Simeone - Florent Torchut

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Simeone - Florent Torchut
_Simeone
TOUTE L’ARGENTINE
EN UN SEUL HOMME
l’on reçoit de ses parents, réplique Simeone. Quand je suis «né» au football,
donnait des directives aux jeunes comme aux plus âgés et il le faisait bien,
Bilardo m’a pris sous son aile et j’ai énormément appris de lui. C’est
poursuit Bilardo. Quand un entraîneur voit qu’un de ses joueurs prend des
quelqu’un de passionné. Et, pour moi, tout ce qui est fait avec passion est
responsabilités, il faut le laisser faire. Il «contaminait’’ le reste de l’équipe,
spectaculaire. Ce qui est fait uniquement pour s’amuser, pour profiter, ce
comme il le fait aujourd’hui en tant qu’entraîneur. Je vois toujours cet
n’est pas pour moi. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas d’autres types de
homme agressif, rageur, qui ne baisse jamais la tête, même quand les
football.» Ainsi, il considère avoir également «appris de Guardiola, mais
résultats ne sont pas au rendez-vous.» L’actuel directeur national des
aussi de Mourinho, qui a su gagner partout où il est passé. Qu’il te plaise ou
sélections l’érige en modèle. «J’ai des centaines de vidéos de football et
aucune ne vaut celle où l’on voit El Cholo célébrer un but contre la Bolivie à non, c’est indiscutable. Quant à Guardiola, il a développé quelque chose qui
AVEC SON PÈRE,
La Paz. Il exprimait son leadership jusque dans sa manière de fêter ses buts. plaît à tous ceux qui aiment le football.» Mais Simeone est avant tout un
CARLOS, SON MENTOR,
technicien pragmatique, capable de tirer le meilleur de son effectif, même
Je me suis souvent servi de ces images pour motiver mes joueurs. Il ne
SON MODÈLE.
recule devant rien.» Au risque de se montrer parfois trop sanguin. «Il jouait sans la présence de stars. «On gagne de différentes manières et chacun peut
choisir sa façon de gagner. Le Barça et la sélection espagnole nous ont
toujours à la limite et, parfois, il la franchissait, note Mancuso. Il fallait
montré un chemin merveilleux, mais pour aller vite, il faut une bonne
l’avoir à l’œil, car il prenait beaucoup de jaunes et frôlait régulièrement
voiture. Si ta voiture est moins bonne, il faut trouver le moyen de
l’expulsion.» «C’est vrai qu’il y allait fort, mais il jouait toujours le
« IL NE
crever la roue de l’autre et de le suivre le plus près
ballon», pondère Calvanese. «Il finissait les matches très
BAISSE JAMAIS
possible.»
fort, poursuit Mancuso. Quand tout le monde était fatigué
LA TÊTE, MÊME
et marquait le pas, lui accélérait. Il ne renonçait à aucun
QUAND
LES
SÉLECTIONNEUR DE L’ARGENTINE, C’EST
ballon jusqu’à la dernière seconde.»
RÉSULTATS NE
ÉCRIT. Giovanni Simeone, son fils aîné, qui vient
Et les défis ne l’effraient pas. À la Copa America 1991, il
SONT PAS AU
d’entamer une carrière à la pointe de l’attaque de l’équipe
hérite du numéro 10 de Maradona, suspendu pour dopage.
