Le bonus en fiscalité pétrolière
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Le bonus en fiscalité pétrolière
STEPHANE ESSAGA Les bonus en fiscalité pétrolière PLAN INTRODUCTION : I- Nature et intérêts des bonus en fiscalité pétrolière A- Typologie des différents bonus en fiscalité pétrolière 1- Les bonus de première génération a- Bonus de signature b- Bonus à la découverte c- Bonus à la production d- Bonus technique de formation 2- Les bonus de seconde génération a- Le bonus social b- Le bonus d’incitation à la performance B- Intérêt économique et encadrement juridique des bonus 1-Un intérêt réciproque des parties généralement sous-estimé 2- Un encadrement juridique complexe a- La nature juridique des bonus i - classification aisée des bonus de signature et de production ii - Une classification complexe du bonus à la découverte b-La problématique de la source normative des bonus i- La force relative de la loi ii- La force mineure de la loi Février 2009 1 STEPHANE ESSAGA II- Le régime fiscal des bonus A- Un principe universel : le bonus exclu des coûts techniques des sociétés pétrolières 1- Définition et intérêt des coûts techniques 2- Justification légitime de leur exclusion des coûts techniques B- Un principe variable : le Bonus comme charges récupérables 1- Le Bonus comme Charges récupérables a- Une récupération étalée à titre d’immobilisation b- Une récupération immédiate à titre de charges 2- Le Bonus comme Charges non récupérables : coût définitif pour la société pétrolière CONCLUSION Février 2009 2 STEPHANE ESSAGA LES BONUS EN FISCALITE PETROLIERE INTRODUCTION : La fiscalité pétrolière fait irruption dans le champ politico-administratif africain dans le cadre de l’affirmation par les Etats de leur volonté de captiver le maximum de la rente pétrolière. En Côte d’Ivoire, en Guinée Equatoriale, en RDC, en Algérie pour ne citer que ces Etats, la fiscalité pétrolière est considérée, probablement à l’excès au demeurant, comme un sésame permettant la réalisation des objectifs budgétaires des Etats nantis de ces ressources du soussol. Le fétichisme de la fiscalité pétrolière comme moyen efficient et efficace du financement du budget des Etats ne connaît aucune réserve, par-delà les nombreux obstacles susceptibles d’enrayer les projections initiales basées sur les modes de prélèvements contractuels, notamment la conjoncture pétrolière internationale1 qui conduit à des désillusions voire déceptions déstabilisatrices. Toutefois, l’armature structurelle des systèmes fiscaux concernant l’activité pétrolière, tout en se modifiant (peu) au fil du temps, ne fait pas encore l’objet d’études spécifiques de la part des africains notamment. Les bousculades géologiques et technologiques au niveau des zones pétrolifères africaines ne suscitent pas encore des embourbées intellectuelles, précisément en ce qui concerne la science fiscale2. Seuls des ouvrages généraux l’invoquent prudemment, en en donnant des définitions au demeurant parfois floues, sans exhaustivité dans ses contours 3. Alors que les bonus sont aussi vieux que la fiscalité pétrolière, ils sont encore moins étudiés que les autres prélèvements fiscaux relatifs à l’activité pétrolière. Ils ne font aucunement l’objet d’une attention systématique particulière de la part de la doctrine. Aucune analyse discursive dans leur nature, leur instrumentation et leur philosophie n’est disponible. En général, il s’agit d’approches partielles et partiales . Les bonus ne bénéficient pas d’une coterie affirmée auprès des fiscalistes, plus portés vers l’appréciation « in globo » de la fiscalité pétrolière, lorsqu’elle est approximativement abordée. Mot court et simple encore orphelin scientifique 4, les bonus sont pourtant 1 Voire en Algérie, au Nigeria et en Angola par exemple, indépendamment des systèmes fiscaux de ces pays, les gaps budgétaires causés par la baisse drastique des cours du pétrole brut. Or en dehors de cette clé décisive, la prospectivité des champs et l’érosion monétaire sont d’autres facteurs de relativisation de la fiscalité comme moyen unique de mobilisation optimale des ressources budgétaires en matière pétrolière. 2 Pratiquement seule la géopolitique s’intéresse à cette razzia au niveau du sous-sol africain. Voire notamment « Géopolitique et géoéconomie du pétrole en Afrique Centrale », Revue Enjeux n°36, juillet 2008. 3 Notamment Recherche et production du pétrole et du gaz, Editions Technip, Paris, 2002 4 Il est absent de la célèbre thèse de Laure Agron (Histoire du vocabulaire fiscal, Paris, L.G.D.J, 2000). Même des ouvrages spécialisés produisant parfois des glossaires (Voir par exemple Daniel Johnston, International Février 2009 3 STEPHANE ESSAGA présents dans tous les systèmes fiscaux pétroliers, et constituent pour nous un point d’Archimède pertinent vers la domestication de la fiscalité pétrolière. Pertinent d’abord parce que les bonus font partie du patrimoine commun de tous les systèmes pétroliers du monde, avec des variables de nature et de traitement diverses. Pertinent ensuite parce qu’ils font partie historiquement des premiers modes de prélèvements de la rente pétrolière, qui contrairement à ce qui est si communément affirmé5, ne sont pas obsolètes. Pertinent enfin parce qu’ils ont fait l’objet sur le continent africain d’épisodes alarmistes et catastrophistes quant à leur gestion, notamment en Angola et au Tchad 6, et préoccupent de ce fait les bailleurs de fonds internationaux7. Or si la fiscalité pétrolière (le tout) n’a de pertinence qu’appréhendée