Changement d`ère dans la charpente métallique

Transcription

Changement d`ère dans la charpente métallique
entreprise métallurgie
Conception de locaux
Changement d’ère dans la charpente m
L’entreprise de charpentes métalliques
Bouisse/CMBC a quadruplé la superficie
de son atelier, situé à Cavaillon. La conception
des locaux a été réalisée en plaçant au cœur
du projet les conditions de travail des salariés.
Ce qui a abouti à une révolution profonde
du métier.
teur de production. Un projet
d’agrandissement parti d’une
feuille blanche et du squelette du bâtiment existant,
qui allait être conservé.
© Gaël Kerbaol/INRS
E
n entrant dans l’atelier
de charpente métallique de Bouisse/CMBC,
à Cavaillon, dans le Vaucluse,
on s’attend à un lieu bruyant
et poussiéreux. L’ambiance
sonore est presque feutrée, la
lumière naturelle inonde les
locaux et peu de personnes
s’animent autour de la ligne
de production. L’ambiance de
travail semble sereine. Il y a
deux ans, l’entreprise Bouisse/
CMBC, qui occupait initialement 2 500 m2, a multiplié
par quatre la surface de son
atelier. Cette société emploie
112 personnes et traite en
moyenne 5 000 tonnes d’acier
par an. Au fil des années, elle
s’était retrouvée à l’étroit dans
son atelier. Capacité de production limitée par rapport
aux demandes, conditions
de travail exécrables, locaux
vétustes… un profond réaménagement s’imposait. Deux
ans après, le résultat s’est
révélé novateur en termes
de conditions de travail pour
ce secteur. « On est passés
de Zola à Ariane », explique
Dominique Benader, direcLe cheminement du matériel
a été automatisé sur la ligne
de production. Les pièces sont
acheminées par convoyeurs et par
tapis roulants en sortie de ligne.
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Travail & Sécurité ­­– Novembre 2011 La plus importante problématique de l’activité est liée
aux manutentions. Des pièces
mesurant jusqu’à 16 mètres
de long et pesant de 30 à
300 kg pour les plus petites et
jusqu’à trois tonnes pour les
plus grandes sont fréquemment manipulées. « Les manutentions constituent au moins
50 % du temps de travail dans
notre activité, pour ne pas dire
plus, décrit encore le directeur
de production. Et elles sont
à l’origine de deux tiers des
accidents du travail avec les
circulations environnantes. » Il
fallait réussir, grâce à la nouvelle organisation de la chaîne
de production, à déplacer les
éléments avec un minimum
de manutentions manuelles.
Un meilleur confort
de travail
Lors du projet d’aménagement des nouveaux locaux,
les réflexions ont par conséquent porté prioritairement
sur les manutentions, et plus
largement sur le bien-être
au travail. Comment faire
pour que les manutentions
durent le moins longtemps
possible et demandent un
minimum d’opérations ? Le
cheminement du matériel a
été automatisé sur la ligne.
Il s’agit d’une des premières
de la sorte en Europe. Les
pièces sont acheminées par
convoyeurs et par tapis roulants en sortie de ligne. Pour
les opérations de transfert
des pièces, des potences individuelles ont été installées à
différents postes de travail,
ainsi que trois ponts roulants
sur tout l’atelier. Une navette
sur rails, pouvant porter des
charges de quinze tonnes et
pensée pour passer au-dessus des racks de stockage du
matériel, a été spécialement
conçue. Elle vient compléter
l’utilisation des ponts roulants. Les rails ont été tracés
lors de la coulée de la dalle. Ils
sont ainsi incorporés dans le
sol et non saillants, afin d’éviter les chutes de plain-pied.
Avec tous ces aménagements,
les pièces ne se déplacent
plus de la même façon dans
l’usine.
En termes de confort de travail, un traitement acoustique
global de l’atelier a été réalisé.
