Quel avenir immédiat pour la Télévision face ou avec Internet

Transcription

Quel avenir immédiat pour la Télévision face ou avec Internet
LIVRE BLANC
Quel avenir immédiat
pour la Télévision
face ou avec
Internet
Mai 2015
Regards croisés de professionnels de l’Audiovisuel et d’Internet
pour appréhender les enjeux de la Télévision face au Digital
Stéphane GAULTIER
Laurent FONNET
PRÉSENTATION
Nombre d’experts décrivent l’avenir lointain de la Télévision. Certains, comme le
patron de Netflix, prédisent une disparition pure et simple de la Télévision linéaire à
l’horizon 2030. D’autres imaginent un monde où seuls quelques grands groupes
ultrapuissants continueront à proposer des programmes en mode linéaire. Face à ces
effets de balancier certainement extrémistes, existe une voie médiane qui veut que,
même si les équilibres changent, coexisteront, encore pour de nombreuses années,
médias anciens et nouveaux. L’histoire a montré que seul le public arbitre dans les
médias qui lui sont proposés. Il se crée de nouveaux modes de consommation des
médias ensemble ou séparément. C’est dans cette diversité de consommation que
chaque média doit trouver son équilibre économique.
Mais avant que cet équilibre s’installe durablement et que ces visions d’avenir sur les
usages ne deviennent réelles, les acteurs du secteur sont confrontés à un quotidien et
un avenir très proche mouvants.
Aussi, l’objectif de ce livre blanc est de dresser un constat de l’équilibre actuel tant
dans l’audiovisuel que dans les secteurs du numérique.
2
Nous souhaitons apporter des clés pour permettre aux acteurs de l’audiovisuel
d’intégrer dès aujourd’hui et de façon opérationnelle l’impact du numérique dans la
chaîne de valeur de l’Audiovisuel et de sortir des généralités à moyen et long termes.
Ce livre a été rédigé à partir de 11 interviews de professionnels de l’Audiovisuel et du
Digital.
Mai 2015
Tous droits réservés
PERSONNES INTERVIEWÉES
Ce travail a été rendu possible grâce à la contribution de grands acteurs de
l’Audiovisuel et du Digital qui ont accepté d’être interrogés sur leur vision du métier
actuel et sur la manière dont le numérique impacte aujourd’hui et à court terme
l’audiovisuel.











Didier FRAISSE, Réalisateur
Nicolas GAUME, Président, Syndicat National du Jeu Vidéo
Léonor GRANDSIRE, Directrice Générale Europe du Sud, NBC
Universal International Networks
Alain LEVY, Président, Weborama
Alexandre MALSCH, Directeur Général, meltygroup
Fabrice MOLLIER, Directeur Général Adjoint Marketing, Stratégie et
Innovation, TF1 Publicité
Bruno PATINO
Laetitia RECAYTE, Directrice Générale, Newen Distribution
Benoit SILLARD, Président, CCM Benchmark
Nicolas de TAVERNOST, Président du Directoire, Groupe M6
Henri VERDIER, Directeur de la Mission Etalab, Services du Premier
Ministre
Nous les remercions chaleureusement du temps et de la disponibilité dont ils nous ont
gratifiés.
En tête de chaque chapitre, un tableau sera présent. Il indique au lecteur quelles
personnes interviewées ont abordé le sujet de ce chapitre. Dans l’exemple ci-dessous,
il s’agit d’Alain LEVY et d’Henri Verdier.
D. FRAISSE
B. PATINO
N. GAUME
L.GRANDSIRE
A. LEVY
A. MALSCH
L. RECAYTE
B.SILLARD
N. de TAVERNOST
F. MOLLIER
H. VERDIER
Les interviews sont regroupées dans la deuxième partie du livre. Libre à vous de les
lire avant la partie rédigée par les auteurs pour une compréhension de leur vision sur
les questions traitées dans ce livre.
Bonne lecture.
Mai 2015
Tous droits réservés
3
TABLE DES MATIÈRES
4
Présentation
Personnes interviewées
2
3
Quel avenir pour la Télévision dans le Digital
7
Introduction
8
1 Le business model
9
1.1
Financement par la publicité .................................................................. 9
1.1.1
Internet: un concurrent direct de la vente d’espaces pub TV ...... 10
1.1.2
Sur Internet, Vente globale d’espaces vs Programmatique ......... 11
1.1.3
Quel impact sur la Télévision ? .................................................. 13
1.1.4
Vendre la Télévision au rendement comme l’Internet ................ 15
1.2
Financement par abonnement ............................................................... 15
1.3
Autres modes de financement .............................................................. 17
1.3.1
Des revenus qui augmentent avec l’engagement ........................ 18
1.3.2
Financement direct : le brand content ......................................... 19
1.3.3
Vers le free to watch ................................................................... 20
1.4
En conclusion ....................................................................................... 21
2 Les Data
22
2.1
Les Big Data......................................................................................... 22
2.2
Le Data programming .......................................................................... 24
2.3
En conclusion ....................................................................................... 26
3 La Télévision enrichie
28
3.1
Télévision via Internet = Télévision interactive ? ................................ 28
3.2
Transmédia, Crossmédia, multi-écran, quels usages ? ......................... 30
3.2.1
Facteur d’engagement du public ................................................. 31
3.2.2
Bénéficier de la synergie de diffusion ........................................ 33
3.3
En conclusion ....................................................................................... 34
4 Les métiers dans l’audiovisuel
35
4.1
Nouveaux modes de production et postproduction............................... 35
4.1.1
Baisse des coûts de production ................................................... 35
4.1.2
Du Workflow TV au Workflow crossmédia ............................... 38
4.1.3
Enrichissement des contenus ...................................................... 42
4.1.4
Vers une segmentation des programmes ..................................... 43
4.2
Organisation des diffuseurs .................................................................. 44
4.3
Répartition des rôles entre le Producteur et l’Éditeur ........................... 47
4.4
Financement de la production : moins par plus .................................... 49
4.5
En conclusion ....................................................................................... 51
Mai 2015
Tous droits réservés
5
Un peu de prospective
52
5.1
De la chaîne de télévision à la plateforme audiovisuelle ...................... 53
5.1.1
Organisation du secteur audiovisuel ........................................... 53
5.1.2
Valeur ajoutée de la plateforme : la prescription ........................ 56
5.1.3
Évolution de l’édition audiovisuelle ........................................... 58
5.1.4
Les risques des choix technologiques au sein des chaînes .......... 59
6 Conclusion
61
Interviews
64
Didier FRAISSE, Réalisateur ............................................................................. 65
Nicolas GAUME, Président, Syndicat National du Jeu Vidéo ........................... 71
Léonor GRANDSIRE, Directrice Générale Europe du Sud, NBC Universal
International Networks ....................................................................................... 77
Alain LEVY , Président, Weborama ................................................................... 83
Alexandre MALSCH, Directeur Général, meltygroup ....................................... 89
Fabrice MOLLIER, Directeur Général Adjoint Marketing, Stratégie et Innovation,
TF1 Publicité ...................................................................................................... 95
Bruno PATINO ................................................................................................ 101
Laetitia RECAYTE, Directrice Générale, Newen Distribution ........................ 107
Benoit SILLARD, Président, CCMBenchmark ................................................ 113
Nicolas de TAVERNOST, Président du Directoire, Groupe M6 ........................ 119
Henri VERDIER, Directeur d’Etalab, Services du Premier Ministre ............... 125
Auteurs
130
Laurent FONNET, ............................................................................................ 131
Stephane GAULTIER ....................................................................................... 133
Mai 2015
Tous droits réservés
5
6
Mai 2015
Tous droits réservés
QUEL AVENIR
IMMÉDIAT POUR LA
TÉLÉVISION
FACE OU AVEC
INTERNET ?
Mai 2015
Tous droits réservés
7
INTRODUCTION
Il est impossible de parler de l’avenir si on ne dispose pas d’une connaissance réelle
de ce qui se passe aujourd’hui. Or, par les effets médiatiques qui grossissent des
tendances pour faire croire qu’elles sont la généralité, il est facile de perdre de vue ce
qu’est le contexte actuel réel de l’audiovisuel. Quelques exemples illustrent ce
propos :



8
La consommation multi-écran (c’est-à-dire regarder la TV en surfant sur un
terminal connecté à Internet) se fait encore à 84% avec un ordinateur et
seulement à 25% avec une tablette1,
Petit calcul intéressant : 10,2 M d'internautes regardent une vidéo chaque jour
(16,6% des français) pour une durée moyenne de 29'. Ces 29' représentent 5' en
moyenne pour chaque français (16,6%x29') à comparer aux 3h40 quotidiennes
de consommation de la Télévision. Soit 44 fois moins de vidéo sur Internet que
de TV.2
19,9 millions de téléspectateurs ont regardé au moins un moment de la soirée de
Miss France 2015 avec une audience moyenne de 8,5 millions. Seulement,
203.000 twittos ont publié 1,3 million de tweets lus par 641.000 personnes pour
un total de 50,2 M impressions. 3
Comment faire que ces acquis d’aujourd’hui soient des points d’appui pour créer les
usages de demain ? Au travers de nos rencontres avec des acteurs des médias mais
également des nouvelles technologies du numérique, nous avons souhaité
photographier le marché et les usages d’aujourd’hui puis évoquer les pistes
d’évolution possibles à court terme pour les acteurs afin qu’ils accompagnent ces
mouvements plus qu’ils ne les subissent.
Nous évoquerons notamment l’impact que ces évolutions entrainent dans la façon de
concevoir les contenus, les modifications de son business model et les adaptations des
organisations, l’intégration de nouvelles compétences.
Les chapitres sur le Business Model, les Data, la Télévision Enrichie et les Métiers de
l’Audiovisuel s’appuient sur les interviews réalisées.
Le dernier chapitre est une vision prospective proposée par les auteurs issue de leur
expérience respective.
1
Source : Médiamétrie – Médiamétrie Twitter TV Ratings – Copyright Médiamétrie
Source Médiamétrie "L'année Internet 2014" dans un article de Satellifax du 25 février 2015.
3
Source : Médiamétrie – Médiamétrie Twitter TV Ratings – Copyright Médiamétrie
2
Mai 2015
Tous droits réservés
1 LE BUSINESS MODEL
D. FRAISSE
B. PATINO
N. GAUME
L.GRANDSIRE
A. LEVY
A. MALSCH
L. RECAYTE
B.SILLARD
N. de TAVERNOST
F. MOLLIER
H. VERDIER
Actuellement, les chaînes de télévision sont financées par la redevance, la publicité et
les abonnements. Ces modes de financement demeureront et seront complétés par
d’autres, mais leurs formes et leur importance varieront.
1.1 FINANCEMENT PAR LA PUBLICITÉ
Considérant que toute entreprise doit faire la promotion de son offre de produits et de
services pour transformer les prospects en clients, la publicité est une fonction
inéluctable. La présence d’un annonceur sur un écran TV intègre à la fois une
composante Image dont l’objectif est d’installer un produit ou une marque dans
l’esprit des téléspectateurs et une composante Vente qui doit associer le produit de la
marque à un besoin. Le summum de toute publicité est de rentrer en contact avec le
prospect au moment et sous la forme qui va provoquer l’acte d’achat. Le rêve de tout
annonceur est de pouvoir communiquer sur un produit au moment précis où un
prospect en ressent le besoin et de pouvoir concrétiser l’acte d’achat dans le même
temps. Toute la science de la communication publicitaire consiste, pour un annonceur,
à exercer une pression suffisante pour qu’au moment où la personne devient l’acheteur
potentiel d’un produit, ce soit son produit qui soit choisi. On comprend pourquoi
Internet revêt un tel intérêt pour de nombreux annonceurs. Sans autre mouvement ou
action qu’une succession de clics ou de saisies sur un terminal, vous pouvez amener
le visiteur d’un site Internet à devenir l’acquéreur d’un de vos produits. En regard de
cette instantanéité du Web, la communication via un support passif tel que la
Télévision nécessite plus d’efforts de la part de l’annonceur et du prospect. En effet,
fréquemment, le téléspectateur d’une publicité ne deviendra acheteur potentiel que
lorsqu’il sera en magasin. Effort pour le téléspectateur, car il faudra qu’il ait été
suffisamment motivé pour aller de l’écran au magasin. Effort pour l’annonceur, car il
faudra qu’il redouble d’actions publicitaires diverses pour qu’au moment où le besoin
pour un produit apparaît, le souvenir de celui de l’annonceur lui soit associé. Mais
comment savoir quel message a eu quel impact sur les prospects ?
Pour cela, comme le rappelle A. Levy, depuis plus de 50 ans, les acteurs de la
consommation de masse ont conçu et modélisé, notamment sur la base d’études, un
système qui repose sur la publicité dans les mass-médias, avec une corrélation entre
la pression des investissements publicitaires et les achats correspondants. Cette
approche qui a prouvé son efficacité a un défaut majeur : la déperdition entre le
Mai 2015
Tous droits réservés
9
volume important de contacts et le nombre effectif d’acheteurs. La base économique
de ce système est le GRP 4 . L’achat d’espace publicitaire se fait suivant quelques
critères socioprofessionnels et économiques et le message standard. Il n’y a aucune
« personnalisation » de la communication au contact individuel et spécifique.
1.1.1 Internet : un concurrent direct de la vente
d’espaces publicitaires TV
10
Avec l’apparition des médias numériques, une autre approche a émergé
progressivement. Dans un premier temps, la démarche publicitaire a été comparable
à celle de la Télévision. Un support vend à un annonceur un espace de diffusion de sa
publicité. Tout utilisateur du site pourra être « imprégné » par cette annonce. La vente
de l’espace se fait au coût par mille (CPM) « vu », c’est-à-dire message affiché dans
l’écran de l’utilisateur. On retrouve comme dans la publicité TV les deux composantes
Image et Vente. Rapidement, la composante Vente a pris le pas sur l’Image. Les
annonceurs, intégrant la possibilité pour l’utilisateur de cliquer sur la publicité (CPC
coût par clic), ont souhaité acheter l’espace en fonction du nombre de personnes
cliquant. A l’inverse de la précédente qui repose sur un grand nombre de personnes
ayant « vu », comme l’explique B. Sillard, elle repose sur le principe d’un nombre de
contacts beaucoup plus réduit mais actif, avec un taux de réalisation très supérieur.
Compte tenu de sa meilleure efficacité, le prix de vente du CPC est supérieur à celui
du CPM. A priori, ce système pourrait être globalement moins coûteux pour
l’annonceur puisque plus efficace. Mais il est plus risqué pour l’éditeur car dans le
pire des cas, tous ces espaces pourraient être occupés, sans qu’ils ne lui rapportent un
centime si aucun des visiteurs ne clique sur une publicité. De plus, c’est ignorer la
dimension communication d’Image dont peut bénéficier une marque en étant présente
sur Internet même sans que l’utilisateur ne clique pour indiquer son intérêt. Là où le
média TV a su avec le temps créer un modèle d’évaluation de son impact sur les
ventes, notamment pour la grande consommation, l’historique trop récent d’Internet
et le volume des expérimentations encore insuffisant ne permettent pas la construction
d’un modèle quantitatif de mesure des résultats. Il n’est pas démontré que le lancement
d’un produit de grande consommation avec seulement Internet comme support de
communication serait suffisant pour assurer ses ventes en magasin. La Télévision
reste un média de masse, la publicité dispose d’un média de qualité pour promouvoir
4
GRP (Point de couverture brute) : indice de pression publicitaire sur une cible définie. Nombre
moyen de chances de contacts d'une campagne rapportée à 100 personnes de la cible étudiée =
Taux de couverture (ou de pénétration) x la répétition moyenne.
Mai 2015
Tous droits réservés
une offre et générer ou renforcer rapidement une notoriété sur un grand nombre
d’individus.5
Toutefois, certaines évolutions tendent à laisser penser qu’Internet peut se rapprocher
des performances TV. À ses débuts, Internet se limitait à de l’image et du texte. Grâce
au progrès technique, l’image animée puis la vidéo se sont développées de plus en
plus sur ce média. On constate que la vidéo semble avoir un avenir prometteur, même
si l’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un simple transfert des habitudes du
modèle traditionnel. Plus Internet pourra être le véhicule de vidéo comme l’est
aujourd’hui la Télévision, plus Internet concurrencera la Télévision sur le marché de
la vente d’espaces publicitaires.
1.1.2 Sur Internet, Vente globale d’espaces vs
Programmatique
En parallèle de ce changement de paradigme, la vente des CPM connaît une évolution
majeure avec la programmatique, comme l’expose notamment A. Levy.
Contrairement à la Télévision qui diffuse à tous ses téléspectateurs la même image
simultanément, Internet s’adresse individuellement à chaque utilisateur. Cela signifie
que c’est au moment où un utilisateur demande à recevoir un contenu, que la publicité
va être intégrée dans le contenu.
L’achat d’espace traditionnel (TV, Radio, Presse) se fait en définissant globalement
l’audience d’un espace. En Télévision, l’achat d’espace se fait a priori, plusieurs jours
à l’avance. L’unité de vente est le message publicitaire, puisque la diffusion hertzienne
fait que tout le monde reçoit la même image au même instant. L’annonceur achète
donc toute l’audience du message. Sur Internet, comme chaque utilisateur se connecte
individuellement, il est possible de lui envoyer individuellement le message
publicitaire. Les régies ont donc deux possibilités. Celle de vendre toute l’audience
d’un site pendant une période donnée pour un espace donné comme pour la
Télévision, soit celle de faire appel aux achats en temps réel. Cette deuxième solution
s’appelle le Real Time Bidding (RTB ou enchères en temps réel).
Tout se passe en une fraction de seconde. Au moment où un utilisateur demande à
recevoir un contenu, l’éditeur de ce contenu s’adresse à un serveur publicitaire
(AdServer) pour proposer le couple espace/utilisateur. C’est à ce moment précis que
les données collectées sur l’utilisateur, son profil socio-économique et
comportemental (sites visités, achats effectués, ….), prennent de la valeur.
Un constructeur automobile sera très intéressé et disposé à payer plus cher pour un
5
Pour preuve, des sites ayant construit leur succès entièrement sur l’Internet (par exemple, Le
Bon coin ou Meetic), viennent maintenant sur la Télévision.
Mai 2015
Tous droits réservés
11
utilisateur ayant visité récemment des sites de constructeurs différents et lu des articles
sur les nouveaux modèles de voitures. Des sociétés de DMP (Data Management
Platform) comme Weborama ont pour mission d’optimiser cette rencontre entre les
annonceurs et les profils qu’ils recherchent. Elles recueillent, via des cookies ou tout
autre moyen, des données sur la navigation sur Internet et définissent ainsi des
catégories de profil très fines dont les annonceurs vont pouvoir se servir pour
déterminer les cibles qu’ils visent. Sur la plateforme AdServer, l’annonceur indique
le profil, les différents types de messages publicitaires qu’il souhaite diffuser et le prix
maximum qu’il souhaite payer par message diffusé.
C’est un système d’enchère. Donc si deux annonceurs veulent le même profil au même
moment, la valeur individuelle du contact peut être supérieure à la valeur que l’éditeur
aurait pu obtenir en vendant cet espace en gros « traditionnellement ». Encore faut-il
vendre tous les contacts qui se présentent. Aujourd’hui, toute la question réside dans
ce choix que doit faire un éditeur. Vendre un espace en amont en gros à un prix moyen
avec un risque de non-vente, ce qui garantit un revenu fixe, ou mettre cet espace en
vente sur des AdServer et prendre le risque d’avoir en aval moins de revenus...ou
plus !
12
Un point majeur dans le modèle économique de cette approche est le coût de la
collecte et du traitement des données nécessaires à l’identification du contact.
Tous les supports testent actuellement les deux systèmes ; une partie des espaces est
vendue traditionnellement, une autre partie est mise sur les AdServer. La question est
de savoir à quel moment les annonceurs et notamment les gros investisseurs en
Télévision (agroalimentaire, entretien, transport) estimeront qu’il est plus rentable
d’acheter en RTB plutôt qu’en traditionnel, c’est-à-dire plus de ventes via le RTB
pour un même investissement publicitaire. Tout le problème réside dans cette
évaluation. Dans le domaine de la vente directe de biens ou de services sur Internet, il
est facile de suivre le parcours d’un utilisateur et d’identifier s’il est venu après avoir
cliqué sur une publicité achetée en traditionnel ou une publicité achetée en RTB. Pour
chaque type d’achat, l’annonceur peut déterminer le coût du contact connecté sur son
site mais également la valeur de son panier moyen…. Mais, pour la grande
consommation, c’est plus compliqué. Les marques n’ont pas de lien direct avec
l’acheteur, c’est le distributeur qui l’a. Il est donc plus difficile de faire le lien entre
une campagne publicitaire et un impact sur les ventes. Dans le domaine de l’achat
publicitaire TV, tout un dispositif d’enquêtes et d’études mis en place par les
annonceurs et leur régie d’achat d’espaces, permet aux marques d’anticiper quel sera
l’impact attendu d’une campagne sur leur chiffre d’affaires en fonction du volume
d’achats et des profils de public ciblés. Ces outils sont validés par plusieurs décennies
d’existence. La publicité programmatique sur Internet ne dispose pas encore de ce
recul pour concurrencer la pub TV. Comme l’annonce A. Levy, cela ne devrait pas
tarder. L’Internet serait alors non seulement un outil de communication de vente
redoutable mais aussi un outil de communication d’image.
Mai 2015
Tous droits réservés
Actuellement, la vente des espaces sur les sites Internet combine vente globale et
programmatique. Sur les pages à fort trafic (page d’accueil d’un site par exemple), les
régies médias Internet estiment que ces pages sont Premium. Elles les vendent
généralement au CPM pour tout le trafic pendant une période donnée. Ce qui signifie
que tout utilisateur de la page verra le même message. Le reste des espaces est proposé
au marché Programmatique. Évidemment, le risque est qu’il n’y ait pas assez
d’acquéreurs en programmatique. C’est pourquoi certains médias Internet restent sur
la vente globale quitte à casser les prix plutôt que de mettre des espaces en publicité
programmatique.
Aujourd’hui, la Télévision garde sa domination sur la communication d’image,
notamment pour les annonceurs de grande consommation, mais Internet progresse de
jour en jour sur ce territoire.
1.1.3 Quel impact sur la Télévision ?
Avec la multiplication du nombre de chaînes qui a entraîné une fragmentation des
audiences, donc des GRP et une très forte croissance du nombre d’écrans publicitaires,
les chaînes de télévision mettent de plus en plus en place des traitements automatiques
d’achat/vente de GRP banalisés qui remplacent les traitements manuels incapables de
traiter de tels volumes. Le marché des GRP se répartit en une offre commune sur les
cibles traditionnelles, gérée automatiquement, et une offre premium qui propose,
principalement, des espaces publicitaires au-dessus d’un certain niveau d’audience et
qui intègre, aussi, le contexte de l’offre programmes, comme le rappelle F. Mollier.
Dans l’immédiat, Internet n’ayant pas encore fait la preuve, notamment sur la grande
consommation, qu’il peut constituer à lui seul un moyen de communication autonome,
la Télévision garde ses atouts en matière de communication. Cependant, nous pouvons
augurer que, si sur les cinq prochaines années le financement par le GRP va demeurer,
ce sera avec un coût GRP à la baisse sur la majorité de l’offre mais en forte hausse sur
les GRP Premium6. La concentration dans le secteur de l’édition, notamment des
régies publicitaires, renforce ce mouvement avec, d’une part, une offre Premium
composée des espaces associés aux marques-programmes en avant-soirée et soirée sur
les chaînes dites historiques et éventuellement du top 3 de la TNT et, d’autre part, une
offre banalisée avec tous les espaces publicitaires de journée de ces chaînes et tous
ceux des autres chaînes. Nous pouvons penser, à l’instar du Super Bowl, que les
annonceurs seront demandeurs de présence dans les espaces publicitaires des
6
Premium = de meilleure qualité. Cela peut s'entendre soit par un fort taux de pénétration sur la
cible définie, ce qui permet un nombre de répétitions moins élevé (un taux élevé n'étant pas un
gage d'efficacité car pouvant être ressenti comme intrusif, voire abusif) soit par un contexte
programme qui assure d'une meilleure attention au message par un engagement de la cible et non
par des messages publicitaires différents.
Mai 2015
Tous droits réservés
13
évènements majeurs, pour des raisons de nombre de contacts, même si le modèle
fondé sur la puissance publicitaire sera devenu obsolète, et surtout pour des raisons
d’image.
La présence et la consommation du même univers/contenu sur des supports différents,
relevant de réglementations différentes, permet un enrichissement, voire une
complémentarité des espaces publicitaires pour un même annonceur avec une
personnalisation de la forme et du contenu de l’annonce.
Le principe de la finesse de ciblage apportée par Internet influence le marché de la
Pub TV, comme le prouve l’évolution de certaines offres commerciales. Cette
approche nécessite d’avoir des données qualifiées sur les consommateurs pour
transmettre un message individualisé. Sur Internet, plus l’utilisateur laisse de traces
(sites visités, contenus visualisés…) plus il est possible avec des algorithmes de
définir son profil de consommation et de lui adresser ainsi un message ciblé. L’un des
challenges pour la Télévision est de pouvoir passer d’une connaissance « macro » de
son audience via les études d’audience à une connaissance « micro » via la Télévision
filaire ou le développement des seconds écrans.
14
La question est de savoir si les chaînes peuvent déjà utiliser le fait que nombre de
foyers reçoivent sur leur téléviseur les chaînes via Internet, pour faire de la publicité
programmatique sur leurs écrans pub. Déjà 40% de la consommation des chaînes sur
le téléviseur passe par une connexion filaire (ADSL ou Câble). Et la majorité de cette
consommation TV se fait via des bouquets dans lesquels les chaînes sont reprises du
signal hertzien. Sauf à signer des accords avec les opérateurs de bouquets en filaire,
actuellement les chaînes n’ont pas les moyens de recueillir les informations
nécessaires à la vente programmatique. Elles restent tributaires des outils de sondage.
Comme l’expose F. Mollier, TF1 Publicité avec son offre One Data tente de trouver
une solution. Elle combine le panel Médiamétrie d’audience TV avec le Panel
Consommation de Kantar Média, pour établir des catégories de téléspectateurs en
fonction de leurs actes d’achat. Une marque de shampooing aura le choix entre les
critères Médiamétrie (par exemple les femmes de moins de 50 ans) et les profils
d’achat de One Data (par exemple : personnes achetant le shampooing).
Avec la substitution de l’offre actuelle de services par les plateformes, issues de
l’univers numérique, où le financement par la publicité repose sur la deuxième
approche, on peut prévoir un changement du mode de commercialisation des espaces
publicitaires de la Télévision.
Mai 2015
Tous droits réservés
1.1.4 Vendre la Télévision au rendement comme
Internet
Comme nous l’avons exposé précédemment, contrairement à la vente directe par le
fabriquant, la vente d’un produit via un distributeur ne permet pas à une marque de
faire un lien entre une action publicitaire et la vente. C’est notamment le cas de la
grande consommation qui fournit aujourd’hui encore une grande partie des revenus
publicitaires de la Télévision. Une des solutions qui se rapprochent du paiement au
contact développé dans Internet est la diffusion d’un message publicitaire associé à
un coupon téléchargeable. Le principe de base du coupon de réduction ou de
promotion est qu’il permet au client de bénéficier d’un avantage lorsqu’il achète le
produit. Le vendeur de ce produit se fera rembourser cet avantage par la marque.
L’annonceur sait ainsi lorsque le coupon lui est présenté qu’une vente a été réalisée
suite à la diffusion du message publicitaire. Si une chaîne de télévision propose ce
type de service associé à la vente de son espace publicitaire, elle dispose des outils
permettant d’évaluer le rendement de son espace voire de le rémunérer à la réalisation
et de l’associer ainsi au succès des ventes. L’innovation, par rapport à la publicité au
rendement des années 90, est que le coupon peut être personnalisé, cela s’apparente
au marketing direct. C’est une piste qui peut permettre aux chaînes de télévision de
vendre des écrans de plus faible audience au rendement et de tenter d’augmenter leurs
revenus.
En plus de ce ciblage du contact et de la personnalisation du message du coupon, on
sait à quel moment il a été téléchargé et activé. Par les études associées, il est possible
de construire des modèles de profils de consommateur et de réaction à la publicité qui
peuvent être exploités pour d’autres annonceurs et pas uniquement ceux qui utilisent
le couponing.
On note d’ailleurs que TF1 et M6 ont acquis récemment chacun un site de couponing,
comme le rappelle N. de Tavernost.
1.2 FINANCEMENT PAR ABONNEMENT
La justification du paiement d’un abonnement à une plateforme par le consommateur
est l’assurance d’avoir des contenus (exclusivité permanente ou pendant une période)
et des services non disponibles gratuitement.
Actuellement, l’organisation du marché de la Télévision payante, avec l’essentiel de
la rémunération des chaînes dites payantes apporté par un opérateur dominant
(CanalSat), un complément par Numéricâble et parfois un « reliquat » par les
opérateurs IPTV, a pour conséquence que, pour les éditeurs, le client n’est pas le
Mai 2015
Tous droits réservés
15
public-consommateur mais l’opérateur. Contrairement aux apparences, c’est un
secteur BtoB et non BtoC ; c’est l’opérateur qui est en BtoC.
Même si l’éditeur payant dispose d’informations sur le comportement du public par
rapport à ses programmes et sa grille et s’il souhaite enrichir son offre de nouveaux
services, voire créer un contact direct avec le consommateur, comme il ne veut pas
déplaire à son « unique » client, il ne mettra en œuvre que ce qui apporte un bénéfice
à ce dernier, comme l’explique L. Grandsire. Compte tenu du rapport de forces et,
notamment, de la capacité de l’opérateur à disposer d’informations détaillées sur les
motivations, les attentes et le comportement de ses abonnés, ces chaînes payantes vont
se comporter de plus en plus en sous-traitant de la plateforme. Leur survie résulte de
l’obligation pour l’opérateur et principalement CanalSat de soutenir une édition
indépendante, mais cela ne signifie pas qu’il doive assurer la distribution de toute
chaîne payante indépendante. Il ne sélectionne que celles qui lui permettent d’offrir
des bouquets diversifiés et attractifs au meilleur prix, c’est-à-dire avec la meilleure
rentabilité pour lui.
16
Cette organisation est artificielle. Étant donné que l’éditeur n’est, en réalité, pas du
tout autonome. Il ne peut survivre sans être distribué a minima par un ou des
opérateurs dont le bassin de diffusion permet de lui assurer des revenus suffisants. Ces
éditeurs sont entre le marteau et l’enclume. Aujourd’hui, il leur est demandé de
fournir, en même temps que la chaîne linéaire pour laquelle ils acquièrent des droits
ou produisent des contenus, ces mêmes contenus pour le service de catch-up de
l’opérateur. Ils ne peuvent se transformer en plateforme car ils ne disposent pas des
informations et des moyens financiers pour développer les outils d’analyse qui
permettent d’améliorer leur prescription dans l’univers numérique. Ils n’ont pas un
volume significatif de contenus originaux et n’apportent pas, par l’exposition de ces
derniers, une réelle valeur ajoutée aux producteurs. Par suite, la prescription du
contenu en accès direct par la plateforme, sans l’intermédiaire d’une grille de
programmes proposant principalement des rediffusions de ces quelques programmes,
semble parfaitement adaptée aux attentes du consommateur. Même si le contenu n’est
pas connu, on peut imaginer que pour des thématiques bien ciblées, dont les attentes
des consommateurs sont déjà identifiées, le savoir-faire de la plateforme saura créer
le contact.
La position des chaînes payantes sera de plus en plus difficile à tenir face aux
plateformes qui proposeront directement aux producteurs la diffusion de leurs
contenus thématiques.
Aux vues de ces contraintes, soit la chaîne payante est filiale d’un groupe puissant.
Grâce à ses programmes Premium, ou la synergie de groupe, elle a la capacité
d’obtenir du distributeur des revenus suffisants pour vivre. Soit, elle est indépendante.
Elle devra alors trouver un positionnement de niche la rendant inévitable pour le
distributeur tout en cherchant à agréger d’autres business models. Cela signifie qu’elle
Mai 2015
Tous droits réservés
doit sortir du business model exclusif BtoB pour s’ouvrir au BtoC dans une relation
directe avec ses téléspectateurs. La chaîne de télévision devient alors une partie
émergée d’un dispositif global accompagnant le téléspectateur dans sa consommation
de la thématique. La chaîne de télévision est porteuse d’une marque symbole de la
thématique qui permet au téléspectateur de vivre sa « passion » non seulement sur
l’écran de télévision mais également au travers de services et contenus
complémentaires proposés sous d’autres formes. L’expérience tentée par Universal
avec la chaîne E! avec la création d’une application mobile E! pour permettre aux
téléspectateurs d’être en permanence en connexion avec le monde des people,
présentée par L. Grandsire, est intéressante en ce sens. La chaîne peut renvoyer sur
l’appli qui peut renvoyer sur la chaîne. Mais surtout cette appli permet à E! de
connaitre de façon individuelle ses téléspectateurs, de les accompagner au-delà des
moments où ils regardent la chaîne. C’est un autre moyen de les toucher et de leur
offrir du service personnalisé, payant ou financé par de la publicité sur ce support
spécifique. Mais c’est aussi, pendant qu’ils regardent les programmes de la chaîne, un
moyen de mieux qualifier son audience instantanée et proposer des services
personnalisés.
Jusqu’à présent, les chaînes gratuites diffusées par les plateformes payantes ne sont
pas rémunérées par ces dernières et certaines chaînes payent les coûts de transport du
signal.
Grâce à la puissance économique du marché de l’audiovisuel hertzien, les chaînes
gratuites disposent de la capacité de détenir des contenus Premium. Même si le marché
hertzien s’est largement ouvert ces dernières années avec l’apparition de nombreuses
nouvelles chaînes gratuites, on assiste à une concentration autour de quelques groupes
puissants. Comme l’évoque N. de Tavernost, on peut imaginer qu’à l’avenir les
plateformes rémunèrent les chaînes gratuites, si leur attractivité est telle que le
consommateur ne comprendrait pas leur absence dans l’offre de services dégradant
ainsi l’attractivité des bouquets. Ceci n’est imaginable que si ces chaînes ont
l’exclusivité de contenus performants grâce à leur savoir-faire d’éditeur et n’est
possible que si le rapport de force est en faveur de la chaîne.
1.3 AUTRES MODES DE FINANCEMENT
Toutes les chaînes de télévision développent plus ou moins autour de leurs
programmes audiovisuels une offre de produits et de services liés ou non à leur
diffusion. Ces produits on ou offline sont soit édités par la chaîne (services interactifs,
édition musicale, édition vidéo…) soit vendus sous la forme de licences. Ces autres
revenus peuvent-ils atteindre des niveaux suffisants pour compenser les baisses
prévisibles sur les business models actuels?
Mai 2015
Tous droits réservés
17
1.3.1 Des revenus qui augmentent avec l’engagement
Une chaîne comme M6 a considéré, dès l’origine, que cet univers de produits et
services devait entrer dans l’économie globale du programme. À titre d’exemple, les
revenus provenant des appels téléphoniques surtaxés des téléspectateurs des premiers
programmes de téléréalité entraient de façon significative dans l’équilibre
économique du programme. Aujourd’hui, le recours au site Facebook pour l’émission
Rising Star tarit la source de revenus que représentent les appels du public. Pire cette
émission en Prime Time incite les téléspectateurs à se créer un profil Facebook, profil
qui rapportera ensuite de l’argent à Facebook et non à M6 ou au producteur!
La chaîne garde présent à l’esprit que l’interactivité est un moyen important de
pouvoir générer des revenus en tirant partie de l’engagement du téléspectateur. Elle
permet d’agir instantanément sur l’audience d’un programme en utilisant le
programme comme le moteur de la motivation à interagir. Encore faut-il trouver le
moyen de le monétiser. Or, dès que la chaîne entre dans le domaine de l’interactivité,
elle ne doit plus réagir avec les réflexes et le business model de la Télévision mais
avec ceux d’Internet.
18
L’exemple de la catch-up est révélateur, comme l’indique F. Mollier. TF1 Publicité
vend les espaces publicitaires pre-roll soit en global pour ses programmes dit
Premium, soit en programmatique sur des AdServer. Elle constate que ces dernières
rattrapent le coût au contact de la pub vendue en Premium. Un téléspectateur venu
volontairement voir un programme sera plus attentif et réceptif à un message vidéo
diffusé avant le programme qu’il attend, qu’au même message diffusé dans la page
d’un site ou en pre-roll d’une vidéo qu’un ami lui a conseillé de voir ! La meilleure
performance de cet espace nait de l’impact de la diffusion du programme sur la chaîne.
Il semble évident qu’il ne peut y avoir de catch-up s’il n’y a pas diffusion TV avant.
De plus, la performance de la catch-up sur le marché publicitaire vient du fait que le
programme a bénéficié de l’exposition de la chaîne et de la notoriété associée. C’est
la diffusion TV qui génère l’engagement du spectateur de catch-up qui créé une
survaleur sur le marché de la programmatique.
Donc, plus l’engagement est fort, plus la chaîne a de perspectives de revenus
complémentaires. Cet engagement sera stimulé par l’interaction entre la chaîne et les
autres supports (cf. chapitre Crossmédia, Transmédia…) mais également par la
synergie des médias (cf. Interview de B. Patino).
Prendre en compte l’engagement du téléspectateur pendant qu’il regarde un
programme et lui proposer le moyen d’aller au-delà via une application interactive est
également un moyen de générer des ressources en proposant un espace publicitaire
TV + 2ème écran efficace. Aujourd’hui on assiste à une situation paradoxale. Les
chaînes incitent leurs téléspectateurs à communiquer entre eux et avec le programme
en affichant des hashtags à l’antenne. Les mêmes hashtags sont vendus par les régies
Mai 2015
Tous droits réservés
des réseaux sociaux. L’intérêt pour l’annonceur est de pouvoir toucher les
téléspectateurs d’un programme sans avoir à prendre d’espace publicitaire sur la
chaîne. De plus, comme le réseau social connaît parfaitement le profil des utilisateurs
de son service, il est capable de vendre une audience très bien qualifiée. La chaîne
promeut un service qui est son concurrent sur le plan des revenus publicitaires.
1.3.2 Financement direct : le brand content
Considérant que le financement de l’édition par la publicité traditionnelle sera en
régression et que les marques sont à la recherche d’une autre forme de contact avec
les prospects, fondée sur l’attachement à la marque par le partage de valeurs
communes, le brand content des contenus serait une réponse à cette demande des
annonceurs.
Le principe est qu’un contenu est porteur de valeurs, générateur d’expériences et
d’émotions. Comme l’expose notamment A. Malsch, si la marque est naturellement
intégrée au contenu et non de façon artificielle qui serait perçue comme intrusive, le
contact avec le prospect est particulièrement efficace et repose sur un partage de
valeurs communes, fondement d’une relation durable et fidèle.
Dans cette approche, l’annonceur est associé très tôt à la création du contenu. Le
principe n’est pas nécessairement la commande d’un contenu par un annonceur pour
porter ses valeurs, mais plutôt la recherche d’un parrain naturel par le producteur7 dès
que le concept est créé.
Ce modèle présente plusieurs limites :




