Aux marges - Litterature de jeunesse

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Aux marges - Litterature de jeunesse
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E N F A N T S
D ’ A B O R D
!
par Michel DEFOURNY
maître conférencier à l’ULG
Aux marges
Parallèlement aux albums
classiques qui racontent
des histoires en faisant
dialoguer un texte et des
images, des créateurs et
des éditeurs travaillent
le support, inventent
des formes nouvelles et
lient lecture et jeu. Pop
up, livres jeux, albums de
coloriages et d’activités
connaissent actuellement
un regain d’intérêt.
Un secteur en expansion
Ils sont partout. À la vitrine des librairies. Sur
les sites Internet où ils s’animent, comme
chez You Tube. On leur consacre de multiples
expositions en bibliothèques et ailleurs. Parmi
l’énorme production de pop up, plusieurs
d’entre eux méritent de retenir l’attention.
Mon Goûter, Mes Jouets
Les albums d’Annette Tamarkin qui poétisent
les formes simples combleront les plus jeunes.
Après Tout Blanc, Tout Noir, Dans le ciel, il y a,
et Dans mon jardin, elle poursuit sa collaboration avec Brigitte Morel, aux éditions Les
Grandes Personnes, avec Mon Goûter et Mes
jouets, tous deux regroupés dans un beau coffret rouge. Dans le premier de ces livres, le
petit lecteur doit découvrir où se cache une
coccinelle et, dans le second, où se trouve une
petite fleur. La main soutient la lecture de
l’image, il faut soulever le « bon » volet pour
qu’apparaisse l’objet de la recherche ou incliner le livre pour dénicher ce dernier bien caché
derrière un pli.
2 Yeux ?
On associera volontiers le nom de Lucie Félix,
à ceux prestigieux de Bruno Munari et Katsumi
Komagata. La découpe et la surprise sont au
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cœur de 2 Yeux ? Abstraction et figuration
racontent à leur façon la pluie qui se met à
tomber, la naissance d’une grenouille, l’apparition de la lune parmi les étoiles… Sous les
paroles magiques de la conteuse qui découpe
des formes simples dans des papiers de couleurs vives, une histoire, comme par enchantement, se met en place tout doucement.
L’album paru chez Les Grandes Personnes a
déjà obtenu deux prix, celui du premier album
décerné par les Libraires spécialisés jeunesse
et le prix Pitchou attribué à la Fête du Livre de
Saint-Paul-Trois-Châteaux.
L’orchestre de Mimi
Depuis plus de vingt ans, c’est avec un égal
plaisir que les petits retrouvent Mimi la petite
souris, si expressive et si sympathique. Cette
année, ils pourront faire du tintamarre en sa
compagnie, en s’associant à ses copains et ses
copines qui répètent une dernière fois avant le
concert du soir. Mimi est la batterie… Charlie
le croco à la contrebasse, Tulala la poulette au
piano, Cyril l’écureuil à la trompette et l’éléphant Eddy au triangle. Et n’oublions pas les
choristes ! En tirant les languettes qui mettent
en mouvement les musiciens, le lecteur ne
pourra s’empêcher d’imiter le son de chacun
des instruments. Un régal d’onomatopées
à prévoir ! L’orchestre de Mimi est paru chez
Albin Michel.
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Grenouille est trop grande
Quel malheur d’être trop grande ! Une grenouille pas comme les autres est si démesurée qu’elle ne peut « rentrer » complètement dans le livre que le lecteur tient dans
les mains. Ça se voit… avant même d’ouvrir
l’album : une patte dépasse ! Impossible pour
la grenouille de se détendre et de prendre ses
aises car ses membres et sa tête débordent de
la page ! Que faire ? Elle en a tellement marre !
Heureusement ses amis ont une idée géniale.
Ils ont tout simplement imaginé de faire un
livre plus grand ! Il suffisait d’y penser. La grenouille est superbement caricaturée, ses poses
en disent long sur son moral.
Humour, dérision, non-sens caractérisent
l’art de Mo Willems qui, faut-il le rappeler, fut
pendant neuf ans scénariste et animateur du
Muppet Show. L’ingénierie papier a été réalisée par Bruce Foster et l’album est paru chez
Kaléidoscope.
