phares - Centre Pompidou Metz
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PHARES AUTOUR DES ŒUVRES SOMMAIRE 1. PRESENTATION GENERALE DU DOSSIER 2. AUTOUR DES ŒUVRES 2.1 JOAN MIRO 2.1.1 LE GRAND ATELIER ET LE GRAND FORMAT 2.1.2 LE NOIR ET LE GESTE 2.2 YAN PEI-MING 2.2.1 PORTRAIT, ANTI-PORTRAIT ET GRAND FORMAT 2.2.2 LE TRAIT 2.3 JOSEPH BEUYS 2.3.1 FLUXUS 2.3.2 SCULPTURE ET MUSIQUE 2.4 JULIO LE PARC 2.4.1 LE G.R.A.V. 2.4.2 CINETISME ET ŒUVRE INTERACTIVE 2.4.3 LE MOTIF DU CERCLE ET LE DEPLACEMENT 2.5 SIMON HANTAI 2.5.1 LE PLIAGE 2.5.2 LA COULEUR 2.6 ROBERT DELAUNAY 2.6.1 EXPOSITION INTERNATIONALE 2.6.2 RELIEF, DISQUE, RYTHME ET COULEUR 2 2.7 FERNAND LEGER 2.7.1 MONUMENTALITE ET COULEUR 2.7.2 COMPOSITION 2.7.3 L’AMOUR DE LA VIE 2.8 PABLO PICASSO 2.8.1 LE SPECTACLE ET LA DANSE 2.8.2 TRAIT ET COULEUR 2.9 LOUISE NEVELSON 2.9.1 METAMORPHOSE DE L’ASSEMBLAGE 2.9.2 UTILISATION DU BOIS 2.9.3 LE NOIR 2.10 CLAUDE VIALLAT 2.10.1 LE MOUVEMENT SUPPORTS / SURFACES 2.10.2 LA FORME D’UNE EMPREINTE 2.10.3 LA COULEUR 2.11 PIERRE ALECHINSKY 2.11.1 COBRA 2.11.2 LA CALLIGRAPHIE 2.12 JEAN DEGOTTEX 2.12.1 L’ABSTRACTION LYRIQUE 2.12.2 LA CALLIGRAPHIE 2.13 PIERRE SOULAGES 2.13.1 L’OUTRENOIR 2.13.2 LE POLYPTYQUE 2.14 FRANK STELLA 2.14.1 L’ART MINIMAL 2.14.2 TITRE ET GEOGRAPHIE PICTURALE 2.14.3 LA COULEUR 2.14.4 LE RELIEF 3 2.15 JOAN MITCHELL 2.15.1 L’EXPRESSIONNISME ABSTRAIT 2.15.2 LE PAYSAGE 2.15.3 LA COULEUR 2.16 SAM FRANCIS 2.16.1 L’EXPRESSIONNISME ABSTRAIT 2.16.2 LA COULEUR 2.17 ANISH KAPOOR 2.17.1 COULEUR ET MONOCHROME 2.17.2 PERCEPTION ET MEDITATION 2.18 DAN FLAVIN 2.18.1 L’ART MINIMAL 2.18.2 LA LUMIERE 2.19 ROBERT IRWIN 2.19.1 LIGHT AND SPACE 2.19.2 COULEUR, LUMIERE ET PERCEPTION 3. BIBLIOGRAPHIE 4 1. PRESENTATION GENERALE DU DOSSIER Ce dossier invite à mettre en perspective les œuvres des dix-neuf artistes présentés dans l’exposition Phares. Il tient à éclairer les différents mouvements artistiques du XXe siècle dans lesquels s’inscrivent œuvres et artistes. Il développe des thématiques propres à chaque œuvre : le noir, la couleur, la lumière, le geste, le relief, etc. Des unités sont possibles tirées du rapprochement des œuvres dans l’espace d’exposition mais aussi de sensibilités communes chez les artistes et leurs œuvres. Ce document présente les œuvres de Phares dans l’ordre du parcours lorsque le visiteur se dirige vers la droite, dès sont entrée dans la Grande Nef. 5 2. AUTOUR DES ŒUVRES 2.1 JOAN MIRÓ (1893, Barcelone -1983, Palma de Majorque) Personnages et oiseaux dans la nuit, 1974 Huile sur toile 274,5 x 637 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de l'artiste, 1979 Numéro d'inventaire : AM 1980-308 2.2.1 LE GRAND ATELIER ET LE GRAND FORMAT Alors qu’il navigue entre Paris et Barcelone et est amené à changer régulièrement de lieu d’habitation et d’atelier – son lieu d’élection et de création –, Miró exprime le souhait de travailler dans un « très grand atelier ». « Mon rêve, lorsque je pourrai me fixer quelque part, est d’avoir un très grand atelier, non pour des raisons d’éclairage, lumière du nord etc., auxquelles je suis indifférent, mais pour avoir de la place, beaucoup de toiles, car plus je travaille plus j’ai envie de travailler. Je voudrais m’essayer à la sculpture, à la poterie, à l’estampe, avoir une presse. M’essayer aussi à dépasser, dans la mesure du possible, la peinture de chevalet1 ». C’est également durant cette période que Miró va réaliser des œuvres murales dont une pour l’université d’Harvard et dans 1 Cité in Miró. Poésie et lumière, cat. exp. de la Fondation de l’Hermitage, Milan, 24 Ore Cultura, 2013, p. 18. 6 des projets d’art public. Les premiers grands murs de mosaïques datent de la fin des années 1950, les grands triptyques peints des années 1960 et les sobreteixims, pièces textiles des années 1970. Le rêve du peintre se concrétise à Palma de Majorque. L’artiste y demeure dès 1956 et jusqu’à la fin de ses jours au cœur de la nature, source de silence et d’inspirations infinies, protégé par la paix au milieu des amandiers. Majorque, la terre natale où Miró enfant passe ses vacances chez sa grand-mère, est « poésie et lumière » pour lui et le lieu d’une totale indépendance avec la lumière, le ciel, la terre et la mer. L’extérieur de la maison est inspiré de l’architecture méditerranéenne traditionnelle : la rigueur rectiligne des façades, la vivacité du mouvement curviligne créé par la silhouette du toit. Matériaux et couleurs associent la terre cuite à des touches de rouge, de bleu et de jaune, couleurs présentes dans la palette du peintre. L’atelier est quant à lui une grande pièce inondée de lumière, permettant à Miró de travailler des toiles de grand format. Le sol y est en terre battue comme si ce contact direct pouvait être le terreau et la source de sa création, la respiration du corps et de ce qui viendra. Un balcon intérieur en forme de « L » lui rend possible un recul suffisant pour contempler son univers créatif. Cet atelier – conçu par son ami architecte catalan Joseph Luis Sert, disciple de Le Corbusier – l’incite à travailler des œuvres monumentales et à mener plusieurs œuvres de front, dans une expérimentation renouvelée des techniques et des matières. Miró y délaisse la peinture de chevalet pour peindre au sol. « En 1959-1960, ce n’était plus une figuration que je peignais, mais la trace d’une figuration antérieure. Parfois, sur des fonds unis, je distribuais des taches en expansion, d’autres fois je meublais l’espace de graphismes sommaires et brutaux comme des graffitis2 ». « De temps en temps, je fais usage du chevalet. Mais, maintenant, c’est assez rare. Je mets mes tableaux sur des tréteaux ou par terre. Par terre, cela me permet de marcher dessus, ce qui est commode, surtout s’il s’agit d’une grande toile. Quand je l’ai terminée, je la mets au mur, avec l’aide de quelqu’un, ou je la fais poser sur le chevalet ou appuyer contre quelque objet qui la maintient verticale. Alors, je vois ce qu’il faut corriger. Après quoi je fais remettre la toile par terre pour exécuter les corrections. Par terre, je travaille à plat ventre ». 2.2.2 LE NOIR ET LE GESTE Le noir est souvent premier dans la peinture de Miró et participe du travail au sol, l’artiste utilisant de plus en plus son corps pour peindre, ayant recours à ses doigts trempés dans la couleur ou son poing pour l’étaler. « Je ne commence pas toujours par le fond. Très souvent, sur le blanc, je trace un graphisme noir et je l’enrichis par des éclaboussures ou des coulures. Cette méthode qui consiste à utiliser les couleurs est assez récente. Sur la toile posée à plat par terre, je verse de la couleur liquide, puis je mets la toile verticale3 ». Le noir, sur fond de taches brouillées de rouge et de jaune surtout, de vert aussi, recouvre la toile comme si la nuit envahissait le jour. Cette atmosphère-là prime sur les éléments expressifs, ces signes qui surgissent entre l’incendie et l’obscurité : « Je travaille par étapes – première étape, les noirs ; avec les autres étapes vient le reste, qui m’est donné par les noirs. Je ne suis donc pas pressé. C’est ce qui fait que d’habitude je me sers des couleurs 2 Cité in Miró. Poésie et lumière, cat. cit., p. 24. e « Entretien avec Yvon Taillandier, XX siècle, 1974 » in Joan Miró, Ecrits et entretiens. Ouvrage présenté par M. Rowell, Paris, Daniel Lelong, 1995, p. 304. 3 7 normales, des couleurs à l’huile, qui sèchent plus lentement que l’acrylique. Et puis je profite de ce séchage lent. Si j’applique une couleur alors que la précédente n’est pas encore sèche s’opèrent des mélanges, des nuances ; un jaune qui se mêlera à un vert donnera des nuances verdâtres. Ça produit des nuances, des matières. C’est plus riche. Et ces richesses-là, je ne les obtiens pas avec la couleur qui sèche tout de suite ». Le processus de création pour Miró se rapproche de l’élan dada, du langage gestuel de l’expressionnisme abstrait américain comme en témoigne la plastique de l’artiste dans l’action corporelle du peintre et le recours aux éclaboussures. Il y a là un parallélisme avec l’action painting de Pollock que Miró a rencontré lors d’un voyage aux Etats-Unis. Se retrouve aussi une prédilection pour le noir de certains expressionnistes abstraits américains, Franz Kline en particulier. L’exercice intense requis par le travail physique de Miró fait que l’œuvre qui en résulte tient moins à sa matérialité pour le peintre qu’à l’intense concentration et au processus qui lui ont donné naissance. Le goût de l’artiste pour le geste, sa spontanéité et une gamme chromatique réduite est également à mettre en rapport avec l’art oriental, la calligraphie surtout, que Miró a pu admirer lors de ses deux voyages au Japon en 1966 et en 1969. « J’ai été passionné par le travail des calligraphes japonais et cela a certainement influencé ma technique de travail. Je travaille de plus en plus en transe […]. Et je considère ma peinture de plus en plus gestuelle4 ». C’est surtout dans sa période de maturité, à Majorque, que l’artiste applique la méthode des calligraphes japonais : la phase de concentration pour entrer en transe suivie par une exécution extrêmement rapide. Cette passion pour l’art oriental se remarque aussi dans l’importance accordée au vide, à la touche calligraphique, à la gamme chromatique épurée et l’usage du noir. 4 Cité in Miró. Poésie et lumière, cat. cit., p. 26. 8 2.2 YAN PEI-MING Né à Shanghai en 1960. Vit et travaille à Dijon. Survivants, 2000 230 X 2430 CM Huile sur toile Polyptyque (7 panneaux) Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 2003 AM 2003-209 2.2.1 PORTRAIT, ANTI-PORTRAIT ET GRAND FORMAT Les grands portraits noir et blanc réalisés par l’artiste franco-chinois reprennent, par le format et la pose, les portraits officiels de Mao diffusés dès 1962 à des millions d’exemplaires comme un culte voué au Grand Timonier, guide du Parti communiste. Les Survivants témoignent d’un art porté avec distance et une certaine dose de connivence envers la Chine, depuis le sol français où vit et travaille Yan Pei-Ming. La perception des portraits suit un mouvement du regard qui va de près, de loin. A courte distance se dégage une forme expressive et abstraite qui devient précision photographique dès que l’on s’éloigne des toiles, portraits allant de Mao à Barack Obama dans lesquels on entre physiquement, pris par la peinture. Très tôt, durant sa scolarité au cours de laquelle se développe la propagande marxiste, Yan Pei-Ming réalise de grandes peintures politiques sur des panneaux métalliques, du papier marouflé ou sur le mur à partir d’images de propagande qu’il agrandit. Il peint aussi les héros populaires du moment. À son arrivée en France où il étudie d’abord à l’école des beaux-arts de Dijon, il passe par l’expression du corps souffrant, puis revisite ensuite les icônes de l’esthétique socialiste, dépassant son opposition résolue à l’art officiel qu’il venait de fuir. Aussi, dès 1987, l’artiste reprend le portrait du Grand Dirigeant, des séries de têtes et des figures en noir et blanc plutôt typées. L’année suivante, il se consacre aux grands formats qui sont davantage des anti-portraits : « [q]uand je 9 fais un visage, il est tout à fait autonome et ne représente pas un personnage précis. Je travaille sur l’anti-portrait5 » et ce dans des mises en série qui ont à voir avec des sculptures de Bouddha en un temple. Plus qu’une singularité à travers le portrait, l’artiste parle d’une « sorte de portrait universel ». La multitude, l’anonymat hérite aussi de la tradition lettrée à travers le sage dépourvu de toute trace d’égoïsme et de partialité. Quant au portrait de Mao, il se situe sur un plan d’efficacité politique. L’absolu y voile un vide fondamental, celui que la tradition légiste chinoise plaçait au principe du pouvoir despotique. L’art de Yan Pei-Ming questionne autant le portrait universel que ceux plus individualisés – figures imaginaires, brigands, vagabonds, réfugiés, filles de joie, le roman familial également, icônes et anonymes –, sachant que l’individualisation manque toujours d’échouer selon la conception philosophique de l’homme typiquement chinoise, en retrait de la notion occidentale de personne. Cela explique l’absence d’une histoire de l’art du portrait en Chine. En effet, tandis que le portrait est doté d’une histoire dans l’art occidental, il est presque absent en tant que genre dans celle de la peinture chinoise. Dans la Rome républicaine, l’on trouve l’imago, le moulage de cire du visage du défunt que les familles patriciennes gardent dans leur atrium. Rien de tout cela en Chine. Aussi, le portrait de personnages déterminés ne peut-il se peindre que dans l’esquive, la dissemblance. 