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20 janvier 2015 17:39
Patrick Pouyanné, le patron de Total,
promet une réponse « chirurgicale »
à la chute des cours du brut
Christopher Adams, Michael Stothard (Paris)
Tour Total, La Défense. Une poignée de cadres dirigeants met le cap sur les ascenseurs. Patrick Pouyanné,
lui, se détache de la troupe pour regagner son bureau, situé au sommet de l’imposant gratte-ciel trônant sur
le quartier d’affaires de la capitale.
Le nouveau directeur général du géant pétrolier français s’enfonce dans un canapé. Face à lui, un tableau
au mur représente une raffinerie en feu : c’est l’usine du Havre, incendiée par les employés de l’entreprise
en 1940, juste avant l’arrivée des troupes allemandes. Cette scène spectaculaire convient bien à l’humeur
du moment, compte tenu de la période troublée à laquelle font face les entreprises de l’énergie, dont Total.
Dans un entretien accordé au Financial Times, M. Pouyanné affirme que Total « affrontera la tempête » qui
fait rage dans l’industrie des hydrocarbures en accélérant et renforçant le plan de réduction des coûts lancé
dans toutes les branches du Groupe par Christophe de Margerie, son prédécesseur récemment disparu.
Ce plan passera par une forte réduction des dépenses mais M. Pouyanné est formel : le cours du brut a
beau avoir été divisé par deux depuis le mois de juin 2014, la réponse de Total sera « chirurgicale » et non
drastique. Les projets d’exploration et de développement les moins rentables seront vendus, d’autres, mis
en suspens. Les activités de raffinage en France, dans le rouge, n’échapperont pas à la restructuration, mais
il n’y aura « aucun licenciement », insiste le patron du Groupe.
« Nous sommes tous en train de redécouvrir que le pétrole est une matière première volatile », déclare M.
Pouyanné, pour qui l’effondrement du cours du baril, passé en dessous de la barre des 50 dollars, s’explique
par une croissance plus faible que prévu de la demande mondiale de pétrole, le boom de la production
d’hydrocarbures de schiste aux États-Unis et la décision prise en novembre par les pays de l’OPEP, Arabie
saoudite en tête, de ne pas réduire leur production. Le patron de Total ne s’attend pas à un rebond au cours
du premier semestre 2015.
Pour M. Pouyanné, la priorité est donc de baisser le « point mort » de Total — c’est-à-dire le niveau minimum
auquel la production d’un baril de pétrole est encore rentable pour le Groupe — de 40 dollars.
Un objectif proportionné pour le directeur général : « Il faut réagir, mais sans dramatiser », souligne-t-il. « Une
grande entreprise comme Total réussit quand elle parvient à poursuivre les fondamentaux de sa stratégie
dans une période de basses eaux comme celle-ci. La meilleure façon de faire face à cette volatilité est d’être
suffisamment fort pour baisser son point mort. »
En filigrane du plan de M. Pouyanné, l’engagement « capital » de ne pas toucher au dividende de Total,
essentiel pour préserver la confiance des investisseurs.
« Le groupe Total, déclare-t-il, va réduire ses investissements (26 milliards de dollars l’an dernier) de 10 %
en 2015 », soit une baisse plus importante que prévu. Le budget d’exploration — poste où il est le plus facile
de réaliser des économies pour une major — sera amputé de 30 % et passera sous les 2 milliards de
dollars.
Deux onéreux projets d’extraction de sables bitumineux au Canada seront mis en suspens et le programme
de cessions d’actifs d’un montant de 10 milliards de dollars, prévu pour s’étaler jusqu’en 2017, sera
accéléré.
Les réductions des coûts opératoires seront plus importantes en 2015 : 1,2 milliard contre 800 millions
initialement prévus. Elles résulteront en partie du ralentissement des dépenses sur les champs matures dits
brownfield, comme Alwyn en mer du Nord.
Dans l’Aval, des réductions de capacités de raffinage sont prévues avec, à terme, des fermetures partielles
de sites, du type de celles qui ont déjà provoqué la colère des syndicats en France. Si la chute des cours du
brut a permis un rebond des marges de raffinage de Total en Europe, celles-ci restent faibles. L’activité est
mise à mal par la concurrence des raffineries du Moyen-Orient, plus efficaces, les surcapacités en Europe et
la baisse de la consommation d’essence et de diesel.