Il était une fois
Il était une fois… La formule fait aussitôt basculer dans l’univers des contes et par-delà dans
celui des histoires merveilleuses. Benjamin
Lacombe réunit dans un pop up insolite Le Petit
Chaperon rouge, Barbe bleue, Pinocchio, Alice
au pays des merveilles, Peter Pan, Poucette,
La Belle au bois dormant et il ajoute même
Madame Butterfly, le célèbre opéra de Puccini
dont les enfants ignorent tout. Pas un mot…
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pour raconter ! Une seule double page est
censée quintessencier l’atmosphère de chacun
des récits ! Les images de Benjamin Lacombe
transposées en volume par José Pons s’apparentent au romantisme noir, celui des romans
gothiques. C’est une vision sombre, voire cauchemardesque qui est proposée au lecteur. Le
merveilleux s’est fait fantasmatique comme
le souligne Jean Perrot dans des réflexions qui
clôturent l’album. Voilà un pop up destiné aux
aînés, paru aux éditions du Seuil, qui fascinera
les amoureux de Tim Burton.
Dans la forêt du paresseux
Anouck Boisrobert et Louis Rigaud s’étaient fait
remarquer en 2009 par la publication de Popville
qui racontait en volumes apparentés à un jeu
de cubes comment, à partir de quelques maisons, un petit village s’était mué peu à peu en
une énorme mégapole. Cette année-là, Popville
avait été primé au concours des plus beaux livres
français. Deux ans plus tard, les deux créateurs
ont confirmé leur talent en publiant Dans la forêt
du paresseux. Ils nous emmènent dans la forêt
amazonienne. Les arbres abritent des oiseaux
de toutes les couleurs. « Les félins se lovent à
l’ombre des palmes, les fourmiliers aspirent des
insectes comme avec une paille… ». Un paresseux suspendu à une branche fait tranquillement
sa sieste, lorsqu’ apparaît une grue d’abattage.
Ses dents dominent la canopée, elles font planer
une terrible menace. Une armada dévastatrice
va tout détruire sur son passage. Hommes et
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animaux s’enfuient. Là où respirait la terre, il ne
reste que désolation.
Tout au long de l’album, le texte insiste sur
l’indifférence du paresseux qui, dans sa somnolence, manque de réaction. Sans doute
symbolise-t-il notre propre immobilisme face
à la déforestation ? La suite de l’album invite
à l’action et, par un geste symbolique de la
main, il propose au lecteur, pour « réparer le
sol blessé », de rejoindre l’homme qui résiste
en apportant des graines à semer. Par-delà
l’engagement militant en faveur de la lutte
pour la défense de la biodiversité, Dans la forêt du paresseux présente les mêmes qualités
que Popville tous deux parus chez Hélium :
efficacité des pliages novateurs ; traitement
minimaliste du dessin, de la couleur et de la
découpe ; rythme soutenu dans la succession
des doubles pages ; et, cette fois, progression
dramatique du récit.
Des images pour jouer
Magie des images, Magie des paysages, Images
à parler, Images secrètes, Images à mystère.
La petite école de l’imagination
Parmi les objectifs des éditions Rue du monde,
le développement de l’imagination de l’enfant constitue une priorité. Signe révélateur :
Alain Serres avait inscrit à son catalogue, dès
1997, La Grammaire de l’imagination, publiée
par Gianni Rodari en 1979. Grammatica della
fantasia était sous-titré Introduzione all’arte
di inventare storie. Et c’est une véritable introduction à l’art d’inventer des histoires qui est
proposée dans La petite école de l’imagination.
Quinze grandes illustrations ont été sélectionnées dans différents albums publiés par Rue
du monde. Ainsi, une image est-elle extraite
de Bisha, la chèvre bleue qui parlait rom par
Delphine Jacquot, et une autre, de Comment
Pock l’oiseau inventa les couleurs par Laurent
Corvaisier… Hors de tout contexte, ces images
narratives et agrandies sont ouvertes à l’interprétation. Après avoir observé l’une d’entre
elles, le lecteur joueur est invité à associer
celle-ci à l’un des trente jetons dessinés par
Antoine Guillopé ; ils représentent un appareil
photo, une prise de courant, un bébé avec une
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sucette en bouche, un clown ou encore une
spirale. De cet écart imprévu devrait naître
une histoire… un appel à l’imagination ! Si
l’on reste en panne, que l’on tire un nouveau
jeton… et que l’on reparte…
Pour plus de précisions, on lira les règles du jeu
contenues dans le coffret. Et pour mieux comprendre comment s’aventurer dans les détours
d’une narration, un exemple donné par Alain
Serres inspirera les « futurs auteurs ».
