Insertion et accès à l`emploi de publics toxicodépendants

Transcription

Insertion et accès à l`emploi de publics toxicodépendants
Insertion et accès
à l’emploi de
publics toxicodépendants
Analyse d’un
programme transnational
Olivier Maguet et Christine Caldéron
Introduction de Philippe Lagomanzini
Le point de vue de Jean-Pierre Couteron et de Claude Fosset
SOMMAIRE
INTRODUCTION de Philippe Lagomanzini ...............................................................................Page 2
PREMIÈRE PARTIE :
Insertion et accès à l’emploi de publics toxicodépendants
Cinq contextes et cinq projets ......................................................................................................Page 10
Présentation d’Equal 2 et de son déroulement
- La genèse de l’Accord de Coopération Transnationale 2005-2008
- Le programme Equal 2
- Déroulement des activités transnationales
Les programmes nationaux dans leur contexte
- Portugal,..................................................................................................................................................Page 14
- Lituanie,...................................................................................................................................................Page 20
- Italie, .........................................................................................................................................................Page 24
- Grèce, .....................................................................................................................................................Page 28
- France,. ...................................................................................................................................................Page 32
SECONDE PARTIE :
Leçons de ces expériences et de la coopération transnationale ............................Page 38
- Premières leçons à partir de l’analyse des projets nationaux
Déroulement des activités Transnationales ............................................................................Page 49
- Le regard des porteurs de projets sur le volet transnational ......................................Page 55
TROISIÈME PARTIE OU LETTRE PERSANE :
Les enjeux autour de l’insertion professionnelle
des usagers de drogues en France...........................................................................................Page
65
LE POINT DE VUE de Jean-Pierre Couteron et de Claude Fosset .............................Page 70
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................Page
1
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INTRODUCTION
Philippe Lagomanzini
Equal est un programme européen de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances face
à l’emploi. De nombreuses populations sont concernées. Parmi celles-ci, les usagers problématiques de
drogues, et tout particulièrement d’opiacés, constituent une catégorie à hauts risques d’exclusion sociale.
Les politiques de réduction des risques et les traitements de substitution accessibles dans la majorité des
pays européens, depuis une dizaine d’années, ont amélioré les possibilités de leur insertion sociale.
Néanmoins, les représentations sociales des drogues et des usagers de drogues, qui génèrent souvent une
perception très négative de ces personnes, n’ont généralement pas favorisé leur accès à la formation et
à l’emploi. C’est autour de cette problématique que cinq porteurs de projets se sont rencontrés à partir
de la base de données commune Equal, lors de l’appel à projets du Fonds Social Européen, et que nous
avons signé un accord de coopération, sans bien comprendre, dans ce premier temps, qui nous étions
les uns, les autres.
L’équipe lituanienne était engagée, sur une initiative du maire de Vilnius, dans la création d’un restaurant
végétarien formant et employant des ex-usagers de drogues.
Ce projet reposait sur une approche pragmatique des besoins liés au tourisme généré par l’entrée de
la Lituanie dans l’Union européenne qui a eu pour autre conséquence le départ des professionnels
de l’hôtellerie vers d’autres pays européens.
Caldas da Rainha est une charmante ville au nord de Lisbonne. D’anciens thermes jadis fréquentés par
les têtes couronnées d’Europe s’étaient reconvertis dans l’accueil d’écoles d’art. Atelier Arte e Expressão,
notre partenaire portugais, y développait un programme de sensibilisation et de formation à des métiers
artistiques, ouvert à d’ex-usagers de drogues.
Forcoop, une coopérative sociale italienne prévoyait la formation d’ex-usagers à des métiers d’artisanat,
tels que la céramique, menacée par les progrès de l’industrie, et la mise en réseau d’artisans de la région
des Abruzzes, pour l’accueil et l’emploi de ces publics.
A Créteil, Drogues et Société, notre propre organisation, tentait, au travers de programmes de redynamisation
et de formation, de favoriser l’accès à l’emploi de publics encore mal stabilisés dans leurs traitements.
Okana, notre partenaire grec, était en charge d’un projet de dimension nationale, dans le cadre d’une
mission confiée par le gouvernement. Le projet consistait à créer des centres de soins pour la délivrance
de traitements de substitution et à mettre en réseau des entreprises pour favoriser l’accès à l’emploi de
publics ex-toxicodépendants.
En janvier 2005,nous avons rédigé un accord de coopération,à partir de mails et d’échanges téléphoniques,
par lequel notre équipe a été chargée du secrétariat transnational.
Quelque temps plus tard, à Rome, lors de notre première rencontre transnationale, il s’est agi de comprendre
ce que chacun mettait derrière les mots que nous avions échangés pour construire notre accord.
Et des mots, il y en avait. Ils fusaient, en italien, en portugais, en anglais, en grec ou en français….
Seuls nos partenaires lituaniens paraissaient plus réservés que la majorité des participants méditerranéens.
Ils venaient pour la première fois en Italie… et c’est un pays où l’on parle beaucoup.
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Cette question de savoir ce que nous mettions derrière nos mots s’est posée de façon encore plus prononcée
lorsque nous avons parlé de nos publics.
Que signifiait toxicodépendant, toxicomane, ex-toxicodépendant en traitement de substitution, rechute ?
Un toxicodépendant en traitement de substitution devait-il être encore considéré comme un toxicodépendant
ou déjà comme un ex-toxicodépendant ? Comment concevait-on le soin ? En structure résidentielle, en
ambulatoire ? Avions-nous des protocoles précis ? Lesquels ? Il nous fallait vérifier et re-vérifier les propos de
chacun.Très vite s’est imposée la nécessité d’un glossaire qui a été élaboré par nos partenaires portugais et nous
a permis de disposer d’une base commune. Puis, est apparu le besoin d’une grille de lecture de nos différents
contextes nationaux. Chacun s’est engagé à l’alimenter et cela fut fait.
Qu’avons-nous appris ?
En Italie, les coopératives sociales, nées d’initiatives citoyennes au début des années soixante-dix, permettent
l’emploi de milliers de personnes en difficulté, dont les ex-toxicodépendants.
En Grèce, l’Etat soutient une très importante campagne de sensibilisation afin de modifier l’opinion publique,
et en particulier l’attitude des entreprises ainsi que des programmes de formation de formateurs dont les
compétences doivent s’adapter à des besoins de publics différents de ceux habituellement en insertion.
Au Portugal, l’institut de l’Emploi et de la Formation Professionnelle a mis en œuvre le projet Vida e Emprego
qui a permis l’accès à l’emploi de plusieurs centaines d’ex-usagers ou usagers en traitement. Le fait d’être en
traitement ne peut en aucun cas exclure de l’accès à l’emploi si le contrat de travail est respecté.
En Lituanie, l’Etat envisagerait de démultiplier l’expérience engagée à Vilnius selon les résultats qu’elle
produirait et d’adapter les lois pour l’accès à l’emploi de catégories désavantagées en inscrivant les publics
toxicodépendants parmi ces catégories, favorisant ainsi leur embauche par l’exonération de charges
sociales.
En France, de nombreuses initiatives existent en direction de publics en difficulté, à partir du droit commun
et des programmes départementaux d’insertion en charge de l’attribution de minima sociaux.
Elles peuvent concerner les sortants de prison, les chômeurs longue durée, les migrants, les handicapés…
catégories auxquelles peuvent également appartenir les usagers de drogues. Mais les plus précarisés
se trouvent généralement exclus de ces initiatives.
Suite à la réalisation de ce travail sur nos différents contextes nationaux, et afin de mieux comprendre nos
différents projets, d’observer leurs évolutions, de mieux nous connaître, nous avons programmé cinq
séminaires. Cela devait permettre aussi à chacun de visiter les projets de tous les états membres et à
chacune des équipes de faire connaître ses partenaires transnationaux à ses propres réseaux locaux et
nationaux.
Ces séminaires ont été assortis de missions d’étude, de stages et de participations à des conférences.
Il apparaissait essentiel de confronter nos pratiques, de comparer nos méthodologies, d’observer ce qui
pouvait être transférable.
Nous avons également réalisé certains échanges bilatéraux afin de mieux nous immerger dans la réalité de
nos partenaires et d’y associer les publics participant à nos programmes.
Ces échanges nous ont renforcés dans le défi de faire entendre que les publics toxicodépendants souffrent
bien plus des conséquences sociales, sanitaires et judiciaires ainsi que de l’exclusion associées à l’usage
de drogues que des risques directement liés à cet usage.
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Idriss Kathrada, en charge de l’assistance technique régionale en Ile-de-France, nous avait vivement
incité, et nous l’en remercions, à travailler en ne perdant jamais de vue deux aspects : comment se
construit la transnationalité ? Et quel est son impact dans chacun des états membres ?
En ce qui concerne la première question, je crois que la réponse est assez simple. Il est entendu qu’une
certaine rigueur est nécessaire en ce qui concerne l’organisation des réunions et la communication entre
les porteurs de projets mais c’est aussi par la proposition de moments conviviaux et d’échanges informels
que la transnationalité se construit. Ces moments et ces échanges ont été nombreux.
La seconde question concernant l’impact de nos échanges dans chacun de nos projets était plus
complexe. Elle ne pouvait être traitée qu’après avoir mieux défini nos modèles et fait le bilan de nos
avancées et des difficultés que nous rencontrions.
Il s’agissait tout d’abord, au fil de nos rencontres, d’explorer ce sur quoi reposent nos modèles de
formation et nos dispositifs d’insertion, sur quelles valeurs implicites ? Ainsi, par exemple, comment
appréhendions-nous et valorisions-nous les compétences liées aux parcours de vie de nos publics ?
En France, nous avons tendance à évoquer le travail comme un devoir et sous forme d’injonction… Alors
que l’état du marché de l’emploi et les minima sociaux cumulés n’incitent guère à rechercher du travail.
En Italie, le travail est au contraire évoqué comme un droit de participation sociale… ce qui traduit là une
véritable conception politique de l’intervention auprès de populations en situation d’exclusion. Cela a
beaucoup frappé notre équipe et nos partenaires. C’est là, un exemple d’impact qui peut modifier notre
trajectoire.
Notre séminaire en Italie a été accompagné par Paula Marques et Hélène Bézille, et alors que nous
évoquions ce en quoi consistait la transnationalité pour chacun de nous, " Expérience partagée dans la
durée ", " apprentissage collectif ", " espace temps d’échanges informels "…, est apparue une nouvelle
perspective.
Le fait que le projet italien San Giuseppe n’ait pu s’engager comme il avait été prévu à permis de
poser clairement certains problèmes qui jusqu’alors n’avaient été exprimés que très timidement et
généralement lors d’échanges interpersonnels.
L’enjeu était important. Il s’agissait de considérer collectivement une situation difficile et d’en dégager les
éléments susceptibles de la dépasser, voire de la résoudre.
La transnationalité ouvrait là " un espace temps intermédiaire ", une " zone franche " où il était possible
de réfléchir, confronter, élaborer une analyse critique de nos dispositifs, " plus facilement qu’on ne peut
parfois le faire en interne ". Et cela devait être capitalisé.
Au vu des difficultés de partenariat entre les membres de l’équipe italienne, nous avons également pu, les
uns et les autres, revisiter les partenariats établis dans chacun de nos projets entre acteurs du soin et
acteurs de l’insertion et mettre en commun les difficultés rencontrées.
Lors de nos séminaires, nous avons pu comprendre que nous ne ciblions pas tout à fait les mêmes publics.
Nous l’avons vérifié " in situ ", avec Viviana Guerra Taha,Vicki Meletakos, Paula Proença, Lorenza Piarulli ou
Reda Sutkuviene, lorsque les stagiaires de nos différents dispositifs d’aide à l’insertion se sont rencontrés,
à Caldas da Rainha, Pescara ou Paris.
Pour les équipes lituaniennes et italiennes, il s’agissait de publics abstinents et ayant terminé leur traitement
méthadone.
Pour l’équipe grecque, le profil initial était le même. Puis, au fil du temps, il a été décidé d’intégrer dans
le programme des publics encore en traitement.
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Pour les équipes portugaises et françaises, le profil était un peu plus imprécis puisque les dispositifs mis en
place ont pour objectif l’accueil de personnes en traitement, encore mal stabilisées parfois, ou abstinentes
depuis peu.
Mais quel que soit le profil ciblé, il est apparu fondamental qu’il y ait une parfaite concertation entre
les équipes en charge de la formation ou de l’insertion et les équipes en charge du suivi médical et
psychologique.
Cette concertation s’avère difficile dans bien des cas, ce qui handicape alors l’activité de recrutement
ainsi que celle d’accompagnement et d’orientation des publics.
Les raisons de ces difficultés sont multiples. Elles peuvent être liées au fait que :
- les centres de soins considèrent que les questions liées à la prise en charge tant médicale que sociale des
usagers et ex-usagers de drogues sont de leurs seules compétences.Cela a longtemps été particulièrement
vrai en France, mais semble également l’être en Italie où les usagers se voient ainsi exclus des dispositifs de
droit commun et systématiquement renvoyés aux seuls spécialistes en addictologie,
- les centres de soins ainsi que les communautés thérapeutiques ont besoin pour leur propre survie
économique de maintenir leurs files actives.
D’autres aspects sont à souligner.
Si dès nos premières rencontres, nous avions pu établir que nos différents projets devaient se confronter
aux représentations que la société et les entreprises pouvaient avoir des publics toxicodépendants, nous
avons également pu, au fil du temps, considérer les représentations à l’œuvre au sein de nos propres réseaux
socio-sanitaires.
Je dois avouer que j’ai longtemps eu bien du mal à imaginer nos propres patients autrement qu’assis
dans nos salles d’attente, nous posant ainsi moins de problèmes que quand ils se mettaient en tête de nous
demander de les aider à trouver un emploi.
Je crois avoir compris aujourd’hui que l’accompagnement social, l’aide à l’élaboration d’un projet de vie,
l’aide concrète à la reconstruction de liens, dans une perspective de participation, voire de transformation
sociale, peut produire bien plus d’effets thérapeutiques pour des publics en grande difficulté que les seules
réponses médico-psychologiques insuffisamment adaptées aux multiples problèmes liés à l’exclusion sociale.
Le soin et l’insertion doivent être articulés étroitement.
Nous avions ainsi fait ensemble pas mal de chemin lorsqu’en mars 2007,Chrissoula Banou,Nancy Aguilera-Torres
et moi-même, nous sommes penchés sur ce que l’on avait recueilli au fil de deux années très rapidement
passées : des synthèses de séminaires, des rapports de séjours d’étude, des photographies…. De nombreuses
données nous manquaient encore. Lors de précédentes collaborations européennes, Marine Zecca
écrivait, à propos des opportunités liées à la transnationalité, qu’il ne devait pas s’agir de constituer une
énième banque de données mais bien davantage de s’engager dans une démarche de " fertilisation
croisée ", en position de " veille politique ". Il nous fallait aller en ce sens.
Nous avions rencontré Christine Caldéron et Olivier Maguet depuis peu,par l’intermédiaire de Isabelle Jeannès
de la Mission Prévention de la Ville de Paris.
Leur connaissance de notre champ d’intervention et leur vigilance, notamment quant au rôle des
usagers de drogues dans l’élaboration de programmes les concernant, nous ont immédiatement conduits
à faire appel à eux. Nous leur avons demandé de revisiter nos cinq projets et de nous aider dans
l’analyse de nos différentes expériences.
Ils nous ont accompagnés bien au delà, dans la découverte de nouvelles perspectives à la lumière
desquelles nous pourrons reconsidérer nos pratiques. Cela fut un véritable plaisir de travailler avec eux.
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Propos introductifs
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Sigles et terminologie
Liste des sigles utilisés
ACT
ANITEA
ANPE
CAARUD
CAT
CRI
CSAPA
CSST
DATIS
MILDT
OEDT
PDD
PDI
RDR
RMI
SERT
TSO
VCAD
Accord de Coopération Transnationale
Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie Et Addictologie
Agence Nationale Pour l’Emploi
Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques des Usagers de Drogues
Centro de Atendimento a Toxicodependentes
Centres de Réponses Intégrées
Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie
Centre de Soins Spécialisés en Toxicomanie
Drogues Alcool Tabac Info Service
Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie
Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies
Partenariat de Développement
Programme Départemental d’Insertion
Réduction des risques
Revenu Minimum d’Insertion
SERvizio Tossicodipendenze
Traitement de Substitution aux Opiacés
Vilnius Center for Addictive Disorders
Note sur la terminologie
Le mot " toxicodépendant " apparaît fréquemment tout au long de ce rapport. Assez peu courant
dans les usages des professionnels français, il est en revanche la traduction du mot souvent employé
par les partenaires européens de ce programme . Pour assurer une cohérence avec les autres documents
produits dans le cadre d’Equal, ce terme sera donc utilisé, afin de qualifier les personnes ayant ou ayant
eu une dépendance à un produit psychoactif, licite ou illicite, médicament (traitement de substitution
aux opiacés) ou non, quels que soient les modes de consommation, les contextes d’usage, les conduites
associées à ces consommations ainsi que les effets recherchés.
Dans cette acception, le mot " toxicodépendant " peut ainsi recouvrir communément les expressions
" usager de drogues ", " toxicomane ", " personne souffrant d’un trouble addictif ", " personne en traitement
de substitution ", sans renseigner pour autant sur les aspects qualitatifs de cette dépendance.
Ce choix se justifie d’autant plus que cela permet de traduire de façon appropriée, uniquement
d’un point de vue pharmacologique, une situation qui a fait l’objet de débats au cours du programme :
la perception qu’ont certains partenaires des personnes suivant un traitement de substitution
aux opiacés dans un cadre thérapeutique clair (prescription médicale, délivrance contrôlée, prise en
charge globale).
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La commission européenne a lancé, pour la période 2000-2008, un vaste programme de lutte contre
toutes formes de discrimination et d’inégalité dans la sphère du travail et de l’emploi : le programme
EQUAL. Ce programme, qui est géré par le Fonds social européen (FSE), permet de développer des actions
innovantes et des expérimentations pour faciliter l’accès et le maintien dans l’emploi des publics qui
subissent des discriminations en raison des situations suivantes : le handicap ou les pathologies
invalidantes, le genre, l’usage de drogue, l’orientation sexuelle, l’origine géographique, etc.
Les actions éligibles se doivent d’être innovantes et transnationales, l’objectif étant, au terme de chaque
projet, de pouvoir tirer les enseignements de l’expérimentation dans différents pays de l’Europe, pour
permettre la production d’outils et de méthodes conjoints sur une problématique commune.
Cette démarche vise à garantir la diffusion et la généralisation de ces expérimentations.
Ainsi, le programme EQUAL réunit plusieurs projets dans différents pays européens ; au sein de chaque
projet national, l’action doit être portée par un porteur principal du projet allié à des partenaires. Donc,
il existe à la fois un partenariat national entre les porteurs du projet (appelé " partenariat de développement ",
PDD) et un accord de coopération transnationale (ACT) entre les différents projets nationaux impliqués
sur un même objectif.
Les projets financés par le FSE obéissent tous à une même logique de mise en œuvre, en trois actions :
- l’action 1 est une phase d’ingénierie et de finalisation du projet et des partenariats nationaux et
transnationaux,
- l’action 2 est la phase des expérimentations nationales et de la coopération européenne,
- l’action 3, enfin, est la phase de valorisation et de diffusion des résultats.
Deux appels à projet se sont succédés : EQUAL 1 sur la période 2001-2004 et EQUAL 2 sur la période
2005-2008.
Le présent rapport a pour objectif de dresser un bilan des expérimentations nationales et du volet
transnational de l’accord noué entre cinq partenaires européens dans le cadre du programme EQUAL 2.
Une première partie, constituée des deux premiers chapitres, dresse les éléments de contexte nécessaires
à la compréhension de cet ACT. Le premier chapitre propose un rappel de la genèse de cette
coopération transnationale entre les cinq porteurs de projet ainsi qu’une présentation de la dynamique
qui fut à l’œuvre pour animer le volet transnational. Le second chapitre apportera au lecteur une vision
d’ensemble des cinq projets nationaux, présentés pour chacun d’entre eux dans son contexte national
respectif, et avec les résultats au terme de l’expérimentation. Dès cette étape, des questionnements
propres à chacun des cinq projets apparaissent, questionnements qui fournissent d’ores et déjà matière
à réflexion pour toute organisation qui souhaiterait s’investir dans le champ de l’insertion professionnelle
des toxicodépendants.
La seconde partie de ce rapport permettra de formuler les leçons apprises, en particulier du point de vue
de la transnationalité. Ces leçons apprises répondent à l’objectif assigné à ce type de projets, à savoir :
outiller les futurs acteurs désireux de s’impliquer dans la thématique qui a fait l’objet de l’expérimentation.
Le troisième chapitre s’attachera à analyser les leçons apprises des projets nationaux tandis que le
quatrième chapitre s’intéressera plus au volet transnational, à partir des analyses faites par les porteurs
de projets.
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Enfin, puisque le dernier séminaire transnational entre partenaires du projet a été organisé à Paris et s’est
poursuivi avec un colloque ouvert aux acteurs français impliqués dans la prise en charge des addictions,
une troisième partie s’adresse plus particulièrement à ces acteurs français. Elle fait volontairement écho à
l’étonnement de Uzbek et Rica, nos deux amis persans qui, au début du XVIIIe siècle, sous la plume
de Montesquieu, découvrent un pays inconnu, la France, et font part, au travers de relations épistolaires,
de leurs étonnements et commentaires sur un environnement qui leur est inconnu. A l’aube du XXIe siècle,
un observateur extérieur pourrait être saisi du même étonnement quant aux insuffisances et aux retards
dans la question particulière de l’insertion professionnelle des usagers de drogues en France.
*
* *
La rédaction de ce document a été confiée à Christine Caldéron et Olivier Maguet (CCMO Conseil), qui
ont rejoint l’équipe de partenaires et prestataires en avril 2007, c'est-à-dire alors que la programmation était
largement mise en chantier : l’objectif général avait été défini dans l’accord transnational signé en janvier
2005 et les axes opérationnels avaient été précisés par les partenaires lors d’une réunion à Rome en mars
2005. Entre temps, quatre des cinq séminaires transnationaux initialement prévus avaient été réalisés. Enfin,
tous les projets nationaux étaient engagés.
Cette précision nous conduit à préciser la méthode utilisée pour l’analyse, qui a reposé sur quatre axes de
recueil de données :
- La lecture des documents produits à l’occasion des rencontres transnationales ou relatifs à l’accord
transnational, dont la synthèse du premier séminaire transnational (Paris, décembre 2005) et
les cinq numéros du " bulletin de l’accord transnational de coopération " (octobre 2005, janvier 2006,
juin/juillet 2006, août/décembre 2006 et janvier/juillet 2007) ; ces documents ont été réalisés par Nancy
Aguilera-Torres et Ludovic Grellier de Drogues et Société,le partenaire français en charge du secrétariat
de l’ACT ; cette mission de secrétariat fut fortement investie dans une perspective de multiplication
des échanges transnationaux et de productions communes.
- Des missions dans chacun des projets nationaux, avec à chaque fois le souci de rencontrer les porteurs
du projet ainsi que les partenaires et les bénéficiaires.
- Des réunions avec Philippe Lagomanzini,directeur de Drogues et Société ; ces réunions ont accompagné
la préparation et la réalisation des missions, ainsi que l’avancée de l’analyse et la rédaction de ce
document.
- La préparation et l’animation du dernier séminaire transnational, qui s’est tenu à Paris en mai 2008.
La présentation des contextes nationaux a été l’objet d’une première rédaction de l’ensemble des
porteurs de projets, puis a été enrichie de données de l’Observatoire Européen des Drogues et
des Toxicomanies, ainsi que de larges extraits des travaux d’Alain Labrousse, auteur du Dictionnaire
géopolitique des drogues. Cette présentation a été complétée par les auteurs, à partir de leurs propres
données et de celles qu’ils ont recueillies sur les différents terrains.
Il s’agit donc d’un regard à la fois " dedans " et " dehors ", tant dans le temps où ce regard a été porté,
que dans la façon dont il a été porté.
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PREMIERE PARTIE
INSERTION ET ACCES
A L’EMPLOI DE PUBLICS
TOXICODEPENDANTS
CINQ CONTEXTES
ET CINQ PROJETS
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CHAPITRE 1
PRESENTATION D’EQUAL 2 ET DE SON DEROULEMENT
1. La genèse de l’Accord de Coopération Transnationale 2005-2008
Une première expérience de partenariat avec EQUAL 1
Un premier ACT dans le cadre du programme EQUAL 1 avait été conclu pour la période 2001-2005 entre
Drogues et Société (France), Solcoroma (Italie) et Okana (Grèce), tous trois porteurs de projets nationaux.
Ce premier ACT a été conclu par une conférence de résultats organisée à Paris en décembre 2005 et a fait
l’objet de la publication d’un livret.
Sans attendre la fin de ce premier programme EQUAL,ces trois organisations avaient souhaité poursuivre leurs
actions et élargir le partenariat à d’autres pays, en prévision du lancement du programme EQUAL 2 par
la commission européenne.
Mais seules deux d’entre elles ont été retenues (Drogues et Société et Okana), les autorités instructrices
italiennes ayant en effet rejeté le projet présenté par Solcoroma. Les partenaires se sont alors tournés vers un
autre projet italien, porté par Forcoop, coopérative sociale de Pescara. Enfin, deux autres projets nationaux
ont rejoint ce noyau de partenaires : la Lituanie et le Portugal. Les projets portés dans ces deux pays ont été
identifiés par le biais de la base de données des projets EQUAL.
Ces cinq projets nationaux ont signé un accord de coopération transnationale en janvier 2005, après la
conférence de résultats EQUAL 1.
Les enseignements de la conférence de résultats EQUAL 1
Au-delà des échanges entre les trois projets nationaux, la conférence de résultats de décembre 2005 a mis
en avant le travail d’évaluation réalisé par Drogues et Société sur son dispositif de formation des publics
toxicodépendants Cette évaluation pointe des questions et des problématiques qui seront récurrentes tout
au long de EQUAL 2, à savoir :
- la question des compétences : elle semble particulièrement difficile à envisager dans la mesure où,
dans le champ des addictions, elle relève de " territoires aux contours incertains ". Cette incertitude invite
à sortir de sa structure, à mobiliser un réseau auquel on n’est pas habitué, y compris de façon informelle.
- Le sens de la formation : les formations qui sont proposées répondent-elles à une fonction occupationnelle,
de socialisation ou de qualification ?
- Le vécu de la formation par les bénéficiaires : du point de vue des usagers de drogues bénéficiaires de
cette formation, cette dernière semble provoquer de nombreux questionnements qui peuvent avoir un
effet anxiogène.
- L’adaptation des modalités et des contenus de formation : en raison même du profil des publics concernés
(personnes ayant une trajectoire dans la toxicomanie, c'est-à-dire une expérience de vie fragilisante
au regard de la santé et des différents aspects de la vie sociale – famille, travail, emploi, etc.), il convient
de concevoir des aménagements et des ajustements dans les contenus et les programmes ainsi que de la
souplesse dans la mise en œuvre.
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- L’importance des partenariats tout au long du programme : le partenariat initial est bien sûr une
condition nécessaire au développement d’un tel projet de formation ; mais elle n’est pas suffisante en
tant que telle : car au-delà de ce pré-requis formel, il convient de garantir une implication réelle de ces
partenaires qui soit en mesure de favoriser l’évolution des représentations et la construction d’une
approche commune ; cette préoccupation est illustrée par le comité de suivi du projet de Drogues
et Société : ce comité réunit les partenaires dans un lieu de partage et d’apprentissage collectif et,
ce faisant, garantit une implication des partenaires tout au long du projet (et non pas seulement dans
l’une ou l’autre de ses phases essentielles, dont celle du lancement) ; le comité de suivi participe
aussi certainement à changer l’institution, car c’est un lieu qui permet à ses membres de travailler sur les
représentations des usagers de drogues.
- L’accompagnement post-formation. Rappelons que cette analyse portait sur un dispositif dans lequel
" la formation était envisagée comme une pause dans un espace protégé, l’occasion de reconsidérer
un mode de vie, sans se sentir mis en danger " (Bézille H., in " Addictions et accès à l’emploi ", Drogues
et Société, EQUAL, Décembre 2005) et dont l’objectif était de permettre, sur une période de neuf mois,
d’entrer dans le monde du travail ou d’initier un processus de cheminement vers l’emploi, dans un
parcours plus long.
