A Mesdames, Messieurs du Tribunal de Grande Instance de Versailles
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A Mesdames, Messieurs du Tribunal de Grande Instance de Versailles
A Mesdames, Messieurs du Tribunal de Grande Instance de Versailles Audience des référés du 22 mai 2014 à 11 heures CONCLUSIONS POUR : Le Syndicat CGT SKF MONTIGNY domicilié ès qualité au siège l’établissement de MONTIGNYLE-BRETONNEUX de la société SKF France sis 34 avenue des Trois Peuples - 78180 Montigny-leBretonneux. DEFENDEUR Ayant pour Avocat Maître David METIN, du Barreau de Versailles, 27 rue Exelmans 78000 VERSAILLES (Tél. 01.39.20.42.70 – Fax : 01.30.21.56.47) – Toque 159. CONTRE : La société SKF France, société anonyme au capital de 41 850 000 € inscrite au RCS de Versailles sous le numéro B 552 048 837 sise 34 avenue des Trois Peuples - 78180 Montigny-le-Bretonneux prise en la personne de son Président. DEMANDERESSE Ayant pour Avocat Maître Xavier PELISSIER Barreau de Strasbourg Cabinet SELAS Jacques BARTHELEMY & Associés 20 rue Jules Rathgeber 67 100 STRASBOURG PLAISE AU TRIBUNAL I - RAPPEL DES FAITS La société SKF est un fournisseur de produits, de solutions et de services, sur les marchés des roulements, des solutions d'étanchéité, de la mécatronique, des services et des systèmes de lubrification. Son siège social est situé à Montigny le Bretonneux et elle détient un établissement secondaire situé à SaintCyr-sur-Loire qui est un site produisant des roulements de types DGBB et HBU. L’établissement de Montigny compte un effectif d'environ 340 salariés tandis que l'établissement de Saint-Cyr en compte environ 1250. Les 2 et 3 octobre 2013 les syndicats représentatifs furent conviés à la négociation d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) devant aboutir au licenciement de 47 salariés sur le site de Montigny-le-Bretonneux et de 93 salariés sur celui de Saint-Cyr-sur-Loire. C’est dans ces conditions que le syndicat CGT SKF MONTIGNY de la société SKF France, la CFDT, et la CFE-CGC ont entrepris d’informer les salariés par l’organisation de réunions d’informations et de diffusions d’information via la messagerie de l’entreprise. 1 En réponse la société SKF a saisi le tribunal de céans des demandes suivantes : « Dire et juger que le Syndicat CGT SKF MONTIGNY fait un usage prohibé et abusif de la messagerie électronique, Enjoindre le Syndicat CGT SKF MONTIGNY de cesser d’utiliser la messagerie « NOTES » à des fins de communication syndicale à l’intention de l’ensemble du personnel, Interdire les rassemblements sur le lieu et pendant les heures de travail, Enjoindre le Syndicat CGT SKF MONTIGNY d’organiser leurs rassemblements en dehors du temps de travail par voie d’affichage et non en utilisant la messagerie « NOTES », Enjoindre le Syndicat CGT SKF MONTIGNY à communiquer à la direction de la société, un exemplaire de leurs communications. » Le Tribunal, au vu des moyens ci-après développés déboutera la demanderesse de l’ensemble de ses prétentions et fera droit aux demandes reconventionnelles. DISCUSSION SUR L’ABSENCE DE TROUBLE MANIFESTEMENT ILLICITE: La compétence du juge des référés est limitativement prévue par l’article 808 du code de procédure civile : « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes mesures utiles qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. » En complément, et dans l’hypothèse où il existe une contestation sérieuse, l’article 809 du code de procédure civile donne tout de même compétence au juge des référé sous certaines conditions : « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. » 1. sur l’organisation de rassemblements le Tribunal constatera que les faits dénoncés par la société SKF ne relèvent pas des dispositions des articles 808 et 809 du code de procédure civile. Il n’y a plus de rassemblement au sein de la société SKF sur le lieu de travail depuis la validation