Météo-France
Transcription
Météo-France
Météo LE MAGAZINE NUMÉRO 07 - SEPTEMBRE 09 Nourrir la planète, vaste et noble programme auquel prennent part les services météorologiques du monde entier. Ils y contribuent même plutôt deux fois qu’une : par la prévision du temps qu’il va faire dans les heures ou les jours à venir, indispensable à la planification des travaux des champs, par les études sur la climatologie du lieu pour aider l’agriculteur à choisir la variété de plante la mieux appropriée… Sans oublier qu’un changement climatique est en cours, que précipitations, températures, fréquences des tempêtes et autres événements extrêmes sont appelés à changer d’ici 50 ans, ce qui a des conséquences dès aujourd’hui sur les choix des plantes à croissance lente, les arbres notamment. Mais nourrir la planète sans nuire à l’environnement passe nécessairement par une utilisation optimale des traitements phytosanitaires. Il faut traiter quand il le faut, où il le faut et pas plus. Or, ce que l’on sait moins, c’est que chaque produit a sa propre « fenêtre météo » d’utilisation. D’où cette nécessité pour l’agriculture d’une météo de précision, « à la parcelle ». C’est ce que nous expliquent, dans ce numéro de septembre de Météo-Le magazine, les spécialistes de Météo-France, de l’INRA, d’Arvalis-Institut du végétal… Et comme septembre, c’est le mois des vendanges et que Météo-France compte parmi ses clients les producteurs des vins les plus prestigieux de France, nous avons complété ce dossier d’agrométéorologie par un reportage à Château d’Yquem. Aux dires du viticulteur, plus que tout autre vin, les sauternes sont façonnés par les conditions météorologiques de l’année, de la première pousse de la vigne jusqu’à la dernière cueillette du raisin qui peut avoir lieu très tard en automne. Mais septembre est aussi le mois de la rentrée. Or, en matière d’éducation, l’année 2009-2010 verra une trentaine de collèges et lycées s’équiper de stations météorologiques automatiques. De quoi donner envie aux élèves de s’initier à la physique de l’atmosphère, à la technologie des instruments, à l’informatique, aux subtilités du calcul des moyennes et écarts types, et même, on le verra dans l’article, au français et aux arts plastiques. Bonne lecture. La rédaction - 4 - Météo - Le magazine - N°7 Météo - Le magazine - N°7 - 5 - DE L’IMPACT DU CLIMAT sur l’activité agricole Interview d’Emmanuel Cloppet, responsable du service d’agrométéorologie de Météo-France, à Toulouse. Propos recueillis par Véronique Petit Nourrir la population mondiale croissante nécessite de gérer au mieux la ressource, tant en eau qu’en possibilité de production des terres agricoles. Pour répondre à cette demande tout en ménageant l’environnement, l’information météo est primordiale. Il n’y a pas d’activité économique qui soit plus dépendante du climat que l’agriculture, Emmanuel Cloppet en sait quelque chose puisqu’il s’occupe à Météo-France, avec une équipe de cinq ingénieurs et techniciens, de tout ce qui touche de près ou de loin à ce secteur d’activité. Sa première mission consiste à tenir les données climatiques utiles à la disposition de tous les acteurs du monde agricole : en premier lieu les exploitants, l’Institut national de la recherche agricole (INRA) et les instituts techniques (Arvalis, Institut de la vigne et du vin…), le ministère de l’Agriculture, mais aussi les semenciers, les organismes de collecte, les assureurs, les firmes phytosanitaires… tous ceux qui, en amont et en aval, gravitent autour de la fonction agricole et ont des besoins différents en termes d’information météo. « Nous travaillons soit en tant que fournisseur de données et produits, soit sous forme de collaboration étroite avec d’autres instituts pour développer des services élaborés. Nous apportons les données météo mais les modèles de culture et de maladies sont développés par d’autres institutions. Il arrive aussi que pas de produits phytosanitaires si le vent est trop fort (la réglementation dans ce domaine est très stricte) ou si des précipitations sont prévues (la pluie « lessive » le traitement qui est alors perdu, avec le coût économique que cela implique). « Chaque produit a sa propre fenêtre météo d’application : on précise quelle est la plage de température mais aussi l’humidité de l’air requise pour que l’efficacité des molécules actives soit optimale. » Ensuite, le monde agricole a besoin de « caractériser le climat », c’est-à-dire connaître, grâce à un historique de plusieurs années, le climat spécifique d’une zone. En général, la production en un lieu donné est adaptée au climat que l’on y rencontre et le choix des produits agricoles et des variétés se fera en fonction des caractéristiques de la dite zone. « En agronomie, on considère qu’un risque acceptable correspond à la satisfaction des besoins des cultures quatre années sur cinq en moyenne. » Pour déterminer le bilan hydrique d’une parcelle ou les sommes de températures d’une zone donnée (voir encadré), l’agrométéorologue va donc mobiliser des outils statistiques, « En agronomie, on considère qu’un risque acceptable correspond à la satisfaction des besoins des cultures quatre années sur cinq en moyenne. » nous mettions à disposition nos moyens de calcul. C’est le cas notamment avec l’INRA pour ses recherches sur l’évolution des cultures et des forêts en liaison avec les différents scénarios d’évolution du climat », explique-t-il. 1 - 10 - Météo - Le magazine - N°7 Les leçons du ciel En effet, l’information météo est l’élément de base qui permet à l’exploitant de planifier son activité en fonction des aléas climatiques (température, pluie, vent). Elle a d’abord une dimension stratégique et de planification à court terme. L’agriculteur a besoin de prévisions immédiates à quelques heures – par exemple pour stopper un travail dans les champs à l’arrivée de l’orage – et de prévision à courte échéance (3-4 jours). Il n’épandra l’enjeu étant d’apporter les données météo les plus fines possible d’un point de vue spatial. « Les outils et les produits progressent. Nous pourrons bientôt personnaliser les données météo pour chaque exploitation » avance Emmanuel Cloppet. Alors qu’on parle beaucoup, aujourd’hui, de la gestion de la ressource en eau dans une démarche d’agriculture raisonnée, respectueuse de l’environnement, un certain nombre d’outils et de services est mis à la disposition de l’irriguant pour apporter exactement la quantité d’eau nécessaire pour ses cultures : ni trop, pour ne pas gaspiller la ressource, ni trop peu, pour ne pas faire souffrir la plante d’un stress hydrique qui compromettrait sa croissance et altérerait sa production. Un peu de technique Certains paramètres météo sont spécifiques à l’agriculture. Unité