M. Pouyanné affirme qu’aucune raffinerie ne sera fermée mais que trois en Europe affichent un point mort
trop élevé. La plateforme pétrochimique de Total à Carling (Lorraine) — dont le vapocraqueur, qui sert à
produire des hydrocarbures plus légers, va fermer, avec au moins 200 postes en jeu — servira de modèle
pour les raffineries à restructurer.
Mais le Groupe devra avancer avec précaution. « Nous avons le modèle du vapocraqueur de Carling [comme base de travail] », affirme M. Pouyanné, qui, s’il est incapable de garantir qu’aucun emploi ne sera
supprimé en France, assure qu’il n’y aura pas de licenciement sec et que les salariés concernés seront
reclassés au sein du groupe.
M. Pouyanné, qui dirigeait la branche Raffinage-Chimie de Total avant d’être nommé directeur général,
affirme qu’après un plan de restructuration sur trois ans, qui prendra fin cette année, la branche aura
économisé 300 millions de dollars sur ses coûts opératoires. La marge de raffinage s’élevait à 20
dollars/tonne en 2014, dit-il, mais le Groupe table sur 25 dollars/tonne pour l’avenir.
M. Pouyanné tient toutefois à éviter de faire des coupes trop drastiques et de mettre en péril la croissance
future de la production. Il affirme que le cours du pétrole finira par repartir à la hausse et rejette l’idée selon
laquelle Total, premier producteur en mer du Nord, pourrait y entamer le démantèlement de ses plateformes
avec la détérioration de l’économie des projets. Le Groupe poursuivra ses investissements en Angola, où le
directeur général a inauguré le mois dernier le projet CLOV, d’une capacité de 160 000 barils par jour. Le
décès de Christophe de Margerie dans un accident d’avion à Moscou en octobre dernier ne changera rien à
l’engagement du Groupe en Russie.
Total, qui développe actuellement le projet de gaz naturel liquéfié de Yamal à l’extrême nord du pays, pour
un montant de 27 milliards de dollars, avec ses partenaires Novatek et CNPC, subit le contrecoup des
sanctions occidentales imposées à Moscou du fait de la crise ukrainienne. Celles-ci rendent impossible
l’apport de capitaux en dollars mais M. Pouyanné a bon espoir de mettre en place un financement issu de
banques européennes et chinoises dans le courant du premier semestre.
Le patron de Total refuse de se laisser intimider par ces sanctions. « Notre arrivée en Russie est venue
couronner plusieurs années d’efforts. Pas question de remettre cela en jeu », affirme-t-il. « Les gens ont de
la mémoire. Ce n’est pas uniquement quand les temps sont bons, que vous avez le vent en poupe et que les
choses avancent bien qu’il faut être aux côtés de vos partenaires, mais aussi quand ça va mal. »
Quel type d’industrie va émerger de cette chute des cours ? Le patron de Total prévoit-il une vague de
fusions ? « Il y aura probablement des impacts sur les petites entreprises. Je pense que les majors
pourraient avoir l’opportunité d’accéder à certaines ressources à un prix avantageux. »
Total pourrait participer à ce mouvement de consolidation, par exemple si la chute des cours entraînait une
recomposition parmi les producteurs d’hydrocarbures de schiste aux États-Unis : « Nous sommes
pragmatiques. S’il y a de bonnes affaires à faire, nous les étudierons. Nul besoin de se précipiter. »
Dans le costume de « Big Moustache »
Total, plus qu’aucun autre grand groupe pétrolier, a été associé à la personnalité d’un homme : son ancien
PDG Christophe de Margerie, aussi connu pour sa bonhommie que pour son carnet d’adresses, et que l’on
surnommait « Big Moustache », comme le rappelle Michael Stothard.
À 51 ans, Patrick Pouyanné, qui a succédé à Christophe de Margerie après sa disparition l’an dernier, fait
face à un défi de taille : réussir à motiver ses employés alors que les cours du pétrole sont en chute libre et
qu’il faut réduire les coûts, tout en entretenant le même genre de relations de travail que son prédécesseur
avec les États étrangers.
De quoi, dès lors, sera fait son style de leadership ? « Il n’y a pas à finasser. Il faut s’en tenir aux
fondamentaux », répond l’intéressé, qui cite les quatre principaux axes de sa stratégie : préserver la
sécurité, démarrer ses projets et atteindre ses objectifs financiers, réduire ses coûts et se concentrer à fond
sur la création de cash.
M. Pouyanné ne renie pas sa réputation durement acquise d’implacable instigateur de changement,
notamment par les réductions de coûts.
Mais il ne veut pas être vu uniquement comme le spécialiste des années de vaches maigres.
