George Harrison George Harrison

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George Harrison George Harrison
George Harrison
Je suis né en février 1943 au 12, Arnold Grove, à Liverpool.
Mon père avait été marin, mais il était devenu conducteur de bus. Ma mère venait d’une famille irlandaise
nommée French, et elle avait des tas de frères et sœurs. Ma mère était catholique. Mon père ne l’était pas
et, bien qu’on prétende que ceux qui ne sont pas catholique appartiennent à l’Eglise d’Angleterre, il
semblait n’appartenir à rien du tout. J’avais deux frères et une sœur. Quand je suis né, ma sœur avait
douze ans et venait d’avoir son Eleven Plus. Ma grand-mère – la mère de ma mère – habitait Albert
Grove, la rue voisine d’Arnold Grove, si bien que, quand j’étais petit, je pouvais sortir par notre porte de
derrière et rejoindre celle de sa maison (on appelait ça des « jiggers » à Liverpool). J’allais chez elle
pendant que mon père et ma mère étaient à leur travail. Le père de mon père, que je n’ai jamais connu,
était entrepreneur en bâtiment et a construit beaucoup des grandes maisons édouardiennes de Prince
Road, à Liverpool. C’est là que vivaient tous les médecins et autres professions libérales. On savait
construire en ce temps-là ; maçonnerie, briques et bois de charpente de qualité. Peut-être que mon intérêt
pour l’architecture me vient de mon grand-père. J’ai toujours pensé que la vie consistait à aller de l’avant,
à saisir les occasions, à faire en sorte que les choses arrivent.
Notre maison était toute petite. Deux pièces en haut et deux en bas, un escalier partant directement du
trottoir, un autre montant à la pièce de derrière. On n’utilisait jamais la pièce de devant. Il y avait là un
linoléum très chic et un salon trois pièces ; il y faisait un froid de loup et personne n’y allait. On s’entassait
tous dans la cuisine, là où il y avait du feu et où la bouilloire chauffait sur une petite cuisinière en fer.
Accrochée au mur de la cour, il y avait une baignoire en zinc qu’on transportait dans la maison et qu’on
remplissait avec des casseroles d’eau chaude et des bouilloires brûlantes. C’était comme ça qu’on prenait
notre bain. Dans mon plus ancien souvenir, je me vois en train de faire caca assis sur le pot, en haut des
escaliers, et de crier « Fini ! ».
Dans le temps, la ville de Liverpool était très active. La Mersey occupait une position éminente, grâce à
tous les ferry-boats et les grands vapeurs arrivant d’Amérique ou d’Irlande. Il y avait des tas de bâtisses
anciennes et de monuments – légèrement crades mais vraiment beaux. Et, au milieu de toutes ces belles
constructions, de vastes zones bombardées qui n’avaient pas encore été déblayées (même le jour de 1963
où j’ai quitté Liverpool, il restait encore des tas de décombres). Quand on allait faire les courses, on voyait
toujours des foules de gens attroupés au bord d’une de ces zones bombardées, en train de regarder un
type enchaîné et menotté essayant de sortir du sac dans lequel il était enfermé. Il y avait toujours des gens
qui faisaient ce genre de choses – le syndrome Houdini. On allait partout avec le tram et on prenait le
train souterrain pour traverser le Wirral. Le samedi, ma mère m’emmenait faire les courses avec elle. Il y
avait dans de petits bâtiments anciens des cinémas d’actualités qui passaient des dessins animés et les
Pathé Pictorial News. Il n’y avait pas de longs métrages ; comme une séance durait environ cinquante
minutes, on pouvait faire les courses et, quand on était fatigué, aller prendre un café et aller au cinéma
d’actualités avant de retourner faire du shopping.