de temps En agrométéorologie, les données d’insolation, de température, de précipitation… sont généralement moyennées sur 10 jours, une période qui correspond bien au rythme de développement du monde végétal. Sommes de températures La somme de températures consiste à cumuler chaque jour l’écart entre la température moyenne du jour et un certain seuil, variable selon les cultures. Ce paramètre représente l’accumulation de chaleur disponible pour la plante pendant la saison agricole ; il est directement corrélé avec son développement. Pour telle variété de blé ou de maïs, on sait combien de degrés-jours il faut accumuler dans l’année pour arriver à maturité. Grâce au suivi quotidien des sommes de températures, on est capable de prévoir si les récoltes seront en avance ou en retard, et de combien de jours. On peut aussi, pour une date de récolte donnée, choisir une variété qui arrivera à maturité à temps, en fonction des degrésjours que le climat de la région autorise. Bilan hydrique Le bilan en eau (bilan hydrique) d’une parcelle agricole permet une estimation fiable des besoins en eau des cultures en période sèche et donc le pilotage de l’irrigation. Le calcul prend en compte à la fois l’eau qui entre (précipitations ou apports en irrigation) et l’eau qui sort du système (ce qui est transpiré par les cultures, ce qui ruisselle et ce qui est drainé). La partie transpirée par les cultures est estimée par un calcul d’évapotranspiration potentielle (ETP) qui prend en compte la température et l’humidité de l’air, la force du vent, et le rayonnement global. Défini pour un couvert végétal de référence (gazon), ce paramètre peut être utilisé pour toutes les productions végétales grâce à la prise en compte de coefficients culturaux. Météo - Le magazine - N°7 - 11 - 2 NOURIR LA PLANÈTE Les agriculteurs de la planète produisent en moyenne 4 600 kilocalories par habitant et par jour. Sur ces 4 600 kcal, 600 sont perdues à l’exploitation (surtout dans les pays en voie de développement) et 800 lors de la consommation et de la distribution (surtout dans les pays développés). Sur les 3 200 restantes, 1 700 servent à nourrir le bétail qui, au final, ne fournira que 500 kcal. Bilan, 2 000 kcal sont disponibles chaque jour pour nourrir le monde ce qui correspond au besoin moyen d’un adulte. 4 Nourrir une population mondiale en augmentation passe donc aussi par une réduction des pertes et des gaspillages. Chiffres extraits d’un entretien avec Hervé Guyomard, directeur scientifique à l’INRA, paru dans Pour la science, juillet 2009. « Une densité d’observation exceptionnelle » « Pour fournir à l’agriculteur les informations les plus fiables possible, nous nous appuyons d’abord sur un réseau de plus de 800 stations automatiques, mesurant au moins température et précipitation, réparties sur tout le territoire français, et environ 3000 postes tenus par des observateurs bénévoles. Quand on fournit des données observées, ajoute Emmanuel Cloppet, on est ainsi capable de garantir leur qualité. En matière de prévision du temps, chaque département a été découpé en six ou sept zones homogènes qui s’appuient à la fois sur le résultat des modèles de prévision mais aussi sur l’expertise humaine, grâce aux informations fournies par nos collègues des centres départementaux de la météorologie et des sept centres interrégionaux. C’est la donnée la plus fine que l’on puisse élaborer. » Même si les phénomènes orageux, et la grêle a fortiori, restent encore difficiles à prévoir, à la limite de la science. « Depuis quelques mois, nous sommes en mesure de fournir la pluviométrie observée avec un maillage d’un kilomètre, en combinant des données issues de pluviomètres classiques avec celles des 24 radars pluviométriques. - 12 - Météo - Le magazine - N°7 3 C’est ce que nous appelons la « lame d’eau Antilope ». Les radars offrent une très grande précision spatio temporelle mais il est parfois difficile de faire la correspondance entre l’intensité de l’écho radar et l’intensité de la pluie au sol. En combinant ces deux sources d’information, Météo-France établit des cartes indiquant la quantité de pluie tombée dans l’heure précédente ou sur tout autre période de temps. Cette nouvelle donnée présente un réel intérêt pour alimenter les modèles de prévision des maladies et le monde agricole a été le premier à se manifester pour le tester. » « On ne peut plus passer sous silence le changement climatique » Passionné par son métier, à la frontière entre deux mondes, Emmanuel Cloppet avoue que le changement climatique a redonné un coup de fouet à l’agrométéorologie en tant que discipline. Car, au-delà des prévisions à court terme, l’un des enjeux de la météorologie moderne est de fournir des prévisions avec des échéances de plus en plus longues. La « prévision à six mois d’échéance » vise à définir des tendances, comme savoir, par exemple, s’il fera plus chaud et plus sec que la normale, ou plus doux et plus humide. Ces « prévisions saisonnières » fonctionnent assez bien dans les régions tropicales. Elles sont très utiles en particulier en Océanie et autour du Pacifique Sud, régions soumises au phénomène El Niño. En Australie, l’agriculture les utilise d’ores et déjà pour mieux piloter les cultures annuelles. Quant aux régions de climat tempéré, comme l’Europe, on commence tout juste à les tester. Emmanuel Cloppet représente la France au sein de la Commission de météorologie agricole de l’OMM (Organisation météorologique mondiale). Cette commission se réunit tous les quatre ans pour réfléchir à l’impact du changement climatique sur l’agriculture, pour faire le point sur l’état des recherches mais également la standardisation des mesures, car il faut s’assurer que dans tous les pays on utilise les mêmes formules pour estimer les mêmes paramètres. Il a eu l’occasion de réaliser des missions de consultance en Inde et, dans le cadre de contrats à l’étranger, d’apporter à la fois son œil d’agronome et l’expertise développée à Météo-France. « Météo-France apporte un appui méthodologique et des services météo à des pays qui n’en ont pas forcément les moyens ni les infrastructures, comme l’Inde, l’Afrique, l’Égypte 1992 puis de 2003). Les aides furent versées à la condition que l’agriculteur respecte les bonnes conditions agricoles et environnementales ainsi que le bien-être animal. Il n’était plus incité à produire beaucoup. « Mais on entre maintenant dans une troisième voie où l’accent sera mis à nouveau sur la production afin de répondre à l’augmentation de la demande alimentaire. C’est le concept de l’agriculture écologiquement intensive : produire plus tout en étant propre. 