je voudrais me déposer la tête

Transcription

je voudrais me déposer la tête
DOSSIER D’ACCOMPAGNEMENT SCOLAIRE
JE VOUDRAIS
ME DÉPOSER LA TÊTE
Une production du Théâtre PàP (Montréal)
Présentée au Théâtre français du Centre national des arts du 4 au 7 mars 2009
Emmanuel Bornstein, Sans titre 2 (détail), 2007. Photo : Thibaut Baron.
Photo © Dominique Chartrand
Texte de Jonathan Harnois
Mise en scène de Claude Poissant
Ce dossier d’accompagnement scolaire a été rédigé par Sophie Labelle.
TABLE DES MATIÈRES
Je voudrais me déposer la tête
Le roman et son auteur..........................................................................................p. 3
Le spectacle et son metteur en scène...............................................................p. 8
Les thèmes.............................................................................................................p. 11
Autour du spectacle et des thèmes : la banlieue et le mal de vivre ........................................p. 13
Bibliographie
..................................................................................................................................p. 23
Crédits de la production
JE VOUDRAIS ME DÉPOSER LA TÊTE
Texte :
Mise en scène :
JONATHAN HARNOIS
CLAUDE POISSANT
Distribution :
CHRISTIAN BARIL — ANNICK BERGERON —
SYLVIE DE MORAIS NOGUEIRA —
ÉTIENNE PILON — FRANÇOIS SIMON T. POIRIER
Scénographie :
ROMAIN FABRE
Conception sonore :
NICOLAS BASQUE
Éclairages :
ERWANN BERNARD
Costumes :
CAROLINE POIRIER
Maquillages :
ANGELO BARSETTI
Concepteur vidéaste :
STEFAN MILJEVIC
Accessoires :
JASMINE CATUDAL
Direction de production : CATHERINE LA FRENIÈRE
Direction technique :
PATRICK BELZILE
Je voudrais me déposer la tête a été créé au théâtre Espace Go, à Montréal, le 27 mars 2007, par le
Théâtre PàP.
Le roman de Jonathan Hanois, Je voudrais me déposer la tête, a été publié aux Éditions Sémaphore en
2005.
La Fiducie nationale pour la jeunesse et l’éducation
La Fiducie nationale pour la jeunesse et l’éducation est la principale source de financement des programmes jeunesse et des
activités éducatives du Centre national des Arts. Les personnes et les organisations qui soutiennent la Fiducie aident le CNA à
poursuivre, dans le domaine des arts d’interprétation, des initiatives prioritaires visant à nourrir et à cultiver les talents créateurs
des jeunes de partout au Canada.
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JE VOUDRAIS ME DÉPOSER LA TÊTE
LE ROMAN ET SON AUTEUR
En 2005, un jeune auteur québécois, Jonathan Harnois, fait paraître son premier opus, un
court roman intitulé Je voudrais me déposer la tête. Auteur inconnu, avec un livre tiré à
500 exemplaires, rien ne lui permettait d’imaginer que son récit autobiographique, écrit
patiemment dans la solitude, allait lui permettre de vivre une belle aventure collective deux
ans plus tard.
Je suis Ludovic et j’ai certaines choses à dire. Je suis Ludovic et j’ai plusieurs
choses à me dire. Je ne suis qu’un gamin de vingt ans, juste capable de merdoyer
avec la vie. Soyons franc, un petit homme de rien, un peu généreux, mais absent
la plupart du temps. Je suis tendu comme une barre, et mes dents s’usent la nuit comme le jour. Je
ne suis jamais le même. J’ai beaucoup de cheveux blancs, mes ongles sont mangés jusqu’à la peau
autour, j’ai une démarche d’oiseau et des yeux qui tremblent. Comme tout le monde ici dans cette
belle Amérique, je vis une vie rapide et vague, hantée par les visages de la réussite. Je m’accroche
à quelques rêves sommaires. Une sorte d’errance automatique, je ne sais plus pour combien de
temps.
(Je voudrais me déposer la tête)
L’histoire est racontée à la première personne par Ludovic, issu d’une banlieue de l’est de Montréal, ami de
Félix, amoureux d’Andelle. D’entrée de jeu, l’accent est mis sur l’amitié entre les deux jeunes hommes et sur
la fragilité de Félix. Au sixième chapitre, Félix se suicide. Ludovic, accompagné d’Andelle, accomplira un
pèlerinage, à pied, vers la maison des parents de Félix, pour aller y récupérer le chapeau de son ami et ainsi
faire son deuil.
Deux choses captivent en premier lieu avec ce roman. D’abord, les thèmes. Il s’agit d’un récit sur la perte et
le processus de deuil, provoqués par un suicide. Jonathan Harnois nous offre de l’intérieur le point de vue
de celui qui reste. Et il le fait avec un talent indéniable, usant sans en abuser de métaphores surprenantes,
troublantes. Autant la forme que le fond surprennent, car il est plutôt rare d’entendre un homme, très jeune
de surcroît, s’exprimer sur l’amitié masculine, la douleur de la perte, la colère, la culpabilité, l’amour.
Ce roman grave et lumineux a attiré l’attention des chroniqueurs littéraires, a été finaliste au prix Anne-Hébert
qui récompense un premier roman écrit en langue française et a cligné de l’œil à l’homme de théâtre Claude
Poissant, qui l’a mis dans ses bagages avant de partir en voyage. Pendant ce temps, Jonathan Harnois a
multiplié les rencontres, conférences et ateliers dans les cégeps et universités où son livre interpelle tant les
professeurs que les étudiants.
En 2006, Claude Poissant lui propose de plonger dans l’aventure de porter à la scène son roman. Il accepte.
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ENTRETIEN AVEC JONATHAN HARNOIS
Le roman de Jonathan Harnois a été écrit dans le sillage d’une perte réelle,
mais dans une volonté profonde de transformer cette perte en création. De
transmettre au monde une parcelle de lumière. Dépassant l’autofiction,
Jonathan a créé une œuvre à la fois personnelle et ouverte sur l’autre, avec
l’amour et l’amitié comme phares.
Voici la transcription d’une discussion avec Jonathan, dans les bureaux du
Théâtre PàP, un soir de début d’hiver.
Quel a été le déclencheur qui t’a mené vers l’écriture ?
Ou disons : comment l’écriture est-elle venue à ton secours?
JONATHAN : L’écriture est toujours venue à mon secours, depuis mes onze ans. Ma mère m’a ouvert
cette porte-là. J’avais une peur bleue de mon propre imaginaire. J’acceptais pas d’avoir tout ça dans
ma tête. Et elle m’a dit : t’as le droit d’avoir tout ce que tu veux dans ta tête. Écris-le, si ça peut te faire
du bien. Ça, ça a été la première porte ouverte. Dans chaque moment difficile, j’avais l’écriture comme
thérapie, en plus du sport. Le sport, ça vide la tête, l’écriture aussi. De manière différente. Dans
l’écriture, tu peux tourner le problème entre tes mains, c’est toi en face de toi. Et à un moment donné,
pour moi, c’est devenu des histoires, ou plutôt des scènes. Chaque fois, j’ai eu un flash, une image
très forte dans ma tête, une situation très forte, un lieu fort dans ma tête, si fort que j’ai eu le goût de
l’écrire.
Quand est arrivé ce deuil-là, mon deuil à moi, c’est sûr qu’en premier, j’ai eu envie d’écrire. Au départ,
c’était vraiment thérapeutique… pour essayer de comprendre. Mais souvent, je me mettais à écrire
des scènes. Il devait y avoir sûrement la conscience/inconscience de dire : un jour, je ferai quelque
chose avec ça. Mais pas dans les premiers six mois. C’était juste pour moi, juste pour faire sortir
quelque chose. Un jour, je me suis rendu compte qu’il y avait une parenté entre les scènes. Finalement,
j’ai décidé de tout rassembler, et de mettre les mêmes personnages dans chaque scène. Mettre un
peu plus d’intentions là-dedans. J’ai fait ça comme un voyage intérieur. Et au bout de la ligne, c’est
devenu un projet artistique que je voulais mener à terme.
Tu t’étais donné des objectifs?
JONATHAN : Oui, mais pas au début. Au bout d’un an, c’est devenu clair. Il y a eu aussi des longs
moments, des longs mois où j’ai laissé dormir ça, parce que je voulais avoir un bon regard dessus.