J’ai fait ma première communion à l’âge de onze ans, mais j’ai échappé à la suite parce qu’on est parti
vivre à Speke. Je n’aimais pas tellement l’école. Je me rappelle être allé à la maternelle pendant un
moment. Ca ne me plaisait pas trop. Ensuite, je suis entré à l’école primaire. Ca me plaisait mieux, parce
qu’on faisait beaucoup de sport. On jouait au football et on déconnait. Comme j’étais persuadé que je
courais très vite, j’aimais jouer au foot. Tous les gosses se croient bons, mais en réalité ils sont nuls. John
était à Dovedale en même temps que moi. On était dans la même cour, mais je ne le connaissais pas. Sans
doute parce que j’étais en première année et lui en dernière.
Quand on s’est installé à Speke, j’ai continué à aller à Dovedale. On vivait désormais au 25, Upton Green.
On avait construit là-bas de nouveau HLM avec des baignoires et des cuisines. On était à un jet de perre
de Widnes. J’allais tout le temps à Oglet, sur l’estuaire du fleuve. La mer se retirait très loin et le lit du
fleuve n’était plus qu’on océan de vase. Des gens escaladaient et dévalaient ça à moto. Je marchais des
heures le long des falaises de vase de la Mersey, et dans les champs et les bois. J’aimais être dehors.
Je me souviens de quelques moments pénibles, après notre arrivée à Speke. Il y avait des femmes dont les
maris se tiraient et d’autres qui avaient des enfants toutes les dix minutes. Tous les hommes traînaillaient,
entraient dans les maisons, pour tirer un coup je suppose. Je me rappelle que ma mère a eu affaire à
quelqu’un qui s’était pointé devant chez nous en jurant et en pestant, pour je ne sais quelle raison. Elle a
pris un seau d’eau, l’a balancé depuis le seuil et a refermé la porte. Elle a dû faire cela une fois ou deux.
Des prêtres venaient quêter dans toutes les maisons du quartier. Nous, on n’était pas particulièrement
mauvais, mais il y avait quelques familles vraiment moches dans le coin. Ils éteignaient toutes les lumières,
baissaient la radio et faisaient comme s’ils n’étaient pas là. Mon père gagnait dans les 10 livres par
semaine, alors cinq shillings, et c’est ce qu’il donnait, ça faisait beaucoup d’argent pour lui. Je n’ai jamais
vu de gens au chômage à cette époque. J’étais probablement trop petit pour y faire attention. A partir de
cet instant, j’ai évité l’église ; mais chaque jeudi des mômes claironnaient la venue du prêtre. Ils passaient
dans toutes les rues et frappaient aux portes en criant : « Le prêtre arrive ! ». On faisait tous : « Oh,
merde ! » et on fonçait dans l’escalier pour aller se cacher. Ma mère ouvrait la porte et le prêtre lui disait :
« Ah, bonjour, Mrs Harrison. C’est un plaisir de vous revoir, vraiment, Jesus… ». Elle fourait deux demicouronnes dans sa petite main moite et il repartait construire une autre église, ou un autre pub.
J’ai vécu une enfance heureuse, entouré d’un tas de parents – parents et apparents. Je me réveillais
souvent pendant la nuit, je sortais de ma chambre pour aller regarder au bas de l’escalier et je voyais
plein de gens en train de s’amuser. Ce n’était probablement que mes parents, avec un oncle ou deux
(j’avais beaucoup d’oncles au crâne chauve ; ils disaient que c’était à force d’ouvrir la porte des pubs à
coups de tête), mais j’avais l’impression qu’ils faisaient la fête sans m’avoir averti.