5 « S’il n’est pas facile de dire à quoi notre agriculture ressemblera dans 50 ans, il est difficile également de mesurer l’impact du changement climatique sur les maladies… » C’est très complexe à étudier, cela implique de connaître l’impact du changement climatique sur la culture, sur le champignon (parasite) et sur l’interaction entre les deux. » Par ailleurs, le monde agricole va être amené à réduire fortement sa consommation de produits phytosanitaires (de l’ordre d’au moins 50 %, selon les directives du Grenelle Environnement). Cela signifie que si l’on veut garder des niveaux de rendements acceptables, il faudra que chaque traitement soit appliqué à la période où la culture en a le plus besoin et où l’efficacité du produit est maximale. Cela suppose à la fois une bonne prévision des conditions météo à court terme mais aussi une bonne connaissance du temps qu’il fera dans l’année afin de modéliser exactement le risque maladie sur la culture. « Un beau défi à relever », confie Emmanuel Cloppet, convaincu de l’importance du rôle de l’agrométéorologie dans cette révolution en marche de l’agriculture. « Cela passera nécessairement par la mise au point de produits et de services visant à aider l’agriculteur à anticiper de façon plus fine et intelligente mais aussi par la mise au point « Produire plus et de plus en plus d’outils de dissémination, pour s’assurer que propre » l’information parviendra bien jusqu’à lui. « En France, le contexte économique, la rentabilité et la PAC (Politique agricole commune) « Reste que dans le contexte du changement ont fortement façonné l’agriculture. Ainsi, climatique, il faut être humble. Il y a encore dans les années 1950-1960 (la PAC fut mise d’énormes incertitudes sur la façon dont les en place en 1962), on a demandé à l’agriculcultures vont réagir ; on parle de production ture d’accroître sa productivité, de stabiliser agricole à l’échelle de 50 ans, ce qui veut dire les marchés et d’assurer des prix raisonqu’on parle de rendements de variétés qui nables aux consommateurs, l’objectif étant n’existent pas encore, l’industrie agronomique l’autosuffisance alimentaire. Ensuite, on s’est mettant au point en permanence de nouvelles rendu compte que ce productivisme avait eu variétés. des impacts négatifs sur la qualité des eaux et « S’il n’est pas facile de dire à quoi notre de l’air. Nous sommes alors entrés dans une agriculture ressemblera dans 50 ans, il est nouvelle logique avec priorité au respect de difficile également de mesurer l’impact du l’environnement et des paysages (réformes de changement climatique sur les maladies. 1_ Orage : Prévision immédiate des orages, prévision pour les jours à venir, statistiques climatiques, évolution du climat à long terme, l’agriculture fait appel à tous les aspects de la météorologie. 2_ Traitement : Le monde agricole va devoir réduire d’au moins 50 % sa consommation de produits phytosanitaires. Leur utilisation optimale est de rigueur. Or chaque produit a sa propre fenêtre météo. 3_ Lame d’eau Antilope : En combinant les mesures des pluviomètres classiques et des radars météorologiques, Météo-France peut établir, kilomètre-carré par kilomètre-carré, la quantité de précipitation tombée sur une période donnée. 4_ Station auto : Météo-France archive les données de plus de 800 stations automatiques de ce type mesurant température et précipitation. 5_ Variété : La façon dont les cultures vont réagir au changement climatique reste incertaine. Elle dépend des variétés de culture qui seront utilisées dans 50 ans. – pays pour lesquels la sécurité alimentaire reste un enjeu national. » Des missions importantes, si l’on estime qu’au niveau mondial il faudra augmenter la production agricole de 35 % d’ici 2020, compte tenu à la fois de la croissance démographique de la planète et des modifications des comportements alimentaires (la consommation alimentaire des pays en développement se rapproche de celle des pays développés avec notamment une alimentation plus carnée nécessitant une augmentation de la production agricole pour élever les animaux). Météo - Le magazine - N°7 - 13 - de nous des produits fiables, rapides d’utilisation et simples à apprivoiser. » Pour ce faire, l’institut a développé son propre réseau de stations météo – 25 réparties sur l’ensemble du territoire – et il a des conventions avec d’autres fournisseurs de données, dont le plus important est Météo-France. « Chez nous on collabore, c’est très associatif… Souvent, c’est un collègue, spécialiste dans un domaine (une culture, une thématique) qui souhaite construire un modèle – l’irrigation, par exemple, pour mieux gérer la quantité d’eau à apporter à tel type de culture. Il dit : voilà les éléments dont j’ai besoin… Après c’est un puzzle, chacun va apporter sa contribution pour essayer de construire l’outil final. C’est comme un cocktail. On mélange et on a un beau produit. » Piloter Propos d’Olivier Deudon, spécialiste d’agrométéorologie d’Arvalis-Institut du végétal. Propos recueillis par Véronique Petit les cultures 1 Les agriculteurs sont exigeants mais leurs demandes sont claires. À Arvalis-Institut du végétal, on utilise les informations de Météo-France pour répondre au mieux aux besoins du monde agricole. Dans la conduite de la protection des cultures, la démarche de l’agriculteur n’est pas simple. Il lui faut conjuguer efficacité, économie et respect de l’environnement, et ceci dans une grande diversité de climats, de types de sols et de situations. Les progrès dans la connaissance des différentes séquences d’une épidémie et des relations inoculum/conditions climatiques/stades de cultures conduisent à l’élaboration de modèles permettant la simulation de l’évolution des épidémies. La mise en place d’une lutte raisonnée passe par l’utilisation d’outils d’aide à la décision basés sur ces modèles de simulation. Une des missions d’Arvalis-Institut du végétal - 14 - Météo - Le magazine - N°7 est d’améliorer les pratiques de cultures et de durabilité des systèmes d’exploitation. À Arvalis, on travaille aussi bien sur le développement des plantes, les ravageurs, la fertili- modèles. » Il récupère, traite, valide et archive l’information météo en provenance de quelque 700 stations ; charge ensuite à ses collègues de les exploiter soit pour leur activité de « Les agriculteurs sont exigeants mais leurs demandes sont toujours claires ; ils attendent de nous des produits fiables, rapides d’utilisation et simples à apprivoiser. » sation azotée, les itinéraires techniques, les modèles économiques. « C’est très bigarré, nous avons tout un panel de produits à notre disposition, explique Olivier Deudon, je suis le gestionnaire de bases de données climatiques nécessaires à l’Institut pour faire tourner ses recherche, soit pour faire tourner les modèles (un nombre de modèles très différents