7
il n’a pas pour objectif de stimuler les ventes mais il s’agit plutôt d’une
communication institutionnelle avec des effets sur le long terme.
Le délai de production d’un contenu est parfois long et pas adapté aux objectifs
calendaires de la marque, sauf pour des programmes courts mais qui sont destinés
à une forme d’exploitation essentiellement sur les supports hors téléviseur et pour
un public spécifique, ce qui ne satisfait pas les besoins de tous les annonceurs.
Le producteur en « captant » l’argent de l’annonceur peut paraître empiéter sur
le terrain de son client. Une approche respectueuse de tous serait l’accord de
toutes les parties sur la participation de l’annonceur à la production du contenu
avec un investissement publicitaire complémentaire sous une autre forme sur la
plateforme.
Il n’est adapté qu’à une partie des contenus et ne peut constituer un modèle
économique général.
Par l’intermédiaire des agences-média ou d’agences spécialisées
Mai 2015
Tous droits réservés
19
1.3.3 Vers le free to watch
Comme l’explique N. Gaume le marché des jeux vidéo a muté de la vente de supports
physiques au free-to-play qui repose sur une offre de service gratuite incitant à l’achat
de services connexes pour améliorer l’expérience. On peut imaginer qu’en Télévision
le même principe s’applique avec la vente de produits et services connexes à la
diffusion d’un programme que l’on pourrait intituler Free-for-watch. Ce principe n’est
pas nouveau, la diversification existe depuis le début de la Télévision commerciale au
milieu des années 80 et le groupe M6 a très rapidement exploité avec succès cette
source de revenus. Cependant avec les opportunités qu’offre la distribution numérique
et notamment en e-commerce, ces recettes pourraient se développer. La notoriété de
la marque-média, la confiance des consommateurs qui y est associée, ainsi que la
puissance de l’exposition des marques-programmes sont propices au déclenchement
d’un acte d’achat d’un produit ou la consommation d’un service, éventuellement
immédiatement et synchrone à la diffusion d’un message ou du programme à
l’antenne ou lors de la consommation en différé sur tous supports. Ce n’est pas le
principe qui est nouveau, c’est la facilité de son exploitation.
20
Les formes de la rémunération évoluent aussi. Depuis un an, les groupes audiovisuels
mettent en place des opérations de Media for Equity (M4E) : prise de participation
contre publicité 8 , avec parfois un apport numéraire en plus 9 . Cette forme
d’investissement se rapproche, dans l’esprit, du dispositif de la publicité au rendement
des années 90, où la chaîne était rémunérée en pourcentage de l’augmentation des
ventes réalisées sur une période liée à la diffusion des messages publicitaires. Si
l’esprit n’est pas nouveau, la rémunération sous forme d’actions est novatrice, ainsi
que la temporalité du partenariat car le rendement de ce type d’investissement n’est
pas immédiat, même si l’on peut imaginer que le poids de l’exposition des services et
produits associés sur les antennes du groupe coactionnaire devrait accélérer la
rentabilité de la société par rapport aux standards de son secteur économique.
Cette forme d’investissement se rapproche, dans l’esprit, du dispositif de la publicité
au rendement des années 90, où la chaîne était rémunérée en pourcentage de
l’augmentation des ventes réalisées sur une période liée à la diffusion des messages
publicitaires.
8
TF1 avec Sefaireaider.com (février 2015) Sejourning (mai 2014) et l’alliance pan-européenne
de Media for Equity, autour du groupe allemand ProSiebenSat.1 (octobre 2014)
9
M6 avec Stéphane Plaza – 48% du capital pour 2,5 M€ en cash et 1M€ par un produit financier
dérivé
Mai 2015
Tous droits réservés
1.4 EN CONCLUSION
Nous pouvons augurer que le financement de l’édition audiovisuelle demeurera
double en fonction de la décision de dépense du consommateur final.
Quel que soit le mode de consommation (direct, replay, enrichi …), soit il accepte de
payer un service et il payera, sous forme d’abonnement ou à la demande, directement
à son prestataire (celui-ci devra lui proposer l’intégralité des services et des
catalogues) soit il choisit le mode gratuit et le financement par la publicité sera un mix
entre le GRP, le CPM et les opérations spéciales (notamment Couponing et Media for
Equity). La composition de ce dernier ne dépendra pas seulement de l’organisation du
secteur audiovisuel, mais s’inscrit dans une évolution beaucoup plus large du secteur
de la publicité, comme le prouvent les réflexions sur l’efficacité réelle des dispositifs
digitaux actuels, sans oublier les évolutions réglementaires, comme le rappelle B.
Sillard. . Cette évolution repose sur la prolifération et le traitement des données
individuelles comme nous l’exposons au paragraphe suivant.
Pour les 3/5 ans à venir, nous assisterons donc à un double mouvement :

La mise en place d’une offre publicitaire reposant sur le GRP mais « habillée »
de paramètres de ciblage plus ou moins fins avec notamment la dimension
« engagement » qui intègre le contexte dans le comportement supposé du
prospect/acheteur,

Un regroupement « marketing » des offres de services payants pour se
rapprocher d’une prestation universelle et donc unique pour le client.
Mai 2015
Tous droits réservés
21
2 LES DATA
D. FRAISSE
B. PATINO
N. GAUME
L.GRANDSIRE
A. LEVY
A. MALSCH
L. RECAYTE
B.SILLARD
N. de TAVERNOST
F. MOLLIER
H. VERDIER
L’une des caractéristiques majeures de la société numérique est sa capacité à générer
et surtout traiter une masse considérable d’informations sur chaque individu. Tous
s’accordent à reconnaître que c’est le fondement de cette troisième révolution
industrielle avec des conséquences sociétales encore totalement inconnues.
L’approche Big Data est présente dans tous les secteurs économiques et l’audiovisuel
y joue un rôle pour la création de données. De plus, les enseignements issus de leur
exploitation auront un impact fondamental dans le secteur de la publicité qui est un
des financeurs majeurs du secteur, mais aussi pour l’évolution des produits et services
eux-mêmes offerts au consommateur final (Data Programming)
22
2.1 LES BIG DATA
Le principe de cette approche10 , comme le présente H. Verdier, est la collecte d’un
maximum d’informations et leur traitement pour répondre à des questions non
identifiées lors de la collecte ou le rapprochement de ces informations pour identifier
des comportements ignorés.
Disposer d’une masse considérable de données d’utilisateurs peut permettre d’en
extraire des informations qui constituent une valeur pour certains marchés. C’est ainsi
qu’on a vu évoluer le business model des avertisseurs de radars pour les voitures.
Initialement, le business model reposait sur l’abonnement. L’achat du boitier
disposant d’une balise GPS permet à l’automobiliste d’être informé de la présence de
radars, et maintenant plus largement de zones à risques, sur la route qu’il emprunte.
Le système est communautaire puisque chaque abonné peut signaler un risque qui sera
ainsi immédiatement répercuté sur les boitiers des autres abonnés. Pour fonctionner,
le boitier communique en permanence avec le serveur du fabricant de boitier. Il lui
communique la position GPS du véhicule et le sens de circulation pour que le serveur
puisse envoyer au boitier en retour tout risque proche. Mais le serveur ne reçoit pas
que cela, il dispose aussi de la vitesse, de l’accélération du véhicule. Autant
d’informations qui permettent d’enrichir le service. Par exemple indiquer le
dépassement de la vitesse limite, ou alerter les secours après avoir identifié, par une
10
La notion de Big Data est un concept s’étant popularisé en 2012 pour traduire le fait que les
entreprises sont confrontées à des volumes de données (Data) à traiter de plus en plus
considérables et présentant un fort enjeu commercial et marketing.
Mai 2015
Tous droits réservés
décélération brutale, un choc. Cela signifie que ce prestataire dispose d’informations
instantanées et cumulées sur des dizaines de milliers d’automobilistes qui utilisent ce
type de boitiers. A ces données fournies par les automobilistes, la société peut associer
des données tierces telles que la météo, les travaux, les restrictions de circulation, etc.
Informations que le prestataire revend à tous les acteurs de la route (collectivités
locales, assureurs, services publics, constructeurs…) pour leur permettre de connaitre
les conditions de circulation, les habitudes des usagers, la vitesse moyenne, les lieux
à risques.... C’est comme cela qu’un acteur gratuit pour les automobilistes (WAZE) a
pu entrer en concurrence avec les acteurs payants tels que COYOTE.
Dans le domaine de l’audiovisuel, le passage de la diffusion hertzienne à la diffusion
filaire (Internet) permet de disposer de données directes liées à la consommation par
l’abonné des programmes audiovisuels. En effet, contrairement à la diffusion
hertzienne ou satellitaire, qui envoie un signal sur une zone sans voie de retour, la
diffusion via Internet crée un lien entre le serveur diffusant le programme TV et le
terminal de l’utilisateur. Lorsque cette connexion est établie, la nature du terminal et
toutes les demandes de programmes sont comptabilisées sur le serveur. Chaque
changement de chaîne est une demande au serveur donc une indication sur la
consommation effectuée par ce terminal. À cela peuvent s’ajouter des informations
sur le type de terminal, sa localisation géographique, et en plaçant un cookie sur les
habitudes de navigation sur le web depuis ce terminal. Comme la majorité de la
consommation des chaînes de télévision par Internet passe par les box, ce sont les
opérateurs qui disposent de l’accès à ces données. Si les chaînes pouvaient accéder à
ces données, elles pourraient se constituer une base de données de consommation très
riche, car ce sont des millions de téléspectateurs quotidiens qui pourraient venir
alimenter ces bases. Ce sont des données instantanées sur ce que regarde chaque
terminal dans un foyer. Ce sont des informations par foyer donc ne permettant pas de
déterminer qui est devant l’écran. Or, le développement d’offres de services en
simultané sur 2ème écran, en obligeant l’utilisateur à s’identifier, peut permettre
d’augmenter la qualification des terminaux et d’ajouter des données. On voit ici
combien la connaissance précise des utilisateurs connectés à un deuxième écran peut
offrir à la chaîne ou au producteur des Data extrêmement exploitables, soit pour un
usage interne (évaluation du programme) soit pour fournir ces données à des tiers.
Pour que cette collecte d’informations sur un 2ème écran soit riche, il est nécessaire
que les programmes diffusés intègrent dans leur narration une offre d’interactivité
suffisamment attractive pour que le téléspectateur active son 2ème écran pendant qu’il
regarde l’émission. Par ces traitements, la chaîne dispose, grâce au nombre important
de consommateurs TV, de la possibilité de générer un volume considérable de Data
sur
la
vie
quotidienne
des
français.
Comme
le
souligne
H. Verdier, c’est de la collecte d’un volume très important de données que peut naître
la valeur. Quand on collecte les informations, on ne sait pas forcément initialement ce
qu’elles peuvent révéler précisément. C’est l’exploitation de ces données qui leur
donnera une valeur. Les chaînes de télévision, média de masse par excellence, peuvent
Mai 2015
Tous droits réservés
23
générer des volumes importants de données, Big Data, si elles mettent en place dans
leurs programmes et dans les services interactifs liés à ces programmes, les outils le
permettant. Elles pourront aussi vendre ces Data à des sociétés qui sauront en tirer de
la valeur.
Cette collecte d’un maximum d’informations sur les consommateurs induit des coûts
de stockage très élevés. Les traitements sophistiqués pour en extraire de la valeur ne
sont pas de la compétence de tous. Si cette approche se généralise, sous réserve que
la règlementation n’en limite pas l’usage, car un grand nombre d’informations
concerne l’intimité des clients de la plateforme, elle nécessitera des investissements
et des moyens financiers importants qui limiteront le nombre d’acteurs dans ce
secteur.
Cela nécessite également de mettre en place un écosystème permettant à des tiers de
pouvoir accéder aux données et de pouvoir extraire des données des informations
exploitables.
2.2 LE DATA PROGRAMMING
24
Cette approche de collecte de données sur les usages des téléspectateurs peut
également avoir un emploi en interne sur l’analyse de la consommation des
programmes et déboucher ainsi sur du Data Programming, c’est-à-dire adapter le
programme en fonction de l’analyse des données issues de la consommation des
téléspectateurs.
Pour la chaîne l’atout est double :

elle permet de comprendre le comportement du consommateur, d’anticiper ses
attentes et d’optimiser la prescription ;

elle permet l’optimisation de l’efficacité du contact publicitaire en diffusant le
message dans la meilleure forme, au meilleur moment.
La comparaison avec le marché de l’édition de logiciel de jeu vidéo est intéressante.
Comme l’expose N. Gaume, l’édition d’un jeu vidéo, il y a encore une décennie,
consistait à imaginer un jeu, le développer, packager l’offre, puis la diffuser dans les
circuits de vente. Les éditeurs connaissaient le nombre de ventes mais pas la nature
de la consommation du jeu. Ils devaient faire appel à des focus groupes et des études
pour connaître l’usage du jeu. La création de nouveaux programmes était guidée par
des analyses marketing des programmes précédents et des attentes du public cible.
Finalement, c’est très comparable au marché actuel de la Télévision. Une chaîne
conçoit un programme, le produit, le diffuse. Puis via Médiamétrie connaît le nombre
de téléspectateurs qui l’ont regardé. Elle doit faire appel à des focus groupes ou des
études pour avoir des retours plus précis sur la manière dont les téléspectateurs
Mai 2015
Tous droits réservés
consomment le programme. Aux côtés des hommes de création, on retrouve des
hommes de marketing qui s’appuient sur des études pour déterminer les programmes
à concevoir. Avec l’arrivée d’Internet et surtout des téléphones mobiles, le jeu vidéo
a vécu une profonde mutation en quelques années. Ce marché (voir interview de
N. Gaume) est passé d’un marché de stock à un marché de flux. Le jeu vidéo se joue
en connexion avec le serveur Internet de l’éditeur. Toute la progression dans le jeu du
joueur, sa fréquence de jeu sont ainsi enregistrées par le serveur de l’éditeur. Il a ainsi
une parfaite connaissance de l’utilisation qui en est faite. Il dispose d’un nombre
considérable de données sur le jeu. Comme le jeu n’est plus fourni sur un support
physique mais depuis un serveur Internet, il est possible en permanence de faire des
évolutions. Ainsi, si le jeu contient 20 paliers et que l’éditeur se rend compte que le
palier 18 ou 19 a été atteint, il peut lancer de nouveaux paliers pour maintenir l’intérêt
des joueurs. Le jeu vidéo en ligne n’est plus un produit fini mais un univers ludique
en évolution perpétuelle.
Analyser ces quantités considérables de données a nécessité de nouvelles
compétences au sein des éditeurs de jeu vidéo, les Data Analyst. Ce sont des
scientifiques qui savent traiter des données pour en extraire des informations
exploitables. Aujourd’hui, aux côtés des équipes créatives des éditeurs de jeu vidéo,
ils apportent au quotidien des informations sur les utilisations du jeu et des
préconisations pour en améliorer l’attractivité et la performance. Ils ont un rôle
essentiel dans la vie d’un jeu en ligne.
Grâce aux données que l’on pourrait collecter via la Télévision filaire ou via les
applications 2ème écran, les chaînes de télévision peuvent disposer d’informations
directes sur la consommation de leurs programmes. Exactement comme l’a fait le jeu
vidéo, les chaînes et les producteurs peuvent tirer un bénéfice important de ces
données en les exploitants systématiquement.
Cela implique la mise en place au sein des chaînes :