2. Le programme EQUAL 2
Les cinq projets nationaux
Cinq projets ont donc été réunis autour d’un accord transnational, dénommé " Addictions et expérimentation
de nouveaux parcours vers l’employabilité ", signé en janvier 2005 :
Portugal :
Lituanie :
Italie :
Grèce :
France :
PILAR (Projecto de Intervenção Local de Apoio a Reinserção)
Nugalek priklausomybe (Overcome your addiction)
Progetto San Giuseppe
Entaxi (Insertion)
Addictions, compétences et nouveaux parcours de professionnalisation
Les cinq structures porteuses principales de ces projets avaient toutes une expérience soit dans des actions
concernant des publics toxicodépendants,soit dans des actions sociales de type insertion/réinsertion/formation,
soit dans des actions conjuguant ces deux domaines d’intervention. Mais ces expériences sont marquées par
des différences très importantes entre ces structures en matière de :
- ancienneté d’intervention (et donc capitalisation des acquis de l’expérience),
- amplitude du champ d’intervention,
- objectif d’intervention,
- existence de partenariat,
- échelle géographique d’intervention,
- moyens affectés à ces interventions.
Outre des expériences et des pratiques à géométrie variable pour chaque structure porteuse de projet, les
projets nationaux eux-mêmes sont extrêmement différents,au-delà de leur dénominateur commun de facilitation
de l’accès à l’emploi et au monde du travail des publics toxicodépendants ou ex-toxicodépendants. Aussi,
dès la signature de l’accord transnational apparaissent en filigrane une partie des questions et des difficultés
auxquelles vont être confrontées les équipes des cinq projets dans la construction de la transnationalité.
Le chapitre suivant présente en détail chacun des projets nationaux dans son contexte.
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Les termes de l’accord de coopération transnationale
Cet accord définit les objectifs communs à ces cinq PDD très différents. Ils sont au nombre de quatre,
à partir d’une volonté commune de partager les expériences dans chacun des projets nationaux
concernant :
1. l’expérimentation de nouveaux programmes de formation et d’accès à l’emploi pour les usagers
de drogues,
2. l’organisation de nouveaux modèles pour la construction de ces nouvelles voies,
3. la description des compétences à renforcer dans les réseaux existants d’acteurs,
4. l’identification de nouveaux profils professionnels pour la construction de réponses aux besoins
d’intégration de la population cible.
Pour mesurer si ces objectifs sont atteints à l’issue du programme, il fixe un certain nombre de résultats
attendus :
- les formations et les séminaires qui seront organisés ainsi que la publication des rapports des séminaires,
- la construction d’une grille d’analyse évolutive des expérimentations nationales ayant pour but la
réalisation et la publication d’une recherche,
- la modélisation de cette grille pour être en capacité de la proposer à d’autres porteurs
d’expérimentations en Europe,
- la réalisation d’outils multimédia (Internet, CD, DVD…),
- la réalisation et la publication d’une évaluation de type recherche-action concernant le processus
de construction de la transnationalité et ses contributions pour chacun des PDD.
La dynamique de ces activités repose essentiellement sur des échanges, au travers de visites des équipes
de chacun des PDD dans d’autres pays partenaires et de l’organisation de séminaires transnationaux.
Le PDD français souhaite intégrer, lors de ces échanges, la participation de partenaires et de
bénéficiaires du projet. La prégnance des échanges entre équipes et bénéficiaires, mais aussi entre
partenaires des projets nationaux et structures extérieures, est traduite par une liste de points définis
lors d’une réunion à Rome en mars 2005. Cette liste ne prétendait pas être exhaustive.
Aux termes de l’accord de coopération transnationale, le PDD français (par le truchement de Drogues
et Société) est en charge du secrétariat de ce volet transnational.
13
CHAPITRE 2
LES PROGRAMMES NATIONAUX DANS LEUR CONTEXTE
Portugal
Le " problème " des drogues a émergé au Portugal à la fin des années soixante avec les guerres de
décolonisation (Angola, Mozambique), pour lesquelles une partie de la jeunesse a été mobilisée dans
l’armée. La diffusion du trafic et de la consommation de drogues, en particulier de l’héroïne, à l’échelle
du pays a été favorisée par une série de facteurs :
• l’existence d’une importante diaspora de travailleurs portugais (notamment en France),
• l’héritage de l’empire colonial portugais : le Portugal entretient des relations privilégiées avec des pays
lusophones comme le Brésil, l’Angola, le Mozambique et Macao ainsi que le Venezuela, où vit une
importante communauté portugaise. Il existe dans ces pays d’importants réseaux de trafic ; de plus,
la forte présence au Portugal d’une population d’origine africaine,souvent précaire,constitue un relais
important pour les petits passeurs de drogues originaires des anciennes colonies qui alimentent
en héroïne le marché intérieur,
• la très grande étendue des côtes et les nombreuses criques du littoral permettent des débarquements
clandestins,
• la proximité du Maroc, pays producteur, et de l’Espagne fait du Portugal une plaque tournante
de toutes les drogues ; concernant l’Espagne, la levée des contrôles aux frontières a facilité la
consommation et le trafic de drogues en provenance du reste de l’Europe,
• enfin, les plateformes avancées sur l’Atlantique (Açores et Madère), sur le chemin des principales
routes aériennes et maritimes de l’Amérique du Sud, peuvent servir de lieux de stockage.
Signe fort de ce trafic, il y a eu une saisie de 500 kg d’héroïne en l’an 2000. La police estime que 80 %
de la drogue est destinée au marché intérieur.
Sur une population de 10 millions, 40 000 toxicodépendants sont répertoriés en 2004, mais les chiffres sont sans
doute plus proches de 100 000, soit 1 % de la population totale. On estimait à plus de 19 000 le nombre de
toxicomanes qui, en 2004, suivaient un programme de substitution.
Ce n’est qu’après la " Révolution des Œillets " qu’une approche en termes de santé publique a vu le jour,
avec la création du premier service spécialisé en 1976. Jusqu’à la chute du gouvernement Salazar en avril
1974, la politique portugaise en matière de drogues avait en effet été marquée par une approche répressive.
En 1987 est créée une coordination interministérielle de lutte et de prévention de la toxicomanie.
En 1993, une distinction claire est faite entre les délits de trafic et les délits d’utilisation.
L’Instituto da Droga e da Toxicodependência (IDT) - Institut Portugais des Drogues et de la Toxicodépendance est créé en 1999. Le gouvernement définit une stratégie nationale jusqu’en 2008.
Les pouvoirs publics lancent en 2001 des campagnes de prévention ; le programme, qui inclut l’alcool et le
tabac, prévoit aussi la formation d’agents éducatifs et la création de bureaux d’écoute. Enfin, la même
année, une loi prévoit la suspension des peines pour les utilisateurs occasionnels.
Les personnes toxicodépendantes sont considérées comme des personnes malades et la législation portugaise
inclut un système complet d’assistance aux toxicodépendants. Toutefois, bien que la législation prévoie des
alternatives thérapeutiques à la prison, il convient de noter que, faute d’équipements et de locaux adaptés
en nombre suffisant, les traitements ne viennent pas toujours se substituer aux peines de prison.
14
A partir de 1976, trois premiers " Centres d’études et de prophylaxie des drogues " ont été ouverts à Porto
(ce centre proposant de la méthadone), à Coimbra et à Lisbonne. Cette organisation du soin et de la
prévention, à l’origine placée sous la responsabilité de la présidence du Conseil, est très rapidement passée
sous l’influence du ministère de la Justice, avec la création d’un Bureau de planification et de coordination
du combat contre la drogue.
Dans la seconde moitié des années soixante-dix, la réponse nationale aux drogues s’appuyait ainsi sur
une approche psychosociale, très marquée par le profil des équipes nouvellement créées dans les centres,
où dominaient de jeunes psychologues marqués par une démarche psychanalytique. Thérapies familiales
et individuelles trouvaient une place importante dans les dispositifs, qui comportaient aussi des équipes
de rue, deux communautés thérapeutiques et un programme méthadone à Porto.
Au début des années quatre-vingt, dans un contexte où le nombre d’usagers de drogues augmente
énormément, la réponse sanitaire et sociale en matière de drogues passe sous l’autorité du ministère
de la Santé. C’est alors qu’est conçu le projet VIDA (pour Vie, Intelligence, Drogues, Abstinence), dont
l’acronyme signifie aussi " vie " en portugais. Il s’agit d’un programme national, qui implique l’ensemble des
ministères concernés, et qui a permis de développer les centres de soins et de prévention dans le pays,
connus sous l’acronyme CAT en portugais. Aujourd'hui, les pouvoirs publics gèrent la prise en charge des
drogues par le biais de l’Institut des Drogues et Toxicomanies (IDT), créé en 2000 avec la fusion du service
de traitement des toxicodépendances (ministère de la Santé) et de l’Institut portugais des drogues et
toxicodépendances (présidence du Conseil des ministres).
Au lancement du programme, la prise en charge sanitaire des usagers de drogues au Portugal reposait sur :
• 19 services de prévention
• 45 centres d’accueil
• 2 centres de jour
• 4 centres de sevrage
• 3 communautés thérapeutiques
• 23 consultations décentralisées
• 10 extensions de centres de soin
A ce dispositif s’ajoutent des réponses privées qui font l’objet d’un conventionnement avec l’IDT : 10 centres
de sevrage, 70 communautés thérapeutiques et 8 centres de jour.
L’IDT est en outre chargée de concevoir et mettre en œuvre un plan national de lutte contre la
toxicodépendance. Le premier plan a couvert la période 2001-2004. Le second, qui court jusqu’en 2008,
a donné lieu à une réorganisation de l’offre de soins et de prévention, autour des quatre missions confiées
à l’IDT : prévention, traitement, RDR et réinsertion. La réforme conduite par l’IDT a fait évoluer la prise en
charge d’une centralité reposant sur le soin (avec en première ligne les centres de soin - CAT) à une
réponse plus globale, au travers de Centres de Réponses Intégrées (CRI). Le territoire portugais a été divisé
en cinq délégations régionales (Nord, Centre, Lisbonne, Alentejo et Algarve), qui gèrent chacune un certain
nombre de districts dotés d’un CRI (en fonction de la population et du nombre d’usagers). La surface
exacte de la couverture géographique de chaque CRI et les besoins auxquels ils sont censés répondre
ont été définis suite à un diagnostic national. Localement, les CRI, créés en fin d’année 2007, apparaissent
comme les lieux de décision et d’organisation de l’ensemble des réponses relatives à la prise en charge
des publics toxicodépendants dans leurs zones de compétence.Outre ce volet opérationnel,les CRI ont aussi
l’obligation d’actualiser régulièrement le diagnostic de leur district en matière de drogues.
15
Toutes les structures qui existaient précédemment de façon autonome (centres de soins, équipe de
prévention, unités de sevrage, etc.) sont " fondues " dans les CRI, qui sont dirigés en grande majorité par des
psychologues et des sociologues (alors qu’auparavant, les lieux de décisions étaient les centres
de soins, dirigés par des médecins). Au travers de cette réorganisation, l’IDT a ainsi cherché à décloisonner
les réponses aux toxicomanes et, en particulier, à supprimer les clivages entre le soin et les autres réponses.
Sur le plan de la réinsertion professionnelle, un programme " Vie-Emploi " est développé conjointement par
l’IDT et l’Institut de l’Emploi.
Les CAT proposent des programmes de substitution à la méthadone depuis 1977 et à la buprénorphine
depuis 1999. La méthadone est plus utilisée que la buprénorphine. La première est plutôt réservée pour
les traitements de longue durée, alors que la seconde l’est plutôt pour des traitements de courte durée.
Seul le réseau public peut prescrire la méthadone, alors que la buprénorphine peut être prescrite par
les cliniques privées. Il faut être âgé de plus de 18 ans pour pouvoir avoir accès aux programme de
substitution et avoir au moins une ou deux années de consommation problématique derrière soi.
En général, les primo-prescriptions font l’objet d’une délivrance quotidienne, qui peut devenir
hebdomadaire après un bilan à deux mois. Si le patient est stabilisé au bout d’un an, la délivrance peut
se faire de façon encore plus espacée.
Les TSO sont au départ délivrés dans les CAT. En fonction de l’évolution personnelle, la délivrance peut être
ultérieurement élargie aux pharmacies, dans lesquelles la méthadone est disponible depuis 1998 et la
buprénorphine depuis 2004.
Les modalités de suivi sont fonction de la nature des programmes de TSO. Les programmes bas seuil
proposent un suivi infirmier et sont sans contrôles urinaires. Dans les programmes moyen seuil, les tests
urinaires sont hebdomadaires et obligatoires. Les programmes de haut seuil offrent un suivi social,
psychologique et médical et disposent d’une procédure de tests urinaires aléatoires.
La prise en charge financière des traitements est assurée par l’Etat dans les réseaux publics. La Sécurité
Sociale peut en outre octroyer des subventions pour un séjour en communauté thérapeutique.
La réduction des risques est mise en œuvre depuis 1999 et intégrée à la stratégie de lutte nationale
contre les drogues. La substitution fait partie de cette politique. Mais rappelons que la substitution par la
méthadone est expérimentée depuis 1977, expérimentation qui s’est étendue à d’autres CAT au début
des années 90.
Le premier programme d’échange de seringues existe depuis 1993 et des équipes de rue ont été créées
en 2001.
Enfin, une expérience pilote de délivrance médicalement contrôlée d’héroïne devait être mise en place
en 2006, en application d’une loi de 1999.
Le gouvernement portugais, dans son rapport destiné à l’Observatoire Européen des Drogues
et des Toxicomanies (OEDT) en 2001, souligne que " La RDR dans le domaine de l’usage des drogues est la
principale priorité de la stratégie nationale pour assurer la protection du public en matière de santé
et pour prévenir l’exclusion sociale et la délinquance. Etant donnée la nature des groupes cibles
- généralement des usagers " lourds " qui vivent dans des situations de précarité - les programmes de
réduction des risques se développent généralement à travers la collaboration entre les services publics
et les ONG locales. "
16
En 1987, le projet VIDA inclut un volet réinsertion sociale des toxicodépendants. Cette approche est
complétée en décembre 1998 par le programme " Vie Emploi ", dont l’objectif est explicitement de
favoriser l’insertion socioprofessionnelle des toxicodépendants et ex-toxicodépendants.
Le Programme " Vie Emploi " propose cinq mesures concrètes:
- médiation pour l´accompagnement et l´emploi : engagement de médiateurs pour l´accompagnement
individualisé des toxicomanes, participation dans le processus de motivation pour la réinsertion
professionnelle et médiation entre les structures de soins et les employeurs,
- stages d´intégration socioprofessionnelle : organisation de formations pratiques se déroulant en milieu
professionnel sur une durée de neuf mois,
- prime d´intégration socioprofessionnelle : prise en charge partielle des charges salariales pour les
personnes admises dans le programme et bénéficiaires du salaire minimum sur une période de un an,
- subvention à la création d’entreprises : participation aux dépenses d´investissement pour la création
d´entreprises par des personnes admises dans le programme,
- maillage du monde du travail : développement d’un réseau d’artisans afin de faciliter l’interface entre
expérience pratique et formation professionnelle.
Outre ces dispositifs spécialisés, une loi de mars 1993 prévoit une formation adaptée pour les publics
fragilisés, dont les toxicodépendants. Ces formations sont dispensées dans les Centres d’emploi et de
formation professionnelle et les Centres régionaux de sécurité sociale.
Le projet PILAR.
Le projet national partenaire du programme EQUAL est localisé à Caldas da Rainha, ville de taille
moyenne au nord de Lisbonne. Dénommé PILAR (Projecto de Intervenção Local de Apoio à Reinserção
- Projet d’intervention local d’appui à la réinsertion), acronyme qui signifie aussi " pilier " en portugais,
il est porté par l’association Atelier Arte e Expressão, avec un partenariat privilégié avec la Mairie et
Canguru, une association de soutien aux usagers et à leurs familles.
Atelier Arte e Expressão est une association qui intervient dans deux champs : la culture et le social.
Localisée dans une maison de quartier, l’association participe à la programmation culturelle du lieu.
En 1993, elle a commencé par travailler avec un public de jeunes ayant des difficultés d’intégration,
en partenariat avec l’Institut de Réinsertion Sociale. Ce double champ d’intervention a amené l’équipe
à réfléchir à une jonction entre les deux pôles (social et culture), avec en particulier la conception de
programmes d’éducation ou de renforcement des compétences par le biais de disciplines artistiques.
C’est ainsi que tous les projets sociaux de l’association ont une forte composante artistique (sérigraphie,
photographie, etc.).
En 1994-1996, l’association a participé à un projet, porté par la mairie de Caldas, de prévention des
toxicodépendances auprès des enfants (6 à 11 ans), dans les quartiers pauvres de Caldas, à partir d’un
travail sur la prévention des comportements déviants. Puis, Atelier Arte e Expressão a animé un projet de
prévention en direction de jeunes habitants de Caldas en rupture scolaire et consommant des produits
(essentiellement haschich).
Plus tard, l’association a participé à une réflexion sur le volet social, pilotée par la Mairie. Les échanges
dans ce groupe ont beaucoup porté sur le problème de la toxicomanie à Caldas et des réponses à
y apporter ; cette préoccupation des autorités trouve son origine dans la très forte présence d’usagers
sur les parkings. C’est dans ce cadre qu’est lancé le programme de réinsertion avec EQUAL 2, qui traduit
la volonté d’Atelier Arte e Expressão d’aller plus loin dans cette problématique des drogues. Le projet
consiste à proposer, sur une durée de quelques mois, des stages pratiques d’apprentissage de techniques
de création artisanale ou artistique (sérigraphie, peinture, photographie, travail du bois, etc.), utilisées
pour la réalisation d’objets. Ces temps d’apprentissage sont investis comme des espaces-temps propices
à l’appropriation de contraintes liées au milieu du travail (horaires, régularité, etc.), avec l’objectif de
favoriser l’employabilité des stagiaires.
17
Quelques enseignements.
L’importance de la négociation du partenariat initial.
Comme on l’a vu, le projet se noue sur un partenariat privilégié avec la Mairie et l’association Canguru.
Mais les motivations des partenaires à s’impliquer dans le programme répondent à des attentes différentes.
La mairie investit le programme EQUAL 2 comme un moyen " d’éliminer le problème de la toxicomanie
à Caldas " tandis que l’association Canguru considère le programme comme un moyen de créer une
nouvelle structure dédiée aux usagers de drogues et à leurs familles. De son côté, Atelier Arte e Expressão,
porteur principal du projet, s’inscrit dans la démarche des programmes EQUAL, qui est bien de créer une
expérimentation en vue d’en tirer des enseignements sur la base d’une évaluation. " Il y avait, de la part de
la Mairie et de Canguru, des grosses attentes sur le projet, que Atelier Arte e Expressão n’avait pas. C’est là
que réside le hiatus avec la Mairie, qui pense que le programme pilote va régler la question des drogues
dans la ville… ".
Malgré ces divergences de perception et d’approche, qui forment une base fragile au projet, Atelier Arte e
Expressão va s’engager dans le projet. Très vite, l’association Canguru accepte la démarche EQUAL, mais
ne s’y implique pas (et son responsable va physiquement se désengager du projet après avoir trouvé
un emploi), tandis que la mairie reste sur ses motivations initiales et se désintéresse du projet.
Atelier Arte e Expressão va donc découvrir seule les difficultés liées à la mise en œuvre du projet et va définir,
seule aussi, les réponses à y apporter. De plus, l’association ne va recevoir que la moitié du budget demandé
pour le projet EQUAL 2, mais maintiendra toutefois l’amplitude des activités prévues dans le projet initial…
L’étendue de ces difficultés va conduire l’association, en juin 2006, à faire une " pause ", un an après le
démarrage. Cette pause va durer deux mois pour " mettre les choses à plat " et chercher des réponses à
l’extérieur. Pendant la pause, le programme a continué pour les usagers qui étaient déjà inscrits, mais
il n’y a pas eu d’inclusion.
Les consommations pendant le stage de réinsertion.
Les critères d’inclusion dans le programme précisaient que les stagiaires devaient être abstinents ou suivre un
traitement de substitution. L’équipe s’est préoccupée de vérifier que ce critère était rempli, du moins pour
la consommation d’héroïne et de cocaïne, mais n’a pas accordé d’attention particulière aux autres
consommations (alcool, cannabis). Or, il est apparu que ces consommations étaient présentes et, pour les
stagiaires, cela contribuait à brouiller le cadre du programme.
Après la pause, l’équipe a décidé d’introduire un test urinaire pour vérifier les consommations. La mise
en œuvre de ce test traduit les difficultés partenariales rencontrées. Il eût été logique que le centre de soins
de proximité prenne en charge ce volet ; mais comme il ne s’était pas impliqué dans le projet (en particulier
par ce que, selon Atelier Arte e Expressão, " il voyait d’un mauvais œil le fait que l’on fasse un suivi
psychologique "), l’équipe a dû " bricoler " une solution. Une procédure a ainsi été définie avec le centre
de santé de la mairie, où une intervenante prélevait les échantillons et réalisait les tests, les usagers étant
accompagnés par l’animateur de Canguru (dont la présence dans le projet s’est finalement limitée à
ce volet ainsi qu’à la participation à quelques réunions…).
Des règles ont alors été définies :
- exclusion du programme en cas de consommation d’héroïne, mais avec la possibilité de revenir plus tard
après l’arrêt des consommations,
- concernant le cannabis, la décision était prise au cas par cas par l’équipe selon l’importance de la
consommation et son degré d’impact négatif, tant sur le groupe que sur la bonne marche des les ateliers.
Le test est devenu systématique à l’inclusion (héroïne, cocaïne, cannabis), puis imposé ultérieurement en cas
de suspicion de consommation.
(1)
Au Portugal, les usagers de drogues investissent les espaces publics de stationnement le long des trottoirs pour " aider " le conducteur
à trouver une place et se garer. C’est un moyen de faire l’aumône. La ville de Caldas da Rainha compte beaucoup de personnes dans
cette situation, phénomène qui contribue à visibiliser fortement la présence des usagers de drogues dans l’espace public.
18
La prise en charge sociale et le suivi.
L’équipe avait constaté, avant la pause, que des usagers sortaient du programme, soit en raison de leurs
consommations, soit pour des raisons économiques, leur niveau de vie en tant que stagiaire étant insuffisant.
Lors du recrutement, chaque candidat remplissait une fiche mentionnant ses attentes et motivations, puis
était convié à un entretien avec l’équipe. Cet entretien avait en particulier pour but de :
- analyser les attentes et repréciser les objectifs (en particulier de lever la confusion sur l’objectif du
programme, qui était souvent perçu par les usagers comme un moyen de se procurer un emploi, et
non pas comme une voie vers l’employabilité),
- évaluer la situation face aux consommations (y compris de cannabis),
- définir un plan individuel de formation.
A l’issue de l’entretien, si les conditions étaient remplies, le candidat " passait " un contrat avec l’équipe,
précisant entre autres son plan de formation,le nombre d’heures d’atelier et sa rémunération.Mais ce contrat
était " oral " avant la pause, renforçant ainsi les incompréhensions et les confusions possibles. Après la pause,
les contrats ont fait l’objet d’un document écrit, reprécisant aussi les règles du programme.
Sur le plan financier, les conditions de rémunération ont été revues. Au Portugal, il existe une politique de
minima sociaux qui permet aux personnes sans ressources de bénéficier d’un revenu d’insertion
(de 130 à 140/150 euros mensuels). Or, le bénéfice de cette aide est incompatible avec le fait de percevoir
une autre indemnité, comme celle proposée grâce au budget du dispositif EQUAL (3 euros par heure
d’atelier). Au regard du nombre d’heures programmées dans le contrat de formation, il arrivait souvent que
les revenus procurés par le stage soient plus élevés que les minima sociaux, ce qui constituait une motivation
plus forte pour les stagiaires que le souci de se (ré)inscrire sur le chemin de l’employabilité.
L’association a alors cherché à régler ce problème en établissant un partenariat avec le système
d’assurance sociale, pour faire reconnaître le stage EQUAL comme une modalité de contrat d’insertion
rendant la personne éligible au bénéfice du revenu minimum d’insertion. Le système d’assurance sociale a
refusé,ce qui témoigne là encore de l’isolement de l’association par rapport aux dispositifs de droit commun.
Si cette difficulté n’a pas été résolue après la pause, la nouvelle procédure de recrutement a, en revanche,
permis de clarifier le projet avec les bénéficiaires (dont certains pensaient être inscrits pour la durée totale du
projet EQUAL,soit deux ans,alors que le stage n’était que de quelques mois renouvelables en fonction du suivi).
L’accompagnement de l’équipe de formateurs.
Les formateurs impliqués dans le programme et animant les ateliers sont pour la plupart impliqués dans les
actions d’Atelier Arte e Expressão depuis plusieurs années. Ils se sont donc investis " naturellement " dans ce
nouveau programme. Mais, comme l’équipe, ils ont été confrontés à ces difficultés.
La pause a alors été investie comme un temps de travail avec les formateurs pour définir un processus
d’accompagnement afin de les aider dans leur action avec les usagers. Ont alors été mises en place
des formations pour les formateurs, avec l’intervention d’une personne extérieure (psychothérapeute
comportementaliste).Ces apports extérieurs et les formations portaient sur les volets pratiques de l’intervention
(" comment s’y prend-on ? "), et non pas sur des aspects théoriques sur les drogues et les dépendances.
Au cours des deux années du programme, 58 personnes se sont inscrites, parmi lesquelles 28 ont
été admises (dont 11 femmes, soit près de 40 %). Les trente personnes inscrites qui n’ont pas été admises
étaient celles dont les motivations étaient uniquement tournées vers la recherche d’un emploi (alors que l’objectif
du programme était de proposer un stage de redynamisation pour (ré)inscrire le bénéficiaire dans un parcours
vers l’employabilité).
Sur les 28 stagiaires :
- 10 personnes ont intégré par la suite le monde du travail ou se sont inscrites dans un processus de formation
- 13 ont rechuté
- 3 ont abandonné
- 1 personne est sortie du programme, puis l’a réintégré
19
Lituanie
La Lituanie, pays indépendant depuis 1991, est devenue un pays clé pour le transit de drogues dans un
espace ex-soviétique en voie de recomposition. Jusqu’à l’indépendance, l’alcoolisme était le principal
problème et le public ignorait quasiment tout de la toxicomanie, qui ne touchait que le milieu carcéral. Le
nombre relativement réduit d’héroïnomanes permettait qu’ils soient réintégrés ou bien isolés en prison afin
d’éviter la propagation de l’héroïne. L’ouverture des frontières après l’indépendance a permis la pénétration
du crime organisé, notamment des narcotrafiquants. La Lituanie compte quatre pays limitrophes, dont
l’enclave russe de Kaliningrad, plaque tournante du trafic de drogue dans la région, mais ne dispose que de
peu de moyens pour faire face au développement de la criminalité en matière de drogues sur son territoire.
Il existe en Lituanie une tradition de culture du pavot (pour un usage culinaire et médicinal), tolérée jusqu’il y
a peu. En effet, à partir du début des années quatre-vingt-dix, la police a organisé une opération annuelle
" pavot ",de destruction de cultures.Toutefois,aucune destruction de champs de pavot n’est signalée depuis 1997.
En 1998, la " Loi sur le contrôle des drogues narcotiques et des psychotropes " interdit totalement la
culture du pavot.
En moins de dix ans, la consommation d’une héroïne à base de " paille " de pavot, la shirka (obtenue en
faisant bouillir les plantes – tiges et capsules – dans un grand récipient, puis en ajoutant à la décoction de
l’anhydride acétique), s’est largement répandue. Son faible coût en fait un produit recherché.
Depuis peu, les toxicodépendants peuvent aussi se procurer de la véritable héroïne brown sugar, provenant
des pays du Croissant d’or. Elle est souvent fumée. Les nouveaux consommateurs préfèrent ce mode de
consommation par connaissance des risques de contamination du sida et parce qu’ils estiment (à tort) qu’il
rend moins dépendant. La cocaïne est présente depuis plusieurs années, mais eu égard à son prix élevé, la
demande est très faible. Les drogues de synthèse sont surtout consommées par des jeunes, de préférence en
milieu festif. La marijuana, dont une petite partie est produite localement, est très populaire et facilement
accessible.
En 2001,selon les autorités,30 000 Lituaniens (dont la moitié à Vilnius) consomment des drogues sur 3,5 millions
d’habitants. Le pays compte 4 689 toxicodépendants enregistrés dans les centres de traitement.