selon les cultures) et diffuser des conseils et outils d’aide à la décision auprès de l’agriculteur. « Les agriculteurs sont exigeants mais leurs demandes sont toujours claires ; ils attendent L’exemple du blé Pour le blé, on sait que, selon son stade de développement, certaines conditions météo peuvent lui être néfastes. Quand il gèle l’hiver, en dessous de - 5 °C, cela peut pénaliser la plante, voire la faire mourir ; certaines sécheresses printanières peuvent l’affecter ; durant la phase de remplissage du grain, il peut y avoir ce qu’on appelle des températures échaudantes (températures maximales supérieures à 25° C) qui vont altérer le rendement. Ainsi, chaque plante a ses propres phases de sensibilité, ce ne sont pas forcément les mêmes. Les modèles d’écophysiologie permettent de les connaître et d’essayer de les atténuer. « Pour le blé et le maïs, nous fournissons des prévisions de dates d’apparition de stades phénologiques. Nous disons : attention, tel stade va arriver… La plante étant sensible à tel type de ravageur, on conseillera à l’agriculteur de surveiller ou, par précaution, de faire un premier traitement parce qu’on estime que le risque est réel. » Gérer mieux l’environnement, un défi pour demain « Aujourd’hui, on s’oriente de plus en plus vers une agriculture raisonnée. Un traitement est appliqué uniquement quand c’est nécessaire, pour éviter toute pollution des eaux par les produits, aussi bien dans le cas de lutte contre les maladies que dans tout ce qui est gestion azotée : là, on utilise des cultures intermédiaires de type moutarde ou radis (pièges à nitrates) qui ont la faculté d’absorber l’azote excédentaire pour éviter que cet azote, suite à des pluies importantes, aille polluer les nappes phréatiques et les cours d’eau. » Les agriculteurs commencent à s’équiper en station météorologique. Les plus en avance en ce domaine sont les viticulteurs, les arbo- 2 Farmstar piloter sa parcelle au plus juste grâce à la précision des satellites Farmstar est un produit phare qui permet un pilotage des cultures par satellite. Il concerne essentiellement le blé tendre, l’orge, le colza. Les informations sur l’état du végétal, issues des images satellite, sont interprétées par les instituts avec des modèles agronomiques qui intègrent aussi les conditions météorologiques et les caractéristiques culturales des parcelles. Les résultats sont traduits en conseils agronomiques et sont livrés à l’agriculteur sous forme de cartes faciles à utiliser. En établissant un diagnostic précis des besoins, ce système évite les excès d’intrants (azote, régulateurs, fongicides) et contribue ainsi à une agriculture productive et respectueuse de l’environnement. MILEOS un outil de lutte contre le mildiou de la pomme de terre Coproduit par Arvalis et le ministère de l’Agriculture (service de protection des végétaux), Mileos permet de répondre de très près aux besoins du terrain, de connaître à tout moment le risque de mildiou des parcelles. L’agriculteur achète un abonnement en ligne. Il enregistre les données météo (température, hygrométrie, pluie, recueillies par la station météo de sa parcelle ou d’autres réseaux), la variété, la date de plantation et de levée, l’état sanitaire autour de la parcelle et les interventions – traitements et irrigations – réalisées. À partir de toutes ces données, Mileos va évaluer le risque de mildiou et préconiser une stratégie de lutte. ARVALIS Arvalis-Institut du végétal est un organisme de recherche appliquée agricole, financé et géré par les producteurs. Stations de recherche, plate-forme d’essais, fermes d’application et laboratoires, l’institut compte 35 sites implantés sur l’ensemble du territoire national et 400 collaborateurs. Il met au point et diffuse des informations et des techniques permettant aux producteurs de céréales à paille (blé, orge, avoine, triticale, seigle, sorgho), de protéagineux (pois, féverole, lupin), de pomme de terre, de maïs et de fourrage, de s’adapter à l’évolution des marchés agroalimentaires et de rester compétitifs au plan international, tout en respectant l’environnement. riculteurs et les producteurs de légumes « Ce qui se comprend… Un Pomerol, ce n’est pas le même prix qu’un quintal de blé…» Mais avec l’évolution du climat, s’inquiète Olivier Deudon, certains phénomènes ne peuvent pas être pris en compte, comme les sauts de températures, qui sont imprévisibles sur le long terme. « Il y a peut-être des moyens d’action comme la prévision saisonnière, c’est une première piste de recherche. On espère que d’ici quelques années on arrivera à donner une information pertinente à l’agriculteur. » En attendant l’agriculteur va chercher l’information là où elle se trouve, au meilleur prix. « Internet a démocratisé l’utilisation des outils et modèles et il y a aujourd’hui pléthore de sites qui fournissent de l’information, c’est une concurrence supplémentaire mais cela nous oblige à nous dépasser et à montrer qu’on a un savoir-faire. » 1_ Moisson : « Pour le blé et le maïs, nous fournissons des prévisions de dates d’apparition de stades phénologiques ». 2_ Farmstar : Exemple de carte conseil pour le blé d’hiver peuplement et potentiel de rendement ARVALIS-Institut du végétal. Images satellite et modèles agronomiques intégrant les conditions météorologiques et les caractéristiques de la parcelle sont utilisés pour conseiller l’agriculteur. Météo - Le magazine - N°6 - 15 - Extraits des registres du xixe siècle château d’yquem Une longue tradition de météorologie Michel Hontarrède Entre la forêt des Landes et la vallée de la Garonne, le pays de Sauternes étend ses « croupes » aux pentes douces. Un paysage de vignes parsemé de châteaux, de fermes fortifiées et de lieux-dits dont les noms parlent aux amateurs de grands vins liquoreux. Au cœur de ce terroir, Château d’Yquem élabore un vin dont la renommée n’est plus à faire. À Yquem, Francis Mayeur est directeur technique. De lui dépend la bonne gestion des vignes et des vendanges et la qualité du vin qui en découle. C’est aussi un passionné de météorologie. Jonglant avec aisance dans les tableaux de température et de précipitations, que cinq stations disséminées sur les 189 ha de la propriété alimentent en continu, il est intarissable pour expliquer les relations complexes entre conditions météorologiques et qualité d’un millésime. « Plus que tout autre vin, la qualité d’un sauternes dépend des conditions météo. Jusqu’à mi-septembre, nous travaillons la vigne comme pour produire un grand raisin. Il nous faut un temps sec ; un certain « stress hydrique » de la vigne est nécessaire pour faire un bon vin et la sécheresse évite la prolifération des moisissures et des maladies. Comme tout vigneron, nous craignons la