Résumé Abstract Mots-clés - Key-Words Introduction Phénologie et
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Résumé Abstract Mots-clés - Key-Words Introduction Phénologie et
Phénologie et répartition par types d’habitats des Rhopalocères d’Île-de-France (Lepidoptera : Rhopalocera) Exploitation des données du STERF (2005-2008) par Luc MANIL1 ,2, Alexandre LERCH1 et Romain JULLIARD2 1 2 Association des Lépidoptéristes de France, 45, rue Buffon, F-75005, Paris. E-mail : [email protected] UMR 5173, Département Écologie et Gestion de la Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), 55, rue Buffon, F-75005 Paris L Résumé es données du STERF (Suivi Temporel des Rhopalocères de France) acquises entre 2005 et 2008 en Île-de-France ont été exploitées pour étudier la phénologie et la répartition par types d’habitats d’une vingtaine d’espèces de Rhopalocères parmi les plus communes. Sur 66 sites (34 tirés au sort et 32 choisis), plus de 3200 transects ont été parcourus, totalisant 79 espèces et plus de 38000 papillons. La répartition par types d’habitats montre que les pelouses calcicoles, très souvent associées à des milieux boisés à prédominance de résineux, sont les milieux les plus riches en nombre d’espèces et que les autres milieux ouverts, plus pauvres, ne contiennent pas beaucoup plus d’espèces que les zones suburbaines et les forêts et buissons de feuillus. L’étude permet également d’étudier la pénétration des différentes espèces dans les milieux urbains. Les graphiques de phénologie permettent dans beaucoup de cas de déterminer le nombre de générations et de comparer les années entre elles (périodes d’émergence et abondance relative entre les générations). T Abstract he STERF data (French Butterfly Monitoring Scheme) collected between 2005 and 2008 in Île-de-France (the region around Paris, France) were used to analyse the flight periods (phenology) and the habitat of 20 out of the most common butterfly species of this region. On 66 sites (34 random and 32 chosen), more than 3200 transects, totalising 79 spp. and counting of more than 38000 butterflies were followed up. Distribution by habitats shows that calcareous grasslands, frequently surrounded by coniferous (pine) trees are the richest habitat, and that other open fields are faintly richer than suburban areas and deciduous forests. This study also compares the penetration of butterfly species within the suburban areas. Phenology graphs allow in a large number of cases to compare the number of broods of each species in this region as Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 well as the inter-annual variations of the times of emergence and their relative abundance. Mots-clés - Key-Words Rhopalocères, Île-de-France, STERF, habitats, phénologie, French butterfly monitoring scheme. L Introduction ’Union Européenne s’est engagée à stopper l’érosion de la biodiversité d’ici 2010, chaque état membre devant mesurer sa progression vers cet objectif. Après les oiseaux, le groupe taxonomique le mieux suivi en Europe est celui des Rhopalocères (papillons de jour). Ces insectes sont particulièrement intéressants, car ils sont très sensibles aux modifications de l’habitat et aux changements climatiques (THOMAS, 2005). Par exemple en Europe, la densité des rhopalocères de milieu prairial a été divisée par 2 en 14 ans (VAN SWAAY & VAN STRIEN, 2005). Par ailleurs, les papillons de jour ont un avantage pratique : ils sont facilement observables sans nécessité de capture et sont donc bien adaptés au recensement par des naturalistes (POLLARD & YATES, 1993; ROY et al., 2007). A l’échelle française et jusqu’à la mise en œuvre simultanée du Suivi Temporel des Rhopalocères de France (STERF) et de l’Observatoire des Papillons de Jardins (OPJ), aucun programme ne permettait de suivre les variations dans le temps et l’espace