N°103 automne

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N°103 automne
Quartiers
libres
N°103
automne-hiver 2006
1
Le canard du 19ème et de Belleville
Publié depuis 1978
par l’association du même
nom, Quartiers Libres
a pour but de faire circuler
des informations locales
et de donner la parole
aux habitants du 19e
et de Belleville,
à ceux qui y travaillent
et aux associations.
Totalement indépendant,
il est ce qu’en font ses
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le 15 octobre 2006.
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QUARTIERS LIBRES
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75019 Paris
Téléphone et fax
01 42 03 78 57
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2
Directeur de la publication :
Antoinette Angénieux
Ce numéro a été réalisé par :
Isabelle Abiven, Antoinette
Angénieux, Maurice Arnoult,
Josiane Balasko, Juliette
Bernadac, Maxime Braquet,
Marcel Créach, Elisabeth
Crémieu, Marie Decræne,
Jean-François Decræne,
Catherine Eboulé, Christian
Eboulé, Michel Fabréguet,
Arnaud Florand, Denise
François, Amadou Gaye, Yves
Géant, Gram-Manège, Roland
Greuzat, Jacqueline Herfray,
Victor Hugo, Claire Joachim,
Gérard Juteau, Edith Lauton,
François-Ernest Michaut,
Michel-Ange, René Minoli,
Frédéric Monnet, LouisBernard Papin, Maryannig
Pustoc’h, Vincent Safrat, Tian.
N°103
automne-hiver 2006
C HRONIQUE HISTORIQUE
4
9
12
19
26
Des vacances impériales...
p.c.c Denise François et Roland Greuzat
La laïcité française, une originalité politique...
Jean-François Decraene
Léon et Camille Gaumont. Maxime Braquet
Entretien avec Maurice Arnoult, Juste parmi les Nations.
Michel Fabréguet
Les Richard,de l’école d’apprentissage Diderot
au lycée technique Jules Richard. Maxime Braquet
RECITS POETIQUES ET AUTRES
6
16
28
Mémoires d’un épicier de la Villette,(suite 8)
François-Ernest Michaud, Marie et Jean-François Decraene
J’ai un D.A.D.A... Frédéric Monnet
Aimez-vous rêver? rêver éveillé? rêver libre?
Claire Joachim
QUARTIERS LIBRES JUNIOR
17 Pourquoi la mer est-elle salée? Arnaud Florand
18 Suite du conte : GAFY. Catherine Eboulé
POINTS DE VUE ET VIE LOCALE
14
15
21
25
30
La petite ceinture,du canal St Denis à la Seine.
René Minoli
A 109 ans, Léon Weil nous a quittés...
Vincent Safrat,éditeur social. Elisabeth Crémieu
De l’entrepôt aux lofts : ODOUL. Edith Lauton
La chasse aux sans-papiers et leurs enfants.
Christian Eboulé
ARTS CULTURE ET SPECTACLES
8
8
20
23
24
24
31
32
à Belleville, place des Fêtes.
Poème de Louis-Bernard Papin
On a lu: La maternelle, de Léon Frapié
Performance diplomatique. Poème de Gram
Maurice Loutreuil, peintre bellevillois.
Jacqueline Herfray
On a lu : Le Carré Baudoin, plaquette de l’A.H.A.V.
Le prix. Poème de Gram
L’enfant frontière. Poème de Tian
Amadou Gaye : négritudes, balade poétique.
C.P. : n° 61746
I.S.S.N. : O224-2303
Imprimerie GRAPHOPRINT
86 rue Blomet
Paris 15ème
Octobre 2006
Maquette : Isabelle Abiven - [email protected] - 06 10 88 51 46
à BELLEVILLE
PLACE DES FETES
A Belleville
Où sont-ils passés
Les petits bals du temps passé ?
Les petits bals ont disparu, les permis
et les défendus,
A Belleville.
Jadis les jeunes du samedi soir
Venaient pour y glaner l’espoir
Sur la piste de leurs vingt ans
De trouver l’amante ou l’amant,
Valsant à perdre la raison,
Intoxiqués d’accordéon,
A Belleville.
La place des Fêtes en 1971.
On reconnait le square Mgr Maillet.
Aménagé en 1863, ce square jouxtait
la place des Fêtes, ainsi nommée
parce qu’elle accueillait les festivités
de la commune de Belleville. (Photo DF)
Nous remercions Josiane Balasko et Amadou
Gaye de nous avoir autorisés à reproduire cette
photo extraite de l’ Album PARIS LA DOUCE,
éditions Grandvaux, 2006
édito
Une lettre de félicitation du Maire de Paris,
un article dans le Monde sur Belleville de
Catherine Simon où Quartiers Libres est
présenté comme «  l’indispensable gazette
du 19ème et de Belleville ».
Ces marques de reconnaissance nous
réconfortent et nous espérons que nos
lecteurs se retrouvent dans ces appréciations.
Nous poursuivons avec l’aide de nos
auteurs ces rubriques, où le passé, le présent et le futur de nos quartiers se retrouvent.
Notre couverture vous surprendra peutêtre. Oui, c’est Josiane BALASKO sur le
marché de Belleville en 1998. Amadou
GAYE l’a photographiée et cette photo
figure dans l’album « PARIS LA DOUCE »,
aux éditions Grandvaux, dont elle a écrit
la préface.
Laissons lui la parole : « …Amadou
Gaye… son œil se balade dans les quartiers, s’arrête aux terrasses de bistrots,
s’attarde sur les amoureux, se pose sur les
Parisiens au travail.. Amadou est comme
moi un indécrottable optimiste. Le Paris
de DOISNEAU et RONIS existe encore,
et c’est Amadou, un titi parisien, né au
Sénégal qui nous le prouve à travers chacune de ses photos. Et curieusement, tous
ces visages souriants ou paisibles me sont
familiers, je les reconnais, sans jamais les
avoir rencontrés. Peut-être parce qu’ils
partagent avec moi l’intime conviction
que l’espoir en un monde juste, dans
lequel tous les êtres humains auraient leur
place, n’est pas perdu . »
Nous partageons leur espoir et espérons,
que dans ce monde cruel cette note généreuse vous réconfortera.
L’EQUIPE
C’était le temps place des Fêtes,
Où l’on pouvait faire la fête
Protégés par le monde en rond
Et en pierres des vieilles maisons.
Mantenant il n’en reste rien
Que ce soit mal que ce soit bien,
A Belleville
Le village a été rasé
Victime de la maternité,
Plus de cours et plus de jardins
Et plus de chanteurs baladins,
Et plus encore, entre autres choses
La triste fin du temps des roses ,
A Belleville.
Mais que les anciens se rassurent
Les tours qui déjà se fissurent
Seront bientôt éradiquées
Et l’on verra reconstituées,
Les maisons basses et les jardins
Et reviendront les baladins
Et puis aussi entre autres choses
Au mois de mai le temps des roses,
A Belleville,
Place des Fêtes.
Louis-Bernard PAPIN
3
Dessin
de Victor Hugo
(Bibliothèque
Nationale)
Des vacances
impériales…
récit historique
Biarritz
le 3 juillet 1861
Mon très cher et bon cousin,
4
Votre inquiétude était donc si vive, cher
cousin, que vous m’ayiez déconseillé, et
avec quelle insistance, de suivre la Cour
dans ses déplacements ? J’avais omis, il
est vrai, de vous informer que notre séjour
à Biarritz était dû à notre action en faveur
d’une œuvre de charité destinée à la construction d’un foyer pour accueillir des
lorettes repenties.
L’hiver dernier, Monsieur le Chanoine,
silencieux et songeur, présidait l’une de
nos réunions hebdomadaires à l’ouvroir,
quand soudain, il prit la parole et nous
pressa de participer à la vente de charité
organisée par les Sœurs de la Miséricorde,
déterminées à loger des filles sans vertu.
Il nous exhorta à nous investir dans la
vente des billets de tombola émis par ces
bonnes religieuses. Après avoir recueilli
notre assentiment, la nouvelle directrice,
Mademoiselle Mitaine, s’engagea à satisfaire la requête du brave ecclésiastique. Le
premier lot était un voyage à Biarritz, avec
la possibilité d’entrevoir leurs Majestés
prenant des bains de mer.
Nous n’avons pas la vanité de croire que
pratiquer la charité reste notre privilège.
Mais au cours de nos visites chez les plus
grands dames patronnesses de la capitale, nous avons pu mesurer l’étendue de
leur générosité. Imaginez que ces belles
âmes doucereuses et sournoises, ces fielleuses pies-grièches se vantent d’être plus
charitables que nous ! Vous tenir plus
dessin : J. Bernadac
le côtoiement d’autres volailles tout aussi
longtemps dans l’ignorance de la sécheambitieuses et plus futées que lui.
resse de cœur de ces personnes et de leur
Cela me ramène au but de notre voyage,
façon de recevoir quand vous pénétrez
apercevoir la mer et surprendre leurs
dans l’intimité de leurs salons, serait vous
Majestés libérées des contraintes de la
faire offense. Il s’échappe de leurs apparCour. Pour nous mettre à l’aise, M. le
tements des relents de ragots que même
Chanoine nous invite à ôter nos chaussules domestiques n’oseraient colporter.
res, lui-même donnant l’exemple, nous le
Vous ne pouvez imaginer les sourires narregardons patauger dans une mare que le
quois et les moues désapprobatrices auxjusant a délaissée. M. le Chanoine a les
quels nous nous sommes heurtées. Et leur
pieds épais, il les enfonce avec délice dans
regards ? Des yeux luisants d’ironie sous
le sable mouillé. Il se baisse et ramasse
des paupières mi-closes. Croyez-vous
un coquillage qu’il tend pour l’honorer à
qu’elles aient consenti à nous écouter ?
la vicomtesse Pré Joyeux de MonceauQue nenni ! Elles ont seulement laissé filCourcelles. Celle-ci pousse un cri et s’extrer de leurs bouches perfides :
clame : « Oh ! que c’est gluant ! » et laisse
« Mes pauvres chères, pourquoi vous
retomber l’ormeau que l’on appelle aussi
commettre avec ces gueuses et leur prooreille de Vénus.
géniture ? »
Leurs Majestés ont voyagé dans le célèA force d’essuyer des refus polis, mais
bre et luxueux train impérial offert à l’emennuyés, nous nous sommes lassées et
pereur et à l‘Impératrice
nous avons fini pa r
Vous n’avez pas oublié,
par la Compagnie de
acheter les billets que
je pense,
l’Est , rappor te la
nous devions vendre. Et
qui est JACQUOT II
baronne de Guerlace qui
bien nous en a pris car,
a ses entrées à la Cour. Ils iront s’installer
de ce fait, nous avons gagné tous les lots !
à la villa Eugénie, poursuit-elle. Trop près
Voilà pourquoi je vous écris de cette bourde la mer ! déplore Mérimée qui n’apprégade chère à leurs Majestés et Dieu seul
cie guère le séjour : « Le temps se passe ici
sait pourquoi. Même Jacquot refuserait de
comme dans toutes les résidences impédemeurer dans un tel endroit. Vous n’avez
riales, à ne rien faire en attendant qu’on
pas oublié, je pense, qui est JACQUOT II.
fasse quelque chose ». (1).
Mon nouveau perroquet, plumage terne et
Déjà la mer remonte et de l’autre côté de
bec mobile, s’agite autant et même beaula palissade ceinturant la villa Eugénie, des
coup plus que mon premier perroquet. Ce
bruits se font entendre, les soupirs s’étoufpetit volatile bavard et hargneux se hausse
fent, les rires fusent, les étoffes bruissent,
sur ses courtes pattes pour ne pas perdes cabines montées sur roues descendent
dre un pouce de sa taille, se démène sur
vers la mer tirées par des chevaux que
son perchoir sans bouger d’un iota mais
conduisent des domestiques costumés en
en faisant du bruit pour que l’on sache
garçons de bains. L’on perçoit les aboiequ’il existe. Ce caractériel a fini même
ments d’un chien, un molosse aux bons
par écœurer sa perruche et l’a poussée à
yeux « plus gros qu’un âne » poursuit
le fuir pour échapper à sa domination. Car
Mérimée. Sa Majesté a acheté ce berger
il a le goût du pouvoir ! D’ailleurs ce n’est
des Pyrénées pour égayer ses loisirs, ce qui
pas tant la plage qui l’épouvanterait que
enrage l’Impératrice dont le caractère difficile s’accommode mal de la présence du
chien. Pour apaiser les nerfs de son impériale épouse, l’empereur lui a fait donner
la sérénade à l’espagnole et Mademoiselle
de Montijo ferme ses beaux yeux sur les
nuits de Grenade, sa ville natale, à l’époque où, jeune fille, elle rêvait d’un fabuleux destin.
Les mauvaises langues l’ont surnommée
« Grenadine » car elle rougit très fort
quand elle est en colère, ce qui se produit
fréquemment. Je dois à la vérité de préciser que nous tenons ces anecdotes de la
férocité de la Vicomtesse Pré Joyeux de
Courcelles-Monceau. Elle est intarissable lorsqu’il s’agit des potins de la Cour.
On chuchote même que cette jolie femme
aurait eu des complaisances pour notre
souverain du temps où il n’était encore
que Prince-Président. Après son mariage,
Louis-Napoléon s’est montré reconnaissant et a élevé sa chère vicomtesse au rang
de dame d’honneur de l’Impératrice.
« Avez-vous du fluide ? »
Telle est la question du jour. à la Villa
Eugénie, s’est répandue une étrange épidémie de spiritualisme, un extravagant
engouement pour les tables tournantes. Le dénommé Douglas Hume médium
écossais au fluide ahurissant – aussi ne lui
pose-t-on jamais la question – est devenu
la coqueluche de la capitale et consécration suprême, le médium est invité à se
produire devant l’Impératrice. (2)
Cher et tendre cousin, à la fin de la
semaine nous serons de retour à Paris.
Peut-être y trouverai-je un billet écrit de
votre main ? Conservez votre belle santé,
poursuivez vos chevauchées nocturnes,
mais prenez garde aux bois de Malbuisson,
ils sont malsains même pour un bretteur
chevronné comme vous.
Mille tendresses à Marie-Odyle et pour
vous, cher cousin, oserais-je le dire, mes
plus tendres pensées.
Votre très affectionnée cousine.
Denise FRANCOIS
1. Prosper Mérimée à Biarritz, rapporté par André
Castelot dans : Napoléon III empereur des Français.
2. André Castelot : Napoléon III et Eugénie à
Biarritz.
Dessin de
Victor Hugo
Carhaix,
le 10 août 1861
Ma très chère et douce cousine
vouloir vraiment il s’est révélé séducteur,
les cornes lui vont bien, il les arbore avec
magnificence, comme un cerf au sortir du
printemps.
Mais revenons au rejeton. On se perd en
conjectures pour savoir qui est le père.
Mais qui donc aurait pu être assez aveugle pour se jeter sur cette punaise d’Alice ?
De qui a-t-elle porté le coupable fruit ?
Figurez vous que, je ne sais d’ailleurs d’où
il est venu, le bruit a couru ces dernières
semaines que le dit suborneur aurait été
un capitaine marchand mort en mer, version qui a dérivé bientôt vers le fils d’un
riche armateur enrôlé comme subrécargue sur un navire paternel et qui ne serait
jamais revenu.
Quelle virtuosité ! Je vous savais suivre la
Cour, mais je vous croyais à Plombières
lorsque j’appris que le séjour de leurs
Votre écossais de Hume a eu ici des émuMajestés les conduisait à Vichy… et mainles. Si les tables tournent à Biarritz, à
tenant Biarritz !
Quimper les guéridons dansent la gavotte
Vous m’étourdissez !
pour ne pas dire qu’ils sont atteints de la
Et je sens aussi que vous êtes vous-même
danse de Saint Guy. Il n’y a pas un thé, un
tout autant étourdie qu’au sortir d’une
ouvroir où l’on ne cherche
de ces valses diaboliques,
elle a trouvé
à rappeler l’âme du défunt
mazurkas, galops et autres
la perle rare :
quadrilles de notre bon la fille est muette  père pour qu’il raconte
son histoire. En visite chez
Monsieur Strauss* ou de
Madame de Kermarc’h dont c’était le jour,
Monsieur Waldteufel dont retentit en perj’ai vite battu en retraite quand on m’a
manence la villa Eugénie.
demandé de prendre place autour du guéOui vous m’étourdissez car vous vous
ridon infernal !
engagez dans un tourbillon de justificaEt Léon là dedans ? Eh bien ma chère, il
tions caritatives, qui sont autant de préest devenu la coqueluche de notre prétextes à vos excursions mondaines et à vos
fecture, il écoute avec un intérêt (que je
promenades halieutiques les pieds dans
lui crois totalement feint) les rapports de
l’eau.
ces dames au sortir de leurs séances, et
Je conçois fort bien que votre vicomtesse
va ensuite leur demander quelques préciPré Joyeux de Monceau-Courcelles puisse
sions… En privé !
faire la dégoûtée face à la gluance d’une
oreille de Vénus quand je pense que sur
Quant à Alice, plate et sèche comme vous
nos côtes bretonnes certains même vont
la connaissez, elle est allé chercher une
jusqu’à les manger… Je préfère penser à
nourrice dans la plus arriérée des cours de
la trace laissée par vos pieds délicats sur
ferme, et elle a trouvé la perle rare : la fille
le sable humide avant que la marée ne la
est muette ! Rassurez vous toutefois, notre
recouvre.
cousine a encore du bien, elle ne sera
Vous continuez aussi à m’étourdir avec vos
donc pas à la rue et vous-même, comme
séances de spiritisme…
les Sœurs de la Miséricorde n’aurez à la
secourir, comme une vulgaire lorette.
Mais cela va être à mon tour de vous
étourdir des dernières aventures de notre
Je garde le meilleur pour la fin, un billet
déplorable cousine. Oui, vous m’avez
porté par la nourrice muette m’a fait
deviné, je vais encore une fois vous parsavoir qu’Alice nous voulait comme parler des frasques d’Alice. Vous avez certairain et marraine du rejeton…. Comme il se
nement été prévenue, avant votre départ
doit elle portera le doux nom de Denise,
pour Biarritz, que notre chère et vénérée
celui de sa marraine comme il est de coucousine nous avait dotés d’une petite coutume dans nos familles. Nous aurons ainsi
sine aussi braillarde que laide. Comme il
l’occasion de nous retrouver prochaineest de notoriété publique qu’elle a toument devant un baptistère, j’eusse préféré
jours, depuis son hyménée, refusé la porte
d’autres circonstances, surtout avec vous
de sa chambre à son brave Léon de mari,
dans une église.
la société s’interrogeait. J’ose même dire
Votre très affectionné cousin qui n’attend
qu’à mon cercle des rires francs et même
que de vous revoir bientôt.
parfois gras avaient succédé aux regards
Pcc Roland Greuzat
obliques et aux sous-entendus.
Et notre brave Léon dans tout cela… Je
Isaac Strauss, auteur, entre autres, de la Marche
dois dire que son infortune a fait de lui un
Impériale, de la Valse de l’Impératrice et… de la Polka
autre homme, virevoltant, joyeux, jouisLéontine, n’est en rien apparenté aux Viennois (par
seur même oserai-je dire. Les regards que
contre sa descendance comptera un certain Claude
lui porte la gent féminine sont explicites.
Levi Strauss). On rapporte à son propos qu’un soir
Notre Léon, de par cette infortune causée
de bal de mardi gras plutôt échevelé l’Empereur lui
par celle dont tout le monde se gaussait,
aurait dit : « Vous êtes bien heureux, vous, de poua acquis une sorte d’aura…  bref, sans le
voir conduire les français à la baguette »…
5
Mémoires d’un épicier
de la Villette
Une jeunesse domestique (suite 8)
François-Ernest Michaut (QL 102 et précédents) poursuit la relation des souvenirs de son enfance rurale
confrontant sa préadolescence aux difficultés de temps incertains. Formé par les exploiteurs et les directeurs de conscience du conformisme social du XIXe siècle, le jeune Michaut continue de se satisfaire presque de son sort d’enfant exploité1.
1897Gardeuse d’oies
6
À la ferme, au moment de la rentrée des
grains, j’observe que beaucoup de poules
pondent en dehors du poulailler. La fermière m’avait dit : «Ramasse tout ce que
tu trouves et je te donne un sou pour chaque douzaine.» J’ai compté que cela pouvait me rapporter quatre sous par jour. Je
consacre quotidiennement une heure et
demi à la chasse aux œufs. Je garde l’œil
grand ouvert dès que je vois une poule
quitter le poulailler et se percher sur une
échelle.