2.2.2 LE TRAIT La peinture de Yan Pei-Ming est avant tout une peinture du trait. Sa brosse est large mais son art s’enracine dans un savoir-faire acquis par la calligraphie : l’exécution du trait spontané, rythmique, sans retouche, et qui commande la peinture. Le trait est une unité de mesure qui montre combien il n’y a pas de rupture dans le passage du portrait au paysage et inversement : « [l]orsque je peins, la figure évolue en même temps que la peinture. Je pars de formes abstraites, de “taches”, de coups de pinceau qui s’organisent pour laisser apparaître un visage6 ». Le trait transcrit le li, lois ou lignes internes des choses. L’art du peintre est de rendre actives ces lignes de force qui organisent et structurent la composition. L’œuvre naît du procès mais en épouse la vie. Le qi, recherche de l’énergie qui assure la cohérence interne de la peinture, est suivi de l’harmonie et seulement après de la pensée. 5 Christian 6 Christian Besson, Yan Pei-Ming, Paris, Hazan, 1999, p. . Besson, op. cit., p. 59. 10 2.3 JOSEPH BEUYS (1921, Krefeld-1986, Düsseldorf) Infiltration homogène pour piano à queue, 1966 Piano, feutre, tissu 100 x 152 x 240 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1976 Numéro d'inventaire : AM 1976-7 La peau, 1984 Feutre, tissu – hauteur 325 cm Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris 2.3.1 FLUXUS Employé comme suffixe, le terme « fluxus » s’applique à des objets et à des événements divers avant de désigner un ensemble d’artistes ayant le même état d’esprit. La signification du mot prend sa source dans la vision héraclitéenne du monde – tout coule –. Quant à ce qu’il recouvre, rien ne peut le définir vraiment si ce n’est autour de l’éthique du non-conformisme. Celle-ci poursuit l’entreprise initiée par les dadaïstes et Duchamp : la remise en cause de l’autonomie de l’art et des catégories esthétiques, des spécificités nationales, des genres et des hiérarchies. Le réseau Fluxus, à l’échelle internationale, est placé sous le signe 11 de l’ouverture et d’activités variées dont l’artiste George Maciunas est le véritable animateur. Des manifestations nombreuses ont lieu entre 1962 et 1963, du geste le plus simple aux jeux collectifs les plus débridés. La forme de l’event, terme venu de George Brecht – artiste d’avant-garde américain –, s’impose comme œuvre totale. Le modèle musical s’avère le plus important, inspirant un mode de création libre et ludique proche des expériences de John Cage, compositeur, poète et plasticien américain. L’action de l’event, simple, est menée par plusieurs personnes dans une ambiance prosaïque et humoristique, provoquant la prise de conscience du potentiel poétique des situations les plus banales par un décalage opéré à partir d’une situation courante. Les objets jouent un rôle déterminant, du seau à l’instrument de musique. Ils génèrent l’action et la transmettent. D’autre part, la fabrication et la diffusion d’objets évoquent des jeux imaginés par différents artistes, sans explication. Enfin, les manifestations comprennent aussi une activité artisanale et éditoriale tournée vers la production et l’expérimentation à travers l’emploi du collage et un travail sur la typographie. La revue Fluxus naît dans ce cadre. Les actions menées s’apparentent au happening – ce qui a lieu – en son premier point, exprimé par l’artiste américain Allan Kaprow de la façon suivante : « La démarcation entre art et vie sera maintenue aussi fluide et aussi indistincte que possible ». Des lieux alternatifs sont investis : salles de concert, lieux publics, rues. La conception collective et participative de la création échappe dès lors aux circuits officiels. A partir de 1962, Joseph Beuys est en relation avec deux des principaux protagonistes du mouvement Fluxus : George Maciunas et Nam June Paik. Il réalise plusieurs performances au sein de ce rassemblement d’individus, musiciens pour la plupart, dont la Symphonie Sibérienne. Premier mouvement lors du Festum Fluxorum Fluxus et Piano Aktion en 1964. Mais Joseph Beuys est une entité en soi. Artiste engagé, professeur, théoricien des sciences et prêcheur, ses formations s’imbriquent dans un concept d’art élargi, lestant matériaux et objets utilisés de toute une charge autobiographique, historique et mythique, contrairement à ce qui se passe dans les events portés par Fluxus. 2.3.2 SCULPTURE ET MUSIQUE Le piano recouvert de feutre exprime la volonté de faire de l’instrument une sculpture qui dépasse l’utilisation conventionnelle de l’objet. Joseph Beuys note combien le piano « décrit le caractère et la structure du feutre, ainsi, le piano devient le dépôt du son ». Ce piano de concert dont le feutre épouse les formes est issu d’une action réalisée en 1966 à la Kunstakademie de Dusseldorf, intitulée Infiltration homogène pour piano à queue. Il y eut aussi pour Joseph Beuys le projet de réaliser sa première œuvre avec piano : le Piano de terre, perspective jamais concrétisée qui devait établir un rapport entre terre et piano, piano et cercueil par analogie. Plus tard, il réalise Plight en 1988. Un piano au couvercle fermé est placé dans l’atmosphère assourdie d’une salle aux murs et au plafond couverts de rouleaux de feutre, un thermomètre posé sur le piano (acquisition du Mnam). Les Allemands de cette génération considèrent la sculpture comme un acte social et politique qui se réalise au cours d’une performance unique, limitée dans le 12 temps et dont les objets peuvent être la trace. Cette question de la sculpture comme acte social souligne la dimension politique que prendra le travail de Joseph Beuys. Ceci s’inscrit dans une conception de la sculpture qui passe déjà par l’enseignement et les entretiens de l’artiste. En effet, pour celui-ci, enseignant la sculpture monumentale, la parole (volume de la voix, modelé, tons) s’exprime dans l’espace créé et indique une œuvre collective à venir. Le feutre apparaît comme l’une des manifestations d’un long cheminement, passage de l’indéterminé au déterminé, dimension fondamentale de la théorie de la sculpture en même temps que de l’action. Beuys offre ainsi le caractère étrange d’un piano emballé, ensemble de données qui deviennent sculpture – jusqu’à la dépouille d’un monstre en ce qui concerne La Peau – et prise de conscience de ces transformations, la dimension acoustique devenant l’orchestration des idées. 13 2.4 JULIO LE PARC Né à 1928 à Mendoza (Argentine). Vit et travaille à Paris depuis 1958. Déplacement du spectateur no 1 1965/2013 Métal, contreplaqué, bois peint, Dibond – 500 x 680 x 104 cm Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Don de l’artiste, 2014 – EC2013-4-CC03 2.4.1 Le G.R.A.V. Créé en 1961 par des artistes issus du Groupe de Recherche d’Art visuel, le G.R.A.V. (Groupe de Recherche en Art Visuel) remet en cause les relations traditionnelles entre art, artiste, société. Le développement plastique de cette réflexion – qui s’accompagne d’enquêtes, de manifestes et de tracts – est une recherche sur le mouvement, le volume, la structure, à partir de matériaux contemporains (matières plastiques, métal, néon…). Ces recherches s’inscrivent dans le courant de l’art cinétique, dont les sculptures sortent de leur marginalité pour prendre une place centrale sur la scène artistique au cours des années 1960. Les statuts du G.RA.V. exigent un travail collectif pour l’analyse des problèmes techniques et physiques du lumino-cinétisme, un groupe de recherche et l’appel à la participation du public. Le groupe est dissous en 1968 après avoir participé à plusieurs expositions (Stockholm en 1961, Documenta III en 1964, Sigma II en 1966 et Lumière et Mouvement à Paris en 1967, Biennales de Paris de 1961 et 1963). 14 Julio Le Parc est membre fondateur du G.R.A.V. avec Yvaral, François Morellet, Horacio Garcia-Rossi, Joël Stein et Francisco Sobrino. Il réalise des œuvres interactives dans lesquelles le spectateur peut s’immerger et s’inscrit dans la continuité des déclarations du G.R.A.V. : « Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir de ses inhibitions, le décontracter. Nous voulons le faire participer. Nous voulons le placer dans une situation qu’il déclenche et qu’il transforme […]. Nous voulons développer chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action ». 2.4.2 CINETISME ET ŒUVRE INTERACTIVE Julio Le Parc travaille sur le mouvement, la lumière et l’espace-temps. Dans la tradition baroque, ses œuvres peuvent devenir de grandes machines publiques qui jouent avec les sens des spectateurs dont le déplacement fait varier les perceptions. Julio Le Parc agit comme un metteur en scène, s’amusant avec les illusions provoquées par ceux qui se déplacent. Les éclats de la lumière se reflètent dans les surfaces miroitantes. Tout va au-delà du regard qui dépend d’une mobilité du corps puisqu’il s’agit de se mouvoir pour que la théâtralité prenne corps : le « spectacle offert est celui du mouvement perpétuel et de la métamorphose7 ». Selon Julio Le Parc, « le spectateur vit l’œuvre dans un temps réel. Le mouvement particulier de sa perception concrétise une mesure de temps où l’œuvre se réalise à lui. La notion de commencement et de fin se trouve écartée de même que le caractère stable et fini des œuvres traditionnelles : il s’agit d’œuvres non définitives, mobiles, à multiples situations et variations constantes ». L’art et le jeu se tiennent la main, dans une perception du loisir qui rend les œuvres accessibles à tous. Aussi, l’artiste réalise-t-il plusieurs séries interactives comme les Surfaces-Séquences, les Reliefs en bois ou en métal et à moteur, les Continuels mobiles, Continuels lumière, les Reliefs à déplacement du spectateur, des éléments à manipuler, à essayer ou à éviter par le public. 2.4.3 LE MOTIF DU CERCLE ET LE DEPLACEMENT Julio Le Parc a conçu un ensemble d’œuvres qui déclinent le motif simple des cercles en noir et blanc. Ils se déforment et engendrent des effets optiques variables selon le mouvement du spectateur qui se déplace devant le relief composé d’alcôves de tailles égales et aux motifs répétitifs. Ceux-ci sont reflétés sur du métal ou du plexiglas réfléchissant, d’où la naissance du motif qui se multiplie. Julio Le Parc a débuté en 1962-1963 la série des Reliefs à déplacement du spectateur à laquelle sont associées des variantes. Il s’agit d’expériences avec des plaques courbes réfléchissantes qui déforment les images placées perpendiculairement au fond. Puis, c’est « la cloison à lames réfléchissantes qui fractionne et multiplie les images qui se trouvent opposées au spectateur, lequel se trouve à son tour fractionné et multiplié par un autre spectateur qui serait de l’autre côté de la cloison8 ». 7 Arnauld Pierre in Julio Le Parc, cat. d’exp. (Palais de Tokyo, 27 fév.-13 mai 2013), Paris, Skira-Flammarion, 2013, p. 37. 8 Jean-Louis Pradel in cat cit., p. 164. 15 2.5 SIMON HANTAÏ (1922, Bia, Hongrie - 2008, Paris) Tabula, 1974 Peinture acrylique et huile sur toile 300 x 574 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don M. Jean Fournier, 1978 Numéro d'inventaire : AM 1978-231 2.5.1 LE PLIAGE Après avoir été le fruit de l’inattendu, le pliage devient une méthode employée par Simon Hantaï. Il s’agit d’une pratique qui fait partie d’une activité en cours sans qu’une issue précise ne soit envisagée. Huit séries de peintures explorent jusqu’en 1982 autant de manières de plier la toile. Le pliage est un acte, une forme d’écriture, le souhait pour l’artiste de prendre une distance vis-à-vis de la toile et de percevoir cette dernière non pas frontalement mais au sol. Un travail soutenu par le toucher plus que la vue, comme un « aveuglement processuel », « le comble de la main et son abandon » selon l’artiste. La toile est pliée et nouée avant d’être peinte. Puis elle est dépliée, aplatie, tendue et montée sur un châssis. Seulement alors, elle est visible frontalement, les plis devenant des traces pour celui qui regarde l’œuvre. Des plis qui témoignent d’une mémoire, d’une histoire, et qui ont aussi à voir avec le tablier repassé puis plié de la mère du peintre ainsi que le travail artisanal de teinturiers dans le village natal de Simon Hantaï. Loin des pratiques établies de l’abstraction parisienne des années 1960, le pliage rend banal le processus de la peinture, le corps du peintre alors plié, à genoux, transformant le plan horizontal de Pollock en un champ de travail potentiel des plis. Dans la série Tabulas, la toile est pliée et nouée à l’envers selon une partition régulière et orthogonale. Avec l’agrandissement de l’échelle, chaque carreau 16 devient un pliage spécifique, les échos avec le tablier et les mosaïques de Ravenne se renforçant dans une grille rectangulaire. La dimension répétitive de la méthode, toujours soumise à variation au gré des séries, est démultipliée en un ensemble monumental. 