Des écoquartiers à la ville durable
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Des écoquartiers à la ville durable
Institut d’Études Politiques de Toulouse Des écoquartiers à la ville durable Appropriation et diffusion des principes de l’urbanisme durable à Toulouse métropole. Mémoire de recherche présenté par Anaelle Sorignet Sous la direction de Julien Weisbein Année universitaire 2012/2013 Institut d’Études Politiques de Toulouse Des écoquartiers à la ville durable Appropriation et diffusion des principes de l’urbanisme durable à Toulouse métropole. Mémoire de recherche présenté par Anaelle Sorignet Sous la direction de Julien Weisbein Année universitaire 2012/2013 AVANT-PROPOS Je tiens à remercier Julien Weisbein pour avoir accepté d’être mon directeur de mémoire, et pour m’avoir reçue chaque fois que j’ai ressenti le besoin de soumettre mes idées. Ses cours m’ont fourni de multiples pistes lors de mes recherches. Merci à Laura Parvu pour son aide, ses conseils et son extrême disponibilité, tout au long de cette année. Merci aux services de Toulouse métropole pour leur encadrement lors de l’atelier professionnalisant de cinquième année, qui nous a beaucoup appris et m’a permis de rassembler de nombreuses informations utiles à ce travail. Merci à toutes les personnes qui ont bien voulu m’accorder un entretien dans le cadre de ce travail et qui ont contribué par leurs témoignages et leurs idées à faire avancer ma réflexion. Merci enfin à mes proches de m’avoir supportée et soutenue, notamment dans les dernières semaines de ce travail. AVERTISSEMENT : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e). SOMMAIRE INTRODUCTION ............................................................................................................... 2 I – Pourquoi et comment la ville devient-elle le terrain du développement durable ? ... 4 II – Un objet urbanistique singulier : l’écoquartier ........................................................ 6 III – Choix empiriques et méthodologiques, présentation du territoire d’étude ............ 8 PREMIÈRE PARTIE : L’URBANISME DURABLE, UN COURANT DÉPOURVU DE SOCLE THÉORIQUE QUI ÉMERGE GRACE A L’EXPÉRIMENTATION .......... 12 I – Une ville durable aux problématiques naissantes ................................................... 12 II – L’écoquartier, un laboratoire grandeur nature au service de la ville durable ........ 20 DEUXIÈME PARTIE : LES ÉCOQUARTIERS MÉTROPOLITAINS, ÉCOLES DE LA DURABILITÉ POUR LE TERRITOIRE ................................................................ 34 I – Une fonction d’entraînement plus que d’expérimentation ..................................... 35 II – Des effets d’apprentissage ..................................................................................... 40 III – Les écoquartiers et après ? Esquisses de la ville durable ..................................... 50 TROISIÈME PARTIE : TOULOUSE MÉTROPOLE, UNE VILLE DURABLE ? OBSTACLES PERSISTANTS......................................................................................... 66 I – Le projet territorial de développement durable de Toulouse métropole : atouts et faiblesses ...................................................................................................................... 66 II – La volonté politique, condition sine qua none du développement urbain durable 83 CONCLUSION .................................................................................................................. 90 LISTE DES ANNEXES .................................................................................................... 92 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................... 100 INTRODUCTION L’expression sustainable development, traduite par « développement durable » en français, est restée méconnue du grand public jusqu’en 1992, date du sommet mondial pour le climat à Rio. Paré de cette légitimité internationale, le concept a pu se diffuser et se populariser, avec une accélération ces dix dernières années, jusqu’à devenir l’injonction omniprésente que nous connaissons aujourd’hui. Tout doit désormais être durable : la production, la consommation, l’alimentation, la ville, la mobilité, les bâtiments… Pourtant, cette notion n’est pas comprise de manière univoque et reste sujette à de nombreuses interprétations, comme en témoigne la célèbre opposition entre une conception « faible » du développement durable qui le cantonnerait au remplacement du capital naturel détruit par du capital technique grâce au progrès, et une conception « forte » qui nécessiterait « un changement de civilisation »1. Le rapport Brundtland publié en 1987, propose pourtant une définition officielle et consacrée du développement durable comme un « …mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. ». Ce mode de développement s’appuie sur trois piliers à équilibrer : l’environnemental, l’économique et le social ; peu de précisions sont données toutefois sur la recherche de cet équilibre. Nous pouvons d’ailleurs observer aujourd’hui combien la dimension environnementale a accaparé le concept2. Par ailleurs, si le succès de cette notion est récent, les racines théoriques de l’écologie sont bien plus anciennes. En effet, Bourg, en dressant une « genèse de la conscience écologique »3, montre que les premières associations de défense de la nature ont été fondées durant la seconde moitié du XIXe siècle et critiquent la modification des rapports hommenature entraînée par la révolution industrielle. La pensée qui sous-tend aujourd’hui l’urbanisme durable a beaucoup de points communs avec celle de Patrick Geddes, biologiste écossais « …à qui l’on doit les premières dénonciations virulentes du gaspillage des ressources naturelles »4. La pensée écologique est donc ancienne et a été développée dans 1 BOURG Dominique, « Le développement durable exige un changement de civilisation », entretien avec Antoine Loubière, Revue Urbanisme, mai-juin 2002, n° 324, p.40. 2 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », Esprit, 2009/12, p.146. 3 BOURG Dominique, « Le nouvel âge de l’écologie ». Le Débat, 2001/1, n°113, p.93. 4 BOURG Dominique, Ibid., p.94. 2 trois critiques : la critique écologique, la critique philosophique du progrès technique et la critique de la croissance. Relayées par les conférences environnementales internationales (la conférence de l’UNESCO sur la biosphère en 1968, la conférence de Stockholm en 1972, Rio en 1992, etc.) et la parution de plusieurs ouvrages dès l’après-guerre, ces idées se sont popularisées jusqu’à se banaliser. La notion de développement durable a tellement été déclinée ces vingt dernières années qu’elle est devenue un « fourre-tout »5 sémantique, au détriment de sa lisibilité. Le succès d’un concept aussi large, pour ne pas dire bancal, étonne à première vue. Il semblerait pourtant que ces imprécisions aient permis de fédérer des expériences très différentes, le caractère flou de la notion ayant donné la possibilité à une pluralité d’acteurs de se l’approprier6. Son « caractère imprécis et controversé »7 interroge sur ses traductions opérationnelles. Connaître la confusion entourant cette notion est essentiel pour traiter des thématiques de l’écoquartier et de la ville durable. Elle explique pour partie les difficultés auxquelles se heurte l’urbanisme durable aujourd’hui. La France s’est saisie du concept assez tardivement, puisque le développement durable a réellement été investi au milieu des années 2000, presque vingt ans après la parution du rapport Brundtland. Malgré sa complexité, il est devenu aujourd’hui un nouveau référentiel pour l’action publique8 qui bénéficie avec le développement durable d’un certain renouvellement des discours et des actions9. Les thèmes qui lui sont associés, et notamment la démocratisation, ont permis à l’action publique de se re-légitimer dans un contexte de crise de la représentation démocratique. Il n’est plus aujourd’hui envisageable pour les acteurs publics comme privés de ne pas faire état de préoccupations environnementales et sociétales, même simplement affichées. C’est ce que montrent bien l’émergence et la généralisation de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) ou des Organismes publics (RSO) aujourd’hui. 5 SCARWELL Helga-Jane et ROUSSEL Isabelle, « Le développement durable, un référentiel pour l’action publique entre attractivité et tensions », Territoire en mouvement [En ligne], 2006, mis en ligne le 01/09/2010, consulté le 12/10/2012. URL : http://tem.revues.org/95 6 HAMMAN Philippe, Sociologie urbaine et développement durable, Bruxelles : Éditions de Boeck, 2012, p.17. 7 BERNIÉ-BOISSARD Catherine et CHEVALIER Dominique, « Développement durable : discours consensuels et pratiques discordantes. Montpellier et Nîmes. » Espaces et Sociétés, 2011/4, n°147, p.48. 8 SCARWELL Helga-Jane et ROUSSEL Isabelle, « Le développement durable, un référentiel pour l’action publique entre attractivité et tensions », Op. cit. 9 HAMMAN Philippe, Sociologie urbaine et développement durable, Op. cit., p.61. 3 La difficulté qui se pose alors est la traduction concrète d’un concept qui a presque autant de définitions que d’acteurs. Si les collectivités ont compris l’importance d’intégrer le développement durable dans leurs politiques (et y sont de toute manière obligées), elles déclarent en 2002 considérer celui-ci comme abstrait et difficile à mettre en œuvre, et peinent à traduire en actions un concept dont elles ne maîtrisent pas bien la signification10. Ainsi, la mise en œuvre du développement durable a toujours été problématique pour les collectivités, pourtant acteurs-clés dans la déclinaison territoriale du concept. I – Pourquoi et comment la ville devient-elle le terrain du développement durable ? L’Insee définit la ville comme une unité urbaine constituée d'une ou plusieurs communes, comptant plus de 2 000 habitants et présentant une continuité dans l'habitat11. Elle est un lieu de concentration de la population et des activités humaines (commerce, industrie, culture, éducation, etc.). Elle se caractérise notamment par la présence d’activités de commandement, qui permettent d’organiser la vie sociale. Ainsi, « les villes représentent des formes de cristallisation du social »12. Pourquoi faire de la ville le terrain privilégié du développement durable, alors que celuici fait référence à la protection de la planète ? En tant que lieu privilégié de l’organisation d’une société, la ville toujours été un lieu d’utopies: celle du développement durable s’y est naturellement implantée. La ville durable n’est autre que la transposition dans l’espace du discours du développement durable13. Comment les villes pourraient-elles l’omettre alors qu’elles sont responsables de 70 % des émissions de CO2 selon les Nations Unies14 ? Elles contribuent très largement au processus de changement climatique et continueront à le faire, 10 LOUBIERE Antoine, « Les collectivités territoriales entre confusion et activisme », Revue Urbanisme, mai juin 2002, n°324, p.55. 11 Source : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/ville.htm 12 HAMMAN Philippe, Sociologie urbaine et développement durable, op. cit., p.23. 13 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », op. cit., p.149. 14 Pourtant, les villes n’occupent que 2% de la masse continentale mondiale, et ne rassemblent que la moitié de la population terrestre. Voir : http://www.un.org/fr/sustainablefuture/pdf/cities.pdf 4 puisque 75 % de l’humanité devrait vivre en ville d’ici 205015. En signant la charte d’Aalborg en 1994, les viles européennes ont reconnu leur responsabilité dans la dégradation de l’environnement global, leur rôle essentiel dans l’évolution des modes de vie, et la pertinence de leur échelle pour résoudre les problèmes actuels de manière intégrée16. En effet, l’aprèsRio a montré les difficultés de mise en œuvre du développement durable au niveau global, c’est pourquoi « …le pragmatisme peut conduire à s’appuyer en priorité sur la mobilisation des acteurs locaux. »17. La dimension locale fait apparaître plus fortement les contradictions du développement durable et permet une approche transversale : la ville apparaît alors comme un relai nécessaire pour porter cette thématique, en inscrivant le développement durable dans les politiques territorialisées. Elle présente également l’avantage de permettre l’implication des acteurs locaux et le renforcement de la démocratie locale18. La ville devient donc « durable » dans le rapport Brundtland, puis dans la charte d’Aalborg sept ans plus tard. Cette notion reste très évolutive : « L’apparition du terme de ville durable doit être distinguée de la construction de la problématique, plus tardive, qui fera évoluer son sens initial. »19. Elle connaît en effet plusieurs définitions successives : la première approche est celle de la ville « autosuffisante », c’est-à-dire qui subvient localement à ses besoins. La ville durable est ensuite celle qui se développe sans faire peser le coût de son développement sur d’autres, puis en dernière acception, celle qui s’efforce de se développer en préservant la qualité de vie de ses habitants, tout en défendant un objectif plus général de développement durable20. La ville durable serait un croisement entre quatre villes aux objectifs variés voire antagonistes : « …l’ "écocité", militante et décroissante, la "ville confortable", préservatrice et autocentrée, la "ville solidaire", rationnelle et redistributrice, et la "ville ouverte", dynamique et consommatrice. ». Dans la poursuite de ces objectifs complexes, la recherche d’un équilibre passe par la prise en compte des problématiques 15 CHARLOT-VALDIEU Catherine et OUTREQUIN Philippe, L’urbanisme durable. Concevoir un écoquartier. 2e édition. Paris : Éditions du Moniteur, 2011 (2009). 16 Pour le texte complet de la charte d’Aalborg, voir : http://a21l.qc.ca/web/document/aalborg.pdf 17 THEYS Jacques, « L’approche territoriale du " développement durable ", condition d’une prise en compte de sa dimension sociale », Développement durable et territoires [En ligne], 2002, mis en ligne le 23/09/2002, consulté le 05/07/2013. URL : http://developpementdurable.revues.org/1475 18 CHARLOT-VALDIEU Catherine et OUTREQUIN Philippe, L’urbanisme durable. Concevoir un écoquartier. Op. cit. 19 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », L'Information géographique, 2007/3, Vol. 71, p.49. 20 EMELIANOFF Cyria, Ibid., p.50. 5 spécifiques à chaque territoire. L’« injonction au local »21 est ainsi évidente : la ville durable trouve des solutions adaptées à son territoire pour répondre à des enjeux planétaires. Il n’existe donc aucune vision ou définition « monolithique »22 de la ville durable : c’est au contraire un référentiel adaptable qui laisse aux acteurs une certaine marge de manœuvre, en fonction des situations locales. La ville durable doit donc inventer son propre mode de développement, articulant des problématiques locales et globales23. Ces solutions sont testées essentiellement en milieu urbain, notamment à travers les écoquartiers. II – Un objet urbanistique singulier : l’écoquartier Concomitamment à la ville durable, apparaît un objet urbain nouveau : l’écoquartier. Né en Europe du Nord à la fin des années 1980-début des années 1990 avec les quartiers Vauban à Fribourg-en-Brisgau, Bo01 à Malmö ou encore BedZed à Londres, il se veut un quartier exemplaire au regard du développement durable. Ces quartiers expérimentaux n’ont en fait pas grand-chose en commun, certains ne servant que de démonstration éco-technologique et d’autres ayant entièrement été construits par leurs habitants, mais sont moins performants sur le plan environnemental24. Précisons à ce stade que par souci de simplicité, nous utiliserons indistinctement les termes écoquartiers et quartiers durables. En effet, il existe une distinction fréquente selon laquelle l’écoquartier serait centré sur l’aspect environnemental du développement durable, tandis que le quartier durable intégrerait en plus des préoccupations économiques et sociales25. Nous écarterons volontairement la connotation plus technique et écologique que 21 ADAM Mathieu, « La fabrique des éco-quartiers, entre injonction au local et urbanisme standardisé », Des métropoles hors-sol ? La déterritorialisation de la production de l’urbain en question. Journées d’études urbaines, Institut d’Urbanisme de Lyon, 17 et 18 novembre 2011. 22 EMELIANOFF Cyria, « Ville et urbanisme durables : un mouvement international » in HELIOT Raphaële (dir.), Ville durable et écoquartiers, Le Pré-Saint-Gervais : Éditions Passager Clandestin, 2010, p.16. 23 On peut en effet lire dans la charte d’Aalborg : « Chaque ville étant différente, c'est à chacune qu'il appartient de trouver son propre chemin de parvenir à la durabilité. » 24 SCHAEFFER Verena et BIERENS DE HAAN Camille, « Pays-Bas : quatre quartiers durables entre désirs et réalités » extraits) in SOUAMI Taoufik (dir.) « ÉcoQuartiers et urbanisme durable », Problèmes politiques et sociaux, La Documentation Française, février 2011, n° 981, p.40-42. 25 BOUTAUD Benoît, « Quartier durable ou éco-quartier ? », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Débats, Quartier durable ou éco-quartier ?, mis en ligne le 24/09/2009, consulté le 02/03/2012. URL : http://cybergeo.revues.org/22583. 6 peut prendre la notion d’écoquartier et désignerons par ce terme l’ensemble des quartiers qui intègrent ou essaient d’intégrer au mieux les trois dimensions du développement durable. Malgré une littérature très abondante sur le sujet, l’écoquartier n’a pas véritablement été défini : le terme désigne des réalités très différentes. Un écoquartier présente quelques caractéristiques récurrentes, qui peuvent constituer des éléments de définition : la recherche d’une mixité sociale et fonctionnelle, des formes urbaines denses, la construction écologique, la sobriété énergétique, la production locale d’énergie renouvelable, la promotion des modes de transport doux, la protection de la biodiversité urbaine et rurale, le retour de la nature en ville et du paysage, le traitement optimal des déchets, la valorisation et la gestion durable de l’eau, la promotion des circuits courts, la participation des habitants… Ces caractéristiques pourraient être synthétisées par quatre principes : « …haute qualité de vie, économie des ressources, maîtrises des déchets et rejets, participation. »26. Ainsi, « …le concept d’écoquartier rassemble en une même vision idéalisée de la ville future toutes les améliorations qu’il est possible d’imaginer (…). »27. Il se veut une sorte de photographie à l’instant T de tout ce qui se fait de mieux au regard du développement durable. En France, le terme évoque également le label créé par le Ministère suite au Grenelle de l’Environnement, orthographié EcoQuartier, qui constitue une tentative institutionnelle de définition. Le Ministère de l’Écologie invoque l’objectif de performance énergétique attribué à l’EcoQuartier, puis le définit comme « …un quartier durable, englobant des considérations liées aux transports, à la densité et aux formes urbaines, à l’écoconstruction, mais également à une mixité sociale et fonctionnelle et à la participation de la société civile. » 28. Pourquoi ces écoquartiers sont-ils autant plébiscités, en France et en Europe ? À la fin des années 1980, les fondements théoriques, les réalisations et les buts de l’urbanisme classique ont été critiqués de toute part : les écoquartiers ont alors constitué un lieu d’expérimentation pour tenter de solutionner les problèmes causés par l’urbanisme classique, et transformer les pratiques urbanistiques. Ils « …sont appréhendés comme des réalisations opérationnelles, comme la démonstration qu’un urbanisme durable, contre-point de l’urbanisme classique, est 26 UNIL, « Eco-quartiers : l’habitat du futur ». [En ligne], Dossier Vues sur la ville, Septembre 2007, N° 18, Université de Lausanne, URL: http://www.unil.ch/webdav/site/ouvdd/shared/VsV/No%2018-2007.pdf 27 LEFEVRE Pierre et SABARD Michel, « Les écoquartiers. L’avenir de la ville durable » (extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.53. 28 Voir : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/DP_EcoQuartier_-_partie_1.pdf 7 bien possible. »29. Pourtant, les écoquartiers divisent les auteurs comme les praticiens de l’urbanisme pour plusieurs raisons. Dans l’introduction du n°981 de Problèmes politiques et sociaux dédié aux écoquartiers et à l’urbanisme durable, Souami résume le débat en ces termes : « Certains voient dans les écoquartiers un nouveau modèle universel pour les citadins du XXI e siècle, alors que d’autres redoutent qu’une "idéologie" écologiste s’empare de la ville. Ces projets ou réalisations sont présentés comme le fer de lance d’un nouvel urbanisme plus adapté aux habitants et plus respectueux de l’environnement. Mais ils peuvent aussi être considérés comme de nouveaux ghettos réservés à une élite "bobo-écolo" et guère susceptibles de faire face aux problèmes environnementaux planétaires. »30 Les écoquartiers ont le mérite d’alimenter le débat sur ce que doit être l’urbanisme de demain, et de donner une visibilité à des réflexions trop souvent réservées à la sphère technocratique. Comment dépasser et surtout utiliser les critiques adressées à l’écoquartier et les limites qu’ils mettent en évidence pour progresser vers une ville durable ? Nous tenterons de répondre à cette question au cours de la deuxième partie de ce mémoire. III – Choix empiriques et méthodologiques, présentation du territoire d’étude Le choix de l’agglomération toulousaine comme territoire d’études s’est imposé pour des raisons pratiques. Toutefois, il paraissait intéressant d’analyser la mise en œuvre du développement urbain durable sur un territoire qui n’était pas spécifiquement pionnier en la matière. Compte tenu des compétences de la Communauté Urbaine de Toulouse métropole31 et de la pertinence de cet échelon territorial pour analyser le phénomène urbain, l’échelle intercommunale nous a parue plus appropriée. Les compétences transférées aux Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) à fiscalité propre depuis la loi Chevènement de 1999 leur ont progressivement donné les moyens d’élaborer un projet territorial global. Le discours de la ville durable porte désormais sur une échelle élargie qui est celle du territoire de projet, ici urbain. 29 SOUAMI Taoufik, « Avant-propos » in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.7. 30 SOUAMI Taoufik, Ibid., p.5. 31 Suivi du SCoT et des PLU, création et réalisation de Zones d’Aménagement Concertées (ZAC) d'intérêt communautaire, organisation des transports urbains, création/aménagement et l’entretien de la voirie, signalisation, parcs de stationnement, équilibre social de l’habitat, politique de la ville, gestion de services d’intérêt collectif, protection et de mise en valeur de l’environnement et du cadre de vie… 8 L’intercommunalité existe à Toulouse depuis seulement une vingtaine d’années, et la communauté urbaine depuis 2009. Regroupant 37 communes et plus de 700 000 habitants, le Grand Toulouse a opté en juin 2012 pour le nom de Toulouse métropole, conformément à son souhait de prétendre au statut de métropole qui constitue l’échelon le plus intégré des EPCI en France. Avec 1,22 million d’habitants en 2009 et près de 20 000 habitants supplémentaires par an depuis 10 ans, Toulouse est la quatrième aire urbaine française derrière Paris, Lyon et Marseille32 (cf. Annexes 1 et 2). Elle enregistre depuis plus de 25 ans une croissance démographique très forte (+46 % entre 1986 et 2011), due à l’arrivée sur le territoire d’activités économiques fortement créatrices d’emplois, comme l’aéronautique et le spatial. Cette augmentation de la population s’est traduite par un phénomène d’étalement urbain particulièrement important, facilitée par l’absence de contraintes géographiques (la région présente en effet une topographie assez plate) et le manque de maîtrise foncière. L’étalement urbain pose de nombreux problèmes aujourd'hui : gaspillage des espaces, détérioration de l’environnement, dépendance automobile (64 % des déplacements se font en voiture en 2012 selon l’AUAT33, et la fréquentation du réseau urbain a augmenté de 110 % en 10 ans), pollution… L’étendue de la ville de Toulouse – 12 000 ha, soit la taille de Paris intramuros – et une politique de développement routier et autoroutier ont contribué à l’allongement des trajets et à la prégnance de l’automobile. « La croissance urbaine toulousaine se caractérise par un grand empirisme et un certain désordre. »34. Suite au recensement de 1999, l’INSEE publie des chiffres stupéfiants qui mettent en évidence la réalité toulousaine, soit une aire urbaine de 342 communes pour un pôle urbain de seulement 72 communes. Marconis explique que la publication par l’Agence d’Urbanisme et l’INSEE d’un Atlas de l’aire urbaine provoque une prise de conscience chez les décideurs. Des solutions sont envisagées, comme l’élaboration d’un Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) à l’échelle de cette nouvelle réalité urbaine, qui finalement prendra la forme de quatre SCoT unis par des objectifs communs. Le Plan de Déplacements Urbains (PDU)35 constitue une autre tentative de réponse 32 Voir la publication des chiffres-clés 2012 de l’Agence d'Urbanisme et d'Aménagement du Territoire Toulouse Aire Urbaine (AUAT) : http://www.aua-toulouse.org/IMG/pdf/tabaglo2012.pdf 33 Idem. 34 MARCONIS Robert, « Toulouse, une métropole en construction. Réflexion sur un demi-siècle de croissance urbaine », in AUAT, La métropole toulousaine, rétro-prospective pour 2050. Détours prospectifs 2012, Toulouse, p.11. 35 Créés dans le cadre de la Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Énergie (dite loi LAURE) en 1996, les PDU ont pour objectif de diminuer la pollution de l’air et le gaspillage des ressources énergétiques découlant de l’accroissement des déplacements routiers en organisant l’amélioration de l’offre de transports en commun, le stationnement, la livraison de marchandises en ville, le développement des liaisons douces et de proximité... 9 à ce constat. Des transports en commun en site propre (TCSP) se développent, dont le métro et le tramway sont les emblèmes. L’étalement urbain s’avère plus difficile à maîtriser : l’absence d’outils et de dispositifs de maîtrise du développement a favorisé l’étalement car le territoire était attractif. Une fois adoptés, des documents comme le Programme Local de l’Habitat (PLH) ou le Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) ont permis d’amorcer une vision du territoire à plus long terme. Toutefois, la rareté du foncier et de l’immobilier conjuguée à une aspiration quasi-généralisée à la propriété privée ont entraîné une forte hausse des prix, éloignant des centres les classes les moins favorisées. Entre 1999 et 2010, l’aire urbaine s’est agrandie de 111 communes, qui ont participé pour 8 % de la croissance démographique totale de l'aire urbaine36. Les principaux défis semblent donc encore être à relever. À travers ce mémoire, il s’agit de s’intéresser à un territoire qui en France n’est ni précurseur ni mauvais élève en matière de mise en œuvre de politiques de développement durable et d’étudier par quels biais les acteurs publics, les professionnels et les citoyens s’approprient le concept et le traduisent en actes. Confrontés à un phénomène d’étalement urbain massif, les décideurs publics ont instauré depuis une dizaine d’années un certain nombre de mesures destinées à modifier les pratiques d’urbanisme à Toulouse métropole, dont les écoquartiers (notamment Andromède et Vidailhan) constituent un symbole fort. Nous aborderons la ville durable à partir de ces nouveaux objets urbanistiques, avant d’élargir notre réflexion. Outre une revue de la littérature scientifique sur les écoquartiers et la ville durable, notre analyse s’appuie sur l’expérience de quatre mois de travail avec le service Appui à la ville durable de Toulouse métropole, dans le cadre d’un atelier en partenariat avec l’IEP de Toulouse. C’est de cette expérience que seront tirées nos observations relatives au Référentiel d’Aménagement et d’Urbanisme Durables (RAUD), ainsi que de la dernière version de ce document dont les services ont bien voulu nous envoyer un exemplaire. D’autres sources, elles aussi fournies par les services, ont été analysées : organigrammes successifs, rapport de développement durable 2012, discours, dossiers de concertation, bilans… Des informations sont extraites de la documentation fournie sur les sites Internet de Toulouse métropole, des communes-membres et de leurs partenaires, notamment la Société d’Économie Mixte (SEM) 36 AUAT, « Toulouse, quatrième aire urbaine de France », Perspectives Villes, [En ligne], 2012, consulté le 13/08/2013. URL : http://lib.auat-toulouse.org/spip/IMG/pdf/4p-2010_11_extention_aire_urbaine_ligth.pdf 10 Oppidea, ainsi que du site du Ministère du développement durable. Enfin, une série d’entretiens a été réalisée dans le cadre de ce mémoire, avec divers acteurs de Toulouse métropole : agents, élus, ADEME, urbanistes, bureaux d’études, aménageurs, dirigeants d’entreprise. Ils seront restitués de manière anonyme dans le texte. Quel rôle ont joué les écoquartiers métropolitains dans le lancement d’une démarche de ville durable ? L’objet de ce travail sera d’analyser le processus d’intégration du développement durable dans les pratiques d’urbanisme à la CUTM : par quels biais, quels impacts sur les modes de développement urbain et quelles marges de progression ? Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous rappellerons les conditions d’émergence du courant de l’urbanisme durable en Europe et les modalités de son apparition en France. Nous aborderons les ambiguïtés relatives à la notion de ville durable et rappellerons les termes du débat dont font l’objet les écoquartiers. L’état de l’art dressé dans la première partie nous permettra de mieux comprendre la place de l’écoquartier dans l’impulsion de nouveaux modes de développement urbain à Toulouse métropole. Sa fonction n’est pas tant expérimentale : il constitue plutôt un lieu d’apprentissage pour des décideurs politiques et une administration sommés de transformer leurs pratiques. Quelques soient ses limites, l’écoquartier n’est pas une mesure anecdotique, d’autant plus que la collectivité a choisi de capitaliser et diffuser les savoirs nouvellement acquis à travers l’élaboration d’un Référentiel d’Aménagement et d’Urbanisme Durables (RAUD). Nous verrons que ce document tente de se détacher des limites de l’urbanisme durable que les écoquartiers ont permis de mettre en évidence ces vingt dernières années, en proposant une approche transversale, évolutive, réflexive et critique. L’approche adoptée par Toulouse métropole à travers le RAUD annonce-t-elle l’avènement d’une ville durable ? Nous verrons que celle-ci se heurte à des obstacles persistants. L’inflexion des trajectoires de développement urbain est un processus long et laborieux, qui remet en question des pratiques anciennes. De plus, l’instrument d’amélioration continue que constitue le RAUD est pour l’instant menacé de non-publication. Comme l’ont appris à leurs dépens les agents de l’intercommunalité, l’avènement d’une ville durable est aussi et surtout subordonné à des logiques économiques et politiques. Nous tenterons pour finir d’esquisser quelques pistes pour contourner ces obstacles. 11 PREMIÈRE PARTIE : L’URBANISME DURABLE, UN COURANT DÉPOURVU DE SOCLE THÉORIQUE QUI ÉMERGE GRACE A L’EXPÉRIMENTATION Cette première partie dressera l’état de l’art en matière d’écoquartiers et de ville durable. Elle vise à donner un cadre et des repères à l’analyse qui sera déroulée tout au long de ce mémoire, en resituant l’émergence du discours autour de la ville durable, qui montre l’évolutivité de cette notion (I). Il s’agira ensuite d’expliquer le rôle des écoquartiers dans l’apparition et la structuration d’un courant de l’urbanisme durable (II). I – Une ville durable aux problématiques naissantes Le discours de la ville durable apparaît surtout en réaction à l’urbanisme fonctionnel, accusé de nombreux maux. Au-delà de cette critique initiale, le courant de l’urbanisme durable témoigne d’un retournement de perspective dans les rapports ville - nature, et s’inscrit plus généralement à contre-courant des valeurs portées par la société. 