israël - Consistoire de Paris
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L'affaire Copernic et ses secrets Par Jean Chichizola et Hervé Deguine Anatomie de l'antisémitisme russe Le soutien des Tchèques à Israël Etre juif ou le troisième cercle Le dossier des Rosenberg N°291 - JUIN 2009 - 3€ Imams et rabbins pour déjouer l'impuissance M 01907 - 291 - F: 3,00 E 3:HIKLTA=\UXUUU:?a@m@t@b@a; N°291 - JUIN 2009 AU SOMMAIRE D’ EDITO 5- Etre juif ou le troisième cercle par Josy Eisenberg ISRAËL 7- Tsahal : ses défis, ses enjeux Un entretien avec Samy Cohen 7 11 EUROPE 11- Le soutien des Tchèques à Israël par Luc Rosenzweig 29 ANS APRÈS 13- L'affaire Copernic et ses secrets par Jean Chichizola et Hervé Deguine CHRONIQUE 16 13 16- En avant vers l'arrière par Guy Konopnicki ÉCONOMIE 18- La crise sera ce que nous en ferons par Laurent Philippe 19 POLITIQUE 19- L'optimiste pari d'Alexandre Adler LA VIE DU CONSISTOIRE - 20 ÉDUCATION 23 26- Les ambitieux projets de l'école Tenoudji par Virginie Guedj-Bellaiche JUDAÏSME 27- Assez d'actes, des paroles ! par Elie Botbol HISTOIRE 30- Anatomie de l'antisémitisme russe Un entretien avec Jean-Jacques Marie 33- Le dossier des Rosenberg Un entretien avec André Kaspi BONNES FEUILLES 36 33 35- Imams et rabbins pour déjouer l'impuissance par Khaled Bentounès LIVRES 40 37- par Odette Lang ARTS 39- Marcel Marceau, le vagabond du quotidien par Maurice Arama CINÉMA 40- Le bel hommage d'Almodovar au septième art par Elie Korchia CARNET - 41 VERBATIM - 42 30 INFORMATION JUIVE 17, rue Saint-Georges 75009 Paris Rédaction : 01 48 74 34 17 Administration : 01 48 74 29 87 Fax : 01 48 74 41 97 [email protected] Fondateur : Jacques Lazarus Gérant de la SARL, directeur de la publication : Philippe Meyer Directeur : Victor Malka [email protected] Editorialiste : Josy Eisenberg Chroniqueur : Guy Konopnicki Comité de rédaction : Josy Eisenberg, Michel Gurfinkiel, Victor Malka, Joël Mergui, Philippe Meyer Collaborateurs : Armand Abécassis, Anne-Julie Bémont, Albert Bensoussan, Paul Giniewski, Hélène Hadas-Lebel, Carol Iancu, Gérard Israël, André Kaspi, Naïm Kattan, Elie Korchia, Odette Lang, Annie Lelièvre, Daniel Sibony. 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REPÈRES Le voyage de Benoît XVI vu par le grand rabbin Sirat Dans un entretien qu'il a accordé au journal " La Croix" ( 18 mai 2009), René-Samuél Sirat, ancien grand rabbin de France et comodérateur de la Conférence mondiale des religions pour la paix, a commenté le récent voyage de Benoît XVI au Proche Orient. Le grand rabbin Sirat encourage le dialogue inter-religieux à aller de l'avant " malgré les difficultés ". Il a déclaré notamment : " Il se trouve qu'en 2000, j'avais été le seul rabbin à accueillir le pape devant le Mur occidental à Jérusalem : voir ce vieil homme, souffrant, parcourir les quelques mètres jusqu'au mur et y déposer sa prière a été extrêmement émouvant. Après un moment aussi grandiose, j'avais certaines appréhensions : Benoît XVI allait-il accomplir le même geste ? Il l'a fait, et pour moi, cela restera, avec sa visite au Mémorial de Yad Vashem, l'un des grands moments de ce voyage et Le grand rabbin René-Samuél Sirat même du dialogue judéo-chrétien. Ce que Jean-Paul II n'était donc pas un acte unique, mais avait vocation à être répété. Quant à la condamnation qu'a faite Benoît XVI de l'antisémitisme et du négationnisme, elle a été très nette ; désormais, il n'est plus possible qu'un évêque défende ces thèses" Le Messie est en retard Depuis un certain nombre d'années, le site internet du quotidien Yedioth Aharonot a établi un questionnaire qu'il propose à des personnalités du pays. Dans ce questionnaire, on trouve des questions telles que "quelle est votre plus grande expérience religieuse juive ?" ; "à quelle époque biblique aimeriez-vous revenir ?" ; "quel personnage biblique aimeriez-vous rencontrer ?" ; "quelle est la mitsva qui vous plaît en particulier ?" etc… Récemment, ce questionnaire a été proposé à Sharon Reginiano qui a fait "retour à la tradition". A la question : "que manque-t-il dans le calendrier hébraïque ?", il a répondu : "La seule date qui y manque c'est celle de la venue du Messie" Le consulat de France à Haïfa menacé Le Figaro, dans son édition du 19 mai dernier, annonce que le Quai d'Orsay pourrait fermer pour des raisons économiques le consulat général de France à Haïfa. C'est en tout cas la crainte du maire de la ville Yona yahav. Dans une lettre qu'il a adressée à Edmonde Charles-Roux, il fait part de son inquiétude et demande à la veuve de Gaston Defferre son aide pour empêcher la disparition de ce consulat où sont inscrits près de 15.000 Français. Dans cette lettre Yona Yahav écrit entre autres : " Cette décision porterait inéluctablement atteinte à une des sources privilégiées des relations entre nos deux pays ". Par ailleurs cette décision pourrait entraîner la fermeture du centre culturel Gaston Defferre sur les hauteurs du mont Carmel. Le négationnisme chez les Arabes d'Israël 41% seulement des Arabes vivant en Israël reconnaissent le droit d'exister d'Israël. En 2003, ils étaient 65, 6 % . Par ailleurs 40,5 % d'entre eux nient que la Shoah ait eu lieu. Ces négationnistes n'étaient que 28 % en 2006 : ce sont là les chiffres rendus publics par le professeur Sami Samoha qui, depuis des années, fait des études sur les relations entre Juifs et Arabes en Israël. Ces études sont menées dans le cadre de l'université de Haïfa. Le sondage qui a été effectué cette année a touché 700 personnes (hommes et femmes) au sein de la population arabe, druzes et bédouins y compris. Selon le professeur Samoha, le négationnisme dans ces milieux arabes déborde les clivages générationnel et éducatif : ainsi 37 % de ces négationnistes ont fait des études supérieures. Il faut rappeler qu'en 2003, la même enquête avait établi que 81 %des Arabes reconnaissaient à Israël le droit d'exister. Autre donné de l'enquête : 47,3 % des Arabes interrogés ne souhaitent pas vivre aux côtés d'un voisin juif ( ils n'étaient que 27,2 % en 2003 ) Commentant ces chiffres, le professeur Sami Samoha a déclaré que les raisons de cette aggravation tiennent à la deuxième guerre du Liban et au gel actuel des négociations de paix. 4 INFORMATION JUIVE Juin 2009 EDITO Etre juif ou le troisième cercle A u cours de la prière du Chabbat, nous prononçons une phrase emblématique. “Tu es Unique, ton nom est unique, et qui, sur la terre, est unique comme ton peuple, Israël”. Cette formule, en établissant un emphatique parallélisme entre Dieu et Israël, confère au peuple juif bien plus qu’une place : une aura exceptionnelle. Elle l’adoube expressément comme le vicaire de Dieu, voire son miroir… Que l’histoire trimillénaire d’Israël soit singulière, que sa survie en dépit de quasi-permanentes tentatives d’annihilation soit unique, c’est une évidence que reconnaissent tous les hommes de bonne foi : une sorte de prime à l’ancienneté, un quartier de PAR JOSY EISENBERG la vit au quotidien – la singularité juive prend une tout autre dimension. Je vais donc être amené à parler de ma propre expérience. Il ne s’agit pas là de subjectivité, mais d’une évidence : ce que je vis, c’est ce que des générations de Juifs ont vécu et vivent encore. Le prisme juif L orsqu’un Juif est élevé dans la tradition, ou lorsqu’il y retourne, il hérite d’un prodigieux patrimoine littéraire et religieux : la Bible, le Talmud, Maïmonide, la Cabbale, le hassidisme et les milliers de commentaires qui ont prolongé ces œuvres maîtresses. La terminologie, d’une part ; les valeurs, de l’autre : la condensation de ces deux dimensions crée un phénomène Face à n'importe quelle situation, je sais ce qu'en disaient rabbi Akiba et Schopenhauer. Je peux les associer ou les dissocier, voire même choisir ce que je pense être la vérité : je ne suis pas esclave de la pensée unique. noblesse dont se réclament légitimement tous les Juifs attachés à leurs racines. Il s’agit là de la face historique, sociologique et psychologique de l’identité juive. Historien moi-même, je ne saurais en sous-estimer l’importance. Cependant, si l’on passe du général – la vision historique et collective du destin juif – au particulier – comment un juif croyant mental et existentiel des plus singuliers. Une forme de génétique mémorielle, imagée et verbale qui enveloppe le croyant d’une sorte de tunique de Nessus. Tout comme je vis grâce à la circulation sanguine, je suis traversé par un autre flux, non moins important : la culture juive et le regard qu’elle secrète. J’appellerai cela le troisième cercle. Dans l’acquisition de la connaissance et du savoir, tout homme est traversé par deux cercles, conformément à la dialectique classique de la nature et de la culture. Le premier cercle, c’est ce qu’il découvre par soi-même, à travers ses sens et ses impressions. Le second, c’est ce que l’éducation et le milieu où il vit lui enseignent et lui transmettent. Cela est commun aux Juifs et aux autres. Ce qui singularise le Juif croyant, c’est la superstructure de sa mémoire particulière. Elle l’amène, ou le contraint, à regarder le monde à travers le prisme de son patrimoine. En fait, il s’agit d’une sorte de délire plutôt sympathique, et dont les personnages de Cholem Aleikhem, notamment Tevié le laitier, sont tout à fait représentatifs. Dans l’univers mental qui était le leur et que je partage, la vie n’était rien d’autre que la projection quotidienne des grands textes et des idées reçues. L’histoire biblique était sans cesse vécue et revécue au quotidien. Un antisémite, c’était Hamane ou Pharaon ; un homme humble, le clone de Moïse. Pour dire “passe-moi le beurre”, on utilisait une formule talmudique. Et, dans toutes les situations, les références à la Torah étaient au premier plan. Pour illustrer mon propos, une anecdote personnelle. Il est écrit dans la Torah, à propos du divorce et du remariage : “cette femme sortira (de son premier foyer) et sera à un autre homme”. Mon père allait tous les vendredis aux bains municipaux. En sortant, il avait l’habitude de dire, en INFORMATION JUIVE Juin 2009 5 EDITO modifiant légèrement le verset, et en le citant : “Quand je sors, je suis un autre homme “ Un peuple de ruminants A utrement dit, quelle que soit la situation, elle est vécue à travers ce troisième cercle qui se superpose à toute réalité. C’est pourquoi j’ai parlé de délire. Ne fautil pas être un peuple un peu fou pour toute pensée, est-elle rien d’autre qu’une rumination sans fin ? Les rabbins y ont d’ailleurs vu une expression de maturité et d’intelligence. Savoir revenir sur les choses, les réingérer et surtout parvenir à les digérer. C’est bien pourquoi les ruminants sont cachers… Ces diverses projections ne sont cependant ni totalement obsessionnelles ni monolithiques. Elles C'est, pour moi, la vraie vocation juive : vivre avec ses sources, qui sont sources de vie. vivre et sentir à travers des textes ou des images vieux de trois mille ans? Sommes-nous autre chose que des obsédés textuels ? Quand je me regarde dans un miroir, il me renvoie l’image d’une vache sacrée : je rumine la Torah. L’histoire de la pensée religieuse, et d’ailleurs de 6 INFORMATION JUIVE Juin 2009 laissent place au second cercle : la culture occidentale. Mais ce délire est éminemment constructif. Premièrement, il confère au quotidien une extraordinaire dimension poético-religieuse : c’est comme si tout notre passé se confondait, en l’éclairant, avec notre présent. C’est d’ailleurs le sens profond de la vie juive : réactualiser le passé sans passéisme. C’est, pour moi, la vraie vocation juive : vivre avec ses sources, qui sont sources de vie. En second lieu, le plus grand privilège de celui qui a le bonheur de vivre dans le troisième cercle, c’est qu’il dispose, en le combinant avec le second, d’un double regard. Face à n’importe quelle situation, je sais ce qu’en disaient rabbi Akiba et Schopenhauer. Je peux les associer ou les dissocier, voire même choisir ce que je pense être la vérité : je ne suis pas esclave de la pensée unique. C’est la suprême liberté, et j’ai toujours une pensée compatissante pour ceux qui, se contentant de vivre dans le second cercle, ne savent pas ce qu’ils perdent. ISRAËL UN ENTRETIEN AVEC SAMY COHEN Tsahal : ses défis, ses enjeux Directeur de recherche à Sciences Po, Samy Cohen est spécialiste des questions de politique étrangère et de défense. Il publie aux éditions du Seuil une des enquêtes les plus sérieuses qui aient été faites sur l'armée d'Israël, sur ses choix, sur ses stratégies, sur ses réussites et ses échecs. ( Tsahal à l'épreuve du terrorisme. 21 euros ) Il répond ici aux questions de la rédaction d'Information juive. OOO I.J : Votre ouvrage est consacré aux " petites guerres " de Tsahal. Qu'appelez-vous ainsi ? Samy Cohen : Les "petites guerres" d'Israël sont celles qu'elle a menées contre le terrorisme et les guérillas qui se sont attaqués à Israël depuis sa création par opposition aux guerres conventionnelles qu'elle a menées contre des armées régulières. Ce sont des guerres de type "asymétrique". L'asymétrie est la réponse du "faible" au "puissant". Le guerrier asymétrique utilise des moyens qui tendront à contourner la puissance militaire classique : attaques surprises de civils, meurtres de masse, terrorisme, etc. L'ennemi apparaît par petits groupes pour Troisième caractéristique : l'inégalité face au droit international. Le droit international est une contrainte pour le "fort", le "faible" se permet tous les actes interdits pas le droit international. I.J : Vous considérez qu'il n'y a pas de réponse toute faite à la question de savoir ce que peut faire une démocratie qui s'interdit la terreur massive. Mais quels sont les principes élémentaires ? S.C. : Il n'existe pas de recette magique. Mais l'expérience accumulée par des années de lutte contre- insurrectionelles par plusieurs pays, la Grande-Bretagne dans ses colonies, la France en Indochine puis en Algérie, les Etats-Unis, au Viêt- Lorsque l'opération “Paix en Galilée” a débuté en 1982, Tsahal avait le soutien des Chiites. Elle l'a perdu en très peu de temps faute d'une politique appropriée en faveur de cette population. des attaques ponctuelles pour déstabiliser le fort, lui faire payer un prix déraisonnable au regard des enjeux pour lesquels il se bat. Le terrorisme pratiqué par Al-Qaida ou par le Hamas et le Jihad Islamique en est une des formes les plus classiques. Deuxièmement : c'est une "guerre au sein de la population". Les groupes armés opèrent généralement depuis des zones peuplées de civils. Ils utilisent des femmes et des adolescents, rendant ainsi toute la population suspecte. Cette stratégie vise à provoquer des tirs contre les civils, permettant ainsi d'accuser les démocraties de manquer d'humanité et susciter sympathie et soutien international. Nam puis en Irak et en Afghanistan, montre l'importance de l'enjeu de la population civile. C'est le talon d'Achille des guérillas. Sans elle, elles sont battues. L'objectif prioritaire doit être obtenir l'aide de la population, la détacher des groupes armés, "assécher les marais", priver le "poisson de son eau". Mais comment s'y prendre ? Une manière de faire, en cas de résistance de sa part, est de lui imposer cette coopération par la force, voire par la terreur. C'est la voie qu'empruntent généralement les dictatures, celle de la brutalité à outrance. En Tchétchénie, les forces russes ont bombardé des villages au Samy Cohen canon. La répression féroce dans la ville de Hama en Syrie, en 1982, et l'écrasement des insurrections en Irak en 1991, soulignent la facilité pour des régimes autoritaires de venir à bout d'un mouvement insurrectionnel. Que peut donc faire une démocratie qui s'interdit la stratégie de la terreur? Choisir la stratégie que les Britanniques ont baptisée de "violence minimale". Elle est à la source de deux principes d'action. Le premier est de considérer avec bienveillance la population civile locale, celle que les terroristes utilisent comme bouclier et comme réservoir à combattants. L'autre principe est de faire un usage aussi limité que possible de la force. " Dans une guerre conventionnelle, notait David Galula, ce lieutenant-colonel français qui devint un des inspirateurs de la stratégie de contre-insurrection américaine, un soldat qui pris à partie, ne riposterait pas avec la puissance de feu maximale, manquerait à son devoir. Dans une guerre révolutionnaire, la situation est inverse : la règle est d'en faire un usage aussi limité que possible ". Le renseignement, l'occupation de l'espace par des forces d'infanterie, les contrôles inopinés sont plus gênants pour l'adversaire que la recherche de la défaite par l'écrasement, difficile en raison des capacités de la guérilla à se renouveler, à recruter de nouveaux volontaires. Les mesures défensives sont souvent plus efficaces que les mesures offensives. Ce type de guerre implique également une attention très grande au problème des " dommages collatéraux ", qui peuvent nuire de manière décisive aux armées en guerre contre le terrorisme. INFORMATION JUIVE Juin 2009 7 ISRAËL Mais ce type de lutte ne peut se limiter à l'engagement de moyens militaires et policiers ; il doit proposer aux populations un horizon politique, définir les conditions qui ramèneront la paix. Et c'est là le rôle des dirigeants politiques. Cette stratégie combinant lutte armée et offres d'avancées politiques, gérant de manière micro-dosée violence et retenue, est plus adaptée à la guerre asymétrique. Les Britanniques l'ont emporté de cette manière en Malaisie. I.J : Comment la démocratie israélienne faitelle face à ce conflit de " type asymétrique " : celui du terrorisme ? S.C. : Tsahal n'a pas choisi la stratégie de la terreur. À rebours des accusations qui ont été maintes fois portées contre elle, Tsahal n'a pas commis de "massacre". Le nombre élevé de pertes civiles palestiniennes n'est pas en soi révélateur de l'existence de " massacres ". Les forces de sécurité ont pu faire diminuer les attentats terroristes sans recours aux méthodes de l'armée française à Alger ou de l'armée russe en Tchétchénie. Nombre de civils palestiniens, sans qu'on puisse le chiffrer précisément, ont été tués dans des conditions difficilement justifiables. Mais Tsahal a résisté à la " barbarie ", aux méthodes de terrorisme aveugle des groupes armés. Dans certaines opérations à très haut risque comme l'opération " Rempart ", en avril 2002, elle a géré le combat avec un minimum de précaution vis-à-vis de la population civile palestinienne. Mais elle n'a pas non plus fait le choix de la stratégie de la " force minimale ". Elle a commis plusieurs erreurs. La plus importante concerne le choix de sa stratégie. On voit émerger, à partir de l'observation des modes opératoires mis en place, une doctrine qu'on pourrait qualifier de la " riposte disproportionnée ". Cette doctrine, peu élaborée, voire même assez simpliste, a été celle de l'armée depuis la création de l'Etat et n'a pas subi de changements importants depuis. Non seulement elle n'a jamais rempli la fonction dissuasive qui était la sienne, mais elle s'est révélée contre-productive et a entraîné le pays tout entier dans une situation à chaque fois un peu plus inextricable. Tsahal n'a jamais construit une stratégie digne de ce nom pour ce type de conflit. Au début de 2003, le lieutenant-général Aviv Kohavi, commandant des troupes parachutistes au début de la seconde Intifada, affirmait que lorsque celle-ci avait éclaté, l'armée n'avait " ni de doctrine, ni de techniques adéquates pour le combat 8 INFORMATION JUIVE Juin 2009 de faible intensité en zones urbaines peuplées ". C'est un problème récurrent. Elle n'a jamais considéré la population civile, qu'elle soit palestinienne ou libanaise, comme un enjeu stratégique. Lorsque l'opération " Paix en Galilée " a débuté en 1982, Tsahal avait le soutien des Chiites. Elle l'a perdu en très peu de temps faute d'une politique appropriée en faveur de cette population. I.J : Pour vous, la croyance d'un certain nombre de dirigeants civils et militaires israéliens qu'il suffirait de frapper " un bon coup pour faire entendre raison aux Arabes " est une vision simpliste qui ne marche plus. S.C. : La "riposte disproportionnée" signifiait également faire pression sur la population civile qui abrite volontairement ou non les hommes armés. Cette foi dans les vertus de la politique du "levier" apparaît prati-quement dès la création de l'État, avec le commencement des incursions de Palestiniens, les "infiltrés". Dès le début des années 50, le général Dayan affirmait: "La seule méthode qui est efficace, peut-être pas légitime ou morale, simplement efficace, lorsque les Arabes posent des mines de notre côté [c'est la rétorsion]. Si nous cherchons à attraper [...] l'Arabe [qui a placé des mines], le résultat est nul ; par contre, si nous tourmentons le village voisin […] alors ses habitants prennent position contre les [infiltrés].