94 % des toxicodépendants sont issus des villes. 81,6 % sont des hommes et 18,4 % des femmes. Plus de 65 %
sont âgés de 20 à 35 ans. Ce sont surtout des héroïnomanes (78,8 %) et des polytoxicomanes (12,3 %), dont
la très grande majorité (91,1 %) sont des injecteurs. 356 primo toxicomanes ont été recensés en 2003.
En 1997, une loi sur l’addictologie institue une politique nationale organisant la prise en charge
sanitaire et sociale. Cette loi stipule que la prise en charge sera assurée par l’Etat, avec les principes de la
gratuité et de l’anonymat des soins.
Une décision du ministère de la Sécurité sociale, du travail et de la santé impose en 2001 un principe
d’égalité de traitement entre alcooliques et autres toxicodépendants et incite à un rapprochement entre les
services de l’Etat (dont les centres primaires de santé et leurs unités psychiatriques), les ONG et les groupes
d’auto-support.
Le ministère de la Santé établit en 2002 une charte des bonnes pratiques de la réhabilitation et du traitement
des toxicomanies.
A partir de 2003, les toxicodépendants sont pris en charge par une équipe spécialisée en addictologie
(consultations, traitements, accompagnement social). Les financements se font au prorata du nombre de
patients inscrits au programme.
En 2003 est adopté un nouveau code pénal, dans lequel la possession d’une petite quantité de drogue,
y compris pour usage personnel, devient un crime (alors que dans le précédent, cela n’appelait que des
sanctions administratives – amendes), qui peut toutefois être requalifié en délit en fonction des circonstances.
La possession de drogues est passible de deux ans de prison.
20
Plusieurs institutions sont chargées de coordonner la lutte contre les drogues :
- le Comité du Seimas (Parlement) de la République lituanienne ; ce comité semble plutôt avoir une
portée symbolique de vigilance de la loi de même que
- la Commission temporaire pour la prévention, elle aussi sous l’autorité du Seimas,
- la Commission gouvernementale de contrôle des drogues, dirigée par le ministre de la Santé. Elle
coordonne les politiques de lutte contre la drogue, associant les autres ministères, les régions et les
villes mais aussi les organisations internationales,
- le Département du contrôle des drogues (créé en 2004), qui doit permettre l’amélioration et la
coordination des activités de l’Etat et des municipalités en matière de lutte contre les drogues.
Il a également une mission de diagnostic des tendances nouvelles de consommation de drogues
et doit proposer des réponses.
Avant 1991, les personnes toxicodépendantes étaient soignées dans des établissements psychiatriques.
En 1992, suite à la demande importante des familles de toxicomanes, une unité de sevrage de sept
places est créée au Centre des Maladies liées aux Addictions (VCAD) de Vilnius.
Aujourd'hui, de nombreuses structures dispensent des soins aux toxicodépendants. La question de la
toxicomanie est très liée aux problèmes d’alcoologie et de santé mentale ; c’est pourquoi l’offre de
soins repose sur les centres de santé mentale, créés en 1997 ; 64 centres de santé mentale sont ainsi
compétents pour les problèmes de toxicomanie.
Des soins ambulatoires pour les personnes dépendantes sont en outre proposés dans les centres de santé
primaire (qui sont en fait des polycliniques publiques), dans les centres de santé mentale et dans des
structures médicales privées agréées.
Les hôpitaux psychiatriques proposent aussi des cures de désintoxication.
Les premières prescriptions de méthadone ont été expérimentées en 1995 dans trois grandes villes
(Vilnius, Kaunas et Klaïpeda).
En 2003 sont créées cinq structures spécialisées, qui proposent des soins ambulatoires et internes dans
les cinq grandes villes du pays. Ces centres sont pris en charge financièrement à la fois par l’Etat et par les
municipalités.
Avec un centre spécialisé et six centres de santé primaire, Vilnius compte plusieurs sites de prescription
et de dispensation de méthadone.
En 2003, avant le début du programme EQUAL, 332 toxicodépendants bénéficiaient ainsi d’un traitement
méthadone. Sont éligibles à un programme méthadone les patients qui consomment de l’héroïne
depuis au moins deux ans et qui ont préalablement essayé, sans succès, un autre mode de traitement.
Autorisée comme traitement de la dépendance aux opiacés fin 2002, la buprénorphine pouvait être
prescrite par les médecins généralistes dans le cadre des centres de santé mentale et les centres de soins
spécialisés. Mais en 2005, le cadre de prescription s’est durci : celle-ci n’est désormais possible que dans
un centre spécialisé. La durée d’un traitement à la buprénorphine est indéterminée et soumise à une prise
en charge psychologique et sociale des patients.
La naltrexone peut également être prescrite par les généralistes.
Afin d’éviter les multi prescriptions chez un même patient, le VCAD de Vilnius centralise toutes les données
concernant la prescription de traitements de substitution dans le pays.
Des structures d’accueil de jour existent dans quelques villes et proposent des thérapies de groupe et
individuelles ainsi que des formations et des thérapies familiales.
En 1997, un programme bas seuil de réduction des risques a été mis en place dans les villes de Vilnius et
Klaïpeda, avec échange de seringues. En 2002, ce programme avait été généralisé dans six autres villes.
Outre l’échange de seringues, ces programmes mettent à disposition préservatifs, produits désinfectants
et information sur les traitements.
21
En 2001, une première unité mobile de rue a été mise en place ; plusieurs existent aujourd’hui. En plus de
l’échange de seringues, ces unités proposent des consultations de médecins et de travailleurs sociaux.
Les toxicodépendants peuvent aussi s’y renseigner sur la disponibilité des places en structures d’accueil.
En 2003, ces unités mobiles ont approché 4 483 usagers injecteurs.
L’accès à la réinsertion pour les toxicodépendants se fait généralement à travers des petites
communautés thérapeutiques qui offrent au total environ 200 places. Le coût des séjours en centre
de réhabilitation (post cures et communautés thérapeutiques) est en général à la charge du patient et
de sa famille.
En 2003,le ministère de la sécurité sociale et du travail a financé 17 projets de réinsertion des toxicodépendants.
Ce sont, encore une fois, généralement des communautés thérapeutiques qui ont porté ces projets.
Le Projet Nugalek Priklausomybe – Overcome your addiction.
Le projet lituanien offre une configuration très différente des autres projets, dans la mesure où les objectifs
de la formation ainsi que les contenus et les moyens qui lui sont affectés en font le projet le plus qualifiant
professionnellement pour les bénéficiaires. Ce dispositif est en effet destiné à former des ex-usagers de
drogues aux métiers de la restauration. Il réunit à cette fin trois partenaires principaux aux compétences
et aux champs d’intervention très éloignés les uns des autres, mais complémentaires dans le cadre du
projet. Le Collège Coopératif de Vilnius, qui a une forte expérience d’échanges internationaux dans le
champ de l’enseignement et de la pédagogie, à partir d’échanges d’étudiants et de professeurs.
La ville de Vilnius, qui a développé une politique active de réhabilitation et de promotion de son centre,
ville classée patrimoine mondial de l’UNESCO, et a, dans ce cadre, soutenu des initiatives économiques,
comme la création d’un restaurant végétarien, le Mano Guru, devenu lieu d’apprentissage professionnel
dans le projet EQUAL. Le Vilnius Center for Addictive Disorders (VCAD), qui est en charge du recrutement
et du suivi des bénéficiaires du projet. A l’exception de ce dernier bien sûr, la proximité et l’expérience
du champ des addictions sont faibles ou inexistantes pour les deux autres partenaires.
Le Mano Guru est situé dans le centre de Vilnius et accueille une clientèle plutôt aisée. C’est dans
ce cadre qu’un programme d’insertion professionnelle pour les ex-usagers de drogues a été initié en 2003
par le maire de Vilnius de l’époque. Ce programme consiste à offrir un temps d’apprentissage des métiers
de la restauration à des ex-usagers de drogues ayant bénéficié d’une cure de sevrage. Au départ,
l’apprentissage était uniquement pratique ; il a ensuite été étoffé par un apport théorique grâce au
partenariat avec le Collège Coopératif de Vilnius.
Les candidats sont recrutés au VCAD. Il s’agit de personnes ayant participé à une cure de sevrage dans
le VCAD (ne sont a priori pas incluses les personnes ayant participé à un programme méthadone – mais
la méthadone semble être considérée, en Lituanie, comme un outil pour les toxicomanes en échec ou
en incapacité de parcours de réhabilitation). Le recrutement repose essentiellement sur un entretien avec
la responsable du Mano Guru, qui a pour objet d’évaluer la motivation du candidat. Il permet de choisir
la spécialisation sur laquelle le candidat se formera : service en salle, service de bar, cuisine.
Une fois le stagiaire recruté, un lien est établi entre ce dernier et un référent au Mano Guru (membre
de l’équipe salariée). Un premier contrat est établi pour dix jours (comme une sorte de période d’essai) ;
puis, après une évaluation, qui comprend un avis de l’équipe du Mano Guru sur le stagiaire, un second
contrat est établi pour une durée de cinq mois.
Pendant la période de formation, le stagiaire a l’obligation de rencontrer régulièrement un psychologue
et un travailleur social du VCAD (volet prise en charge des addictions) et de participer à des groupes de
soutien et d’auto-support, selon une périodicité hebdomadaire ; il doit aussi suivre des cours au Collège
Coopératif de Vilnius (volet formation). Initialement, 18 travailleurs sociaux et professionnels de santé des
centres de réhabilitation ont été formés pour assurer le suivi des stagiaires du programme, tandis que des
représentants du Collège Coopératif et des salariés du Mano Guru ont bénéficié d’une formation de formateurs pour assurer le volet pédagogique du programme.
22
A l’issue de la période de 5 mois, les stagiaires passent des examens au Collège Coopératif. Ils reçoivent
alors une attestation professionnelle et sont aidés dans la recherche d’emploi dans le droit commun.
Le VCAD de Vilnius attirant des usagers de drogues venant d’autres régions propose, dans le cadre du
programme, une offre d’hébergement pour trois ou quatre stagiaires n’habitant pas la capitale.
Le Mano Guru joue aujourd'hui un peu le rôle de vitrine d’une réponse sociale pour les ex-usagers de
drogues. C’est un lieu " branché " où leaders d’opinion et politiques se retrouvent, parfois autour de
manifestations ou d’événements. Des réunions de ministres lituaniens y sont organisées. En 2006,
à l’occasion de la conférence des villes européennes, qui s’est tenue à Vilnius, les délégations ont visité
le Mano Guru. Celui-ci a obtenu le premier prix du concours des services sociaux lituaniens.
Quelques enseignements.
Le recrutement des stagiaires.
Alors même que le programme dispose d’un soutien institutionnel et financier, il rencontre des difficultés
à recruter des stagiaires. Ces derniers privilégient l’émigration économique et le travail au noir.
Deux explications peuvent être avancées :
- Le programme a démarré avant l’entrée de la Lituanie dans l’Union Européenne (mai 2004). Depuis
cette date, les possibilités des Lituaniens de se mouvoir dans l’espace européen sont beaucoup plus
faciles, en particulier vers le voisin Polonais (qui a intégré l’UE à la même date), ce qui facilite une
émigration économique générée par un taux de chômage élevé et des salaires locaux assez faibles.
- Un facteur spécifique à la population des usagers de drogues aggrave cette tendance générale :
jusqu’en 2003, ces derniers ont souvent été condamnés à des peines financières (amendes) dans le
cadre de la législation locale sur la consommation des stupéfiants, amendes dont le paiement
conduit à des saisies automatiques sur salaires quand une activité professionnelle est exercée ; pour
éviter cela, beaucoup préfèrent exercer une activité professionnelle non déclarée.
Des fonctions non écrites, facteurs de succès.
Par " fonctions non écrites ", nous entendons des facteurs qui jouent un rôle essentiel dans le succès
du programme et qui ne sont pas identifiés en tant que tels dans le processus de mise en œuvre. Il est
important de les identifier dans la perspective d’un transfert à d’autres sites, car ils semblent jouer un rôle
majeur dans le succès ou l’échec pour les stagiaires. Ces derniers jouent un rôle important dans le soutien
qu’ils se procurent les uns aux autres en situation de difficulté personnelle. Le rôle, informel, ainsi joué
semble tout aussi important que celui, formel, assuré par l’équipe de suivi du centre de soins spécialisés.
Cette absence de définition et de formalisation de ce rôle, y compris dans le cahier des charges du
projet, a deux inconvénients :
- elle empêche de valoriser cette fonction de soutien, qui pourrait être intégrée dans le cursus de
formation ;
- non inscrite dans le projet expérimental, elle ne permet pas un transfert optimal de l’expérimentation
sur d’autres sites.
Le soutien politique et financier.
Le Mano Guru est le seul programme de réinsertion sociale et professionnelle de ce type en Lituanie,
à l’exception de centres de réhabilitation privés où les patients ont des activités occupationnelles, qui
peuvent parfois se traduire par l’acquisition d’une compétence (peinture, réparation mécanique, etc.).
Toutefois, il semble reposer en grande partie sur un investissement personnel fort des acteurs qui l’ont initié,
au-delà du strict apport en lien avec le statut et le rôle occupé par chacun dans le montage du projet
et le déroulement du programme. Ces conditions " personnelles " seraient-elles réunies dans un autre
contexte ou sur un autre site ? A savoir dans le cas présent : un maire, un directeur de centre de soins et
un responsable de restaurant militants et affectés, pour les raisons qui leur sont propres, par les problèmes
rencontrés par les usagers de drogues.
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Au-delà, une véritable question de positionnement est posée : s’agit-il d’un programme conçu comme
une extension d’une approche de réhabilitation des usagers de drogues (donc dans un contexte de
l’ordre du médico-social) ou s’agit-il d’un programme devant avant tout être conçu comme un projet
d’intégration autonome (donc dans un contexte de l’ordre du socioprofessionnel) ? Répondre à cette
question peut aider à identifier les appuis politiques nécessaires au programme, à sa pérennisation et
à son éventuelle extension, en Lituanie comme ailleurs.
34 personnes, parmi lesquelles 11 femmes, ont bénéficié de ce programme.
6 ont rechuté (4 pendant le stage et 2 après) Les stagiaires ayant réalisé avec succès leur parcours de
formation semblent avoir trouvé assez facilement des opportunités d’emploi, souvent dans le domaine
de la restauration. 4 stagiaires ont d’ailleurs été recrutés directement en contrat à durée indéterminée
par le Mano Guru, à l’issue de leur stage. Certains sont partis à l’étranger. Ces très bons résultats sont
à considérer dans un contexte économique favorable lié à l‘entrée récente de la Lituanie dans l’Europe
et à un recrutement de haut seuil. Les publics sont en effet pour la plupart issus de classes moyennes
ou aisées.
Italie
L’Italie joue un rôle central dans le trafic international de drogues. Deux facteurs expliquent cette situation :
l’importance historique des organisations criminelles italiennes dans le trafic mondial de stupéfiants et la localisation du pays à proximité immédiate des Balkans, plaque centrale du trafic de drogues en Europe. Aucune
région de l’Italie n’est vraiment épargnée par les organisations mafieuses.
Sur les 57,8 millions d’habitants en Italie, 207 700 toxicodépendants en traitement sont recensés.
La législation en vigueur date de 1990. Elle traite à la fois de la prévention, des traitements et de la réhabilitation en matière de drogues illicites mais aussi de l’alcoolisme. Elle établissait une distinction, abolie depuis,
entre drogues dures et drogues douces.
Depuis 1993, la détention de stupéfiants pour usage personnel est totalement dépénalisée. Seule des sanctions administratives peuvent être prises (retrait du permis ou du passeport). Le toxicodépendant qui accepte de suivre un programme thérapeutique peut bénéficier de la suspension de la procédure administrative
engagée à son encontre et, s’il est revendeur, d’un aménagement des sanctions pénales prononcées. Les
toxicodépendants peuvent également purger leur peine de prison dans des structures habilitées à mettre en
œuvre des programmes thérapeutiques et de réinsertion sociale. Enfin, les consommateurs pris sur le fait peuvent choisir une " condamnation thérapeutique ".
Cette loi prévoit une protection pour les travailleurs toxicodépendants : ils ne peuvent pas perdre leur travail
pendant une durée de trois ans s’ils se soumettent à un traitement. Elle autorise aussi le dépistage d’un usage
de drogues pour certaines professions.
Une loi de mars 2006 a supprimé la distinction entre drogues dures et douces, mais a maintenu la dépénalisation pour les possessions de petites quantités de stupéfiants au profit de sanctions administratives. Cette loi
vise à faciliter les alternatives thérapeutiques à la prison. Elle abolit par ailleurs les distinctions entre structures
privées et publiques pour les questions de toxicomanie. Un décret de 2004 a institué le Département National
pour les politiques contre la drogue. Cet organisme joue un rôle central dans la lutte contre les toxicomanies
et est placé sous l’autorité directe du président du Conseil. Par ailleurs, il existe dorénavant un commissaire
extraordinaire du gouvernement pour la coordination de la lutte antidrogue (Commissario straordinario del
Governo per il coordinamento della politica antidroga).
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Les relais essentiels de la lutte contre la toxicomanie sont des centres de santé publics spécialisés en
toxicomanie, dénommés SERT (SERvizio per la Tossicodipendenza). Dans l’organisation administrative du pays,
toutes les agences sanitaires locales intègrent un SERT sur leur territoire.
La formation et l’intégration professionnelles dépendent des régions et du ministère des Affaires Sociales.
A ce dispositif de soins s’ajoute un programme de prévention dans les écoles, qui est du ressort du ministère
de l’Education. Enfin,les municipalités agissent uniquement sur des projets spécifiques financés par les régions,
mais n’interviennent essentiellement que sur le volet " social " de la toxicomanie.
Depuis 1990, un budget annuel est affecté à un Fonds National d’Intervention pour la Lutte contre la Drogue,
chargé de financer tous les projets dans le cadre de la lutte contre les toxicomanies. Doté d’environ
120 millions d’euros, 75 % des sommes sont distribuées aux régions, les 25% restants étant redistribuées
aux diverses administrations centrales. En 1998, une étude estimait la facture totale de la lutte contre la
toxicomanie (du point de vue de la santé, non du trafic) à 500 millions d’euros.
Les centres d’aide à la désintoxication (SERT) datent de 1975. Ce sont dès l’origine
des centres médicaux et d’assistance sociale ayant pour mission d’offrir un accueil spécialisé, de déterminer
les traitements les plus propices à une désintoxication et de contribuer à la réinsertion sociale des
toxicodépendants dans le secteur public et dans le secteur privé. Le secteur public, outre les SERT, comprend
donc aussi les municipalités et les agences locales sanitaires, qui prennent en charge les prestations sociales,
les pensions d’invalidité, les logements sociaux ; ce secteur public associe aussi les services pour l’emploi.
Le secteur privé, lui, repose essentiellement sur les communautés thérapeutiques et les coopératives sociales.
Il existe une politique de réduction des risques depuis l’arrivée de l’épidémie du VIH, initiée à l’origine par
des initiatives du secteur privé, le secteur public ayant pris le relais à partir des années quatre-vingt-dix.
Ces initiatives sont, elles aussi, financées par le Fonds National pour les Interventions de Lutte contre la Drogue.
Deux catégories de structures sont plus particulièrement dédiées à la mise en
œuvre des politiques d’insertion :
• Les agences de distribution, qui sont en charge de l’intégration de certains travailleurs désavantagés :
elles bénéficient de dispositifs d’allègements de charges sociales pour les bénéficiaires de contrats
d’insertion (comportant un projet professionnel et une formation ainsi qu’un tuteur) d’une durée d’au
moins six mois.
• Les coopératives sociales : elles emploient en leur sein des travailleurs désavantagés (au moins 30 %
de leurs effectifs) et passent en outre des conventions avec des entreprises.
Les toxicodépendants inscrits dans une démarche de soin ne peuvent pas perdre leur emploi pendant une
durée de 3 ans. Le Fonds National d’Intervention pour la lutte contre la Drogue pilote des projets de trois ans
financés par le ministère du Travail et des politiques sociales.Des exonérations d’impôts ont été mises en place
pour les coopératives sociales ayant pour but l’intégration des toxicodépendants. Enfin, régions et provinces,
compétentes sur les actions en matière d’emploi, doivent avoir un volet pour l’insertion des personnes
fragilisées.
Le Progetto San Giuseppe.
Dans la région des Abruzzes, le projet San Giuseppe est né d’une initiative portée par le mouvement des
coopératives sociales, mouvement qui a une longue tradition de l’innovation sociale. Le programme repose
sur une formation théorique et pratique devant permettre à des candidats inscrits dans un projet individuel
d’acquérir des compétences professionnelles dans les métiers de l’artisanat.
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Sur la base de cet objectif, le noyau initial du projet a réuni les partenaires nécessaires à la mise en œuvre et
les missions de chacun d’entre eux ont été définies :
• Forcoop (coopérative sociale dont le siège est à Pescara) est la tête du réseau des partenaires du
projet et est, à ce titre, en charge de la coordination générale du projet, de la diffusion au niveau
du territoire régional et de l’animation du volet transnational ; outre cette mission d’organisation
générale, Forcoop est responsable de la programmation du volet formation.
• La coopérative Florence, localisée à Sulmone, est chargée du recrutement et de l’accompagnement
des bénéficiaires tout au long du projet et gère le centre résidentiel qui accueillera les bénéficiaires.
" Network ", institut de recherche sur les drogues, est investi d’une mission d’appui au projet (évaluation,
recherche, etc.).
• Une communauté de communes permet de donner un cadre politique et institutionnel au développement
du projet.
• L’antenne régionale de l’association générale des coopératives italiennes (AGCI, qui a pour objet social
de promouvoir les coopératives en Italie), apporte un soutien en termes de plaidoyer de la démarche.
Le choix de ces partenaires répond à une volonté de faire travailler ensemble, sur un projet expérimental,
des acteurs relevant de trois champs institutionnels et professionnels différents :
- le champ de la formation (avec l’organisme de formation associé au projet),
- le champ des services publics (avec la communauté de communes),
- le champ des services privés (avec les coopératives).
La coopérative Florence semble avoir été incluse dans le projet en raison des relations professionnelles
entretenues par le SERT de Pescara (où exerce un psychologue également membre de Forcoop et à l’origine
des premiers contacts entre ces organisations) et le SERT de Sulmone, qui collabore étroitement avec la
coopérative Florence. La directrice du SERT de Sulmone, est aussi consultante médicale de la coopérative
Florence dans le cadre du projet. Cette imbrication forte entre le SERT et la coopérative de Sulmone aura
des conséquences sur la mise en œuvre du programme, entre autre sur la place occupée par le volet soin
(représenté par les SERT) par rapport au volet social (représenté par les coopératives). En outre, il est loisible
de considérer que cette présence importante du volet soin dès la genèse du projet a peut-être conduit à
l’absence dans le projet du mouvement des communautés thérapeutiques, pourtant établi de longue date
en Italie.
Les deux partenaires essentiels dans la mise en œuvre du projet sont donc Forcoop et la coopérative Florence.
Le programme de réinsertion et d’accompagnement au travail se déroule, pour le bénéficiaire, dans un
parcours en quatre étapes :
1. diagnostic de la situation personnelle des stagiaires préalable à l’inclusion dans le programme (un mois),
2. définition d’un projet individuel (un mois),
3. formation (200 heures théoriques et 600 heures de stage en entreprise),
4. accompagnement dans l’emploi.
Un centre ad hoc dédié uniquement au projet a été créé, sous la responsabilité de la coopérative Florence :
la " Casa Giuseppe ". La Casa Giuseppe est à la fois un lieu qui permet de réaliser les entretiens motivationnels
avec les candidats au programme et de définir avec eux un projet individuel de réinsertion (les deux premières
étapes du parcours). C’est aussi l’endroit où résident les candidats finalement recrutés à l’issue de ces deux
étapes.
Pendant le parcours, la consommation de produits psychoactifs (y compris les traitements de substitution)
est interdite et des contrôles de consommation peuvent être réalisés par l’équipe de la Casa Giuseppe
(tests salivaires).
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Après avoir été accepté par la Commission européenne, le projet des Abruzzes a fait l’objet d’une
campagne de promotion dans l’environnement local par l’envoi d’une information à tous les SERT et les
communautés thérapeutiques de la région et par l’organisation d’une conférence de présentation
en mai 2007 (avec couverture médiatique locale). Il s’agissait de susciter l’adhésion au projet.
Cette initiative a permis d’ouvrir le recrutement des candidats.
En outre, Forcoop, dans le cadre de sa mission de formation, s’est chargée d’une action de la formation
et de la sensibilisation des intermédiaires et des entreprises impliquées dans le projet
Quelques enseignements.
L’implication des familles.
Le travail avec les familles est très prégnant dans le parcours des bénéficiaires. Il est pensé comme
permettant d’augmenter l’adhésion des familles au programme (avec l’hypothèse que cela procure un
soutien au candidat) et de prendre en compte des contraintes sociales spécifiques pour lesquelles
l’absence de réponse pourrait faire obstacle à une bonne inscription dans le programme (par exemple
l’existence d’enfants pour lesquels il faut organiser un système de suivi scolaire pendant que le parent
est en stage).
Ce souci de prendre en compte la dimension familiale dans le programme semble toutefois s’inscrire dans
une approche plus générale de la toxicomanie en Italie où la famille occupe une place importante dans
la prise en charge socio-sanitaire, ainsi que l’illustre ce propos d’un professionnel : " S’ils ne reconstruisent
pas la relation avec la famille, autant qu’ils restent sous méthadone toute leur vie ".
Un profil de stagiaires qui interroge.
Là comme dans les autres programmes, le profil des candidats pose la question de la pertinence du
recrutement ; manifestement, certains d’entre eux ne correspondent pas aux publics attendus dans le
cadre du programme.
Ainsi, que signifie, pour une structure, d’intégrer un stagiaire âgé de 56 ans dans un projet de réinsertion
professionnelle ?
Cela interroge les procédures et les critères du recrutement, réalisé par l’équipe du SERT.
Cette problématique est d’autant plus prégnante que quatre communautés thérapeutiques sont
installées dans la région et accueillent des publics qui correspondent aux critères d’inclusion (et
rappelons que la campagne de promotion du projet s’était aussi adressée aux communautés
thérapeutiques), mais qu’elles n’ont pas été associées au recrutement.
Des relations difficiles entre les partenaires et des positionnements bloquants.
Ce sujet semble constituer l’une des difficultés majeures pouvant obérer le bon déroulement du projet.
En effet, il apparaît clairement que deux approches sont à l’œuvre et ne se croisent pas. La première,
qui a la main sur le recrutement et le déroulement du parcours, est d’ordre sanitaire et est portée par
la forte implication du SERT de Sulmone, pour les raisons liées à la genèse du projet. La seconde,
qui organise le volet formation, relève du social et est portée par Forcoop. D’un point de vue symbolique,
il est intéressant de constater que cette distanciation entre les deux approches se traduit aussi
par un éloignement géographique : la Casa Giuseppe est à Sulmone tandis que le centre de formation
et la Forcoop sont à Pescara…
Nous arrivons ainsi à une situation où les deux partenaires essentiels du projet ont peu de liens entre eux,
leurs intérêts sont divergents et ils n’ont pas su ou pas pu développer une culture de réseau.
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Cette configuration du projet peut conduire assez rapidement à une impasse et à une logique de
développement autonome de chacune des deux structures au détriment de la promotion d’un projet
partagé et de pratiques communes. Et, pour les bénéficiaires, ne faut-il pas craindre une moins-value
d’une prise en charge globale dans laquelle les interventions manquent de lien ? Finalement, nous avons
le sentiment d’être dans une situation où ce qui peut être facteur favorisant et dynamique dans le
développement d’un projet (les interconnections de structures en raison du positionnement des acteurs)
devient un facteur bloquant (le repli sur des territoires et des intérêts). Dès lors, les soucis de positionnement
rejaillissent sur tous les autres partenaires.
Cette difficulté de positionnement des acteurs ne semble toutefois pas spécifique au projet EQUAL.
En effet, ce manque de culture de réseau et de travail partenarial semble caractériser plus généralement
les relations, en Italie, entre les systèmes sanitaires (soin aux toxicomanes) et sociaux (réhabilitation),
qui sont conflictuelles (le social, par exemple, reprochant ainsi au soin de ne pas prendre en compte tous
les facteurs qui influent sur la toxicodépendance). Les termes de ce conflit sont d’autant plus importants
que les deux secteurs sont aujourd'hui confronté à la perspective d’un avenir commun : en effet, les
autorités italiennes réfléchissent à une nouvelle loi qui intègrerait le sanitaire et le social dans un même
système, et entraînerait une revalorisation du rôle et du poids du social par rapport au soin. Ces relations
tendues se traduisent par des logiques de repli sur des territoires, logiques elles aussi à l’œuvre dans
le projet EQUAL.