1) Une critique de l’urbanisme moderne Le courant de l’urbanisme durable a émergé en opposition à la Charte d’Athènes qui constitue le texte de référence de l’urbanisme moderne. Rédigée suite au 4e Congrès international d’architecture moderne, elle n’est publiée que lorsque Le Corbusier reprend les actes du Congrès pour écrire La Charte d’Athènes, en 1943. Pourquoi opposer la ville durable à la ville prônée par la charte d’Athènes, alors que celle-ci promouvait le soleil, la verdure et l’espace comme matériaux premiers de l’urbanisme ? La ville durable, contrairement à la ville moderne, ne se veut ni hygiéniste, ni fonctionnaliste. La Charte d’Athènes analysait en effet les besoins de l’homme au travers quatre grandes fonctions, qui deviennent les quatre fonctions de la ville : « …habiter, travailler, circuler, se cultiver le corps et l’esprit. »37. Les 37 CHOAY Françoise, L’urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie. Paris : Éditions du Seuil, 1965, p.34. 12 effets négatifs de ce mode de pensée sont pleinement observables aujourd’hui, notamment dans les banlieues38. Emelianoff propose une comparaison critique entre la Charte d’Athènes et la Charte d’Aalborg39. Cette dernière, élaborée presque soixante ans plus tard (en 1994), constitue le texte de référence de l’urbanisme durable. Elle pose les bases de nouvelles politiques urbaines moins sectorisées, qui s’inscrivent aussi bien dans le court terme que dans le long terme, et prône l’intégration de préoccupations écologiques et sociales grâce au renversement de cinq principes majeurs de la Charte d’Athènes : - La décontextualisation de l’architecture et la standardisation : dans la charte d’Aalborg, l’insertion du bâti dans son environnement urbain redevient primordiale, tout comme la diversité de l’architecture ; - Le principe de la table rase : aujourd'hui, au contraire, les politiques patrimoniales se multiplient, la réflexion partant systématiquement de l’existant pour le valoriser ; - Le zonage : l’urbanisme durable recherche la mixité fonctionnelle et sociale, afin d’endiguer la ségrégation socio-spatiale et l’accroissement des déplacements ; - L’extension des limites de la ville au nom de l’hygiène : la densification est de nouveau recherchée afin de limiter la consommation d’espaces et d’énergie ; - Le monopole des experts sur la production de la ville est remis en cause, au profit d’une co-construction de la ville, les processus de concertation se multipliant. Toutefois, comme le rappelle Emelianoff40, ce rejet des principes de la charte d’Athènes n’est pas l’apanage du développement durable : déjà au début du XXe siècle, les écrits de Patrick Geddes ressemblaient en de nombreux points à ceux sur la ville durable. Bien que la charte d’Aalborg s’oppose fondamentalement à la Charte d’Athènes, Lévy montre que le procédé est toujours le même : critique de la ville contemporaine, mise en cause des méthodes d’urbanisme actuelles et appel au changement. Toutefois, contrairement aux discours précédents, celui de la ville durable ne propose aucun modèle-type. Seul point commun aux différentes réalisations qui se réclament de l’urbanisme durable : la nature 38 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », Op. cit., p.145. 39 Voir EMELIANOFF Cyria, « Les villes européennes face au développement durable : une floraison d'initiatives sur fond de désengagement politique. », Cahiers du PROSES, 01/2004, n° 8. 40 EMELIANOFF Cyria, Ibid. 13 devient un facteur limitant et l’objectif est de réconcilier ville et nature, que les politiques environnementales des années 1970 et 1980 avaient tendance à opposer. Le discours de la ville durable renverse totalement ce rapport. La priorité est alors de protéger l’environnement en limitant à tout prix les impacts de la ville sur celui-ci, à un niveau local comme global41. Ainsi, les écoquartiers et l’urbanisme durable recherchent une urbanisation respectueuse de l’environnement. La ville durable propose une approche novatrice où l’urbain et l’écologie sont pour la première fois pensés ensemble, dans une vision intégrée et prospective 42. Cette approche apparaît au départ comme un véritable non-sens pour les environnementalistes, mais les professionnels de l’urbanisme s’attachent à montrer « …que la production de la ville (…) est constitutive des équilibres entre l’environnement et le développement social et économique. »43. L’urbanisme durable propose donc un véritable renversement de perspective. À partir de la loi paysage de 1993, l’environnement urbain, longtemps considéré comme un anti-paysage par opposition aux campagnes incarnant la pureté, a commencé à être envisagé comme un cadre de vie, un facteur d’identité urbaine, se débarrassant progressivement d’une perception uniquement fonctionnaliste. L’appropriation du paysage urbain comme élément du cadre de vie a donc fait évoluer la perception de la ville d’une vision fonctionnelle à une vision morphologique44. Toutefois, le plus gros renversement de perspective est la défense paradoxale de la ville durable par ceux qui sont en quelque sorte à l’origine des problèmes actuels45. En effet, le mouvement de périurbanisation se réfère initialement à l’écologie : le rêve de ville à la campagne a entraîné un intense étalement urbain, s’accompagnant d’une hypermobilité et d’un gaspillage d’espaces menant à la réflexion actuelle. La ville durable se propose alors de « concilier l’inconciliable » au risque de « s’exposer à des contradictions insolubles »46, comme la densité urbaine et la nature en ville. Ces tensions ne sont pas surprenantes dans la mesure où « …l’écologie a toujours été partagée entre deux passions contradictoires : un 41 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », Op. cit., p.147. 42 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, « Les contradictions de la ville durable », Le Débat, 2001/1 n°113, p. 123. 43 SOUAMI Taoufik, « Écoquartiers, secrets de fabrication. Analyse critique d’exemples européens. » (Extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.18. 44 BLANC Nathalie et GLATRON Sandrine, « Du paysage urbain dans les politiques nationales d’urbanisme et d’environnement », L’Espace géographique, 2005/1 - tome 34. 45 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, « Les contradictions de la ville durable », op. cit., p.125. 46 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, Ibid., p.125. 14 hédonisme foncièrement individualiste et un souci plus politique des “biens communs”. »47. Les deux auteurs montrent que le discours de la ville durable entre en conflit avec nos valeurs individualistes (aspirations à la propriété privée, à l’espace) dont la voiture est l’une des conditions de réalisation et l’un des symboles les plus tangibles. Ce modèle de société, aujourd’hui largement partagé, est pourtant remis en cause par l’urbanisme durable. Les conséquences du développement périurbain sont désormais bien connues : dégradation des espaces naturels, accroissement des mobilités et des consommations d’énergie donc contribution au changement climatique, hausse des coûts pour la collectivité, etc. En ce sens, la rurbanisation apparaît comme étant en contradiction avec la ville durable48. L’urbanisme durable s’est affirmé comme une critique de l’urbanisme moderne, considéré comme responsable des dysfonctionnements aujourd’hui observés dans l’environnement urbain, mais aussi de certaines valeurs portées par la société actuelle. Cette critique a été relayée par l’Union Européenne, qui a ainsi contribué à la légitimer. 2) Des initiatives locales diverses encouragées par l’Union Européenne L’apparition des premières réalisations de l’urbanisme durable a conduit la Commission Européenne à encourager les initiatives locales et les échanges d’expérience, via notamment la Campagne européenne des villes durables, à l’issue de laquelle a été signée la fameuse charte d’Aalborg. Sorte de manifeste de la ville durable, elle prône la recherche de transversalité, la démocratie locale et la prise en compte des trois piliers du développement durable. Les villes sont alors incitées à trouver elles-mêmes des solutions, conformément a une nouvelle logique ascendante (ou bottom-up). Au vu de la diversité des situations locales et en vertu du principe de subsidiarité, cette méthode est préférée à une approche descendante et réglementaire49. Toutefois, la devise « Penser globalement, agir localement » montre ses limites, c’est pourquoi les collectivités locales se regroupent en réseaux internationaux visant 47 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, Ibid., p.126. BAILLY Antoine et BOURDEAU-LEPAGE Lise, « Concilier désir de nature et préservation de l’environnement : vers une urbanisation durable en France », Géographie, économie, société, 2011/1, Vol. 13. 49 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », op. cit., p.52. 48 15 au partage d’expérience : « Par ce biais, ces dernières participent donc d’une lente (re) mise en politique, à d’autres échelles que celles historiques de l’assemblage rationaliste (descendant) du général au singulier. »50. Le courant de la ville durable a ainsi émergé grâce à un double mouvement : d’une part, des collectivités locales désireuses d’affirmer leurs compétences l’ont fait par la recherche de la durabilité. D’autre part, l’Union Européenne a légitimé et renforcé ces initiatives locales par des incitations aux démarches de ville durable51. Le cumul d’expériences éparses a, petit à petit, engendré une réflexion plus générale sur l’urbanisme. Il a permis de voir émerger un courant pratiquement dépourvu de socle théorique et surtout « …peu opérationnel au-delà des réalisations pilotes qui l’instituent, "quartiers modèles" ou "bonnes pratiques". »52. Cette culture urbanistique émergente est restée diffuse, constituée d’initiatives hétéroclites et dispersées : écoquartiers, Agendas 21 locaux, etc. qui donnent lieu à quelques innovations, mais n’infléchissent pas globalement les modes actuels de développement urbain. Dépourvu de leader et constitué d’initiatives locales qui s’appuient sur des référentiels internationaux très larges (comme la déclaration de Rio ou la campagne européenne des villes durables), ce nouvel urbanisme conduit seulement à des modifications de pratiques à la marge53. Dans cette logique bottom-up et alors que la charte d’Aalborg enjoint les villes à trouver leur propre chemin vers la durabilité, l’urbanisme durable se structure sans véritable assise théorique. L’urbanisme durable émerge donc en quelque sorte de manière sauvage, via la multiplication d’expérimentations locales, avec la bénédiction de l’Union Européenne. Si la critique du fonctionnalisme est claire, les solutions à mettre en place ne le sont pas vraiment : la ville durable apparaît comme un « horizon politique » et un « référentiel prospectif »54. Les modalités du développement urbain durable ne sont pas davantage définies. La ville durable constitue ainsi une sorte d’idéal un peu vague, ce qui génère des contradictions. 50 FABUREL Guillaume, « Aménagement et urbanisme durables : l’importance du volontarisme territorial », in HELIOT Raphaële, (dir.), Ville durable et écoquartiers, Op. cit., p.90. 51 EMELIANOFF Cyria, « L’urbanisme durable en Europe : à quel prix ? », Revue Écologie & Politique, 2004/2, n°29, p.21. 52 EMELIANOFF Cyria, Ibid., p.22. 53 EMELIANOFF Cyria, « Urbanisme durable ? », Revue Écologie & Politique, 2004/2, n°29, p.15. 54 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », op. cit., p.48 16 3) La ville durable, un cadre flou et malléable Le discours de la ville durable reste un discours englobant, édictant des principes généraux. Il n’y a pas de « modèle type à reproduire, ni aucune formule spatiale à copier »55, chaque ville transposant à sa manière et dans son contexte les objectifs généraux de l’Agenda 21 adopté à Rio. Comment pourrait-il en être autrement, alors qu’il s’agit d’appliquer la notion-valise qu’est le développement durable à l’urbanisme ? Toutes sortes de réalisations peuvent être qualifiées de durables ou se voir annexer le préfixe « éco », sans avoir quoi que ce soit en commun. La plasticité du concept donne ainsi lieu à de multiples interprétations et à des pratiques qui n’ont parfois rien de durable56. Les approches et les réalisations divergent à toutes les échelles, et s’étirent sur un continuum qui va de l’amélioration des performances environnementales à une remise en question totale des modes de développement57. On constate donc que le flou conceptuel qui entoure le développement durable rejaillit fatalement sur les notions qui lui sont liées : « La ville durable c’est assez conceptuel quand même. Si on fait un micro-trottoir : "c’est quoi la ville durable ?" les gens vont écarquiller les yeux… »58. Les entretiens menés dans le cadre de ce mémoire nous ont permis de vérifier qu’il existait presque autant de définitions de la ville durable que d’acteurs de celle-ci. Cette terminologie peu claire présente l’avantage de favoriser une certaine richesse, à défaut d’une compréhension univoque. Plus ou moins proche d’une acception « classique », les définitions de la ville durable varient selon le parcours professionnel et personnel des individus. En croisant les définitions que nous avons pu recueillir, nous avons dégagé quatre principaux traits de la ville durable : ceux-ci ne sauraient constituer une typologie, le nombre d’entretiens que nous avons réalisé étant trop réduit pour prétendre à cela, mais nous paraît néanmoins intéressant. La ville écotechnologique Compacte, dense, elle intègre de la nature en ville et une gestion responsable de l’eau, limite l’imperméabilisation des sols, accorde une place limitée à la voiture, propose des espaces publics de qualité, mélange les typologies de logements pour la mixité sociale… 55 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », Op. cit., p.147. 56 EMELIANOFF Cyria, « Urbanisme durable ? », Op. cit., p.15. 57 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », Op. cit., p.56. 58 Cadre de l’ADEME, entretien, 30/04/2013. 17 La ville adaptable Elle parvient à concilier harmonieusement les trois dimensions du développement durable en les pensant systématiquement ensemble, dans une logique de long terme. Elle s’inspire du passé tout en sachant que ce qui est pensé aujourd'hui ne sera sans doute plus valable dans le futur et à ce titre s’inscrit à la fois dans le passé, le présent et le futur. La ville fluide ou smart city Intelligente et connectée, elle utilise à bon escient les nouvelles technologies. Elle est avant tout agréable à vivre, sobre et économe sans que l’on s’en rende compte. Intégrant la complexité, elle est intéragissante et tous les enjeux s’y croisent. C’est une ville en perpétuelle évolution. Le transport et la communication sont fondamentaux : l’information circule beaucoup, la ville est fluide. La ville utopiste Il y fait bon vivre, et le dépaysement n’est jamais loin. On y trouve la quiétude, le savoir, la connaissance, les rencontres, de quoi s’épanouir. C’est une ville inspirant la confiance, que l’on a envie de partager avec ses amis et où l’on souhaite élever ses enfants. Elle a trait au rêve : c’est une sorte de « lune » à décrocher. Quatre « facettes » de la ville durable. Peut-on encore croire à l’existence d’une ville durable ? Les différentes définitions que nous avons pu recueillir sont en quelque sorte toutes vraies, la ville durable étant façonnée par ses acteurs, par les problématiques émergentes et par les contextes locaux. Cette catégorie mouvante que constitue la ville durable fait donc des débuts hésitants. Son imprécision lui permet de se populariser, mais au prix de contradictions fondamentales qui freinent sa compréhension et donc sa traduction opérationnelle. En France, berceau de l’urbanisme fonctionnaliste, ce discours imprègne encore plus lentement les pratiques. 4) Une appropriation lente du développement durable en France La France n’est pas véritablement pionnière en matière de développement durable. Si les campagnes d’incitations européennes ont eu une influence sur certaines collectivités, le développement durable est intégré dans le champ de l’urbanisme français au début des années 2000, par un enchaînement de trois textes législatifs59 : - La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement : destinée à favoriser la coopération intercommunale, elle instaure les communautés de communes, d’agglomération et urbaines, qui deviennent pleinement compétentes en matière 59 BERNIÉ-BOISSARD Catherine et CHEVALIER Dominique, « Développement durable : discours consensuels et pratiques discordantes. Montpellier et Nîmes. » Op. cit. p.41. 18 d’aménagement de l’espace et d’actions de développement économique. Les communautés urbaines sont par ailleurs compétentes de plein droit en matière de protection et de mise en valeur de l’environnement, de politique du cadre de vie et de gestion des services d’intérêt collectif (eau, assainissement). - La loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, dite LOADDT ou loi Voynet : elle définit des territoires projets (agglomérations, pays et parcs régionaux), qui doivent se doter d’un PADD. Des formes de contractualisation inédites sont introduites dans le cadre des nouvelles structures intercommunales, afin que les partenaires locaux articulent leurs projets avec l’Etat et les régions. Ils s’engagent par ce biais à mener des politiques de développement solidaire et de renouvellement urbain. - La loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU : elle substitue les SCoT aux Schémas Directeurs. Ces nouveaux documents ont une visée plus stratégique, là où les anciens définissaient seulement l’occupation des sols. Les Plans d’Occupation des Sols (POS) sont remplacés par les PLU. Le PADD expose le projet de la commune. Il doit être compatible avec le SCoT mais également avec d’autres documents de programmation plus sectoriels comme le PDU, le PLH, etc. La loi SRU introduit également une réforme de la fiscalité de l’urbanisme, sous la forme d’une participation des riverains au financement des voies nouvelles ou de l’aménagement des voies préexistantes pour permettre l’implantation de nouvelles constructions, dans le but d’endiguer le développement périurbain diffus et de préserver la ressource foncière. Enfin, la loi fixe un objectif de 20 % de logement sociaux pour les communes de plus de 3 500 habitants, sous peine d’amende. Il ressort de ces trois lois des objectifs communs : favoriser la mixité socio-spatiale et contenir l’étalement urbain, deux préceptes qui constituent aujourd’hui le « nouveau paradigme de la durabilité »60. Le Grenelle de l’environnement a constitué un tournant dans l’intégration du développement durable dans les politiques publiques en France. Les lois Grenelle I et II instaurent des changements importants dans le champ de l’urbanisme : on peut citer à titre d’exemple l’obligation pour les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants 60 BERNIÉ-BOISSARD Catherine et CHEVALIER Dominique, Ibid., p.42. 19 d’élaborer un Plan Climat-Énergie Territorial (PCET). Au-delà des nouvelles dispositions législatives, la mise en œuvre du Grenelle Environnement se traduit notamment par le lancement du Plan ville durable61 en octobre 2008. Destiné à valoriser les opérations exemplaires préexistantes et à encourager les démarches de ville durable, il comporte plusieurs volets, dont les appels à projet EcoQuartiers 2009 et 2011, en écho à l’engagement 49 du Grenelle de l’environnement62, qui ont suscité une large participation (160 candidatures en 2009 et 394 en 2011). L’objectif affiché est clairement de faire de l’EcoQuartier un instrument au service de la ville durable. Le Grenelle de l’environnement est donc la consécration politique de la ville durable63 : il a lancé une dynamique et intensifié l’engagement des collectivités locales. À Toulouse, l’impulsion est significative après 2008, mais nous verrons qu’elle est surtout imputable à un changement de configuration politique. En dépit de l’éclatement et de la diversité des pratiques, le discours de la ville durable se structure, en Europe d’abord et en France par la suite. Les contradictions inhérentes au développement durable sont âprement discutées, contribuant à amener et maintenir ce sujet à l’agenda. C’est ainsi un véritable « tournant urbanistique »64 qui opère. Les écoquartiers constituent un instrument et un symbole fort de ce mouvement, jouant le rôle d’incubateurs de l’urbanisme durable, notamment dans les pays d’Europe du Nord. II – L’écoquartier, un laboratoire grandeur nature au service de la ville durable Apparus en France aux alentours de 2004, les écoquartiers émergent comme nous avons pu le voir dans un contexte de crise de l’urbanisme et « servent, d’une certaine manière, de 61 Voir : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Ville-durable,965-.html Engagement 49 du Grenelle de l’environnement : « Sous l’impulsion des collectivités locales, au moins un EcoQuartier sera lancé avant 2012 (en continuité avec l’existant et intégré dans l’aménagement d’ensemble) dans toutes les communes qui ont des programmes de développement de l’habitat significatif. Un référentiel pour les EcoQuartiers devra être défini. » Voir : http://www.legrenelleenvironnement.fr/IMG/pdf/engagements_grenelle.pdf 63 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », Op. cit., p.139. 64 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », Op. cit. 62 20 support de réflexion et d’expérimentation pour dépasser cette crise »65. Ces quartiers permettent d’offrir « un premier visage à l’urbanisme durable »66. L’espoir sous-jacent est que ces nouvelles formes de construction constituent un levier vers la ville durable, qu’elles servent d’exemple à des politiques publiques en pleine redéfinition. Toutefois, la généralisation des écoquartiers n’a pas eu tous les effets escomptés, allant même jusqu’à produire des effets pervers : fragmentation de la ville, ségrégation sociale... Considérant ces éléments, l’abondante littérature scientifique sur les écoquartiers est divisée entre proécoquartiers, convaincus de leur rôle expérimental et de levier ; et antis, sceptiques voire critiques quant à l’apport des écoquartiers. 1) Un terrain privilégié d’expérimentations et d’apprentissages qui se répandent au reste de la ville L’écoquartier est un terrain propice aux expérimentations de toute nature (environnementales, sociales, démocratiques…) et constitue en ce sens une figure emblématique de l’urbanisme durable, celui-ci étant « essentiellement expérimental. »67. Ainsi, pour faire évoluer la pensée et les pratiques en matière d’urbanisme, ces opérations circonscrites jouent un rôle-test : elles permettent d’expérimenter les nouvelles idées68. a) Les écoquartiers, entre solutions technologiques et innovations sociales Les écoquartiers sont le lieu idéal pour tester de nouvelles technologies, au service d’un habitat plus écologique (réduction des émissions de gaz à effet de serre, des déchets, moindre consommation des sols, etc.), et montrer que de véritables progrès sont possibles69. Certains 65 SOUAMI Taoufik, « Avant-propos » in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.7. 66 EMELIANOFF Cyria, « L’urbanisme durable en Europe : à quel prix ? », op. cit., p.27. 67 EMELIANOFF Cyria, « Les quartiers durables en Europe : un tournant urbanistique ? », Urbia, juin 2007, n°4, p.15. 68 EMELIANOFF Cyria, « A quoi servent les écoquartiers ? » Propos recueillis par Antoine Loubière (extraits) in SOUAMI Taoufik, « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.23. 69 UNIL, « Eco-quartiers : l’habitat du futur ». [En ligne], Dossier Vues sur la ville, Septembre 2007, N° 18, Université de Lausanne, URL: http://www.unil.ch/webdav/site/ouvdd/shared/VsV/No%2018-2007.pdf 21 se limitent d’ailleurs à la recherche de la performance environnementale, tandis qu’un autre courant de la ville durable s’affirme comme plus soucieux des identités culturelles70. Pourtant, le principal apport des écoquartiers ne se situerait pas tant dans les technologies qui s’y développent que dans le projet politique et social qui sous-tend leur construction. L’habitat et le quartier deviennent des « pépinières foisonnantes d’expérimentateurs sociaux »71, des lieux d’innovation où se pensent et se construisent de nouveaux modes de vie, par un changement profond des habitudes et des gestes quotidiens, très ancrées dans les valeurs qui sous-tendent le projet de société : « Un éco-quartier se doit désormais d’être un laboratoire expérimental, un lieu où s’invente la vie de nos villes à venir, où l’engagement dans et pour la collectivité est une absolue nécessité. »72. Ces écoquartiers seraient des laboratoires du changement social et plus largement des modes de vie : « Au-delà des qualités performantielles portées par les techniques alternatives, certains militants recherchent dans la démarche l’expression d’un autre mode de vie. Dès lors, ils voient dans l’écoquartier la possibilité de mettre en œuvre des réflexions sur le vivre ensemble, les modes d’habiter, le renouvellement du lien habitat/travail, les mobilités, les circuits courts, etc. »73 La promotion de la mixité sociale est l’une des fonctions assignées à l’écoquartier. L’alternance dans les typologies de logement (en accession à la propriété, en location, sociaux, de taille variée…) mais aussi le développement de « standards sociaux innovants »74 comme des logements pour famille élargie ou pour colocataires, destinés à d’autres formes que celles de la famille nucléaire, sont des manières de favoriser cette mixité75. C’est en offrant un nombre suffisant de logements sociaux et en variant les types de logements que l’écoquartier pourra se détacher de l’étiquette de « ghetto de riches » qui le dessert. La vocation expérimentale commence toutefois à être dépassée, les premiers quartiers durables bâtis dans les années 1980-1990 en Europe du Nord ayant déjà apporté la preuve de la viabilité (ou non) de nombreuses idées et solutions techniques. Ils ne relèvent plus du 70 EMELIANOFF Cyria, « L’urbanisme durable en Europe : à quel prix ? », op. cit., p.27. BIERENS DE HAAN Camille, « Entre éco-villages et projets d’architectes : les écoquartiers. », Revue Urbanisme, mai-juin 2006, n°348, p.44. 72 BIERENS DE HAAN Camille, Ibid., p.44. 73 D’ORAZIO Anne, « Habitat alternatif en quête d’écoquartier », in HELIOT Raphaële (dir.), Ville durable et écoquartiers, Op. cit., p.108. 74 SCHAEFFER Verena et BIERENS DE HAAN Camille, « Pays-Bas : quatre quartiers durables entre désirs et réalités. » (Extraits), in SOUAMI Taoufik, « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.42. 75 SCHAEFFER Verena et BIERENS DE HAAN Camille, Ibid., p.42. 71 22 militantisme ni même de l’expérimentation mais annoncent plutôt une modification globale des pratiques d’urbanisme en France76. Aujourd'hui, l’écoquartier constitue un lieu d’apprentissage du développement urbain durable pour les élus, les agents, les aménageurs, les urbanistes, les bureaux d’études, les constructeurs, les bailleurs… Il permet à ces acteurs d’engranger des connaissances qui pourront être remobilisées et partagées dans des opérations futures. Toutefois, ce sont principalement les limites des écoquartiers qui permettent aux acteurs qui y ont travaillé d’apprendre, aussi bien sur le plan technique que social, urbanistique ou environnemental. Les écoquartiers se présentent comme des sortes d’incubateurs territoriaux du développement urbain durable : ils permettent aux collectivités locales de tester de nouvelles pratiques, puis de les reproduire sur leur territoire plus large77. Ils impactent ainsi leur environnement par ce qu’on pourrait appeler un « effet de levier ». b) Des effets de levier sur le territoire Le quartier durable a un caractère visible : il se construit, se visite, se fait photographier, se commente. En ce sens, il constitue un évènement sur un territoire, d’autant plus important qu’il incarne physiquement un concept abstrait et théorique, omniprésent dans les discours mais difficile à s’approprier et à traduire en actes. Les écoquartiers ont donc une visée pédagogique, presque de vulgarisation. Ce vocable « …représente donc le fer de lance du développement durable urbain auprès du grand public. »78. Les écoquartiers sont une étape indispensable du « passage de l’intention à l’acte »79, sans être pour autant la seule échelle pertinente. Ils ne constituent pas une référence immuable ou reproductible sans fin, mais « un ensemble de références démontrant les potentialités d’une transformation globale de l’habitat 76 LEFEVRE Pierre et SABARD Michel, « Les écoquartiers. L’avenir de la ville durable » (extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.54. 77 LEBRETON Sophie, « La ville durable, un système complexe interagissant », in HELIOT Raphaële (dir.), « Ville durable et écoquartiers », op. cit., p.77. 78 BOUTAUD Benoît, « Quartier durable ou éco-quartier ? », op. cit., p.7. 79 DA CUNHA Antonio, « Les écoquartiers, un laboratoire pour la ville durable : entre modernisation écologique et justice urbaine ». Espaces et sociétés, 2011/1, n°144-145, p. 193. 23 et de nos modes d’habiter »80. Ils donnent donc un aperçu de ce que pourraient devenir les pratiques d’aménagement et d’urbanisme dans les prochaines années. En s’engageant à respecter des exigences de qualité, l’écoquartier incite l’ensemble des acteurs du territoire à modifier leurs pratiques. Il devient donc un modèle dont l’influence déborde son périmètre strict et impacte les manières de faire. Ces projets sont d’ailleurs plus souvent l’élément déclencheur d’une stratégie locale de développement durable que l’inverse : « L’observation montre que les quartiers durables sont souvent menés parallèlement à la construction de politiques locales de développement durable. (…) Contrairement à l’idée reçue, les quartiers durables ne sont pas la mise en œuvre opérationnelle de politiques de développement durable antérieures, réalisations apportant la preuve de leur efficacité. Ils contribuent à initier et construire des politiques locales de développement durable. »81 Le partage et la diffusion des connaissances est un objectif clair des appels à projets EcoQuartiers du Ministère : à travers le palmarès et la labellisation, il s’agit de reconnaître l’engagement des porteurs du projet mais surtout de donner à voir et de valoriser les bonnes pratiques en matière d’aménagement durable au vu de leur essaimage. Les écoquartiers ont donc contribué et contribuent encore à l’expérimentation puis à la diffusion de nouvelles pratiques d’aménagement et d’urbanisme, plus respectueuses de l’environnement. Ils ont également une visée de cohésion sociale, et ont permis de redonner de la pertinence à la notion de quartier, comme espace d’habitat et de vie. c) Redonner du sens à la notion de quartier L’écoquartier réhabilite un espace largement désinvesti depuis les années 1970. En effet, trois auteurs ont écrit question un peu provocatrice : « Le quartier n’est-il pas une entité urbaine définitivement révolue, au temps où les activités quotidiennes s’inscrivent à l’échelle de l’agglomération ou de la région métropolitaine ? »82. L’avènement de la voiture comme mode de transport « normal », entraînant un développement périurbain intense, a en effet considérablement agrandi l’espace de vie, entraînant un désintérêt pour l’échelle du quartier. 80 DA CUNHA Antonio, Ibid., p.194. SOUAMI Taoufik, « Écoquartiers, secret de fabrication. Analyse critique d’exemples européens » (extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.17. 82 DIND Jean-Philippe, THOMANN Marianne, BONARD Yves, « Structures de la ville, quartiers durables et projet urbain : quelles articulations ? » Urbia, juin 2007, n°4, p.51. 