accessible à l'écran. Grâce à un logiciel, proposé
sur leur site internet, nous pouvons zoomer et dé-zoomer ces images. Lorsque nous regardons un planiscope dans son intégralité, nous voyons une
forme qui s'étale sur un fond noir. On peut être étonné par la diversité des
formes. Mais plus on s'approche des mots, plus on découvre une narration. Les mots se suivent, se détachent, se répètent. En discutant avec Anne
Couzon Cesca et Arnaud Bernus, nous étions d'accord sur le fait que ces
cartes pouvaient raconter une histoire, celle, non pas de l'ordinateur, mais
de son propriétaire. Peut-on parler de journal intime plutôt que d'archives ?
Dans le contexte de MISMA, je parlerai plus de récit. Pourquoi imprimer
ces choses en général, cachées ? Lorsque ces données sont sur écran, on ne
parle pas de lecture, on rentre dans un dossier ou on en sort. Lorsque l'on
voit ces Planiscopes, on lit les mots et on les interprètent.
Les intentions du Collectif sont : tout d'abord, un relevé de fichiers,
ensuite il est traité selon « une structure complète du disque « source »
visible en 2D » ou selon « une structure complète du disque « source » visible
qui permet de naviguer au sein de l'arborescence ». Le bureau (desktop)
traduit une méthode de travail propre à l'utilisateur. L'espace physique du
bureau est remplacé par le bureau virtuel : la comparaison est facile mais
64
intéressante, car dans les deux cas on stocke, on archive, on range, on jette,
et surtout on y travaille.
Il y a deux aspects dans ce travail : une forme nouvelle et un contenu nouveau.
Dans le premier cas, on découvre avec les Planiscopes une nouvelle adaptation de la forme (le bureau virtuel). Après la forme, nous avons le contenu :
celui de individu qui a laissé « scanné » son ordinateur.
Chaque Planiscope est unique par sa forme et son contenu. Mais
au-delà de la complexité due à des procédés technologiques, ces images
donnent à voir l'espace de travail d'une personne depuis 1 an, 3 an ou plus,
on ne connaît pas la durée. Certains planiscopes proviennent d'artiste. Ici,
le Collectif nous fait découvrir le travail d'artistes sans le montrer. On peut
lire le travail et « commencer à parler d'une œuvre sans la voir ». Le Collectif
parle même de « nos contemporains « sans œuvres », se référant à Jean Yves
Jouannais dans « Artistes sans œuvres, I would prefer not to ». Car c'est la
façon sont nommés les fichiers et les dossiers qui parle de l'individu. Il est au
cœur de cette œuvre. La post-production devient production. Ils proposent
donc aux spectateurs plusieurs lectures.
65
ENTRETIEN
AVEC FRANCK DAVID,
MARDI 30 MARS,
14H00
Question Sabine Bouckaert a fait
un article dans le livre Eurêka sur
le travail de Bruce Nauman, et plus
particulièrement l'œuvre Mapping
the Studio II. Cette œuvre propose
de laisser le temps et le hasard faire
les choses à la place de l'artistes.
En laissant la caméra tourner, peut-il
se passer quelque chose ? C'est
au final, le spectateur qui va créer
l'œuvre, ou pas… Le temps, l'attente,
le moment.
Réponse Bruce Nauman propose
une narration qui peut s’établir dans
cette durée.
Q Avez-vous une approche artistique qui met en question cet espace
de travail ou alors, est-ce que cet
espace peut aboutir à autre chose ?
R En fait, la façon dont je travaille
est très diverse. Alors cet espace
de travail nommé atelier n'est pas
très précis dans la mesure où j'ai eu
des ateliers en tant que tel, qui sont
des ateliers d'artistes, mais aussi
quand je n'en ai plus eu, mon travail
ne s'est jamais strictement contenu
dans cet espace là. C'est-à-dire que
ma maison est devenue mon atelier,
avec plein de type de maisons
différentes. La cuisine a été souvent
un espace qui était l'atelier, non
pas que j'y avais tout mon bordel,
mais disons que ce qui s'y passait
en tant que tel devenait un processus de travail. Donc, j'ai beaucoup
travaillé avec la peinture, l'image
de la consommation, etc. Après, je
n'ai jamais fait sortir véritablement
mon atelier mais j'ai fait sortir de
chez moi mes processus de travail.