de l’abondance et de la composition des communautés de papillons diurnes communs. C’est donc dans ce but que le STERF a été lancé au niveau national en 2006, après une étude pilote en 2005 en Île-de-France. Le bilan national 2006-2007 est accessible en ligne (MANIL et al., 2008). Moins de 4 ans après le lancement du STERF, le présent article ne présente pas encore des données de suivi, mais il utilise la même base de données pour étudier en Île-de-France la répartition par type d’habitats d’une vingtaine d’espèces et pour en étudier la phénologie (périodes de vol moyennes et nombre de générations et leurs variations) au cours des quatre dernières années. Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France 95 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Matériels et méthodes Principes du STERF Le STERF, ou Suivi Temporel des Rhopalocères de France, est un programme conjoint entre le Département Écologie et Gestion de la Biodiversité du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN, Paris) et l’Association des Lépidoptéristes de France (ALF). Le principe est d’effectuer des comptages standardisés des papillons de jour afin de quantifier les variations dans le temps et dans l’espace de leur abondance et d’étudier l’évolution de la composition de leurs populations. Les comptages sont effectués sur un secteur géographique défini. Pour assurer intérêt local et représentativité nationale, deux modes de sélection des sites à suivre sont proposés : le tirage au sort ou le choix libre par l’observateur. Les secteurs tirés au sort correspondent à un carré de 2 x 2 km, déterminé par tirage au sort dans un rayon de 10 km autour d’une localité proposée par l’observateur. Ce mode de sélection assure que les principaux habitats au niveau régional seront suivis. Les comptages issus des carrés tirés au sort peuvent alors être considérés comme représentatifs des tendances des papillons communs aux échelles régionale et nationale. Le tirage au sort est effectué par la coordination du STERF. Pour ce qui est des comptages sur les secteurs choisis librement par l’observateur, ils servent à documenter les tendances des espèces rares ou localisées, espèces a priori mal représentées par les seuls sites tirés au sort. Les sites choisis par les observateurs ayant une bonne connaissance entomologique de leur région seront les mieux adaptés pour le suivi de ces espèces. Dans chaque site, 5 à 10 (ou 15) transects sont parcourus en 10 minutes chacun lors de chaque visite. Les papillons sont comptés dans une « boîte carrée virtuelle » de 5 m de côté (5 m devant et au-dessus, 2,5 m à gauche et à droite) se déplaçant avec l’observateur. Chaque transect est caractérisé par un habitat homogène, sauf dans le cas des lisières (habitats différents de part et d’autre du transect). L’habitat est décrit par un code à 4 niveaux hiérarchisés. Les individus observés hors de la boîte ne sont pas comptés (seule la présence de ces espèces est relevée). Si plus de 50% de la surface du carré est en culture, au moins trois transects sont établis en bordure de champs. 96 Chaque transect est parcouru quatre à six fois dans l’année lors de visites mensuelles, prioritairement en mai, juin, juillet, août et, si possible en avril et septembre. Les visites sont en principe séparées d’au moins 15 jours et ne sont effectuées que lorsque les conditions météorologiques sont suffisamment favorables à l’activité des papillons (température supérieure à 13°C, couverture nuageuse inférieure à 50%, vent nul, faible ou modéré). Tous les Rhopalocères observés « dans la boîte » sont comptés. Pour les espèces difficilement reconnaissables à distance, des groupes d’espèces ressemblantes ont été prédéfinis. Les analyses sont alors effectuées au niveau du groupe d’espèces et non pas de l’espèce. Description des sites et des