grêle. Les gelées de printemps nous gênent moins que d’autres, la région n’y est pas trop sensible. Mais, à la différence des rouges, au lieu de vendanger quand le raisin est mûr, nous attendons le plus possible que la « pourriture noble » s’installe. C’est là qu’intervient le microclimat de la région. Trop sec et le botrytis cinerea, le champignon responsable de la pourriture du raisin, ne s’installe pas. Trop humide ou trop de pluie et le champignon - 16 - Météo - Le magazine - N°7 consomme tout le sucre. Le temps idéal, ce sont des brumes matinales et un temps ensoleillé l’après-midi. On dit qu’ici, c’est le Ciron, affluent de la Garonne coulant sous les arbres, qui apporte cette humidité. En automne, ce type de temps s’accompagne de vents d’est et la bonne exposition des vignes du domaine d’Yquem, leur altitude (jusqu’à 75 m, ce qui est beaucoup pour un vignoble bordelais), est sans doute pour quelque chose dans la qualité du vin. » Si les conditions sont remplies, la peau du grain devient perméable, l’eau s’évapore et le sucre se concentre pour atteindre des niveaux bien au-delà de la maturation normale, jusqu’à 30 degrés d’alcool potentiel. La vendange n’a lieu que lorsque le raisin a atteint 20 degrés. Ici, on ne cueille pas la grappe, seulement les grains à points, de vilains petits grains violets, tachés, ridés, couverts de la pourriture noble. La vendange se fait par passages successifs, les « tries », de 5 à 10, de mi-septembre à novembre, et parfois même en décembre. « Le grain doit être cueilli sec, sinon au pressage, le sucre serait dilué. Pour convoquer les vendangeurs, environ deux cents, il faut donc être sûr que le lendemain, il n’y aura ni pluie, ni brouillard persistant toute la journée. Un message est enregistré chaque jour sur notre répondeur vers 17 h pour informer les vendangeurs. J’ai noté depuis 15 ans une réelle amélioration des prévisions météo ; on n’a quasiment plus jamais de convocation inutile. Ça peut même être un problème pour le personnel qui de ce fait gagne moins d’argent qu’autrefois, toute journée appelée étant rémunérée. » « Si la prévision pour le lendemain est essentielle pour gérer les vendanges, la prévision pour les jours suivants permet de « jouer des coups ». Par exemple, si de la pluie est annoncée, je peux être tenté de ramasser les grains qui ont atteint les 20° d’alcool potentiel. Mais si je sais qu’il ne pleuvra pas trop et qu’après se profile une bonne période de beau temps, je peux attendre et laisser les grains gagner encore quelques degrés. Pour ça, j’apprécie beaucoup la nouvelle présentation des prévisions probabilistes de Météo-France où l’on choisit les seuils des paramètres. » La prévision du temps est également primordiale en matière de traitement phytosanitaire. « En viticulture, on ne peut pas alterner les cultures d’une année sur l’autre pour limiter les développements des parasites, explique Francis Mayeur. La vigne est une monoculture de plusieurs centaines d’années, alors vous pensez que les parasites, ils ont eu le temps Il n’y a plus qu’à voir où se place le millésime en cours pour estimer sa qualité. La méthode est rôdée et convaincante. Vignes et Château d’Yquem de s’adapter. » Autrefois, on faisait du traitement préventif régulièrement. Aujourd’hui, il n’en est plus question. D’abord, la réglementation impose un vent inférieur à force 3 Beaufort (19 km/h) pour éviter la dispersion des produits. Ensuite, pour optimiser l’efficacité du traitement, le viticulteur prendra en compte le risque de précipitation qui lessive les feuilles, ainsi que la température qui, trop élevée, entraîne une évaporation rapide du produit. Si Francis Mayeur est parfaitement à l’aise pour louer ou critiquer les produits concernant la prévision du temps, il manipule avec tout autant d’aisance la climatologie. Il faut dire qu’à Château d’Yquem, on mesure température et précipitations depuis le xixe siècle. Un croisement avec les archives de Météo-France a permis de combler les trous et de faire débuter la série en 1896. Château d’Yquem est ainsi devenu la plus longue série de données météorologiques de la Gironde, sur un même site, sans aucune interruption même pendant les deux guerres mondiales, ce qui est rare. Et, comme les vignerons ont tout noté depuis 1880 cette fantastique base de données peut être croisée avec les dates de vendange, les stades phénologiques de la vigne et … la qualité du millésime. Ce dont Francis Mayeur ne se prive pas. Car, au mois d’avril, le vin est vendu « en primeur », c’est-à-dire bien avant que son « élevage » soit terminé. Typiquement, le vin vendu en avril est âgé de 18 mois ; il ne sera livré au client que trois ans plus tard. Pour savoir ce que sera ce millésime et donc négocier au mieux sa vente, le directeur technique recherche les années analogues au point de vue météorologique. Températures et précipitations ! Lesparre ! Blaye ! St André de C ! Libourne ! Bordeaux ! Sainte Foy ! Bergerac ! Sauveterre ! Langon sont moyennées sur des périodes critiques pour le développement du raisin. Sur les graphiques, les millésimes se regroupent en fonction de ces moyennes. Il n’y a plus qu’à voir où se place le millésime en cours pour estimer sa qualité. La méthode est rôdée et convaincante. Une telle maîtrise de la météorologie appliquée à la vigne m’incite à poser une dernière question : quelles conséquences le réchauffement climatique peut-il avoir sur la production de Château d’Yquem ? « Le réchauffement constaté depuis les années 1980 me permet de gagner en qualité. Aujourd’hui, je ne me contente plus des 20 degrés d’alcool, je peux être plus exigeant sur la qualité des raisins. Donc un réchauffement climatique de 2 °C permettra de gagner encore en qualité. En tout cas, pour l’ensemble de la viticulture, il évitera la chaptalisation (ajout de sucre pour gagner en degré d’alcool, pratique qui n’a jamais été utilisée à Château d’Yquem, ndlr). « Au-delà de 2 °C de réchauffement, je pense qu’on pourra peut-être s’adapter par exemple en mettant en culture les “ terres froides ” de la propriété (Sur les 189 ha du domaine, seuls 100 ha sont plantés en vigne, ndlr). On replante régulièrement les parcelles de façon à ce que les pieds ne dépassent pas 40 à 45 ans. Actuellement, les « clones » utilisés sont ceux des périodes froides. En cas de réchauffement, on pourra 1 s’adapter en replantant des pieds sélectionnés différemment. Mais si le réchauffement dépasse 4 °C, alors je ne sais pas si on pourra y faire face. » 1_ Carte du risque potentiel de développement du mildiou au 1er mai 2008. Document élaboré par l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) à partir d’un modèle utilisant en entrée les données de précipitation et de température