Il y a aussi les pintades ; mais il est quasiment impossible de trouver leur nid. La
patronne me conseille de les suivre lorsqu’elles vont couver. Je me mets à la tâche
et peu de temps après, je reviens avec les
œufs de pintade ; la fermière mire chacun
d’eux pour mettre les pintades à couver
sur les œufs fécondés.
il venait nous saluer à la maison et don J’ai aussi visité le bois qui entoure le canal
ner des nouvelles de ma sœur Cécile. Elle
et ramené trois poules avec douze poulets
est appréciée pour les soins qu’elle donne
et quatre œufs. En ajoutant les pintades
aux deux bébés de sa patronne et pour la
aux poules, j’augmente ma cagnotte de
qualité de sa cuisine. Elle me présente à la
2,50 francs. Il va falloir être argenté après
famille et à la belle-famille du médecin qui
la campagne. J’ai fait des progrès au trame questionne sur mes connaissances en
vail : je sais conduire un cheval attelé, faumatière de chevaux. Je lui réponds que j’ai
cher et bêcher. Un jeune garçon de 17 ans
appris à conduire et à soigner les chevaux
m’accompagne ; arrivé depuis la Saintà la ferme. Néanmoins, il reste sceptique
Jean, il est élève charretier.
quant à mon expérience en regard de mon
Un jour du mois d’août, nous étions
jeune âge. Avec la recommandation de ma
devant l’entrée de la ferme, tous allonsœur, il accepte de me prendre à l’essai.
gés dans l’herbe après le dîner. Mon chien
J’entre donc à son service, ravi d’échapBrissac a la tête posée sur ma poitrine. Un
per ainsi à l’école et surtout, heureux pour
loustic dit au petit apprenti :
maman qui recevra 20 francs par mois et
« Tiens ! Je te parie que tu ne mettras pas
n’aura plus à me nourrir. Ma voiture bien
debout le gamin qui est là !»
astiquée, mon cheval bien soigné, je gran- Oh ! répond le gosse, je n’ai pas besoin
dis dans l’estime de mon patron. C’était un
des deux mains pour cela.
jeu pour moi que ce travail. En plus, je dois
- Je parie que non, mon gars !
surveiller les feux de la maisonnée, surtout
Il se lève et vient vers moi. Je ne bouge pas
celui du bureau du docteur. Sa belle-mère,
et j’ai la main posée sur le collier de mon
madame Renard me donne les rudiments
chien. Il se penche sur moi mais, avant qu’il
du service à table. Elle m’apprend ainsi le
ne m’ai touché, Brisac est debout et lui
métier de valet de chambre que je n’ai pas
montre les crocs ; leur seule vue le stoppe
le temps de parfaire. J’aurais pu en predans son élan. Nous avons tous bien ri.
nant mes disponibilités de l’après-midi,
- Tu as perdu, alors paye !
mais je n’ai aucun goût pour le métier de
Mais le chien fait toujours la grimace et
larbin (sic transit).
lance au gars un regard féroce. Je lui dis :
Le temps disponible, je l’emploie au maga- Mon vieux, ne viens pas traîner dans
sin de chaussures. Madame Renard donne
l’étable sinon Brisac se chargera de te faire
un dernier coup de brosse à reluire aux
sortir.
souliers qu’elle met en vente. Elle accepte
Quelques temps plus tard le gars quittait la
que je l’aide. Je mets aussi les œillets et
ferme à cause de mon chien.
les lacets que je passe à la teinture noire.
J’ai passé là sept à huit mois de l’année.
Avec le reliquat du cuir, je fabrique et pose
J’ai appris bien des choses avec des gens
des talons ; à cela j’ai vite pris
sérieux qui ne demandaient
…
le coup. J’accompagne souqu’à m’apprendre. Mais je trouavant qu’il
vent le docteur en campagne.
vais que je ne gagnais pas sufne m’ai touché,
fisamment malgré l’espoir que Brisac est debout Il constate que je sais bien conduire mon cheval, garder ma
j’avais de voir mes gages auget lui montre
droite sur la route et apprécie
menter. Vajoux n’a pas voulu
les crocs
mon savoir-faire de palefrenier.
accéder à ma demande et, à
Ainsi, il m’autorise à sortir seul avec les
la Saint-Martin, je suis rentré à la maison.
dames qui me félicitent pour mon adresse
Après quelques jours de repos, je retourde cocher.
nais en classe ; j’eusse préféré travailler.
Je dois aussi tenir en ordre le bureau de
J’étais profondément marri.
mon patron avec ses outils en état de
J’allais à Montereau-fault-Yonne pour rengrande propreté. C’est, pour moi, un véridre visite à ma sœur qui travaillait chez
table amusement.
le docteur Petit. Tout jeune médecin, il
J’occupe une superbe chambre indivivenait de se marier. Son beau-père monduelle au deuxième étage. La sonnette de
sieur Renard était fabricant de chaussunuit m’avertit que les clients réclament le
res en gros. Le docteur était un ami de nos
docteur que je dois prévenir. Alors je selle
parents et, chaque fois qu’il passait à Laval,
le cheval et : « En route ! » Cela arrive de
temps en temps. Le samedi, les jours de
marché, je reçois les clients et je les conduis jusqu’à la salle d’attente.
Nous voici en 1875. J’ai treize ans et je
suis très heureux à mon poste. Bien nourri,
pas trop mal payé, j’ai quelques avantages avec les travaux complémentaires,
aussi l’année est-elle superbe. Pourtant,
ma sœur Cécile est contrainte à partir sans
que je sache pourquoi ; aucune fâcherie du
côté des maîtres. Une nouvelle cuisinière
est embauchée. C’était une veuve avec
une petite fille d’une douzaine d’années.
Comme à chaque repas je sers à table, je
procède comme avec ma sœur en lui faisant les couteaux que je passe au blanc
d’Espagne. Elle aurait voulu que je lui
fasse également la vaisselle, mais je refusais ce surcroît de travail. Elle tenta alors
de me faire donner ses ordres par madame
Renard sans pour autant que j’obtempérasse. Je m’en fis ainsi une ennemie. Cela
dura jusqu’en septembre, période au cours
de laquelle elle trouva autre chose pour
me nuire.
Elle avait une chambre plus petite que la
mienne, qu’elle partageait avec sa fille sur
le palier commun. Elle demanda à madame
Renard que nous interchangions. Je refusais obstinément. Elle revenait régulièrement à la charge et je demeurais ferme sur
mes positions. Notre patronne cherchait
désespérément un accord mutuel auquel
je me refusais. Pour finir, je déclarais que
si l’on m’obligeait à cet échange, je quitterais la maison.
Un jour, la cuisinière me dit :
« J’ai pris votre chambre et j’ai porté vos
effets ainsi que votre couchage dans la
mienne ; c’est madame Renard qui m’y a
autorisée.» Je ne lui réponds point, serrant
nerveusement ma main sur les clefs dans
ma poche. Je sers le repas et, cette fois-ci,
ne fais pas les couteaux.
Je monte dans ma nouvelle chambre, fais
un paquet des effets que je veux emporter et termine mon bagage. Ces dames
sont au salon et le docteur au bureau de
l’usine de chaussures où il travaille jusqu’à
22 heures.
Je prends mon baluchon, le jette sur mon
épaule et me voilà parti sur le chemin qui
me ramène chez ma mère.
(À suivre).
François-Ernest MICHAUT (°1862-†1949).
PCC/ Marie et Jean-François DECRAENE.
1 Pour en savoir plus sur le travail des
enfants au XIXe siècle, cliquer sur http://
histgeo.free.fr/quatrieme/revoind/enri.
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La grande voirie de Montfaucon
Trouvaille chez un bouquiniste :
un livre consacré à « La salubrité, les fosses d’aisances et les
égouts ».  La partie la plus importante de l’ouvrage a été publiée en
1821 mais elle est accompagnée,
dans la reliure, d’autres mémoires sur le même sujet datant,
pour le plus ancien , de 1785, le
plus récent étant de 1877.
Il relate un événement à l’origine de la plupart des études concernant « La Grande
Voirie de Montfaucon »,située alors dans
ce qui est une partie du 19ème arrondissement actuel.
En 1818, dans un navire de commerce
chargé de « poudrette », sorte d’engrais
, une moitié de l’équipage périt, l’autre
moitié arrive à destination dans un état
de santé déplorable, les gens chargés de
débarquer la cargaison éprouvent aussi de
graves malaises.
Monsieur Parent-Duchâtelet, docteur en
médecine, fait des recherches pour comprendre le phénomène.
Il se trouve que cette « poudrette », importée de France, des environs du Paris
d’alors, plus précisément de la « Voirie de
Montfaucon » rapporte un revenu très
important à la ville de Paris et est, par
ailleurs, entr’autres utilisations indispensable pour « régénérer le sol appauvri de nos
colonies des Antilles ».
Mais les « courtilliers », petits récoltants
de vergers et jardins potagers occupant
environ deux hectares dans l’est de Paris,
eux aussi, fumaient leurs terres à l’aide des
matières de vidanges apportées des fosses d’aisances, desséchées naturellement
et transformées en poudre fine à la Voirie.
Celle-ci, après déménagements divers et
agrandissements, se situait depuis 1772
près de la rue de Meaux et de l’actuel bassin de la Villette, dans les environs de l’ancien gibet de Montfaucon, englobant le
marché Secrétan, le lycée Bergson, l’école
Jacquard, la rue Pailleron, la rue Armand
Carrel, l’avenue Laumière….
Description :
• Six bassins se succédaient, superposés
en gradins, l’un au dessus de l’autre. Les
charrettes à bras et voitures à cheval de
vidange déchargeaient leurs immmondices
dans le premier et le deuxième bassin et
les liquides passaient ensuite par des rigoles dans les bassins suivants. Un trop plein
existait dans le troisième bassin et se vidait
dans le grand égout de ceinture, près de la
rue de Lancry.
Extrait du plan
illustrant le mémoire
scientifique rédigé
à l’attention de
l’Académie Royale
de Médecine de
France en 1821 par
A. J. B. B. ParentDuchâtelet, docteur
en médecine.
On y trouve l’emplacement des bassins,
le terrain destiné
à étendre et faire
sécher les matières,
le lieu d’accumulation quand elles
étaient séchées.
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• Sept terrains d’épandage permettaient
d’étaler et de faire sécher les matières
extraites des bassins.
• Trois collines étaient formées par l’accumulation des matières déssechées.
• Deux emplacements recevaient les chevaux qui mouraient tous les jours dans
Paris.
• Des hangars et des maisonnettes contenaient le matériel pour faire fondre la
graisse des chevaux.
• Un bâtiment spécialisé servait à faire
cuire et torréfier le sang de bœuf pour la
fabrication du « bleu de Prusse ».
Tout autour étaient les terrains cultivés des
jardiniers et des horticulteurs.
La quantité des matières amenées était de
16 000 voitures (à cheval !) environ par
année (exemples de 1810-1811-1812),
soit 498 700 tinettes (récipients utilisés
dans les lieux d’aisance, sans fosse ni tout
à l’égout).
25 chevaux par jour, soit 9 125 en 1784,
jusqu’à 15 0 00, selon les femmes chargées de les écorcher, après être laissés parfois plusieurs jours serrés les uns contre les
autres pour ne pas tomber, quel que soit le
temps ou la température, sans nourriture,
sans eau… jusqu’à leur abattage !
On en récupérait la crinière, les crins de
la queue, la peau, éventuellement la chair
s’ils avaient été condamnés à la suite d’une
fracture.
Chaîne sans fin :
• sur les cadavres : des vers pour les
pêcheurs…
• rapidement des rats par milliers, pouvant dévorer en une journée 20 chevaux
laissés après abattage (rats : 5 à 6 portées/
an de 14 à 18 ratons chacune)
• les chats… Les humains récupéraient
pour leur hiver les peaux des matous qu’ils
trucidaient.
Mais, écrit M.Parent-Duchâtelet on laissait
malgré tout perdre beaucoup de produits
utiles : la graisse et les os des chevaux dont
on aurait pu tirer du noir animal indispensable pour certains arts et le raffinage du
sucre.
• Des vapeurs dangereuses se dégageaient
de cette zone, surtout vers Belleville où en
raison des vents, la commune était atteinte
par ces odeurs, au moins 75 jours par an.
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Déménagement et évolution :
En 1844 le dépotoir est déplacé à la PetiteVillette sur l’actuel quai de Metz.
Puis en 1850 « un système réparateur »
permet de laisser s’écouler, après traitements par des moyens chimiques les produits liquides dans les caniveaux et les
égouts.
En 1900, par jour, 300 à 400 « voituresciternes de vidange » vont déverser à la
Petite-Villette leurs produits.
C’est un dépôt provisoire pour les matières solides envoyées ensuite par le canal à
Bondy, dans des tonneaux, toujours pour
la fabrication de la « poudrette » encore
utilisée en agriculture, sur un terrain de 30
hectares.
Pour les chevaux un abattoir spécial fonctionnera plus tard dans le 15ème arrondissement, au lieu-dit des Morillons.
Et le navire de commerce :
M.Parent-Duchâtelet explique ainsi les
causes des intoxications et accidents mortels : l’humidité, la chaleur provoquant une
fermentation de la « poudrette », celleci pouvait exploser si un marin descendait
dans la cale, avec sa pipe ou même si le
gaz (le méthane, pas encore connu) atteignait 6 à 16 % de l’air, comme dans les
coups de grisou des mines.
Pour éviter ces catastrophes il suffisait
d’utiliser le plâtre des carrières d’Amérique
(situées dans le Parc des Buttes-Chaumont
actuel), pour absorber l’humidité de la cargaison et empêcher ainsi la fermentation.
Depuis cette époque :
Les engrais naturels (fumier…), verts
(luzerne), ont remplacé la « poudrette ».
Même les déjections canines qui étaient
autrefois utilisées pour la tannerie n’ont
plus d’usage autre que… d’être ramassées par les propriétaires des chiens ou…
de coûter aux contribuables l’achat et l’entretien des « motos-crottes ».
André Nicaud
Jacqueline Herfray
Le gibet de Montfaucon :
Le gibet a gardé son nom bien que déplacé
en 1760 du quartier de la Grange aux Belles
au quartier Secrétan.
Il a été remplacé en 1792 par la guillotine.
Courrier
des lecteurs :
Dans notre prochain n°,
une nouvelle rubrique…
Exprimez-vous !
On a lu
La Maternelle
de Léon Frapié
éditions Phébus
Ce roman a obtenu le Prix Goncourt en
1904.
Un roman ? non, c’est une enquête sur
l’école et sur son rôle auprès des classes
les plus défavorisées de la société, c’est
un texte d’une force et même d’une violence exceptionnelles.
Cette enquête prend la forme d’un journal
tenu pendant toute une année scolaire dans
une école du quartier de Ménilmontant, au
début du vingtième siècle : et on passe de
l’admiration initiale pour l’école, son rôle,
ses objectifs, aux interrogations, à l’inquiétude, et enfin à la condamnation.
Au cœur de la critique de l’école, les leçons
de morale qu’elle dispense. Car petit à
petit la vérité apparaît : l’école n’a d’autre
but que d’apprendre l’obéissance et la résignation aux classes populaires : « en guise
de régénérescence par l’école, écoutez la
leçon d’inertie, de routine qui s’abat sur
les nuques molles » quand la maîtresse
raconte « L’ambition punie ».
Sans que les maîtresses qui s’y dévouent
sincèrement soient jamais saisies par le
doute : « par une ironie sans pareille, le
dévouement sublime, la foi professionnelle totale se trouvent unis à de mesquins
préjugés, à une vue fausse du peuple, du
monde. »
Résultat : l’école est le lieu où l’enfant
apprend la dissimulation et l’hypocrisie :
« c’est le meilleur de l’individu qui se dissout à l’école ».
Ce livre pulvérise deux mythes qui nous
sont chers : celui de Ménilmontant, d’abord.
Nous l’imaginons, au début du vingtième
siècle, comme un quartier populaire pauvre mais chaleureux, et il apparaît dans le
roman comme un quartier sordide peuplé
d’êtres déchus : pères alcooliques et violents, mères abruties de grossesses et de
coups, enfants chétifs, battus, mal nourris,
mal vêtus :« Qu’est-ce que le samedi ? »
demande-t-on à une petite fille de 3 ans ?
« C’est le jour où qu’on se saoule ». Voilà
pour nous apprendre à idéaliser le passé.
Et celui de l’école au service du peuple et
de son élévation.
Même si le texte a été écrit il y a plus de
cent ans, il mérite encore d’être lu : parce
qu’il est bien écrit, avec de terribles formules, parce qu’il y a là un document d’histoire, et aussi (surtout ?)une source de
réflexion pour notre temps.
Elisabeth Crémieu
La Laïcité
française,
une originalité politique
mûrie par 2.000 ans d’histoire
Une idée reçue, un préjugé également partagé par le monde scolaire
et par le monde politique serait que la conception laïque de l’ordre
social n’existât en France que depuis 100 ans, au moment de la promulgation de la loi de Séparation des Églises et de l’État en 1905 !
Suivons, de sa genèse à son aboutissement, le chemin historique de la
laïcité, originalité de la conception sociale de la nation française.
Depuis que l’homme existe, le gouvernement des sociétés humaines s’équilibre
dans une répartition, voire dans une confusion des pouvoirs, entre le responsable
civil, le commandant militaire et le pasteur
religieux.
Jouant sur la hantise de la condition mortelle, sur la soif d’immortalité et sur le désir
d’éternité des individus, l’avantage resta
longtemps aux clercs et prêtres des religions. Par leur poids sur les consciences, ils
dirigèrent les groupes humains en manipulant le pouvoir civil du chef, légitimé par
la force militaire. Le principe de base de la
survie de la collectivité sacrifie l’individu
au groupe.
Pour l’individu, la première amorce de la
laïcité est sa volonté à séparer sa conscience individuelle de la conscience collective qui s’appuie sur la croyance en des
dieux tutélaires de la société à laquelle il
appartient ; la volonté affirmée du libre
arbitre, d’une morale individuelle affranchie d’une foi quelconque imposée par le
pouvoir religieux, devient la démarche de
la pensée laïque.
Limitons notre réflexion à la civilisation
occidentale à laquelle nous appartenons ;
les société gauloises et romaines utilisent le pouvoir des prêtres pour diriger les
consciences et maintenir l’ordre social. Les
Romains vont jusqu’à intégrer les dieux des
peuples conquis dans un panthéon justifiant leur impérialisme par l’intégration
des croyances exogènes. Mais Jeshua Bar
Joseph arrive ! Jésus vient ! La confusion
entretenue depuis des millénaires entre le
pouvoir religieux et le pouvoir politique
apporte son lot d’incertitudes et d’espoir :
Et si ce Messie était le libérateur attendu ?
Le fils de Marie répond sans ambiguïté :
« Mon royaume n’est pas de ce monde ! »
Paradoxalement, la première manifestation de l’esprit laïque vient de celui dont se
réclameront tous les régimes cléricaux du
monde occidental. Cette affirmation d’évi-
et les prêtres de la nouvelle religion chrédence pour la libération de l’homme et
tienne, balayant de ses armes soutenues
l’équilibre social mettra 20 siècles à s’impar l’ombre de la croix plusieurs siècles de
poser à notre civilisation.
morale grecque imprégnée de tolérance,
Depuis la nuit des temps, les druides gaude stoïcisme et de circonspection. La philois réunissent les délégués envoyés par
losophie hellène avait relégué les dieux
chaque tribu le 21 juin de chaque année
au-delà de l’Olympe et inspiré la morale
au lieu dit La Monjoie, point culminant
civique des premiers temps de la républidu village romanisé sous le toponyme de
que romaine.