Au moment de la visite du programme, en octobre 2007, le centre avait reçu 15 demandes, parmi
lesquelles quelques femmes. Les 15 personnes se répartissaient de la façon suivante par rapport au
processus du programme :
- quatre personnes en attente d’entrer dans le processus,
- cinq personnes en phase 1 (diagnostic et évaluation),
- six personnes en phase 2 (élaboration du projet individuel).
Grèce
Au cours de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, la multiplication des saisies de moyenne
importance de toutes les drogues (héroïne, cocaïne, dérivés du cannabis) témoigne de l’évolution du
rôle dévolu à la Grèce par les filières internationales du trafic. La Grèce semble coincée entre la Turquie,
principale porte d’entrée (voire de production) de l’héroïne en Europe, et l’Albanie, pays très impliqué
dans des réseaux internationaux de drogues. Cette intensification du trafic a deux conséquences :
l’augmentation d’une consommation déjà importante et le rôle nouveau du pays dans le blanchiment
de capitaux issus de tous les trafics balkaniques.Pour ces capitaux,la Grèce constitue une porte d’entrée
dans l’espace Schengen.
Cependant des exigences contradictoires en matière de politiques nationales et internationales
contribuent à une certaine paralysie institutionnelle (comme l’illustrent les sept longues années
nécessaires à la rédaction d’une loi-cadre sur les drogues) et à une sous-estimation de ce phénomène.
Le gouvernement se trouve en effet dans l’obligation de donner des réponses aux problèmes
(production, consommation, corruption, criminalité) et d’apparaître ainsi en accord avec le courant
dominant de la communauté internationale en matière de politique des drogues, tout en étant tenté
d’utiliser cette question comme une arme diplomatique contre la Turquie. L’action du gouvernement
semble aussi conditionnée par les enjeux de la géopolitique balkanique.
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Conséquence de ce positionnement géographique : l’héroïne circulant en Grèce est très pure, et
est ainsi à l’origine de nombreux cas de surdoses mortelles. Selon Marina Papadi, responsable du centre de
réhabilitation d’Athènes, " les drogues sont désormais un mode de vie dans ce pays : uniquement à Athènes,
il y aurait 15 000 héroïnodépendants ". Une étude de l’Université d’Athènes montre que l’usage des drogues
a triplé depuis 15 ans. Comme presque partout en Europe, on note une explosion des poly-usages,
qui passent de 28,8 % des usagers en 1994 à 58,3 % en 2000.
Il existe en Grèce un caractère traditionnel de la consommation de cannabis malgré son interdiction.
Le nouveau projet de loi-cadre anti-drogues du ministère de la Justice prévoit des peines réduites pour le
trafic des " petites quantités de drogues ", sans toutefois définir leur importance. Pour beaucoup de politiciens,
ces dispositions sont le résultat de pressions des juges et du ministère de l’Intérieur qui voient les tribunaux
et les prisons saturés par des petits délinquants et des paysans producteurs de cannabis en attente de leur
jugement pour production et trafic de drogues.
Au sein des deux grands partis politiques des voix s’élèvent depuis des années pour réclamer une
dépénalisation des drogues dites " douces ". Mais face à eux, la hiérarchie de l’Eglise et certains partis
politiques s’opposent violemment à tout assouplissement.
La Grèce compte 10,62 millions d’habitants, parmi lesquels figurent 3 770 toxicodépendants " identifiés "
(c'est-à-dire enregistrés dans les centres de soins) auxquels s’ajouteraient, dans la réalité, plus de
15 800 toxicodépendants, soit près de 20 000 personnes dépendantes (la fourchette statistique oscillant
entre 17 115 et 22 500 selon les différentes estimations). En 2004, 4 269 toxicodépendants ont contacté
des services spécialisés en Grèce.
En 1987, la loi définit le toxicomane non pas comme un criminel mais comme un malade.
1993 : la prescription de traitements de substitution est autorisée dans des centres publics agréés par le
ministère de la Santé.
2001 : la loi favorise l’insertion des toxicodépendants (subventions aux employeurs et création de structures
spécifiques pour la formation et la professionnalisation).
2002 : les ex-toxicodépendants sont autorisés à travailler dans la lutte contre la toxicomanie.
2003 : les peines encourues par les toxicodépendants sont allégées.
Le premier programme thérapeutique, dénommé ITHAKI, a ouvert en 1983 à Thessalonique.
C’est en 1987 qu’est créé le centre thérapeutique des personnes dépendantes (KETHEA), premier centre
de soins spécialisés. Celui-ci est alors intégré au programme ITHAKI. KETHEA est une association financée
par le ministère de la Santé qui met en œuvre des programmes visant au sevrage et à l’abstinence au
travers de : centres d’information, communautés thérapeutiques, centres de réadaptation et de
réintégration, programmes de soutien aux familles de toxicodépendants, interventions en milieu carcéral,
éducation et formation professionnelle.
Cette approche constituera l’unique réponse sanitaire proposée aux usagers de drogues jusqu’en 1994,
date de la création de l’organisation OKANA, elle aussi financée par le ministère de la Santé, suite à la loi
du 27 juillet 1993 autorisant la prescription de méthadone ; la loi prévoyait en effet la création d’un
organisme regroupant tous les centres de soins prescripteurs de traitements de substitution aux opiacés (TSO).
C’est la seule organisation en charge de la réduction des risques (RDR) et des programmes de substitution.
Elle gère 18 centres de substitution dans le pays (dont 11 à Athènes), 4 centres pour ados, 71 centres de
prévention et une communauté thérapeutique.
Ce dispositif est complété par l’hôpital psychiatrique d’Athènes (18 Ano), qui propose des centres
d’information, des communautés thérapeutiques, des centre de réadaptation et de réintégration,
des programmes de soutien aux familles de toxicodépendants.
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OKANA anime les centres de substitution.
Certains peuvent être intégrés aux hôpitaux psychiatriques et généraux, ou encore aux départements
psychiatriques de certaines universités.
Les centres d’OKANA dispensent méthadone et buprénorphine. Les critères d’inclusion sont : être âgé
au minimum de 20 ans, et, si l’on a moins de 35 ans, avoir essayé au moins une fois un sevrage. Les candidats
sont placés sur liste d’attente, mais certaines situations permettent d’être prioritaires (VIH, grossesse, etc.).
Un toxicomane peut intégrer un centre quel qu’il soit, indépendamment de son lieu de résidence. La règle
de dispensation de la méthadone est la délivrance quotidienne, sauf pour les patients bien stabilisés.
La buprénorphine est distribuée trois fois par semaine, sauf pendant une période de primo prescription de
dix jours (délivrance quotidienne). Les analyses sanguines et urinaires sont systématiquement faites à l’entrée
dans un programme de substitution. Le suivi de ces analyses est ensuite laissé à l’appréciation de l’équipe
thérapeutique.
Tous les traitements de substitution sont gratuits pour les patients et sont financés par le ministère de la Santé.
3 300 personnes suivent aujourd'hui un TSO.
Il existe 14 centres sociaux de réinsertion pour les toxicodépendants, qui dispensent éducation de base et formation professionnelle. Ils servent d’interface entre les
employeurs et les toxicodépendants mais aussi comme lieu de formation pour les éducateurs.
Il existe aussi des programmes spéciaux pour l’emploi des toxicodépendants qui reposent sur l’octroi de
subventions versées aux employeurs pour la création de 2 500 postes de travail. Les fonds européens
financent des actions similaires et l’organisation grecque d’emploi de main d’œuvre (OAED, équivalent
de l’Agence Nationale Pour l’Emploi française) subventionne aussi des dispositifs spéciaux.
Le projet Entaxi – Insertion.
L’origine de la loi instituant OKANA est liée à une mobilisation des acteurs contre les programmes de sevrage
" secs ", qui étaient alors la seule réponse existante. Des professionnels du soin, à l’instar de Christos Kokkoris,
actuel directeur du soin et de la prévention à OKANA, se sont particulièrement investis pour argumenter les
bénéfices de la substitution face aux oppositions de la société grecque (très conservatrice) et aux doutes
de la communauté scientifique.
Porté par OKANA, le projet Entaxi s’inscrit dans de nombreux partenariats institutionnels, dont un partenariat
plus opérationnel avec KETHEA. Mais ces deux organisations s’inscrivent dans un désaccord fondamental
quant à la prescription de traitements de substitution : en effet, KETHEA développe une approche clinique
plus traditionnelle, fondée sur le sevrage et l’abstinence. Ce projet a pour objectif de proposer des stages
de formation professionnelle à des publics ex-toxicodépendants. Il s’inscrit dans une pratique ancienne
du soin et de la réinsertion sociale des usagers de drogues. L’utilisation de la substitution est conçue comme
un moyen d’offrir une palette large de services psychosociaux ; prescrire un TSO n’est pas une fin en soi.
Aussi, la dimension d’insertion sociale et professionnelle apparaît rapidement, en particulier pour les
personnes sevrées.
Avec l’inscription dans EQUAL, le soutien psychosocial pour une insertion dans le monde professionnel
s’est renforcé. Un des services proposés par les centres est ainsi un programme d’insertion professionnelle, qui
repose sur 9 ateliers productifs (localisés dans d’autres lieux que les centres de soin, comme EKKEE à Athènes,
ou d’autres encore dont certains sont animés par KETHEA). Dans ces ateliers, les ex-usagers acquièrent des
compétences professionnelles qui sont supposées être recherchées sur le marché du travail.
Le programme de réintégration, d’une durée de 12 à 14 mois, s’articule autour de deux axes :
- un suivi médical
- une action de (re)positionnement sur le marché professionnel
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Un soutien psychosocial traverse la totalité du programme et le suivi post-réhabilitation. C’est pourquoi il
est également ouvert aux personnes qui ont un emploi.
Les différentes pathologies somatiques (dont le VHC, virus de l’Hépatite C, qui concerne environ la moitié
des bénéficiaires) sont prises en charge par le système de soins de droit commun. Le suivi médical au
centre a surtout pour objet de repérer les troubles psychiatriques, qui peuvent être pris en charge
directement par le centre (prescription et délivrance de traitements par le psychiatre).
Dans le pôle médical est intégrée la fonction de contrôle urinaire (avec un local aménagé à cet effet,
selon les mêmes modalités que dans les centres de soin – avec caméras). Une infirmière est dévolue
à cette fonction.
Dans leur majorité, les bénéficiaires du programme ont quitté très tôt le système scolaire et ont souvent
connu des longues périodes de chômage et des séjours en prison. Ils sont donc dans une situation
sociale précaire et n’ont souvent, comme seul recours, que la solidarité familiale. Leur situation face
au marché du travail est d’autant plus difficile qu’ils subissent une stigmatisation générée par leur statut
d’ex-usager de drogues.
Au moment de leur inscription dans le programme, la majorité sont chômeurs ou bien exercent un travail
non déclaré ; certains bénéficient de minima sociaux. Dans cette situation, ils sont confrontés à trois
problèmes majeurs :
- la nécessité de mobiliser des ressources personnelles pour " affronter " le marché de l’emploi,
- le besoin de combler des lacunes en matière de formation,
- la sortie d’un cursus marqué par l’exclusion sociale.
Trois types d’activité répondent à ces impératifs.
Concernant la mobilisation de ressources personnelles :
Le centre propose un groupe de travail sur toutes les questions liées à l’accès à un emploi (apprendre à
gérer ses émotions dans un cadre professionnel, rédiger un CV, les techniques de recherche d’emploi,
etc.). Cette activité de groupe est aussi ouverte aux personnes qui travaillent déjà pour les aider à garder
leur emploi.
Concernant la formation :
Le volet formation est mis en œuvre avec une structure spécialisée d’OKANA, le centre EKKEE, centre de
formation professionnelle dans lequel les stagiaires acquièrent les compétences techniques d’un métier
(photographie, orfèvrerie, etc.).
Le pôle formation cherche aussi à établir un lien avec les employeurs potentiels.
Concernant la lutte contre l’exclusion :
Le centre a établi un partenariat avec l’agence nationale grecque pour l’emploi pour favoriser
l’obtention d’un contrat de travail, qui repose sur un dispositif d’incitation financière au recrutement
de personnes en situation d’exclusion (dispositif général donc, qui ne concerne pas uniquement
les ex-usagers de drogues). En contrepartie d’une prise en charge des coûts salariaux par l’agence
nationale pour l’emploi, l’employeur s’engage à embaucher le bénéficiaire sur une durée de quatre ans.
Un autre volet de ce dispositif de soutien à l’emploi prévoit de soutenir la création d’entreprises par
les bénéficiaires (dotation de 16 000 euros). Quand il est mis en œuvre, ce dispositif fait l’objet d’un plan
établi avec un conseiller professionnel de l’agence et un responsable du centre. A titre d’exemple,
sur les 45 personnes qui étaient en voie d’achever leur parcours de réhabilitation fin octobre 2007 (sur
le seul centre EKKEE), cinq personnes se sont engagées dans un processus de création d’entreprise et
dix bénéficient d’un contrat de salariat aidé. Si ce dispositif constitue un vrai levier, il suscite des craintes
de la part des bénéficiaires car il les stigmatise : en effet, l’attestation du centre de réhabilitation,
nécessaire à l’embauche, " signe " en quelque sorte le statut d’ex-usager de drogues ; aussi, certains
préfèrent-ils rester dans le marché du travail au noir.
31
Quelques enseignements.
Les difficultés rencontrées par certains bénéficiaires ont amené l’équipe du centre
à réfléchir aux évolutions nécessaires. L’interdit de la consommation de produits psychoactifs,
y compris la méthadone, fut ainsi particulièrement difficile à respecter. L’équipe souhaiterait concevoir
le programme de réhabilitation en deux phases :
- Une première phase permettrait d’inclure des bénéficiaires qui ne sont pas en capacité d’arrêter
leur traitement méthadone mais qui sont désireux de s’investir dans une démarche de réhabilitation ;
pendant une période intermédiaire donnée, ces stagiaires pourraient donc continuer à bénéficier
d’une dose de maintenance, moins élevée (20 mg ?), avant de pouvoir passer dans la seconde phase,
qui correspond au format du programme actuel.
- Bien sûr,le programme de seconde phase resterait directement ouvert aux patients des centres de soins
qui sont sevrés de la méthadone.
Cette réflexion de l’équipe du centre s’inscrit dans une évolution plus générale de la philosophie de
la substitution en Grèce, avec un glissement de l’objectif premier assigné aux traitements de substitution,
à savoir le sevrage, vers un objectif de maintenance en vue de réduire les effets nocifs (y compris sociaux),
objectif qui était jusqu’alors une visée secondaire.
Au total, et sur l’ensemble du territoire, 2 464 personnes ont bénéficié des services de
conseil et orientation en insertion mis en place par OKANA et KETHEA, dans le cadre
d’EQUAL. 220 personnes ont participé aux 9 ateliers proposés et 88 d’entre elles ont trouvé un emploi dans
les 60 entreprises qui ont été associées à la démarche. 80 autres personnes ont obtenu des aides pour créer
leur propre entreprise.
France
La France est à la fois un pays de consommation de drogues mais aussi un pays de transit. Il est donc difficile
de séparer les quantités de drogues destinées au marché intérieur de celles qui ne font que transiter,
d’autant plus que ces dernières reviennent parfois après avoir été conditionnées dans un pays voisin.
L’introduction de mesures de réduction des risques au cours des années quatre-vingt-dix, dont une large
accessibilité des TSO, a conduit à un recul du trafic et de la consommation d’héroïne, de 1997 à 1999 ; mais
on constate une tendance à la reprise à partir des années 2000. Une désaffection à l’égard de l’héroïne
est toutefois constatée en comparaison des années soixante-dix et quatre-vingt.
Les quantités de cocaïne saisies sont en revanche à la hausse et l’on a observé une augmentation continue
des interpellations pour usage de cocaïne au cours des dix dernières années. Enfin, les saisies de drogues
de synthèses semblent ralentir.
Les intervenants impliqués dans le soin et la prévention de la toxicomanie constatent une montée des
polyconsommations.
La France compte 65 millions d’habitants parmi lesquels 250 000 à 300 000 toxicodépendants, dont
150 000 à 180 000 héroïnomanes et/ou cocaïnomanes. En 2000, 68 755 personnes étaient en traitement
de substitution ; elles sont aujourd’hui près de 100 000, traitements méthadone et Subutex® confondus.
La loi du 31 décembre 1970 constitue le cadre légal dans lequel s’inscrit la
politique française de lutte contre la toxicomanie. Elle s’articule autour de deux axes : la
répression de toutes les infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS), du trafic à la simple consommation
dans un cadre privé, et l’alternative thérapeutique aux sanctions pénales avec gratuité et anonymat des
soins pour les consommateurs.
32
Non modifiée depuis, la mise en œuvre de la loi de 70 n’est toutefois pas linéaire ni constante. D’une part
elle dépend de la volonté politique des pouvoirs publics en place, qui expriment leur lecture de la loi
dans un sens plus ou moins répressif par le biais de circulaires à destination des forces de l’ordre et
des magistrats. C’est ainsi qu’en 1978, une circulaire recommande d’éviter de poursuivre les usagers
de cannabis tandis qu’en 1995, une autre circulaire recommande d’éviter l’interpellation de personnes
en possession de seringues à proximité des programmes d’échange de seringues. A l’inverse,
une circulaire de mai 2008 incite à une répression accrue des ILS (Infractions à la Législation sur les
Stupéfiants), y compris la consommation.
D’autre part, elle a dû, depuis la fin des années quatre-vingt, prendre en compte les textes
réglementaires et légaux ayant progressivement introduit une approche de RDR dans le pays. Du décret
de 1987 autorisant la vente sans ordonnance de seringues en pharmacies à la loi de santé publique
d’août 2004 apportant une reconnaissance légale à la RDR, ces textes, et les pratiques qu’ils autorisent,
ont contribué à une autre lecture du phénomène de la consommation de drogues.
L’évolution la plus récente dans la lecture de la loi de 1970 concerne la consommation de cannabis,
qui semble faire l’objet d’une approche plus répressive (sanction) ou contraignante (obligation de soins)
de la part des pouvoirs publics.
Les premiers centres spécialisés dans le soin des toxicomanes apparaissent dans les années 70 ; il s’agit
bien souvent d’associations, très vite subventionnées et encouragées par l’Etat. Dans les années
quatre-vingt, l’Etat prend en charge la gestion et le financement de ces centres spécialisés, auquel il va
donner un statut particulier : les Centres de Soins Spécialisés en Toxicomanie (CSST), qui deviennent
le cœur du dispositif de prise en charge.
Dans la même période, les pouvoirs publics vont s’investir plus activement dans la lutte contre la
toxicomanie. C’est ainsi qu’est créé en 1982 une mission interministérielle de lutte contre la drogue et les
toxicomanies (MILDT), dont la mission est de définir, animer et coordonner la politique du gouvernement
en matière de lutte contre la toxicomanie sous la tutelle du premier ministre. Cette politique est déclinée
à partir de 1985 au niveau local suite à la création de conseils départementaux de lutte contre
la toxicomanie.
Le Plan triennal 1999-2002 élaboré par la MILDT élargit la lutte contre les drogues à l’ensemble des
produits psychoactifs (tabac, alcool et médicaments) et vise aussi à promouvoir la réduction des risques.
Enfin, à partir de 2002, le paysage de la prise en charge sanitaire et sociale des usagers de drogues va
évoluer : la loi de 2002 réformant l’action médico-sociale va mettre fin au régime spécifique des soins
spécialisés en toxicomanie en les inscrivant dans le régime de droit commun (secteur médico-social) ; sont
ainsi institués les Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), qui
verront le jour en 2008 et sont destinés à prendre en charge toutes les personnes présentant des troubles
addictifs. Les structures spécifiques dédiées à la RDR vont elles aussi, rejoindre le même secteur
médico-social, avec la création, par la loi de 2004, des Centres d’Accueil et d’Accompagnement à
la Réduction des risques des Usagers de Drogues (CAARUD), ouverts à partir de 2006.
Les traitements de substitution n’ont été généralisés que tardivement en France.
Après une longue période d’utilisation expérimentale de la méthadone dans deux centres en France
depuis 1973 (au bénéfice d’une quarantaine de patients), les pouvoirs publics commencent à autoriser
des centres de soins à prescrire de la méthadone au début des années quatre-vingt-dix, toujours dans un
cadre expérimental. Mais c’est en 1995 que le tournant majeur s’opère, avec l’autorisation de mise sur le
marché de la méthadone d’abord (mars), puis de la buprénorphine haut dosage (juillet).
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La méthadone fait l’objet d’un cadre de prescription plus restrictif que la buprénorphine, qui, elle, peut
être prescrite par tout médecin. La primo-prescription de méthadone ne pouvait se faire que dans
un centre de soins spécialisé jusqu’en 2002, année où tout médecin exerçant en établissement de santé
a été autorisé à primo-prescrire. Un relais en médecine de ville peut être proposé pour les patients
stabilisés avec leur traitement méthadone. La buprénorphine est, de loin, le traitement de substitution
le plus utilisé en France puisqu’elle concerne 80% des personnes substituées. Les traitements de
substitution sont intégralement pris en charge par l’assurance maladie et sont donc gratuits pour les
personnes substituées.
La première mesure de RDR en France date de 1987, avec l’autorisation de vente
libre des seringues en pharmacie (Loi Barzach).Puis sont mis en place les premiers programmes
d’échanges de seringues, et certains médecins généralistes commencent à prescrire des opiacés.
Les traitements de substitution et les dispositifs de réduction des risques sont généralisés à partir de 1995.
L’Association Française de Réduction des risques (AFR) est créée en 1998.
Enfin, en 2004, la loi de santé publique inscrit la réduction des risques au code de Santé publique et
institue les CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers
de Drogues).
La réinsertion ou l’insertion des toxicodépendants soulève une question majeure :
alors que la prise en charge des addictions relève de la compétence de l’Etat,
l’action sociale, dont relève l’insertion, est conduite par les collectivités locales.
Cette ambiguïté explique peut-être l’absence de politique volontariste forte pour améliorer cette
insertion. Le plan addiction 2007-2011 adopté par le gouvernement en novembre 2006 traduit cette
absence, puisque la question de l’insertion des toxicodépendants est quasiment absente de ce
document censé définir les objectifs et les actions en matière de prise en charge de ces publics.
De leur côté, les Programmes Départementaux d’Insertion, en charge de l’attribution du Revenu Minimum
d’Insertion, financent la mise en œuvre d’actions de formation et de dispositifs d’aide à l’insertion
de publics en difficulté, dont les publics toxicodépendants. Mais la mise en œuvre montre que ces
derniers n’ont en général pas accès à ces dispositifs sans accompagnement spécifique.
Le projet " Les étapes vers l’emploi ". Drogues et Société a été créée en 1985, dans le cadre
d’initiatives politiques locales, à un moment où les réponses institutionnelles classiques ne pouvaient pas
faire face aux besoins de publics toxicodépendants vivant dans des situations de grande précarité, à
la périphérie de grandes villes. Sa démarche s’est inspirée des références italiennes de territorialisation et
de désinstitutionalisation (ou déspécialisation) des modes d’intervention. L’inscription de son action dans
d’étroits partenariats locaux a permis de faire face à un certain nombre de problèmes liés à la réalité du
phénomène des drogues : groupes de travail autour des petits trafics, des seringues abandonnées et de
l‘inquiétude des habitants ; séances de sensibilisation et de formation autour des difficultés rencontrées
par les professionnels de proximité ; aide à l’auto-support des familles et des usagers pour une meilleure
socialisation des problèmes liés aux drogues.
Cette pratique de travail en réseau a facilité l’engagement de l’association sur la question de l’insertion.
En effet, dès 1995, lors de l’autorisation de mise sur le marché et de prescription des traitements de
substitution, l’association a tenté de répondre aux besoins d’insertion, ou tout simplement occupationnels,
de publics qui ne savaient plus comment occuper leur quotidien. Les TSO sont venus libérer un temps
qui avait été jusqu’alors occupé, souvent pendant des années, à une activité centrée sur les produits
(recherche d’argent, recherche de drogues), inlassablement recommencée plusieurs fois par jour.
A cette fin, un stage de redynamisation et d’aide à l’insertion, " Les Etapes vers l’Emploi ", a été mis
en place. Ce stage d’une durée de neuf mois, à raison de 25 heures par semaine, a accueilli chaque
année 10 à 12 personnes. Ce sont ainsi 150 personnes qui ont fréquenté ce dispositif depuis sa création.
34
Les bénéficiaires de ce programme sont essentiellement des usagers encore fragiles et souvent mal
stabilisés dans leur traitement, alors que. pour les usagers mieux stabilisés, ou pour les ex-usagers, le choix
a été fait de recourir à des dispositifs de droit commun. Mais cette action a aussi bénéficié à ces
personnes mieux stabilisées dans la mesure où les réseaux qui se sont, au fil des années, mis en place
autour du stage ont permis à certaines d’entre elles d’accéder à un emploi.
L’action est conduite en partenariat avec d’une part les collectivités territoriales : le Conseil Général,
par le biais du Programme Départemental d’Insertion (PDI) sur des crédits du RMI, et cinq communes
avec lesquelles Drogues et Société est en convention, dont la ville de Créteil ; d’autre part avec un
organisme de formation. En effet, l’équipe n’ayant pas au départ d’expérience particulière de l’insertion
professionnelle, il lui fallait un partenaire expérimenté.
Quelques enseignements.
Les évolutions nécessaires des contenus du stage et des positionnements
professionnels. Lors de sa conception, les objectifs de ce programme portaient essentiellement sur
une remise à niveau en français et en calcul avec une aide à l’élaboration d’un projet professionnel. Puis,
pour répondre aux problèmes de santé rencontrés par les publics, a été mis en place un atelier santé au
cours duquel les stagiaires ont pu rencontrer différentes personnes ressources :
- des hépatologues et des immunologues intervenant dans un cadre non clinique (ce qui a pu
favoriser leur orientation ultérieure vers ces professionnels),
- des diététiciens et des intervenants de techniques psycho-corporelles (ce qui a pu favoriser une
autre appréhension de la notion de santé),
- des collectifs d’auto-support tels que Narcotiques Anonymes, Auto-Support Usagers de Drogues,
pour développer et soutenir l’intérêt de l’entraide face à une problématique de dépendance.
A ces adaptations en matière de contenus du stage se sont ajoutées des évolutions dans le positionnement
professionnel des membres de l’équipe du centre de soins qui intervenaient face aux groupes en
formation : pour les stagiaires, l’équipe était bien sûr connue comme soignante, mais elle était aussi
désormais perçue comme formatrice et employeur (la participation au stage permettait en effet de
bénéficier d’une allocation complémentaire au RMI, spécifique au département du Val-de-Marne, versée
par le centre de soins). L’ambiguïté pouvait être d’autant plus grande que les stages étaient initialement
organisés au centre de soins. Les fonctions respectives de chacun des partenaires (équipe soignante
d’une part, organisme de formation d’autre part) ont été précisées. Cette répartition des rôles de chacun
n’a pas conduit à un cloisonnement mais plutôt à un partenariat quotidien pour que les décisions soient
prises d’un commun accord.
Se décentrer du produit.
Au-delà de ces adaptations très concrètes nécessitées par le projet lui-même, une autre condition
critique pour le succès du projet a surgi : la meilleure prise en compte d’une caractéristique spécifique
aux publics toxicomanes, qui vient rendre plus complexe une action de socialisation ; à savoir, les
difficultés de communication : la difficulté à écouter l’autre ainsi que la difficulté à partager et à
participer à un projet collectif. Pour beaucoup de stagiaires, les échanges avec d’autres avaient été
jusqu’alors essentiellement liés aux partages liés aux produits, ventes, reventes, recherches communes
de drogues. Sans préjuger d’une antériorité à la toxicomanie ou non de ces difficultés de communication,
elles ont probablement été aggravées par la trajectoire dans la toxicomanie.