Tout ça pour dire que oui, j’avais un objectif, je voulais que ça donne quelque chose, mais j’avais peur
de certains aspects. Parce que je le faisais un peu pour moi aussi. Ce que je voulais transmettre,
c’était de la lumière, pis ça a été long avant que je sois capable de mettre de la lumière là-dedans.
Au début, c’était très dark. Il m’a fallu à peu près trois ans pour que je mette un peu de lumière làdedans.
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Au-delà de la difficulté d’écrire sur un sujet aussi personnel, as-tu rencontré des difficultés
d’écriture, des difficultés d’auteur, dans la construction et la structure du récit?
JONATHAN : Au moment de l’écriture des scènes, c’était jamais important. Le réflexe libérateur était
de me dire : ça sort comme ça sort. Ça, c’était pas difficile : ça avait besoin de sortir. Mais oui, le travail
d’auteur après, ça a été dur à certains égards. Il y a eu la difficulté de situer les personnages dans
des lieux. C’était flou pour moi, ça. Mon roman, c’est en quelque sorte le journal psychologique de
Ludo, mais il était pas situé au départ. C’étaient des flashes, des émotions, des états intérieurs. Je
me suis dit qu’il fallait que je situe ça. L’idée du voyage est arrivée tard (le voyage vers la maison de
Félix pour reprendre le chapeau). Je te dirais qu’il y a aussi le style. C’est fou, mais je crois que j’ai
trouvé mon style avec le roman.
Ça m’aura pris un livre pour me lancer. Un livre que j’ai lu et qui m’a donné un élan. J’ai voulu copier
un peu, y aller par mimétisme, pour m’approprier un peu le style d’un autre. Le livre, c’était Lila dit ça
de Chimo. Ce livre-là m’a donné du souffle. Et pourtant, il est écrit en verlan, super poétique! Je
cherchais par imitation à trouver ma manière à moi, je m’en rends compte maintenant que ça fait
longtemps. J’essayais d’épouser un style que je trouvais simple, lumineux, limpide, incroyable. Et à un
moment donné, à force de travailler le texte, j’ai trouvé ma vision à travers ces deux énergies (la mienne
et celle de Chimo). J’ai eu un flash qui a consolidé la manière dont j’avais envie d’écrire. Pis ça a
donné ça.
Est-ce que tu crois que la création ou l’écriture doit être liée à une forme de souffrance ?
JONATHAN: Non. J’ai lu des choses qui ne partaient pas de la souffrance, des choses incroyables qui
sont plutôt des perceptions du monde. Moi, je trouve qu’on a de la misère à saisir le monde. En tout
cas, c’est un sujet qui me passionne. Mon rapport au monde, mon intensité de mon présent à chaque
jour, c’est ça qui est important pis que je veux transmettre dans les prochaines choses que je vais
écrire. Mais c’est vrai, ça pourrait naître d’une souffrance. Celle de ne pas avoir accès…
Une volonté de transcender le réel? D’aller au-delà de la vie quotidienne?
JONATHAN : Ouais. Ou de calmer un peu notre cérébralité constante. Moi, je fais du yoga pis je joue
au hockey. C’est dans ces moments-là que je me sens le plus en vie. C’est là que je suis vide dans
ma tête. Quand je vois un coucher de soleil, je le compare pas au plus beau que j’ai vu. J’essaie de
juste vivre les moments pour vrai. Le présent pour moi, c’est rien que ça qui existe. Pis je peux paraître
spiritualiste soudainement, mais pour moi, c’est rien que ça qui vaut la peine d’être cherché. Ça, pour
moi, c’est une quête permanente.
Mais disons ça au sens plus large… Parce que la souffrance, ça peut aussi être un élan ou
la confirmation de quelque chose ou… une justification peut-être comme être ou comme artiste?
JONATHAN : Ah là, oui. La souffrance, je pense que ça génère la majorité des œuvres. Mais… Est-
ce que c’est obligatoire? Tu sais, Daniel Pennac, il écrit des histoires juste pour la passion d’écrire
des histoires. On dirait qu’il aime chacune des phrases qu’il écrit à mesure qu’il les écrit. Il y a une
passion du récit, là, que je sens pas née d’une souffrance. Ou Baricco. À certains moments, on sent
pas la souffrance du tout. Ça arrive souvent par exemple que ce soit ça. Mais c’est pas obligé.
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Comme dans ton roman, est-ce qu’on peut dire que c’est l’amour le plus fort?
JONATHAN : Oui. Mais s’il y avait pas eu la souffrance initiale, j’aurais pas écrit ça.
La souffrance t’a mis dans un état d’inconfort qui t’a forcé à écrire. À imaginer.
JONATHAN : Moi je pense que… là, je suis pas en train de dire qu’il faut courir après la souffrance
pour écrire… Je pense qu’il faut être heureux. Non. On a pas besoin de la souffrance pour écrire.
Est-ce que tu crois que la détresse qui pousse au suicide, ça peut être de l’incapacité de dire
certaines choses?
JONATHAN : Que la souffrance de celui qui décide de mourir, ce soit un manque de capacités de
s’exprimer? Ben… je pense que quelqu’un qui se suicide, c’est quelqu’un qui a manqué d’outils.
C’est quelqu’un qui avait pas assez d’outils pour voir que ça peut être beau de vivre. C’est un peu
général et un peu plate à dire, mais c’est ce que je crois. Et j’ai de la misère à en dire plus que ça.
Les outils, ça peut être s’exprimer, ça peut être d’être écouté, sentir que tu as le droit de dire ce qui
t’habite, sentir que ta souffrance existe chez les autres, que tu n’es pas tout seul dedans. Avoir des
outils, c’est aussi avoir reçu une éducation qui nous a appris à apprécier les choses de la vie, qui nous
a donné envie d’aller dans le monde. C’est tellement complexe, et c’est pour ça que je dis ça
généralement, parce que tout ce qui nous a habilités à vivre ou pas, dans un monde aussi pourri que
le nôtre, c’est complexe. C’est pour ça que je me dis qu’il y en a qui ont pas les outils, et il y en a qui
les ont. Il y en a, ils ont pas de proches à qui parler, mais à un moment donné ils vont voir une brèche
et pis ils vont finalement aller se chercher des outils.
Ce que tu nommes des outils, j’aurais envie d’associer ça directement à des mots, mais ça
peut être autre chose peut-être…
JONATHAN : Comme si ces gens-là étaient pas capables de nommer leur souffrance?
Oui. Penses-tu?
JONATHAN : Non. Ou oui, peut-être des fois. Mais c’est souvent plus complexe que ça. Peut-être que
ça, manquer de mots, ça peut faire souffrir, mais ça peut être autre chose aussi. J’ai un ami proche
de moi qui vient de m’avouer être déjà passé proche de le faire, récemment. Lui, ce qu’il m’a dit, c’est
que ce qui le fait souffrir, c’est pas les choses qu’il vit, c’est les choses qu’il vit pas. Le fait de sentir
qu’il est dans un rien, emprisonné dans un quotidien sans aucun extrêmes. Le manque d’extrêmes le
fait souffrir. Le sentiment qu’il va pas vivre une histoire d’amour intense, qu’il n’a pas souffert dans sa
jeunesse, le sentiment que sa vie est grise, pis qu’il est pris dans cette « griseur », ou cette grisaille.
Ça, c’est une forme de souffrance pour lui. Comme s’il ne savait pas qu’il pouvait être responsable
de tous ses extrêmes, qu’il les porte en lui. Il sent plutôt tout le poids de son éducation qui le garde
dans cette grisaille-là.
Moi, je pense qu’il y a plein de sortes de désespoirs. Le désespoir du trop ou du pas assez. L’un et
l’autre, c’est aussi grave. Mais là, on postule plein d’affaires, pis c’est tellement délicat comme sujet…
Et je voulais absolument pas être moralisateur dans mon livre. Je pense qu’il y a personne qui peut
l’être.