2.5.2 LA COULEUR « Le choix du pliage comme méthode […] a ouvert [à Simon Hantaï] un champ infini de procédures de distribution et d’éclatement de la couleur sur la surface : les toiles sont nouées, froissées, peintes. Après-coup, le dépliage, l’ouverture de la toile, assure un éclatement de la couleur qui fait jouer les réserves blanches et les couleurs peintes, de telle sorte que les effets lumineux se multiplient et font vibrer la peinture. La démarche de Hantaï réalise ainsi la synthèse des préoccupations matissiennes et cézanniennes dans une peinture qui vient consciemment après Pollock9 ». Mais ce qui compte alors plus que tout, ce sont ces réserves, l’expression de la tabula, ce qui n’est pas peint et engendre d’innombrables modulations quand elles touchent les parties peintes. « L’expérience de la couleur est pour [l’artiste] aussi radicalement métaphysique qu’elle l’était pour Cézanne : dans la couleur-lumière se manifeste non seulement l’éblouissement du monde mais plus encore l’éblouissement que quelque chose apparaisse ». « De Matisse, celui en particulier des Papiers découpés et plus encore de la chapelle de Vence, Hantaï a retenu l’importance de la couleur comme lumière. Sa place à part tient aussi à la manière dont il a fait siens les apports du surréalisme et surtout compris la révolution pollockienne10 ». L’échelle architecturale des Tabulas poursuit également les principes de Matisse sur les aspects quantitatifs de la couleur et répand la peinture dans l’espace. 9 Yves Michaud, « Les leçons de Matisse » in Depuis Matisse, la couleur. Une approche de la peinture française au XXe siècle, cat. exp., Paris, Association française d’action artistique, 1985, p. 44. 10 Yves Michaud, art. cit., p. 44. 17 2.6 ROBERT DELAUNAY (1885, Paris – 1941, Montpellier) Entrée du Hall des réseaux, 1937 Relief peint sur bois Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Donation Sonia Delaunay et Charles Delaunay, 1964 Numéro d'inventaire : AM 1364 S (3) 2.6.1 EXPOSITION INTERNATIONALE L’Exposition internationale des arts et des techniques dans la vie moderne s’ouvre à Paris en mai 1937 dans un climat de mécontentement social et de tensions internationales les plus aigües. La commande de décoration faite par le Front populaire a pour but de soutenir les artistes et de favoriser le développement de l’art mural. Les thèmes imposés reflètent l’esprit du Front populaire. Il faut illustrer le slogan : « Les Arts et les Techniques de la vie moderne » en célébrant les valeurs du travail, du progrès technologique et de la nouvelle conquête populaire que sont les loisirs. L’exposition doit marquer « le passage d’une époque de création individuelle à une époque de création collective », selon Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts. Plusieurs créations témoignent d’un certain traditionalisme tandis que d’autres, éphémères, reflètent davantage le thème de la manifestation. C’est le cas du palais des Chemins de fer dont la décoration offre l’une des réponses les plus pertinentes à la quête nouvelle des années 1930 : une « création plastique homogène liant l’architecture, la décoration et la sculpture en un tout de même esprit11 » d’après l’architecte Félix Aublet. A destination de l’ancienne gare des 11 Cité dans la notice consacrée à « Robert Delaunay. Palais des Chemins de fer, Exposition internationale des arts et techniques, Paris, 1937 » par Cécile Godefroy in cat. d’exp. Chefs d’œuvre ?, dir. Laurent Le Bon, Metz, Centre Pompidou Metz, 2010, p. 102. 18 Invalides réaménagée par des architectes et par l’entreprise du président Léon Blum, le programme décoratif est confié au groupe Art et Lumière dirigé par Félix Aublet et Robert Delaunay. Egalement responsable de la décoration du palais de l’Air, le groupe emploie une cinquantaine de coéquipiers chargés de réaliser des peintures murales. Le caractère gigantesque de l’entreprise est entièrement voué à la synthèse des arts et peut rendre compte d’un projet moderne où « l’ingénieur, l’architecte, le sculpteur, le peintre collaborent à l’œuvre totale » déployée à l’échelle monumentale et à destination du grand public. Le palais comprend une entrée principale surmontée de panneaux peints et encadrés de cinq piliers illuminés la nuit de l’intérieur. Puis l’on descend dans le grand hall comprenant l’importante fresque Air, fer et eau qui surplombe une locomotive animée d’ampoules. La composition murale rend compte des trois transports usuels et célèbre Paris. Sur le côté droit, cinq colonnes surmontent l’escalier conduisant aux salles d’exposition. Sur chacune d’elles ont été peints des fragments de forme circulaire inspirées des Rythmes sans fin de 1934 tandis que, sur le côté gauche, l’on trouve deux panneaux peints par Sonia Delaunay, évoquant l’Espagne et le Portugal. 2.6.2 RELIEF, DISQUE, RYTHME ET COULEUR Depuis 1912, Robert et Sonia Delaunay partent en quête de l’art mural. Robert Delaunay réalise une importante série de reliefs où il expérimente, à grande échelle et à destination des murs, des matériaux inédits (plâtre, caséine, poudre de liège…) et de nouvelles techniques (sculpture, peinture à la fresque, à la colle, à l’huile et à l’œuf…) autour du motif du disque qu’il privilégie depuis 1906. Robert Delaunay travaille par série, héritage des impressionnistes, telle le Rythme sans fin, initiée dans la peinture en 1930 sur le modèle d’une Danseuse aux disques de Sonia Delaunay (1923) et marquant le retour à l’abstraction. Pas supplémentaire vers l’alliance des arts graphiques et de l’architecture, les reliefs sont également porteurs d’un grand intérêt de Robert Delaunay pour la couleur qui, alliée à la lumière, fait l’œuvre. Le spectre newtonien est utilisé dans son intégralité par les peintres avant-gardistes au début du XXe siècle avec la technique du mélange chromatique sous une forme circulaire chez Kupka ou Delaunay. Si Robert Delaunay est d’abord influencé par les œuvres impressionnistes, il commence à développer une réflexion sur la lumière et prend connaissance de l’ouvrage scientifique de Chevreul sur la perception des couleurs. L’ouvrage de ce dernier – De la loi du contraste simultané des couleurs (1839) – est une bible de la complémentarité. Selon le chimiste, les plages de couleurs juxtaposées, vues de loin, se mélangent dans l’œil. L’on parle alors de simultanéisme pour la peinture de Robert Delaunay. Il s’agit de la dynamique de la lumière sur la toile résultant du rapport statique des plages colorées. La technique chromatique repose en effet sur le principe des dissonances et la juxtaposition des plages de couleur distinctes. La couleur, libérée de tout impératif de fidélité au réel et de correspondance à la forme, célèbre la vie. Robert Delaunay va donc concentrer sa réflexion sur les manifestations de la lumière, synthèse de disques colorés animés entre eux d’une tension perpétuelle issue des contrastes entre les couleurs : « Robert voulait regarder en face le soleil de midi ; […] ce qu’il cherchait à jeter sur la toile, c’était ce qu’il avait vu les yeux fermés ; tous les contrastes que sa rétine avait enregistrés. […] Il avait 19 découvert des taches en forme de disques12 ». Selon le peintre, si « la lumière dans la nature crée un mouvement de couleurs », écrit-il dans un essai de 1912 « Sur la lumière », « la création de la lumière et du mouvement à travers la couleur serait son principal objectif en tant qu’artiste13 ». Et Robert Delaunay de poursuivre dans une lettre de 1926 : « C’est historiquement dans la couleur, élément fonctionnel lié à la forme que je concevais le moyen plastique d’expression. A la couleur, je donnais le rôle unique à construire, élément rythmique et vivant et représentatif, la représentation même14 ». 12 Sonia Delaunay, Nous irons jusqu’au soleil, Paris, Robert Laffont, 1978, p. 44. John Gage, La Couleur dans l’art. Ouvrage traduit de l’anglais par Lucile Gourraud-Beyron, Paris, Thames & Hudson, coll. « L’Univers de l’art », 2009, p. 37. 14 Robert Delaunay, Lettres à Albert Gleizes, 1926. 13 20 2.7 FERNAND LEGER (1881, Argentan – 1955, Gif-sur-Yvette) Composition aux deux perroquets, 1935-1939 Huile sur toile 400 x 480 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de l'artiste, 1953 Numéro d'inventaire : AM 3026 P 2.7.1 MONUMENTALITE ET COULEUR Composition aux deux perroquets marque la décennie des années 1930 par sa monumentalité et ses recherches plastiques. La dimension de cette toile montre l’intérêt qu’éprouve l’artiste pour l’architecture et le mur. Compagnon des architectes modernes, dont Le Corbusier, il n’y a bientôt pour Fernand Léger qu’un pas du tableau de chevalet à la peinture murale, du mur – support de la fresque – à la façade investie par la couleur. « Je le répète : un mur nu est une surface morte, un mur coloré devient une surface vive. La transformation du mur par la couleur va être un des problèmes les plus passionnants de l’architecture moderne. Le problème de la couleur sera donc traité sur le plan de la fonction dynamique ou statique – décorative ou destructive. […] Avant d’entreprendre cette transformation murale d’avantgarde, […] il fallait avant tout que cette couleur soit libre. […] [Alors] elle devient une valeur plastique en elle-même. Elle prend une action complète indépendante des objets, lesquels, avant cette époque, étaient chargés de la porter15 ». 15 Fernand Léger cité in André Verdet, Fernand Léger. Le dynamisme pictural, Genève, P. Cailler, 1955, p. 72. 21 Fernand Léger réalise ainsi panneaux muraux, fresques en céramique et vitraux. Le sujet sort de son cadre, porté à des dimensions supérieures et à d’autres techniques. En 1935, Fernand Léger conçoit la décoration d’une salle de gymnastique pour l’Exposition internationale de Bruxelles puis en 1936 une peinture murale, Le transport des forces, pour le Palais de la Découverte. Fernand Léger sera aussi partie prenante du projet du Père Couturier en l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy à travers une fresque en mosaïque sur la façade d’entrée. Fernand Léger insiste sur la couleur comme ce qui rend possible la vie. « La couleur est une nécessité vitale. C’est une matière indispensable à la vie, comme l’eau et le feu. On ne peut concevoir l’existence des hommes sans une ambiance colorée. Les plantes, les animaux se colorent naturellement ; l’homme s’habille en couleur. Son action n’est pas que décorative ; elle est psychologique. Liée à la lumière, elle devient intensité ; elle devient un besoin social et humain16 ». Chez Matisse, la couleur a une fonction émotionnelle comme chez les artistes de l’Orient. Elle se marie au dessin pour atteindre le maximum de puissance décorative. Chez Léger, la couleur a une fonction essentiellement constructive et se développe dans toute son ampleur à partir de l’architecture, comme ce fut le cas aux époques de la peinture murale. 2.7.2 COMPOSITION Le triptyque oppose la rigidité des poteaux géométriques aux formes molles comme le nuage bleu et la lourde tenture reposant sur les barres, l’ensemble sur un fond de couleur unie. L’animation souple rompt aussi avec la dimension statique des personnages, assouplie par la courbe des bras et des jambes de certains acrobates. L’affirmation de la figure humaine aux formes sinueuses s’exprime par la présence des quatre acrobates au corps déformé par la liberté du peintre et son acception du réalisme à travers des figures gonflées, aux contours cernés de noir, plates et volumineuses, sans expression psychologique. Au centre de la toile, un jeu complexe de bras et de jambes apparaît à travers l’acrobate au sol en ocre-brun, portant sa jeune partenaire aux jambes croisées et aux bras levés sur la tête. La femme aux cheveux longs, sur le dos de l’acrobate, a aussi les bras comme en couronne. Mais le couple est, lui, dans une tonalité grise. Quelques cordages sont disposés ça et là autour de l’action principale ainsi qu’une plante au pied d’un poteau, contrepoint aux pyramides humaines. 2.7.3 L’AMOUR DE LA VIE Les acrobates d’un petit cirque qui répètent leurs exercices en plein air sont dotés d’une présence vivifiante, pleine de santé. A travers eux, Léger adopte un thème qui lui est cher, celui du cirque ou des gens du voyage. Il s’agit ici d’une étape transitoire entre Les Acrobates de 1918 et La Grande Parade de 1954. Le thème central de la Composition aux deux perroquets, l’acrobate accroupie portant sa partenaire, se retrouve, identique, dans les Acrobates et Musiciens de 1945, première étude préparatoire pour La Grande Parade de 1954. Attiré par le spectacle populaire, Fernand Léger s’intéresse aussi au ballet tout en étant scénographe et cinéaste à travers le Ballet mécanique, un des grands 16 Fernand Léger cité in « La couleur dans le monde ». Texte d’une conférence donnée à plusieurs reprises par le peintre en 1937 et reproduit dans Fonctions de la peinture, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2004, p. 205. 