Pour surmonter cet obstacle, des ateliers de dynamique de groupe ont été organisés. Un psychologue
a travaillé avec les participants d’une part sur leur relation au produit en tant que principal vecteur, jusque-là, de
relation à l’autre,et surtout d’autre part sur leurs difficultés à s’engager dans un vrai projet collectif,tant que la relation
au produit était encore trop présente.Des projets communs au groupe ont ainsi pu être mis en œuvre, soit sur un plan
artistique (pièce de théâtre, recueil de textes, dessins pour une exposition…), soit plus pragmatiques, comme la
réalisation d’une plaquette de prévention de l’hépatite C. D’autres ateliers visaient également à renforcer la
capacité de communication et l’estime de soi.
35
Malgré des parcours de formation mieux adaptés et plutôt réussis pour un certain nombre de stagiaires,
les résultats en termes d’insertion étaient plutôt faibles. Les publics ne quittaient pas le centre à la fin
de leur stage et étaient souvent demandeurs de faire un second stage de neuf mois. L’équipe a
quelquefois accepté, mais cela n’a pas été sans difficulté dans la mesure où était entériné un sentiment
d’échec lié à l’impossibilité de trouver une orientation. Cette situation posait aussi, en filigrane, la question
de la capacité des partenaires à accueillir et intégrer ces publics.
Une dynamique de mobilisation des partenaires.
L’inscription dans EQUAL, qui a permis une confrontation avec l’engagement d’Etats (Grèce), de collectivités
locales (Portugal, Lituanie) ou bien d’organismes de formation, voire de la société civile (Italie), a été tout
à fait déterminante pour l’évolution de ce projet. En effet, les partenaires et décideurs français engagés
aux côtés de Drogues et Société, qui ont été associés à différentes missions dans les autres pays dans
le cadre des activités transnationales, ont pu mettre en perspective l’action mise en œuvre dans le
Val-de-Marne avec d’autres horizons, ce qui les a confortés dans leur partenariat. Leur mobilisation s’est
ainsi renforcée, ce qui a favorisé la constitution de véritables réseaux locaux où ont été impliqués, dans
le cadre de groupes de travail, les services en charge du RMI, d’autres centres de soins, les services
pénitentiaires en charge du suivi de personnes en sursis ou sortantes de prison, des entreprises d’insertion
ainsi que des décideurs (élus locaux notamment).
Cette dynamique a permis un important travail sur les représentations des différents acteurs. Les services
en charge du RMI ont ainsi pu mieux comprendre les parcours des publics toxicodépendants, qu’ils
ne recevaient généralement pas. Le même impact a été constaté du côté des entreprises d’insertion,
qui recrutaient certes des publics marginalisés mais rarement toxicomanes, les représentations étant négatives
et la discrimination très élevée. Les portes des entreprises ont alors commencé à s’ouvrir. Les soignants
eux-mêmes considèrent avoir considérablement pu évoluer grâce à ce programme,
ainsi que l’illustre ce propos d’un professionnel : " On s’est aperçu que nous n’étions pas capables
de prendre le téléphone pour proposer l’un de nos stagiaires sur un poste vacant, que nous étions
convaincus qu’il ne serait pas recruté ou bien qu’il ne serait pas capable de faire face à ce que l’on
attendrait de lui… Nous préférions le voir réintégrer nos salles d’attente plutôt que d’imaginer devoir gérer
les multiples conflits dans lesquels il s’impliquerait sur son lieu de travail ".
La constitution de ces groupes de travail autour du dispositif mis en place par Drogues et Société ainsi que
les collaborations qui se sont engagées avec d’autres équipes ont permis de démontrer les capacités des
usagers de drogues à travailler et à être autre chose que des patients réduits à une dimension de simples
demandeurs de soins et d’assistance. De fait, l’insertion, c’est aussi permettre à des usagers de sortir du
cadre dans lequel les enferment les réponses cloisonnées des services spécialisés.
Sur la durée du programme, une cinquantaine de partenaires, mais aussi de bénéficiaires, ont été
associés à différentes missions. Cela a favorisé l’engagement des bénéficiaires dans les stages et celui des
partenaires et décideurs français dans la compréhension du programme et la recherche de solutions pour
en favoriser la pérennisation. Les résultats du programme en ont été alors nettement améliorés.
L’action conduite de 2004 à 2007 a concerné 37 personnes, parmi lesquelles 3 femmes, toutes très
éloignées de l’emploi et encore mal stabilisées dans leur traitement de substitution :
- 4 sont encore inscrites sur le dispositif,
- 13 ont été en situation d’emploi après le stage, 8 y sont encore à ce jour, mais sont encore fragiles
et nécessitent un soutien. Parmi celles qui ont perdu leur emploi, 2 ont gravement rechuté,
- 8 personnes sont perdues de vue,
- 4 ont quitté la région, 1 est incarcérée,
- 7 personnes toujours suivies par notre centre, ont pu modifier leur rapport à un projet d’insertion.
Outre ces 37 personnes, 20 autres ont pu bénéficier des réseaux mis en place et s’engager sur un projet
d’insertion : bilan de compétences, stage qualifiant ou emploi.
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SECONDE PARTIE
LEÇONS
DE CES EXPERIENCES
ET DE LA COOPERATION
TRANSNATIONALE
37
CHAPITRE 3
PREMIÈRES LEÇONS À PARTIR DE L’ANALYSE
DES PROJETS NATIONAUX
Au-delà de la description des projets nationaux, nous avons souhaité analyser différentes questions apparues
lors de la mise en œuvre concrète de chacun d’eux. Cette analyse ne constitue pas une évaluation en tant
que telle (ce qui n’était pas la mission confiée à CCMO), mais bien une lecture extérieure quant aux
obstacles qu’ont dû surmonter ces projets et aux difficultés auxquelles ils sont ou ont été confrontés.
Cette analyse " nationale " constitue la première étape de l’analyse concernant la coopération transnationale.
Les éléments sont issus des missions effectuées dans chacun des cinq pays.Ces cinq missions ont été conçues
selon une même grille d’intervention :
- rencontre avec les partenaires du PDD,
- visite du ou des lieux de réalisation des activités,
- rencontre avec les publics bénéficiaires en cours de stage et ayant fini leur stages,
- rencontre avec des partenaires extérieurs au projet national ou avec des acteurs/observateurs
du champ des addictions et de la prise en charge des publics toxicodépendants.
Le planning de ces missions était organisé,à partir de ces demandes,par les PDD nationaux et Drogues et Société ;
CCMO a parfois complété de sa propre initiative d’autres rencontres.
La réalisation effective de chacune des missions dépendant fortement de la programmation des rencontres
par les PDD et de l’état d’avancement du projet national, aucune mission ne s’est déroulée selon
la totalité du schéma présenté ci-dessus. Concernant l’Italie, il convient de préciser que lors de la mission,
le programme ne faisait que débuter,ce qui limite la portée de l’analyse (les premiers usagers étaient en voie
de recrutement et d’inclusion dans le programme).
Nous nous proposons d’analyser ici ces projets nationaux de façon transversale autour de questions
qu’il conviendra de prendre en compte dans les conditions de diffusion de ces expérimentations.
Ces questions concernent :
- les objectifs de chaque projet national
- les publics ciblés par ces projets
- le recrutement des bénéficiaires
- les partenariats pour chaque projet national
- le rôle des bénéficiaires dans les projets
- l’articulation avec les politiques sociales
- la sortie des dispositifs mis en place au sein de chaque projet
- les moyens et infrastructures affectés aux projets nationaux
Objectif des projets nationaux.
Les cinq projets nationaux se différencient selon deux types d’objectifs,auxquels correspondent deux modalités
différentes de formation :
• Accès à un emploi (Lituanie, Grèce, Italie) après formation qualifiante,
• Facilitation de l’accès au monde du travail et à l’emploi (France,Portugal) après un stage de redynamisation
et de revalorisation personnelle.
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Au sein du premier groupe, les niveaux de formation qualifiante sont eux-mêmes très différents : la Lituanie
propose certainement le programme le plus abouti en matière de définition d’un profil de métier (serveur,
barman) et de définition d’un corpus de compétences théoriques et pratiques à acquérir ; Grèce et Italie
développent des programmes plus orientés vers l’acquisition de compétences techniques à moins grande
valeur ajoutée, au travers d’ateliers à vocation professionnelle très ciblée (atelier photographie, atelier
bijouterie, atelier métal, atelier parcs et jardins,etc.).La distinction opérée par les anglo-saxons se révèle utile pour
classer ces deux approches : " professional training " pour le projet lituanien, " vocational training " pour les projets
grecs et italiens.
Au sein du second groupe, la proximité des projets français et portugais est en revanche forte du point de vue
des contenus et des objectifs des stages (même si l’environnement institutionnel et partenarial dans lequel
ils s’inscrivent est très différent – voir plus bas).
Les publics ciblés.
Les publics ciblés correspondent bien évidemment aux objectifs définis ci-dessus.
Dans le cas des programmes de formation qualifiante, nous sommes en présence de personnes qui ont des
caractéristiques sociodémographiques (dont l’origine sociale et familiale) et des aptitudes personnelles
différentes de celles qui participent aux programmes de redynamisation.
Pour les programmes qualifiants, plus la formation est de nature " professional training ", plus les bénéficiaires
semblent issus de catégories socio-professionnelles moyennes ou supérieures, avec des trajectoires moins fortes
dans la toxicomanie en termes de durée ainsi que de conséquences sanitaires, sociales et judiciaires (Lituanie).
En Grèce, où le niveau de formation relève plus du " vocational ", on retrouve les mêmes caractéristiques mais
amoindries.Dans les deux cas,le soutien familial semble jouer un rôle important dans les ressources à disposition
de ces personnes.
En revanche, les publics des projets français et portugais correspondent à des personnes plus " marquées "
par la toxicodépendance, en situation de relégation ou d’exclusion sociale, relevant des politiques publiques
sociales, et dans un état sanitaire plus dégradé que leurs collègues lituaniens ou grecs.
L’Italie ne permet pas de porter une analyse dans la mesure où le recrutement était en cours. Toutefois, les
premiers recrutements laissaient apparaître des personnes ayant des profils peut-être moins adaptés aux
objectifs de la formation : leurs caractéristiques personnelles laissaient peser des incertitudes quant à la
pertinence de l’inscription dans un programme de formation qualifiante destiné à accéder au marché
du travail (âge prononcé, multiplicité de troubles addictifs et psychiatriques).
Le recrutement.
L’analyse des cinq programmes fait apparaître des différences substantielles sur les modalités d’identification
des personnes susceptibles d’être recrutées. Initialement, les procédures suivantes sont prévues :
Portugal : il n’existe pas de procédures particulières pour identifier les potentiels candidats qui sont recrutés
par Atelier Arte e Expressão (Caldas est " une petite ville où tout le monde se connaît… ").
Lituanie : identification et recrutement par le centre de soins.
Italie : identification et recrutement par le centre de soins.
Grèce : OKANA dispose d’un " vivier " naturel de recrutement au travers de ses différents dispositifs de prise
en charge, ainsi qu’au travers des services de KETHEA.
France : identification et recrutement des candidats dans la file active du centre de soins, ainsi que
minoritairement dans celles d’autres centres de soins, de Services Pénitentiaires d’Insertion et de
Probation et de services instructeurs du Revenu Minimum d’Insertion.
Dans les différents pays, le recrutement constitue une étape cruciale dans la mise en œuvre des programmes
d’insertion professionnelle. Tous les programmes ont défini un protocole d’accès, mais la réalité montre que
l’application de ces protocoles est difficile.
39
En Lituanie, si les candidats doivent être adressés par le centre de soins, nous constatons que nombre d’entre
eux arrivent par un réseau relationnel (amis ou proches qui ont déjà participé au programme et qui introduisent
le candidat, familles qui connaissent les acteurs investis dans la prise en charge de la toxicomanie, etc.).
En Italie, le recrutement est censé reposer sur les centres de soins lui aussi. Mais dans la réalité, nous constatons
une " file active captive " dans un seul centre de soins,qui sert de vivier de recrutement à un projet naissant,sans
réelle possibilité d’intervention de la coopérative, en charge des programmes de formation sur cette première
étape, ni d’autres partenaires (communautés thérapeutiques).
En Grèce, le centre de soins joue lui aussi un rôle pivot dans l’orientation des candidats au programme de
réinsertion. C’est le seul pays qui semble appliquer le plus son protocole d’accès au programme ; peut-être
est-ce lié à des modalités de suivi qui sont identiques avant et pendant le programme d’insertion (dont
l’encadrement autour des contrôles de consommations).
En France, le centre de soins propose lui aussi à des personnes de sa file active d’intégrer le programme
d’insertion professionnelle qu’il développe dans sa structure. Des entretiens d’admission sont réalisés avec les
candidats orientés par d’autres structures.
La question qui est posée est donc la suivante : faut-il assouplir ou réviser les protocoles au regard de la
confrontation avec la réalité ? A défaut, les programmes prennent le risque de ne pas recruter les personnes
adéquates, c'est-à-dire celles pour lesquelles ces programmes sont conçus. Cette situation existe déjà avec
les exemples suivants : accueillir des personnes qui, au regard de leurs caractéristiques sociodémographiques,
de consommation et de santé, ne pourront que très difficilement accéder au marché du travail (Italie) ou alors
dont le parcours devrait amener à solliciter d’autres réponses (Lituanie).
Peut-être que les seuils de recrutement, qui sont élevés, génèrent une vraie difficulté à accueillir des candidats.
Il apparaît globalement une unité de lieu pour l’identification des stagiaires potentiels.Cette unité de lieu est plus
ou moins stricte : cela va du recrutement uniquement interne au centre de soins à un recrutement élargi à un
territoire géographique circonscrit (la ville généralement).
Chaque projet prévoit une procédure de recrutement, plus ou moins longue et stricte selon les projets : cela
va de l’entretien unique à des périodes de validation de plusieurs mois (où est par exemple vérifiée l’absence
de consommations de produits psychoactifs). Plus la condition de non consommation est présente, plus les
procédures de recrutement sont longues et encadrées. De ce point de vue, le critère de l’abstinence est un
discriminant des projets nationaux :
- en France et au Portugal, ce n’est pas un pré requis,
- en Italie, en Grèce et en Lituanie, c’est une condition d’inclusion (avec une condition supplémentaire pour
la Lituanie : ne pas avoir été en traitement de substitution).
Soulignons que la différenciation des programmes selon le critère de consommation se superpose à la classification des
programmes selon leur objectif : ce sont les deux programmes proposant des stages de redynamisation qui autorisent
la substitution alors que ceux qui sont fondés sur une formation qualifiante interdisent la consommation,et mettent
en outre en œuvre des mesures de contrôles réguliers de consommation.
La place centrale accordée au sevrage de la substitution dans l’accès et le maintien dans ces programmes
interroge.Tant les usagers eux-mêmes (Italie) que les professionnels (Grèce) admettent que cette position est difficilement tenable. L’intérêt d’une coopération européenne serait peut-être d’amener les programmes à
réfléchir collectivement à cette question, pour les aider à surmonter cette difficulté (dont celle, évoquée par les
professionnels, d’avoir un sentiment d’échec face aux protocoles de soins). Plus qu’un objectif préalable,
le sevrage devrait pouvoir être considéré comme un des possibles résultats d’un programme de réhabilitation.
Bien plus, comme il n’existe que peu de programmes de ce type, le critère du sevrage peut devenir le critère
majeur de sélection des candidats (qui sont plus nombreux que le nombre de places offertes).
Se décentrer du sevrage semble, pour les professionnels, un enjeu majeur dans la poursuite et l’efficacité
des programmes.
40
Les partenariats
Formellement, l’existence de partenariats nationaux (appelés partenariats de développement, PDD) est
matérialisée par la signature d’un projet commun, spécifiant la responsabilité de chaque partenaire dans
la réalisation des objectifs ainsi que les contributions et rétributions de chacun par rapport au budget global.
Au-delà de cette condition de forme, qui s’impose de façon identique à chacun des projets nationaux,
nous constatons que la matérialisation et la vie du partenariat national se traduit par cinq situations
complètement différentes :
PORTUGAL
PDD : le partenariat est constitué de trois acteurs, Atelier Arte e Expressão, la commune et l’association
Canguru, intervenant sur les quartiers sensibles de la ville.
Réalité : le porteur principal du projet, qui conçoit et anime les ateliers de redynamisation, semble très seul
et très isolé par rapport aux services municipaux et au centre de soins de référence. Cette
situation a amené l’équipe d’Atelier Arte e Expressão à adopter une approche très pragmatique
pour surmonter les difficultés rencontrées (dont la gestion des consommations pendant le stage).
Si l’équipe a ainsi fait d’une faiblesse une force, il n’en reste pas moins que l’efficacité d’une
telle stratégie repose sur les aptitudes personnelles et le volontarisme des trois animateurs de
l’équipe, ce qui fragilise malgré tout un tel programme.
LITUANIE
PDD : quatre partenaires (le Mano Guru Bar, le Collège Coopératif, la ville de Vilnius et le Centre de soins
et d’insertion).
Réalité : le recrutement, normalement assuré par le Centre de soins, semble de fait en grande partie
reposer sur un processus de bouche à oreille entre anciens et nouveaux stagiaires ; le programme
paraît assez découplé du volet soin, et porté par des intervenants qui n’ont pas ou peu de
compétences et/ou d’expérience dans le champ des addictions. Cette situation peut conduire
à des difficultés en termes d’inclusion ou de suivi des stagiaires, même si l’assistante sociale
du centre de soins est impliquée dans ce suivi.
ITALIE
PDD : trois partenaires (la coopérative sociale, la communauté de communes et le centre de soins).
Réalité : chaque entité semble travailler de façon autonome, avec des objectifs propres à chacune des
deux structures et qui peuvent être divergents : étoffer une offre de prise en charge pour le SERT,
développer une approche novatrice d’insertion pour la coopérative sociale. Cette différence
d’objectifs semble se traduire dans la façon dont les infrastructures matérielles et humaines ont été
définies pour permettre la réalisation du programme.Elles sont enfin assez visibles dans les difficultés
relationnelles entre les responsables des deux équipes. Cette situation aboutit à un clivage de fait,
où chaque partenaire est " cantonné " à son domaine d’intervention (le recrutement et le suivi
pour le SERT, la formation pour la coopérative sociale).
GRÈCE
PDD : la tête de liste est une importante organisation d’envergure nationale (OKANA), qui compte une
dizaine de partenaires dont la fédération de centres de soins KETHEA, l’hôpital psychiatrique de
Thessalonique, l’Université d’Athènes, la fédération nationale des formateurs…
Réalité : au travers des structures qu’elle a développées (centres de prévention, de soins, de réhabilitation,
de formation), OKANA a une vision d’ensemble de l’offre de prise en charge sanitaire et sociale
des usagers qu’elle inclut dans ses programmes. Il s’agit là d’une configuration très particulière par
rapport aux autres projets nationaux. Cette situation lui permet de réaliser le projet, mais semble
impliquer des liens difficiles avec d’autres structures de prise en charge (comme le réseau KETHEA,
pourtant partenaire du projet).
41
FRANCE
PDD : Drogues et Société a signé un accord de partenariat avec deux des cinq communes avec lesquelles
l’association est en convention.
Réalité : le projet repose sur un partenariat large en termes de compétences, de champs d’intervention
et de statuts des acteurs (soin, formation, politiques publiques d’insertion, entreprises d’insertion ;
acteurs privés et acteurs publics).S’il semble bien conçu " sur le papier ",l’efficacité de ce partenariat,
dans sa mise en œuvre concrète, semble reposer sur trois éléments : une fonction forte d’animation
investie par le directeur de Drogues et Société ; l’instauration d’un cadre régulier d’échange (le
comité de suivi des bénéficiaires et du programme), qui joue aussi un rôle indirect de définition
au long cours d’un creuset partagé de connaissances et d’attitudes quant aux drogues et à leurs
représentations ; enfin, une capitalisation d’expériences de partenariats précédents entre ces
différents acteurs.
Au regard de ces cinq expériences, deux éléments majeurs semblent avoir un impact sur la nature et les
modalités du partenariat :
• la taille du projet : il s’agit là à la fois de la taille des porteurs du projet (par exemple lorsqu’il s’agit de
structures à dimension nationale - comme la Grèce - ou bien locale mais implantée dans la capitale
du pays - comme la Lituanie) et de la taille du territoire couvert.
• la capitalisation de partenariats préexistants.
Le rôle des bénéficiaires dans les projets.
Dans tous les pays, les bénéficiaires des programmes jouent, entre eux, un rôle important de soutien mutuel :
cela passe par l’aide à un proche pour diminuer et arrêter son traitement de substitution aux opiacés avant
d’intégrer un programme d’insertion ; par l’entraide en cas de difficultés ponctuelles avec les produits pendant
le programme ; par la création de réseaux qui pourront être sollicités à l’issue des programmes. Les exemples
sont certainement bien plus nombreux.
Une véritable fonction de pair a été développée dans ces programmes, quels que soient les pays. Or, cette
fonction n’apparaît nulle part dans les documents formels de présentation des programmes, ni dans les
présentations orales qui en sont faites par les acteurs (à l’exception des bénéficiaires eux-mêmes, mais qui ne
la formulent pas comme telle lors des entretiens réalisés avec eux). Aujourd'hui, cette fonction, qui semble
pourtant essentielle (en particulier dans les expériences grecques, portugaises, lituaniennes et françaises),
est complètement informelle. Un des enjeux du programme EQUAL serait de l’analyser et la reconnaître.
Pour rejoindre une préoccupation de certains programmes (qui est de former des formateurs ou des
intervenants), l’analyse et la conceptualisation de cette fonction pourrait enrichir la palette des services
proposés dans les programmes.
Le rôle des bénéficiaires est cependant apparu prépondérant lors de plusieurs échanges transnationaux et
dans la réalisation de productions de films vidéo où ils ont pu témoigner de leurs parcours, de leurs besoins et
de leurs attentes en relation à l’insertion, l’emploi et le programme EQUAL. Ces témoignages ont eu un fort
impact sur bon nombre de professionnels impliqués dans les projets nationaux et ont ainsi pu contribuer à
modifier certaines représentations.
L’articulation avec les politiques sociales.
Si l’objectif des programmes est bien de permettre aux ex-usagers de (ré)intégrer le marché du travail, sur
la base d’une compétence professionnelle que l’on pourrait qualifier de " droit commun " (photographie,
restauration, orfèvrerie, artisanat, etc.), deux éléments viennent considérablement contraindre cet objectif.
42
Le premier est d’ordre socio-économique.
Les contextes nationaux influent beaucoup sur la réinsertion réelle.La situation économique tout d’abord : parce que
le pays est pauvre (Lituanie) ou parce que les traditions sont fortes (Grèce,Italie),les toxicodépendants auront une plus
grande propension à privilégier le maintien dans l’illégalité par rapport au travail (travail au noir). Cette tendance
peut être renforcée par les dispositifs spécifiques de lutte contre la drogue (c’est le cas en Lituanie où les ex-usagers
préféreront avoir des revenus issus d’activités non déclarées pour ne pas payer les reliquats d’amendes dues à leurs
consommations passées). Dans le même ordre d’idées, les niveaux de rémunération habituellement associés aux
contrats de travail que les stagiaires des programmes obtiendront ne sont pas toujours suffisants pour garantir un niveau
de vie acceptable et autorisant le maintien dans la " norme " et la " légalité ".
Autre aspect, ces niveaux de rémunération, qui sont prévus dans tous les projets nationaux, peuvent entrer
en confrontation avec les politiques sociales en matière de minima sociaux. C’est le cas au Portugal, où la
rémunération des stagiaires n’a pas pu être reconnue par le système d’assurances sociales comme un revenu
d’insertion. Les bénéficiaires sont alors confrontés à un arbitrage personnel où les critères de décision ne sont
pas l’intérêt de la démarche de redynamisation par le stage, mais bien des critères de vie (ou de survie)
économique au regard du meilleur revenu.
Le second est d’ordre moral.
Ces projets nationaux s’appuient sur les dispositifs de lutte contre la précarité existant dans les différents
pays (contrats aidés, etc.). Mais la mise en œuvre de ces dispositifs requiert bien souvent le passage par une
structure spécialisée (les centres de soins ou de réhabilitation qui gèrent ces programmes en l’occurrence).
Le passage par ces structures " signe " en quelque sorte une trajectoire dans la toxicomanie. Dès lors, l’accès
au marché de l’emploi est rendu plus difficile à l’issue des programmes en raison du regard social négatif qui
pèse sur l’usage de drogues (qu’il soit présent ou passé). Dans une lecture radicale, on pourrait penser
que l’élément qui est censé faciliter le retour d’une personne dans la communauté devient de facto l’élément
qui peut exclure. La question de la sortie du dispositif est elle aussi en lien avec les politiques sociales de
chaque pays.
La sortie du dispositif.
Il convient de souligner que, pour les deux programmes de formation qualifiante (Lituanie, Grèce), la plupart
des bénéficiaires ayant réussi leur programme d’insertion professionnelle (au sens de " ayant un emploi ") et
que nous avons rencontrés sont salariés dans les programmes dont ils ont bénéficié – à l’exception d’un
stagiaire en Lituanie, qui développait un autre projet professionnel. Une analyse de l’impact des programmes
EQUAL mériterait des rencontres plus systématiques avec des stagiaires ayant eu d’autres parcours à l’issue
de leur stage d’insertion.
Mais le projet français avec lequel nous avons maintenu le contact au-delà de la phase d’expérimentation
EQUAL, a constaté d’importants besoins parmi les publics ayant accédé à un emploi. L’analyse de ces besoins
nous apporte les enseignements suivants :
• Le poids des situations d’isolement social, voire de rupture familiale ou conjugale, vécues par les usagers
était plus ou moins atténué par la fréquentation de groupes de pairs liés aux périodes de consommation
(autres usagers dans la rue ou autres patients dans le centre) ; l’entrée dans le monde du travail a rompu cet
équilibre relationnel fragile, ne serait-ce qu’en raison des horaires de travail, alors que les autres aspects de la
vie affective et sociale restaient insatisfaisants. Cette situation créé une tension psychique et morale qui peut,
chez certains, péjorer les bénéfices du retour à l’emploi.
• Les contraintes liées à un travail régulier sont ressenties comme trop difficiles à respecter ou à supporter par
certaines personnes (respect des horaires et assiduité,intégration du principe de hiérarchie,cohabitation avec
les collègues de travail) ; la situation propre à cette population explique en grande partie ces difficultés :
contraintes du suivi médical (prescription et délivrance de traitements), effets secondaires des différents
43
traitements,insatisfactions persistantes malgré les traitements,y compris de substitution ; tout cela se traduisant
parfois par une plus grande fatigabilité au travail et par une irritabilité peu propices à une inscription sereine
dans un parcours professionnel.
• Les conditions matérielles de vie ayant peu évolué (dont la question du logement, qui est souvent
précaire – au sens d’absence de logement personnel stable), la construction d’une hygiène de vie adaptée
à une vie professionnelle est souvent difficile. C’est le cas pour l’alimentation, dont l’équilibre est très difficile
à construire quand le logement est une chambre d’hôtel où il n’est pas possible de cuisiner ou de conserver
des aliments.
• Enfin, le retour au travail peut avoir pour conséquence de " se faire rattraper par un passé " dont l’on cherche
justement à s’éloigner. Il en va ainsi du poids des dettes et amendes impayées, directement liées au passé
de toxicomane, qui vient grever des revenus du travail, souvent assez bas.
Ainsi, paradoxalement, le retour à l’emploi peut :
- soit aggraver ces difficultés (c’est le cas lorsque l’isolement est renforcé par des horaires de travail qui ne
permettent plus la même fréquentation du centre de soins et de l’équipe socio-éducative),
- soit être péjoré par ces difficultés (il en va ainsi de l’observance des contraintes médicales liées à l’état
de santé ainsi que les effets secondaires des traitements qui rendent très difficile le respect des contraintes
du travail).
Tout cela peut conduire très rapidement à une perte ou à un abandon de l’emploi et à une nouvelle période
de consommation.
C’est ainsi que l’équipe de Drogues et Société envisage le redéploiement de ses horaires et missions, afin
de répondre aux besoins d’accompagnement de ces publics en insertion.Et de prévenir ainsi à la fois les risques
de perte d’emploi et de rechute.
Il serait intéressant de pouvoir vérifier ce qu’il en est de ces besoins d’accompagnement pour les publics
des autres projets.
Les moyens et infrastructures affectés aux projets nationaux.