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Ça, j’ai aimé ça, qu’elle lui dise qu’il avait le droit, et qu’elle l’aime même s’il vit sa peine tout
croche. Elle l’aime DANS sa peine. C’est magnifique ça. C’est comme quand ta mère t’a dit que tu
avais le droit d’écrire tout ce qu’il y avait dans ta tête. Une permission d’être vrai. Ça, pour un être
ou pour un artiste…
JONATHAN : Ça te légitimise. C’est ça le plus important. Je trouve qu’on vit pas longtemps pis… Moi
tout ce que je veux pour ma vie, c’est le plus de vertige possible. Au sens où je trouve qu’on a pâli
l’expérience de vivre dans notre société. J’essaye de changer tout ce qui m’empêche de donner de
la couleur à toute ma vie. La vie vécue, c’est ça que je veux. La vie en plein vent. En amour, en amitié,
en spontanéité, dans les choses que je veux faire. Cultiver la spontanéité pour moi, c’est ça qui va
donner les choses les plus vraies dans la création. Pis c’est pas juste écrire ou créer, mon objectif.
C’est appliquer ça à toutes les sphères. C’est seulement vivre bien pis pas juste à moitié.
Il y a pas beaucoup de monde qui croit à l’intensité dans l’amour. Mais moi, je crois que ça existe, ça,
la vraie intensité dans l’amour, parce que je la vis. Ça existe, pis ça me donne envie de me battre
contre la désillusion généralisée.
Moi, dans ma vie, je me crinque avec l’ambiance atone qu’il y a autour de moi. Je me crinque par
contraste. C’est pas ça que je reconnais en moi, le monde ambiant, alors j’ai le droit de faire autrement.
J’ai le goût de faire autrement. Je trouve que et la société et la culture font un melting-pot d’amorphe.
Je veux pas me fâcher contre personne, mais moi je veux vivre ça autrement. Pis tant mieux si d’autres
gens autour ont envie de pas abdiquer.
Quelles sont tes inspirations ?
JONATHAN : Mon livre préféré est Lila dit ça. J’aime beaucoup Alessandro Baricco. Romain Gary
aussi, surtout Clair de femme. Pour Baricco, c’est Océan mer mon préféré. Il y a aussi Flora Balzano,
Soigne ta chute. J’en ai eu des frissons.
Au cinéma?
JONATHAN : Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Milos Forman. Dernièrement, Amores Perros. Il
y a un truc qui m’a complètement jeté à terre, c’est Six Feet Under. J’ai pleuré sérieusement pendant
deux heures à la fin...
Est-ce qu’il y a une chose en particulier que tu espères pour ce projet-là?
JONATHAN : Le vivre. Pas dans ma tête. Dans mon cœur. Dans mon ventre. J’espère rien d’autre.
Merci beaucoup.
JONATHAN : C’est tout? Ben merci.
Propos recueillis par Marc-Antoine Cyr et Sarah Pinelle.
Un gros merci au Théâtre PàP pour avoir mis cet entretien à notre disposition.
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JE VOUDRAIS ME DÉPOSER LA TÊTE
LE SPECTACLE ET SON METTEUR EN SCÈNE
Claude Poissant et le Théâtre PàP
L’homme derrière le projet de porter à la scène le roman de
Jonathan Harnois est Claude Poissant, co-directeur artistique du
Théâtre PàP et un de ses fondateurs. Claude Poissant est un
des piliers du milieu théâtral québécois. Depuis trente ans, il
mène une triple carrière de metteur en scène, auteur et
comédien.
Lors de sa fondation, le PàP était un collectif ayant à son bord
jusqu’à sept membres dirigeants. À cette époque, il portait le
nom de théâtre Petit à Petit et tous ses membres participaient aux spectacles et avaient leur mot à dire sur
le fonctionnement de la compagnie et sur les choix artistiques. Après quelques créations collectives et pièces
écrites à une, deux ou trois voix, le PàP frappe un grand coup avec la création de Où est-ce qu’elle est ma
gang ?, un texte de Louis-Dominique Lavigne. Cette pièce destinée au public adolescent allait ouvrir la voie
à un théâtre écrit pour les jeunes, mettant en scène de « vrais » jeunes et traitant de sujets qui les touchent
dans une forme intelligente et pas du tout didactique. En plus de son volet adulte, le PàP a créé une dizaine
de productions pour adolescents entre 1982 et 1999, qui furent présentées dans les écoles et les salles
de spectacle du Québec et du Canada.
Le PàP a révélé le grand talent des metteurs en scène Claude Poissant et René-Richard Cyr. Au cours des
années, le PàP n’a jamais adhéré à la dictature de l’image et a persisté dans son désir de proposer des
textes au discours fort et dérangeant. Il n’a jamais cédé à la facilité, à l’artifice et au conservatisme. Il a dévoilé
au public des œuvres fondamentales de la dramaturgie québécoise, comme Les Feluettes (1987) de MichelMarc Bouchard, Cul-Sec (1995) de François Archambault, Motel Hélène (1997) de Serge Boucher et Le
Ventriloque (2001) de Larry Tremblay. Le PàP n’hésite pas non plus à donner la parole à de jeunes auteurs,
comme en témoignent les créations récentes de Stampede (2001) de François Létourneau et Crime contre
l’humanité (1999) et Le Goûteur (2002) de Geneviève Billette et Couche avec moi (c’est l’hiver) (2006)
de Fanny Britt.
Après avoir passé quelques années seul à la barre du PàP, Claude Poissant, en 2007, offrait au jeune auteur,
metteur en scène et comédien Patrice Dubois de partager ses fonctions, soucieux de transmettre à une
autre génération les infrastructures et l’expertise de cette compagnie reconnue et appréciée tant du public
que du milieu théâtral. Il s’agit ici d’une des plus belles qualités de Claude Poissant, reconnu comme un
grand rassembleur, à l’écoute des générations qui le suivent.
Comme metteur en scène, en plus de son travail sur les créations au PàP, il a monté avec brio des classiques
de Victor Hugo, Racine, Pirandello et Marivaux sur les grandes scènes de Montréal et de Québec. Il a
enseigné et enseigne toujours dans plusieurs écoles de théâtre et est l’auteur des pièces Passer la nuit, Ce
qui reste du désir, Si tu meurs je te tue et Les Enfants d’Irène, toutes créées au PàP. Dans les mises en
scène réalisées par Claude Poissant, on peut sentir son regard lucide et curieux sur le monde et sa grande
tendresse pour les gens qui y vivent.
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Reconnu comme un formidable directeur d’acteurs, Claude Poissant s’entoure de créateurs qui, comme lui,
sont prêts à plonger – et à se mouiller ! - dans les méandres de l’âme humaine pour en faire ressortir les désirs
et les passions. Au sujet des jeunes artistes qu’il est régulièrement amené à côtoyer, il a dit ceci :
C’est essentiel d’être entendu quand on débute. J’aime être la porte à laquelle on peut frapper sans gêne.
ELLE Québec, Avril 2007
On a tellement tendance à condamner la jeunesse, remarque le créateur. Moi je dis : au contraire, entrons
dans leur univers. C’est ça, pour moi, continuer à exister. Ne pas être nostalgique. Dans la génération des
20-30 ans, qu’on a traitée de tous les noms, il y a un romantisme qui est inspirant. Ils naviguent entre
l’idéalisme et les moyens réalistes pour y arriver. Il y a ça chez Jonathan Harnois, je trouve.
Le Devoir, 24-25 mars 2007
Le grand frisson
Tout part d’un frisson, et c’est vraiment ce que j’ai eu en lisant le livre, se rappelle Claude Poissant. Autant
le propos m’intéressait que le défi de mettre en scène un roman sans le trahir.
Le Journal de Montréal, Samedi 17 mars 2007
Le spectacle est donc un poème dramatique à cinq
voix, puisqu’on y retrouve aussi Andelle,
l’amoureuse de Ludo, et le personnage de la mère
de Félix. Pour incarner le « chœur » des Ludovic et
Andelle, Claude Poissant a fait appel à des acteurs
fraîchement diplômés des écoles de théâtre et à
une actrice chevronnée pour incarner la mère. Tous
ont dû travailler intensément pour réussir à habiter
le texte sans ajouter d’intention. Comme il s’agit
d’une poésie très forte, il faut seulement dire les
mots, ne pas appuyer.
Claude Poissant a réussi à faire un spectacle
unique qui se situe à mi-chemin entre le monologue
et la narration illustrative. Le résultat est très vivant et incarné sur scène, sans que l’action qui est racontée
par Ludovic soit en même temps jouée. Jonathan Harnois a écrit quelques scènes supplémentaires, surtout
pour la mère de Félix qui, quoique présente dans le roman, ne prononçait aucune parole. Ce qu’il y avait dans
les silences, l’auteur l’a mis en mot.