81 24 Les perceptions du quartier diffèrent selon les individus : pour certains, l’écoquartier a permis de relancer le mythe de la communauté, tandis que pour d’autres il n’a plus de sens car l’individu hypermobile n’est plus attaché au quartier et peut circuler librement dans la ville grâce à des réseaux performants. Le quartier reste dans tous les cas un espace que l’on peut s’approprier et où des échanges ont lieu. Avec les écoquartiers, il devient synonyme de « cadre de vie de qualité »83 et non plus d’attachement inévitable ou indésirable. Le quartier a longtemps été le support d’une identité communautaire forte, l’organisation de la ville suivant la logique des quartiers. Toutefois, l’accélération de la croissance urbaine, le développement périurbain et la généralisation de la voiture ont produit des quartiers fonctionnels : commerciaux, d’affaires, résidentiels… Cette absence de mixité a conduit les habitants à tourner le dos aux quartiers pour de nombreuses activités (courses, loisirs, etc.), à l’exception peut-être des personnes non motorisées, moins mobiles. « Si l’espace de vie ne se limite plus au seul quartier, il n’en garde pas moins un rôle fonctionnel, social et symbolique essentiel. »84. Il reste en effet un espace de sociabilité même si les échanges n’y sont pas (plus) nécessairement intenses. L’intervention sur le quartier présente donc un double avantage : d’une part, il constitue un lieu de vie, dont le rôle est à réaffirmer par la revalorisation des échanges sociaux et par l’implication des habitants. D’autre part, il est un terrain d’intervention pertinent pour le renouvellement urbain, parce qu’il présente une certaine unité géographique. La pertinence de l’échelle du quartier pour des opérations de développement urbain durable est reconnue : « Le quartier n’est pas seulement pertinent parce qu’il représente une échelle d’intervention efficace pour traiter de certains problèmes écologiques, sociaux ou pour la mise en œuvre d’une démarche participative. Il est en outre un territoire vécu, quotidiennement fréquenté, investi ou désinvesti, mais jamais neutre. (…) Considérer le quartier comme un lieu de vie est un premier pas vers le renouvellement urbain durable. »85. En recherchant la mixité fonctionnelle (habiter mais aussi travailler, faire ses courses, accéder à divers services, se déplacer, se récréer…), l’écoquartier s’éloigne de la logique des villes-dortoirs et réinstaure de la proximité et une certaine vie de quartier. 83 DA CUNHA Antonio, « Les écoquartiers, un laboratoire pour la ville durable : entre modernisation écologique et justice urbaine », op. cit., p.195. 84 DIND Jean-Philippe, THOMANN Marianne, BONARD Yves, « Structures de la ville, quartiers durables et projet urbain : quelles articulations ? », op. cit., p.72. 85 CHARLOT-VALDIEU Catherine et OUTREQUIN Philippe, Urbanisme durable. Concevoir un écoquartier. op. cit., p.22. 25 Le quartier présente donc une unité et permet une proximité, sur lesquelles il est intéressant de s’appuyer pour la conduite de projets de développement urbain durable. Il est important de garder à l’esprit que l’écoquartier appartient à un ensemble urbain qui l’influence et réciproquement. Ce lien quartier-ville nous permet d’introduire une première critique adressée aux écoquartiers, à savoir leur insuffisante intégration au système urbain. 3) Des contradictions manifestes : limites des écoquartiers L’apport des écoquartiers est réel, mais ils ne doivent pas être idéalisés pour autant. Pour l’UNIL, « Les limites se situent principalement au niveau des surcoûts d’investissement de la construction écologique et de ses incidences en termes de mixité sociale. »86. a) La reproduction d’une ségrégation socio-spatiale L’écoquartier a souvent été victime de son succès, qui a généré des effets pervers : « …leur attractivité les rend rapidement ségrégatifs si les villes ne gardent pas la main sur le foncier ou le stock de logement. »87. En effet, l’incorporation d’écotechnologies, le choix de matériaux plus performants sur le plan environnemental, l’implantation sur des sites proches du centre et/ou bien desservis, etc. engendrent des surcoûts initiaux, qui sont certes amortis, mais après plusieurs années. Or, le coût d’un projet n’est que trop rarement envisagé de manière globale et sur le long terme, d’où une hausse des prix des logements à l’achat comme à la location. En l’absence d’intervention de la collectivité, les habitations des quartiers durables deviennent rapidement inabordables pour des populations modestes, voire des classes moyennes. L’écoquartier contribue par ce biais au maintien d’une ségrégation sociospatiale dans la ville, alors que l’un des piliers fondamentaux de la ville durable est de proposer une plus grande mixité sociale. Il ne saurait donc y avoir de développement durable sans la prise en compte de ces inégalités sociales. Cette non-anticipation des mécanismes de 86 UNIL, « Eco-quartiers : l’habitat du futur ». op. cit., p.4-5. EMELIANOFF Cyria, « À quoi servent les écoquartiers ? Propos recueillis par Antoine Loubière » (extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.24. 87 26 marché, voire l’absence d’ambition initiale en matière de mixité sociale ont valu au pilier social la qualification de « parent pauvre » du développement durable. Pour Da Cunha, l’écoquartier, doté d’une ambition de justice sociale et environnementale, pourrait faire office « d’ascenseur social »88 pour des populations qui sont traditionnellement exclues d’un habitat de qualité. Les estampiller définitivement de quartiers pour « bobos » – parce que beaucoup d’entre eux ont échoué en termes de mixité sociale, par manque d’ambition ou à cause de la pression immobilière – empêche de dégager de nouvelles pistes pour une démocratisation de l’accès à ce type de logement. Ainsi, les détracteurs des écoquartiers opèrent selon Da Cunha une triple réduction. D’une part, ils cantonnent la mixité sociale à un ratio de classes défavorisées dans les logements, puis associent à tort cette prétendue mixité sociale à des rapports sociaux de qualité. D’autres auteurs préconisent en effet de chercher des « solidarités plus ancrées » que la simple mixité sociale89. D’autre part, selon Da Cunha, les anti-écoquartiers oublient que l’échelle d’analyse la plus pertinente pour évaluer la durabilité n’est peut-être pas le quartier, mais la ville. À l’échelle de la ville justement, se pose la question de l’insertion des écoquartiers dans leur environnement urbain, architectural, socio-spatial… Ces quartiers peuvent être compris comme un moyen pour une frange aisée de la population de se refermer sur elle-même et de rejeter les nuisances loin du lieu d’habitat, en vertu d’une logique NIMBY90. La voiture en est un bon exemple : proscrire son utilisation à l’intérieur d’un quartier ne fait que déplacer les problèmes de circulation et de stationnement hors des limites de celui-ci91. L’écoquartier contribue à une « fragmentation sociale croissante », du fait de « l’attractivité environnementale différenciée des lieux de vie »92 : les styles de vie sont socialement distribués. Il est associé à une certaine catégorie sociale, arborant un style de vie bien 88 DA CUNHA Antonio, « Les écoquartiers, un laboratoire pour la ville durable : entre modernisation écologique et justice urbaine », op. cit., p.197. 89 FABUREL Guillaume, « La ville durable aux défis des injustices environnementales. Constats empiriques et enjeux sociopolitiques », Flux, 2012/3, n° 89-90, p.24. 90 Le syndrome ou effet NIMBY (not in my back yard, « pas dans mon jardin ») est une attitude de rejet vis-à-vis d’un projet susceptible de comporter des nuisances pour la population alentour. 91 BONARD Yves et MATTHEY Laurent, « Les éco-quartiers : laboratoires de la ville durable », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Débats, Quartier durable ou éco-quartier ?, mis en ligne le 09/07/2010, consulté le 07/02/2012. URL : http://cybergeo.revues.org/23202 92 FABUREL Guillaume, « La ville durable aux défis des injustices environnementales. Constats empiriques et enjeux sociopolitiques », op. cit., p.22. 27 particulier. Ainsi, la critique adressée à l’écoquartier s’inscrit en réalité dans une critique plus large de la pensée écologique : « …ce qui devrait être au cœur du projet urbain, et constituer le socle de l’urbanisme, fait figure de cerise sur le gâteau, sorte de décoration inutile et plus ou moins facultative. Il y a là une réelle révolution culturelle à accomplir. Ne plus penser l’écologie comme un caprice d’enfants gâtés, de fils de riches, mais comme une responsabilité élémentaire de tout être humain. »93 Bien qu’il soit associé à des profils socioculturels bien particuliers, l’écoquartier n’est pas toujours habité par des « écolos » ou des « bobos ». En effet, ces écoquartiers peuvent tout à fait être investis par des personnes non sensibilisées au développement durable. b) Écoquartiers et éco-citoyens, un lien qui n’a rien d’évident Si les quartiers durables pullulent actuellement en France comme en Europe, l’incorporation de technologies améliorant la performance environnementale des bâtiments ne s’accompagne pas d’un changement des comportements : les consommations d’eau et d’énergie continuent d’augmenter, décomplexées par le progrès technologique. Ainsi, « …la plupart des avancées techniques sont contrebalancées par l’augmentation des consommations et des mobilités, des flux matériels et immatériels. »94. De même, Faburel a montré que l’objectif du quartier Bo01 à Malmö était de parvenir à construire un quartier écologique qui ne nécessitait pas que ses habitants s’intéressent au développement durable. Une étude réalisée auprès des habitants du quartier a mis en évidence le désintérêt de ceux-ci pour les critères écologiques et les possibilités de sociabilité du quartier : leurs modes de vies sont semblables à ceux du reste de la population95. Habiter dans un écoquartier n’entraîne donc pas nécessairement de remise en question de nos modes de vie, y compris dans les pays d’Europe du Nord que l’on a tendance à croire plus sensibles aux arguments écologiques : « Le mythe des quartiers durables fondés sur une culture écologique commune des citoyens du nord de l’Europe résiste (…) peu aux données globales : les Hollandais ont multiplié leur parc de véhicules par deux en quinze ans et les Allemands limitent les engagements environnementaux quand ceux-ci mettent en cause l’industrie automobile nationale. »96 93 PAQUOT Thierry, « Eco-urbanisme. », Revue Urbanisme, mai-juin 2006, n°348, p.70. EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », op. cit., p.55. 95 FABUREL Guillaume, « Les quartiers durables sont-ils durables ? De la technique écologique aux modes de vie » (extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.93. 96 SOUAMI Taoufik, « Quartiers durables : quel risque social ? » (Extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.95. 94 28 Cette question des pratiques quotidiennes est primordiale, dans la mesure où les comportements des habitants impactent directement l’empreinte environnementale d’un quartier. En l’absence d’efforts relatifs aux consommations d’eau et d’énergie, à la mobilité, au tri sélectif, à la gestion des espaces verts, etc., cette empreinte environnementale restera toujours supérieure au résultat espéré. L’appropriation du quartier et la compréhension des efforts demandés sont des étapes indispensables à un changement vers des pratiques quotidiennes plus respectueuses de l’environnement : c’est ce que nous montrerons avec l’exemple de l’écoquartier Vidailhan à Balma. c) Des fragments de la ville Une dernière chose que l’on peut reprocher aux écoquartiers est en quelque sorte de ne pas se suffire à eux-mêmes. Dans l’urbanisme de projet aujourd’hui à l’œuvre, un projet de ville est composé d’opérations, l’écoquartier ne constituant qu’une opération parmi les autres. Beaucoup déplorent qu’elles se multiplient au détriment d’une vision globale, contribuant à faire de l’écoquartier un nouveau segment de la ville, « …à l’opposé d’une vision englobant les enjeux globaux dont le quartier durable serait la concrétisation locale. »97. Un écoquartier ne doit pas constituer le fragment durable de la ville, tout en laissant le reste du territoire se développer comme avant. Ainsi, l’évaluation d’une démarche de ville durable ne saurait se limiter au nombre de réalisations ponctuelles qu’elle comporte. Or, les élus s’y trompent parfois : sommés de faire du développement durable tous azimuts, certains font bâtir des écoquartiers pour constituer des vitrines vertes qui les dispensent d’engager un véritable changement. Communiquer sur les écoquartiers permet d’attirer l’attention sur un morceau de ville exemplaire pour ne pas interroger et remettre en cause les politiques publiques et les pratiques d’aménagement. Le vice peut aller jusqu’à l’utilisation des écoquartiers comme « argument de vente »98 ou comme « outil de marketing 97 GHEZIEL Elsa et HELIOT Raphaële, « Les mots de la « ville durable » : exploration et essai de typologie », in HELIOT Raphaële, « Ville durable et écoquartiers », op. cit., p.25. 98 EMELIANOFF Cyria, « Urbanisme durable ? », op. cit., p. 17. 29 et de communication »99 par certains élus ou certaines entreprises pour promouvoir leur territoire. L’écoquartier contribue donc à une démarche de ville durable, mais ne constitue pas une réponse suffisante à l’échelle globale. Il ne peut pas être considéré comme une recette, mais comme une démarche possible vers une approche durable de la ville, avec ses apports et ses contradictions. Ainsi, « réduire une politique de ville durable à une politique d’écoquartiers est un non-sens »100 : elle doit au contraire varier et multiplier les démarches et les outils et organiser leur cohérence. L’enjeu n’est pas de superposer des quartiers durables mais d’aborder la ville comme un système global en perpétuelle évolution, pour ne pas passer à côté de problèmes primordiaux, tels que la montée des inégalités environnementales. 3) Des défis qui restent à relever : lutter contre les inégalités environnementales et reconstruire la ville sur elle-même Deux « angles morts de l’action politique »101 apparaissent de plus en plus nettement au travers des expériences d’écoquartiers : la réduction des inégalités environnementales, et la réhabilitation écologique des quartiers de logements sociaux. a) Inégalités sociales et inégalités environnementales Avec la territorialisation du développement durable est apparue une problématique nouvelle, celle de la croissance des inégalités environnementales. Empiriquement, on observe que les quartiers défavorisés sont davantage exposés aux nuisances (bruits, pollutions, risques, etc.) que les autres quartiers102. Pourtant, le droit à un environnement de qualité est affirmé 99 CHARLOT-VALDIEU Catherine et OUTREQUIN Philippe, L’urbanisme durable. Concevoir un écoquartier. op. cit. p.24. 100 EMELIANOFF Cyria, « A quoi servent les écoquartiers ? », propos recueillis par Antoine Loubière (extraits), in SOUAMI Taoufik, « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.23. 101 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », op. cit., p.17. 102 Nombreux sont les auteurs qui posent ce constat : Theys et Emelianoff, 2001 ; Theys, 2002 ; Scarwell et Roussel, 2006 ; Emelianoff, 2008 ; Faburel, 2012 ; etc. 30 dans plusieurs textes français ou internationaux (charte de l’environnement faisant partie du bloc de constitutionnalité, charte d’Aalborg, déclaration d’Istanbul, etc.)103. La qualité de l’environnement a pu alimenter un phénomène de ségrégation socio-spatiale, « Ce qui explique, sans doute, que sa protection ait été perçue comme l’expression de valeurs “bourgeoises” – ou comme un luxe de classe moyenne. »104. Les écoquartiers, loin d’avoir contribué à une prise en compte de ce phénomène, l’ont souvent aggravé lorsqu’ils privilégiaient les solutions technologiques. Ainsi, « L'inégalité environnementale peut être définie comme une inégalité d'exposition aux nuisances et aux risques environnementaux, et une inégalité d'accès aux aménités et ressources environnementales. »105. Inégalités sociales et environnementales sont traditionnellement distinguées en France, ces dernières restant assez méconnues. Or, elles sont souvent liées : intégrer la qualité environnementale dans l’habitat génère des surcoûts qui excluent toute possibilité pour les catégories sociales moins favorisées d’en bénéficier106 sauf intervention de la collectivité. C’est aussi ce que montrent Theys et Emelianoff : le renouvellement urbain, en améliorant la performance énergétique des bâtiments, entraîne souvent une hausse des prix de l’immobilier qui chasse les populations modestes des quartiers rénovés. Ce phénomène, appelé gentrification, contribue à l’accroissement des inégalités sociales dans les villes. Les auteurs citent également l’exemple de la voiture. Critiquée de toutes parts pour sa large contribution aux émissions totales de gaz à effets de serre (GES), elle ne peut pas être interdite trop vite, ou les populations les plus modestes, reléguées à la périphérie, en seraient les principales victimes. La poursuite de l’étalement urbain pourrait avoir des conséquences dramatiques pour ces classes sociales qui consacrent déjà plus du quart de leur budget aux transports107. Ainsi, ce qui se joue dans le développement durable est l’articulation de considérations écologiques et sociales dans le développement urbain108 pour endiguer une tendance à un 103 FABUREL Guillaume, « La ville durable aux défis des injustices environnementales. Constats empiriques et enjeux sociopolitiques », op. cit., p.15. 104 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, « Les contradictions de la ville durable », op. cit., p.128. 105 EMELIANOFF Cyria, « La problématique des inégalités écologiques, un nouveau paysage conceptuel », Écologie & politique, 2008/1, N°35, p.20. 106 SCARWELL Helga-Jane et ROUSSEL Isabelle, « Le développement durable, un référentiel pour l’action publique entre attractivité et tensions », op. cit. 107 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, « Les contradictions de la ville durable », op. cit., p.129. 108 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, Ibid., p.120. 31 « “apartheid” urbain »109 où des quartiers concentrent toutes les inégalités. Mais l’action sur les inégalités environnementales n’a rien d’évident, l’association rapide d’objectifs sociaux et environnementaux au sein du concept de développement durable n’ayant fait que renforcer les craintes des acteurs sociaux vis-à-vis d’une action écologique110. Le thème des inégalités environnementales n’alimente pas le débat sur la ville durable, ce qui constitue une « nouvelle aporie politique du développement durable »111. Il serait pourtant un bon exemple de croisement entre des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. La dissociation courante entre inégalités sociales et inégalités environnementales contribue à leur absence de prise en compte, ce que l’on peut observer directement dans le renouvellement urbain, conçu comme une politique sociale plutôt que comme une politique de développement durable. b) Articuler renouvellement urbain et développement durable Pour Scarwell et Roussel, le renouvellement urbain et la ville durable sont deux concepts très éloignés. S’ils véhiculent tous deux une critique forte du mode de développement urbain de ces dernières années et l’insuffisante réaction des pouvoirs publics face aux atteintes à l’environnement et à l’accroissement des inégalités, le renouvellement urbain préexistait au développement durable, qui lui a ajouté une dimension écologique. L’hypothèse des auteurs est que le renouvellement urbain vise à améliorer la qualité de vie en zone urbaine en limitant son extension, tandis que la ville durable aurait des arguments à coloration plus environnementale. Ces deux démarches ne sont pas spontanément associées, alors qu’elles y trouveraient de nombreux avantages : la ville durable se verrait affecter davantage de moyens financiers et humains, tandis que les opérations de renouvellement urbain gagneraient en transversalité et permettraient de lutter efficacement contre la ségrégation. Scarwell et Roussel montrent que les préoccupations sociales prévalent sur les préoccupations environnementales en France. Or, la qualité environnementale tend à exclure les catégories 109 THEYS Jacques, « L’approche territoriale du " développement durable ", condition d’une prise en compte de sa dimension sociale », op. cit. 110 EMELIANOFF Cyria, « La problématique des inégalités écologiques, un nouveau paysage conceptuel », op. cit. p.27. 111 FABUREL Guillaume, « La ville durable aux défis des injustices environnementales. Constats empiriques et enjeux sociopolitiques », op. cit., p.21. 32 sociales moins favorisées et donc à accroître les inégalités sociales112. D’où la nécessité de penser un renouvellement urbain durable. La réhabilitation écologique est encore assez marginale113, et les écoquartiers n’émergent que trop rarement dans le renouvellement urbain. En effet, ils sont très majoritairement des quartiers ex-nihilo, ce qui est peut-être considéré comme leur principal échec à ce jour. Ce constat s’applique directement à Toulouse, où le seul « écoquartier » dans le renouvellement urbain (Les Izards-Trois Cocus) est une opération somme toute classique, tous les autres étant des quartiers créés de toutes pièces. Ce manque est dommageable dans la mesure où la rénovation ou réhabilitation du parc de logements et notamment sociaux constitue un potentiel important pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES)114. Ainsi, de nombreux auteurs mettent en évidence la nécessité pour un développement urbain durable d’une reconstruction de la ville sur la ville115, permettant de pallier aux problèmes causés par l’urbanisme fonctionnaliste. Il ne s’agit pas tant de créer des quartiers modèles sporadiques, mais d’impacter l’urbain en modifiant progressivement un parc de logements énergivore et consommateur d’espaces. La nécessaire densification prônée par l’urbanisme durable passe par le renouvellement urbain, via la réhabilitation/rénovation des friches et des quartiers dégradés, la construction sur les dents creuses116, etc. Cette première partie, sans prétendre à l’exhaustivité, nous a permis de rappeler les principaux constats issus des analyses menées sur les écoquartiers européens depuis une quinzaine d’années, de comprendre le rôle qu’ils ont pu jouer dans l’émergence des problématiques de la ville durable et de celui qu’ils jouent ou auront à jouer dans sa mise en œuvre. Véritables incubateurs du développement urbain durable, ces quartiers permettent des expérimentations sur le plan technique et technologique mais aussi social et démocratique, qui peuvent ensuite être diffusées plus largement sur un territoire. Ils constituent des lieux d’apprentissage de la ville durable pour l’ensemble des acteurs du territoire. Ces quartiers ne 112 SCARWELL Helga-Jane et ROUSSEL Isabelle, « Le développement durable, un référentiel pour l’action publique entre attractivité et tensions », op. cit. 113 EMELIANOFF Cyria, « Les quartiers durables en Europe : un tournant urbanistique ? », op. cit., p.35. 114 CASSAIGNE Bertrand, « La ville durable », Projet, 2009/6, n° 313, p.81. 115 Notamment Scarwell et Roussel, 2006 ; Emelianoff, 2007b ; Dind et al., 2007, etc. 116 En urbanisme, une dent creuse est un espace non-construit entouré de constructions. 33 sont toutefois pas toujours exemplaires, et les critiques qui leur sont adressées sont nombreuses : désolidarisation avec le reste de la ville, impact limité sur les modes de vie, vitrine verte qui cache l’immobilisme en matière de développement durable, ou plus grave, contribution à l’accroissement des inégalités sociales et échec à s’imposer dans le renouvellement urbain… Ces constats posés, il ne s’agit pas de se positionner pour ou contre les écoquartiers, mais d’essayer d’en tirer des enseignements pour favoriser l’avènement d’une ville durable. Quelques soient leurs limites, et même grâce à celles-ci, ces réalisations apportent une pierre à un urbanisme durable en construction, encore aux prises avec ses contradictions. En apprenant de leurs erreurs, dans une approche critique et réflexive, les écoquartiers s’inscrivent totalement dans une démarche de ville durable, en contribuant à une stratégie d’amélioration continue. DEUXIÈME PARTIE : LES ÉCOQUARTIERS MÉTROPOLITAINS, ÉCOLES DE LA DURABILITÉ POUR LE TERRITOIRE Dans cette deuxième partie, il s’agira d’analyser de manière plus empirique le rôle des écoquartiers dans le projet de ville durable de la CUTM. Leur contribution s’éloigne légèrement de ce que nous avons identifié dans la littérature scientifique, puisqu’ils servent davantage à initier le développement urbain durable qu’à l’expérimenter (I). Leur principal apport à la CUTM se situe ainsi dans des effets d’apprentissage, montrant la voie vers de nouvelles pratiques d’urbanisme et d’action publique (II). Que fait la CUTM des acquis de ces écoquartiers ? Nous étudierons la démarche de capitalisation et de diffusion des connaissances que constitue le Référentiel d’Aménagement et d’Urbanisme Durables (RAUD), puis comment celui-ci s’inscrit dans une optique d’amélioration continue (III). 34 I – Une fonction d’entraînement plus que d’expérimentation Si certains jugent le phénomène « anecdotique »117, notre analyse nous pousse à nous ranger à l’avis de Pierre Cohen, dont les propos illustrent la vocation des écoquartiers. Le maire de Toulouse a déclaré que le prix obtenu par l’écoquartier Vidailhan récompensait une politique d’aménagement globale, impulsée par « une grappe d’EcoQuartiers » qui « …ne constitueront pas des territoires d'exception » et sont « représentatifs d’une démarche pilote qui concerne toute la métropole, dans laquelle ils sont générateurs d’effets d'entraînement déjà sensibles »118. Ces propos nous semblent résumer la contribution des écoquartiers à Toulouse métropole. 1) Les écoquartiers métropolitains : présentation succincte Nous distinguerons deux catégories d’écoquartiers à Toulouse : les premiers et les plus emblématiques sont les quartiers Andromède et Vidailhan. Au sein de l’agglomération toulousaine, ils ont servi de preuves, démontrant qu’il était possible de concilier au sein d’un même quartier des exigences économiques, sociales et environnementales. Vient ensuite une deuxième génération d’écoquartiers : La Cartoucherie, La Salade, Les Izards-Trois Cocus, Hers-Malepère-Marcaissonne (H2M) et Montaudran Aérospace à Toulouse, Monges-Croix du Sud à Cornebarrieu, Le Tucard à Saint-Orens, les Ramassiers à Colomiers, Laubis à Seilh (cf. Annexe 3). Plus hétéroclites, ils s’inscrivent tous dans une logique d’amélioration de l’urbanisme et de l’habitat selon des critères sociaux et/ou environnementaux. Seuls six quartiers ont déjà accueilli leurs premiers habitants : Andromède, Vidailhan, le Tucard, les Izards, les Ramassiers et Monges-Croix du Sud. Nous avons synthétisé l’ensemble des informations obtenues sur les écoquartiers de la CUTM dans un tableau présentant leurs principales caractéristiques, afin d’en faciliter la compréhension et la comparaison. Ce tableau se trouve en annexe afin de ne pas alourdir le développement avec de longues descriptions (cf. Annexe 4) mais nous invitons vivement le lecteur souhaitant bénéficier d’une vision globale des projets en cours à Toulouse métropole à le consulter. 117 Urbaniste, entretien, 11/04/2013. Discours prononcé par Pierre Cohen lors de la remise du prix national EcoQuartier à l’écoquartier Vidailhan, dont les services de Toulouse métropole nous ont fourni un exemplaire papier. 118 35 2) Quelques expérimentations ponctuelles À l’instar de la plupart des quartiers durables français, ceux de Toulouse métropole servent plus à expérimenter des projets que des technologies ou des procédures. Quelques expérimentations y sont toutefois menées, démontrant que le développement urbain durable est aussi réalisable sur le territoire. Sur le plan technique, citons à Vidailhan le développement d’un réseau de chaleur alimenté par une chaufferie biomasse et des concentrateurs solaires haute température : il s’agit en effet du premier quartier en France à expérimenter ce type d’installation. À Andromède, c’est un système de chauffage par géothermie profonde qui a été installé, permettant de réaliser jusqu’à 70 % d’économies d’énergie. L’influence de ces projets s’étend au reste de l’agglomération, de l’avis des acteurs qui s’y sont impliqués : « L’écoquartier a constitué un vrai creuset de réflexion sur la manière de développer, penser la ville, pour essayer de résoudre les questions de la ville, le difficile équilibre entre les piliers du développement durable, (…). Ces solutions sont reprises sur des réseaux de chaleur à Toulouse, etc. La question de l’habitat participatif a été travaillée à Vidailhan et reprise à la Cartoucherie. (…) Sur des projets qui n’ont pas cette ampleur, on essaie d’intégrer des choses expérimentées à Vidailhan. »119 L’écoquartier peut aussi servir à expérimenter des projets européens, comme c’est le cas aux Izards. En effet, cette opération de renouvellement urbain sert de quartier-pilote pour l’application des critères innovants d’adaptation au changement climatique élaborés dans le cadre du programme Mi Ciudad AC2120, auquel la CUTM a activement pris part. Lancé en janvier 2011 et achevé en février 2013, ce projet regroupait quatre partenaires européens (Malaga, Burgos, Villa Nova de Gaia et Toulouse) et avait pour objectif de réaliser un référentiel/guide d’aménagement urbain en faveur de l’adaptation et l’atténuation des effets du changement climatique. Les partenaires ont d’abord travaillé à identifier des critères répondant à ces objectifs puis à appliquer ces critères chacun sur un site pilote (ici Les Izards) afin de proposer des pistes d’amélioration, avant l’élaboration du référentiel. 119 Élue à l’aménagement urbain, entretien, 30/05/2013. « Le projet Méthodes Innovatrices de Planification Urbaine Intégrale pour les Villes Adaptées au Changement Climatique (Mi Ciudad AC2) vise le renforcement du rôle des villes en ce qui concerne l’adaptation et l’atténuation des effets du changement climatique, en développant des critères novateurs d’aménagement urbain applicables aux projets de développement et transformation urbaine. » Voir : http://www.miciudadac2.eu 120 36 Quelques expérimentations montrent ainsi que l’écoquartier métropolitain est un lieu d’innovation ponctuel. Toutefois, son principal apport réside davantage dans l’impulsion qu’il donne au territoire, ce fameux « effet levier » que nous décrivions en première partie. 3) Impulser le développement urbain durable en prouvant sa faisabilité Le développement durable ne suscite pas toujours de l’enthousiasme. Associé à des problèmes qui paraissent lointains, mais surtout à des surcoûts et un niveau accru de complexité, il rencontre certaines réticences au sein de la collectivité et chez les professionnels impliqués dans la production de la ville. D’une manière générale, la conduite de projets d’écoquartiers bouscule les pratiques : « Dans les réunions, on voyait bien que les élus étaient désarmés de faire des quartiers de cette taille-là. Ça bousculait certaines pensées, c’était un peu violent, on sentait que les élus n’étaient pas très à l’aise avec ces pratiques. Pour peu qu’on les ait emmenés dans endroits emblématiques qui ne soient pas du tout reproductibles à Toulouse ou ailleurs… »121 Les écoquartiers, notamment Andromède et Vidailhan, ont joué un rôle capital dans la diffusion de pratiques d’urbanisme durable. Ils ont en effet prouvé qu’il était possible de construire des quartiers durables sur le territoire de Toulouse métropole, et encouragé la systématisation d’autres modes de pensée. Diverses récompenses et reconnaissances, qu’elles proviennent du Ministère (Vidailhan), de projets de coopération décentralisée (Les Izards), d’associations professionnelles (Andromède122) ou d’agences (Le Tucard123), sont venues légitimer l’action publique locale, en montrant qu’elle s’inscrit dans un cadre plus large, national ou européen. Elles ont contribué à rassurer les élus sur la possibilité de valoriser leurs réalisations. Cette première étape passée, les écoquartiers ont pu se banaliser et être envisagés comme de véritables morceaux de ville à insérer dans leur environnement : « Je pense que ce qu’on conçoit en ce 121 Cadre de l’ADEME, entretien, 30/04/2013. La SEM Oppidea, aménageur sur ce projet, a reçu deux prix aux Victoires du Paysage 2012 : le prix du public et les victoires de Bronze. Ces récompenses sont destinées aux aménageurs ayant fait appel à des professionnels du paysage pour des aménagements originaux et bien pensés, créant un cadre de vie de qualité. 