22 films, sans scénario, de l’histoire de l’avant-garde cinématographique. Y sont présents des objets que l’on trouve ensuite dans les toiles de Fernand Léger. C’est le cas du perroquet. Le peintre est sensible au mouvement, à la fantaisie et à la couleur. L’on peut alors voir la présence inattendue des perroquets – qui donnent leur nom à la toile – comme un trait d’humour joyeux et une impression musicale contrastant avec la pesanteur des figures et répondant à la vie que Fernand Léger transmet ici et là. Les deux perroquets attirent le regard par la vivacité et l’éclat de leurs couleurs et participent de l’animation principale. L’un est placé dans la main ouverte du porteur, l’autre sur le bras replié de l’acrobate accroupie au sol. Leur présence est aussi due à un problème entraîné par le passage des études à la toile de grande dimension. Il manquait quelque chose à la composition. Ce furent les perroquets, ces oiseaux qu’en une période de grande intensité physique et d’un léger découragement, la future Nadia Léger a elle-même confectionnés avec des morceaux de feutre de vives couleurs et offerts au peintre travaillant simultanément la Composition aux deux perroquets et Adam et Eve. L’on retrouvera le perroquet dans une céramique de 1952 : Femmes au perroquet. 23 2.8 PABLO PICASSO (1881, Malaga, Espagne - 1973, Mougins) Rideau de scène pour le ballet Mercure, 1924 Peinture à la colle sur toile, 392 x 501 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris 2.8.1 LE SPECTACLE ET LA DANSE A la suite des Nabis, les peintres du XXe siècle contribuent au décor de théâtre et montrent les rapports qui s’opèrent entre beaux-arts et arts appliqués. Picasso collabore à la réalisation des décors et costumes de quinze ballets et tragédies et peint des décors pour des spectacles de marionnettes. Dès la période rose (19051906), le peintre manifeste un vif intérêt pour le spectacle vivant et particulièrement les arts du cirque. Il représente des arlequins, des clowns, des groupes de saltimbanques. Parade marque le point de départ d’une collaboration étroite avec les Ballets russes et le début de créations pour le décor de spectacle. Serge de Diaghilev comprend tout le parti qu’il peut tirer de « la collaboration non seulement d’un grand artiste, mais, encore mieux, de celle d’un artiste possédant d’énormes dons de décorateur de théâtre, un sens étonnant de l’effet théâtral et une maîtrise totale des astuces techniques du métier17 ». Dans le ballet Mercure, comme pour Parade, Picasso s’occupe de la construction scénique, des costumes et réalise le rideau de scène. 17 Stéphane Laurent, « Picasso, cubisme et scénographie : un langage ambigu » in Les Cahiers du Musée national d’art moderne, hiver 2008-2009, p. 42. 24 Avec Mercure, Picasso modernise le thème des personnages de la commedia dell’arte qu’il travaille de façon particulière. Le sujet n’est plus traité classiquement. L’artiste se dirige vers une nouvelle phase de son œuvre qui renoue avec la modernité des années cubistes et ne tardera pas à se teinter de surréalisme. Sa notoriété peut lui permettre de s’écarter des contraintes figuratives imposées par un thème mythologique pour imposer une vision personnelle au décor : « il sera désormais beaucoup plus libre d’imaginer la nature des scénographies par rapport aux thèmes des arguments18 ». Les danseurs sont donc vêtus de tuniques en drapés à l’antique. Des effets scéniques sont développés (scène encadrée de formes en toile, découpées et peintes en blanc et gris pâle, rideau de fond sans dessin faisant alterner blanc et noir, présence d’un découpage schématique en bois représentant une femme allongée pour figurer la nuit au milieu de la scène) comme est déployée la palette chromatique qui déstructure les personnages. Par des innovations et une modernité dans la conception scénique, Picasso rejoint les costumes de Parade et les expériences théâtrales de l’avant-garde allemande ou soviétique. Le cubisme resurgit avec profils et vues de face tandis que les figures sont imbriquées dans l’espace. Picasso concilie ainsi avant-garde et décor d’une manière très personnelle. Entre 1917 et 1934, il « inscrit son travail scénographique dans une veine art déco, dont, au travers du classicisme, du folklore et du cubisme, il manifeste le tiraillement, entre modernité et tradition19 ». 2.8.2 TRAIT ET COULEUR Tandis que sont dissociés forme et couleur, lumière et ombre, volume et plan, Picasso utilise à grande échelle le trait continu, ininterrompu, auquel il a recours en diverses occasions. Ce trait continu présente des différences d’épaisseur qui aident à créer des plans divers et des apparences de volumes dans les personnages, leur costume et les instruments de musique. Ce trait participe en outre de la grandeur et de la monumentalité des œuvres de Picasso pour le théâtre en ce qu’il poursuit un « sens de la vie qu’il inculque à toutes ses œuvres » selon Darius Milhaud. Le décalage entre les arabesques du dessin et les formes colorées accentue en effet le dynamisme des figures. La couleur est quant à elle appliquée par plans, presque toujours délimités par des droites créant une vision constamment duelle. La composition, d’une grande sobriété, sur un fond de camaïeu brun, rouge et une partie du ciel bleu, joue d’aplats géométriques sur lesquels se découpent les silhouettes épurées des deux comparses qui semblent presque flotter dans le paysage, créant une atmosphère onirique. 18 19 Stéphane Laurent, art. cit., p. 45. Ibid., p. 52. 25 2.9 LOUISE NEVELSON (1899, Pereïaslav, Russie - 1988, New York) Reflexions of a waterfall I, 1982 Bois peint, miroirs 280 x 447 x 42 cm Dimensions du socle : 10 x 447 x 29,2 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don M. Arnold Glimcher, 1985 Numéro d'inventaire : AM 1985-504 2.9.1 METAMORPHOSES DE L’ASSEMBLAGE La technique de l’assemblage prend corps avec les constructions cubistes. La Guitare de Picasso en est un premier exemple. Constituée de fer-blanc et de fils métalliques, elle n’est ni sculptée ni toilée ni modelée. L’œuvre se déploie dans l’espace réel mais présente aussi un espace imaginaire impénétrable, comme dans une guitare peinte. Avec l’avènement de l’assemblage, les limites séparant la peinture de la sculpture sont devenues floues. La liberté des peintres ouvre aux sculpteurs des possibilités inattendues. Dès les années 1950, la primauté de la peinture sur la sculpture a tendance à s’inverser : la pratique de la troisième dimension s’impose. L’utilisation directe du matériau, de l’espace et de la lumière renouvelle l’expérience du monde. L’invention de l’assemblage révèle aux sculpteurs l’importance du plein et du 26 vide et agit au niveau de l’image. Mais seuls les constructivistes et les dadaïstes en avaient perçu les potentialités concrètes : un autre moyen de faire des images abstraites et pourtant réelles. L’expérience de Louise Nevelson peut être considérée comme celle d’un peintre faisant de la sculpture pour aboutir à la création d’objets réels après avoir nié l’origine, l’histoire et la valeur sentimentale des éléments-déchets qui entrent dans leurs constructions. L’abstraction obtenue ne doit plus rien à celle qui avait jusque-là déterminé la peinture. Le tableau est un relief auquel le matériau et son travail offrent autant de possibilités rythmiques qu’à la peinture traditionnelle. 2.9.2 UTILISATION DU BOIS Chez Louise Nevelson, le matériau choisi est le bois : « ce sont souvent les bois les plus ordinaires, les moins chers que je préfère ; ce sont les boîtes et les caisses japonaises qui ont le plus de texture et pourtant elles ont des nœuds, mais cela n’a aucune importance. Pendant la guerre, on manquait de matériaux, j’avais décidé que la créativité était ce qui m’importait […]. J’estime que la récupération dans les ordures participe de la résurrection. Vous prenez un objet déglingué, mis au rebut, qui ne peut être utile à personne et vous lui donnez la possibilité d’aller dans des endroits magnifiques : des musées, des bibliothèques, des universités, de grandes maisons particulières20 ». Les objets sont « à la fois une traduction et une transformation » qui rendent compte d’une attention aiguë portée à la matière vivante du bois. Résultant d’un empilement, les œuvres de l’artiste témoignent d’un flot d’énergie. Organiques et monumentales dès les années 1950, les structures frontales et orthogonales sont réalisées à partir d’objets trouvés : moulures, vestiges de balustrade et de mobilier. Les bois sont assemblés, articulés selon leur homologie et leur profondeur, et organisés en jeu de lignes, courbes et arabesques. Ce jeu contraste avec le mur architectural qui les porte, selon une échelle transformant l’objet en environnement. 2.9.3 LE NOIR Sur l’accumulation des objets hétéroclites est appliquée une couche de peinture noire qui les éloigne de leur usage premier. Louise Nevelson prend ainsi ses distances avec le surréalisme moins pour évoquer ses problèmes particuliers que pour tendre à un sens général et collectif. Le fait de recouvrir l’ensemble des objets rejoint ses premières sculptures peintes. De plus, la teinte unique comprend toutes les couleurs pour l’artiste : « [le noir] n’en était pas une négation, c’était au contraire une acceptation, parce que le noir porte en lui toutes les couleurs […]. Pour moi, c’est la couleur suprême. On est dans une parfaite quiétude, il contient tout ; il n’y a pas une seule autre couleur qui puisse vous donner ce sentiment de totalité, de paix, de grandeur, de calme, d’excitation21 ». 20 Louise Nevelson, Aubes et Crépuscules. Conversations avec Diana MacKown. Ouvrage traduit de l’américain par C. Hercot, Paris, Des femmes, 1983, p. 107. 21 Louise Nevelson, op. cit., p. 155. 27 La couleur permet aussi d’unifier l’ensemble du travail et de lui donner une autre dimension : « L’une des raisons pour lesquelles j’avais commencé par utiliser le noir […] était que je voulais distinguer les formes plus clairement, le noir semblait être la couleur la plus forte et la plus pure. Et puis, au fur et à mesure que j’avançais dans mon travail, cela me plaisait de plus en plus […]. Pour commencer, mes œuvres ne m’ont jamais paru noires, je n’y ai jamais pensé de cette manière, je ne fais pas des sculptures, elles ne sont pas noires et ce n’est pas du bois. J’ai toujours voulu autre chose, j’ai toujours voulu qu’elles soient pure essence22 ». L’artiste se donne ainsi le titre d’ « Architecte de l’Ombre », une ombre en mouvement : « L’ombre est fugitive… je l’arrête et je lui donne une substance solide. […] Je l’arrête et je lui donne une architecture aussi solide que le reste23 ». 22 23 Louise Nevelson, ibid., p. 151. Louise Nevelson, ibid., p. 156-157. 28 2.10 CLAUDE VIALLAT Né en 1936 à Nîmes où il vit et travaille. Orangé, formes bleu clair, 1970 Colorants et résine acrylique sur toile 1233 x 200 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat de l'Etat, 1971 ; attribution au Centre Pompidou, Musée national d'art moderne/Centre de création industrielle, 2008 Numéro d'inventaire : AM 2009-487 2.10.1 LE MOUVEMENT SUPPORTS/SURFACES Créé au lendemain de mai 68, le groupe, s’il s’oppose à la situation parisienne dominée par l’Ecole de Paris et le Nouveau Réalisme, révèle un temps fort de la création en France. Son appellation est proposée par Vincent Bioulès et sa naissance officielle correspond à une exposition réalisée à la section de l’Arc du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Parmi ses membres, l’on compte Buraglio, Bioulès, Viallat et une dizaine d’autres artistes qui ont tous étudié aux Beaux-Arts ou aux Arts décoratifs. Le mouvement mêle choix radicaux et engagement politique d’avant-garde dans un souci conjoint pour la matérialité de la surface picturale et le matérialisme général des prises de position. Le mouvement, sans chef de file, sans manifeste, transpose d’abord l’approche politique marxiste en un formalisme esthétique réduisant le tableau à ses constituants matériels. La durée de vie du mouvement, brève, doit sa fertilité à l’ouverture des voies suggérées. Supports/Surfaces affirme sa filiation – de Matisse à Soulages et Hantaï – tout en tirant des leçons de la grande peinture américaine d’après-guerre : de Pollock à Rothko, de Barnett Newman à Ryman. Les œuvres, abstraites, se veulent non pas une image finie mais la mise en évidence du processus de création, de ses méthodes et de ses techniques. 29 Simplifier la peinture a pour but de rendre visible son élaboration et de plonger l’œuvre d’art dans le quotidien. Les perspectives du mouvement entraînent plusieurs renoncements. Le tableau est décroché, le châssis délaissé et le pinceau refusé, privilégiant une distanciation entre l’artiste et l’œuvre. Les peintres entendent par là rappeler l’activité artisanale. Les œuvres sont de grande dimension, reprenant le motif dans l’héritage de Matisse par sa forme plastique, la manière dont il ouvre l’espace et par laquelle il y introduit mouvement et stabilité tout en accentuant la frontalité de l’œuvre. A l’égard du motif, le groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier et Toroni) joue aussi un rôle, mais sans le délié de Matisse. Le mode d’accrochage change et divers sont les lieux d’exposition, hors des galeries et des musées traditionnels. Le groupe travaille autant sur le plan des textes et des idées que des œuvres et de leur exposition. Le mouvement est associé à la peinture française – l’accent se porte sur la matérialité de la couleur et sa part mystérieuse – mais l’avant-garde de la réflexion théorique va notamment s’étendre dans le sud-est asiatique. 