En ce temps-là, les radios ressemblaient à des postes à galène. Enfin, pas tout à fait : elles avaient des piles,
de drôles de piles avec de l’acide dedans. Il fallait apporter la pile dans une boutique au coin de la rue et
l’y laisser trois jours pour qu’on la recharge. Je me rappelle avoir écouté les disques de mes parents
quand j’étais enfant, tout le vieux répertoire du music-hall anglais. On avait un vieux disque intitulé
Shenanaggy Da : « Vieux Shenanaggy Da, joue de la guitare… », mais le trou était décentré et ça sonnait
bizarrement. Epatant. Je ne comprends pas les gens qui disent : « Je n’aime que le rock’n’roll », ou « Je
n’aime que le blues ». Même Eric Clapton dit qu’il a été influencé par « The Runaway Train Went Over
The Hill ». Comme je l’ai dit dans mon livre, I Me Mine, mes premiers souvenirs musicaux sont des choses
comme « One Meatball » par Josh White, ou les chansons de Hoagy Carmichael et de gens comme lui. Je
soutiens que même la musique merdique qu’on haïssait, - la guimauve américaine de la fin des années 40
et du début des années 50, du genre « The Railroad Runs Through The Middle Of The House », ou la
britannique comme « I’m A Pink Toothbrush, You’re A Blue Toothbrush » -, même ces choses-là ont eu
une influence sur nous, qu’on le veuille ou non. Tout ça est entré en moi de manière ou d’une autre et peut
ressortir à tout moment. Ca s’entend dans le côté comique de certaines de nos chansons, comme la partie
centrale de « Yellow Submarine » . Je pense que les Beatles ont eu la chance d’être ouverts à toutes sortes
de musiques. On écoutait tout ce qui pouvait passer à la radio. C’était l’essentiel, à cette époque.
Quand il était marin, mon père avait acheté un gramophone à manivelle, à New York, et l’avait rapporté
sur son bateau. Il avait aussi rapporté quelques disques d’Amérique, parmi lesquels un disque de Jimmie
Rodgers, The Singing Brakeman. C’était le chanteur préféré de Hank Williams, et le premier chanteur
country que j’aie jamais entendu. Il avait des tas de chansons comme « Waiting For A Train ». C’est elle
qui m’a fait aimer la guitare. La première personne que j’aie jamais vue jouer de la guitare a été Slim
Whitman, soit sur une photo dans un magazine, soit en direct à la télévision. A l’évidence, le temps des
guitares était venu.
Je venais de quitter l’école primaire de Dovedale et allait à la grande école, le Liverpool Institute, lorsque
j’ai été hospitalisé. A l’âge de douze ou treize ans, j’ai eu des problèmes de reins.
J’avais déjà rencontré Paul McCartney dans le bus, en revenant de l’école. En ce temps-là, le bus n’allait
pas jusqu’au lotissement où je vivais, alors je devais descendre et marcher vingt minutes pour rentrer
chez moi. Paul vivait près de l’endroit où les bus s’arrêtaient, sur Western Avenue. C’était tout près de
Halewood, où j’allais jouer dans les champs. Il y avait des étangs remplis d’épinoches. Aujourd’hui, c’est
une foutue usine Ford gigantesque, qui s’étend sur des hectares.
C’est au moment où j’entrais dans l’adolescence que j’ai entendu pour la première fois « I’m In Love
Again » de Fats Domino. C’est ce que j’appellerais le premier disque de rock’n’roll que j’aie écouté. Et
puis, bien entendu, « Heartbreak Hotel ». C’est sorti de la radio de quelqu’un un jour, et ça s’est logé pour
toujours à l’arrière de mon cerveau. Elvis, Little Richard et Buddy Holly nous ont énormément influencés
et, aujourd’hui encore, leur musique reste mon type de rock’n’roll préféré. C’était excitant pare que
c’était la première fois qu’on voyait une veste rose ou une chemise noire, une Fender Stratocaster ou
n’importe quelle autre guitare électrique. Quand on a commencé à voir des artistes passer au Liverpool
Empire avec des amplificateurs, c’est devenu incroyable. Quels que soient les disques qui passaient, on
essayait de les écouter parce qu’il y avait très peu de tout. Le rationnement n’était terminé que depuis
quelques années. On ne pouvait même pas obtenir une tasse de sucre, alors un disque de rock’n’roll… Un