globalement, nous pensons qu’elle est perceptible déjà à partir de ses différentes parties (dont les bonus). Mieux, la partie (les bonus) traduit très souvent la totalité du système, dont elle intériorise les caractéristiques essentielles. Cette grille de lecture est tout à fait opérante pour notre sujet d’étude. En effet, il appert que les bonus traduisent un intérêt financier précoce des parties impliquées dans l’activité pétrolière pour les Etats (I). Leur traitement fiscal est différencié suivant la portée économique que veut lui faire jouer les Etats (II). petroleum fiscal systems and production sharing contracts, Penwellbooks, USA, 1994) ou ambitionnant de détailler le système fiscal pétrolier africain (Par exemple Albert leonard Dikoume, La Fiscalité pétrolière des Etats membres de la CEMAC :Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad, Centrafrique, Paris, l’Harmattan, 2008) n’épuisent pas tout l’intérêt historique et financier de ce mode de prélèvement particulier. 5 L’affirmation suivant laquelle « depuis 1986, la tendance est à la baisse, voire à la suppression des bonus de signature, sauf dans les cas de pays anciennement fermés aux activités directes des sociétés pétrolières internationales et qui s’ouvrent à nouveau (comme le Venezuela) » ne nous semble pas vérifiée, comme nous le verrons plus tard. (in Recherche et production du pétrole et du gaz, op.cit. pp 205-206). D’ailleurs c’est exactement l’affirmation contraire qui est faite en 2004 par T.Baunsgaard, « A primer on mineral taxation », www.ogel.org, vol 2-issue 3-july 2004, page 13. 6 Au Tchad, la première tranche de 4,5 millions de dollars des 25 millions de dollars de bonus de signature payés par le consortium Exxon Mobil, Chevron et Petronas ont été dépensés pour l’achat de matériels militaires en 2000, malgré l’encadrement institutionnel de la gestion des ressources pétrolières. Lire « Fresh look at oil bonus », Africa Energy Intelligence n°333, 06 novembre 2002.S’agissant de l’Angola, une accusation de détournement en 2002 de bonus de signature payés par les compagnies pétrolières mais déposés dans un compte bancaire offshore sur l’île de Jersey, n’a jamais été sérieusement démentie par les autorités angolaises. Lire « Angolan oil millions paid into Jersey Accounts », The Guardian (Londres) 04 novembre 2002, et aussi Henri Cauvin, « IMF Skewers Corruption in Angola », New York Times, 30 novembre 2002 7 Voir Banque Mondiale, « Note on the use of the petroleum bonus », juin 2001, www.worldbank.org/afr/ccproj/project/bonus/pdf Février 2009 4 STEPHANE ESSAGA I- Nature et intérêts des bonus en fiscalité pétrolière A la différence des autres prélèvements fiscaux en matière pétrolière (impôt sur les bénéfices et redevances pétrolières), les bonus sont des modes de prélèvements indépendants de la rentabilité économique du gisement. Ils constituent avec les redevances superficiaires des prélèvements anticipés sur la probable rente pétrolière (fiscalité ex-ante). Entendue comme la différence entre le chiffre d’affaires né de la commercialisation des hydrocarbures (lorsque découverts) et les coûts techniques de leur production, la rente minière devrait en principe être le résultat à partager entre les parties, toutes les opérations précédant sa liquidation pouvant conduire à des pertes considérables. Or les bonus évacuent le risque de perte sèche pour l’Etat, dans la mesure où ils lui fournissent une recette parfois considérable indépendante du résultat économique du projet pétrolier. Il convient de procéder d’abord à un inventaire des bonus (A), avant d’en dégager une définition juridique ainsi que l’intérêt économique (B). I- Typologie des différents bonus en fiscalité pétrolière Contrairement à ce qui est régulièrement dit, il existe six et non deux8 types de bonus en matière pétrolière : les bonus de signature, les bonus à la découverte, les bonus à la production et le bonus annuel technique de formation qui peuvent être considérés comme les bonus de première génération (1), ainsi que le bonus social et les bonus d’incitation à la performance, relevant d’une seconde génération de bonus (2). A- Les bonus de première génération Nous entendons par bonus de première génération ceux institués dès l’origine de la contractualisation des activités pétrolières. Ce sont : 1- Bonus de signature Encore appelé « cash bonuses » ou « bonus au comptant », « ils sont le plus souvent versés au moment de l’octroi de la concession de recherche, avant tout commencement des travaux »9. En réalité présents à la fois dans les contrats de concession et de partage de production, il est plus idoine de dire que c’est le 8 Dikoume (A.L.) se contente d’en décliner deux versants, les bonus de production et de signature (thèse précitée, pp 162-163).Même en considération de son champ d’étude, cela s’avère insuffisant comme nous le verrons plus tard. 9 Lascombes (Michel), Eléments pour l’étude des clauses financières et fiscales des contrats pétroliers internationaux , Mémoire de DEA de droit international, Université de Strasbourg, 1978, page 32. Février 2009 5 STEPHANE ESSAGA titulaire des droits d’exploration et d’exploitation (éventuelle) qui en est le redevable (indépendamment de la nature du contrat). Certains pays n’imposent pas directement des bonus de signature, mais par le mécanisme attributif des permis constitué par les enchères (bids), le payement finalement réalisé par l’adjudicataire peut être assimilé à un bonus de signature. Enfin, il convient de signaler que même si cela est rencontré rarement, certains bonus sont payés en nature par des équipements technologiques10. 