RENDEZ-VOUS »
première de River Plate, souligne que «l’Atletico a les
Avec maestria, il conduit la sélection à la victoire finale. Un
Carlos Bilardo, ancien
caractéristiques et la personnalité (de son père). Sur le
exploit répété deux ans plus tard en Équateur, le dernier
sélectionneur
argentin
terrain, c’était un tueur, il mangeait les talons de ses
titre majeur remporté par l’Argentine. Alejandro Mancuso
adversaires. Je crois que l’Atletico est le reflet de sa philosophie.» Un
faisait aussi partie de ces glorieuses campagnes. «Diego est un
sentiment partagé par Marcelo Gallardo. «L’Atletico est à son image. Il lui
gagneur-né. Tout jeune, il avait déjà une personnalité très marquée, c’était
a insuQé son tempérament. Il réalise une saison fantastique avec une
un audacieux. Il a le profil type du joueur argentin, très attaché au maillot
équipe d’envergure et de qualité technique moindres que le Real Madrid et
qu’il porte, que ce soit en club ou en équipe nationale.» Les héros du
Barcelone.» Pour Carlos Simeone, «les dirigeants et les joueurs ont compris
Mundial 1978 inspirent Simeone. «J’observais l’attitude du capitaine,
comment fonctionne Diego, son travail, sa façon d’être. Et ils l’appuient tout
Passarella. Comment il marchait, comment il sautait, comment il enfilait
son maillot… Celles de Kempes, de Gallego. Les gens avec de la personnalité le temps. L’équipe peut se montrer aguerrie physiquement, mais aussi
proposer un football de qualité. Elle a le sens du sacrifice, la puissance
m’ont toujours fasciné, reconnaît-il. J’aime ces personnes qui te
physique et une touche technique.» «C’était un footballeur au caractère
transmettent quelque chose juste en les regardant, à travers leur visage,
bien trempé et, aujourd’hui, il transmet sa passion à ses joueurs, relève son
leurs gestes.» Disparu en début d’année, Luis Aragones avait préfacé son
ami Mancuso. En Argentine, personne n’est surpris par sa réussite
ouvrage, l’Effet Simeone: la motivation comme stratégie, sorti l’an dernier.
actuelle.»
L’ancien technicien de l’Atletico Madrid écrit qu’il «a toujours eu une âme
À tel point qu’il ne fait désormais guère de doute qu’il dirigera un jour
de leader. Il ne parlait jamais pour rien dire et avait une conduite
l’équipe d’Argentine. «Simeone connaît bien le football argentin, ses
exemplaire. Cela lui a conféré un rôle de patron dans le vestiaire».
joueurs, et le jeu européen, alors pourquoi pas, lance Carlos Bilardo. Il ferait
LE FOOT VINGT-QUATRE HEURES SUR VINGT-QUATRE. De
un bon sélectionneur.» Celui qui s’est un jour déclaré prêt «à rejoindre la
retour en Argentine après deux dernières saisons sous le maillot blanc et
sélection en nageant» l’avoue volontiers: «C’est ma vie! J’ai fait trois
rouge (2003-2005), Diego Simeone signe dans le club qu’il supportait dans
Coupes du monde et je ne sais combien de Copas America (quatre). Je n’ai
sa jeunesse: le Racing Club d’Avellaneda. Dans la tourmente de mauvais
pas pris de vacances pendant des années. Chaque fois que je voyais le
résultats, il ne tarde pas à jouer les pompiers. «Les dirigeants du Racing ont maillot ciel et blanc accroché dans le vestiaire, la fatigue et les heures de vol
viré Guillermo Rivarola à quelques jours du clasico contre Independiente.
disparaissaient.» Toujours prêt à retrousser ses manches pour aller au
Le mardi matin, il a raccroché les crampons et, l’après-midi, il était le
combat. Comme celui qui l’attend samedi. n F. T.
“mister’’ de ses ex-coéquipiers», raconte le journaliste Juan Roberto Presta.
Il sera remercié en février 2006, mais sa carrière est lancée. «Il avait
toujours un mot de soutien pour un coéquipier ou une question pour
l’entraîneur», se remémore Calvanese. Il était donc logique de le voir
s’asseoir un jour sur un banc. Marcelo Gallardo, l’ancien meneur de jeu de
l’AS Monaco, qui a disputé les Coupes du monde 1998 et 2002 à ses côtés,
garde le souvenir d’un joueur «curieux, fin observateur et très
professionnel, qui parlait de football, matin, midi et soir». Le principal
intéressé plaide coupable sans sourciller. «Le football est présent dans ma
vie vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il m’arrive d’aller au cinéma ou au
restaurant et d’avoir une idée. À peine sorti, je ne peux m’empêcher de
passer un coup de fil à mon adjoint.»