jour, comme j’avais un peu d’argent et que je voulais « Rock Around The Clock », de Bill Haley, j’ai
demandé à quelqu’un de ma famille de l’acheter pour moi. Je n’en pouvais plus d’attendre. La personne
est revenue à la maison et m’a remis un disque en disant : « Il ne restait plus de Bill Haley, alors je t’ai
acheté celui-ci ». C’était les Deep River Boys. J’ai pensé : « Oh, non ! Bordel de merde ». J’étais
horriblement déçu. C’est le premier disque que je n’ai pas eu. La vie m’a appris qu’il ne faut pas décevoir
les gens qui comptent sur vous. J’ai vu pas mal de spectacles, le meilleur de tous étant celui d’Eddie
Cochran, en 1958. Il était accompagné par un groupe anglais. Je me souviens très bien d’Eddie Cochran :
il portait son gilet en cuir noir, un pantalon en cuir noir et une chemise framboise. Il a commencé par
« What’d I Say », et quand le rideau s’est ouvert il jouait le riff en tournant le dos au public. J’ai bien
observé ses doigts, pour voir comment il jouait. Il avait sa guitare Gretsch, celle qu’on voit sur toutes les
photos, avec un pick-up Gibson noir et un vibrato Bigsby. C’était la Chet Atkins 6120 orange, la même
que celle que j’ai utilisée plus tard pour l’émission de télé en hommage à Carl Perkins, avec le G gravé
dans le bois. Eddie jouait très bien de la guitare, et c’est ce dont je me souviens le mieux. Il s’est passé
ensuite un truc rigolo entre deux chansons. Il se tenait là, debout derrière le micro, et tout en parlant il a
passé ses mains dans ses cheveux, pour les rejeter en arrière. Une fille, une seule, a crié « Oh ! Eddie ! ».
Et lui, calmement a murmuré dans le micro : « Salut, chérie ». Je me suis dit : « Oui ! C’est ça, le
rock’n’roll ! ».
La mode du skiffle a débuté quand j’avais dans les treize ans. Lonnie Donnegan a eu beaucoup plus
d’influence sur les groupes de rock’n’roll britanniques qu’on a bien voulu l’admettre. A la fin des années
50, il était à peu près le seul guitariste qu’on pouvait voir. C’était lui qui avait le plus de succès, il était le
plus médiatisé. Il avait une super voix, énormément d’énergie et chantait de grandes chansons comme des
reprises très accrocheuses de Leadbelly et de gens comme ça. Tout le monde faisait donc partie d’un
groupe de skiffle, et si la plupart ont vite disparu, ceux qui ont continué sont devenus les groupes de
rock’n’roll des années 60.
Quand j’avais treize ou quatorze ans, j’allais m’asseoir au fond de la classe et j’essayais de dessiner des
guitares ; des grosses comme des violoncelles, avec des ouïes en f, et des petites à corps massif, avec des
échancrures. Je ne pensais qu’à ça. J’ai même essayé d’en fabriquer une, ce qui était plutôt gonflé. Ca a
dû me prendre des siècles. Et puis, quand j’ai tendu les cordes, l’ensemble est tombé en morceaux. De
frustration, j’ai balancé le tout dans la remise et ne lui ai plus jamais adressé la parole. La Hofner
President est la première guitare correcte que j’aie possédée. Elle avait de grandes ouïes inspirées des
grosses Super Gibson. Je restais assis des heures entières à jouer et à essayer de comprendre. Je jouais
tard dans la nuit. Je ne considérais pas ça comme de la pratique, plutôt comme de l’apprentissage. C’était
la seule chose que j’aimais vraiment. Quand j’achetais un nouveau jeu de cordes, je retirais toutes les
anciennes et astiquais la guitare ; je la nettoyais jusqu’à ce qu’elle soit absolument impeccable. Je me
rappelle avoir découvert les inversions, quand j’ai appris tous les accords vers le bas du manche. J’ai tout
à coup réalisé combien les cases se modifient à mesure qu’on monte vers le haut du manche – tous les
mêmes accords inversés, de plus en plus haut. C’était génial de résoudre tout ça par le travail. Et puis,
quand j’ai été un peu plus âgé, quelqu’un m’a donné un album de Chet Atkins, et je me suis mis à essayer
d’inventer des morceaux avec des accords différents. Dieu sait que j’ai toujours tout fait par moi-même.