2- Bonus à la découverte Les bonus à la découverte sont des versements dus au moment de la déclaration de la commercialité d’une découverte d’hydrocarbures. C’est ainsi que par exemple qu’un contrat entre la République d’Abu Dhabi et Middle East Oil Co.ltd disposait que la compagnie pétrolière devait payer 3 millions de dollars dans les soixante jours suivant la date de la découverte du pétrole brut en quantité commerciale11. Toutefois, ils sont si rarement présents dans les contrats pétroliers qu’ils sont absents de certains ouvrages de référence en matière de fiscalité pétrolière12. Cela justifie dans une large mesure (sans l’excuser) que parfois des bonus à la découverte sont présentés à tort comme des bonus à la production, flouant ainsi la détermination de la pression fiscale du contrat pétrolier concerné13. En réalité ils sont davantage rencontrés dans les pays à haut potentiel minier, car sont fortement désincitatifs et découragent le développement de champs marginaux (de moindre envergure quantitative en termes de réserves pétrolières). 3- Bonus à la production Beaucoup plus connus et usités, il s’agit de versements dus à chaque fois que la production atteint un certain seuil préfixé. « Le contrat fixe les sommes à 10 Daniel Johnston, op. cit. page 52. Article 9 du contrat signé 31 janvier 1970. 12 Celui de Daniel Johnston en l’occurrence op.cit. 13 Ainsi, le docteur Dikoume qualifie de bonus à la production le bonus de 1 million de dollar dû dans le contrat de partage de production Bomana au Cameroun du 14 mars 2006 entre la République du Cameroun et TOTAL E & P, celui qui est dû « le jour où le premier baril d’hydrocarbures est produit sur une Autorisation d’Exploitation dérivant de l’Autorisation de Recherche » qu’il reconnaît comme étant unique dans le système pétrolier de ce pays. (In thèse précitée, page 162). Or il s’agit ici d’un bonus à la découverte et non à la production. 11 Février 2009 6 STEPHANE ESSAGA verser lorsque la production atteint, pour la première fois, certains rythmes, généralement exprimés en barils/jours, pendant une certaine période »14 . Ainsi pouvons-nous lire au sujet du contrat pétrolier arabe sus évoqué : « La compagnie accepte de payer au Ruler les sommes suivantes, en temps et de la manière prévue : ………………………………………………………………………….. (c) 3 000 000 U.S. dollars dans les soixante jours après la date à laquelle les exportations régulières de pétrole brut ont pour la première fois atteint et se sont maintenues au niveau moyen de 100.000 barils/ jours. (d) 4.000.000 U.S. dollars dans les soixante jours après la date à laquelle les exportations régulières de pétrole brut ont pour la première fois atteint et sont maintenues à un niveau moyen de 200.000 barils/ jour durant 30 jours consécutifs »15 . L’on s’aperçoit que plus le gisement est productif, plus la pression fiscale relative au bonus s’accroît également, justifiant qu’on le considère comme une taxe forfaitaire sur la production non encore commercialisée16. Il convient ici de différencier les bonus de production (assis sur les quantités) des redevances pétrolières ou royalties, assises également sur la production, mais sur une base proportionnelle (et non spécifique comme les bonus de production), impliquant la gestion de taux parfois variables, une clarification du périmètre de calcul, une procédure et périodicité de paiement et enfin un mode de valorisation de la production précis. 4- Bonus annuel technique de formation Il s’agit de faibles montants exigés des entreprises pétrolières destinés à la formation des cadres du pays hôte, rencontrés dans les contrats pétroliers en Jordanie et au Yémen notamment17. S’ils sont rarement rencontrés, c’est que cette préoccupation légitime des Etats pétroliers d’importer l’expertise technologique nécessaire à la valorisation de leurs richesses minières se traduit généralement, surtout en Afrique, par des obligations financières annuelles en 14 Recherche et production du pétrole et du gaz, Editions Technip, Paris, 2002, page 206 Article 9 du contrat de partage de production signé le 31 janvier 1970 16 Lascombes ( M.), op.cit.page 34 17 « Fiscalité pétrolière : impact sur l’activité exploration-production des hydrocarbures. Cas de la Tunisie », thèse d’Omri Mohamed Ali, Université de Nice-Sophia-Antipolis, Mai 1995, page 55. 15 Février 2009 7 STEPHANE ESSAGA termes de financement de la formation du personnel national18, exactement comme les obligations d’investissements liées à l’activité pétrolière stricto sensu. Compte tenu du respect relatif de cette contrainte annuelle et de la lourdeur administrative qu’elle suppose, il me semble pertinent d’exiger directement un tel bonus aux entreprises pétrolières, qui pourraient être payés annuellement comme les redevances superficiaires dues à chaque début d’exercice fiscal. Les besoins de développement de l’expertise locale tant pour les ingénieurs, les négociateurs, les fiscalistes, les économistes, les statisticiens au moins, sont tels qu’un sursaut d’inventivité et d’originalité en terme de formation sont impératifs aujourd’hui sur le continent africain. B- Les bonus de seconde génération Il s’agit de nouveaux types de bonus qui ont été institués récemment dans l’industrie pétrolière, notamment en Afrique. On peut citer : 1- Le bonus social Le bonus dénommé « social » peut être défini comme le bonus dû par une entreprise pétrolière dès la signature du contrat accordant