Photo © Dominique Chartrand
Comment passe-t-on du roman à la scène ? Quels sont les pièges à éviter ? Comment théâtraliser un récit
à une seule voix ? Claude Poissant cherchait à se renouveler, à se lancer un défi formel, et il a trouvé dans
Je voudrais me déposer la tête matière à relever ce défi. Différentes possibilités sont apparues en cours de
travail, qui s’est échelonné sur toute une année. D’abord il a choisi de ne pas adapter le roman en dialogues,
de conserver tout l’aspect narratif, sans quoi il aurait perdu ce qui l’avait accroché au départ : la force des
mots. Ensuite, pendant le processus d’audition, il prend deux grandes décisions : confier le rôle central de
Ludovic non pas à un seul, mais à trois acteurs et ne pas représenter sur scène le personnage de Félix, qui
était plus intéressant évoqué qu’incarné. Les trois Ludovic ne sont jamais en interaction directe, ils ne se
regardent jamais. Mais en remettant la parole de Ludo à un trio d’acteurs, aux corps et aux sensibilités
distinctes, il a pu ainsi lui prêter une dimension universelle, multiplier la portée de son cheminement.
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Les personnages
Ludovic
Ludo est un jeune homme normal, qui travaille, va au cégep, a une copine et aime faire la fête avec ses amis.
Il rêve de voyage, souhaite quitter sa banlieue qui l’éteint. Le suicide de son meilleur ami, Félix, va le précipiter
au beau milieu d’une tempête d’émotions et de questions existentielles et le poussera à entreprendre un
pèlerinage au centre de lui-même.
La journée s’en va avec nos pas, et je m’inquiète de mille et un riens.
Je plane, à côté du monde, loin ailleurs.
Refus de regarder en face cette évidence insupportable, cette violente nécessité : la mort.
(Je voudrais me déposer la tête)
Andelle
Andelle est l’amoureuse de Ludo. Elle est lumineuse, aimante, sensée. Elle est très vivante et l’accompagne
dans son processus de deuil. Elle n’a peur ni de sa peine, ni de sa colère.
Les idées et le cœur et les danses de sa voix quand elle discute,
quand elle nomme les choses, quand elle rit, quand elle veut me faire l’amour.
Les plus infimes gestes de son existence m’ensoleillent.
(Je voudrais me déposer la tête)
La mère de Félix
La rencontre entre Ludo et la mère de son meilleur ami survient vers la fin de la pièce, alors qu’il atteint la
maison de Félix pour récupérer le chapeau. La présence de cette femme adulte, complètement dévastée,
amène un nouveau point de vue, bouleverse la ligne dramatique et ouvre sur toutes les répercussions qui
peuvent naître de la perte d’un enfant.
Mon petit Ludovic je suis barrée dans la tête, ce n’est pas facile pour nous tu sais de poursuivre.
Parfois je pleure dans la cuisine, je tiens une mèche de ses cheveux dans ma main. Mon mari
travaille dehors et moi je reste ici toute seule, jusqu’au soir. J’ai peur qu’après la vie il n’y ait rien,
rien rien du tout, que tout soit fini pour de bon. J’ai peur que mon fils ne soit nulle part en ce moment.
(Je voudrais me déposer la tête)
La scène
Le décor très simple est un espace ouvert.
Il s’agit d’une plate-forme inclinée, qui
provoque au simple coup d’œil une
impression de déséquilibre. La seule chose
qui en altère la surface est une porte
multidirectionnelle dans le plancher, avec
laquelle on peut jouer durant le spectacle.
Par exemple, on ouvre la porte et le trou
devient la tombe de Félix. On lève la porte
pour entrer dans la chambre de Ludo ou
dans celle de Félix. On l’incline légèrement
et elle devient le quai où Félix a stationné sa
voiture pour se donner la mort. Au fond de
la scène, on retrouve un écran vidéo où sont projetées à deux reprises des images de Ludovic, dans l’eau.
Quelques accessoires viennent judicieusement égayer la scène, des clins d’œil, un peu comme des jouets
de petits garçons, des modèles réduits de la voiture de Félix et de celle de son père, une petite maison qui
représente celle de Vincent, le frère d’Andelle. Grâce à ceux-ci, on saisit toute la jeunesse des personnages,
qui ont un pied dans l’enfance et un pied dans l’âge adulte.
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Même si les trois Ludovic ne se regardent et ne se parlent pas, ils posent parfois des actions communes ou
complémentaires. Par exemple, durant la scène de la fête, tous les trois dansent, sautent et essaient
d’atteindre quelque chose en haut. Pendant qu’un des Ludovic raconte comment il était fasciné par les
éboueurs durant son enfance, les deux autres et Andelle se lancent les sacs de couchage comme s’il
s’agissait de sacs de poubelle. Une très belle scène se déroule juste avant que Ludo n’arrive chez Félix, sur
fond de musique classique. Avec Andelle, dans la maison de Vincent, un des Ludovic fait l’amour, tandis que
l’autre boit du porto qui dégouline sur le plancher et que le troisième observe la scène à travers la petite
maison miniature, comme s’il était à l’extérieur, déjà rendu ailleurs.
Un travail extraordinaire a aussi été effectué au niveau de l’accompagnement sonore et de l’éclairage. Les
concepteurs ont réussi à évoquer différents lieux uniquement avec le son et l’éclairage, de manière très
subtile et efficace, comme une autoroute, l’usine où travaillaient Ludo et Félix, la rivière, le métro, un champ.
Les thèmes
J’ai eu l’impression d’entrer dans un univers où l’intériorité du narrateur avait une telle grandeur,
une telle vérité que ça m’a tout de suite bouleversé. Il faut connaître le deuil pour être capable d’en
parler ainsi. Une histoire d’amitié entre deux gars, ça me touche. Il y a aussi une histoire d’amour à
travers ça, pour se sortir du deuil, et une quête intérieure pour passer à travers les fantômes. J’ai
trouvé que c’était un roman lumineux. Et je me rends compte que ça me fait énormément de bien,
même si ça parle de la mort et du deuil, de pouvoir travailler là-dessus.
Claude Poissant dans Le Devoir, 24-25 mars 2007
Le suicide chez les jeunes est un sujet inquiétant qui touche des gens dans tous les milieux. Les créateurs
sont des citoyens qui peuvent, par le biais de l’art, provoquer des questionnements chez les spectateurs
autour de sujets sensibles. La volonté d’un artiste est souvent de ne pas proposer de réponses aux questions,
de ne pas accuser. Les artistes ne sont pas des juges, ou des médecins, mais des individus dont l’imaginaire
nous invite à aller voir de l’autre côté des choses.
Mon bel ami s’est endormi à l’aube en même temps que moi, dans la nouvelle BM de son père. Au
quai, incognito invisible silencieux kamikaze, les yeux brouillés dans le soleil du matin, alors que le
St-Laurent s’essoufflait devant lui, alors que le St-Laurent tentait de le convaincre que non. Félix s’est
endormi pour de bon, il a quitté les méandres de l’existence, il a coupé le tourment. Et maintenant
moi je suis une ombre givrée, en alerte. Je clignote comme un morceau de panique.
(Je voudrais me déposer la tête)
Pour l’équipe de création, Je voudrais me déposer la tête est une aventure exigeante, éprouvante, mais
extrêmement nourrissante, comme elle peut l’être pour les spectateurs. C’est le trajet d’un exorcisme, c’est
une quête de profondeur, un refus de la réussite matérialiste, un chant d’amour, une recherche d’absolu.
Félix meurt au sixième chapitre, et ensuite il y a vingt chapitres qui constituent la quête de Ludovic. Pour
l’auteur Jonathan Harnois, il s’agissait avant tout d’exprimer la résilience, d’en montrer le processus.
Au début, le texte était très noir, mais je savais que ça s’en allait vers quelque chose de lumineux.
Je n’aurais jamais voulu que le roman paraisse s’il n’y avait pas eu cette note lumineuse à la fin.