de dispositifs de collecte de données normalisée afin que chaque programme et
chaque source puissent l’alimenter de façon efficace,
de négocier avec les diffuseurs Internet pour pouvoir bénéficier des Data
générées par les foyers,
de travailler avec les producteurs pour qu’ils intègrent des services 2ème écran
performant.
Tout comme le monde du jeu vidéo, il est évident qu’aux côtés des hommes de
programmes des chaînes de télévision, des Data Analyst capables de traiter les
données ainsi recueillies, voire d’y agréger d’autres données telles que celles
collectées sur les réseaux sociaux, doivent intervenir. Ils sont nécessaires tout
autant au niveau de la chaîne pour accompagner le positionnement éditorial de
celle-ci, qu’au niveau d’un programme.
Mai 2015
Tous droits réservés
25
Le Data Programming peut se définir comme le rapprochement a priori entre les
données individuelles à un certain profil dont le comportement et les attentes/besoins
à l’instant T ont été analysés via l’approche Big Data, afin de lui proposer le
produit/service, dans le cas de l’édition audiovisuelle le programme/contenu, avec un
haut niveau de succès. C’est aussi de l’analyse a posteriori, par le suivi détaillé de la
consommation individuelle du contenu, tant en mode linéaire au moment de sa
diffusion « en direct » avec un suivi des comportements instantanés, qu’en mode non
linéaire voire multiforme (extraits, différentes versions …), pour affiner la
compréhension des attentes du public. Ces données venant enrichir les informations
exploitées pour la création des profils utilisés dans l’étape a priori.
Le Data Programming est une analyse orientée vers l’individu, les Big Data sur la
collecte des informations et l’analyse des comportements orientée sur la société.
26
L’exemple de melty est une illustration de cette démarche pour créer un service de
contenu performant. Comme l’indique A. Malsch, grâce aux algorithmes que melty a
développés pour analyser les consultations de sites réalisées par les utilisateurs
d’Internet, il leur est possible d’anticiper les sujets qui seront tendance dans les heures
ou les jours à venir. Les rédacteurs créent les articles qui correspondent à ces thèmes
identifiés. En vidéo, il estime que les tendances portent sur une semaine. Même si
c’est un peu plus long, la démarche programmatique pour la création de contenus
vidéo ne peut s’adapter qu’à des contenus dont le temps de production est court. Elle
est difficilement compatible avec la création de programmes de stock nécessitant
plusieurs mois voire plusieurs années de temps de production. Mais, tous les
programmes de flux ou à temps de production court (par exemple un feuilleton du
type Plus belle la vie) peuvent tirer pleinement profit de cette démarche.
De plus, grâce à une meilleure qualification de l’audience, ces données permettent
surtout de mieux valoriser les contacts et le modèle économique traditionnel de
l’éditeur, reposant sur la vente des GRP, est préservé avec des contacts mieux ciblés
et mieux monétisés. La capacité éventuelle à individualiser le message publicitaire
pour chaque contact devant l’écran renforce la meilleure valorisation de celui-ci.
2.3 EN CONCLUSION
Comme nous en sommes aux prémices des bouleversements que les Data vont
apporter à la société, que les analyses et les traitements sont plus proches de la
recherche adaptée que du process industriel, dans les années à venir, le « marketing »
de l’audiovisuel va s’inspirer de cette approche pour « habiller » les offres
publicitaires auprès des annonceurs et les offres de services auprès des
consommateurs finaux.
Mai 2015
Tous droits réservés
Les changements majeurs n’arriveront qu’après la phase de maturité et la
généralisation de l’intégration des Data dans le quotidien de chacun.
27
Mai 2015
Tous droits réservés
3 LA TÉLÉVISION ENRICHIE
D. FRAISSE
B. PATINO
N. GAUME
L.GRANDSIRE
A. LEVY
A. MALSCH
L. RECAYTE
B.SILLARD
N. de TAVERNOST
F. MOLLIER
H. VERDIER
Le numérique a aussi permis une offre de services enrichie en parallèle du simple
visionnage d’un contenu audiovisuel. Ceux-ci sont multiples et cherchent à satisfaire
aussi bien une implication active du consommateur (en opposition à la vision passive
du téléspectateur « traditionnel ») qu’une offre variée de contenus connexes sur de
multiples appareils actifs ensemble ou séparément.
3.1 TÉLÉVISION
VIA
INTERNET = TÉLÉVISION
INTERACTIVE ?
28
Au 4ème trimestre 2014, 40% de la Télévision consommée en France transitait par
Internet11, le reste se partageant essentiellement entre le hertzien (39%) et le satellite
(19%)12. On peut se poser la question de l’impact que cela peut avoir sur la nature des
11
12
ADSL + Câble
Source Médiamétrie - Médiamat
Mai 2015
Tous droits réservés
programmes diffusés. Le mode de consommation des chaînes de télévision via
Internet sur le téléviseur reste traditionnel, les téléspectateurs zappant d’une chaîne à
l’autre dans l’offre du distributeur. Toutefois, 52% des foyers français disposent d’une
TV connectable13. Dans ce cas, c’est directement la télécommande du téléviseur qui
sert à naviguer dans les contenus vidéo et les services proposés par Internet. Le
téléviseur est en fait l’écran d’un ordinateur connecté dont le clavier et la souris sont
réduits aux touches de la télécommande. Ce qui diffère de l’ordinateur est la position
de consommation. Au lieu d’être attablé face à l’écran et au clavier de l’ordinateur,
l’utilisateur est installé dans un fauteuil à distance de l’écran avec une télécommande
en main. Tout ce qui peut être fait d’un point de vue informatique sur un ordinateur
peut se faire sur un téléviseur connecté. C’est essentiellement la position de l’écran et
la posture du ou des utilisateurs qui diffèrent. L’un est plutôt individuel (l’ordinateur),
l’autre est plutôt collectif (Télévision).
Regarder la télévision devient de ce fait de plus en plus complexe pour le
téléspectateur. Nos grands-parents avaient à choisir entre une poignée de chaînes, soit
directement en jouant avec les boutons du poste soit, pour les plus avant-gardistes, en
utilisant une télécommande rudimentaire. Aujourd’hui, il y a une foultitude de chaînes
et c’est la guerre des télécommandes. Il y a celle du téléviseur, celle de la box FAI,
celle de la console de jeu, celle des box tiers (Chromecast, AppleTV…). Chaque
système propose l’accès à des contenus audiovisuels avec plus ou moins
d’interactivité.
Toutes ces télécommandes permettent d’accéder à une interactivité. Si on met de côté
la multiplicité des formats propriétaires de chaque système qui rendent difficile
l’économie d’un service interactif, il est évident qu’offrir une interactivité liée au
programme est doublement intéressant. D’une part, elle permet d’offrir une possibilité
d’implication plus large au téléspectateur en augmentant son engagement dans le
programme via l’interactivité. Cela permet de fidéliser le cœur de cible du programme.
D’autre part, l’interactivité, en établissant un lien direct avec un service produit par la
chaîne, permet à cette dernière de disposer d’informations directes sur le
téléspectateur en lien avec le programme. Cela évite que ces informations soient
captées et gardées par des services tiers tels que les réseaux sociaux ou les applications
2ème écran extérieures à la chaîne.
Évidemment, la consommation de la Télévision par Internet peut se faire sans aucune
interactivité, exactement comme elle se consomme via le hertzien ou le satellite. Mais,
ne pas saisir l’opportunité d’une telle diffusion pour offrir des services interactifs
ajoutés, capter cette audience sur son environnement Internet de chaîne et pouvoir
ainsi monétiser cette audience est du gâchis. Pire, ne pas apporter une interactivité
13
Un téléviseur qui peut se connecter directement à Internet soit en la raccordant au réseau
domestique via un cordon connecté à la prise Réseau RJ45 du téléviseur, soit en utilisant une
connexion Wifi
Mai 2015
Tous droits réservés
29
riche au téléspectateur disposant d’un 2ème écran à portée de la main, c’est laisser la
place à des acteurs tiers tels que les réseaux sociaux.
Toutefois reste le problème de la fragmentation du marché née des usages mais surtout
de la technologie. La Télévision actuelle s’appuie sur un format simple. Un
programme unique touche tous les téléspectateurs quel que soit le type de téléviseur
et le mode de réception14. C’est véritablement un marché de masse. Or, puisqu’il faut,
pour chaque terminal et chaque contexte d’utilisation, créer un service dédié, cela crée
une première fragmentation. Mais comme pour chaque type de terminal, il peut y avoir
plusieurs standards auxquels l’application devra être adaptée, cela multiplie les coûts
techniques pour une même application. On se trouve aujourd’hui face à une aberration
économique.
Il est nécessaire que les chaînes agissent globalement auprès des industriels et des
opérateurs pour que les services interactifs soient normalisés afin qu’un maximum de
téléspectateurs puissent en bénéficier sans que cela ait un coût de production dissuasif
pour les chaînes. Aujourd’hui entre le HBBTV, les formats propriétaires de chaque
fabriquant de téléviseurs, les OS Mobiles, un éditeur doit réaliser entre 5 à 10 versions
de son offre d’interactivité ou se limiter aux normes les plus répandues et réduire leur
marché.
30
3.2 TRANSMÉDIA, CROSSMÉDIA, MULTI-ÉCRAN,
QUELS USAGES ?
Crossmédia et Transmédia sont des notions apparues avec la multiplication des écrans
et des moyens de communication. Originellement, le Crossmédia est né dans le monde
publicitaire pour définir une action de communication diffusant son message sur
plusieurs supports en simultané. L’enjeu d’une stratégie de communication
Crossmédia est de favoriser les synergies entre les médias, permettant d’améliorer
l’impact d’un message. Quand on parle d’une œuvre transmédia 15 , il s’agit d’un
programme proposant une narration fragmentée sur différents supports dans un usage
séquentiel. Par exemple, entre deux épisodes d’un feuilleton TV, le téléspectateur
pouvait aller sur Internet mener l’enquête, recevoir des sms voire des appels
téléphoniques venant des personnages de la fiction. Avec le développement de l’usage
simultané des écrans TV plus ordinateur, tablette et smartphone, la notion de Multiécran est apparue. Dans ce cas, le programme déborde sur d’autres supports en
14
Réception hertzienne, satellite, câble, VOD, DVD…
Le Transmédia consiste à raconter une histoire sur plusieurs medias, en respectant la
grammaire de chaque support et en faisant en sorte que ces médias interagissent pour plonger
l’usager au cœur d’une expérience immersive. Définition du projet européen Eurotransmédia
15
Mai 2015
Tous droits réservés
simultané. Les jeux TV permettant au téléspectateur de pouvoir répondre en même
temps aux questions avec son smartphone ou sa tablette font partie de cette catégorie16.
Lors d’une retransmission de course automobile, le téléspectateur sur le 2ème écran
peut choisir la caméra embarquée qu’il désire. C’est un même programme vécu de
façon différente en fonction du ou des écrans que le téléspectateur utilise. Ces trois
termes désignent tous des contenus diffusés sur des supports divers, digitaux ou non,
que l’utilisateur pourra consommer sur un ou plusieurs supports à des instants divers
ou en simultané. Le monde de la publicité parle de Crossmédia, celui de la création
parle de Transmédia. Quant au terme Multi-écran, il est plutôt attaché à l’usager ou à
l’usage.
3.2.1 Facteur d’engagement du public
Comme l’indique N. de Tavernost, l’interactivité est un élément vital de l’équilibre
économique d’un programme. L’émission de télévision ne doit plus être conçue
comme un programme audiovisuel avec des produits dérivés qui lui sont raccrochés
après, mais dès l’origine comme un ensemble ou chaque élément, chaque support doit
être optimisé. Dès sa création, par nécessité d’élargir au maximum ses sources de
revenus, M6 a toujours pris en compte dès la création l’impératif d’être performant
sur tous les supports. Les premières saisons du LOFT ont enregistré des revenus
significatifs provenant des appels des téléspectateurs pour voter pour leur candidat et
des abonnements à la chaîne 24/24. Les séries pour les jeunes étaient couplées avec
de l’édition musicale, de la presse magazine...
La multiplication des écrans, la mobilité, l’écran individuel créent de nouvelles
possibilités : le triple A (Any device, Anytime, Anywhere). Comme l’explique B.
Patino, à chaque changement d’un de ces éléments le service doit s’adapter. C’est une
nouvelle manière de satisfaire et de fidéliser son audience en lui proposant de
retrouver l’univers de son programme quels que soient son terminal, son lieu et son
moment. Il est impossible qu’un même programme audiovisuel puisse répondre à tous
les types d’écrans, dans tous les contextes d’utilisation. Il faut donc, dès l’origine d’un
projet, prendre en compte sa dimension Triple A pour que l’offre pour le public soit
la plus efficace possible.
L’émission de télévision est un puissant moteur de mobilisation de l’audience autour
de la marque programme. En déclinant les valeurs du programme sur d’autres
supports, la chaîne a la possibilité de transformer cet engagement du public en revenus
complémentaires. L’engouement pour la téléréalité et les revenus générés par les
appels et sms surtaxés en sont la preuve. Toutefois, le public n’est pas dupe. Pour
inscrire une relation interactive dans la durée avec un téléspectateur et en faire ainsi
16
Cf. entretien avec L. Grandsire
Mai 2015
Tous droits réservés
31
32
un consommateur multi-écran d’un programme, il faut que l’offre sur les autres écrans
soit au niveau de ses espérances et qu’il n’ait pas le sentiment que le seul objectif de
la chaîne est de l’attirer sur un écran de plus sans réelle valeur ajoutée. Favoriser
l’engagement du téléspectateur dans le programme doit vraiment être une priorité lors
de sa création avec l’objectif que cette adhésion aux valeurs et au contenu du
programme l’amène à aller au-delà de l'écran TV, après mais aussi pendant la
diffusion. Et c’est ce qui est nouveau avec le multi-écran : cette capacité à proposer
un même programme sur plusieurs écrans en même temps. Or, tous les professionnels
de l’audiovisuel ont été formés à créer des programmes dont l’objectif était de
maintenir le téléspectateur le plus longtemps possible devant son écran de télévision.
Il y a là un saut culturel à franchir : accepter que le téléspectateur puisse disposer de
plusieurs écrans devant lui en même temps. Évidemment, il est impossible de regarder
deux écrans en même temps. Cela signifie que le créateur de l’offre multi-écran doit
pour un même programme imaginer sa consommation de façon passive devant un seul
écran, et de façon multi-écran. Chaque population doit pouvoir, en regardant le même
programme, vivre pleinement son expérience. Faire que le programme s’adresse à
deux catégories sans qu’aucune des deux ne se sente exclue de l’émission. Si
l’émission est faite pour le téléspectateur passif et qu’on « plaque » une possibilité
d’interactivité sans qu’elle soit mentionnée dans le programme, celle-ci sera factice et
peu engageante. Si à l’opposé, l’émission s’adresse principalement aux téléspectateurs
connectés, elle ne fera pas beaucoup d’audience chez les téléspectateurs passifs. Par
exemple, quand les chaînes de Poker diffusent des émissions dans lesquelles
apparaissent les cartes des téléspectateurs-joueurs connectés par Internet, seuls les
participants sont intéressés.
Il faut donc trouver un juste équilibre. La participation du téléspectateur interactif doit
enrichir le programme pour le téléspectateur passif et non le polluer. L’un des
exemples classique de cet équilibre à trouver est celui de l’envoi de questions sms par
les téléspectateurs pendant un débat. Cette participation du public se fait soit sous la
forme d’un bandeau déroulant, avec les questions et remarques, soit sous la forme
d’une question posée par l’animateur en même temps qu’elle s’affiche à l’écran. Dans
le deuxième cas, la question s’intègre dans le débat, elle l’enrichit pour tous les
téléspectateurs. Dans le premier cas, soit on lit soit on écoute. Le risque est fort qu’un
téléspectateur quittant le débat pour lire les messages sorte du sujet traité…et zappe !
Plus l’émission intègre naturellement la participation des téléspectateurs dans son
déroulement et non de façon artificielle, plus l’engagement du téléspectateur peut être
grand. L’un des exemples récents concerne l’émission Money Drop en France et au
Royaume-Uni. Dans les deux pays, les téléspectateurs peuvent jouer en même temps
que les candidats en plateau. Toutefois, les taux de connexions au Royaume-Uni sont
bien supérieurs aux taux de connexion en France. La raison ? Le direct. Dans
l’émission française, enregistrée, le téléspectateur joue en parallèle (Play Along), il
n’impacte en rien l’émission et seuls quelques messages génériques l’invitent à se
Mai 2015
Tous droits réservés
connecter. Au Royaume-Uni, l’émission est en direct et l’animateur donne
régulièrement aux candidats sur le plateau les tendances des choix des téléspectateurs.
C’est un plus pour le suspens. L’impact sur l’engagement du public est total.
3.2.2 Bénéficier de la synergie de diffusion
Jusqu’à présent, le processus de production respecte une chronologie avec d’abord la
conception d’un programme audiovisuel puis, en cohérence avec le concept, celle
d’une offre digitale, disponible sur tous les écrans et les réseaux sociaux. Cette
dernière a vocation à enrichir l’expérience du téléspectateur soit en même temps que
le visionnage du programme (synchrone) soit indépendamment (asynchrone) pour
renforcer la relation entre l’univers du programme et le public. Les notions de
programme, téléspectateur, public sont encore très présentes. Les plus grandes
marques-programme ont, en l’espace de deux saisons, enrichi les dispositifs tant
ludiques que de e-commerce17.
Dans cette approche, comme les coûts de développement des dispositifs digitaux
étaient en sus des coûts de production du programme, la question s’est posée de leur
rentabilité économique. À l’usage, même pour les plus populaires, le nombre
d’utilisateurs et la durée d’usage ne permettent pas de générer des recettes
supplémentaires suffisantes pour couvrir la charge additionnelle, même modique, par
rapport au coût de production d’un programme audiovisuel.
De plus en plus, il apparaît bien que pour le consommateur il n’y a pas deux mondes
disjoints, celui de la Télévision et celui d’Internet. Il n’est pas téléspectateur d’une
part et internaute, voire vidéonaute, d’autre part ; il est consommateur d’une
expérience audiovisuelle dont il parcourt les différentes facettes en fonction de ses
envies et disponibilités. La multitude des supports lui permet aussi, comme l’expose
A. Malsch, de choisir la forme dont l’ergonomie est la plus adaptée à ces supports.
Il en résulte que le coût de production de cette expérience intègre les coûts de
développement de toutes ses composantes, tant programme audiovisuel que
dispositifs digitaux et réseaux sociaux.
Il y a un modèle économique global né de la synergie des supports. Il résulte d’une
part de l’économie d’échelle. Concevoir et produire en simultané tous les couples
support/service coûte moins cher que de les produire indépendamment les uns des
autres. D’autre part, il y a un effet de mutualisation de l’impact de communication
d’une offre multi-écran (ce qui pose la question de la chronologie des médias). Le
modèle économique est celui de l’édition globale de contenus audiovisuels, toutes ses
17
Top Chef avec Auchan sur M6, The Voice avec La Redoute sur TF1
Mai 2015
Tous droits réservés
33
facettes composent l’expérience du consommateur qui apporte sa contrepartie
financière à l’aune de sa satisfaction pour celle-ci.
De plus, la globalisation des coûts est justifiée par le fait que, dans un modèle
opérationnel et économique où les Big Data sont au cœur du système, ces dispositifs
digitaux sont nécessaires voire vitaux pour générer ces Big Data. Cette offre enrichie
n’est plus complémentaire mais essentielle.
3.3 EN CONCLUSION
L’apport du numérique est déjà très présent au quotidien pour les consommateurs, et
ce depuis les débuts de la Télévision non hertzienne au début des années 90. Comme
les moyens actuels sont divers et variés et permettent une offre riche, comme toujours
dans le marketing de l’offre, il y a plutôt prolifération et multitude et le consommateur
n’a pas encore « fait le tri » entre les services et produits à réelle valeur ajoutée pour
lui, même s’il identifie déjà les contenus « alibis » et ceux qui enrichissent
l’expérience.
34
Dans les trois/cinq ans, nous pouvons augurer une rationalisation et une simplification
du type d’offre de contenus connexes, avec en parallèle une « industrialisation » des
process de fabrication qui permettront une baisse des coûts. L’imagination et la
créativité s’exprimeront alors dans l’enrichissement des univers et des mécaniques
des formats.
Mai 2015
Tous droits réservés
4 LES MÉTIERS DANS L’AUDIOVISUEL
D. FRAISSE
B. PATINO
N. GAUME
L.GRANDSIRE
A. LEVY
A. MALSCH
L. RECAYTE
B.SILLARD
N. de TAVERNOST
4.1 NOUVEAUX
MODES
POSTPRODUCTION
DE
F. MOLLIER
H. VERDIER
PRODUCTION
ET
4.1.1 Baisse des coûts de production
Le coût d’une production se répartit entre des coûts de matériels et des coûts de
personnel.
La capacité à tourner et postproduire des images de qualité broadcast s’est
considérablement démocratisée ces dernières années. On assiste à un choc entre deux
cultures technologiques audiovisuelles qui se rencontrent. La Télévision est
imprégnée de ses origines, quand à chaque transfert de l’image sur un nouveau support
analogique, la qualité de l’image diminuait. Il fallait partir d’une image de qualité
1000 pour, après toutes les étapes de fabrication, arriver à une image 100 de qualité
TV. Cette exigence de qualité induisait des coûts de matériel importants.
Par exemple, la dernière GOPRO capture en 4K pour moins de 600 euros alors qu’une
caméra professionnelle coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. Le nombre
croissant de documentaires qui offrent des images virevoltantes et spectaculaires
tournées avec cette caméra contredit l’affirmation qu’il serait impossible de faire des
images de qualité avec une GOPRO
La culture vidéo du web est issue de la démocratisation de fabriquer et diffuser des
images vidéo. Le caméscope et la duplication des cassettes pour ses amis ont été
remplacés par le smartphone et les sites comme Dailymotion ou YouTube.
Initialement de pauvre qualité (les émissions de zapping le prouvent tous les jours), la
performance du matériel facilement accessible par le public…et donc par une nouvelle
génération de producteurs de vidéo a atteint un niveau impressionnant18. Or, l’intérêt
du numérique est qu’il n’y a aucune perte de qualité de l’image. Une image Full HD
18
Pour ceux qui désirent disposer des possibilités de téléobjectifs performants, l’évolution des
appareils photos Reflex numériques offre pour quelques milliers d’euros, toute la palette des
objectifs photo pour réaliser des captations impressionnantes en Full HD.
Mai 2015
Tous droits réservés
35
en entrée de traitement sortira en Full HD après postproduction. Idem pour la 4K. Le
coût de captation d’images peut ainsi être considérablement diminué du point de vue
matériel. Mais surtout, cela offre la possibilité d’utiliser des images provenant de
« cameramen » de toute nature y compris du public. Le User Generated Content
(UGC, contenu généré par l’utilisateur) est donc possible avec des images intégrées
dans un programme qui n’auront plus la qualité des images de caméras de
vidéosurveillance !
36
Ce qui est vrai pour la baisse des coûts de la captation d’images l’est aussi pour son
traitement en postproduction. Tout acquéreur d’un ordinateur PC ou MAC dispose,
fourni gratuitement, d’un logiciel de montage numérique (respectivement Movie
Maker et iMovie). Il existe en plus une dizaine de logiciels gratuits de montage qui
peuvent également être utilisés pour monter un programme quelle que soit sa durée.
En effet, la puissance des ordinateurs actuels est telle qu’avec un PC de jeu vidéo de
moins de 2000 euros il est possible de monter sans difficulté un programme en Full
HD avec quelques traitements et effets spéciaux proposés par ces logiciels gratuits.
La limite sera souvent la taille du disque dur. Évidemment, pour effectuer des effets
spéciaux importants ou des traitements très spécifiques, le recours à du matériel et des
logiciels professionnels est indispensable. Mais il serait déjà possible de monter sur
de telles machines une part très importante des productions audiovisuelles diffusées
sur les antennes des chaînes de télévision.
Reste le talent humain. Le fait de mettre un piano dans un lieu public ne transforme
pas le passant en Mozart. Il en est de même pour ces moyens techniques de captation
et de traitement des images. On voit bien que sur les milliards de vidéos postées en
ligne, seules quelques-unes deviennent des succès et permettent parfois à leurs auteurs
de passer du stade d’amateur au stade professionnel. L’utilisation d’un personnel
qualifié (cadreur, preneur de son, chef opérateur, monteur, truquiste…) reste
nécessaire pour transformer en une image fidèle, une vision de scénariste et de
réalisateur. Même avec un smartphone, la qualité de la lumière, du son et le cadrage
feront la différence. Mais n’oublions pas que, comme toujours, le matériel ne fait pas
le talent.
Il ne faut toutefois pas minorer le phénomène. Face aux producteurs audiovisuels et
aux professionnels formés dans les écoles de la filière TV et Cinéma, se développe
comme l’expose A. Malsch au sujet de melty, une nouvelle génération de producteurs
qui exploitent au mieux les possibilités de ces solutions économiques. Les
programmes produits et diffusés par melty sur le Web sont en Full HD alors que toutes
les chaînes de télévision du PAF ne le sont pas encore. Si le talent et la créativité sont
au rendez-vous, ces moyens permettent de produire vite et pas cher des programmes
qui peuvent venir concurrencer des productions audiovisuelles traditionnelles.
Il en est de même pour la fabrication et la diffusion d’une chaîne de télévision. On a
connu les robots pilotant des armoires de cassettes vidéo pour enchaîner dans un
Mai 2015
Tous droits réservés
magnétoscope les programmes diffusés à l’antenne. Aujourd’hui, les chaînes stockent
leurs programmes sur des disques durs pilotés par une playlist quand ce n’est pas la
diffusion d’un direct. Là encore, le web apporte son lot de solutions accessibles. Les
sites de stockage comme YouTube proposent la possibilité de créer une chaîne en
définissant la playlist. Pour une diffusion en simultané à tous les utilisateurs, comme
pour la Télévision hertzienne, il est possible d’utiliser le streaming. Sans émetteur,
sans autorisation préalable nécessaire, il est possible d’être vu par tous les internautes
se connectant où qu’ils soient en France ou ailleurs. Évidemment le streaming a un
coût, il est directement proportionnel à l’audience. Le diffuseur ne paie que pour ceux
qui regardent. Le succès d’audience rimant souvent avec revenus, le risque est
moindre que de payer le coût fixe d’une diffusion hertzienne (plusieurs millions
d’euros annuels) ou d’une satellitaire (plusieurs centaines de milliers d’euros).
Le marché est donc écartelé entre des professionnels souhaitant maintenir des coûts
techniques élevés et de nouveaux entrants proposant des solutions économiques de
plus en plus performantes comme l’explique D. Fraisse. Pour les premiers, les raisons
peuvent être très diverses, maintenir le chiffre d’affaires pour les fabricants de
matériel, rentabiliser leur investissements existants pour les chaînes ou prestataires
s’étant équipés, conserver chiffre d’affaires et marge pour les producteurs calculant
leurs revenus sur les coûts de production.
A l’instar de ce qu’on connaît dans de nombreux marchés, comme celui du transport
aérien, les programmes économiques (low cost) vont continuer à se développer à côté
d’une offre de programmes Premium. Idem pour des chaînes Premium vs des chaînes
low cost. Comme l’aérien, le développement du low cost impactera l’offre Premium.
Comme les grands groupes aériens ont créé leur filiale low cost, on assiste au même
mouvement dans l’audiovisuel. Tous les diffuseurs développent leur offre de chaînes
Web, France Télévisions avec FranceTVInfo et FranceTVSport, le groupe M6 avec
un bouquet de chaînes thématiques accessible par son appli 6play. Les autres suivront.
Les acteurs de l’audiovisuel Broadcast entrent aussi dans la culture vidéo du Web.
Depuis de nombreuses années, TF1 possède WAT concurrent de YouTube. Le groupe
M6 a intégré Golden Moustache. Studio Bagel a rejoint Canal+.
Les producteurs « traditionnels », comme l’annonce L. Recayte, vont se retrouver de
plus en plus concurrencés entre une offre Premium de programmes à vocation souvent
mondiale, des productions low cost ouvertes à un nombre croissant d’acteurs et les
contenus issus des utilisateurs (User Generated Content).
Mai 2015
Tous droits réservés
37
4.1.2 Du Workflow TV au Workflow Crossmédia
Comme on le voit dans les chapitres consacrés au business model, la production d’un
programme audiovisuel pour son seul usage TV est de moins en moins suffisante pour,
d’une part, séduire le public, et d’autre part, trouver des revenus suffisants.
Antenne/tuner
Magnétoscope
Prise
téléphone/box
Lecteur DVD
BlueRay
Consommation
Hertzien
Editeur Vidéo
Satellite
FAI
VOD
Récepteur
Programmation
Diffuseur
Création
Livraison du
programme
Chaîne
Producteur
À l’origine, l’organisation de la production d’un programme télévisuel était une
succession d’étapes allant du producteur au téléspectateur qui le recevait par voie
hertzienne. L’apparition des magnétoscopes n’a rien changé à cela. Le programme
enregistré sur cassette était le même. Le téléviseur pouvait recevoir l’image depuis le
magnétoscope. Il en a été de même avec la diffusion satellitaire, la diffusion via les
Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI), ou les opérateurs de VOD. Il est possible
d’alimenter le récepteur final avec le même programme, même si regarder un film à
grand spectacle sur son smartphone risque d’en limiter considérablement le côté
spectaculaire !
Téléviseur
Ordinateur
Tablette
Smartphone
38
Ce dispositif de type Industriel (je fabrique un seul produit que je diffuse par tous les
canaux possibles) a une logique très descendante. Le producteur fabrique un produit
fini, qu’il transmet à la chaîne qui le diffuse. Le succès est évalué par des études dans
le cas de la Télévision (Audimat) ou par les ventes.
PAD
MIXAGE
ÉTALONNAGE
MONTAGE
EFFETS SPÉCIAUX
DERUSHAGE
TOURNAGE
REPÉRAGE
DOCUMENTATION
STORY BOARD
Le dispositif de production (Workflow) est encore principalement inspiré par
l’objectif de fournir un programme audiovisuel « clé en main » à la chaîne. Il est
constitué d’étapes successives comme illustré dans le diagramme ci-après.
Chaque étape met en œuvre des compétences spécifiques et aussi des méthodes et des
outils de travail spécifiques. Les story-boards seront faits sur Word ou Excel. Le
documentaliste fera une compilation de ressources qui pourront prendre la forme de
texte, d’image, de vidéo le tout numérisé ou pas, l’ensemble étant référencé dans son
outil informatique de documentation. Tous les rushes sont stockés sur des disques durs
et ceux utilisés sont importés dans le logiciel de montage. Le programme monté est
Mai 2015
Tous droits réservés
étalonné, puis la bande son finalisée pour arriver à un programme Prêt à Diffuser
(PAD) livré à la chaîne. Sur des productions se déroulant sur plusieurs mois, il est
fréquent que les intervenants du début du projet ne côtoient jamais ceux des étapes
finales. En fait, cela n’a pas d’importance.
Si après la production du programme initial, la chaîne ou le producteur souhaite
produire un autre programme en utilisant tout ou partie des éléments générés lors du
tournage, cela peut souvent s’avérer complexe. Dans le pire des cas, tous les éléments
du tournage sont stockés, archivés et transférés sur disques durs. Le producteur n’a
conservé de façon aisément accessible que le master du programme vendu, constitutif
de son patrimoine. Or, une grande valeur du patrimoine peut exister au sein de tous
ces éléments générés lors de la production. Avec un producteur structuré, organisé, il
est envisageable que tous ces éléments soient référencés correctement et facilement
accessibles. Par exemple, sur la production d’un documentaire. En amont, le
documentaliste aura réuni et documenté un grand nombre de ressources 19. Dans un
flux de production descendant, certaines de ces ressources vont être intégrées ensuite
dans le programme final. Cette information sur quelle ressource est présentée à quel
time code dans le documentaire, ne remonte pas souvent pas dans la base
d’informations du documentaliste. Or, pour produire une application 2ème écran
permettant au téléspectateur de regarder les ressources du programme sur son
smartphone ou sa tablette, disposer de cette information est indispensable. Pourtant,
au moment de la production du programme original, cette information comme
beaucoup d’autres est présente dans le logiciel de montage. Cette information, cette
donnée, constitue les métadonnées qui sont générées par la production d’un
programme. Chaque étape de production génère des données relatives à un élément
de production qui peut être mis en relation avec d’autres. Par exemple, dans le cas
d’une fiction, le scénariste décide de créer un personnage, le casting choisit l’acteur,
le dialoguiste écrit son texte pour une scène, le styliste choisit ses vêtements, le
tournage et le montage définissent si on voit l’acteur à l’écran quand le texte est
entendu et à quel time-code cela passe dans l’écran. Toutes ces informations existent
à un moment donné dans le processus de production mais il faut un dispositif commun
pour les enregistrer. Il est donc indispensable de mettre en place une plateforme de
workflow qui permette de collecter ces métadonnées et de rendre interopérables en
descendant et en montant les différentes étapes du processus de production. Ce type
de dispositif ne vient pas interférer dans le processus de production qui reste comme
le montre le schéma ci-après le même.
19
Photos, articles, extraits vidéos, textes, gravures…
Mai 2015
Tous droits réservés
39
40
Des sociétés spécialistes de la postproduction telles qu’AVID (Media Composer) ou
ADOBE (Premiere) proposent une offre de logiciels complémentaire à leur outil de
montage virtuel pour, d’une part, apporter une solution logicielle ergonomique à
chaque étape de la production, et d’autre part, les rendre interopérables. Ils donnent
d’ores et déjà la possibilité de pouvoir gérer le workflow en générant des
métadonnées. Cette offre de suite logicielle de production s’accompagne d’une offre
Cloud pour permettre de stocker les métadonnées et les médias d’un programme dans
un environnement où ils pourront être exploitables facilement… avec la suite
logicielle de l’éditeur. Un moyen efficace de fidéliser les clients en leur permettant de
générer de nouveaux programmes avec leurs productions passées.
En travaillant avec un tel environnement, il est ainsi facile de produire un programme
pour diffusion TV, une version courte pour un usage smartphone, une version enrichie
pour un DVD, des éléments pour alimenter un site Internet complémentaire au
programme. Une partie de ces informations pouvant être reliée au time code de
l’émission, il est ainsi facile de proposer un service 2ème écran synchronisé avec la
diffusion TV. Dans un jeu TV enregistré, le lien entre une question, le moment où elle
Mai 2015
Tous droits réservés
est posée à l’antenne, le moment où le téléspectateur peut y répondre et la réponse,
pourraient ainsi être directement générés lors du process de production. Aujourd’hui,
souvent, cela doit être fait après la fabrication du PAD.
Avec ces plateformes, le passage de la production d’un programme TV à une
production crossmédia est immédiat. En effet, il est autant possible d’extraire les
éléments permettant d’alimenter la diffusion que de récupérer des informations sur
cette diffusion. Ainsi les statistiques de diffusion en VOD d’un programme, les
extraits les plus regardés, les commentaires sur le programme recueillis sur les réseaux
sociaux, tous ces éléments peuvent remonter dans le workflow crossmédia pour
alimenter les métadonnées liées au programme, à ses déclinaisons mais également à
tous les médias. Ces informations pourront servir à enrichir la création de nouvelles
versions du programme ou modifier les versions existantes pour les rendre plus
performantes.
41
Par exemple, un magazine TV de tourisme peut tirer pleinement parti d’un tel
dispositif. L’émission complète constituée de plusieurs sujets est diffusée sur
l’antenne. Des programmes courts traitant d’un seul sujet à chaque fois sont proposés
pour smartphone. L’application 2ème écran permet de réagir et de donner son
expérience. Le site web contient toutes les métadonnées et les contenus. Un utilisateur
peut ainsi poser une question, le moteur de recherche proposera l’extrait d’une
émission répondant à la question. L’utilisateur pourra commenter et partager cet
extrait. L’émission devient un dispositif crossmédia sur la consommation dont l’une
des faces visible est l’émission de télévision. La rédaction peut ainsi suivre au fil des
jours la vie d’un sujet pour y revenir dans une émission ultérieure en diffusant la vidéo
d’un téléspectateur qu’il aura faite avec son smartphone. Le champ des possibles est
considérable.
Mai 2015
Tous droits réservés
L’enjeu pour le secteur audiovisuel est majeur. Offrir une telle plateforme crossmédia
permet d’être au centre de l’écosystème. C’est pourquoi par exemple Adobe20 ajoute
à son offre de workflow une offre Marketing Cloud. Cette offre permet non seulement
à l’éditeur de suivre et d’analyser l’utilisation du programme sur le net mais également
de le diffuser et de l’exploiter avec les business model du Net.
Cette offre Métier issue de l’audiovisuel vient directement en concurrence avec les
offres issues de l’Internet. Venant du stockage de vidéos, Google propose son offre
de stockage, de monétisation et de statistiques. Cette offre s’enrichit d’outils de
postproduction (montage, sous titrage, mixage…) avec des outils de plus en plus
professionnels. Maintenant, Google va plus loin avec des services de production avec
des studios en libre accès comme aux USA. Son objectif : gérer tout l’écosystème.
42
4.1.3 Enrichissement des contenus
En décembre 2014, on comptait 6,4 21 écrans par foyer français. À l’écran de
télévision, s’ajoutent notamment ceux de l’ordinateur, de la tablette ou du smartphone.
55,7% 22 des français sont mobinautes, c’est-à-dire qu’ils consultent Internet sur
téléphone mobile. Ce chiffre est en forte progression (+6%) en un an. Le lieu et les
conditions de consommation d’un écran ne se limitent plus à l’écran de télévision
installé dans une pièce de son foyer ou dans un lieu public. Il y a une grande diversité
d’usages. Comme le mentionne B. Patino, il faut croiser ces trois facteurs : écran, lieu
et contexte pour définir la nature de l’expérience vécue par le spectateur.
Il devient de plus en plus difficile d’imaginer qu’un programme conçu pour une chaîne
de télévision puisse à lui seul, sans modification, couvrir tous les usages. Tant que
l’on reste sur l’écran de télévision pour la diffusion (Hertzien, satellite, cassette Vidéo,
DVD, VOD) cela peut fonctionner. Dès que l’on passe sur un autre type d’écran, il est
nécessaire de se poser la question du lieu et du contexte d’utilisation.
20
https://www.adobe.com/fr/marketing-cloud.html
Source Médiamétrie Home Devices Nov/Dec 2014
22
Source Médiamétrie/NetRatings 2014
21
Mai 2015
Tous droits réservés
L’enrichissement des contenus offerts aux téléspectateurs peut venir des moyens de
captation et de transfert des images, comme l’indique D. Fraisse. En effet, les
nouveaux dispositifs de captation permettent de baisser les coûts de production
d’images et/ou d’accroitre le nombre d’images du même « moment » sans multiplier
le nombre de cadreurs. On a vu comment les sports de plein air, notamment extrêmes,
ont multiplié le nombre de points de vue pour rendre le spectacle encore plus
impressionnant. Il en est de même pour le sport automobile ou le tennis.
Il est très facile de réaliser plusieurs versions d’un même contenu. De plus, les
dispositifs numériques de diffusion permettent d’utiliser simultanément plusieurs
canaux sur le même support ou des supports différents pour un même contenu.
Le consommateur a la possibilité de composer, à sa convenance, sa propre version du
contenu, en sélectionnant à chaque instant les images (angles, protagonistes, lieux
différents). La chaîne de télévision propose sur son écran la vision du réalisateur. Sur
les autres écrans, le téléspectateur peut pendant ou en dehors de la diffusion accéder
à un contenu plus vaste. C’est aujourd’hui possible pour des évènements sportifs, ce
sera généralisé pour tous les contenus. Le numérique offre une « ouverture » de
l’expérience consommateur.
L’accroissement de la capacité de diffusion des images de la chaîne vers ses
téléspectateurs permet ainsi facilement de proposer au téléspectateur un programme
dans différents formats. De même, la numérisation des moyens de production des
contenus permet d’associer au programme des contenus jusqu’alors non utilisés,
comme toute la recherche documentaire effectuée lors de la préparation du
programme.
Ensuite, le programme au sens large, c’est-à-dire multi-écran, sous toutes ses formes,
peut s’enrichir des contenus issus des téléspectateurs. Forums, débats, tchats
fournissent du texte et des images. Mais aujourd’hui, la qualité des images captées par
les équipements grand public (smartphone), permet de multiplier les sources vidéo en
ajoutant à celles générées par la production celles générées par les téléspectateurs.
Cet enrichissement de l’offre qui facilite l’individualisation de l’expérience peut
justifier une contrepartie financière et renforce le modèle payant.
4.1.4 Vers une segmentation des programmes
L’industrie du programme devrait tendre à une segmentation en trois catégories. A
cause d’une part, de la baisse du montant du financement par les éditeurs locaux
(chaînes nationales) sur un programme et d’autre part, de la mondialisation du marché
qui oblige les producteurs à une augmentation de la qualité.
Mai 2015
Tous droits réservés
43
Une première catégorie concerne les programmes de stock produits pour un marché
mondial. Sur un marché mondial et un financement par la vente des droits (en achat
ou surtout préachat) par un grand nombre d’éditeurs (cf. § 4.4 Financement de la
Production), ces productions disposeront du budget pour atteindre un haut niveau de
qualité. La part individuelle de chaque chaîne étant moindre que si elle finançait seule
le programme, celui-ci n’est pas contraint de viser, dans chaque pays, des
performances d’audience maximales et le public le plus large possible. C’est ainsi que
des séries mondiales arrivent à perdurer tout en ayant un positionnement bien précis
pas forcément sur un public très large, mais bien ciblé.
La deuxième catégorie concerne les contenus de flux évènementiels qui seront aussi
destinés au marché international, avec éventuellement des adaptations pour les
marchés domestiques mais produits en même temps par le même producteur. Cela
concerne les grands Talent Shows (The Voice, Star Academy, Nouvelle Star…), la
téléréalité (Big Brother) ou les jeux (Qui veut gagner des millions, Fort Boyard, Koh
Lanta..), les grands événements sportifs (JO, Football, F1…)
44
La dernière catégorie concerne les programmes dont la rentabilité doit être atteinte
quasi-exclusivement sur le marché national. Ce sont des contenus de flux pour la
Télévision d’accompagnement (tranches horaires hors prime-time, jeux, talkshow,
magazines de plateaux ….) destinés au marché domestique et qui vont connaître une
forte baisse de leurs coûts de production grâce à une rationalisation des méthodes de
production et l’apport des techniques numériques. On retrouvera ces programmes
dans des créneaux horaires ou sur des chaînes pour lesquelles les recettes associées à
leur diffusion « banalisée » n’ont pas le niveau suffisant pour équilibrer les coûts
actuels. Leur exploitation sur tous les supports sera encore plus nécessaire afin
d’accroître leurs possibilités de revenus.
L’évolution sera une « dédomestication » des contenus patrimoniaux et évènementiels
et une « low-costisation » des contenus d’accompagnement.
4.2 ORGANISATION DES DIFFUSEURS
Les chaînes de télévision françaises sont souvent structurées avec une entité gérant la
ou les chaînes diffusées, une entité pour les nouveaux médias, une entité pour les
produits et services dérivés du programme… Par exemple, France Télévisions dispose
pour chaque chaîne d’une structure verticale avec des responsables de programmes
regroupés par thématique. À côté de cette organisation par chaîne, se trouvent d’autres
structures. France Télévisions Distribution se charge entre autres des produits édités
(DVD, livres, …) et de la vente de licences. On retrouve une structure verticale avec
des responsables par ligne de produits. Idem pour France Télévisions Edition
Numérique. Chaque responsable d’un secteur est évalué sur les résultats de son secteur
Mai 2015
Tous droits réservés
d’activité. Chaque projet doit répondre à ses KPI23 pour obtenir une bonne évaluation.
Si un projet n’est pas rentable, il peut tout à fait refuser de le développer.
Imaginons un projet de magazine de vie quotidienne, par exemple de cuisine. Le
programme est conçu pour que les téléspectateurs puissent non seulement retrouver
les recettes du jour mais également proposer les leurs et interagir avec le programme.
La rubrique inédite est « Faites voir votre marché ». Chaque jour, avec son téléphone,
un téléspectateur filme son marché du jour et propose sa recette. Le film et sa recette
sont présentés à l’antenne. L’édition prend tout de suite, les livres et DVD de recettes
de cuisine peuvent bénéficier pleinement de la promotion apportée par l’émission pour
très bien se vendre. Le site Web lui aussi pourra proposer aux téléspectateurs de
retrouver les recettes filmées, ainsi que les marchés des téléspectateurs. Il peut faire
un lien avec des services de courses à domicile.
45
Seul problème, le responsable des applis mobiles n’a plus de budget et de toute
manière ne croit pas au projet. Même si l’antenne propose de payer le développement,
il ne veut pas mettre de ressources humaines à suivre le site. Il préfère mettre tout son
budget et ses moyens sur les applications qui ramènent le plus de trafic.
C’est une situation classique, rencontrée fréquemment. Un projet transversal se
retrouve bloqué par des responsables verticaux dont l’intérêt et la performance globale
du projet n’est pas en alignement avec leurs objectifs individuels. B. Patino et N.
Tavernost ont beau avoir cette vision globale, affirmer qu’ils assurent la cohérence
23
Key Performance Indicators, les indicateurs clefs de performance (ICP)
Mai 2015
Tous droits réservés
transversale des projets, l’organisation des chaînes s’oppose frontalement au
développement de projets transversaux dont la performance globale vient de la
synergie entre les différents produits et services. Chacun de ces éléments concourt à
la performance de l’ensemble. Certains de ces éléments peuvent ne pas être rentables
individuellement mais ils concourent à la rentabilité globale du projet. Ne pas le faire
peut affaiblir tout l’ensemble, voire le rendre inopérant.
En 1996, BBC Education a pris une décision importante. BBC Education produit des
émissions de télévision et tous les compléments pédagogiques destinés soit au
téléspectateur, soit à l’Éducation. Tous les TV Producers et les éditeurs de produits
« dérivés » ont disparu. A la place, le Producer, un responsable unique ayant le budget
et la responsabilité de produire tous les éléments d’un programme. L’intérêt est
double. D’une part, il permet d’avoir
une vraie création crossmédia dans
laquelle le Producer peut faire les
arbitrages entre les différents
éléments du projet et d’autre part, un
seul compte d’exploitation.
46
Si elles veulent pouvoir créer des
programmes répondant aux nouveaux
usages multi-écran et élargir ainsi les
possibilités de revenus, il est
indispensable que les chaînes
dissocient les activités de création de
programme
qui
doivent
être
transversales des activités de
diffusion.
Cela implique une organisation par
thématiques éditoriales (par exemple
Magazines, Documentaires, Jeux)
dans laquelle chaque Responsable de
programme a le budget pour produire
tous les éléments du programme
crossmédia. La médiation avec le public est assurée par les entités en charge chacune
d’un mode de diffusion : chaîne, site Web, vente de DVD… Cela changera peu au
sein des chaînes. L’antenne et les programmes sont déjà souvent dissociés. Le
changement le plus important concerne les responsables de programmes qui vont
devoir passer de professionnels TV à professionnels multi-écran. Les Anglais ont
réussi à le faire, avec une reconnaissance mondiale de la qualité de leur production.
Les Français devraient bien pouvoir y arriver.
Mai 2015
Tous droits réservés
4.3 RÉPARTITION DES RÔLES ENTRE LE PRODUCTEUR
ET L’ÉDITEUR
Actuellement, la rencontre entre le public et un programme 24 original, la mise à
l’antenne d’un nouveau programme, s’organisent classiquement selon le
processus suivant:








Analyse des adaptations de la grille de programmes par l’éditeur au vu du
comportement du public25,
Conception de nouveaux concepts de programmes par le producteur,
Rencontres régulières26 entre les producteurs et les éditeurs pour confronter les
besoins de l’éditeur pour satisfaire les attentes supposées de son public-cible et
les nouvelles créations du producteur,
Sélection d’un nouveau programme et accord sur les choix artistiques 27 , le
budget (apport de l’éditeur), les modalités de production (nombre d’émissions,
fréquence, calendrier de livraison),
Points d’avancement réguliers entre les deux parties pour s’assurer que le
« produit livré » correspondra bien au « produit attendu », avec décisions
d’adaptation si besoin en fonction des changements rencontrés par rapport aux
conditions initiales,
Conception et mise en place de la politique de promotion du nouveau programme
par l’éditeur, avec éventuellement commande au producteur des modules
nécessaires à cette promotion28,
Lancement du programme
Diffusion régulière et adaptation du programme, voire de la case de
programmation, en fonction des résultats.
24
Nous parlons encore de programmes pour décrire la situation actuelle, car pour toute nouvelle
expérience audiovisuelle il est d’abord discuté de sa forme télévisuelle qui est toujours sa
principale exposition
25
Comportement connu encore principalement grâce aux audiences, mais aussi les réseaux
sociaux voire les analyses qualitatives
26
Il est vital de se voir régulièrement, car les attentes des éditeurs évoluent et la créativité ne
s’enferme pas dans un calendrier. Les Américains ont un calendrier formel, mais en France,
même si la grille de rentrée constitue une étape sacralisée, les évolutions sont devenues
permanentes en fonction de l’efficience des grilles et de l’imagination des producteurs.
27
Parmi les choix artistiques, si un dispositif digital est associé à la mécanique du programme,
c’est à cette étape qu’il sera élaboré et décidé
28
S’il a été conçu une promotion « digitale » avec des modules spécifiques pour le site et l’appli
de l’éditeur, voire la création d’un site ou une appli dédiée, c’est à cette étape que l’éditeur définit
ses besoins au producteur pour leur alimentation.
Mai 2015
Tous droits réservés
47
En général, l’éditeur acquiert uniquement des droits de diffusion, dont la durée de vie
est limitée; le producteur « donne vie » au concept, il en est le propriétaire et considère
donc qu’il a toute capacité à exploiter toutes les formes de contact entre ce concept et
le consommateur autre que l’exposition télévisuelle. De plus, il exploite les droits du
concept pour toute exploitation sur d’autres territoires, tant sous la forme diffusée en
France que pour les adaptations, ainsi que tous les droits dérivés.
Mais l’éditeur considère que le programme n’existe auprès du public que par sa
diffusion via sa grille des programmes et que toutes les autres formes de contact entre
le concept et le public ne sont que des relations dérivées de cette relation principale
dont il détient les droits29.
48
Au vu de ces positions divergentes, l’exploitation du concept dans l’univers
numérique a donc donné lieu à des accords différents en fonction des relations entre
l’éditeur, le producteur et selon le programme. Actuellement, seule l’exploitation des
droits de rediffusions en différé pendant les 7 jours suivant la 1ère diffusion à l’antenne
par l’éditeur semble appliquée pour tous les programmes 30 . En revanche, les
exploitations ultérieures, sous toutes plateformes et sites en mode gratuit ou mode
payant, sous forme intégrale identique à la diffusion sur la chaîne, ou sous forme
d’extraits ou de formes dérivées, voire de bonus, le financement de ces utilisations et
de la production de modules adaptés à une promotion digitale sur un site et/ou une
appli par l’éditeur, ou par le producteur … sont l’objet de négociations spécifiques à
chaque fois , comme le rappelle L. Recayte, et souvent très tendues entre les parties
surtout si le programme est un succès d’audience et qu’il semble pouvoir être
générateur de recettes associées prometteuses.
Il en résulte que le producteur peut être en contact direct avec le consommateur pour
certaines exploitations du concept, ou qu’il en a confié la prestation à un tiers. C’est
un métier différent de son savoir-faire originel: la coordination de tous les moyens
(artistiques, techniques et financiers) nécessaires à la matérialisation d’une histoire/
concept.
Le succès, notamment économique, de certaines exploitations peut provoquer, parfois,
des choix qui sont préjudiciables au succès d’audience du programme 31. Il y a alors
des causes de tension entre l’éditeur qui considère que le producteur, qui est son
fournisseur, devient son concurrent, ou favorise un concurrent, dans l’exploitation de
la relation du concept avec le consommateur final. Ce débat est notamment d’actualité
29
Au moins pendant la période de la fenêtre de diffusion
Sauf les films de cinéma, mais il ne s’agit pas d’accord producteur-éditeur pour un programme
original mais d’accord distributeur-éditeur pour l’exploitation d’un programme de catalogue
31
Par exemple, la révélation de « secrets » nécessaires à l’attractivité de la diffusion sous forme
de gains pour des jeux digitaux ou la diffusion payante en avant-première.
30
Mai 2015
Tous droits réservés
autour de la diffusion des programmes sur YouTube : chronologie, forme,
rémunération éventuelle …
Mais, de plus en plus, l’éditeur considère que toute la relation entre le public et le
programme, sous toutes ses formes, est de sa responsabilité car elle participe à
l’expérience audiovisuelle globale du consommateur. De plus, il considère que la
gestion des attentes du public-cible est le cœur de son savoir-faire, voire sa raison
d’être.
Pour l’éditeur, la gestion par le producteur de toutes les exploitations publiques hors
diffusion sur le téléviseur est considérée comme une intrusion sur son domaine et
relève d’un nouveau métier, comme lorsque le producteur assure la distribution de son
catalogue. La distribution des programmes est sujette à débat entre les deux parties ;
elle ne relève pas à proprement parler du cœur de compétence de l’un ou de l’autre,
mais de celui d’un autre acteur : le distributeur de programmes audiovisuels. La
distribution de programmes est du BtoB, les exploitations vers le public sont du BtoC.
Aussi, dans une clarification du rôle de chacun, nous pouvons imaginer que la
répartition des rôles pourrait se structurer autour de la notion de BtoB et BtoC.
Tout ce qui relève du BtoB, notamment la fabrication/production de l’expérience
audiovisuelle dans son intégralité sous toutes les formes32 et tous les supports, est LE
savoir-faire du producteur et de sa responsabilité. Tout ce qui relève du BtoC, c’està-dire qui repose sur une parfaite connaissance du consommateur final et de ses
attentes/besoins quelle que soit son implication dans l’expérience audiovisuelle,
notamment financière, est LE savoir-faire de l’éditeur et de sa responsabilité33.
4.4 FINANCEMENT DE LA PRODUCTION : MOINS PAR
PLUS
Jusqu’à présent, l’apport de l’éditeur primo-diffuseur, généralement gratuit, était le
principal financement de la production originale inédite, complété selon les types de
32
Bien sûr l’émission télévisée elle-même, mais tous les modules, extraits, bonus pour diffusion
sur les plateformes numériques ainsi que les jeux spécifiques voire les sites et appli s’ils sont
exclusifs pour le concept. Le producteur peut, s’il le souhaite, sous-traiter à des prestataires tiers
la fabrication de ces éléments; ceux-ci peuvent être filiales du groupe audiovisuel auquel
appartient l’éditeur, mais cela est du domaine de la négociation commerciale et ne constitue pas
un transfert à l’éditeur lui-même de cette prestation.
33
Dans ce sens, tout le marketing programme et la promotion vers le consommateur final, les
bandes-annonces et tous les modules d’autopromotion sur toutes les plateformes sont de sa
responsabilité.
Mai 2015
Tous droits réservés
49
programmes d’autres diffuseurs nationaux et/ou de recettes de distribution à
l’international.
La fragmentation des audiences en journée et la baisse en soirée pour la majorité des
programmes proposés par les chaînes historiques, entraîne une baisse des recettes
correspondantes et de l’investissement financier dans les programmes originaux,
comme l’exprime L. Recayte. Même si une mutualisation des investissements pour
des chaînes filiales d’un même groupe permet de limiter cette baisse, les producteurs
sont quand même confrontés à une demande moindre en nouveaux contenus et moins
bien financés.
Comme nous l’avons vu précédemment, même si les dispositifs numériques
permettent une relative baisse des coûts, comme le contenu est multiforme, son coût
global ne diminue pas réellement.
50
Le client naturel du producteur est l’éditeur. Nous considérons, comme nous l’avons
exposé dans le paragraphe sur l’organisation du secteur, que le producteur ne cherche
pas à être directement en contact avec le consommateur final. Même si c’était le cas
dans une logique de croissance d’un groupe, cela resterait deux fonctions différentes,
une tournée vers le consommateur, l’autre vers l’auteur. Aussi, le producteur doit
satisfaire à ses besoins de financement en « vendant » son contenu à plusieurs
d’éditeurs, avec moins de financement par chacun.
Comme nous l’avons exposé précédemment, l’exclusivité d’un contenu qui peut être
proposé sous de multiples formes au consommateur est fondamentale pour l’éditeur.
Aussi, le producteur n’a pas intérêt à multiplier sur un même territoire le nombre de
plateformes en tronçonnant les droits de diffusion. Le consommateur qui associe une
marque-contenu à une marque-éditeur ne comprendrait pas sa disparition de l’offre au
bout d’une certaine période, ainsi que son indisponibilité via tous modes de
consommation. En permettant à l’éditeur de maximiser l’exploitation du contenu, il
lui permet d’optimiser sa recette et obtenir une meilleure rémunération de cette
exclusivité.
Le producteur ne peut se contenter d’une exploitation nationale de son contenu et doit
contracter avec d’autres territoires, comme l’explique L. Recayte. Il y a donc un
mouvement inéluctable vers l’internationalisation de l’exploitation des contenus. Ce
qui est la règle depuis de nombreuses années pour les producteurs d’animation va
devenir la règle pour tous les genres audiovisuels. À noter qu’il n’est pas nécessaire
de contracter avec de « grands » éditeurs dont les objectifs d’audience sont élevés; il
Mai 2015
Tous droits réservés
peut être plus facile de contracter avec des « petits » éditeurs qui connaissent bien leur
public et qui optimisent la diffusion en multipliant le nombre de territoires34.
Si la mondialisation/globalisation s’appliquait aussi à l’édition audiovisuelle, ce
dispositif serait inadapté puisque l’exploitation d’un contenu sur une plateforme et
son exclusivité seraient mondiales. On peut augurer alors que le potentiel de
consommation serait tel que la plateforme assurerait l’intégralité du financement du
contenu avec une marge pour le producteur.
On peut augurer aussi que dans le court terme ce ne sera pas le cas, même si un des
GAFA a une stratégie mondiale avec un dispositif universel et acquiert tous les droits
d’exploitation mondiale.
4.5 EN CONCLUSION
Si les moyens existent déjà et commencent à être utilisés, tant pour réduire les coûts
de production, que pour générer de nouveaux contenus, compte tenu du poids des
outils existants et des habitudes de travail, ce n’est que progressivement, à l’occasion
du renouvellement du parc de matériel, de nouveaux formats, voire d’une nouvelle
génération de professionnels avec un autre regard, inspirés par d’autres univers et sous
la pression de contraintes économiques, que les changements seront réellement
visibles pour le consommateur final.
Cependant, comme toujours dans ce secteur, on peut aussi imaginer qu’un nouveau
format, voire un nouveau genre de programmes apparaitra à court terme, porté par la
volonté de l’un des acteurs de se démarquer, de « casser les codes », d’oser proposer
une nouvelle expérience et de nouvelles émotions au public, comme l’a été la
Téléréalité au début des années 2000.
34
La série Mad Men est le parfait exemple de cette stratégie. Elle a une forte notoriété et est
diffusée dans de nombreux pays sans jamais réaliser, y compris sur AMC aux États-Unis, de
fortes audiences.
Mai 2015
Tous droits réservés
51
5 UN PEU DE PROSPECTIVE
Le numérique bouleverse l’édition audiovisuelle :



au niveau des usages, en offrant au « consommateur » l’opportunité de rentrer en
contact avec les contenus audiovisuels via une infinité de plateformes, en mode
linéaire (streaming) et non linéaire, sur tous les supports,
au niveau du contenu, en proposant au « consommateur » une offre multiforme
et multisupport de prestations enrichies, multiples, synchrones et asynchrones,
au niveau de la création des contenus, en offrant de nouveaux outils et process
pour la production, novateurs dans la forme, voire la créativité, pour la
fabrication à proprement parler en réduisant le temps nécessaire à la captation et
l’édition des images, dans la diversité des contenus en permettant de générer
plusieurs contenus audiovisuels pour un même évènement/concept.
Pour le consommateur, l’offre actuelle est plus riche sur le plan des contenus, parfois
trop35, disponible sur tous les écrans et à tout moment. Il n’y a plus aucune limite ni
aucune contrainte, si ce n’est économique, à la rencontre entre une « histoire » et le
« public »36 .
52
Nous passons d’un usage où la rencontre d’une histoire avec le public se limitait à un
programme monolithique, proposé à un instant T sur un canal de télévision diffusé sur
une seule plateforme (diffusion hertzienne) sur un seul écran, à une déclinaison de
cette histoire sous diverses formes, chacune étant disponible ensemble ou séparément,
à tout moment, sur tous les écrans.
Cependant, face à cette offre, le consommateur a tendance à rechercher la simplicité
et l’efficacité du mode préhistorique et, force est de constater, que ce mode archaïque
demeure le plus consommé aujourd’hui encore. Cependant les audiences de ce mode
sont, aujourd’hui, très inférieures à celles de quelques années sauf pour des
évènements exceptionnels (Super Bowl, Concert des Enfoirés, Finale de la coupe du
monde de football …).
35
Autour d’un contenu il y a tellement de services, app, sites … proposés que le phénomène
rappelle les offres bonus sur les premiers DVD où le nombre d’heures correspondant pouvait
être dix fois supérieur au film lui-même.
36 Ces deux dénominations ne sont plus vraiment adaptées à la nouvelle expérience
audiovisuelle. Doit-on parler de public, de consommateur, de client ? Client de quoi ? Plateforme
ou service ? Doit-on parler de contenu (mais il y en a plusieurs autour d’une même
histoire/évènement/concept), d’expérience (mais le caractère informatif et éducatif sont-ils
cohérents avec ce terme) ? Peut-on considérer que toute consommation/contact d’une expérience
audiovisuelle sont générateurs d’émotions et que c’est le fondement de l’acte volontaire de
l’individu ?
Mai 2015
Tous droits réservés
La multiplication des prestations associées à un concept est inéluctable car le
consommateur ne se satisfait plus d’une unique proposition d’une simple histoire
monoforme et demande des contenus enrichis, même s’il n’en consomme aucun, ou,
plus généralement, n’en consomme que quelques-uns et surtout sur une courte durée.
Comme l’objectif de cette nouvelle offre est de permettre l’individualisation de
l’expérience par chacun, le rejet d’une consommation audiovisuelle de masse, cela
nécessite une offre très large pour que chacun puisse se « composer » son propre
contenu à partir de toutes les composantes mais le résultat est une faible
consommation de chacune des prestations associées.
Cette offre enrichie augmente le coût de production du contenu. Comme cette offre
enrichie est devenue un Tout et que le consommateur ne considère pas chaque
prestation séparément, le modèle économique doit permettre le financement de ces
surcoûts par rapport à l’offre antérieure sans rémunération supplémentaire associée à
ces nouvelles prestations.
5.1 DE LA CHAÎNE DE TÉLÉVISION À LA PLATEFORME
AUDIOVISUELLE
53
5.1.1 Organisation du secteur audiovisuel
Les nouveaux usages ont formalisé un nouvel acteur dans la relation entre l’histoire
et le public par rapport au modèle préhistorique : la plateforme de diffusion.
Aujourd’hui, l’individu qui a envie à un instant T de consommer un contenu
audiovisuel sur l’écran adapté à son état actuel (lieu, disponibilité …) a toujours une
plateforme qui lui apporte cette prestation. Cette plateforme est indispensable à la
consommation du media.
Les caractéristiques d’une plateforme sont triples :

technique : justification originelle de son apparition,
support(s)
service(s)