123 La mairie de Saint-Orens-de-Gameville a décroché le titre de capitale française de la biodiversité 2011 dans la catégorie villes de 2 000 à 20 000 habitants pour les efforts réalisés sur l’écoquartier du Tucard. En effet, l’accent a été mis dès le démarrage du projet sur la biodiversité via notamment le renforcement des trames vertes et bleues. Cette récompense lui a été remise par NatureParif et différents partenaires. 122 37 moment est peut-être plus en phase, c’est de la vitrine mais qui se fond mieux dans les paysages. Les élus en parlent actuellement comme des quartiers à vivre, pas quelque chose de posé à côté de, isolé du reste. »124. Ces effets d’entraînement sont observables aussi chez les professionnels. Les promoteurs avaient plutôt tendance à craindre pour la rentabilité de projets intégrant des solutions environnementales : « Quand on parlait d’aller sur des normes un peu moins consommatrices d’énergie etc. c’était trop cher, compliqué, impossible, on allait leur faire faire faillite… »125. Quelques années plus tard, le marché avait évolué et la plupart des constructeurs respectaient la norme BBC, pourtant non-obligatoire. Ces mêmes promoteurs considéraient alors comme allant de soi de construire en BBC. Le marché et la concurrence constituent donc des moyens de pression pour faire évoluer les pratiques, anticipant de futures évolutions de la réglementation comme la RT 2012126. Andromède et Vidailhan ont ainsi fait office de références sur le territoire, entraînant rapidement dans leur sillage de nouveaux projets d’écoquartiers, encouragés par un contexte national et local propice : « C’est peut-être Andromède et Balma qui ont impulsé la dynamique écoquartier : les initiatives sont parties de là. Maintenant, c’est au niveau de la collectivité centre, du territoire de référence, qu’on impose la règle. Mais au départ, l’énergie féconde et l’envie de créer quelque chose est partie d’initiatives tout à fait singulières. »127 De plus, le Plan Climat de Toulouse métropole adopté en 2012 promeut les écoquartiers dans son action 39, « Aménager des EcoQuartiers dans le neuf et le tissu urbain existant ». Aujourd’hui, on dénombre une dizaine d’opérations programmées ou en cours de réalisation à la CUTM, qui malgré leur dénomination d’écoquartiers s’avèrent extrêmement hétérogènes. Il nous semble toutefois que ces quartiers contribuent à deux phénomènes principaux : d’une part, le test de solutions qui, si elles n’ont pas été inventées à Toulouse métropole, restent relativement novatrices et nécessitent encore de convaincre de leur efficacité ou de leur faisabilité. La promotion des nouveaux modes de mobilité (autopartage, installation de 124 Cadre de l’ADEME, entretien, 30/04/2013. AMO développement durable d’Andromède, entretien, 05/12/2012. 126 La Réglementation Thermique 2012 fixe des objectifs ambitieux de performance énergétique dans le bâtiment, et s’applique à tous les permis de construire à partir du 1 er janvier 2013. Elle constitue une avancée en permettant la généralisation du BBC. Voir : http://www.rt-batiment.fr/batiments-neufs/reglementationthermique-2012/presentation.html 127 Cadre de la SEM Oppidea, entretien, 11/12/2012. 125 38 centrales de mobilité, parking silos mutables en bureaux anticipant une diminution progressive des besoins de stationnement, etc.) sur l’écoquartier de La Cartoucherie notamment va par exemple au-delà de la promotion des transports en commun et des modes doux, plus classique dans un écoquartier et même sur le territoire (Toulouse métropole n’a pas attendu les écoquartiers pour investir dans le développement des transports en commun). L’ambition portée par les écoquartiers émergents peut être résumée ainsi : « Aujourd’hui avec par exemple, La Cartoucherie, on est à une échelle d’écoquartiers de seconde génération, qui vont proposer des choses bien plus ambitieuses. Par exemple on est en train d’étudier la possibilité de proposer des parkings silos. C’est-à-dire d’oser démystifier un peu la voiture en imaginant que des gens partagent une place de parking. On est dans des problématiques juridiques, réglementaires et sociologiques que peu de français sont encore capables d’accepter. »128 D’autre part, les écoquartiers en cours de réalisation visent la consécration dans les pratiques d’urbanisme de principes déjà bien connus : nature en ville, aménagement des quartiers en fonction du site préexistant, déplacements doux, recherche de formes urbaines denses et de qualité, etc. Ainsi l’aménageur a aujourd'hui intégré les préceptes de l’urbanisme durable et réussi à imposer cette ligne dans les projets : « Maintenant, quand on va en réunion, ce qui est intéressant, c’est que sur tous les aspects “classiques” du développement durable (le système de chauffage, etc.) la plupart du temps on est juste là en appui. L’aménageur – ici Oppidea – a vraiment pris le savoir-faire. »129. Les personnes que nous avons rencontrées s’accordent sur le fait que les retours d’expériences, montrant à la fois les bons principes et les plus grosses difficultés relatives aux écoquartiers ont contribué à ce qu’un grand nombre de quartiers émergents aujourd'hui soient des quartiers durables et à ce qu’une démarche de ville durable se mette en place progressivement. Les écoquartiers de Toulouse métropole ont donc des effets d’entraînement mais aussi d’apprentissage. 128 129 Cadre de la SEM Oppidea, Entretien, 11/12/2012 AMO développement durable d’Andromède, entretien, 05/12/2012. 39 II – Des effets d’apprentissage La principale vertu des écoquartiers de Toulouse métropole nous semble résider dans leur dimension pédagogique. Ils exercent élus, agents et professionnels à anticiper toutes sortes de problématiques qui peuvent être rencontrées plus généralement dans la production de la ville. Ces opérations reproduisent donc la complexité de la ville à plus petite échelle et permettent aux acteurs d’apprendre en faisant. 1) Appréhender la complexité et le compromis inhérent au développement urbain durable Le projet urbain est complexe par nature, c’est-à-dire « composé de plusieurs parties ou de plusieurs éléments »130, difficiles à distinguer car entretenant de nombreux rapports entre eux. À cette complexité vient s’ajouter celle du développement durable, conjuguant trois piliers à intégrer à la réflexion. De plus, cette dernière n’est pas l’apanage de la collectivité, elle concerne un ensemble d’acteurs, dont les intérêts multiples et souvent opposés contribuent à façonner la ville : « …les enjeux, les pressions, les militances, les conflits d’acteurs entraînent une diversité d’acceptions, de positionnements, d’expériences et de pratiques. »131. Cette complexité fait de l’écoquartier le lieu privilégié d’élaboration de compromis, qui façonnent ses contenus, et dont le procédé peut être expliqué par la sociologie de la transaction. a) La ville durable, un « produit transactionnel » Cette notion de compromis a été mise en évidence dès 2001 par Theys et Emelianoff. Parce que le modèle de développement périurbain reste influencé par de nombreux facteurs et solidement ancré dans les consciences, la ville durable propose des compromis pour encourager les individus à renoncer progressivement à ce modèle : nature en ville plus 130 Selon la définition du dictionnaire Larousse en ligne, consultée le 26/05/2013. Voir: http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/complexe/17691?q=complexe#17559 131 EMELIANOFF Cyria, « Ville et urbanisme durables : un mouvement international » in HELIOT Raphaële (dir.), Ville durable et écoquartiers, op. cit., p.16. 40 importante, transports plus doux, requalification des espaces publics, densification près des grands axes de transport, réhabilitation des zones urbaines abandonnées, etc.132. Pour Hamman, la ville durable est un « produit transactionnel », en ce qu’elle renvoie à des conflits d’intérêts et de valeurs particulièrement complexes. Le développement urbain durable implique une multitude d’acteurs, qui ont des représentations différentes. Il donne lieu à des compromis via les transactions sociales, portant sur les relations entre acteurs comme sur les projets, et comprises comme des ajustements successifs les uns aux autres133. Le modèle du développement urbain durable ne s’impose pas mais s’élabore collectivement, car les avis quant aux objectifs et moyens du développement urbain ne sont pas partagés par tous les acteurs (qui par ailleurs ne se rencontrent pas nécessairement). Les processus décisionnels urbains prennent alors place au sein de « cadres transactionnels »134, qui, à côté des expérimentations, permettent d’établir des repères communs. Cet angle d’analyse proposé par Hamman permet de restituer la complexité des jeux relatifs à la ville durable. La normalisation conduite par l’Etat et les collectivités locales n’intervient qu’après que ces dynamiques transactionnelles aient opéré, permettant d’établir des principes légitimes135. À Toulouse métropole, le RAUD, qui vise à donner aux acteurs des repères, n’a effectivement été élaboré qu’après les premiers projets d’écoquartiers, suite à une commande politique. Selon Hamman, c’est justement parce qu’ils sont construits localement en fonction de contenus divers que les écoquartiers diffèrent tant les uns des autres. Ils sont l’illustration de la transaction et du compromis. b) Articuler les trois dimensions du développement durable, « une synthèse complexe » Si le développement durable est souvent réduit à sa seule dimension environnementale, l’intégration des trois piliers du développement durable est un équilibre difficile à trouver : « …la recherche de la perfection simultanée des trois objectifs conduit à une synthèse 132 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, « Les contradictions de la ville durable », op. cit. p.127. HAMMAN Philippe, « La “ville durable” comme produit transactionnel. », Espaces et sociétés, 2011/4, n°147., p.26. 134 HAMMAN Philippe, Ibid., p.38. 135 HAMMAN Philippe, Ibid. p.38. 133 41 complexe. »136. Cette complexité porte parfois atteinte au développement durable : « La théorie du développement durable, qui se comprend non seulement comme une conciliation mais aussi comme un équilibre entre les trois pans, porte alors en elle sa propre relativisation. »137. En effet, des mesures bénéfiques pour l’environnement peuvent avoir des conséquences sociales négatives, comme la gentrification. La hausse des coûts a d’ailleurs provoqué ce type de problèmes sur Andromède : « Les logements deviennent plus chers et donc moins accessibles, ce qui nous sort d’une des thématiques du développement durable. Quand on arrive à des seuils de 3000 ou 3500 euros le m², qui peut encore s’offrir un logement ? Du coup c’est la compression des surfaces : je ne suis pas sûre que ce soit forcément vertueux d’offrir des logements où la chambre ne fait que 9 m². »138 Le projet de la rue Alsace-Lorraine, illustre aussi bien la difficulté de considérer pleinement et simultanément les trois dimensions du développement durable. Le cabinet d’architecture ayant remporté l’appel d’offre lancé par Toulouse métropole a construit un projet autour de trois objectifs : le respect de l’histoire et des usages de la rue, la qualité de vie et la durabilité, ainsi que le confort et l’apaisement. Sur le papier, ce projet intègre donc idéalement les aspects sociaux, écologiques et culturels. En pratique, concilier ces trois dimensions s’avère plus difficile et nécessite des adaptations et des compromis. Trouver un point d’équilibre est une question d’arbitrages et de choix plus ou moins évidents. Le cabinet a dessiné une rue Alsace-Lorraine très minéralisée, avec peu de place accordée à la végétation hormis au square Charles de Gaulle. Cet aspect peut-être critiqué : la nature en ville est quasiabsente et le confort d’été est bien moindre en l’absence d’alignement d’arbres hauts pour ombrager la rue. De même, le choix d’une pierre noire est contestable, d’autant plus qu’elle vient de Chine. Ces orientations sont donc critiquables sur le plan environnemental. Toutefois, le cabinet a respecté l’histoire de la rue, qui n’a jamais eu de grands alignements d’arbres pour l’ombrager : ce choix se justifie donc, au moins partiellement. Opter pour une rue très minéralisée a permis de mettre en valeur des façades pleines de caractère et très emblématiques pour Toulouse. Cet arbitrage entre plusieurs dimensions s’est fait en faveur de l’urbain et de l’histoire, dans une logique très locale : « Il faut un équilibre, il ne faut pas être radical ni dans un sens ni dans l’autre. Si on n’obéit qu’aux préceptes du développement durable, on tombe dans les reproches qui ont été faits aux écoquartiers. 136 GUERMOND Yves, « Repenser l'urbanisme par le développement durable ? », Natures Sciences Sociétés, 2006/1, Vol. 14, p.83. 137 HAMMAN Philippe, Sociologie urbaine et développement durable, op. cit., p.32. 138 Cadre de la SEM Oppidea, entretien, 11/12/2012. 42 L’écoquartier à Lille, à Bordeaux ou à Toulouse, finalement c’est le même. (…) si on n’a que la dimension énergie, on risque de passer à côté de tout le reste. »139. Au vu de la multiplicité des objectifs (économiques, sociaux, environnementaux, culturels…) l’exemple de la rue Alsace-Lorraine nous montre combien il est indispensable de les prioriser pour parvenir à des améliorations. Les écoquartiers métropolitains ont montré que les opérations de développement urbain durable intègrent toutes sortes de contraintes, variables selon les contextes locaux, d’où une multitude de chemins vers la ville durable. Enfin, la prise en compte des trois dimensions du développement durable implique un apprentissage de la transversalité dont nous verrons qu’il peut être difficile pour les services municipaux. Ceci a pu les amener à se ranger derrière l’aménageur, comme l’ont fait les services de Blagnac et Beauzelle avec la SEM Constellation en charge du projet Andromède : « …les services (…) nous renvoient à la SEM et à sa structure propre au projet pour tout renseignement. L’enjeu pour eux est surtout de suivre, de s’adapter au changement (…). Globalement, les services sont chapeautés, l’urbaniste a l’aménageur pour interlocuteur quasi unique. La sectorialisation des approches est diluée dans une méta-instance experte contingente au projet. »140 c) Maîtriser les solutions techniques et sociales Enfin, l’apprentissage de la complexité du projet de développement urbain durable a pu venir d’impensés techniques, causant des problèmes inattendus et des effets indésirables : « …les bâtiments BBC sont très isolés par rapport à l’extérieur, thermiquement mais aussi phoniquement. On n’a plus cet effet d’ambiance sonore extérieure qui peut adoucir la perception des sons intérieurs, donc si le niveau sonore est moins élevé, la perception en est plus aigüe. Ça peut rendre des sons très dérangeants et perturber le bien-être. (…) Il faudrait retravailler cette question. »141 Un décalage entre le projet initial et la réalité peut donc apparaître à cause de solutions techniques, rarement maîtrisées du premier coup et qui doivent donc être ajustées. La Dépêche142 rapportait des dysfonctionnements à Andromède : la pompe à chaleur n’a par exemple jamais fonctionné. D’autres types d’imprévus peuvent venir compliquer le déroulé d’une opération : le lancement de la première phase de l’écoquartier La Cartoucherie a été 139 Consultante en développement durable, entretien, 05/12/2012 FERGUSON Yann, « Les conditions de gouvernabilité du développement urbain durable ». in PINSON Gilles, BEAL Vincent et GAUTHIER Mario (dir.), Le développement durable changera t-il la ville ? Le regard des sciences sociales. Saint-Etienne : Publications de l’université de Saint-Etienne, 2011, p.356. 141 Élue à l’aménagement urbain, entretien, 30/05/2013. 142 Voir l’article en ligne du 25/10/2011 : http://www.ladepeche.fr/article/2011/10/25/1200296-au-patio-andaloula-chaleur-attendra.html 140 43 considérablement retardé car la dépollution du site a pris plus de temps que prévu : le nettoyage a cessé le 7 août, alors qu’il devait initialement s’arrêter fin janvier143. Les ambitions peuvent aussi être revues à la baisse pour des raisons financières : ainsi, les toitures végétalisées d’Andromède n’ont pas été posées comme prévu. Enfin, les écoquartiers communautaires ont été riches d’enseignements quant à la mixité sociale, en montrant qu’elle ne se décrétait pas. Telle qu’elle est conçue aujourd'hui, la mixité sociale n’induit pas nécessairement du lien social ni de la solidarité : si la construction de logements sociaux ne rencontre plus d’obstacles techniques majeurs, en revanche la définition des espaces partagés est plus délicate. Les attentes de certains ménages « moyens » ou aisés peuvent entraîner une hausse des charges collectives qui ne seront alors plus dans les moyens du logement social. En matière de mixité sociale, les solutions restent à déterminer : « Pourquoi pas des charges selon des critères induisant de la solidarité comme des critères de revenus ? Comment faire en sorte qu’au sein de la copropriété ces publics en logement social qui vont être minoritaires en termes de voies au sein de la copropriété soient réellement pris en charge ? Comment continuer de faire vivre la mixité sociale une fois que l’ensemble est livré ? Les questions du partage entre des intérêts différents, c’est compliqué et ça le sera toujours. »144 Les opérations d’aménagement revêtent donc une grande complexité : d’une part, les solutions techniques et sociales ne sont pas toutes éprouvées ni rôdées. D’autre part, des choix sont indispensables, un pas dans une direction se faisant souvent au détriment d’une autre direction. Comment faire émerger le compromis, nécessaire pour concilier les intérêts des différents acteurs et pour traiter les trois dimensions du développement durable ? Nous verrons que les écoquartiers apparaissent comme des lieux d’apprentissage de la concertation. 2) Construire le quartier avec les habitants ? L’apprentissage de la concertation Contrairement à une idée reçue selon laquelle les écoquartiers ne sont habités que par des éco-citoyens, ceux de Toulouse métropole ont suscité une adhésion contrastée, mettant en 143 Voir l’article sur le site Internet de la mairie de Toulouse : http://www.toulouse.fr/web/la-mairie/-/cpdepollution-de-la-cartoucherie-8-aout 144 Élue à l’aménagement urbain, entretien, 30/05/2013. 44 évidence la nécessité d’une concertation tout au long du projet. En effet, l’avènement d’un « impératif délibératif »145 concerne particulièrement les domaines du développement durable et de l’urbanisme. La ville (ou à plus petite échelle le quartier) est un système complexe qui se prête particulièrement bien à l’essai de modes de coordination pluri-acteurs, plus souples et plus ouverts. Elle est un « formidable levier pour l’innovation démocratique »146. Nous analyserons ici les apports éventuels de cette « technologie de gouvernement »147 qu’est la démocratie participative148 au développement urbain durable de Toulouse métropole, au travers des expériences menées dans les écoquartiers. a) La concertation, un moyen d’appréhender collectivement la complexité et de favoriser l’acceptabilité sociale des décisions La concertation menée dans les écoquartiers nous semble le moyen privilégié d’apprendre collectivement la complexité du développement durable et de l’urbain, ainsi que les nécessaires compromis à réaliser. Un bilan positif et optimiste de la participation au sein du projet de Vidailhan a pu être dressé : « Il est évident que c’est un levier. Jamais on n’aurait fait Vidailhan tel qu’il est sans la part très large qui a été faite à la démocratie participative. »149. Un groupe de participation a été mis en place, avec le souci de ne pas impliquer que « …des écolos purs et durs, qui pousseraient la réflexion loin mais ne seraient pas complètement représentatifs de l’ensemble des citoyens. »150. Élus, représentants du quartier voisin, représentants des propriétaires du site, membres du comité consultatif de l’Agenda 21 et techniciens composaient ce groupe. Après la vente des premiers logements sur plan, des habitants intéressés ont également été intégrés. « Ils n’auraient jamais imaginé que 145 BLONDIAUX Loïc et SINTOMER Yves, « L'impératif délibératif », Politix, Premier trimestre 2002. Vol. 15, N°57. 146 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, « Les contradictions de la ville durable », op. cit., p.131. 147 RUMPALA Yannick, « Le "développement durable" appelle-t-il davantage de démocratie ? Quand le "développement durable" rencontre la "gouvernance"… », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], octobre 2008, Volume 8, Numéro 2, mis en ligne le 24/11/2008, consulté le 12/08/2013. URL : http://vertigo.revues.org/4996. 148 Lorsqu’il parle de démocratie participative, Blondiaux se réfère à un double mouvement : « …c’est à ce double mouvement, à ce tournant délibératif de la pensée politique contemporaine et à la montée de cet impératif participatif dans l’action publique qu’il convient, nous semble-t-il, de réserver la notion de démocratie participative (…). ». Voir : BLONDIAUX Loïc, « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l'innovation démocratique », Mouvements, 2007/2, n° 50, p.122. 149 Élue à l’aménagement urbain, entretien, 30/05/2013. 150 Idem. 45 pour concevoir un quartier il y aurait autant de questions à se poser. Après quand ils ont emménagé avec d’autres ça a été quelques piliers pour faire passer les messages. »151. Des intervenants ponctuels ont partagé leur expérience sur des thématiques particulières, permettant à chacun de partager les problématiques des autres, de bâtir un vocabulaire et des références communes, de s’approprier le projet dans ses composantes techniques. Ainsi, le passage à un urbanisme est aussi le passage à une vision systémique, mettant en cohérence plusieurs secteurs d’action publique et permettant à des acteurs multiples de partager leurs savoir-faire et leurs ressources pour répondre collégialement à un objectif commun152. « Ça nous a permis de faire passer des choses qu’on n’aurait jamais fait passer autrement parce qu’ils ont compris complètement la démarche. »153. Ainsi, l’élue cite l’exemple du stationnement, une question qui a particulièrement divisé le groupe de participants, entre ceux qui voulaient réduire la place de la voiture et ceux qui souhaitaient pouvoir se garer en bas de chez eux. De très longues discussions ont permis de prendre en compte tous les arguments154 et ont abouti à un consensus acceptable pour tous : la proposition d’une place de proximité en sous-sol et d’un parking silo pour les places supplémentaires. Cet accord, difficilement obtenu, n’a pas été entériné par le comité de pilotage, qui a opté pour une autre solution. Alors que les élus craignaient les réactions du groupe, les participants n’ont pas protesté : « À notre grande surprise, il n’y a pas eu de protestations, parce que chacun avait bien compris l’enjeu, la complexité de la question, et ont parfaitement compris pourquoi finalement les élus avaient trouvé que c’était encore un peu tôt. Si on n’avait pas eu cette démarche participative je pense qu’on en aurait eu de pleines pages de lettres de protestation. »155. Ainsi, la participation peut constituer un moyen d’obtenir le consentement des citoyens. Force est de constater que le lien entre participation et décision n’est pas évident à Vidailhan : malgré un long processus de délibération ayant abouti à un consensus au sein de l’instance de participation, les élus ont choisi une solution différente. La participation a surtout servi à 151 Idem. PINSON Gilles, « Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiques et recomposition d’une capacité d’union collective dans les villes européennes. » Revue française de science politique, août 2006, vol. 56, n° 4. 153 Élue à l’aménagement urbain, entretien, 30/05/2013. 154 Selon la théorie Habermas, la démocratie délibérative fonde la légitimité des décisions sur un processus de délibération au cours duquel des arguments rationnels sont échangés et auquel tous les citoyens peuvent prendre part. Voir : BLONDIAUX Loïc, « La délibération, norme de l'action publique contemporaine ? », Projet, 2001/4, n° 268, p.84 155 Élue à l’aménagement urbain, entretien, 30/05/2013. 152 46 prévenir les conflits156 en favorisant l’acceptation sociale des décisions. Le risque serait de tomber dans une « illusion participative »157, en opposant démocratie et expertise, conformément à une vision technocratique : « Ce qui est important c’est plus de donner le sentiment aux gens d’avoir participé que d’avoir réellement participé. S’ils ont le sentiment d’avoir participé, ils vont adhérer. Est-ce que dans l’écrituremême leur participation a été réellement prise en compte… Non, bien sûr, on s’entend. (…) C’est tout à fait approprié pour des choses plus localisées, du quotidien… Si on veut faire participer les gens il faut leur demander leur avis sur les choses du quotidien. En matière de vivre ensemble chacun aurait des choses à dire. »158 b) La concertation dans les écoquartiers, un creuset de l’écocitoyenneté ? L’écoquartier a parfois suscité l’adhésion spontanée des habitants, voire des attentes plus fortes que prévues : « …on a été assez étonnés sur les retours, la dimension environnement ce n’est pas forcément ce qui vient en premier. Les gens se soucient de savoir s’ils ont des balcons, des services à proximité. »159. Toutefois, ces réactions ne sont pas véritablement représentatives : beaucoup d’habitants ont pu éprouver de l’inconfort en intégrant un écoquartier. En effet, certains aspects sont vécus comme de véritables contraintes : l’apport volontaire des ordures ménagères, l’étroitesse des rues pour limiter la place de la voiture, le stationnement dans un parking souterrain plutôt que devant chez soi… La construction d’un écoquartier touche à l’habitat, mais aussi aux modes d’habiter : la réussite du projet dépend en grande partie des comportements des habitants qui emménagent. « Il y a ce qu’on veut faire, qui est le développement d’un outil, mis à disposition des habitants… Mais ça ne va réussir qu’à partir du moment où les habitants se le seront approprié et l’auront fait vivre dans le sens de la durabilité. Développer un quartier durable c’est en quelque sorte vouloir inciter tout un chacun à faire évoluer son comportement vers un comportement durable. (…) il y a 20 % d’habitants qui sont venus sur l’écoquartier parce que c’était un écoquartier, et 80 % qui sont là parce qu’ils avaient besoin d’un logement, mais qui n’ont pas du tout acheté le quartier. Ils prennent conscience après coup des efforts qu’on leur demande et qu’ils n’avaient pas nécessairement imaginé. Quand vous ne savez pas pourquoi on vous demande de faire ces efforts-là, on a vite fait de trouver qu’ils sont insupportables. »160 156 Cette caractéristique des processus de participation a été mise en avant par plusieurs auteurs : voir HAMMAN Philippe, Sociologie urbaine et développement durable, op. cit., ainsi que BLONDIAUX Loïc et SINTOMER Yves, « L’impératif délibératif », op. cit., p.33. 157 MONBEIG Michel, « L'impossible démocratie participative », Pensée plurielle, 2007/2, n° 15, p.36. 158 Chef d’entreprise, entretien, 27/03/2013. 159 Consultante en développement durable, entretien, 05/12/2012. 160 Élue à l’aménagement urbain, entretien, 30/05/2013. 47 Par ailleurs, la position adoptée par les promoteurs lors de la vente de logements durables n’aide pas à la compréhension du projet par les futurs habitants : « On a constaté que les promoteurs qui vendent un logement dans un écoquartier le vendent comme n’importe quel autre logement. On a fait des séances d’information, de formation des commerciaux… Mais c’est une population où il y a beaucoup de turnover, du coup je ne suis pas persuadée que les commerciaux savent bien vendre un écoquartier. Quand on vend un logement on ne fait pas le tri en s’assurant que le client sera un bon éco-citoyen, on a envie de lui vendre avant tout, indépendamment de sa conduite. »161 Ainsi, les quartiers durables de Toulouse métropole ont montré que l’écoquartier ne constituait pas une recette miracle : même lorsque les trois dimensions du développement durable sont prises en compte, rien ne garantit que les habitants ne sauront ni même ne voudront s’en saisir et adopter un comportement durable. Afin de prévenir des attitudes inappropriées (gaspillage, non-recyclage, etc.) qui viendraient contrecarrer les effets supposés bénéfiques du quartier, la mairie de Balma a édité et distribué un guide de l’écoquartier. Les décideurs du projet Vidailhan ont également instauré un accompagnement, permettant d’expliquer les choix effectués et d’atténuer la perception de certains aspects comme des contraintes. Il paraît en effet nécessaire de sensibiliser et d’accompagner a minima avant l’investissement des lieux par les habitants, mais idéalement de les inclure dès la conception du projet, via les procédures de concertation. La question des modes d’habiter ne devrait pas être posée a posteriori mais bien a priori pour maximiser les chances d’apparition de comportements en adéquation avec l’esprit du quartier, certains dispositifs favorisant l’adoption de pratiques écocitoyennes. c) La concertation, des coûts initiaux élevés pour des résultats à long terme En dépit du succès qu’a pu constituer la concertation sur le quartier Vidailhan, l’élue balmanaise en charge de l’aménagement urbain ne cache pas la lourdeur d’une telle démarche, qui nécessite de nombreuses réunions tardives, des efforts de la part de chacun… Les individus réticents à incorporer de la participation craignent généralement que ces dispositifs retardent l’aboutissement de projets déjà très long : « Le temps de la ville est de toute façon très long, parce que c’est très long d’imaginer un territoire, d’avoir une vision partagée à long terme. Si en plus, il y a plein de petits grains de sable qui viennent gripper 161 Cadre de la SEM Oppidea, Entretien, 11/12/2012. 48 l’avancement déjà lent du processus d’aménagement… »162. La participation est effectivement une procédure longue, lourde, qui nécessite une organisation logistique et des moyens financiers. Pour autant, il semblerait que certains acteurs – comme le chef d’entreprise et la cadre que nous avons rencontrés – ne considèrent pas toujours la concertation citoyenne sous l’angle de ce qu’elle peut apporter, à savoir « de véritables ressources d’expertise profane qui peuvent concurrencer celles des experts municipaux. »163. Ainsi, les habitants sont des « experts du quotidien »164. Plus important, la concertation mise en œuvre à Vidailhan a apporté les quatre avantages de la délibération mis en évidence par Blondiaux : elle a produit de l’information et des solutions nouvelles, elle a forcé les acteurs à se justifier et donc à emporter une plus grande adhésion, elle a légitimé les décisions en obligeant au respect et à la prise en compte des arguments de tous et enfin elle a constitué une solution face au pluralisme des valeurs165. La multiplication des écoquartiers sur le territoire est une évidence. Si les apprentissages qu’ils ont permis sont nombreux, la diffusion et la généralisation des principes de l’urbanisme durable au reste de la ville est une étape plus importante, puisque « …les nouvelles constructions ne représentent annuellement qu’une part négligeable du parc immobilier existant (il est de 1 % pour la France par exemple). »166. Comment, dans ce cas, passer d’une politique d’écoquartiers à une politique de ville durable ? Celle-ci ne peut se limiter à une addition de quartiers durables : l’enjeu reste la diffusion et la systématisation de ces pratiques au reste de la ville. Pour Boutaud, les écoquartiers ont vocation à devenir des quartiers classiques. Ils sont en effet tellement nombreux qu’ils ne constituent plus un phénomène exceptionnel. Comment faire pour que les savoirs issus des écoquartiers toulousains soient « solubles dans l’urbanisme renouvelé du temps »167 ? Nous étudierons la méthode choisie par Toulouse métropole. 