Une double peau perforée
recouvre les murs. L’éclairage
naturel a par ailleurs été privilégié. Initialement, le projet
était prévu en sens inverse :
les machines devaient être
installées dans la partie neuve
et les postes faisant plus
appel à la main-d’œuvre dans
l’ancien bâtiment. « Mais
les nouveaux locaux étant
beaucoup plus lumineux, on
a rapidement convenu de
mettre les machines dans la
partie ancienne », commente
Dominique Benader. Un travail sur le confort visuel dans
l’atelier a également été réalisé, avec notamment des bar-
CMBC en bref
B
ouisse/CMBC
(Charpentes
métalliques Bouisse et
compagnie) a pour activité
la construction métallique
(charpente, couverture,
bardage, menuiserie). Elle
fait partie de la holding
Bouisse Finance S.A.,
qui possède deux autres
entreprises : VP Construction
(gros œuvre et bâtiment),
et Poggia Provence (gros
œuvre, bâtiment, génie
civil). Autonome dans le
monde du BTP, elle assure
toute la prestation depuis la
prise de commande jusqu’à
la conception et le service
après-vente.
© Gaël Kerbaol/INRS
étallique
dages de couleur claire.
L’augmentation des espaces
de travail a également contribué à améliorer l’ambiance
de travail. « La promiscuité
pouvait générer des tensions entre collègues devant
se partager un petit espace,
remarque Frank Pelestor, chef
d’atelier. Aujourd’hui, chacun
a plus d’espace autour de son
poste de travail, avec comme
conséquence une ambiance
plus sereine. » Le rangement a
aussi fait l’objet de sérieuses
réflexions. « Les chutes d’acier
sont disposées dans des bacs
dédiés. Les pièces finies sont
rangées dans des conteneurs
précis, présente Simon Flores,
technicien responsable du
lancement. Chaque chose doit
être à sa place, ici. »
Risque chimique
L’acquisition
d’une
marqueuse automatique a permis
de réduire de près de 80 % le
risque de coups de marteau
sur les doigts, à l’origine de
nombreux accidents du travail. En matière de circulation,
des flux séparés ont été définis entre les véhicules et les
piétons. La signalisation au
sol est en cours de finition.
Le risque chimique, rencontré
notamment aux ateliers soudure et peinture, a également
été traité. L’aspiration des
fumées de soudure est réalisée à la source par des torches
aspirantes. Huit postes de
travail en sont équipés, reliés
à une centrale extérieure.
« On avait tout tenté avec
d’autres outils par le passé, ça
n’avait jamais été accepté par
le personnel, présente Frank
Pelestor : trop bruyant, trop
lourd... Aujourd’hui, le matériel a progressé du point de vue
de l’ergonomie, il est davantage maniable. Parallèlement,
les mentalités ont changé,
notamment avec l’arrivée de
jeunes soudeurs. L’utilisation
du nouveau matériel fait
désormais l’unanimité. Tout le
monde en voit l’intérêt : il n’y
a plus de brouillard dans l’atelier comme avant. » Même si
cela ajoute des contraintes, en
particulier du fait de l’encrassage rapide des torches.
Pour la direction, intégrer la
sécurité dans toutes ses réflexions
a été un élément motivant
qui permettait d’aller vers une
meilleure organisation.
Les outils de soudure ont par
ailleurs tous été suspendus
à l’aide d’enrouleurs, afin de
supprimer les tuyaux au sol
et le risque de chute associé.
Pour aménager l’atelier peinture, les responsables ont
visité des entreprises dont
la peinture était le cœur de
métier, donc confrontées
aux mêmes problématiques.
Ils ont ainsi installé un système de ventilation avec un
flux descendant traversant
l’atelier de part en part et
permettant de dépolluer la
zone. Par ce balayage de l’air,
les peintres, bien que toujours
munis de leurs équipements
de protection individuelle,
travaillent hors de la zone
polluée.