2.10.2 LA FORME D’UNE EMPREINTE « Claude Viallat a inventé en 1966 la forme qui, depuis, demeure indissociable de son travail. Décrire une œuvre de Viallat, c’est d’abord se confronter à cette forme dont on peut faire le récit de son apparition : “[Un] certain procédé employé dans les pays méditerranéens pour ‘blanchir’ mes cuisines me parut approprié : une éponge trempée dans un seau de chaux bleue et appliquée systématiquement sur un mur blanc. Ce procédé d’empreintes, adapté à une forme quelconque pressée sur une toile non tendue et non apprêtée, devait se révéler extrêmement productif. Trouver une forme quelconque revenait à utiliser la première forme venue. Je dessinais dans une plaque de mousse polyuréthanne (sic) une forme approximative de palette que je trempais dans la couleur liquide [gélatine + colorant] et pressais sur la toile. […] Au départ, je comptais travailler seulement une quinzaine de jours avec elle. Mais plus j’ai expérimenté des supports divers avec des techniques diverses elles aussi, plus je me suis rendu compte des possibilités qu’elle représentait”. On peut […] décrire [cette forme] par approximation ou par métaphore : parler d’ “osselet, fève, éponge, cellule ou, pourquoi pas, dos dénudé de femme ”. On peut insister au contraire sur son caractère indescriptible ou innommable. “Il […] semble que les empreintes monochromes de Viallat répondent parfaitement à cette condition, de ne pouvoir être nommées selon nos processus habituels, de préférence aux formes connues de la géométrie ou de la réalité […]”. On peut […] trouver [à cette forme] des références historiques : les Accumulations répétitives d’Arman, la recherche par Judd et les minimalistes d’un “objet spécifique” qui ne rappelle rien d’autre que lui-même, les motifs des soyeux lyonnais, les empreintes de mains positives et négatives sur les parois des grottes rupestres ou encore les marquages des troupeaux au fer rouge24». 24 Claude Viallat, « Fragments » in Viallat, cat. d’exp. (24 juin-20 sept. 1982) dir. Alfred Pacquement, Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « Contemporains », p. 39. 30 2.10.3 LA COULEUR Claude Viallat assure : « ce qui me paraît important, c’est la sensualité à la fois de la matière et de la couleur ». L’artiste fait un « usage pur de couleurs précieuses […] [selon une] élaboration ornementale 25 », prolongeant ainsi la revendication de la liberté et celle de l’expressivité de la couleur sensibles chez Gauguin et Matisse. Ce qui est en jeu dans la peinture, c’est bien l’usage flamboyant de la couleur et cette élaboration ornementale : ils « s’opèrent sous la condition du motif inlassable d’une empreinte qui assume la différence de la couleur et de la [reconnaissance] d’un motif […] sous la condition […] d’une composition […] réduite à sa plus simple expression26 ». Après un échange entre le support et la composition vient la recherche de la couleur, une habileté technique des colorants naturels puis une sophistication : des mélanges, des effets accidentels provoqués, une interaction support/ couleur. La couleur est une matérialité non fixée, pouvant subir les jeux de la pluie et des hasards du plein air ou de colorants mordants fragiles. Selon l’artiste, elle « n’est plus […] un véhicule d’expression mais celui du travail qui l’utilise et la produit, pâteuse, fluide, ductile, solide ou poudreuse. La couleur est acceptée dans son vieillissement et dans ses mutations, ses transformations considérées comme des avatars non regrettables, productifs de leurs propres effets. Considérer que la couleur (pigment) perd de son intensité et se fane, que la couleur se craquèle et noircit, qu’elle peut jouer en capillarité, en étalement (auréole du liant), c’est utiliser tout ce qui jusqu’à présent a été rejeté comme défauts de conservation ou de technique, c’est accepter l’incontrôlé, l’incontrôlable et le hasard, c’est admettre toute transformation normale des choses à des fins productives et ne plus vouloir les figer dans un présent intemporel27 ». 25 Yves Michaud, « L’ornement et la couleur », cat. exp. Viallat, dir. Alfred Pacquement, Paris, Centre Pompidou, 1982, p. 144. Yves Michaud, « L’ornement et la couleur », art. cit., p. 145. 27 Claude Viallat in « Fragments », cat. exp. Viallat, cat. cit., p. . 26 31 2.11 PIERRE ALECHINSKY Né en 1927 à Bruxelles. Vit et travaille actuellement à Paris. Le Monde perdu, 1959 203 x 308 x 9,7 cm Huile sur toile Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1990 AM 1990-321 2.11.1 COBRA CoBrA est le nom d’un groupe d’artistes dont l’activité s’étend de 1948 à 1951 et que désignent les principales villes dont ils sont originaires : COpenhague, BRuxelles, Amsterdam. Mais c’est à Paris que le groupe est fondé, en 1948, par des écrivains et des peintres que stimule le vaste courant régénérateur, poétique et artistique, né en Europe à la Libération. Le groupe affirme avec passion une dynamique créatrice. Les poètes Christian Dotremont et Joseph Noiret représentent le Centre surréaliste révolutionnaire belge, le peintre Asger Jorn, le Groupe expérimental danois, les peintres Karel Appel et Corneille, le Groupe expérimental hollandais. Alechinsky rejoint en 1949 le mouvement dont les recherches tendent vers la spontanéité et l’effervescence poétique, l’écriture et le pictural étant fortement associés dans une création collective, suivant la leçon surréaliste. Mais c’est après la dissolution du groupe qu’Alechinsky s’installe à Paris en 1951. 32 2.11.2 LA CALLIGRAPHIE La calligraphie, par rapport à l’écriture, se satisfait pleinement du silence car son but n’est pas seulement utilitaire mais avant tout d’ordre formel et artistique. D’après Wang Xizhi, le plus célèbre calligraphe chinois – traditionnellement appelé le Sage de la calligraphie – ayant vécu au IVe siècle, « l’écriture a besoin de sens, tandis que la calligraphie s’exprime surtout à travers la forme et le geste ; elle élève l’âme et illumine les sentiments28 ». La calligraphie est bien cet art de former des signes. Ceux-ci peuvent être des lettres mais également des tracés ne représentant pas les lettres de l’alphabet. Les maîtres orientaux ont notamment atteint parmi les premiers l’abstraction, grâce à l’usage de la calligraphie : dépouillement extrême, primauté de la matière, refus du détail anecdotique, utilisation des forces souterraines et violence des tracés du pinceau. Particulièrement fasciné par la calligraphie japonaise, Pierre Alechinsky puise son inspiration dans des caractères en encre noire tout en choisissant sa propre voie. Avant d’explorer l’art japonais ancien de la calligraphie traditionnelle, il a déjà une prédilection pour le travail à l’encre noire sur du papier fin, monté sur toile. À son arrivée à Paris, Pierre Alechinsky étudie les techniques de la gravure à l’Atelier 17, dirigé par Stanley William Hayter, et y rencontre Calder et Mirò. C’est aussi dans ce lieu qu’il découvre sur une table l’existence de la revue Bobuki ou « le plaisir de l’encre ». La revue est consacrée à la calligraphie ancienne et moderne du Japon. Pierre Alechinsky commence alors à correspondre dès 1952 avec son directeur : Shyriû Morita, un éminent calligraphe contemporain de Kyoto. À Paris toujours, Pierre Alechinsky est initié à la technique picturale chinoise par le peintre et poète chinois Walasse Ting, arrivé dans la capitale en 1952. Le papier est au sol, le corps accroupi, tout entier mobilisé, suivant l’impulsion du pinceau tout en le contrôlant. Le maître tient un bol d’encre de Chine à la main. Pierre Alechinsky l’observe en 1954 et note « les variations de la vitesse d’un trait, accélération, freinage. Immobilisation. La tache inamovible légère, la tache inamovible lourde. Les blancs, tous les gris, le noir. Lenteur et fulgurance29 ». Lors d’un unique voyage d’études au Japon en 1955, l’artiste s’intéresse plus encore à la relation entre papier, encre, coups de pinceau et eau qui participe de la calligraphie japonaise. Il réalise le film documentaire Calligraphie japonaise (1958) sur cet art dont les écoliers apprennent le geste, faisant de la fin du trait imité, dans l’air à la main, comme un ballet. Et le peintre espagnol Antonio Saura de commenter : « Lors de son récent voyage au Japon, Pierre Alechinsky a réalisé un document cinématographique remarquable sur la calligraphie japonaise […]. La brièveté de certaines scènes, l'ingénuité du montage et de quelques métaphores plastiques, etc., ne portent pas préjudice à ce premier film, premier documentaire consacré aux plus remarquables calligraphes japonais actuels et à leurs techniques de travail. La calligraphie japonaise abstraite présente un grand intérêt pour nous, car elle est le plus bel exemple de l'une des tendances majeures de la peinture actuelle : celui d'une libération du geste spontané comme expression première et élémentaire, voie dans laquelle s'engagent 28 Claude Médiavilla, Calligraphie. Du signe calligraphié à la peinture abstraite. Ouvrage préfacé par P. Restany et G. Xuriguera, Paris, Imprimerie nationale, 1993, p. 17. 29 Pierre Alechinsky, Roue Libre, Genève, Skira, 1971, p. 116. 33 plusieurs peintres occidentaux, d'une manière parfois indirecte ou plus clairement revendiquée30». Alechinsky suit la discipline graphique que lui enseigne Shyriû Morita et apprend combien le texte pur est loin d’être seul, développant plutôt un caractère unique à travers lequel l’expression visuelle devient aussi importante que ce qu’elle signifie littéralement. Dès 1965, le peintre utilise l’acrylique, matériau plus souple dont le séchage rapide et la sensibilité la rapprochent de l’encre. Penché sur le papier, Alechinsky élabore un monde à l’aide d’un pinceau japonais offert par Shyriû Mo. 30 Saura Antonio, dans le Boletin de El Paso, nov. 1957, cité dans le cat. d'expo. Alechinsky, Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1998, p. 170. 34 2.12 JEAN DEGOTTEX (1918, Sathonay-le-Camp – 1988, Paris) Aware II, 28.3.1961, 1961 202 x 340 cm Huile sur toile Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat de l'État, 1972 ; attribution au Musée national d’art moderne, 1975 AM 1975-262 2.12.1 L’ABSTRACTION LYRIQUE L’Abstraction lyrique apparaît en France vers 1947 et sert à désigner, en peinture, toutes les formes de non-figuration qui ne relèvent pas de l’abstraction dite géométrique et s’apparentent à une spontanéité immédiate évoquée par les peintres. C’est ainsi qu’on l’a appliquée à l’action painting de Jackson Pollock, de même qu’aux premiers travaux de peinture gestuelle de Georges Mathieu. Par la suite, le terme s’est étendu à l’expressionnisme abstrait américain, puis au tachisme. Ces appellations ne sont pas synonymes. Le seul point commun entre ces diverses formes d’Abstraction lyrique est la référence à la peinture de Vassily Kandinsky pendant les années 1913 et 1914. L’automatisme pratiqué par certains peintres surréalistes a influencé quelque peu l’Abstraction lyrique dont le grand principe repose sur le fait que, pour la première fois dans l’histoire des formes, le signe précède sa signification, une réalité à nuancer mais qui est revendiquée. Etendue vers 1960, la notion d’Abstraction lyrique s’est diluée en même temps que la mode passait au Nouveau Réalisme. Le mouvement correspond à la découverte d’une nouvelle approche de la peinture qui a évolué de manière autonome, ayant pour fondement le refus de la figuration. Il vise le primat de la subjectivité et la spontanéité du geste libre. 35 Deux groupes peuvent se dégager. L’un a trait à une esthétique plus « classique » : Georges Mathieu, Zao Wou-Ki, Jean Miotte ou Hartung. Le cadre sert à fixer l’attention du spectateur. L’autre groupe comprend des peintres tels que Pierre Soulages, Jean Messagier et Olivier Debré pour lesquels la recherche plastique se centre sur une sorte d’ « ouverture » créée pour la toile. Et cette dernière de se développer en relation avec l’espace : le tableau interagit avec l’environnement dans lequel il se trouve. L’Abstraction lyrique entraîne un approfondissement de l’expression individuelle et une mise en question de l’espace par le tableau. C’est pourquoi l’on peut distinguer deux peintures dans l’espace-temps de l’œuvre : une centrée sur l’espace psychologique et le temps du geste et l’autre sur l’espace réel et le déplacement du corps dans cet espace. Après 1961, Degottex se détache du groupe, lui qui s’intéressait déjà aux implications formelles de ce qu’il nomme la « dépersonnalisation du geste ». 