Paysajeux
Il y a bien longtemps, les images d’Épinal proposaient des devinettes. Un objet, un personnage étaient dissimulés dans le dessin ; en cherchant bien, il arrivait qu’en faisant pivoter la
page dans tous les sens, on découvrait le renard
« invisible » qui poursuivait le lièvre, le chat
« caché » qui faisait fuir les rats ou encore le
polisson « bien à l’abri » qui taquinait le peintre
en lui lançant des cailloux… Avec le temps, la
tradition s’était perdue. Cet hiver, dans un album de grand format, Henri Galeron reprend
le procédé avec l’extraordinaire talent qui est
le sien. Il a caché les héros emblématiques de
cette imagerie, le chien, le chat, le chasseur, le
renard et l’écureuil… dans des paysages d’une
beauté magique qui invite à la contemplation.
Regardez bien la couverture, elle vous hypnotisera, n’en doutez pas ! Voyez l’agencement des
éléments qui composent le paysage : des canards, un pont, des arbres. Henri Galeron reste
fidèle à son vocabulaire de base. On se souviendra de ses illustrations pour Roald Dahl et Hans
Christian Andersen, pour Franz Kafka et pour
Jean-Marie Le Clézio. Ajoutons que Paysajeux
contient deux images différentes, l’une consiste
en jeu des erreurs et la seconde met en scène de
multiples bizarreries graphiques dans un style à
la fois surréaliste et hyperréaliste qui rappelle
les travaux de Guy Billout. L’album est paru aux
éditions des Grandes Personnes.
Où
Dix clés sont dispersées dans chacun des paysages. Elles ne sont pas faciles à retrouver,
tant elles sont astucieusement, poétiquement,
étrangement, savamment, habilement, curieusement, comiquement, singulièrement… cachées dans cet album foisonnant où Séverin
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Millet a accumulé mille merveilles et mille surprises. Un album paru au Seuil.
Albums à colorier, albums d’activités
Les enfants dessinent spontanément et leurs
productions nous étonnent parfois. Ils adorent
colorier, ils s’appliquent à découper et coller.
Aussi des artistes les ont-ils encouragés, leur
proposant des projets qui les laissent libres
d’inventer et de concevoir, tout en comportant
des consignes leur garantissant de bons résultats. Rappelons ici les livres de Gribouillages
et Scribouillages de Taro Gomi, aux éditions du
Seuil, Colorier de Jochen Gerner, chez Milan,
L’autre album de photos de Pascale Estellon,
chez Panama, Jeux de mode, un cahier d’activités pour découvrir la mode de Véronique
Antoine Andersen, illustrations de Lucile
Placin, chez Actes Sud, Photos à transformer
de Cécile Gabriel chez Actes Sud, ou encore le
superbe Chat perché, petit ouvrage de grands
coloriages d’Anne Herbauts, chez Casterman.
Tout récemment sont sortis chez Loulou et Cie
trois grands albums à colorier, dont les images
sont à détacher, à offrir, ou qui peuvent orner
les murs de bibliothèques, de chambres d’enfants, ou pourquoi pas de parents.
Ma famille à colorier
Soledad Bravi fait défiler les portraits d’une
très nombreuse famille. Plutôt décalée ! Pour
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donner le ton, le papa apparaît tel un chef
sioux avec sa coiffe de plumes et sa lance,
tandis que la maman flotte dans l’espace en
combinaison de cosmonaute. Côté grandsparents… ce n’est pas mal non plus ! De véritables motards ! Et côté frères et sœurs, il y a
pas mal de tonus ! Et même les animaux de
compagnie se font remarquer.
Le Mariage, un album à combiner
Par-delà les thèmes profondément humains
qu’aborde régulièrement Malika Doray, la manipulation est au cœur de ses créations graphiques. Confrontée à un album à colorier, elle
ne pouvait se contenter d’une mise en couleurs, aussi a-t-elle transformé son support en
puzzle ou en frise ; à l’enfant de choisir !
Les trois petits cochons, l’histoire à colorier
Avec Alex Sanders, c’est tout un conte, et pas
n’importe lequel, qui est à colorier! Une histoire archiconnue, mais tellement bien racontée ici qu’on croit l’entendre pour la toute première fois. Quelle énergie dans le trait, quelle
désinvolture pour raconter l’histoire des trois
petits cochons qui en ont vu de toutes les couleurs avec le loup. Après s’en être débarrassés
pour toujours, ils peuvent peindre la maison de
Gaston. Comme des cochons, évidemment !
Dans cet album, non seulement les images
sont à colorier, mais le texte également ! Une
fabuleuse entreprise.
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