Ce n'est pas comme ce qu'on fait
les deValence, en déplaçant leur
bureau, puisque le seul véritable
bureau que j'ai, c'est mon portable
15 pouces. À partir de ce moment
là, ce n'est plus un outil mais c'est
vraiment un espace. Je m'en sers
pour produire des œuvres, ou je
montre mes films, je produis du son,
je m'en sers avec tous les logiciels
qui sont dedans, mais c'est aussi
un endroit où est rassemblé mon
travail, ce qui me permet de les
consulter tout le temps. C'est devenu
véritablement l'espace de travail :
où il est contenu , où il est vu, où
peut aussi sortir le travail, où il peut
être fabriqué en bonne partie. J'ai
66
jamais montré mon atelier dans une
salle d'exposition. Je n'ai jamais fait
ça parce que ça ne marche pas de
cette manière. L'ordinateur c'est
comme une grande table où je
dispose de tout ce dont j'ai besoin.
Q Peut-on dire qu’un ordinateur
est un lieu (différent de la notion
d’espace) ?
R Oui, l'ordinateur n'est pas un lieu
car il n'y a guère que le travail qui y
rentre et personne d'autre que moi
n'y pénètre. A part lors de rendezvous. Mais c'est seulement l'espace
de travail que moi, j'y mets.
Q Mais pourtant vous avez fait
l’expérience du Collectif 1.0.3.
R Oui, ça je peux le donner à lire
mais c'est tellement codé que
personne ne peut comprendre.
Ce n'est pas un espace physique
donc je m'en fiche. Mais par contre,
je ne laisse pas traîner mon ordinateur car ça reste un espace relativement intime.
Q Quand vous parliez de votre
espace virtuel, avez-vous créé autour
de la notion d'espace virtuel (autoréférence, méthode de travail) ?
R Je n'ai pas l'impression… Après,
le seul espace qui a été donné à voir,
c'est en effet la la maison puisque
c'était là où je travaillais. C'est juste
que je suis très myope et je n'ai
corrigé ma myopie qu'il y a peu
de temps. Tout ce qui était alors à
portée de bras constituait un espace
de travail. C'était une façon d'appréhender l'espace. Pendant au moins
dix ans, il fallait que je me focalise
dans un espace intime, comme la
maison et pas dans l'espace public,
afin d'identifier ce qui était déjà à
portée de mains. Du coup, la seule
chose qui était visible dans mes
expositions, c'était des choses qui
avaient trait à ma maison, mais pas
à la maison comme un espace de
travail. De fait, c'était un espace de
travail. La question de l'archivage
est pour moi important, ce que fait
Bruce Nauman dans Mapping,
je le fais avec mes expositions. Le
catalogue de l'exposition, c'est
20% d'archivage. La complexité du
travail ne peut pas être restitué dans
un catalogue. Il n'y a que le cinéma
qui permet de rendre compte de
cette complexité, de cette totalité,
de cette superposition et de la temporalité. C'est pour ça que j'en suis
arrivé au cinéma pour documenter
le travail que sont les expositions.
D'une certaine manière, ce n'est
pas l'atelier, mais c'est d'autres
moments, filmés avec la caméra. Le
temps de ce vocabulaire fabriqué en
amont n'est pas achevé, car le temps
de monstration qui est le temps de
l'exposition doit être fabriqué. Donc
l'espace d'exposition devient un
temps d'atelier. Quels que soient
les lieux où j'ai travaillé, quelles que
soient les conditions, que j'ai un
67
atelier ou pas d'atelier, j'ai toujours
eu ce temps d'exposition qui a été
le temps, le dernier, celui de l'atelier.
Que ce soit au Palais de Tokyo, où
j'ai vécu trois mois, ou que ce soit
une semaine de montage, j'assemble
dans ce temps. Je fabrique certaines
choses qui ne peuvent être fabriquées qu'à ce moment là. Les outils
et le vocabulaire se mettent alors
en place à ce moment. C'est un
temps d'atelier mais qui est aussi,
pour moi, de la performance.
Une performance complètement
invisible car elle n'est pas publique.
Mais c'est une chose qui fait écho
à toute l'histoire de la performance.
Q Vous avez des exemples à me
donner ?
R Par exemple, le lit, la bouffe, le
livre, la bibliothèque, le savon, le
papier peint, c'était très diversifié.
C'était un vocabulaire de la maison.
J'ai travaillé comme ça pendant dix
ans. Après, j'ai beaucoup travaillé
en collaboration en sortant dans
l'espace publique. Du coup mon
espace de travail est sorti en même
temps que moi.
Q Ca me fait penser à l'exposition
d'Harald Szeemann Quand les
attitudes deviennent formes.
R Oui c'était le cas au Palais de
Tokyo où l'espace était ouvert.
Ce n'est pas comme un atelier, où
on est isolé, mais c'est un espace
ouvert ; l'administration vient nous
demander des choses, après il y a
les monteurs, les assistants, etc..