du PSE par la DIRECCTE le 25 février 2014. Le syndicat CGT ne projette aucun rassemblement aux temps et lieux de travail auxquels il aurait convié les salariés, ce que ne conteste d’ailleurs pas la demanderesse qui se borne à évoquer des rassemblements antérieurs. Or, en matière de référé, la compétence du juge s’entend d’une situation urgente, mais surtout d’une situation actuelle. Ainsi, en cas de grève illicite, ou d’occupation des locaux de l’entreprise la jurisprudence a admis la compétence du juge des référés en vue de faire cesser le trouble existant au jour de sa décision. En l’espèce, aucun rassemblement de salariés n’est envisagé et n’a actuellement lieu au sein de l’établissement de MONTIGNY. Dans ces conditions, s’il est loisible à la société SKF de saisir le juge du fond afin d’établir l’éventuelle 2 responsabilité du défendeur, ces faits passés ne justifient pas la saisine du Tribunal, en référé. Il lui est donc demandé d’enjoindre la société SKF à mieux se pourvoir au fond. 2. Sur l’utilisation de la messagerie informatique « NOTES » La société SKF a conclu au sein de l’entreprise un accord dit « accord d’entreprise sur le dialogue social » signé par les organisations syndicales le 28 janvier 2005. Pourtant, elle n’a pas entendu appliquer cet accord au site de MONTIGNY puisque ce dernier est explicitement exclu de son champ d’application tel que défini par l’article 1.1 : « 1.1.- Périmètre de l’accord. Le présent accord définit les règles devant s’appliquer dans l’établissement de SKF de Saint-Cyr-sur-Loire… » (Pièce SKF n°7) Au cours des négociations de cet accord, la société SKF a entendu octroyer un certain nombre d’avantages aux syndicats en contrepartie de l’interdiction notamment d’utiliser les moyens de diffusion informatique. Désireuse d’engager une négociation en vue d’obtenir des moyens identiques aux syndicats du site de SAINTCYR SUR LOIR, la CGT du site de MONTIGNY a appelé la direction a engagé des négociations. Le 3 septembre 2012, la direction de la société a pris l’engagement d’engager une négociation en vue de conclure un accord couvrant l’établissement de MONTIGNY : «-Les organisations syndicales seront reçues dans les meilleurs délais afin de négocier un accord sur le développement du dialogue social sur le site de Montigny, inspiré de celui signé sur le site de St Cyr sur Loire. » (Pièce n°1) Face à l’immobilisme de la direction, les représentants du personnel n’ont donc pas manqué le 25 juin 2013 de proposer, à défaut, l’application de l’accord d’entreprise de 2005. (Pièce n°2) Demande qui devait immédiatement être rejetée par la société SKF. Dès lors, en l’absence d’accord prohibant explicitement, comme pour le site de ST-CYR SUR LOIRE l’usage de la messagerie informatique pour des fins non professionnelles, un doute pouvait légitimement subsister aux yeux des syndicats. À plus forte raison qu’un « groupe de convivialité » qui dispose d’un panneau d’affichage, jouit manifestement de cette prérogative. À titre d’exemple, ce groupe a utilisé à de multiples reprises la messagerie de l’entreprise pour un usage non professionnel. Ainsi, le 16 juillet 2012, une communication était transmise, relative à l’organisation d’une journée porte ouverte. (Pièce n °5) De même, le 29 octobre 2012, un message relatif à l’organisation d’une séance de danse, salsa animée par Stéphane MANTEL salarié de l’entreprise a fait l’objet d’un message sur la boîte mail professionnelle des salariés. (Pièce n°6) C’est encore le 4 mars 2013, qu’une annonce relative à l’organisation d’une séance de KUDURO par Madame Neliffer DEVANE salariée de l’entreprise était adressée à tout le personnel (Pièce n°7) Naturellement, ces courriels envoyés directement sur la messagerie d’entreprise des salariés n’ont pas de visée professionnelle. 