Catolacus en Île-de-France, actuelle cité
L’édit de Milan de 313 pourrait paraîde Saint-Denis. Durant ce Convent des
tre comme un acte de tolérance religieuse
Gaules qui se déroule pendant les trois
puisqu’il reconnaît l’égalité complète du
jours de lumière les plus longs de l’anculte chrétien et du culte païen. Mais, une
née, les délégués élisent, pour un an, deux
fois éliminé son rival Licinius, Constantin
représentants de la nation gauloise : le
prend ouvertement parti contre le pagabren chef de guerre, chargé de la direction
nisme. L’empereur convoque un concile à
des armées pour la défense commune, et
Nicée, assemblée cléricale qui règle défile vercingétorix, magistrat suprême, inspinitivement la question religieuse en déclarateur de la politique générale de la fédérant la doctrine d’Arius comme
ration nationale. De leurs côté,
hérétique. L’intermède de toléles druides élisent leur Grand
La philosophie
rance de Julien entre dans
Prêtre, représentant du clergé
hellène avait
l’histoire officielle avec le surauprès du pouvoir civil. Nos
ancêtres pratiquaient déjà relégué les dieux nom d’Apostat que la chréau-delà
tienté accole au patronyme de
la séparation des pouvoirs,
de l’Olympe …
l’empereur philosophe pour le
embryon de la laïcité moderne
discréditer.
: d’un côté le pouvoir religieux
Dès la prise de pouvoir de Théodose, les
des druides, de l’autre le pouvoir militaire
arrêts du Concile de Nicée et son Credo
du bren, au sommet du triangle le pouvoir
deviennent lois d’état par la promulgacivil suprême du vercingétorix.
tion de l’édit de Thessalonique ; le foyer
Plus tard, le mythe fondateur de la France
du temple de Vesta est éteint, le serachrétienne s’impose aux consciences par la
peum d’Alexandrie, construit par Ptolémée
décollation de saint Denis, évêque légenSôter pour le culte de Sérapis est rasé. Les
daire, sur les lieux même de la vénération
Ariens, les Donatiens et les disciples de
des dieux tutélaires de la nation gauloise :
Manès sont éliminés. Hipatie, mathématisur la butte de La Montjoie. Le sang du
cienne et philosophe grecque est torturée
martyr efface la présence des anciens
et dépecée vivante par des moines fanadieux protecteurs transformant le clergé
tiques sur les accusations d’être à la fois
druidique local en prêtres chrétiens, fanatifemme et hérétique. Toutes les maisons du
ques comme tous les néophytes, de transSavoir, Académie, Lycée et bibliothèques
mettre la nouvelle foi révélée pour prouver
sont réduites en cendres. À la fin du iv e
la sincérité de leur conversion et... pour
conserver les prébendes de l’ancien pèlesiècle, le Sénat romain abolit les pratirinage lucratif.
ques religieuses autres que celles de la reli« In hoc signo vinces ! » En 310, pour
gion chrétienne prouvant, une fois encore,
vaincre les résistances à sa conquête,
qu’une religion ne reste tolérante que lorsConstantin s’annexe les principes moraux
qu’elle est minoritaire.
9
10
être issue de la seule raison humaine sans
En 496, Clovis comprenant le poids du
référence à une morale religieuse inspirée
clergé sur les consciences populaires, se
par une foi en Dieu ou tirée des Évangiles.
soumet au dieu de Clotilde en acceptant
C’est, pour l’époque, le modèle utopique
les symboles sacrés de l’onction pontificale
d’une société idéale.
transmise par l’évêque Rémy à Reims. Le
Sur le plan politique, sous l’impulsion de
27 juillet 754 en la basilique de Saint-Denis,
Jean-Étienne Portalis, conseiller juridique
Pépin le Bref est ceint de la couronne
de Choiseul, Louis XV accorde un statut
royale des mains du pape Boniface. Son
de reconnaissance civile aux Protestants
fils Charlemagne affirme le Pape Léon III
du Désert. Les mariages clandestins des
dans ses états. Il reçoit la dignité impéadeptes de la Religion Prétendue Réformée
riale en même temps que la consécration
sont enfin reconnus par la légalisation des
de l’autorité religieuse. Par reconnaissance
registres d’état civil détenus par ses pasau souverain pontife, il confie l’instruction
teurs. À Lyon, seconde ville du royaume,
des populations de son empire aux clercs
Antoine Prost de Royer, consul local et
des ordres religieux. Cette autorité sur la
lieutenant-général de police, préconise
transmission formelle et conforme à l’ord’associer les femmes à l’administration de
dre politique d’un savoir orienté annihilant
la cité, reconnaissant explicitement l’égales consciences par mille ans de spoliation
lité civique des deux sexes, avancée supmorale, durera jusqu’aux lois scolaires de
plémentaire de la laïcité, au sens moderne
Jules Ferry.
du terme.
En matière de spiritualité, la seule règle
Il est paradoxal que ce soit dans ces pages
acceptable pour la gouvernance des
qu’il faille rendre hommage et justice au
peuples est régie par le principe, ejus
bon roy Louis XVI. Mais, n’est-ce pas
(Rex)regio, cujus religio : la religion du
notre mission de citoyens que de comprince est la religion du peuple. Est exclu de
battre les préjugés et d’affirla communauté nationale, de la
mer la réalité historique ? Deux
protection royale du souverain
… la flamme
père de ses sujets, tout individu de l’esprit laïque ans avant le déclanchement des
orages qui le coucheront sur la
dont la croyance religieuse est
couve sous
planche basculante de la guillodifférente de celle du suzerain :
la cendre des
tine, le dernier roy de France de
hors de l’église temporelle point
autodafés
droit divin accomplit plusieurs
de salut. Après avoir été maractes de civisme laïque qui conduiront,
qués du signe d’infamie de la rouelle jaune
cent dix-huit ans plus tard, à la Séparation
par Louis IX, dit le saint, les Juifs sont défides Églises et de l’État.
nitivement chassés du royaume de France, le
Le 29 novembre 1787, reprenant les élé17 septembre 1394, par Charles VI le fol.
ments juridiques de Jean-Étienne Portalis,
En 1685, signé par Louis XIV, l’édit de
Louis XVI révoque l’Édit de Fontainebleau
Fontainebleau exclut de la terre de France
et le remplace par l’Édit de Tolérance. Il
qui les abritait de manière précaire les
étend la protection royale à l’ensemble
Protestants protégés jusque-là par l’édit
de ceux qui ne font pas profession de la
de Nantes, octroyé par Henri IV en 1598.
religion catholique. Par cette phrase, il
La France doit rester « la fille aînée de
reconnaît implicitement l’égalité civile des
l’Église » avec un peuple de croyants unaProtestants, mais aussi des athées et des
nimes groupés sous l’étendard de Jehanne
agnostiques. Sur les conseils de son envila pucelle.
ronnement humaniste, le roi permet, par le
Il en est de même pour les autres peuples
décret de Noël 1789, l’accession des nondu monde connu : l’Inquisition dominicatholiques à tous les emplois publics, civils
caine annihile la liberté de conscience en
et militaires.
Flandres et en Espagne, la foi calviniste
Le 3 septembre 1791, la monarchie devient
fulmine ses anathèmes et allume un bûché
constitutionnelle. Acceptée et signée
à Genève, l’intégrisme musulman spolie
par Louis XVI, la Constitution garantit,
les adeptes des religions minoritaires dans
comme droits naturels et civils, la liberté
l’Empire turc, les popes orthodoxes invià tout homme de parler, d’écrire, d’imtent leurs fidèles aux pogroms génocidaires
primer et publier ses pensées, sans que
dans la sainte Russie. Les Juifs attendront
les écrits puissent être soumis à aucune
la résurrection d’un état théocratique pour
censure ni inspection avant leur publicase conduire comme les autres, avec autant
tion, et d’exercer le culte religieux auquel
de zèle dans leur capacité d’exclusion.
il est attaché. Par cette Constitution, pour
Mais, la flamme de l’esprit laïque couve
la première fois en Europe - et c’est la
sous la cendre des autodafés, ranimée
monarchie française de droit divin qui le
par l’analyse scientifique de la tolérance
proclame - la loi garantit la liberté absolue
du Siècle des Lumières. Les philosode conscience.
phes humanistes Érasme, Moore, Swift,
Sous l’impulsion de l’Incorruptible
Spinoza ont une conception individuelle,
Robespierre et de ses amis, la concepvoire individualiste, de la croyance en une
tion républicaine et laïque de la vie sociale
entité supérieure satisfaisant la préoccucantonne Dieu dans la réflexion privée de
pation métaphysique des mortels. En préchacun ; elle garantit par la loi la liberté
curseur de la laïcisation des modes de vie,
de croyance du citoyen ; elle fait abstracFrançois Rabelais, démontre dans son
tion de la foi pour régler la vie publique,
Quart Livre que la morale qui règle la vie
estimant, comme dans la morale antique,
des adeptes de l’Abbaye de Thélème peut
que l’instruction, la conscience collective et la responsabilité civique de chaque
citoyen, suffisent à l’équilibre politique et
à l’harmonie sociale. Par l’acceptation de
la multiplicité des croyances individuelles,
la société laïque limite le fait religieux à la
sphère privée. La religion ne peut intervenir dans la vie publique sans déséquilibrer
l’ordre social républicain qui tient sa souveraineté des seuls suffrages du peuple
aux croyances multiples et non d’un droit
divin oint par un ordre clérical.
Malgré la reconnaissance des mariages civils et le vote de la première loi de
Séparation de l’Église et de l’État en 1795,
le couperet du réactionnaire Barras tranche la progression de la laïcité et amène,
après cinq ans de désordres concussionnaires et de coups d’état, un général factieux
au pouvoir.
L’Empereur autoproclamé organise et
réforme la société, tant pour l’administration publique que pour la vie privé. JeanÉtienne Portalis, encore vivant, âgé mais
lucide, prend la direction des commissions constitutionnelles et juridiques. Le
résultat, paraphé par l’ex-général séditieux Buonaparte donne le Code Civil qui
devient un modèle universel de genèse
juridique laïque, malgré la volonté du nouveau maître de l’Europe à vouloir réinstaller le catholicisme comme religion d’état.
Les articles sont rédigés avec le souci d’affirmer la primauté de l’autorité masculine.
Les femmes devront attendre quelques
lustres pour être libérées juridiquement de
la tutelle de leur père, de leur frère aîné et
de leur époux.
La Restauration, retour à l’Ancien Régime,
remet au clergé l’ensemble de ses privilèges. Napoléon III poursuit l’œuvre de son
oncle et maintient les lois cléricales de la
Restauration.
L’insurrection parisienne de la Commune,
héritière des principes révolutionnaires,
rend au peuple sa souveraineté et réaffirme, le 3 avril 1871, la séparation de
l’Église et de l’état avec la laïcisation de la
vie publique. La répression de la Semaine
sanglante écrase la volonté citoyenne
et rétablit le conformisme social avec la
morale cléricale.
La Troisième République, héritière des
mouvements sociaux d’une classe ouvrière
consciente de sa force et d’une bourgeoise humaniste conclut en installant la
laïcité dans les faits par la proclamation
des lois scolaires de 1880. Elle supprime
ainsi mille ans de cléricalisme instauré par
les Capitulaires de Charlemagne. Les textes républicains retirent, en partie, aux
clercs des ordres religieux la main mise sur
les consciences enfantines. Avec un corps
d’instituteurs formés et rémunérés par la
République, l’Instruction Publique primaire devient gratuite et laïque, puis obligatoire pour les citoyens des deux sexes de
six à quatorze ans.
Enfin, Émile Combes, Président du Conseil
en charge de l’Intérieur et des Cultes,
élabore la loi de Séparation des Églises et
de l’État après avoir interdit, en 1904, l’enseignement à toutes les congrégations religieuses. C’est Aristide Briand, rapporteur
de la commission préparatoire des textes
législatifs, qui sera chargé de la mise en
application de la loi du 9 décembre 1905,
Émile Combes ayant dû démissionner à la
suite de l’Affaire des Fiches. La République
protège de ses lois la liberté absolue de
conscience. Elle supprime la rémunération
des cléricalismes de toute confession, en
laissant à leurs fidèles le soin d’en assurer
la subsistance.
Par son aspect fonctionnel, la laïcité intègre dans la nation tout individu et tout
groupe d’individus, en reconnaissant et en
préservant l’identité de chacun. Elle permet
la cohabitation des différences sans en privilégier aucune. Elle repose sur la tolérance
mutuelle, le respect des autres, le libre
arbitre de la raison individuelle pour aboutir à l’établissement de lois protégeant tous
les citoyens, hommes et femmes, croyants
et athées, filles ou fils de Maghrébins, de
Woloffs, de Peuls, de Basques, de Catalans, d’Alsaciens ou de Bretons, tous libres
et égaux en droits. La laïcité rejette le communautarisme réclamant le bénéfice de
l’application de la loi au seul profit de la
communauté la plus puissante, la plus
influente ou la plus riche.
les écoles confessionnelles jouent un rôle
La confusion entre le religieux et le politide rééquilibrage face aux carences de
que a des conséquences inattendues pour
l’école publique qui abandonne la mission
la paix civile. Dans nos banlieues populaiqui lui était confiée. Depuis 1880, instaures, le soutien aux Palestiniens se mélange
rée par Jules Ferry, la mission de l’école
avec l’antisémitisme religieux. Les populaïque républicaine est affirmée : instruire
lations confondent l’islamisme avec le
et former les esprits des enfants
soutien aux peuples musulon est loin de
à la réflexion et au libre arbimans opprimés et mélangent
cet universalisme
tre, conduisant ses élèves sur le
le judaïsme avec le sionisme.
préconisé par les
Les fissures creusées dans la laï- conventionnels chemin de l’autonomie républicaine, puis de l’indépendance
cité citoyenne par la faillite de
citoyenne. La seule école libre reste et
l’intégration républicaine laisse sourdre
doit rester l’école publique, laïque, répule racisme en le travestissant du masque
blicaine.
de l’anticléricalisme. Les communautarisLe libéralisme doctrinal ayant pour seule
mes religieux et régionaux installent leurs
morale celle de l’argent, médiatise par la
structures sociales sur les ruines des admidéformation linguistique l’adjectif libéral
nistrations républicaines en éliminant l’inalors que le vrai qualificatif de liberté est :
dividualité citoyenne que ces organismes
libertaire. L’Europe que propose la noudevaient instruire, soutenir et protéger.
velle conception d’un ordre social libéral
La République laïque abandonne aux cométouffe la laïcité libertaire. L’espace géomunautés une partie de ses obligations
graphique et politique affirmé est celui du
de services publics. En substituant l’ÉduSaint Empire romain qui dissout la républication nationale à l’Instruction publique,
que laïque au sein de royaumes constituce n’est pas uniquement le vocabulaire qui
tionnels et de démocraties concordataires
a changé. La mission d’Instruction publiaffirmant comme vérités dogmatiques le
que est abandonnée au bénéfice d’une
fait religieux et la morale cléricale.
éducation qui est naturellement dévolue
Pour le citoyen laïque, il n’est aucune vérité
à l’autorité des chefs de famille. Le rôle
à imposer à son semblable ; il existe de
de l’instituteur se limitait à instruire ses
multiples vérités se fondant dans le corps
élèves tout en leur donnant une formasocial des citoyens qui souhaitent applition civique. Les professeurs des écoles se
quer ensemble les principes de Liberté
substituent aux familles défaillantes en
absolue de conscience et d’opinion, d’Égatentant d’inculquer aux enfants des prinlité devant la loi et de Fraternité mutuelle
cipes d’éducation qui appartiennent au
dans une Europe républicaine. Mais on est
cercle restreint de la vie privée familiale.
loin de cet universalisme préconisé par les
Confusion des mots, confusion des genres,
conventionnels, par Condorcet, par l’abbé
confusion des idées, confusion des rôles !
Henri Grégoire et par Gaspard Monge,
Paradoxe des temps, assurées du soutien
tous honorés au Panthéon des grands
financier des lois Falloux, Astier, Marie,
hommes.
Pompidou, Barangé, Debré et Guermeur,
La séparation de
l’Église et de l’État,
dessin de Léandre
paru dans Le Rire,
20 mai 1905.
(le personnage
du milieu est
Jean-Baptiste
Bienvenu-Martin,
ministre de
l’Éducation
nationale)
Les communautarismes s’affirment néanmoins par le rappel incessant aux lois naturelles, celle du plus fort contre le plus faible,
celle du plus riche contre le plus pauvre,
celle du plus rentable contre le moins productif. Les particularismes affirment leur
identité tribale en isolant la femme sous le
voile de l’obscurantisme, en marginalisant
le vieux, le chômeur, le handicapé physique ou mental, le jeune, le pauvre. Les
cléricalismes de tous les bords s’allient en
communautés homogènes qui se constituent sur des critères religieux, régionaux,
linguistiques, sexuels en refusant l’individu
aux origines multiples, en excluant le métis
génétique avec le métis culturel.
Le patrimoine intellectuel et philosophique de la conscience laïque est en danger !
Il se dissout dans les communautarismes
babéliens, dans la confusion des langues
régionales et dans l’altération des idéaux
au bénéfice de Mammon, dieu de l’argent
et du productivisme.
Un fois disparue la notion de citoyenneté
républicaine, quel refuge restera-t-il à mes
petits-enfants dont les ancêtres sont pêlemêle : catholiques et flamands, animistes
et tartares, juifs russes et autrichiens et
dont les parents sont un mélange de plusieurs des nationalités et des croyances du
bassin méditerranéen ? Quelle communauté assurera leur développement et leur
survie ? Sans la protection laïque pour le
maintien précaire de l’équilibre politique et
social, pourront-ils toujours, en séparant le
public du privé, rendre à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à Dieu ?
Jean-François DECRAENE
11
Belleville à tombeau ouvert :
les hôtes remarquables
du cimetière de la rue
du Télégraphe.
De haut en bas
et de gauche à
droite :
Plan du Cimetière
de Belleville
Tombe Gaumont
au cimetière de
Belleville.
(Maxime Braquet)
Les évolutions du
logo Gaumont
(archives
Gaumont)
 Construction du
premier atelier
Gaumont,
au 12 de la rue
des Alouettes
(dans un segment
appelé Carducci
de nos jours).
1896
(Cinémathèque
française)
Léon Gaumont
tout jeune, à
l’époque de son
mariage avec
Camille.
(Cinémathèque
française)
12
Léon et Camille
1.
Gaumont
Se cultiver en visitant les cimetières, c’est tendance. Les nécropoles se présentent
en effet comme des dictionnaires de personnalités et l’on peut circuler entre les
tombes un peu comme se feuillettent les pages d’un Larousse.
Certes, les « articles » qu’offre le modeste cimetière ex-communal de Belleville
sont infiniment moins riches que ceux du gros « bouquin » du Père-Lachaise. Et
puis le décor n’a pas le même pouvoir d’attraction. Il n’y a donc pas photo mais
la déambulation au sein du carré de la rue du Télégraphe n’en ménage pas moins
des surprises intéressantes.
La rencontre, par exemple, de Mgr Maillet,
directeur de la fameuse manécanterie des
Petits Chanteurs à la croix de bois, celle des
acteurs Suzy Prim et Michel Etcheverry, du
musicien organiste Pierre Cochereau, du
poète Fagus, du peintre Camille Bambois,
de l’historien Emmanuel Jacomin, des illustres cabaretiers de la Courtille Gilles et
Jean-Claude Dénoyez… Souvent, la vie
de ces morts a constitué un chapitre de
la chronique de notre montagne. Tel est
le cas de Léon Gaumont, dont la sépulture est assurément la plus belle pièce de
notre cimetière. Dans des articles à venir
de Quartiers Libres, nous nous arrêterons
devant l’ultime demeure des autres vedettes mais, pour l’heure, penchons-nous – à
tout seigneur, tout honneur – sur la tombe
du fondateur de la mondialement célèbre compagnie cinématographique à l’emblème de la marguerite (1).
Commençons par nous poser une question : pourquoi Léon Gaumont (18641946) repose-t-il en cette place alors qu’il
décéda à Sainte-Maxime, en sa riche résidence du Château des Tourelles ? Et à
tant faire que demander à la famille de
remonter son corps de la Côte d’Azur à
Paris, pourquoi le défunt a-t-il choisi cette
humble nécropole périphérique plutôt
que le Père-Lachaise (ou Montmartre ou
Montparnasse), d’un prestige bien supérieur ? Une belle et noble réponse saute
spontanément à l’esprit : n’était-il pas
naturel que Léon Gaumont voulût rattacher sa dépouille à la terre dans laquelle
son empire et sa fortune avaient leurs racines ? Nous l’avons raconté dans Quartiers
libres n° 80-81, c’est en effet en lisière des
Buttes-Chaumont que les premiers studios
de la firme cinématographique virent le
jour en 1905. Un véritable complexe usi-
nier, une ruche d’activités, que les riverains connaîtront longtemps sous le nom
légendaire de cité Elgé (LG). Cette raison a certainement pesé dans la « dernière volonté » de Léon Gaumont mais,
croyons-nous, une autre sentimentalité, bien plus intime, encore que romantique à l’égal, a aussi joué. Les inscriptions
visibles sur le monument funéraire de la
rue du Télégraphe nous en indiquent la
piste : Léon Gaumont a souhaité rejoindre la femme, Camille Louise Maillard,
avec laquelle il vécut quarante-cinq ans
et eut ses enfants. Aînée dans le couple,
elle mourut treize ans avant son mari, en
octobre 1933. Alors, nous n’en avons pas
la certitude mais c’est probablement en
cette circonstance que Léon acheta une
concession au cimetière de Belleville, prévoyant de l’habiter à son tour en l’heure
venue.