162 Idem. BLONDIAUX Loïc, « Démocratie locale et participation citoyenne : la promesse et le piège », Mouvements, 2001/5, n°18, p.47. 164 MONBEIG Michel, « L'impossible démocratie participative », op. cit., p.41. 165 BLONDIAUX Loïc, « La délibération, norme de l'action publique contemporaine ? », op.cit., p.84-85. 166 DIND Jean-Philippe, THOMANN Marianne, BONARD Yves, « Structures de la ville, quartiers durables et projet urbain : quelles articulations ? » op. cit., p.73. 167 BOUTAUD Benoît, « Quartier durable ou éco-quartier ? », op. cit., p.5. 163 49 III – Les écoquartiers et après ? Esquisses de la ville durable Une certaine culture de la ville durable s’est forgée au fil des opérations à Toulouse métropole. Encadrés par les services administratifs, les projets d’écoquartier ont contribué à façonner cette culture qui perdure et se renforce en dépit des évolutions institutionnelles de l’intercommunalité, des changements politiques, des modifications de l’organigramme, des départs et des arrivées, etc. Plusieurs structures ont été mises en place afin de permettre aux élus et aux agents communaux et intercommunaux d’échanger sur les projets d’écoquartiers qu’ils ont mené : ainsi, les élus de Balma, engagés dans le projet de Vidailhan, sont allés à la rencontre de ceux travaillant sur Andromède. Une nouvelle grappe d’écoquartiers toulousains se développant en parallèle, un groupe de travail autour des écoquartiers a été créé. Il a notamment contribué à la réflexion qui a alimenté le Référentiel d’Aménagement et d’Urbanisme Durables (RAUD) que nous décrirons. Enfin, la SEM Oppidea, principal interlocuteur et exécutant des projets d’aménagement communautaires, constitue un vecteur de diffusion des réflexions en mettant à profit l’ensemble de ses expériences au service de l’intercommunalité. Dans ce contexte de changement rapide, où le développement durable est le nouveau mot d’ordre, la collectivité a cherché à instituer des cadres et des repères en objectivant les savoirs issus des expériences d’écoquartiers. Le RAUD élaboré en interne par les services de Toulouse métropole constitue une tentative de capitalisation et de diffusion des connaissances, dans un objectif plus global de ville durable. 1) Capitaliser l’expérience des écoquartiers pour diffuser les principes de l’aménagement durable : le RAUD Faisant référence au RAUD, Pierre Cohen a déclaré que le Grand Toulouse s’employait « …à se doter d'une culture commune de la qualité urbaine, du rôle de la maîtrise d’ouvrage publique, et du développement durable à partir des expériences acquises localement autour de la démarche EcoQuartiers »168. Ce travail, initié par une commande politique, a progressivement suscité un vif enthousiasme au sein de Toulouse métropole. Aujourd'hui, les agents de la CUTM que nous avons rencontrés sont convaincus de la possibilité de dé- 168 Discours prononcé par Pierre Cohen lors de la remise du prix national EcoQuartier à l’écoquartier Vidailhan. 50 compartimenter les écoquartiers et d’en faire des « tremplins de la ville durable »169 pour diffuser une nouvelle culture de l’aménagement, via les opérations emblématiques comme les opérations plus ordinaires ou isolées. Le RAUD qu’ils ont bâti en interne pourrait constituer l’instrument de cette diffusion. La réflexion autour de ce document a commencé en 2010, suite à une commande politique auprès des élus et des services de la communauté urbaine, visant à réaliser un outil d’appropriation de la démarche ville durable. Elle a par ailleurs été traduite dans l’actionphare n°34 du PCET, « Appliquer le référentiel d’aménagement durable ». L’objectif du RAUD est triple : intégrer les problématiques énergie/climat dans les opérations d’aménagement et les documents d’urbanisme réglementaire, favoriser la systématisation d’opérations d’aménagement durables, et enfin forger une culture commune pour tous les acteurs du territoire. Il participe d’une démarche de ville durable en formalisant des engagements et en proposant une méthodologie pour l’évaluation des projets et s’inscrit notamment dans le cadre national constitué par le label national EcoQuartiers170. Le RAUD devait au départ prendre la forme d’une charte, regroupant 11 objectifs stratégiques : localisation des ÉcoQuartiers ; énergie et climat ; densité et formes urbaines ; place de la voiture et des déplacements ; cycle de l’eau ; mixité fonctionnelle, sociale et intergénérationnelle ; ressources et limitation des nuisances ; patrimoine paysager et de l’espace public ; demande sociale et appropriation ; faisabilité économique ; conduite de projets. Quelques évolutions sont à noter par rapport à la commande initiale et aux modalités inscrites dans le PCET : il ne s’agit plus d’une charte, mais d’un référentiel. Le terme « EcoQuartier » a disparu du RAUD pour laisser place aux « opérations d’aménagement durable », un changement de terminologie qui témoigne de la volonté de la CUTM de raisonner à l’échelle de son territoire tout entier. « Notre idée c’est de faire de chaque opération d’aménagement une opération durable : penser en termes d’écoquartiers c’est restrictif. »171. D’autre part, les 11 « objectifs stratégiques » du RAUD ont été renommées « cibles prioritaires de la ville durable » et certains intitulés et contenus ont été modifiés. Ces 11 cibles sont représentées sur la figure ci-dessous, extraite du RAUD. 169 Agent de la CUTM, entretien, 29/11/2012. Voir : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Lancement-du-label-national,31489.html 171 Agent de la CUTM, entretien, 30/07/2013. 170 51 Les onze cibles prioritaires de la ville durable. (Source : RAUD, version du 23/07/2013) Les cibles ont été définies par les élus et les services: il y a donc eu un véritable portage politique et technique du projet. Deux instances ont été mises en place pour le pilotage : - Un comité de suivi : présidé par le Président de la commission Aménagement et politique foncière, il regroupait les élus de Toulouse métropole et les professionnels du secteur (associations de professionnels, urbanistes, aménageurs, bailleurs sociaux, architectes, etc.). Son travail concernait l’élaboration des 11 cibles stratégiques. - Un comité technique interservices : composé de la Direction générale du développement urbain durable, de la Direction générale des services urbains et de la Direction générale finance et administration générale, le comité technique avait la charge de la traduction opérationnelle des orientations, sous l’égide de la Direction du développement durable et de l’écologie urbaine qui pilotait le projet. Un travail d’aller-retour entre le comité de suivi et les services techniques a permis de valider les orientations stratégiques du RAUD, et de proposer des méthodes opérationnelles déclinant ces objectifs dans les opérations urbaines. Les prescriptions du RAUD n’ont pas vocation à devenir opposables, dans la mesure où il constitue un outil d’incitation et non un document réglementaire. Sa fonction pédagogique est évidente : la réalisation de ce travail par le service Appui à la ville durable, en collaboration 52 avec l’ensemble des services concernés et quelques acteurs externes, a permis un véritable apprentissage de l’urbanisme durable et de la transversalité en interne. Il a également instauré un meilleur dialogue entre les services dits techniques, qui travaillent sur le terrain et sont directement concernés par la mise en œuvre de ces principes, et les services et directions qui ont des visées plus stratégiques. Les principes de la concertation et de la transversalité ont été appliqués, témoignant de l’installation de ces méthodes de travail au sein de la CUTM. Le document est extrêmement complet. Les fiches relatives à chaque cible de la ville durable se structurent toutes de la même manière, en plusieurs parties : - Orientations, où sont déclinés les objectifs globaux de la cible ; - Application territoriale, comportant des exemples d’écoquartiers ou de lieux intégrant ces objectifs ; - Éléments de cadrage, déclinant le contexte national (textes de lois, démarches en cours, etc.) et local (PLU, PCET, PLH, PDU, SCoT, trames verte et bleue, schémas, chartes, guides, plans, etc.) ; - Points de repères d’une opération réussie, proposant des indicateurs qualitatifs et quantitatifs pour évaluer l’atteinte de la cible ; - Points complémentaires, comprenant des commentaires et des explications ; - Le référentiel en tant que tel, qui propose pour chaque objectif stratégique de la cible des déclinaisons opérationnelles ainsi que des illustrations et des exemples. Les prescriptions contenues dans le RAUD s’inspirent directement des expériences d’écoquartiers de la CUTM ou d’ailleurs. Les 11 cibles de la ville durable définies dans le document sont à mettre en relation avec les éléments de définition des écoquartiers que nous avons donnés en introduction : mixité sociale et fonctionnelle, densité, objectifs relatifs aux thématiques énergie-climat, nature en ville, gestion durable de l’eau, participation des habitants… Témoignant de l’inscription de ces principes, au moins dans les esprits. La transmission de ces préceptes à des opérations plus classiques devrait contribuer à descendre les écoquartiers de leur piédestal, afin qu’ils ne constituent plus des territoires d’exception mais simplement des lieux d’impulsion d’un mouvement plus général. Éditer un référentiel à l’échelle de la communauté urbaine permet d’encourager une certaine cohérence dans les projets menés sur le territoire. 53 Pour les services, l’élaboration du RAUD marque un passage à une nouvelle étape : « Il me semble qu’on passe à une phase supérieure, on n’est pas que dans l’intention. On ne l’était pas puisqu’on a déjà 12 écoquartiers qui ne sont pas tous exemplaires dans toutes les cibles mais très bons dans une série de cibles. Le but du RAUD est d’être un outil de progrès, c’est de voir comment on est dans une démarche d’amélioration des opérations d’aménagement. »172 Le cahier d’évaluation incorporé dans le RAUD et élaboré conjointement nous paraît en effet témoigner d’une volonté de dépasser les déclarations d’intention, même si nous questionnerons plus tard la pertinence d’un tel référentiel pour y parvenir. Toutefois, considérant les évolutions récentes de l’action publique en France, le choix d’indicateurs de développement durable nous paraît logique et avantageux sur plusieurs aspects. 2) Évaluer le développement urbain durable : le RAUD comme outil réflexif et d’amélioration continue L’émergence de la thématique du développement durable s’est accompagnée d’une redéfinition des modes d’action publique, plus rationnels, visant à la cohérence et à l’efficacité. Rumpala montre ainsi l’installation d’une logique managériale dans les politiques publiques. L’exemplarité de l’administration est recherchée dans un objectif d’entraînement, afin de faire adhérer l’ensemble de la société à un projet collectif. Cette poursuite de l’exemplarité a contribué à rendre l’action publique plus réflexive, par la systématisation des pratiques d’évaluation et de suivi, destinées à vérifier l’efficacité des interventions menées et à prévoir d’éventuelles mesures d’ajustement173. La transition que suppose le développement durable nécessitait « un appareillage intellectuel approprié », les indicateurs constituant alors une « nouvelle technologie de gouvernement »174. Le cahier d’évaluation du RAUD a rassemblé des critères de développement durable pour évaluer les opérations d’aménagement de Toulouse métropole. Son apport nous semble triple : il a permis à la collectivité de définir 172 Entretien, Agent de la CUTM, 29/11/2012. RUMPALA Yannick, « La régulation publique et l’inscription gestionnaire du "développement durable". Des initiatives stratégiques aux démarches de contrôle des performances. » in HURON David, et SPINDLER Jacques (dir.), Le management public en mutation, Paris, L'Harmattan, 2008, p.377. 174 RUMPALA Yannick, « Mesurer le "développement durable" pour aider à le réaliser ? », Histoire & mesure [En ligne], XXIV-1, 2009, mis en ligne le 01/08/2012, consulté le 11/08/2013. URL : http://histoiremesure.revues.org/index3896.html 173 54 et de s’approprier les objectifs du développement urbain durable, d’apprendre les méthodes de l’évaluation et d’inscrire le référentiel dans une logique d’amélioration continue. a) Une mise en problématique du développement urbain durable À Toulouse métropole, le changement récent de contexte intercommunal a entraîné un besoin d’outils et de méthodes adaptés au nouveau territoire communautaire, surtout dans une perspective de développement durable. La méthodologie d’évaluation proposée dans le RAUD vise à en faire un outil de cette adaptation. Elle est le fruit d’un long et laborieux travail en interne, intra et inter services, auquel les étudiants de l’IEP ont contribué. Pour élaborer une méthodologie claire et fiable, les services de Toulouse métropole se sont inspirés de diverses expériences, notamment de coopération décentralisée. La communauté urbaine ayant pris part au projet européen Mi Ciudad AC2, le travail des étudiants qui ont accompagné les services dans l’élaboration du RAUD consistait notamment à en extraire des indicateurs pertinents pour mesurer l’atteinte des objectifs stratégiques du référentiel. Les indicateurs proposés sur la plateforme européenne CAT-MED175 ont également été examinés. Les services se sont enfin inspirés du label national EcoQuartier lancé par le Ministère de l’Écologie en décembre 2012. Cette phase a constitué un moment clé d’apprentissage pour les services : la sélection d’indicateurs destinés à évaluer l’atteinte d’objectifs stratégiques fixés par le comité de suivi a constitué une mise en problématique du développement urbain durable à l’échelle du territoire métropolitain. En effet, l’élaboration de ces indicateurs témoigne d’une appropriation des enjeux et renseigne sur l’appréhension d’une situation. Le choix devient important puisque les indicateurs « …participent à la fois à la sélection des priorités (…) et à façonner la traduction concrète des grandes principes du développement durable. »176. Des données brutes ont ainsi été transformées en indicateurs, impliquant des choix (et donc des biais). Elles prennent sens en s’appuyant sur des critères préalables, définis en fonction des objectifs du projet. Pour le RAUD, il s’agit des objectifs stratégiques fixés dans chacune des 11 cibles de la ville durable. Ainsi, « Chaque collectivité définit son propre 175 Voir : http://www.catmed.eu/indicateurs ADAM Mathieu, « La fabrique des éco-quartiers, entre injonction au local et urbanisme standardisé », op. cit., p.98. 176 55 tableau de bord et ses propres indicateurs en fonction de ses objectifs propres et des données dont elle dispose. »177. Les indicateurs participent à une simplification du réel, nécessaire pour mesurer les évolutions et envisager des interventions. Ces méthodes rassureraient les acteurs en leur donnant le sentiment d’un contrôle sur la ville, son fonctionnement et son développement, naturellement séduisant pour des élus à la recherche de résultats visibles et rapides178. Les batteries d’indicateurs se multiplient pour faciliter le travail des acteurs publics et des professionnels du secteur. Les indicateurs ont en effet l’avantage de réduire la complexité des réalités sociales et de les rendre plus lisibles179. Par exemple, la mesure de la proximité à un arrêt de transports en commun, indicateur du RAUD, ne prend pas en compte d’autres éléments (handicap, ressources insuffisantes, peur, illettrisme, etc.) pouvant restreindre l’accès d’une personne à ces modes de déplacement, mais ces informations renseignent de manière simplifiée sur l’accès aux transports en commun. Seul, l’indicateur ne veut rien dire : il n’a de sens que dans un système global d’évaluation, dont les objectifs ont été définis au préalable. Le croisement des indicateurs du RAUD et de ses objectifs stratégiques permet de prendre en compte l’ensemble des informations tout en permettant un traitement simplifié de celles-ci. La réflexion sur le RAUD a abouti à l’élaboration d’un cahier comprenant une grille d’évaluation et une grille de suivi composées en tout de quarante indicateurs chiffrés. Pour chacun d’entre eux, sont indiquées notamment : - Les cibles de la ville durable concernées ; - La formule de calcul de l’indicateur ; - Un axe permettant de situer les résultats obtenus, une fourchette de valeurs indiquant si la situation est « perfectible », « moyenne », « satisfaisante » ou « optimale ». À l’instar des indicateurs du label EcoQuartiers, ceux retenus pour le RAUD sont dans l’ensemble clairs et simples : proximité aux parcs/places publics, etc. Le cahier d’évaluation 177 JÉGOU Anne et al., « L’évaluation par indicateurs : un outil nécessaire d’aménagement urbain durable ? », Cybergeo : European Journal of Geography, [En ligne], Aménagement, Urbanisme, document 625, mis en ligne le 04/122012, consulté le 11/08/2013. URL : http://cybergeo.revues.org/25600 178 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », op. cit., p.148. 179 DEVISME Laurent et al., « Le jeu des “bonnes pratiques” dans les opérations urbaines, entre normes et fabrique locale », Espaces et sociétés, 4/2007, n° 131, p.18. 56 comporte un second volet plus qualitatif : l’atteinte de chaque objectif stratégique est évaluée, en lui attribuant une note de 1 à 4 (ou « non traité » / « non applicable » le cas échéant). Cette note doit être justifiée par écrit, et un champ est prévu pour d’éventuelles mesures d’ajustement ou d’amélioration. Cette conjugaison de critères quantitatifs et qualitatifs permet de conserver les éléments d’une analyse approfondie et d’éviter une évolution trop prononcée vers un urbanisme technique, normatif, quantifiable, « un urbanisme de gestion »180, qui constitue une tendance actuelle en France. Elle permet d’évaluer de manière simplifiée l’atteinte des objectifs fixés. b) Le RAUD, support de l’apprentissage des méthodes d’évaluation Pour rappel, l’objectif du RAUD est d’être un instrument d’incitation pour la ville durable. En proposant une grille d’évaluation pour les opérations d’aménagement, il donne aux chefs de projet l’opportunité de se confronter aux objectifs du développement durable, pour éventuellement mener à des améliorations et des ajustements. Les services soulignaient la réciprocité des apports : si les principes consacrés dans le RAUD ont vocation à influencer la production de la ville, celle-ci permettra également au RAUD d’être un outil évolutif. La réévaluation du RAUD était ainsi programmée pour 2014 environ, afin d’en garantir l’adaptation au territoire. Toutefois, c’est finalement le RAUD lui-même qui a été évalué en premier. En effet, la publication du document, plusieurs fois décalée, a fini par être conditionnée au test préalable de la méthode proposée sur trois opérations d’aménagement, afin de prouver concrètement que le développement urbain durable ne coûtait pas plus cher. Cette étape, d’abord perçue comme « des bâtons dans les roues en interne »181 a finalement été envisagée par les services comme une première occasion de faire évoluer et de consolider le RAUD. Ils ont ainsi pu ajuster les indicateurs en les confrontant au terrain, simplifier et automatiser des formules de calcul, supprimer des indicateurs trop complexes ou insuffisamment problématisés, vérifier la cohérence des autres. Là encore, la dimension d’apprentissage est évidente, les services ayant approfondi leur expérience de l’évaluation : « …ça nous a permis de mieux savoir comment s’y prendre pour tester une opération d’aménagement, de savoir ce qui nous manque… C’était vraiment très productif pour nous, 180 LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », op. cit., p.148. 181 Agent de la CUTM, entretien, 30/07/2013. 57 ça nous a permis d’améliorer notre grille d’évaluation. »182. Cette phase d’approfondissement s’est avérée particulièrement importante et a suscité de l’intérêt en interne comme chez les entreprises partenaires : « On a des points très positifs sur le test. Les entreprises s’intéressent au projet, sur des choses innovantes pour eux, notamment sur des thèmes comme la nature en ville… »183. Le RAUD s’est avéré un exercice très concret et a permis de consolider de nouvelles habitudes de travail (transversalité, raisonnement en coûts global, etc.). Même si les services avaient déjà une expérience et une connaissance de l’évaluation, l’élaboration du tableau de bord du RAUD leur a permis de développer une plus grande expertise dans ce domaine. c) L’inscription dans une logique d’amélioration continue L’évaluation, par son caractère itératif, permet de mesurer le cheminement vers la ville durable ; mais surtout, elle constitue en elle-même un processus d’apprentissage de la durabilité184. Les apports du test du RAUD ne se limiteront donc pas au perfectionnement de la grille d’évaluation, mais contribueront à une logique plus globale d’amélioration continue des modes de développement urbain, grâce aux données acquises et aux retours d’expériences dont bénéficiera la collectivité : « C’est vraiment une évaluation qui évolue, c’est plutôt en ces termes-là. Le RAUD n’est pas un document qui restera dans un placard – s’il sort un jour – c’est un document évolutif, c’est son objectif d’être remis en question, remis à jour… C’est un travail qui va évoluer en fonction du contexte politique, réglementaire… »185 Le site test des Izards a ainsi particulièrement contribué aux retours d’expérience : « Estce que le RAUD fonctionne tel qu’il est rédigé en ce moment, tel qu’il a été conçu ? Le retour de ce test avec le chef de projet des Izards nous permet de remettre en place certaines choses. »186. 182 Idem. Idem. 184 JÉGOU Anne et al., « L’évaluation par indicateurs : un outil nécessaire d’aménagement urbain durable ? », op. cit. 185 Agent de la CUTM, entretien, 30/07/2013. 186 Idem. 183 58 Si l’« amélioration continue » est un vocable emprunté au développement durable187, il révèle surtout l’installation d’une logique managériale, dans un objectif d’amélioration de l’efficacité et de la rentabilité de l’action publique. L’évaluation permet de conférer un caractère évolutif aux bonnes pratiques de développement durable, de les réviser localement et ainsi d’en faire des outils toujours plus adaptés au territoire auquel elles s’adressent, c’est pourquoi le suivi des projets constitue désormais un passage obligé. L’évaluation des trois opérations d’aménagement (Les Izards, Bordeblanche et Le Tucard), qui rappelons-le avait pour objectif initial d’établir les coûts d’une opération d’aménagement durable, a notamment permis de montrer les limites actuelles à une approche « coût global » : ces méthodes, encore peu développées au sein de Toulouse métropole, se heurtent à un manque de données, que les chefs de projet ne pourraient se procurer qu’en négociant des avenants avec leurs prestataires. « On ne pourra pas boucler cette analyse qualitative malheureusement car il nous manque des éléments, mais maintenant on sait qu’il faut prévoir cet aspect-là dans les cahiers des charges, afin de regrouper les informations. »188. Le test, encore en cours, n’a pour l’instant mené qu’à des conclusions partielles : si des surcoûts peuvent apparaître à court terme, les services estiment que des économies significatives sont réalisées à plus long terme (bâtiments économe en énergie, gestion alternative des eaux…), même s’il n’existe pas de mesures précises pour l’affirmer. Cet exercice, qui devrait reprendre en septembre, n’a donc pas encore rempli son objectif initial : montrer que le coût d’opérations d’aménagement durable n’est pas prohibitif à Toulouse métropole. En revanche, il a permis aux services de tester et d’affiner leurs indicateurs, tout en prouvant l’opérationnalité du RAUD et son utilité pour l’évaluation et le suivi des projets. Ce test a généré des effets d’apprentissage, permettant aux services de s’approprier les principes du développement urbain durable en le problématisant sur le territoire et a suscité de l’intérêt chez les partenaires. L’élaboration d’un référentiel et de sa grille d’évaluation présente donc des avantages évident, même si les agents de la CUTM sont lucides sur ses limites. 187 Il s’agit en effet de l’une des cinq éléments déterminants d’une démarche de développement durable, fixées par le cadre de référence des projets territoriaux de développement durable et Agendas 21 locaux du Ministère. Voir : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/01-27-2.pdf 188 Agent de la CUTM, entretien, 30/07/2013. 59 3) Un référentiel est-il un instrument pertinent pour la ville durable ? L’injonction au changement et à la remise en cause des pratiques d’urbanisme a entraîné une perte de repères visible dans les collectivités chargées d’orchestrer le développement urbain. Le recours aux certifications et labels mais surtout aux référentiels et bonnes pratiques constitue l’instrument privilégié pour infléchir les trajectoires urbaines en France. Toulouse métropole s’est inscrit dans cette mouvance avec le RAUD, sans pour autant s’aveugler sur le recours à ces méthodes. a) Certifications, labels, référentiels et bonnes pratiques : des écueils à éviter Les normes véhiculées par les certifications et les labels peuvent avoir une certaine pertinence pour mettre en œuvre les principes du développement durable. Par exemple, viser la Haute Qualité Environnementale (HQE) notamment lors des opérations de renouvellement urbain ou de réhabilitation des grands ensembles, permet sans conteste de lutter contre le réchauffement climatique, dans la mesure où les logements de type HLM représentent un potentiel énorme pour l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments en France189. Toutefois, si les bâtiments HQE fleurissent dans les nouvelles constructions de la CUTM, ils émergent rarement dans la rénovation urbaine. Les avantages présentés par la certification et les labels doivent être relativisés, en premier lieu parce qu’ils peuvent être les vecteurs d’une certaine uniformisation. Les normes, les seuils ou encore les critères sont les mêmes pour tous les projets à évaluer, ce qui limite les possibilités d’adaptation au contexte et mène à une technicisation du développement durable, alors considéré comme une addition de normes urbaines, environnementales et sociales : « …le risque serait d’imposer une “doxa” de la ville durable. D’imaginer de donner des labels HQE aux villes et aux quartiers, en mesurant la longueur des pistes cyclables, la surface végétalisée des toitures, le pourcentage de matériaux recyclés. »190. De plus, la HQE, comme son nom l’indique, se concentre sur des objectifs essentiellement environnementaux. Elle privilégie les solutions techniques au détriment d’une vision plus 189 190 CASSAIGNE Bertrand, « La ville durable », Projet, 2009/6, n° 313, p.81. CASSAIGNE Bertrand, Ibid., p.83. 60 globale et finalement plus politique, et consacre des réalisations partielles puisque seulement cinq cibles sur 14 nécessitent d’être atteintes pour obtenir la certification. Dans le cadre d’une démarche de ville durable, viser le label HQE, ou plus généralement les certifications et les labels, présente des avantages certains (méthode simplifiée, évaluation facilitée) mais n’a de sens que si cet objectif est intégré dans un projet plus global, prenant en compte le projet d’urbanisme dans ses dimensions politique, sociale, économique, culturelle… Autrement dit dans sa complexité. En dépit des éléments intéressants qu’ils apportent, ce serait choisir la facilité que de se cantonner à la recherche de certifications et de labels dans le développement urbain. Les innovations environnementales constituent le pendant « visible » du développement durable et à ce titre sont privilégiées pour conférer plus de visibilité aux réalisations. Elles ne peuvent toutefois constituer une fin en soi : l’ingénierie n’a pas réponse aux problèmes sociaux. Lorsqu’elles n’ont pas recours à des méthodes certifiées, les collectivités peuvent être tentées d’aller voir comment fait le voisin… Au risque de copier des solutions inadaptées à leur propre territoire. En effet, le benchmarking peut être un outil méthodologique intéressant, à condition d’être assorti d’une prise de recul. Conscients de ce risque, les services de Toulouse métropole se sont efforcés d’être critiques lorsqu’ils intégraient à leur référentiel des critères issus de Mi Ciudad, de CAT-MED, d’autres référentiels… : « Tout ce qui nous paraissait exemplaire sur les cibles a été passé à la moulinette pour en extraire l’exemplarité. »191. En effet, la publication de guides et de référentiels divers destinés à encourager les politiques d’écoquartier et de ville durable par la promotion des bonnes pratiques, comporte un risque de standardisation des démarches. Les standards « …rassurent sur la viabilité du modèle (…) et garantissent aux acteurs à la fois une limitation de la prise de risque sur les dispositifs et une image verte aisément justifiable car conforme aux valeurs dominantes du secteur. »192. C’est ce que nous exprimions en expliquant le rôle des écoquartiers (comme preuves de faisabilité et objets à valoriser) dans l’initiation d’un développement urbain durable plus global. Toutefois, ces méthodes peuvent aussi s’avérer piégeuses, et fournir des écoquartiers clé en main qui nieraient les spécificités locales. 191 Agent de la CUTM, entretien, 29/11/2012. ADAM Mathieu, « La fabrique des éco-quartiers, entre injonction au local et urbanisme standardisé », op. cit., p.101. 192 61 En effet, la décentralisation a profondément changé l’action urbaine : privées des injonctions de l’État central, les collectivités sont devenues demandeuses de méthodes et de techniques pour mener leurs opérations d’aménagement. Les bonnes pratiques ont alors constitué de nouvelles méthodes d’administration du territoire, à partir de l’exemple d’actions déjà menées, dans une logique plus participative et moins descendante. Les bonnes pratiques peuvent être définies comme un « …ensemble théorico-pratique issu de demande d’informations sur les manières de faire et menant, le cas échéant, à leurs réorientations en fonction de référentiels vus comme exemplaires. »193. Elles constituent des références dans les politiques d’aménagement et de rénovation urbaine durables : « Sont ainsi désignées les technologies et techniques éprouvées, dont on peut transmettre le mode d’emploi et garantir avec une certaine assurance le niveau de performance escompté »194. Ce « package méthodologique »195 permettrait de montrer la voie à suivre. Les bonnes pratiques véhiculent une idée de supériorité normative, puisqu’elles postulent l’existence de modèles d’excellence de développement durable, reproductibles, et « …dont il faut a minima s’inspirer. »196. Lorsqu’elles émanent des administrations, ces bonnes pratiques agissent plutôt comme des « opérateurs de prescription », visant la rentabilité et l’efficacité197, comme nous avons pu le voir à travers l’exemple du cahier d’évaluation du RAUD. Le référentiel élaboré par les services de Toulouse métropole relève en effet de cette logique de bonnes pratiques. Il contient des objectifs stratégiques (théoriques) déclinés en traductions opérationnelles (pratiques). Définies en collaboration avec une multitude d’acteurs et destinées à ces mêmes acteurs, conformément à une logique managériale, ces prescriptions ont vocation à évoluer au gré des expériences locales. L’objet de la commande politique était de « …produire un document de référence qui puisse s’appliquer dans l’ensemble des opérations d’urbanisme, formaliser des outils méthodologiques, définir les moyens pour y parvenir. »198. Toutefois, les services de la CUTM ont cherché à se prémunir contre le risque de standardisation que nous 193 DEVISME Laurent et al., « Le jeu des “bonnes pratiques” dans les opérations urbaines, entre normes et fabrique locale », op. cit., p.16. 