2.12.2 LA CALLIGRAPHIE Degottex est influencé par la tradition extrême-orientale qui se fixe, selon lui, « d’une façon sensible et formelle parce qu’il y a autre chose derrière… ». La calligraphie, l’expression gestuelle résulte d’un comportement philosophique propre à l’Extrême-Orient. Degottex s’y initie, étudiant la calligraphie, la peinture et le lavis chinois. L’artiste explore la matité, l’opacité comme la brillance du noir, appréciant utiliser l’encre de Chine. Il travaille avec la toile à plat, au sol, élaborant une écriture rapide et spontanée issue d’un geste ample. Un geste unique et efficace qui engendre une dynamique, un mouvement occupant intégralement l’espace. Après son détachement de l’Abstraction lyrique, le travail de Degottex se caractérise par une profonde méditation, une libération absolue du geste. Le trait ne l’intéresse plus en lui-même mais plutôt le vide qu’il permet de révéler. Breton disait déjà en 1955 au sujet de Degottex qu’il retrouve une part de ce que les Chinois appelaient le ch’i jun (expression de l’âme intime du peintre que révèle en premier lieu son coup de pinceau) et le shêng-toung (mouvement de la vie, animation). 36 2.13 PIERRE SOULAGES Né en 1919 à Rodez. Vit entre Sète et Paris. Peinture 202 x 453 cm, 29 juin 1979, 1979 Huile sur toile (diptyque) Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1980 AM 1980-45 2.13.1 L’OUTRENOIR Le noir interpelle Pierre Soulages depuis l’enfance: tache de goudron observée sur le mur de l’hôpital de Rodez, impressions visuelles précises de la nature – les arbres dépouillés et découpés sous un ciel d’hiver, saisis à contre jour – ou les images qui retiennent son attention – lavis de Claude Le Lorrain ou encre de Rembrandt. Cette attirance pour le noir s’exprime d’abord dans un graphisme, une écriture et un mouvement « expressionniste », par l’utilisation du brou de noix et celle de grands signes noirs sur fond clair, réalisés de manière spontanée. Telle est la prédominance du noir dans des toiles montrées au Salon des surindépendants en 1947 avant que la toile ne soit couverte d’une « outrance » de noir. L’artiste emploie d’abord le noir sur fond clair ou recouvre une couleur avec du noir puis après retrait, fait jaillir la lumière de la couleur initiale. Dès 1979, Soulages montre les « différentes textures possibles du noir » – pâte noire, mélange de pigment, d’huile, de résine et de siccatif au plomb – accueillant et modulant la lumière. L’inscription des sillons engendre des reflets, la peinture jouant avec la lumière à travers les « états de surface du noir », l’épaisseur des couches. Cette naissance à l’outrenoir est soulignée par un moment d’épreuve datant de janvier 1979 lorsque l’artiste éprouve physiquement et intérieurement celui qu’il nomme le « pays de l’outrenoir ». Une lame lisse la surface, une large brosse imprime des stries dans la pâte. Le choix du format entraîne une « mathématique des sensations ». Les différentes textures et profondeurs, créant un relief, captent ou non la lumière. Le noir couvre dès lors toute la surface de la toile. Il n’y a pas de répétition mais, selon 37 Soulages, « des tensions, des concentrations, des accents, des points forts, des stries qui dynamisent la surface, des poids ou des profondeurs31 » mis en relation dans de grands formats. « Très souvent, un outrenoir est composé de zones, dont la surface varie de la simple bande à un quadrilatère […] ; leur texture différenciée, lisse ou striée, produit une musique faite de rythmes lents et rapides qui rendent chaque toile singulière. L’ajout d’une zone de couleur enrichit parfois la composition d’une note supplémentaire […]. Il arrive […] que les toiles soient striées de façon homogène sur toute leur surface, certaines sans distinction de zones (produisant une impression de flux traversant la toile de part en part), d’autres comprenant une ou plusieurs ruptures de surface obtenues en enfonçant une lame dans la pâte : une césure interrompt alors le flux sans pour autant le dévier32 ». Cette peinture au-delà du noir – l’outrenoir – et dont l’hypothèse d’invention serait un rapprochement avec l’ « outremer » tient lieu de mur. Il entraîne une relation directe du spectateur à l’œuvre et de l’œuvre à l’espace. La variété des effets de la lumière passe par la toile qui absorbe la lumière et la renvoie, transfigurée par le noir. 2.13.2 LE POLYPTYQUE Avec le polyptyque, Soulages condense et intensifie les effets picturaux. Il fusionne des jeux et des contrastes de lumière, de matière, de rythme perceptibles d’une unité à l’autre, indépendamment et en accord avec les autres. Dès 1979, le type de césure, marquée dans l’épaisseur de la matière picturale, est combiné à l’autre faite par la limite de deux châssis juxtaposés. Voilà ce qui constitue le polyptyque et sera développé par Soulages dès 1984, obéissant à « un système structural caché ». Ce dernier ne résout pas tout, le travail se poursuivant entre les certitudes et les imprévus qui surviennent. Pour Soulages, « le polyptyque […] a été le moyen d’introduire une rupture dans la continuité d’une surface – comme, dès 1947, grouper des traces interrompues en une forme se livrant d’un coup, c’était rompre avec tout ce qu’impliquerait la continuité d’une ligne, trace et vestige d’un mouvement. C’était le choix d’une simultanéité à l’opposé d’une continuité. Décisions qui induisent un rapport au temps et aux sens fondamentalement différents33 ». Selon l’artiste, dans le diptyque de 1979, présenté dans l’exposition, la production de deux césures engendre « deux tonalités différentes des lignes verticales : la première, faite de l’ombre de l’interstice de séparation de deux panneaux, est plus noire et plus marquée que les autres. Ces césures ont un emplacement lié aux proportions du format des châssis utilisés. Elles définissent trois rectangles égaux et un autre plus étroit qui, ajouté à son voisin, constitue un carré. Quand on fixe le carré produit par cette partie étroite et le rectangle du milieu, une symétrie s’établit entre les rectangles de droite et de gauche. Mais quand on voit le carré se faire avec le rectangle de gauche, les deux autres rectangles de droite identiques au premier apparaissent comme une succession ». 31 Cité in Isabelle Ewig, « L’outrenoir ou le fonctionnement de la peinture » in Soulages, cat. expo., Paris, Musée national d’Art moderne, 2009, p. 100. Au sujet de l’outrenoir, voir l’ensemble de l’article, p. 94-103. 32 Isabelle Ewig, art. cit., p. 100. 33 Pierre Soulages, « Chronologie des différentes conceptions de polyptyques », Soulages, Cajarc, Maison des arts Georges Pompidou, 1992, n. p. 38 2.14 FRANCK STELLA Né en 1936, Malden (Massachusetts). Vit et travaille à New York. Polombe, 1994 Acrylique sur toile 335 x 960 x 8,2 cm Achat, 1996 Numéro d'inventaire : AM 1996-395 2.14.1 L’ART MINIMAL Franck Stella anticipe l’art minimal fondé sur le système et la répétition sérielle tout en annonçant l’art conceptuel. Si ses « racines […] sont dans l’expressionnisme abstrait » à l’égard du format important, du remplissage de la surface et de la liberté d’application de la peinture, Franck Stella ouvre la peinture à une voie qui transforme les acquis précédents. Emerge une esthétique nouvelle dont l’art minimal sera l’accomplissement. Des œuvres faites d’un réseau de bandes horizontales aux couleurs alternées, interrompu par une zone carrée ou rectangulaire de couleur plus sombre, suivent la structure formelle des Flags du peintre américain Jasper John. Dès lors, il va s’agir de remplir une surface à partir d’une grille décidée au départ. Tels seront les Black paintings des années 1960, icônes du minimalisme en ce que la répétition modulaire construit le système visuel. Dans les années 1980, l’artiste se lassera de la réduction minimaliste. 2.14.2 TITRE ET GEOGRAPHIE PICTURALE L’on peut s’étonner de la « géographie picturale » que Franck Stella tisse tout au long de ses œuvres. Qu’il s’agisse d’échos à ses propres voyages en France, au Maroc, en Iran ou ailleurs, ses créations tirent des titres de ses déplacements permanents. « Après les petites villes d’Amérique du Nord […], Stella continue de nous entraîner dans une véritable leçon de géographie qui va mener tour à tour en Asie, au Canada, à Terre-Neuve, en Pologne, au Brésil, en Inde et sur les circuits automobiles à travers le monde. […] [L]es titres n’expliquent pas les 39 tableaux mais il faut néanmoins en tenir compte pour comprendre l’ambiance générale d’une série et ses références à l’histoire ou à l’esthétique34 ». L’artiste « adopte volontiers au milieu des années quatre-vingt des références littéraires et ne s’inquiète pas de leur caractère narratif normalement peu compatible avec l’art abstrait35 ». Cela est vrai pour la série The Wave, projet de neuf années qui débute en 1986 et témoigne d’une multiplicité de techniques. Chaque œuvre prend le nom d’un chapitre du roman de Moby Dick par Herman Melville. Diderot, l’homme de lettres et le critique d’art, a été sollicité auparavant dans une série qui porte son nom. Quant à Polombe, elle fait partie de la série des Imaginary Places commencée en 1994 et achevée en 2004. Polombe, cité imaginaire située en Inde, ainsi que d’autres villes en ce même pays tirent leur nom du récit médiéval de Sir John Mandeville. D’autres proviennent d’ailleurs ou d’îles issues du Dictionnary of imaginary places d’Alberto Manguel. Polombe et les autres œuvres de cette série seraient comme des cartes détaillées difficilement déchiffrables, portant néanmoins une ressemblance avec un lieu, une île dont on peut rêver et faire le tour. Un jeu et un art de la mémoire sont ainsi offerts grâce à une complexité savante, avec l’enchevêtrement des courbes et la diversité des couleurs. 2.14.3 LA COULEUR Après être passé par le noir des Black Paintings, un noir comme le « recouvrement des couleurs vives », le peintre va aller de la monochromie à la polychromie dans les Copper Paintings. Restant fidèle aux couleurs métalliques, il en introduit de nouvelles : le vert, le brun et le rouge qu’il va combiner sur une même toile. Puis, échappant au système des bandes, Franck Stella réalise des architectures polychromes entre 1966 et 1975 et expérimente des relations colorées dans les polygones irréguliers. La série des Protactor fait ainsi ressortir une variation de couleurs et une multiplication de nuances associées au sein d’une grande peinture. Cela poursuit, selon Franck Stella, « la leçon de Matisse sur le versant de l’abstraction » aussi bien à travers « la surface de la chose elle-même, la peinture, le fond, le support, la toile [et] la peau, la véritable matérialité de la peinture36 ». Lorsque le peintre passe des aplats de couleurs à de véritables constructions, il présente encore des monochromes avant de se plonger dans un travail coloré dès 1976. La coloration de la surface est gestuelle et non plus programmée. Les couleurs vives vont jusqu’à déployer des couleurs fluo – qui nourrissent également le Pop art – dans la série des Lieux imaginaires, à travers les pastilles notamment, allant de pair avec un travail dont la production passe par l’ordinateur. 2.14.4 LE RELIEF « Stella ayant par la suite délibérément renoncé à l’extrême platitude de la surface, on est en droit de se demander si celle-ci n’est pas remise en question dès les premières structures à bandes [...]37 ». A partir de 1970 avec les Polish Villages, le relief introduit le nouveau style de Franck Stella. Ce dernier utilise des matériaux durs pour de véritables constructions à la virtuosité technique 34 35 36 37 Alfred Alfred Alfred Alfred Pacquement, Pacquement, Pacquement, Pacquement, Franck Stella, Paris, Flammarion, coll. « La création contemporaine », 1988, p. 70. op. cit., p. 136. ibid., p. 71. ibid., p. 58. 40 dans la structure physique qui donnent existence au volume et à un bâti plus architecturé que les châssis découpés illustrés par le « Shaped-Canvas ». C’est ensuite en usine que seront mis au point d’immenses reliefs métalliques. Franck Stella tend à remplir le vide constitué par l’élimination du volume et de la taille dans l’abstraction et à excéder la planéité. Ses reliefs flottent ainsi devant le plan de l’image pour aller jusqu’à détacher les motifs du mur et former des sculptures autoportantes. Et l’artiste d’étendre dans les années 1990 ses explorations sur l’espace dans le champ de l’architecture. Des constructions déroutantes deviennent des installations publiques qui incarnent les rapprochements possibles entre design et fabrication industrielle. Polombe donne l’impression d’une troisième dimension à travers des illusions optiques dues à un ensemble de techniques et un travail de montage et de collage, fruit d’une superposition de formes par ordinateur et à leur traitement informatique par le processus de vectorisation. Ce dernier consiste à transformer une image par des formules mathématiques appelées vecteurs. Ces formes, manipulées sur l’écran d’un ordinateur, offrent ensuite une impression de relief aux côtés de bouts d’épreuves sur papier récupérés et collés à même la toile. Les entrelacs et les courbes qui se mêlent y traduisent l’expression du sampling, processus de numérisation du signal acoustique à travers un échantillonnage de sons ou d’images numérisés. Ainsi, la « tridimensionnalité n’obéit pas à une mise en perspective. En fait, elle est semblable à celle des images numériques, plus exactement à celle des images qu’on peut construire avec certains logiciels de dessin par ordinateur, à partir d’un jeu de surface, de trames, de lignes : leur tridimensionnalité n’est pas physique, mais fonctionnelle38 ». 