En 2006, Simeone décroche le Tournoi d’Ouverture argentin avec
Estudiantes de La Plata dès sa première saison complète en tant
qu’entraîneur. Il récidive en 2008 avec River Plate. La suite est moins
glorieuse: il quitte le club millonario en position de lanterne rouge avant
d’échouer de nouveau à la tête de San Lorenzo. En janvier 2011, il rebondit à
Catane, en Italie. Alors que le club semble condamné, il le sauve
miraculeusement de la relégation, son premier exploit sur le Vieux
Continent. «Pour lui, il n’y a que la victoire qui compte, aNrme Mancuso.
Ensuite, il cherche le moyen d’y arriver.» Une vision qui n’est pas sans
rappeler l’école «bilardista», souvent opposée en Argentine au beau jeu
prôné par Luis César Menotti, vainqueur du Mondial 1978, huit ans avant le
«Narigon» («le Gros Nez», le surnom de Bilardo). «On a l’éducation que
SIMEONE, NOUVEAU CHAMPION D’ESPAGNE, VIT SES MATCHES COMME QUAND IL ÉTAIT JOUEUR : PASSIONNÉMENT.
Celui qui a fait de l’Atletico Madrid l’égal du Barça et du Real cette saison est
un leader-né, porté par un tempérament exceptionnel. Comme joueur d’abord,
comme entraîneur ensuite, il incarne à merveille l’ADN du football argentin.
«U
TEXTE FLORENT TORCHUT, À BUENOS AIRES | PHOTO SÉBASTIEN BOUÉ
UNE IMMENSE SOIF DE RÉUSSITE. Son histoire d’amour avec le
ballon rond commence dès le berceau, à l’instar de nombre de ses
compatriotes. «Il est né avec cette passion pour le football, rapporte son
père. Le premier mot qu’il a prononcé, bébé, était: “Gol’’ (NDLR: but), avant
même de dire “maman’’.» Adolescent, il dévore des kilomètres pour aller
24 _ MARDI 20 MAI 2014 _ FF
FRANCK FAUGÈRE/L’ÉQUIPE
n joueur doit posséder trois qualités: taper dans le cuir. «Les week-ends, nous allions d’un bout à l’autre de
la foi, la chance et le courage. J’aime
Buenos Aires, raconte son père. Il jouait un match, il se changeait dans la
les joueurs qui ont de la
voiture et on repartait jouer ailleurs. Il ne se fatiguait jamais. Un jour, alors
personnalité. Une fois sur le terrain,
qu’il n’avait que quatorze ans et qu’il nous manquait un joueur, il a joué avec
nous sommes tous égaux. Je joue
moi et des amis. Sans retenue.» Il ne tarde pas à rejoindre les rangs de Velez
sans peur, j’oublie que j’ai seulement
Sarsfield, prestigieux club qui a notamment formé Carlos Bianchi, où il est
dix-sept ans.» Ces mots ont été
entraîné par Salvador Calvanese, de treize à dix-sept ans. Le formateur se
prononcés par Diego Simeone au cours de sa première saison
souvient d’un «joueur très appliqué, avec une immense soif de réussite: il
professionnelle, en 1987, sous les couleurs de Velez Sarsfield. Un quart de
savait ce qu’il voulait et avait déjà une attitude professionnelle. Il a toujours
siècle plus tard, le discours n’a pas changé. L’homme reste un insatiable
été capitaine. Dès ses onze ans. Mais quand il est arrivé dans ma catégorie,
compétiteur. Samedi, à Lisbonne, Diego Simeone entend bien voir les
je ne l’ai volontairement pas désigné capitaine. Je voulais voir comment il
joueurs de l’Atletico Madrid, finaliste malheureux en 1974, manquer de
réagissait. J’ai donné le brassard à un de ses amis, mais ça n’a pas duré
respect au Real Madrid, l’ennemi héréditaire, en quête de sa dixième
longtemps. Je lui ai vite rendu, car c’était une évidence. Vous auriez vu
couronne européenne. À n’en pas douter, ses protégés pénétreront sur la
comment il captait l’attention de ses coéquipiers! Il était comme un aimant
pelouse du stade de la Luz «le couteau entre les dents». En janvier 1997,
pour les autres.» Sa sœur Natalia fait elle aussi les frais de son tempérament
Simeone avait choisi cette image de guerrier sanguinaire pour illustrer sa
autoritaire. «Il me disait ce que je devais faire, rigole-t-elle aujourd’hui. Il
rage de vaincre, à la veille d’une rencontre qualificative pour la Coupe du
me mettait dans les buts pour tirer des penalties. Il voulait déjà diriger.»