[…] Jusqu'à présent, le principe de la punition collective s'est révélé efficace. " Cet état d'esprit ressurgit de manière encore plus manifeste à la faveur de la guerre du Liban, en 1982, au cours de la première Intifada et enfin lors de l'Intifada d'Al-Aqsa. Le résultat obtenu a presque toujours été le même : au lieu de désamorcer la violence, la réaction militaire israélienne l'a accrue souvent même au détriment de la population israélienne. I.J : Pourquoi dites-vous de la politique des " assassinats ciblés " qu'elle est une arme à double tranchant ? S.C. : Les assassinats ciblés ont été parfois présentés comme la panacée au terrorisme. Or ils peuvent se révéler tour à tour efficaces ou au contraire contreproductifs. Si la liquidation des membres de Septembre noir contribua à l'arrêt des actes de terreur contre les civils israéliens vivant à l'étranger, l'assassinat du cheikh libanais Abbas Moussawi fut suivi d'une vive réplique contre l'ambassade d'Israël et la communauté juive de Buenos Aires. En 1996, l'attentat ciblé contre Yahya Ayache fut suivi par quatre attaques simultanées contre des bus israéliens, au cours desquelles 48 civils israéliens perdirent la vie. L'" effet boomerang " est également présent dans la seconde Intifada. Au lieu d'agir comme des opérations préventives, les assassinats ciblés ont eu, entre 2001 et 2003, un effet accélérateur de la violence aveugle des groupes radicaux palestiniens. Ce mode opératoire est efficace si l'ennemi ne dispose pas de capacités de rétorsion. Ce qui a permis de faire baisser le nombre des attentats-suicide c'est indiscutablement le dispositif très efficace des arrestations ciblées mis en place par le Shabak et l'armée, qui étouffe les groupes terroristes, ne leur laisse pas ISRAËL d'espace de manœuvre, de liberté de circulation et de communication. Cette politique préventive est complétée par les check-points qui compliquent sérieu- s'y comportaient comme des " représentants " de l'armée et renforçaient la " militarisation " de la société israélienne. Or l'expérience montre que, une fois au Le public israélien a résisté au choc des attentatssuicides. Il n'a pas plié et a serré les rangs autour de son Premier ministre. sement leur mobilité. Le mur de protection est à prendre également en considération. pouvoir, ils se conduisent comme des dirigeants politiques à part entière. I.J : Il y a un fait que vous observez : les organisations terroristes ne sont pas parvenues à déstabiliser la démocratie israélienne. Comment l'expliquez-vous ? S.C. : Effectivement, beaucoup de ceux qui se sont lancés dans le terrorisme, notamment en 2001, tablaient sur la lassitude de la société israélienne à l'égard de la guerre. Mais leur calcul s'est révélé erroné. Le public israélien a résisté au choc des attentats-suicides. Il n'a pas plié et a serré les rangs autour de son Premier ministre. Les attentats-suicides ont surtout eu comme effet de durcir l'opinion publique. Ils l'ont " droitisée ". Mais cette droitisation n'a toutefois pas entraîné un effondrement complet des réflexes protestataires. Une action militante en faveur de la paix et des droits de l'homme est progressivement réapparue. De nouveaux mouvements de soldats émergent. En dépit des attentats, la moitié des Israéliens est restée favorable à la poursuite de négociations avec les Palestiniens. Même affaiblie par le climat créé par les attaques terroristes, la Haute Cour de justice n'est pas restée inerte. I.J : Pour les besoins de ce livre, vous avez rencontré des acteurs civils et militaires en Israël. Votre conclusion est d'abord qu'il n'y a pas de solution miracle au terrorisme. S.C. : Non en effet. I.J : Considérez-vous que Tsahal a pris une influence excessive dans la vie politique israélienne ? S.C. : C'est l'avis de beaucoup de gens. Cette vision mérite d'être nuancée. Les généraux israéliens exercent, certes, un poids politique qui n'existe dans aucune autre démocratie. Ils jouent un rôle prépondérant dans le débat public, contrairement à ce qui se passe en France, par exemple. Mais Tsahal n'est pas une caste fermée et il est rare que l'armée désobéisse au pouvoir politique. Aucun des grands chefs de l'armée israélienne n'a, à notre connaissance, refusé le principe de subordination du militaire au politique. Bon nombre de Premiers ministres israéliens étaient eux-mêmes des militaires prestigieux, à l'instar de Ytshak Rabin, Ehud Barak et Ariel Sharon. On en a souvent conclu que les militaires de haut rang reconvertis dans la chose publique 10 INFORMATION JUIVE Juin 2009 I.J : Seconde conclusion : Ce qui frappe, ditesvous, c'est l'absence chez les dirigeants politiques israéliens d'une vision à long terme concernant notamment la solution du conflit israélo-palestinien. S.C. : Une des conclusions principales de mon livre touche à l'extraordinaire persistance des modes opératoires de l'armée et de sa stratégie depuis la création de l'Etat. Pourquoi cette persistance ? La première raison est que la guerre asymétrique n'a jamais fait partie des priorités de Tsahal. Celle-ci a toujours privilégié ce qui pourrait être une menace " existentielle " pour Israël. Une seconde raison tient à la conviction que toute autre stratégie risquerait de laisser une impression de faiblesse et d'encourager les terroristes à poursuivre dans la voie de la violence. Enfin, et c'est là que j'en viens à votre question, l'attachement à cette stratégie tient à l'absence chez les dirigeants politiques israéliens de vision à long terme concernant la solution du conflit israélo-palestinien, les contours du futur État palestinien, l'avenir des colonies de Cisjordanie, les frontières définitives, ou encore le statut de Jérusalem. À l'exception notable des accords d'Oslo, rapidement mis à mal. En l'absence de directives politiques claires, l'armée s'est souvent contentée de réactions au coup par coup. Elle ne peut assurément pas être tenue pour seule responsable de cette stratégie de la riposte disproportionnée. I.J : Vous avez vraiment l'impression que votre livre est celui d'un chercheur et non celui d'un militant qui défend une cause ? S.C. : Le militant connaît la réponse d'avance à la question qu'il pose. Il ne se soucie pas d'avoir une vision d'ensemble et de replacer son analyse dans un cadre plus général. J'ai passé quatre ans sur ce livre et interrogé en Israël des acteurs de tendance les plus diverses. Je ne savais pas d'avance ce que j'allais trouver. C'est en avançant que j'ai découvert l'intérêt pour la dimension historique et cette continuité stratégique. Mais c'est au lecteur de décider si le pari est réussi. --------1Selon la définition que donne Jacques Sémelin dans son livre Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides (Le Seuil, 2005, p. 384 et 387): " Une forme d'action, le plus souvent collective, de destruction des noncombattants, hommes, femmes, enfants ou soldats désarmés. (…) Un processus organisé de destruction des civils, visant à la fois les personnes et leurs biens ". EUROPE Le soutien des Tchèques à Israël : Et s'il n'en reste qu'un, ce sera Prague L a présidence tchèque de l’UE a été chveikienne, donc géniale!Il est de bon ton à Bruxelles, ces derniers temps, de cogner à bras raccourcis sur cette pauvre République tchèque. Les eurocrates et leurs tâcherons de la presse accréditée auprès de l’Union européenne pratiquent le czech bashing avec d’autant plus de vigueur que les moyens de rétorsion de ce petit pays d’Europe centrale sont limités. Arrivés aux commandes de l’UE par gros temps: crise économique mondiale, transition présidentielle aux Etats-Unis, opération “plomb durci” à Gaza, et autres soucis iraniens, afghans ou srilankais, les Tchèques ne se seraient pas montrés à la hauteur, serinent en “on” et en “ off” les cadors de la Commission et les chancelleries de quelques pays très en colère, dont la France. Non seulement ils ont un président, Vaclav Klaus, furieusement europhobe, mais ils se sont débrouillés pour ouvrir une crise gouvernementale en plein milieu de leur mandat présidentiel. Et ce n’est pas tout: au lieu de se comporter convenablement, à l’image des Slovènes (1) qui ne bougeaient pas une oreille sans demander la permission de Paris, ils ont eu le toupet de profiter de leur présidence pour faire valoir leurs positions sur quelques questions importantes. De tous les pays européens, par exemple, les Tchèques sont jusque dans les tréfonds de leur peuple, les plus philosémites. A la différence des Baltes qui élèvent aujourd’hui des monuments à leurs anciens dirigeants collaborateurs des massacreurs nazis, les Tchèques n’ont jamais prêté la main à la solution finale. Ils se sont même payés Reinhard Heydrich, un de ses principaux concepteurs, exécuté à Prague par un commando de résistants en 1941. Aujourd’hui, ils ont vis-à-vis d’Israël une attitude beaucoup moins hostile que la plupart des chancelleries européennes, et osent appeler un chat un chat, et l’opération de Gaza une opération “défensive”, ce qu’elle était incontestablement lors de son déclenchement. La question de la “ proportionnalité” de la riposte peut, certes, faire débat, mais c’est une tout autre affaire qui n’invalide pas les raisons qui l’ont provoquée, à savoir les bombardements incessants du Hamas sur Sderot et sa région. A Bruxelles, notamment dans les bureaux de la commissaire aux affaires étrangères, l’autrichienne Bénita PAR LUC ROSENZWEIG viscéralement hostiles à l’Etat juif, comme l’Espagne de Zapatero, la Grèce, Chypre, et les pays nordiques, s’opposent l’Allemagne - pour d’évidentes raisons historiques - , les Pays-Bas, et surtout la République tchèque, dont le philo-sionisme affirmé et revendiqué fait contrepoids à d’autres nations systématiquement proarabes . La France, La Grande-Bretagne et l’Italie ont sur la question une position “centriste” qui varie faiblement - dans un sens ou dans un autre en fonction des inclinations de leurs dirigeants. La France est ainsi légèrement plus favorable à Israël sous Sarkozy que sous Chirac et l’Italie plus pro-arabe avec la gauche qu’avec la droite berlusconienne. La GrandeBretagne, dans tous les cas de figure, A la différence des Baltes qui élèvent aujourd'hui des monuments à leurs anciens dirigeants collaborateurs des massacreurs nazis, les Tchèques n'ont jamais prêté la main à la solution finale. Ferrero-Waldner, c’en était déjà trop, et l’on somma Prague de nuancer son propos. Le prince Schwarzenberg, ministre tchèque des affaires étrangères, s’exécuta avec une mauvaise grâce et une élégance toute aristocratique, révélant ainsi les partis- pris antiisraéliens qui animent quelques pays de l’UE, et qui sont flagrants dans la bureaucratie bruxelloise en charge de l’international. Les savants compromis Tout le monde le sait: il n’y a pas d’unanimité possible en Europe sur le conflit israélo-arabe. Aux pays demeure fourbe et hypocrite. On ne s’étonnera donc pas que les positions élaborées au sein de l’UE à ce sujet soient le résultat de savants compromis, que chacun peut interpréter à sa guise devant son opinion publique nationale. Dans ce contexte, la personnalité du commissaire en charge de cette politique étrangère,, qui n’a de commune que le nom, peut jouer un rôle: l’ambiguïté des résolutions adoptées par les 27 l’autorise à les tirer dans un sens ou dans un autre. Mme Ferrero-Waldner, donc, est autrichienne, et pas de l’espèce qui reconnaît que ce pays a quelques responsabilités dans les INFORMATION JUIVE Juin 2009 11 EUROPE crimes nazis. C’est une “ waldheimienne” de choc, dont la carrière diplomatique doit tout à cet ancien nazi devenu Secrétaire général de l’ONU en dissimulant son passé. C’est Waldheim, devenu président de la République d’Autriche en 1986 qui recommanda la jeune diplomate Benita Waldner (2) à son ami et successeur Boutros Boutros-Ghali. Celui-ci en fit son chef du protocole à l’ONU, où elle se familiarisa et sympathisa avec toutes les délégations arabes, bien plus importantes pour sa carrière que les quelques démocraties occidentales et Israël qui sont en minorité dans la machine onusienne... Elle avait pour grand ami feu Jörg Haider, dont elle prit ardemment la défense lorsque l’Autriche fut mise à l’écart dans l’UE, à la fin des années 90 en raison de l’arrivée au pouvoir, à Vienne, d’une coalition incluant les populistes xénophobes de Haider. Non, on ne peut raisonnablement pas dire que Bénita Ferrero-Waldner soit antisémite, car rien dans son expression publique ne le prouve. Mais il est indéniable qu’elle a, envers Israël, une hostilité instinctive qui va bien au-delà de ce qu’il est admissible pour quelqu’un chargé d’incarner l’Union européenne sur la scène internationale. Une présidence baroque Là encore, la République tchèque, en la personne de son premier ministre démissionnaire Mirek Topolanek ne s’est pas laissée impressionner. Interrogé par le quotidien Haaretz sur les déclarations de Mme FerreroWaldner, qui conditionnait le rehaussement des liens entre l’UE et Israël à la reconnaissance, par le gouvernement de Netanyahou, de la solution à deux Etats pour résoudre le 12 INFORMATION JUIVE Juin 2009 conflit avec les Palestiniens, Topolanek répondit que les déclarations de la commissaire étaient “ hâtives” et ne valaient“ que ce que valent les assuré par Kouchner sur toutes les radios et toutes les télés, assurant que Durban 2 avait été une grande victoire des démocraties en faisant adopter un Vaclav Klaus, le Président tchèque déclarations d’un commissaire”, sousentendu pas grand chose. Bien envoyé, Topo! On ne saurait mieux résumer le fonctionnement réel de la machine européenne et l’impudence de ces eurocrates qui veulent jouer aux grands de ce monde! Dans le style, “ Je vous démontre par l’absurde le ridicule boursouflé d’une situation”, cher au brave soldat Chveik, l’immortel héros praguois de Jaroslav Hasek, le comportement de la présidence tchèque lors de la mascarade de Durban II fut également exemplaire. On se souvient de la sortie théâtrale des délégations européennes, ambassadeur de France en tête, au milieu du discours de Mahmoud Ahmadinejad devant les Nations-Unies à Genève. Enfumage! Quelques heures plus tard, ces mêmes excellences, à l’exception de la délégation tchèque, revenaient dans la conférence pour écouter sans moufter les litanies de potentats orientaux venus donner des leçons de droits de l’homme à la planète entière. En dépit du service après-vente texte de compromis (j’échange les homosexuels contre la diffamation des religions), cette conférence fut une reculade en rase campagne devant l’arrogance des “humanistes”islamiques radicaux qui pilotent le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Mais pour Kouchner et ses amis, la présidence tchèque a “failli” en se désolidarisant des néo-munichois. Cette présidence baroque fut donc une bénédiction: jamais on n’avait pu voir cette prétendue Union européenne fonctionner avec autant de transparence. Merci les Tchèques! L.R 1. La Slovénie fut le premier pays de la “ nouvelle Europe” à assurer la présidence de l’UE, le semestre précédent la présidence française 2. Elle ajouta Ferrero à son nom après son mariage, non pas avec le fournisseur de chocolat de toutes les ambassades, mais avec Francisco Ferrero, un universitaire espagnol. 29 ANS APRÈS L'affaire Copernic et ses secrets UN ENTRETIEN AVEC JEAN CHICHIZOLA ET HERVÉ DEGUINE Le 3 octobre 1980, une bombe explose devant la synagogue de la rue Copernic, faisant quatre morts et quarantesix blessés. Vingt-huit ans après, en novembre 2008, la gendarmerie royale canadienne arrête un enseignant de l'université d'Ottawa visé par un mandat d'arrêt international. L'homme, d'origine libanaise, est soupçonné d'être le poseur de bombe. Deux journalistes- enquêteurs Jean Chichizola et Hervé Deguine ont voulu raconter les diverses étapes de cet événement qui a marqué les mémoires . Leur livre " L'affaire Copernic. Les secrets d'un attentat antisémite " paraît aux éditions Mille et une nuits. Entretien avec les deux auteurs. OOO I.J : A vous lire, on se rend compte que dans l'affaire Copernic, il n'y a que des questions. Dans quel sens dites-vous qu'il s'agit là d'un chapitre de la mémoire collective française ? Jean Chichizola et Hervé Deguine : Pour deux raisons. Premièrement, l'affaire Copernic ouvre un nouveau chapitre de l'histoire contemporaine française : celui du terrorisme aveugle lié au Proche-Orient. Jusque-là, la France avait été relativement épargnée. L'attaque de la rue Copernic n'est hélas que la première d'une longue série d'agressions aveugles liées au ProcheOrient : attentat de la rue des Rosiers en 1982 ; attentat de la rue Marbeuf en 1983 ; bombe rue de Rennes en 1986... Deuxièmement, événement peut-être plus important encore, tout à coup, quarante ans après la guerre, cet attentat plonge de nouveau la communauté juive dans le doute. Un Juif français est-il aussi français que les autres ou bien doit-il se résigner à n'être que l'objet des antisémites ou des antisionistes ? Le groupe terroriste qui a commis l'attentat, le FPLP-CS (Front populaire de libération de la Palestine - Commandement spécial) visait à l'origine une cible israélienne à Paris. Mais l'ambassade d'Israël, le bureau de la compagnie aérienne israélienne El Al, la représentation commerciale d'Israël à Paris étaient trop bien protégés. Les terroristes se sont donc rabattus sur une cible de second choix, la synagogue de la rue Copernic, fréquentée par des Français juifs ou par des Juifs français, soudain devenus coupables des crimes supposés d'Israël. Cette affaire, qui vise des citoyens français, concerne tout citoyen français. D'ailleurs, la classe politique ne s'y est pas trompée : avec un consensus remarquable, la droite et la gauche ont défilé unies pour dénoncer cette attaque. Nous ne sommes pas certains que la même chose se produirait aujourd'hui. I.J : Pourquoi dites-vous que cette affaire ne se résume pas à un événement historique mais qu'elle est aussi un véritable roman policier ? J.C. et H.D. : Un roman policier, mais malheureusement un roman vrai. Les quatre personnes qui ont été tuées en Jean Chichizola et Hervé Deguine 1980 sont encore mortes aujourd'hui. Elles continuent de manquer à leurs proches. Ceux qui ont été blessés physiquement ; ceux qui, plus nombreux encore, ont été psychologiquement traumatisés, continuent de souffrir de leurs blessures jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas une formule de style : c'est ce que nous disent les personnes que nous avons rencontrées. Nous avons accordé une place centrale aux victimes de l'attentat, car elles sont les grandes oubliées de l'enquête. Leur souffrance doit être entendue. Elle doit peser lorsque la justice demandera des comptes à l'auteur présumé de l'attentat. Quant à l'enquête, en effet, elle relève du roman policier. La réalité que nous avons découverte est encore plus romanesque qu'une fiction Ne citons que quelques exemples. Nous sommes le 22 septembre 1980, une semaine avant l'attentat. Hassan Diab vient d'arriver à Paris et s'installe dans un hôtel luxueux de l'avenue Balzac, dans le VIIIe arrondissement. Il s'apprête à tuer des Juifs. On pourrait s'imaginer que, durant ces journées cruciales, il réfléchit à la portée de l'acte qu'il va commettre. Mais non. Pas du tout. Savez-vous ce qu'il fait le soir de son arrivée à Paris ? Il fait monter "Suzanne" dans sa chambre, une prostituée du quartier. Soit dit en passant, la jeune femme donnera ensuite à la police un témoignage précieux. Quelques jours plus tard, le voici affairé à préparer la bombe. Il lui manque un outil. Il sort et se rend dans un magasin pour acheter une INFORMATION JUIVE Juin 2009 13 29 ANS APRÈS fanatisés, des faussaires et des complices, et le tour est joué. Dans le cas de l'affaire Copernic, songez que si Marc Trévidic, le jeune juge antiterroriste qui a succédé en 2007 à Jean-Louis Bruguière, ne s'était pas saisi du dossier, s'il n'avait pas mis toute son énergie à relancer cette affaire, Monsieur Diab, auteur présumé de l'attentat, continuerait d'enseigner tranquillement la sociologie aux jolies étudiantes de l'Université d'Ottawa. pince coupante. Une toute petite pince à cinq euros. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, au lieu de l'acheter, il la vole ! Et il se fait prendre. Le surveillant du magasin appelle la police. Voici maintenant "Alexandrer Panadriyu" (c'est l'une des fausses identités qu'utilise le terroriste) entre les murs du commissariat de police du XIVe arrondissement. Un policier inspecte le passeport de "Panadriyu", mais ne se rend pas compte qu'il s'agit d'un faux. Il ne peut pas non plus savoir que la carte verte qu'il a entre les mains est celle de la moto qui sera placée avec la bombe dans quelques jours rue Copernic. Finalement, le voleur règle le prix de la pince et la direction du magasin ne porte pas plainte : "Alexandre Panadriyu" est relâché... Autre aspect passionnant de cette enquête : juste après l'attentat, l'opinion publique, la classe politique et la presse pointent du doigt l'extrêmedroite. C'est une hypothèse plausible. Dans la France du début des années 80, celle-ci est en pleine renaissance. Elle n'a pas coupé ses racines antisémites. C'est l'époque où Darquier de Pellepoix, l'ancien Haut commissaire aux questions juives, qui vit caché en Espagne depuis 1944, déclare à un journaliste de l'Express qu'à Auschwitz, on n'a gazé que des poux. C'est à ce moment que Robert Faurisson publie son fameux article négationniste dans Le Monde. La police procède à des interpellations. Mais cette hypothèse se révèle rapidement erronée. Très vite, les enquêteurs de la brigade criminelle ont la conviction que l'attentat est lié à la cause palestinienne. S'ensuivent trente années de traque internationale, de Beyrouth à Aden, de Berlin-Est à Oslo, en passant par Amman, New York et Londres... I.J : Il y a eu la phrase de Raymond Barre sur les " Français innocents ". Pourquoi au lieu d'évoquer à différentes reprises ce qu'il appelait " le lobby juif ", l'ancien Premier ministre n'a-t-il pas simplement reconnu 14 INFORMATION JUIVE Juin 2009 Après l’attentat de la rue Copernic qu'il s'agissait de sa part d'une formule maladroite ? J.C. et H.D. : Lui seul aurait pu répondre à cette question. Une chose est sûre : l'effet de ses propos fut à l'époque désastreux alors que l'unité nationale était plus que jamais nécessaire. I.J : Pourquoi dites-vous que l'enquête sur cet attentat restera à jamais un exemple pour les terroristes et pour les policiers chargés de les traquer ? J.C. et H.D. : Pour des raisons inverses. Pour les terroristes - la suite l'a montré -, la preuve est faite qu'il n'est pas si difficile de commettre un attentat. Un peu d'argent, quelques militants D'autres continuent de vivre dans l'impunité, cette prime au crime. Le commando comptait entre dix et quinze personnes. La plupart de ses membres ont été identifiés par la DST. On sait où ils se trouvent. Nous avons d'ailleurs rencontré l'un d'eux à Paris, chez lui, dans le XVIe arrondissement. On ne peut pas dire que Monsieur "Walid" - appelons-le ainsi - ait exprimé beaucoup de regrets. D'autres membres du commando se sont rangés dans les "services" de pays du Proche-Orient. Ces hommes sont connus. Va-t-on leur demander des comptes ? La justice est une chose ; la politique internationale une autre. Entre 1980 et aujourd'hui, il y a eu les accords d'Oslo en 1993, une tentative de paix globale à laquelle la communauté internationale n'a pas encore tout à fait renoncé. Certains terroristes ont commis des crimes, mais ont ensuite rendu des services ou, plus cyniquement, sont utiles là où ils sont. Faut-il privilégier la justice ou la raison d'Etat ? Pour les policiers chargés de l'enquête, la leçon est différente. Tout d'abord, coup de chapeau aux policiers français qui, aidés par les Allemands et les Israéliens, ont vu juste du premier coup, dès 1980. Ils n'avaient pas tous les éléments, mais ils ont été rapidement capables d'élaborer un scénario qui, 28 ans après, demeure très solide. Deuxièmement, cette enquête prouve que la persévérance paye. Il a fallu que des hommes déterminés se relayent au 29 ANS APRÈS fil des décennies pour arriver à l'arrestation d'un suspect aujourd'hui. Ces hommes l'ont fait dans l'ombre, par conviction. Enfin, dernière leçon, face au terrorisme international, seule la coopération internationale des polices et des justices permet d'aboutir à des résultats. La police est aujourd'hui mieux organisée. Mais les systèmes judiciaires des pays concernés n'ont pas encore pris acte de cette réalité nouvelle. I.J : Il a quand même fallu 19 ans ( de 1980 à 1999 ) pour connaître le véritable scénario de cet attentat ? Comment expliquez-vous cela ? J.C. et H.D. : Plusieurs facteurs ont joué. Les membres du commando sont rapidement identifiés, grâce notamment à l'aide des services secrets allemands, Hassan Diab qui ont bien infiltré les réseaux palestiniens, car ces derniers étaient très liés aux terroristes des Fractions armées rouges. Mais comment aller les chercher alors qu'ils se trouvent dans un Liban plongé en pleine guerre civile ? En 1982, les Israéliens entrent à Beyrouth, capturent certains membres du commando, mais la plupart s'enfuient au Yémen du Sud communiste, à l'époque refuge idéal pour les terroristes de tous bords. Le FPLP-CS aurait encore commis quelques attentats - les experts ont des opinions divergentes sur ce sujet - puis se dissout. Commence alors un très long travail de surveillance et de collecte d'informations. Le dilemme des services français est le suivant : comment répartir des ressources limitées entre la traque des membres d'un commando devenu inoffensif et la lutte contre une nouvelle génération de terroristes, très opérationnelle celle-là : les terroristes islamistes ? Dans les années 90, la priorité est de lutter contre ceux qui ont placé la bombe dans le RER à St Michel. Après 2001, les efforts sont focalisés sur AlQaïda et ses émules. La poursuite de l'enquête est due avant tout à un mélange où la détermination de quelques hommes qui ne veulent pas lâcher prise se combine avec les hasards des collectes d'information. A ce titre, la chute du mur de Berlin en 1989 a ouvert bien des portes. I.J : Y a-t-il eu une volonté du pouvoir politique " d'enterrer l'affaire " ? J.C. et H.D. : Non. Le dossier Copernic n'était plus une priorité dès lors que le groupe terroriste ne constituait plus un danger. Mais nous avons été frappés par la détermination de ceux qui ont maintenu le dossier en vie, tant en ce qui concerne la recherche d'informations que sur le plan de la procédure judiciaire. Le juge Bruguière aurait pu aboutir aux mêmes résultats que le juge Trévidic dix ans plus tôt. En 1999, il avait déjà presque toutes les informations nécessaires. Il ne l'a pas fait. Il avait d'autres priorités. Mais il a pris soin de relancer régulièrement la procédure de façon à éviter la prescription. On ne peut pas parler de volonté politique d'éviter le sujet. I.J : Vous vous demandez s'il y aura demain en France un " procès Copernic ". Quelle est votre réponse ? J.C. et H.D. : Nous l'espérons vivement. Hassan Diab affirme qu'il est innocent. Il ne nie pas qu'un dénommé Hassan Diab, né à Beyrouth en 1953 comme lui, ayant fait ses études à l'Université de Beyrouth comme lui, ayant été marié à Nawal Copty comme lui, ayant ensuite émigré en Amérique en 1987 comme lui, a commis l'attentat. Il dit simplement qu'il y a erreur sur la personne et qu'il n'est pas le bon Hassan Diab. Pour lui, il s'agit d'un homonyme. Nous espérons que la justice canadienne autorisera son extradition afin qu'il puisse répondre aux questions d'un juge français qui trouve toutes ces coïncidences pour le moins étranges. I.J : Outre toutes les questions qui se posent à propos de la politique des responsables en France, il y a celle que se pose le documentariste israélien Micha Shagrir (qui a perdu sa femme Aliza dans l'attentat) : qu'a fait le Mossad dans cette affaire ? J.C. et H.D. : Nous avons voulu lui poser la question. Mais le Mossad n'est pas très causant. Il semble avoir été assez actif jusqu'en 1982. Après la première guerre du Liban, il a considéré que le FPLP-CS n'était plus une priorité et s'en est désintéressé, contrairement à ce qu'a cru jusqu'à récemment la famille d'Aliza Shagrir. Nous pensions que les services secrets israéliens n'abandonneraient jamais la traque Aliza Shagrir n'avait-elle pas eu droit à des funérailles nationales en 1980 ? -, mais ce n'est pas vrai. Comme tous les services du monde, le Mossad a des moyens humains limités et sa priorité est de lutter contre les menaces actuelles et futures. I.J : Pourquoi le dossier est-il tout à coup sorti du placard en 2007 ? J.C. et H.D. : C'est très simple : Marc Trévidic a succédé à Jean-Louis Bruguière, parti à la retraite. Dès sa prise de fonction, il a fait le tour des dossiers dormants et a choisi ceux qui lui semblaient les plus prometteurs. Le dossier Copernic était quasiment bouclé en 1999. Le juge Trévidic a lancé des recherches complémentaires et, tout de suite, il a obtenu des résultats. Il a donc fait de ce dossier une priorité, malgré l'énorme charge de travail qui lui incombe. I.J : Où est-on aujourd'hui de cette affaire ? J.C. et H.D. : Hassan Diab a été arrêté en novembre 2008. La France a demandé son extradition en décembre. La procédure peut aller très vite, ou durer plusieurs années. En attendant, Diab a été remis en liberté conditionnelle en mars 2009. Les conditions sont assez sévères : paiement d'une forte caution, port d'un bracelet d'identification, limitation des possibilités de déplacement et de communication, pas de passeport... Mais tout de même, il vit chez lui avec sa femme. Surtout, il peut organiser sa défense par différents moyens. Par exemple, en mobilisant en sa faveur la communauté musulmane du Canada. Certains leaders communautaires le présentent déjà comme un martyr des américano-sionistes... INFORMATION JUIVE Juin 2009 15 LA CHRONIQUE En avant vers l'arrière I l y a longtemps, bien longtemps, les partisans d'une paix raisonnée au Proche-Orient lancèrent l'idée d'un dialogue direct entre Israël, les Palestiniens et les pays arabes qui avaient jadis répondu par la guerre à la création de l'État juif. Ces pacifistes, essentiellement israéliens et juifs en avaient par-dessus la tête de ces conférences internationales où l'on évoquait les rapports d'Israël et des Palestiniens en l'absence de l'une ou l'autre des deux parties. Car, pendant une bonne quarantaine d'année, les grandes puissances parlaient avec Israël hors de la présence des Arabes et elles ne pouvaient inviter l'État juif lorsqu'elle rencontraient les membres de la Ligue arabe. On pouvait croire, après Oslo, que la paix serait enfin construite par les deux peuples concernés. On pouvait imaginer, espérer que l'État d'Israël et l'Autorité palestinienne se passeraient des puissants tuteurs qui les avaient amenés à se parler directement. Le voyage de Barack Obama au Proche-Orient donne donc la mesure de la régression. Le monde semble attendre que le président des Etats-Unis impose la paix au gouvernement israélien et obtienne, en échange, que le Hamas accepte à son tour un règlement pacifique. La diplomatie américaine parle quand on reconnaît le recul. Barack Obama tente donc une avancée, en recherchant un accord par des négociations indirectes. Cela nous ramène non seulement avant les négociations israélo-palestiniennes de 1993, mais avant les accords avec l'Égypte, donc, il y a plus de trente ans ! D ans tous les commentaires, Israël passe une fois de plus, pour le principal responsable de l'échec du processus de paix. Qu'importe l'histoire ! Qui se souvient du déclenchement d'une vague d'attentats suicide, au moment où le gouvernement Barak allait au plus loin des concessions lors des conférences de Camp David et de Taba ? Yasser Arafat, redoutant d'être débordé par le Hamas, avait alors préféré la guerre, lançant les brigades du Fatah dans une stratégie terroriste, rivalisant dans l'horreur avec les islamistes radicaux. La séparation unilatérale, la construction du mur, n'étaient sans doute pas des réponses satisfaisantes sur le plan politique. Mais le terrorisme obligeait Israël à privilégier la sécurité de ses citoyens, à défendre son existence et donc à se transformer en citadelle. Le gouvernement d'Ariel Sharon est allé Les conditions de la paix n'ont pas changé. Tout le monde les connaît, depuis quarante ans. Un Etat palestinien d'un côté et, de l'autre la sécurité d'Israël, et donc la fin de toute violence, la reconnaissance de la légitimité de l'État juif par tous les pays de la région. séparément à chacun des protagonistes. L'interlocuteur palestinien d'Israël n'a pas le pouvoir à Gaza, le Hamas refuse, pour l'heure, le dialogue direct et ne reconnaît pas l'Autorité palestinienne. En langage contemporain, on parle d'une avancée 16 INFORMATION JUIVE Juin 2009 jusqu'au bout de cette logique de séparation unilatérale, en évacuant Gaza. Quelques mois plus tard, au terme d'une guerre civile meurtrière entre Palestiniens, le Hamas s'est emparé du pouvoir à Gaza. Et il a relancé la guerre, sous la forme d'un harcèlement permanent par les tirs de roquettes, jusqu'à la riposte d'Israël. Dans ces conditions, les électeurs israéliens ont voté pour la sécurité, alors que tous les sondages montrent qu'ils aspirent majoritairement à la paix, sur la base de la reconnaissance mutuelle de deux Etats. Mais nous lisons partout que Barack Obama doit contraindre les Israéliens à la paix. En modifiant sensiblement la politique américaine, Obama reconnaît que les Etats-Unis, sous Georges W. Bush, n'ont pas créé un climat pacifique au Proche-Orient. Pour les peuples arabes, la guerre d'Irak a légitimé le terrorisme et favorisé l'amalgame entre la défense d'Israël et l'intervention américaine dans la région. Enfermés en Irak, les Etats-Unis se sont avérés impuissants face à l'Iran. Barack Obama entend donc rétablir le crédit de son pays dans le monde arabe et arrêter le cycle de la violence. Il cherche donc à dialoguer, en commençant par affirmer qu'il n'est pas l'ennemi des musulmans. S'il réussit à engager un processus de détente entre l'occident le monde arabe, la paix redeviendra possible. Mais elle ne se décrètera pas à Washington. En 1993, les Israéliens ont cru à la paix. Ils ont accepté la création d'une autorité palestinienne. La déception a été à la mesure de leur engagement. Israël a, certes, commis des erreurs, en maintenant le statut quo en Cisjordanie, en ne se prononçant pas clairement sur l'avenir des implantations. Ses gouvernements ont été souvent indécis, appuyés sur des majorités parlementaires trop hétérogènes pour dégager clairement une ligne d'action. Mais la relance de la guerre fut, toujours, l'initiative de ses adversaires. Les conditions de la paix n'ont pas changé. Tout le monde les connaît, depuis quarante ans. Un Etat palestinien d'un côté et, de l'autre la DE GUY KONOPNICKI sécurité d'Israël, et donc la fin de toute violence, la reconnaissance de la légitimité de l'État juif par tous les pays de la région. Pour que ces conditions soient réunies, il faut bien évidemment l'engagement des premiers intéressés. Le plus pacifiste des gouvernements israéliens n'acceptera jamais la proclamation d'un État palestinien sans que soit garantie la sécurité d'Israël. L'obstacle à la paix n'est pas cette étrange coalition qui gouverne actuellement Israël. Si les Américains réussissent à ouvrir une perspective, il y aura une recomposition politique à Jérusalem. Benjamin Netannyahou évoluera, comme avant lui Menahem Begin et Ariel Sharon ou même Itzhak Rabin, qui ne passait pas pour une colombe avant 1993. Mais cette fois, Israël ne peut se contenter d'une reconnaissance formelle. La naissance de l'État palestinien n'est possible que si l'ensemble des pays arabes accepte une fois pour toutes la présence de l'État juif sur la terre d'Israël. C'est assez simple. Pour être optimiste, disons que ce n'est pas totalement impossible. En France, le temps de l'extrême droite s'achève. Le vieux Le Pen est réélu de justesse au Parlement européen. La corruption d'un maire socialiste peut permettre à Marine d'enlever une ou Clichy-sous-bois, Dieudonné rassemble tout de même quelques centaines de voix. Au total 36 398 dans la région, ce qui est déjà trop pour une liste qui n'avait qu'un seul programme, la Qu'il le veuille ou non, Dany est, en France, le dernier homme politique à avoir été la cible d'une campagne antisémite municipalité. Mais c'est terminé. Le Front national est usé jusqu'à la corde. Il se peut qu'il renaisse, un jour ou l'autre, sous une autre forme, avec un autre nom et d'autres dirigeants. Il sera alors temps de s'en préoccuper. Contre toute attente, la crise n'a pas profité aux extrémistes. Le nouveau parti d'Olivier Besancenot ne prend pas, il ne fait guère mieux que la LCR. Il est devancé par le Front de gauche, qui recycle les restes du parti communiste. Tout confondu, en incluant Mélenchon et le PC, l'extrême gauche dont on nous annonçait la percée récupère la moitié des suffrages qui se portaient, jusqu'en 1981, sur les communistes. Il existe donc quelque chose à gauche, du PS, ce n'est dénonciation du " pouvoir sioniste ". Les bandes anti-juives sont assez structurées pour s'exprimer en politique. Leur localisation électorale est significative. Il existe désormais un lumpen- prolétariat politisé, une délinquance sur fond d'idéologie, entre voyoucratie et intégrisme islamique. Une marge dangereuse, dont certains éléments peuvent aller jusqu'au meurtre. À Bagneux, Dieudonné rassemble 231 électeurs, soit 3,01%. Ce qui se passe, bien évidemment, de tout commentaire. Pour le reste, les électeurs n'accordent guère d'importance aux origines des candidats. L'écologie rencontre le succès quand elle est portée par un fameux juif allemand, Daniel Cohn- L es élections au Parlement européen dessinent une géographie de l'extrême droite : Autriche, Flandres, Bulgarie, Grèce, Hongrie, pays baltes, Roumanie… Autant de pays et de régions, de tradition antisémite. Fautil, dans ces conditions, élargir l'Union européenne à des pays où la haine des juifs persiste après leur anéantissement ? Des nations émergent et se construisent, à l'intérieur de frontières établies par l'ancienne URSS. Des pays s'inventent une histoire, une légende nationale qui relève bien souvent du négationnisme. Les plus évolués comprennent que les vestiges juifs attirent les touristes. En restaurant quelques vestiges, ils récupèrent un peu de cet argent qu'ils cherchaient en vain en profanant les cimetières et les fosses communes. Les juifs revivent en été, lorsque des touristes américains et européens cherchent les traces de leurs aïeux, du côté de Riga, de Vilno, ou de Lemberg. Quand la saison s'achève, les peuples reviennent à leurs valeurs. Ils célèbrent les glorieux Waffen SS lettons et les pogromistes ukrainiens ou moldaves. L'Europe est encore loin ! pas une surprise. Mais la radicalité annoncée n'a pas fait recette. Au soir des élections, Dieudonné avait disparu. On n'en parlait plus. Présente dans une seule région, l'Ile de France, sa liste antisioniste, que le terroriste Carlos soutenait depuis sa prison, a rassemblé 1,03% des suffrages. Électoralement, c'est négligeable. En regardant de plus près, dans certaines cités comme Gennevilliers Bendit, qui ne devrait pas s'encombrer d'un José Bové. Ce succès a tout de même quelque chose de réjouissant. Qu'il le veuille ou non, Dany est, en France, le dernier homme politique à avoir été la cible d'une campagne antisémite. Quarante ans plus tard, il est le grand vainqueur de cette élection européenne. Son succès atteste, s'il en était besoin, de la profonde intégration des juifs en France. INFORMATION JUIVE Juin 2009 