De gauche
à droite :
La série
de films
Fantômas,
de Louis
Feuillade
Alice Guy
(1873-1968)
La première
femme
cinéaste
en 1907
Il accomplissait ce faisant un geste d’affection envers sa compagne qui, née en 1859
rue de la Villette, a pratiquement passé sa
vie entière dans cette artère peu éloignée
de la rue du Télégraphe. Une pareille marque d’hommage, il la devait d’autant plus
à Camille que cette femme, authentique
Bellevilloise, fut la personne qui lui fit mettre tout à la fois le pied dans l’ascenseur
social et sur notre montagne.
Les beaux-parents Maillard
Son père, Charles Constant Maillard (18271884), était architecte. Vers la fin de sa vie,
il exerçait surtout son art dans la maintenance mais, entre autres plans de construction, il dessina ceux de l’immeuble du 108,
rue de Belleville – juste à côté de l’école
communale – qui, par désagrément pour
notre mémoire des lieux, vient d’être rasé.
M. Maillard fut par ailleurs un notable car,
dans les années 1870, il remplit les fonctions d’adjoint au maire du 19e arrondissement. Au sein du conseil municipal, il eut
pour collègue Félix Richard, industriel dont
l’entreprise de fabrication d’instruments
optiques de mesures (notamment des
baromètres), joua (2) un certain rôle dans
la carrière de Léon Gaumont. Aisé sinon
franchement riche, Charles Maillard avait,
sous le Second Empire, acheté au 69 de la
rue de la Villette (renuméroté plus tard 61
puis 55) une belle propriété aujourd’hui
disparue. C’est là que Camille naquit et fit
la connaissance de son époux, en 1886.
Son frère Henri, camarade d’études du
futur empereur du cinéma, le lui avait présenté en l’invitant sous le toit familial à
l’occasion d’une permission de Léon tandis
qu’il effectuait son service militaire.
Le jeune homme de 22 ans qu’il était à
cette date n’imaginait certes pas le destin grandiose qui l’attendait. Enfant d’une
famille modeste, il avait dû interrompre sa
scolarité avant de décrocher un diplôme
mais nourrissait le ferme espoir de réussir
dans la vie. Il entra comme simple grattepapier au sein d’une maison de mécanique optique, la maison Carpentier, où,
besogneux, opiniâtre, il acquit peu à peu
les connaissances techniques de la partie. Il les consolida en suivant les cours
du soir à l’Institut populaire du progrès,
réputé pour les conférences sur l’astrono-
mie qu’il dispensait. Chez son employeur,
Léon apprit aussi les bases de la gestion
d’entreprise. Nanti de ces bagages, devenu
de fait un ingénieur, il peuplait sa tête de
projets mais son manque de fortune ne
rendait pas l’avenir évident.
Les ambitions de l’autodidacte plurent en
tout cas à la femme déjà mûre qu’était
Camille en 1886. Ils se fréquentèrent et
s’épousèrent deux ans plus tard. La mariée
était assez bien dotée et avait hérité au
surplus d’un pécule honnête à la mort de
son père. Le jeune ménage habita chez
madame Maillard mère, au 55, rue de la
Villette, puis, après le décès de celle-ci,
en 1892, disposa seul de la résidence. En
1889 (ou 1890), Camille, répondant sans
doute déjà à des visées de son mari, avait
acheté quelques terrains de la ruelle des
Sonneries, une venelle qui embouchait
alors dans la rue des Alouettes, derrière la
demeure du couple. Six ans plus tard, Léon
Gaumont leur trouva une utilisation. Entretemps, en effet, il avait avancé sur le chemin professionnel. Après avoir été le fondé
de pouvoir d’une entreprise commercialisant des appareils photographiques, près
du Palais-Royal, il acheta celle-ci à son
patron, Félix-Max Richard, et constitua
une société à son nom avec le soutien d’un
certain Gustave Eiffel (3). Il se lança aussitôt dans la construction des appareils et,
pour ce faire, fit bâtir un atelier au bout de
la ruelle des Sonneries. En 1895 se constitua ainsi, grâce au concours de Camille,
la première brique de ce qui allait devenir
la cité Elgé.
Des Alouettes aux Tourelles
et retour
La villa des Gaumont se trouva dès 1908
insérée dans le tissu dense des bâtiments
de cette cité active ; elle en bordait l’entrée
sur la rue de la Villette. Henri Fescourt,
l’un des premiers cinéastes de la compagnie, rapporte que, se rendant au plateau de tournage, il ne franchissait jamais
le portail de la cité sans avoir le sentiment
que le patron le regardait passer des fenêtres de son bureau. En réalité, Léon, qui
supervisait de haut la dimension artistique
des activités de sa firme, ne mit jamais le
nez dans la “ cuisine ” de la réalisation des
films. Ses employés le voyaient rarement
sous la verrière géante de ce qu’on n’appelait pas encore, à l’américaine, studio
mais « théâtre de prises de vues ». Il délégua la responsabilité de ce domaine à deux
collaborateurs de grand mérite, Alice Guy
d’abord puis Louis Feuillade.
Le pré carré du chef d’entreprise Gaumont,
c’était les appareils de cinéma, le perfectionnement de leur mécanique, l’invention de procédés techniques pour ajouter
le son et la couleur à l’image en noir et
blanc muette. L’ingénieur Léon fut un précurseur de rang mondial en ces matières.
Voilà en tout cas ce qui l’occupait vraiment
dans les ateliers et laboratoires des ButtesChaumont. En 1930, âgé de 66 ans, il prit
sa retraite et, cédant la cité Elgé à des continuateurs, se retira avec son épouse dans
la belle propriété de Sainte-Maxime qu’ils
avaient achetée en 1906, au début de la
fortune du couple. Camille mourut làbas mais exprima sa volonté de revenir à
Belleville y reposer à jamais.
Maxime Braquet
(1) Voir l’emplacement sur le plan (p. 12)
(2). Félix-Max était l’un des fils de ce Félix
Richard dont nous avons cité plus haut le nom.
Avant de se séparer de son frère Jules, en 1891,
il avait codirigé avec lui la fabrique que leur père
avait installée en 1874 au 8 de l’impasse Fessart
(25-29, rue Mélingue de nos jours ; l’usine a été
démolie vers 1972). Comme celui-ci avait côtoyé
Charles Maillard au conseil municipal, c’est de
façon assez naturelle que Léon, en 1893, chercha à se faire embaucher à la maison Richard.
Découragé par Jules, il se rabattit alors sur la
société de Félix-Max. Jules Richard, soit dit en
passant, est à l’origine du lycée technique polyvalent qui porte aujourd’hui encore son nom au
21 de la rue Carducci.
(3). Léon s’était fait remarquer de l’illustre père
de la Tour à l’Institut populaire du progrès. Un
des secrets de la réussite de Gaumont fut le
choix qu’il sut toujours faire de ses relations et
l’art qu’il possédait de les entretenir. C’est ainsi
que Jules Carpentier, le premier patron qui l’employa, fut témoin à son mariage avec Camille
dans l’hôtel municipal de la place ArmandCarrel.
13
La petite Ceinture
du Canal Saint Denis
à la Seine
A
Avant de pénétrer dans le 19ème arrondissement, les rails venant de
l’Ouest parisien se fraient un passage dans un entrelacs de voies de
toute nature. Encore un effort et par un dernier tunnel au dessous des
rails de la Gare de l’Est, la petite ceinture est passée, toujours là pour
terminer son tour de la Capitale et ce depuis plus d’un siècle.
14
Evidemment, cela n’a plus rien à voir avec
les fins de semaines heureuses du début du
xxe siècle et de la glorieuse année 36 où elle
emmenait les citadins pour de brefs loisirs
dans des lieux qui sentaient encore bon
la campagne, grâce à sa jonction avec la
ligne de la Bastille. Après l’euphorie voyageuse de ce début de siècle, la seconde
B partie de celui-ci fut moins enthousiaste ;
c’est après la seconde guerre mondiale que
tout doucement le passage des trains se fit
plus rare .
Qu’en est-il actuellement ? Après avoir
transporté des passagers pour leurs loisirs, puis des marchandises, cette ligne
aurait bien fini en simple tramway. Elle est
là, des politiques en parlent, des associations la défendent, d’autres s’installent sur
son parcours, des cinéastes la mettent en
valeur. Imperturbable, elle étale toujours
son ruban sur l’est parisien pour le plus
grand plaisir des riverains, surtout ceux du
12ème arrondissement.
Au sortir des voies SNCF, elle passe sur la
rue de Cambrai et son viaduc sert d’entrée
à l’Espace du pont de Flandre desservant
les Magasins Généraux (photo A). Puis
elle entame un grand coude, frôle le canal
C
Saint Denis, une gare est encore présente
près du métro Corentin Cariou. Entre cette
partie et le canal de l’Ourcq, le viaduc qui
soutient les voies est annexé par les habitations limitrophes. C’est à partir de la
rue Barbanègre qu’elle offre à de nombreuses personnes et associations un local
afin de pouvoir s’exprimer. C’est ainsi que
le passage des voûtes accueille des artistes travaillant leurs arts sous ces arcades
centenaires à la fraîcheur de végétations
récentes comme cette association d’artistes « la Vache Bleue » (photo B).
Les voies traversent ensuite le canal de
l’Ourcq (photo F). C’est à cet endroit qu’un
lieutenant de police pourchassait un malfaiteur pour un épisode du feuilleton PJ.
La petite ceinture dans le 19ème arrondissement est assez discrète, souvent cachée,
D
encadrée par des immeubles officiels, sous
un tunnel ou en tranchée profonde comme
dans le parc des Buttes Chaumont afin des
traverser l’une des plus hautes collines de
Paris.
Les voies sortent de terre après un autre
parc, celui de Belleville, pour quelques
centaines de mètres, juste le temps de
nous laisser une passerelle, celle de la rue
de la Mare et un emplacement de gare à
peine visible. Nous sommes à présent dans
le 20ème arrondissement. C’est dans ce
quartier encore intact que fut tournée une
scène du film « Casque d’Or ».
Les voies de la petite ceinture s’enfoncent
de nouveau sous terre pour le cimetière du
Père- Lachaise.
Ce n’est qu’à partir de Charonne que les
voies sont à l’air libre et que tout le charme
de la petite ceinture opère. Prendre un
verre dans une ancienne gare, celle de la
rue de Bagnolet, regarder les voies à partir de la terrasse aménagée de ce Bar peu
ordinaire (photo C). Le comptoir est constitué de traverses, quelques dessus de
tables sont des panneaux de limitation
de vitesse, les sièges ressemblent étonnement à ceux des premières classes d’avant
guerre, la décoration d’intérieur est typiquement ferroviaire. On s’apprête à rêver !
C’est certainement de cette station que
« Casque d’Or », habitante du quartier,
pris le train afin de rejoindre Manda (son
amant) à Joinville .
Notre imagination troublée par le bruit
et la vapeur du percolateur, nous conduit
tout droit sur les rails. Nous passons une
gare, celle de la rue d’Avron dont les abris
de quais en bois sont perdus dans la végétation. Un moment d’hésitation, un roulement sourd couvre le chant des oiseaux. Et
si un train passait afin de nous emmener
en direction de la Seine ! Le bruit vient des
ateliers de la RATP en dessous de nous,
une rame entre dans le bâtiment. Nous
continuons notre chemin en traversant le
Cours de Vincennes par un voyage métal-
lique, quelques immeubles anciens, puis
nous entrons dans un autre monde, celui
du végétal, c’est de nouveau la campagne
en plein Paris. Chemin faisant, nous passons au-dessus de la « promenade plantée » (ancienne ligne Bastille -Verneuil
l’Etang).
à la hauteur de la rue du Sahel, le square
Charles Péguy (photo D) ; c’est ici que
l’écrivain prit le train pour son dernier
voyage. Continuons vers le sud, l’avenue
Daumesnil, la rue de Picpus et la rue Claude
Decaen sont franchies par des ouvrages
métalliques. Soudain dans l’enceinte d’une
gare, un jardin extraordinaire : les membres actifs d’une association entretiennent
les quais de la gare Claude Decaen (photo
E). Musardons, regardons les 1450 espèces végétales répertoriées par les responsables. Si nous avons de la chance, nous
verrons un des écureuils et la fouine que
les habitués ont rencontrée.
A présent le chemin jusqu’à la Seine nous
semblera morose, des voies et encore des
voies, celles de la gare de Lyon et des ateliers, de l’autre côté de la Seine, les voies
de la gare d’Austerlitz.
Il n’y a aucun doute, ce n’est que dans l’est
parisien que la petite ceinture mérite d’être
contemplée, et c’est là, en partie, que s’est
écrit l’histoire de Paris.
À 109 ans
Léon WEIL
.
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s
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q
a
s
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La Croix titre :
« Léon WEIL rêvait de paix avec « les types d’en face » ;
Le Monde écrit :
« Une vie volée à la mort, l’un des derniers survivants
de 14-18 ».
Texte et photos de René MINOLI
Qui se souvient encore de la « Grande
Guerre » ? Pour l’avoir faite, il faut avoir
dépassé les 100 ans de vie. Ils sont quelques uns qui peuvent encore dire les
souffrances qu’ils ont endurées.
L’un d’eux vient de nous quitter le 6 juin
dernier dans sa 110ème année :
Léon, Roger WEIL.
Il était l’un de nos voisins de l’est parisien, né dans le 10ème, vivant dans le
19ème à la fin de sa vie, chez ses enfants.
E
F
Sur son faire-part de décès on lit :
Chevalier de la Légion d’Honneur
Médaille militaire
Croix de Guerre 1914-1918
Croix de Guerre 1939-1945
Croix du Combattant Volontaire de la
Résistance.
Car ce jeune chasseur alpin mobilisé en
1916 vécut les horreurs des batailles de
1917 connues pour les milliers de morts :
Le Chemin des Dames, Craonne, les
batailles dans le Ballon des Vosges, et
les tranchées avec moins 15 degrés…
Il n’avait pas de haine pour les adversaires, il disait : « Les Allemands, ils étaient
comme nous des pauvres types qui se
faisaient casser la gueule pour rien ».
Il ajoutait au profit des marchands de
canons : « Cette machine à faire des
veuves et des orphelins »… « et à enrichir les marchands de canons ».
Sa haine il la réservait à ces injustices :
ses deux frères ne revinrent pas.
La paix revenue, il vécut une heureuse
vie de famille. Occupant ses loisirs avec
la pratique de la boxe amateur qui lui
fit rencontrer les grands champions :
Marcel Thil et Marcel Cerdan.
Il avait également une grande passion
pour le théâtre et une dévotion à Sarah
Bernhardt.
Mais en 1939, la haine raciste d’Hitler
déclencha une nouvelle guerre mondiale.
C’est dans la Résistance, que Léon WEIL
lutta contre l‘occupant, passant des
messages secrets entre les deux zones.
En 1943 il entra dans le Réseau GALLIA.
Son action fut récompensée par les titres
énoncés ci-dessus.
Cette belle vie, nous tenions à vous la
faire connaître brièvement. Dans notre
époque cruelle, violente, égoïste, il est
bon de rappeler qu’on peut être un
humain aimant la vie et défendant de
touts ses forces la liberté.
M.A.A.
15
J’ai un
D.A.D.A.
Mon docteur m’a dit que j’avais un
ne me souviendrai plus qu’elle est dans la cuisine.
D.A.D.A. Pour qui ignore ce que c’est,
Je décide donc de la remettre dans le salon où est sa
place, mais avant, je vais rajouter de l’eau aux fleurs. Je
verse l’eau, mais j’en renverse une grande quantité sur
le sol. Alors je remets la télécommande sur la table, vais
chercher une serpillière et nettoie des dégâts. Ensuite je
reviens dans l’entrée, et j’essaie de me rappeler ce que je
venais y faire.
je vais en donner les symptômes.
Par exemple, ce matin, je décide de laver ma voiture. Alors
que je me dirige vers le garage, je remarque qu’il y a du
courrier sur la commode de l’entrée. Je décide de regarder
le courrier avant d’aller laver la voiture. Je pose mes clés
de voiture sur la commode, mets tout le courrier publicitaire dans la corbeille à papiers et remarque que cette dernière est pleine. Alors je décide de reposer les factures sur
la commode et de vider d’abord la corbeille.
16
Dessin de
Marcel Créach
C’est alors que je me dis que, puisque je vais me trouver
à côté de la boîte aux lettres quand je vais vider la corbeille dans la poubelle, autant préparer d’abord le règlement des factures. Je prends mon carnet de chèques, et
je vois qu’il ne m’en reste plus qu’un. Mon autre chéquier
est dans mon bureau ; donc, j’y vais, et je trouve, sur le
bureau, la bouteille de jus de fruit que j’ai commencé à
boire. Je vais chercher mon chéquier, mais, avant tout, il
faut que j’enlève ce jus de fruit de là avant que je commette une maladresse et que je le renverse. Je remarque
qu’il commence à devenir tiède, je décide donc d’aller le
mettre dans le frigo.
Alors que je me dirige vers la cuisine avec le jus de fruit, le
vase sur le plan de travail de la cuisine me saute aux yeux :
les fleurs ont besoin d’eau. Je pose le jus de fruit sur le plan
de travail de la cuisine et découvre mes lunettes pour lire
(que je cherchais depuis le matin). Je me dis que je ferais
mieux de les remettre dans mon bureau, mais avant, je
vais donner de l’eau aux fleurs. Je repose les lunettes sur
le plan de travail de la cuisine, remplis un pichet d’eau, et
soudain j’aperçois la télécommande. Quelqu’un l’a laissée
sur la table de la cuisine. Je me dis que, ce soir, quand on
va vouloir regarder la télé, je vais la chercher partout, et je
A la fin de cette journée : la voiture n’est pas lavée, les
factures ne sont pas réglées, il y a du jus de fruit tiède sur
le plan de travail de la cuisine, les fleurs n’ont pas assez
d’eau, je n’ai pas mon nouveau chéquier, je ne trouve plus
la télécommande, je ne sais pas où sont mes lunettes, et
je n’arrive pas à me souvenir de ce que j’ai fait des clés de
voiture.
Ai-je été assez clair ? Il me semble. Quand je me rends
compte que rien n’a été fait aujourd’hui, je n’y comprends
rien : je n’ai pas arrêté de la journée, et je suis complètement crevé. Je réalise que j’ai un sérieux problème et qu’il
faut que j’essaie de me faire aider, mais d’abord je vais
m’occuper de mes mails. Ne pourrait-on me rendre ce service ? Envoyer ce message à qui de connaissance, car je ne
me souviens plus à qui je l’ai déjà envoyé.
Il me semble que maintenant il est possible de bien se
représenter ce qu’est un D.A.D.A. Ah oui ! Qu’est-ce que
D.A.D.A. veut dire ? C’est simple, c’est un Déficit d’Attention Dû à l’Âge. Il paraît que lorsqu’on est quinquagénaire
et à plus forte raison sexagénaire, on a de grandes chances d’être touché par ce mal. Alors qu’on ne se gausse
point, si ce n’est encore le cas, cela peut bien nous arriver un jour.
En ce qui me concerne, il me semble avoir toujours eu ça.
J’ai dû tomber dedans quand j’étais petit.
Frédéric MONNET
d’après Joëlle DINEUR
Quartiers
libres
Pourquoi la mer est-elle salée ?
Histoire pour petits enfants, adultes
Quand notre Seigneur Dieu eut achevé
sa semaine de trente –cinq heures, consacrée à la création du monde, le septième jour il s’arrêta pour se reposer.