194 NAVEZ-BOUCHANINE Françoise, « Le développement urbain durable : “best practice” ou leurre méthodologique ? », Espaces et sociétés, 2007/4, n° 131, p.113. 195 NAVEZ-BOUCHANINE Françoise, Ibid., p.114. 196 ARAB Nadia, « À quoi sert l'expérience des autres ? “Bonnes pratiques” et innovation dans l'aménagement urbain », Espaces et sociétés, 2007/4, n° 131, p.33. 197 DEVISME Laurent et al., « Le jeu des “bonnes pratiques” dans les opérations urbaines, entre normes et fabrique locale », op. cit., p.16. 198 Agent de la CUTM, entretien, 29/11/2012. 62 venons de décrire, en concevant un RAUD évolutif, destiné à être évalué pour s’adapter aux spécificités locales et assurer un développement cohérent du territoire. Le RAUD sert avant tout à formaliser des repères dans une collectivité en plein apprentissage : nouvelles aspirations, nouveaux objectifs et nouvelles méthodes. En quoi ce référentiel est-il plus adapté qu’un autre au territoire de Toulouse métropole ? L’élaboration du RAUD témoigne d’une lucidité sur les limites des bonnes pratiques, ne serait-ce que par la posture réflexive adoptée et l’attente des retours de terrain. En effet, la difficulté principale dans la diffusion des savoirs issus des écoquartiers ne réside pas dans le transfert des expériences mais dans « la transformation des savoir-faire à capitaliser et diffuser »199. La diffusion des bonnes pratiques ne signifie pas que les destinataires vont ou sauront les mobiliser en les adaptant au contexte local. Pour réussir, la démarche doit parvenir à combiner des connaissances empiriques, pragmatiques et territoriales. Autrement dit, le projet doit correspondre aux objectifs de l’opération d’aménagement, être opérationnellement faisable et surtout être pertinent dans son territoire d’implantation. Mobiliser les bonnes pratiques ne doit pas faire oublier qu’il n’y a pas de solution universelle et que le transfert des savoirs ne se fait pas de façon mécanique, la reproduction des méthodes ne pouvant pas se faire à l’identique dans les différents contextes locaux200. Ainsi, le RAUD comme outil de capitalisation des savoirs et de mise en œuvre du développement urbain durable présente des avantages certains, parce que les services ont gardé en tête le souci de ne pas élaborer un « cahier de recettes », additionnant les bonnes pratiques sous forme de catalogue, sans prise de recul sur le contexte local et sans stratégie d’ensemble. b) De la professionnalisation de la ville durable à l’appropriation de la problématique par la collectivité À échelle nationale, certifications, labels, référentiels et bonnes pratiques ont pu participer d’un mouvement de « professionnalisation de la ville durable »201, qui a contribué à 199 ARAB Nadia, « À quoi sert l'expérience des autres ? “Bonnes pratiques” et innovation dans l'aménagement urbain », op. cit., p.43. 200 ARAB Nadia, Ibid., p.45. 201 VILLALBA Bruno, « La professionnalisation de la ville durable : contributions à la standardisation du développement durable », in PINSON Gilles, BEAL Vincent et GAUTHIER Mario (dir.), Le développement durable changera t-il la ville ? Le regard des sciences sociales. Saint-Etienne : Publications de l’université de Saint-Etienne, 2011, p. 37-57 63 bâtir un domaine d’expertise plus qu’un projet politique. C’est là l’autre limite du recours à des référentiels : impulsée par des experts, des associations et des organismes internationaux, notamment de défense de l’environnement, la doctrine urbanistique de la ville durable n’est initialement pas le fait des élus202 ni des professionnels du secteur, architectes et urbanistes203. Souvent, acteurs publics et professionnels de l’aménagement tentent de s’adapter à l’évolution des pratiques. L’arrivée tardive des élus sur ce sujet a pu contribuer à la faiblesse d’une vision politique, pourtant nécessaire au changement social et culturel que suppose le développement durable. La professionnalisation de la ville durable est « …une production de procédure techniques qui tendent à façonner nos capacités cognitives à concevoir ce qu’est une politique de développement durable. »204. D’une manière générale, la constitution du domaine d’expertise de la ville durable a surtout été le fait de professionnels du développement durable : en élaborant des méthodologies et des outils qu’ils ont progressivement standardisés, ils ont façonné des savoirs, réinsérés ensuite dans d’autres pratiques professionnelles comme celles de l’urbanisme, de l’aménagement et de la construction. En témoigne la présence d’une AMO développement durable sur la plupart des projets métropolitains, qui accompagne collectivités, aménageurs, promoteurs et bailleurs dans la construction d’un projet durable. La commande publique a façonné un marché de l’assistance à l’élaboration et à l’animation de projets territoriaux de développement durable, contribuant ainsi à légitimer cette expertise en reconnaissant aux professionnels du développement durable une légitimité et des compétences pour intervenir sur les projets. « Au final, cette professionnalisation tend à produire une technicisation qui conduit à un processus d’homogénéisation et de standardisation des pratiques. »205, au risque d’évacuer les antagonismes révélés par le développement durable en privilégiant les solutions techniques206. La multiplication des guides méthodologiques destinés aux collectivités ces dernières années (dont le label national EcoQuartier est le 202 EMELIANOFF Cyria, « Urbanisme durable ? », op. cit. p.17. LEVY Albert, « La "ville durable." Paradoxes et limites d'une doctrine d'urbanisme émergente. Le cas SeineArche. », op. cit., p.143. 204 VILLALBA Bruno, « La professionnalisation de la ville durable : contributions à la standardisation du développement durable », op. cit., p.41. 205 VILLALBA Bruno, Ibid., p.55. 206 VILLALBA Bruno, Ibid. 203 64 dernier avatar en date) a contribué à un processus « …d’échange des savoirs entre professionnels et collectivités apprenantes »207. Toutefois, l’originalité du RAUD réside dans le fait que le sens de cet échange s’est inversé : c’est aujourd'hui la collectivité qui élabore un référentiel, suite à une commande politique. Ceci témoigne de l’appropriation du sujet par les élus, prémisses d’une politisation plus que d’une professionnalisation de la ville durable, appuyée par le développement d’une expertise en interne par les services. Les écoquartiers de Toulouse métropole ont été les initiateurs d’un mouvement de développement urbain durable, mais ne sauraient incarner à eux seuls une politique de ville durable, compte tenu de leurs limites et de la nécessité d’une approche plus globale et systémique. Faut-il pour autant leur refuser tout mérite, au motif qu’ils servent avant tout à attirer les projecteurs sur eux ? La critique est facile, mais oublierait presque de reconnaître aux écoquartiers des apports avérés. Le choix de Toulouse métropole d’élaborer un référentiel en interne pour promouvoir les bonnes pratiques et influer sur les opérations d’aménagement du territoire témoigne d’une volonté de dépasser les limites des écoquartiers pour n’en tirer que des apprentissages. De plus, les services restent vigilants quant aux risques véhiculés par les référentiels et les évaluations. Cette expérience nous paraît surtout avoir contribué au renforcement d’une expertise au sein des services. Ceux-ci sont alors mieux armés pour lutter contre les solutions toute prêtes et les effets de standardisation : « On travaille de manière interservices, on a notre mot à dire, on travaille beaucoup avec les bureaux d’études en urbanisme en leur disant "ce n’est pas parce que vous mettez des arbres que ça va faire de la ville durable". »208. Cet agent ajoute : « Je crois que les méthodes, les connaissances sur les écoquartiers maintenant on les a, on sait comment les bâtir, mais encore une fois on ne pense plus en termes d’écoquartiers. On pense en termes de ville durable, c’est le discours qui circule et qui est à l’agenda politique. Si au départ c’était plutôt de l’ordre du test, on regardait comment faire, maintenant on n’en est plus là. ». Le changement de registre discursif est évident : le terme écoquartier, très à la mode, a disparu du RAUD pour laisser place aux opérations d’aménagement durable, chaque projet étant voulu exemplaire désormais. Ce virage est-il suffisant pour permettre à la CUTM de 207 208 VILLALBA Bruno, Ibid., p.48. Agent de la CUTM, entretien, 30/07/2013. 65 s’acheminer vers la ville durable ? Pour répondre à cette question, il nous a semblé nécessaire d’élargir la focale à l’ensemble du projet communautaire de développement durable. TROISIÈME PARTIE : TOULOUSE MÉTROPOLE, UNE VILLE DURABLE ? OBSTACLES PERSISTANTS À la remise du Prix National EcoQuartier, Pierre Cohen déclarait que l’objectif était de « …faire de chaque quartier un vecteur de la réduction de l’empreinte écologique de l’ensemble de la métropole, tout en étant un espace de solidarité, d’équité et de mixité sociale, en favorisant la concertation et l’appropriation sociale. »209. Cette volonté affichée trouve-t-elle une traduction dans les faits ? Est-on en train de dépasser l’approche écoquartiers pour s’acheminer vers une ville durable ? L’analyse du projet territorial de la CUTM révèle l’intérêt modéré suscité par le développement durable avant l’élaboration et le vote du Plan Climat, ainsi que les faiblesses qui en résultent encore aujourd'hui (I), d’autant plus qu’une volonté politique fluctuante empêche l’amorce d’un changement véritable (II). I – Le projet territorial de développement durable de Toulouse métropole : atouts et faiblesses L’écoquartier ne serait donc qu’une « étape préliminaire dans la voie d’un urbanisme durable », avec « une forte portée symbolique »210. Il ferait partie d’une stratégie d’ensemble ou d’un éventail de démarches (volontaristes ou non), permettant d’inventer et de concrétiser le développement durable : agendas 21, chartes et référentiels de développement durable, plans climats211… 209 Discours prononcé par Pierre Cohen lors de la remise du prix national EcoQuartier à l’écoquartier Vidailhan. EMELIANOFF Cyria, « À quoi servent les écoquartiers ? Propos recueillis par Antoine Loubière » (extraits), in SOUAMI Taoufik (dir.), « Écoquartiers et urbanisme durable », op. cit., p.23. 211 FABUREL Guillaume, « Aménagement et urbanisme durables : l’importance du volontarisme territorial », in HELIOT Raphaële, (dir.), Ville durable et écoquartiers, op. cit., p.88 210 66 Ainsi, toute une batterie de démarches se développe à chaque échelle du territoire. Leur suivi « …indique que ces démarches participent en fait de manière commune à plusieurs évolutions assez lentes mais transversales. »212. Nous rappellerons ici les principales actions, mesures et projets visant à inscrire le territoire de Toulouse métropole dans la durabilité. 1) Le développement durable à Toulouse métropole : historique L’année 2008 a constitué un tournant dans l’histoire de l’intercommunalité. En effet, la mairie de Toulouse, remportée par un candidat socialiste, s’est inscrite pour la première fois dans la même mouvance politique que la majorité des autres communes du Grand Toulouse. Pierre Cohen, ancien maire de Ramonville-Saint-Agne, a ainsi succédé à Philippe DousteBlazy (UMP) à la présidence de l’intercommunalité. Avant 2008, le Grand Toulouse n’avait pas véritablement formalisé de projet de développement durable. Si les Agendas 21 de la ville de Toulouse et de plusieurs autres communes ont été labellisés par le Ministère de l’Écologie213, le Grand Toulouse n’est pas parvenu à s’engager dans une démarche volontaire de ce type. L’Agenda 21 intercommunal, initié en 2006, a été abandonné au lancement du Plan Climat. Quelques documents obligatoires ont toutefois participé à une compréhension et à une appropriation des enjeux du développement durable : les PLU mis en place par l’intercommunalité en concertation avec chaque commune-membre contiennent chacun un PADD fixant les grandes orientations du développement territorial, dans une optique de durabilité. Ils doivent être compatibles avec le SCoT, le PLH et le PDU, autant de documents participant à cette appropriation. 2008 est une année importante en matière de développement durable pour l’intercommunalité. L’arrivée des Verts dans la majorité (six élus au conseil municipal de Toulouse et huit conseillers délégués à Toulouse métropole) a pour conséquence un certain « verdissement » du programme municipal et intercommunal. Régis Godec, président du groupe EELV à Toulouse, a été nommé Adjoint au maire en charge des écoquartiers et a pris la tête de deux projets : La Cartoucherie et La Salade à Toulouse. Cette mesure, plus 212 FABUREL Guillaume, Ibid., p.87. Dans le cadre de l’Appel à reconnaissance des projets territoriaux de développement durable et Agendas 21 locaux. 213 67 symbolique qu’autre chose, incarne malgré tout un changement dans la volonté politique. Celui-ci vient surtout du fait que la ville-centre adopte pour la première fois le même bord politique que les communes voisines de l’intercommunalité. La mairie de Toulouse n’avait pas été socialiste depuis 1971, tandis que la quasi-totalité de ses voisines s’inscrivent à gauche, ce qui avait entraîné un certain blocage de la coopération intercommunale : « Beaucoup de communes autour de Toulouse étaient de couleur politique différente de la ville-centre jusqu’en 2008. Il y a eu beaucoup d’actions menées pour faire réagir la ville-centre, qui pèse très lourd par rapport aux communes périphériques : il y a un peu plus de 440 000 habitants à Toulouse, et derrière c’est Colomiers avec 35 000 habitants. »214 Cette entente facilitée entre Toulouse et les autres communes du Grand Toulouse a eu pour effet de débloquer les décisions, et a permis l’aboutissement de projets d’ampleur, comme le Plan Climat : « Il y a une sorte de partenariat qui s’est organisé. C’est pour ça que pour moi il y a une sorte d’avant / après 2008 parce qu’il y a un plus grand partenariat qui s’est affiché entre les communes et l’EPCI. À l’ADEME on sent une appropriation plus importante sur un certain nombre de sujets. » (Idem). Lancé en 2010 et adopté le 29 mars 2012, le PCET est une démarche emblématique. Toutefois, d’autres démarches de développement urbain durable ont été menées avant celle-ci, notamment les écoquartiers : la ZAC d’Andromède a été créée en 2001 et la réalisation d’un écoquartier était une action inscrite dans l’Agenda 21 de Balma en 2007, reprise en 2008 dans le programme électoral de l’équipe qui a remporté les élections, sous l’égide d’Alain Fillola. L’aire urbaine toulousaine n’est donc pas un territoire pionnier comme celui de Nantes ou de Grenoble en France. C’est notamment l’une des raisons pour lesquelles nous l’avons choisi comme territoire d’études : analyser le cas toulousain permet de comprendre un processus « ordinaire » d’appropriation du développement durable, impliquant la mise en place d’outils obligatoires (PADD, PDU, PCET…) et de démarches plus volontaires, comme les écoquartiers. Ceux-ci ne sont finalement qu’un instrument parmi d’autres de la ville durable, même s’ils ont pu servir de « rampe de lancement » à Toulouse métropole. Un projet de développement urbain durable, parce qu’il concerne de nombreuses thématiques, est multiinstruments. Face à la multiplication des démarches et afin de garantir la cohérence du projet 214 Cadre de l’ADEME, entretien, 30/04/2013. 68 global, un outil de coordination est indispensable. Sur le territoire de Toulouse métropole, c’est le Plan Climat qui joue ce rôle. 2) Le Plan Climat, instrument de coordination des actions de développement durable à Toulouse métropole Le PCET de Toulouse métropole se caractérise par une prise en compte globale des enjeux de développement durable : son contenu diffère sensiblement de celui d’autres documents de ce type, généralement plus sectoriels. Si l’entrée choisie pour traiter les problématiques territoriales est l’énergie-climat (il vise notamment le 3x20215 et le facteur 4216), le Plan Climat adopté en mars 2012 fixe sept objectifs généraux : la sobriété énergétique et le développement des énergies renouvelables ; le développement des mobilités durables ; la réduction de la précarité énergétique ; la production de bâtiments à haute performance énergétique et climatique dans le neuf comme dans l’existant ; la généralisation de l’urbanisme durable ; la préservation des ressources naturelles et agricoles et la diminution des impacts ; et enfin l’implication et la mobilisation de tous. Le PCET revêt trois fonctions majeures, qui ressortent au travers de ses « actions phares », valorisées en raison de leur caractère emblématique. Un effort de communication a été réalisé pour ces actions afin de leur conférer plus de lisibilité pour le grand public, peu sensibilisé aux problématiques énergie-climat. Ces trois fonctions apparaissent elles aussi comme très transversales : - Organisation et planification : le Plan Climat sera articulé aux différents documents de planification urbaine. Le développement des transports en commun, l’élaboration et l’application de la charte d’aménagement durable, l’intégration des problématiques énergie-climat et le renforcement des trames vertes et bleue dans le futur PLU intercommunal (PLUi), l’aménagement d’écoquartiers, la préservation des espaces naturels et agricoles ainsi que de la biodiversité, la gestion responsable de l’eau, la 215 Afin de lutter contre le réchauffement climatique, l’Union Européenne, dans le cadre du paquet énergieclimat, a fixé à ses membres une obligation de réduire de 20% leurs émissions de GES, d’augmenter de 20% leur efficacité énergétique et d’amener à 20% la part des énergies renouvelables dans leur consommation finale d’énergie, d’ici à 2020. D’où le terme « 3x20 » qui désigne cette triple obligation. 216 Le facteur 4 désigne l’objectif de diviser par 4 les émissions de GES d’un territoire donné à l’horizon 2050. 69 valorisation de l’axe Garonne, la mise en œuvre d’un programme local de prévention des déchets, etc. sont autant d’actions contribuant à une planification durable. - Services rendus aux habitants et solidarités : la lutte contre le réchauffement climatique intègre une dimension humaine, aussi le PCET devra contribuer au renforcement de la cohésion sociale via la lutte contre la précarité énergétique, la production de logements sociaux durables, le conseil aux habitants pour les économies d’énergie, le développement de circuits courts… - Responsabilisation et mobilisation : le Plan Climat doit contribuer à ce que chacun se sente concerné par le réchauffement climatique. Pour ce faire, il promeut l’éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD), la multiplication des formations, la mise en œuvre d’une évaluation citoyenne du Plan Climat, le renforcement des Plans de Déplacements Entreprises et Inter-Entreprises, l’instauration d’une solidarité internationale en matière de lutte contre le changement climatique, la création d’un fonds territorial de compensation climat, un programme d’administration exemplaire pour Toulouse métropole et la Ville de Toulouse, etc. Le PCET dépasse ainsi une approche sectorielle énergie-climat et permet d’instaurer un véritable projet territorial de développement durable, mettant en cohérence les politiques publiques et les différents instruments de planification. La vocation transversale et globale du PCET transparaît clairement dans ses objectifs, fonctions et actions-phares. Un cadre de la SEM Oppidea va même jusqu’à le qualifier d’« hypertransversal ». Au travers de cette démarche, Toulouse métropole affirme nettement son rôle d’animateur territorial, en instaurant des partenariats lorsque les actions programmées ne relèvent pas de sa compétence. L’ambition globale qui sous-tend le PCET de Toulouse métropole le rend totalement atypique, en comparaison avec d’autres démarches de ce type. Pourquoi Toulouse métropole a-t-elle choisi la mise en place d’un Plan Climat pour coordonner l’ensemble des actions qu’elle mène en matière de développement durable, alors que ce document est traditionnellement plus sectoriel ? Pourquoi ne pas avoir préféré directement la mise en place d’un Agenda 21 intercommunal ? L’explication semble être avant tout conjoncturelle : l’ancienne équipe intercommunale du Grand Toulouse a lancé un Agenda 21 en 2006, de manière volontaire217. Après l’arrivée du socialiste Pierre Cohen à la 217 L’Agenda 21 ne constitue pas un document obligatoire, il s’agit en effet d’une démarche volontaire. 70 tête de l’intercommunalité, en 2008, le choix a été fait de ne pas poursuivre cette démarche, jugée trop lourde. Or, l’abandon de ce projet territorial de développement durable coïncide avec la période du Grenelle de l’Environnement. Les lois Grenelle I et II promulguées en 2009 et 2010 fixent un cadre juridique pour l’instauration des PCET. Les collectivités locales de plus de 50 000 habitants ont d’abord été incitées puis obligées d’élaborer et d’adopter ce document pour le 31 décembre 2012, ce qui a motivé le choix du Grand Toulouse. La loi Grenelle II précise que le PCET constitue le volet climat d’un éventuel projet territorial de développement durable. L’Agenda 21 ayant été abandonné, c’est le Plan Climat qui a constitué le projet territorial de développement durable du Grand Toulouse. Pourtant, en dépit de leur nom, les PCET ne comportent pas véritablement de dimension territoriale dans les textes de loi. Ils portent sur les compétences respectives des collectivités, alors que les émissions de GES d’un territoire dépendent largement des comportements des acteurs territoriaux218. Ce « manque » de la loi n’a pas empêché le Grand Toulouse d’élaborer son PCET à la manière d’un Agenda 21 (co-construction du projet, diagnostic élargi, ateliers thématiques regroupant plus de 1000 participants, livre blanc regroupant les propositions issues de la concertation…) en traitant de thématiques larges : habitat, urbanisme, précarité, participation citoyenne, etc. Cette démarche a donné lieu à un document très complet, en comparaison à un PCET plus classique, presque à un « Agenda 21 Énergie-Climat ». Le portage politique de Pierre Cohen, la concertation large menée autour du PCET ainsi que le recours à un expert international de l’énergie-climat219 ont contribué au succès de la démarche. La plupart des projets en cours, dont le RAUD, ont alors été rattachés au Plan Climat, bénéficiant souvent d’un soutien accru des élus. Bien évidemment, le succès futur de la démarche dépendra de son appropriation collective et du maintien de son portage politique et technique, mais le caractère transversal et la vocation de coordination du PCET de Toulouse métropole sont d’ores et déjà reconnus par les professionnels du territoire ayant participé à son élaboration : « …on ne peut pas travailler sur la question de l’urbanisme sans travailler en même temps sur celle du logement, de l’emploi, de la précarité… Donc ces sujets sont forcément liés, et quand on les intègre à 218 Réseau Action Climat-France, « Les PCET dans le Grenelle », [En ligne], publié le 23/09/2010, consulté le 06/08/2013. URL: http://www.rac-f.org/Les-PCET-dans-le-Grenelle 219 Pour encadrer son Plan Climat, la CUTM a fait appel à Pierre Radanne, ancien directeur adjoint du cabinet de Dominique Voynet, puis président de l’ADEME et de l’association 4D. Il a fondé le cabinet de conseil Futur Facteur 4, est responsable de la commission énergie des Verts et participe également au think tank Terra Nova. Il a publié plusieurs livres sur les thématiques énergie-climat et a participé aux négociations internationales sur le climat. 71 une seule politique – le PLU par exemple – on peut peut-être passer à côté de problématiques qui sont très liées. Le Plan Climat ou l’Agenda 21 ont cet avantage d’avoir une dimension plus transversale, qui permet une approche croisée. »220 L’approche toulousaine présente donc une certaine originalité, dans la promotion d’un document traditionnellement sectoriel en véritable démarche transversale et globale. Bien que le Plan Climat constitue un effort significatif de coordination des actions au sein d’un projet territorial partagé, il demeure impuissant à freiner des mouvements à l’œuvre depuis plusieurs années, comme l’étalement urbain et le gaspillage des ressources. 3) Composer avec le résultat des politiques précédentes : inertie de la ville et sentiers de dépendance Les modes de développement urbain prédominants dans les années 1970 et 1980 continuent d’avoir des effets aujourd’hui, avec la poursuite de l’étalement urbain et malgré une prise de conscience progressive des dégâts causés par le gaspillage des espaces et l’hypermobilité. Les villes ont été pendant longtemps façonnées pour et par le véhicule personnel, entraînant une dépendance à l’automobile, qui s’auto-renforce à mesure que la ville continue de s’étendre. En effet, l’allongement des distances et la dé-densification ne favorisent pas le développement de solutions alternatives à la voiture individuelle. L’accroissement du trafic autoroutier donne lieu à des problèmes de congestion sur les axes de circulation, entraînant la création de nouvelles infrastructures, de transports en commun plus pratiques, etc. qui encouragent à nouveau l’éloignement des centres. Conjugué à un phénomène de spéculation immobilière qui tend à éloigner toujours davantage les accédants à la propriété des centres-villes, le précédent modèle continue de peser sur les trajectoires de développement urbain actuelles. De plus, la recomposition de la ville est un phénomène extrêmement lent, puisque seulement 1 % du bâti se renouvelle chaque année. Un phénomène d’inertie de la ville existe donc bel et bien, dans le sens où « les évolutions des formes urbaines sont lentes et s’infléchissent difficilement »221. 220 221 Consultante en développement durable, entretien, 05/12/2012 GOUIN Thierry (dir.), Mobilité et inertie de la ville, CERTU, Collection Essentiel, août 2012, n°5, p.6. 72 L’inertie est bien visible à Toulouse, où les choix du passé pèsent lourdement. Contrairement à d’autres villes françaises, Toulouse n’a pas rencontré d’obstacles géographiques ou de limites à son étalement urbain, ce qui a permis à la ville de s’étendre librement en se dé-densifiant. Cette périurbanisation débridée se poursuit encore aujourd’hui, bien que ses effets néfastes aient été mis en évidence : « En deuxième couronne on bat des records de lotissements à tout va, enfin très classique comme dans les années quatre-vingt. Ça s’est vite reporté sur les communes suivantes qui n’étaient pas préparées ni équipées, les voiries n’étaient pas adaptées… Donc on s’est vite posé des questions. »222. La prise de conscience de ces impacts lourds a entraîné une volonté de réagir, mais l’inflexion des modes de développement prendra un certain temps. Même dans l’hypothèse où les pratiques évolueraient vite et où l’étalement urbain cesserait soudainement, que ferait-on de tous les lotissements construits ces quarante dernières années, qui constituent l’écrasante majorité de la production de logements en France et dans l’aire urbaine toulousaine ? Les héritages urbains sont lourds, et la modification des formes de la ville ne s’envisage que sur du long terme. Ceci d’autant plus que le développement périurbain continue d’être encouragé par une multitude de facteurs : spéculation immobilière, grandes infrastructures routières, aides publiques et incitations fiscales, souhait d’accession à la propriété… D’autres trajectoires continuent d’avoir un impact significatif aujourd’hui, comme l’absence prolongée de maîtrise foncière. « Pour le logement social, il y a un manque évident de maîtrise foncière depuis 20 ans, donc c’est impossible de faire du logement social à bas prix. »223 Ce phénomène d’inertie de la ville n’est pas sans rappeler la théorie de la dépendance au sentier (ou dépendance au chemin emprunté)224. Cette notion, originellement mobilisée en économie pour expliquer le phénomène de rendements croissants225 ou d’auto-renforcement, a été théorisée en sciences politiques par le néo-institutionnaliste Pierson226. La théorie de la dépendance au sentier montre que changer de solution pour une autre est de plus en plus cher à mesure que le temps passe. Deux conceptions coexistent. La conception large consiste à dire que ce qui s’est produit dans le passé aura une influence sur tous les évènements qui 222 Cadre de l’ADEME, entretien, 30/04/2013. Urbaniste, entretien, 11/04/2013. 224 Traduction de l’anglais path dependence. 225 En économie, il y a rendements croissants lorsqu’une entreprise fait des économies d’échelle : c’est-à-dire que plus elle produit et plus son coût de production moyen est faible. 226 PIERSON Paul, « Increasing returns, path dependence and the study of politics », The American Political Science Review, juin 2000, Vol. 94, No. 2, p. 251-267. 223 73 s’enchaînent par la suite. Une conception plus étroite existe, donnée par Levi en 1997 et rappelée par Pierson : une fois engagé dans une voie, les coûts de changement sont élevés, car chaque décision conforte la précédente et le choix d’un autre chemin est de plus en plus difficile. Dans son article, Pierson retient ainsi la définition suivante : la dépendance au sentier est un processus social qui présente des rendements croissants, ou processus autorenforçant. Ce concept nous paraît particulièrement approprié pour caractériser le développement urbain, dans la mesure où les choix passés ont clairement une incidence sur ceux qui suivront. Le développement urbain mobilise des structures lourdes (voirie, réseaux, équipements publics, transports…) qui impactent nécessairement l’aménagement des territoires alentours. Privilégier telle ou telle infrastructure de transport a un impact significatif sur la structuration du réseau et le développement des quartiers proches. Ceci explique pourquoi le choix d’un mode de développement urbain a un impact majeur dans le temps : « Sur un territoire comme Toulouse, les transports en commun ne sont pas encore assez développés pour estimer que la voiture n’a plus sa place. Ce serait une ineptie, ce serait condamner des gens à faire 4h de transports en commun par jour, ce n’est pas rationnel. »227. Pierson énonce quatre aspects de la politique qui la rendent particulièrement dépendante au sentier emprunté : la prévalence de l’action collective, la densité institutionnelle de la politique, la possibilité d’utiliser l’autorité politique pour augmenter les asymétries de pouvoir, la complexité et l’opacité inhérente à l’action politique ; et deux obstacles : la logique de court terme des acteurs politiques et la préférence pour le statu quo des institutions. Certains de ces aspects caractérisent en effet les politiques publiques de développement urbain. Elles n’échappent pas à la logique des cycles électoraux : les élus préfèrent prendre une décision ayant des effets positifs immédiats et ont moins de considération pour le long terme. Une fois engagés dans une voie, il leur est de plus en plus difficile de changer de voie en raison de la path dependence, d’autant plus qu’ils n’en connaîtraient que les coûts et que les bénéfices profiteraient à d’autres, plus loin dans le temps. Ainsi, quel serait l’intérêt d’un élu d’engager une vaste politique de développement urbain durable, sachant que celle-ci aura un coût initial élevé, aussi bien financier qu’en termes d’apprentissage de nouveaux savoirs et méthodes, et que les bénéfices n’apparaîtront 227 Cadre de la SEM Oppidea, Entretien, 11/12/2012. 