éditoriale :
catalogue
prescription

économique :
coût.
Mai 2015
Tous droits réservés
Le temps où le volume d’un catalogue proposé avec un outil élémentaire de recherche
suffisait pour justifier un abonnement élevé est révolu.
Le consommateur actuel de contenu audiovisuel veut, en échange d’une contrepartie
financière directe ou non, satisfaire un besoin, essentiellement de loisirs, par l’usage
d’une expérience audiovisuelle, déjà connue, ou pas, précédemment à cet acte, sous
une forme multiple, sur un ou plusieurs supports en même temps.
Les plateformes ne sont pas apparues récemment. La forme la plus archaïque est la
Télévision traditionnelle, gratuite ou payante. La Télévision payante couplée à la
diffusion satellitaire a provoqué la création des plateformes satellitaires, première
expression de la concurrence sur une offre éditoriale avec la mise en évidence de
l’attractivité des marques-média.
54
Mais c’est avec l’arrivée des FAI sur le marché de la diffusion des chaînes de
télévision que la notion de plateforme est vraiment apparue. L’offre d’autres services
étant consubstantielle à ses opérateurs, il était naturel que les chaînes de télévision ne
soient qu’une des prestations proposées. Grâce aux terminaux à disque dur et
l’intégration du tuner de télévision au sein d’un ordinateur, l’édition non-linéaire, avec
notamment le visionnage en catch-up/replay et une image de qualité supérieure grâce
à la diffusion technique numérique, a introduit la notion de multiservice.
En parallèle, la diffusion de vidéos via Internet sur les sites dédiés de partage de vidéos
puis au sein des sites traditionnels a permis le développement de l’édition non-linéaire
et le visionnage sur d’autres supports que le téléviseur ; d’abord l’écran d’ordinateur
(puisque connecté à Internet contrairement au téléviseur) puis avec le développement
de l’Internet mobile, le smartphone et la tablette apparue en 2010.
Enfin, la Télévision connectée qui permet au téléviseur/écran de télévision de
rejoindre Internet a parachevé la mise en place d’un système où Internet offre la
possibilité de diffuser toutes les images mais aussi tout dispositif sur tous les écrans
en position fixe comme en mobilité.
La fusion de tous les dispositifs amène donc à repenser la fonction d’édition
audiovisuelle. En effet, s’il n’y a plus de contraintes techniques qui créent des limites
structurelles des modes de diffusion et des supports, comment va s’organiser la
relation entre les « histoires » et le « public » ?
Même si les origines sont différentes, reposant sur le métier historique des acteurs,
chacun peut, aujourd’hui, faire le métier de ses clients et de ses fournisseurs et se
développer verticalement au sein de la filière qui n’est pas cantonnée à l’audiovisuel.
La facilité avec laquelle aujourd’hui l’individu peut accéder à des contenus peut
laisser augurer d’une simplification de la filière.
Mai 2015
Tous droits réservés
Jusqu’au milieu des années 80, a perduré le modèle simple des débuts, où les fonctions
de production et diffusion étaient intégrées dans une même structure37.
Avec l’arrivée des chaînes commerciales, la filière s’est structurée en amont avec la
relation « auteur-producteur-distributeur de programmes-éditeur (linéaire/nonlinéaire). Avec les chaînes payantes et la présence de plusieurs opérateurs
commerciaux associés à des technologies différentes, dont certaines permettent une
voie de retour 38 , de nouveaux acteurs ont pris place en aval entre l’éditeur et le
public selon deux axes :
commercial: distributeur de chaînes de télévision (bouquet)- plateforme
commerciale
technique ; opérateur technique (multiplex, tête de réseau) – transport diffuseur local.
Nous allons évoluer vers un modèle plus simple : « auteur-producteur-éditeurplateforme-consommateur ».
37
Même si en 1975, à la scission de l’ORTF les trois sociétés de programmes regroupent la
Diffusion et la SFP la Production, on ne peut considérer qu’en monopole public, des sociétés
publiques soient des acteurs économiques autonomes. La logique de ce modèle a perduré jusqu’à
l’arrivée des chaînes commerciales.
38
Elle permet le développement de la social TV avec une réaction du public immédiate ou
postérieure à la diffusion, sous diverses formes.
Mai 2015
Tous droits réservés
55
Les rôles de chacun étant :
Auteur : création d’univers ;
Producteur : mise en forme multiple (multiforme) des univers ;
Éditeur: prescription/recommandation des univers ;
Plateforme : offre de services multiples (support).
5.1.2 Valeur ajoutée de la plateforme : la prescription
56
Quand les plateformes historiques se distinguaient par des dispositifs techniques
différents, la qualité et la facilité d’installation de ces derniers étaient des facteurs
différenciants. Aujourd’hui, ou à très court terme, le dispositif technique est le même
pour toutes les plateformes, c’est-à-dire Internet (ou protocole IP), le nombre
d’acteurs s’élargit et le caractère différenciant des offres ne repose que sur la qualité
éditoriale.
Cette qualité éditoriale ne peut se réduire à une offre large de contenus accompagnée
d’outils de sélection sous forme de moteurs de recherche multicritères. En effet, le
consommateur a un double objectif, quantitatif et qualitatif : optimiser son temps de
loisirs disponible et passer le meilleur moment possible. La simple réplication
d’émotions déjà rencontrées ne peut être satisfaisante car la lassitude et l’absence de
surprise finiront par détruire toute émotion. Aussi, dans cette relation la surprise et la
découverte d’univers nouveaux jouent un rôle majeur. La découverte au hasard est
une prise de risque importante et nécessite un investissement temps lourd. Aussi le
consommateur a besoin d’être assisté dans sa quête de découverte et de nouvelles
émotions.
La prescription-recommandation est la qualité principale d’une plateforme voire son
patrimoine.
C’était le rôle naturel des chaînes de télévision qui proposaient des programmes avec
un ordonnancement sous forme de grilles qui traduisaient leur compréhension des
attentes de « leurs » téléspectateurs (elles s’adressaient à un public donné et pas à tous
les publics en même temps) à un instant T ; elles avaient construit une relation de
confiance avec le téléspectateur fondée sur leur réussite à satisfaire ses attentes et en
Mai 2015
Tous droits réservés
retour le téléspectateur « suivait » leurs « recommandations ». « Suivre » ne veut pas
dire « s’obliger à » et dans le cas où le programme n’était pas conforme à son objectif
de découverte et d’émotions, le téléspectateur ne manquait pas de zapper. Mais le
téléspectateur avait un a priori positif, tant qu’il trouvait son bonheur dans l’offre de
nouveaux programmes.
Dans l’univers numérique, cette relation de confiance avec les consommateurs peut
se construire par l’algorithmique et les réseaux sociaux 39 . L’algorithmique est
l’exploitation d’un maximum de données sur le consommateur40 et son comportement
pour identifier ses attentes à l’instant T et lui faire une offre conforme à ces derniers ;
on peut considérer que c’est l’approche empirique des programmateurs de la
Télévision traditionnelle poussée à son stade ultime grâce à la puissance du
numérique. La confiance se gagnera par la qualité de cette recommandation. Les
réseaux sociaux apportent la « touche » humaine à cette recommandation : si mes
amis ont regardé ou aimé tel ou tel univers, il devrait aussi me plaire. La combinaison
des deux approches, sachant que l’algorithmique permet d’enrichir la base de
connaissances sur le consommateur, est le fondement de la fonction prescription de la
plateforme.
La réussite de cette fonction nécessite la collecte et le traitement d’un nombre colossal
de données. Les Big Data sont le fondement de cette approche, de l’évolution de ce
métier.
Il est impératif pour la survie des chaînes de télévision et des producteurs qui leur
fournissent des programmes, de faire sortir le téléspectateur de l’anonymat. Le
passage à la Télévision filaire le permet encore faut-il que les chaînes et des
producteurs aient adapté leur offre de programmes et les services associés
À noter que le rôle de la plateforme étant de créer le lien entre une expérience
(marque-programme) et le consommateur, et son patrimoine étant la confiance que lui
accorde ce dernier, son nom (marque média) apparaît comme un paramètre majeur.
Ceci explique que dans le combat que se livrent actuellement éditeurs, (notamment
les groupes historiques de chaînes de télévision) et plateformes, issus de tous les
horizons du numérique, pour leur développement vertical au sein de la filière, chacun
cherche à valoriser au maximum la confiance actuelle du consommateur sur le
domaine de compétence où il est reconnu, pour attirer le chaland dans l’autre domaine
39
Télévision de recommandation vs. Télévision de programmation, construite sur l’offre d’un
programmateur (cf. entretien B. Patino)
40
Le consommateur n’est pas un individu unique, comme un téléspectateur appartient à
plusieurs cibles en Télévision, l’individu correspond à différents profils qui lui sont rattachés :
le même individu selon le jour ou le moment de la journée, la période de l’année, voire la
localisation géographique et la météo est autant de consommateurs différents. De même qu’un
couple ou une famille consommant en même temps est un autre profil auquel est rattaché
l’individu.
Mai 2015
Tous droits réservés
57
(par exemple, 6play pour le groupe M6, MyTF1 pour le groupe TF1, House of cards
pour Netflix , 301 Vues pour melty).
À noter qu’aujourd’hui il y a une corrélation entre le type de plateforme et le format
des contenus recommandés. Les acteurs d’univers Internet (CCM Benchmark, melty)
ne proposent que des formats courts (2/3 minutes) et imaginent que leur modèle
pourrait aussi s’appliquer aux formats longs proposés par les plateformes de VOD.
Les acteurs de la Télévision, bien sûr proposent en replay des programmes longs et
s’aventurent avec des programmes courts sur YouTube (M6 et Golden Moustache,
Canal+ et Studio Bagel). Ils traduisent bien l’impact du support sur le type de
programmes attendus par le consommateur. Il y a aussi l’offre du même
programme/contenu, éventuellement sous des formes différentes selon les supports et
les plateformes.
Cependant, M6 avec la création de chaînes spécifiques sur 6Play (Sixième Style,
Crazy Kitchen, Stories, Comic) qui proposent par thématiques des programmes en
version intégrale ou des extraits, avec parfois des programmes de marques et sponsors
intégrés et des renvois aux sites et réseau sociaux, tente un mélange des genres sur
une « même » plateforme.
58
5.1.3 Évolution de l’édition audiovisuelle
Nous pouvons augurer qu’à terme le métier d’éditeur sera intégré à la plateforme.
Parmi l’offre de services, figureront des offres de streaming qui seront les héritières
des chaînes de télévision et qui satisferont des attentes des consommateurs qui auront
décidé de redevenir des téléspectateurs à cet instant, même si l’on peut imaginer que
leur nombre instantané continuera à baisser jusqu’à un certain niveau qui correspond
aux consommateurs qui ont envie de se « laisser porter » par un flux d’images.
À court terme, on peut prévoir que les mouvements de rapprochement des deux
secteurs vont s’accélérer, voire, au vu de la puissance financière des plateformes, que
les groupes d’édition vont s’intégrer dans les groupes des plateformes qui souhaiteront
capitaliser sur ces marques-média.
En revanche, il y a peu de chances pour que les groupes de producteurs, au moins dans
le court et moyen terme, cherchent à devenir éditeurs. La valeur ajoutée du producteur
n’est pas la connaissance des attentes du consommateur final mais sa compétence à
transformer un univers créatif en contenu. D’autant que son évolution métier à court
terme est la déclinaison de cet univers sous de multiples formes et pas uniquement un
programme audiovisuel, qui ont vocation à être consommées en mode synchrone ou
asynchrone, et qui font appel à des talents différents des talents actuels de la
profession. Leur fonction est le développement et la qualité de la marque-programme
(marque-univers).
Mai 2015
Tous droits réservés
Mais considérant que le contenu est la matière première du secteur, les éditeursplateformes, surtout s’ils disposent de capitaux importants, chercheront sûrement à
intégrer les producteurs dans leurs groupes comme ils voudront intégrer les éditeurs
historiques.
Une des limites à cette intégration est la consanguinité. La créativité demeure tant
qu’il y a mise en concurrence et qu’un producteur n’est pas assuré de « vendre » ses
contenus à un éditeur-plateforme du groupe. Et inversement, un éditeur-plateforme
doit conserver la possibilité de proposer à ses clients des contenus qui correspondent
à leurs attentes sans être obligé de ne prescrire que ceux produits dans son groupe.
Cependant, on peut imaginer que, si la connaissance des consommateurs par les
éditeurs-plateformes devient très sophistiquée, ils auront la capacité à créer le lien
entre tout contenu et le consommateur. La question sera alors d’identifier le potentiel
économique de ce contenu et de s’assurer qu’il couvre bien les coûts de production au
sens large.
5.1.4 Les risques des choix technologiques au sein des
chaînes
L’un des problèmes qui apparaît avec l’évolution numérique est la composante
technique qui entre dans la création d’un programme multi-écran. Un service de VOD,
un site Internet, une App mobile, la synchronisation entre TV et deuxième écran sont
des applications informatiques. Il faut scinder ces applications en deux catégories, les
applications qui peuvent impacter la nature du contenu et celles qui ne l’impactent
pas.
Dans une logique industrielle bien compréhensible, les services techniques des
départements numériques des chaînes cherchent à mutualiser les développements
informatiques sur plusieurs programmes. Ainsi le coût unitaire pour chaque
programme sera réduit si l’investissement du développement est réparti sur plusieurs
émissions. Ces services se créent des bibliothèques de logiciels qui sont utilisés pour
développer les services associés à une émission.
Il serait incohérent par exemple de ne pas choisir un système de synchronisation entre
TV et 2ème écran identique pour tous les programmes. La chaîne acquièrt une licence
pour l’utilisation par tous ces programmes et de ce fait l’utilisateur n’a pas à
expérimenter une façon de se synchroniser différente à chaque émission. Ce qui est
vrai pour ce type d’outil ne s’avère pas pertinent pour d’autres.
Par exemple, certains services techniques ont fait des choix de modules qui s’imposent
pour le développement d’un projet et il n’est pas possible d’en sortir. Cette approche
limite de fait la capacité de créer un service totalement adapté à l’écriture interactive
Mai 2015
Tous droits réservés
59
du programme. C’est ainsi qu’on a pu voir des émissions dont le concept est très
innovant dans l’interactivité se retrouver avec comme application Internet, une simple
page Facebook, pas du tout adaptée au besoin de l’émission.
Il faut donc trouver un juste équilibre entre vision industrielle et travail artisanal.
Certains services et certaines applications peuvent être mutualisés. Mais pour garantir
une totale performance du programme multi-écran, il faut laisser un degré de liberté
à la création et ne pas trop la limiter par des choix technologiques prédéfinis.
60
Mai 2015
Tous droits réservés
6 CONCLUSION
Le numérique modifie déjà la relation avec le public dans sa consommation enrichie
de l’ensemble de l’expérience audiovisuelle proposée par l’éditeur. Même si les
volumes de consommation connexe (complémentaire, synchrone ou asynchrone sur
d’autres supports) et différée (tous supports) sont et resteront sûrement minoritaires
par rapport au visionnage passif « en direct »41, il est certain qu’ils vont croître et
l’usage va se banaliser à l’ensemble du public, toutes tranches d’âges confondues42.
L’édition linéaire mass-média ne va pas être remplacée par une myriade de media de
niche. Son modèle économique devrait reposer encore majoritairement sur une
approche de type GRP mais enrichie de tous les apports des Big Data qui vont
permettre une meilleure efficacité 43 de l’investissement publicitaire. Les Big Data
vont, sans nul doute, changer profondément un grand nombre de secteurs
économiques et la relation avec les consommateurs, mais le temps d’apprentissage
dans l’organisation de leur collecte, des traitements et de leur banalisation et les coûts
associés ne vont pas tout bouleverser dans un avenir proche. Des modèles
économiques relatifs aux consommations connexes vont s’organiser progressivement
avec une diversité de recettes, reposant sur la réalité des volumes de chaque mode et
de leur acceptation par le consommateur final.
Le numérique impacte le contenu lui-même de l’expérience audiovisuelle proposée
par les éditeurs-plateformes. Il permet d’enrichir l’expérience et de baisser les coûts.
Il ne manquera pas de permettre prochainement l’émergence de nouveaux contenus,
concepts, formats, proposés par de nouveaux talents qui « inventeront » une nouvelle
écriture audiovisuelle numérique.
La répartition actuelle des rôles entre producteurs, éditeurs et distributeurs de services
audiovisuels est encore très marquée par le poids de l’histoire, somme toute récente,
de l’audiovisuel44. La réalité économique sur les recettes relatives au comportement
du consommateur final a déjà commencé à créer des tensions entre tous ces acteurs,
chacun essayant de préserver ses niveaux de recettes antérieures. Cependant, parce
qu’il modifie tant les contenus que leurs modes de consommation, le numérique doit
entraîner une clarification du rôle de chacun, reposant sur la meilleure exploitation de
41
Ce mode de consommation est encore le plus simple pour « occuper » les 3h40 quotidiennes
que les Français consacrent au loisir Télévision et satisfait au besoin grégaire élémentaire et de
partage social.
42 Les seniors sont très actifs et très présents sur Internet et maîtrisent parfaitement les nouvelles
technologies
43 Au sens de transformation d’un prospect en client car le message est arrivé exactement au
moment opportun qui correspond à ses besoins/son envie
44 30 ans depuis la fin du monopole public, 20 ans depuis le réel développement d’opérateurs de
bouquets de télévision payante, moins de 5 ans pour la télévision sociale
Mai 2015
Tous droits réservés
61
son savoir-faire et de la répartition efficace de la chaîne de valeur et des ressources
associées. L’heure n’est plus où le numérique pouvait être considéré comme une
activité connexe. Il est déjà partout dans la chaîne, entre les auteurs qui imaginent les
expériences et le public qui les « consomme », y compris la monétisation de ces
expériences. Il est temps d’adapter l’organisation des structures et de les repenser pour
un media global et non par supports différenciés, qui n’est pas la perception du
consommateur final.
62
Mai 2015
Tous droits réservés
63
Mai 2015
Tous droits réservés
INTERVIEWS
64
Les interviews sont présentées dans l’ordre alphabétique du nom de famille des
interviewés.
Mai 2015
Tous droits réservés
DIDIER FRAISSE
RÉALISATEUR
Didier Fraisse est un réalisateur français d’émissions de télévision. Il a notamment
mis en place et réalisé des jeux télévisés tels que Attention à la marche, Les 12 coups
de midi, Qui peut battre Castaldi ou Identity pour TF1 et de nombreuses émissions de
plateau allant de La Quotidienne de France 5 à Stade 2 ou Touche pas à mon poste sur
D8. En 2008, il réalise le Ribery show, première opération en France de brand content
et de cross media (télévision, radio et Internet) produite par Havas productions et
entièrement financée par Nike. Il a aussi mis en place l’émission Cult, diffusée sur
France 5, seule émission française à avoir reçu un Emmy Awards en 2006 pour son
interactivité. Il est également le concepteur de la mise en image des JO de Londres,
Pékin et Vancouver, dont la production des retransmissions des épreuves et des
magazines a été réalisée à Paris dans les locaux de France Télévisions et non sur place,
grâce à l’utilisation de la fibre optique entre Paris et le lieu de l’événement. Il a
également effectué la mise en image de l’évènement international sur l'innovation
numérique de référence, organisé à Paris, LE WEB.
Mai 2015
Tous droits réservés
65
En tant que réalisateur, vous êtes au cœur de la problématique de création de
contenu. Comment appréhendez-vous Internet ?
Pour moi, il y a deux mondes qui s’affrontent et tous deux ignorent qu’ils font partie
du même. Un contenu restera un contenu qu’il soit diffusé sur une tablette, un
smartphone, une télévision ou sur un site Internet. Quand je regarde mes ados, pour
eux la télévision est un meuble. C’est un écran au même titre qu’un smartphone est
un écran, que leur tablette est un écran et que leur ordinateur est un écran. Au-delà des
écrans, ce qui est important c’est le modèle économique qui va en résulter, les
habitudes de consommation qui émergent et les communautés qui se créent.
Aujourd’hui, la force sur le Web est dans la gestion, l’exploitation et la propriété des
Data. L’économie des Data est bien présente, elle existe et peut être très puissante.
Et vous pensez que cela peut financer la création de contenus audiovisuels ?
66
Oui si les chaînes intègrent ces nouveaux business model. Pour l’instant, les diffuseurs
le survolent avec du replay qui ne nécessite pas de s’identifier et commencent à
développer des communautés au travers de forums. Ils doivent aller beaucoup plus
loin. Si une chaîne généraliste crée, sur son site, une plateforme avec ses émissions et
ses animateurs clairement identifiés, elle peut récupérer des informations très précises
sur ce qui intéresse les internautes qui viennent sur leurs sites, en lien avec les
émissions qu’ils regardent. Plus ça va, plus les utilisateurs d’Internet sont disposés à
laisser directement ou indirectement de telles informations. On ne peut plus penser
seulement en termes de diffusion TV. Le monde de la Data offre un énorme potentiel
économique, chacun voudrait disposer du fichier de l’autre pour pouvoir bien cibler
sa communication. Et on constate que les méthodes de publicité évoluent dans ce
contexte. Soit les annonceurs vont devenir propriétaires d’espace programme, soit les
chaînes étendent leur offre d’audience à l’ensemble des moyens de diffusion.
Rappelez-vous lorsque la publicité a été interdite après 20 h sur France Télévisions
les annonceurs ont été face à deux possibilités. Soit ils reportaient le budget prévu sur
France Télévisions sur d’autres chaînes au risque de voir le prix de ces supports
augmenter face à l’accroissement de la demande, sans pour autant être certains de
toucher mieux leurs cibles, soit ils pouvaient reporter ces budgets sur le Net. Ce que
les annonceurs ont commencé à faire en comptant que le Digital pouvait être moins
cher et plus précis que la publicité à la Télévision et ce, grâce à la Data qui permet
soit de cibler des prospects en affinité avec le produit, soit de fidéliser des clients
utilisateurs de la marque. Par exemple, l’année dernière, j’ai confectionné des petits
programmes de recettes de cuisine avec Jean-François PIEGE, Impro en cuisine, pour
une marque de grande distribution, programme qui a obtenu en mai 2015 le prix du
band content aux trophées marketing. Le concept est simple, après s’être inscrit,
l’internaute entre dans la communauté et reçoit gratuitement des conseils et des
recettes de toute nature, avec des contenus audiovisuels programmés dédiés au Net.
Tous les vendredis, l’internaute pouvait assister à la réalisation d’une recette dans un
programme de 30mn. Évidemment, comme les personnes se sont inscrites, elles sont
Mai 2015
Tous droits réservés
identifiées et traçables. Les internautes reçoivent un rappel et une alerte avant la
diffusion les invitant à se connecter. Le programme est en direct. Le thème de la
recette a été choisi par les internautes et ils peuvent intervenir en direct pendant le
programme et échanger entres eux. Évidemment, comme nous sommes sur Internet,
donc avec moins de contraintes, tous les produits utilisés par le chef sont de la marque
qui finance le site. Un programme simple à produire avec un modèle économique
avéré. C’est une qualité de réalisation de télévision, un programme financé par un
annonceur dans son intégralité. Ce que l’on fait sur le Net, on peut tout à fait le faire
demain pour la télévision. Dans un jeu comme Le Juste Prix que j’ai réalisé, la
technologie permettrait aujourd’hui de pouvoir sur son 2ème écran zoomer sur la vitrine
des cadeaux pour regarder un produit, voire accéder à plus d’information sur le produit
et pourquoi pas aller l’acheter en ligne. Évidemment, la législation actuelle ne le
permet pas.
Ce qui fait évoluer les outils de communication, pour aller au-delà de la Télévision,
c’est, d’une part la technologie, développée pour le sport, la médecine ou l’armée, et
d’autre part, la consommation, puisque le nerf de la guerre est de vendre de l’espace
publicitaire pour gagner de l’argent. L’intérêt de la situation actuelle est que, grâce à
l’évolution des technologies, le contenu peut être présent sur différents contenants,
contenants indépendants les uns des autres ou en liaison entre eux. Là se situe la réelle
révolution. Demain, les groupes audiovisuels pourront non seulement vendre des
espaces publicitaires comme ils le font aujourd’hui, mais, en plus, ils pourront vendre
directement des produits et surtout des Data qui auront une vraie valeur, voire
supérieure à la publicité elle-même. Si ils sont capables de proposer une audience, par
exemple de Prime time de plusieurs millions de téléspectateurs, avec des Data sur ces
millions de téléspectateurs, cela représente une valeur très importante. Ce qui offre
ainsi aux annonceurs la capacité de cibler précisément qui ils veulent cibler.
Redoutablement efficace. Quand on regarde un site Internet pour réserver un vol vers
une destination, vous recevez bien souvent dans les instants qui suivent des publicités
pour les hôtels situés à proximité de votre destination. La Télévision doit pouvoir faire
ça. Or, les chaînes ne disposent pas des informations sur les foyers qui les regardent
via les box car les fournisseurs d’accès (à part Bouygues) ne sont pas la propriété des
grands groupes audiovisuels. Ce passage à la diffusion via Internet n’a pas été anticipé
par les diffuseurs.
Et puis, si demain chaque téléviseur est connecté vous imaginez comment il sera facile
pour un diffuseur de cibler son public et d’être plus à même de répondre à ses attentes
et donc de le capter?
Mai 2015
Tous droits réservés
67
Est-ce que cette connexion au numérique, avec ce lien direct établi avec les
internautes, est pris en compte dans votre façon de créer du contenu ? Est-ce que
vous intégrez cette notion de diffusion multiple dès la création d’un programme ?
68
Avant d’être un réalisateur, je suis un consommateur de ce monde des technologies.
Ensuite au travers de réalisations de programmes comme Impro en cuisine pour le net
ou en réalisant les productions d’images sur la manifestation LE WEB ou Les Web
Comedy Awards pour le groupe M6, ou encore le Ribery show pour Havas, je travaille
avec et pour Internet. La première évolution concerne l’interactivité, qui peut aller
bien au-delà de la diffusion de messages SMS ou de tweets envoyés par les
téléspectateurs. On travaille de façon à ce que cette interactivité rajoute du contenu à
l’émission. La deuxième concerne le réseau et les communautés. Aucune émission
n’existe aujourd’hui sans être présente sur les réseaux. Ensuite, il y a les aspects
technologiques. Par exemple, pour le Tour de France, le téléspectateur sur sa tablette
peut choisir sa caméra. Le téléspectateur passionné peut devenir son propre réalisateur
mais il faut toujours servir un signal pour la Télévision qui doit être attractif pour les
moins passionnés. La retransmission du Tour de France est un très bon exemple de
diffusion multi-écran. Aujourd’hui tout est possible. Seule l’intelligence humaine est
un frein. Nous sommes les propres limites au développement de l’offre. Quand France
Télévisions diffuse les JO 2008 avec la contrainte de répondre aux normes du CIO45
qui voudrait réduire les surfaces constructibles, et qu’il faut éviter d’envoyer plusieurs
centaines de personnes à Pékin avec tous les coûts et les problématiques de logistique
que cela induit, la solution est technologique. Avec la fibre optique, il est possible
d’envoyer plus d’informations, donc une meilleure qualité et une meilleure offre, et
de produire les programmes des JO depuis Paris. De ce fait, au lieu d’être à Pékin en
pleine journée quand les programmes sont diffusés en pleine nuit en France, le
réalisateur est au même rythme que les téléspectateurs qu’il sert et peut ainsi adapter
sa réalisation pour une consommation nocturne alors que les commentateurs, plongés
dans l’événement sont, eux, en pleine journée et donc en pleine effervescence. Le
rythme et les choix de réalisation ne sont pas forcément les mêmes. Économie et
performance au service du public. Sur un événement comme les JO, c’est très
importante cette capacité de traiter le contenu, en phase avec le public. Car si les JO
sont un événement sportif, c’est également un événement sociologique que le
réalisateur doit faire vivre. Un sportif qui court sur une piste peut être n’importe où.
C’est le réalisateur qui dans les temps mort en intégrant des images prises par des
webcams externes placées dans les lieux symboliques de la ville comme la grande
muraille de Chine ou la place Tienanmen à Pékin, transforme un moment de sport en
un moment de découverte. Par ce biais, le téléspectateur a l’impression d’être à Pékin.
C’est là où la technologie enrichie le contenu. Sur le Tour de France, les drones
permettent de filmer en amont des zones interdites de survol en hélicoptère. Le
45
Comité International Olympique
Mai 2015
Tous droits réservés
réalisateur peut ainsi proposer dans des temps morts des images imprenables sur
l’instant comme par exemple, les gorges de l’Ardèche ou l’intérieur d’une cathédrale.
Mais l’apport du numérique se limite-t-il à permettre d’enrichir le programme
diffusion sur le téléviseur ?
Aujourd’hui essentiellement, mais je suis intimement persuadé que la manière de
consommer du contenu quel qu’il soit sera demain multisupport. Le business
économique sera généré par ce business multisupport sous forme de Data, de bannière
ou toute autre forme qui apparaîtra. Chaque usage va générer un modèle adapté. Pour
rester sur le sport, il sera toujours en direct car l’émotion est dans l’instant mais il ne
sera plus uniquement sur la télé. Combien de fois à l’étranger, j’ai cherché une
retransmission d’un événement sportif français sur les chaines locales sans succès. Un
ordinateur et une connexion Wifi suffisent pour y avoir accès en direct. Mais en plus
de l’image, l’événement peut être accompagné de statistiques. Aujourd’hui, sur un
match de football, vous pouvez savoir combien de passes a fait chaque joueur et
combien de kilomètres chacun a parcouru. Mais ça n’est qu’un début. Demain vous
pourrez rentrer dans les matches et les vivre en direct en communauté et même vous
amuser à être dans le public avec un avatar… Ça devient mieux que ce que peut
proposer la Télévision telle qu’on la connaît aujourd’hui.
C’est donc la fin de la Télévision ?
La Télévision, c’est un tuyau dans lequel coule de l’information qu’elle soit
divertissante, sportive ou informative avec au bout un écran sur lequel voir ces
informations. Le téléviseur est un écran comme les autres, comme la tablette ou
l’ordinateur. Le téléviseur est familial. Il a longtemps été le moyen de regarder en
même temps la même chose, un peu le lieu unique de consommation de la Télévision
dans le foyer. Cet usage est en train de changer radicalement. La société actuelle
pousse à un individualisme tel, que la consommation TV dans le foyer se fait de plus
en plus de façon individuelle. Chacun devient son propre programmateur. Les enfants
ont pris l’habitude de regarder des contenus dans leur chambre, les ados encore plus
que les autres, puisque c’est une manière de se démarquer de la famille et de ses codes
et de vivre avec leurs communautés. D’ailleurs, il est ironique de constater que
Facebook commence à être déserté par les ados parce que les parents vont sur
Facebook et donc transgressent leur monde. Regarder la télévision est le symbole
même du loisir des parents, pourquoi les ados regarderaient-ils la télévision ? Quand
j’ai réalisé l’émission En juin, ce sera bien46 pour France 5, émission dédiée aux ados
46
En juin ça sera bien était une émission de télévision française présentée en direct par Gaël
Leforestier jusqu'en 2000, puis par Alex Jaffray et diffusée les mercredis après-midi de 1998 à
2001 sur La Cinquième/France5
Mai 2015
Tous droits réservés
69
en direct, la moyenne d’âge des téléspectateurs était de 12 ans. Alors que nous
pensions faire une émission pour des téléspectateurs de 17 ou 18 ans. Toutefois, quand
l’enfant est dans sa chambre à regarder une chaîne sur son ordinateur, il regarde de la
télévision. Et c’est à nous de proposer des contenus plus attractifs et multisupport pour
les séduire. Et c’est en train d’évoluer. Je viens de mettre en place le jeu quotidien de
France 2, Joker. Rien de révolutionnaire. Une mécanique de jeu efficace à l’antenne
basée sur un quizz mais les téléspectateurs peuvent jouer en simultané avec le candidat
en téléchargeant une application. L’objectif principal n’est pas de ramener de
l’audience mais déjà cela devrait permettre de fidéliser et d’enrichir l’expérience du
téléspectateur. De même, le jeu Harry sur France 3 a réussi à créer une communauté
très active qui enrichit le contenu en proposant des questions reprises à l’antenne. Et
si on veut revenir sur le modèle économique, à partir du moment où il y a
téléchargement et traçabilité, il y a quelque chose à monnayer et pas en percevant des
revenus des téléspectateurs mais en exploitant les Data. On apporte un service gratuit
qui génère des revenus par ailleurs grâce aux données recueillies.
La Télévision est donc un moyen de créer de la communauté et des Data ?
70
Oui tout à fait. La communauté amène les Data car la communauté apporte un
sentiment d’appartenance d’où une surconsommation et un meilleur ciblage. Une
émission comme Météo à la carte47, qui n’a rien d’une émission de la télévision de
demain, plutôt sur une cible « senior », génère une audience impressionnante sur le
site communautaire ; des téléspectateurs en voyant chaque jour des photos, des
commentaires, donnent des avis, informent sur l’état de la nature dans leur jardin
potager… Même cette Télévision très classique peut tirer le bénéfice de se créer une
communauté sur le web. L’idée reçue que les nouvelles technologies ne concernent
que les jeunes est fausse. Les seniors sont également très consommateurs. Prenons
l’exemple, du feuilleton Zorro. Connu intemporel, archi multi diffusé. Si le diffuseur
crée un site communautaire lié à la diffusion, il va constituer et qualifier une audience
de quelques milliers de mordus prêts à tout pour leur passion de Zorro. À partir de ces
Data, il va pouvoir fabriquer pour eux des objets mais aussi de l’événement. Par
exemple, un grand forum Zorro au Grand Rex, avec diffusion des cinq premiers
épisodes jamais diffusés en France pourra facilement être rempli grâce à cette
communauté. Non seulement, ils seront heureux de cet évènement, accepteront de
payer un prix certain, mais ils seront en plus fidélisés car c’est sur ce site que
l’information sur Zorro existe et pas ailleurs.
47
Émission quotidienne sur France 3 à 13 heures
Mai 2015
Tous droits réservés
NICOLAS GAUME
PRÉSIDENT
SYNDICAT NATIONAL DU JEU VIDÉO
Un des pionniers français du Jeu Vidéo, Nicolas Gaume est actuellement membre du
comité directeur de Microsoft France, directeur de la Division DX, en charge
notamment des partenariats avec les éditeurs d’applications et des activités de
Microsoft Ventures.
En 1990, il abandonne ses études à 19 ans pour fonder Kalisto Entertainment, studio
de jeu vidéo à Bordeaux, qu'il a dirigé pendant douze ans employant plus 300
personnes et commercialisant dans le monde entier plus d’une cinquantaine de jeux
sur différents ordinateurs et consoles, originaux comme Dark Earth ou adaptés de
films comme Le Cinquième Elément. De 2002 à 2005, il occupe différentes fonctions
à la direction de la production du géant français Ubisoft. En mai 2005, il intègre
Lagardère pour y créer le département jeux & applications pour téléphones mobiles
qu’il dirige jusqu'à fin 2007.
De 2008 à 2012, il dirige Mimesis Republic, créateur et opérateur d’univers virtuels
et de jeux sociaux.
Nicolas Gaume est auteur du livre "Citizen Game" paru aux Éditions Anne Carrière.
Mai 2015
Tous droits réservés
71
Vous considérez qu’il existe des passerelles entre le jeu vidéo et la création
audiovisuelle. Pouvez-vous nous dire lesquelles ?
La grammaire du jeu vidéo, c’est l’interaction. Celle des films, des séries télévisées
voire des programmes de flux, c’est la narration. Deux grammaires très différentes,
car l’interaction établit une forme unique d’échanges et d’engagement. Les évolutions
drastiques que la technologie a imposées au jeu vidéo ont été rendues plus simples à
gérer par ce dialogue permanent, et qui n’a cessé de s’amplifier, avec nos joueurs.
Le jeu vidéo, en 40 ans, a étendu le champ du jeu « tout court », celui qui nous vient
des jeux d’enfants en particulier.
Quand on est enfant, on utilise l’histoire, celles des livres pour enfants, celles que les
parents racontent ou celles des programmes télévisés pour construire une
compréhension du monde, pour décoder les nombreux signaux qu’on reçoit. Assez
vite, aux côtés des histoires, se développe le jeu. Il offre une fonction essentielle
d’appropriation, de restitution et de modulation de l’histoire. On rejoue aux héros de
ses histoires ; on tente des variations infinies. En grandissant, le jeu d’enfant s’étend
pour entrer dans le jeu clef de la vie : celui de la socialisation. On joue à plusieurs,
pour se tester et tester les autres, pour se comprendre et agir à plusieurs.
72
Le jeu vidéo s’est bâti sur l’image. Pour ainsi dire, il s’est profondément nourri du
cinéma et de la Télévision. Le jeu vidéo n’aurait pu exister sans fictions mises en
images préalables. Les jeux se nourrissent de référents émanant de ces
environnements. C’est le média de la génération numérique. Nourri de l’infinité de