Quand j’étais gosse, je m’asseyais et je travaillais, mais je ne pouvais pas rester assis là toute ma vie ; je
n’étais pas suffisamment motivé pour ça.
Ma première petite amie s’appelait Iris Caldwell, la sœur de Rory Storm. Elle était mignonne et mettait
du coton hydrophile dans son soutien-gorge. J’ai connu Rory avant de connaître les Beatles. J’avais déjà
rencontré Iris une fois ou deux, et j’allais traîner du côté de chez elle. Ils avaient une petite cave qu’ils
essayaient de transformer en café-club. C’était la grande mode, dans les années 50.
Le vrai nom de Rory était Alan Caldwell. Ernie était leur père. C’était une famille super, et ils se
montraient très gentils envers nous tous. Plus tard - après être revenus de Hambourg et alors qu’on jouait
partout dans Liverpool et dans le nord de l’Angleterre -, on allait traîner chez Rory quand on revenait en
ville après les concerts. Vi, sa mère, nous faisait du thé et des toasts à la chaîne. A ses heures perdues,
Ernie était portier à l’hôpital local, le Board Green Hospital. Il chantait des chansons aux malades. On
avait déjà fait des disques et quitté Liverpool quand il est mort. Le plus triste de l’histoire, c’est qu’après
la mort d’Ernie, Vi et Rory se sont tous les deux suicidés. Plus tard, Iris a épousé Shane Fenton qui est
devenu Alvin Stardust.
Paul a quitté Speke pour aller vivre à Forthlin Road, à Allerton, tout près de Menlove Avenue où habitait
John. A ce moment-là, ayant réalisé qu’il ne pouvait pas jouer de la trompette et chanter en même temps,
Paul avait décidé d’avoir une guitare. On avait déjà commencé à jouer ensemble ; on se voyait à l’école et,
quand il a déménagé, on a décidé de rester en contact. Il vivait suffisamment près pour que je puisse aller
le voir à vélo. Ca me prenait dans les vingt minutes. Il y avait au Liverpool Institute un type nommé Ivan
Vaughan qui vivait près de chez John et qui lui a présenté Paul. John s’était déjà fait une réputation, il
était le personnage phare de son école et le savait. Je l’ai rencontré un peu plus tard (je ne me rappelle
plus où), et ils m’ont demandé de me joindre à leur groupe, les Quarry men. A cette époque, John était
aux beaux-arts. Je ne sais pas ce que j’ai pensé du moment où je l’ai rencontré pour la première fois ; je
me suis simplement dit qu’il était OK. La mère de John lui avait appris quelques accords. Il avait une
guitare médiocre avec une petite bouche ronde. Elle n’avait que quatre cordes. John ne savait même pas
que les guitares devaient avoir six cordes. Il jouait des accords de banjo, de gros accords prolongés. Je lui
ai demandé : « Tu fais quoi, là ? ». Il croyait que c’était comme ça qu’on jouait. Alors je lui ai appris
quelques accords corrects – mi et la, et tout ça –et l’ai convaincu de mettre six cordes à sa guitare. Les
Quarry Men ayant d’autres membres qui semblaient ne pas servir à grand chose, j’ai dit : « débarassezvous d’eux, et je viens ». Au bout d’un moment, il n’est plus resté que John, Paul et moi. Ca a fonctionné
comme ça pendant un petit moment. On a joué pour quelques mariages et quelques soirées. Comme au
mariage de mon frère Harry, complètement saouls. On a même joué une fois à la Cavern. C’était encore
un club de jazz, et ils ont essayé de nous foutre dehors parce qu’on faisait du rock’n’roll. On voyait très
souvent John, il venait fréquemment chez moi. Ma mère adorait la musique et elle était enchantée que je
m’y intéresse aussi. C’était elle qui m’avait acheté ma guitare.