74 qu’à très long terme ? L’incertitude est grande en politique : les bénéfices risqueraient de profiter au camp rival. Ainsi, l’incertitude qui entoure l’issue des municipales de 2014 à Toulouse dissuade l’équipe en place de réformer en profondeur les modes de production de l’urbain. La mairie qui a basculé à gauche en 2008 pourrait tout aussi bien être reconquise par la droite. De plus, le développement durable est particulièrement sujet à résistances, dans la mesure où la problématique initiale – le changement climatique – est globale : l’effort doit être collectif, ou les résultats ne suivront pas. L’immobilisme des uns peut ainsi dissuader les autres de faire des efforts, puisqu’ils n’en tireront finalement aucun bénéfice. Quel est l’intérêt des uns à s’engager si les autres se comportent comme des passagers clandestins ? L’action en matière d’aménagement comme de développement durable dépend d’une pluralité d’acteurs : basculer vers l’urbanisme durable implique une mobilisation d’ampleur, des acteurs politiques mais aussi des professionnels du secteur et des secteurs proches, des citoyens, etc. L’action collective est longue à mettre en place, car elle nécessite de la sensibilisation, des apprentissages et de la mobilisation. Or, en l’absence de lien direct entre efforts et effets, rien n’encourage les acteurs à modifier leurs pratiques, d’où une certaine lenteur dans l’inflexion des trajectoires de développement urbain comme des comportements quotidiens. Ce phénomène est accentué par le fait que le changement climatique, l’épuisement des ressources ou les effets de la pollution sur la santé apparaissent comme des horizons lointains, dont les effets ne se ressentiront que dans plusieurs dizaines d’années. Le résultat de politiques publiques de développement urbain durable ne sera visible qu’à long terme, ce qui n’encourage nullement leur mise en place. Ces obstacles que nous venons de mettre en lumière ont une incidence sur la conduite du changement : en dépit de la très large communication faite sur les écoquartiers et le Plan Climat, on constate que le développement urbain de Toulouse métropole n’est encore que superficiellement impacté par ces réalisations. 4) Un territoire qui intègre progressivement le développement durable Il serait faux de croire que seules des intentions louables motivent le lancement de projets d’écoquartiers : notre revue de la littérature scientifique en première partie exclut d’ailleurs toute naïveté à ce sujet. L’écoquartier, en dépit de ses apports, a avant tout une fonction 75 d’affichage : il a notamment conféré une reconnaissance aux élus et une image moderne au Grand Toulouse, jeune communauté d’agglomération. Andromède devait être emblématique afin de conférer une légitimité à ce nouvel échelon décisionnel intercommunal228. L’existence de ces motivations nous amène à nous interroger sur les limites du projet urbain métropolitain. a) Les écoquartiers sont-ils aussi vertueux qu’ils le prétendent ? Quelques critiques adressées à Andromède Pierre Samson de Friture Mag qualifie Andromède de « corons verts », dénonçant l’influence d’Airbus sur le développement du quartier et la colonisation de celui-ci par des couples d’ingénieurs. Il n’y voit qu’une succession de bâtiments BBC (devenus la norme avec la RT 2012) au détriment de l’audace : seul un îlot expérimente les panneaux solaires, les autres n’amenant que très peu d’innovation à Toulouse métropole229. Le succès d’Andromède est en effet plus mitigé que ne le laissent penser les acteurs que nous avons rencontrés. Nos entretiens nous ont amené à rencontrer presque exclusivement des personnalités optimistes et pro-écoquartiers : cet effet d’échantillon est à garder à l’esprit car il constitue l’une des limites de notre travail. Des informations contradictoires circulent pourtant sur Andromède : si en toute logique la collectivité et ses partenaires vantent les mérites et l’exemplarité du quartier, des difficultés de commercialisation de bureaux ou de grands logements ont été rapportées à plusieurs reprises en 2009-2010, notamment par La Dépêche230. Ces problèmes semblent toutefois s’être résolus d’eux-mêmes avec l’amélioration de la conjoncture, comme en témoignent les bilans 2011 et 2012 de l’Observatoire toulousain de l’immobilier d’entreprise231. 228 FERGUSON Yann, « Les conditions de gouvernabilité du développement urbain durable ». op. cit., p.351 Voir : http://www.frituremag.info/Les-chroniques/Portfolio/Andromede-les-corons-verts.html 230 Voir : http://www.ladepeche.fr/article/2011/01/28/1025261-otie-immobilier-d-entreprise-une-anneecontrastee.html http://www.ladepeche.fr/article/2009/12/04/746847-bureaux-offre-excedentaire-dans-l-ouest-toulousain.html, http://www.ladepeche.fr/article/2009/09/15/672544-andromede-le-succes-des-petits-logements.html 231 Voir les bilans 2011 et 2012 publiés sur le site de l’AUAT, respectivement intitulés « À Toulouse, le marché d’immobilier d’entreprise conforte son dynamisme » et « Le marché toulousain d’immobilier d’entreprise toujours performant » : http://lib.auat-toulouse.org/spip/IMG/pdf/4p-otie_bilan11.pdf et http://www.auatoulouse.org/IMG/pdf/4p-otie_bilan2012-2.pdf 229 76 Dans son mémoire sur la ville durable, Fanny Ribes232 rapportait les critiques de plusieurs architectes toulousains : outre ces problèmes de commercialisation, ils déploraient que les constructions à Andromède ne soient pas tellement écologiques, et surtout, qu’en dehors d’un quota minimum de 20 % de logements sociaux, la dimension sociale de l’écoquartier ait été évacuée (faible concertation, résidences fermées…) Ils dénonçaient aussi la faible densité des constructions à Andromède, une architecture basique et une mauvaise intégration du quartier dans le tissu urbain. Cette dernière critique est à mettre en parallèle avec des propos que nous avons pu recueillir, plus nuancés : « Pour l’instant c’est compliqué de savoir, dans ce quartier ce n’est pas fini, il manque les commerces, les espaces verts sont magnifiques mais pas encore entourés de bâtiments comme prévu… Les gens pour l’instant ont un peu l’impression d’être dans un no man’s land. Pour l’instant il y a un grand espace vert et au bout le tramway qui passe tout seul. C’est vrai qu’il y a une impression de vide, en plus les arbres n’ont pas encore poussé. »233 Globalement, la virulence des critiques restituées par Fanny Ribes dans son mémoire n’ont d’égal que les louanges que nous avons pu recueillir au cours de notre travail. Il semblerait donc que les écoquartiers divisent fortement, autant chez les acteurs de terrain que chez les chercheurs en sciences sociales. D’une part, nous trouvons les pro-écoquartiers, généralement optimistes, qui travaillent souvent sur ces projets et sont conscients de leurs limites, mais disposés à les occulter pour en tirer le meilleur pour la ville durable. D’autre part, les anti-écoquartiers s’opposent frontalement à ces projets, craignant par-dessus tout qu’ils permettent aux acteurs politiques de se décharger de responsabilités essentielles par un effet de diversion. Les écoquartiers, en dépit d’apports certains, ne sont de toute évidence pas des réalisations parfaites ni même exemplaires. b) Des phénomènes de résistance au changement Les réalisations que l’on peut observer à Toulouse métropole ont certainement contribué à faire évoluer l’approche de l’urbanisme, mais ce mouvement n’est pas encore généralisé. Certaines réticences à modifier des pratiques ancrées depuis longtemps peuvent être observées. Intégrer de nouveaux outils ne pose pas de difficultés majeures aux professionnels, mais changer d’approche globale s’avère être un exercice bien plus difficile : 232 RIBES Fanny, La notion de « ville durable » appliquée à l’agglomération toulousaine : une réalité ?, mémoire de recherche sous la direction de J. Weisbein, Institut d’Études Politiques de Toulouse, 2011, p.96. 233 Consultante en développement durable, entretien, 05/12/2012. 77 « Certains collègues ont modifié leurs pratiques avec le développement durable, mais c’est une addition de principe, par exemple de dispositifs comme la HQE. Ce sont des ajouts mais ça ne fait pas un tout. On a l’impression qu’on additionne des contraintes, sans faire plus simple, ou plus économe, sans prendre en compte tous les problèmes dans un même dispositif. Certains collègues ont du mal à changer de démarche et de manière d’aménager. »234 La remise en question demande un changement radical, qui rencontre beaucoup d’obstacles car il implique d’abandonner tous les avantages acquis dans une autre voie, (savoirs, savoir-faire, relations, agencements institutionnels, infrastructures…). Ceci est d’autant plus difficile que l’urbanisme durable n’a été initié ni par les professionnels du secteur ni par les élus. Adopter une démarche d’urbanisme durable induit un long et fastidieux processus d’apprentissage : certains acteurs peuvent juger préférable de modifier leurs pratiques à la marge, en additionnant de nouveaux savoirs et savoir-faire à ceux qu’ils détiennent déjà, dans une logique incrémentale et non de remise en cause de leurs pratiques. Ce choix apparaît comme rationnel, compte-tenu de la path dependence. Selon Ferguson, les méthodes introduites par les experts missionnés sur Andromède ont permis de redéfinir le rôle des services techniques des collectivités, pour qui l’approche transversale du développement durable était nouvelle. Ces méthodes ont pu être contestées par les différents services municipaux, qui les percevaient comme contraire à leur logique de fonctionnement : « La production se réalise traditionnellement selon une logique d’accumulation d’actes des différents services, soumis aux routines gestionnaires. (…) Ce pilotage par la juxtaposition stigmatise des services soucieux de rendre visible leur action dans un rapport d’activité qui justifie leurs attributions. Cela les amène à freiner les dispositifs de coopération inter service qui diluerait leur participation et surtout à limiter l’émergence de chefs de projet. »235 La complexité de l’écoquartier, demandant une approche transversale, a bousculé les pratiques toulousaines « …marquées par une tradition de régie directe par le biais des services techniques en constante inflation. »236, qui privilégiaient donc des approches sectorielles et centralisées par la collectivité. L’exemple des remaniements d’organigramme montre aussi les difficultés des collectivités à intégrer le fonctionnement en transversalité. La Direction Développement durable et Écologie Urbaine (qui comprend notamment les services Pilotage du Plan Climat et 234 Urbaniste, entretien, 11/04/2013. FERGUSON Yann, « Les conditions de gouvernabilité du développement urbain durable ». op. cit., p.355 236 FERGUSON Yann, Ibid., p.354. 235 78 Appui à la ville durable) de Toulouse métropole est rattachée à la Direction Générale Adjointe Développement Urbain et Durable. Elle n’est donc pas directement placée sous la Direction Générale des Services, ce qui lui conférerait davantage de légitimité et de marge de manœuvre pour agir en transversalité. Ce maintien dans une configuration classique et sectorielle témoigne de la difficulté pour les collectivités de remettre en cause leurs modes de fonctionnement ordinaires. Il faut toutefois reconnaître la difficulté de réorganiser un organigramme en fonction du développement durable, celui-ci pouvant être intégré dans un grand nombre de secteurs traditionnels : « La difficulté à saisir le développement durable urbain par une seule entrée s’exprime clairement et par conséquent celle à mesurer sa diffusion et son objectivation dans les appareils administratifs : des approches sectorielles demeurent, voire sont volontairement posées (…). »237. Ainsi, l’habitude d’une réflexion préalable globale et transversale, et l’urbanisme de projet sont en cours d’ancrage. Les préceptes de l’urbanisme durable sont effectivement appliqués sur le territoire, mais de manière sporadique, de sorte à ce que les effets soient parfois contre-productifs : « On ne travaille pas assez le projet urbain, on met en pâture un foncier souvent de maisons individuelles où on va balancer des immeubles collectifs. La réflexion n’est pas assez préalable d’où des violences assez fortes faites à certains quartiers, auxquels on impose trop de densification. Je pense à La Salade, ou autour de Borderouge, etc. Donc on ne se donne pas suffisamment les moyens d’une réflexion urbaine avant de livrer les quartiers aux promoteurs. On les accuse de tous les maux, mais le laissez-faire, c’est politique. Le règlement PLU ne règle pas tout, ce n’est qu’une addition de règles, il n’y a pas de projet urbain. (…) Le PADD est trop vague.»238 Interrogé sur les principaux freins à l’avènement d’une ville durable, cet urbaniste mentionne : « la non-réflexion à l’échelle des quartiers, le manque de moyens fournis à des professionnels inventifs et la maitrise foncière qui n’a pas été faite. » (Idem). D’autres acteurs de Toulouse au contraire portent une vision plus optimiste des changements à l’œuvre dans les pratiques d’urbanisme : « Je trouve que depuis plusieurs années il y a beaucoup de pratiques qui se développent dans le bon sens : notamment ne pas hésiter faire des études en amont, de prendre le temps, de faire appel à des professionnels, pour aller vraiment au fond des choses. »239 237 HAMMAN Philippe, Sociologie urbaine et développement durable, op. cit., p.74 Urbaniste, Entretien, 11/04/2013. 239 Consultante, Entretien, 05/12/2012. 238 79 Nos entretiens n’ont probablement pas été assez nombreux pour permettre de recueillir des avis très diversifiés, qui refléteraient fidèlement les réalisations sur le territoire de Toulouse métropole ainsi que les marges de progrès pour un développement urbain durable. Notre échantillon nous permettra seulement de constater que certains changements sont à l’œuvre, sans qu’ils infléchissent véritablement le développement urbain pour l’instant. C’est ce que l’on peut constater en s’intéressant au renouvellement urbain sur le territoire. c) Le renouvellement urbain, un levier d’action progressivement investi par le développement durable Certains projets de rénovation urbaine font l’objet d’effets d’annonce. Ainsi, le quartier Les Izards-Trois Cocus, affiché comme un écoquartier, n’est finalement qu’une opération de renouvellement urbain classique de l’aveu-même des agents en interne : « …les Izards sont loin d’être un écoquartier, ça reste une opération de renouvellement urbain. C’est une opération durable d’aménagement qui tient compte de ces éléments-là, certes, mais ce n’est pas non plus le rôle du chef de projet des Izards de le porter comme tel. »240 Nous avons pu noter dans la première partie à quel point un renouvellement urbain durable participerait d’une réduction des inégalités sociales et écologiques, en pleine explosion. Or, Toulouse (à l’instar de la plupart des autres villes françaises) a accumulé un certain retard dans la production de logements sociaux : elle a fourni et continue de fournir un effort important afin de rattraper ce retard. « Aujourd’hui pour rattraper ce retard, la collectivité qui a la compétence pour imposer des chiffres à l’échelle de toutes les opérations a mis les bouchées doubles, c’est pourquoi on arrive à des seuils de 30 % dans certains quartiers. Je pense que l’ambition est clairement là, elle est farouchement affichée, il y a tout un tas de mesures pour contrôler et vérifier le respect des objectifs imposés à l’échelle du territoire. À mon sens, à l’échelle de la ville, c’est récent, là aussi ça date de 2008. En quatre ans on ne fait pas la révolution sur un territoire. Je pense que l’inflexion est clairement donnée et que l’ambition est réelle. »241 L’accent qui a été mis sur la construction de logements sociaux et notamment les seuils élevés qui ont été fixés dans les écoquartiers (35 % d’habitat social à la Cartoucherie) ont offert à des populations moins favorisées la possibilité d’accéder à un logement de qualité, notamment sur le plan environnemental. 240 241 Agent de la CUTM, entretien, 30/07/2013. Cadre de la SEM Oppidea, entretien, 11/12/2012. 80 Si la thématique des inégalités environnementales n’est pas mentionnée en ces termes, ni dans le RAUD ni dans le Plan Climat, ces enjeux sont par exemple abordés à travers la recherche d’une mixité sociale dans les opérations d’aménagement urbain durable (cible 8 du RAUD) ou dans la lutte contre la précarité énergétique chez les personnes les plus modestes (cible 3 du Plan Climat), dans le privé ou dans les opérations menées par la collectivité. De plus, Toulouse métropole conduit plusieurs projets de rénovation urbaine, conformément aux orientations inscrites dans son PLH (renouvellement urbain dans l’habitat social / dans les quartiers anciens). On constatera que les enjeux ne sont pas les mêmes d’un lieu à l’autre : le centre historique est un espace stratégique pour le renouvellement urbain, de par son rôle de vitrine touristique et économique, tandis que dans les espaces périphériques, la priorité est de désenclaver des quartiers rassemblant souvent les populations défavorisées242. Ainsi, un plan de rénovation du centre-ville de Toulouse a été engagé : les espaces publics y seront réaménagés afin de conférer une plus grande attractivité au centre-ville. Mise en valeur du patrimoine, de la Garonne et des canaux, réduction des conflits d’usage sur les voies de circulation et diminution de la place de la voiture, cohérence et lisibilité du centre, renforcement de la présence de végétaux, amélioration de la performance énergétique de l’éclairage public… sont autant d’objectifs poursuivis dans le cadre de cette opération. Le Grand Projet de Ville (GPV) constitue un autre volet de la rénovation urbaine à Toulouse, et concerne les quartiers de grands ensembles que sont La Reynerie, Bellefontaine, Empalot et Bagatelle – La Faourette – Papus – Tabar – Bordelongue. Le GPV vise à désenclaver ces quartiers par plusieurs interventions : ouverture sur les quartiers environnants, amélioration de la lisibilité des voies de circulation, réhabilitation et rénovation afin de proposer des logements adaptés aux habitants comme aux nouveaux arrivants, réinstauration de mixité sociale et fonctionnelle dans les quartiers, amélioration des espaces publics, aménagements piétons et paysagers… Ces mesures visent à enrayer le déclassement de ces quartiers et à améliorer la qualité de vie de leurs habitants, afin qu’à terme ils se réinscrivent dans la dynamique de développement de Toulouse métropole. À échelle nationale, les conventions ANRU qui fixent un cadre à ces opérations de rénovation urbaine ont fait l’objet de critiques nombreuses : lacunes en matière de diagnostic des territoires, manque de stratégie à long 242 DIND Jean-Philippe, THOMANN Marianne, BONARD Yves, « Structures de la ville, quartiers durables et projet urbain : quelles articulations ? » op. cit., p.73-74. 81 terme, absence de concertation avec les habitants243… Certaines critiques s’expriment aussi sur le territoire : « Quand on intervient dans un quartier existant il faut travailler avec les habitants et non pas contre eux. Il ne faut pas les prendre pour des idiots. »244. Le GPV a le mérite de proposer des interventions pour résorber la ségrégation sociospatiale dans la ville, qui constituent des améliorations au regard de la situation initiale, y compris sur le plan environnemental. Toutefois, on remarquera que les objectifs prioritaires sont surtout sociaux, même si des objectifs écologiques sont sous-jacents ou progressivement intégrés. Dans la logique du GPV, il s’agit plus de redonner aux quartiers déclassés une attractivité résidentielle, que de les intégrer dans un projet de développement durable. Toutefois, ces logiques changent grâce aux actions programmées dans le Plan Climat et devraient également être impactées par la parution du RAUD (s’il venait à paraître, nous y reviendrons). Ainsi, la rénovation urbaine à Toulouse se fait avant tout dans l’objectif de conférer plus d’attractivité au centre-ville ou de déstigmatiser des quartiers, même si des préoccupations écologiques apparaissent. Le renouvellement urbain durable, qui constitue comme nous l’avons montré en première partie un enjeu majeur de la ville durable, s’affirme progressivement : la diffusion des savoirs capitalisés dans le RAUD aux opérations de renouvellement urbain revêt donc une importance particulière. Elle permettra d’inscrire ces opérations dans un objectif de développement durable en renouvelant les méthodes et les outils de la rénovation urbaine, l’important étant de traiter et de hiérarchiser toutes les questions, qu’elles soient sociales, économiques, environnementales… Toutefois, la parution du RAUD est compromise, ce qui nous rappelle combien le portage politique du développement urbain durable est essentiel pour conduire un changement global. 243 CHARLOT-VALDIEU Catherine et OUTREQUIN Philippe, L’urbanisme durable. Concevoir un écoquartier. op. cit., p.62-63. 244 Urbaniste, entretien, 11/04/2013. 82 II – La volonté politique, condition sine qua none du développement urbain durable La ville durable n’est pas épargnée par les contradictions et les obstacles, comme nous avons pu le noter tout au long de ce travail. Si des réalisations sont observables dans le tissu urbain de Toulouse métropole, les ambitions sont plus limitées dans le projet global. Les élus semblent conscients de ce qu’il y a à faire, mais leur marge de manœuvre est réduite dans une agglomération en croissance constante et dont l’organisation spatiale héritée du passé cause de sérieux problèmes aujourd'hui. Le premier constat qui s’impose, et qui déborde par ailleurs largement les problématiques spécifiques au territoire toulousain, est l’existence d’un contexte de crise, à la fois politique, économique, sociale, écologique et climatique. 1) Un contexte de crise économique et politique La dimension économique constitue le premier frein à la concrétisation d’ambitions relatives au développement durable : « Maintenant on passe dans la mise en œuvre et ça devient plus compliqué. On s’aperçoit que la situation politique, économique ne nous est pas favorable. L’austérité budgétaire est un souci pour mettre en œuvre des actions du PCET à la hauteur des ambitions initiales. »245. En effet, les obstacles s’additionnent : les collectivités agissent sous de fortes contraintes budgétaires (les dotations de l’Etat comme les recettes locales allant en s’amenuisant) et les professionnels s’inquiètent de la rentabilité de leurs projets. Les promoteurs doivent en effet composer avec une triple injonction : « …produire de grands logements, performant sur le plan écologique et à un faible coût de sortie. » 246 . Comme l’explique Ferguson, ces objectifs sont difficiles à satisfaire dans un contexte financier aussi problématique, ce qui contribue à faire de la définition du développement urbain durable une définition totalement contingente, à toutes les étapes du projet (élaboration, réalisation, usage), selon les configurations et les rapports de force. Ainsi, à Andromède, les difficultés économiques ont fait revoir certaines ambitions à la baisse. La crise économique a partir de 2008 a entraîné une renégociation du projet par les promoteurs, 245 246 Agent de la CUTM, entretien, 29/11/2012 FERGUSON Yann, « Les conditions de gouvernabilité du développement urbain durable ». op. cit., p.359. 83 qui a abouti à la disparition des toitures végétalisées, des parkings souterrains et des appartements de grande taille destinés aux familles. Les maîtres d’ouvrages sont obligés d’assouplir les contraintes initiales car les promoteurs menacent de se retirer247 : « On sent que la crise a peut-être un peu mis le couvercle sur l’ambition environnementale. Ça devient très compliqué de vendre : est-ce qu’il ne faudrait pas revoir la copie et être un peu plus souple sur certains aspects ? (…) J’ai le sentiment qu’en pluie ça a permis à un peu tout le monde de ralentir ou d’arrêter. »248 Les collectivités manquent-elles aujourd'hui d’ambition dans la mise en œuvre de leurs objectifs de durabilité ? Elles disposent en effet d’outils incitatifs mais aussi contraignants, notamment « les partenariats public/privé, la réorientation de la fiscalité et l’écoconditionnalité »249. La difficulté pour tous les acteurs reste de passer d’une logique de court terme à un raisonnement en coût global, les surcoûts générés par la qualité environnementale étant compensés par des économies significatives à long terme. De plus, la valeur créée par ces investissements ne se mesure pas uniquement de manière monétaire : elle peut également être sociale ou écologique250. Politiquement, on constate en France l’essoufflement de la dynamique lancée par le Grenelle de l’Environnement. L’après-2008 s’était en effet caractérisé par la parution de textes de lois, d’appels à projets, la multiplication des initiatives locales durables… Les services de Toulouse métropole ressentent aujourd'hui un ralentissement de cet élan, malgré la parution de la grille de référence EcoQuartiers à la fin de l’année 2012. Plus globalement, la crise mondiale à l’œuvre ne semble pas mener à une remise en cause d’un modèle économique fondé sur une croissance infinie dans un monde fini, ni constituer une opportunité pour une transition écologique et économique volontariste. La crise accapare ainsi la quasi-totalité de l’action politique, soucieuse d’économies budgétaires et de croissance, laissant peu de place à des réformes d’ampleur pourtant nécessaires à un développement durable de nos sociétés. Les cadres réglementaires, politiques et fiscaux 247 FERGUSON Yann, Ibid. Cadre de la SEM Oppidea, entretien, 11/12/2012. 249 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », op. cit., p.57. 250 PUCA, « Concevoir un éco-quartier », Premier Plan, n°16, janvier-juin 2008. 248 84 restent inadaptés pour la mise en œuvre du développement durable, comme en témoigne la poursuite de l’étalement urbain, encouragée par de nombreux dispositifs251. Cette double contrainte politique et économique/budgétaire n’encourage pas des élus locaux à s’inscrire dans une action à contre-courant, d’autant plus que les logiques électorales les incitent fortement à envisager leurs actions à court terme. 2) Des logiques électorales qui demeurent prégnantes Bernié-Boissard et Chevalier, dans une étude des agglomérations de Nîmes et Montpellier, démontrent que même si les réunions de préparation des SCoT ou des PADD constituent des lieux d’apprentissage et de prise de conscience pour les élus, la logique électorale reste souvent plus influente. Par exemple, si tout le monde s’accorde sur les besoins en logements sociaux, beaucoup d’élus préfèrent malgré tout respecter la défense de l’entresoi dans les beaux quartiers, afin de satisfaire aux attentes de leur électorat252. À Athènes, un très grand attachement à la voiture individuelle et une faible conscience écologique ont dissuadé les dirigeants d’instaurer une véritable politique de développement durable, et les mesures visant à une ville plus durable ne constituent que des ajustements à la marge253. « …les élus auraient fléchi sous la complexité croissante de la production urbaine et hésiteraient à prendre des décisions responsables mais impopulaires (densifier, pénaliser l’usage de la voiture, piétonniser les centres, etc.) »254. En effet, l’objectif principal des élus en exercice est d’être réélus : leur référence est l’élection qui vient limiter le mandat et le renouveler, ce qui constitue « un principe d’incertitude démocratique »255. L’homme politique inscrit donc son action dans le temps du 251 EMELIANOFF Cyria, « La ville durable : l'hypothèse d'un tournant urbanistique en Europe », op. cit., p.57. BERNIÉ-BOISSARD Catherine et CHEVALIER Dominique, « Développement durable : discours consensuels et pratiques discordantes. Montpellier et Nîmes. » op. cit., p.50. 253 POMONTI Vannina, « Politiques urbaines et mobilité durable : analyse comparée d’Athènes et Amsterdam », Écologie et politique, 2004/2, n°29. 254 FERGUSON Yann, « Les conditions de gouvernabilité du développement urbain durable ». op. cit., p.345. 255 MARREL Guillaume, PAYRE Renaud. « Temporalités électorales et temporalités décisionnelles. Du rapport au temps des élus à une sociologie des leaderships spatio-temporels. » Pôle Sud, 2006, N°25, p.80. 252 85 mandat, en tension entre le temps de l’acteur public (réalisation du programme, priorisation des enjeux à l’agenda, planification et efficacité) et celui de l’entrepreneur politique (lutte contre l’incertitude). Ainsi, « le rapport au temps des élus est avant tout un rapport d'insécurité »256. L’agenda décisionnel et le calendrier électoral s’opposent en permanence : « L'une des principales dimensions du métier d'élu, c'est donc bien cette articulation des contraintes et des opportunités temporelles électives et décisionnelles au profit d'une stabilité personnelle. »257. Le désir de sécuriser leur situation en se faisant réélire pousse donc les élus à agir de telle ou telle manière, souvent dans une logique de court terme, puisque le temps du mandat est un temps court. Le mandat électoral rythme l’action : la première année est généralement consacrée à la réflexion et à l’élaboration de projets et la dernière année, à préparer le terrain pour une éventuelle réélection. La réglementation stricte qui encadre la communication en période pré-électorale et électorale dissuade les élus d’engager des actions qui ne s’inscriraient pas dans leur activité « normale » et pourrait être perçue comme de la publicité abusive à des fins électoralistes258. Dès lors, il ne reste plus beaucoup de « fenêtres d’opportunités » pour des projets d’envergure. Ainsi, la contradiction majeure de la ville durable se situe au niveau de l’articulation d’un projet global et de long terme avec le temps d’un mandat électoral. La brièveté du mandat n’incite pas à un élu à prendre le risque d’engager un programme ambitieux, dont ses électeurs ne verraient pas les bénéfices directs, mais en supporteraient les coûts259, ce qui relève aussi d’une dépendance au sentier. Un problème récurrent se pose en effet dans tout projet qui se veut durable : le décalage dans le temps entre l’investissement et les bénéfices260. La difficile intégration du long terme renvoie aussi au problème économique de l’actualisation261, qui se heurte à la « préférence pour le présent » des individus. Directement dépendants des agendas politiques, les échéanciers des administrations, compressés et pressurisés, ne sont pas toujours compatibles avec une approche durable de l’urbanisme. Celle-ci requiert de prendre le temps nécessaire à la qualité des projets : or, les 256 MARREL Guillaume, PAYRE Renaud, Ibid., p.82. MARREL Guillaume, PAYRE Renaud, Ibid., p.83. 258 En effet, le Code électoral interdit toute aide des collectivités territoriales à la campagne d’un candidat, un an avant le mois des élections. La communication des collectivités est donc extrêmement restreinte depuis mars 2013. Pour plus d’informations, voir : http://www.courrierdesmaires.fr/8755/ 259 THEYS Jacques et EMELIANOFF Cyria, « Les contradictions de la ville durable », op. cit., p.133. 260 DIND Jean-Philippe, THOMANN Marianne, BONARD Yves, « Structures de la ville, quartiers durables et projet urbain : quelles articulations ? » op. cit., p.70. 261 HAMMAN Philippe, Sociologie urbaine et développement durable, op. cit. 257 86 services de Toulouse métropole ressentent et déplorent ces contraintes temporelles qui les empêchent parfois de pousser la réflexion aussi loin qu’ils le souhaiteraient. Cette inadéquation entre le temps électoral et le temps du territoire a poussé les élus de Toulouse métropole à instaurer une instance de discussion avec les chefs d’entreprises toulousains afin de bénéficier de leur point de vue et d’harmoniser les décisions : « …les élus ont devant eux un mandat, deux mandats dans le meilleur des cas, ça fait une décennie maximum. Alors que quand Airbus implante son siège à Blagnac comme il est en train de le faire, il l’implante pour le demi-siècle. Quand EDF refait des réseaux, c’est au moins pour 25 ans. On n’a pas le même rapport au temps. Donc on a un espace de dialogue pour que tout se cale entre les contraintes des élus, les visions du territoire, les contraintes de l’entreprise et puis les visions que ces entreprises portent sur le territoire.»262 Ce contexte ne facilite pas le portage politique du développement durable. Les incitations et les contraintes instaurées ces dernières années ont certes majoritairement contribué à la mise en place de projets et d’actions par les collectivités. Pour autant, ceux-ci n’auraient pu se réaliser sans un certain portage politique, même si celui-ci fait parfois défaut à des moments inattendus, comme l’ont appris à leurs dépens les services de Toulouse métropole. 