habitats Entre 2005 et 2008, 66 sites ont été investigués en Île-de-France (32 choisis et 34 tirés au sort). Parmi les sites choisis, 15 sont situés en bords de champs de grande culture et étudiés dans le cadre du programme Entomovigilance (partie de Biovigilance), programme en cours en partenariat avec le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche (MAP) et le Ministère chargé de l’Environnement (MEEDDAT). Ces sites se répartissent comme suit : Paris (2) : Seine-Saint-Denis (2), Seine-et-Marne (40), Essonne (15), Yvelines (1) et Val-d’Oise (6). L’étude privilégie donc nettement la moitié Est de la région et concerne peu les zones très proches de Paris (4 sites seulement à Paris et en petite couronne). Carte d’Île-de-France 2 2 Les sites tirés au sort sont indiqués par des étoiles et les sites choisis par des cercles : gris (sites Entomovigilance en bordures de champs) ou blancs (autres sites choisis) Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Pour la clarté de la présentation, les habitats ont été regroupés en 10 grandes catégories : 1. bâti urbain, 2. bâti suburbain, 3. forêt à dominante résineux, 4. forêt à dominante feuillus, 5. lisière de bois, 6. autres lisières, 7. cultivé non herbeux, 8. cultivé herbeux, 9. friches-jachères, 10. pelouses calcicoles (tableau 1). Tableau 1 - Habitats regroupés Habitats regroupés (10 classes) Nb. Nb. transects papilparcourus lons Bâti urbain Bâti suburbain Forêt et bosquets à domin. résineux Forêt et bosquets à domin. feuillus Lisière forêts Autres lisières Milieux agricoles cultivés Milieux agricoles herbeux Friches - jachères - autres mil. ouverts Pelouses calcaires Total 88 28 150 787 609 148 714 225 158 289 3200 566 157 2833 6655 7212 1108 4608 3280 1445 8757 36624 La richesse spécifique par habitat représente le nombre moyen d’espèces présentes lors d’une visite d’un transect et pour un type d’habitat. Dans ce but, on divise la somme du nombre d’espèces observées lors d’une visite par transect et pour un type d’habitat par le nombre total de visites de transects effectuées dans cet habitat. L’abondance des différentes espèces par habitat correspond au nombre moyen d’individus d’une espèce observé lors d’une visite par transect, pour l’habitat considéré. Pour cela, le nombre d’individus observés de l’espèce pour un habitat est divisé par le nombre de visites de transects effectuées dans ce type d’habitat. Résultats Généralités Méthodes statistiques En 4 ans, 79 espèces ont été observées sur les 66 sites (tableau 2). Les données prises en compte sont légèrement différentes pour les études d’habitats et de phénologie. Le nombre de contacts avec une espèce (nombre de fois qu’une espèce donnée a été observée lors du parcours d’un transect) est de 12189, totalisant 38038 papillons. Phénologie Analyse par type d’habitat La phénologie reflète l’évolution de l’abondance d’une espèce au cours d’une année. Elle est calculée par un modèle linéaire généralisé sous R, qui définit un indice d’abondance fonction du transect et de la quinzaine d’observation. Les données sont normalisées de telle sorte que le pic d’abondance pour une espèce et une année données soit égal à 10. Les courbes permettent de comparer les pics d’abondance d’une année sur l’autre, mais pas les abondances absolues. Vingt espèces parmi les plus souvent rencontrées ont été analysées pour ce critère. Ce nombre correspond au nombre d’espèces dont l’effectif a, d’une part, été jugé suffisant et qui, d’autre part, représente un bon échantillonnage de la diversité des milieux franciliens. Certaines différences constatées ne sont cependant que des tendances, l’effectif ne permettant pas toujours d’en établir la signification statistique avec moins de 5% d’erreur. Distribution par type d’habitat Espèces relativement ubiquistes Le nombre moyen d’observations par transect