38 Bernard Ceysson, « Ut pictura pictura. Frank Stella ou l’abstraction accomplie » in Artstudio n°1, été 1986, p. 28. 41 2.15 JOAN MITCHELL (1925, Chicago - 1992, Paris) La Grande Vallée XIV (For a Little While) [La Grande Vallée XIV (Pendant un petit moment)], 1983 280 x 600 cm Huile sur toile (triptyque) Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Dation, 1995 AM 1995-172 2.15.1 L’EXPRESSIONNISME ABSTRAIT À la suite d’un article publié en 1943 dans le New York Times, Adolph Gottlieb et Mark Rothko rédigent une lettre ouverte esquissant le programme du mouvement qui va se développer durant la décennie suivante : « expression simple d’une forme complexe », « les formes d’une grande dimension », « pas de sujet en dehors du tragique et de l’atemporel » d’où une « parenté spirituelle avec les primitifs et l’art archaïque ». L’abstraction va devenir un moyen privilégié et l’art un lieu d’expérimentation mettant en relief les pulsions profondes et les questions majeures de l’époque. L’œuvre a pour but une véritable communication avec le spectateur, la signification se trouvant portée par formes, lignes et couleurs. L’expressionnisme abstrait devient un style national aux États-Unis avec la conscience que cette tendance constitue la continuation et le dépassement des avant-gardes européennes d’avant la guerre. New York, la métropole de la côte Est, remplace désormais Paris dans le rôle de capitale artistique mondiale. Deux voies se font jour : la gestualité signifiante et une lecture formelle de la « peinture à l’américaine » à travers le processus de purification du médium. « Que ce soit chez Pollock, chez Rothko, chez Gorky, chez De Kooning, chez Newman, l’expressionnisme abstrait, dans ses années de formation, s’est tourné vers les marges de la conscience, il est allé à la recherche de l’intériorité et de l’inconscient des états subjectifs. L’investigation anxieuses des automatismes, 42 des moyens de s’aveugler et de se défaire du moi conscient, le recours à des formes ambiguës ou à peine articulées, à des signes primitifs pictographiques ou calligraphiques, à des effets de superposition comme ceux des palimpsestes ou des peintures préhistoriques, le voilage des formes et l’usage des tons de la même valeur rendant malaisé la surface d’appréhension d’une surface distinctement articulée, tous ces moyens devaient être au service d’une expression conçue comme expression de la vie la plus profonde et la plus mystérieuse de l’artiste et de l’humanité en général ». Projet métaphorique et peintures dites métaphores de l’inconscient peut-être, « mais la vérité de cette entreprise s’est réalisée ailleurs et sous une autre forme : les déplacements et les renouvellements formels exceptionnels produits par ces recherches ont ouvert la voie à des modes d’expression plus déterminés que ceux de l’inconscient de l’artiste ou de l’humanité en général39. ». Il s’agit par exemple des dripping de Jackson Pollock dans lesquels l’expression mobilise une force vitale dont l’anonymat écarte la subjectivité, des déplacements, des superpositions, des sauts de Willem De Kooning correspondant à l’expression de ce que le sujet appréhende. La visée de l’expression peut prendre la forme de la calligraphie. Joan Mitchell et Sam Francis, présenté au chapitre suivant, appartiennent à la deuxième génération de l’expressionnisme abstrait. L’expression autographe passe par la gestualité pour transmettre l’équivalent de sensations éprouvées devant les spectacles de la nature. La peinture est comme une action dans laquelle s’engage une grande dépense physique d’où naissent la peinture et le peintre. La peinture est une manière de vivre pour Joan Mitchell qui se situe du côté de Willem De Kooning. Néanmoins, son expression personnelle s’efface au profit des contenus peints. La gestualité de l’artiste fait voir le parti pris des choses et la peinture devient autonome, distanciation. Une intensité métaphysique prend corps par le travail des couleurs et l’organisation du plan. Et l’artiste de se tourner vers l’extérieur : les êtres et la nature, contrairement aux pionniers de l’expressionnisme abstrait. 2.15.2 LE PAYSAGE Joan Mitchell a tôt pratiqué l’aquarelle. L’intérêt qu’elle porte au paysage en peinture se traduit par l’étude de Cézanne, Van Gogh et Matisse. La Grande Vallée est un ensemble de peintures tardives. Il « réunit […] l’évocation d’une vallée où jouaient, jouent, joueraient des enfants, le sentiment inspiré par la disparition de quelqu’un retourné vers ce lieu, le poids du deuil, en même temps qu’une soudaine libération, le bleu insoutenable du ciel, le jaune et le noir des tournesols défaillants. Cette grande vallée imaginée et ressouvenue, à la fois personnelle et impersonnelle, est faite de sensations multiples et diverses, de tristesse et d’attente. Ce n’est pas un paysage réel ou imaginé, mais l’un et l’autre, et aussi la vallée des enfants et des morts, le lieu de la transfiguration et du recueillement, peut-être encore le lieu des initiés et des âmes. Les toiles immobilisent cette diversité vibrante de perceptions et de sentiments 40 ». Le paysage est ainsi la « métaphore de l’expérience existentielle41 » : « il y entre 39 Yves Michaud, La grande vallée. Couleur, Galerie Jean Fournier, 1984, p. 24-25. Michaud, op. cit., p. 11. Yves Michaud, ibid., p. 9. 40 Yves 41 43 des traits de la nature, des couleurs et des masses visuelles, mais tout autant la tonalité des jours ; la suggestion de la mort, le territoire affectif du peintre42 ». 2.15.3 LA COULEUR Joan Mitchell associe à la tactilité colorée et sensuelle issue aussi bien de Monet que De Kooning une dimension métaphysique, elle-même liée à une tradition américaine. La pictorialité prime sur la ligne : « les formes naissent aux frontières des masses de couleurs organisées en touches serrées, plus souvent encore de leur accumulation et de leur fusion prête à se défaire 43 ». La concession au dessin est de « dessiner à la térébenthine, avec de la couleur très diluée qui coule et ruisselle. Cette fluidité remet la couleur en mouvement à travers l’alacrité du geste de la main, elle vient aussi faire contraste avec les interventions en pleine pâte ». Matisse et Van Gogh utilisent les couleurs comme des forces, avec toute leur énergie. Joan Mitchell « ne les éteint pas en les cassant ou en les dégradant du clair au sombre ; elle les fait au contraire s’affronter pures ou les superpose de manière à peine décalée en créant des sortes de mosaïques flottantes44 ». L’artiste travaille par « accumulation dense de larges touches qui induisent des champs colorés locaux de plus en plus forts, à l’attraction quasiment magnétique. [Ils] laissent néanmoins transparaître les couleurs en dessous et les réserves de blanc ». Les couleurs utilisées « ne se mélangent pas, elles ne se voilent pas non plus mais une couleur pousse sous une autre et les plans du tableau ne cessent de s’interpénétrer en donnant vie et dynamisme à la surface. La superposition des marques et les intervalles donnent l’effet de pulsation colorée ». Dans les toiles de La Grande Vallée, le fond n’existe pas comme tel. Il n’y a plus que les couleurs. L’évolution de Joan Mitchell est d’aller vers une émancipation toujours plus grande et toujours plus audacieuse des couleurs, quiétude dans l’instabilité. Le rapport entre elles ne donne à voir ni le peintre ni la nature mais l’intensité et la vie des couleurs. 42 43 44 Yves Michaud, ibid., p. 11. Yves Michaud, ibid., p. 17. Yves Michaud, ibid., p. 44. 44 2.16 SAM FRANCIS (1923, San Mateo, Californie – 1994, Santa Monica) In Lovely Blueness (No. 1) [En bleu adorable (n° 1)], 1955-1957 300 x 700 cm Huile sur toile Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de la Scaler Foundation avec la contribution d’Éric et Sylvie Boissonnas, 1977 AM 1977-207 2.16.1 L’EXPRESSIONNISME ABSTRAIT Sam Francis situe son travail dans une dimension poétique et mystique, par rapport à la question du spirituel dans l’art et de l’artiste comme voyant et médiateur. Si après 1947 l’artiste est influencé par Clyfford Still ou Mark Rothko, il se distingue de l’expressionnisme abstrait : « il écarte et resserre alternativement les formes en recourant au blanc de la toile ou du papier45 ». Entre la dualité des formes et de la surface se manifeste une profondeur interstitielle. 2.16.2 LA COULEUR La forme de perception du tableau est celle de la « couleur et son organisation [n’est] pas la simple juxtaposition qui ne donne pas un objet complet mais une expérience de la cohérence absolue de chaque moment et de chaque lieu de la toile à l’intérieur de sa délimitation46 ». Les couleurs ont un rôle semblable à la cosmogonie poétique qui cherche à dire la nature des éléments chez les philosophes présocratiques. Elles renvoient chacune aux éléments derniers et, de leur mélange réalisé par le peintre alchimiste, naît la diversité des choses. 45 Yves 46 Yves Michaud, Sam Francis, Paris, D. Papierski, 1992, p. 26. Michaud, op. cit., p. 44. 45 Entre 1950 et 1956 s’exprime une « structure de formes en floculation sur une profondeur interstitielle marquée et déniée par les couleurs colorées 47 ». Les couleurs sont ensuite bannies avant d’être réintroduites et de se modifier par leur simple interaction : « les couleurs coulent les unes dans les autres en même temps qu’elles s’enchâssent et donnent des effets de mosaïque48 ». Le travail réfléchi de la couleur se fait par îlots avec d’autres îlots, référence que l’on trouve dans la peinture américaine. Dès 1955, l’espace s’ouvre. Le chatoiement des couleurs prend corps ainsi qu’un intérêt nouveau pour les blancs de la peinture et les pulsations qu’ils apportent aux toiles. Les peintures sont comme des tesselles de couleur sur un espace blanc de plus en plus vaste et les grandes peintures murales font penser aux Nymphéas de Monet. Il y a comme un monde encore aquatique qui miroite, les couleurs dorées de Bonnard, « entre la vie cellulaire des premières peintures et l’éclat de pierre précieuse des peintures qui vont suivre. La couleur est toujours très fluide et les petits ruissellements de peinture prennent de plus en plus d’importance49 ». Dans les espaces blancs, les couleurs tendent à se serrer les unes contre les autres, offrant une impression d’incrustation ou de gemmes. Une liberté nouvelle dans l’usage de la couleur se fait jour. D’autres apparaissent mais dématérialisées, fluidifiées vers le bleu. A partir des années 1960, l’agrégation des couleurs s’achève pour donner des formes. L’espace blanc, respiration essentielle hors du temps, prend alors plus d’ampleur et la couleur, substance matricielle, n’est plus diaphane et aérienne mais épaisse et profonde. 47 48 49 Yves Michaud, ibid., p. 26. Yves Michaud, ibid., p. 26-28. Yves Michaud, ibid., p. 30. 46 2.17 ANISH KAPOOR Né à Bombay en 1954. Vit et travaille à Londres. Sans Titre, 2008 Fibre de verre, résine et peinture Diamètre : 302 cm Poids : 216 kg Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de la Société des Amis du Musée National d'art Moderne, 2008 Numéro d'inventaire : AM 2008-149 2.17.1 COULEUR ET MONOCHROME Anish Kapoor s’inscrit dans la famille des peintres monochromes et suit la lignée du travail des artistes Mark Rothko ou de Barnett Newman. Le choix du monochrome engendre des qualités spatiales qui créent l’illusion d’un espace sans fin. A ce choix et au rapport que la couleur entretient avec l’intensité lumineuse se conjugue une passion pour la couleur que l’artiste doit aussi au pigment, matière à l’état brut, tactile et volatile : « [le] pigment concourt à donner à l’objet un caractère d’invisibilité, à produire une sensation de Gestalt, de tout unifié, pour lequel les notions de devant, de derrière, de côté sont 47 pratiquement inexistantes 50 ». Par Gestalt, il faut entendre la reconnaissance d’une forme par un mécanisme psychomoteur fondé sur le mouvement et qui fait que l’esprit appréhende pas la forme dans sa globalité. Ainsi, pour l’artiste, la couleur, toujours pure, est au principe de l’œuvre. Les premières œuvres comme 1000 Names (1979-1982) montrent des sculptures géométriques recouvertes de pigments, matière qu’Anish Kapoor admire en 1979 lors d’un voyage en Inde, sa terre natale, étalés sur les marchés et devant les temples. La couleur en Inde, ce sont aussi ces pigments que l’on jette sur celui que l’on croise lors de Holi, fête du printemps. L’explosion de la couleur est alors partout : rues, temples, mosquées. L’artiste est de plus fasciné par la couleur rouge qui évoque tant l’amour, le désir, la passion que le sang et la mort en occident. Elle rend aussi compte d’une symbolique liée à cette substance organique et mythique dans la culture indienne, si l’on songe au tilak – ou bindi –, marque portée sur le front des hindous et réalisée à partir de poudre de curcuma, ou aux robes des moines bouddhistes. La prédilection de l’artiste va vers un rouge sombre : « Ce qui m’intéresse, c’est comment la couleur devient ténèbres ». « Le rouge a quelque chose de sombre. C’est une couleur profonde et intime – probablement aussi du fait qu’elle nous rappelle notre corps ». La question de la couleur est en effet liée à celle du mouvement, tant physique, mental que spirituel. « Ce qui m’intéresse est l’idée que les couleurs puissent avoir une mémoire physiologique, historique, afin qu’elles puissent détourner le spectateur de la question de la matérialité vers quelque chose d’autre. Je crois que c’est le rôle de l’artiste de faire que cela se produise 51». « J’ai déjà pensé à la couleur rouge comme la couleur des pensées, comme la route vers une exploration émotionnelle52 ». 