sons et d’images portés par la narration télévisuelle et cinématographique, le jeu vidéo
offre une appropriation d’échantillons audiovisuels uniques.
On voit ici la différence majeure dans les postures de l’utilisateur face à la télévision
ou face au jeu vidéo. Ce qui fait le succès d’une histoire en télévision est une tension
entre protagonistes. Le téléspectateur peut se projeter sur un personnage qui est en
interaction avec d’autres personnages de la série. Le biais est l’empathie. Le conflit
est entre personnages et l’univers une toile de fond. Dans le jeu vidéo, c’est l’inverse.
L’univers est en conflit, les personnages sont souvent au premier abord plus lisses. Et
c’est le joueur qui forge un comportement. En contrôlant son personnage ou les
éléments d’actions offerts par le jeu, le joueur est engagé à remettre de l’ordre dans
l’univers en déséquilibre qui lui est proposé. C’est vrai tant dans Tetris48 ou Candy
Crush que dans Assassin’s Creed49.
48
Jeu vidéo de puzzle conçu en 1984 (http://www.tetris.com/) ayant inspiré de nombreux jeux
notamment Candy Crush (http://candycrushsaga.com/)
49
Jeu vidéo historique d’action-aventure et d’infiltration en monde ouvert publié par UBISOFT
http://www.assassinscreed.com/
Mai 2015
Tous droits réservés
C’est intéressant d’engager sur ces deux tableaux. Ce que vous avez d’ailleurs fait
dans le domaine du jeu TV 50 montre bien qu’il peut y avoir une convergence
intéressante entre jeu vidéo et programme TV.
En quoi le passage du jeu vidéo sur support au jeu en ligne peut-il inspirer le
monde audiovisuel dans sa mutation de la diffusion hertzienne à la diffusion via
Internet ?
Le marché du jeu vidéo a été très impacté par la transition d’une économie d’édition
à une économie de service.
Jusqu’à fin 2000, le jeu, comme le logiciel ou la vidéo, était la vente d’une expérience
physique mono utilisateur avec un temps fini. Le modèle dominant est la vente d’une
boite, en amont de l’expérience du joueur, sur laquelle se rétribue un distributeur
physique, un grossiste, un éditeur et un studio de développement. Le studio est souvent
intégré ou en affiliation avec l’éditeur. L’organisation de la chaîne de la valeur n’est
pas très éloignée de celle du cinéma. À ceci près, que la production doit se faire avec
des permanents tellement la technologie est mouvante et complexe. 80% des équipes
sont en CDI ce qui donne une morphologie de gestion des risques et d’ajustement fort
difficile en France.
À partir de 2001, l’expérience est devenue progressivement multijoueurs avec une
dimension plus infinie avec un autre modèle économique mixant l’achat d’une boite
contenant un support DVD ou un autre support physique, et une connexion à un
serveur. L’expérience de jeu est plus dense, plus profonde. Commencent à apparaître
des jeux massivement multijoueurs (MMORPG 51 ) comme Ultima Online 52 ,
EverQuest53 ou World of Warcraft54 qui prennent le modèle d’abonnement en plus de
la boîte. Progressivement, le téléchargement remplace l’achat d’un support physique.
Le marché se rend alors progressivement compte qu’il est préférable de donner
gratuitement le produit pour avoir le maximum de candidats à l’abonnement ou au
paiement. Ce sont les années Habbo Hotel55 coédité par M6 en France ou Dofus56 par
Ankama. Ce phénomène s’accélère énormément avec l’arrivée des smartphones.
50
Stéphane GAULTIER a développé pour la RTS, un jeu TV produit dans un univers virtuel
généré par un logiciel de jeu vidéo http://edition.fr/tv-augmentee/jeu-tv-les-imbattables-rts/
51
Massively Multiplayer Online Role-Playing Game, jeu de rôle massivement multijoueurs
52
Jeu considéré comme le 1er MMORPG populaire, édité par Electronics Arts
53
MMORPG édité par Sony Online Entertainment
54
MMORPG à l’univers médiéval-fantastique édité par Blizzard Entertainment
55
Monde virtuel sur Internet pour les adolescents de plus de 13 ans http://www.habbo.fr/
56
MMORPG édité par la société française Ankama
Mai 2015
Tous droits réservés
73
À partir de 2008-2009, il y a l’explosion des stores. La bascule se produit en 2010
avec le modèle Free to Play inventé en Corée et en Chine. Comme le piratage faisait
rage, le modèle s’est déporté sur un modèle à l’envi plutôt que par l’obligation. Il n’y
a aucune barrière pour engager l’expérience. L’application sur le Store est gratuite.
Le joueur paie en aval de son expérience. Toute l’économie est structurée sur une
partie infime des joueurs très actifs qui paient. Pour un million de personnes ayant
téléchargé le jeu, 50.000 à 100.000 vont engager une expérience active en jouant
plusieurs fois sur plusieurs semaines et au final entre 1.000 et 5.000 paient quelques
dizaines de centimes voire euros par mois. Les grands jeux comptent 100, 200 ou 500
millions de téléchargements. Sur des jeux comme Clash of Clan ou Candy Crush, la
grande majorité des joueurs ne paient jamais rien. Mais les quelques pour-cent payants
représentent des populations de dizaines ou centaines de milliers d’utilisateurs voire
millions qui font leur profitabilité.
Quel impact cela a t-il eu sur les acteurs du marché ?
74
L’économie d’origine, du produit physique, était une économie de bas de bilan. Un
distributeur s’engageait sur un stock que le grossiste vendait. Il payait l’éditeur qui à
son tour avançait progressivement les coûts de développement au studio de création.
Le distributeur et l’éditeur prenaient leurs risques, géraient leurs catalogues et
s’engageaient en vendant leurs catalogues et en anticipant leurs évolutions.
On passe avec le jeu freemium à une économie plus volontiers financée par le haut de
bilan. La société lève des fonds auprès d’actionnaires qui font le pari du succès d’une
équipe sur un titre ou un catalogue de titres. Risqué, mais il y a de magnifiques
réussites comme Supercell57. En France, Pretty Simple58, dont le jeu Criminal Case
dans la veine de séries policières comme Les Experts est passée de quelques centaines
de milliers d’euros à trente millions d’euros de chiffre d’affaires en moins de trois ans,
avec une profitabilité remarquable.
Toute la distribution s’est retrouvée centralisée sur des plateformes. Aujourd’hui, le
premier distributeur de jeux vidéo au monde est Apple. Et le jeu vidéo est la première
source de profitabilité de l’Apple Store. Il y a aussi Google, Amazon, Steam ou
Microsoft. Le marché se concentre autour de 5 à 6 stores mondiaux là où il y avait une
multitude de distributeurs dans le marché physique. Exister sur ces stores n’est pas
évident. L’enjeu est d’exister grâce au marketing. Les éditeurs sont souvent à la
recherche de partenariats avec des univers préexistants, des marques fortes.
On voit bien, dans ce contexte mondial, que l’échelle française est trop petite. Le jeu
vidéo peut tout à fait s’associer à un programme de télévision mais si celui-ci a une
visée mondiale. Seules des grandes marques françaises comme par exemple, le Tour
57
58
Éditeur de Clash of Clan http://supercell.com
Éditeur de Criminal Case http://prettysimple.fr/
Mai 2015
Tous droits réservés
de France, peuvent avoir un impact dans le domaine du jeu vidéo en ligne et son
économie Free to Play. Il y en a peu.
Donc le marché est devenu binaire, soit c’est un blockbuster soit c’est rien ?
C’est clair, bien qu’il reste des marchés de niche. Mais ces nouveaux circuits de
distribution, facilement accessibles, ont amené l’émergence de studios indépendants,
avec des équipes de 4 ou 5 personnes, qui créent des jeux avec des moyens limités et
qui peuvent, lorsqu’ils touchent un public, faire tomber le jackpot. Toutefois, il est
vrai qu’il faut avoir un maximum d’utilisateurs pour pouvoir en monétiser une petite
part. Les plateformes sont peu nombreuses et sursaturées.
Ça a changé aussi la façon de développer le jeu ?
Oui, dans l’univers physique une fois que le jeu était développé, il était exploité. Avec
le jeu en ligne, on passe à un univers de service. Il faut constamment faire évoluer le
jeu. On transforme les utilisateurs actifs en utilisateurs payants en s’ajustant à leur
demande. C’est probablement la mutation la plus importante de tout ; la culture Data
driven. Il y a, à l’origine, une création de personnages, d’univers de valeur. Dès le
lancement du jeu, l’éditeur regarde ce que les joueurs aiment vraiment et fait évoluer
l’expérience de jeu pour coller au plus grand nombre. Les créatifs ne doivent plus
penser exclusivement à ce qu’ils imaginent mais aussi à ce que les joueurs en font. Ça
a changé profondément la façon de créer. Certains créatifs ne se sont pas adaptés.
Le marché est passé d’une économie de stock à une économie de flux ?
Oui, avec beaucoup de fonds propres car ça coûte très cher d’acquérir les utilisateurs
et d’ajuster l’expérience de jeu jusqu’à avoir les bons métriques. Mais après quand ça
marche, ça marche magnifiquement. En plus, nous ne sommes plus dans des jeux finis
mais en développement continu.
C’est particulièrement vrai à mesure que les jeux deviennent sociaux. Les plus grands
succès sont des jeux où les contenus sont créés par la communauté des joueurs euxmêmes et partagés avec d’autres. Un jeu comme Mindcraft59 permet au joueur de créer
des univers de jeux, de les partager avec ses amis, de faire des vidéos qui remplissent
Daily Motion et YouTube. Les ados accros à ce jeu, jouent, créent, regardent ce que
font les autres. C’est un vrai écosystème.
Dans des émissions de télévision très interactives serait-il possible d’adapter ce
modèle Free to Play ? L’émission est gratuite mais suscite une interactivité
suffisamment engageante pour que le téléspectateur paie.
59
Jeu de construction complètement libre (appelé sandbox en anglais) racheté 2 Mds d’€ par
Microsoft http://minecraft.net/
Mai 2015
Tous droits réservés
75
Dans le secteur du jeu, la problématique de monétisation est directement liée à la
nature de l’engagement du joueur. Si on parle d’une émission comme The Voice,
l’engagement, ce n’est pas le nombre de tweets, c’est ce que le tweet porte qui définit
l’engagement. Le jeu vidéo a peut-être beaucoup à apporter sur les techniques
d’engagement et de monétisation. La TV sociale reste à bâtir. Derrière les millions de
tweets, la bonne question est d’identifier les personnes réellement engagées et de
dialoguer dans de véritables dynamiques collectives. Identifier par exemple les
facettes de personnalités associées d’un contributeur au spectacle qu’elles
commentent, leurs impacts sur d’autres groupes d’utilisateurs, les dynamiques de
réponses et de discussions / confrontations / résolutions collectives. Monétiser c’est
« monitorer ».
76
La grosse révolution du jeu vidéo freemium a été de ramener aux côtés des équipes
qui créent le contenu des équipes qui analysent les usages du jeu créé. Cela a permis
d’affiner nos connaissances des comportements types de joueurs. On peut par exemple
dans une communauté donnée, cartographier des catégories de joueurs aux
comportements similaires. Par exemple au premier niveau, des joueurs légers, qui
représentent la masse. Ils jouent pour voir, ne sont pas encore résolument engagés
dans le jeu. Deuxième catégorie, les Compétiteurs qui entrent pour être numéro 1 de
la performance du classement. Si le jeu est bien fait, ces joueurs peuvent ainsi être mis
en avant et créer un véritable spectacle. Troisième catégorie, les Bâtisseurs qui
peuvent créer l’arène, les circonstances dans lesquels les joueurs compétiteurs vont
agir. Ils ont plaisir à construire des espaces de jeu, des environnements. Quatrième
catégorie, les Socialiseurs qui ramèneront leurs amis. Ils vont créer la connexion avec
d’autres personnes. Souvent il y a une dernière catégorie assez importante tout compte
fait, les « Trollers » ou Killers, ceux qui perturbent le jeu volontairement. Ils sont très
importants car ils permettent à une communauté de se structurer. Une communauté se
structure en fonction de ce à quoi elle croit et ce qu’elle rejette. Il n’y a pas de
dynamiques sociales, de dynamiques d’engagement et donc de monétisation, s’il n’y
a pas des personnes qui viennent « foutre le bordel ». Cela amène les autres membres
à trouver cela inacceptable et à se réunir dans leur communauté autour de ses règles.
Cela structure la communauté. Et comme le dit Alain le Diberder, « une communauté
numérique n’existe que lorsqu’elle a conscience d’elle-même ».
En s’inspirant du jeu vidéo, l’un des leviers possibles de la monétisation de la
Télévision passe par cette structuration communautaire. Par exemple sur ce qu’ils
rejettent. C’est un moyen de générer de l’engagement. Les individus se réunissent
beaucoup plus autour de ce qu’ils n’aiment pas, qu’autour de ce qu’ils aiment. Générer
de l’engagement pour amener à la monétisation en Télévision pourrait utiliser ce levier
dans les programmes. Il y a bien sûr mille autres leviers.
Mai 2015
Tous droits réservés
LÉONOR GRANDSIRE
DIRECTRICE GÉNÉRALE EUROPE DU SUD
NBC UNIVERSAL INTERNATIONAL NETWORKS
Léonor Grandsire est Directrice Générale pour l’Europe du Sud60 de NBC Universal
International Networks depuis novembre 2013 et Présidente de NBC Universal
Networks International France (13ème rue, Syfy et E!) depuis son arrivée dans le
groupe NBC Universal en 2008, après un passage par la SACEM et 11 ans dans le
groupe TF1 à différents postes à TF1 Entreprises et e-TF1, notamment la Direction
des filiales d’éditions musicales du groupe (TF1 Musique et Une musique).
Léonor est Vice-Présidente de l’ACCeS, titulaire d’un Master en Systèmes
d’Information et diplômée de l’IAE.
Le portfolio de NBC Universal International Networks est composé de six marques
100% payantes : Syfy et E! dont les chaînes « mères » existent aux US, ainsi que
13ème rue, Studio Universal (library movies), Diva (à destination des femmes) et
Universal Channel (généraliste fiction) qui sont des marques internationales hors US.
60
France, Italie, Espagne et Portugal, neuf chaînes au total.
Mai 2015
Tous droits réservés
77
Quelle est votre expérience aujourd’hui sur le Digital pour vos chaînes, votre
vision du futur et celle de votre groupe international ? Que pouvez-vous faire
concrètement face à Netflix, Twitter, Facebook?
Les chaînes payantes ont une approche différente du Digital par rapport aux chaînes
gratuites. Elles sont en effet sur un modèle mixte de revenus de distribution et de
revenus de publicité. Elles doivent donc protéger leur modèle payant même si elles
sont bien sûr intéressées par les revenus pub du Digital.
Dans ce contexte, en plus des revenus pub, l’intérêt du Digital se retrouve dans deux
domaines : c’est un nouveau mode de distribution de nos chaînes (linéaire et non
linéaire) qui peut être développé soit via les plateformes partenaires ou directement
par les chaînes (auto distribution OTT) et c’est également un formidable outil pour
nos marques dans le développement de la relation abonnés et prospects qui peuvent
exposer leurs contenus et proposer une expérience enrichie.
78
Sur la question plus précise du 2ème écran, nos chaînes se heurtent à deux écueils : la
puissance compte-tenu des taux de transformation généralement observés et le genre.
En effet, la fiction n’est pas le genre le plus approprié pour interagir avec le
téléspectateur durant la diffusion ; l’objectif de nos chaînes est de capter l’attention
du téléspectateur durant la diffusion et non de le pousser à interagir sur un autre écran.
Nous avons fait des essais notamment sur une des séries de 13ème rue, Bates Motel, en
développant au sein de l’application iOS de la chaîne un univers 2 ème écran
comprenant des interactions synchronisées avec le déroulement des épisodes
permettant entre autres d’en apprendre plus sur l’univers d’Hitchcock et les références
à Psychose : malgré la qualité de l’expérience, les téléspectateurs sont restés captivés
devant la série et ont été proportionnellement assez peu nombreux à se tourner vers
l’application et à interagir.
Certains programmes font exception quand ils créent l’événement et que cet
événement est relayé sur Twitter : c’est le cas du téléfilm Sharknado par exemple que
nous diffusons en même temps de la diffusion sur Syfy US. Nous bénéficions ainsi
d’un fil Twitter partagé avec les US. Les followers français suivaient les
commentaires des téléspectateurs américains. La Social TV est dans ce cas plus
adaptée à ce type que la TV enrichie.
Sur des émissions non fictions, nous avons fait une tentative avec un dispositif très
innovant, en mai 2011. Seriez-vous un super flic ?, un quiz sur des techniques
d’investigation criminelle produit par la Concepteria et présenté par Julien Courbet,
avec des experts, un invité et des anonymes comme joueurs sur le plateau. Le
téléspectateur pouvait jouer en même temps chez lui sur tablette ou ordinateur avec
un réel gain financier à la fin. Le nom du gagnant s’affichait à l’écran à la fin de
l’émission. Tout a été réalisé en gestion manuelle. Comme c’était une première, ça a
Mai 2015
Tous droits réservés
été une belle opération marketing, malgré un nombre relatif de participants - 2000
personnes - à domicile.
L’objectif de communication en BtoC sur l’image d’innovation de 13 ème rue a été
réussi. Il a même entraîné une réussite en BtoB. Mais ce genre de programme restant
rare à l’antenne, ce type de développement et donc le bénéfice réel sur la chaîne, de
ces opérations reste marginal.
En revanche, le Digital joue parfaitement son rôle autour de la diffusion linéaire en
permettant l’accès à des contenus supplémentaires, avant ou après la diffusion, ce qui
enrichit l’expérience et renforce le lien avec la chaîne.
En tant que chaînes payantes, nous limitons de fait la mise à disposition de nos
programmes sur le Digital en mode gratuit. L’offre digitale gratuite peut servir au
recrutement ou à la fidélisation en coordination avec nos partenaires distributeurs en
offrant par exemple une expérience enrichie pour l’abonné, avec des pilotes de série
en avant-première, etc. pour autant que l’environnement technique du distributeur le
permette.
Face à la force du délinéarisé et l’arrivée de nouvelles marques 61, il y a un risque à
perdre notre puissance et notre attractivité.
Nous devons maintenir une proposition éditoriale attractive, linéaire et non linéaire.
Le Digital (comme mode de distribution ou outil de communication) doit être un outil
pour renforcer notre offre.
E! n’est pas une chaîne de fiction, il y a de l’actualité. Que peut lui apporter le
Digital ?
E! se prête plus au Digital. La cible de E!, particulièrement jeune par rapport à
l’audience moyenne en Télévision, est massivement présente sur Internet et les
réseaux sociaux. Par ailleurs E! est une destination à part entière pour ceux qui
s’intéressent aux célébrités et le site de la chaîne va bien au-delà de nos programmes,
c’est un site d’information sur les célébrités. Que ce soit sur notre site Internet ou
notre application mobile, notre puissance digitale par rapport à l’audience est bien
supérieure à la plupart des chaînes thématiques.
Quels sont vos revenus du Digital ?
Actuellement, uniquement de la publicité sur les sites Internet. Sur E!, nous
réfléchissons à une possible autodistribution, la chaîne étant déjà distribuée à la carte
sur la plateforme ADSL d’un de nos partenaires distributeurs. Les utilisateurs
pourraient s’abonner à la carte pour avoir accès au linéaire et à la catch-up. Compte61
Ndr : Netflix
Mai 2015
Tous droits réservés
79
tenu de l’audience jeune de la chaîne et du succès actuel de la distribution à la carte,
il y aurait peut-être une opportunité pour répondre à une demande très ciblée de jeunes
qui souhaitent accéder au contenu de la chaîne directement et la consommer comme
ils le souhaitent, sous réserve d’un abonnement payant. Les applications mobiles des
autres chaînes servent uniquement pour leur promotion.
Qu’est-ce que Netflix n’a pas et n’aura jamais et qui préserve l’éditeur payant ?
Votre concurrent est Netflix ou les autres chaînes ?
La concurrence, c’est Netflix et tout opérateur SVOD qui affaiblissent la valeur du
linéaire aux yeux des distributeurs et des abonnés dont l’usage évolue très rapidement.
La force des chaînes a été dans un premier temps l’exclusivité des contenus, mais cette
exclusivité est très coûteuse à conserver quand de plus en plus d’acheteurs SVOD se
positionnent sur le marché.
Le savoir-faire éditorial et prescripteur des chaînes leur permettra de continuer à se
développer pour autant qu’elles parviennent à rapidement faire évoluer leur offre et à
l’enrichir de contenus non linéaires.
80
Dans ce cas, elles auront un atout évident face aux vidéoclubs impersonnels : leur
marque et leur force de prescription. Mais pour cela, elles doivent offrir le meilleur
des deux mondes, linéaire et non linéaire, dans une équation économique complexe
où les coûts de programmes augmentent quand les revenus de distribution et de
publicité diminuent.
Quelle perception vos actionnaires américains ont du marché du Digital et son
évolution ?
Le groupe est attentif aux nouveaux usages devenus possibles avec le Digital et donc
à de nouveaux droits dont la valeur doit être reconnue par les opérateurs et dont les
conséquences sur l’usage doivent être anticipées/analysées afin de préserver la valeur
totale des contenus.
Il n’y a pas à ce jour d’initiative de diffusion de contenu gratuit sur Internet.
Pour l’utilisation des services digitaux en Télévision payante, en Europe du Sud, le
pays le plus innovant est le Portugal où le faible nombre de chaînes gratuites a permis
le développement d’une Télévision payante largement distribuée (75% de
pénétration). Ensuite, viennent l’Espagne, la France et l’Italie. A l’international, le
Royaume-Uni et les Pays-Bas sont également bien avancés.
Mai 2015
Tous droits réservés
À terme vous pensez toujours passer avec des distributeurs ou avoir un contact
direct avec l’utilisateur ? L’appli en autodistribution (en réflexion pour E!) est
précurseur d’une distribution ciblée ?
Il y a déjà une vingtaine de chaînes payantes qui ont une appli en autodistribution et
ça ne remet pas en cause l’organisation actuelle du marché. Ça permet de, peut-être,
avoir quelques clients occasionnels qui ne s’abonneraient pas via les autres formes de
distribution.
La distribution syndiquée demande des investissements élevés en technologie,
marketing, gestion relation clients. Chacun son métier.
Vous dites que chaînes payantes et gratuites sont deux marchés différents. Quelle
est votre perception de la relation entre les chaînes gratuites et le Digital ?
Les chaînes gratuites ont une stratégie très différente vis-à-vis du Digital. Il s’agit pour
elles de tirer un maximum de revenus publicitaires. Les chaînes gratuites peuvent ainsi
s’appuyer sur leurs contenus qu’elles mettent à disposition gratuitement, ce qui n’est
pas le cas des chaînes payantes.
C’est pourquoi le site Internet d’une chaîne payante n’est qu’un outil promotionnel
avec pas ou très peu de contenu exclusif.
Facebook et Twitter font de l’argent grâce à la Social TV, donc vos abonnés à
qui vous proposez une expérience via les réseaux sociaux, quel est votre point de
vue sur ces revenus ? C’est un service que ces plateformes vous apportent en vous
permettant d’enrichir un évènement ?
Je peux monétiser mon audience sur Twitter en passant des partenariats avec les
hashtags, mais sous forme de packages innovants, car les volumes de contacts des
chaînes thématiques et des chaînes gratuites ne sont pas comparables. Il n’y a pas des
opérations Sharknado tous les jours.
Sur Facebook, c’est surtout un outil très utile pour la promotion, une plateforme très
efficace pour l’exposition, pour communiquer avec les fans de la marque, qu’ils font
vivre aussi. C’est d’abord cet objectif.
Sur votre expérience avec un programme enrichi, même si vos audiences sont
faibles, si elles sont très qualifiées elles ont de la valeur, pensez-vous les exploiter
dans ce sens avec des dispositifs de vente de la publicité sur Internet ?
C’est déjà un paramètre présent dans notre argumentaire publicitaire des chaînes
thématiques : une écoute, une attention, une affinité plus forte. La grande majorité de
notre offre programmes est de la fiction et peu de programmes se prêtent à ce
traitement enrichi. De plus, mon objectif n’est pas de distraire le téléspectateur de la
série, je cherche à créer de l’attention et de l’implication.
Mai 2015
Tous droits réservés
81
A une période, nous avons cherché auprès des producteurs des contenus transmédias,
différents, mais c’est beaucoup d’énergie, compte tenu de notre échelle et notre
potentiel. La surqualification de l’audience que nous pourrions générer ne permettra
pas de rentabiliser les coûts correspondants, dans une approche classique de la
Télévision.
Nos équipes et nos moyens sont trop limités pour explorer ces développements (35
collaborateurs pour 3 chaînes).
YouTube, Wat, Dailymotion vous posent problème ou ce n’est pas le même
univers ?
On s’en sert, comme Facebook, de plateformes de promotion. La création directement
sur leur plateforme, c’est bénéfique pour l’apparition de nouveaux talents et nouveaux
contenus. C’est potentiellement plus une menace pour E! , qui est une chaîne « qui se
picore », que pour 13ème rue ou Syfy, à cause de la durée et les formats des
programmes proposés.
82
L’évolution de l’univers des chaînes payantes, c’est peut-être moins de chaînes, mais
avec une concentration sur une offre sélective et exclusive de très haute qualité et des
programmes premium avec des services premium et une distribution aussi plus
sélective.
Trop de chaînes avec des moyens réduits et une offre de programmes banalisée
affaiblissent l’attractivité de la Télévision payante dans sa globalité. Ces chaînes ne
sont pas des moteurs d’abonnement. Les marques moteurs d’abonnement ne sont pas
forcément des chaînes à forte audience mais à forte attractivité.
Mai 2015
Tous droits réservés
ALAIN LEVY
PRÉSIDENT
WEBORAMA
Après une carrière dans le commerce international et une première expérience
d’entrepreneur en Russie, il crée Startup Avenue en 1999 avec Daniel Sfez.
Spécialisée dans le conseil et le soutien à la création d’entreprise, Startup Avenue
participe dès ses débuts au développement de Weborama. Lors du rapprochement de
Weborama et Startup Avenue, en 2005, c’est tout naturellement qu’Alain Levy rejoint
l’équipe dirigeante de Weborama en tant que président. Alain Levy est diplômé des
Ponts et Chaussées et du MIT de Boston. Également auteur de Sur les traces de Big
Brother (éditions l’Éditeur), ouvrage consacré à la place de la vie privée au sein du
nouvel écosystème publicitaire.
Mai 2015
Tous droits réservés
83
Weborama est un acteur de la publicité programmatique sur Internet. Pouvezvous nous expliquer votre activité ?
84
Nous sommes une Data Company. Nous collectons de l’information et des données.
Nous avons créé un moteur sémantique qui utilise le TAL (traitement automatique du
langage, un savant mélange de mathématique, linguistique et informatique). Cette
méthodologie associée à des algorithmes que nous avons développés nous permet de
bâtir une taxonomie62 du web, notre grille de lecture du web. Nous organisons donc
les contenus lexicaux en clusters (nuages/regroupements de mots) Nous analysons les
mots qui caractérisent la navigation d’un utilisateur sur Internet et nous comparons ce
nuage de mots avec notre taxonomie afin de lui attribuer des coordonnées sur
l’ensemble de nos clusters. Pour nous, un internaute est défini par 200 coordonnées
chacune évaluée entre 0 à 14 qui indiquent son affinité par rapport à différentes
thématiques, y compris les aspects sociaux démographiques de son profil. Nous
disposons de plus de 400 millions de profils. Ce sont des outils extrêmement puissants.
Notre modèle économique est prouvé. Nous avons démontré qu’un annonceur qui
cible son message avec nos outils obtient des performances 5 voire 10 fois supérieures
à ce qu’il obtient sans ciblage. C’est-à-dire 5 à 10 fois plus de ventes en ligne. Cette
analyse Data est quelque chose de très concret que nous développons et faisons
évoluer depuis 1999. Parallèlement, nous avons construit des outils technologiques de
tracking, de diffusion de publicité, de mesure et de DMP63. Nous sommes au cœur de
l’écosystème de la publicité display et programmatique.
L’élément déterminant est donc de disposer de la mesure pour valider la
performance ?
Effectivement, tout le dispositif que nous avons mis en place aujourd’hui en
programmatique démontre son efficacité s’il dispose d’une mesure, comme l’a
également fait Google. Sur les ventes d’un site en ligne nous savons le faire. Dès que
Google l’a démontré, il a tout rasé sur son passage. Chez Weborama, nous avons
démontré que nous sommes capables de le faire pour le e-commerce mais aussi pour
des opérations de génération de trafic comme pour enregistrer des visites et des
demandes d’essais de véhicules pour Renault. Criteo 64 le fait dans le domaine du
retargeting65. Dès que nous pouvons démontrer notre efficacité, la programmatique
prend le dessus. Quand nous saurons mettre en place des indicateurs de performance
pour les marques, le marché publicitaire changera radicalement. Les marques ne
peuvent pas se satisfaire d’une augmentation du nombre de clics sur leur site. Il faut
62
Science qui a pour objet de décrire les organismes vivants et de les regrouper en entités
(cluster) afin de les identifier puis les nommer et enfin les classer et de les reconnaître.
63
Data Management Platform, plateforme de gestion de données
64
Entreprise française de reciblage publicitaire personnalisé sur Internet www.criteo.com
65
Le Reciblage permet à un site web annonceur (notamment de e-commerce) de retrouver son
prospect sur un autre site et de promouvoir les contenus ou articles qu’il a consultés.
Mai 2015
Tous droits réservés
définir tout un nouvel écosystème. Aujourd’hui, pour se faire connaître, pour
entretenir une marque, la Télévision a fait ses preuves en efficacité. Sauf pour
quelques marques web, tous ceux qui ont tenté d’affirmer que le web est un support
d’image à lui tout seul et non un complément dans cet univers de marque ont échoué.
Sur la problématique de marque, le conservatisme est de rigueur ! La démarche est
encore validée par des études déclaratives/traditionnelles (IPSOS, Nielsen et d’autres)
alors que la Data digitale devrait produire des outils de mesure beaucoup plus
puissants, fins et efficaces. Moi qui prédisais il y a 15 ans que cet écosystème allait
s’effondrer, je dois constater que ce dispositif continue d’être la référence.
Tout cet univers de la publicité de marque continuera donc avec l’écosystème
bâti autour des supports traditionnels ?
Les marques, notamment toutes les grandes marques de la grande consommation, ont
investi énormément autour de ces systèmes. Même s’ils sont imparfaits, le temps et
les investissements ont réussi à corriger les mesures pour en faire des outils
satisfaisants pour les marques. Cela fait plus de 50 ans que le monde de la publicité
travaille avec ces outils. Donc entre la promesse magnifique du Digital et l’apport réel
pour les marques, il y a un long parcours. Mais je pense que nous arrivons au bout du
parcours. Nous avons quelques indications qu’aux USA, c’est en train de se produire.
En fait, plusieurs éléments se sont mis en place ces dernières années pour concrétiser
le travail de construction de cet écosystème. D’abord, il y a eu la mesure d’audience
sur le web, puis les outils de tracking. Ensuite, apparaît la capacité de pouvoir mesurer
l’impact d’une pub, c’est-à-dire accompagner la création, mesurer les impressions et
les clics puis les visites sur le site. Le développement de la vidéo sur le web aurait pu
finaliser le tout. Mais le dispositif n’était pas suffisant pour la communication de
marque. Malgré tout, cela a provoqué pas mal de tests, d’initiatives de Com, mais rien
de majeur, pas de mouvement de fond. Depuis 3 à 4 ans, avec un impact seulement
maintenant, un nouveau canal, un nouveau mode d’achat et de vente se développe : le
programmatique. À mon sens c’est, avec les plateformes de gestion des données, la
dernière brique, l’aboutissement de ce long chemin Le programmatique traduit le
changement d’achat du média. Malgré le côté très smart d’Internet, depuis ses débuts
le modèle économique est au CPM 66 , un prix unique sans individualisation.
Aujourd’hui, il existe des bourses d’échanges publicitaires avec des outils
sophistiqués qui sont capables de donner un prix et de vendre l’espace impression par
impression. Ce dispositif concrétise véritablement le changement.
66
Cout par mille
Mai 2015
Tous droits réservés
85
En quoi le programmatique change la donne ?
86
Jusqu’alors les régies des sites Internet vendaient une audience globale. Ils
définissaient la cible du support, souvent en rapport avec le support classique quand
il s’agissait du site d’un journal ou d’une chaîne de télévision. L’objectif était de
vendre au plus cher toute une audience au CPM. Même si le nombre de régies
augmentait, l’acte de vente était le même que pour de la publicité TV ou Radio. Le
programmatique s’appuie sur des bourses d’échange de l’inventaire publicitaire. Un
site, disposant d’une audience, va vendre via sa régie une partie de son inventaire seul,
souvent la home page, la vidéo, les habillages de pages ou tout ce qui est Rich media 67.
Le reste est déversé dans les AdExchange, mélangé avec tous les autres sites. Deux
outils se parlent, l’un représente le vendeur, le SSP68, l’autre l’acheteur, le DSP69. Le
SSP propose une impression publicitaire accompagnée d’informations (le site,
l’heure, le lieu, le profil…) et demande au DSP de lui donner un prix. En amont, les
annonceurs sont en concurrence. Ils ont défini leurs règles d’achat et font une offre de
prix. Le mieux-disant emporte l’impression. Rappelons que pour un coût au mille de
0,50€ en vente classique, cela signifie un coût à l’impression de 0,0005€. Le dispositif
doit être très performant pour traiter des transactions unitaires si faibles. Là, entrent
en jeu l’intelligence et la connaissance de l’utilisateur qui est derrière chaque
impression. Plus l’annonceur dispose d’informations, plus il peut définir un prix
précis. C’est le rôle de Weborama. Nous fournissons cette information autant aux
éditeurs qu’aux annonceurs pour leur indiquer qui est derrière l’impression et leur
permettre de construire leur prix.
Donc on passe d’une vente a priori, avec une estimation du volume de profil cible
touché, à la vente d’un contact effectif du profil recherché.
C’est exactement cela, grâce à l’automatisme des plateformes et au temps réel. Quand
l’internaute demande à recevoir le contenu provenant d’un site dans lequel se trouve
un espace publicitaire, en temps réel, le site demande à son AdExchange d’organiser
la vente de cette impression. Tous les DSP des agences médias sont interrogés. En
fonction des informations qui qualifient l’impression, chaque DSP va regarder dans
les campagnes qu’il gère, quel prix il peut proposer. S’il n’y a pas d’informations sur
l’utilisateur, le DSP se contentera des données sur le support et la nature de
l’impression, en fonction des historiques de clics. Mais si on peut qualifier
l’utilisateur, cette impression peut être mieux valorisée. C’est là que les bases de
données de profils vont être interrogées pour qualifier l’internaute. C’est là que nous
67
Format publicitaire proposant soit une interaction allant au-delà du clic, soit un mode
d’affichage dynamique, soit l’utilisation de son et de vidéo dans son contenu.
68
Sell Side Platform ou Supply Side Platform, plateforme permettant aux éditeurs d’automatiser
et d’optimiser la vente de leurs espaces publicitaires
69
Demand Side Platform, service permettant aux annonceurs et agences d’optimiser leurs achats
d’espaces publicitaires
Mai 2015
Tous droits réservés
intervenons pour donner les 200 coordonnées du profil. Tout ceci en temps réel. Ça
permet de concentrer l’investissement publicitaire de l’annonceur sur les probabilités
de transformation les plus fortes. Ce qui permet d’avoir le maximum de valorisation
du contact.
Donc les régies continuent de vendre l’offre Premium en direct et le reste en
Programmatique. La part de la vente Programmatique représente combien ?
Selon les derniers chiffres à ma connaissance, le programmatique représentait 15% du
marché du Display70 en 2013, 25% en 2014, et certains estiment qu’on atteindra 40%
dès 2015. C’est en forte croissance. Plus les annonceurs ont la capacité de mesurer
l’impact de la publicité en temps réel sur l’internaute, plus cela est efficace et rentable
pour eux. Les grandes régies traditionnelles regardent cela avec intérêt car c’est très
différent de ce qu’elles proposent en vente de pub TV par exemple. L’interrogation
est de savoir quand les annonceurs de la grande consommation viendront sur la
publicité programmatique digitale. Tant qu’il s’agit d’annonceurs qui réalisent de la
performance pure, ce n’est pas le marché TV qui est impacté mais plutôt le marketing
direct. Aux États-Unis, les annonceurs Marque commencent à vouloir de ce système.
Pouvoir communiquer de manière différente, en fonction de différents types de
profils, est très séduisant. Pouvoir acheter son inventaire de façon précise et à un prix
défini par l’annonceur est aussi très séduisant. La question pour l’annonceur Marque
est de savoir ce qu’est la Data pour eux. Que peut-on proposer au marché en
programmatique pour les marques ? C’est très exactement la question posée sur la
table de toutes les agences médias aux USA. Comment construire l’écosystème de ma
marque et comment aller trouver les audiences pertinentes par rapport à ma marque ?
Aujourd’hui le web est à-même de répondre à l’enjeu de communication des marques.
D’abord, parce que tout le monde est sur le web et, ensuite, parce qu’il n’y a plus de
limite de formats. Avant, avec la seule bannière comme support publicitaire, vendre
une publicité d’image était difficile. L’arrivée de la pub vidéo sur Internet met le web
au même niveau qualitatif que la Télévision. Comme la Télévision passe de plus en
plus sur le Web, ce n’est pas l’un qui va cannibaliser l’autre ; nous allons plutôt
assister à une fusion. On constate que les outils de programmatique vidéo marchent
très bien.
La vidéo est un élément déterminant dans ce basculement ?
De façon très pragmatique, l’intérêt de la vidéo est de permettre aux annonceurs de
passer directement leurs créations de la Télévision au Web. C’est plus important qu’il
n’y paraît car c’est une évolution dans laquelle tous les acteurs doivent bouger, se
réinventer. C’est pourquoi il y a des résistances énormes et un timing plus long que