17 ECONOMIE La crise sera ce que nous en ferons L a crise économique que nous traversons a des conséquences humaines trop pénibles pour ne pas se réjouir des signes indiquant que le plus dur serait derrière nous. Nous devons simplement constater qu'à la différence de la crise de 1929, les banques centrales ont su réagir efficacement et que l'injection massive de liquidité dans le système a permis d'éviter un effondrement de l'économie financière et donc de l'économie tout court financée ellemême par les banques. La réforme des normes comptables qui permet, à nouveau, aux établissements financiers de valoriser leurs actifs non plus en valeur de marché mais en valeur théorique donne un coup de frein à l'effondrement bilanciel de nos économies. Il faut d'ailleurs relativiser le rôle du système financier sur l'effondrement de certains pans de l'industrie. Si l'automobile va mal, si Général Motors fait faillite, si la pharmacie se restructure, ce n'est pas en raison de la crise financière et du creux conjoncturel. Ces ajustements se seraient produits de toutes façons. Même quand l'économie va bien, il y a des fermetures d'entreprise, des faillites et des licenciements. Ensuite, il y a des mauvaises nouvelles qui sont comme des traitements médicaux : pénibles mais bénéfiques. Ainsi si la consommation souffre aux Etats-Unis parce que les ménages se remettent à épargner, cela fait mal à court terme mais, après 18 INFORMATION JUIVE Juin 2009 PAR LAURENT PHILIPPE avoir tant blâmé les Américains pour leur dépenses effrénées, il est difficile de déplorer qu'ils se montrent un tant soit peu plus économes. De même, si l'activité dans le secteur de la construction est à un minimum historique aux Etats-Unis, cela tire la croissance vers le bas mais , en même temps, il faut se dire que moins on construit, plus vite les prix de l'immobilier cesseront de baisser, plus vite les ménages cesseront de sentir leur patrimoine perdre de sa valeur et plus vite la confiance reviendra. D'ailleurs les indicateurs macroéconomiques avancés ont marqué un capacités installées demeure aussi faible et l'accès au crédit autant contraint par le dégonflement du crédit. Enfin du côté de la construction, l'excédent d'offre n'a pas encore été résorbé, ce qui interdit tout espoir d'inversion brutale dans la variation des prix et de l'activité. Cette crise mondiale va induire des changements pour le meilleur ou peut être pour le pire. On sait déjà que la crise force les Etats à réguler la partie du système financier qu'ils avaient ignorée mais la crise va-t-elle gommer ou réveiller Si une stabilisation, du moins temporaire, est indéniable, nous sommes toutefois fort loin d'un scénario de rebond rapide de l'activité. arrêt dans la détérioration du climat conjoncturel et le secteur financier a repris des couleurs. Cela a donné, après la chute boursière de l'année dernière et du début de cette année, une belle remontée des bourses depuis le 9 mars qui, même si elle ne devait être qu'un feu de paille, a le grand mérite de rappeler que chaque entreprise a un prix. Si une stabilisation, du moins temporaire, est indéniable, nous sommes toutefois fort loin d'un scénario de rebond rapide de l'activité. En effet, le rétablissement de la consommation sera handicapé par la poursuite de la hausse du chômage et par l'inclinaison à davantage épargner dans un environnement d'incertitude et de dégradation des finances publiques. De même, il est difficile d'escompter une reprise significative de l'investissement des entreprises quand le taux d'utilisation des la cicatrice entre Europe de l'Ouest et Europe centrale ? Va-t-elle relancer la construction de l'Europe ou conduire à sa Balkanisation ? Vat-elle permettre à Israël de s'intégrer à l'espace économique qui l'entoure ou relancer une guerre de toujours ? Va-t-elle permettre au monde de résoudre les crises iraniennes et Nord Coréenne ? Va-t-elle faciliter la signature d'accords commerciaux ou susciter des tentations protectionnistes ? Va-t-elle aboutir à réformer le FMI ou faire reculer la coopération internationale ? Va-t-elle stimuler l'investissement dans des énergies renouvelables et les taxes sur la pollution ou reléguer la question environnementale à l'arrière plan ? Les réponses à ces questions ne dépendent pas des marchés financiers. Elles n'en sont que les conséquences, elles dépendent avant tout de nous tous. POLITIQUE L'optimiste pari d'Alexandre Adler D ans ce nouveau livre "Le monde est un enfant qui joue" (Editions Grasset), un titre qu'il emprunte à Héraclite, notre ami Alexandre Adler analyse ce qu'il appelle " les équations de champ " de notre monde ainsi que ses grandes lignes de fracture. Adler veut comprendre les tenants et les aboutissants de l'évolution de notre civilisation, singulièrement depuis le 11 septembre 2OO1. Ce livre est d'une certaine façon la suite logique de précédents travaux que l'auteur a publiés et notamment " L'Odyssée américaine " et " Rendez-vous avec l'islam ". Après avoir analysé ce qu'il appelle l'islamisme en crise et le paradoxe d'Al Qaïda, Adler observe à propos de l'histoire du terrorisme moyen-oriental, palestinien notamment, qu'on y découvre un mode opératoire constant: " Le recrutement indirect de complices occidentaux, d'extrême droite parfois et, plus rarement, d'extrême gauche jugés moins fiables, en prenant appui sur leur antisémitisme intact (…).On a vu que c'est Jean-Marie Le Pen qui avait décroché l'attention la plus bienveillante de Saddam Hussein, malgré les liens pourtant nombreux du dictateur irakien avec d'autres partis politiques français. La tradition d'une forte entente entre nationalisme arabe et en outre ajouter la tenace activité négationniste des services secrets iraniens, subventionnant la défunte librairie Ogmios à Paris, et finissant, "Ahmadinejad regnante ", par inviter Faurisson et le chef du Ku Klux Klan David Duke à une formidable messe noire néo-nazie à Téhéran fin 2007) ". Adler considère par ailleurs que les ambitions nucléaires de Saddam Hussein n'auraient jamais du faire Alexandre Adler question. Adler écrit à ce propos : "L'Irak est, de tous les pays arabes, celui qui a, le plus longtemps, le plus obsessionnellement, recherché à Qui vous dit, à la fin du compte, que ce bloc ne parviendra pas à s'entendre avec mes amis juifs d'Israël et d'Amérique ? islamique d'un côté, extrême droite occidentale de l'autre, a donc une longue histoire ( à laquelle il faudrait détenir l'arme nucléaire, et n'a pas été si loin d'y parvenir. La personnalité extrêmement cruelle et peu élaborée de Saddam Hussein laisse peu de doute sur son désir de se servir activement de cette bombe dès qu'il aurait pu en disposer, sans doute contre Israël, peut-être contre l'Iran " Comment expliquer l'antisémitisme d'Ahmadinejad ? Ecoutons Adler : "L'apparition subite du négationnisme néo-nazi comme un élément clef de l'identité du nouveau régime ressortit d'abord au cynisme délibéré : la réaffirmation sur le mode majeur de la nécessité d'anéantir Israël (…) avait pour but essentiel de provoquer l'Etat hébreu afin de parvenir à une polarisation croissante de " la guerre des civilisations " et gagner malgré tout le cœur de tous les intégristes sunnites, notamment égyptiens et palestiniens… " Pour conclure ces réflexions, le politologue Adler considère qu'aujourd'hui, tout "littéralement tout " dépend du Moyen Orient : "Celui-ci se tranquillise-t-il quelque peu et la mondialisation repart comme repartent les bénéfices immédiats de cette mondialisation en matière de richesses distribuées comme de démocratie conquise. Si, au contraire, tout bascule en Orient, c'est la planète qui se fissure en blocs potentiellement antagonistes". L'éditorialiste du Figaro termine son parcours géopolitique sur un pari relativement raisonnable à propos des rapports de l'Iran et d'Israël : " Qui nous dit que mon bloc chiite, que j'ai conçu dès l'adolescence comme contrepoids à la violence insensée des baassistes, ou ailleurs des nassériens, ou de l'OLP d'Arafat, qui vous dit, à la fin du compte, que ce bloc ne parviendra pas à s'entendre avec mes amis juifs d'Israël et d'Amérique ? " INFORMATION JUIVE Juin 2009 19 LA VIE DU CONSISTOIRE Enthousiasme, mélancolie et espérance L e Cantique des Cantiques est lu traditionnellement au cours de la fête de Pessah. Rabbi Aquiba enseigne : “Si tous les écrits de la Bible sont saints, le Cantique des cantiques est le Saint des saints» Il est une allégorie sur l’amour de D.ieu envers Israël et d’Israël à D.ieu. Au cœur de ce merveilleux chant, la bien-aimée cherche son bien-aimé. Les images poétiques se succèdent, toutes d’une beauté exceptionnelle : “Comme une rose parmi les épines, telle est mon amie parmi les jeunes filles. Comme un pommier parmi les arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes gens; j’ai brûlé du désir de m’asseoir sous son ombrage, et son fruit est doux à mon palais…” (Cant 2, 2 à 9) Un peu plus loin nous lisons cette terrible interrogation : “En quoi ton bienaimé est-il supérieur aux autres, pour que tu nous conjures de la sorte ?” (Cant 5, 9) Israël exprime ici des interrogations sur ses souffrances, ses épreuves. Mais, il s’enivre d’un optimisme merveilleux en constatant la beauté, la force, la puissance, la magnificence et l’omniprésence de D.ieu. Israël se situe au-delà des souffrances, au-delà des épreuves, au-delà des haines, car il est attaché à la lumière du bien-aimé, c’est-à-dire à la lumière divine. Le peuple juif croit en D.ieu et espère en l’homme. L’esprit du Cantique des cantiques a régné au cours de la fête de Pessah. La liberté a été célébrée dans l’enthousiasme, dans un transport joyeux, autour de la table de Pessah, autour du seder célébré en famille et avec ses amis. Durant huit jours, le peuple juif a vécu un rêve merveilleux, le rêve de la délivrance d’Israël, le rêve de la transformation morale du monde. Le récit de la sortie d’Egypte se fait sans exprimer la moindre rancœur à l’encontre des Egyptiens. Le peuple juif est attaché à l’espérance. Il vit une utopie, comme on vit une réalité. 20 INFORMATION JUIVE Juin 2009 PAR DAVID MESSAS, GRAND RABBIN DE PARIS Suivant la célèbre formule de la Haggadah “Chacun doit se considérer, sorti lui-même, du pays d’Egypte”. La fête de Pessah n’est pas une commémoration ou une célébration, c’est une actualisation. Après avoir été imprégnés des enseignements de Pessah, il nous faut affronter la vie quotidienne, les discours antisémites de Durban II, la violence du monde, l’injustice qui règne. Cette rencontre peut engendrer une certaine mélancolie. Ce choc est amplifié, par la célébration du Yom Ha Shoah et celle du Yom Hazikaron. Le temps du ômer qui suit celui de Pessah, n’est pas un temps festif. Après la délivrance d’Israël vient le temps de la mort des disciples de Rabbi Aquiba, la mort des talmidé hakhamim qui sont les piliers du monde, le Shabbath du monde. Nous entrons dans un temps de deuil, ou de demi-deuil. Ce passage de l’allégresse à la mélancolie est éprouvant. Alors une lancinante question surgit. Comment inscrire la lumière de Pessah dans la réalité du monde qui nous entoure ? Plus personnellement, nous nous interrogeons : Quel doit être le message du rabbin à ses fidèles et au monde ? Le rabbin ne peut rester silencieux. Notre société a un besoin vital du message de la Torah. Nous devons manifester notre indignation, notre horreur devant les violences verbales et physiques qui s’expriment ici et là, dans une hypocrisie généralisée, contre l’Etat d’Israël et contre des juifs. Où sont les droits de l’Homme ? Où est la solidarité ? Où est la justice ? Ne nous y trompons pas, attaquer Israël, c’est attaquer le judaïsme. L’antisionisme est l’antijudaïsme. A Genève, au cœur de l’Europe, au jour du Yom Ha Shoah, le monde entier a de nouveau entendu le discours d’Hitler, le discours d’Haman, le discours d’Amalek. Certains n’y voient que des mots. C’est faux. Les mots préparent toujours les actes. Comment est-il possible d’attaquer avec autant de violence haineuse l’Etat d’Israël qui lutte depuis sa Création pour sa survie ? En tant que Grand Rabbin, je suis bouleversé. En constatant que, soixante ans à peine après la Shoah, les discours de haine recommencent à s’exprimer subrepticement dans les médias et dans les discours politiques, il est possible de basculer dans la dépression. En réalité, nous devons rester vigilant. Nous devons refuser cette situation comme si elle était le fruit d’une fatalité inévitable. Prenons exemple sur Abraham. D.ieu lui promit la propriété de le terre d’Israël : “Lève-toi ! Parcours cette contrée en long et en large! Car c’est à toi que je la destine” (Gn. 13, 17). Puis, lorsqu’il dut enterrer sa femme Sarah, il lui fallut s’investir dans d’interminables discussions hypocrites avec Efron pour acquérir ce qui lui était promis par le Ciel. Abraham aurait pu douter. La Torah témoigne qu’il ne perdit en rien sa confiance en D.ieu. Le rêve, l’idéal divin, affirment que la terre d’Israël lui revient de droit, mais la réalité l’oblige à négocier l’achat d’une sépulture pour son épouse. Cette contradiction entre le rêve et la réalité aurait pu faire douter Abraham, mais malgré cela, “il eu confiance en D.ieu et cela lui fut compté comme une justice” (Gn. 15, 16). Je terminerai par cet enseignement du prophète Malachie : “Voici, Je vous envoie le prophète Elie. Il ramènera le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils vers les pères”. Le prophète annonce que la réalité des pères, la mémoire, se transmettra sans failles aux enfants, et que les enfants qui constituent l’avenir la réaliseront pleinement. Rien ne peut mettre à mal nos convictions sur le rôle d’Israël, en tant que phare de moralité contre les négationnistes de tous bords. Rien ne peut ébranler notre espérance de voir se réaliser la promesse du prophète annonçant la venue du Mashiah ben David, prochainement et de nos jours. Amen. LA VIE DU CONSISTOIRE Transmettre et pérénniser PAR JOËL MERGUI, PRÉSIDENT DU CONSISTOIRE CENTRAL L ’Assemblée Générale du Consistoire de Paris qui se tient le 28 juin est l’un des moments forts de la vie de notre institution. Il nous permet de dresser un bilan de l’année écoulée et de préparer ensemble l’année à venir. Transmettre et pérenniser notre héritage : le patrimoine L’action et les efforts que nous avons menés avec le Grand Rabbin de Paris, les administrateurs et les permanents de l’ACIP, se sont concentrés sur l’objectif de transmettre et pérenniser nos valeurs, notre héritage et notre institution. Il était indispensable de mener une action concrète de sauvegarde et de préservation. C’est ainsi que le Consistoire de Paris pourra désormais bénéficier de dons faits à de la Fondation du Patrimoine Juif de France. Cette fondation a été créée par le Consistoire Central, sous l’égide de la Fondation du Judaïsme Français : son objet va de la préservation, à la construction et à l’entretien de notre patrimoine cultuel, à l’éducation juive, en passant par la formation de nos futurs rabbins. Transmettre et pérenniser nos valeurs: l’action envers la jeunesse C’est la responsabilité première de chacun d’entre nous, de créer les meilleures conditions possibles pour transmettre notre judaïsme à nos enfants. Le Talmud Torah, a fait l’objet d’un travail permanent de renouvellement et d’amélioration des outils pédagogiques et de la formation continue des professeurs. Le centre Edmond Fleg, après sa réouverture en février 2008, a connu sa première année pleine de fonctionnement et d’essor continu au service des étudiants. Tikvatenou, le mouvement de jeunesse du Consistoire a poursuivi son développement au sein de nos communautés dans un climat de chaleur et d’amour de la vie juive et d’Israël. La Team Roquette, que le Consistoire de Paris a impulsée avec le Consistoire Central, pour permettre à nos jeunes de venir rallumer la flamme du judaïsme dans plusieurs de nos petites communautés en péril ou en difficulté. Les Chabbats de la jeunesse, Paris Torah, la ‘Hazak permettent aux jeunes de s’emparer des synagogues et de s’impliquer dans nos Communautés de façon systématique. Avec plus de 120 synagogues, lieux de cultes, mikvaot, centres communautaires, le Consistoire de Paris dispose du plus important patrimoine juif de France et d’Europe. C’est aussi dans cette optique que nous avons mené, avec le Consistoire Central, et avec l’aide de la FMS, des travaux importants de rénovation à l’Ecole Rabbinique de France. Nous avons poursuivi le programme de sécurisation et de mise aux normes de nos bâtiments communautaires, La transmission, c'est aussi le devoir pour chacun d'entre nous et de nos enfants d'entendre et de réentendre le témoignage des survivants de la Shoah : ils sont là et les négationnistes sont pourtant déjà à l'oeuvre. Les manifestations de commémoration sont de plus en plus comprises et essentielles. Transmettre et pérenniser notre institution, c’est sauvegarder les intérêts du judaïsme français Notre action doit s’inscrire dans la nécessité de construire ensemble cette institution consistoriale plus forte, plus unie, plus apaisée, et donc plus efficace. C’est la raison pour laquelle la concertation et les synergies du consistoire de Paris avec le Consistoire Central et les Consistoires régionaux ont été recherchées et obtenues. Des actions au service de toutes les communautés ont été menées avec succès, que ce soit dans le domaine de l’éducation, de la jeunesse, de la défense de la Cacherout et de l’abattage rituel, de la formation des rabbins, ou de la solidarité avec Israël. Transmettre et pérenniser notre solidarité L’action sociale du Consistoire se fait bien sûr en partenariat avec les autres institutions, notamment lors de l’opération Tsedaka, mais elle est aussi importante tout au long de l’année au travers d’actions permanentes de proximité comme les “Paniers de Pessa’h”. Solidarité entre petites et grandes communautés : nous avons su tisser un réseau de communications, de contacts qui permettent à chacun de se sentir renforcé et soutenu. Cette solidarité entre communautés fait partie de l’essence même de notre institution. Solidarité avec Israël : La situation en Israël est une préoccupation de tous les instants. L’Acip a un rôle important de sensibilisation et de mobilisation. Il est de notre devoir de conserver nos yeux tournés vers Israël et Jérusalem sa capitale éternelle. Outre ces chantiers prioritaires, notre action s’est faite quotidiennement sur le terrain en faveur et au cœur de la vie juive dans nos communautés : organisation et vie du culte, cacherout, bar mitzvot, mariages, Hevra kadicha, Mémoire. La crise économique mondiale affecte nos comptes, mais grâce à une maitrise des couts, le résultat opérationnel a pu être sauvegardé. C’est dans ce contexte difficile que nous allons, et que nous devons, poursuivre nos actions au cours de l’année à venir. Certains chantiers ont été lancés. Beaucoup reste à faire. Ensemble nous le ferons dans l’unité, la confiance, et le chalom. INFORMATION JUIVE Juin 2009 21 LA VIE DU CONSISTOIRE “Vigilance face à la crise économique” UN ENTRETIEN AVEC JOSEPH HADDAD* A l'occasion de l'Assemblée générale de l'ACIP qui se tient le 28 juin, nous revenons avec le trésorier du Consistoire de Paris Ile de France Joseph Haddad sur la situation financière de l'institution et présentons les tableaux des comptes 2008. OOO I.J : Les comptes 2008 de l'ACIP seront soumis pour approbation lors de l'assemblée générale du 28 juin. Quelle est aujourd'hui la situation financière de l'ACIP ? Joseph Haddad : La crise économique qui sévit encore aujourd'hui et qui a commencé au dernier trimestre 2008 a évidemment eu un impact sur nos comptes, puisque nous n'avons pas pu maintenir la tendance à l'amélioration que nous avions connue ces trois dernières années. Nos recettes enregistrent une baisse de 3,7%, résultant à la fois de la crise économique - les dons affichent un repli de 4,5% - et des recettes exceptionnelles enregistrées en 2007 et donc non reconduites en 2008. Mais grâce à un contrôle strict de nos dépenses qui baissent de 0,6%, le résultat a pu être contenu et le déficit limité. Au total, le résultat net d’exploitation avant amortissement est excédentaire de 67 891€ en 2008 contre 