Sur ce point, nous constatons une grande variabilité de situation, qui est bornée par deux positions extrêmes :
l’utilisation stricte de ressources existantes et la création d’infrastructures ad hoc. Les projets portugais et italien
correspondent, respectivement, à l’une et l’autre de ces bornes. Le projet italien repose en effet sur l’acquisition
et l’aménagement d’un lieu résidentiel pour les stagiaires (la pertinence de ce choix est d’ailleurs interrogée,
puisqu’il existe en Italie un nombre important de communautés thérapeutiques dont les résidents entrent
dans les critères d’inclusion du programme). Le projet portugais est celui, en revanche, où quasiment aucune
ressource humaine ou technique supplémentaire n’est créée dans le cadre du programme EQUAL (qui finance
en fait les salaires de l’équipe d’animateurs et de formateurs, équipe qui était déjà en place). Entre ces deux
pôles, le projet lituanien investit un dispositif existant (le Mano Guru) comme lieu d’apprentissage et contribue
au financement d’un hébergement collectif pour une partie des stagiaires (location d’un appartement) ;
le projet grec développe son programme de formation sur la base de ses infrastructures de réhabilitation de
la même façon que le projet français développe et étoffe ses programmes de redynamisation.
Cette analyse soulève quelques questions : certains projets ne sont-ils pas trop fortement dépendants des
financements EQUAL ? Voire conçus en relation à l’opportunité financière que représentent les fonds européens ?
L’instrumentalisation de EQUAL était soulignée par Sofia Vidali (Grèce),lors du premier séminaire transnational de
décembre 2005 : " L’un des paradigmes de ces projets européens est de savoir s’ils sont conçus
pour les publics cibles ou pour ceux qui s’occupent de ces publics cibles et, ainsi, de réduire le chômage de
professionnels spécialisés " (Vidali. S, Okana-Proptiki, " La promotion vers l’emploi de publics toxicodépendants "
in Addictions et accès à l’emploi, Drogues et Société, EQUAL, Décembre 2005).
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Ces questions ont un impact fort sur la pérennisation de ces projets en dehors d’un financement EQUAL ainsi
que sur les modalités de leur extension avec des ressources nationales. La question des indemnités versées aux
stagiaires illustre ce point : ces indemnités ont été budgétées dans les projets soumis au financement EQUAL ;
mais certains programmes (comme la Lituanie, où le système de protection sociale en matière de revenus
d’insertion est à un niveau inférieur à la moyenne des autres pays) se questionnent ouvertement sur la
poursuite de leur programme de formation sans ces fonds. Ce dernier point ouvre sur un des enjeux majeurs
d’EQUAL : l’impact d’expérimentations sur les politiques publiques et les réponses de droit commun (dont les
politiques sociales et d’insertion, voire parfois, comme en Lituanie, le droit du travail).
A cette étape de la réflexion apparaissent quelques conditions à prendre en compte
pour la pérennisation des projets existants (hors financement EQUAL), leur extension
et leur diffusion. Ces conditions sont au nombre de cinq.
Condition 1 : le rapport de chaque partenaire au PDD
L’efficacité de la mise en œuvre d’un programme de réinsertion professionnelle de publics toxicodépendants
dépend de la perception qu’a chaque partenaire de l’intérêt pour lui à s’investir dans un tel programme. Un
travail préalable de clarification des motivations de chaque partenaire en amont de la signature du PDD est
donc indispensable pour faire vivre un partenariat utile et efficace au service de la réalisation des objectifs du
projet. Ce travail de clarification doit veiller à ce que le PDD ne soit pas instrumentalisé pour des objectifs autres
(comme par exemple étoffer les moyens de sa propre structure).
Condition 2 : le recrutement
Le recrutement semble très captif d’une unité de lieu (la file active d’un centre de soins) ou de territoire (et
parfois d’un territoire micro-local). Or, dans la perspective d’une diffusion de l’expérimentation à d’autres
structures ou à d’autres endroits, les partenaires doivent réfléchir aux conditions de la mise en œuvre de
procédures d’identification et de recrutement des stagiaires au-delà de ces unités locales. Pour reprendre un
exemple d’un des projets, si c’est plus " facile parce que finalement tout le monde connaît tout le monde dans
la ville ", qu’en est-il quand on dépasse ces frontières ?
Condition 3 : des actions et des partenariats préexistants
La viabilité d’un projet, définie comme la réalisation des résultats attendus, semble être d’autant plus garantie
que tout ou partie des partenaires ont une culture préalable du partenariat et une capitalisation d’expériences
dans le champ des drogues et/ou des politiques sociales. Dans des programmes qui révèlent la distorsion entre
le champ du sanitaire et le champ du social, cette condition semble être un pré-requis important.
Condition 4 : les financements
La pérennisation et l’extension des programmes reposent bien sûr sur des considérations financières. A cet
égard, deux éléments constituent une condition nécessaire quant aux parts des fonds EQUAL investies dans
le fonctionnement de chacun des partenaires et dans la création de moyens et infrastructures spécifiques :
plus ces parts sont faibles, plus les possibilités de la pérennisation et de la diffusion sont améliorées.
Condition 5 : la valorisation des bonnes pratiques
Ce point n’a pas été traité dans notre analyse des programmes nationaux, mais il nous paraît évidemment
primordial. La question des bonnes pratiques a été centrale lors des séminaires transnationaux, concernant
notamment les besoins de formation des formateurs et la place accordée aux activités favorisant la valorisation
des capacités d’expression et de communication des publics ciblés.
45
LES MODÈLES DE FORMATION
Le point de vue des participants au séminaire de Caldas da Rainha,
automne 2006
Le séminaire au Portugal s’est construit à partir des questions posées par Helène Bézille, lors des
conclusions du séminaire de Paris portant sur nos modèles de référence. Le choix de supports de
création artisanale ou artistique, dans le cadre de nos programmes de formation (Grèce, Italie,
Portugal, France) qui permettent la valorisation de capacités d'expression et de communication
(France, Portugal) et l'attention qu'il nous faut apporter aux parcours de vie impliquent-ils
la recherche de méthodes et stratégies spécifiques ? Quelles sont ces méthodes et stratégies ?
Sont-elles modélisables (Grèce) ? Ou adaptables ? Quelles difficultés pour les formateurs ?
Quels profils pour les formateurs ? Sommes-nous davantage dans un processus de redynamisation
personnelle que dans une perspective d'insertion professionnelle ? Comment néanmoins
imaginer l'insertion professionnelle ? À partir de parcours d'insertion adaptés ? expérimentaux ?
Face à ces questions, ont été identifiées, avec l’aide de Paula Marques, quelques étapes inhérentes
au processus d’insertion :
✓ Une période initiale de repositionnement personnel et social est souhaitable pour permettre
de travailler progressivement les capacités d’autonomie. Cette phase peut avoir lieu avant
ou pendant le stage, en fonction des situations individuelles.
✓ Il faut considérer dès le début du processus les besoins en terme de soins, de logement, de
relations avec les pairs et avec la famille, etc.
✓ Pour que le bénéficiaire puisse être actif et co-responsable dans tout le processus, il
convient de définir avec lui quel doit être son rôle et quels seront les niveaux d’entraide
entre lui et les techniciens (formateurs, encadrants...).
✓ Il faut définir un cadre spécifique d’accompagnement des usagers qui sont encore en
traitement de substitution. Si le bénéficiaire continue à consommer une substance
psychoactive, quelle qu’elle soit, il convient de réfléchir avec lui s’il choisira de s’assumer
ou non en tant que consommateur.
Par ailleurs, l’équipe de soutien doit dès le départ définir clairement les étapes et les procédures
relatives :
✓ au suivi des bénéficiaires (et éventuellement de leur entourage), à savoir qui fait quoi, dans
quelles circonstances, avec quel type de monitoring ainsi que les objectifs et les indicateurs
d’évaluation ;
✓ à l’élaboration d’un cahier de bord pouvant être utile pour noter les évolutions et les
évènements tout au long du processus ;
✓ aux besoins en formation et en soutien des équipes techniques et des formateurs ainsi que
des encadrants en entreprise.
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Les articulations entre soins, formation et insertion doivent être pensées en conséquence.
Elles posent des questions en matière de partenariats : Quels sont les modes de collaboration
entre les différents acteurs ? Quelle est la place du secret professionnel ? Quelles sont les
différentes approches de ces problèmes ? Et au-delà, lors de plusieurs de nos échanges, il a été
observé que différents projets rencontraient des difficultés, voire des résistances, dans le cadre de
leurs partenariats avec les institutions de soins (Grèce, France, Portugal) : quelle est la nature de
ces résistances ? Sont-elles liées à une conception différente de l'accompagnement de ce public ?
En quoi ces conceptions ne pourraient-elles pas être complémentaires ?
La question des partenariats doit toutefois être pondérée en tenant compte de plusieurs
présuppositions :
✓ La personne toxicodépendante est l’élément central de tout partenariat. Il faut travailler
dès le début non seulement à sa co-responsabilisation dans tout le processus de définition
d’un projet professionnel et de préparation à la vie professionnelle. Il ne suffit pas de
vouloir un métier, il est aussi nécessaire de travailler la motivation et les compétences
pour l’exercer.
✓ Les risques de frustration sont importants, en particulier quand l’emploi obtenu est de faible
qualification. Dans cette situation, il faut savoir être pragmatique et valoriser certains
résultats tangibles : le salaire, la reconnaissance du travail produit, etc.
✓ Il est fondamental de créer une base de soutien et d’offrir une arrière garde de support
technique à l’usager, à l’équipe d’insertion, aux employeurs et, éventuellement, aux
collègues de travail.
✓ La relation thérapeutique, la confidentialité médecin-patient et ce qu’elles impliquent
en termes de résistance face à l’insertion de ce type de population peuvent et doivent
être étudiées avant, pendant et après le processus d’insertion.
Enfin, au-delà, quelques pistes de réflexions communes se sont dégagées :
✓ Les expériences conduites apportent clairement la preuve que l’insertion socioprofessionnelle, l’autonomie, la confiance en soi, la formation professionnelle constituent pour
les (ex)toxicodépendants, comme pour tous,des besoins fondamentaux. La représentation
personnelle du travail joue un rôle essentiel dans la motivation à l’insertion professionnelle :
quand le travail n’est pas perçu comme élément de dignité et de conscience de son
propre rôle social, l’accompagnement vers une réinsertion socio-professionnelle devient
plus difficile.
✓ Les représentations sociales envers les toxicodépendants impliquent de sensibiliser l’opinion
publique afin de faire face au phénomène des addictions dans une perspective non seulement de traitement individuel et clinique, mais aussi de réponse sociale. La formation
continue pour l’ensemble des intervenants des secteurs socio-sanitaires et de l’emploi est
très importante : il existe très souvent un décalage entre les besoins réels des personnes en
difficulté et les réponses proposées.
✓ Il est nécessaire de considérer les réalités du marché du travail, qui s’imposent à ce public
comme à tout le monde : la flexibilité et la précarité de l’emploi sont un obstacle de plus
à l’insertion professionnelle des publics toxicodépendants.
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48
Déroulement des activités transnationales
Addictions et expérimentation de
nouveaux parcours vers l’employabilité
GRECE, ITALIE, LITUANIE, PORTUGAL ET FRANCE
Janvier 2005
Ont été présentés les
résultats du projet
Okana mais également
ceux du projet de
Drogues et Société ainsi
que les missions de Villa
Maraini.
Avant signature d’un
accord transnational, les
cinq équipes porteuses
de projets se sont
retrouvées à Rome pour
préciser les perspectives
et objectifs de leurs collaborations.
Mai 2005
A la croisée d’Equal 1
et d’Equal 2 trois bénéficiaires du dispositif de
Drogues et Société,
accompagnés de Lisette
Moulié et Jean-Louis Turbat, se sont rendus
également à Rome où ils ont visité la fondation
Villa Maraini… ainsi que la Villa Médicis et le
Vatican.
Une équipe lituanienne,
composée de la représentante du service
social de Vilnius, de
Emilis Subata, médecin
psychiatre, directeur du
service d’addictologie de l’hôpital de Vilnius et
d’une représentante du projet Equal, a été reçue
en France. Ils ont visité le centre méthadone et pu
discuter avec l’équipe de Drogues et Société
autour de la mise en place, en France, des traitements de substitution et des premiers résultats
observés après dix ans, maintenant.
Ils ont également visité le centre de prévention et
pu connaître les outils et supports utilisés : CDRom, exposition sur les drogues contemporaines.
Enfin, ils ont rencontré des formateurs du Centre
Régional d’Information Prévention Sida.
Ils ont été reçus par l’équipe de Solcoroma et
ont pu rencontrer Fabio
Lapiana, graphiste, autour d’un projet d’édition
de textes réalisés au
cours de leur stage. Un recueil intitulé " A quoi tu
rêves ? " a été réalisé en 2007.
Mars, avril 2005
La conférence de résultats
Okana (Equal 1) s’est
tenue à Athènes.
Les débats y ont été riches
et passionnés, en particulier autour de l’opposition
de certaines structures de soins à la prescription
et à la délivrance de traitements de substitution,
mission confiée par l’Etat à Okana, également en
charge de programmes d’aide à l’insertion.
Juin 2005
49
La conférence de résultats
de Solcoroma, au Conseil
Régional de la Région Lazio
a également été très intéressante.
Ont été débattues les questions liées au rôle des coopératives sociales dans
l’application de la loi 381 relative à l’intégration territoriale en Italie du secteur public et du secteur
privé, dans le champ de l’action sociale et sanitaire.
se contente de distribuer de la méthadone ".
Cependant, l’Etat a aujourd’hui concédé plus
d’autonomie aux communautés qui peuvent également gérer la prescription de méthadone dans
des " pré-communautés " qui devront avant
orientation vers la communauté, accompagner le
sevrage des patients.
Au-delà de mieux comprendre la réalité italienne
et les réalités spécifiques à ce territoire des
Abruzzes, situé entre mer et montagne, plusieurs
temps de débat ont porté sur le décalage existant
en Italie, entre le champ de la psychiatrie, organisée en réseaux territoriaux et très innovante en
termes de socialisation des problèmes de santé
mentale et d’insertion des patients et le champ du
soin aux toxicomanes, beaucoup plus cloisonné.
Juin 2005
Danièle Cornet, vice-présidente de la Communauté
d’Agglomération Plaine
Centrale du Val-de-Marne
ainsi que Catherine Gerhart,
médecin de santé publique,
ont accompagné l’équipe française. Cette conférence
a été conclue par Alessandra Tibaldi et Augusto
Battaglia, Refondation communiste, nouvellement
élus au Conseil Régional.
Octobre 2005
Nancy Aguilera-Torres
et Ludovic Grellier se
sont rendus à Vilnius où
ils ont été reçus par
Ausra Puskunigienie,
responsable du service
social Parama et par Jurate Seliliene, travailleuse
sociale, responsable de l’animation d’un groupe de
parole d’anciens usagers de drogues. Le centre
reçoit un public d’ex-usagers de drogues et d’alcool
ainsi que des enfants d’usagers.
Ils ont également été reçus par le vice-président du
Département de la Santé et
de la Sécurité Sociale de la
municipalité de Vilnius,
Arturas Melianas. L’équipe
française a également
visité des centres de soins
de Vilnius et deux communautés thérapeutiques,
ainsi bien sûr que le " Mano Guru ".
Pirine Rodrigues, directriceadjointe de l’Office Municipal de
la Culture de Maisons-Alfort,
partenaire du projet porté par
Drogues et Société, a visité au
Portugal, à Caldas da Rainha,
les partenaires de Atelier Arte e Expressão, ainsi
qu’une communauté thérapeutique et le CAT
(centre de soins pour toxicomanes) de Peniche.
Ce centre est régional, très excentré par rapport
au centre ville de Peniche et Caldas da Rainha. Il
est prévu que le centre installe une antenne à
Caldas.
Dans l’immédiat, la collaboration avec le Projet
Pilar est pauvre du fait d’un manque de culture de
réseau, chacun oeuvrant seul de son côté.
L’accueil reçu a été bon mais aucune question
concernant ce projet et ce qu’il pourrait apporter à
certains patients en fin de parcours dans le centre de soins n’a été posée.
Novembre 2005
Philippe Lagomanzini a rencontré à Pescara,
le Président de Forcoop, Nino Silverio et
Lorenza Piarulli, responsable du projet Equal.
Après avoir visité les locaux de Forcoop et de
l’Association Générale des Coopératives Italiennes
(AGCI), il a été accueilli par Dora di Ciano, médecin
directeur du SERT et responsable scientifique du
projet.
Il a ensuite visité une communauté thérapeutique
où l’équipe regrette " la réduction du nombre de
communautés en Italie alors que le service public
50
Trois stagiaires du
dispositif français (dont
un italien vivant en
France depuis quelques
années) se sont rendus
en Italie, où ils ont présenté la maquette d’un film
vidéo sur un spectacle théâtral " Des ronds dans
l’eau " qu’ils ont réalisé avec le théâtre de
l'Imprévu. Le film sous-titré en italien et en
anglais traite de situations kafkaïennes que peuvent générer les parcours migratoires.
Décembre 2005
Le premier séminaire transnational est organisé à Paris à la suite de la conférence de résultats de Drogues et
Société Equal 1, à laquelle ont participé l’ensemble des nouveaux partenaires d’Equal 2.
Le premier séminaire a porté sur :
• la présentation de chacun des dispositifs mis en place dans chacun des projets,
• les besoins et difficultés à considérer pour permettre leur
pérennisation,
• les contextes nationaux, politiques, culturels, sociaux et
économiques dans lesquels s’inscrivent ces dispositifs.
Trois journées ont été accompagnées par Hélène Bézille,
Marine Zecca et Franco Giampalmo. Il a été décidé de
compléter les informations recueillies à l’aide de grilles
complétées par chacun des partenaires. Ces grilles ont
permis la construction du premier chapitre de ce rapport.
De nombreuses autres questions, synthétisées par Hélène
Bézille, ont constitué les thématiques de travail des prochains
séminaires.
Mai 2006
Le second séminaire a eu lieu à Syros, une île des
Cyclades.
Okana et ses partenaires ont présenté les actions de
formation mises en œuvre en Grèce ainsi que les
actions de formation de formateurs.
Le débat a porté sur le profil attendu de ces formateurs ;
la question se pose différemment pour les équipes
grecques, lituaniennes et italiennes engagées dans des
actions de formation qualifiante ou directement liées à
l’accès à l’emploi que pour les équipes portugaises et
françaises dont les programmes de formation ont dû
être adaptés à des publics plus marginalisés.
Ce séminaire a été l’occasion de visiter une équipe de prévention ainsi que le " Off Club ", lieu d’accueil
à seuil bas du centre ville d’Athènes.
Juillet 2006
commence par un premier pas ", slogan de Atelier
Arte e Expressão.
Un groupe de 4
stagiaires français,
accompagnés de
Viviana Guerra et
de Sylvie Gillot, ont
effectué un voyage
au Portugal.
Ils y ont réalisé un film vidéo
de leurs rencontres avec
l’équipe de Atelier Arte e
Expressão et Nuno, ex-usager, coordinateur de l’association Canguru. Le film est
intitulé " Un long voyage
Le groupe a participé aux activités des ateliers du
Projet Pilar et à la conception d’un tee-shirt où la
reine de Caldas da Rainha enlace la Tour Eiffel.
Le séjour s’est terminé par la visite de la basilique
de Fatima et de Lisbonne.
Août 2006
51
Une rencontre à Caldas da Rainha entre l’équipe
française et l’équipe portugaise a permis de définir
les contenus du séminaire prévu au Portugal en
novembre et d’y associer Paula Marques de
l’Institut des Drogues et des Toxicodépendances.
Octobre 2006
Paula Proença et Carla Mortagua de Atelier Arte e Expressão, sont venues en France
pour participer à la dernière séance de tournage du film " Un long voyage commence
par un premier pas ".
Elles ont aussi rencontré les animateurs du projet français et préparé leur séjour à
Caldas da Rainha.
Novembre 2006
Un second axe de travail de l’équipe française a concerné
la construction d’un nouveau profil professionnel, celui
d’animateurs en prévention des conduites addictives. Une
dizaine d’animateurs inscrits sur cette action a séjourné à
Caldas da Rainha où ils ont rencontré l’équipe de Atelier
Arte e Expressão. Ils ont ensuite visité l’Institut des
Drogues et des Toxicodépendances où ils ont été reçus par Paula Marques qui leur
a présenté les grands axes de la politique portugaise en termes de prévention. Ils ont
ensuite visité l’association Moinho da Juventude sur un quartier habité par une
population originaire du Cap-Vert.
Cette association gère un projet communautaire de crèche et loisirs pour les enfants
du quartier. Ce projet valorise la culture capverdienne (cuisine, couture, danse,
chant, musique…). Des visites du quartier sont organisées afin de réduire les
représentations souvent associées à la violence et au trafic de drogues dont sont
victimes les habitants.
Le séminaire de Caldas da
Rainha a été l’un des moments
forts de notre partenariat
transnational.
Paula Marques a accompagné
le groupe dans la construction
de réponses aux questions
posées par Hélène Bézille en synthèse du premier séminaire de Paris.
Mars 2007
Chrissoula Banou et Vicky Meletakos de Okana sont venues à Paris rencontrer
l’équipe française ainsi que Olivier Maguet de CCMO Conseil, auquel il a été décidé
de confier la mission d’analyse comparative des différents projets nationaux.
Avril 2007
Le comité de pilotage du projet français de formation d’animateurs en prévention s’est
rendu à Caldas da Rainha et à Lisbonne. Ce groupe était constitué de Claude Guilbert
(Direction Régionale de la Jeunesse et des Sports), Brigitte Jeanvoine (Maire-adjoint
de Créteil), Antoine Pétrillo (Directeur, Mission Ville de Créteil), Pirine Rodrigues
(Office Municipal de la Culture de Maisons-Alfort), Isabelle Jeannes (Mission
Prévention Toxicomanie, Ville de Paris), Patricia Echevarria (Mission Prévention des
conduites à risques de la Seine-Saint-Denis), Christine Relecom (Maire-adjoint de Marolles-en-Brie),
52
suite Avril 2007
Antoine Prudent (Mairie de Vauréal), Beata Kwasieborski (psychologue coordinatrice, Association Trait d’Union 94),
Philippe Hatchuel (Médecin-directeur du CSST Dune), Marine Zecca (Université Paris VIII).
Les participants ont pu effectuer le même parcours que les animateurs, en novembre 2006, avec de plus, un accueil
par le président de l’Institut des Drogues et Toxicodépendances.
Mai 2007
Le quatrième séminaire a eu lieu à Pescara. Il a été précédé d’une conférence
de présentation du projet San Giuseppe à laquelle ont participé Franco
Giampalmo de Solcoroma et Patricia Brandolini de la coopérative Villa Maraini
qui ont présenté leurs organisations.
Le séminaire a particulièrement concerné les difficultés d’articulation entre
structures de soins et structures d’insertion.
" Les dispositifs de soins peuvent, par leur approche réduite à la seule dimension
psychologique, enfermer le sujet. L’accompagnement vers l’insertion peut avoir
des effets thérapeutiques si celle-ci est sous-tendue d’une véritable négociation–renégociation avec le réel entre le sujet et les autres et ne conduit pas à un
nouvel enfermement ".
Pour Patricia, de la coopérative Villa Maraini, " la formation professionnelle doit
être précédée d’un temps de " formation au travail ". Ce temps permet de " redimensionner l’ego ",
tout à la fois surdimensionné et dévalorisé tant par des parcours de vie éprouvants que par des parcours
thérapeutiques assistanciels ou contraignants ".
Ces rencontres de Pescara ont été suivies d’une visite
des partenaires de l’ACT à Rome où ils ont été reçus
par les équipes de Solcoroma et de Villa Maraini.
Deux journées de travail animées par Hélène Bézille et
Paula Marques ont ensuite permis de :
- réfléchir à l’impact de la transnationalité dans chacun
des projets.
- repréciser les tâches à accomplir afin de réaliser ce qui avant été prévu, à savoir la réalisation d’une
production transnationale collective, intégrant notamment la question de l’impact de la transnationalité.
Juin 2007
Une conférence a réuni Emilis
Subata, médecin en charge des
addictions, Arturas Melianas
de la mairie de Vilnius, à
l’origine du projet “ Overcome
your addiction ” et Madame Astrauskien du Ministère de la Santé. Chacun des partenaires transnationaux
a également pu présenter son projet et ses résultats.
Le séminaire qui a suivi a été organisé par Nerijus Mocevicius, Reda Sutkuvien et Ausra Malinauskaite.
Il a essentiellement consisté en réunions sur différents sites : communautés thérapeutiques, centre
méthadone de l’hôpital de Vilnius.
Olivier Maguet et Christine Caldéron étaient présents lors de ces journées. Ils ont pu engager leur
mission, rencontrer bénéficiaires porteurs et partenaires du projet lituanien et travailler à la construction
de ce qui constitue la trame centrale de ce rapport.
53
Octobre 2007
Christine Caldéron et Olivier Maguet, de CCMO Conseil, ont
effectué leur mission en Italie où ils ont été accueillis par
Nino Silverio, président de l’“Associazione Generale
Cooperative Italiane”, de la région Abruzzo et Lorenza
Piarulli presidente de Forcoop.
Ils ont pu participer aux rencontres organisées entre les
équipes lituaniennes et italiennes. Ces rencontres ont associé plusieurs bénéficiaires du projet lituanien. Ceux-ci
ont participé à la réalisation d’un film sur le projet Mano Guru. Quelques séquences ont ainsi été tournées en
Italie dans des communautés thérapeutiques.
Christine Caldéron et Olivier Maguet ont rencontré, à Athènes,
Christos Kokkoris, directeur du soin et de la prévention.
Ils ont également, comme en Italie, en Lituanie et au Portugal
rencontré les porteurs et partenaires du projet Entaxi (ils ont
aussi visité un Centre de réhabilitation et un Centre de soins)
et quelques bénéficiaires.
Mai 2008
Novembre 2007
Leur mission s’est poursuivie
en France, alors que Drogues
et Société accueillait trois
ex-bénéficiaires du projet
grec, accompagnés par
Vicky Meletakos.
Décembre 2007
L’équipe lituanienne composée de Reda Sutkuviene,
Ausra Malinauskaite,
Gabriele Kaladinskiene,
Vilma Ciapaite et Nerijus
Mocevicius est venue à
Paris et a visité les services de Drogues
et Société. Les stagiaires du dispositif d’aide à
l’insertion ont posé de nombreuses questions
sur la Lituanie.
Une rencontre avec Christine Caldéron et
Olivier Maguet a été organisée pour relecture
du rapport sur la Lituanie.
Janvier 2008
La dernière mission a eu lieu
au Portugal où, au-delà des
échanges avec l’équipe de
Atelier Arte e Expressão, une
rencontre a été organisée avec Paula Marques.
54
Cette longue et belle
histoire s’est achevée
(en partie, seulement !)
par le dernier séminaire
transnational de Paris,
suivi d’une journée de
restitution à laquelle ont
participé outre les
partenaires des porteurs
de projets :
- Chantal Gatignol
de la MILDT,
- Dominique Terrasson
de la Direction
Générale des Affaires
Sociales,
- Nathalie Latour et
Denis Jouteau
de l’ANITEA,
- Ramune Visockyte,
députée lituanienne et
- Francine Bavay,
Vice présidente
du Conseil Régional
d’Ile-de-France…
Les contenus de ce séminaire ont contribué à
construire les conclusions de ce rapport.
CHAPITRE 4
LE REGARD DES PORTEURS DE PROJETS
SUR LE VOLET TRANSNATIONAL
Le dernier séminaire transnational entre les partenaires des cinq projets du programme EQUAL a été
entièrement consacré à une analyse globale de la transnationalité, sur la base des éléments identifiés
dans le chapitre précédent.
La discussion a été organisée dans un premier temps à partir des expériences vécues par chacun des
projets, dans un second temps à partir de l’analyse du partenariat entre les cinq projets nationaux.
Le souci des participants a été d’identifier des pré-requis et des conditions de succès et de pérennisation pour
la mise en œuvre de futurs programmes d’insertion professionnelle en direction de publics toxicodépendants.
Qu’est-ce que la transnationalité ?
La transnationalité n’est pas un exercice de comparaison entre les pays : comparaison des projets nationaux,
comparaison des contextes nationaux, comparaison des résultats nationaux, etc. Il est d’autant plus
important de le souligner que les débats entre les partenaires ont bien montré qu’un des écueils dans leur
coopération internationale fut la propension à comparer.