ce que nous avions anticipé. L’agence média va se réinventer. L’agence Créa a une
vraie opportunité car elle est légitime pour définir s’il faut faire de multiples créations
70
Vente d’espace publicitaire sur du contenu Internet (Bannières, vidéo, éléments graphiques…)
Mai 2015
Tous droits réservés
87
pour correspondre à chaque cible de la marque. C’est toute la chaîne du marketing et
des médias qui se réinvente, et ça depuis 15 ans. Nous arrivons à un moment où le
basculement va être réel. En France, c’est plus complexe avec un acteur prédominant
sur le marché publicitaire TV, TF1, qui aura un poids dans le basculement. Mais le
jour où Danone, Nestlé, ou l’Oréal annonceront avoir un nouveau système de mesure
de l’efficacité de leurs investissements médias qui tient compte d’un écosystème
propre à chaque marque avec des groupes d’audience définis, qui permet de toucher
ces groupes individuellement, le basculement se fera.
Cela signifie-t-il que le passage à la diffusion TV sur Internet permettra de
récupérer des informations sur le téléspectateur et de s’approcher de ce modèle ?
Ou est-ce qu’Internet va aspirer toute la publicité actuellement sur la
Télévision ?
88
À six mois, ce n’est pas le sujet. Les dispositifs techniques tant pour la TV que pour
les annonceurs ne sont pas là. Mais ce que nous proposons à des acteurs importants
de la publicité TV tels que TF1, c’est d’être un moteur de cette transformation pour
ne pas subir l’action des GAFA (Google Amazon, Facebook, Apple). Ils n’en sont pas
là actuellement. TF1 n’a pas encore fait évoluer son organisation alors qu’ils
détiennent une situation sur le marché à leur avantage (45% des revenus pub TV avec
25% d’audience). Il suffirait de peu de chose pour qu’ils s’y intéressent réellement et
deviennent acteur du basculement. Avec TF1, il y a quelques années, nous avions
envisagé de travailler sur des créations de cibles dans l’objectif de bénéficier plus de
l’écosystème digital et de participer à l’évolution du marché. Cela n’a pas rencontré
l’enthousiasme espéré au sein de l’entreprise : sans doute était-ce un peu trop innovant
à l’époque. Entretemps, la régie de TF1 a perdu sa place de première régie de France
au profit de Google et ce sujet va devenir hautement stratégique. Au-delà de six mois,
tout est possible.
Si la technologie audiovisuelle ne permet pas une connaissance directe du
téléspectateur, il est possible de connaître ceux qui disposent d’un autre écran
connecté à Internet en même temps. Le phénomène de social TV, où les
téléspectateurs commentent sur Twitter et Facebook est important. Peut-il
impacter le marché de la Publicité ?
C’est là que ça se passe. Il existe déjà des sociétés qui proposent de synchroniser de
la publicité sur Internet en même temps que la publicité sur la Télévision. Nos
systèmes nous permettent de créer un profil par terminal. Mais nous ne savons pas
identifier la même personne sur plusieurs terminaux. C’est la grande force de Google,
Twitter et Facebook, puisque l’utilisateur s’identifie sur chaque terminal. Facebook
est un concurrent terrible pour la Télévision. Il commence à commercialiser
l’information pour toucher la même personne sur tous les devices. L’annonceur
dispose ainsi de mesures dédupliquées permettant d’optimiser sa campagne pour ne
pas toucher la même personne plusieurs fois.
Mai 2015
Tous droits réservés
ALEXANDRE MALSCH
DIRECTEUR GÉNÉRAL ET CO-FONDATEUR
MELTYGROUP
Comptant 25 millions de visites, meltygroup est le 1 er groupe média en ligne des 1217 ans et des 18-30 ans, avec 14 magazines thématiques en France tels que
meltyFashion, meltyStyle, meltyBuzz, meltyFood... Le groupe est présent à
l’international avec 13 sites à l’étranger (Italie, Espagne, Brésil, Allemagne, Maroc,
Mexique, Pologne, République Tchèque et Turquie…). En 2004, étudiant à l’Epitech,
Alexandre Malsch y rencontre son associé, Jérémy Nicolas, enseignant Web.
Ensemble, ils vont mettre au point une technologie unique permettant d’identifier en
temps réel les sujets d’actualité et les tendances qui intéressent les 18-30 ans. Cela
donnera naissance en 2008 à melty. En 2011, il est nommé au Conseil national du
Numérique qu’il a quitté fin 2012 ; il était Vice-Président chargé des startups et de
l’entreprenariat.
Mai 2015
Tous droits réservés
89
Vous proposez des séries vidéo inédites comme 301 vues, comment décidez-vous
de produire ces séries ?
On regarde ce qui intéresse nos lecteurs et nous en parlons en interne. Pour 301 vues,
nous sommes partis du modèle de The Office pour l’adapter aux générations actuelles,
aux start-up. Pour choisir les sujets, soit nous partons d’une intuition que nous allons
conforter avec de la Data, soit c’est de la Data que nous déduisons le thème.
Vous vous êtes spécialisé dans la création du contenu en anticipant ce que vos
lecteurs voudront lire dans les heures ou jours à venir. Est-ce possible aussi avec
les contraintes de la production de vidéo ?
Les productions audiovisuelles ne sont pas sur l’actualité chaude. Les tendances sont
donc à 6 mois ou un an. Pour l’instant sur le contenu vidéo nous ne différencions pas
particulièrement de ce qu’on peut trouver sur YouTube. Nous travaillons cette année
pour pouvoir produire des contenus d’actualité en vidéo. Là, nous pourrons utiliser
pleinement nos algorithmes. Sur la partie divertissement, les séries meltyOriginal,
nous avons une démarche éditoriale classique mais adaptée au Web.
Vous développez la vidéo car c’est une évolution des attentes sur Internet ?
90
Vous savez, le texte est toujours aussi consommé. Notre travail est de parler de
l’Entertainment en général. Parler des autres médias c’est bien71. Être un acteur de
l’Entertainment et être à la source en créant nos propres événements, c’est bien aussi.
Plutôt que de subir la volonté des producteurs des programmes de téléréalité, pourquoi
ne pas être à l’origine de l’événement ?
Avez-vous la capacité à promouvoir suffisamment vos propres productions sans
passer par la Télévision et ses millions de téléspectateurs ?
On est le plus gros média pour les jeunes sur Internet. Nous expliquons à nos lecteurs
ce qui est tendance aujourd’hui et demain sur Internet. Ça peut être autant une
téléréalité de chaînes que notre nouvelle saison de Spring Break Heart. Un jeune sur
trois lit melty. C’est une audience comparable, voire plus nombreuse qu’un
programme de téléréalité quotidien de chaîne TV. Nous sommes leader du mix
affinité/puissance tous médias confondus. Jusqu’à maintenant nous ne pouvions parler
que de ce qui se passait ailleurs. Aujourd’hui on parle autant des sorties de cinéma
que de nos propres productions.
Par rapport à une production TV, quelle est la différence dans vos séries, la
durée, la qualité ?
71
melty consacre un part significative de son contenu éditorial à la téléréalité, aux people et aux
événements vidéo du Net
Mai 2015
Tous droits réservés
Il faut que ce soit des formats courts, plus vrais qu’une production TV. C’est-à-dire
moins marketés, plus spontanés d’une certaine manière, il faut que ça ait l’air moins
pro. Et encore sur la longueur, on peut faire sur le Net des programmes qu’on ne voit
pas ou plus en TV. Par exemple, en téléréalité, nous pourrions proposer de la
téléréalité en live 24/24, ce que les chaînes ne proposent plus. On peut faire suivre la
vie de talents, de pépinières ou de personnes en live. Ensuite, on peut résumer cela en
format YouTube quotidienne de 5 à 10 minutes. C’est pourquoi Snapchat 72 vaut
autant. Ce service regroupe les YouTubers, les Bloggers, les célébrités en temps réel.
À l’origine le 24/24 de la téléréalité était payant, promu par la diffusion
quotidienne gratuite sur la chaîne. Quel est votre business model ?
Nous travaillons sur la fourniture de contenus gratuits à nos lecteurs. Le financement
se fait par les marques. Nous finançons nos programmes en amont et les diffusons sur
tous les canaux possibles. Pour nous, YouTube est un canal. Ce n’est pas une finalité
business. Nous ne croyons pas au CPM73. Nous ne sommes pas sur YouTube pour
gagner de l’argent. Nous pensons qu’il est possible de produire une série incroyable
grâce à un annonceur. Ça s’appelle du Native.
Puisque vous êtes sur Internet, vous avez une totale liberté d’intégrer
l’annonceur dans le programme. Pas de risques avec les règles du CSA qui
s’imposent aux chaînes de télévision…
Pas de CSA mais nous avons les jeunes. Si la présence de la marque ou du produit est
flagrante et que les jeunes se rendent compte que la série est un alibi pour promouvoir
le produit, le retour de flamme va être dix fois plus violent que le CSA. Dans le Native,
la marque associe ses valeurs aux valeurs du programme. Si les valeurs plaisent aux
jeunes, ils associeront la marque à ses valeurs. Pour la présence, c’est très classique
avec une mention de la marque en entrée et une en sortie de programme. Ce n’est pas
du Brandcontent dans le sens où nous ne parlons pas de la marque. La marque permet
au lecteur de voir un contenu qui lui plait. On ne parle pas d’elle. Par exemple, Coca
sponsor de la Game zone permet de voir des trailers en avant-première. On ne dit
jamais « Bois du Coca ». On le fait avec plein de marques. Toujours dans la même
logique : ce contenu t’est proposé par cette marque. C’est la règle de Justin Bieber : Il
faut donner pour recevoir.
72
Snapchat est une application mobile de partage de photos et de vidéos. Sa particularité est
l'existence d'une limite de temps de visualisation du média envoyé à ses destinataires (1 à 10
secondes). http://www.snapchat.com/
73 Coût Par Mille : valeur de l’espace publicitaire diffusé avant ou pendant le programme sur
YouTube.
Mai 2015
Tous droits réservés
91
Ces modes de consommation peuvent-ils concurrencer le volume de
consommation de la Télévision que l’on connait aujourd’hui ?
C’est encore réduit aujourd’hui car on est très en avance et il reste encore énormément
de personnes regardant la TV. Jusqu’à maintenant cette nouvelle expérience TV au
fond de son canapé était limitée. Les box des opérateurs sont lentes et compliquées,
quand il suffit d’appuyer sur un bouton pour changer de chaîne. Avec l’ergonomie des
nouvelles générations de box telles que la Xbox One, ça va changer. À mon domicile,
elle est allumée en permanence sur l’application YouTube qui marche incroyablement
bien. L’expérience est maintenant plus agréable sur ma TV que sur ma tablette. Je ne
regarde plus YouTube sur mon ordinateur, ma tablette ou mon téléphone mais sur ma
TV. Je prends ma feuille de recommandation de YouTube et je passe de la vidéo 1, à
la 2, la 3 la 5 exactement comme je zappe de chaîne en chaîne. En terme d’ergonomie,
je préfère regarder sur ma TV M6 avec 6play via ma Xbox que directement. Je
consomme M6 à ma guise.
L’ergonomie est déterminante.
92
Pour moi, que ce soit par les Box ou la Xbox, la chaîne YouTube de M6 deviendra la
manière de consommer M6. On aura le choix entre les bandes-annonces, le snaking et
le replay sans être embêté. Car l’ergonomie est incroyable. Dans un moteur de
recherche, il n’est plus question de savoir quel est le numéro de la chaîne. Il suffit de
taper la chaîne. Il est aussi possible de taper melty pour regarder nos vidéos. C’est une
évolution qui va prendre 2 à 3 ans. Mais déjà, l’expérience Netflix est bluffante. Non
seulement le catalogue est bien mais le site est hallucinant. Le gouvernement veut
créer des murailles de Chine pour empêcher ces services de se développer. Au lieu de
bâtir des murailles qui ne fonctionnent pas, il serait mieux de développer les moyens,
les canaux et les outils pour faire en sorte que ça fonctionne. Pour nous, Netflix,
YouTube ou Snapchat sont des canaux de distribution.
Donc le contenu qui nous est proposé est uniquement déterminé par des
algorithmes ?
Pas forcément. Regardez la page d’accueil de melty. La page est algorithmisée en
fonction de votre consommation, donc elle s’adapte à ce que vous voulez. Mais 20 %
est du contenu hors algorithme, générique pour tout le monde, pour permettre de faire
découvrir quelque chose. Le « A la une » est totalement fait par nos rédacteurs avec
un point de vue éditorial. Sur les nouveau services tel que Netflix, vous avez aussi ces
deux approches. Algorithme et produits poussés hors algorithme.
Mai 2015
Tous droits réservés
L’algorithme impacte également les contenus en eux-mêmes. Comme vous le
faites sur les articles de melty à quelques jours, mais sur des délais un peu plus
longs pour la vidéo…
Oui, on utilise l’algorithme pour déterminer ce que la personne a envie de voir ou de
lire. Netflix s’en sert pour la production de ses séries. Nous le voyons bien chez melty.
Chaque fois qu’une nouvelle série sort, c’est une tendance qui s’imprègne de ce qui
s’est passé avant. Prenez 301 vues, c’est The Office, adapté à l’esprit Start-up
d’entrepreneuriat qu’on détecte dans la génération actuelle mélangé avec la frénésie
qu’il y a autour de YouTube et des YouTubers, ces nouveaux héros de
l’Entertainment. On l’a sorti maintenant, mais cette tendance va rester pendant un an
au moins. 301 vues a été initié il y a moins d’un mois. Et un épisode se produit en une
semaine.
En quoi les chaînes de télévision peuvent-elles tirer parti de l’expérience que vous
avez pour créer du contenu ?
Il faut qu’elles considèrent être des médias et non pas des chaînes de télévision. Elles
doivent diffuser partout où leur cible est. Aujourd’hui, elles prennent de la Télévision
et la diffusent partout où leur cible est. Il faut prendre un contenu et l’adapter partout
où la cible est. Il faut pour chaque canal de diffusion un format adapté. Les chaînes
restent dans une logique où tous les contenus doivent converger vers la TV. Nous
n’avons pas peur que melty puisse d’ici 3 ans être considéré comme une chaîne
YouTube par les uns ou une page Facebook ou une application mobile pour les autres.
L’objectif de la page Facebook n’est pas de ramener les utilisateurs sur le site melty.
On prend notre contenu et nous le diffusons là où sont nos utilisateurs. Alors que la
page Twitter de TF1 est là pour ramener des téléspectateurs à TF1. Pour eux, c’est un
produit de promotion, pour nous c’est un canal de distribution.
C’est rendu possible car votre contenu est financé en amont, donc vous n’avez
pas la problématique de financer la diffusion ?
Effectivement. On s’est rapidement rendu compte que tout ce qui est display ne
pouvait pas fonctionner. Un pre-roll et un post-roll sont une prise d’otage de
l’utilisateur. Ça ne peut pas être un environnement qualitatif pour mettre de la
publicité. Les jeunes veulent leur contenu sans avoir à attendre une minute de pub.
Mais le financement des contenus pour l’association de valeur répond à une
communication sur le long terme. Ce n’est pas ce qui va provoquer l’acte d’achat.
Il y a une partie des objectifs publicitaires qui ne peut pas être satisfait par cette
approche-là.
Pour nous la partie acte d’achat ne doit pas être faite par un média. Le but d’un média
est d’être prescripteur. Dire ce qui est cool et ce qui ne l’est pas. L’acte d’achat même
c’est le territoire de Google, de Facebook et de Twitter. Diffusion des millions de
Mai 2015
Tous droits réservés
93
bannières avec marqué « Clique, clique vite » ou « Solde Solde Solde », nous ne
savons pas faire. Pour moi, les chaînes ont perdu la partie sur cette pub d’achat face
aux outils de tracking de Google ou Facebook. Regardez ce qui se passe sur le Super
Bowl. Les pubs ne sont plus là pour dire « achète ! » mais présenter l’offre Marque.
Mais jusqu’où peut-on être prescripteur si le contenu est financé par un
annonceur ?
C’est un équilibre à trouver. Cette année, Top Chef crédibilise son programme car les
chefs travaillent eux-mêmes dans le programme. On a quitté l’émission où des chefs
critiquent les plats des candidats qui se sont donnés pendant deux heures. Chefs dont
le téléspectateur n’a sûrement pas goûté la cuisine personnellement. Maintenant, le
chef participe, donne des conseils, voire concourt face aux candidats au risque d’être
dépassé. Ça lui donne la légitimité de critiquer les candidats. Ça légitime le
programme pour le téléspectateur qui peut juger ainsi de la valeur de celui qui juge.
Pour nous, il n’y a pas de marque média. Il y a des labels sur des contenus. Par
exemple, pour melty les valeurs sont «Cool, Positif et Jeune ». Tous les contenus que
vous trouverez sur melty sont cools, positifs et jeunes. C’est notre label. Tous les
contenus qu’ils soient sélectionnés ou produits par melty doivent avoir ces valeurs
pour créer la confiance avec le lecteur.
94
Cela signifie que 100% de votre contenu est sponsorisé ?
Non seulement 5% du contenu est sponsorisé. Et ces 5% financent le reste. Je ne pense
pas qu’il soit ni souhaitable ni possible que tout soit sponsorisé. Chaque fois qu’on a
un sponsor qui nous permet de créer un contenu, nous pouvons produire un contenu
annexe qui augmente les premiers contenus et ainsi de suite. Si nous produisions 100%
du contenu proposé sur melty nous pourrions augmenter cette part de contenu financé,
mais comme nous agrégeons du contenu externe, ce n’est pas possible. Car nous
parlons de tout ce qui intéresse les lecteurs, y compris de ce qui se passe sur les autres
chaînes et les autres sites. Donc impossible de faire du 100% melty. On explique aux
marques qu’elles doivent arrêter de vouloir devenir une destination. Ce ne sont pas
des médias, mis à part Redbull qui est presque plus un média qu’une marque. Les
marques ne peuvent pas être un média crédible quand elles travaillent sur leur propre
univers de marque. Par définition, elles sont juge et arbitre. Nous offrons cette
crédibilité. Et nous sommes un carrefour d’audience. Un jeune sur trois passe chez
nous. Plutôt que de créer son contenu et de générer son trafic, Coca, en sponsorisant
la Game Zone sur melty, a touché 3,5 millions de jeunes en une année. S’ils avaient
dû acheter en logique perf 3,5 millions de visiteurs uniques sur Google, cela leur aurait
coûté bien plus cher sans avoir la même valeur. Ils auraient été achetés, alors que sur
melty, ils viennent parce que le contenu leur plait.
Mai 2015
Tous droits réservés
FABRICE MOLLIER
DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT MARKETING,
STRATÉGIE ET INNOVATION
TF1 PUBLICITÉ
Fabrice Mollier est Directeur Général Adjoint Marketing, stratégie et innovation
de TF1 Publicité depuis décembre 2013.
Dans le groupe TF1 depuis 1994, il a occupé les postes de Directeur du Marketing et
du Développement de la filiale de téléachat Téléshopping, Directeur Général de
TF1Games, Directeur du Marketing de l’Antenne et Président des chaînes
thématiques du groupe.
Mai 2015
Tous droits réservés
95
Au vu de tout ce qui est annoncé avec le numérique, qu’est-ce qui, de votre point
de vue et de votre expérience, a du sens et finira par arriver et à quelle échéance ?
Comment vous conciliez et monétisez les deux approches Télévision et
Numérique ? Quelles sont les attentes de vos clients ?
Dans le contexte actuel de discours autour des Data, nous ne devons pas laisser infuser
l’idée que le Digital est « super » car très bien mesuré, très bien ciblé et, qu’à l’inverse,
la Télévision, c’est indifférencié, c’est « tout le monde ». Aussi, notre stratégie est
d’être la première régie de la Data en Télévision. Le 17 mars nous avons lancé l’outil
One Data, qui intègre tout ce que nous pouvons faire avec les Data en Télévision qui,
rappelons-le, est le média le plus mesuré. La Data est une vraie révolution, presque
technologique à la base, et ça change la façon de collecter des infos sur les clientsconsommateurs. Nos clients-annonceurs ont de plus en plus de données qu’ils essaient
d’exploiter. C’est la révolution dans leurs pratiques marketing, voire leurs
organisations, avec des Chief Data Officer.
En tant que première 1ère régie publicitaire, nous devons nous mettre à leur diapason
en termes de partenariat.
96
Ce que le Digital fait bien de façon native (en étudiant le surf des gens je vais essayer
de deviner ce qu’ils aiment dans la vie), nous l’avons fait sur une voie Panel (sérieuse
et solide) avec Kantar sur un panel consommateurs (20.000 foyers qui scannent tous
leurs achats). Nous le rapprochons du panel Médiamétrie par la technique des sosies.
Nous proposons 44 marchés 74 dans Popcorn 75 , non plus sur des critères
sociodémographiques, mais sur les achats de produits, pondérés d’indicateurs de
volume.
La limite des socio-styles, c’est l’incarnation de toute une population en un seul
personnage caricatural et, finalement, peu représentatif et réducteur. Toute l’analyse
factuelle du socio-démo était biaisée par l’analyse personnelle que l’on pouvait
percevoir des socio-styles.
Nous complétons ce dispositif sur les biens et services76. C’est aussi un panel Kantar.
Techniquement, c’est plus complexe car les consommateurs ne scannent pas leur
utilisation de services.
74
Exemple: fromages à pâte dure, shampooing, eaux plates, tout ce qui est vendu en grande
distribution en alimentation, hygiène-beauté, entretien (50% du CA de TF1 publicité)
75
Outil référent du marché pour l’élaboration des plans-media des annonceurs
76
Banque, Assurance, Automobile, Télécom (l’autre 50% du CA de TF1 Publicité)
Mai 2015
Tous droits réservés
La vente de ce nouveau produit est toujours valorisée en GRP ?
Oui, ce sont des nouvelles cibles comportementales. La difficulté pour les agences est
de gérer deux dispositifs, car tous les annonceurs ne vont pas migrer et les cibles
sociodémographiques vont encore perdurer pendant longtemps.
Nous prouvons que l’on peut concilier Data et Télévision. C’est une première
mondiale.
La Télévision reste mass-média, demeure très efficace. La part de marché de la
Télévision va bien, même s’il y a un effondrement des prix car il y a eu trop d’offre.
Il n’y a jamais eu autant de durée de publicité vendue à la Télévision.
Le Digital est tellement générateur de discours foisonnants, qu’il est utile de rappeler
les argumentaires simples, voire simplistes de la Télévision mais néanmoins très
efficaces, comme « La Télévision fait vendre ». Sous la pression du Digital, on assiste
à une prime à la créativité (cf. les spots diffusés lors du Super Bowl) au détriment de
l’efficacité sur les ventes.
Où en êtes-vous de vos offres couplées Télévision et Digital ?
Sur l’ensemble des écrans digitaux, comme les reach77 sont petits, nous mettons en
avant le caractère engageant de la campagne. C’est souvent de la réassurance par
rapport à la Télévision. Ce sont des opérations spéciales, très adaptées à la démarche
de l’annonceur qui doivent être rares en contenu, avec un programme très Connect.
Le 2nd écran marche bien quand on fait une pub pendant The Voice. On peut l’envoyer
sur la tablette ou y mettre une information complémentaire, car c’est intuitif et intégré
dans un dispositif et le consommateur est content.
Le Digital fait du bien à la Télévision, car il lui rappelle qu’elle ne doit pas abandonner
son territoire de base, comme l’engagement. Des annonceurs sont toujours
demandeurs du contexte programme ; pour eux, il se passe quelque chose qui va audelà de l’audience. C’est ce que nous appelons « engagement ». Une étude lourde,
publiée en décembre dernier, prouve que plus on est engagé dans un programme et
plus on va se souvenir des spots 78 (meilleure mémorisation), meilleur impact sur
l’image de la marque et meilleure intention d’achat.
Nous n’en sommes pas encore à intégrer dans Pop Corn un paramètre « engagement »,
même si certaines agences nous l’ont demandé. Mais, c’est une approche qui permet
de mieux valoriser globalement notre offre. Le tarif de ces écrans prend déjà en
77
Le reach est la couverture d’une campagne, d’un site ou d’un réseau publicitaire
Il s’agit des spots dans les écrans publicitaires du programme et non des parrains, pour
lesquels il y aussi un « transfert de valeurs »
78
Mai 2015
Tous droits réservés
97
compte cette dimension avec un coût GRP supérieur à son audience. C’est un caractère
supplémentaire à celui de la puissance de l’écran79.
Comment monétisez-vous les publicités sur le 2ème écran et en catch-up ?
La monétisation du 2ème écran est ajoutée, sur la base du CPM estimé. Ce sont souvent
les mêmes annonceurs. La valorisation se fait sur les normes du Digital. La catch-up
est devenue un énorme enjeu publicitaire classique.
Sur la catch-up, nous sommes très sensibles à préserver la marque MyTF1 et
l’environnement ergonomique associé quelles que soient les plateformes de
distribution. La consommation en catch-up est très liée à la diffusion du programme
et l’entrée par la chaîne est un paramètre majeur ; ce n’est pas une VOD banalisée
dans laquelle se retrouve mélangés tous les programmes diffusés sur toutes les
chaînes. C’est vraiment de la Télévision de rattrapage et pas de la vidéo.
98
La catch-up, c’est de la Télévision, mais pour la publicité, c’est du Digital.
Historiquement, elle est née sur les ordinateurs. Le poids de l’IPTV est spécifiquement
français. Une vidéo sur deux est consommée via une box en 201480, mais la tablette
va connaître une forte croissance car elle est quasiment une petite télé. Ce qui est
important, c’est le service de catch-up et non l’écran sur lequel on la regarde. Donc,
on vend la catch-up sur le CPM, mais avec un caractère premium qui permet un bon
niveau de monétisation, bien supérieur au CPM de base.
Contrairement à ce que l’on peut penser, les FAI n’ont que la connaissance du foyer
et de sa localisation, mais pas de Data sur le consommateur final. Sur l’Internet
mobile, ils savent tout, mais sur l’IPTV pas grand-chose car le questionnaire rempli
lors de l’abonnement est assez succinct.
Les annonceurs sont de plus en plus soucieux de l’environnement dans lequel le
message est diffusé, y compris sur le Digital. L’avantage de la catch-up est la
connaissance du programme visionné, avec l’assurance qu’il s’agit d’un programme
de TF1 sur MyTF1.
Enfin, comme chez nos clients-annonceurs, il y a du transfert des investissements
publicitaires de la tTélévision vers le Digital, il est vital que TF1 ait un inventaire en
Digital. La catch-up nous permet d’être présents sur ce marché.
79
Ndr : un écran publicitaire à 1M de téléspectateurs est tarifé plus que 10 fois un écran à
100.000 téléspectateurs, car il y a l’assurance qu’ils sont tous différents ; l’écran plus puissant
est considéré comme plus efficace.
80
45% en IPTV, 41% sur le PC, 14% sur le mobile ou la tablette
Mai 2015
Tous droits réservés
En jouant les Monsieur Jourdain, nous avons découvert récemment quelque chose de
très intéressant. Nous avons lancé en août dernier notre SSP 81 : une plateforme
automatique de vente de la catch-up, pour le moment seulement sur le PC. Nous
faisons donc de la RTB82, de la programmatique, des enchères. Nous le faisons très
tranquillement, sous un schéma de « white list ». Ce sont les agences qui nous achètent
mais elles déclarent compte à compte chaque annonceur et nous donnons notre accord
ou non à chaque fois. Nous fixons des prix plancher relativement élevés mais moins
chers qu’en classique. Nous le vendons en « semi-blind », l’inventaire est divisé en
plusieurs catégories : Gold, Silver, Bronze. Le Gold n’est pas vendu en
programmatique (par ex. Mentalist, sous forme de paquet de programmes), en
revanche le Silver (programme TF1 mais pas premium, avec une liste de programmes
mais le client ne choisit pas un programme particulier) et le Bronze (extraits de
programmes, Wat …) le sont. Le client précise les Data qui l’intéressent et la catégorie
mais pas le programme précisément. En télé ce qui est important c’est le programme,
même si le client cherche à toucher des individus, c’est dans un contexte programme.
En Digital c’est l’individu derrière l’écran, peu importe ce qu’il regarde et le site sur
lequel il est, le contenu y est secondaire. L’important c’est la personne et la
technologie pour bien la servir.
Résultat des courses, sur le SSP on atteint presque le même prix que le classique. Nous
avons très progressivement augmenté le prix plancher du Silver, comme c’est une
offre exclusivement TF1, considéré par le marché de très bonne qualité, le prix est
quasiment celui du classique. Une des explications est « le taux de completion » sur
le Digital : combien de pourcentage de ma pub a été vu ? Les annonceurs sont prêts à
payer beaucoup plus cher si toute la pub est vue. Ce qu’on vend en Digital, c’est une
impression, l’AdServer a envoyé une pub et son emplacement sur la page n’est pas
connu, même si c’est en train de se professionnaliser. L’avantage de la catch-up, c’est
l’assurance que la pub est dans la page puisque l’on veut regarder un programme ;
quand le contenu est premium, les gens regardent la pub en entier. Alors que pour
nous la valeur de l’offre résidait dans la qualité du contenu, pour les clients la qualité
de l’inventaire réside dans le taux de completion. On se rend compte que c’est ultra
corrélé. Et même s’il y a plusieurs publicités à la suite, quand le « consommateur »
veut regarder un programme premium, il regarde toutes les pubs. Même si a priori,
nous considérions que le JT n’a pas la même valeur qu’un jeu, dans la pratique si la
personne a décidé de regarder Le juste prix c’est qu’elle a de bonnes raisons et elle va
regarder la pub dans l’attente de son programme, il est devenu premium pour elle.
81
Sell Side Platform ou Supply Side Platform : plateforme permettant aux éditeurs
d’automatiser et d’optimiser la vente de leurs espaces publicitaires.
82
Real Time Bidding : enchères en temps réel sur le marché de la publicité
Mai 2015
Tous droits réservés
99
Le 2ème écran. Que pensez-vous de la vente des hashtags des émissions par les
réseaux sociaux ? Êtes-vous tenté de vendre un écran avec un téléspectateur dont
la tablette est connectée en même temps qu’il regarde la télévision ?
Nous sommes en train de faire un gros rétropédalage sur ce point, car le discours sur
le multitasking pour afficher un engagement est détourné en un discours sur « Tout le
monde sait que personne ne regarde la télé les mains vides ». Les études, notamment
de Médiamétrie, avec la formule « avez-vous déjà …» renforce ce discours et en
communication le « X% ont déjà » est transformé en « X% font … en permanence ».
Le discours est que la télé est moins efficace, car les gens sont moins concentrés.
Le panel mis en place par Google avec Médiamétrie suit l’activité télé et digitale au
sein du même foyer de panelistes spécifiques. Il donne une information sur le
multitasking réel. Le pourcentage du temps passé devant la télé pendant lequel les
téléspectateurs ont un autre écran actif (en relation ou pas avec le programme qu’ils
regardent), est de 6% ; 6% du temps de consommation de la télé.
100
Donc, nous sommes prudents sur le multitasking. Pour nous, c’est un plus pour une
opération spéciale, type La Redoute avec The Voice présent en même temps sur la
tablette, mais l’offre alimente le discours que les gens ne sont pas concentrés face à la
télé. Comme si, il y a 10 ans, personne ne faisait déjà autre chose devant la télé !
Mai 2015
Tous droits réservés
BRUNO PATINO
Bruno PATINO nous a accordé cette interview à titre personnel.
Depuis 2010, il a en charge la stratégie numérique de France Télévisions, fonctions
auxquelles s’est ajoutée la Direction des Programmes et des Antennes du groupe en
2013. Préalablement, il a travaillé dans plusieurs médias écrits et audiovisuels
notamment Le Monde dont il a été Vice-Président, Hachette Livre, France Culture et
Canal +. Auteur de plusieurs ouvrages, il a co-écrit avec Jean-François Fogel « Une
presse sans Gutenberg » (Grasset, 2005), sur l’impact d’Internet sur la presse et le
journalisme et « La condition numérique » (Grasset, 2013) sur les transformations
anthropologiques, sociales et économiques, induites par l'entrée dans l'ère du
numérique.
Mai 2015
Tous droits réservés
101
Quelle est la stratégie numérique de France Télévisions ? Quel bilan tirez-vous
des actions que vous avez menées ces dernières années ? Quelles évolutions à
court terme ?
Pour moi, il n’y a pas d’un côté une stratégie numérique qu’il faut développer le plus
rapidement possible et de l’autre une stratégie analogique pour préserver l’existant le
plus longtemps possible, pour « limiter la casse ». Avant, il y avait une stratégie de
diffuseur mass-média dans une chaîne de valeur organisée plutôt de façon industrielle.
Il faut une stratégie dans un univers de foisonnement de médias de précision, où la
télé de programmation et la télé de recommandation coexistent, où la réception peut
avoir lieu en tout lieu à tout moment et de façon simultanée et non simultanée.
Passionnant du point de vue sociologique, mais destructif du point de vue business.
À France Télévisions, il y a une seule stratégie intégrée. Je ne conçois pas une
organisation avec une business unit « normale » et une business unit « numérique »
séparées.
102
Pour moi, il y a un théorème de base: « les usages s’ajoutent les uns aux autres, les
modèles économiques se détruisent les uns les autres ». Il ne faut pas confondre une
problématique avec l’autre. Les usages s’ajoutent, il faut donc aller à tous les usages
dans un système de fragmentation sociale, d’audience, spatiale …
Le modèle économique « industriel » national organisé de façon unique est mort. La
taille des économies d’échelle possible est soit planétaire soit inexistante dans une
économie « scalable »83.
Les corollaires de ce théorème sont multiples.
On ne combat pas la sociologie. Je ne peux pas obliger les gens à se comporter de la
façon dont ils ne veulent pas se comporter. Même si certains en rêvent et souhaitent
ignorer l’existence de la télécommande, de la TNT, de la distribution de la vidéo sur
Internet et du WiFi, nous ne sommes pas capables de modifier le comportement des
gens. On suit et on ne prétend pas dicter.
« Quand on bascule dans l’univers numérique, l’ubiquité est la nouvelle exclusivité »,
célèbre phrase d’Arianna Huffington. À France Télévisions, c’est le basculement
d’une offre de télé de rattrapage exclusif sur Orange avec une seule technologie, à une
offre d’hyperdistribution à tout moment, toute technologie, sur le principe d’aller
chercher les gens là où ils sont dans le contexte où ils sont.
83
Scalability : capacité d’un produit/service à s’adapter à un changement d’ordre de grandeur
de la demande, en particulier le maintien de ses fonctionnalités et de ses performances en cas de
forte demande
Mai 2015
Tous droits réservés
Une philosophie de l’expérience avec le triangle de l’Expérience composé des trois
sommets : Contenu, Interface, Contexte d’utilisation.
L’Interface : Facebook, Téléviseur… ; le Contexte d’utilisation : mobile/pas mobile,
perso/pas perso, à la maison/au travail… ; à chaque fois que je change une des
occurrences d’un angle, je change/modifie l’expérience. Les expériences ne sont pas
substituables entre elles, elles s’additionnent. Il peut y avoir concurrence entre une
expérience et une autre et nous ne sommes pas maîtres de cette évolution sociologique.
Comme elles ne sont pas substituables, il n’y a pas un modèle économique unique,
mais un modèle économique par expérience. La Télévision linéaire est une
expérience, la Télévision non linéaire sur le téléviseur en est une autre, la Télévision
linéaire sur le mobile encore une autre, et la Télévision non linéaire sur une tablette
dans le métro aussi. Il faut avoir de l’inventivité pour passer d’un modèle industriel
business de mass-média (puissance ou affinité), lié à la présence oligopolistique sur
un marché donné, au système actuel. La tendance naturelle est la multiplication des
expériences, certaines éphémères et d’autres pas.
L’autre tendance structurelle du marché (à deux/trois ans) est la cohabitation de la
Télévision de programmation (linéaire) et la Télévision de recommandation (je
n’aime pas le terme de Télévision à la demande) qui est une Télévision qui « pousse »
car elle sait des choses sur vous. Cette dernière maîtrise la donnée, avec trois types de
recommandations : algorithmique, sociale, humaine. La linéarité n’est pas le principe
de base du business, le principe de base du business est la maîtrise de la donnée. Quand
vous assistez à un séminaire de Netflix, vous comprenez qu’il ne s’agit pas d’un
système de Télévision à la demande. La problématique au niveau business est la
scalabilité des droits, de l’algorithme. Les relais de croissance portent sur l’acquisition
des droits d’un côté et la multi-précision de l’algorithme de l’autre. L’un compense
l’autre ; la puissance de l’algorithme permet de ne pas être exhaustif sur les droits.
L’algorithme aide à gérer la rareté des droits en mettant en avant les droits possédés.
Avoir plus de droits n’est pas suffisant pour gagner le combat.
La Télévision de recommandation émerge, y compris sur l’écran du téléviseur. Il ne
faut pas confondre les statistiques du temps passé devant le téléviseur et celui passé
devant les chaînes linéaires (par exemples, Black List aux États-Unis, 75% du temps
d’écoute est en non linéaire, tout en étant un hit en linéaire, Accusé qui n’est pas
spécifiquement conçu pour une consommation non-linéaire, 20% de l’audience est en
non-linéaire). Sur les « petites » audiences (Arte, FranceÔ) le non-linéaire peut être
supérieur au linéaire (par exemple, les télénovelas sur FranceÔ), même sur des
programmes non feuilletonnants.
L’affaiblissement du diffuseur par rapport aux deux bouts de la chaîne : d’un côté la
Distribution, ceux qui maîtrisent l’interface (aujourd’hui, les box c’est 40% de la
distribution) et de l’autre la Production (les marques-programme).
Mai 2015
Tous droits réservés
103
Historiquement, il y a toujours eu une crainte de l’État de « toute puissance » du
diffuseur et sa volonté d’en protéger les téléspectateurs et les producteurs qui étaient
« éparpillés ». Aujourd’hui, les pouvoirs publics souhaitent la création de grands pôles
de production nationaux mais avec aussi la survie d’une multitude de petits
producteurs.
L’économie du secteur de la production reposait sur deux principes. La puissance de
l’audience et donc de la recette de la primo-diffusion par un diffuseur, canal unique
d’un programme, régulé, organisé de façon nationale. L’existence d’un effet de rente
de la tTélévision payante et l’organisation d’un système de sa redistribution vers les
producteurs. Aujourd’hui, la tTélévision payante est prise en ciseaux entre un prix
d’abonnement qui ne peut être augmenté à cause de la nouvelle concurrence et les
obligations historiques qui alourdissent les coûts.
104
Depuis plusieurs années, sont apparues sur le marché international de la Production