Ici Galahad m’interrompt :
« Dis Papy, le bon Dieu, il a mis toute
une semaine pour créer le monde. ?Ben,
c’est pas rapide ! La Fée Clochette, elle
va bien plus vite. Un coup de baguette,
et hop ! »
« La différence, vois-tu, c’est que la Fée
Clochette ne fait des miracles que dans
les bandes dessinées, tandis que Dieu
existe vraiment. »
« Ah, oui ? Et il est où ? « 
« Partout, partout où il y a amour et
harmonie. »
« J’comprends pas. »
« C’est pas bien difficile. Quand les
hommes, au lieu de s’entredéchirer ou
de s’entre-tuer, s’aiment, s’entendent,
s’entr’aident, se mettent d’accord pour
loger les gens qui dorment dans la rue,
ou pour donner à manger à ceux qui ont
faim, etc… ça c’est Dieu ! » 
« Mais alors, le vieux monsieur, avec sa
longue barbe, qui plane sur des nuages
et qui joue aux boules avec le soleil, la
terre et la lune ? »
« Ca, si c’est bien fait, c’est de l’histoire
de l’art « .
« Et sinon ? »
« Sinon, ce sont de belles images. »
« Et le diable, l’enfer, tout ça, ça existe
aussi ? »
« Et comment que ça existe. »
« C’est quoi ? »
« C’est la haine et la violence qui ravagent périodiquement notre planète.
C’est des millions de nos semblables qui
crèvent de faim, des centaines de milliers qui meurent parce qu’on ne les soigne pas, c’est l’égoïsme des riches et la
misère des pauvres, c’est l’occupation et
la torture, c’est les guerres, surtout les
guerres – qui note bien, commencent
parfois dans les familles et les cours de
récréation. »
« Et pourquoi est-ce que… »
« Ecoute Galahad, si tu m’interromps
tout le temps, je n’arriverai jamais au
bout de mon histoire. »
«  Elle est vraie au moins ton histoire ? «  
« Non elle est complètement inventée. « 
« Ben alors ? »
« Alors, tu sais bien qu’il y a des histoires inventées qui sont quelques fois aussi
vraies que les vraies. »
« Ah, oui ! comme Le petit chaperon
rouge ? »
«  Par exemple. »
« Je disais donc qu’après sept jours, Dieu
se reposa.
Mais n’allons pas croire qu’il s’en tint
là : il lui restait à fignoler son ouvrage.
Pour le détail, on peut se reporter à La
Genèse. Mais ce qu’elle ne dit pas, la
Genèse, c’est que Dieu trouva la terre
bien insipide. Au surplus, les hommes,
qu’il avait comblés de bienfaits, commencèrent à s’adonner furieusement à
leurs folies.
Dieu estima qu’il fallait remédier à ce
désordre en leur donnant en abondance
le sel de la sagesse. Il manda donc un bel
archange, qui remplissait les fonctions de
grand saulnier : c’est lui qui était chargé
de saler les avenues du ciel, les nuits de
grands froid et de gel. Le Seigneur lui
ordonna donc de verser sur la terre, aidé
par son équipe de petits saulniers, des
cuves et des cuves de sel.
Vu que le firmament est immobile ,
comme son nom l’indique, et que la terre
tournait, déjà bien avant Galilée, les tonnes de sel qui se répandaient sur la planète se répartissaient régulièrement sur
toute sa surface, terrestre et maritime : il
y en avait pour tout le monde.
Mais les hommes, hélas – on dirait que
c’est chez eu une manie – se mirent de
nouveau à pécher exagérément. Et il a
fallu que le Roi des cieux leur envoie le
Déluge pour les calmer un peu. Le Dieu
de la Bible, c’est bien connu est rancunier, et n’hésite pas à châtier les peuples
voyoux, comme un vulgaire Bush.
Le Déluge ne se contenta pas d’exterminer des multitudes d’affreux pécheurs,
il causa aussi des ravages écologiques
17
considérables. Pense-donc : des pluies
ininterrompues pendant quarante jours et
quarante nuits. Tout était submergé. Pire
qu’à la Nouvelle-Orléans !
Quand la colombe rapporta à ce veinard
de Noé son rameau d’olivier, on comprit
bien vite que les eaux se retiraient. Hélas,
elles emportèrent avec elles tout le sel
de la sagesse que Dieu, dans son infinie
bonté, avait prodigué aux hommes. C’est
ainsi que, depuis,les hommes continuent à
se dessaler et que la mer est très salée.
« Là tu rigoles, papy ! »
« Pas tant que ça. »
Tu ne peux pas savoir ce qu’ils sont capables d’inventer, les hommes, pour ravager
notre planète bleue : guerres et occupations, effets de serre et pollution, obésité
des uns et famine des autres, déforestation
et désertification, gaspillage de l’eau, et
j’en passe. De quoi faire pâlir le Ciel avec
ses tsunamis, ses tremblements de terre et
ses épidémies.
« Papy tous ces malheurs, ça va durer
longtemps comme çà ? »
« Ca dépend de toi, mon bonhomme, de
moi, de tous les hommes qui se décident à
retrousser leurs manches, qui, veulent que
ça change. Mais…je crois qu’il y a un petit
espoir. Écoute le début de la « Cantate de
la Paix », que nous chantons à la chorale :
Un jour, un jour peut-être,
nous deviendrons de vrais amis :
je vois déjà que tout s’éclaire
du côté de la nuit……
« J’aime bien quand tu chantes, papy ! »
« Et moi, donc. Tu vois : la musique, c’est la
joie, c’est la fraternité, c’est l’harmonie. »
« C’est Dieu, quoi ! »
« T’as tout compris ».
Arnaud FLORAND
Illustration :
Michel-Ange - Extrait de la fresque
sur le plafond de la chapelle Sixtine - Vatican
18
1. Télépathie :
Sentiment
de communication
à distance par
la pensée.
2. S’empresser :
Se hâter.
3. Luminosité :
Puissance
lumineuse.
4. Assaillir :
Être tourmenté par
des questions.
5. Impressionner :
Affecter d’une vive
émotion.
5
Résumé des épisodes
précédents :
Gafy est chargé par ses compagnons « Les
guests » de la survie du groupe en trouvant
une nouvelle source d’énergie car un mangeur de lumière les menace. « Les guests »
vivent dans un monde parallèle au notre
et se déplacent par télépathie(1) grâce à
la lumière. Lors d’un voyage dans notre
monde, Gafy rencontre Lisa, une petite
fille de 10 ans, habitante de Belleville. Il
se présente et lui explique comment se
déplacer par télépathie.
Episode N°5 :
Le voyage de Lisa
Lisa n’en revient pas, on peut voyager par
télépathie.
Gafy lui explique le principe du voyage
télépathique :
-Tu me donnes la main,
-Tu fermes les yeux,
-Tu imagines un souvenir très agréable,
-Et petit à petit, tu intensifies ce souvenir.
Gafy lui propose d’expérimenter le voyage
télépathique pour visiter le monde des
« guests »
Lisa hésite un instant :
-Est-ce que je peux partir aussi rapidement sans prévenir ma tante de mon
départ ?
Elle est très gênée car elle ne peut pas lui
raconter sa rencontre avec Gafy, sa tante
ne la croirait pas.
Elle ne peut pas non plus lui parler de son
projet de voyage dans un monde parallèle
car elle lui interdirait.
-Quelle situation difficile, je ne sais
pas quoi faire ? Gafy, combien de temps
serons-nous absents ?
-Dans notre monde vos heures représentent pour nous des minutes. Nous serons
donc partis plusieurs heures.
-Ma tante va être terriblement inquiète.
Lisa hésite encore plus.
-Elle risque d’appeler la police et je
devrais m’expliquer, révéler ton existence.
Les policiers ne me croiront jamais, pire
ils vont me prendre pour une folle.
Gafy comprend son trouble. Il lui propose
un plan:
-Tu peux expliquer à ta tante que tu souhaites aller te promener au parc des buttes Chaumont avec les parents d’un ami.
La sortie durera toute la journée et se terminerais tard dans la nuit car ils te proposent de dîner sur place.
Lisa trouve l’idée très bonne.
Elle s’empresse (2) d’aller demander
l’autorisation de sortir à sa tante. Lisa lui
précise qu’elle ne doit pas s’inquiéter car
elle reviendra très tard dans la nuit.
Sa tante accepte en lui demandant d’être
très prudente et de bien obéir aux parents
de son ami.
Lisa n’aime pas mentir à sa tante, c’est
d’ailleurs la première fois mais elle n’a
pas le choix. Lisa prépare donc quelques
affaires et retrouve Gafy au parc pour le
grand voyage.
-C’est l’heure du départ, annonce Gafy
car la luminosité(3) est excellente.
Lisa sent son cœur battre de plus en plus
fort. Un grand nombre de questions l’assaillent (4).
-Est-ce que je serais capable de me concentrer correctement ?
-Comment va se passer le voyage télépathique ?
Comment est le monde des « Guests » ?
Seront ils ravis de me voir ?
Est-ce que je vais leur plaire ?
Toutes les questions se bousculent dans
sa tête.
Gafy qui lit dans les pensées la rassure et
lui dit de ne pas s’inquiéter, tout va bien
se passe.
Lisa est une nouvelle fois impressionnée
(5).
-Tu lis aussi dans mes pensées, c’est
incroyable !
Gafy lui sourit, lui prend la main et lui
demande si elle est prête pour ce fantastique voyage.
Lisa ferme les yeux. Elle imagine une
magnifique prairie où des chevaux galopent librement. Petit à petit elle se voit
près des chevaux et caresse leur crinière.
A ce moment précis, elle ne ressent plus
son corps, elle a l’impression de flotte
dans les airs. Elle entend la voix de Gafy
qui lui confirme leur départ.
-C’est incroyable !
Lisa n’en revient pas. Elle voyage par télépathie.
Lisa imagine son retour à l’école lundi
matin :
-Personne ne voudra me croire lorsque
je raconterai mon aventure.
Suite dans le prochain numéro
Catherine Eboulé
L’inauguration du Mur des Justes du Mémorial de la Shoah
Le mercredi 14 juin dernier, le Mur des
Justes du Mémorial de la Shoah, rue
Geoffroy-l’Asnier dans le 4ème arrondissement, a été inauguré par Messieurs
Dominique de Villepin, Premier ministre,
Ehud Olmert, Premier ministre de l’Etat
d’Israël et Bertrand Delanoë, Maire de
Paris, en présence d’une foule considérable. Complémentaire du Mur des Noms
déjà érigé à l’entrée du Mémorial, le Mur
des Justes prend appui sur le grand mur de
schiste vert bordant le parvis au nord, du
côté de l’allée des Justes. Sur 37 plaques
de bronze ont été gravés les 2693 noms
des Justes de France reconnus de 1964
jusqu’en décembre 2005. 9 plaques vierges ont été prévues afin d’accueillir chaque
année les noms des personnes nouvellement honorées. 2 plaques explicatives,
situées à chaque extrémité de l’accrochage, complètent cet ensemble. Dans le
sol, des luminaires éclairent le Mur.
Le réaménagement du Mémorial de la
Shoah a tenu à rendre un hommage mérité
à l’action de ces hommes et de ces femmes modestes, dont le rôle a pourtant été
essentiel dans l’organisation du sauvetage
des trois quarts des membres de la communauté juive pendant la Seconde Guerre
mondiale qui parvinrent, en France, à
échapper à la destruction programmée par
les nazis.
A l’occasion de l’inauguration du Mur
des Justes, le Mémorial de la Shoah orga-
nise, entre le début du mois de mai et la
fin du mois d’octobre 2006, une exposition sur les Justes de France, conçue sous
la direction de Lucien Lazare, membre
de la commission pour la désignation des
Justes pour le Mémorial de Yad Vashem à
Jérusalem, complétée par un cycle de films
et de conférences. Ces différentes manifestations seront clôturées dimanche 22
octobre et mardi 24 octobre par deux
tables rondes consacrées aux réseaux de
résistance dans le sauvetage et aux fonctionnaires dans le sauvetage, avec entre
autres la participation des historiens Denis
Pechansky, Marc Olivier Baruch, Pierre
Birnbaum et Jean-Pierre Azéma.
(renseignements au 01-42-77-44-72).
Entretien avec
Monsieur Maurice Arnoult,
Juste parmi les Nations
Au fond d’une petite cour
d’immeuble, au 83, rue de
Belleville, se trouve l’atelier
de l’ancien bottier Maurice
Arnoult.
Figure bellevilloise typique et reconnue
(1), témoin de l’évolution de son métier
et de son quartier depuis près d’un siècle
(il est né en 1908, en province, et il s’est
établi à son compte en 1937 dans le petit
atelier qu’il occupe encore aujourd’hui),
Maurice Arnoult a obtenu la médaille
des Justes parmi les Nations. Le 18 octobre 1995, l’ambassadeur de l’Etat d’Israël
lui a dédicacé dans son atelier le diplôme
de Yad Vashem : « En hommage très amical et infiniment reconnaissant pour votre
grande œuvre de sauvetage de vos frères
juifs de France ». L’obtention de cette distinction s’est faite automatiquement, sans
que l’intéressé ne l’ait sollicitée, grâce au
témoignage d’un enfant caché, Joël. Son
histoire est en fait emblématique de l’action modeste mais inestimable de ces
héros de l’ombre de la résistance civile, qui
contribuèrent en particulier au sauvetage
des enfants cachés.
Mobilisé en 1939 sur le front de la Sarre,
entraîné dans la débâcle de 1940 et conduit en captivité en Allemagne, Maurice
Arnoult est libéré en 1941 et rentre à
Paris « sans jouer les héros ». Il retrouve
alors son atelier de cordonnerie dont il
avait confié la gestion, avant de partir aux
armées, à l’une de ses employées nommée Alice, en qualité de fondée de pouvoir
dûment enregistrée devant la chambre des
métiers. « Je l’avais embauchée comme on
achète une machine. Elle ne m’avait pas
dit qu’elle était juive. C’était une femme
intelligente qui n’était pas du métier. Elle
était aimée des fournisseurs, des clients
et des ouvriers. Son père était un Russe
qui était devenu couturier. Elle, elle avait
une place où elle avait été virée et moi je
l’avais embauchée ». Marié avant-guerre
à une femme tuberculeuse, Maurice
Arnoult était devenu veuf durant sa captivité. « Quand je suis revenu, (Alice) était
là. Je l’ai regardée avec d’autre yeux et
j’ai dit : Pas mal ! Il s’est passé ce qu’elle
pensait aussi un peu ! Il est arrivé ce qui
devait arriver. Elle a passé pour Madame
Arnoult. Et cela l’a protégée ».
De fait Alice, la petite juive, est officiellement déclarée au commissariat comme
Madame Arnoult, ce qui la préserve des
contrôles d’identité tatillons de la police
française. Maurice Arnoult donne également sa carte d’identité au frère d’Alice,
qui avait du quitter son métier de joaillier
et qui sera finalement arrêté sur dénonciation.
Dès avant les grandes rafles de l’été 1942,
le sort des étrangers et des juifs était
devenu tout à fait précaire dans le Paris de
l’Occupation. En pleine nuit, vers minuit,
rue Crozatier, Maurice Arnoult assiste à des
arrestations : « des gens en bras de chemises, un bébé est arraché à une femme…
J’avais déjà dans l’idée ce que m’avaient
dit les juifs allemands (de Belleville dans
les années 1930) ». Mais le bottier fournissait aussi la femme d’un commissaire de
police : celui-ci l’avertit des rafles de juifs
en préparation, dont il ne connaissait pas
la date exacte au demeurant. Au début du
mois de juillet 1942, une rafle de grande
ampleur était manifestement imminente.
Maurice Arnoult prend alors les choses en
main et déclare à Alice : « Il faut que dans
les jours qui vont suivre tu trouves quelque chose. Dès ce soir, amène-moi qui
t’as. J’ai dit à Suzanne (la sœur d’Alice)
qu’elle me donne « Riri », « Riri » qui avait
six ans, toi apporte- moi Joël ». Les deux
enfants juifs sont conduits en compagnie
d’Annette, la fille qu’il avait eue de son
19
premier mariage, dans son petit pavillon
en bois de Savigny-sur-Orge. « Riri » est
confié à la grand-mère de Maurice et Joël
est remis au propre père de Maurice, qui
disposait d’une autre baraque en bois sur
le même terrain.
Le souvenir de la conversation entre
Maurice et son père, qui avait abandonné
ses propres enfants au début de la Grande
Guerre, reste encore chargé d’une intense
émotion : 
- Maurice :« J’ai quelque chose à te
demander : est-ce que tu pourrais pas garder des enfants ici ? »
- Le père : « Écoute Maurice, j’ai jamais
rien fait pour toi. Aujourd’hui demandemoi ce que tu veux, je le ferai. »
-(Commentaire de Maurice : « Alors là,
mon père s’est racheté ! »)
- Maurice : « Je vais t’amener un ou plusieurs gosses et tu les garderas ».
Mais le dévouement de Maurice Arnoult
ne se limite pas à la protection des seuls
enfants. Maurice dispose également d’un
local situé au premier étage d’un immeuble
industriel, au 90 rue Rébeval, dans lequel il
héberge clandestinement dans la journée
deux oncles d’Alice, qui ne sortaient que la
nuit pour rejoindre leurs femmes, déguisés
en dessinateurs industriels.
Quelles raisons ont poussé Maurice Arnoult
à agir ainsi ? L’intéressé répond : « Pour
moi, c’était un devoir. Quant j’ai vu qu’on
arrêtait des gens comme ça, ce n’est pas
une méthode. Mais je dois dire que je ne
pensais pas qu’ils allaient disparaître et
être tués quand je les ai vu être ramassés par la police. Si on me l’avait dit, je
ne l’aurais pas cru ». Mais les actions de
sauvetage au quotidien n’allaient pas sans
présenter des risques. Il fallait aussi, en
période de pénurie alimentaire, assurer le
ravitaillement des personnes qui vivaient
dans la clandestinité. « Cacher des gens
nécessite de faire attention. Il faut occulter tout ça et se méfier des gens à l’affût,
surtout des voisins. J’avais mon boulot.
Ça m’a servi. Alice avait une clientèle de
jeunes gens de 25 à 30 ans qui faisaient
du marché noir admis par les Allemands.
Ils achetaient des chaussures. Ils faisaient
leurs affaires. J’ai dit qu’il faut qu’ils tirent
parti de ça, des paysans qui vous achètent des chaussures. Achetez n’importe
(1) Quartiers Libres a déjà consacré un article à l’évocation de « Maurice ou l’humble
fierté de Belleville » dans son numéro 5657, à l’automne 1993.
Eté 2006
Performance diplomatique !
Comme dans la chanson
à Paris au mois d’Août
en vélo on dépasse les autos…
pour un peu on rêverait
place de la Concorde
qu’y broutent… paisibles
d’inattendus canassons !
mais cette année
il se passe de drôles de choses !
…
à Beyrouth, fin Juillet début Août
des obus aplatissent les autobus
la population court aux abris
avant que dans le secteur
les immeubles ne soient plus que gravats et débris !
20
quoi, je vous le paierai au besoin : pommes de terre, haricots, fromages, tout ce
qui se mange. Tous ces jeunes gens m’ont
permis de nourrir 6 personnes du côté de
la famille d’Alice, deux oncles et deux
tantes. Il fallait nourrir également Joël et
« Riri » J’ai pu les nourrir comme ça facilement. Je ne me suis pas enrichi, mais je
n’ai pas perdu d’argent ».
Finalement, les contraintes de prudence et
de sécurité que faisaient peser l’organisation de la résistance civile et du sauvetage
des victimes des persécutions constituaient
une école d’humilité, fort éloignée des
postures héroïques de la résistance active
des maquis : « L’important, c’était d’éviter
de parler des juifs. Je passai pour un doux
abruti, pour un royal abruti même ici, qui
vivait sa petite vie. Et surtout vous-même
ne pas vous laisser aller et émettre une
opinion quelconque sur la guerre ».
Propos recueillis par Michel Fabréguet.
Pas très loin mais on en parle moins, à Gaza
ça n’est pas non plus pour le cinéma
comme depuis trop longtemps déjà
quand donc a commencé l’Intifada ?
de très jeunes hommes sans espoir de lendemain
des enfants pour certains d’entre eux encore
sur des chars lancent pierres boulons et cailloux 
tout ce qu’ils trouvent à portée de main !
…
des voyous comme leurs Parents !