3 Ainsi, l’existence d’un usage autorisant une utilisation non professionnelle de la messagerie interne apparaît caractérisée tant au vu de sa continuité dans le temps que de sa régularité. De plus, cet usage est manifestement applicable au syndicat puisque le « groupe de convivialité » s’est également distingué par la mise à la signature d’une pétition sur les conditions de travail des salariés. De sorte que loin d’être un groupement de salariés dédié à la mise en place d’action à caractère uniquement sociale, il entend également participer et se faire l’écho des salariés en matière de relation et de conditions de travail. Dans ces circonstances, la demanderesse ne saurait contester l’existence d’un usage au bénéfice de groupement de salariés au sein de SKF, à plus forte raison à défaut d’accord contraire. Groupement qui, dès lors qu’il s’intéresse à l’amélioration des conditions de travail, y compris à travers des projets de restructuration ne peut être distingué d’un syndicat d’entreprise dans son attitude. En conséquence, le Tribunal relèvera que de bonne foi le syndicat a cru possible d’utiliser les ressources numériques au vu du traitement dont bénéficie le « groupe de convivialité ». Ce que confirment d’ailleurs deux courriers successifs que le syndicat a fait parvenir à la direction. En effet, le Syndicat CGT SKF MONTIGNY a évoqué cet usage et en a revendiqué le profit une première fois le 24 janvier 2014 : « Madame, en réponse à votre message ci-dessous, nous tenons à vous rappeler que depuis 2012, il est d’usage de se réunir sur le temps de travail, d’organiser des évènements sur le temps de travail, de distribuer des tracts sur le temps de travail et de faire des pétitions sur le temps de travail. En effet, nous vous avons alerté à plusieurs reprises sur ces faits et si vous nous avez dit avoir arrêté les réunions post-CE, et post-CHSCT sans même attendre les comptes rendus de ces instances, vous avez accepté, encouragé plusieurs réunions de salariés comme celles pour signer des pétitions, celles pour organiser la journée porte ouverte, la fête de la musique etc…et tout cela sur le temps de travail. Certains de ces comportements sont d’ailleurs interdits par le règlement intérieur de l’entreprise à l’article 5.6 que vous n’avez pas fait respecter et pire, vous avez vous-même, fait consigner dans un compte-rendu du CE un message anonyme de salarié. Vous ne pouvez pas interdire aux organisations syndicales, ce que vous avez autorisé et continuez d’autoriser pour certains salariés ou groupe de salariés. Nous vous prions de trouver ci-joint l’engagement que vous avez pris en 2012 s’agissant d’un accord sur le dialogue social. Enfin, nous voulons attirer votre attention sur le fait que les syndicats du site de Montigny ne se sont toujours pas vu attribuer de téléphone portable contrairement à ceux de Saint-Cyr et vous prions de pallier cette inégalité de traitement. » (Pièce 3) Au vu de l’attitude de la direction qui ne souhaitait toujours pas débuter les négociation afin de clarifier, dans un accord, les moyens syndicaux dont dispose les organisations de l’établissement de MONTIGNY, y compris s’agissant de l’utilisation de la messagerie professionnelle, le syndicat a répondu à nouveau à l’employeur le 17 février 2014 : « Madame, comme nous vous l’avions expliqué, vous ne pouvez pas donner plus de prérogatives à certains salariés ni groupe de salariés que vous n’accordez aux syndicats représentatifs dans l’entreprise. Ainsi, vous avez autorisé : plusieurs signatures de pétitions de salariés sur le temps de travail, des rassemblements de salariés sur le temps de travail, des affichages de salariés 4 Le groupe convivialité que vous avez mis en place a tous les attributs d’un syndicat de salarié dès lors que vous avez mis à sa disposition, un panneau d’affichage, des financements, et l’accès libre à l’intranet de l’entreprise. J’attire également votre attention sur le fait que la CGT n’est pas le seul syndicat