les droits d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures, et dédicacé à la localité d’exploration ou exploitation des hydrocarbures. En cela, il s’agit en réalité d’un dérivé des bonus de signature, en ce sens que le fait générateur et l’exigibilité de ce droit sont exactement les mêmes que ceux du bonus de signature, à savoir la signature du contrat accordant les droits d’exploration des hydrocarbures. Le bonus social a été historiquement expérimenté en Angola récemment, lors de la signature du contrat de concession « bloc zéro » au large du territoire Cabinda au nord de l’Angola, où un consortium composé de l’entreprise Cabinda Gulf Oil Company Ltd , ( filiale de Chevron Texaco, 39,2%), de la Sonangol ( 41%) , Total ( 10%), ENI (9,8%), a non seulement payé un bonus de signature de 210 millions de dollars, mais un bonus « social » de 80 millions de dollars dont une partie a été explicitement destinée à cette enclave pour la lutte contre la pauvreté et la violence 19. Nous pensons que la qualification de bonus « social » à côté d’un bonus de signature n’a de pertinence ici que dans la mesure où le statut juridique de 18 Pour la problématique de l’expertise africaine en matière pétrolière, Confer O. Nwete, “Legal and Policy Framework for promoting petroleum expertise in Africa”, www.ogel.org vol.4 issue 3, Septembre 2006 19 Il importe de préciser que Cabinda est une enclave angolaise où est exploitée la majeure partie du pétrole ( 2/3) du pays, mais soumise à des velléités sécessionnistes entretenue par une rébellion armée depuis longtemps. Février 2009 8 STEPHANE ESSAGA l’enclave est encore en querelle. Il aurait pu s’agir d’un simple bonus de signature agrégé (290 millions de dollars) dont une partie serait affectée à la structure décentralisée, comme rencontré dans les Etats fédéraux20. 2- Le bonus d’incitation à la performance Le bonus d’incitation à la performance est un prélèvement conditionné à la non réalisation des programmes des investissements arrêtés contractuellement avec l’Opérateur pétrolier. Il s’agit ainsi d’une sorte de pénalité « suspensive », due uniquement en cas de sous - réalisation des objectifs quantitatifs prédéfinis dans les accords pétroliers l’instituant. Au Gabon par exemple, l’avenant 31 de la Convention d’établissement du 05 juillet 2007 liant l’entreprise Total à ce pays exige un certain niveau de performance en termes d’investissements, qui explique la constitution d’une provision pour bonus d’incitation à la performance dans ses états financiers de l’exercice 200721. En réalité, l’institution contractuelle d’un tel bonus bien nommé « d’incitation à la performance », et qui s’avère constituer une sorte de pénalité suspensive, s’avère être pertinente, dans la mesure où les Etats africains particulièrement sont soucieux d’un développement accéléré de leur domaine minier national. Or sans aucun moyen de contrainte, les Etats sont peu ou prou paralysés devant l’inaction éventuelle de leurs cocontractants, déjà titulaires des droits d’exploration et d’exploitation pour des durées pluriannuelles, voire des décennies. B- Intérêt économique et encadrement juridique des bonus Dans la mesure où ils sont prélevés soit avant même la découverte d’hydrocarbures commercialisables (bonus de signature), soit lorsque découverts et produits, avant les calculs nécessaires à l’évaluation de la rente (bonus à la découverte et à la production), ce mode de prélèvement est considéré comme désincitatif par une bonne partie de la doctrine, indépendamment de leurs avantages. Daniel Johnston par exemple s’agissant des bonus de signature pense pouvoir affirmer péremptoirement que « the signature or signing bonus is well known and highly unpopular with the oil industry »22, et les classe plus tard 20 J.C Boué, op.cit.page 5 pour l’exemple des Etats Unis d’Amérique. Rapport financier annuel 2007 de Total Gabon, www.total-gabon.com/documents/2007, page 58 22 In International petroleum fiscal systems and production sharing contracts, Penwellbooks, USA, p.161 21 Février 2009 9 STEPHANE ESSAGA froidement dans la catégorie des prélèvements « régressifs »23, s’entendant comme non fonction de la rentabilité économique du gisement, et contribue ainsi à en relativiser l’utilité économique. 1-Un intérêt réciproque des parties généralement sous-estimé Les bonus sont autant pour l’Etat que les compagnies pétrolières des modes de prélèvements dont l’intérêt économique est certes différent, mais appréciable pour les deux parties. Il ne s’agit pas forcément d’un jeu à somme nulle (où seule une des parties, en l’occurrence l’Etat, est gagnante), mais parfois aussi d’un jeu gagnant-gagnant (où toutes les parties tirent un profit de l’opération). S’agissant de l’Etat, le bénéfice immédiat et régulièrement évoqué est la trésorerie immédiate qu’il se fait notamment dès l’octroi des droits d’exploration, mais aussi avec les bonus à la découverte et ensuite à la production, indépendamment des résultats économiques postérieurement enregistrés. Aux Etats-Unis précisément dans le golfe du Mexique, sur 129 millions de dollars de recettes fiscales générées jusqu’en 2000, 46% correspondent aux bonus24. Le record en termes de montants des bonus est africain, avec à Sao Tomé en octobre 2003, pour des bonus simplement de signature supérieurs à 100 millions de dollars par bloc 25!Au Niger, le budget 2009 a été exceptionnellement boosté par le bonus de signature pour l’exploitation du pétrole obtenu au titre du permis d’AGADEM pour un montant de 123, 35 milliards de FCFA. Toutefois, l’Etat retire deux autres intérêts immatériels pas toujours soulignés de ce mode de prélèvement. D’abord il sert de sélection objective entre compétiteurs (entreprises pétrolières), du point de vue de leurs capacités financières respectives, décisives pour assurer l’exécution du programme d’investissements nécessaire pour exploiter le gisement éventuellement commercial. Autrement dit, les bonus de signature soit négociés soit résultant d’enchères publiques découragent les investissements marginaux26, et aussi les « barreurs de permis », c’est-à-dire les entreprises qui ayant acquis les droits d’exploitation, s’évertuent ensuite à procéder à la cession de leurs droits sans aucun investissement préalable. 