Des voyous imprudents
car c’est sensible un char
extrêmement sensible…
ça se froisse aisément !
l’un d’eux crache une salve fétide
et de sa mitraille fatale
frappe l’enfant en plein élan !
que voulez vous…
c’est dangereux les enfants !
Pendant ce temps
les plus nobles diplomates de l’Occident clinquant
prétendument pressés d’arrêter le massacre
font assaut d’imagination pour butter sur les difficultés !
Où en est on de l’avancement de la négociation ?
Il va falloir encore un peu de temps vous savez
on se heurte toujours à de sérieux obstacles
mais cependant… outre une incontestable évolution
on note, il faut le dire… de vraies avancées !
Après la pause pour ce communiqué encourageant
dans les salons dorés reprend la conversation
dehors le canon qui n’a jamais cessé
redouble et tonne
optimisant le temps qui reste !
par vagues les avions larguent leur tapis de bombes
comme attendu… des hommes tombent !
le plus souvent des civils, sous le béton ensevelis
beaucoup de femmes, autant d’enfants !
mais qu’on se rassure…
très affectés les diplomates sont à la tâche
s’exerçant inlassablement…
au divin jeu, version Reality-show
… du cadavre exquis !
Eté 2006
Authentique au point de n’y pas croire
l’inutile démonstration…
de l’armée la plus puissante de cette région
par une guerre démesurée, absurde, vaine
et contre-productive !
Accompagnée d’une consternante performance
diplomatique !
Sans doute est ce là… la belle avancée annoncée
…mais elle ne fait que répandre la nausée !
à Paris et ailleurs, faisons… je n’sais quoi ?
descendons dans la rue, grimpons sur les toits
pour hurler, nos mains en porte-voix…
plus fort que toutes les sirènes du pays rassemblées
Trop ! c’est Trop !!… maintenant ça suffit ! ! !
GRAM (Août 2006)
Paroles d’immigrés (suite 5)
Vincent Safrat, l’éditeur social,
fondateur de « Lire c’est partir »
Des années au RMI, et cette
année un million cent mille
livres vendus, surtout des livres
d’enfants et des albums, au prix
de 70 centimes pièce, sans diffuseur, grâce au bouche à oreille
et avec trois camionnettes :
Vincent Safrat mérite d’être
connu ! Il espère d’ailleurs que
cet article lui permettra de faire
connaître son action et de vendre
ses livres dans les écoles du 19e
et du 20e arrondissement.
Découverte de la lecture
Moi, j’ai découvert la lecture tout seul.
J’étais un ado qui aimait pas lire, j’ai quelques souvenirs de lectures enfantines qui
m’ont beaucoup plu, mais ça c’était arrêté
là, comme beaucoup de garçons, et après,
ado, je lisais plus, je préférais jouer au basket. J’étais pas très bon élève, moyen,
quoi, et j’ai abandonné l’école au début de
la Terminale sans savoir trop quoi faire, en
me disant : « j’ai pas envie qu’on m’embauche, j’ai pas envie d’un patron, je me
débrouillerai », mais je savais pas quoi
faire..
Et à peu près un an plus tard, j’ai découvert
la lecture réellement, tout seul, comme ça,
en ramassant un bouquin qui était posé
sur une table et c’était un bouquin de
Flaubert et là j’ai eu le coup de foudre pour
cet auteur. Flaubert, c’est vraiment l’auteur
que j’ai le plus aimé, et ça m’a donné envie
de lire, mais de lire beaucoup. Alors là je
suis devenu un lecteur, j’ai découvert la
lecture, ça a duré des années, et je me suis
dit que ça apprenait tellement, j’avais l’impression que ça remplaçait les études que
j’avais pas faites.
Et petit à petit je me suis dit : « je pourrais bien faire quelque chose autour des
livres », et j’avais aussi cette envie, une
envie sociale, d’aider les autres. Donc la
seule idée que j’ai, c’est que grâce à la
lecture on peut peut-être mieux s’en sortir dans la vie que si on ne lit pas, et on
n’a besoin de personne pour lire, il suffit
d’avoir le coup de foudre, et là on apprend
beaucoup, on comprend mieux le monde,
ça remplace les études, ou un héritage...
Voilà, je me suis dit : « ça serait super que
ça puisse arriver à d’autres, on voit tout
de suite la différence entre les gens qui
aiment lire et ceux qui ne lisent pas ».
Le porte- à - porte
Je viens de la banlieue parisienne, des
pavillons, pas des cités, je voyais bien que
dans les maisons de mes copains, y avait
un petit peu de bouquins, une cinquantaine de livres, et dans les cités, par contre,
y a plein d’apparts avec zéro livre.
Je continuais à ne pas savoir quoi faire, j’ai
essayé à un moment d’imprimer des livres
moi-même, parce qu’on m’avait prêté une
petite offset, ça n’a pas marché. Je voulais faire des livres pas chers, mais je savais
pas comment faire. J’allais moi-même dans
les librairies essayer de les vendre, mais j’y
arrivais pas.
Tout en faisant ça, j’ai appris que le pilon
existait. Le pilon, c’est la destruction des
livres invendus. C’est des tonnes de livres
qui partent au pilon chaque année. Je me
suis dit : je vais essayer, y a plus de problème d’argent, je vais donner les livres
qu’on va me donner, et j’ai tout de suite
pensé au porte-à-porte gratuit dans les
cités.
Je suis allé frapper chez tous les éditeurs,
alors ça c’était courageux ! J’ai beaucoup,
beaucoup essayé, je demandais des stocks,
pas un carton de livres. Y a plein d’éditeurs
qui donnaient un carton de livres pour
l’année, y en a qui en donnaient 300 000.
J’avais pas d’argent, pas de stock, je vivais
avec le RMI. J’ai fait ça pendant six ans.
Pour me loger je me débrouillais, j’arrivais
toujours à trouver des combines . J’avais
pas d’entrepôt non plus, donc je stockais
ça partout, j’avais trouvé un stock gratuit
dans un foyer d’ados, qui avait de grandes
caves. Je bricolais. C’était sans argent, tout
ça, et donc c’était vachement bien.
J’organisais des distributions gratuites de
livres tous les week ends dans les cités,
jamais seul, je faisais ça avec des maisons
de quartier ou avec des bibliothèques, et
ce que je faisais aussi, je leur demandais
un franc par livre donné et ça me servait
parce que j’avais quand même quelques
frais, c’était pour les frais de fonctionnement parce qu’il y en a toujours un petit
peu. Pour les gens c’était totalement gratuit, c’était bien.
Là-dessus sauver les livres du pilon, c’est
très difficile, j’ai jamais eu les bons argument peut-être.
A la fin des six années, on donnait 100 000
livres par an, ça faisait pas beaucoup, ça
fait 10 000 livres par mois, mais quand
même c’est du boulot. Chaque semaine y
avait une délégation de gens du quartier
qui venait m’aider, je demandais de l’aide,
des gens, des volontaires, c’était assez
vivant, on se partageait les immeubles, on
partait avec nos cartons dans les escaliers.
Au bout de ces six années, j’avais toujours autant de mal à récupérer les livres
et j’arrivais pas à en récupérer de plus en
plus, parce que moi je suis ambitieux, mon
ambition c’était pas l’argent mais c’était
de donner plus de livres que ça, cent mille
ça me paraissait trop peu, quand je voyais
tout ce qui partait au pilon. Je récupérais
des miettes, vraiment des miettes. Pour
moi c’était un échec, je n’arrivais pas à les
convaincre de me donner plus.
Quand on fait du porte-à-porte, on voit
bien que les enfants s’intéressent aux livres
21
jusqu’à 10-12 ans, après les garçons c’est
fini, les filles non. Les adultes assez rarement ils prenaient un bouquin, souvent ils
disaient : « c’est bien pour les mômes »,
pour eux c’est utile, c’est très lié à l’école,
c’est pas la lecture plaisir. On était super
bien reçus parce qu’il y avait les enfants.
22
Editeur social
Là-dessus un éditeur, en fait un soldeur m’a dit que faire imprimer un livre
de poche ça coûtait un franc, ça, je le
savais pas. Un franc, et moi je demandais un franc !D’abord c’était pas un franc,
c’était deux, et pour que les livres valent
deux francs, il faut faire de grands tirages. Je me suis dit : « je vais faire imprimer
vingt livres à 20 000 exemplaires, pour
les enfants », parce que pendant les distributions ce qui marchait c’étaient les livres
pour enfants. Et je me suis retrouvé avec
400 000 bouquins. Là c’était génial, c’était
le contraire, le problème c’était plus d’avoir
les livres, c’était de les distribuer. Pour aller
plus vite, je me suis dit : « je vais les distribuer dans les écoles », et si j’avais des
invendus je m’en foutais, mais j’ai vendu
tous les livres dans l’année, je les vendais 3,50 francs, j’avais loué un entrepôt
à la ferme de Trousseau, c’était pas cher.
L’année suivante, j’ai refait une série. Et
c’est la dixième année.
Petit à petit les distributions se sont étendues à toute la France, avec des relais
associatifs partout. Trois francs cinquante,
j’avais du mal à payer l’imprimeur, j’ai mis
à quatre francs et je suis resté à quatre
francs jusqu’au passage à l’euro.
A l’époque j’étais tout seul. Les quatre ou
cinq premières années, je passais ma vie
sur les routes, plutôt en province. J’ai eu
du succès tout de suite dans le Nord, en
Moselle, dans tout l’Est, et puis petit à
petit il y a eu des contacts, des rencontres.
Maintenant ça marche bien en Bretagne, à
Lyon, et puis il y a des endroits où il y a des
gens très motivés : à Caen, c’est exceptionnel, c’est là que ça marche le mieux.
Et ces petits bouquins qui valent 0,70 euros
maintenant, c’est un prix qui me permet de
payer tout largement, y a même un peu de
bénéfices, et maintenant il y a six salariés.
J’ai acheté cette maison, ça appartient à
Lire-C’est-Partir. J’ai vraiment aucun problème d’argent alors que c’est 70 centimes.
Donc c’est vachement bien, financièrement
ça tient tout seul, et ça augmente chaque
année, de 10 %. Maintenant on vend un
million cent mille livres par an, c’est quand
même mieux ! parce que je veux donner
des livres à tout le monde
Un truc qui me paraît bien : quand on
va dans les écoles vendre les livres aux
enfants, c’est la même ambiance que
quand je donnais les livres gratuits dans les
cités : si on va dans une école d’une cité, y
a les enfants, les parents qui sont là, le prix
n’est pas un obstacle et surtout on a résolu
le problème de la proximité, qui est aussi
important que le prix. Les gens achètent
des livres en venant chercher leur gamin à
l’école, les livres sont là , ils les voient, à ce
prix ils se gênent pas, ils en prennent deuxtrois, trois-quatre, des fois ils en prennent
dix. C’est une petite librairie très populaire
qui dure une heure, à la sortie des classes, c’est très éphémère, et on peut revenir tous les ans avec les nouveautés, parce
qu’on a des nouveautés une fois par an,
mais cette petite librairie elle fonctionne à
fond. C’est tout-à-fait mon but, c’est vraiment bien, c’est le côté éditeur social.
Les ventes qu’on fait aux instits, ça
dépend. Y a plein d’instits qui disent :
« c’est super, vous vous rendez compte,
nous les enfants qu’on a, ils ont des livres
qu‘à l’école, chez eux y en a pas ». Dans
les campagnes y a une grande misère. En
Meurthe-et-Moselle autour de Nancy, on
fait des ventes dans des écoles de campagne, c’est des écoles de deux-trois classes,
ils achètent deux cents bouquins.
Si on veut apporter des livres à des gens
qui n’en achètent pas du tout, il faut leur
résoudre le problème de la proximité et
aussi leur faire un prix très bas, c’est vraiment pas compliqué.
Ambitions
Toutes les écoles nous disent : « avant on
pouvait pas faire de séries, maintenant
depuis qu’on vous connaît on peut faire
des séries », ça veut dire que tous les élèves ont le même livre. Pour cent francs, on
a un livre pour toute la classe, ils payent
ça avec la coopérative scolaire. Y a plein
d’écoles qui les offrent, mais dans l’ensemble ils les gardent, ils les mettent dans les
bibliothèques de classe. Mais on entend
aussi des instits dire : « à ce prix-là je le
leur laisse ». Qu’on crée une bibliothèque
c’est bien aussi
On distribue 1,1 million de livres mais en
fait y a plein d’écoles qui ne savent pas
qu’on existe. Notre réseau, il est efficace
entre guillemets.
L’imprimeur c’est Brodard et Taupin, il
fait tous les Folio, les 10/18, les Livres de
Poche d’Hachette, nous on fait des tirages
qui dépassent de loin les autres. L’année
dernière j’ai tiré à 30 000, 35 000 les
albums, et à Noël j’ai réimprimé un livre
sur trois. En trois mois on a vendu 30 000
bouquins de plein de titres, sans distributeur. Mais on pourrait faire le double ou
même le triple.
Moi mon ambition serait que toutes les
écoles nous connaissent et qu’elles sachent
qu’il y a une collection de 30 bouquins
qui sort chaque année et que si on veut,
on peut avoir des livres à 70 centimes. La
réussite ça serait ça, ça voudrait dire qu’on
en vend 2 à 3 millions par an, et ça va arriver, parce que le bouche à oreille fonctionne très bien. Par exemple à la Rochelle
pendant des années ça ne marchait pas, et
cette année ils en demandent beaucoup.
Dans les nouveautés, y a des vedettes, un
livre de Patrick Cauvin et un d’Alexandre
Jardin. Avec lui, on est complètement d’accord, il a créé Lire et faire Lire, des retraités qui vont faire la lecture dans les écoles,
hors temps scolaire. Je l’aime bien, au
niveau social il veut faire quelque chose, il
a déjà fait quelque chose.
Si on arrive à faire des choses dans le 19e,
on peut débarquer sur simple demande, il
faut seulement que l’info soit bien faite aux
enfants, et on vient à la sortie des classes.
http://lirecestpartir.free.fr/
[email protected]
Photos et propos recueillis
par élizabeth Crémieu
[email protected]
Photo Ouest-France
Maurice LOUTREUIL,
peintre bellevillois - 1885-1925
C’est en août que nous découvrons, dans le
journal Ouest-France, ce peintre bellevillois
et ses amis: Christian Caillard, peintre également et Irène Champigny, habitant aussi
Belleville. Maurice LOUTREUIL était d’origine sarthoise. Une retrospective de son
oeuvre dans cette région a présenté en
août, 15O huiles, aquarelles et dessins.
La reproduction en couleurs de cinq de
ses tableaux attire tout de suite le regard .
Peinture figurative très expressive en raison
de ses touches de pinceau larges, intenses
et du climat tragique qui s’en dégage.
Quelques renseignements dans l’article
d’Olivier Renault: Maurice LOUTREUIL,
issu de la bourgeoisie, a choisi de vivre de
la peinture, mais non de s’en nourrir:pain ,
légumes et dépenses pour les couleurs...il
meurt en 1925 à 39 ans.
Evidemment, l’aide sympathique d’un habitué d’Internet nous donne d’autres détails
surprenants pour qui ne le connaissait pas.
Connu à son époque, il a exposé à plusieurs reprises. Après sa mort ses tableaux
ont leur place à la GALERIE CHARPENTIER,
à côté de BRAQUE,CHAGALL,CHIRICO,
MASSON,SOUTINE,PICASSO ; des salons
lui rendent hommage à l’étranger, au Brésil,
au Japon... avant que le Musée de TESSE et
l’abbaye de l’EPAU (dessins et aquarelles),
ne le fassent dans la Sarthe.
«L’Insoumis» part en Italie quand il est
appelé en 1914, bien qu’il ait été réformé.
Il voyage beaucoup mais revient toujours à
Belleville où il s’achète une petite maison
en 1922, et à Montparnasse.
à la suite de sa désertion, il avait écrit au
commandant du bureau de recrutement
du Mans : « Je réprouve l’usage des armes
et je veux le manifester clairement... Il y a
besoin d’hommes pour pratiquer les vérités
acquises et acquérir celles qui ne le sont pas
encore : je ne connais pas d’autre devoir. Je
regrette tout ce qui tendrait à me limiter, à
m’entraver. »
Les anarchistes le reconnaissent comme
l’un des leurs.
Jacqueline HERFRAY
Appel :
à Belleville, Maurice Loutreuil a-t’il laissé des traces ?
des tableaux ? Cela nous intéresse.
23
On a lu
Le site
Carré-deBeaudouin,
bulletin A.H.A.V.
N° 35 (1)
Par Maxime
BRAQUET
Le « Carré-de-Beaudouin » est, parmi les
nombreuses résidences qui ont émaillé les
hauteurs de Belleville et Ménilmontant à
partir de la fin du 14ème siècle, une des
rares à ne pas avoir disparu au cours des
multiples transformations de ces quartiers.
Située à l’angle des rues de Ménilmontant
et des Pyrénées elle prolonge son histoire.
Son jardin a été ouvert au public en octobre 2005, et ses divers bâtiments seront
encore utilisés.
Maxime Braquet, grâce à une riche documentation, y replace ses différents propriétaires et occupants dans quatre chapîtres
successifs et donne envie d’aller y rencontrer quelques fantômes.
De 1700 à 1836, elle change souvent de
propriétaires : tantôt des artisans aisés y
résident en permanence ou occasionnel-
lement, tantôt des nobles y installent leur
« folie ». Parmi ceux-ci, Nicolas Carréde-Beaudouin ajoute la façade néo-palladienne – à colonnes – qui en fait tout le
charme. Confisquée à la Révolution elle
est achetée en indivision par les familles
Tissot-Lefebvre – Le Bas de Courmont
puis est revendue en 1936 à M. et Mme.
Castin.
Pendant la courte période : 1826-1836,
l’indivision des hôtes – plus tard illustres :
les frères Goncourt y passent des vacances
inoubliables = c’est le thème du deuxième
chapître. En 1892 Edmond se souvient
encore, dans son journal de leur tante
Nephtalie de Gourmont ! » Elle mettait en
moi l’amour des vocables choisis, techniques, imagés, des vocables lumineux… Elle
a fait cent fois plus que les illustres maîtres
qu’on veut bien me donner ».
Vendu encore en 1838 ce lieu servira de
1852 à 1971 à des œuvres diverses des
religieuses – Filles de la Charité-, elles y
créent :
- Un orphelinat pour enfants de 2 à 12 ans
- une école de jeunes filles externes - un
« ouvroir », où 170 jeunes filles qui vien-
nent travailler de 8 h. du matin à 4 h. de
l’après-midi – un « vestiaire », office de
dons de vêtements – une pharmacie, avec
mission de visiter les pauvres malades.
Le pavillon du 18ème siècle devient l’intendance.
Moments difficiles : pendant la Commune
en 1871, et en 1905, date de la séparation
de l’Eglise et de l’Etat, leur retirant le droit
d’enseignement.
Enfin en 1971 les locaux sont loués à l’Association de Groupements Educatifs puis
en 2003 , achetés par la Mairie de Paris,
pour continuer les activités liées à la jeunesse, en lien avec toutes les animations
du quartier des Amandiers .
J. H.
(1) L’Association d’Histoire et d’Archéologie du
20ème arrondissement a pour but : de faire connaître le passé du 20ème – effectuer des recherches et études en vue de leur publication – prendre toutes les initiatives destinées à valoriser l’arrondissement. Elle édite des plaquettes dont : Le
du Père-Lachaise, la Résistance dans le 20ème,
1905 : la laïcité et le 20ème. Siège social 1 rue
Frédérick Lemaître 75020.
GRAM (2000)
à me mettre à l’abri !
C’est toi qui par ton sourire
me l’as dit
ce jour de pluie où je cherchais
......
ça n’a pas de prix !
Dans tous les cas
n’être que ce que je suis
je n’avais pas compris
............
Faire comme-ci
faire comme ça
parler tout haut ici
parler tout bas là-bas
24
Par très beau temps
par les jours gris
et même la nuit
à travers champs
ou dans la ville… ivre de bruit
Le Prix
Le lundi 5 juin 2006, dans le square attenant au pavillon Carré-de-Beaudouin, les spectateurs attendaient la nuit. Un film de fiction en mémoire et
pour fêter le Front Populaire, était projeté. L’association Belleville en vue(s), pour la création d’un cinéma de quartier à Belleville, assurait la prestation
technique. (photos Isabelle Abiven)
Belleville en vue(s) 01 40 33 29 89
De l’entrepôt aux lofts,
le garde-meuble
ODOUL
change de peau
La famille Odoul s’installe à Belleville dès 1875, rue Bichat. L’activité
du garde-meuble et du déménagement est alors en pleine expansion,
et très vite, l’entreprise éprouve le besoin de s’agrandir. Une parcelle
est achetée rue de l’Atlas, et les Odoul font appel aux architectes
modernes Beaudouin et Lods, qui conçoivent un bâtiment parfaitement fonctionnaliste.