est obtenu en divisant l’abondance totale de chaque espèce (nombre d’individus comptés) par le nombre de visites de transects lors de l’année (ou de la période) considérée. L’index de grégarité est obtenu en divisant l’abondance totale d’une espèce par le nombre de visites de transects où l’espèce a été observée. Les espèces très solitaires auront donc un index égal ou un peu supérieur à 1 et les espèces grégaires une valeur élevée, sans valeur maximale définie. Vanessa atalanta et Inachis io, tous deux inféodés à l’ortie (Urtica dioica), correspondent bien à ce critère. V. atalanta est un migrateur, pas I. io. Ces deux espèces prospèrent dans tous les milieux ouverts, forestiers et urbanisés, sauf sur les pelouses calcaires et dans les forêts à dominante résineux. La première entre plus profondément dans les villes et fréquente plus souvent les milieux agricoles. Polygonia c-album a une distribution comparable mais plus périurbaine (fréquent dans les jardins). Proche de cette distribution est celle de Polyommatus icarus, ce lycène Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France 97 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Tableau 2 - Liste quantifiée des rhopalocères observés en Île-de-France dans le cadre du STERF durant la période 2005-2008 Espèces 2005 2006 2007 2008 Total Pieris rapae 531 1718 1241 797 4287 Maniola jurtina 591 1530 891 908 3920 Polyommatus coridon 269 582 814 1118 2783 Pieris sp. 171 997 972 519 2659 Pyronia tithonus 481 1210 408 559 2658 Melanargia galathea 493 746 600 748 2587 Polyommatus bellargus 79 372 1138 651 2240 Coenonympha pamphilus 185 562 466 711 1924 Pieris brassicae 226 611 622 210 1669 Colias alfacariensis 116 371 138 616 1241 Pararge aegeria 249 329 340 241 1159 Polyommatus icarus 84 396 184 358 1022 Pieris napi 210 334 242 186 972 Coenonympha arcania 99 289 120 289 797 Aphantopus hyperantus 32 187 120 349 688 Inachis io 71 171 308 110 660 Vanessa atalanta 34 254 117 63 468 Anthocharis cardamines 85 109 94 144 432 Argynnis paphia 87 203 30 48 368 Lasiommata megera 79 138 67 63 347 310 27 5 342 Vanessa cardui Leptidea sinapis 34 78 55 148 315 Ochlodes sylvanus 111 93 45 43 292 Polygonia c-album 68 131 51 25 275 Gonepteryx rhamni 59 98 43 74 274 61 115 96 272 Plebeius argyrognomon Plebeius agestis 61 67 50 83 261 Colias croceus 1 195 24 11 231 Clossiana dia 51 113 23 12 199 Lycaena phlaeas 23 89 33 46 191 Araschnia levana 16 48 93 29 186 Celastrina argiolus 85 28 55 11 179 Limenitis camilla 6 117 19 10 152 Aglais urticae 45 76 27 3 151 Heodes tityrus 9 53 52 24 138 Erynnis tages 5 27 25 79 136 Mellicta athalia Hipparchia fagi 8 42 71 50 39 21 9 11 127 124 Les cellules grisées indiquent une abondance particulière de cette espèce l’année concernée 98 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Espèces 2005 2006 2007 2008 Total Issoria lathonia 19 49 27 19 114 Satyrium ilicis 16 25 21 42 104 Thymelicus sylvestris 2 44 35 20 101 Cupido minimus 24 14 7 37 82 Heteropterus morpheus 33 36 6 6 81 Arethusana arethusa 1 55 19 4 79 Callophrys rubi 2 10 5 53 70 Iphiclides podalirius 12 26 10 12 60 Clossiana selene 8 36 7 2 53 Fabriciana adippe 33 17 2 52 Thymelicus lineola 1 42 1 44 Melitaea cinxia 3 8 14 15 40 6 8 25 39 Carterocephalus palaemon Speyeria aglaja 11 9 4 13 37 Nymphalis polychloros 2 14 15 1 32 Papilio machaon 6 7 10 9 32 Lasiommata maera 14 7 4 6 31 16 5 8 29 Plebeius argus Brenthis daphne 7 11 7 25 12 2 7 22 Carcharodus alceae 7 5 6 18 Colias hyale 17 1 18 Pyrgus malvae Hesperia comma 1 14 3 Satyrium pruni 17 17 17 Apatura ilia 3 6 6 1 16 Neozephyrus quercus 2 4 4 6 16 Spialia sertorius 4 7 2 13 Colias sp. 3 4 4 11 Clossiana euphrosyne 9 Glaucopsyche alexis 1 2 Pyrgus armoricanus Satyrium w-album 10 2 5 9 2 9 9 6 8 Lampides boeticus 5 1 6 Thymelicus acteon 3 1 4 Neohipparchia statilinus 3 3 Apatura iris 2 