M. Pouyanné estime avoir « la même capacité d’intuition » que Christophe de Margerie, allusion au célèbre
charme de son prédécesseur, que les analystes et les investisseurs considéraient comme un atout de poids
pour la négociation d’importants projets dans les pays réputés difficiles.
« J’ai peut-être un avantage », ajoute-t-il. « Du fait des événements tragiques de 2014, les gens se sentent
très soudés dans notre entreprise. Ils ont fait face à la perte d’un PDG qui était la vie même et sont prêts à
affronter les situations économiques difficiles. Tout le monde est motivé pour montrer que Total est fort. À
moi d’entretenir cette motivation. »
20 janvier 2015 17:42
Chute des cours du pétrole :
Total va réduire ses investissements de 10 %
Christopher Adams, Michael Stothard (Paris), Ed Crooks (New York)
Total, le géant français du pétrole et du gaz, prévoit de réduire ses investissements de 10 % en 2015 et
d’accélérer la cession de plusieurs milliards de dollars d’actifs dans le cadre d’un plan de réduction des
coûts renforcé, mené par son nouveau directeur général Patrick Pouyanné.
Cette décision intervient alors que plusieurs milliers de suppressions d’emplois ont été annoncées ce mardi
à travers tout le secteur. Baker Hughes, le groupe américain de services pétroliers en cours de rachat par
Halliburton pour un montant de 26,8 milliards de dollars, a ainsi annoncé qu’il allait se séparer de
7 000 salariés.
Les cours mondiaux du brut ont plongé de près de 60 % depuis juin 2014 et le baril s’échange désormais à
moins de 49 dollars, du fait d’une baisse de la demande et du refus de l’OPEP de réduire sa production en
novembre dernier.
Dans un entretien accordé au Financial Times, M. Pouyanné — nommé à la tête de Total après le décès de
Christophe de Margerie dans un accident d’avion à Moscou en 2014 — affirme que les « majors »
(principaux groupes mondiaux de l’énergie) pourraient sortir « vainqueurs » de cette phase turbulente sur les
marchés car elles ont plus flexibilité pour faire face : la solidité de leur bilan leur permet en effet d’emprunter
plus alors que les taux d’intérêts sont à leur plus bas niveau historique.
Total commencera par accélérer et renforcer son programme de réduction des coûts en 2015, a annoncé le
patron du Groupe. Principales cibles : les projets d’exploration et de développement en mer du Nord
(Royaume-Uni), les sables bitumineux du Canada et les champs matures d’Afrique de l’Ouest, notamment
au Gabon et au Congo.
Total envisage également d’imposer un gel des recrutements à l’échelle du Groupe en 2015. Les
investissements, qui s’élevaient à 26 milliards de dollars en 2014, devraient baisser de 2 ou 3 milliards cette
année.
Total est la dernière major en date à annoncer une réduction accrue de ses coûts pour soutenir son cashflow et préserver son dividende. ConocoPhillips a annoncé une baisse de 20 % de ses investissements en
2015 tandis que BP inscrivait une provision pour restructuration à hauteur d’un milliard de dollars afin de
payer les suppressions de postes, dont 200 emplois directs dans son activité en mer du Nord.
Les majors ont fait clairement savoir qu’elles répercuteraient les effets de la chute des cours du brut sur les
entreprises de services pétroliers, dont des groupes tels que Schlumberger, qui, la semaine dernière, a
annoncé un plan prévoyant la suppression de 9 000 emplois.
Les activités de forage ont chuté plus rapidement en Amérique du Nord que dans le reste du monde, d’après
Baker Hughes. Le groupe prévoit une conjoncture « difficile » et affirme que l’industrie se trouve à l’aube
d’une récession comme on n’en voit qu’une à deux fois tous les dix ans.
M. Pouyanné a annoncé que Total poursuivrait la restructuration entamée dans ses raffineries déficitaires à
travers l’Europe. « Il y a des actifs sur lesquels il faudra sans doute faire quelques efforts », a-t-il déclaré.
« Nous en avons trois en particulier, dont un au Royaume-Uni et les autres en France. »
Concernant la France, un plan de restructuration sera présenté au printemps mais M. Pouyanné a d’ores et
déjà confirmé qu’il comprendrait des « réductions de capacité » dans les raffineries. « Quand vous avez un
site qui perd plus de 100 millions d’euros par an, ce n’est pas tenable. Il est de mon devoir de trouver des
solutions. Nous perdons de l’argent et ça ne marche pas. »