3) Un déficit de portage politique ? Si le développement urbain durable se diffuse initialement à partir de savoirs techniques, c’est le politique qui permet sa mise en œuvre. Seuls les élus ont le pouvoir de porter le développement durable à l’agenda politique263. Ce couple volonté politique et savoir-faire des services techniques constitue ainsi le cœur des politiques publiques. En effet, le développement durable nécessite des arbitrages permanents, entre trois dimensions dont la conciliation est un équilibre fragile. Prendre telle ou telle direction et l’assumer est un acte éminemment politique : « Il est évident qu’aménager un quartier c’est très politique : est-ce qu’on veut que ce soit un écoquartier ou non, est-ce qu’il y aura 25 ou 30 % de logements sociaux ? Tout ça n’est pas neutre, c’est 262 Chef d’entreprise, entretien, 27/03/2013. HAMMAN Philippe, « La "ville durable", de l'incantation à la profession ? », Natures Sciences Sociétés, 2011/4, Vol. 19, p.335. 263 87 pour cela que l’opérateur que nous sommes se doit d’écouter, de respecter et de mettre en œuvre les consignes et objectifs politiques de la collectivité. »264. Aussi de véritables avancées peuvent être constatées lorsque la collectivité se positionne et se donne des moyens, comme elle a pu le faire sur le quartier Andromède. Les terrains n’y sont pas vendus tant que le projet présenté par les promoteurs ne correspond pas aux attentes de la collectivité et de l’aménageur. Les promoteurs sont ainsi obligés de retravailler leur projet, sinon le terrain peut être vendu à un autre. Cette mise en concurrence, témoignant d’un certain volontarisme de la part de la collectivité, a poussé les prétendants à donner le meilleur d’eux-mêmes : « Il faut du courage pour le faire, parce que les promoteurs ont du pouvoir. N’empêche que le mot est passé et qu’on ne fait pas n’importe quoi. »265. Des concours ont permis de mettre en concurrence trois équipes (composées chacune d’un promoteur, d’un bailleur, d’un architecte) sur chaque îlot. Seul le meilleur projet était sélectionné, ce qui a encouragé les équipes à proposer des projets de qualité au meilleur prix possible, sans que la collectivité n’ait besoin d’imposer quoi que ce soit d’autre que des exigences minimales. Mais des exemples contraires viennent relativiser la success story des écoquartiers toulousains. Les déboires récents du RAUD ont tôt fait de rappeler aux services de Toulouse métropole l’importance d’un portage politique en interne, condition sine qua none de l’aboutissement de leurs projets. Malgré sa genèse (une commande politique), son inscription dans le PCET qui est par ailleurs une démarche totalement portée, et le travail en transversalité important fourni par les services pour son élaboration, la publication du RAUD est aujourd'hui en suspens. Des contraintes budgétaires et calendaires ont amené les élus à reporter sa parution à une date ultérieure, celui-ci ne pouvant sortir à six mois des élections. « Jusqu’à présent on a été plus ou moins soutenus, mais maintenant on n’en entend plus parler. On connaît la raison, mais on pensait faire sortir le RAUD en décembre 2012 (…). Les services en interne étaient de plus en plus motivés de travailler avec nous, c’était de plus en plus intéressant. (…) Et puis en janvier-février on nous a demandé "prouvez-moi concrètement qu’en appliquant le RAUD l’opération d’aménagement ne coûtera pas plus cher". »266 C’est ainsi que la parution du RAUD s’est trouvée conditionnée à un test préalable, destiné à prouver que le développement urbain durable n’est pas plus onéreux que les pratiques habituelles. Par la suite, la campagne électorale est venue ajouter des contraintes 264 Cadre de la SEM Oppidea, entretien, 11/12/2012. AMO développement durable d’Andromède, entretien, 05/12/2012 266 Agent de la CUTM, entretien, 30/07/2013. 265 88 d’ordre communicationnelles, qui auraient empêché de valoriser le RAUD auprès des acteurs du territoire et donc limité son impact. « Disons qu’on est sûrement bloqués par une campagne électorale pour les municipales. On ne fait plus aucune communication sur des opérations d’aménagement et sur le RAUD n’en parlons pas. Il ne se passera rien au moins jusqu’en mars de l’année prochaine voire mai ou juin, puis il y a les vacances donc le démarrage se fera à mon avis à partir de septembre. Ce n’est pas un blocage, c’est vraiment une grande pause à cause d’une période électorale. »267. On devine alors que l’avenir du référentiel est entre les mains de la future équipe municipale, qui pourrait très bien être issue de l’opposition actuelle et/ou abandonner le projet. Les modifications actuelles pour mésententes de l’organigramme de la CUTM (éclatement de la direction développement durable écologie urbaine, rattachement du Plan Climat au GPV et de l’écologie urbaine à la direction de l’environnement) inquiète les services quant à l’avenir du RAUD et plus généralement la mise en œuvre du développement durable sur le territoire. À l’inverse, l’écoquartier de la Salade, qui faisait partie du programme électoral de Pierre Cohen, bénéficie de nombreuses réunions et ne connaît pas la crise. Cet exemple nous montre combien le portage politique des projets est une condition essentielle à leur aboutissement et à leur ambition. « Disons qu’on parle en termes de ville durable mais si on n’a pas l’argent on ne pourra rien, tout est bloqué… Tout dépend du portage qui est fait c'est-à-dire que si les élus le portent… J’avais participé à une réunion pour le portage de la Salade, il y avait un élu qui était présent et qui nous a dit clairement que s’il y avait besoin d’argent on mettrait plus de moyens, pour des raisons d’étiquette. Au moins c’était clair. S’il y a un portage politique et du coup financier ça se fera, et ça se fera même très bien. Le point positif découle de ces points négatifs : la ville durable se fait quand il y a portage. »268 Entre héritages des politiques passées, persistance des habitudes, difficultés contextuelles et logiques politiques, les principes de l’urbanisme durable principalement développés dans les écoquartiers et capitalisés dans le RAUD rencontrent de nombreux obstacles à leur diffusion malgré un virage évident – et pas seulement discursif – de l’action publique et des pratiques professionnelles dans l’agglomération. La complexité inhérente au développement durable et au fonctionnement des villes reste encore aujourd'hui difficile à appréhender. 267 268 Idem. Idem. 89 CONCLUSION La production d’écoquartiers à Toulouse métropole a suscité des effets d’apprentissage et d’entraînement pour une incorporation du développement durable dans les pratiques d’urbanisme. Forts de nouveaux savoirs et savoir-faire acquis au contact de ces projets, les services de Toulouse métropole ont élaboré un outil de capitalisation et de diffusion de ces connaissances au reste de la ville. Fruit d’une prise de recul sur les limites mises en évidence par les écoquartiers, le RAUD devra s’adapter au territoire et s’améliorer de manière continue par le biais d’évaluations successives. L’introduction de cette réflexivité dans les modes de production de l’urbain vise à prévenir les écueils actuels de l’urbanisme durable : standardisation, technicisation… La ville durable reste pour l’instant un horizon, dont le modèle n’est pas fixé et dont les solutions sont à réinventer en permanence. Le changement discursif opéré par le RAUD, qui ne promeut plus les écoquartiers mais les opérations d’aménagement durable, est significatif : assiste-t-on pour autant à une véritable remise en question économique, sociale et culturelle des modes de développement urbain de l’agglomération toulousaine ? Les critiques adressées aux écoquartiers et plus généralement au projet urbain métropolitain montrent que le changement n’est qu’entamé. La remise en cause de la publication du RAUD et son avenir incertain font craindre le ralentissement du processus de transformation des pratiques. Plus généralement, de nombreuses raisons peuvent dissuader les élus de conduire un changement profond : la crise économique confortant des obstacles structurels. Faut-il en conclure que le changement restera superficiel au motif que les logiques électorales et politiques ne favorisent pas une remise en cause profonde de nos pratiques et de nos valeurs ? Certains portent leurs espoirs sur la démocratie participative, qui se présente théoriquement comme une solution pour appréhender collectivement la complexité du développement durable et en diminuer les coûts financiers. Il est vrai que les instances participatives à Toulouse métropole font preuve d’un véritable dynamisme. La Fabrique a constitué le lieu d’élaboration d’un projet urbain partagé avec les habitants de Toulouse puis de l’intercommunalité. Son succès et son influence est d’ailleurs ressentie sur le territoire : « …c’est quelque chose ça la Fabrique Urbaine : c’est un outil important qui a fait émerger pas mal de réflexions. (…) Nous ne sommes pas directement impliqués, mais on ressent sa 90 dynamique.»269. Ainsi, la délibération peut avoir un véritable impact. Au-delà de dispositifs de participation « classiques », les initiatives citoyennes se multiplient sur le territoire, comme l’habitat groupé. À côté de projets spontanés comme Mange-Pomme à Ramonville270 fleurissent les appels à candidature pour développer l’habitat participatif (à la Cartoucherie, la Salade, Vidailhan, le quartier Petit bois de Bellefontaine). En inscrivant l’habitat participatif dans les actions spécifiques de son PLH, la CUTM a affirmé sa volonté de développer ces expériences. Elles constituent une piste intéressante pour infléchir les modes de développement urbain, en véhiculant des valeurs fortes de solidarité et d’écologie, bousculant notre conception majoritairement individualiste du logement. Resteront-elles réservées à une poignée de militants écologistes car trop éloignées des valeurs dominantes de la société ? Elles pourraient constituer un levier pour insuffler de nouvelles valeurs : selon le livre blanc de l’habitat participatif, un tiers des français serait potentiellement intéressés par le principe271. Une autre piste pour la ville durable pourrait être celle du projet BIMBY272. Il propose aux ménages un compromis plus acceptable, celui de diviser leur parcelle pour y construire un nouveau logement, densifiant ainsi les tissus périurbains de l’intérieur. BIMBY se présente comme une solution à l’étalement urbain tout en permettant l’accession à la maison individuelle, et ne prétend pas à des transformations politiques et sociales. Il va sans dire que le territoire de la CUTM se prête particulièrement à la déclinaison d’une telle démarche, compte tenu des proportions prises par l’étalement urbain. Comment démocratiser ces deux types d’initiatives citoyennes, vecteurs d’innovation et donc tremplins de la ville durable ? L’expérimentation citoyenne, plaçant l’habitant au cœur des projets, mériterait d’être approfondie, en ce sens qu’elle nous paraît être un moyen pour faire évoluer la société de l’intérieur, par la montée en puissance de valeurs plus proches de celles véhiculées par la ville durable. 269 Cadre de l’ADEME, entretien, 30/04/2013. Plus d’informations sur le site de l’habitat groupé du canal, en charge du projet https://sites.google.com/site/habitatgroupeducanal/ 271 Voir : http://www.ecoquartier-strasbourg.net/images/documentsPDF/EQS-2012-12-LivreBlancHabitatParticipatif.pdf 272 Pour « Build In My Back Yard », construire dans mon jardin en français. Voir : http://www.bimby.fr 270 91 LISTE DES ANNEXES - ANNEXE 1 : Toulouse, quatrième aire urbaine de France. - ANNEXE 2 : L’aire urbaine de Toulouse en 2010. - ANNEXE 3 : Les écoquartiers de la Communauté Urbaine du Grand Toulouse en 2012. - ANNEXE 4 : Tableaux récapitulatifs des caractéristiques des écoquartiers à Toulouse métropole. ANNEXE 1 : Toulouse, quatrième aire urbaine de France. Source : AUAT (http://www.aua-toulouse.org/) 92 ANNEXE 2 : L’aire urbaine de Toulouse en 2010. 93 ANNEXE 3 : Les écoquartiers de la Communauté Urbaine du Grand Toulouse en 2012. Source : CUTM. 94 ANNEXE 4 : Tableaux récapitulatifs des caractéristiques des écoquartiers à Toulouse métropole Les tableaux qui vont suivre ont pour objectif de synthétiser l’ensemble des informations que nous avons pu rassembler sur les écoquartiers de Toulouse métropole en projet ou en cours de réalisation. Ils n’ont pas vocation à l’exhaustivité : certaines informations ont pu nous échapper. Ainsi, nous avons choisi de ne pas traiter le quartier La Salade, sur lequel très peu d’informations récentes circulent. Par ailleurs, si nous avons essayé de toujours prendre l’information la plus récente et dont la source est la plus fiable, il se peut que les données que nous faisons figurer ne soient pas les plus récentes. Ces tableaux ont surtout pour but de permettre au lecteur une comparaison rapide des écoquartiers du territoire. Quartier Vidailhan à Balma Sources : - Sites Internet de la Communauté Urbaine de Toulouse métropole et des communes-membres - Le journal La Dépêche.fr - Eco-quartiers.fr : études de cas. SEM Oppidea : d’aménagement. présentation des opérations 95 Projet pour le quartier du Tucard. Vidailhan (Balma) Description Rôle dans la ville / la CUTM Position géographique, desserte et mobilité Environnement et cadre de vie Andromède (Blagnac, Beauzelle) Ancien site agricole, 31 ha, 1750 logements, 1800 emplois 209 hectares, 4000 logements Au cœur du projet structurant Aéroconstellation Accompagner le développement du programme A380 d’Airbus Accompagner le développement de l’agglomération Un des quatre quartiers de la ZAC de Balma-Gramont. Accueillir les nombreux nouveaux habitants de l’agglomération Rééquilibrer l’activité économique vers le Nord-est Densifier la première couronne Rentabiliser le métro A mi-chemin entre centre-ville et métro Lignes de bus et liaisons douces Voiries calibrées pour limiter l'usage de la voiture Ligne 1 du tramway qui relie le quartier à la ligne A du métro 15 km de pistes cyclables Maillage par les modes doux Un tiers de la superficie en espaces verts, création d’une coulée verte structurante Équipements : lycée, complexe sportif, crèche, centre de loisirs, foyer de jeunes travailleurs, gendarmerie, commerces de proximité Gestion alternative des eaux pluviales : bassins de rétention et noues paysagées Logements offrant un confort thermique été/hiver Bâtiments tertiaires et équipements publics en HQE Certification Habitat et Environnement 34 ha d’espaces publics dont 14 ha de parcs, création d’îlots de fraîcheur Commerces, services, école, crèche, maison de quartier Enfouissement de la ligne haute tension Biodiversité et forme initiale du site au centre du projet Gestion différenciée des espaces verts Gestion alternative des eaux pluviales : Noues paysagées, toitures végétalisées Orientation des bâtiments optimisée Chaufferie mutualisée combinant énergie solaire et biomasse Chauffage par géothermie profonde permettant d’économiser jusque 70 % des charges Concours par îlot incitant à présenter les projets de qualité par la mise en concurrence 25% d'habitat social, 5% de logements sociaux en accession à la propriété 20% d’habitat social Concertation et vie de quartier Coproduction du projet dans la durée Distribution d'un guide écoquartiers, actions annuelles de sensibilisation aux enjeux de l'écoquartier Jardins familiaux à venir 32 logements en habitat participatif et accession sociale Concertation tout au long du projet Capitalisation et diffusion des connaissances Référence sur le territoire Suivi pendant 8 ans auprès des usagers et exploitants pour capitaliser les connaissances et intervenir en cas de problème Innovations et expérimentations Mixité sociale Récompenses Quelques critiques Primé au palmarès EcoQuartiers 2011 Prix du public 2012 des Victoires du Paysage, et 3e place dans la catégorie « aménagement de quartier » Mauvaise prise en compte de la dimension économique (difficultés de commercialisation des bureaux) « Strict minimum » en matière de mixité et de lien social 96 Les Izards-Trois Cocus (Toulouse) Description Rôle dans la ville / la CUTM Position géographique, desserte et mobilité Quartier en renouvellement urbain 33 hectares, 3000 logements Une friche industrielle Réhabiliter une friche industrielle Densifier la ville Site pilote du projet Mi Ciudad AC2 Créer de la continuité avec les quartiers environnants Redynamiser le quartier Maintien de l’agriculture urbaine maraîchère Création de places de stationnement enterrées Développement des modes doux Équipements : création d’un centre petite enfance, revalorisation de la place Micoulaud, création d’un pôle médical, implantation de nouvelles activités commerciales Amélioration du confort des locataires et diminution de leurs consommations d’énergie Densification autour des transports en commun Environnement et cadre de vie Aménagement des friches Préservation et maintien d’une agriculture maraîchère Mise en place de petits aménagements spécifiques, propices au développement de la biodiversité pour agrémenter le projet 121 nouveaux logements dont 1/3 en accession libre, 1/3 en locatif social et 1/3 en accession sociale Renforcement du lien social : réfection des espaces publics, jardins partagés et familiaux Concertation et vie de quartier Réunions de concertation avec les habitants pour recueillir les attentes et expliquer le projet Quelques critiques Le long de l'avenue de Grande-Bretagne, entre le quartier St Cyprien et l'hôpital Purpan Excellente desserte : tramway T1, ligne C, 2 lignes de bus Des voies cyclables, piétonnes et une centrale de mobilité pour faciliter les déplacements en transport en commun, en covoiturage, en autopartage, afin de préserver le cœur du quartier de la circulation automobile Équipements : crèche, groupe scolaire, espace culturel, proximité Zénith, proximité hôpital Conception bioclimatique, orientation des bâtiments optimisée Chauffage collectif issu de l'incinérateur du Mirail. Développement de l’autopartage et du covoiturage Noues pour la gestion de l’eau et infiltration des eaux pluviales privées à la parcelle, un bassin de recueillement des eaux pluviales pour restitution à la nappe phréatique, Composition paysagère via une trame verte, des zones tampons non bâties entre les constructions pour éviter les îlots de chaleur, Parkings silos mutualisés à l’entrée du quartier (inédit dans la métropole) 90 logements réservés à de l’habitat participatif Installation d’une centrale de mobilité, promotion de l’autopartage Innovations et expérimentations Mixité sociale La Cartoucherie (Toulouse) Une opération de renouvellement urbain classique et non un écoquartier ? 35% d'habitat social, 25% de logements en accession Promotion des nouveaux modes d’habiter et de vivre ensemble via l’habitat participatif La dépollution du site ne s’est achevée qu’au 7 août 2013 97 Monges-Croix du Sud (Cornebarrieu) Description Rôle dans la ville / la CUTM 57 ha 1000 logements environ Montaudran Aérospace (Toulouse) Laubis (Seilh) Campus de 56 ha ; ancienne piste de décollage (lieu symbolique et de mémoire) ; 1 100 logements Lauréat de l'appel à projet du ministère « ville de demain », dans le cadre du projet territorial de Plaine Campus Projet issu d’un concours européen (Europan 10) 600 logements 9,5 hectares sur une zone d’étude de 20 hectares pour permettre une intégration de l’environnement existant. Site en surplomb de la Garonne, bordé par une zone naturelle au sud. Dans le cadre du projet communautaire Mixité fonctionnelle : campus universitaire, Constellation, destiné à accueillir le grand parc plateforme de recherche, quartiers résidentiels, aéronautique du nord-ouest toulousain. lieux de loisirs et de promenades Rééquilibrer emploi et habitat dans l’agglomération Pôle d’excellence européen de l’aéronautique Créer un quartier résidentiel durable, convivial et animé S’inscrit dans la dynamique de développement des grands projets du nord-ouest toulousain (Aéroconstellation, Andromède, Parc des expositions…) Proposer un autre modèle que le lotissement pavillonnaire pour des communes de deuxième couronne Au cœur d'une nature agricole et forestière en périphérie du centre-ville de Cornebarrieu Position géographique, 4,5 km de cheminements piétons/cycles desserte et mobilité Une seule ligne de bus vers le centre de Cornebarrieu TAD (Transport à la demande) vers le tram Au Sud-est de Toulouse Ancienne piste Aéropostale dédiée aux modes de transport doux TCSP en site propre qui desservira le quartier et aboutira au métro à Rangueil et à la LMSE Une halte TER à la gare de Montaudran avec renforcement cadencement SNCF 15 km au nord-ouest du centre de Toulouse En périphérie du centre-ville Déplacements piétons favorisés Équipements : Commerces de proximité, crèche, école, médiathèque, salle des fêtes Quartier qui s’organise autour d’un parc de 12 hectares, 1000 arbres Gestion maîtrisée des eaux pluviales Environnement et cadre Qualité architecturale et environnementale des de vie programmes de logements (Habitat & Environnement, HQE) Isolation par l’extérieur, Toits végétalisés, Eau chaude solaire, pompes à chaleur… Équipements : Activités tertiaires, Recherche et enseignement supérieur, Commerces et services, équipements public Approche paysagère Ancienne piste aéropostale jouera le rôle de corridor vert Gestion des eaux de pluie pour favoriser les zones humides Conception bioclimatique des bâtiments Emploi des énergies renouvelables Plus de 80% des besoins énergétiques de chauffage de l’opération seront constitués par des énergies renouvelables ou fatales Équipements : intégration d’équipements servant aussi au sud de la commune (crèche, locaux de la mairie, commerces, espace polyvalent, structure d’accueil en lien avec les hôpitaux de Toulouse…), proximité du futur parc des expositions, extension prévue du parc d’activités aéronautiques. S’appuyer sur les structures paysagères existantes Place privilégiée de l’eau : requalification du fossé mère existant comme structure de collecte des eaux de pluie. Respect de la logique de centralité : cohésion avec l’ensemble de la ville Innovations Mixité sociale Recherche de qualité urbaine et architecturale : formes urbaines denses et basses 25% de logements sociaux Concertation et vie de quartier Quelques critiques Étude de faisabilité en cours pour chauffer 350 logements en récupérant la chaleur des eaux usées de Ginestous Diversité de logements Diversité de logements Concertation préalable au dossier de réalisation de la ZAC Ateliers de concertation pour préciser les objectifs du quartier Mauvaise desserte en transports en commun 98 Le Tucard (St Orens) Description Rôle dans la ville / la CUTM Position géographique, desserte et mobilité Environnement et cadre de vie Mixité sociale Concertation et vie de quartier H2M (Toulouse, St Orens de Gameville) Les Ramassiers (Colomiers) Site à vocation agricole situé à proximité du coteau de Cayras, 36 ha 1375 logements individuels et collectifs prévu. 113 ha, objectif de 8000 à 8500 logements, 3500 emplois 138 ha 2000 logements collectifs et individuels Attirer de nouvelles populations pour plus de mixité sociale Développer la mixité de logements et augmenter le parc social de Saint Orens Revalorisation de la Bastide Donner des repères urbains et sociaux au secteur sur le modèle de l’ancienne Bastide du Moyen-âge Créer des liens avec l’urbain à St Orens Compléter la synergie créée par Montaudran Aérospace à l’ouest de Toulouse Situé aux limites de Toulouse et de St Orens Proximité du futur pôle Montaudran Aerospace 3 quartiers : un à proximité du centre-ville et deux le long de la route Bonne desserte : voies structurantes comme la route de Labège et de Revel (axe majeur de l'agglomération toulousaine) celle de Revel, proximité du périphérique, arrivée prochaine de la Quartier accessible par TCSP, connexion au métro LMSE avec développement des TCSP Modes de déplacement doux privilégiés Souhait de repenser la hiérarchie du réseau routier, mettre en place des réseaux adaptés, faciliter l’accès par les modes doux Équipements : 11300 m² de bureaux, commerces de proximité et services, école, crèche, maison de quartier … 30 % de la surface dédiée aux espaces verts, parc urbain de 6,5 ha Charte environnementale pour protéger la biodiversité Système de gestion autonome de stockage des eaux usées Maintien des corridors écologiques (trames vertes et bleues) Construction à partir de la topographie du site et de la nature présente Souhait d’intégrer équipements et espaces publics : commerces de proximité, cafés, marché, services Préserver la nature en ville et constituer un réseau naturel (avec les trois cours d’eau, le lac et le bois) Valorisation du paysage Système de « jardins actifs » : gestion alternative de l’eau, loisirs, lien social, potagers… Densification : des logements pouvant aller jusque R+8, typologies variées Proximité gare de Colomiers, Ligne C (Colomiers – Arènes) Lignes de bus 15 min en voiture du centre-ville de Toulouse 5,2 kms de pistes cyclables Équipements publics : un groupe scolaire, un complexe sportif, une maison du projet… 50 000m² de bureaux, 4000 m² de commerces de proximité Conserver et renforcer la trame paysagère, valoriser la végétation préexistante : domaine de la Pujouane, talus boisé du parc de l’Armurié, etc. Parc naturel de 46 ha 23,5 hectares d’espaces naturels et de parc urbain Bassins d’orages 30% d’habitat social 7% d’accession sociale Diversité des logements Information des habitants Concertation préalable à la création de la ZAC 99 BIBLIOGRAPHIE ADAM Mathieu, « La fabrique des éco-quartiers, entre injonction au local et urbanisme standardisé », in : Des métropoles hors-sol ? 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L’apprentissage de la concertation 44 a) La concertation, un moyen d’appréhender collectivement la complexité et de favoriser l’acceptabilité sociale des décisions ............................................................. 45 b) La concertation dans les écoquartiers, un creuset de l’écocitoyenneté ? ........ 47 c) La concertation, des coûts initiaux élevés pour des résultats à long terme...... 48 III – Les écoquartiers et après ? Esquisses de la ville durable ..................................... 50 1) Capitaliser l’expérience des écoquartiers pour diffuser les principes de l’aménagement durable : le RAUD ....................................................................... 50 2) Évaluer le développement urbain durable : le RAUD comme outil réflexif et d’amélioration continue ........................................................................................ 54 a) Une mise en problématique du développement urbain durable ....................... 55 b) Le RAUD, support de l’apprentissage des méthodes d’évaluation .................. 57 c) L’inscription dans une logique d’amélioration continue .................................. 58 3) Un référentiel est-il un instrument pertinent pour la ville durable ? ................. 60 a) Certifications, labels, référentiels et bonnes pratiques : des écueils à éviter .. 60 b) De la professionnalisation de la ville durable à l’appropriation de la problématique par la collectivité ................................................................................. 63 TROISIÈME PARTIE : TOULOUSE MÉTROPOLE, UNE VILLE DURABLE ? OBSTACLES PERSISTANTS......................................................................................... 66 I – Le projet territorial de développement durable de Toulouse métropole : atouts et faiblesses ...................................................................................................................... 66 1) Le développement durable à Toulouse métropole : historique ......................... 67 2) Le Plan Climat, instrument de coordination des actions de développement durable à Toulouse métropole ............................................................................................ 69 3) Composer avec le résultat des politiques précédentes : inertie de la ville et sentiers de dépendance ....................................................................................................... 72 4) Un territoire qui intègre progressivement le développement durable............... 75 a) Les écoquartiers sont-ils aussi vertueux qu’ils le prétendent ? Quelques critiques adressées à Andromède ................................................................................. 76 b) Des phénomènes de résistance au changement ................................................ 77 c) Le renouvellement urbain, un levier d’action progressivement investi par le développement durable ................................................................................................ 80 II – La volonté politique, condition sine qua none du développement urbain durable 83 1) Un contexte de crise économique et politique .................................................. 83 2) Des logiques électorales qui demeurent prégnantes ......................................... 85 3) Un déficit de portage politique ? ...................................................................... 87 CONCLUSION .................................................................................................................. 90 LISTE DES ANNEXES .................................................................................................... 92 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................... 100 « Des écoquartiers à la ville durable. Appropriation et diffusion des principes de l’urbanisme durable à Toulouse métropole. » Mémoire de recherche présenté par Anaelle Sorignet, sous la direction de Julien Weisbein. Résumé : À travers ce mémoire de recherche, il s’agira de caractériser la manière dont la Communauté Urbaine de Toulouse métropole s’est appropriée les préceptes du développement durable pour les intégrer dans ses pratiques d’aménagement et d’urbanisme. Comme dans beaucoup d’autres villes françaises et européennes, les écoquartiers ont contribué à l’introduction des thématiques de la ville durable à Toulouse métropole, par des effets nombreux : expérimentation, entraînement, apprentissage, démonstration, affichage… Leurs défauts et leurs limites montrent le chemin qu’il reste à parcourir pour construire une ville durable. Dans un souhait de capitaliser et d’étendre ces connaissances nouvelles au reste de la ville, Toulouse métropole a élaboré en interne un outil de diffusion et d’incitation : le Référentiel d’Aménagement et d’Urbanisme Durables (RAUD). Son élaboration a permis aux services de l’intercommunalité de consolider leur expertise et d’intégrer l’intérêt d’une évaluation en continu des projets d’urbanisme durable. Le savoir-faire technique n’est toutefois pas suffisant : c’est au politique de porter le projet de ville durable. Malgré des progrès certains, un changement profond des façons de penser et des méthodes est encore à faire, comme dans la plupart des aires urbaines françaises. La participation citoyenne, à ses divers degrés, a pu être envisagée comme une solution pour renouveler la gouvernance de la ville durable. Les expériences réalisées jusqu’ici à Toulouse métropole ou ailleurs montrent que ces processus sont encore et toujours maîtrisés par le politique : quelles solutions envisager aujourd'hui pour poursuivre la mise en mouvement du territoire ? Mots-clés : Écoquartiers ; ville durable ; développement urbain durable ; Toulouse métropole ; démocratie participative.