Brintesia circe Limenitis reducta 2 2 2 Satyrium spini 2 2 1 1 2 Brenthis ino 1 1 Nymphalis antiopa 1 1 Total Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 5018 13321 9976 9723 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France 38038 99 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE étant adapté à tous les milieux ouverts, naturels ou agricoles herbeux, et particulièrement aux milieux urbanisés. Les trois Pieris communs ont une distribution comparable et relativement ubiquiste, mais de subtiles différences les distinguent néanmoins : Pieris rapae, le plus commun, est le plus abondant dans les milieux agricoles herbeux ou non (champs de colza, plante hôte de substitution) et en ville, mais l’espèce pénètre moins en forêt que l’espèce sœur P. napi. La distribution des Pieris sp. (mélange en proportions variables (non déterminé) de rapae et de napi) est plus proche de celle de rapae (moins forestier), semblant indiquer que la majorité des exemplaires indéterminés seraient plutôt des rapae. Pieris brassicae ne se différencie pas beaucoup des deux autres, avec une distribution grosso modo intermédiaire. Anthocharis cardamines est aussi très généraliste, avec une légère préférence pour les habitats à dominante boisée ; il pénètre aussi dans les zones suburbaines et dans les friches et pelouses, mais moins dans les milieux agricoles. Colias croceus est un migrateur notoire observé partout, surtout en milieux ouverts (de tous types) et aussi dans les zones suburbaines et les jardins. Les deux Satyrinae Pyronia tithonus et Pararge aegeria sont également très généralistes, mais tithonus préfère les prairies alors que P. aegeria privilégie les bosquets des jardins et les bois en général, souvent en lisière (ceci confirme bien les observations de terrain). Maniola jurtina et Coenonympha pamphilus préfèrent aussi les milieux ouverts, mais leur distribution par habitat est néanmoins distincte : le premier préfère les prairies plus grasses (mésophiles), même exploitées, aux pelouses calcaires (xéro-thermophiles) et pénètre un peu dans les forêts, alors que le second s’accommode de tous les types de prairies (notamment en bordure de champs de céréales et dans les prairies agricoles), y compris les pelouses et les zone suburbaines ainsi que les lisières. Espèces plus spécialistes Suivent plusieurs espèces plus ou moins spécialistes des pelouses calcicoles : Polyommatus bellargus et P. coridon, Coenonympha arcania, Colias alfacariensis et Melanargia galathea. Il est surprenant de voir que leur distribution inclut aussi très largement les forêts à dominante résineux, mais cette constatation s’explique aisé- 100 ment pour qui connaît bien le paysage de la région parisienne. En effet, les forêts de résineux sont peu fréquentes en Île-de-France et jamais naturelles : elles consistent la plupart du temps en des plantations de pins sur sol calcaire. Il en résulte que, dans cette région (mais pas de manière générale à l’échelle de la France), les pelouses calcaires, parsemées de genévriers (le seul résineux autochtone), sont très souvent en contact avec des plantations de pins. Cette préférence pour les pelouses calcicoles est quasi exclusive pour Polyommatus bellargus et coridon, le second entrant plus souvent au contact des résineux proches, comme c’est aussi le cas pour Colias alfacariensis. Si ces deux dernières espèces fréquentent pratiquement les mêmes types de milieux, il n’en est pas tout à fait de même pour Melanargia galathea et Coenonympha arcania, qui s’accommodent d’habitats un peu plus variés, notamment certaines zones périagricoles herbeuses pour la seconde espèce. Aphantopus hyperantus est la seule espèce de notre panel à avoir une réelle prédominance pour les forêts, surtout de feuillus, et les lisières forestières. Cette espèce est complètement absente des zones