analysées par Météo-France. Il existe aussi une version « prévision » de cette carte élaborée à partir des prévisions probabilistes jusqu’à 8 jours. Météo - Le magazine - N°6 - 17 - Agriculture Propos recueillis par la rédaction Quelle récolte en 2050 ? Comment les plantes réagiront-elles au changement climatique ? Comment savoir si elles pourront s’adapter ? Interview de Bernard Seguin, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique, à Avignon, responsable de la mission « changement climatique et effet de serre ». Dans tous les secteurs d’activité, on s’interroge sur les conséquences du réchauffement climatique. A fortiori dans le domaine de l’agriculture, très sensible aux conditions météorologiques. Comment les chercheurs font-ils pour estimer quelle sera la production agricole de demain ? On a commencé à aborder la question, il y a vingt ans, avec des expérimentations : par exemple, en cultivant des plantes sous serre, avec 5 °C de plus et un peu plus de CO2. Le problème est que, d’une part, cela ne concerne qu’un nombre cycle. Encore faut-il dissocier la température du jour et celle de la nuit. De plus, une fois les feuilles apparues, il faut prendre en compte le rayonnement atmosphérique et la teneur en CO2 pour calculer la photosynthèse. Sans oublier l’eau. Sans elle, la plante meurt. Or la disponibilité de l’eau dépend bien sûr des précipitations et de l’évaporation, mais aussi de la nature du sol, de sa capacité à conserver le précieux liquide. Ainsi, le modèle de culture prévoit, pour une plante donnée et un lieu donné, les différents stades de dé- Grâce à l’explosion de la puissance des ordinateurs, l’INRA a développé et mis en œuvre des « modèles de culture » directement couplés aux modèles climatiques. limité de plantes, et que d’autre part, sous une serre rien ne se passe exactement comme à l’extérieur. On peut aussi observer la végétation dans des régions où le climat est proche de ce qui est prédit. Mais là aussi l’analogie n’est que partielle, et les informations recueillies sont de portée relativement limitée. Il nous fallait autre chose de plus complet et de plus précis. Grâce à l’explosion de la puissance des ordinateurs, l’INRA a développé et mis en œuvre des « modèles de culture » directement couplés aux modèles climatiques. Car, dire que la température moyenne de l’air augmente de 2 °C ou de 4 °C ne suffit pas pour en déduire ce que sera le rendement de telle ou telle culture. Certes, le réchauffement accélère en général le calendrier de la plante et raccourcit son - 20 - Météo - Le magazine - N°7 veloppement de la plante au cours de l’année en fonction des températures, des précipitations, de l’ensoleillement, du taux de CO2 rencontrés jour après jour. Généralement, un modèle de climat fait évoluer les conditions météorologiques (pression, vent, température, humidité, précipitation…) heure par heure, d’abord sur une période passée – par exemple de 1960 à 2000 – pour vérifier le bon fonctionnement du modèle, puis sur les cent prochaines années en faisant varier la concentration de gaz à effet de serre selon des scénarios types retenus par la communauté scientifique. Les modèles de culture sont-ils couplés au modèle climatique sur toute cette période ? Exactement. Nous simulons jour après jour, année après année, sur la même période que le modèle de climat, le développement de la plante et sa production annuelle, qu’il s’agisse de blé, de maïs, de pomme de terre, de vigne, de forêt… La prévision pour une année donnée – par exemple la quantité de blé produite en 2047 – n’a évidemment aucun sens. Ce qui compte, ce sont les statistiques que nous en tirons à l’horizon 2050, 2060, 2070, en fonction des différents scénarios de concentration de gaz à effet de serre. Comme pour le climat, l’intégration du modèle de culture sur les années passées et sa comparaison avec l’observation permettent de le calibrer et de le valider. Cette simulation du passé a même permis d’expliquer des phénomènes observés. Par exemple, la culture des céréales a connu une croissance phénoménale des rendements, passant de 10/15 quintaux à l’hectare en 1960 à 70/100 en 1995. Depuis, les rendements stagnent. Les modèles de culture ont montré que cette stagnation venait bien de l’évolution du climat, notamment l’augmentation du stress hydrique. Une observation parmi d’autres qui renforce la crédibilité des projections sur le futur. Modèles de climat et modèles de culture ont dû beaucoup évoluer ces dernières années. Sont-ils suffisants pour mener toutes les études ? Il y a quinze ans, une donnée (un point de grille) représentait environ 250 km. C’était à la limite suffisant pour l’ensemble du Bassin L’INRA dispose, près de Clermont-Ferrand, de grandes serres dans lesquelles il est possible de tester la croissance des plantes en faisant varier température de l’air, humidité, taux de CO2… parisien, mais difficilement applicable sur les autres régions. Dans les années 2000, Météo-France a ramené cette résolution à 50 km. Et aujourd’hui, les possibilités de calcul permettent aux travaux de recherche de se faire avec un point tous les 8 km. L’INRA mène actuellement un projet de recherche, Climator, consistant à refaire les simulations, à l’aide des modèles de dernière génération, pour un grand nombre de cultures, ainsi que la forêt, et pour une dizaine de sites en France. Les premiers résultats sont attendus fin 2010. Un autre axe de recherche concerne les événements extrêmes. Une canicule, une sécheresse, une chute de grêle, une gelée de printemps, une tempête, peuvent en quelques jours ou quelques heures détruire complètement une forêt ou une récolte. Or les modèles de climat sont encore insuffisants pour bien représenter ces phénomènes extrêmes. Il faut compléter leurs résultats par des études statistiques. Météo-France a travaillé là-dessus lors du projet Imfrex (voir encadré). Que pense le monde agricole de ces travaux ? Les forestiers, qui travaillent à échéance de 30 ou 50 ans, choisissent d’ores et déjà les variétés d’arbres à planter en fonction des simulations. Les agriculteurs, eux, sont plus demandeurs de ce qui va se passer dans un futur plus proche. Nous devons encore travailler, avec Météo-France, pour répondre à cette demande. Mais les modèles de culture permettent aussi de comparer différentes variétés de plantes, de tester les méthodes de production (date de semis et autres travaux, effeuillage plus ou moins prononcé de la vigne…), d’évaluer les besoins en eau et donc en irrigation, d’estimer les risques de développement de maladies et d’insectes ravageurs… Autant d’études qui serviront à définir les meilleures stratégies d’adaptation au changement climatique. Imfrex La principale crainte liée à une évolution