670 683 € en 2007. Je rappelle que l’intégration depuis 2006 de l’actif immobilier dans les comptes de l’ACIP entraîne la comptabilisation dans nos charges d’une dotation aux amortissements qui s’est élevée en 2008 à 1 486 100 €. En raison de cette comptabilisation, le résultat net ressort déficitaire de – 1 418 209 € contre un déficit de – 695 190 € en 2007. I.J : En tant que trésorier de l'ACIP, quels sont les principaux axes que vous avez privilégiés au cours des dernières années ? Quelles réformes structurelles ont été engagées pour améliorer la situation conjoncturelle de l'ACIP ? J.H. : Notre premier axe a été d'améliorer notre contrôle de gestion et le suivi de nos comptes, avec la mise en place d'un bilan conforme aux exigences des entreprises et des grandes associations faisant appel à la générosité publique, avec des situations intermé-diaires chaque trimestre. Le second axe a été de rompre avec l'habitude que nos 22 INFORMATION JUIVE Juin 2009 dépenses devaient augmenter au rythme, voire plus rapidement que l'inflation. Ainsi, la baisse de 0,6% de nos charges cette année nous permet d'amortir l'impact de la baisse des recettes liée à la crise. I.J : Justement, quel est selon vous l'impact de la crise économique actuelle sur la situation financière de l'ACIP ? J.H. : Comme je l'ai indiqué précédemment, elle se traduit par une baisse des dons. Cette baisse reste néanmoins moins importante que pour d'autres associations, traduisant l'effort important de nos présidents et trésoriers, et l'attachement de nos donateurs à leur synagogue, qui représente le don de proximité par excellence. On pourra notamment noter à cet égard que les montants des adhésions, quête de Kippour et autres manifestations sont restés stables par rapport à l'exercice précédent. I.J : Comment se présente l'année 2009 ? Quels sont vos chantiers prioritaires pour les mois a venir ? J.H. : Le premier trimestre est satisfaisant, mais nous devons rester vigilants. La crise est encore là. Cette année est la dernière de notre mandature. Ma responsabilité est de laisser à mon successeur une institution en bon état de marche. Je m'y emploie. --------*Trésorier du Consistoire de Paris LA VIE DU CONSISTOIRE Colloque sur le patrimoine du judaïsme L e colloque " Le patrimoine du Judaïsme : un nouveau regard " s'est tenu à Paris, à la Cité de l'architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot, le 27 mai. Le Ministre de la culture Mme Christine Albanel a souhaité, à travers le Comité du patrimoine cultuel, solliciter un débat avec les acteurs directement concernés afin qu'ils puissent faire état de leurs expériences et de leurs propositions pour la conservation de ce patrimoine. Après une matinée ouverte par M. Bruno Foucart, président du Comité cultuel, l'introduction par M. Michel Clément, directeur de l'architecture et du patrimoine a éclairé les enjeux. Le grand rabbin de France Gilles Bernheim est intervenu sur la thématique de la synagogue d'un point de vue religieux et rabbinique, suivi par le grand rabbin Haïm Korsia, membre du Comité du patrimoine cultuel. La multiplicité des questions et problématiques rencontrées par les responsables communautaires fut analysée par Joël Mergui. Dominique Jarassé, Professeur des Universités a présenté une analyse des identités architecturales des synagogues, tandis que Max Herzberg, architecte, commentait les exigences nouvelles de l'architecture synagogale. Le cadre juridique était précisé par Bertrand Gaume, chef du Bureau des cultes. L'aprèsmidi fut consacrée aux conservateurs du patrimoine qui ont pour mission de faire connaître, valoriser et transmettre ce patrimoine. Dans ce domaine si important du patrimoine juif, rappelons que sous l'égide de la Fondation du Judaïsme, le Consistoire Central a créé la Fondation du Patrimoine Juif, dédiée à la sauvegarde et à la transmission de la richesse patrimoniale juive, entendue dans son sens le plus large ; de son aspect synagogal à ses aspects liturgiques, religieux, culturels, etc... (cf l'entretien que nous accordé dans ces colonnes le Président Mergui le mois dernier). Cette Fondation permettra à ceux qui ont conscience de leurs responsabilités au regard des générations à venir, d'apporter une contribution précieuse et généreuse. Voyage annuel du Consistoire Central en Israël D ans le cadre de sa désormais traditionnelle convention annuelle en Israël, une importante délégation du Consistoire s'est rendue en Israël du 18 au 24 mai en présence du grand rabbin de France Gilles Bernheim, du Président du Consistoire Central Le Président du Consistoire et le grand rabbin de France Joël Mergui, du grand avec le Président de la Knesset rabbin de Paris David Messas, des vice-Présidents du Consistoire Central Guy Cohen et Marcel Dreyfuss, du Président du Consistoire du Haut-Rhin Yvan Geismar, et de nombreux Présidents de Communautés de Paris et de Province. La délégation a vecu une semaine forte en émotions, débats et rencontres de haut niveau avec les personnalités israéliennes de premier plan. Parmi celles-ci, les deux grands rabbins d'Israël les Rav Moshe Amar et Yona Metzger, le Président de l'Etat Shimon Peres et le Rencontre avec le grand rabbin d'Israël Yona Metzger Premier Ministre à l'occasion des festivités officielles de Yom Yeroushalaim, le Président de la Knesset, l'Ambassadeur de France, et le maire de Jérusalem. Après être passée par Haïfa, les villes du nord du pays et Tel Aviv pour le 100ème anniversaire de la ville, la délégation représentant l'ensemble de la communauté juive de France s'est rendue à Jérusalem, le coeur du voyage. La semaine ayant été placée sous le signe de Yom Yeroushalaim, que la délégation a fété sur place avec les officiels israéliens, le message central répété sans relâche au nom des communautés juives de France a résidé dans le soutien total et la solidarité sans faille du consistoire et Joël Mergui et le Président Shimon Peres à Yom Yeroushalaim des juifs de France avec Jérusalem qui est et restera la capitale une et indivisible d'Israël et du Peuple juif. Ce voyage intense s'est déroulé dans un climat chaleureux, émouvant et fraternel, qui restera dans la mémoire de ses participants. Rendez-vous est déjà pris pour l'année prochaine. INFORMATION JUIVE Juin 2009 23 LA VIE DU CONSISTOIRE Dîner de gala pour l'Ecole Rabbinique de France Agrandissement de l'école Yaguel Yaacov à Montrouge L a synagogue de Montrouge était pleine ce 7 juin à l'occasion de la cérémonie d'inauguration de l'agrandissement de l'école Yaguel Yaacov, la première école juive consistoriale créée en 1991 par le rabbin Jacob Mergui et par Joël Mergui, et de l'ouverture de la nouvelle crèche " Le chemin des enfants " au sein du complexe scolaire. Après les mots d'accueil et d'introduction prononcés par le Président de l'école Fréderic Schwartz et par le rabbin Jacob Mergui, de nombreuses personnalités se sont succédées à la tribune : le ministre de la relance économique et Président du Conseil Général des Hauts de Seine M. Patrick Devedjian, le maire de Montrouge M. Meton, le grand rabbin de France Gilles Bernheim, le grand rabbin de Paris David Messas, le Président du Consistoire central Joël Mergui, l'Ambassadeur d'Israël en France SE Daniel Shek, et le Président du FSJU Pierre Besnainou. L e Congrès rabbinique, organisé par le grand rabbin de France Gilles Bernheim, s'est tenu les 25 et 26 mai à Paris en présence des rabbins venus de toute la France. Entre les deux journées de débats et de réflexions, qui ont notamment portées sur les conditions de la vie rabbinique, la Halakha et la vie juive dans son ensemble, un diner de gala a été donné en l'honneur du Séminaire Israélite de France de la rue Vauquelin, placé sous la responsabilité directe du Consistoire Central, appelé désormais l'Ecole Rabbinique de France. Le diner a réuni, autour du grand rabbin de France, du Président du Consistoire Central, du grand rabbin de Paris et du directeur du Séminaire, plus de deux cents convives dont le corps rabbinique dans son ensemble et de très nombreux responsables communautaires. Il s'est tenu dans les salons d'Honneur de la mairie du 5ème arrdt de Paris en présence de son maire Jean Tibéri. L'objectif était mis sur la mise en valeur de la mission historique, de la place centrale et du travail irremplaçable fourni par l'Ecole Rabbinique. Les intervenants ont témoigné de leur attachement indéfectible à cette institution indispensable, " élément majeur pour l'avenir du judaïsme français " comme l'a souligné à la fois le Président Mergui et le grand rabbin Bernheim. L'école a formé jusque là tous les grands rabbins de France qui se sont succédés mais a désormais besoin de préparer son avenir. La rénovation récente des locaux, décidée par le Consistoire de Paris avec l'aide notamment de la FMS, a tracé la voie de ce renouveau. Le rabbin Mergui, Patrick Devdjian, Joël Mergui et le maire de Montrouge Chacun a exprimé l'importance attachée au rôle de l'éducation juive, à la place centrale de la jeunesse dans la communauté, et à la responsabilité majeure pour chaque dirigeant communautaire et national de mettre nos jeunes au centre de tout projet destiné à construire l'avenir. L'attachement à Israël, dans le contexte d'une école centrée sur son projet résolument sioniste, a également été au cœur des allocutions. Cette journée était à cet égard dédiée à la mémoire de Yohan Zerbib (z'l) qui faisait partie des premiers élèves de l'école et qui est tombé à la fin de la guerre du Liban en 2006, allant jusqu'au bout de son idéal sioniste. Le Président Mergui, particulièrement ému d'inaugurer ces nouveaux locaux, a rappelé avec force que " la meilleure réponse que l'on pouvait faire en ce jour d'élections européennes à la haine antisioniste qui fleurit sur les murs de Paris, c'est de célébrer dans la joie et dans l'espoir l'agrandissement d'une école fière de ses valeurs juives et sionistes pour construire l'avenir de nos enfants". A la suite des interventions, le grand rabbin de France, le grand rabbin de Paris et le Président du Consistoire ont officiellement dévoilé les plaques inaugurant les nouvelles classes. Ce nouveau départ pour l'une des seules écoles consistoriales s'inscrit dans le vaste projet mis en œuvre par le Consistoire en faveur de la jeunesse et de l'éducation. Office spécial aux Tournelles à la mémoire des victimes du crash d'Air France A près le choc de la tragédie des 228 victimes du vol Rio-Paris, le Consistoire a décidé d'organiser le 2 juin un office spécial en leur mémoire. Dans une synagogue des Tournelles comble, les familles des deux victimes juives en provenance de la région parisienne étaient présentes pour entamer leur deuil, en présence du grand rabbin de Paris David Messas, du grand rabbin Joseph Sitruk et du Président Joël Mergui dont les interventions étaient empreintes d'une très forte émotion. Tous, amis des familles et anonymes, avaient besoin de se retrouver pour prier ensemble en de tels moments et faire le vœu que les familles puissent trouver la force de surmonter cette terrible épreuve. L'office s'est achevé par les mots bouleversants de la fille d'une des deux victimes, âgée d'à peine 12 ans, prononcés dans un silence lourd et poignant à son parent tout juste disparu. 24 INFORMATION JUIVE Juin 2009 LA VIE DU CONSISTOIRE “Ce qui change au Talmud Torah” UN ENTRETIEN AVEC DAVID AMAR Avec le président des services éducatifs et vice-président de l'ACIP David Amar, nous revenons sur les projets actuels du Talmud Torah et la préparation de la rentrée prochaine. OOO I.J : Qu'est-ce qui a changé au Talmud Torah ? David Amar : Ce changement s'est opéré par une transformation radicale à la fois des méthodes, des activités, du matériel pédagogique et de l'enseignement. Nous oeuvrons pour que la leçon étudiée par l'élève devienne sa leçon. Je citerai tout simplement une lettre qu'un des parents d'élèves m'a envoyée récemment et dans laquelle il me dit que "par cette nouvelle méthode structurée dans sa progression pédagogique et sa méthode ludique qui fait le bonheur des élèves comme des professeurs, prend en compte le niveau de chaque élève et rend simple l'articulation entre les activités orales et écrites ". Ces nouvelles méthodes ont emporté l'adhésion des organisations importantes telles que la FMS, le Fonds Pinkus et le Fonds Wolshon qui ont contribué largement à ces changements et ont œuvré pour que le Talmud Torah progresse, se modernise et suscite un réel engouement de la part des élèves. d'usine, fabrication des matzot et distribution de matzot chmourot pour le Seder aux 2000 enfants de nos Talmudé Torah. - La Haftara Club - Sans oublier notre objectif principal: notre attachement indéfectible à Israël et à Jérusalem. Rappelons que chaque année pour que chaque élève Bar ou Bat Mitzva soit imprégné de cet attachement, le Consistoire de Paris en collaboration avec l'Agence juive organise un voyage en Israël qui aura lieu cette année du 12 au 19 juillet. I.J : Ou en est-on dans la formation des maîtres ? D.A. : Nous avons beaucoup insisté cette année pour que nos méthodes soient imprégnées de celles prodiguées aux USA, à savoir : - les motivations des professeurs rejaillissent sur l'élève, - aider les professeurs en élargissant le champ d'action des élèves dans leur formation extra scolaire. A cet effet, plusieurs journées de formation pédagogique réunissant l'ensemble des professeurs ont eu lieu. Le site internet du Consistoire de Paris comprend désormais sa rubrique Talmud Torah dans laquelle l'élève peut surfer et entrer sur le programme de l'année pour s'entrainer afin que le nouvel examen de fin d'année mis en place récemment par la Commission des Services Educatifs sous la direction de M. Méir Moaty, soit une pleine réussite. Cet examen de fin d'année, en deux sessions, a été organisé le 14 juin et il concerne 2000 enfants. Il s'est déroulé dans d'excellentes conditions et s'est très bien passé. I.J : Quels sont les projets pour la rentrée prochaine ? D.A. : Ils consistent essentiellement en l'édition exceptionnelle de 5 nouveaux manuels en partenariat avec la FMS et le Fonds Pinkus. Je veux remercier tout particulièrement notre président Joël Mergui ainsi que le grand rabbin de Paris qui ont toujours soutenu notre jeunesse et appuyer tous nos efforts mis en œuvre pour adapter le meilleur outil de travail à nos élèves des Talmudé Torah. I.J : Quelles sont les priorités ces dernières années ? D.A. : Elles sont multiples mais au préalable, interrogeons nous sur le devenir de l'enseignement prodigué par les professeurs de Talmud Torah au-delà de la Bar mitzva ? Pour cela nous avons diversifié nos activités pour pouvoir imprégner l'enfant de tout ce qu'il aura entendu, vu et remarqué. C'est la raison pour laquelle nous avons augmenté les activités extra scolaires : - plusieurs chabbatot pleins dans l'année ont été organisés pour faire vivre à nos élèves la pratique de leurs connaissances. - pour Pessah : explications, visites Voyage du Talmud Torah en Israël en 2008. L'édition 2009 aura lieu du 12 au 19 juillet INFORMATION JUIVE Juin 2009 25 ÉDUCATION Les ambitieux projets de l'école Gaston Tenoudji S itué depuis quelques années dans l'ancienne école israélienne dans le XVIIe arrondissement de Paris, l'établissement scolaire juif Gaston Tenoudji (2 rue Emile Borel. Tél. : 01 60 08 75 10) est en pleine mutation. L'école qui va du jardin d'enfants à la classe de 3e compte bien, pour la rentrée prochaine, faire le plein d'élèves. Objectif pour l'équipe dirigeante, soutenue par le Fonds social juif unifié (FSJU) : devenir l'école de l'excellence. " Aujourd'hui, nous avons 150 élèves, notre capacité est de 300 " explique Charly Kalfa, directeur du Collège. Le 26 mars dernier, accompagnée du directeur et de toute l'équipe pédagogique, Murielle Schor, nouvelle présidente du Conseil d'administration de l'école, a organisé une réunion d'information en présence de David Messas, Grand rabbin de Paris, et de Brigitte Kuster, maire du 17e arrondissement. Administratrice du Consistoire de Paris et personnalité incontournable de la vie locale du XVIIe, Murielle Schor a décidé de mettre toute son énergie au service de l'école. De leur côté, Charly Kalfa, directeur du collège, ainsi qu'Orly Elalouf, directrice du primaire, vantent l'originalité de l'école fondée sur " la promotion de principes pédagogiques novateurs, l'organisation d'événements et activités parascolaires, sans oublier l'organisation de classes vertes et de séjours touristiques". Cours de rattrapage, minis-stages de révision pendant les vacances : toute l'équipe enseignante de l'école travaille au quotidien pour le bienêtre et l'éducation des enfants. De plus, l'école bénéficie de locaux très spacieux. "Nous avons un gymnase et un laboratoire de langue à l'intérieur de notre enceinte. Ce qui est assez unique " précise Charly Kalfa, qui projette l'ouverture d'une classe de seconde d'ici deux ans. Autre projet qui devrait voir les jours dans les deux années à venir : l'ouverture d'une crèche. Virginie Guedj-Bellaïche 26 INFORMATION JUIVE Juin 2009 L'équipe de l'école Muriel Schor* : une école de l'excellence OOO I.J : Comment comptez-vous attirer de nouveaux élèves ? Murielle Schor : Notre priorité aujourd'hui est de faire connaître l'établissement. C'est pour cette raison que nous avons multiplié les réunions d'informations. Il est important que les membres de la communauté juive de l'arrondissement sachent qu'il y a près de chez eux, une école juive de qualité. Le défi que nous devons relever est complexe. Dans le 17e arrondissement, il existe beaucoup de bons et de très bons collèges et lycées. Les parents n'ont pas toujours le réflexe de l'école juive mais c'est important que nous les informions. Par ailleurs, Charly Kalfa, directeur de l'établissement, va faire le tour des Talmudé Thora de Paris pour faire connaître l'école, son équipe pédagogique et ses atouts qui sont nombreux. Mon objectif est simple : faire de Gaston Ténoudji une école de l'excellence. I.J : Quels sont ses atouts justement ? M.S. : Gaston Ténoudji est animé par une équipe de cadres de grande qualité laquelle met un point d'honneur à concilier rigueur de l'enseignement et méthode péda-gogique moderne. Classe verte, activités périscolaires et animations culturelles viennent compléter un enseignement de qualité. De plus, l'établissement est situé dans un quartier en pleine restructuration. Certains parents ont une image négative du quartier de la porte Pouchet. En tant que conseillère municipale et adjointe au maire, je suis bien placée pour vous dire que la réhabilitation totale de ce quartier est imminente. Sa situation géographique, son personnel et notre énergie à la faire connaître feront de cette école l'une des meilleures de Paris. I.J : Que vous apporte cette nouvelle fonction de présidente de Gaston Ténoudji ? M.S. : Je ne me pose pas la question en ces termes. Je me demande juste ce que moi je peux apporter à cette école mal connue et en sous-effectif. Cela constitue pour moi un challenge. En quittant la ville de Saint-Ouen pour le 17e, l'école Gaston Ténoudji a gagné en potentiel. Je suis là pour faire connaître ce potentiel grâce à mes connexions à la mairie de l'arrondissement et mon ancrage local. V. G-B *Présidente de l'école JUDAÏSME Assez d'actes, plutôt des paroles ! L e 17 Tamouz constitue la date anniversaire d'un événement biblique capital pour la compréhension du judaïsme. Le veau d'or a été adoré ce jour-là par les Hébreux fraîchement sortis d'Egypte et les Tables de la Loi ont été brisées par Moïse sur-le-champ. L'adoration du veau d'or par les Hébreux quarante jours à peine après le Don de la Tora est surprenante. Le motif avancé par le peuple à Aaron afin qu'il exécute la statue de cette idole fut le retard inexpliqué du retour de Moïse du mont Sinaï. En effet, au terme d'un séjour de quarante jours et de quarante nuits passés sur le mont Sinaï pour apprendre la Tora, Moïse accuse un retard de six heures, selon leur compte. La panique s'empare alors du peuple : " Celui-là, l'homme Moïse, qui nous a fait monter d'Egypte, nous ne savons pas ce qu'il est devenu" (Exode 32, 1). Comment comprendre cette impatience ? Et comment comprendre qu'une statue représentant