23 In « Progressive elements of petroleum fiscal systems, Option for African producers », www.ogel.org, vol 4issue 3, september 2006, page 3. 24 J.C Eboué, « Petroleum leasing and fiscalisation and their impact on industry structure in the US Gulf Mexico », www.ogel.org, vol 2-issue 3, july 04, page 4 25 G.kellas, « Global deepwaters terms – the state of play », www.ogel.org, vol 2 – issue 3, july 04, 26 T.Baunsgaard, « A primer on mineral taxation », op.cit. Février 2009 10 STEPHANE ESSAGA Ensuite en situation concurrentielle (par voie d’enchères publiques), les bonus de signature notamment informent directement l’Etat sur deux volets importants de l’activité pétrolière : - sa crédibilité internationale, du point de vue du respect des droits des investisseurs, notamment de leurs droits patrimoniaux dans un ordre paraconstitutionnel27. Moins les investisseurs enchérissent, moins le bonus est important, et moins l’Etat est jugé crédible. A l’inverse, plus le bonus est élevé, plus l’Etat est considéré comme suffisamment respectueux des droits des investisseurs pétroliers. - plus utile encore pour l’Etat, les niveaux de bonus payés par les entreprises pétrolières traduisent peu ou prou l’importance géologique du gisement sollicité, dans une situation inégale d’information géologique et technique où ces dernières disposent de moyens d’évaluation plus performants que les Etats. C’est ce qui justifie dans une large mesure que les bonus les plus élevés se retrouvent dans les Etats dotés de champs pétrolifères en offshore profonds28. En ce qui concerne l’intérêt des bonus de signature notamment pour les entreprises, ils servent de moyens à la fois « censitaires » et « intellectuels » pour les plus grandes d’entre elles, dont la robustesse financière et technologique (en termes d’informations 29sur le réservoir) traduit leur puissance tout court, avec comme pendant l’élimination des entreprises de moindre envergure sur les champs pétrolifères en offshore profonds. Il convient maintenant de s’interroger sur l’encadrement juridique des bonus. 2- Un encadrement juridique complexe Il s’agit ici de tenter une compréhension tant sur la nature juridique des bonus (a), que sur leur source normative pertinente (b). 27 Selon Pierre Noël, « les dispositions centrales du régime juridique para-constitutionnel des investissements concernent le règlement des différends entre investisseurs et Etat, le droit applicable au contrat, la définition des droits économiques, les conditions d’exercice du droit des nationalisations et de certaines prérogatives réglementaires, l’égalité de traitement entre investisseurs étrangers et nationaux, et enfin les conditions d’octroi des droits d’accès au territoire » ( in Production d’un ordre pétrolier libéral :une politique normative américaine dans les relations internationales entre 1980 et 2000, thèse de doctorat en sciences politiques, Université de Grenoble, 2002 page 9 28 Voir G.Kellas, op.cit. 29 Pour une théorie de l’assymétrie d’information en matière pétrolière, lire Philips (L.), “The economics of imperfect information”, Cambridge University Press, 1988, Hughart D., “Informational asymmetry, bidding strategies,and the marketing of offshore Petroleum leases”, journal of Political Economy, vol.83, n°5, Hendricks K. et R.H. Porter, “An empirical study of an auction with asymmetric information”, American economic review, vol.78, n°5, décembre 1988. Février 2009 11 STEPHANE ESSAGA a- La nature juridique des bonus L’intérêt de l’étude juridique des bonus est davantage intellectuel que pratique : en tant que prélèvements de la part des Etats, il s’agit de droits perçus dans le cadre de la valorisation de leurs ressources minières. Toutefois, la classification des impôts et taxes en général et en matière pétrolière en particulier revêt une importance opératoire importante, permettant par-delà les dénominations de s’informer sur le mode de pression fiscale usité par les Etats, qui nonobstant les constantes, connaissent néanmoins des variantes. Même s’ils font tous partie d’un ensemble hétérogène de dépenses constituant « le prix d’accès au sous-sol »30 , il importe de tenter une spécification individuelle, qui est tantôt aisée (i), tantôt plus complexe (ii) : i- Les classifications aisées des bonus de signature et de production Des six bonus existant en fiscalité pétrolière, les bonus de signature et de production sont les plus aisés à classifier dans la nomenclature juridique en général. Ces classifications relèvent davantage du registre du droit commercial, mais peuvent avoir leurs pendants par rapport à la fiscalité de droit commun. Ainsi, les bonus de signature sont analysés comme étant « un droit d’entrée », un « pas-de-porte » versé au moment de l’octroi de la concession de recherche