Q Et la démarche de Daniel Buren ?
R Non, car il réagit par rapport
au contexte. Moi, c’est une des
données.
Q Vous avez décidé de vous installer
à Berlin. Pourquoi le choix de cette
ville ?
R Parce que j'en avait marre de Paris
et des conditions économiques de
cette ville. Berlin est une ville qui ne
produit pas d'argent mais elle produit du travail. J'ai besoin d'espace
et à Berlin il n'y a que ça ! Et je ne
parle pas encore d'espace de travail,
mais de vie. A Paris on n'a pas
suffisamment d'espace de vie, donc
encore de travail, et ça conditionne
le travail. Et à un moment donné,
c'est plus possible.
68
PARA-CRÉATION
J'ai découvert le terme de « para-création » en lisant le texte de Brian
O'Doherty, Studio and Cube, on the relationship between where art is made
and where art is displayed, dans lequel l'auteur envisage de définir les
formes et objets qui sont en marge de la création.
Toutes les œuvres citées dans mon mémoire intègrent une part de
para-création. La para-création peut être chez Francis Ponge, les notes,
Julien Prévieux, des notes écrites dans des livres, pour créer une
para-écriture ou l'œuvre en négatif.
Ces créations sont liées à la méthode et influencées par l’espace dans
lequel elles sont faites. Les genres se mélangent création/méthode :
C'est utiliser tous les moyens créatifs pour mieux gérer le temps de l'atelier.
Brian Eno et Peter Schmidt ont créé en 1975 une boite de 110 cartes,
Obliques Strategies, conçues sur le principe de la méthode afin de relancer
le travail créatif. Ce jeu, si on peut le nommer ainsi, est, comme le titre
l’indique, une création transversale. Ainsi, avant la production, la méthode
peut devenir créative.
Ces méthodes font partie de l’espace dans lequel il travaille, comme
le précise Brian Eno : « Et après avoir quitté le studio, vous vous dîtes « mais
pourquoi ne me suis-je pas souvenu de faire ceci ou cela ? » Cette question
est aussi une réflexion sur l’utilisation des outils de création. Car à force de
manipuler un outil, comme l’ordinateur, on oublie souvent nos premières
idées. Ce jeu de cartes nous ramène à notre propre rythme de travail.
L’ordinateur nous fait souvent oublier ce qui nous entoure : « Je veux dire
qu’ils (les ordinateurs) n’impliquent aucune partie de notre corps dans un
rythme physique, de façon excitante… Vous savez, nous avons un truc ici
qui s’appelle notre corps, qui a mis trois millions d’années pour arriver
où il en est aujourd’hui et qui fonctionne vraiment bien. Et maintenant
voilà qu’on arrive à cette machine qui n’a que 25 ans derrière elle et qu’on
abandonne complètement cet outil-là (en montrant son corps). C’est
complètement idiot. Je travaille tout le temps avec des ordinateurs et ça
m’insupporte […] 39 ». les Strategies Obliques de Brian Eno et Peter Schmidt
39 — Brian Eno lors d'une rencontre publique, le 5 novembre 1998 au Virgin Megastore
des Champs-Elysées
69
ou : comment faire quand on n’arrive pas à se mettre au travail. La méthode
participe de la création.
La méthode/le processus devient productive/production.
Plus méthodiques encore, Dimitri Bruni et Manuel Krebs ont proposé
147 points de méthodes de travail entre contradictions et bon sens, dans
le numéro deux de Marie Louise 40. Elles nourrissent le temps de l'atelier.
Elles réorganisent une pensée, des doutes.
L'espace de travail comme lieu reflétant/générant les attitudes, les
processus débouchant sur des méthodes en arts, en design, en graphisme.
La méthode est destinée à exciter l’esprit dans le cadre du processus créatif.
J'ai une idée préconçue de l’image d’un atelier. J’ai vu ma grand-mère vivre
dans un atelier, comme ceux que je voyais en photo (celui de Picasso, de
Nicolas de Staël, de Brancusi, et tant d’autres). Puis, mes études me dirigeant
vers des ateliers différents, ceux des graphistes, je me suis créée une idée
de ce que peut être un atelier. J’imagine toujours ce que l’on peut fabriquer
et produire dans ces espaces. Comment est rangée la bibliothèque, qu’est
ce qui traîne aux murs, quelle lumière est utilisée. Bureau, ordinateur,
stylos, livres.
C’est l’image de cet espace et ce qu’elle engendre. L’influence des images.