une divinité puisse succéder à Moïse, un homme qui n'occupait qu'une fonction de porte-parole auprès de Dieu ? Nous pourrions expliquer cette hâte en invoquant l'ambiance idolâtre dans laquelle les Hébreux ont vécu en Egypte durant des siècles et leur difficulté à s'en affranchir. Soit. Mais Dieu semble incriminer Moïse dans ce forfait en le sermonnant : " Va, descends car ton peuple, celui que tu as fait monter d'Egypte, s'est corrompu " (Exode 32, 7). Pour le Talmud, le renvoi et la descente de Moïse vers son peuple signifie que son sort est lié à celui du peuple ; si ce dernier est défaillant, Moïse perd sa légitimité de chef d'Israël (Bérakhot 32a). Il serait donc, en quelque sorte, co-responsable de la faute commise par Israël. A quel titre ? - Parce qu'il les " a fait monter d'Egypte " - et non pas sortir d'Egypte. Dieu souhaitait qu'ils en sortent définitivement (première Parole du Décalogue), tandis que Moïse les avait fait seulement monter de ce pays. Le projet divin visait la rupture avec l'idée que le salut des hommes pourrait venir du pouvoir magique détenu par Pharaon et ses sorciers ; Moïse avait réussi à leur faire quitter physiquement l'Egypte sans ébranler leur mentalité d'asservis et de conquis à ses forces occultes. D'ailleurs, l'image que les Hébreux ont pu retenir de Moïse après l'avoir observé à maintes reprises opérer des miracles à l'aide de son bâton, n'était guère différente de celle qu'ils ont eue des magiciens de Pharaon. Aussi, sa disparition pouvait être comblée par une représentation thaumaturgique empruntée à l'Egypte. Ils optèrent pour la statue du veau d'or en clamant sans scrupules : " Ce sont là tes dieux, Israël, qui t'ont fait monter d'Egypte " (Exode 32, 8). L'Egypte était, certes, perçue comme le pays de l'esclavage et, à ce titre, il fallait la quitter, mais le monde culturel et religieux qu'elle offrait n'était pas à rejeter, à leurs yeux. Moïse était un messager de Dieu. Mais, en raison du caractère abstrait de l'Être au nom duquel il réalisait les miracles et de la nature de sa fonction, politique plus que PAR ELIE BOTBOL quitté l'Egypte. Mais leur rêve se brise avec l'apparition de Moïse. Et il s'achève en même temps que la brisure des Tables de la Loi que Moïse décide sous le choc de la scène du veau d'or. Moïse réalise alors à quel point l'enseignement de la Loi était urgent et vital pour contrecarrer le piège de l'idolâtrie. Tout peut être idolâtré, y compris les Tables de la Loi ! D'où leur brisure sur le champ. Et lui-même, il prend conscience de la méprise dont il a été l'objet : il avait été réduit à un thaumaturge. Désormais, il tiendra le rôle d'éducateur, d'enseignant, de pédagogue et d'accompagnateur du peuple d'Israël dans ses épreuves. Assez d'actes, plutôt des paroles ! Le peuple a besoin non pas de miracles, mais de paroles porteuses de sens ! Les miracles - comme les spectacles - ne font pas grandir ; ils sont même dangereux, car ils font croire que tout est possible par la magie. En revanche, en pensant, en parlant et en agissant sur le monde, l'homme a des chances de surmonter les obstacles intellectuels et psychologiques Si le rituel a conservé le peuple d'Israël tout au long de l'histoire, l'étude de la Torah reste, en effet, indispensable pour lui éviter de devenir un ritualisme sans âme, une idolâtrie qui ne dit pas son nom. religieuse, Moise était réduit et identifié, aux yeux des Hébreux, à un thaumaturge. Sa vocation spirituelle et pédagogique allait précisément commencer à sa descente du mont Sinaï après les 40 jours d'apprentissage de la Tora passés auprès de Dieu. A partir de ce moment, ni Moïse ni son mentor ne pourront plus être identifiés à une divinité égyptienne car tout dans l'enseignement qu'il allait prodiguer allait être à l'opposé de cette conception. Mais coup de théâtre : Moïse n'arrive pas ! L'impatience manifestée par les Hébreux pour fabriquer le veau d'or est à interpréter, sans doute, comme l'occasion rêvée de mettre en œuvre leur dessein idolâtre tout en ayant de son existence, ceux qui l'empêchent de devenir adulte. Désormais, ce sera la tâche essentielle à laquelle Moïse s'attachera tout le restant de sa vie. La tradition retiendra le nom de Moché rabbénou, " Moïse notre maître ", pour le désigner, car il aura accepté comme vocation essentielle de transmettre et de donner du sens par la Tora aux actes et aux comportements des hommes. Si le rituel a conservé le peuple d'Israël tout au long de l'histoire, l'étude de la Tora reste, en effet, indispensable pour lui éviter de devenir un ritualisme sans âme, une idolâtrie qui ne dit pas son nom. INFORMATION JUIVE Juin 2009 27 HISTOIRE UN ENTRETIEN AVEC JEAN-JACQUES MARIE Anatomie de l'antisémitisme russe Agrégé de lettres et historien, Jean-Jacques Marie a consacré de nombreux ouvrages de référence à l'histoire de la Russie du XXème siècle. Il publie aux Jean-Jacques Marie éditions Tallandier une somme dans laquelle il analyse les thèmes et les évolutions de l'antisémitisme russe de Catherine II à Poutine. Jean-Jacques Marie a accepté de répondre aux questions de la rédaction d'Information juive. OOO I.J : Dans l'analyse que vous faites de l'antisémitisme en Russie, vous faites d'entrée une observation selon laquelle si le nazisme doit à l'Eglise catholique espagnole l'invention raciste de la “pureté du sang”, la Russie tsariste lui a offert le mythe du complot judéomaçonnique. Pourquoi l'antisémitisme a-t-il été, de tout temps, si violent en Russie ? Jean-Jacques Marie : Il y a en Russie conjonction entre un antisémi-tisme religieux, un antisémitisme social et un antisémitisme d'Etat. Ainsi, avant même que le triple partage de la Pologne à la fin du 18ème siècle ne fasse affluer quelques 900.000 juifs dans l'Empire russe, les deux premiers se conjuguent. Les impératrices Anne et Elizabeth ne veulent pas de membres du " peuple déicide " sur leur territoire, et les commerçants russes par crainte de leur concurrence ne veulent pas que les commerçants juifs soient autorisés à y pénétrer Lorsque le comte Vorontsov en 1790 satisfait leur requête, il distingue les juifs "européens "civilisés et honnêtes des juifs orientaux qu'il compare aux tsiganes et qualifie de filous ,auxquels il faut donc interdire l'entrée en Russie . En conséquence, ces nouveaux sujets seront parqués dans une " zone de résidence " dont ils ne pourront guère sortir …que pour quitter la Russie. L'antisémitisme social a un aspect paradoxal car la majorité des juifs de la zone de résidence sont des Luftmenschen qui vivent ( mal) de l'air du temps, de la charité ,de petits travaux occasionnels et ne cessent de s'appauvrir . En Ukraine, il prend appui sur une réalité sociale, qui suscite l'accusation alors portée contre les juifs et que l'écrivain conservateur Leskov démentira : comme les propriétaires polonais et russes confient en général la gestion de leurs propriétés à des intendants juifs et celle des auberges à 30 INFORMATION JUIVE Juin 2009 des cabaretiers juifs moins enclins à la boisson que les paysans russes et ukrainiens, ces cabaretiers sont accusés d'enivrer les paysans pour s'enrichir, alors que seuls s'enrichissent les propriétaires producteurs de vodka. pogromes visent surtout à saccager et piller leurs maisons et leurs biens. A partir du pogrome de Kichinev en avril 1903, le saccage se prolonge en massacre. I.J : C'est également en Russie qu'a été inventé le pogrome et qu'est né un faux historique devenu célèbre, les Protocoles des sages de Sion ? J-J.M. : Oui. Le premier pogrome a été organisé à Odessa en 1821. Ses motifs sont purement commerciaux, mais son habillage religieux : les commerçants grecs( surtout) et italiens qui contrôlent le commerce dans le grand port du sud voient d'un mauvais œil la concurrence croissante des commerçants juifs de la région .Ils accusent ces derniers d'avoir applaudi à la pendaison du patriarche de Constantinople Grégoire V par les Turcs (ce qui est faux) pour lancer des Russes et des Ukrainiens orthodoxes à l'assaut des commerçants juifs. Les premiers I.J : La différence que vous établissez entre l'antisémitisme des tsars et celui de Khrouchtchev et de Brejnev c'est que le premier s'affiche " sans vergogne " et que le second avance " camouflé ". J-J.M. : L'antisémitisme des tsars est déclaré, public, officiel car il est cohérent avec les fondements sociaux et religieux du régime et avec la discrimination de toutes les populations dites " allogènes ", parmi lesquelles les juifs sont les plus opprimés; l'antisémitisme de Staline et de ses successeurs est " camouflé", car il contredit les fondements sociaux d'un régime qui, à sa naissance et dans les premières années de son existence pourtant dramatique, a offert aux diverses nationalités existant en URSS de larges possibilités d'expression de leur culture et de leur langue ( du yiddish en ce qui Staline Poutine HISTOIRE concerne les juifs, à l'exception de l'hébreu considéré comme la langue du mouvement sioniste). C'est ce que Goebbels souligne à sa manière en affirmant : "Le bolchevik a progressivement paralysé l'instinct antisémite au sein des peuples de l'Union soviétique ". Ainsi Staline camoufle sa campagne antisémite sous le vocable de chasse au " cosmopolitisme ". I.J : Qu'est-ce qui, en 1880 va pousser les juifs à s'engager dans des mouvements révolutionnaires ? J-J.M. : On a là la conjonction de deux phénomènes : d'abord le développement rapide de l'industria-lisation et du capitalisme en Russie, en particulier dans la "zone de résidence" où ils sont confinés, transforme des dizaines de milliers de juifs en prolétaires ou semiprolétaires qui travaillent dans les conditions effroyables de la classe ouvrière naissante de l'Empire (journées de travail de 14 à 18 heures pour des salaires de misère); cette transformation disloque la vieille communauté juive dirigée par le kahal ; ensuite la première( 1881-1884) puis la deuxième ( 1903-1906) vague des pogromes poussent de nombreuses familles juives qui veulent fuir à émigrer ( vers les Etats-Unis pour les trois quarts d'entre elles) et les plus jeunes, désireux de se battre contre le régime tsariste qui les opprime et les accable de mesures discriminatoires, à s'engager mas-sivement dans les partis révolution-naires, juifs (le Bund au premier chef) ou russes (Socialistesrévolution-naires, Sociaux-démocrates). I.J : A quoi répondait l'initiative du pouvoir de créer au Birobidjan une région juive autonome ? J-J.M. : L'idée initiale, semble-t-il, est de donner un contenu à la nationalité juive en URSS en fixant de nombreux juifs à la terre , car il n'y a pas de peuple sans terre, puis en fournissant aux juifs soviétiques une terre dite ou décrétée juive, susceptible d'accueillir une partie d'entre eux. I.J : Ce projet finira, dites-vous, en une farce tragique. Pourquoi ? J-J.M. : Le Birobidjan est une région marécageuse quasi désertique, dépeuplée, infestée de moustiques, sans infrastructures, située à plus de 8.000 kilomètres à l'Est de Moscou à la frontière de la Corée, alors occupée par le Japon. Les colons qui y partent doivent tout construire de leurs mains avec des 32 INFORMATION JUIVE Juin 2009 moyens rudimentaires. Aussi la moitié d'entre eux en moyenne repartent l'année même qui suit leur arrivée. Il s'agit toujours de volontaires. Staline qui a déporté des peuples entiers, des Coréens de la région de Vladivostok en 1937 aux Tatars de Crimée en mai 1944, n'a jamais tenté de coloniser le Birobidjan par la contrainte. Construire une patrie juive dans ce coin perdu est donc une farce, qui se mue en tragédie lorsque Staline J-J.M. : Je dis démocratique parce qu'on a prétendu un peu partout qu'à partir de 1992 la Russie s'était engagée dans la voie de la démocratie. En réalité Soljenitsyne reprend l'héritage antisémite du nationalisme russe et de l'orthodoxie. Il répète tous les poncifs du "judéobolchevisme", calcule minutieu-sement le nombre de juifs dans les diverses instances et institutions politiques et culturelles soviétiques, reprend le vieux En réalité Soljenitsyne reprend l'héritage antisémite du nationalisme russe et de l'orthodoxie. Il répète tous les poncifs du “judéo-bolchevisme” par deux fois, en 1937-38 et en 1950-53, liquide la majorité des cadres de cette "république autonome" où l'enseignement du yiddish devient une marque de …nationalisme juif ! I.J : Comment a été décidée la liquidation dans le pays de toute l'intelligentsia juive ? J-J.M. : Parler de liquidation de toute l'intelligentsia juive entre 1947 et 1953 est exagéré. Staline veut décimer, marginaliser et terroriser cette intelligentsia, non l'exterminer. En même temps toute une sous-intelligentsia russe et ukrainienne, formée dans un esprit stalinien d'étroitesse nationaliste, se lance à l'assaut des postes occupés par des juifs, très nombreux à l'Université et dans tous les organismes scientifiques et artistiques. L'offensive "patriotique" anti-cosmopolite leur ouvre la possibilité de les en déloger pour prendre leur place. Nombreux sont ceux qui s'y essaient… I.J : Comment expliquez-vous ce que vous appelez "l'antisémitisme démo-cratique" de Soljenitsyne ? Catherine II thème du juif corps étranger dans le pays où il s'installe…etc. I.J : A vous lire, on a l'impression que l'antisémitisme en Russie - celle d'hier et celle d'aujourd'hui - est indéracinable et qu'il fait partie de l'histoire russe. J-J.M. : Ce n'est pas tout à fait vrai. Certes, selon le mot de Marx " les traditions des générations mortes écrasent le cerveau des jeunes générations ",mais il n'y a plus aujourd'hui en Russie d'antisémitisme d'Etat affiché et il est moins dangereux pour un promeneur à Moscou, Saint-Pétersbourg ou Irkoutsk d'être juif que noir, indien ou tadjik ! L'antisémitisme y est néanmoins encore vivace, surtout parmi les débris de l'ancien Parti communiste de l'URSS (Le Parti communiste ouvrier et paysan , toute une frange du Parti communiste de la Fédération de Russie de Ziouganov et des deux partis poutiniens , Russie unie et Russie juste) dans les organisations dites patriotiques, dans de nombreux groupuscules fascistes ou fascisants que le pouvoir laisse pulluler et dans une partie du clergé orthodoxe, qui tous reprennent les délires du complot juif mondial. L'Eglise orthodoxe a béatifié en 2000 le tsar Nicolas II, le fusilleur du Dimanche rouge, l'homme qui dénonçait la "clique juive" et a systématiquement gracié les pogromistes condamnés par la justice pour leurs exactions. Feu le patriarche Alexis II a décoré le président de l'Union des fraternités orthodoxes, Léonide Simonovitch-Nikchitch, antisémite déclaré et admirateur tapageur de Hitler. Mais si l'Eglise orthodoxe a récupéré ses biens, sa fortune et une grande place dans l'Etat, son poids social réel est assez mince… HISTOIRE UN ENTRETIEN AVEC ANDRÉ KASPI “Le dossier des Rosenberg” En juillet 1950, l'affaire Rosenberg éclate aux Etats-Unis. Julius et son épouse Ethel Rosenberg sont accusés par le FBI d'avoir livré à l'URSS les secrets de la André Kaspi bombe atomique. Ils sont arrêtés. C'est le début de l'une des plus célèbres affaires du XXème siècle. Les Rosenberg ne cessent de clamer leur innocence et l'opnion internationale se passionne pour leur sort. André Kaspi, professeur émérite d'histoire de l'Amérique du Nord à la Sorbonne, a minutieusement dépouillé et reconstitué plus d'un demi-siècle après ce dossier. Pour lui, les Rosenberg ne sont que " des espions ordinaires ". D'oùle titre qu'il a donné au livre qu'il consacre à cette affaire (Editions Larousse 16 euros) OOO I.J : Vous racontez dans votre livre l'ambiance qui prévaut en Amérique à la veille de l'affaire Rosenberg. C'est l'époque où la vie est relativement dure pour les nouveaux immigrants juifs. Julius Rosenberg lui-même a failli devenir rabbin avant d'opter pour une carrière scientifique. Vous vous demandez pourquoi de jeunes juifs, nés aux Etats-Unis, intégrés dans la société américaine, exerçant des métiers de responsabilité, deviennent communistes. Quelle est votre réponse ? André Kaspi : Il n'y a pas une seule réponse. Les Juifs ont apporté avec eux en Amérique l'idéalisme de leurs ancêtres. Ils attendent le Messie. Pour les uns - à cette époque, ils sont très peu nombreux- l'attente est conforme à l'esprit religieux qui les anime. Pour les autres, ceux qui ont renoncé à croire et, tout en restant fidèles aux traditions, ne prient plus, le Messie prend figure des " lendemains qui chantent ". Il faut, à leurs yeux, hâter la venue de la société nouvelle, qui abolira les privilèges, le pouvoir de l'argent, les discriminations et particulièrement l'antisémitisme. Il faut " changer le monde ". En outre, dans les années trente, le New Deal a été propice à ces aspirations au bouleversement. Un courant révolutionnaire a parcouru les Etats-Unis. Il a touché Juifs et non Juifs. A vrai dire, les Juifs américains ont été attirés, plus encore que par le communisme, par le mouvement socialiste et les actions syndicales. Ils sont, comme on dit là bas, progressistes, des "libéraux". Rosenberg appartiennent extrêmes. Ils ne sont partiellement représentatifs milieux juifs. des Les aux que des I.J : Vous rappelez qu'à cette occasion le journal Jewish Daily Forward écrit que le procureur juif a demandé une condamnation sévère, le juge juif a prononcé la peine capitale contre des accusés juifs pour éviter que les juifs passent pour des traîtres ou pour des patriotes exagérément tièdes. Y avait -til du vrai dans cette opinion surtout quand on sait qu'aucun des jurés n'est juif alors que les juifs constituent 30 % de la population de New York ? A.K. : Incontestablement, New York est une ville juive. Mais pas seulement, c'est aussi une ville italienne, allemande, noire, etc. Les Juifs s'y sentent à l'aise. Qu'ils vivent dans des quartiers où ils sont majoritaires, qu'ils prennent pied peu à peu dans des banlieues aux origines diverses, peu importe. Il n'est pas étonnant que le juge, le procureur, leurs assistants soient juifs. Pourquoi le jury ne compte-t-il aucun Juif ? C'est, en effet, étonnant. Sur le moment même, les défenseurs des Rosenberg n'ont émis aucune protestation, aucune remarque. Dans la procédure qui aboutit au choix des jurés, chacune des parties dispose du droit de rejeter la présence d'un candidat juré. La procédure a été appliquée sans susciter le moindre remous. Une explication peut-être. Le procès peut aboutir à une condamnation à mort. Les futurs jurés peuvent être interrogés sur leur opinion concernant la peine de mort. Des Juifs abolitionnistes auraient-ils été écartés, comme il arrive souvent ? Les Juifs, en général, pensaient-ils qu'il valait mieux laisser des jurés non juifs décider du sort des accusés ? I.J : Des journalistes ont à l'époque comparé l'affaire Rosenberg à l'affaire Dreyfus pour donner à penser qu'elle relève également de l'antisémitisme. Y avait-il alors un Zola américain ? A.K. : Non, il n'y eut pas de Zola américain. C'est que les intellectuels ne tiennent pas la même place aux Etats-Unis et en France. Là bas, ils ne sont pas chargés de dire la loi morale. Ce sont les journalistes qui ont pour mission de rechercher la vérité, de la révéler à l'opinion publique, de combattre pour qu'elle triomphe. En ce sens, le National Guardian, qui n'est pas un périodique communiste, assume le rôle des muckrakers, ces déterreurs de scandales qui, au début du XXème siècle, dénonçaient les turpitudes de la société américaine. D'ailleurs, la dénonciation d'un éventuel antisémitisme n'est pas le thème central de la défense qui ne recourt pas à cet argument. Il s'agit, avant tout, de démontrer que les Rosenberg ne sont pas des espions. Leur qualité de Juifs sera surtout INFORMATION JUIVE Juin 2009 33 HISTOIRE soulignée par la propagande communiste qui accusera les Etats-Unis d'hostilité aux Juifs, alors que, dans le même temps, l'antisémitisme sévit en Union soviétique et dans les Etats satellites, qu'on appelait "les démocraties populaires ". I.J : L'opinion française va ellemême, en gros ( Jean-Paul Sartre et Français Mauriac en tête), prendre fait et cause pour les Rosenberg. Pourquoi ? Est-ce par anti-américanisme ? A.K. : L'attitude des Français est très curieuse. Ils ont pris la tête du mouvement pour " sauver les Rosenberg ". Ils ont été beaucoup plus actifs que les autres Européens, voire que bon nombre d'Américains. Leurs motivations sont diverses. Pour les communistes, c'est une excellente occasion de s'en prendre aux Etats-Unis capitalistes, maccarthystes, défenseurs du monde soi-disant libre, adversaires farouches et principaux de la patrie du socialisme. L'anti-américanisme est évident. Il est la force principale qui pousse les communistes à protester, à défiler, à crier leur haine de l'Amérique. Mais des person-nalités, comme François Mauriac, n'agissent pas pour les mêmes raisons. En condamnant les Rosenberg, en les exécutant sur la chaise électrique, les Etats-Unis vont à l'encontre de leurs valeurs, ce qui revient à dire que les valeurs américaines méritent d'être défendues, voire exaltées. Ce qui fait horreur, c'est l'éventualité d'un châtiment qui passe par la chaise électrique - un moyen d'exécution que les Français condamnent avec indignation, alors que les Américains expriment la même horreur pour la guillotine. C'est aussi et surtout une sorte de certitude, ancrée dans les esprits, que les Rosenberg ne peuvent pas avoir commis le crime dont ils sont accusés. Ils sont innocents. Non pas parce qu'ils sont communistes, mais bien qu'ils soient communistes. Dans cette perspective, l'Amérique ferait tragiquement fausse route. Comme l'écrit Jean-Paul Sartre, elle " a la rage ". I.J : Aujourd'hui 55 ans après, on sait de l'affaire tout ce qu'il y a à en savoir. 