A cette époque, on se mettait de la vaseline dans les cheveux pour imiter la coiffure gominée et tirée en
arrière des rock’n’rollers. A l’institut, on devait aussi porter une casquette et une cravate, ainsi qu’un
écusson sur le blazer. Mon écusson n’était pas cousu, il était maintenu par le capuchon du stylo qui était
dans la poche de ma veste, de sorte que je pouvais facilement l’ôter, tout comme la cravate. Paul et moi on
se tirait de l’école et on faisait tout notre possible pour ne pas avoir l’air de lycéens. Le soir, on traînait
avec John. Les jours d’école, on s’esquivait à l’heure du déjeuner, bien que cela ait été formellement
interdit sans une dispense spéciale du pape. Il fallait qu’on fasse le mur, qu’on tourne au coin de la rue et
qu’on se débarrasse autant que possible de notre uniforme avant d’aller aux beaux-arts (dont le bâtiment
était mitoyen au Liverpool Institute). On entrait et on fumait sans que quiconque ne nous engueule. John
était gentil avec nous, mais en même temps, on pouvait voir qu’il était un poil crispé parce que j’avais l’air
un peu trop gamin, et Paul aussi. Je devais avoir quinze ans à l’époque. La première fois que John m’a
accordé un peu de respect c’est quand je me suis entiché d’une nana des beaux-arts. Elle était mignonne,
dans le genre Brigitte Bardot.
C’est au cours d’un engagement dans un club de Hayman’s Green, à West Derby, que j’ai entendu parler
d’un club qu’on était en train de construire au 8, Hayman’s Green. On m’a emmené là-bas, et j’ai vu la
cave qui allait devenir le Casbah. C’est là que j’ai vu Pete Best pour la première fois. Ce n’est que
quelques mois plus tard que je me suis souvenu de Pete et de sa batterie. Je lui ai demandé de se joindre à
nous et on a pu partir pour Hambourg. Paul et moi, on a connu Stuart Sutcliffe en allant aux beaux-arts.
Stuart était un type mince à l’air artiste, qui portait des lunettes et une barbe à la Van Gogh, un bon
peintre. John aimait beaucoup Stuart en tant qu’artiste. Manifestement, Stuart aimait John parce qu’il
jouait de la guitare et était un grand méchant Ted. John avait un léger sentiment de supériorité vis-à-vis
de nous à cette époque ; mais Stuart ne nous a jamais snobé Paul et moi parce que nous n’étions pas des
beaux-arts. Il a commencé à venir nous écouter jouer à des soirées et est devenu un de nos fans. Il nous
dénichait même quelques fêtes où on pouvait jouer tous les trois. La première fois que je suis allé à une
fête qui a duré toute la nuit, c’était à une soirée des beaux-arts à Liverpool, dans une résidence
d’étudiants.
C’était d’ailleurs programmé pour ne finir qu’au matin : il fallait apporter une bouteille de vin et un œuf
pour son petit-déjeuner. Alors on a apporté une bouteille de bibine bon marché, de chez Yate’s Wine
Lodge, et mis nos œufs au frigo en arrivant. Ce qu’il y avait de super dans cette soirée (et je suis sûr que
Paul et John seraient d’accord), c’est que quelqu’un avait apporté un exemplaire du « What’d I Say » de
Ray Charles, un 45 tours avec la seconde partie du morceau sur la face B. On a passé le disque toute la
nuit, probablement huit ou dix heures non-stop. C’était un des meilleurs disques que je n’avais jamais
entendus. Le lendemain, j’ai vomi. Cynthia était là, et je me rappelle lui avoir dit d’une vois d’ivrogne :
« J’aimerais bien avoir une chouette fille comme toi ».