et avant tout commencement de travaux31. En effet, il arrive en matière de baux commerciaux que le propriétaire exige du preneur une somme importante lors de la conclusion du contrat32, ce qui correspond terme à terme à l’alternative existante en matière pétrolière. Au demeurant, certaines nomenclatures de la comptabilité publique comme en République démocratique du Congo assimilent formellement ces bonus à des pas de porte33. D’un point de vue strictement fiscal, le bonus de signature peut être assimilé à la patente, qui est un impôt sur le capital fondé sur le simple exercice 30 Pierre Noël, thèse précitée, note 435, page 155.Il faut exclure de cette catégorie hétérogène les bonus d’incitation à la performance, qui ne sont dus que conditionnellement tel que vu. 31 Lascombes (M.), op.cit.page 65. Voire aussi « Fiscalité pétrolière : impact sur l’activité exploration-production des hydrocarbures. Cas de la Tunisie », thèse d’Omri Mohamed Ali, Université de Nice-Sophia-Antipolis, Mai 1995, page 50. 32 Georges Ripert, René Roblot, Traité de Droit commercial, tome 1, 16 ème édition, Paris, L.G.D.J.1996, num 405, p.273 33 Voir annexe N°1 de la synthèse du budget 2008 qui énonce un chapitre « Pas de porte » suivi de (bonus de signature) entre parenthèses, pour un montant de 125 145 631 070 FC. Février 2009 12 STEPHANE ESSAGA d’une activité industrielle ou commerciale dans certains systèmes fiscaux, tel au Cameroun34. En ce qui concerne les bonus à la production, ils ont été considérés comme « une taxe forfaitaire sur la production non encore commercialisée 35». Nous pensons qu’il est plus correct de parler d’une taxe « spécifique », c’est-àdire celle qui est perçue « sur l’unité matérielle du produit frappé par la loi fiscale »36 , qui est, rappelons le, le nombre de barils produits après une certaine période. ii - Une classification complexe du bonus à la découverte Les bonus à la découverte sont autant rares que difficiles à classer. Succédant toujours aux redevances superficiaires qui sont des prélèvements dus annuellement en fonction de la superficie des concessions accordées et précédant les bonus à la production, les bonus à la découverte constituent manifestement une catégorie sui generis de prélèvement fiscal. Ils s’apparentent davantage à une taxe spécifique, s’en éloignant par le fait qu’ils sont toujours forfaitaires (et non basés sur un volume particulier), et aussi à un impôt sur la capital tel la patente dans la mesure où ils sont dus avant l’exploitation même de l’activité pétrolière, se dédoublant ainsi avec les bonus de signature. b-La problématique de la source normative des bonus En tant que prélèvement fiscal, il est intéressant de s’interroger sur la source normative des bonus, entendue comme le fondement juridique qui lui donne sa pleine légitimité. En effet, une certaine doctrine a cru pouvoir affirmer péremptoirement que compte tenu de ce que certains codes pétroliers instituent une simple éventualité d’institution contractuelle des bonus, la législation s’avère être « trop flexible », ces derniers devant être « fermement » régis par la loi37. En réalité la problématique est plus complexe, et relève d’une thématique plus large jamais étudiée encore portant sur l’ordre juridique en matière pétrolière. Suivant la force juridique que l’un système accorde aux contrats 34 Article 159 du Code Général des Impôts camerounais. Le vocable « patente » n’est lui-même presque jamais défini par la doctrine, et absent de la thèse de Laure Argon précitée. 35 Lascombes (M.), op.cit., page 34 36 Trotabas (L.), Cotteret (J.M.), Droit fiscal, Dalloz, 8 ème édition, Paris 1997, page 25 37 Dikoume (A.L), thèse précitée, page 36. Février 2009 13 STEPHANE ESSAGA d’Etats, la prépondérance de la loi est relative (i), voire mineure (ii) par rapport à ce contrat. i- La force relative de la loi Elle est relative lorsque comme dans certains systèmes juridiques, les contrats d’Etat ont une simple valeur législative, comme en Tunisie. En effet, « pour conférer à ces conventions un caractère légal pouvant abroger ou déroger aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, la législation tunisienne a adopté le 38 principe que ces conventions doivent être ratifiées et promulguées sous forme de lois » . Dès lors, une institution « légale » des bonus fût-elle à portée générale peut techniquement être concurrencée par une convention pétrolière ratifiée en bonne et due forme. De plus, le « corset » légal n’est pas forcément un avantage pour l’Etat, qui pourrait, par rapport à la nature du contrat, innover et instituer un bonus non prévu par la loi pétrolière. C’est le cas rencontré avec le bonus d’incitation à la performance gabonais ou le bonus à la découverte du contrat Bomana au Cameroun, qui ne sont pas prévus par leurs législations pétrolières respectives. ii - La force mineure de la loi Plus discutable est la force de la loi pétrolière lorsque dans un système juridique donné, les contrats d’Etat sont considérés comme supérieurs à la loi, dans une logique de sécurisation des investisseurs pétroliers d’une part, mais en fonction aussi tant des termes contractuels que des autorités signataires de ce contrat. Plus précisément, les clauses de stabilité fiscale quasi systématiques dans les contrats pétroliers, entendues comme clauses édictant pour l’Etat l’obligation de garantir une intangibilité des dispositions fiscales arrêtées contractuellement, érigent automatiquement les contrats pétroliers en référents supérieurs aux dispositions légales39. Dans une telle hypothèse, une loi pétrolière serait parfaitement contournée par ces contrats spécifiques, sans opposabilité pertinente de la législation. 