L’espace et sa représentation. Sa représentation, quand à elle, créée de
l'imaginaire. L’espace de travail, c’est le quotidien, c’est le travail, les rencontres avec le client, l’échange avec les collègues. Sa représentation dit tout
autre chose : elle crée de l’imaginaire. Qu’est ce que dit une photographie
de Francis Bacon, dans son atelier ? Ou Jeff Koons, assis sur un tabouret,
dans son atelier ? Et lorsque Wim Crouwel pose avec ces associés ?
Ils nous regardent tous, et nous, nous regardons un ensemble, eux et
l’espace qui est derrière. Il n’y a pas grand chose à dire, à part le fait que
ce sont des photos de groupe. On voit qui travaille avec qui ; tiens, c’est le
chaos chez Bacon, alors que chez Metadesign, c’est ordonné. Le graphisme
représente plus qu’un métier, il représente un état d’esprit, une façon de
faire. Les graphistes actuels rendent hommage aux graphistes déjà bien
installés.Qu’est ce que c’est l'autoportrait d’un graphiste ou d’un collectif
de graphiste ? Comment est-il représenté…
40 — Norm, « La voie graphique page 20 et page 21 », Marie Louise 2.
70
CONCLUSION
« C'est là qu'est né l'objet » :
l'objet rêvé,
l'objet supposé.
l'objet dessiné,
l'objet designé,
l'objet créé,
l'objet acheté,
Comment percevoir, comprendre un espace différemment qu'avec un
plan, une architecture ? C'était l'enjeu de ma recherche. Mais à travers mes
recherches, j'ai pu constater la diversité des enjeux.
Dans un seul et même sujet, les domaines sont très divers : artistiques,
économiques, professionnels.
L'œuvre de Bruce Nauman m'a suivi tout le long de l'écriture et des
rencontres. La perspective de partager cette œuvre avec deValence,
Nicolas Frespech, Eva Kubinyi, Franck David, le Collectif 1.0.3, m'a permis
de la comprendre grâce à chaque point de vue.
Étudiante en design graphique, comprendre l'espace par différents
supports, médias, domaines, m'a permis d'envisager différemment l'espace
dans lequel je vais déambuler dans quelques mois. Organisant au fil de
l'année, collaboration, enquête, et futur projet, j'en viens à questionner mon
propre espace de travail. Comment l'organiser ? Comment le faire partager
avec mes futurs collègues ? Soyons fictif, dans la narration, l'utopie, mais
aussi dans la réalité économique. Sachant que je vais, à la rentrée, rechercher
71
un local pour m'y travailler, je peux dorénavant imaginer, structurer, planifier
mon installation.
Comment créer un logo, une identité, tout en imaginant un espace
qui n'existe pas encore ? Ce ne sont que des suppositions, des propositions
à envisager. M'inspirant de ce que j'ai pu découvrir, je crée une méthode,
un chemin qui m'amène vers un futur proche.
C'est là que naît l'objet de ma recherche, de mon diplôme.
Si l'atelier est invisible c'est, comme le souligne ce dialogue entre
Vladimir et Renan 41, un cadre moral. Les choses faites se créent grâce
à une juxtaposition de hasards, de références et de réflexions, qui ont lieu
dans cet espace. C'est un microcosme où la littérature, le cinéma, l'art,
les recherches sur internet, les mails, la fabrication se croisent sans qu'on
en aperçoivent les frontières.
Le graphisme est une forme d'art. Ce constat vient du fait que le
graphiste, comme l'artiste comme tout créateur, ont besoin de mettre
de la distance, notamment critique à l'égard de la réalité. C'est de cette
distance que naît la création. Je ne cherche pas à faire une comparaison,
mais je cherche, après cinq années d'études en graphisme, à comprendre
ce métier et ces enjeux.
Graphisme autobiographique ? Dans une Conférence récente 42
Will Holder posait la question suivante : Est-ce qu'une typo peut-être
(auto)-biographique ? En 2008,lors de l'exposition On Purpose à Bristol 43,
il a mis sa propre bibliothèque à disposition du public et consultable
sur internet 44.
Pourquoi ? Pas finaliser, mais expérimenter. C'est pourquoi je prend
ces exemples, et pas d'autres. Entre la fonction et la gratuité : peut-être
cet écart laisse t'il la place à la recherche de nouveaux enjeux. C'est ce
domaine du graphisme qui m'intéresse : la forme finale m'intéresse moins
que le processus.
Merci.
41 — Guillaume Leblon et Thomas Boutoux, l'entretien, éditions Paraguay Press
42 — Points de vue, Ecole des beaux-arts de Lyon, les Substitances, 7 & 8 mai 2010
43 — Centre d'art Arnolfini
44 — http://commonknowledge.at
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