2.17.2 PERCEPTION ET MEDITATION La matière utilisée par Anish Kapoor entraîne une transformation spirituelle. Elle est aussi l’expression d’une symbolique inscrite dans le mythe. De plus, les œuvres aux formes simples ne se donnent pas comme des objets statiques mais le lieu d’une expérience sensorielle, physique et psychologique. Par leurs propriétés phénoménologiques et à travers leurs dimensions spéculaires, les œuvres mettent en doute la matérialité, la constance et l’existence physique des objets, de l’espace et du spectateur lui-même. L’œuvre en miroir, qui fragmente l’environnement et inverse le monde qu’il donne à voir, invite ainsi à un certain détachement face à cette distorsion : «[le] concept d’illusion est central […]. C’est là que mon travail se rapproche de la peinture qui est l’espace de l’illusion53 ». L’œuvre devient vecteur d’une expérience contemplative, catalyseur de méditation. La démultiplication des points de vue est induite par le déplacement du spectateur. La forme change lors de ce déplacement. L’œuvre-miroir 50 Interview de Donna de Salvo, « A Conversation », cat. exp. Anish Kapoor, Marsyas, Londres, Tate Modern, Tate Publishing, 2002, p. 61. Interview de Donna de Salvo, Anish Kapoor at Tate Modern, regarding Marsyas (vidéocassette), 2002. 52 Voir Raoul Martinez Hernandez au CAC Malaga le 28 fév. 2006 (en ligne) dans www.cacmalaga.org 53 « Mostly Hidden : An Interview with Marjorie Allthorpe-Guyton », Anish Kapoor, Londres, The British Council, 1990, p. 46. 51 48 questionne alors l’intégrité du sujet dont l’image est reflétée à l’infini. Son identité est réinterrogée : le spectateur est mouvement, sujet d’expériences. La création de la vacuité est partout et nulle part, comme le miroir. Elle devient un repli méditatif, un espace interstitiel, lieu de rassemblement. Cette vacuité, cette absorption dans la couleur joue avec l’image de la peau, frontière entre intérieur et extérieur qui fait que l’œuvre n’existe qu’en tant que contact avec le monde extérieur. La dichotomie entre surface et profondeur s’écroule en une nouvelle dynamique de la peau. 49 2.18 DAN FLAVIN (1933, Jamaica, New York – 1996, Riverhead, New York) untitled (to Donna) 5a, 1971 Tubes fluorescents, métal peint 244 x 244 x 139 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Leo Castelli par l'intermédiaire de la Georges Pompidou Art and Culture Foundation, 1977 Numéro d'inventaire : AM 1977-210 2.18.1 L’ART MINIMAL L’art minimal est né dans les années 1960 aux Etats-Unis, à New York. Il s’inspire du principe élaboré par l’architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe (1886 -1969) : « Less is more » (« Moins c’est plus »). L’art minimal regoupe des artistes, évitant tout rapport avec l’illusionnisme. Les oeuvres créées de manière industrielles ne sont ni de la peinture, ni de la sculpture mais des « des objets spécifiques » plutôt tridimensionnels. L’art minimal est basé sur plusieurs principes : la répétition (la série), les combinaisons et les variations de formes abstraites, l'importance de l'élément espace dans la vision de l'objet (rapport œuvre espace spectateur), la libération de l’œuvre du geste artistique. Les structures sont élémentaires et réalisées avec des matériaux simples. 50 En 1966, l’exposition « Primary Structures : Younger American and British Sculptors » du Jewish Museum de New York comprend des protagonistes de l’art minimal, parmi lesquels le noyau dur : Carl Andre, Donald Judd, Dan Flavin. L’art minimal fait suite aux expériences essentielles qui ont marqué l’abstraction américaine et dont le processus d’épuration aboutit à un degré zéro de la pratique picturale. Selon Donald Judd, « [f]orme, image, couleur et surface sont une seule et même chose et ne sont pas séparées et dispersées ». La réduction porte sur la matérialité des objets et sur leur perception intellectuelle chez le spectateur. Ni peinture ni sculpture, l’œuvre fonctionne dans l’espace en partant d’une variation venue de figures élémentaires faisant appel à d’autres catégories perceptives et réflexives du spectateur : « Il ne s’agit plus d’identifier des formes pour elles-mêmes, tels des morceaux s’ajoutant les uns aux autres, mais de faire l’expérience physique et mentale de la répétition des différences 54 » dans un environnement singulier. Le but de ce processus est que l’art atteigne une dimension publique. 2.18.2 LA LUMIERE Dan Flavin utilise la lumière comme medium principal, dans un dialogue constant avec la peinture, la sculpture et l’architecture de l’époque contemporaine comme des siècles passés. A travers le vocabulaire restreint du tube fluorescent, créant des jeux de formes et de formats propres à la lumière, il structure et sculpte des espaces. En 1961, il réalise une série de peintures dont le pourtour s’orne d’ampoules électriques. Telles sont les « icônes » de l’artiste et des bougies à incandescence qui préfigurent la présence intense qui sera celle des œuvres fluorescentes pures. S’ensuit une série de possibles sur le nombre, la couleur ou les dimensions des tubes fluorescents qui définissent un environnement spatial en modifiant la perception de l’espace. Le travail peut jouer avec des appliques circulaires fluorescentes, s’appuyer sur des angles sombres, des couloirs barrés ou des grilles d’angle. Il prend également la forme de projets architecturaux de grande ampleur qui participent d’une grande précision des effets chromatiques et spatiaux de la lumière. Le volume de lumière qui irradie dans l’espace n’est perceptible que comme reflet sur le contenant matériel qui est le sien : mur, sol… L’intensité varie en fonction du lieu, du point de vue et du moment de la journée. Ce sont les substances qui deviennent fluorescentes sous l’effet d’un rayonnement lumineux. La couleur de la lumière émise dépend de la composition chimique des substances luminescentes utilisées. Pour le jaune et le rouge est ajouté du pigment. L’intensité spécifique à chacune des couleurs émises en lumières fluorescentes ne peut être augmentée ou diminuée qu’en en modifiant la longueur et le nombre dans une présentation spécifique. La qualité de la lumière peut être ajustée par la disposition des tubes les uns par rapport aux autres. Dan Flavin exploite également les effets les plus étranges de l’ultraviolet de façon isolée, en association avec d’autres couleurs ou de manière presque imperceptible. L’artiste joue ainsi avec l’assemblage systématique de tubes lumineux et l’exploration des potentialités picturales de la couleur dans des installations sculpturales tridimensionnelles ou architectoniques. 54 Jacinto Lageira, « L’art minimal » in Encyclopaedia universalis, Paris, Encyclopaedia universalis, 1984, p. 93. 51 2.19 ROBERT IRWIN Né en 1928 à Long Beach. Vit et travaille à San Diego, en Californie. Sans titre, 1967-1968 Peinture acrylique sur disque en Plexiglas fixé au mur et éclairé par 4 lampes dont 2 sont fixées au plafond et 2 sont posées au sol Diamètre : 137,5 cm Diamètre du disque : 137,5 cm Profondeur : 62,5cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1981 Numéro d'inventaire : AM 1981-254 2.19.1 LIGHT AND SPACE Robert Irwin est l’initiateur du groupe Light and Space avec James Turrell, Douglas Wheeler et Maria Nordman. Une première exposition a lieu en 1971 à la galerie UCLA au sein de l’Université de Californie : « Transparence, Réflexion, Lumière, Espace ». Le groupe dématérialise l’œuvre, use de matériaux simples (plastique, verre) et de procédés de fabrication sophistiqués souvent liés à l’industrie aéronautique ou autonmobile. Les artistes utilisent des techniques de haute technologie pour créer des œuvres. Ces perspectives s’inscrivent dans le contexte de la Guerre froide et du programme Art and Technology lancé en 1966 par le LACMA (Los Angeles County Museum of Art). Ce dernier a l’ambition de favoriser des échanges créatifs entre des artistes et des entreprises de pointe californiennes. En marge de la 52 réalisation d’objets d’art, James Turrell et Robert Irwin mènent ainsi des travaux plus théoriques, en lien avec le programme Apollo de la NASA. Leur but est de tester les réactions multisensorielles des individus au sein d’environnements plus ou moins stimulants, recherches qui s’inscrivent avec les préoccupations du groupe Light and Space. Dans ce contexte, les matériaux ne sont qu’une étape visant à l’immatérialité. La question de la lumière, déjà présente chez Dan Flavin, « va fortement intéresser les minimalistes qui travaillent en Californie, tels Robert Irwin […] et James Turrell, avec ses espaces lumineux […]55 ». Ils expérimentent la qualité de la lumière et sa perception. La synesthésie et les impressions sensorielles explorées laissent place à l’inclusion directe dans l’œuvre. La perception visuelle est déterminée par l’œil et le matériau qu’est la lumière. Cette dernière, utilisée directement, amène le spectateur à saisir l’espace par la conscience. 2.19.2 COULEUR, LUMIERE ET PERCEPTION Selon Robert Irwin, la peinture est un lieu d’action et d’exploration pour devenir un champ perceptif. Selon lui, « le sujet de l’art est la perception esthétique ». Aussi se fonde-t-il sur des connaissances scientifiques relatives aux effets de la perception ainsi que sur des réflexions philosophiques et phénoménologiques dans le but de rechercher les potentialités infinies de notre vision. Le plus important pour l’artiste n’est ni le tableau ni l’objet matériellement représenté : « ce qu’on explore réellement, c’est notre état de conscience et la forme de nos perceptions ». L’expérimentation des lignes sur le fond de la peinture permet d’accroître la concentration perspective. Le but de la peinture devient la « participation » du spectateur, la réflexion sur la position des lignes s’alliant à méditation intense sur la couleur. Les peintures de petits points faits à la main accentuent ensuite l’objectif « perceptif » de l’artiste. Mais ce sont les disques qui, par la mise en question du support et de sa fonction, permettent une « égalité de présence ». Ils ont l’air de disparaître et de se dissoudre en un environnement lumineux très soigneusement réglé qui génère des ombres circulaires lumineuses. La couleur se transforme en lumière diffuse. Elle apparaît comme un léger film et le support convexe renforce l’effet de diffusion à partir du centre. La lumière semble alors se transformer en énergie pure, sous les yeux du spectateur. Robert Irwin « approche [ainsi] de très près le phénomène de ‘dématérialisation’ propre à certaines avant-gardes, tout en gardant une intense qualité de ‘physicalité’, tactile et optique, comme l’indiquent la densité mouvante de la surface, la qualité matérielle de la couleur-lumière56 ». Dans les disques transparents et convexes de plastique acrylique, les moyens les plus abstraits sont mis à l’épreuve et l’œuvre atteint « un degré de perfection intangible dans son immatérialité provocante 57 ». Les disques tentent d’engager directement l’acte de perception avec la relation du spectateur à l’ « objet ». « Si l’effet perceptif se prolong[e] réellement dans la conscience du spectateur, en une sorte 55 « L’art minimal » in L’art moderne et contemporain. Peinture, sculpture, photographie, graphisme, nouveaux médias, dir. S. Lemoine, Paris, Larousse, coll. « Concise », 2006, p. 218. 56 Claudine Humblet, « Robert Irwin » in La Nouvelle Abstraction Américaine 1950-1970, Paris, Skira/ Seuil, 2004, p. 1651. 57 Claudine Humblet, op. cit., p. 1652. 53 de ‘recréation intérieure de l’image’ (Merleau-Ponty), les frontières de l’objet [sont] alors anéanties ». 54 3. BIBLIOGRAPHIE Bibliographie générale art du XXe siècle (L’). de l’art moderne à l’art contemporain, 1939-2002, dir. D. Soutif, Paris, Citadelles et Mazenod, 2005. art moderne et contemporain (L’). Peinture, sculpture, photographie, graphisme, nouveaux médias, dir. S. Lemoine, Paris, Larousse, coll. « Concise », 2006. cadre et le socle dans l’art du XXe siècle (Le). Ouvrage dir. par S. Lemoine, Dijon et Paris, Université de Bourgogne et Musée national d’art moderne Centre Georges Pompidou, Centre national des Arts plastiques, 1987. 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