urbaines et s’aventure peu en terrain découvert. Index de grégarité Comme indiqué plus haut, l’index de grégarité (IG) est élevé pour les espèces localisées mais abondantes et proche de 1 (qui est la valeur minimale) pour les espèces très dispersées. On observe qu’en Île-de-France c’est Polyommatus coridon (IG ~ 16) qui est le plus grégaire, suivi de P. bellargus et de Melanargia galathea (~ 8). Viennent ensuite bon nombre d’espèces avec des index proches de 3 ou 4, dont la liste est détaillée dans le tableau 3. Analyse des phénologies La phénologie est l’étude de la répartition dans le temps des phénomènes périodiques caractéristiques du cycle vital des organismes. Chez les papillons, les paramètres principaux sont les dates d’émergence des imagos et le nombre de générations. Les courbes de phénologie des trois Pieris montrent un aspect assez similaire, mais avec des différences. Pieris rapae a 3 ou, le plus souvent, 4 générations, alors que les deux autres espèces n’en ont probablement que trois, mais les conclusions ne sont pas certaines, car les variations inte- Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Richesse (nombre d’espèces) par types d’habitat 10 Nombre moyen d’espèces, ± déviation standard 9 Bâti urbain 8 Bâti suburbain 7 Forêt domin. résineux 6 Forêt domin. feuillus 5 Lisière bois Lisière autre 4 Cultivé non herbeux 3 Cultivé herbeux 2 Friche - jachère 1 pelouse calcaire P 0 Abondance de 20 espèces par types d’habitat 0,3 0,5 Vanessa atalanta Inachis io 0,4 0,2 0,3 0,2 0,1 0,1 0 0,5 0 1,4 Polygonia c-album 0,4 1,2 Polyommatus icarus 1 0,3 0,8 0,2 0,6 0,4 0,1 0,2 0 0 Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France 101 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE 2,6 2,4 2,2 2 1,8 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 0,6 0,5 Pieris rapae 0,4 0,3 0,2 0,1 0 Pieris napi 0,6 0,4 0,3 0,3 0,2 0,2 0,1 0,1 0 0 2,2 2 1,8 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 3,5 102 Pieris napi ou rapae Colias crocea 0,5 0,4 1 0,9 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 Anthocharis cardamines 3 Pyronia tithonus 2,5 2 1,5 1 0,5 0 Pieris brassicae 0,9 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France Pararge aegeria Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE 2 1,8 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 8 7 Coenonympha pamphilus Polyommatus bellargus 6 5 4 3 2 1 0 9 Polyommatus coridon 8 7 5 4,5 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 5 4,5 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 3,5 3 6 2,5 5 2 4 1,5 3 Maniola jurtina Melanargia galathea Colias alfacariensis 1 2 0,5 1 0 0 2 1,8 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 Coenonympha arcania 1,4 Aphantopus hyperantus 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France 103 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Tableau 3 - Index de grégarité Espèces les plus grégaires Index de grégarité Polyommatus coridon 16,09 Polyommatus bellargus 8,09 Melanargia galathea 7,39 Aphantopus hyperantus 4,81 Arethusana arethusa 4,65 Pyronia tithonus 4,61 Coenonympha arcania 4,40 Maniola jurtina 4,08 Colias alfacariensis 4,06 Plebeius argyrognomon 3,89 Pieris rapae 3,49 Satyrium pruni 3,40 Carterocephalus palaemon 3,25 Satyrium ilicis 3,15 Pieris sp. 3,07 Plebeius argus 2,90 Mellicta athalia 2,82 Heodes tityrus 2,76 Coenonympha pamphilus 2,63 Argynnis paphia 2,54 rannuelles sont marquées. Les deux générations estivales sont plus abondantes. Anthocharis cardamines n’en a clairement qu’une seule, très précoce (avril), un peu plus tardive en 2008 (graphiques p. 106). Inachis io et Vanessa atalanta sont phénologiquement proches, avec des imagos (sortant d’hibernation) au début du printemps (plus nombreux chez I. io, qui n’est pas migrateur), puis un pic principal en juillet et un autre en