La transnationalité, c’est une réflexion supranationale à partir d’expériences nationales, réflexion qui permet
d’identifier des " conditions critiques " en matière d’insertion de publics toxicodépendants, quels que soient
les contextes nationaux. Ces conditions sont définies comme " critiques " dans la mesure où elles dépassent
un programme national en particulier, mais semblent constituer, de l’avis des partenaires, un élément
indispensable à la mise en œuvre et au succès de programmes, à la fois pour chacun d’entre eux dans
l’avenir, mais aussi pour d’autres acteurs qui souhaiteraient s’impliquer dans ce champ.
Dépasser les contextes nationaux est d’autant plus important que, dans l’histoire de cette coopération
transnationale, le seul dénominateur commun dans chacune des cinq situations était finalement le fait que
les projets s’adressaient à des personnes ayant eu une trajectoire dans la toxicomanie. Comme nous l’avons
précisé dans le second chapitre, la nature de chacun des projets ainsi que les contextes nationaux respectifs
étaient assez différents.
Nous avions en présence cinq pays,qui présentaient des histoires très variées à l’échelle européenne : un pays
de l’ancien Bloc de l’Est (la Lituanie), deux pays fondateurs de la Communauté économique européenne
(France et Italie),deux pays ayant rejoint la construction européenne à mi-parcours (Grèce et Portugal).Outre
cette histoire différenciée, le panel formé par ces cinq pays couvre assez bien la diversité existante dans
l’Europe des vingt-sept en matière de niveaux de développement économique,de présence de l’Etat et des
politiques publiques (dont celles relatives aux drogues, aux soins, à l’insertion), de conditions de vie, etc. Il est
dès lors loisible de considérer que ces conditions critiques définies à partir de ce panel seront valables pour
d’autres projets dans d’autres pays de l’Union.
Notons toutefois que, dans le déroulement du programme EQUAL, le concept de transnationalité a été peu
fluide et ne s’est pas imposé immédiatement dans cette acception. Il a souvent été réduit aux échanges,
formels ou informels, entre les partenaires, soit sur des modes multilatéraux, soit sur des modes bilatéraux.
La notion de " production d’intelligence collective " en vue de contribuer à la diffusion des expérimentations
devait être approfondie. De ce point de vue, il semble que l’animation du volet transnational requiert la
présence d’un tiers, pour éviter justement la simple confrontation/comparaison entre des situations nationales.
55
Un exemple illustre ces difficultés de la transnationalité : un des contenus du dernier séminaire transnational
était de faire réfléchir les partenaires des projets aux conditions critiques préalablement identifiées ; chaque
équipe nationale s’est livrée facilement à l’exercice à partir de sa propre expérience alors que le débat entre
partenaires sur les caractéristiques communes et les facteurs de différenciation fut plus difficile à engager.
Leçons apprises sur les contenus et la conduite d’un projet.
A l’heure du bilan, deux types de leçons se dégagent : les unes portant sur les contenus d’un projet d’insertion
professionnelle d’usagers de drogues, les autres étant relatives à la conduite d’un projet en la matière.
Sur les contenus.
Trois éléments paraissent essentiels : le contexte national dans lequel le projet va s’inscrire, la nature de la
formation qui sera proposée, et, enfin, la typologie du public bénéficiaire du projet.
Premier point : le contexte.
Poser que le contexte influe sur la définition et la mise en œuvre d’un projet est certes une tautologie,
quel que soit le projet ; mais dans le cas d’espèce, cette dimension est particulièrement importante à
prendre en compte. Un exemple nous aide à mieux comprendre : c’est celui de la Lituanie. Dans ce pays,
il a longtemps existé une politique fortement axée sur la " contraventionnalisation " de l’usage de
drogues, c'est-à-dire que la sanction pénale de l’infraction que représente l’usage prend la forme d’une
contravention ; nous sommes ainsi en présence d’usagers de drogues qui sont couverts, perclus, épuisés
d’amendes, avec des dispositifs de saisies sur les sources de revenus par le Trésor Public local.
Dans ce contexte, un projet qui consiste à faire entrer un ex-usager de drogues sur le marché légal du travail,
par le biais d’un emploi salarié, est rendu de fait extrêmement compliqué, parce qu’une grande partie
du salaire ira directement éponger les dettes fiscales générées par les amendes non payées lors des années
de consommation. Le bénéfice personnel procuré par l’insertion professionnelle est très amoindri par les
inconvénients économiques en termes de revenus…
Cet exemple illustre parfaitement les spécificités à prendre en compte lorsqu’on s’engage sur ce champ de
l’insertion professionnelle avec des publics toxicodépendants ou ayant eu un parcours dans la toxicomanie
plus ou moins long ; immédiatement s’ajoute ainsi une dimension supplémentaire par rapport aux difficultés
rencontrées par d’autres publics potentiellement bénéficiaires des dispositifs d’insertion.
Les leçons apprises des cinq programmes nous amènent à identifier les éléments de contexte suivants que
tout projet devrait prendre en compte en amont de sa mise en œuvre :
• La situation économique et sociale dans le pays (niveau de l’emploi, politiques sociales, place du travail
non déclaré, etc.).
• Les conséquences judiciaires et sociales des parcours dans la consommation de drogues (incarcérations,
amendes, problèmes judiciaires, exclusion, etc.).
• L’existence de dispositifs spécifiques articulant drogues et insertion, et si oui, leur propension ou non à " signer ",
aux yeux d’un employeur potentiel, un parcours dans la toxicomanie.
Second point : l’objectif de la formation.
Un autre élément à prendre en compte, quand on veut agir sur l’insertion ou la réinsertion des usagers de
drogues ou ex-usagers de drogues, c’est évidemment la question : " A quoi servent ces formations ? ".
Car en l’occurrence, " insertion " n’est pas un terme suffisamment explicite. Il existe véritablement, et c’est un
des enseignements majeurs de ce programme EQUAL, deux types de formation :
• Une formation qui va être qualifiante, c’est à dire qui va amener à accéder au marché de l’emploi pour y
exercer un métier.
• Une formation qui relève d’une logique de revalorisation de soi et de redynamisation de ses ressources
personnelles, étape préalable à l’entrée sur le marché du travail.
56
L’expérience montre que les métiers appris dans le cadre du premier type de formation sont bien souvent
manuels ; mais c’est en tout les cas une étape vers le retour dans le droit commun du marché du travail,avec
une expérience théorique et pratique qui est valorisable et qui n’est pas forcément marquée par l’usage de
drogues ou la fréquentation d’un dispositif spécialisé pour usagers de drogues.L’exemple lituanien a d’ailleurs
montré que certains bénéficiaires pouvaient, à l’issue de leur parcours de formation, se réorienter vers un tout
autre projet socioprofessionnel (reprise d’études,orientation vers un autre métier,etc.).Cette expérimentation
menée dans le cadre d’EQUAL témoigne que ces dispositifs sont véritablement considérés et investis comme
des actions de qualité, et non pas conçus comme des dispositifs plus ou moins occupationnels maintenant le
toxicodépendant dans une citoyenneté de seconde zone dans le rapport au travail. Mais parce que ces
dispositifs de formation sont exigeants (hauts seuils d’inclusion et de maintien dans le programme), ils ne sont
pas adaptés à tous les publics.
Et c’est justement l’intérêt de cette expérimentation EQUAL qui a aussi montré combien, pour certains
publics, le passage par une logique de redynamisation et de revalorisation, afin de retrouver confiance et
de renforcer l’estime de soi, constitue un préalable indispensable avant de s’engager directement dans
le marché du travail, c'est-à-dire avant de se confronter à des réalités qui sont vécues comme dures et
un peu violentes. Là, c’est en quelque sorte un capital de ressources personnelles et d’aptitudes humaines
qu’il convient de constituer.
Troisième point : les publics et leurs rapports aux produits.
La différenciation entre les deux types de formation fait directement écho au point suivant : les publics
qui vont être recrutés pour ces programmes. Inscrire des publics qui sont plus particulièrement fragilisés par
leur parcours dans la toxicomanie, par leur situation sociale, par d’autres problèmes associés, c’est prendre
le risque de les mettre en difficulté, et donc de conduire à l’échec des projets d’insertion. Ainsi que nous le
montre le programme EQUAL, les formations qualifiantes seront alors destinées à des personnes dont les
caractéristiques personnelles et la situation sociale sont marquées par des indicateurs plus positifs et moins
discriminants que celles des personnes qui suivront les formations de redynamisation.
Cette distinction de niveau appelle un traitement différencié de la place des produits psychoactifs (licites ou
illicites) chez les bénéficiaires de ces programmes. Là encore, l’expérience EQUAL est riche d’enseignements.
Il est en effet apparu que la position de principe considérant les traitements de substitution aux opiacés
comme un critère d’exclusion des programmes de formation qualifiante est difficilement tenable, surtout si
ces traitements jouent un rôle important dans le processus de stabilisation de la personne. Quant à l’usage
de produits illicites pendant la formation, s’il est strictement interdit dans les deux types de formation,
les " accrocs " au contrat ont plus souvent fait l’objet, dans les programmes de redynamisation,
d’une approche pragmatique (négociation au cas par cas) que d’une exclusion systématique. L’exemple
du programme au Portugal illustre bien cette approche : un épisode de consommation est considéré comme
une occasion de retravailler, avec les personnes concernées, sur les fragilités.Alors que la question du rapport
aux produits, qui fait la spécificité de ce public, est déjà difficile pour les professionnels investis dans le champ
des addictions, il est loisible de considérer qu’elle le sera plus encore pour des professionnels plus éloignés
de cette question,en l’occurrence ceux du champ de l’insertion.Ceux-ci devront être préalablement formés
sur cet aspect, afin qu’ils disposent d’éléments les aidant à apprécier les difficultés qui surviennent chez
les toxicodépendants, dans leurs parcours d’insertion.
Sur la conduite de projet.
Le second type de leçons apprises à l’issue de ce programme EQUAL concerne la conduite de projet.
Sur ce point, le dernier séminaire transnational qui a immédiatement précédé le colloque du 30 mai 2008 a
été particulièrement riche. Certes, les contraintes propres à la conduite de projet ne sont pas spécifiques au
domaine ciblé par ce programme (l’insertion des usagers de drogues).
57
Mais là encore, elles se doublent d’une particularité dans la mesure où deux champs professionnels et
militants bien définis et distincts, qui existaient avant le programme, sont amenés à travailler ensemble pour la
première fois à partir d’une approche nouvelle : celle de la lutte contre les discriminations. EQUAL, en croisant
de fait le champ de la prise en charge des addictions avec celui de l’insertion a offert une expérimentation
qui a permis de revisiter la question de l’insertion des publics toxicodépendants. En la plaçant sous l’angle
de la lutte contre les discriminations, dans cinq pays et pendant quatre ans, cette expérimentation offre
une opportunité pour outiller, intellectuellement et pratiquement, les réponses aux enjeux posés par
l’employabilité et l’accès à l’emploi de publics toxicodépendants. Elle a obligé des gens qui se connaissaient
assez peu ou qui ne se côtoyaient pas (ou alors uniquement par le biais de travailleurs sociaux interposés)
à travailler ensemble ; elle a obligé des partenaires très différents dans leurs cultures, dans leurs métiers,
dans leurs organisations à s’allier dans le cadre de partenariats et sur des territoires qu’ils ont dû définir.
La question des partenariats et celle des territoires constituent ainsi une des leçons majeures de cette expérience
EQUAL à retenir pour la mise en œuvre de projets d’insertion professionnelle d’usagers de drogues.
Premier point : les partenariats.
L’expérience de ce programme nous apprend qu’il existe clairement deux conditions qui constituent des facteurs favorisant la réussite d’un projet :
• Un partenariat, ou à tout le moins une habitude de travail, existe entre les partenaires avant la mise en
œuvre du projet.
• Les partenaires ne font pas que signer un contrat, ils partagent un réel intérêt commun pour le projet.
Nous avons déjà analysé, dans le chapitre précédent, combien l’existence préalable d’un partenariat
ou d’une pratique commune de travail facilitaient le déroulement des projets.Arrêtons-nous ici sur la question
du contrat. Dans le cadre d’EQUAL, il existe une procédure qui fait à la fois la force, mais aussi l’inconvénient
– si tout le monde ne joue pas le jeu – d’un projet national : l’obligation, entre les partenaires du projet, de
signer un contrat formel (le partenariat de développement,PDD),qui définit les contributions et les rétributions
de chacun.Cela peut très vite devenir un contrat de type " mariage blanc " lorsque les partenaires nationaux
ne partagent finalement pas une vision et un intérêt communs sur la question de l’insertion des usagers de
drogues, ce qui n’est alors pas de bon augure pour la viabilité du projet. Cette situation peut se produire
quand la différence des références professionnelles, idéologiques, théoriques, de pratiques et d’expériences
l’emporte. C’est aussi le cas lorsque la recherche d’un avantage catégoriel, pour l’un ou l’autre des
partenaires, l’emporte sur la recherche de l’intérêt commun du projet (comme, par exemple utiliser le
partenariat EQUAL pour développer sa propre activité).
En revanche, dans chacun des deux cas de figures (partage d’un intérêt commun ou non), le programme
EQUAL a permis, pour les cinq projets nationaux, si ce n’est de bousculer les frontières des champs
professionnels, en tous les cas, de les revisiter et à tout le moins de faire se rencontrer les acteurs de ces
différents champs.
La première leçon de ce programme EQUAL est que des partenariats peuvent et doivent être investis comme
un moyen puissant pour que soient questionnées les frontières entre les différents champs professionnels.
Second point : les territoires.
Un second élément permet d’analyser ce qui s’est passé dans ce programme EQUAL et dont nous pouvons
tirer des leçons pour l’avenir : c’est la question des territoires. Quand on parle d’insertion d’usagers de
drogues, on parle aussi de territoires :
• les territoires de chaque organisation et des acteurs qui les composent,
• les territoires formés par les lieux de recrutement des candidats,
• les territoires formés par les lieux où l’action se déroule,
• les territoires formés par les espaces/temps où se négocient les aménagements du cadre du programme.
58
Donnons quelques exemples.
En matière de territoires des organisations et des acteurs, il y a bien sûr en premier lieu une différence forte
entre ceux de l’insertion et ceux du médico-social, comme nous l’avons précédemment souligné. Mais au
sein même du champ médico-social, nous pouvons être en présence de territoires qui sont différents, soit en
raison de leur amplitude géographique (niveau d’intervention national, régional ou local), soit en raison de
leur nature (secteur public,secteur privé) ; bref,nous avons des strates de territoires d’organisations,qui,quand
elles se croisent, font un peu comme des plaques tectoniques : soit elles se rencontrent progressivement, soit
elles se heurtent et provoquent des tremblements de terre. La mise en œuvre d’un projet d’insertion de
publics toxicodépendants nécessite alors de trouver un peu de souplesse,c’est-à-dire comprendre ce qu’est
et ce que fait l’organisation partenaire pour accepter les différences.
C’est la même chose pour les territoires concernant la vie et le parcours des usagers ou ex-usagers de
drogues qui vont faire l’objet de ces programmes. Hormis leur dénominateur commun (ils ont consommé des
produits et sont dépendants), ils sont extrêmement différents. Cela doit être considéré dans la définition des
modalités de recrutement, des critères d’inclusion, des objectifs de formation, des indicateurs de suivi dans les
programmes, etc.
Les lieux où l’action se déroule constituent eux aussi un autre territoire à considérer. Nous sommes ici dans
un lieu intermédiaire, une sorte d’entre-deux entre le marché du travail, l’insertion et la prise en charge
médico-sociale.Ce territoire supplémentaire n’est pas forcément évident à définir.L’expérience a montré que
le passage par ce territoire, conçu initialement comme facteur facilitant l’insertion professionnelle, pouvait
en quelque sorte " signer " une trajectoire dans la toxicomanie et se transformer ainsi, in fine, en obstacle.
Ce lieu intermédiaire peut ainsi constituer une source de stress pour les bénéficiaires de l’action quant à leur
proche avenir ; ou au contraire, par souci de se protéger des incertitudes, générer des liens de dépendance
et l’envie de ne plus s’en éloigner.
Enfin, il est un territoire qui paraît des plus essentiels, même si c’est le moins visible de prime abord : c’est celui
où les différents partenaires du projet vont se retrouver pour négocier. Une des partenaires italiennes du
programme soulignait : " Les partenariats, on sait que c’est compliqué ". Et les questions sont nombreuses :
l’espace/temps des négociations est-il formel ou informel ? S’agit-il de réunions régulières, comme dans le
cas de comités de pilotage ? Ou bien de simples échanges téléphoniques ? Existe-t-il des partenariats
stratégiques et parallèles aux seuls partenariats formalisés pour la réponse à l’appel à projets EQUAL ? Les
règles de la négociation sont elles établies ? Peut-on décider, en cours de réalisation, de modifier les objectifs
du programme ? Et si oui, comment ? Comment met-on en œuvre les décisions prises ?
La thématique de ce programme EQUAL vient ajouter une difficulté particulière à l’établissement de la
négociation entre les partenaires : peut-être plus que toute autre problématique sociale, la question des
drogues est loin de laisser indifférent. L’expérience de ce programme a montré que, lorsqu’on voulait
s’investir sur ce champ de l’insertion socioprofessionnelle avec un public ayant une trajectoire dans les
drogues, nous nous heurtions de plein fouet aux représentations sociales des drogues. Celles-ci péjorent
généralement l’image du public bénéficiaire de ces programmes d’insertion, ce qui vient s’ajouter aux
difficultés rencontrées par tout autre projet d’insertion. Dit autrement, il existe vraisemblablement moins
d’a priori négatifs lorsqu’on travaille avec d’autres publics discriminés sur le marché du travail (handicapés,
femmes, étrangers, homosexuels, etc.) ; ou en tout état de cause, le potentiel compassionnel envers des
" drogués " est moins important qu’envers d’autres publics en situation difficile. D’ailleurs, une illustration très
directement liée à ce programme vient conforter cette hypothèse : le projet présenté par Drogues et Société
fut le seul en France, parmi tous les projets acceptés dans le cadre d’EQUAL, à concerner des usagers
de drogues…
59
S’engager dans un projet d’insertion de publics toxicodépendants nécessite donc, au préalable, que les
partenaires travaillent ensemble sur leurs représentations sociales des drogues ; à défaut, le territoire de la
négociation entre les partenaires en serait fragilisé et les chances de succès du programme s’en verraient
amoindries.
Au terme de ce programme EQUAL, cette question de la négociation est apparue,
aux yeux des acteurs, comme un paradoxe : alors que les acteurs de la prise en
charge sont en effet dans une constante négociation avec les usagers de drogues
qu’ils suivent (et ont de ce fait développé une véritable expertise de la négociation
avec leurs publics), ils éprouvent beaucoup de difficultés à négocier entre eux !
Evaluation de la transnationalité.
Considérons que l’accord de coopération transnationale établi entre les cinq partenaires peut être
analysé à partir de cette double grille de lecture reposant sur la question du partenariat et sur la question
des territoires. Ici, le partenariat prend la forme du réseau constitué par les cinq PDD réunis par l’accord
de coopération transnationale, et le territoire considéré est formé par les cinq séminaires transnationaux
ainsi que les rencontres et projets bilatéraux qui ont existé tout au long du programme. C’est à partir de cette
grille que les représentants des porteurs de projets, réunis lors de leur dernier séminaire en mai 2008, ont tenté
d’évaluer l’impact de la transnationalité dans leurs actions.
Les éléments positifs.
Les espaces/temps offerts par la transnationalité ont clairement permis à toutes les équipes de progresser
dans leurs propres activités nationales en se confrontant à l’expérience des autres projets. La première étape
fut bien sûr la possibilité de connaître ce que font les autres, en matière de :
- expériences et pratiques
- problèmes rencontrés
- modèles et méthodes d’intervention
Ce niveau de connaissance des autres programmes constitue, en tant que tel, un premier facteur amenant
à questionner son propre programme, en le confrontant à d’autres. Ce facteur est renforcé par le fait que
ces connaissances ne sont pas uniquement le fruit d’une présentation d’exposés lors des séminaires
transnationaux, mais sont aussi forgées dans le cadre de visites chez les partenaires (" la connaissance du
dedans ", selon les mots d’un participant) ; de ce point de vue, la transnationalité apporte une interactivité
favorisant une meilleure compréhension,puis appropriation,des programmes des partenaires.Si la problématique
est commune, l’hétérogénéité des situations et des réponses nationales constitue une valeur.
Le transfert de méthodes et de pratiques d’un pays à l’autre ne se décrète pas ; il est rendu possible par les
échanges entre les partenaires.
La transnationalité a offert un cadre propice à la compréhension des difficultés que rencontraient les
programmes nationaux et à leur résolution. Les espaces/temps de la transnationalité permettaient en effet
de réfléchir ensemble aux problèmes rencontrés communément dans les différents programmes, comme les
contenus des formations ; réaliser que ces problèmes étaient partagés par d’autres, alors que leur contexte
et leurs modalités d’intervention étaient différents, a puissamment aidé chaque PDD à affronter des situations
qui auraient pu être vécues comme des échecs ou des insuffisances si elles n’avaient été considérées
que sur un strict plan national. Cette dynamique propre aux échanges transnationaux a donc favorisé
l’acceptation de ces problèmes par les partenaires, qui ont en outre profité de la confrontation pour
élaborer des réponses nationales (pendant comme après les séminaires). De ce point de vue, les séminaires
transnationaux ont clairement rempli une fonction de soutien et d’entraide entre les équipes nationales.
60
Enfin, la transnationalité a été le cadre dans lequel ont émergé des thématiques, des préoccupations et
des initiatives qui n’avaient pas été anticipées ou prévues à l’origine de chacun des programmes nationaux.
Il en va ainsi de la place occupée par les usagers dans les programmes, fonction non prévue et non
écrite que nous avions identifiée ; la participation des usagers aux missions dans les pays a contribué à faire
prendre conscience de ce rôle ; cette prise en compte du rôle des usagers a même pu être formalisée
et reconnue dans le déroulement du programme, comme ce fut le cas en Lituanie. Les missions pays ont pu
aussi être investies, par des porteurs de projet, comme un outil de plaidoyer de la question de l’insertion
professionnelle des usagers de drogues auprès de partenaires nationaux,renforçant ainsi leur réseau (comme
ce fut le cas pour la France).
Finalement, le programme EQUAL est apparu comme un apprentissage collectif à partir des différences,
qui ont été mises à profit par les cinq PPD. L’expérience montre toutefois que ce cercle vertueux de la
coopération transnationale a été rendu possible parce que les échanges informels, en dehors des protocoles
prévus dans l’accord de coopération transnationale, ont existé tout autant que les échanges formels.
Les limites et les insuffisances.
Il ne s’agit pas ici de limites propres à la transnationalité elle-même, dont la fonction intrinsèque et les apports
qu’elle pourvoie sont clairement positifs chez tous les partenaires ; il s’agit plutôt d’identifier les attentes et
les besoins des partenaires auxquels la transnationalité n’a pas répondu. Il existe bien sûr une frustration de
ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur tel ou tel aspect d’un programme national ou de
son contexte ; toutefois, cette frustration ne constitue pas, en tant que telle, une remise en cause de la
transnationalité mais bien plutôt un manque de volonté et/ou de capacité de la part du partenaire en
attente de ne pas avoir su ou pu développer ses propres coopérations bilatérales.Ce point souligne d’ailleurs,
en creux, que la participation à un projet transnational requiert des compétences.
Deux insuffisances majeures sont identifiées par les participants à l’issue de l’expérimentation.
La première concerne l’absence de repères communs.Pour se parler,encore faut-il se comprendre et se faire
confiance. Or, d’un point de vue technique, deux obstacles ont pu brouiller les échanges tout au long du
programme : un obstacle de langue bien sûr, mais aussi la participation irrégulière et changeante
d’interlocuteurs pour certains des pays. Au-delà de cet aspect factuel, les vertus de la transnationalité
ont été affectées par une insuffisante réflexion sur les politiques d’insertion et sur les problématiques de
l’emploi et du marché du travail. Ces questions n’ont pas été abordées comme un pré-requis pour la mise
en œuvre de la coopération transnationale, et ce alors même que les politiques et les situations nationales
en la matière étaient très différentes. Dès lors, il devenait difficile de construire un cadre commun d’analyse
pour les partenaires… alors que l’insertion par le travail était au cœur du sujet !
La seconde insuffisance a été, malgré les efforts, la difficulté à s’extraire des contextes nationaux.
Nous l’avons souligné à plusieurs reprises précédemment, la culture de la transnationalité vécue comme
une confrontation bienveillante et enrichissante pour tous est loin d’être acquise, dans ce domaine comme
ailleurs, au profit d’une propension à se référer à ses catégories et modèles nationaux pour expliquer
son propre projet et comprendre celui des autres. Cette tendance était d’autant plus renforcée que certains
partenariats nationaux n’étaient pas forcément établis solidement au profit d’un intérêt partagé ; dans cette
situation, les séminaires transnationaux étaient plus facilement investis comme des extensions des lieux de
débat autour d’enjeux nationaux. Un participant a souligné cet écueil à l’issue du séminaire de mai 2008 :
" Chaque programme était expliqué en partant et en retournant à son propre modèle culturel national,
à son propre fonctionnement, en perdant de vue le projet transnational ".
Cette faiblesse majeure explique l’étroitesse des productions communes aux cinq pays à l’issue de l’expérimentation.
61
Conclusion
Seuls deux des cinq porteurs de projets nationaux se connaissaient au démarrage du projet (France et
Grèce). Dès lors, il n’existe aucune raison que les conséquences de l’absence d’une des conditions critiques
identifiées pour chacun des projets nationaux (avoir préalablement développé un partenariat ou à tout le
moins une expérience ou pratique commune de travail) ne s’appliquent pas au volet transnational du
programme EQUAL ! Aussi, tout au long de ce programme, le temps d’apprentissage mutuel de chacune
des équipes des PPD sur l’identité professionnelle de ses partenaires européens était un temps indispensable.
Nous l’avons vu, connaître et prendre en compte des territoires d’intervention et d’activités ainsi que des
territoires organisationnels différents est une condition nécessaire au succès de la coopération transnationale.
Bien sûr, dans un cadre temporel limité, les moyens et l’énergie consacrés à cette connaissance mutuelle
ont constitué autant de ressources qui ont manqué à la construction pleine et entière de la coopération
transnationale.
Malgré cela, les cinq PDD ont su tirer un certain nombre d’avantages de leur coopération transnationale.
En outre, l’analyse transversale des expériences nationales nous a permis, au terme du programme,
d’identifier un certain nombre de leçons qui seront utiles à tout autre projet en matière d’insertion professionnelle
des personnes toxicodépendantes. Le dernier séminaire transnational, organisé à Paris en mai 2008, aura
constitué une opportunité de formaliser ces leçons.
En guise de conclusion, il nous semble intéressant d’élargir le chantier de l’insertion professionnelle des
personnes toxicodépendantes à une dimension qui n’est que très faiblement apparue dans les projets
nationaux et dans les séminaires transnationaux : la question de la citoyenneté.
Quels que soient les pays concernés, nous avons vu que les législations en vigueur avaient toutes fortement
contraint l’approche des usages de drogues. Partout, la consommation privée de produits psychoactifs
illicites est sanctionnée pénalement, même si dans certains pays les législations ont évolué vers des sanctions
administratives. L’histoire de l’organisation du soin spécialisé aux toxicomanes dans ces pays nous a aussi
appris que, en matière de toxicomanie, l’un des enjeux de cette structuration du soin spécialisé fut de
déplacer le curseur d’une approche relevant de la répression (où le toxicodépendant est considéré comme
un délinquant sujet de sanctions) à une approche relevant du soin (où le toxicodépendant est considéré
comme un malade sujet de soins). Ce mouvement a été entamé dans les années soixante-dix pour la
plupart des pays, à l’exception de La Lituanie, qui appartenait alors à la zone d’influence soviétique
(zone dans laquelle la psychiatrie enfermante était instrumentalisée pour extraire les toxicodépendants de
la société). Un phénomène majeur est venu renforcer cette approche sanitaire : l’épidémie de VIH/sida,
dont les débuts et le développement en Europe ont particulièrement affecté les toxicodépendants ;
ce phénomène a conduit la plupart des pays à adopter ou développer des réponses sanitaires et sociales
pragmatiques pour circonscrire le développement de l’épidémie,à la fois parmi les publics toxicodépendants
mais aussi en population générale.Au début des années deux mille,l’Union européenne est ainsi globalement
dotée d’une même approche, privilégiant le soin à la répression pour les usagers de drogues (même si,
conjoncturellement, le curseur peut évoluer, dans chaque pays membre, vers des approches plus ou moins
répressives selon les gouvernements en place). Conséquence majeure de cette approche européenne
généralisée : de nombreuses personnes ayant eu une trajectoire dans la toxicomanie sont aujourd’hui inscrites
ou réinscrites dans les filets sanitaires et sociaux de prise en charge ; une grande partie d’entre elles bénéficient
de traitements de substitution, qui contribuent fortement à la recherche d’un nouvel équilibre personnel
en dehors des drogues.