à avoir organisé des rassemblements de salariés dans l’entreprise, car tel a été le cas de la CFE-CGC et de la CFDT sans qu’aucuns des salariés participants à ces réunions n’aient été inquiétés. Vous vous employez avec la complicité de certains syndicats à exclure la CGT de certaines discussions dans l’entreprise ce qui n’est pas acceptable. Pour finir, nous tenons à vous rappeler que nous vous avons alertés à chaque fois sur ces faits et que vous n’avez jamais rien fait pour que cela cesse, la dernière en date étant votre demande auprès du TGI d’ordonner l’application de l’accord sur le dialogue social que vous-même refusez d’appliquer à Montigny. Si votre réponse et décision est de faire trancher ce différent devant les tribunaux, nous n’aurons pas d’autres choix que d’y faire valoir nos arguments et droits. La CGT » (Pièce 4) Suite à ces courriers, la direction n’a toujours pas daigné entrer en négociation comme elle s’y était pourtant engagée. Dans ces conditions, la rupture d’égalité entre les différents groupements de salariés dans l’utilisation non professionnelle de la messagerie d’entreprise ne permet pas d’établir un trouble manifestement illicite mais constitue une contestation sérieuse. Bien au contraire, elle est le reflet de la carence de l’employeur. En revanche, le syndicat CGT estime que la rupture d’égalité constitue un trouble manifestement illicite et demande au tribunal, à titre reconventionnel d’enjoindre la société SKF à engager des négociations en vue de la conclusion d’un accord de dialogue social à l’image de celui de 2005 et ce , sous astreinte de 1.000 € par jour de retard dans les 8 jours de la notification de l’ordonnance. Le tribunal se réservera l’astreinte. Ce retard est d’ailleurs d’autant plus scandaleux qu’en concluant un accord qui concerne également les délégués syndicaux centraux, la société a manifestement cherché à éluder ses responsabilités en matière de dialogue syndical pour l’établissement de MONTIGNY. II – SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DEPENS Le Tribunal constatera que le syndicat CGT SKF de MONTIGNY a été contraint d’assurer sa défense et d’exposer à cette fin des frais irrépétibles. Au vu de ces éléments, le Tribunal lui accordera donc une complète indemnisation, afin de ne laisser à leur charge aucun frais soit la somme de 2.000 €. La société SKF France sera également condamnée aux entiers dépens. PAR CES MOTIFS Vu les articles 808 et 809 du code de procédure civile Il est demandé au Tribunal de Grande Instance de Versailles de : DEBOUTER la société SKF France de ses demandes et l’inviter à mieux se pourvoir. Reconventionnellement, 5 ENJOINDRE la société SKF à engager des négociations en vue de la conclusion d’un accord de dialogue social à l’image de celui de 2005 et ce , sous astreinte de 1.000 € par jour de retard dans les 8 jours de la notification de l’ordonnance. Le tribunal se réservera l’astreinte. CONDAMNER la société SKF France à verser au défendeur la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu’aux dépens. SOUS TOUTES RESERVES Fait à Versailles le 16 mai 2014 LISTE DES PIECES Pièce n°1 : Lettre d’engagement du 3 septembre 2012 Pièce n°2 : Réponse DP du 25 juin 2013 Pièce n°3 : Réponse CGT à la RH le 24 janvier 2014 Pièce n°4 : Réponse CGT à la RH du 17 février 2014 Pièce n°5 : Mail du 16.07.2012 pour Journée Portes Ouvertes Pièce n°6 : Mail du 29.10.2012 du groupe Convivialité Pièce n°7 : Mail du 4.03.2013 du groupe Convivialité-Kuduro Pièce n°8 : Mail du 30.05.2013 du groupe Convivialité- Panneau Pièce n°9 : Mail de la direction du 31.01.2014 Pièce n°10 : Photo Panneau, groupe convivialité Pièce n°11 : Mail du 07.02.2012 de la CFTC à RH Pièce n°12 : Mail du 12.02.2012 de la CFTC à RH Pièce n°13 : Fiche de Mr ZAMPERINI Pièce n°14 : Conclusions SKF, audience du 30 janvier, page 17 et 18 Pièce n°15 : Réponse DP du 14 février 2014 6