34 INFORMATION JUIVE Juin 2009 Julius et Ethel Rosenberg Vous dites que plus personne ne peut mettre en doute les activités d'espionnage de Julius, la complicité de sa femme Ethel et l'existence d'un réseau que dirigeait Rosenberg. Qu'est-ce que les archives soviétiques apprennent aux historiens à ce propos ? A.K. : L'affaire continue de passionner pour plusieurs raisons. D'anciens militants communistes se rappellent qu'ils ont manifesté pour les Rosenberg, contre la justice américaine. Ils s'interrogent aujourd'hui sur leur indignation passée. Ont-ils eu raison ? Ont-ils été manipulés ? Auraient-ils dû manifester plus d'esprit critique ou se sont-ils laissés emporter par l'atmosphère de la guerre froide ? Et puis, beaucoup de nos contemporains ont vaguement entendu parler de l'affaire, sans bien comprendre ce qu'elle dissimule, sans pouvoir conclure qui a raison et qui a tort. Des articles ne cessent pas de paraître, qui font allusion à des acteurs de ce drame. Il y a, encore aujourd'hui, des acteurs de ce drame qui témoignent ou qui suscitent des articles nécrologiques. Des ouvrages ont été sans cesse publiés. Des associations continuent de militer pour la réhabilitation des Rosenberg. Et, à l'arrière-plan de cette agitation confuse, les révélations qui proviennent des services de renseignement. Aujourd'hui, on en sait bien plus qu'hier. On découvre des techniques qui relèvent des films et des romans de science - fiction. L'espionnage soviétique aux EtatsUnis a bien existé. Des communistes américains ont bien été des espions. Le FBI n'a pas révélé à l'époque tout ce qu'il savait. Derrière tout cela, un homme et une femme, de chair et d'os, qui tentent de démontrer leur innocence, alors qu'on sait maintenant qu'ils étaient coupables. Ils ont été exécutés, alors que d'autres espions, qui ont commis des crimes encore plus graves, ont été épargnés. Le mystère, l'indignation, le militantisme d'un autre âge, voilà qui constitue l'essentiel de cette histoire qui date de plus d'un demisiècle et pourtant nous touche par sa dimension humaine, sa complexité politique et ses rapports avec l'éthique. BONNES FEUILLES “Imams et rabbins, pour déjouer l'impuissance” PAR KHALED BENTOUNES Cheikh Khaled Bentounes est considéré aujourd'hui comme l'un des plus éminents représentants du mouvement du soufisme dans l'islam. Dans le livre qu'il publie avec l'écrivain et spécialiste des religions Bruno Solt , " La fraternité en héritage " il exprime à nouveau avec force le choix qu'il a fait de favoriser le dialogue inter-religieux, l'écologie ou l'éducation notamment avec les scouts musulmans de France. Avec l'autorisation de nos amis des éditions Albin Michel, nous publions ci-dessous en bonnes feuilles, trois brefs extraits de cet ouvrage. P ossédant un passeport algérien, il m'est difficile de me rendre en Israël malgré les nombreuses invitations que j'ai reçues, les deux pays n'ayant pas de relations diplomatiques…Chaque fois qu'imams et rabbins se rencontrent, je souhaite pouvoir apporter une lueur d'espoir dans le conflit israélo-palestinien qui dure depuis soixante ans. Soixante années de souffrances dont je crains qu'elle finissent par effacer la mémoire des liens très étroits que le judaïsme a entretenus avec l'islam depuis des siècles. Beaucoup de grands rabbins, de grands philosophes qui ont nourri la culture du judaïsme, sont issus du monde arabomusulman. Dans les villes, les quartiers juifs ont toujours été construits proches du Palais royal pour être honorablement défendus en tant quem minorité jouant un rôle considérable. L'Empire ottoman a eu nombre de diplomates juifs et autres ambassadeurs. La Grèce et la Turquie ne sont-elles pas entrées en guerre en raison du refus de la première d'accepter un ambassadeur juif envoyé par la seconde ? Lesquels de nos jours le savent encore aujourd'hui ? Multiplier les rencontres entre imams et rabbins pour favoriser le dialogue suffira-t-il à déjouer l'impuissance ? Peut-on leur demander de résoudre un conflit, dont l'histoire se révèle de plus en plus politique et financière, quand les plus grands pays du monde n'ont toujours pas réussi ensemble à trouver une solution ? Je crois cependant qu'il nous faut poursuivre toutes les formes de dialogue possibles entre Israéliens et Palestiniens pour maintenir cette lueur d'espoir indispensable au processus de paix.(…) Nous sommes au seuil d'un avenir semblable à une bête féroce qui se jettera sur tout ce qu'elle trouvera, un avenir truffé de situations imprévisibles. Cette bête frappera tantôt à travers la religion, tantôt à travers la science, tant$ot à travers le monde économique ou politique. Toutes les armes seront utilisées. Celui qui ne s'est pas préparé à cet avenir, celui-là sera perdu, oublié, dépassé par les événements. Il deviendra esclave des autres. En vérité, nous allons vers un monde très dangereux. Des groupes vont surgir, tels qu'ils surgissent déjà aujourd'hui, qui n'ont plus peur de la mort. Les foyers de tension vont se déplacer partout, sans qu'il soit possible de les prévoir ou même de les comprendre car ils ne revendiquent plus rien. L'ego de l'homme est arrivé à un seuil où plus rien n'existe mis à part lui-même. Khaled Bentounes L'homme s'est divinisé. Nous sommes entrés dans une ère de décadence où toutes les valeurs humanistes ont été vidées de leur substance pour être remplacées par la valeur marchande unique. La crise véritable n'a pas encore commencé, elle est à venir. Un tremblement est en route. Ce qui paraissait inébranlable sera ébranlé. Ces valeurs qu'on croyait éternelles s'effondreront comme de vulgaires châteaux de cartes. (…) Je suis inscrit dans une réalité, l'autre aussi. Nos réalités sont parfois complémentaires, parfois divergentes selon les intérêts de chacun. Mais quand bien même l'autre serait le contraire de moi-même, il participe de mon existence. Chaque être est comme une lettre de l'alphabet : elles ne font sens que reliées entre elles pourv conjuguer le verbe, soit la connaissance et l'amour. C'est lorsque j'accepte de me relier à l'autre que je deviens une réalité pensante. Alors il est clair que les contraires sont nécessaires en ce qu'ils sont complémentaires. Un tel principe appliqué au monde permet à la société de se construire. Ma différence en complétant celle de l'autre, devient une possibilité d'action. Ma spécificité ne nie pas celle d'autrui, mais l'augmente, chacun s'enrichissant de la différence de l'autre, et nourrissant ainsi cette tradition de fraternité humaine si précieuse au soufisme et garante du dialogue. C'est notre devoir d'êtres humains de perpétuer cette culture, cette mémoire, et cette spiritualité qui nous a été transmise, et dont nous sommes les garants et les transmetteurs". K.B (Copyright Editions Albin Michel) INFORMATION JUIVE Juin 2009 35 REPÈRES “Sur les murs des artères de Casablanca” Dans le livre sans concession qu'il consacre à la monarchie marocaine ( Mohammed VI. Le grand malentendu. Editions Calmann-Lévy 17 euros ), le journaliste Ali Amar relate comment il fut, en sa qualité de co-fondateur du Journal ( l'une des plus importantes publications du Maroc indépendant ) le premier à publier, le 5 décembre 1998, une interview d'un Premier ministre israélien dans les colonnes d'une publication du monde arabe : " Le visage de Benyamin Netanyahou avait tapissé les murs des artères de Casablanca et des grandes gares du pays…Hassan II en avait pris ombrage, lui qui avait refusé de recevoir au Maroc Netanyahou, malgré l'existence d'un bureau de liaison israélien qui faisait office d'ambassade de l'Etat hébreu à Rabat ". Cette interview, ajoute le journaliste " avait soulevé une vive polémique auMaroc et dans le monde arabe, le Premier ministre israélien étant opposé à toute reprise du processus de paix au Proche Orient ". Jérusalem dans les chiffres Selon des chiffres publiés par le quotidien Yedioth Aharonot à l'occasion de Jour de Jérusalem, cette formule apparaît 2 fois dans la Bible :dans le psaume 137 et dans le livre de Samuel 2. -8 livres bibliques ont été écrits à Jérusalem dont ceux que la tradition attribue au roi Salomon : Le cantique des cantiques, L'ecclésiaste et les Proverbes. --24 rois ont gouverné la ville. -Salomon y a écrit 3.000 proverbes et 1.005 poèmes. -On a dénombré, dans les récits bibliques, 27 noms des portes de la ville ( la porte du poisson, la porte du troupeau, la porte de l'eau etc…). Il va de soi que ces noms n'ont rien à voir avec ceux que l'on connaît aujourd'hui. -Il y a eu 9 révoltes à Jérusalem. -Le nom de Jérusalem figure 669 fois dans les textes de la Bible. -La royauté s'est maintenue dans la ville durant 466 ans. 33.000 étudiants à Bar Ilan Dans un autre chapitre du livre, l'auteur signale que " si les religions monothéistes sont tolérées ( le pays compte d'innombrables lieux de culte juifs et chrétiens, notamment la grande cathédrale St Pierre de Rabat ), un musulman n'a pas, au regard de la loi, la latitude de se convertir à une autre religion et encore moins de déclarer publiquement son athéisme " Ali Amar évoque par ailleurs les origines de Richard Attias, l'époux de Cécilia Ciganer-Albéniz : " Les Attias qui appartiennent à la bourgeoisie juive de Fès, ont toujours gravité autour de la famille royale du Maroc. Le grand père de Richard a été le tailleur personnel de Mohammed V et son oncle vendait des produits de luxe au Palais. Richard Attias doit, quant à lui, sa mise en orbite dans le gotha des affaires à Hassan II ". L'Université Bar Ilan en Israël Le professeur Moshé Kavé a été réélu pour la sixième fois président de l'Université Bar Ilan en Israël. Voici comment il résume la vocation de son université : "Ber Ilan veut être une excellente université sans le moindre préjugé dans aucun domaine. Nos fondateurs ont souhaité créer une université différente où l'on enseigne, parmi d'autres disciplines, la tradition, l'histoire et la sagesse juives. Elle est aujourd'hui la plus grande faculté en matière d'enseignement du judaïsme. Nous y donnons plus de 2.000 cours à 33.000 étudiants. Notre université a aujourd'hui plus d'étudiants que n'en avait eus Rabbi Akiva ( 24.000). Mais à la différence de ceux de Rabbi Akiva qui ne s'aimaient pas, nos étudiants, eux, se respectent. Nous n'enseignons pas la religion et nous ne prêchons pas. Nous sommes une université ouverte qui respecte toutes les opinions ". 36 INFORMATION JUIVE Juin 2009 LIVRES La Kabbale roman Lawrence Kushner OOO Lors d'un voyage en Israël, le rabbin et enseignant new-yorkais Kalman Stern ramène de la gueniza d'une petite synagogue de Safed un Zohar à la couverture fort abîmée. Des années plus tard, par hasard, la colle de la 4ème de couverture lâche et libère une feuille en araméen, signée Moïse ben Shem Tov d'Vadi al-Hajra. Après analyse, le Zohar serait daté de 1647 mais le filigrane de la lettre remonterait au 13ème siècle, période où vécut Moïse de Léon auquel on doit le texte du Zohar. Féru de mysticisme, notre héros déchiffre avec avidité certains mots du petit texte comme " graine du commencement ", " matrice de l'être ", " obscurité - éclair de lumière ", ce qui l'incite à assister à une conférence d'Isabel Benveniste, un professeur de cosmologie. S'ouvre alors un roman qui va naviguer entre la Castille du 13ème siècle et le Manhattan de nos jours avec un petit crochet par la Pologne. Parallèle romantique oblige : le rôle de la femme dans l'épanouissement de l'homme, avec celui de l'épouse de Don Judah vis-à-vis de Moïse de Léon et celui de Kalman avec son professeur Isabel, le tout sur support de questionnements sur la Création, l'unicité et la séparation, le masculin et le féminin. Une jolie fiction bourrée d'anecdotes. (Editions Presses du Châtelet - 18,95€) Les Oiseaux d'Auschwitz Arno Surminski OOO Ce roman basé sur la réalité des camps d'extermination dépeint l'étonnante relation dans les années 1941-42 de deux hommes que rien ne prédestinait à une telle rencontre. Le premier, Hans Grote, ornithologue dans le civil, est affecté garde à l'entrée du camp d'Auschwitz. Le second, Marek Rogalski, étudiant d'art à Cracovie, avait participé par hasard à une manifestation d'intellectuels polonais fin 1939. Délit suffisant pour l'expédier dans un camp. Grote obtient le droit d'étudier les oiseaux, migrateurs et sédentaires, qui les survolent et choisit Marek pour lui dessiner les volatiles et en empailler certains. Une relation étrangement forte va s'établir entre deux hommes que pourtant tout sépare : Grote le nazi, heureux père de famille, homme intègre et loyal à son dieu, le Führer car " les ordres sont les ordres " et Marek le chrétien polonais naïf accroché à son rêve de libération et à sa fiancée Elisa. Il mettra du temps à comprendre pourquoi les trains déversent tant de marchandise humaine, pourquoi on va devoir construire 350 baraques et des crématoires à Birkenau pour les recevoir, pourquoi les tests que lui explique Grote sont indispensables au monde futur... En pensée il écrit à Elisa tout en dessinant pour le futur mémoire de l'ornithologue : des grues et des cigognes, des hérons cendrés et des hirondelles, des alouettes et des corneilles. Sujet de l'étude : comment se comportent les oiseaux quand les hommes basculent dans l'horreur de l'indicible? Mais oui, certains vont continuer de squatter les fils des barbelés, la tour des miradors, plus rarement la potence " sur place pour dissuader " explique calmement Grote par ailleurs soucieux de protéger son jeune assistant. Mais plus tard les migrateurs éviteront cette zone alors que les corneilles s'en donneront à coeur joie. Plus tard, vers quel avenir? Un livre bouleversant au style dépouillé. (Editions Jean-Claude Gawsewitch - 17€) O.L. La dame de Jérusalem Franck & Vautrin OOO Le 22 Juillet 1946, Blèmia Borowicz dit Bora, 36 ans, le célèbre reporter photographe aux Leicas magiques et à la canne impérieuse, a rendez-vous devant l'Hôtel King David de Jérusalem, siège du commandement britannique en Palestine. Une jeune fille en vélo, les pieds enveloppés de grosses chaussettes, l'aborde. Agent de liaison de l'Irgoun, c'est elle qui l'a fait venir d'urgence de Paris pour prendre des photos de l'attentat qui se prépare. Embarqué dans de nouvelles aventures et missionné par le Times de Londres pour un reportage en Terre Sainte, Boro le Hongrois s'apprête à parcourir la Palestine, l'Italie et l'Amérique entre 1946 et 48, entre la fin de la guerre en Europe et la proclamation de l'Etat d'Israël. En Palestine il fait la connaissance de Dov Biekel évadé du ghetto de Varsovie après la fin du soulèvement et responsable de l'immigration clandestine de rescapés juifs, activement recherché par les anglais. Boro mitraille l'arrivée d'un bateau de réfugiés arraisonné, se moque d'un haut gradé anglais et se retrouve enfermé à la prison de St-Jean d'Acre. Libéré, car ses photos ont déjà fait le tour du monde, il part pour Milan d'où Dov organise un convoi pour la Terre Promise auquel il va participer. Et plus tard ce sera New-York et les tractations diplomatiques liées à la création de l'Etat d'Israël. Imbriquant événements historiques et romance d'un héros irrésistible, un livre qui se dévore d'une traite. (Editions Fayard - 22€) Odette Lang INFORMATION JUIVE Juin 2009 37 REPÈRES OOO Le numéro 40 de la revue La Règle du jeu publie le texte d’un entretien que Bernard-Henri Lévy a accordé à Purple Magazine (Eté 2009 ). Dans cet entretien qui a pour titre “Autoportrait en miettes, indirect et en creux”, le philosophe relate ce que représentent pour lui un certain nombre d’écrivains et de personnalités. Voici par exemple ce que BHL dit de Benny Lévy : “Le personnage qui, de ma vie, m’a intellectuellement le plus impres-sionné. Chef politique des maos français. Puis secrétaire de Sartre. Puis cette montée, tellement romanesque vers Jérusalem et le Talmud” A propos du journaliste juif américain Daniel Pearl, Bernard Henri Lévy dit qu’il est fier “d’avoir contribué à ce que les juifs appellent “la célébration” de son nom…Il ne se passe pas un jour , aujourd’hui encore, sans que je pense à lui. Sans qu’il soit un peu avec moi et moi un peu avec lui. C’est étrange mais c’est ainsi”. OOO Paule Berger Marx, professeur agrégée d’histoire qui a soutenu une thèse de doctorat sous la direction d’André Kaspi en 2006 publie le texte de cette thèse sous le titre “Les relations entre les juifs et les catholiques dans la France de l’aprèsguerre”. Voici un bref extrait de la préface que notre ami André Kaspi consacre à cet ouvrage : “Juifs et chrétiens sont conscients qu’ils affrontent le même danger. L’incroyance progresse. Comment y faire face ? La France est de plus en plus déchristianisée ; la minorité juive de plus en plus déjudaïsée. C’est un mouvement de fond qui emporte notre pays et l’Europe ODASEJ L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919 Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x devient un adulte qui a de meilleures chances de construire son avenir et celui de la communauté L’ODASEJ a pour mission d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou en difficulté sur le territoire national Leur avenir est entre vos Transmettez mains votre nom à un programme de solidarité… Perpétuez la mémoire de vos parents … legs ou une donation à l’ODASEJ … Faites un Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire un legs ou une donation en faveur de l’ODASEJ en exonération des droits de succession ou de mutation Pour un rendez-vous confidentiel Appelez Tony SULTAN Tél. : 01 42 17 07 57 • Fax : 01 42 17 07 67 ODASEJ ESPACE RACHI, 39, RUE BROCA, 75005 PARIS 38 INFORMATION JUIVE Juin 2009 tout entière. Les querelles théologiques perdent de leur acuité. Le mouvement des conversions a beaucoup faibli. Le politique prend le pas sur le spirituel. “Il n’emêche que personne ne soutiendra qu’au lendemain de l’adoption de Nostra Aetate par le concile de Vatican, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tout au plus pourra-t-on soutenir qu’une longue période d’incompréhension , de méfiance voire d’hostilité a pris fin. Il reste encore du chemin à parcourir. Le texte de Paule Berger Marx éclaire ce passage. Du coup, il nous apporte un regard neuf sur une période, très récente, de notre histoire”.(Editions Parole et Silence. 