Jonathan Harnois dans Voir, 22 mars 2007
11
Ludovic est un être humain qui perd ses repères, ce qui peut arriver à tout âge dans une vie, et même à
plusieurs reprises. Le personnage de Ludovic nous montre que si nous pouvons être victime de nos fantômes,
de nos démons, il faut aussi accepter de leur faire face, de perdre l’équilibre pour mieux le retrouver.
Félix, J’aimerais comprendre comment tu pensais les choses pour avoir tant souffert.
Je n’ai pas su te garder du danger de penser trop fort. Je n’étais pas l’ami qu’il faut. Pas l’ami d’ivoire.
Je suis un bourbier.
Je veux changer.
(Je voudrais me déposer la tête)
En choisissant de marcher vers la maison de Félix, pour un trajet de quelques jours, Ludovic accepte de
plonger au coeur de sa douleur pour mieux en émerger, ensuite, toujours aussi triste, mais libéré de la
culpabilité, de la colère, comme Jonathan Harnois a plongé dans le verbe pour se libérer.
Les larmes montent. Elles tournoient, elles vrillent, elles dessinent un dessein. Je sens naître en
moi une nécessité. Des phrases, des flammes. Des mots hurlants de sortir, d’expirer les angoisses
et les songes.
(Je voudrais me déposer la tête)
Jonathan Harnois considère que notre société n’offre pas au premier abord ce qu’il faut pour donner un sens
à la vie.
Nous sommes englués dans un mode de vie matérialiste et stérile, anesthésiés par notre confort, «
confortably numb », explique-t-il en citant la chanson de Pink Floyd. Il est pourtant possible de
redonner un sens à notre vie. Il suffit de dire non à la vacuité ambiante.
Jonathan Harnois dans L’Actualité, 1er mai 2007
On peut dire non à la vacuité ambiante de mille manière, en écrivant, en faisant du théâtre, en allant au
théâtre, ou comme le dit Claude Poissant, en pensant à ceux qui nous entourent.
À la fin de la représentation, j’aimerais que les gens du public aient envie d’appeler leurs amis et
de rester à l’écoute des autres en sortant de leur égocentrisme, confie Claude Poissant.
Le Journal de Montréal, Samedi 17 mars 2007
12
AUTOUR DU SPECTACLE ET DES THÈMES
LA BANLIEUE / LE MAL DE VIVRE
Je suis si triste, Félix, à me promener comme ça dans ce que tu méprisais le plus. Ça me brûle les
yeux, cette contrée. Je ne supporte plus de vivre ici… tout est creux et amer : les corsages orange
des haies, les champs de pylônes au loin, les gens qui me regardent parfois comme si mon ombre
était un monstre. J’ai froid de tous ces petits zèles superflus, de cette ambiance si lourde et si vide
en même temps et de ces conversations toutes filandreuses. Dans ma banlieue compacte et
anonyme comme une maquette, je suis paralysé devant le spectacle qui s’offre : la sourde immobilité
de la vie, les habitudes irrémédiables, les cœurs maquillés, et les yeux de plomb rivés sur les sols
immaculés du voisinage.
Je n’aime pas m’y promener. Je m’y sens dévoré.
(…)
Banlieue, tu as précipité sur moi tes mauvais augures. Tu es assassine, tu es coupable. Tu es l’hydre,
la sourde traîtrise. Banlieue, la nuit dernière tu m’as pris par les cheveux avec ta lente violence et
tu m’as enlevé des lambeaux de chair, tout autour du plexus, comme on arrache les pétales aux
fleurs, pour mieux considérer leur pollen… et mieux prendre leurs boutons dorés entre les doigts et
les dépecer attentivement. Banlieue, je sais que bientôt tu veux mon cœur. Tu pèses sur moi, tu as
une odeur de fin. Tu me remplis d’effroi ; je veux m’en aller très loin…
(Je voudrais me déposer la tête)
Au cours de la préparation de ce dossier, plusieurs documents (livres, films documentaires) ont été consultés.
Nous vous présentons ici plusieurs œuvres autour de deux thèmes essentiels à Je voudrais me déposer la
tête, soit le mal de vivre et la banlieue, accompagnées de questions qui pourront nourrir des discussions en
classe.
En 2008, paraissait au Québec le film Tout est parfait, d’Yves Christian Fournier.
Ce film a obtenu un important succès critique et public, en plus de mériter des
récompenses dans différents festivals un peu partout dans le monde. Mettant
en scène un adolescent survivant à un pacte de suicide, Tout est parfait exprime
avec peu de mots mais beaucoup d’émotion le désarroi de certains jeunes, et
comment il peut déteindre sur leurs proches. Rempli de trous, de malaises, le
film témoigne de l’incapacité à exprimer leurs émotions que vivent les jeunes
hommes d’aujourd’hui. L’interprétation est criante de vérité. Malgré toute la
douleur que le film charrie, il se termine sur une note d’espoir. Le populaire
groupe de hip hop québécois Loco Locass a composé une chanson pour la
bande originale du film.
13
M’accrocher – Loco Locass
Ces derniers temps ma vie s’est
dégradée en ton de gris
Monochromie, monotonie, mélancolie
Beaucoup de nuits, beaucoup d’ennuis
Je sens que je fléchis et je réfléchis
Quatorze étés déjà jetés, qu’aurais-je été
Une bougie soufflée trop tôt comme mon
ami mort en moto
Une statistique, pathétique dans une
chronique nécrologique
Un québécois de plus en moins, ça
ferais-tu de quoi a quelqu’un
Je sais pas c’qui s’passe, mais c’est pas
rien qu’une mauvaise passe
J’aimerais disparaître, comme dans un
tour de passe-passe
En attendant j’veux bien paraître dans la
parade de l’apparat
Mascara, mascarade pour mes parents,
mes camarades
Même si j’suis maussade, j’ai rénové ma
façade
La clôture métallique est un sourire
orthodontique
Dans les murs, les fissures ont été
colmatées
Les volets sont repeints, la toiture est
refaite
L'imposture est parfaite
À l’intérieur tout est décrépi, la charpente
est pourrie
Les tapis sont finis pis la tapisserie est
moisie
Les lambris sont recouverts de vert-degris
Les amis j’vous l’dis tout ça c’est bon
pour l’incendie
Avancer c’est vain quand y’a pas
d’horizon
À mes pieds ya un ravin pis j’en vois
même pas le fond
Si j’lève mes deux mains je bute sur un
plafond
À quoi bon un lendemain si c’est pour
creuser plus profond
(2x)
En attendant mon heure je tue les heures
devant mon ordinateur
Dire que ma mère pense que c’est pour
mes travaux scolaires
Pauvre maman si t’étais au courant
Tu déboulerais dans cave en courant
Parce qu’en s’moment j’suis sur un site
de nœuds coulants
Si j’me souviens comme il faut, dans
l’garage ya tout s’qui faut
escabeau, corde à canot et un anneau
assez haut
Hisser haut!!! Hisser haut!!!
Et si jamais j’m’accrochais se serait à la
vie ou à un crochet
Je viens de terminer le bouquin d’un
certain Hubert Aquin c’est pas du
arlequin
Il prévoit la fin des miens, est-ce que son
destin sera le mien
C’est pas certain. J’ai peut-être pas la
rage de vivre mais j’ai pas l’courage
de mourir
Fatigué, indécis, C’est mon récit c’est
temps-ci
J’ai réussi mon entrée mais j’veux pas
rater ma sortie
Avancer c’est vain, quand ya pas
d’horizon
À mes pieds ya un ravin pis j’en vois
même pas l’fond
Si j’ lève mes deux mains, je bute sur un
plafond
À quoi bon un lendemain si c’est pour
creuser plus profond
(3X)
14
Autre temps, autre mœurs… En 1956, le poète français Louis Aragon faisait paraître
un recueil qui s’intitule Le Roman inachevé, lequel contient le poème Il n’aurait fallu.
Quelques années plus tard, le chanteur Léo Ferré choisit de mettre en musique ce
poème.