« Intégrer la sécurité dans
toutes nos réflexions a été un
élément motivant. Cela permet d’aller vers une meilleure
organisation. Le lien sécuritéTravail & Sécurité ­­– Novembre 2011
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entreprise métallurgie
© Gaël Kerbaol/INRS
Le risque chimique, rencontré aux
ateliers soudure et peinture, a été
traité. L’aspiration des fumées
de soudure est réalisée à la source
par des torches aspirantes.
productivité est évident »,
résume Dominique Benader.
Globalement, Patrick Meguin,
responsable logistique et
secrétaire du CHSCT, constate
que « les décideurs étaient
impliqués dans le CHSCT, donc
conscients des problématiques
en santé et sécurité au travail. Nous n’avons pas encore
réalisé les statistiques sur les
accidents depuis la nouvelle
installation, mais les progrès
devraient être significatifs.
Toutes les réflexions menées
ont également grandement
contribué à faire progresser
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Travail & Sécurité ­­– Novembre 2011 notre document unique d’évaluation des risques. »
Révolution
intellectuelle
« Un des principes généraux
de prévention est de tenir
compte de l’état de l’évolution
de la technique. Bouisse était
totalement dans cette préoccupation, et a même permis
de faire avancer la technicité »,
souligne Philippe Demazeau,
technicien de prévention à la
Carsat Sud-Est. « Avec cette
expérience, nous sommes
devenus le laboratoire de
notre fournisseur, Ficep, et
également sa vitrine. Ils ont
travaillé avec nous à la conception de prototypes, ils ont fait
des pas aussi importants que
nous dans la technicité », complète Dominique Benader.
L’entreprise a aussi fait l’objet
d’une profonde évolution au
niveau du numérique : volontairement, un seul système
informatique a été adopté,
les commandes numériques
sont les mêmes sur toutes
les machines, avec une seule
interface
graphique.
De
quoi constituer un avantage
important en termes de gestion humaine et représenter
un moyen de faire évoluer les
compétences des personnes.
« Ils ont fait de la gestion prévisionnelle des emplois et des
carrières sans le savoir », souligne Philippe Demazeau.
Aujourd’hui, tout a changé.
Le métier n’est plus le même.
« De métiers de production, on
est passéd plus à des métiers
de contrôle. Nous sommes
encore en phase d’apprentissage. On a modifié l’image du
monde du charpentier, résume
Dominique Benader. Nous
commencions à rencontrer des
problèmes de recrutement de
personnel. Il nous fallait aussi
une usine qui donne envie de
venir travailler chez nous. »
L’investissement total pour ce
projet a atteint huit millions
d’euros. « Si on n’avait pas fait
cet effort financier, on n’aurait probablement pas résisté
à la crise, ou en tout cas on
serait aujourd’hui en grande
difficulté », estime-t-il encore.
L’aménagement a fait l’objet
d’un contrat de prévention
avec la Carsat Sud-Est, mais,
devant l’ampleur du projet,
« le coup de main a été plus
pédagogique que financier »,
précise Philippe Demazeau.
Avec le recul, les responsables
considèrent-ils que des erreurs
ont été commises au cours de
la conduite du projet ? « De
mon point de vue, l’espace
autour du robot central a été
mal pensé, répond Dominique
Benader. On aurait pu prévoir un espace de stockage
plus large autour. Par ailleurs,
nous avons sous-estimé les
facteurs humains et l’accompagnement nécessaire dans
un tel projet. L’information a
été insuffisante. Pour certains
anciens qui voyaient leur outil
de travail totalement transformé, cela a été une petite
révolution. L’évolution plus
globale du métier a parfois
été mal vécue. D’autres ont eu
peur de ne pas être à la hauteur des investissements engagés. Peut-être aurions-nous pu
faire davantage participer le
personnel à certains essais. »
L’acquisition de multiples
machines nécessaire à l’automatisation des tâches a
imposé d’étoffer l’équipe de
maintenance. Depuis juillet
dernier, l’équipe est passée
de un à deux postes de haute
technicité. Cette usine constitue le début d’une nouvelle
ère dans l’histoire de l’entreprise Bouisse, créée en 1958
par le grand-père de l’actuel
PDG.
Céline Ravallec