Mais, partout dans l’Union européenne, à l’image de ce que nous a montré cette expérimentation EQUAL,
ces publics toxicodépendants qui sont stabilisés ou en voie de stabilisation se heurtent à des difficultés
majeures pour retrouver un emploi ou tout simplement s’intégrer au marché du travail.
62
Or, dans tous les pays de l’Union comme ailleurs, l’occupation d’une activité professionnelle dans un cadre
légal constitue la fonction majeure de socialisation des individus.Ainsi,le bénéfice des systèmes de protection
sociale est souvent étroitement lié aux cotisations dues au titre de cette activité professionnelle. L’accès
à un logement personnel stable est la plupart du temps conditionné à l’occupation d’une activité professionnelle.
Au-delà de cet aspect, le temps affecté au travail représente la plus grande partie du temps consacré
aux différentes activités hors sommeil chez un individu ; aussi, de nombreux modes de socialisation sont
aussi pensés et organisés par rapport au travail. Dit simplement, la place occupée par un individu dans
la société est étroitement liée au fait qu’il occupe un emploi, et à la nature de cet emploi. Si l’on définit ainsi
la citoyenneté avec une acceptation plus large que le seul droit de vote, il est légitime de poser que la
citoyenneté est aujourd’hui étroitement liée au travail.
De fait, plus souvent éloignés que d’autres du monde du travail en raison du surcroît de difficultés qui pèsent
sur eux (et que nous avons identifiées précédemment), les publics toxicodépendants sont de facto relégués
dans une citoyenneté de seconde zone.Aussi, agir sur la question de l’insertion professionnelle de ces publics
ne devrait pas être simplement considéré comme une activité complémentaire de la prise en charge
médicosociale, mais bien être inscrite au cœur des parcours de prise en charge de ces personnes.
Rappelons que le programme EQUAL vise à lutter contre toutes les formes de discrimination dans l’accès et
le maintien dans le travail. Or, la lutte contre les discriminations trouve sa genèse dans la volonté de rendre les
citoyens égaux entre eux. Cette expérimentation, menée par cinq pays, a non seulement permis d’expliciter
des leçons qui seront utiles à d’autres professionnels souhaitant s’investir dans ce type de projets, mais elle a
aussi élargi un champ politique de réflexion sur les usages de drogues, en la questionnant sous l’angle de la
citoyenneté par rapport au travail.
63
TROISIEME PARTIE
NOUVELLE LETTRE PERSANE
64
Les enjeux autour de l’insertion professionnelle des usagers
de drogues en France
De 1711 à 1720, deux Perses, Uzbek et Rica, séjournent en France. Ils vont alors de surprises en découvertes
d’un monde nouveau, avec ses mœurs, ses pratiques et ses habitudes différentes de celles auxquelles ils ont
été habitués. Dès lors, pour mieux comprendre, ils vont partager ces étonnements et ces surprises avec leurs
amis, au travers d’une relation épistolaire. Montesquieu nous narre leur périple et leurs interrogations dans son
ouvrage Les Lettres persanes, qui dresse un portrait de la société française en ce début du XVIIIe siècle.
Trois siècles plus tard, imaginons un personnage, que l’on nommerait pour l’occasion Appen 2, ayant visité les
cinq projets nationaux du programme EQUAL.Appen, dont l’intérêt pour la question de l’insertion des usagers
de drogues s’est développé au cours de ses voyages à Vilnius, à Athènes, à Pescara, à Caldas da Rainha et
à Créteil, déciderait alors de prolonger son exploration en France. Là, il y rencontrerait des professionnels des
secteurs médico-sociaux et de l’insertion, avec qui il voudrait partager l’enthousiasme que lui ont procuré ses
découvertes. Ce faisant, il prendrait conscience que cette préoccupation, si elle est bien présente dans les
esprits de ses interlocuteurs français, ne se traduit que trop rarement par des projets spécifiques. Il prendrait
alors sa plume et décrirait, à ses amis, la situation en France…
Mes chers Amis,
Comme vous le savez, je m’intéresse depuis quelques années à la situation des usagers de drogues en
matière d’insertion professionnelle. De fait, mon séjour en France me permet de vérifier combien cette
préoccupation est importante chez les usagers eux-mêmes. Vous n’êtes pas sans savoir que dans ce pays,
depuis plus de dix ans, des traitements de substitution aux opiacés sont très largement accessibles.
Cela a considérablement contribué à améliorer l’état de santé de ces personnes toxicodépendantes,
en réduisant les risques qu’ils soient exposés à des infections virales, mais aussi en éloignant beaucoup
d’entre eux des risques sociaux associés aux consommations de produits illicites.
Pourtant, lorsque des chercheurs ont essayé d’évaluer l’impact global de ces traitements et la satisfaction
que les bénéficiaires en retiraient, nos amis français ont eu de grandes surprises. Certes, les professionnels
qui étaient investis au quotidien dans la prise en charge des usagers de drogues savaient qu’un tiers d’entre
eux occupaient un emploi salarié et que la moitié vivaient des minima sociaux 3. Mais, en posant directement
la question aux personnes suivant un traitement de substitution 4, ils se sont aperçus que leur situation
professionnelle avait peu évolué pour 53 % d’entre elles, voire s’était dégradé pour 9 %, ce qui constituait
un des plus mauvais résultats en termes d’impact de ces traitements.
Malgré ces résultats, l’insertion professionnelle constitue en France le parent pauvre des politiques de prise en
charge des addictions depuis qu’elles existent. Et pourtant, l’histoire de cette prise en charge depuis les
années soixante-dix prouve qu’elle est en capacité d’évoluer considérablement dans ses contenus ainsi que
l’a montré l’évolution du volet médico-social, avec l’introduction de la Réduction des risques.
2
Comme un acronyme formé à partir du nom des cinq projets nationaux (Addictions, compétences et nouveaux parcours de
professionnalisation, Projet San Giuseppe, PILAR, ENTAXI, Nugalek priklausomybe).
3
OFDT : premiers résultats nationaux de l’enquête RECAP (2007) et première enquête nationale sur les usagers des CAARUD (2008).
4
Enquête AIDES/INSERM sur les " Attentes des usagers de drogue concernant les traitements de substitution : expérience, satisfaction,
effets recherchés, effets redoutés " (2002).
65
Mais les deux courants qui ont, historiquement, structuré cette prise en charge (et qui se rejoignent et se
complètent sur bien des points aujourd'hui), à savoir l’approche psychothérapeutique et l’approche dite de
RDR, ces deux courants, donc, ignorent ou négligent la question de l’insertion des publics toxicodépendants
qu’ils accueillent et prennent en charge. Les textes réglementaires sont d’ailleurs très clairs sur ce point.
Aujourd'hui, la politique de prise en charge des addictions repose sur deux volets essentiels (outre l’hôpital
et la médecine de ville) : les Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie
(CSAPA) et les Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues
(CAARUD). Pour vous aider à comprendre, mes chers Amis, je vais vous rappeler ce que nous disent les
textes qui définissent leurs missions.
Concernant les CSAPA, le décret du 14 mai 2007 les a définies, au nombre de trois, comme suit :
1) L’accueil, l’information, l’évaluation médicale, psychologique et sociale et l’orientation de la
personne ou de son entourage.
2) La réduction des risques associés à la consommation de substances psychoactives.
3) La prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative, qui comprend le diagnostic,
les prestations de soins, l’accès aux droits sociaux et l’aide à l’insertion ou à la réinsertion.
Comme vous pourrez le constater par vous-mêmes, la question de l’insertion est donc présente… mais arrive
en fin de ligne.
Quant aux CAARUD, le décret du 19 décembre 2005 leur a fixé six missions, dont la troisième consiste à
assurer " le soutien aux usagers dans l’accès aux droits, l’accès au logement et à l’insertion ou la réinsertion
professionnelle ". Sur ce point, la circulaire du 2 janvier 2006 relative à la mise en œuvre des CAARUD
se contente de préciser que ces derniers doivent " informer " les usagers sur " leurs droits sociaux " ainsi que
les " accompagner et organiser le relais avec les collectivités territoriales ". Là encore, l’incitation est présente,
mais peu contraignante.
Les textes officiels régissant l’activité du dispositif spécialisé de prise en charge des personnes toxicodépendantes intègrent donc cette question de l’insertion, mais de manière marginale ou annexe. Il est vrai que le
cœur de l’intervention de ces structures s’inscrit dans le champ du médicosocial, dans lequel l’insertion
professionnelle n’est pas une constituante prioritaire.
Enfin, le gouvernement français a adopté en novembre 2006 un " Plan addiction 2007-2011 ", qui est encore
plus explicite, en creux, sur le peu de préoccupation de la question de l’insertion. Le seul endroit, dans ce
texte d’une vingtaine de pages, où pointe cette préoccupation, mais sans être formellement explicitée,
figure en page 8, pour introduire l’une des priorités de ce plan qui consiste à " mieux prendre en charge
les addictions dans les centres médico-sociaux " ; le texte nous dit que " L’intervention sanitaire ne saurait
réduire l’ensemble des problèmes [des personnes dépendantes]. Les soins doivent alors s’organiser dans le
cadre d’un accompagnement à long terme au plus près de la vie familiale et sociale de la personne ".
Vous noterez que le terme insertion n’est même pas mentionné ; mais nous pouvons imaginer que
" l’accompagnement à long terme au plus près de la vie de la personne " sous-entend l’insertion…
Il faut que je vous précise quelque chose, mes chers Amis : la France est un pays qui aime les commissions
et les groupes de travail ; aussi, elle s’est dotée d’une " commission addiction ", qui est en quelque sorte
un outil de suivi de ce plan. Cette commission réunit des représentants des professionnels, des usagers,
des associations et des institutionnels ayant à intervenir dans le champ des addictions ; elle a mis en œuvre
trois groupes de travail spécifiques : l’un sur les TSO, le second sur la RDR et le troisième sur l’hébergement.
Certes, la question d’un hébergement sécure est une condition indispensable à une bonne prise en charge
médico-sociale, mais elle ne règle pas à elle seule la question de l’insertion, qui ne saurait lui être réduite.
Nous avons d’ailleurs, de façon générale, l’impression que la question de l’insertion est tout simplement
fondue ou confondue avec celle du social en général, elle-même malheureusement bien souvent réduite
à la question de l’accès aux droits sociaux (couverture maladie) et à l’hébergement.
66
Dans les faits, une enquête conduite par l’OFDT et Drogues Alcool Tabac Info Service (DATIS) en janvier 2008
nous apprenait que seulement 34 CSST et CSAPA sur 182 (soit 18 %) déclaraient développer un programme
spécifique d’insertion par le travail, sans en préciser les contenus ; or, quand on voit le flou des textes
réglementaires, nous pouvons légitimement émettre l’hypothèse que ces programmes doivent couvrir un
spectre large, allant du relais vers les organismes de droit commun à l’accompagnement individualisé
vers une formation ou un emploi.
Ainsi, mes chers Amis, plus de trente ans après la mise en œuvre, en France, de politiques spécifiques de prise
en charge des addictions, nous avons donc le sentiment que la question de l’insertion reste définitivement
le parent pauvre, voir l’orphelin oublié de ces politiques.
Il est vrai que les difficultés en matière d’insertion professionnelle et de maintien dans l’emploi ne sont pas
spécifiques aux toxicodépendants. En effet, la France, comme ses partenaires européens, n’échappe pas
à une crise structurelle qui vient bousculer les trajectoires professionnelles et fragiliser le rapport au travail.
Historiquement, en France, les modes de régulation collective qui régissent les rapports sociaux ainsi que
la place de chacun dans la société (y compris sa protection face aux différents risques de la vie) ont été mis
en place à partir de la fin du XIXe siècle selon un processus dont la dernière étape fut la création de la
Sécurité sociale au sortir de la Seconde guerre mondiale. Ces modes de régulation reposent sur un principe
essentiel : le travail est au centre de la fonction de socialisation des individus et c’est lui qui génère
la protection auquel l’individu a droit. C’est le sens des cotisations sociales, qui financent cette protection.
Pour celles et ceux qui se situent en dehors du travail, quelle qu’en soit la raison, des mécanismes de solidarité
nationale ont été créés, qui sont, eux, financés par l’impôt. En France, un de ces mécanismes les plus connus
est le Revenu Minimum d’insertion, institué en 1989.
Mais la crise du modèle économique et social que connaît la France depuis les années soixante-dix a conduit
à un chômage de masse, qui vient mettre à mal le principe essentiel des protections que je vous présentais
précédemment. De fait, les mécanismes de solidarité nationale se sont particulièrement développés avec
cette crise, agissant comme des filets sociaux pour " repêcher " ceux qui étaient exclus des modes de
régulation, ou pour les empêcher d’en sortir quand ils étaient par trop fragilisés.
En toile de fond de ces évolutions, nous avons constaté, à partir des années quatre-vingt, une tendance
à investir l’individu du poids de responsabilités qui étaient jusque là assumées dans un cadre régulé
collectivement. La situation du travailleur salarié, qui obéit normalement à des règles collectives
(Code du Travail, conventions collectives, représentation des salariés dans l’entreprise, etc.), illustre
parfaitement ces évolutions : il est aujourd'hui bien plus souvent considéré comme un " individu responsable
et acteur de sa performance et de celle de son entreprise "… que comme un salarié doté de droits et
uniquement responsable d’obligations professionnelles liées à son contrat de travail. A leur façon,
Alain Ehrenberg (Le culte de la performance) et Jean-Pierre Le Goff (Le mythe de l’entreprise) ont bien décrit
ce glissement insidieux. Glissement qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec le sujet dont je souhaite vous faire
partager la préoccupation : l’usage de produits psychotropes, licites ou illicites, pour supporter cette situation
de responsabilisation à outrance, ces obligations de performance. Et de ce point de vue, la part des produits
licites, dont les médicaments psychoactifs, n’est pas des moindres comme le rappelait Edouard Zarifian
dans son ouvrage Des Paradis plein la tête. Il y décrivait, de façon générale et pas uniquement en lien avec
le travail,une dérive de l’utilisation des médicaments psychotropes en raison d’une " médicalisation systématique
de l’existence ". A cette époque, il constatait que le niveau de consommation des benzodiazépines dans un
cadre de prescription médicale était trois fois plus élevé que la moyenne des pays européens. Pourtant, mes
chers Amis, après avoir visité différentes contrées d’Europe, je puis vous assurer qu’il y a beaucoup moins de
différences chez les Européens entre eux qu’entre les Européens et nous les Perses !
67
Comme vous le constatez, la place et le rapport de chaque individu dans et au travail sont un souci assez
répandu dans ce pays. Mais il n’en reste pas moins que cette place et ce rapport sont encore plus difficiles
pour les toxicodépendants.
Ainsi, en visitant plus particulièrement le programme de Drogues et Société à Créteil, j’ai pu constater que si
l’action menée dans le programme EQUAL avait eu des effets certains pour favoriser l’accès à un emploi chez
des personnes toxicodépendantes,il est apparu par la suite que la plupart des personnes ayant franchi cette
première étape se sont heurtées par la suite à des difficultés dans le maintien dans l’emploi. En essayant de
comprendre pourquoi, j’ai pu identifier les raisons suivantes :
Tout d’abord,le contexte d’isolement social,voire de rupture familiale ou conjugale,vécu par les usagers était
plus ou moins atténué par la fréquentation de groupes de pairs qui s’étaient constitués lors des périodes de
consommation (les autres usagers dans la rue ou les autres patients dans le centre de soins) ; l’entrée dans le
monde du travail a rompu cet équilibre relationnel fragile, ne serait-ce qu’en raison des horaires de travail,
alors que les autres aspects de la vie affective et sociale restaient insatisfaisants. Cette situation a créé une
tension psychique et morale qui peut, chez certains, péjorer les bénéfices du retour à l’emploi.
De plus, les contraintes liées à un travail régulier sont ressenties comme trop difficiles à respecter ou à
supporter par certaines personnes : respect des horaires et assiduité, intégration du principe de hiérarchie,
cohabitation avec les collègues de travail. Mais, me direz-vous chers Amis, c’est le lot commun de tous les
salariés de devoir accepter ces contraintes ! Oui, bien sûr, mais il ne faut jamais oublier qu’à la différence des
autres salariés, ces personnes vivent une situation bien particulière, en raison même de leur parcours dans la
toxicomanie (comme les infections par les virus du sida et des hépatites, qui nécessitent une prise en charge
médicale lourde) ; cette situation vient expliquer en grande partie ces difficultés : contraintes du suivi
médical (prescription et délivrance de traitements), effets secondaires des différents traitements,
insatisfactions persistantes malgré les traitements ; tout cela se traduisant par une plus grande fatigabilité au
travail et par une irritabilité peu propices à une inscription sereine dans un parcours professionnel.
Malgré sa lourdeur, cette prise en charge médicale présente des avantages certains pour la majorité
d’entre eux. En revanche, elle semble avoir moins d’impact sur les conditions matérielles de vie, qui évoluent
peu (dont la question du logement, qui est souvent précaire – au sens d’absence de logement personnel
stable) ; or, la construction d’une hygiène de vie adaptée à une vie professionnelle est étroitement associée
à ces conditions matérielles.C’est le cas pour l’alimentation,dont l’équilibre est très difficile à construire quand
le logement est une chambre d’hôtel où il n’est pas possible de cuisiner ou de conserver des aliments.
Enfin, le retour au travail peut avoir pour conséquence de " se faire rattraper par un passé " dont l’on cherche
justement à s’éloigner. Il en va ainsi du poids des dettes et amendes impayées, directement liées au passé de
toxicomane, qui vient grever les revenus du travail, revenus qui sont en outre souvent assez bas. Si ce poids est
vécu comme trop important, il pourra agir comme un facteur d’auto-exclusion du marché du travail légal.
Voilà, mes chers Amis, ce que je voulais vous signifier au moyen de cette lettre, afin que vous puissiez mieux
comprendre les intérêts des enseignements de ce programme EQUAL au regard des enjeux posés par
l’insertion professionnelle des usagers de drogues en France. Comme vous avez pu le constater à la lecture
de cette lettre, le mot " accompagnement " apparaît bien souvent dans le dispositif français de prise en
charge des addictions. Finalement, au terme de mon voyage, j’ai bien l’impression que l’expérimentation
menée dans le cadre de ce programme EQUAL nous livre quelques astuces pour mettre en œuvre
des actions d’accompagnement vers l’employabilité et vers l’emploi des publics toxicodépendants.
68
Enfin, je sais depuis ce voyage en France que, outre les professionnels des secteurs médicosocial et de
l’insertion, les collectivités territoriales ont un vrai rôle à jouer dans les programmes d’insertion professionnelle
des usagers de drogues pour peu qu’elles se dotent de la volonté politique de s’y engager. En effet, l’action
sociale dépend en grande partie de ces collectivités,et en particulier des Conseils généraux.J’ai ainsi pu voir
que le Conseil général du Val-de-Marne, et les élus départementaux avaient voté l’octroi d’une indemnité
mensuelle pour les allocataires du RMI s’inscrivant dans un projet de formation. Cette indemnité a été versée
aux bénéficiaires du programme de Drogues et Société, venant compléter l’allocation reçue au titre du RMI,
sans s’y substituer. Ce dispositif, vraisemblablement unique en France, apporte la preuve que les collectivités
territoriales peuvent aller au-delà des seules missions qui leur sont dévolues dans le cadre de la décentralisation
(ce qui est le cas du RMI, géré par les départements depuis les lois de décentralisation de 2004).
Paris, octobre 2008
69
LE POINT DE VUE DE JEAN-PIERRE COUTERON
ET DE CLAUDE FOSSET*
D’un dispositif spécifique à des pratiques spécifiques ?
L’ANITEA a toujours eu une préoccupation pour les questions d’insertion. A l’origine, l’organisation des prises
en charge en matière de toxicomanie proposait des activités spécifiques d’insertion dans de nombreuses
structures, dont celles appelées " centres de post-cure ". En février 2007, le colloque d’Orléans " Insertion/
désinsertion des toxicomanes, social et soin en question " a montré la nécessité de remettre en réflexion ce
champ de notre intervention, les pratiques de Réduction des risques, l’arrivée des Traitements de substitution
aux opiacés et le concept d’addictologie ayant considérablement renouvelé l’abord de ces questions.
Il n’existe plus de politique spécifique d’insertion envers les personnes toxicomanes. Elle s’est diluée au fur et à
mesure de la formalisation administrative des centres de soins, devenant successivement des CSST, puis des
CAARUD et des CSAPA. D’abord prises en compte par la Direction Générale de l’Action Sociale, les actions
d’insertion vont être regroupées en 1997 par le bureau " SP3 " de la Direction Générale de la Santé dans ses
missions, " outre l’organisation de la prise en charge des toxicomanes, la définition et la mise en œuvre des
politiques relatives à la prévention et à la réinsertion de ces publics ". Lors du passage vers le statut de CSST,
l’insertion reste dans les missions éventuelles, mais sans moyens administratifs et financiers définis. Dans le
décret CSAPA, " les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie assurent, selon
le 3e alinéa de l’article D. 3411-1, la prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative.
Elle comprend le diagnostic, les prestations de soins, l’accès aux droits sociaux et l’aide à l’insertion ou
à la réinsertion ".
En quelques années, ce dispositif, devenu lui-même médico-social, est passé de l’insertion à l’aide à
’insertion. Au regard du droit commun, la spécificité d’une personne toxicomane n’existe pas, puisque
l’insertion concerne d’abord une personne, un citoyen quelle que soit sa problématique hors handicap
reconnu. Il peut être " bénéficiaire du RMI (revenu minimum d'insertion), de l’API (allocation parent isolé) "
ou encore non inscrit dans ces " cases " s’il est trop marginalisé ou s’il a moins de 25 ans. Le partenariat et le
travail en réseau prennent dans cette nouvelle organisation une place bien évidemment incontournable,qui
ne devrait pas pour autant exclure les outils spécifiques que la plupart des centres de soins développent dans
le cadre d’un processus de soin transdisciplinaire.
C’est par ce processus d’accompagnement personnalisé assuré aujourd’hui par nos équipes que l’insertion
reste une dimension essentielle d’un trajet de soin dont le lien social reste un élément incontournable.
A ce titre, les actions d'insertion font partie du système de soins : la vie au sein de la société, la gestion
d'un appartement ou d'un budget, l'activité professionnelle, sont autant de supports privilégiés de l’alliance
thérapeutique et des actions qui s’y rattachent.
Il serait illusoire de prétendre résoudre l'ensemble des difficultés des usagers par des prises en charge
thérapeutiques mono centrées.Ni le travail,ni le logement,ni la reconnaissance sociale ne suffisent.De même,
la seule délivrance d’un Traitement de Substitution aux Opiacés n’est pas toujours suffisante. C'est une action
d'ensemble, multidimensionnelle, dans la durée, qui permettra à chacun de trouver sa place en dehors de la
pratique addictive. Nous savons bien qu'il n'existe pas d'itinéraire idéal : le parcours sera long, chaotique, fait
d'avancées et de reculs, d'étapes sautées ou gérées différemment, mais aussi de répétitions, d'échecs et de
réussites, avant que chacun ne trouve sa voie, sa solution, n'acquière une nouvelle identité. Nous savons aussi
le poids contradictoire de la loi de 1970 et de sa stigmatisation spécifique des usages de drogues.
* Respectivement Président et Administrateur, commission insertion de l’ANITEA
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L’insertion sociale est sans doute un préalable à l’insertion professionnelle, où pour le moins elle est à mener
en parallèle de l’accompagnement. S’il n’y a pas de modèle type, chacun d’entre nous utilise le panel de
dispositifs de droit commun et les outils socio professionnels de son environnement.
Quatre grandes orientations sont explorées par les intervenants :
• Etre disponible pour appuyer les équipes des structures d’insertion de droit commun et/ou accompagner
un usager engagé dans ces entreprises d’insertion,
• Avoir ses propres outils spécifiques d’aide à l’insertion. Que ce soit dans le cadre de la formation ou du
travail en lui même,
• Etre proche du monde de l’entreprise afin d’éviter l’exclusion des personnes en difficulté avec une
problématique addictive,
• En quoi le monde du travail génère t-il des conduites addictives.
Principal réseau national,l’ANITEA en lien avec la Fédération des Acteurs de l’Alcoologie et de l’Addictologie
(F3A), va continuer d’animer la réflexion de ses adhérents sur cette thématique, notamment avec
l’Association Drogues et Société. Un prochain colloque va être organisé et d’autres manifestations suivront. Il
s’agit pour nous de continuer de défendre encore et toujours une politique de soins comportant un volet
d’actions visant la réinscription dans les liens sociaux, d’autant plus nécessaire que notre société n’en finit pas
de les mettre à mal !
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Bibliographie
Bézille Hélène, Addictions et accès à l’emploi, Drogues et Société - EQUAL, décembre 2005.
Ehrenberg Alain, Le Culte de la performance, Calmann-Levy, Paris, 1991.
Labrousse Alain, Dictionnaire géopolitique des drogues, De Boeck, 2002.
Le Goff Jean-Pierre, Le Mythe de l’entreprise. Critique de l'idéologie managériale,
La Découverte, Paris, 1992.
Montesquieu, Les Lettres persanes, Sous la direction de Jean Starobinski, Folio Classique.
Scoppio Anna, in Ogien Albert et Giannichedda Maria Grazia, Evaluer la complexité.
Drogues et Société, Mission Interministérielle de Recherche et d’Expérimentation, Paris, 1990.
Zarifian Edouard, Des Paradis plein la tête, Odile Jacob, 1988.
Zecca Marine, Addictions et accès à l’emploi, Drogues et Société- EQUAL, décembre 2005.
Différentes informations et productions sont consultables sur les sites :
www.atelier-arte-expressao.org
www.manoguru.lt
www.equalsangiuseppe.it
www.okana.gr
www.drogues-et-societe.net
www.idequal.fr
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Dessin : Steeve Chalumeau
Edition Drogues et Société - © Décembre 2008
Les auteurs ont analysé les contenus de ces expériences et en ont dégagé,
à partir d’un regard " à la fois dedans et dehors ", les pré-requis et conditions de
succès, ainsi que différents facteurs d’obstacles à certaines avancées.
Avec la collaboration et à partir des travaux de :
Paula Proença, Gonçalo Fonseca et Carla Mortagua pour le Portugal
Daumantas Gudelis, Nerijus Mocevicius, Ausra Malinauskaite, Vygandas Raukstas,
Reda Sutkuviene, Aisté Cerniauskaite, pour la Lituanie
Lorenza Piarulli, Davide di Iannis, Dora di Ciano et Nino Silverio pour l’Italie
Chrissoula Banou, Vicki Meletakos et Christos Kokkoris pour la Grèce
Nancy Aguilera-Torres, Viviana Guerra Taha, Ludovic Grellier, Daniela Cesoni et
Philippe Lagomanzini pour la France
qui remercient
Paula Marques de l’Instituto da Droga e da Toxicodependência,
Franco Giampalmo de Solcoroma, Emilis Subata du service d’addictologie de
l’hôpital de Vilnius, Hélène Bézille de l’Université Paris VIII, Roberto Presciutti de la
Fondation Villa Maraini et Patrizia Brandolini de la Coopérative Sociale Villa Maraini,
l’ensemble de leurs partenaires nationaux, ainsi que les femmes et les hommes pour
lesquels et avec lesquels ce programme a été conçu.
Edition Drogues et Société
Olivier Maguet et Christine Caldéron ont retracé quatre années d’expériences
conduites par cinq équipes européennes engagées autour de cinq projets,
dans le cadre d’un programme Equal, pour l’accès à l’emploi de publics
toxicodépendants.
Aquarelle : Christine Lesueur
Nous verrons dans ces pages que leur implication dans l’élaboration des
différents programmes aurait pu être mieux formalisée et valorisée, mais ils ont
quotidiennement renforcé les porteurs de projets dans leur volonté de lutter
contre ce que Anna Scoppio a appelé " l’indifférence professionnelle à ce que
les personnes en souffrance feront de leur autonomie retrouvée ".