Il n’aurait fallu - Aragon
Il n'aurait fallu
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne
Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
A l'immense été
Des choses humaines
Moi qui frémissais
Toujours je ne sais
De quelle colère
Deux bras ont suffi
Pour faire à ma vie
Un grand collier d'air
Contre mon épaule
Un front qui s'appuie
A moi dans la nuit
Deux grands yeux ouverts
Et tout m'a semblé
Comme un champ de blé
Dans cet univers
Un tendre jardin
Dans l'herbe où soudain
La verveine pousse
Et mon cœur défunt
Renaît au parfum
Qui fait l'ombre douce
Il n'aurait fallu
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne
Rien qu'un mouvement
Ce geste en dormant
Léger qui me frôle
Un souffle posé
Moins une rosée
15
Dans le spectacle Je voudrais me déposer la tête, le metteur en scène Claude Poissant a choisi de faire
danser les personnages sur une chanson de Jérôme Minière, auteur-compositeur-interprète québécois, qui
a beaucoup critiqué le vide de notre société de consommation, dans des chansons douces-amères, parfois
tendres, parfois plus rythmées, comme La jeunesse est vieille comme le monde, utilisée dans le spectacle.
Photo © Sylvain Dumais
La jeunesse est vieille comme le monde - Jérôme Minière
Un western en accéléré
Sans cesse des interférences
Passer à autre chose pas de longues conférences
La jeunesse est un truc
Qui brille dans le sang
Qui donne de la couleur rouge et les émotions troubles
Elle court sans arrêt
Impossible à calmer, ni à raisonner
La jeunesse est vieille comme le monde
La jeunesse est vieille comme le monde
Une vague déferlante
On se réveille un peu plus tard
Assis sur le sable
On voit d’autres vagues
On repense à la nôtre
Qui n’a que des débris
Des tatouages, des photographies
On se dit qu’elle est passée si vite
Alors que pas du tout
La jeunesse est un chemin qui n’en finit pas
La jeunesse est vieille comme le monde
La jeunesse est vieille comme le monde
À chaque génération nous avons cette illusion d’être vraiment
la jeunesse mais nous ne portons qu’un corps publicitaire à l’effigie de
cette princesse
Vieille chose impitoyable
Tu n’acceptes pas
De vieillir avec les corps que tu as touchés
Après toutes ces années tu as tellement peur de t’avouer ton âge
Tu préfères une vie de dandy
Sucrée et légère
Et toujours de nouvelles conquêtes
Tu nous as laissé finalement tous sur le bord de la route
La jeunesse est vieille comme le monde
La jeunesse est vieille comme le monde
Qu’on habite à Orléans ou à Hong Kong
La jeunesse est vieille comme le monde
16
Côté cinéma, les occidentaux sont parfois capables de poser un regard très lucide sur leur société. Des
cinéastes aux horizons différents ont traité de manière très personnelle des thèmes de la banlieue et du
suicide.
* D’abord, en 1999, paraît le film American beauty, de Sam Mendes, un réalisateur britannique. Ce film met
en scène une famille américaine qui de prime abord semble tout à fait ordinaire. Peu à peu, les failles des
personnages apparaissent, leurs désirs inavoués (et inavouables), leurs frustrations et leurs violences
explosent.
À voir si vous aimez :
• L’humour grinçant
• Les personnages qui disjonctent
• Les critiques sociales féroces
* Un peu plus tard, en 2000, Sofia Coppola porte à l’écran The Virgin suicides (Cri ultime), à partir du roman
de Jeffrey Eugenides qui raconte l'histoire du suicide des cinq soeurs Lisbon dans le cadre d'une banlieue
bourgeoise huppée de Détroit durant les années 1970. Journaux intimes, rapports entre garçons et filles,
parents surprotecteurs, atmosphère puritaine et étouffante sont les ingrédients de ce drame délicat.
À voir si vous aimez :
• Les films intelligents et subtils
• La mélancolie
* Gus Van Sant est un réalisateur dérangeant qui a su se renouveler au fil de sa filmographie. Il avait déjà
offert un film très dur sur la jeunesse, en 1991 : My own private Idaho, avec deux personnages de
toxicomanes prostitués. Il récidive en 2003 avec le très controversé Elephant, qui prend sa source dans la
tuerie américaine de l’école secondaire Colombine. Palme d’or au Festival de Cannes, le film prend son titre
de la grosseur de l’éléphant, qui se voit comme un nez au milieu de la figure, mais qu’on aimerait bien pouvoir
cacher, ou ne pas voir. Un lycée français a mis en ligne un site Internet regorgeant de ressources
pédagogiques autour du film :
http://www.ac-nancy-metz.fr/cinemav/elephant/
À voir si vous aimez :
• Les films esthétiquement recherchés
• L’absence de sentimentalisme
Quelques années plus tôt, en 1990, un film avait fait sensation auprès des jeunes. Il s’agit de Pump up the
volume, d’un réalisateur d’origine québécoise installé aux États-Unis, Allan Moyle. On peut y suivre le
personnage de Mark Hunter, joué par Christian Slater, un adolescent timide et renfermé qui la nuit venue
anime une émission de radio clandestine sous le nom de Hard Harry, incitant les jeunes d’une petite ville à
exprimer leur colère et leurs frustrations. Il devient rapidement un emblème pour les jeunes de son école qui
aimeraient découvrir qui se cache derrière Hard Harry, tout comme les autorités qui aimeraient le faire taire.
Le film prend une tournure tragique lorsqu’un auditeur se suicide et que les étudiants se rebellent.
À voir si vous aimez :
• Les bandes-sonores énergiques et éclectiques
• L’anticonformisme
17
Depuis 1997, le Théâtre le Clou, une compagnie de théâtre de création pour adolescents
de Montréal, présente un spectacle de contes écrits par et pour les jeunes. Les Zurbains,
c’est un concept rassembleur et constructif, artistique et profond, sérieux et ludique. Des
concours d’écriture sont lancés dans différentes villes, des stages d’écriture intensifs
sont organisés au cours desquels des adolescents sont coachés par des auteurs professionnels et finalement
un spectacle de grande qualité est créé chaque année comprenant en général quatre à cinq contes écrits
par des adolescents et un ou deux écrits par des auteurs professionnels. Ce spectacle est ensuite présenté
à Montréal, Québec, et Toronto. Pour le Clou, Les Zurbains « donne la parole aux adolescents. Il leur donne
accès à une tribune de choix, par le biais d’une démarche constructive. Les Zurbains repositionne
l’adolescent devant lui, ses pairs et la société. (…) Pour chaque jeune participant, une motivation différente
se dessine : dire tout haut ce qu’il pense tout bas, satisfaire sa passion des mots, assouvir sa curiosité face
au monde de la création… C’est une parole, un échange, un apprentissage. » En 2005, un recueil regroupant
les contes des huit premières éditions, Les Zurbains en série, paraissait chez Dramaturges Éditeurs.
www.leclou.qc.ca
En 1999, une jeune fille des Laurentides voyait son texte sélectionné pour le spectacle Les Zurbains. Avec
Paradise.com, Marie-Claude Verdier témoignait d’une manière très juste du phénomène de l’exclusion, du mal
de vivre et du suicide chez les jeunes. Son amour pour le théâtre a pris sa source dans ce projet et ne s’est
jamais éteint, puisque après des études en théâtre à l’UQAM, elle est maintenant coordonnatrice
enfance/jeunesse et projets spéciaux au Théâtre français du Centre national des arts d’Ottawa. Avec sa
permission, nous reproduisons ici son texte touchant, adroit et percutant.
PARADISE.COM de Marie-Claude Verdier
Les Zurbains série III (1999)
Y'a personne ici qui sort avec quelqu'un par amour. Icitte, y'a pas un gars qui va sortir avec une fille si y'a
pas déjà un gars qui veut sortir avec. L'amour avec un grand A version 16 ans, c'est plutôt l'amour avec une
grosse paire. Le romantisme est parti sans me le dire. C'est ben à cause de ça que j'chus tu seul comme un
moron!
À la poly s'juste une gang de losers qui écoeure le peuple juste pour le trip, juste pour montrer comment ils
sont tellement plus cool que tout le monde. Faque pour rester en vie assez longtemps pour passer mon
permis, j'me cache dans le local d'info. Y'en a pas un sacrament qui va venir me chercher là. Une fois j'étais
en train de finir le 18e level de Doom quand Martine est arrivée. "Euh Sébast?"" Ah deux secondes" " Ah
come on, j'ai quelque chose à te montrer" C'était la première fois que je me rendais loin de même, j'étais pas
pour arrêter, y me restait juste à bûcher le démon pour atteindre le niveau bonus!! Martine s'est assise à
côté de moi, elle chantait High Hopes, "sa" chanson: "To a glimpse of how green it was on the other side,
steps taken forward but sleepwalking back again.." Elle s'est tannée pis est partie en laissant un bout de
papier sur le bureau. Martine pis moi, ça faisait super longtemps qu'on se connaissait, le club d'info, c'était
nous deux parce qu'on était les cibles de choix à l'école: a nous deux, on avait moins de sex-appeal qu'un
cours de bio. Elle laissait jamais quelqu'un me niaiser, j'te dit qu'à leur répondait bête, mais pas moi, moi j'étais
trop nul pour la défendre.