Ainsi, en 1933, la silhouette massive du
garde-meuble Odoul émerge et surplombe un quartier d’artisanat et de petites industries. Le bâtiment, visible de loin,
fait la publicité de l’entreprise Odoul, avec
son enseigne monumentale, et affiche sa
modernité.
Le garde-meuble est vite considéré comme
emblématique des théories fonctionnalistes portées par les architectes du mouvement moderne, Le Corbusier en tête. En
effet, Beaudouin et Lods ont cherché à
adapter au mieux le bâtiment à sa fonction
de garde-meuble. La structure en béton
armé a permis de libérer l’espace au rezde-chaussée, destiné à servir de garage
pour les camions de déménagement, et de
le cloisonner dans les étages, de manière
à construire un maximum de « cases », les
pièces à l’intérieur desquelles sont conservés les meubles. Dans ce même souci fonctionnaliste, les architectes ont fait appel
à la société Jaspar pour créer un montecharge hors du commun. Supportant une
charge de huit tonnes, il permettait de
monter les camions pleins dans les étages,
ce qui réduisait les manutentions de moitié. La qualité des espaces imaginés par
Beaudouin et Lods a permis à l’entreprise
Odoul d’utiliser ces locaux pendant plus de
70 ans sans y effectuer de modifications.
L’esthétique de ce bâtiment en briques a
contribué à donner une image moderne à
la société Odoul.
Ses lignes dépouillées et sa façade à gradins ajoutent à la fonctionnalité de l’édifice des qualités plastiques indiscutables.
Aussi, il est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en
2003, quand la famille Odoul décide de se
séparer de son garde-meuble suite à une
cessation d’activité.
Les projets de réhabilitation doivent donc
tenir compte de la protection des façades et de la toiture. Rapidement s’impose
la solution la plus rentable : transformer
ce local industriel en lofts. Cette nouvelle fonction implique des modifications
majeures du bâtiment. Les baies en bandeau au sud et au nord sont élargies de
manière importante de façon à éclairer
les logements, bouleversant le rythme des
façades. Les acquéreurs des lofts, livrés
brut de gros œuvre, profiteront des vastes
espaces lumineux du bâtiment, et d’une
vue sur tout Paris de leurs terrasses orientées plein sud.
Mais, pour les habitants du quartier, le
garde-meuble Odoul constituait un témoignage du passé industriel de Belleville.
Nombreux sont ceux qui font part de leur
émotion à le voir ainsi éventré, passage
inévitable avant que le bâtiment trouve
une nouvelle vie. Ce sont d’ailleurs les
habitants du quartier qui avaient alerté
la mairie des risques que courrait le bâtiment avant que des mesures de protection
soient prises. Peut-être aurait-il été souhaitable que cet édifice remarquable prenne
une fonction collective (musée, lieux de
vie…) dans un quartier qui manque d’équipements. Au lieu de cela, ils assistent à la
naissance d’un nouvel îlot fermé dont ils
seront exclus. Cependant, la mairie du 19e
arrondissement a réservé 385 m2 jusqu’à
la fin de la mandature actuelle, et l’on peut
espérer qu’elle les utilise au mieux par la
suite.
édith Lauton
texte et photos
Le garde-meuble
en 1933
Vue du quartier
en 1933
Le garde-meuble
en 2005
25
La transformation
en 2006
Personnalités de Belleville, les industriels Richard, ou :
De l’école d’apprentissage Diderot
au lycée technique polyvalent
Jules-Richard
Au 60, boulevard de la Villette (et au 6 de la rue Burnouf), d’importants travaux sont actuellement en cours
en vue de l’installation de l’école d’architecture Paris-Belleville (1). Avant 1994, il y avait ici le lycée technique Diderot (2), institution du quartier et descendant de l’école municipale d’apprentissage ouverte en
1873 (3). Au 21 de la rue Carducci, sur le plateau bellevillois prolongeant vers le sud la butte Chaumont,
continue de fonctionner de nos jours un autre lycée d’apprentissage, appelé du nom de son initiateur, Jules
Richard, qui le créa en 1924. Un lien existe entre les deux : c’est en effet le père de Jules, Félix Richard,
qui favorisa l’édification de l’établissement scolaire du boulevard de la Villette. Qui sont ces Richard (4)
dont l’usine et les nombreuses dépendances – entièrement disparues dans les années 1970 (5) – des rues
Mélingue et Fessart ont pourtant représenté pendant cent ans l’un des sites industriels majeurs sur notre
montagne ?
De gauche à droite :
Jules Richard
vers 1885.
Entrée principale
de l’usine Richard
dans la rue
Mélingue
vers 1950.
Ouvriers au travail
dans un atelier de
l’usine, vers 1920.
Crédit : Coll.
Famille Richard
26
Héritiers d’une famille lyonnaise lointainement ancrée dans l’artisanat du textile,
les frères Richard sont devenus à la charnière des xixe et xxe siècles des figures de
proue de l’industrie française, Jules s’illustrant dans le domaine des instruments
de mesure de précision et des appareils
photographiques ; Félix-Max et Georges
Richard, dans ceux de la construction des
automobiles (marque Unic) et des avions
(Spad).
C’est en 1862 que leur père, Félix, ayant
quitté le berceau rhodanien, ouvrit son
usine d’instruments de mesure des données environnementales (dont les baromètres) sur le boulevard de la Villette. Le
secteur était alors beaucoup plus industriel
qu’aujourd’hui et l’établissement de Félix
eut ainsi pour voisin la manufacture du
moutardier-vinaigrier Alexandre Bornibus.
Huit ans après, enrichi, Félix se détourna
quelque peu des affaires et versa dans la
politique : maire du 19e arrondissement
en 1870 et 1871 puis conseiller municipal
jusqu’en 1874. Dans ce cadre, il aida à la
réalisation d’une idée qui, en tant qu’entrepreneur, lui était chère : celle de la formation professionnelle des jeunes. Cette
question économique et sociale, posée
dès le milieu des années 1860, requit des
réponses urgentes aux lendemains de la
Commune. Directeur de l’enseignement
primaire de la Seine, Octave Gréard, le
futur recteur qui présida à la reconstruction de la Sorbonne, lança alors, en 1872,
le projet de la création d’une école technique pilote dans un quartier ouvrier de
Paris et le choix s’arrêta sur Belleville. Félix
Richard fit la proposition de céder à prix
avantageux ses locaux du boulevard de la
Villette à la Ville. L’ancienne fabrique ayant
été rapidement réaménagée, l’école, de
statut municipal, ouvrira dès janvier 1873.
Grimpant la côte bellevilloise, l’industriel transporta ses activités au 8 de l’impasse Fessart, amorce de ce qui deviendra
en 1899 notre rue Mélingue. La société
qu’il dirigeait, passablement sacrifiée à
ses goûts de bonne vie, était menacée
de faillite quand Félix décéda, en 1876.
Mais Jules, son second fils (1849-1930),
la remonta complètement en moins d’une
dizaine d’années, faisant d’elle le chef de
rang national dans son domaine d’activité. Sur la base de cette prospérité, Jules
Richard, passionné de photographie,
lança en 1893 une nouvelle ligne de production : les appareils de prise de vue en
relief, c’est-à-dire la stéréoscopie. Le produit photographique vedette de la maison,
le Vérascope, rencontrera un considérable succès. Témoins de la réussite de leur
chef, les établissements Richard essaimèrent autour de 1900 de chaque côté de la
rue Mélingue, occupant une bonne moitié
des terrains de celle-ci (n° 25-29 et 24-28)
et s’étendant en profondeur vers les rues
Clavel ou de la Villette.
Un sacré bonhomme
Quand on parcourt aujourd’hui la rue
Mélingue, c’est une artère toute résidentielle qui s’offre au regard. Il faut beaucoup d’imagination pour se représenter
l’ambiance besogneuse qui y régnait voilà
moins de quarante ans. N’oublions pas
que les ateliers de fabrication des appareils de la société Gaumont ainsi que ses
studios de tournage cinématographique,
la légendaire cité Elgé, étaient voisins ; ils
eurent d’ailleurs une antenne au 24 de la
rue Fessart. Vers 1960, les habitants du
quartier ne pouvaient pas rater l’usine
Richard, qui s’ouvrait sur la rue Mélingue
par un pavillon monumental. Presque à
l’angle avec la rue Fessart, au n° 33, sur
le flanc des installations industrielles, le
L ’Atrium de Jules Richard, rue Mélingue.
Intéressantes prises de vue photographiques.
Crédit : Coll. Famille Richard
« boss » avait fait construire aux environs
de 1910 un hôtel de résidence particulier
où étaient aussi abrités les bureaux de la
société. La richesse de M. Richard se lisait
dans le décor intérieur, grandiose et aménagé dans le style Renaissance. Des meubles raffinés, des murs et des plafonds
somptueusement parés. Jules avait hérité
de son père l’amour de la bonne vie.
Au 26 de la rue Mélingue, en face de
l’usine, il fit également bâtir un théâtre de
prise de vues très particulier qu’il appela
Atrium. Dans un cadre évoquant l’Antiquité grecque et dont une petite piscine
occupait le centre, des naïades modernes dévoilaient leur plastique impeccable
aux caméras des opérateurs de la maison. Jouxtant le studio, un jardin clos permettait, par les beaux jours, de composer
d’autres tableaux dénudés. En principe, le
but de ces photographies réalisées grâce
au Vérascope n’était que commercial : alimenter de plaques d’un délicat érotisme la
demande des clients des visionneuses stéréoscopiques Richard. Mais Jules, à n’en
pas douter, avait aussi conçu l’Atrium pour
son propre plaisir. Cet homme, qui ne se
maria jamais, aimait beaucoup les femmes et, sans être vraiment un noceur, fréquentait volontiers les cabarets légers de
Montmartre, comme le Tabarin.
Cela ne nuisait nullement à la rigueur de
sa gestion de l’entreprise. Jules donnait
dans le genre « patron social », déléguant
les responsabilités à ses collaborateurs,
veillant aux bonnes conditions de travail
de ses salariés. Pourtant, il s’opposa en
1920 à la loi réduisant la durée hebdomadaire du labeur parce que, avança-t-il, cela
diminuait la qualité de la production. Tout
un débat.
L’école Jules-Richard
Comme Félix, son père, Jules manifesta
la préoccupation de former de jeunes
ouvriers hautement qualifiés. En 1922, il
préleva 5 millions de francs sur sa fortune
afin de constituer un fonds pour la création d’une école d’apprentissage consacrée aux métiers de son secteur d’activité.
Le lieu d’installation prévu, une ancienne
communale de la rue Carducci, se trouvait d’ailleurs à deux pas de l’usine. A l’origine, en 1924, l’école accueillit des élèves
entre 13 et 16 ans qui avaient passé avec
succès les épreuves d’un examen d’entrée.
40 inscrits en tout dont les frais de scolarité, la nourriture pendant le temps scolaire, les outils, étaient entièrement pris en
charge par la fondation (la vêture d’atelier
et le nettoyage de celle-ci incombant aux
parents). L’année scolaire, copieuse, allait
du 15 septembre au 31 juillet ; l’horaire
hebdomadaire était de 47 heures sur six
jours, divisé en 32 heures de travaux assistés en atelier de mécanique, 6 heures de
dessin technique, le reste réparti en cours
de français, d’arithmétique, de géométrie
et de sciences physiques. Quelques périodes d’une semaine de vacance reposaient
les apprentis. La formation s’étalait sur
trois ans. Les meilleurs élèves recevaient
une prime de 400 à 600 francs à l’issue
de la deuxième année du cycle, de 800 à
1 200 au terme de la formation. Les établissements Richard constituaient bien sûr
un débouché tout désigné aux études.
Privée mais liée depuis sa création par une
convention à la Ville de Paris, l’école polyvalente Jules-Richard, promue lycée, est
toujours en fonction en 2006, recevant
désormais 300 adolescents.
Elle s’est agrandie, modernisée, et a bien
sûr réorienté ses cours vers les techniques
informatiques sans abandonner les bases
de la mécanique classique. Le lycée s’est
mué en un spécialiste de la micromécanique et l’excellence de son enseignement se
voit fort appréciée des chefs d’entreprise
de différents domaines industriels.
De la « cité » Richard, rien ne subsiste,
pas même le luxueux hôtel particulier.
L’inscription sur marbre vert « Fondation
Jules-Richard » ornant la façade au-dessus
de l’entrée de l’établissement scolaire est
de nos jours seule à rappeler aux passants
l’existence du créateur du lieu et l’empreinte sur le quartier de ce personnage à
plus d’un titre remarquable.
Maxime Braquet
Notes.
1. L’école d’architecture demeure pour l’instant
rue Rébeval (n° 88), dans les locaux de l’ancienne usine de jouets Meccano.
2. Le lycée technique municipal Diderot, devenu
régional, a été déplacé en 1995 rue David-d’Angers, dans de vastes installations modernes en
partie construites sur les terrains de l’ex-hôpital
Hérold, près de la place de Rhin-et-Danube.
3. Parce que le succès rapide de cette école pilote,
qui deviendra lycée Diderot en 1883, rejaillit
sur la gloire de Belleville, il importe de signaler
qu’elle servit de modèle à la création dans toute
la France de nombreux autres établissements du
genre dans le dernier quart du xixe siècle. Les
19e et 20e arrondissements renferment l’école
Jacquart (à l’angle des rues Bouret et EdouardPailleron) pour les métiers de la couture et l’école
d’horlogerie du 30, rue Manin (19e), toutes deux
fondées avant 1900, ainsi que le lycée technique
polyvalent Martin-Nadaud (rue de la Bidassoa,
20e), qui, lui, date des années 1930.
4. Les lecteurs attentifs des articles de Quartiers
libres ont déjà rencontré un membre de cette
famille : l’ar ticle « Le commandant Jules
Vallès... », dans le n° 102, montrait ainsi le révolutionnaire communard aux prises avec le maire
Félix Richard. Dans ce numéro même, l’article
sur Léon et Camille Gaumont évoque le rôle que
Jules et Félix-Max Richard, fils de ce Félix, ont
joué dans l’ascension du fondateur de la firme
cinématographique.
5. Les établissements Jules Richard Instruments
ont émigré en 1972 à Bezons, où ils sont encore
actifs aujourd’hui.
Bibliographie
Jacques Périn, Jules Richard et la passion du
relief, éd. Prodiex, 1997. A la Bibl. hist. de la Ville
de Paris.
27
Aimez-vous rêver ? rêver
Chaque nuit nous sommes visités par
des songes, et le jour nous avons parfois besoin de rêverie, d’évasion, de prendre la clef des champs. Mais comme chez
tous les enfants en détresse, ce besoin
a été pour moi plus grand que celui des
autres. C’est à travers ces rêves-refuges
que la petite fille libre a amassé un trésor
intérieur. Il m’a permis de gagner ma vie
dans le milieu du spectacle, notamment
à l’Opéra de Paris, pendant plus de 25
ans. Cependant, les problèmes non résolus de cette enfant rêveuse ont finit par la
rattraper. J’ai dû à l’âge de 29 ans commencer un parcours thérapeutique, qui
est allé de l’analyse freudienne à la gestalt (plus portée sur l’ici et maintenant et
sur l’émotionnel) jusqu’au Rêve Eveillé
Libre (REL). Ce qui m’a séduit dans cette
méthode, c’est qu’elle unissait mes 2
principaux centres d’intérêt : le rêve et le
travail sur soi. Avec cet technique, c’est
la libre expression de mon imaginaire qui
devenait l’instrument de mon futur bienêtre. Comme si mon engouement pour
la rêverie n’avait pas été seulement une
fuite, mais que j’avais eu l’intuition des
pouvoirs salutaires du rêve. Tout comme
l’enfant peut affronter l’ogre à travers le
conte de fée, en REL l’adulte va pouvoir
affronter ses peurs sous la protection de
son imaginaire.
28
Les aventures d’ 
« Elisa Au Pays Du REL »
…
Qu’est-ce que le REL ? 
C’est une démarche thérapeutique novatrice initiée par G. Romey (1.). Elle vient
prolonger l’œuvre de R. Desoille (2.)
qui avait découvert le RED (Rêve Eveillé
Dirigé) dès 1923.
Une séance se déroule en 3 phases : - une
phase d’accueil en face à face - une phase
de rêve où après une courte relaxation le
patient allongé, les yeux fermés, accueille
et verbalise les images qui lui viennent à
l’esprit - une phase de dialogue où le thérapeute propose au patient le décryptage
du REL par l’interprétation des symboles.
La totalité de la séance dure 1h30.
Mais plutôt que de vous faire
un exposé théorique ennuyeux,
prenons un exemple concret, et
examinons quelques uns des principaux
jalons de la cure d’une personne que nous
appellerons Elisa par commodité. Ce qui
n’est pas son vrai prénom, confidentialité
oblige.
C’est une jeune femme célibataire de 27 ans
très souriante, qui travaille pour poursuivre
ses études. Elle démarre sa cure avec un
lourd traumatisme d’abandon qui a provoqué entre autre une difficulté à construire
un couple stable, des problèmes d’expression émotionnel, et une consommation
d’alcool un peu excessive. Lors de notre
première séance, elle se plaint surtout de
ne pouvoir être elle-même sous le regard
des autres.
Cette cure sera menée en une dizaine de
séances. Cette rapidité est un peu exceptionnelle, une cure de REL compte en
moyenne une trentaines de rêves.
Nous analyserons quelques phrases clefs,
courts extraits significatifs de la cure
d’Elisa, centrés sur 5 points de sa problématique : Le rapport aux autres, le blocage de l’émotionnel, l’harmonisation de
l’ANIMA (3.) et de L’ANIMUS (3.) qui sont
les composantes féminines et masculines
de la psyché (4.), la rencontre avec l’OMBRE (3.) c’est à dire la part de lui-même
que le patient vit à tors ou à raison comme
« mauvaise », et la réconciliation des
opposés qui amène à l’accomplissement de
l’être, à l’éveil du SOI (3.). C’est ce SOI,
centre de la psyché, véritable guide intérieur, qui produit et transmet les images
thérapeutiques sous forme de symboles au
patient ; c’est lui aussi qui nous envoie nos
rêves nocturnes. Par soucis de simplifica-
tion, nous laisserons de coté le travail sur la
castration, le complexe d’Œdipe, les deuils
non réalisés, etc. qui s’accomplit néanmoins durant cette cure qui agit comme
une thérapie complète.
REL 1:Le 09/12/05.
Environ ½ page, extraits :
« …Je me sens oppressée. Il neige. Tout
est transparent, les vitres sont transparentes…Je suis oppressée. » dans une chambre… Je vois un chat dans le couloir, des
mains qui portent un toast… Je suis toujours oppressée. » Le fait qu’Elisa se vive
comme spectatrice de ces mains qui portent un toast nous parle de son sentiment
d’exclusion. Rappelons nous bien cette
image. Elle va nous revenir à la fin de son
5ème REL sous une toute autre forme.
Mais ici débute surtout un travail important, c’est la réhabilitation de l’émotionnel. En effet, le symbole de la Neige qui
dénonce le gel de l’âme, le refus d’implication dans la vie, provoque en même
temps une prise de conscience qui dans
la dynamique du REL, prépare déjà son
opposé. Avec la Transparence on va plus
loin ; la rêveuse crée un pont virtuel qui
assure le passage entre le paraître et l’être,
comme un appel à la transparence à soimême. Ce symbole entraîne irrésistiblement la rêveuse vers un élargissement de
la conscience. Quand au Verre il assume le
même type de fonction symbolique, mais il
appelle une suite. Il devra être brisé dans le
développement de la cure, afin de permettre le passage de « L’Autre Côté », c’est à
dire l’accès à la valeur inverse : ici la vérité
du sentiment.
La disponibilité nouvelle au changement
s’affirme avec la présence du Chat, l’animal de la souplesse, de la flexibilité, et se
confirme avec la phrase qui va clôturer ce
1er REL :
«…  Je suis à cheval, ça va très vite, c’est
des grands espaces. » : Avec cette dernière
phrase commence la réhabilitation des
élans vitaux, de la liberté du sentir.