32 euros ) OOO Dans son nouveau livre “Portraits pour la galerie” (Editions Albin Michel), Philippe Bouvard raconte avec le talent qu’on lui connaît les souvenirs qu’il a gardés d’un certain nombre de personnages “aussi éclectiques que cocasses”. Voici un extrait du portrait qu’il consacre à Enrico Macias : “Pied-noir, cheveu noir, œil noir, esprit clair, il est un grand séducteur. Et un grand funambule, passant d’une culture à l’autre…Joyeux, gaillard, grand raconteur de bonnes histoires mais saisi, avec la fortune et le succès, par la débauche bourgeoise, il est sans doute le seul patron que son maître d’hôtel tutoie. Et le seul partenaire de poker qu’on peut inviter sans risque : il joue très mal”. OOO Le numéro 123 ( printemps 2009) de la revue Politique Internationale que dirige notre Patrick Wajsman publie un très intéressant entretien avec le général israélien Herzle Bodinger. Ce général qui fut de 1992 à 1996 commandant en chef des forces aériennes israéliennes répond ainsi à la question de savoir quels sont les pays qui représentent aujourd’hui le plus grand danger pour Israël : “Selon moi, les Syriens restent le plus grand danger. Nous savons qu’ils possèdent plusieurs milliers de missiles qu’ils ont fabriqués eux-mêmes. Les dispositifs de lancement se trouvent dans les montagnes et dans le désert. La plupart de ces missiles sont armés de bombes pesant entre 500 et 1.000 kilos, et un nombre non négligeable d’entre eux sont armés de têtes chimiques. Avec cette technologie, les Syriens sont les seuls à pouvoir atteindre tout le territoire d’Israël. Par surcroît, le régime de Damas est également le plus solide dans la région. Mais ses dirigeants travaillent en silence ; ils ne vocifèrent pas comme le président iranien Mahmoud Ahma-dinejad. C’est pourquoi je pense que s’il y a une guerre entre l’armée israélienne et celle d’un autre pays, ce conflit nous opposera à la Syrie”. OOO Membre du Comité directeur du Crif, Bernard Kanovitch publie ses mémoires sous le titre “Itinéraire d’un juif français” ( Bourin Editeur 19 euros ). Dans ce livre, il écrit notamment que “la dérive communautaire fait peser de graves menaces sur le vivre ensemble”.Kanovitch se demande par ailleurs quelles sont les valeurs qui fondent aujourd’hui l’identité française. Enfin il considère qu’un message religieux est encore pertinent dans nos sociétés laïques. ARTS Marcel Marceau, le vagabond du quotidien D eux vacations ont été nécessaires, les 26 et 27 mai, pour disperser à l’Hôtel Drouot, un millier d’objets et une part de la mémoire de Bip. Marcel Marceau (Marcel Mangel) a regagné, en septembre 2007, le silence dont il n’avait cessé d’ausculter l’âme et les frontières. La tourmente nazie qui l’avait éloignée de Strasbourg y a broyé son cadre familial. Mais lui revenaient toujours les figures aimées du père et de la mère dans leur boucherie Adath Israël de Strasbourg ; raflés en 1944, ils ne sont pas revenus d’Auschwitz. Marcel avait trouvé refuge en Dordogne auprès de son cousin, notre ami Georges Loinger, grande figure de la résistance et l’un des artisans du célèbre réseau monté par l’OSE pour exfiltrer des enfants juifs vers la Suisse. Les dons de Marcel le dirigent tout naturellement vers l’école des arts décoratifs de Limoges. Il y étudie la peinture, mais, admirablement doué, se plonge allégrement dans la fabrication de faux papiers d’identité, des cartes de ravitaillement et autres ausweiz. Comme les circonstances exigeaient plus que ses talents de faussaires, Marcel rejoint les groupes de Francs tireurs. Il adopte le nom de Marceau pour la Résistance puisque, né sur le Rhin, le rappel d’un vers de Victor Hugo “Hoche sur l’Adige, Marceau sur le Rhin”. les Enfants du Paradis à vingt-quatre ans, il donne vie à un personnage lunaire qui, l’œil charbonneux et la bouche fendue de rouge, promène sur scène un corps déglingué que surmonte le grotesque d’un bitos et sa fleur défaillante. BIP retient les leçons du théâtre No, du Kabuki et de la Commedia dell’arte. Avec un sens aigu de l’observation, Marcel brosse l’humanité, ses grandeurs, ses excès et ses mesquineries. “La parole n’est pas nécessaire pour exprimer ce qu’on a sur le cœur”, disait-il aussi. Le père de Bip “vagabond du quotidien et homme universel » voulait que sa maison de Berchères-sur-Vesgres (Eureet-Loir) devienne un musée, cœur et mémoire de l’école internationale du mime qu’il avait fondée. Ses anciens élèves et ses fans du monde entier le voulaient aussi. L’état lui en avait fait la promesse ; nous savons que les politiques n’avalisent pas toujours les promesses faites. Un langage universel La vente judiciaire qui vient de se tenir à Drouot devrait couvrir les dettes laissées par l’artiste. Ses objets parlent d’amour et de poésie. L’art de la pantomime, langage universel, se reflète dans des peintures, des dessins, des livres recueillis PAR MAURICE ARAMA sur toutes les routes du monde. Des photos le montrent en compagnie des grandes figures de l’histoire contemporaine : Charles de Gaulle, François Mitterrand, Ben Gourion, Willy Brandt, Bill Clinton, Gandhi, Nehru… On le voit heureux avec ses frères de la scène : Charles Chaplin, Buster Keaton, Stan Laurel, Oliver Hardy, Jean Vilar, JeanLouis Barrault, Madeleine Renaud, Maurice Chevalier, Raymond Devos. Le Mime Marceau poursuit, comme depuis 1947 sur scène, sa marche contre les vents dominants. L’invitation à faire une petite halte au Musée d’art et d’histoire du judaïsme n’aurait pas été de trop. La vente de Drouot proposait tout le matériel nécessaire pour un hommage qui lui reste dû. À l’instigation de Madame Christine Albanel, le ministère de la culture et son Fonds du patrimoine se sont portés acquéreur d’une vingtaine de pièces historiques dont le tapuscrit sur lequel Marcel Marceau notait la mise en scène de ses pantomimes. La vie de Marcel Mangel, l’homme et l’artiste, le peintre, le décorateur et l’homme de théâtre, reste un exemple et une fierté. Après l’évocation de la vie de Rachel (Elisa Rachel Félix ) par le MAHJ, rendre à BIP la musique de ses silences, ne serait que justice. Il se cache ensuite à Sèvres dans la maison où étaient regroupés les enfants sauvés de la tourmente. Il y monte des saynètes, fait le clown ou imite Charles Chaplin. Sitôt le débarquement allié réussi, il s’engage dans l’Armée du général de Lattre de Tassigny et affecté comme agent de liaison auprès du général Patton. La guerre terminée le dirige vers le théâtre. Il suit les cours de Charles Dullin, Jean-Louis Barrault et Étienne Decroux. Il aime interpréter Arlequin, petit frère du Baptiste que Jean-Louis Barrault a popularisé dans le film de Marcel Carné, Marcel Marceau avec David Ben-Gurion INFORMATION JUIVE Juin 2009 39 CINEMA Le bel hommage d'Almodovar au septième art P our ceux qui ne le sauraient pas encore, mais ils ne doivent plus être bien nombreux, Pedro Almodovar est aujourd'hui un monstre sacré du grand écran, l'un des quatre ou cinq plus grands metteurs en scène au monde, et même si tout jugement de ce type est nécessairement subjectif, d'autant plus pour un cinéaste dont la filmographie ne peut pas être regardée par tous - et encore moins par les plus jeunes- force est de constater qu'il nous livre depuis dix ans des films de très grande classe, revisitant et perfectionnant sans cesse un univers créatif à nul autre pareil. Tout comme Woody Allen est le symbole emblématique d'un certain cinéma américain, principalement ancré à New York, ayant concilié comme rarement cinéma d'auteur et succès public, ce réalisateur venu de Madrid et issu de l'underground espagnol, a vu son talent exploser au sortir du Franquisme et à une époque artistique particulièrement féconde, sorte de nouvelle vague ibérique, que l'on a surnommé la Movida, au tout début des années 80. PAR ELIE KORCHIA On pourra notamment retenir de cette période intermédiaire et charnière, deux films à l'originalité et à la beauté troublantes, qui témoignent de sa virtuosité grandissante, et qui ont tous deux pour interprète la sensuelle Victoria Abril, une de ses actrices fétiches, Attachemoi (sorti en 1990) et bien évidemment Talons aiguilles (César du meilleur film étranger en 1993) qui augure déjà du talent d'Almodovar pour entremêler les histoires et les genres cinématographiques ( mélo, comédie et film noir) dans une même œuvre. Etreintes brisées, superbe titre inspiré du Voyage en Italie de Roberto Rosselini, vient aujourd'hui conclure (sans doute provisoirement) un incroyable cycle de Enfin, en 2006, après avoir accouché d'œuvres tellement ambitieuses qu'elles pouvaient parfois se révéler difficiles d'accès pour certains, Pedro Almodovar décidait de revenir à Cannes avec un film plus consensuel et grand public, Volver, mais avec l'intelligence suprême de ne pas vouloir céder à la facilité, offrant par la même occasion à son quatuor d'actrices, regroupées autour de sa nouvelle muse Pénélope Cruz, un très mérité Prix d'interprétation collectif doublé du Prix du meilleur scénario. Etreintes brisées, injustement reparti bredouille de la Croisette cette année, donne à nouveau à Pénélope Cruz un superbe rôle, non plus en mère courage mais en femme amoureuse et blessée par le destin…Un personnage déchirant et doucereusement mélancolique, à l'image des personnages de Douglas Sirk, dont Almodovar est un grand admirateur. C'est ainsi qu'après une première période que l'on peut situer de 1979 à 1989, au travers de ses six premiers films, mélange de provocation loufoque et de subversion délirante, le Pygmalion de Carmen Maura et mentor du jeune Antonio Bandéras (qu'il dirige notamment dans le vénéneux Matador en 1986) va connaître sa première consécration avec une œuvre délirante et déjantée à souhait, au kitsch bariolé et ô combien inventive, Femmes au bord de la crise de nerfs ( récompensé par cinq Goyas du cinéma espagnol en 1989). cinq très grands films, qui ont fait de l'auteur du Labyrinthe des passions l'un des plus prolifiques réalisateurs contemporains, en même temps qu'un immense réalisateur d'acteurs. C'est le début d'une étape déterminante dans sa filmographie et les six opus qui vont suivre vont lui permettre d'affiner sans cesse son style, de l'épurer, de le délester de certaines facilités et autres outrances, dans le but de le faire aboutir à une parfaite maîtrise formelle et visuelle, perfectionnant aussi peu à peu son don inouï de la mise en scène de scénarii particulièrement foisonnants. Une suite royale, comme on dirait au poker, commencée il y a tout juste dix ans avec un film sublime, à la mise en scène remarquable, qui traitait du deuil d'un enfant en cassant les codes habituels et classiques du mélodrame, Tout sur ma mère (récompensé par un Prix de la mise en scène à Cannes en 1999 et auréolé des Oscar et César du meilleur film étranger). 40 INFORMATION JUIVE Juin 2009 Un sommet dans sa carrière, qui sera suivi d'une autre réussite, éblouissante d'intensité dramatique, Parle avec elle (Oscar du meilleur scénario en 2003) et d'un nouveau chef d'œuvre au scénario grandiose - bien que controversé- et à la narration savamment déstructurée, brillamment interprété par Gael Garcia Bernal, La Mauvaise éducation. Elle incarne ici un mélange de Marylin Monroe, avec un brin de tragédie fatale, de Gina Lollobrigida, pour l'influence latine et l'étourdissante beauté glamour, et enfin d'Audrey Hepburn, avec d'ailleurs de très belles références à l'héroïne de Sabrina. Car ce nouveau grand film du créateur de La loi du désir, dont il serait illusoire et inutile de vouloir donner un résumé suffisamment juste, tant il s'agit d'un puzzle flamboyant et complexe, entre mensonge et vérité, Eros et Thanatos, jalousie et manipulation, est avant tout l'hommage vibrant et sincère d'un amoureux du cinéma à sa passion, un éloge des vertus cathartiques du septième art et un hymne au génie créatif des grands Maîtres du cinéma, dont Almodovar est décidément un digne successeur. COURRIER L'Unesco menacée J'ai pris connaissance de la position prise par Bernard Henri Lévy, Claude Lanzmann et Elie Wiesel au sujet de la crainte qu'il y a à laisser l'Unesco tomber entre les mains d'un ministre égyptien raciste et antisémite. Que faire ? Et pourquoi a-t-on tardé à tirer la sonnette d'alarme ? Pourquoi les démocraties abandonnent-elles le combat pour la liberté et les droits de l'homme ? Je garde le souvenir des années 1974-75 au cours desquelles l'Unesco s'était déjà placée parmi les ennemis d'Israël et du sionisme. Sauf erreur de ma part, la mobilisation avait été alors considérable. Des milliers d'intellectuels avaient à l'époque protesté très vivement. Où sont ces intellectuels aujourd'hui ? Ilan Uzan - 75013 Paris Marianne et les fous Le journal Marianne avait, il y a quelques mois, traité le président Sarkozy de " fou ".Et je découvre dans l'hebdomadaire daté du 23 mai un article intitulé " Ils sont fous ces Anglais ".On a compris : le seul qui, pour les journalistes de Marianne ne soit pas, dans le monde politique, fou c'est … Jean-François Kahn. Elisabeth Cohen - Courriel Genève et son triste spectacle L'ONU fonctionne par symboles. Celui de l'anniversaire des soixante ans de son existence est désormais entaché par le triste spectacle d'agressions verbales antisémites et bellicistes réitérées par Amahinedjad et visant à la destruction d'Israël. L'absence à cette pantomime de Nations démocratiques et la présence de représentants de dictatures applaudissant et vociférant leurs soutiens à l'orateur accentuent la césure entre les Etats sur le respect des principes de l'ONU. La Société des Nations a succombé en son temps aux violations récurrentes de ses principes et à sa manipulation par les dictatures sanguinaires. Les manifestations contradictoires organisées et / ou spontanées à l'extérieur et à l'intérieur des locaux de l'ONUG ont garanti l'honneur des Nations-unies et le respect dû à ses principes organiques figurant à sa charte. Les services de sécurité de l'ONUG ont expulsé les manifestants exprimant leur indignation et leur fidélité à la charte. Ces expulsions ont été exécutées sous les insultes et cris des représentants des dictatures hostiles à Israël. Elles constituent une anomalie aux regards de l'esprit et du droit international public, la justice et la liberté sur lesquels se fonde l'ONU. Elles contreviennent violemment aux valeurs définies en sa charte par le principal rédacteur, René Cassin. En Suisse, la réception du dictateur iranien par Rudolf Merz, président de la confédération helvétique, correspondait au protocole diplomatique en vigueur. Toutefois, la soirée passée par les deux hommes dans un restaurant genevois assorti de photographies publiées par la presse " tout sourires" semblent aggraver les manque-ments à l'ordre public international. La présence et les propos tenus par Amahinedjad hors et depuis la tribune du conseil trahissent l'esprit qui devait être celui de la commission. Ils offensent l'intégrité fondamentale des Nations-Unies. Une fois de plus, Amahinedjad a présenté l'argument antisémite du " sionisme international". Ce préjugé de propagande diffamatoire et classique appartient au bréviaire de la haine tristement célèbre. Le représentant des mollahs incrimine l'Etat hébreu d'être constitué de rescapés et descendants de la shoah et de populations issues des persécutions subies dans le monde arabe! N'en n'étant pas à une contradiction de haine près, il nie par ailleurs et selon l'humeur l'existence ou l'ampleur de la shoah. Il s'en prend régulièrement aux populations coupables, à ses yeux, d'être nées juives ! Amahinedjad constitue l'un des éléments de la dictature théocratique en place en Iran. Il ne correspond pas à l'expression de la volonté générale. Dans de telles conditions, sa présence à la tribune du conseil comme ses déclarations de propagande mensongères, antisémites et bellicistes sont illégitimes au regard du droit international public comme de l'esprit organique des Nations-Unies. Ses prétentions relatives à l'esclavage des siècles précédents permettent avec cynisme à l'Iran de passer sous silence la pratique actuelle de l'esclavage dans la plupart des Etats qui lui sont alliés !(…) Les populations juives chassées des pays arabes à coups de pogromes dans les années quarante et cinquante du XXème siècle ont été recueillies par l'Etat d'Israël. Ces populations n'ont pas quitté leurs pays d'origines et n'ont pas intégré leur pays d'adoption de leur propre gré. C'est sous les contraintes que ces mouvements d'exils se sont produits. Le contester relève du même procédé grossier que celui qui pousse Amahinedjad à contester la shoah.(…) Pierre Saba - CH 1201 GENEVE CARNET Bar mitsva OOO Brian Chaouat, le petit-fils de notre ami David Amar, collaborateur de l'ACIP à la synagogue de la Victoire, a célébré sa bar mitzva le 21 mai à la synagogue La Victoire à Paris. A ses parents et à ses grands parents, nous présentons nos meilleurs vœux et un sincère mazal tov. Distinctions OOO Notre collaborateur et ami Maurice Arama a été promu au grade d'officier dans l'Ordre du Mérite. Nous lui présentons tous nos vœux et nos sincères félicitations. Nous avons appris que Monsieur Georges Amar, qui s'était vu remettre en 2004 les insignes de Chevalier de la légion d'honneur par Monsieur Claude Goasguen, vient d'être promu Officier dans l'ordre national du mérite. Information Juive lui présente ses plus sincères félicitations. OOO Nécrologie OOO Nous avons appris avec tristesse le décès, à l'âge de 83 ans, de Léon Tsevery, ancien déporté. Il était vice-président de l'association “Les fils et filles des déportés juifs de France”. Il avait publié avec Serge Klarsfeld “Les 1.007 fusillés du Mont valérien parmi lesquels 174 juifs”. Nous présentons à sa famille nos sincères condoléances. OOO Notre confrère et ami André Halimi a eu la douleur de perdre son épouse Evelyne Rachel Halimi, née Nahmias. Ses obsèques ont eu lieu le jeudi 11 juin au cimetière parisien de Bagneux. Nous présentons à son mari, ses enfants et petits enfants nos très sincères condoléances. INFORMATION JUIVE Juin 2009 41 VERBATIM TOM HANKS. Comédien : " Je suis constamment à l'écoute de ma propre foi, de ma propre spiritualité. Sinon je ne serais pas marié avec la même femme depuis vingt et un ans ". MICHEL SCHIFRES. Chroniqueur : " L'originalité, surtout an matière diplomatique, n'est pas aisée " MAX GALLO. De l'Académie française : " Il y a une manière, un regard Adler que ses auditeurs et ses lecteurs reconnaissent. Adler scrute l'actualité, la décrit en dégageant les racines historiques les plus enfouies " Journaliste : " Le journalisme, c'est le scepticisme permanent " nul, méchant, autoritaire et compromis avec le milieu de l'argent. Et lui, il est grand, intelligent, la bonté même, c'est un vrai démocrate et l'intégrité faite homme. Il ne faut quand même pas déconner " DENIS TILLINAC. JEAN-LUC HEES. CHRISTINE OCKRENT. Ecrivain : " En tant qu'écrivain, la nostalgie est quasiment ma raison d'être " JEAN DELUMEAU. Historien : " Depuis 2001, notre actualité est dominée par la confluence de dangers objectifs d'origines très variées ". MEL BROOKS. Humoriste. Il vient de monter à Berlin une comédie musicale burlesque : " je suis certainement le premier juif qui gagne beaucoup d'oseille grâce à Hitler . Dommage qu'il ne soit plus vivant pour voir le spectacle " Président de Radio France : " A 57 ans, je ne vais pas ruiner ma réputation d'indépendance pour devenir un journaliste obéissant et aux ordres ". HYAM YARED. Romancière libanaise : " La guerre au Liban est un peu devenue la vache à lait de nos auteurs…On meurt dans ce pays pour s'être exprimé librement " ANGELA MERKEL. Chancelière allemande : " Je ne suis pas vaniteuse. Je sais utiliser la vanité des hommes ". BARACK OBAMA. NICOLAS SARKOZY. Président de la République (à propos du livre de François Bayrou) : " Si j'ai bien compris, je suis petit, 42 INFORMATION JUIVE Juin 2009 Président des Etats-Unis : "Je vais enfin envisager sérieusement de perdre mon sang froid. Les cent premiers jours seront si réussis que je vais les accomplir en 72 jours. Le 73ème, je me reposerai " BERNARD-HENRI LÉVY. Philosophe : " Benny Lévy ? Une œuvre rare, pour l'essentiel orale, où l'on voit un Socrate juif frotter sa parole vive à celle de la compagnie de disciples qui l'escortèrent dans sa dernière aventure… " XAVIER DARCOS. Ministre de l'Education nationale : " François Bayrou est un maurrassien qui veut jouer les modernes " PIETRO CITATI. Critique italien : " La perte de la théologie est une grande perte pour la littérature. C'est sur son terrain que naît la littérature. La théologie et la religion sont dans l'imagination, dans la profondeur et du passé ". MALEK CHEBEL. Anthropologue : " Je ne crois pas que les islamistes m'apprécient beaucoup "