Après l'école j'suis retourné chez nous pis j'me suis rappelé du papier. C'était l'adresse d'un site,
Paradise.com que ça s'appelait. Mais il fallait downloader un cossin pis comme ça me tentait pas de perdre
du cash, j'ai trafiqué les codes d'accès.Après plusieurs heures, j'ai réussi à rentrer. Il fallait se créer un perso
faque j'ai scanné la photo de Ben Affleck, j'y ai bleaché les cheveux pis j'y ai mis des jeans pis un coat de
cuir. Pour le nom, j'ai tapé "Ben", y'en avait déjà 83 autres. Là la ville a littéralement poussée autour de moi,
les immeubles, pis les arbres, tous en 3D, les sons se sont glissés doucement, les gens sont apparus, des18
centaines qui déambulaient à perte de vue. J'étais devant le café Sax's, selon Martine c'est LA place sur le
site. En marchant, j'ai vu mon reflet dans une vitrine. J'avais l'air king en estie. Pis là, ça m'a frappé, pour la
première fois de ma vie j'étais beau. J'me suis mis à danser devant la vitrine pour être sûr que c'était moi qui
contrôlait ce corps-là.
Pis là, y'a quelqu'un qui m'a tapé sur l'épaule. Y'avait un ange devant moi, elle avait des grands yeux bleus,
des cheveux châtains parsemés de marguerites. "Salut" qu'elle m'a dit. "Euh Salut" Bon -Salut- c'était le plus
loin où je m'étais rendu avec une fille, parce qu'après salut je sais jamais quoi dire et là elle se rend compte
avec quelle sorte d'épais elle parle pis a sacre son camp. Mais elle restait là. "Moi c'est Juliette, j'suis
Montréal, pis toi?" "Euh cool, moi c'est Ben84 pis chuis de Montréal aussi." Là, elle pris ma main dans la
sienne et je l'ai suivi. Elle m'a montré les recoins du site, les habitués, les quartiers privés, les boutiques
virtuelles pis JingleZero, le webmaster.Ça faisait longtemps qu'elle venait ici,elle m'a dit que sa réalité à elle,
c'était celle que le Net voulait bien lui donner et que le vrai monde faisait trop mal pour rien. Moi, je l'écoutais,
elle était passionnée par cette utopie virtuelle, par ce monde dans la machine comme elle disait. On est allé
voir le coucher de soleil, c'est cliché en maudit, mais croyez-moi c'est le plus beau cliché du monde! Puis on
s'est regardé, ses yeux ont plongés dans les miens, je me suis rapproché d'elle, je l'ai prise dans mes bras,
j'ai frôlé délicatement sa joue, j'ai entrouvert doucement mes lèvres, j'ai fermé mes yeux et puis...rien. Nada,
niet, nothing, rien. Ça frenche pas fort sur le Net pis en plus ça beurre l'écran.Là mon maudit serveur a crashé
pis j'ai pas pu retourner.
Le lendemain, pendant le cours de français, Martine a commencé à me poser plein de questions sur le site.
"Pis comment t'as trouvé ça?" " Pas pire, c'est pas à se rouler à terre" "Ah.. Pis t'as-tu vu du monde?" "Ouais
j'ai rencontré une fille" "Ahah" Elle avait son petit sourire matchmaker."Comment elle est?" "Est super
fine,vraiment belle, passionnée, drôle, j'pense que chuis intéressé.." Là elle m'a fait une expression
incompréhensible pis s'est replongée dans son français + en murmurant: "we reached the dizzy heights of
that dreamed of world.. " Toujours sa toune.
Le midi, à la café, on a continué à jaser. "T'aimes pas ça plus que ça le site?" "Ben c'est juste que j'trouve
qu'y a rien de vrai, c'est tellement hypocrite, tsé, j'ai pu me gosser une super apparence, mais ça va prendre
pas mal plus qu'un logiciel pour changer qui je suis, ça sert à rien dans le fond. Elle a continué: "tu comprends
pas, ça donne une chance à des centaines de personnes, y'a du monde tu seul qui se trouvent quelqu'un,
y'a du monde straight qui peuvent sauter en parachute, habiter un palace, être connu et adulé tsé c'est un
mensonge qui fait du bien à ben du monde." Juste comme elle finissait sa phrase, y'a des p'tits pois qui sont
atterris devant nous, suivis par d'autres restants de tables. C'étaient des gars à l'autre tables, y'avaient l'air
de se trouver ben drôles. Ils criaient après Martine. Elle essayait de pas les entendre mais ils continuaient.
Elle s'est mise à pleurer, pis eux autres ils riaient plus forts, j'étais tellement écoeuré, j'me suis levé pis j'ai
crié: " T'as pas fini! As t'as rien faite!" Là toute la café s'est arrêté pour me regarder. Mais j'ai continué: "C'est
quoi ton problème Prud'homme, t'est pas assez fort pour un gars faut que t'écoeures une fille, t'es rendu si
bas que ça, tu m'écoeures Prud'homme, tu M'ÉCOEURES!!!" Martine me regardait, y'avait tellement de
gratitude dans ses yeux là. Pis là le maudit surveillant est arrivé, dans le bureau du dic mais je m'en sacrais,
j'men sacrais tellement. J'avais réussi ce que toute ma vie j'avais jamais été capable de faire. Je m'étais tenu
debout.
Il fallait que je raconte ça à Juliette. Le soir, j'chus retourné sur le site. J'avais plus besoin de me cacher, alors
j'ai pris mon vrai nom. Elle était là. Je lui ai tout raconté sans oublier le plus infime détail, elle souriait, elle était
fière de moi. Moi j'étais parti dans ma bulle ben raide, "Tsé, tu penses pas que ça serait le fun de se voir dans
la vraie vie?" que je lui ai demandé. Son sourire a disparu. "Non c'pas possible." "Ben pourquoi pas?" Et là,
j'me suis rendu compte qu'elle paniquait vraiment. "Écoute Juliette, ici c'est pas ma réalité, c'est juste un
monde d'illusions, pis notre amour, ben c'en est pas une!" Les larmes glissaient sur ses joues, elle m'implorait
d'oublier ça, que c'était une très mauvaise idée. Moi, j'voulais la rassurer alors j'lui ai dit que, si on c'était vu
19
dans la vrai vie, laid comme je suis, elle m'aurait jamais vu, enfin pas comme elle me voyait maintenant."Tsé
Sébast, toi non plus tu m'aurais pas vu."Je lui ai pris les mains:"Promets moi que tu vas y penser." Elle m'a
dit oui et je suis parti.
Retour dans le vrai monde… Si Juliette avait raison? Le vrai monde nous juge sans cesse et nous fait souffrir,
terriblement souffrir, on est peut-être juste une apparence dans le monde virtuel mais ça fait moins mal, pis
ça te donne ben plus envie de faire quelque chose de ta vie. Mais je ne pouvais pas me résoudre à accepter
un mensonge pour un monde meilleur, j'avais l'impression de tricher. J'me suis endormi en me disant que la
nuit portait conseil.