éveillé ? rêver libre ?
Malgré qu’elle se soit sentie oppressée
pendant le REL, quand je demande à Elisa
comment elle se sent lorsqu’elle ouvre les
yeux, elle rit. Ce qui laisse supposer que
la vérité de son émotionnel ne lui est pas
encore accessible, bien que sa cure débute
très favorablement.
REL 2 :le 16/12/05.
Environ ½ page…
REL 3 : Le 26/12/05 .
Je vous le livre en intégralité :
« Je vois un joueur de flûte dans la montagne avec des chèvres, de la neige et
du soleil. Le soleil brûle très très fort. La
musique est mélancolique. »
Elisa a demandé l’arrêt du REL car elle m’a
dit se sentir trop mal. Durant la ½ h. en
face à face, elle a évoqué des événements
particulièrement difficiles de son enfance –
d’un ton aussi dégagé que s’il s’était agit
de quelqu’un d’autre –, ce qui a bloqué le
flux des images.
Nous noterons surtout ici la présence à
nouveau de la Neige, qui indique qu’elle
poursuit le travail sur le refoulement du
sentiment, et celle du Soleil « qui brûle
très très fort », ce qui nous révèle que le
blocage de l’émotionnel est en rapport
avec des difficultés relationnelles avec
le père. Car dans la dynamique de l’imaginaire comme dans la plupart des traditions, si la Lune est le symbole de la mère,
le Soleil est le symbole du père. L’on constatera également que cela la rend triste,
« mélancolique », malgré son perpétuel
sourire affiché.
Mais en REL, conscience égale déjà prémices de changement, donc toute image
à caractère « négatif » est positive en
soi, puisque porteuse de sa résolution. Ici
se poursuit le mouvement vers la réhabilitation des sentiments, et s’amorce une
réconciliation avec l’image paternelle.
C’est en effet la 1ère fois qu’elle m’avouera
son mal être, sans se sentir obligée d’en
rire.
REL 4 : Le 02/01/06. Environ ½ page,
extraits :
1ère phrase : « Je suis dans un train. Je
vois des nuages par la vitre. C’est très
chargé de nuages… » : Première rencontre avec un des symboles le plus important
du REL : tous ce qui concerne le cycle de
l’Eau donc de l’ANIMA, part féminine de
l’être. Elle nous apparaît ici sous la forme
du Nuage, sa forme la plus insaisissable,
continuellement changeante. Elle nous
parle donc de la capacité à l’infinie liberté
d’être, par l’adhésion aux transformations
de la psyché. Vous reconnaissez à nouveau la Vitre, l’obstacle transparent qui ne
demande qu’à être brisé, afin de franchir le
seuil qui sépare l’être de l’apparence.
« …Le désert… Des hommes voilés avec
des turbans. C’est un désert de sable, il y a
beaucoup de sable. Je ne sais pas ce que je
fais dans ce désert …» : à cette question
nous pouvons lui répondre qu’elle cherche de l’Eau, donc son féminin, donc ellemême. Qu’il soit homme ou femme, c’est
à la quête de son ANIMA qu’invite le symbole du Désert. Et ne nous étonnons pas si
la rêveuse insiste sur la présence du Sable,
un des agents les plus actifs de la dynamique de l’imaginaire. Comme les dunes
du Désert sans cesse changeantes sous le
moindre souffle de vent, il dit la disponibilité pour la métamorphose. Il délivre des
résistances du mental en plaçant le patient
devant les notions d’infini et d’éternité,
l’emportant de l’avoir vers l’être. Quand
à ces hommes voilés énigmatiques, peuple de cette terre des révélations, ils comptent parmi les figures les plus éminentes du
REL…Mais nous verrons cela plus tard.
« …Je tourne, je monte en spirale, je
tourne, tout mon corps fait des cercles… » : Tout mouvement circulaire est
symbole d’animation psychique. Il se développe ici jusqu’à la figure de la Spirale :
pure expression de la dynamique d’évolution.
« …Mon père, papa, il n’est pas là mais
j’entends une voix qui dit : Papa ! Je me
vois bébé… ». Le travail sur l’image paternelle se poursuit, préparant l’harmonisation de l’ANIMUS, composante masculine
de l’être en résonance directe avec le rapport au père.
« …A nouveau le désert, très grand, très
vaste, ouvert, sans fin. Je me sens comme
un petit point figé… » : Très important.
Elisa nous dit comment elle se sent : dérisoire et toute raide.
« Le soleil qui tape et cogne…». Toujours
le travail sur l’image paternelle ; sans commentaire.
« …Y’a du vert, de l’eau… des trottoirs,
des gouttières avec de l’eau qui file à toute
allure. J’entre dans un bar. » : L’ANIMA
arrive en force.
« …Le désert à nouveau, très fort, comme
de la pâte à modeler…Je vois de la neige
qui tombe par la fenêtre… » : C’est l’avant
dernière phrase. « Comme de la pâte à
modeler » ! La rêveuse a tout compris sur
la malléabilité que procure le symbole du
Désert de Sable. Néanmoins toujours la
Neige…
« …Je tombe dans un trou, ça glisse. » Fin
du REL 4. Cette petite phrase nous assure
qu’à cet instant, la rêveuse n’offre plus de
résistance à la dynamique de l’imaginaire.
D’ailleurs pour la 1ère fois, Elisa dit qu’elle
« se sent très bien, toute ouverte, toute
détendue » après le REL.
Que va trouver Elisa au fond du trou ?
Vous le saurez en lisant la suite des aventures d’ « Elisa Au Pays Du REL » dans le
prochain numéro de Quartiers Libres.
Claire Joachim
01 53 72 43 19
1 G. Romey : écrivain, chercheur, psychothérapeute. 2 R. Desoille : écrivain,
chercheur, psychothérapeute. 3 Voir
C.G.Jung :  « L’Homme et ses symboles »
chez Robert Laffont. 4 Psyché : Tout ce
qui concerne l’esprit, la pensée.
29
Jusqu’à quand allons nous accepter sans bouger :
La chasse aux
sans-papiers
et leurs enfants
Cet été en France, des dizaines de milliers de familles sanspapiers ont vécu au rythme des
démarches auprès des préfectures, et surtout dans l’angoisse
d’être expulsés vers leurs pays
d’origine.
C’est notamment le cas pour Adiela Médina
et sa fille Marina, qui habitent dans le
19ème arrondissement de Paris. Il y a cinq
ans, elles quittaient la Colombie pour venir
en France, alors que Marina n’avait qu’un
an. Elles espéraient alors que la vie leur
serait enfin un peu plus « douce ». C’était
sans compter avec les récents projets de
loi Sarkozy qui durcissent à nouveau les
conditions d’entrée et de séjour en France
et surtout, la campagne de « rafles » et
d’expulsions lancée cet été par notre ministre de l’Intérieur, en direction des familles
sans-papiers et de leurs enfants scolarisés
en France.
30
Régulièrement inscrite à l’école élémentaire de la Rue Rampal, la petite Marina est
une enfant comme les autres, à un détail
près : sa maman n’a pas de papiers. Une
situation dont elle a pleinement conscience
et qui l’inquiète plus que ne l’imagine sa
mère. Dans le cadre d’un projet de dessin
animé au sein de son école, elle fait la connaissance d’Anaïs Vaugelade, auteur de
livres pour enfants, qui habite par ailleurs
dans le 20ème arrondissement voisin. Par
un « heureux » concours de circonstances, cette dernière apprend en toute fin
d’année scolaire, la situation de la mère de
Marina. Or depuis plusieurs semaines déjà,
l’actualité des expulsions d’enfants scolarisés et de leurs parents défrayait la chronique. C’est donc sans aucune hésitation
qu’Anaïs Vaugelade et Julien Netter, l’insti-
tuteur de Marina, décident d’apporter leur
soutien à cette famille.
Comme pour 7000 autres familles parisiennes, et près de 30 000 dans toute la
France, Adiela Médina et sa fille reçoivent
« la protection » du Réseau Education Sans
Frontières (RESF), auquel appartient l’instituteur de Marina. Pour ce dernier, « c’est
une manière de ne pas être d’accord avec
la façon dont les choses sont faites actuellement par le gouvernement et le ministre
de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Et leur engagement s’est concrétisé par le parrainage
de Marina et sa mère, lors d’une cérémonie
républicaine à la mairie du 19ème arrondissement le 19 juillet dernier. L’occasion
pour cette maman et sa fille, d’exhiber fièrement les 600 signatures qu’a recueillie la
pétition de soutien qu’elles ont fait circuler. Ce qui atteste de leur parfaite intégration dans le quartier.
C’est donc avec beaucoup d’espoir que
leur dossier a été constitué, avant d’être
déposé le 5 juillet dernier, lors d’un dépôt
collectif du Réseau éducation sans frontières à la préfecture de police de Paris.
Convoquées ensuite le 13 septembre dernier, Médina et sa fille attendent toujours
une réponse de la Préfecture de Police
de Paris, alors même qu’elles répondaient
à l’ensemble des conditions fixées par la
fameuse circulaire Sarkozy. Pour le RESF,
la Préfecture de Police de Paris, comme
beaucoup d’autres, a eu une lecture partiale de la circulaire.
Datée du 13 juin 2006, cette dernière énumère six critères différents : la famille doit
résider en France depuis au moins deux
ans, les enfants doivent être nés en France
ou y être arrivés avant l’âge de 13 ans et
être scolarisés depuis septembre 2005,
l’essentiel de la vie familiale doit se situer
en France, les parents contribuent effectivement à l’entretien et à l’éducation de
l’enfant, et enfin, la famille doit manifester
une réelle volonté d’intégration.
Alors qu’en juin et au début du mois de
juillet, certaines préfectures comme celle
de Paris justement revendiquaient une lecture plutôt libérale de la circulaire, expliquant « qu’à priori, les critères ne seraient
pas appliqués de manière cumulative »,
Nicolas Sarkozy a fait une mise au point fin
juillet, en affirmant que les critères étaient
cumulatifs. Pis, il a rajouté un septième
critère dont la formulation est particulièrement floue, puisqu’il parle d’étrangers
« dont il avait demandé de suspendre
l’éloignement jusqu’à la fin de l’année scolaire 2005-2006 » On peut donc s’interroger sur le fait de savoir si la régularisation
n’était pas réservée aux personnes ayant
déjà fait l’objet d’un arrêté de reconduite à
la frontière. Ce qui pourrait peut-être expliquer les 6000 régularisations annoncées à
l’avance par Nicolas Sarkozy et confirmées
par lui en août dernier. Un chiffre considéré par les associations d’aide aux sanspapiers comme un quota fixé à priori par
le ministre de l’intérieur, alors que les autorités préfectorales ont reçu au total près
de 30 000 demandes de régularisation sur
l’ensemble du territoire. (Le 18 septembre,
sur France 2, Nicolas Sarkozy annonce le
chiffre définitif de 6924 régularisations).
Pour Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers, « l’annonce de Sarkozy fait naître beaucoup
d’espoirs chez les familles de sans-papiers.
Or, ces critères sont cumulatifs et la plupart en induisent d’autres, implicites. C’est
un entonnoir. On y entre volontiers, mais
on en sort au compte-gouttes. Le nombre de régularisations est marginal ! C’est
surtout de la poudre aux yeux. Une loi
hyper répressive sur l’immigration est
votée, puis une circulaire est publiée, qui
dessin de Marcel Créach
LES EXCLUSIONS … les reconduites aux frontières, les séparations des familles,
les mises en centres de rétention, les enfants refusés dans les écoles… ?
Que sommes-nous devenus pour supporter cela ?
On ne met pas dehors des familles sans conséquences pour l’équilibre de notre société.
Certes des associations se battent : RESF (Réseau éducation Sans Frontières), le MRAP, la LDH,
etc., mais c’est à nous, citoyens, de savoir quelle société nous voulons, dans un monde où l’argent est le moteur de toute action.
C’est une troisième guerre… et il faut la gagner contre l’égoïsme, le racisme et la lâcheté.
La mairie du 19e,
comme la mairie du 20e,
soutiennent les familles
sans papiers.
Le 28 juin, dans le 20e,
70 familles ont été
parrainées, et plus de 90
le 14 septembre.
(photos C. éboulé,
Isabelle Ab.)
l’enfant
frontière
je n’ai de frontières que les veines de mes bras
et l’eau noire du sang versant dans la mer
des diables d’écumes perdant conscience en enfer
ces oiseaux à tête blanche volent bas...
la tête dans le vide, sanglé sous un camion
esclave affranchi des barrières
je suis le petit cadavre qui fait le mort
pour planter le drapeau de ma peau de lumière
dans ce sol couvert de garnisons
depuis toujours c’est l’éclipse noire dans le grand livre
dans la peur de l’aube
le fracas à la porte des maisons
je suis le miroir de ton propre horizon
je suis venu vivre
Tian
vise à montrer que Sarkozy est humain »
Et comme pour prouver son humanisme,
le ministre de l’Interieur a nommé l’avocat
Arno Klarsfeld médiateur dans ce dossier.
Lorsqu’on sait que ce dernier n’est autre
que le fils de Serge et Beate Klarsfeld, fondateurs de l’Association des fils et filles de
déportés de France, il est légitime de s’interroger sur une éventuelle instrumentalisation d’un « symbole ». D’ailleurs, de
nombreuses associations s’étonnent que
ce fils de « chasseurs de nazis » ait pu
accepter de servir de caution morale à ce
qu’elles considèrent comme une véritable
opération de chasse aux enfants.
De plus, certaines associations considèrent qu’il est sorti de son rôle en accusant les associations de démagogie, dans
Le Monde daté du 13-14 août, emboîtant
ainsi le pas à des propos identiques tenus
par le ministre de l’Intérieur. « Comment
peut-on être médiateur et porter un jugement sur l’une des parties ? Entre qui et
qui peut-il désormais faire office de médiateur ? » s’interroge Laurent Giovanonni,
secrétaire général de la CIMADE, service œcuménique d’entraide. De son
côté, Nicolas Sarkozy souffle le chaud et
le froid. Après avoir occupé le terrain tout
l’été pour essayer de calmer le jeu, face à
la mobilisation contre « l’immigration jetable », il a brutalement serré la vis en août
dernier, en faisant expulser par la police le
plus grand squat de France situé à Cachan,
en région parisienne. Le 17 août dernier à
9 heures, alors que la plupart des hommes
viennent tout juste de se rendre à leur travail, la police fait évacuer un ancien bâtiment universitaire occupé depuis trois ans
par des centaines de personnes, principalement des Ivoiriens et des Maliens.
Cet immeuble de cinq étages situé dans le
campus de Cachan appartient au Centre
régional des œuvres universitaires. Les
trois cents chambres qu’il compte étaient
occupées depuis avril 2003, par près d’un
millier de personnes, dont la moitié environ sont sans-papiers. La préfecture du
Val-de-Marne a précisé que l’évacuation
avait été décidée à la demande du recteur
de l’académie de Créteil en raison « des
dangers d’incendie » qui pesaient sur l’immeuble. Mais lorsqu’on sait que le tribunal de Melun avait ordonné l’évacuation
du bâtiment le 14 avril 2004, l’on peut raisonnablement s’interroger sur le choix du
ministère de l’Intérieur de procéder à une
évacuation maintenant, sans aucune concertation et sans avoir étudié des solutions
de relogement pour tous les squatters.
D’ailleurs, le Réseau éducation sans frontières n’a pas hésité à dénoncer « une
opération médiatique de Nicolas Sarkozy,
destinée à souligner sa fermeté à l’égard
de la question de l’immigration »
Christian Eboulé
31
Pour avoir des informations, pour aider ceux
qui sont menacés d’expulsions,
prendre contact avec
le Réseau éducation Sans Frontière :
http://www.educationsansfrontieres.org/
RESF 19e : 06 76 13 71 92
RESF 10-11-20e : 06 82 84 50 56
Amadou Gaye
Négritudes
balade poétique...
Ils sont tous noirs, d’Afrique, des Antilles,
de la Guyane, d’Haïti et de Cuba…
Ils ont fait naître la poésie « négro-africaine d’expression française », dans les
années 50/60.
« Pour moi, il s’agit d’une réelle appropriation de ces paroles, faire entendre à
la manière du conteur africain cette poésie, ces mots, qui font rayonner la voix, le
corps et le cœur.
Poésie chaude, apparentée au rythme du
tam-tam, à la mélodie lyrique de la kora
ou au libre souffle du jazz » 
(Amadou GAYE)
32
Photographe, comédien, Amadou Gaye
est né à St Louis du Sénégal, puis a grandi
à Dakar. A treize ans, il rêve d’être réalisateur et comédien.
Il arrive à Paris en 1976, et suit des cours
de photographie dans une école professionnelle.
« J’ai cherché à retrouver mon identité
dans la photographie, c’est alors que je
me suis rappelé les griots de mon enfance.
Depuis, je chante la beauté des petites
gens, des anonymes. »
Parallèlement à son travail de photographe, il est aussi l’interprète des poètes Aimé Césaire et autres chantres de la
négritude. « A travers mes photos et mes
interprétations, je reviens à mes propres
racines. »
Le 22 mars 2006 est paru « Paris la
Douce », livre de photographies d’Amadou
Gaye, préfacé par Josiane Balasko aux éditions Grandvaux (voir p. 3).
LE LOCAL est un lieu de création, d’actions culturelles et de pratiques artistiques animé par l’association OMBRE EN
LUMIèRE.
Depuis plus de trois ans, des parisiens,
des bellevillois d’âges et origines divers,
viennent au LOCAL pour assister à des
spectacles et participer à des ateliers…
Ils se laissent surprendre et émouvoir en
s’ouvrant à des formes artistiques originales.
« …je ne suis pas l’acteur
tout barbouillé de suie
qui sanglote sa peine
bras levés vers le ciel
sous l’œil des caméras
Je ne suis pas non plus
statue figée du révolté
ou de la damnation
je suis bête vivante
bête de proie
toujours prête à bondir
à bondir sur la vie… »
Extrait de « Ghetto »
de Guy Tirolien  
Les projets de création de l’équipe artistique s’axent sur la mémoire, les mémoires des populations issues de l’immigration
présentes à Belleville.
Dans le cadre de l’année de la francophonie, « NéGRITUDES » invite à découvrir
des auteurs trop souvent méconnus.
Gabriel DEBRAY, metteur en scène :
« J’ai rencontré Amadou GAYE lors du
Printemps des Poètes au LOCAL, en mars
2005.
Son engagement physique, sa générosité avec le public, pour donner à entendre cette poésie multiple de la négritude
m’ont ému… Je partage avec Amadou
Gaye ce chemin en quête d’authenticité
pour faire connaître la langue de ces poètes… »
Pour donner à voir et entendre ces textes
poétiques, l’espace est vide. Les spectateurs sont en cercle. La mise en scène, sans
artifice est au service des textes. Seules les
« …Ecoute plus souvent
les choses que les êtres.
La voix du feu s’entend,
entends la voix de l’eau,
écoute dans le vent
le buisson en sanglots.
C’est le souffle des ancêtres,
Le souffle des ancêtres morts,
qui ne sont pas partis,
qui ne sont pas sous terre,
qui ne sont pas morts. »
Extrait de « Souffles »
de Birago Diop
photo Michèle Laurent
Birago Diop, David Diop, Léopold
Sédar Senghor, Jean Métellus,
Aimé Césaire, Paul Niger,
Guy Tirolien, Jacques Roumain,
Nicolas Guillen, Roussan Camille,
Bernard Binlin Dadié,
Et Gilbert Gratiant…
lumières créent les Atmosphères qui scandent le rythme de la balade. « 
Après une formation de comédien, Gabriel
DEBRAY assiste des metteurs en scène :
Joël Jouanneau, Michel Ra skine,
Christian Schiaretti...
De 1987 à 2005, il monte de nombreux
spectacles comme metteur en scène.
Parallèlement, il crée en 1994 l’association
OMBRE EN LUMIèRE , dont il est le directeur artistique et pédagogique. Depuis
2002, il dirige LE LOCAL, lieu de CRéATION
et de PRATIQUES ARTISTIQUES dans le
quartier de BELLEVILLE.
Négritudes,
balade poétique
De AMADOU GAYE
Au LOCAL
Mise en scène Gabriel Debray
18, rue de l’Orillon Paris 11ème
01 46 36 11 89