38 Omri Mohamed Ali, thèse précitée, page 14. Il est à noté que c’est un simple décret (du 13 décembre 1948), donc un acte administratif, qui en a disposé ainsi, ce qui ne facilite par la résolution de la problématique de l’ordre juridique dans ce pays. 39 Pour le caractère absolu du sens donné à ces clauses dans certains pays, « La clause de stabilité fiscale dans les contrats pétroliers au Cameroun », Essaga Victor Stéphane, mémoire de DESS en Administration fiscale, Université de Douala, 2008 Février 2009 14 STEPHANE ESSAGA Ces considérations générales étant ainsi fixées, nous pouvons décliner le régime fiscal des bonus. II- Le régime fiscal des bonus En tant que dépenses parfois importantes payées par les entreprises pétrolières, il est évident que le traitement fiscal de celles-ci peut constituer soit un adoucissement, soit un facteur d’aggravation de la dépense ainsi effectuée. Il convient alors de s’interroger d’abord sur le traitement des bonus en termes de coûts techniques d’une part (A), puis en termes de charges fiscales d’autre part (B). A- Un principe universel : le bonus exclu des coûts techniques des sociétés pétrolières Il s’agira de clarifier le concept de coût technique (1) pour ensuite expliquer l’exclusion des bonus des coûts techniques (2). 1-Définition et intérêt des coûts techniques Les coûts techniques sont constitués de frais d’exploitation, des amortissements des installations de production et des travaux d’exploration afférent audit permis et des frais financiers, à l’exclusion de la redevance minière proportionnelle, de l’impôt sur les sociétés et tout autre impôt, droit, taxe et redevance de quelque nature que ce soit. Encore appelé « cost oil » surtout dans les contrats de partage de production, ils sont généralement classés en deux catégories majeures : - les dépenses d’investissements ou « capital expenditures », (CAPEX) ; - les dépenses opératoires ou « operating expenditures » (OPEX) ; Ils viennent en diminution du chiffre d’affaires d’hydrocarbures sur un permis donné, pour constituer alors la rente minière (profit oil), qui fait ensuite l’objet d’un partage entre l’Etat et son ou ses cocontratants. 2- Justification légitime de leur exclusion des coûts techniques En vertu de la définition des coûts techniques ci-dessus, il est universellement admis que les bonus ne sont pas des coûts récupérables à titre Février 2009 15 STEPHANE ESSAGA de coûts techniques. Autrement dit, la liquidation de la rente minière n’intègre pas le payement de ces prélèvements fiscaux, seules les dépenses effectivement rattachables à l’activité pétrolière stricto sensu sont pris en considération. Il apparaît évident que dans le cadre du partage de la rente minière, une telle exclusion se comprend comme la volonté légitime pour les Etats de faire récupérer les dépenses nécessaires à la production des hydrocarbures, à l’exclusion des impôts et taxes qui en réalité ne sont pas des dépenses d’ordre technique mais budgétaire. Il convient de préciser que si le principe est admis universellement, certaines législations, même si malheureusement pas nombreuses, l’édictent plus clairement que d’autres. Au Congo, l’article 41 de la loi n°24-94 du 23 août 1994 portant code des hydrocarbures les exclut des coûts récupérables, alors que le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Tchad, la Guinée équatoriale, ne se prononcent pas au niveau de leurs législations pétrolières. Si à ce stade les imprécisions ont un impact moindre dans la mesure où les accords pétroliers constituent des documents opérants pour fixer de telles règles, cela n’est pas le cas en ce qui concerne les charges fiscales, dont le régime doit être suffisamment clair dans les législations pétrolières. B- Un principe variable : le Bonus comme charges déductibles Les bonus sont suivant les pays soit admis comme des dépenses récupérables (1), soit rejetés des charges fiscales de l’entreprise payante (2). 1- Le Bonus comme Charges récupérables Dans la majorité des systèmes fiscaux, les bonus sont des charges déductibles du résultat fiscal de l’entreprise. Toutefois, la récupération fiscale de ces dépenses peut être étalée (a) ou immédiate (b). a-Une récupération étalée à titre d’immobilisation Les bonus sont récupérés fiscalement de façon séquencée ou progressive lorsqu’ils sont enregistrés comptablement à titre d’immobilisation. Dès lors, la récupération fiscale s’effectue sous forme d’amortissement au rythme arrêté conventionnellement (généralement 5 ans). Cela a l’avantage pour l’Etat de grever séquentiellement la base de l’impôt sur les sociétés, et ainsi de lui garantir un seuil de recettes fiscales Février 2009 16 STEPHANE ESSAGA minimum malgré l’admission de principe de la récupération fiscale de ces dépenses. Pour l’entreprise, l’admission en immobilisation amortissable a l’avantage de disposer d’un actif dont la valeur sera finalement partagée avec l’Etat bénéficiaire du payement, et donc non seulement d’amoindrir régulièrement (au rythme de l’amortissement) sa charge fiscale liée à l’impôt sur les sociétés, mais aussi et surtout de récupérer partiellement la dépense initiale qui s’avèrera ainsi moins lourde qu’il y paraissait. b- Une récupération immédiate à titre de charges Certains pays pétroliers admettent directement les bonus comme étant des charges déductibles, tel le Gabon40. Dès lors, le payement du bonus constitue presque une avance de trésorerie qui sera récupérée partiellement dès le premier résultat fiscal bénéficiaire de l’entreprise, dans les conditions de droit commun. En réalité le traitement fiscal des bonus doit être différent suivant leur nature, un bonus de signature ou social ne représentant pas la même chose qu’un bonus à la production ou un bonus d’incitation à la performance. Le traitement fiscal indifférencié de ces bonus nous paraît injustifié et constituer une source d’équivoque juridique et donc comptable et fiscale. 