Le lendemain, à l'école, tout était plate, j'arrêtais pas de penser à Juliette. Au deuxième cours, le directeur
m'a appelé. "Euh, je sais pas comment te dire ça mon grand mais, Martine s'est suicidée hier soir..si t'as
besoin d'aide.." le reste est un peu flou. J'étais en état de choc total, non, c'était une joke, Martine était juste
en retard pour ses cours, ça se pouvait pas, non. J'ai couru chez nous… Je suis allé voir mes messages. Y'en
avait un nouveau: "Salut Sébast, the division bell a sonné pour moi, mais pleure pas, j'suis pas morte, j'suis
au paradis..point com.” J'suis allé sur le site, j'ai tapé le nom de Juliette: User Unknown que ça m'a dit. OH!
mon dieu, Martine, pourquoi tu me l'as pas dit avant? Y'avait juste trop de choses en même temps. J'ai hurlé,
j'ai hurlé pour une vie qui avait été trop cruelle pour qu'elle ait le courage de la vivre. Pas de pourquoi, je savais
tellement le pourquoi et je m'haïssais tellement pour pas avoir vu clair, j'étais pas meilleur que les autres. J'ai
hurlé pour l'amour qu'elle ferait jamais et les enfants qui naîtraient jamais, j'voulais pu jamais qu'yaillent de
mensonges, j'ai pris ma chaise, pis j'ai fessé, j'ai fessé dans c'te kaliss de machine jusqu'à temps que je
puisse pu tenir la chaise.
Un mois après, je suis retourné sur le site. J'ai pas trafiqué les codes pour lui payer sa tombe. Quelque part
dans un cimetière virtuel, y'a la statue d'un ange appelé Martine, pis en dessous y'é écrit:
The Grass was Greener
The Nights of Wonder
With Friends Surrounded
Forever and Ever
En 2001, une maison d’édition québécoise, Les éditions du passage, faisait paraître un ouvrage collectif
autour du deuil. Jamais de la vie est un splendide livre composé de vingt textes traitant de la perte, sur un
mode triste, tendre ou humoristique. Parsemé d’illustrations diverses, il entre dans la catégorie des « beaux
livres » qu’on aime offri12r ou recevoir. En plus de Paradise.com de Marie-Claude Verdier, on y retrouve entre
autres un bouleversant témoignage de l’anthropologue bien connu Serge Bouchard sur le cancer qui a
emporté sa femme (La mort est un chat) et une nouvelle très grinçante sur la perte d’un chat par la jeune
auteure Marie-Christine Lévesque (Vide). http://www.editionsdupassage.com/
À propos du deuil, laissons le mot de la fin à Jonathan Harnois :
Elle sait que je sais.
Elle sait que je sais déjà.
Que je vis en dehors de moi. Je veux seulement être une tête, mais je n’en peux plus de contenir
mes hyper-sentiments. M’incarner, habiter ma viande… sinon je m’estompe… Faire comme la nuit
dernière, me rappeler… aimer avec le ventre, penser avec le cœur… être nu, comme la nuit dernière;
vivre comme j’ai fait l’amour… me déposer la tête enfin... car notre vie est immense et petite… nous
ne sommes ni plus ni moins… qu’un grandiose détail. Et le deuil dans tout ça… qu’un infime frisson.
(Je voudrais me déposer la tête)
20
QUESTIONS ET ACTIVITÉS
Autour de Jonathan Harnois, de son roman et du processus d’écriture.
Quel effet cela vous fait-il de lire un livre ou de voir un spectacle écrit par quelqu’un qui a presque
votre âge ?
Comment trouvez-vous les propos de l’auteur dans son entretien ?
Trouvez-vous qu’il a les réponses qu’on attend d’un jeune homme de son âge ?
Êtes-vous surpris par ses réponses ?
Après avoir vu le spectacle, ou à partir des extraits du texte présentés dans ce dossier, que pensezvous de son style d’écriture ?
Pensez-vous que l’écriture puisse être un moyen de passer au travers des moments difficiles ?
Sinon, quels autres moyens privilégiez-vous ?
Partagez avec vos camarades de classe les trucs qui vous aident à passer à travers des épreuves,
ou tout simplement pour décompresser ou évacuer des émotions négatives.
Autour de Claude Poissant et de la mise en scène
Quelle est votre appréciation du spectacle ?
Comment avez-vous trouvé…
• Le décor ?
• Les costumes ?
• La musique ?
• L’environnement sonore ?
• L’éclairage ?
• Les projections vidéo ?
• Le jeu des acteurs ?
• Le texte ?
• Vous êtes-vous senti concerné par ce qui se déroulait sur scène ?
• Que pensez-vous du choix de Ludovic de se rendre à pied chercher le chapeau de Félix ?
• Pensez-vous qu’il aurait été intéressant de voir le personnage de Félix sur scène ?
• Si oui, à quoi aurait-il pu ressembler ?
• Que pensez-vous du personnage de la mère de Félix ?
• Pourquoi, selon-vous, a-t-on l’impression qu’elle va s’en sortir plus difficilement que Ludovic ?
• Que pensez-vous du personnage d’Andelle ?
• Vous semble-t-elle réaliste ?
Autour des œuvres présentées dans ce dossier
Que pensez-vous des textes de chansons des Loco Locass, de Jérôme Minière et du poème d’Aragon ?
Par rapport aux deux chansons plus contemporaines, le poème vous semble-t-il un peu dépassé, ou
son propos vous touche-t-il ?
Que pensez-vous du conte urbain de Marie-Claude Verdier ? Malgré le fait qu’il ait été écrit il y a dix
ans, la réalité qu’elle y dépeint vous semble-t-elle toujours d’actualité ?
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DÉBATS
Pour ou contre la médiatisation du suicide ?
Par écrit ou sous forme de débat en classe, exprimez-vous sur la médiatisation du suicide. Doit-on en parler
le plus possible pour sensibiliser les gens, ou au contraire, faut-il être discret pour ne pas inciter des
personnes à prendre exemple sur d’autres qui mettent fin à leurs jours ?
Pour ou contre la banlieue ?
Par écrit ou sous forme de débat en classe, préparez vos arguments et défendez ou pourfendez la banlieue,
son mode de vie, les gens qui y vivent, son architecture. Pour vous aider, un formidable dossier sur le site
de Radio-Canada, avec des articles et des extraits audio et vidéo.
http://archives.radio-canada.ca/societe/urbanisme/dossiers/1202/
SUICIDE – Questions et ressources
En classe, sous forme de discussion encadrée, commentez les affirmations suivantes :
• Celui qui se suicide, la vraie raison de son geste, il l’amène avec lui.
• Le suicide est un long travail, une longue souffrance. Ce n’est pas un moment d’égarement.
• Le suicide, ce n’est pas une envie de mourir, mais plutôt un désir de mettre fin à ses souffrances.
Voici un extrait d’une conférence prononcée par M. Marc Chabot, professeur de philosophie au Cégep
Francois-Xavier Garneau, qu’on peut lire sur le site de l’Association québécoise de prévention du suicide. À
la question Pourquoi les hommes se suicident-ils ?, voici une partie de sa réponse. Qu’en pensez-vous ?
« Les hommes ont, plus que les femmes, un problème de langage. Ils ne savent pas se dire. On pourrait aussi
écrire : nous ne savons pas les entendre. Ils ne savent pas occuper l'espace, remplir le néant avec des mots.
Nous sommes le langage. Par le langage, je construis un lieu d'où quelque chose de moi peut être entendu.
Pour le moment, les femmes savent mieux que les hommes que les mots ne sont pas là pour rien, mais les
femmes ont besoin des hommes, de tous les hommes et les hommes ont besoin des femmes pour apprendre,
et nous avons besoin de nous pour y croire. Nous sommes tous des décodeurs de langage. Le suicide est
un échec, un cas limite, une transgression. La dernière. Le suicide, c'est toujours un humain qui est en train
de dire : là où je suis, personne n'entend. »
Jeunesse J'écoute
Au téléphone : 1-800-668-6868
www.jeunessejecoute.ca
Centre de prévention du suicide
1 866 A P P E L L E (1-866-277-3553)
Tel-Jeunes
1-800-263-2266
www.teljeunes.com
Suicide-Action Montréal
(514) 723-4000
Pour une foule d’information, statistiques, outils d’intervention et ressources, le site de l’Association québécoise de prévention du
suicide est un outil essentiel.
http://www.aqps.info/
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BIBLIOGRAPHIE
Harnois, Jonathan, Je voudrais me déposer la tête, Les éditions Sémaphore, 2005.
Collectif, Jamais de la vie, Les éditions du passage, 2005.
Le lendemain de la fête, un film de Stefan Miljevic autour de la création de Je voudrais me déposer la tête,
Mammouth films, 2007.
L’idée noire, un film de Mireille Dansereau, Office national du film, 2000.
Un immense merci à l’équipe du Théâtre PàP pour la collaboration à la réalisation de ce dossier.
http://www.theatrepap.com/
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