du climat vient de l’augmentation possible de la fréquence des événements extrêmes : tempêtes, épisodes de pluie abondante, sécheresses, canicules, vagues de froid, ouragans dans les régions tropicales… C’est pourquoi, de 2003 à 2005, Météo-France a participé, aux côtés de divers laboratoires de recherche, au projet Imfrex visant à évaluer l’évolution de la fréquence de ces phénomènes au cours du xxie siècle. Pour cette étude, une simulation des conditions météorologiques, jour après jour, a été effectuée jusqu’à 2100 à l’aide des modèles de climat de Météo-France et de l’Institut Pierre-Simon-Laplace. Ces deux modèles utilisaient, en entrée, les concentrations prévues des gaz à effet de serre et des aérosols proposées par le GIEC. Les études ont conclu, entre autres, à : l’augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité des vagues de chaleur estivales ; la quasi disparition des vagues de froid ; l’augmentation sur la moitié nord de la France des fortes précipitations hivernales ; l’augmentation des sécheresses estivales et automnales, surtout dans le Sud ; l’augmentation des pluies associées aux ouragans de l’Atlantique nord. On trouvera sur le site imfrex.mediasfrance.org l’ensemble des résultats, sous forme de cartes et de graphiques. Ce travail de recherche se poursuit dans le cadre des projets Ensembles et Cyprim. L’utilisation des dernières générations des modèles de prévision du temps, de maille plus fine et plus apte à prévoir les phénomènes de taille limitée (rafales, épisodes de pluie intense…), permet de mieux discerner, région par région, l’évolution du climat. Météo - Le magazine - N°7 - 21 - 3_ Atmogramme pour un vignoble de la Gironde, du 26 juin à 8 h au 29 juin à 20 h. 1_ Catalogue des produits de la Climathèque. De la mesure ponctuelle d’un paramètre météorologique aux produits statistiques les plus élaborés, la Climathèque de Météo-France s’affiche comme la « mémoire du climat » de notre pays. a. 2_ Prévision probabiliste. Courbes et tableaux indiquent les probabilités que les températures mini et maxi soient supérieures ou inférieures à certains seuils définis par les curseurs, au cours des six prochains jours. Des outils pour L’AGROMÉTÉOROLOGIE Du temps qu’il a fait aux prévisions à longue échéance, l’agriculture fait appel à toutes les formes d’information météorologique. Le temps passé, la « mémoire du climat », c’est l’affaire de la Climathèque [1]. Ce service met à la disposition de tous l’ensemble des mesures météorologiques faites en France, métropole et outre-mer, depuis plus de 150 ans pour certains postes. L’agriculteur y trouvera également des produits élaborés tels que des fiches climatiques, les réserves en eau des sols, l’évapotranspiration potentielle (ETP), le « bulletin irrigation », les fréquences de dépassement de seuils de précipitations, des durées de retour des précipitations exceptionnelles… En matière d’hydrologie, Météo-France a développé depuis peu la « lame d’eau Antilope » [4]. Fusionnant les données issues des radars météorologiques et des pluviomètres, cet outil permet de connaître, kilomètre-carré par kilomètre-carré, la quantité d’eau tombée au cours d’une période déterminée (l’heure précédente, la journée, la semaine…). S’agissant du temps prévu, « l’atmogramme » [3] reste l’outil le plus répandu. Disponible pour chaque point de grille du modèle, il détaille pour les jours à venir le temps, la température, l’humidité, le vent, les précipitations, sous forme de courbes et de symboles. Plus nouveau, la prévision probabiliste [2]. - 22 - Météo - Le magazine - N°7 Courbes et tableaux indiquent pour les jours à venir la probabilité pour que tel paramètre (température, précipitation, vent) soit supérieur ou inférieur à un seuil fixé par l’utilisateur. S’agissant d’un outil internet interactif, le client peut tout à loisir modifier les seuils en déplaçant un curseur. Pour ceux qui préfèrent une information accessible immédiatement, le bulletin d’avertissement météorologique [5] s’impose. Des plages de couleurs indiquent, selon un code évident, la possibilité ou non d’effectuer une tâche particulière au cours des jours à venir. Les règles qui conduisent à définir la couleur de la période en fonction des paramètres météo prévus sont définies en accord avec le client. Une relation étroite entre les spécialistes de Météo-France et leur client aboutit parfois au développement d’un service spécifique. C’est le cas de « Météovigne », un service destiné aux exploitants viticoles les plus exigeants. Le service rassemble une prévision adaptée au site et aux critères de décision de l’exploitant, un accès au prévisionniste départemental, la prise en charge d’une station météorologique locale et une application « web » particulièrement novatrice. Sa particularité est d’associer la base de données météorologiques (précipitations, température, humidité, vent, mesurés par une station implantée sur le domaine viticole) à une base de stades phénologiques de la vigne. Ce sont, pour chaque année, les dates des principaux états de la vigne et du raisin (25 états pris en compte par le logiciel), depuis le gonflement des bourgeons jusqu’à la fin de la chute des feuilles, informations fournies par l’exploitant. Ce croisement des bases de données permet de comparer l’année en cours avec les années précédentes tant du point de vue climat que développement de la vigne et d’en déduire les caractéristiques de la production à venir. Tous ces produits sont accessibles soit directement par le site internet de MétéoFrance (www.meteofrance.com, cliquer sur Climathèque ou sur Agriculture dans le pavé Espace Pro) ou, plus généralement, par l’intermédiaire d’un site « extranet » élaboré spécifiquement pour le client. Enfin, Météo France travaille également avec de grands organismes du domaine agricole sur les impacts possibles du changement climatique : déplacements des cultures, évolution des rendements, résistance des différentes espèces… Des prestations sur mesure menées sous forme d’études. 