J’ai quitté l’école et n’ai rien fait pendant une éternité. Je n’allais plus à l’école depuis des mois, les
vacances d’été étaient terminées, tout le monde était rentré et moi je n’avais pas de boulot. J’empruntais
de l’argent à mon père. Je ne voulais pas me trouver un travail, je voulais faire partie du groupe. Mais
c’est devenu quelque peu gênant quand mon père a commencé à me répéter : « Tu ne crois pas que tu
ferais mieux de trouver du boulot ? ». Je suis allé à la Bourse du travail où on m’a dit « Va chez Blaker, la
boutique en ville. Ils cherchent un étalagiste ». Là-bas, le chef étalagiste m’a dit : « Désolé, la place est
prise. Mais monte donc voir Mr Peet ». Mr Peet était le chef du service maintenance. Il m’a offert un
boulot d’apprenti électricien, exactement ce que mon père voulait que je sois. Moi, je voulais devenir
musicien. Même s’il n’y avait aucune raison pour cela, quand le groupe se réunissait, on avait tous
l’étrange et optimiste impression qu’on pourrait en faire une occupation à plein temps. Je ne sais pas
pourquoi, on était gonflés. On sentait que quelque chose de chouette allait nous arriver. En ce temps-là,
quelque chose de chouette signifiait faire une tournée des Mecca Ballrooms. C’était le top ! Mon père qui
connaissait des gens au Liverpool Transport Club de Finch Lane, y a obtenu un engagement pour les
Quarry Men, un samedi soir. C’était une salle de danse avec une scène, des tables et des gens qui
dansaient et buvaient. Mon père était fier et heureux de nous avoir obtenu ça. On devait faire deux sets.
On a joué quinze ou vingt minutes et puis, pendant la pause, on s’est méchamment saoulés au Black
Velvet, la grande mode de l’époque. Une bouteille de Guinness mélangée à une demi-pinte de cidre.
J’avais seize ans, John en avait dix-huit, Paul, dix-sept, et on a dû descendre deux litres et demi. Quand le
moment est venu de remonter sur scène, on était complètement partis. On a fait honte à tout le monde, y
compris à nous-mêmes, et mon père a été furieux : « Vous m’avez ridiculisé… », et tout ça.
En décembre 1959, on a auditionné pour Carrol Levis qui présentait l’émission Discoveries à la télé. Je ne
pense pas que cette émission ait jamais découvert quiconque, et personne n’y a jamais rien gagné. Les
candidats revenaient encore et encore et, pendant ce temps-là, lui vendait des billets aux gens pour qu’ils
aillent voir des spectacles où les artistes n’étaient pas payés. A la fin de l’émission, l’applaudimètre disait
qui avait gagné, et la semaine suivante, ça recommençait. On a ensuite joué à Manchester sous le nom de
Johnny and the Moondogs. C’était à une époque où John n’avait plus de guitare. Je crois que sa guitare
« garantie incassable » avait fini par se casser. On a joué « Think It Over » et John se tenait entre nous,
sans guitare, chantant les mains sur nos épaules. Paul et moi jouions de nos guitares – une pointée dans un
sens, l’autre dans l’autre – et faisions les chœurs. On s’est trouvé vraiment bons mais, comme on devait
sauter dans le dernier train pour Liverpool, on n’a pas pu rester pour voir ce qu’en disait
l’applaudimètre.
Piggies
Have you seen the little piggies crawling in the dirt ?
And for all the little piggies life is getting worse,
Always having dirt to play around in.
Have you seen the bigger piggies in their starched white shirts?
You will find the bigger piggies stirring up the dirt,
Always have clean shirts to play around in,
In their styes with all their backing they don’t care what goes on around,
In their eyes there’s something lacking,
What they need’s a damn good whacking.
Everywhere there’s lots of piggies living piggy lives,
You can see them out for dinner with their piggy wives,
Clutching forks and knives to eat their bacon.
Harrison