septembre, plus petit pour I. io que pour V. atalanta, parfois très abondant en automne (souvent observé en septembre-octobre avant sa migration vers le sud, particulièrement marquée en 2006) (graphiques p. 107). Polygonia c-album présente trois pics mais deux générations, le premier pic correspondant en fait à la réapparition en avril des individus ayant hiberné. Les deux Satyrinae Coenonympha pamphilus et Pararge aegeria ont pour leur part deux (C. pamphilus) ou trois (P. aegeria) générations assez bien séparées, mais on peut néanmoins observer ces espèces à toute date, d’avril à fin septembre. Les cinq Satyrinae monogoneutiques étudiées (Melanargia galathea, Maniola jurtina, 104 Pyronia tithonus, Coenonympha arcania et Aphantopus hyperantus) et le Lycaenidae Polyommatus coridon sont plus faciles à analyser, notamment pour ce qui concerne les variations des dates d’émergence. En 2006, on note par exemple un retard d’émergence pour M. galathea, mais une précocité marquée pour P. tithonus. M. jurtina n’a qu’une seule génération étalée, la date d’émergence et l’étalement étant particulièrement variables d’une année à l’autre. Coenonympha arcania n’a aussi qu’une seule génération assez étalée au printemps (mai-juin). En 2007 et 2008, cette espèce semble présenter deux pics distincts, mais cette observation n’a pas de signification biologique : l’analyse des données permet de l’expliquer par un problème d’échantillonnage (l’absence de données sur cette espèce durant une quinzaine entière fait revenir la courbe à l’axe des abscisses) (graphiques p. 108). Polyommatus coridon n’a jamais qu’une génération fin juillet-août, mais la date d’émergence est bien plus précoce les années chaudes (début juillet, 2006) que froides (fin août, 2008). Polyommatus bellargus, bivoltin, est également très sensible à ce paramètre et les dates d’émergence des deux générations sont très variables. Polyommatus icarus semble en général avoir trois générations (graphiques p. 109). Colias alfacariensis a clairement trois générations chaque année, la première et la troisième semblant systématiquement les plus abondantes, alors que Colias croceus n’en a probablement que deux, mais les courbes annuelles sont fortement influencées par les grandes différences d’abondance d’une année sur l’autre de ce migrateur notoire, très abondant en 2006, rare en 2007 et 2008, mais pratiquement toujours plus abondant en fin de saison (migrations et reproduction locale cumulées). Discussion Les courbes de phénologie permettent dans la plupart des cas de déterminer le nombre de générations et donnent des informations sur les variations annuelles des pics d’émergence. Mais l’interprétation doit toujours se faire de manière prudente, en tenant le plus grand compte de notre connaissance des caractéristiques éthologiques de chaque espèce. Ainsi, les courbes phénologiques de Maniola jurtina peuvent évoquer la présence de deux générations, mais on sait que ce n’est pas le cas et qu’il présente en revanche des émergen- Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE ces très étalées avec une certaine diapause estivale. L’année 2006 a été excellente, du printemps à la fin de l’automne, autant pour les migrateurs, dont Vanessa atalanta (surtout en septembre), Vanessa (Cynthia) cardui et Colias croceus, que pour diverses espèces sédentaires comme Pyronia tithonus et Clossiana dia (tableau 2). C’était aussi l’année de générations surnuméraires d’espèces remarquables, dont Limenitis (Ladoga) camilla (observations hors STERF). Les années 2007 et 2008 ont été largement inversées sur le plan météorologique : en 2007, le printemps a été radieux jusqu’à la fin mai (Polyommatus bellargus et Lycaeides argyrognomon étaient localement très communs en mai), puis le reste de l’année a été frais et pluvieux. Malgré tout, certaines espèces eurosibériennes