2- Le Bonus comme Charges non récupérables : un coût définitif pour la société pétrolière Plus simple est l’exclusion des bonus en charges déductibles par certains pays, par exemple Sao Tome41, l’Algérie42 et le Congo43. En général il s’agit de pays à fortes potentialités géologiques, dont une telle disposition fiscale est insusceptible d’être décourageante pour les investisseurs pétroliers internationaux. 40 Article 10 de la loi n°14/74 du 21 janvier 1975 portant réglementation des activités de recherches et d’exploitation pétrolière sur le territoire de la République gabonaise. 41 La particularité pour Sao Tomé est que le régime juridique et fiscal de l’exploration et exploitation des hydrocarbures est régi par des Conventions Internationales, notamment le Traité du 21 février 2001 entre la République fédérale du Nigeria et la République de Sao Tome et Principe, le « Petroleum regulations » de 2003 et le « Petroleum Tax Regulations » du 04 avril 2003 42 Ordonnance n°0610 du 29 juillet 2006 modifiant et complétant la loi 0507 du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures 43 Article 41 de la loi précitée. Février 2009 17 STEPHANE ESSAGA Dans cette hypothèse, le payement des bonus est une charge définitive et non partagée par l’Etat-hôte, qui l’encaisse totalement en l’imputant exclusivement à l’opérateur pétrolier. Moins évident est l’hypothèse courante où la législation pétrolière ne s’est pas prononcée expressément sur la non déductibilité des bonus, comme au Cameroun. Alors que l’article 95 de la loi n°99/013 du 22 décembre portant Code Pétrolier détermine les charges déductibles, seule est visée à titre de taxe de nature pétrolière « le montant total de la redevance sur la production acquittée à l’Etat en espèces ou en nature »44. Si cela peut être interprété comme une énonciation expresse et limitative, les bonus sont considérés comme non déductibles des résultats d’exploitation. Toutefois, deux arguments contraires pourraient être invoqués par les entreprises pétrolières : - l’article 95 énonce des charges déductibles de façon indicative et non limitative, dans la mesure où il est dit en début d’article que les charges déductibles comprennent « notamment » celles expressément visées ensuite, adverbe traduisant une flexibilité de la part du législateur. - Le dernier alinéa45 généralise en évoquant « toutes autres pertes et charges directement liées aux opérations pétrolières, à l’exception de l’impôt sur les sociétés visé à l’article 93 » du Code Pétrolier, mais ceci « sous réserves de stipulations contractuelles ». Autrement dit, pour peu que l’on puisse rattacher une charge aux opérations pétrolières, comme les bonus, la charge est fiscalement déductible, sauf si le contrat pétrolier en dispose autrement. Le contrat pétrolier est ainsi doté d’une force au moins législative, susceptible d’arrêter des modalités d’établissement de l’impôt sur les sociétés différentes de ce qui a été fixé par la loi pétrolière ellemême. Il s’agit là d’un autre débat, relevant de la sempiternelle et lancinante question de l’ordre juridique interne des Etats en général, qui connaît un accent particulier en matière des contrats pétroliers, sans que la doctrine n’y ait encore donné une réponse articulée. 44 45 Alinéa e Alinéa g Février 2009 18 STEPHANE ESSAGA Aux termes de notre analyse autour du prélèvement fiscal constitué par les bonus en fiscalité pétrolière, il s’avère en première analyse que leur institution dépend de la politique pétrolière des Etats qui les instituent. Suivant qu’ils optent pour une logique d’incitation ou de financement immédiat du budget de l’Etat, les bonus peuvent être nombreux et/ou importants, ou l’inverse. Toutefois, cette dichotomie incitation/financement immédiat n’est pas pure : même étant dans une logique d’incitation, certains Etats adoptent une pluralité de bonus, dont les niveaux sont simplement pondérés et/ ou adoucis par leur régime fiscal (Cameroun, Gabon). Ce dernier est un élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la pression fiscale des bonus, dans la mesure où leur déductibilité ou non pondère la charge financière acquittée par l’entreprise pétrolière. Il conviendrait simplement ensuite d’aménager un dispositif légal clair s’agissant de leur fiscalisation, ce qui n’est pas l’apanage des systèmes pétroliers africains. Enfin, la balkanisation des régimes pétroliers africains trouve en ce sujet une matérialisation éloquente, et suggère un minimum d’harmonisation à défaut d’une unification impossible des régimes pétroliers, et notamment en matière fiscale. [email protected] Février 2009 19 STEPHANE ESSAGA ANNEXE : TABLEAU INDICATIF DES DIFFERENTES CATEGORIES DE BONUS EN AFRIQUE BONUS PAYS SIGNATURE ANGOLA ALGERIE CAMEROUN CONGO COTE D’IVOIRE EGYPTE GABON MAROC MOZAMBIQUE NIGERIA SOMALIE TCHAD X x x x x x x x x x x x DECOUVERTE x x PRODUCTION x x x x x x x x x x x x Février 2009 INCITATION A LA PERFORMANCE TECHNIQUE DE FORMATION SOCIAL X X 20