4_ Grâce à la « lame d’eau Antilope », le prévisionniste connaît kilomètre-carré par kilomètre carré, les quantités d’eau tombée. a. Cumuls d’eau du 1er au 29 juillet 2009. b. Cumuls d’eau en 24 heures du 7 au 8 juillet 2009 sur les départements d’Île de France. Pixels de 2,5 km. b. 5_ Bulletin d’avertissement météorologique indiquant les périodes favorables ou non à une tâche au cours des jours à venir. Météo - Le magazine - N°7 - 23 - On ferme en hâte les fenêtres de la salle Olivier Berrouet Plus que de raisin En prenant la succession de son père à la direction de Pétrus, mythique vin de Pomerol, Olivier Berrouet s’affirme comme l’un des œnologues les plus en vue. Rencontre avec un vinificateur pour qui le vin est non seulement affaire de science, mais aussi de sensibilité et d’harmonie. Texte et photos Laurent Charpentier - 30 - Météo - Le magazine - N°7 de dégustation. La pluie dense, violente, flagelle les feuilles, martèle l’argile de la vigne. Sur les vitres, le crépitement se fait plus sec, aigu : de la grêle, tant redoutée des viticulteurs ! Heureusement, l’orage s’éloigne vite. Olivier Berrouet vient à ma rencontre. « Il n’y a eu que quelques grêlons, c’est donc sans conséquences. Nous étions surtout inquiets hier soir, à la lecture des bulletins de vigilance orange ! » Jeans, chemise de coton, godasses tout-terrain. Le jeune – 31 ans – directeur de Pétrus a l’allure simple et ouverte d’un homme d’action. Pour notre entretien, il choisit un endroit calme : l’entrepôt abritant les barriques de chêne tout juste soufrées. « Vous n’êtes pas allergique ? » Non, juste très curieux de mieux connaître le maître d’œuvre du légendaire Pétrus, pomerol dont la splendeur et la rareté en font un vin de grand luxe. « Tout le mystère, tout l’intérêt de Pétrus, c’est d’abord son sol. Si vous mettez la même équipe ailleurs, elle ne pourra jamais faire le même vin. » Les 11,5 hectares du domaine sont plantés sur des argiles noires et bleues qui alimentent la vigne en eau de façon constante, même en cas de sécheresse. Les châteaux alentour – Petit Village, L’Évangile, La Conseillante, Gazin – ne bénéficient pas des mêmes terres. « Leurs directeurs sont à peu près de ma génération, et on s’entend très bien. Pas de concours entre nous, mais de la curiosité, de l’échange technique. C’est un enrichissement permanent parce que personne ne détient la vérité. » En prenant, en janvier 2008, la direction de Pétrus et ses sept employés, Olivier succède à son père, Jean-Claude Berrouet, vinificateur mondialement respecté pour l’élégance de ses vins, son enthousiasme et sa discrétion érudite. « Il ne nous a jamais poussés à suivre les mêmes voies que lui, explique Olivier, dont le frère Jean-François s’occupe du Vieux Château Saint-André, le vignoble familial. Notre père nous a transmis ses passions sans nous les imposer. Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant “ tiens, je vais faire du vin ”. C’est venu naturellement. » Enfant, il jouait dans les marcs de raisin. Plus tard, les deux frères ont goûté au vin « sans tabou vis-à-vis de l’alcool », le breuvage devenant à table prétexte à discussions, à l’expression de leur ressenti. « On a été éduqué à boire des vins qui ont beaucoup de charme. La philosophie de mon père est de faire des vins avec de l’équilibre, de la longueur et surtout une grande “ buvabilité ”. La notion de plaisir est fondamentale. Le plaisir n’est pas forcément dans le quantitatif ou dans le paraître. Il est dans des choses plus complexes, plus fines, plus élégantes. » Diplôme d’ingénieur agronome en poche, Olivier Berrouet part en Australie, parce que c’est un rêve de gosse et pour travailler dans une winery… Lui qui connaissait les domaines de taille modeste se trouve confronté à l’industrie du vin. Au diable la subtile recherche des saveurs ! L’entreprise vinicole qui l’accueille produit 40 millions de bouteilles par an (Pétrus : environ 32 000) avec un process à respecter. « C’était passionnant à voir. On oublie que dans le monde, une grande majorité du vin est fabriqué comme çà, en relation directe avec les gens du marketing. Si la mode de l’été en Grande-Bretagne est tel type de vin avec tant de couleur, de sucre, d’acidité et de tanin, on le fabrique ! Explique-til. Ce ne sont pas de mauvais produits, mais ils sont standardisés et répondent à une attente. Dès lors il n’y a plus de surprise. » De retour sur son terroir, le jeune homme obtient son diplôme national d’œnologue, puis entre chez Cheval Blanc et Yquem, deux grands crus du bordelais, après un passage chez Romanée-Conti, le plus célèbre des vins de Bourgogne… Aux antipodes de la production industrielle, Berrouet retrouve la haute couture, la délicate recherche d’un équilibre dans la structure du vin, ses arômes, son onctuosité. « En vinification, il faut avoir en tête un idéal de vin, un idéal d’harmonie. Ce n’est pas parce qu’un morceau de musique a plus de notes qu’il est plus agréable à entendre. Pour le vin c’est la même chose. Ce n’est pas parce qu’il y a une quantité de matière plus importante qu’il va être plus agréable à boire. » Olivier Berrouet gère le vignoble, le travail quotidien sur les sols, la plante, de la taille à la vendange. Il parle sans ostentation, avec la clarté d’un ingénieur maîtrisant son sujet. Son vin est dégusté par une élite fortunée ; lui, garde une réserve courtoise, comme un marin, sachant que la nature décide toujours. « Faire du vin, c’est essayer de raconter une histoire. L’histoire d’un sol, d’un lieu donné pour un millésime donné. Nous cherchons à maintenir un niveau qualitatif constant avec un vin qui est différent d’une année sur l’autre. C’est souvent ce que les Anglo-Saxons ont du mal à comprendre : ce n’est pas parce que le goût du vin évolue que la qualité n’est pas là. » Il m’explique que le vin est formé de plus de 1 000 composés chimiques, que l’alchimie des arômes qui se crée dans la baie de raisin avant la récolte ne se maîtrise pas, qu’il n’y a pas de recette pour faire un bon bordeaux, que malgré les procédures analytiques et scientifiques qui guident l’œnologue, la sensibilité est fondamentale : c’est en goûtant le raisin ou le vin en cours d’élaboration que les décisions se prennent. Sa passion pour la vigne est canalisée par son savoir, mais il trouve toujours du plaisir à goûter un bon vin. Olivier Berrouet a pratiqué le rugby (« je n’étais pas très bon, mais passionné »), aime la chasse et s’intéresse à la tauromachie. Pour lui, préserver sa bande d’amis est essentiel, tout comme les liens quasifamiliaux qui l’unissent à la maison de négoce Jean-Pierre Moueix, propriétaire de Pétrus. « Je suis la deuxième génération à travailler avec eux. J’y suis très bien. Ils attachent beaucoup d’importance aux valeurs humaines, à la transmission, à la continuité, idées que je partage. » Nous nous aventurons hors des chaix, pour une photo dans les vignes. L’argile noire colle aux chaussures. Une nouvelle averse approche. Pour le directeur de Pétrus, la météo est une obsession. « La vigne et le vin sont révélateurs d’une climatologie donnée. Les travaux d’une année ne seront pas répétés l’année suivante. On est en constante adaptation, parce que la réponse du végétal aux conditions climatiques varie d’une année sur l’autre. Notre travail est constamment remis en question. Grâce aux prévisions, on peut anticiper certaines tâches, mais la météo, on la subit. » Météo - Le magazine - N°7 - 31 -