monde 1998 sous la tunique albiceleste face à l’Uruguay, au stade
Son enfance tourne exclusivement autour du ballon rond. «Une fois, on lui
Centenario de Montevideo. «Il jouait toujours avec passion, assure son
a offert un fort avec des soldats et des Indiens. Il l’a transformé en stade de
père, Carlos, dans un bureau tapissé de maillots de l’Atletico Madrid, de
foot, en faisant jouer les uns contre les autres», s’amuse le paternel. «Sa
l’Argentine ou encore de la Lazio, portés par le fiston et floqués du
grand-mère passait son temps à le gronder parce qu’il abîmait ses plantes
numéro 14. Rien ne pouvait l’arrêter. Il a sacrifié une tonne de choses pour
avec le ballon. Il n’y a que le football qui l’intéressait.» Salvador Calvanese
devenir footballeur. Il n’a jamais supporté de perdre. Son caractère, cette
rassure alors ses parents comme il peut. «Afin de progresser, il s’entraînait à
rage ne changeront jamais.»
frapper la balle des deux pieds et il était tellement appliqué quand il
«El Cholo» (surnom qui lui a été attribué à Velez Sarsfield, en
s’agissait de football qu’il faisait ça n’importe où, jusque dans la
hommage à Carmelo Simeone, figure mythique du club dans
cuisine de sa mère. Je leur ai dit de ne pas s’en faire, qu’avec ce
les années 50) ne va pas contredire son géniteur. «J’aime
qu’il allait gagner, il allait pouvoir leur payer tout ce qu’ils
«
IL
JOUAIT
les joueurs qui se rebellent, qui ont le feu, martèle-t-il. Ils
voulaient.» Le jeune Diego fait ce qu’il faut pour y
TOUJOURS
AVEC
ont beaucoup plus à donner qu’un joueur light. Un
parvenir. «Lors d’une rencontre face à Chacarita, j’ai fait
PASSION. RIEN
entraîneur a besoin de joueurs qui soient acteurs, pas
venir le coordinateur des équipes de jeunes pour qu’il le
NE
POUVAIT
spectateurs.» Lui-même n’hésitait pas à défier ses
voie, relate Calvanese. Sur un centre, il a mis un coup de
L’ARRÊTER
»
entraîneurs. Alors qu’il évolue à la Lazio Rome, sous les
tête terrible de l’extérieur de la surface, qui a fini dans le
Carlos Simeone,
ordres de Sven-Göran Eriksson, il envoie un message
but. On aurait dit qu’il avait frappé avec le pied tellement la
son père
plutôt explicite au coach suédois. «Je venais de marquer un
trajectoire était puissante. Victor Spinetto m’a dit: “Tu ne
but décisif face à la Juventus, mais il me sort de l’équipe titulaire.
t’es pas trompé, ce gamin a un grand avenir devant lui.’’»
Contre Piacenza, il me fait entrer à vingt minutes de la fin, à 0-0. Je
Alejandro Mancuso, qui effectue ses premiers pas avec lui sous le
mets un but et là, je lui montre mon dos, l’air de dire: regarde qui je suis.
scapulaire de Velez Sarsfield, évoque «un joueur très dur, qui taclait
Ensuite, j’ai mis quatre buts lors des quatre dernières journées de
beaucoup, très fort de la tête, avec une envie impressionnante. Il tenait à
Championnat, que nous avons remporté.»
tirer tous les coups de pied arrêtés».
L’EXEMPLE DES HÉROS DE 1978. Repéré par Carlos Bilardo, il
débute en sélection en 1988, un an à peine après son premier match en pro.
«Gamin, il avait déjà un fort caractère, dans le sens positif, assure l’ancien
sélectionneur de l’Argentine (1983-1990). Il respire le football et, surtout, il
s’y connaît.» Très vite, il devient son principal relais sur le terrain. «Il
26 _ MARDI 20 MAI 2014 _ FF
DR
À LA UNE REAL-ATLETICO
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