comme Aphantopus hyperantus s’en sont plus que bien accommodées. En 2008, la saison a été maussade, mais septembre a été météorologiquement un peu plus favorable. Ceci se traduit sur plusieurs courbes par des retards d’éclosion (P. coridon), voire une quasi-absence jusque tard en août, comme pour Pieris rapae et napi. A noter la rareté des migrateurs en 2008. Les diagrammes de répartition par habitat donnent aussi des informations très instructives, comme les nuances de répartition écologique des trois Pieris et celles des espèces des pelouses calcaires, ainsi que la pénétration plus ou moins accentuée des différentes espèces dans les zones urbanisées. Ce travail n’est qu’une exploitation très partielle des résultats déjà acquis en quatre ans de STERF dans cette région. Il ne traite pas (encore) du suivi temporel, qui nécessitera un délai plus long et, il faut le souligner, l’assiduité de tous les naturalistes bénévoles qui, seule, en assurera la pérennité et le succès à long terme. Remerciements Nous remercions particulièrement Cécile EDEGrégoire LOÏS et Benoît FONTAINE pour leur contribution aux analyses des données et pour leurs conseils précieux lors de la relecture du manuscrit. Merci aussi aux institutions qui apportent leur concours, notamment financier, au STERF : le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), le Ministère de l’Énergie, de l’Écologie et du Développement Durables (MEEDDAT), le Conseil Général de l’Essonne et le Conseil Général de Seine-et-Marne. Notre gratitude d’adresse aussi à tous les contributeurs associatifs et individuels à ce programme et LIST, Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 surtout à tous les sterfistes d’Île-de-France : Franz BARTH, Loïc BOTTÉ, Jean-Paul DECROO, Yves DOUX, Jean-Louis FAURE, Cyrille FREY, Jean-Marc GAYMAN, Colette HUOT-DAUBREMONT, Bernard LALANNECASSOU, Christian LALANNE-CASSOU, François LETHÈVE, Patrick LIBOUREL, Bernard MAILLARD, Luc MANIL, Jacques MARQUET, Xavier MÉRIT, Christophe PARISOT, Philippe PERSUY, Philippe ROBILLARD, Gilbert ROUDIÉ, Pierre SCHMIT et Heidi SERGENTON. Références DEMERGES D. - Proposition de mise en place d’une méthode de suivi des milieux ouverts par les Rhopalocères et Zygaenidae dans les Réserves Naturelles de France. Réserves Naturelles de France et Office Pour les Insectes et leur Environnement du LanguedocRoussillon, Quétigny, France, 2002, 29 p. JULLIARD R. & JIGUET F. - Statut de conservation en 2003 des oiseaux communs nicheurs en France selon 15 ans de programme STOC. Alauda, 2005, 73, 345356 LANGLOIS D. & GILG O. - Méthode de suivi des milieux ouverts par les Rhopalocères dans les réserves naturelles de France. Réserves Naturelles de France, Quétigny, France, 2007, 15 p. MANIL L., HENRY P.Y., LERCH A., EDELIST E., ANCRENAZ K., GABOLY M., FONTAINE B., LORRILLIÈRE. & JULLIARD R. - Suivi Temporel des Rhopalocères de France - Bilan 2006-2007. Mars 2008. Site Internet : www2.mnhn.fr/vigie-nature/spip.php? rubrique44. POLLARD E. & YATES T.J. - Monitoring butterflies for ecology and conservation. Chapman & Hall, London, 1993. ROY D.B., ROTHERY P. & BRERETON T. - Reducedeffort schemes for monitoring butterfly populations. Journal of Applied Ecology, 2007, 44, 993-1000 THOMAS J.A. - Monitoring change in the abundance and distribution of insects using butterflies and other indicator groups. 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Les graduations des abscisses correspondant au 15 du mois 106 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France 107 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE 108 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 PHÉNOLOGIE ET HABITATS DES RHOPALOCÈRES D’ÎLE-DE-FRANCE Vol. 17 – N° 41 Décembre 2008 Lépidoptères - Revue des Lépidoptéristes de France 109
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