des séries de niche, clivantes étrangères (par exemple, les séries scandinaves ou Mad
men pas plus de 2/3% d’audience dans chaque pays mais un CA global de plusieurs
centaines de M$). Dans le même temps, les objectifs d’audience nécessaires pour les
séries françaises (dans le respect du modèle économique historique) obligent de
réduire la prise de risque pour attirer le plus large public, afin qu’elles soient
consensuelles.
Le modèle économique actuel des diffuseurs français, fruit de la règlementation
actuelle ne permet pas de coproduire des séries internationales rentables qui ne
feraient que 5% d’audience en France. Seul Canal+ peut être sur ce marché.
Cependant, ces séries permettraient la mondialisation de l’exception culturelle
française.
Le rôle de l’éditeur n’est pas perçu à l’identique dans le Livre et dans l’Audiovisuel.
Un éditeur est celui qui met en relation un contenu avec une audience. La politique
des pouvoirs publics depuis 1981, avec la loi Lang, selon la théorie économique des
biens d’expérience, a favorisé le rôle de l’éditeur littéraire. De même, le contrat
auteur-éditeur a eu pour objectif de renforcer le rôle de l’éditeur. En 2014 : dans le
Livre, Hachette-Livre est le 2ème groupe mondial, présent aux États-Unis, avec des
droits mondiaux de blockbusters mondiaux, dans toutes les langues. Et le plus beau
groupe mondial Gallimard s’est renforcé structurellement. Dans l’audiovisuel, le rôle
de l’éditeur, notamment vis-à-vis des producteurs, est toujours l’objet de nombreux
débats.
Le groupe France Télévisions se caractérise par rapport aux autres diffuseurs par le
fait qu’il produit plus qu’il n’acquiert 84 . La stratégie dans un contexte d’hyper84
1,1 Md€ de budget Programmes, 400 M€ de création patrimoniale, avec les magazines non
adaptations de formats internationaux, soit un total est de 800/900 M€ de production française.
Mai 2015
Tous droits réservés
distribution est d’être « cleptomane » en termes de droits, pour passer d’une stratégie
de diffuseur à celle d’éditeur qui optimise la gestion des droits avec du partage de
revenus. Grâce à l’exposition, leur puissance, l’effet de taille, les chaînes linéaires
sont le meilleur gestionnaire pour optimiser l’exploitation de droits.
La stratégie actuelle ne doit pas être de perpétuer un modèle économique reposant sur
des ressources publicitaires en forte baisse sous la pression d’Internet mais
d’optimiser l’exploitation des droits de la production française. Le patrimonial ne peut
avoir un avenir que par la mondialisation et la coproduction internationale. Mieux
vaut mondialiser 2% d’audience qu’en domestiquer 30%.
De plus, dans ce contexte, la question de la multidistribution du même programme au
même moment se pose, notamment pour amortir les coûts marketing de promotion,
notamment virale et optimiser la notoriété apportée par cette promotion de la 1 ère
exploitation. Ne peut-on pas dans certains cas, imaginer une sortie simultanée sur tous
les écrans85 ? Je suis persuadé que les expériences ne sont pas substituables entre elles.
Donc on peut s’interroger.
L’évolution est au croisement de ces modes de financement, avec une
multidistribution simultanée et un business model par expérience. L’exemple de la
série Les hommes de l’ombre est probant ; la saison 1 a été exploitée avec la
chronologie des médias usuelle pour les fictions, mais la saison 2 est sortie en
simultané partout (payant, sur les plateformes de VOD, catch-up en streaming). Tous
les records ont été battus partout : meilleures audiences en TV que la saison 1, top des
ventes iTunes (payant), record en catch-up gratuite (recettes publicitaires avec le preroll), record en DVD, maximisation de l’impact. Ce n’est qu’un exemple qui n’a pas
valeur de théorème mais je suis persuadé de la pertinence de cette approche.
L’étalement dans le temps dilue l’effet de lancement et l’effet viral. Nous sommes
dans une société en réseau de recommandation permanente et de viralité. La
recommandation et la viralité sont beaucoup plus puissantes que l’impact publicitaire.
Les usages s’ajoutent, les modèles économiques se concurrencent. Pour la création
patrimoniale et évènementielle, il faut mondialiser le marché, le dédomestiquer. Bref,
mondialiser notre exception culturelle.
85
cf. le propos de Kevin Spacey sur la vente des dvd du film Margin call à la sortie des cinémas,
4 en moyenne par spectateur pour l’offrir à des amis car ils avaient « adoré » le film
Mai 2015
Tous droits réservés
105
Pour vous, il y a une stratégie unique mais à France Télévisions il y a toujours
deux business units différentes, dont une dédiée au numérique.
Oui, mais il y a une stratégie unique. J’ai fait de FTV EN86 un outil « au service de
l’activité de France Télévisions ». Ses trois axes stratégiques sont:
1.
2.
3.
106
Hyperdistribution
Création verticale thématique (chaînes de TV de recommandation en non
linéaire) avec bientôt FranceTV Info qui sera une chaîne en autoplay
générée par algorithme, idem pour la culture.
Passage de la tTélévision de rattrapage à la tTélévision de distribution.
Dans la première, le public vient chercher le programme, dans la seconde
il lui est recommandé via des algorithmes. Ce que le BBC Player fait très
bien, mais parce qu’il dispose de 30 jours de catch-up. Si nous pouvions
passer à 30 jours de catch-up vs 7 jours actuellement avec un partage des
revenus, nous disposerions d’un inventaire de meilleure qualité et nous
pourrions générer plus de revenus. Cette simple mesure change
l’écosystème radicalement. D’après nos calculs, nous pourrions passer 25
M€ d’euros de recettes publicitaires à 80 M€ et c’est du partage de
revenus. Dans l’intérêt des producteurs. Étonnamment, les producteurs
bloquent. Ça ne coûte rien et ça intéresserait autant les chaînes publiques
que privées.
.
86
France Télévisions Éditions Numériques
Mai 2015
Tous droits réservés
LAETITIA RECAYTE
DIRECTRICE GÉNÉRALE
NEWEN DISTRIBUTION
Laetitia Recayte est Directrice Générale de NEWEN Distribution depuis octobre
2010. Elle a rejoint le groupe Telfrance (devenu Newen) en 2002 comme Directrice
des Coproductions et de l'International, puis Directrice Générale de 2001
AUDIOVISUEL et Directrice Générale Adjointe du groupe. Elle a débuté sa carrière
en 1995 comme Directeur juridique et Business Affairs chez MARATHON
PRODUCTION et a rejoint en 2001 RESERVOIR Prod.
Mai 2015
Tous droits réservés
107
Quel est l’apport actuel et à venir du numérique pour les producteurs et les
distributeurs ? Avec notamment Plus belle la vie, votre groupe est déjà très actif
dans cet univers.
Jusqu’à présent, le numérique était un complément de la diffusion. Soit un supplément
de matière pour les fans, soit un outil de communication. Certains sont tentés de
penser, au vu de l’audience de Plus Belle la vie sur le site, qu’il serait possible de se
dispenser de la diffusion sur la chaîne. Mais cette audience n’est possible que parce
qu’il y a eu pendant 5 ans une notoriété due à l’exposition sur France 3. La vraie
question est : comment faire « from scratch », en partant de rien, pour qu’il y ait de la
notoriété. Le discours « On n’a plus besoin de la chaîne », n’est possible que lorsque
la marque est installée. Tant que le numérique était un complément des épisodes
diffusés sur les antennes, il n’y avait pas de questionnement pour les exploitants de
catalogue. C’était un outil promotionnel supplémentaire. Comme il nous arrive de
faire de la publicité en print et en affichage, on fait aussi de plus en plus de pub sur le
numérique.
108
Aujourd’hui la question est autre. Il s’agit de l’exploitation des programmes, leur
exposition en gratuit ou payant sur le numérique. Ça fait 10 ans que l’on cherche le
modèle économique. Même si en valeur le pourcentage de l’exploitation des
catalogues sur les plateformes augmente, quand on regarde le nombre d’heures
exploitées pour générer ces 5/10% de chiffre d’affaires, on voit bien que ce n’est pas
du tout un système rémunérateur.
La dernière étude du CNC comptabilise effectivement 3,7 Md de vidéos vues en
2014 pour un chiffre d’affaires publicitaire estimé à 80 M€.
On parle toute la journée de Netflix et d’Amazon et des prix qu’ils payent pour la
production de programmes originaux. Mais pour 5/6 séries originales par an, quel est
le volume des programmes financés par les medias traditionnels qui sont proposés par
ces plateformes ? Ce qui fait le trafic de Netflix et provoque l’abonnement, ce n’est
pas leurs séries originales, qui sont des produits d’appel, dont on ne connaît pas les
chiffres de consommation aux USA (ne parlons pas de la France qui n’en est qu’au
début), mais les films tournés par les studios, les séries commandées par les networks
et les chaînes du câble. On ne sort pas de ce modèle : tout ce qui est de l’exploitation
numérique VOD, SVOD, gratuite, payante, c’est de l’exploitation de contenus
financés par d’autres ; avec l’impact très clair que cette exploitation affaiblit les autres
acteurs et que ces derniers mettent de moins en moins d’argent pour financer les
contenus. À un moment, les courbes vont se croiser. Les producteurs vont être une
forte variable d’ajustement dans ce modèle et il est impossible de prévoir comment
cela va se terminer.
Ce qui est certain, c’est qu’il y a un besoin de contenus en explosion, mais personne
ne veut payer.
Mai 2015
Tous droits réservés
On voit aussi apparaître des productions « bidouilles », comme les useful contents, où
des individus lambda génèrent gratuitement du contenu avec leurs propres moyens,
avec une qualité de production de plus en plus importante. Cette production artisanale
tient de plus en plus la route. C’est une remise en question du métier de producteur,
dans la forme traditionnelle, et des montants nécessaires pour produire, notamment
avec toutes les difficultés liées à la France et ses contraintes de droit social,
protectrices mais handicapantes dans la compétitivité mondiale.
On est au cœur du problème et ma question quotidienne est d’autoriser ou non
l’exploitation de mon programme, en contrepartie de faibles montants (YouTube
rapporte énormément à YouTube mais zéro aux ayants droit), sur des plateformes
américaines qui ne vont pas du tout réinvestir dans mon circuit.
Mais, c’est aussi la question que l’on se posait en France quand la TNT est arrivée.
Devions-nous vendre aux chaînes de la TNT des programmes financés par les chaînes
historiques ? À court terme, cela rapporte beaucoup d’argent. Le risque à moyen terme
est de scier la branche sur laquelle nous sommes assis, en affaiblissant les chaînes
historiques alors que les chaînes de la TNT ne créent pas de nouveaux programmes.
On y est actuellement. 10 ans après, la TNT a définitivement affaibli les historiques.
Quelle incidence a l’organisation actuelle avec la mutualisation du financement
au sein d’un groupe et une gestion de la diffusion entre les différentes chaînes
filiales du groupe ?
Les groupes gèrent sans aucun input créatif. Pour moi, une chaîne de télévision, ce ne
sont pas des contrôleurs de gestion qui font de l’amortissement de coûts de grille avec
l’exploitation des fenêtres de diffusion sur toutes les chaînes du groupe. Une chaîne
de télévision, c’est une volonté éditoriale. Est-ce que ça a du sens de retrouver le
même programme sur une autre chaîne quelque temps seulement après une 1 ère
diffusion inédite?
Regardons l’organisation dans les pays où la Télévision marche bien, comme aux
États-Unis et en Angleterre, où des chaînes historiques et des producteurs ont de
bonnes réussites ainsi que les exploitations secondaires. Les chaînes historiques
financent toujours la production d’œuvres nouvelles, s’approprient ces nouveautés,
non pas comme les chaînes françaises qui gèlent tous les droits pendant 10 ans et
empêchent la circulation des programmes, mais avec une démarche marketing qui met
en avant auprès du téléspectateur que la nouveauté est sur la chaîne et seulement sur
cette chaîne. Elle s’associe totalement à cette marque et le public sait, quand il regarde
les exploitations secondaires, qu’il s’agit d’une production de cette chaîne ; que la
nouvelle saison sera exclusivement sur la chaîne. La spirale est vertueuse avec des
nouveautés. Parce qu’il y a un travail éditorial, y compris sur les chaînes payantes.
Face aux contrôleurs de gestion, il y a une équipe marketing avec les valeurs et le
modèle éditorial de la chaîne.
Mai 2015
Tous droits réservés
109
Bien sûr, il faut qu’il y ait de la rediffusion, qui permet notamment de financer de la
production inédite. Mais il faut que ce soit de la rediffusion assumée. Ce qui n’est pas
le cas d’un certain nombre de séries françaises rediffusées sur les chaînes de la TNT.
C’est dans le métier de diffuseur de sélectionner les rediffusions, de porter une grille,
de l’expliquer et de l’assumer. La rediffusion n’est pas qu’une affaire de « robinet»,
si c’est une rediffusion éditorialisée. Par exemple, Alain Vauthier87 avait eu l’idée de
créer une case intégralement composée de fictions en rediffusion mais avec une
sélection très forte, ce qui permettait une forte économie et un financement élevé des
productions inédites.
Considérant que la confiance du public est fondamentale pour réussir dans la
diffusion, il est surprenant de constater qu’une chaîne en difficulté, abandonne le
métier d’éditeur avec une vraie stratégie éditoriale pour passer en mode « logiciel de
programmation », évaluation du stock, taux d’amortissement, avec une analyse
informatique. C’est la réponse actuelle des chaînes privées, mais ça ne marche pas. Il
va falloir re-éditorialiser.
110
Ce n’est pas la solution d’entrer en concurrence avec son client. Chaque domaine doit
être parfaitement maîtrisé par un professionnel. Pour moi un très bon éditeur, ne peut
pas être aussi un très bon distributeur, un très bon producteur et même un très bon
auteur en remontant toute la chaîne de valeur. Dans notre groupe, le métier de
producteur et le métier d’exploitation de catalogue sont des métiers très différents. La
réussite vient de la professionnalisation forte de chaque maillon. C’est ce que l’on
vend à nos clients. Dans cette relation fournisseur-client on est prêt à acheter du
savoir-faire et du service.
La réponse française avec des acteurs qui font tout conduit plus à de la destruction de
valeur qu’à une progression du métier.
Le propre d’une chaîne de télévision est d’éditorialiser. La question préalable posée
au nouveau Président de France Télévisions est d’abord l’évolution de chacune des
chaînes. Mais la tendance actuelle à mutualiser les équipes de toutes les chaînes d’un
même groupe privé, en revanche, ne va pas dans ce sens.
Dans un 2ème temps, peut se poser la question de l’exploitation optimale de la marqueprogramme. Mais sur le fait générateur du programme, c’est-à-dire son financement,
l’éditeur est indispensable. On peut toujours exploiter les droits après en distribution.
Pour la constitution de notre catalogue, en fiction, en documentaire, en flux, nous
sommes totalement dépendants des chaînes françaises.
87
À l’époque où il était Directeur de l’Antenne de France 3 (2004-2009)
Mai 2015
Tous droits réservés
Aujourd’hui, compte tenu de votre savoir-faire et votre démarche à
l’international, pourriez-vous imaginer le financement d’une série avec un pool
d’exploitations internationales, avec éventuellement des audiences limitées dans
chaque pays, et vous affranchir du modèle actuel reposant principalement sur
l’apport d’une chaîne historique française ?
C’est le rêve des producteurs qui attendent que les distributeurs soient coproducteurs
et apportent un financement en amont de la production. Aujourd’hui, ce pourrait être
possible ponctuellement au cas par cas. Mais, en contrepartie d’un apport en amont,
je vais peut-être avoir des demandes, comme sur le casting, le réalisateur, le directeur
photo. Mais est-ce mon rôle ? Je ne suis pas productrice et je ne veux pas m’immiscer
dans les autres métiers. J’appelle à ce que chacun se réapproprie son métier. Au sein
de notre groupe, c’est une valeur forte et nous regrettons que les diffuseurs se soient
progressivement désengagés de tous les attributs du métier de diffuseur, avec des
programmations automatiques de programmes de la chaîne mère sans prise en compte
de la spécificité éditoriale et du public de la filiale. Il n’y a que peu de temps que les
diffuseurs se réapproprient les espaces de marketing et de communication. La R&D
n’existe plus dans les chaînes, pour des raisons de réduction des coûts. Alors que les
marges sont en baisse, les producteurs ont été obligés de supporter ces coûts. On est
dans une déprofessionnalisation globale, où chacun occupe l’espace laissé libre par
l’autre, en faisant plus ou moins bien les choses. Alors que la ministre dit, à juste titre,
qu’il faut que ce secteur se professionnalise. Cela nécessite que chacun rentre dans sa
case et se réapproprie son métier. Ce qui est l’inverse de la tendance actuelle commune
à tous les groupes de diffuseurs français.
Avec Plus belle la vie vous avez fait une exploitation très large de la série sur tout
ce que le numérique pouvait apporter, avec un public qui s’est considérablement
élargi et notamment rajeuni par rapport aux débuts. Pour le lancement
aujourd’hui d’une série de ce type, est-ce que la production imaginerait dès le
début une exploitation très large avec la prise en charge de toutes les
exploitations sur les plateformes par l’éditeur ou le producteur gérerait en direct
ces exploitations ?
Nous avons plutôt tendance à conserver nos droits. Sur Plus belle la vie, France 3
avait le droit de diffusion et tous les autres droits d’exploitation restaient au
producteur. Il y a 10 ans personne n’avait d’expérience récente d’un feuilleton
quotidien, ni sur la notion de fan et d’addiction que ça pouvait créer. Ça a monté
progressivement. On a été assez pragmatiques. Sur les droits dérivés, nous n’y
connaissions rien et nous avons décidé de partager avec FTD, en fonction des
opportunités, avec des commissions et du partage des revenus. Nous avons structuré
l’équipe petit à petit, en gérant d’abord le licensing pur, puis la gestion de communauté
et donc le site Internet. Une des richesses de notre groupe, c’est qu’on essaie de faire
des choses, même si on se plante l’important est d’essayer. On a fait un premier site
qui n’a pas bien fonctionné. Il y avait un site concurrent de fans qui marchait bien, on
Mai 2015
Tous droits réservés
111
a embauché son concepteur. On en est au troisième site et l’environnement nous donne
assez satisfaction. Il n’y a vraiment que les chaînes de télévision qui ont le pouvoir de
capter 15 millions de personnes différentes chaque semaine88. Quelques acteurs sur
YouTube, comme Norman ou Cyprien, atteignent de telles audiences, mais sur des
programmes de courte durée et qui ne sont pas sur une fréquence de nouveauté
quotidienne. La réponse à la question : Qui, en dehors d’une chaîne de télévision au
sens classique, peut arriver à fédérer ce monde-là et donc participer à la création de la
marque de façon très forte ? Il n’y en n’a pas. Même les chaînes de la TNT ont un
potentiel supérieur aux autres plateformes.
Sur Plus belle la vie, aujourd’hui l’exploitation de la communauté reste dans une
logique marketing, elle n’a pas vocation à être rentable ?
112
Tout ce que nous faisons a vocation à être rentable. Nous sommes très décomplexés
par rapport à ça, nous sommes une entreprise commerciale et notre objectif est d’avoir
un niveau de rentabilité, d’avoir un résultat positif. Mais on s’autorise à faire des
essais. Nous avons essayé plein de choses, en termes de technologie notamment, sur
Plus belle la vie avec de la réalité augmentée, du placement de produit, des choses qui
ont fait hurler dans la presse, pas toujours facile à faire passer à l’éditorial, auprès des
comédiens. Mais ça reste des compléments par rapport au feuilleton, auxquels les
producteurs du feuilleton sont très intégrés, extrêmement gardiens du temple, ainsi
que France 3. C’est une magie, avec plein de contraintes et d’objectifs différents qui
se retrouvent autour de la table et on arrive à faire des choses.
En net net, quand on fait le total de tout ce qui a été tenté depuis 10 ans, on doit arriver
à zéro. C’est financé à part du budget de la production. Avec parfois un cofinancement
de France Télévisions et parfois avec d’autres partenaires.
On a une offre audiovisuelle complémentaire du feuilleton disponible sur le site qui
est produit exprès pour ça et qui est monétisée sur le site. C’est la régie publicitaire
qui permet de financer ces essais. Ça reste modeste. Malgré les très fortes audiences
ça reste modeste. Si on est en rationalité pure, on ne fait pas ces développements.
Nous, on veut être présents sur tous les segments. Mais ce qui rapporte c’est la
production télévisuelle classique pour une chaîne de télévision.
Déjà il y a 15 ans, quand j’étais chez Réservoir Prod et que l’on parlait avec Orange
pour l’exploitation sur les téléphones mobiles, on parlait de faire des essais pour voir,
car c’était le début. 15 ans plus tard, c’est toujours le début !
88
Toutes diffusions et exploitations cumulées
Mai 2015
Tous droits réservés
BENOIT SILLARD
PRÉSIDENT
CCM BENCHMARK
CCM Benchmark est un des groupes leader de l’Internet français avec 20,1 millions
de visiteurs uniques soit près d’un internaute sur deux. Il édite notamment
Linternaute.com (1er site d’actualité), CommentCaMarche.net (N°1 sur l’High Tech),
Le Journaldesfemmes.com (1er site féminin) ou Le Journal du Net sur l’information
économique.
Benoit Sillard est président du groupe CCM Benchmark. En 2001, il a publié Maitres
ou Esclaves du numérique (Éditions Eyrolles). Il a été de 1989 à 1998 Directeur
général de Fun Radio, créateur de Fun TV.
Mai 2015
Tous droits réservés
113
Comment créez-vous le contenu de vos sites ?
L’ADN du groupe est le partage de la connaissance, qui se constitue d’information et
savoir-faire. L’information, les médias traditionnels (Presse, TV, Radio) connaissent.
Ils sont traditionnellement top down. Sur Internet, c’est la première fois qu’on peut
avoir de l’échange de pair à pair, c’est le savoir-faire. Nous croisons les deux, le
savoir-faire et l’information pour arriver à proposer une offre originale qui est la
connaissance. Nous le faisons sur quasiment toutes les grandes thématiques avec une
répartition entre savoir-faire et information qui dépend de la thématique. Par exemple
sur High Tech et Cuisine, l’échange de savoir-faire est important. Sur le Journal du
Net, sur la partie Étude de l’Internaute ou sur la Mode, c’est la partie information qui
prend le pas. Dans tous les cas de figure, il y a un mix. En plus, nous avons développé
quelque chose d’unique ; une communauté de 2000 experts, devant celle des Échos et
de l’Obs. Ils interviennent et font des chroniques. Ils apportent un savoir-faire précis
sans vision du rédacteur. C’est une communauté très large qui grâce à un accord avec
un site américain, s’étend même à la communauté américaine.
Quel est votre mode de financement ?
114
Sur ces éléments de base, le financement vient par la publicité. J’ai un espace, je le
monétise. C’est un modèle comparable à la radio qui nécessite d’avoir une masse
critique et de très gros volumes d’audience. En dessous des charges fixes, on peut
perdre beaucoup d’argent. Au-dessus, on est rentable. Il faut donc devenir très vite le
leader. Ce qui est notre cas sur la quasi-totalité de nos sites. Ces dernières années, le
fait de pouvoir ne pas envoyer la même publicité pour tout le monde au même moment
devient très important. On peut individualiser, parce qu’on sait reconnaître au travers
de l’IP la personne qui est en face. Ce que Radio, TV ou Presse ne savent pas faire.
C’est une démarche naissante ?
Non, ça fait trois ans qu’on y travaille. On estime que vers fin 2015, début 2016, le
volume que l’on fera sur cette partie-là sera supérieur au volume que l’on fait sur la
publicité classique. Ça inclut le marketing direct, la programmatique et le trading
desk89. En fait, nous vendons de plus en plus de la Data, c’est-à-dire la connaissance
du public qui est en face de nous. Par exemple, si je sais qu’un homme de 50 ans CSP
+ est en train de consulter des articles sur les Maldives, j’ai une information
extrêmement précieuse. Je vais pouvoir lui envoyer des informations qui ne seront pas
perçues comme du Spam mais comme du service, sur des hôtels, des équipements
sportifs, des appareils photos ou des montres de plongée sous-marine. À sa femme,
qui regarde un autre site, je vais pouvoir envoyer des informations sur les maillots de
bain ou des chaussures d’été.
89
Le trading desk est une plateforme qui utilise la Data et la technologie afin d’aider les
annonceurs à acheter du trafic par le biais des médias numériques.
Mai 2015
Tous droits réservés
Y at-il les annonceurs pour cela ?
Oui, ce sont les mêmes qu’hier pour la publicité classique. L’annonceur va acheter
quelque chose de plus ciblé et comme c’est plus ciblé normalement il l’achète plus
cher. On passe de la publicité au marketing direct. La frontière entre l’un et l’autre est
de moins en moins marquée. La publicité classique s’étiole et on va de plus vers le
marketing direct.
Est-ce valable pour tous les types d’annonceurs, y compris la grande
consommation comme les lessives ?
Je ne suis pas un expert des lessives. Mais ce qui est intéressant avec Internet, c’est
de pouvoir accéder à la first Data, savoir qui est en face de vous, et à la tierce partie90,
c’est-à-dire ce qu’il est train de regarder en ce moment. Pour répondre sur la lessive,
si je sais que j’ai une ménagère devant moi, c’est une donnée importante. Mais ça ne
justifie pas de lui envoyer la pub sur la lessive alors qu’elle regarde des chaussures.
Mais, si elle consulte un site communautaire dans lequel on parle de problème de
maison, là c’est peut-être le moment de lui faire passer la pub pour la lessive. Car là,
elle va sans doute y être sensible et la publicité aura un meilleur impact.
Tout ce dispositif de Data a été développé par votre société ou vous faites appel
à des prestataires ?
Nous avons effectué beaucoup de croissance interne sur ce sujet et aussi racheté des
compétences à l’extérieur. Nous sommes précurseurs sur ce domaine. Il y a des
éditeurs qui cèdent toutes leurs données à des tiers, du type Weborama 91, Criteo92 ou
MilleMercis93 qui les commercialisent pour eux. Nous n’avons pas fait ce choix.
Vous avez travaillé en radio au moment du basculement de la radio classique,
top down, à la radio participative avec par exemple l’émission du Doc sur Fun
Radio. Ce que la radio a initié, Internet l’aa généralisé ?
On essayait d’aller le plus loin possible dans l’interactivité en tenant compte de la
particularité de la radio : tout doit transiter par le studio. Il n’y a jamais eu de contact
direct entre les auditeurs sans l’intervention de l’antenne. On essayait des stratagèmes
pour que ça ne se voie pas à l’antenne, mais ce n’était pas du pair à pair. En laissant
une dizaine de personnes dialoguer sur l’antenne, nous donnions le sentiment de
l’Agora. Mais ils étaient préalablement sélectionnés, puis guidés. Il y avait toujours le
rôle du sachant au-dessus. Dans ce cas, il y a un contrôle a priori car on sélectionne la
personne. Sur Internet, on a un contrôle a posteriori. Cela change tout, l’organisation
90
Site Internet ou application mobile consultée
http://www.weborama.com
92
http://www.criteo.com
93
http://www.1000mercis.com
91
Mai 2015
Tous droits réservés
115
n’est plus du tout la même. Vous n’avez presque plus besoin de conférence de
rédaction. Dans de nombreux cas, vous laissez produire et vous regardez ce qui
ressort, ce qu’il y a de meilleur. Le bon papier qui n’aurait pas été vu par la rédaction,
sort tout seul par les consultations des utilisateurs. S’il y a du mauvais, nous le retirons
tout de suite. Il y a peu d’impact car peu de gens l’auront vu.
Vous vous pratiquez les deux, l’information et le Savoir-faire ?
Oui, car il y a un sens éditorial à donner. On n’est pas sur des inventaires à la Prévert.
Nous définissons un certain nombre de règles qui sont connues des utilisateurs. Par
exemple, le Journal du Net traite de l’économie de demain. Et il n’est pas de bon ton
de faire la promotion de ses propres produits. Si ces règles plaisent à l’utilisateur, il
se met dans ce mode de fonctionnement. Une fois qu’il est dans ce mode, il est libre.
Et le contrôle est allégé au maximum. C’est l’intelligence des foules et pas la bêtise
de la foule. Mais, quand on trouve le nom des deux assassins des attentats de janvier
sur Internet, il faut aller vérifier auprès de la Préfecture. Ça, c’est un travail
journalistique. Ce n’est pas l’affaire de Mr Tout le monde. Sur d’autres sujets, on va
faire remonter par le public des informations mais en les cadrant. On arrive à faire les
deux, produire nous-mêmes et laisser les utilisateurs produire.
116
Vous pouvez préciser cette notion de l’intelligence des foules ?
Si vous prenez 1000 personnes et que vous leur demandez un avis sur n’importe quoi,
vous allez obtenir n’importe quoi. C’est la bêtise de la foule. Si, sur ces 1000
personnes, vous demandez qui est compétent et a une expérience personnelle sur un
sujet, vous aurez 4, 5 ou 6 avis de personnes qui vont être bons sur le sujet. Si vous le
faites sur 1 million de personnes, vous couvrez un nombre important de sujets. Vous
arrivez à avoir le meilleur de l’expérience. Vous avez l’intelligence de la foule.
Chacun de nous est spécialiste de quelque chose. Il y a une intelligence de la foule,
mais il faut l’ordonner. C’est notre travail.
Sur des sujets de consommation comme la cuisine, le bricolage ou la déco qui
sont parmi vos sujets de prédilection, peut-il y avoir des connections entre ce que
vos sites produisent comme contenu et des programmes TV ?
Oui, en théorie c’est possible. Mais le vrai problème, c’est le choc des cultures. Le
traitement du contenu en top down est ancré dans les gènes des créateurs de
Télévision. Avant que cela change, il faudra du temps. On a pu le constater quand des
journaux comme Le Monde ou Le Figaro se sont développés sur Internet. Ils ont défini
ce qu’ils devaient faire au début des années 2000 du point de vue éditorial et
commencent tout juste à changer. C’est très compliqué pour eux de passer d’un
modèle à l’autre. Je ne vois pas comment les télévisions pourront bouger assez vite
pour rester dans la course, sans changer de culture. C’est un traitement d’information
et de création de contenu très différent.
Mai 2015
Tous droits réservés
Le développement de contenus vidéo sur vos sites est motivé par quoi ?
Nous avions déjà de la vidéo sur le site mais, depuis 2-3 ans, c’est devenu une priorité
stratégique. Car maintenant nous avons un modèle économique. Tout ce que nous
produisons est rentable. Ce sont des vidéos courtes, spécifiques à Internet avec un
outil de production aux antipodes des studios classiques. Notre progression en matière
de vidéo est spectaculaire. Sur novembre 2014, on arrivait à 27 millions de stream par
mois sur tout terminal. En comparaison, une chaîne comme TF1 atteint environ 100
millions de stream par mois catch up incluse.
Est-ce que des sites comme YouTube vont tuer la TV à terme ?
Je n’en suis pas persuadé. Sur YouTube, il y a quelques émissions qui sont proches
ou issues des médias. Tout le reste est, sauf un pourcentage très faible, d’un niveau
déplorable. Au fur et à mesure, les médias vont monter en puissance. Or, leur réticence
à voir leur marge captée par YouTube va réduire les contenus qu’ils déposent sur cette
plateforme. YouTube va se retrouver avec son seul contenu propre. Les quelques
vedettes nées sur YouTube, telles que Cyprien, vont très vite se poser la question de
devenir elles-mêmes un média. Elles voudront partager autrement la valeur avec
YouTube. Là, ce n’est que le début. Tout n’est pas encore complètement organisé,
mais ça évolue vite. On voit des télés comme M6 qui rachètent ce type de sociétés de
production vidéo spécialisées sur Internet. Idem en Allemagne. En gros, tout le produit
de qualité va appartenir à des médias. Et donc, sauf à produire lui-même ses contenus
et ses chaînes, YouTube n’est pas un média. Pour l’instant, ses chaînes en France ne
marchent pas. C’est une plateforme technique. Aujourd’hui elle capte toute la marge
au motif qu’elle est le principal canal de distribution. Cela pose le problème d’abus
de position dominante. Mais, ça finira par être réglé, au niveau de l’Europe. Nous,
éditeurs de contenu au sein de l’Open Internet Project94, nous demandons à Bruxelles
d’agir. Imaginez que Carrefour soit propriétaire de 90% des supers et hypers de
France. Imaginez que toutes les têtes de gondoles soient des produits Carrefour et que
pour y avoir accès, il faille lâcher 80% de sa marge. C’est très exactement ce qui se
passe avec YouTube. Ça ne peut pas durer. C’est une question de temps. Ça ne sera
pas simple car Google est derrière YouTube. Ils disposent d’un pouvoir de lobbying
très important. Regardez ce qui s’est passé avec la presse. Google a lâché 60 M€ sur
3 ans (sur 1,5 Mds € de revenus annuels) dans un fonds d’aide pour la presse française
pour avoir la paix. Et les journaux ne les critiquent plus.
94
CCM Benchmark est un des groupes fondateurs de cette association professionnelle
http://fr.openInternetproject.net
Mai 2015
Tous droits réservés
117
Alors que penser des réseaux sociaux (Facebook et Twitter) qui vendent le
hashtag des émissions TV et créent ainsi une offre publicitaire concurrente aux
régies des chaînes sur la même audience ?
On est sur une économie émergente. Tant qu’il n’y a pas de règle celui qui est en
position de force en abuse. Ce qui est primordial est que le prix du distributeur laisse
aux producteurs de quoi vivre.
Donc seule la réglementation peut résoudre cette situation...
Oui, il faut qu’il y ait un minimum de réglementation sur Internet. Aujourd’hui, pour
faire valoir ses droits seule une attaque en justice peut aboutir et ça prend des années.
La mise en place d’une réglementation est donc inévitable. J’espère qu’on aura ce
contre-pouvoir à partir de 2016.
C’est au niveau de l’état ou de l’Europe que cette règlementation doit être mise
en place ?
118
La réponse au niveau national n’est pas suffisante. L’Espagne en a fait la cruelle
expérience en voulant imposer la rémunération des médias par les moteurs de
recherche qui présentent leur news. Google a supprimé Google News en Espagne le
lendemain de la publication de la loi pour ne pas avoir à payer. En Allemagne, Google
menace de pénaliser les médias allemands sur son moteur de recherche s’ils
demandent à être rémunérés par le moteur de recherche. En tant qu’européens, nous
avons le poids nécessaire pour agir sur eux. Mais il faut mettre en place tout un arsenal
pour créer des contre-pouvoirs face à ces monopoles.
La réglementation est-elle suffisante pour que les chaînes de télévision
accroissent leurs revenus sur Internet avec leur marque média ?
Non, ça ne sera pas suffisant. Surtout, si les chaînes ne produisent pas spécifiquement
pour Internet. Or, comme je le disais précédemment, il y a le problème culturel avec
tous les freins internes qui considèreront que cela dénature leur vocation et leur
mission. Il y a un vrai problème de conduite du changement. Et la croissance externe
n’est pas forcément la solution. Là encore, il y aura choc des cultures. Un ou deux ans
après l’absorption, on se rendra compte que la société est en train de mourir. Et si on
laisse la société en externe, cela n’infusera pas la culture de la maison mère. Muter est
la seule possibilité. Springer rachète des structures externes et ferme des titres en
interne, pour passer d’un business 100% traditionnel à un business 100% Internet. Ils
savent qu’en 10 ou 15 ans, ils vont changer complètement de business model.
Mai 2015
Tous droits réservés
NICOLAS DE TAVERNOST
PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE
GROUPE M6
Directeur Général adjoint à la création de la chaine en 1987, Nicolas de Tavernost
en devient Directeur Général en 1990. Depuis Mai 2000, il est Président du Directoire
du groupe M6.
119
Mai 2015
Tous droits réservés
Quelle est la stratégie numérique du groupe M6 ? Quel bilan tirez-vous des
actions que vous avez menées ces dernières années ? Quelles évolutions à court
terme ?
Le point fondamental est l’interactivité, l’interaction avec le public ; le Digital a fait
évoluer cette relation.
Le groupe M6 a de l’antériorité dans ce domaine. La première grande expérience en
Télévision est Le Loft, avec l’invention du SMS surtaxé. Nous avons eu accès
immédiatement à une interactivité frustre (sous forme de vote) et rentable (surtaxée).
Et ce modèle a perduré jusqu’à l’arrivée du Digital. C’était un modèle économique
qui permettait d’amortir une partie des coûts des programmes grâce à ces recettes
d’interactivité. L’interactivité pouvait aussi participer à la mécanique du programme.
À cette époque, avec le canal 24/24, il y avait déjà une extension 2ème écran. L’écran
principal n’était en fait que le dérivé du 2ème. Le Loft est l’initiateur d’un premier
dispositif d’interactivité, fruste mais comme il était novateur ça permettait de le faire
payer. L’interactivité surtaxée s’est répandue dans le monde via des programmes de
jeux où le public gagnait des lots considérables. C’était un moyen pour avoir un
programme partiellement payant.
120
Le Digital a changé cette nature puisque nous sommes rentrés dans l’univers gratuit.
C’est ce qui a changé de manière assez systématique la relation avec l’interactivité.
Ce n’est pas l’intérêt de l’interactivité qui a changé mais sa rentabilité dans son
business model. La question aujourd’hui est la monétisation de cette interactivité.
Ce peut être par un accord de répartition des recettes de publicité entre opérateurs.
Mais comme certains, les réseaux sociaux, se sont spécialisés sur l’interactivité, le
partage de la recette ne se fait plus sur un pied d’égalité.
En 2008, nous sommes passés à une délinéarisation avec le lancement de
l’application replay. En catch-up TV, il y a trois modèles dans le monde : gratuit
financé par la pub, freemium et premium. En Hollande, la catch-up TV est en SVOD95,
principalement composée de programmes nationaux qui ne peuvent pas être
concurrencés par les programmes internationaux. Cela pourrait s’appliquer à la
France, mais la Hollande a un volume plus important de productions nationales,
notamment de soap ou de script reality. Elle dispose d’un catalogue exclusif avec un
volume relativement important. Toutefois, les chiffres de consommation ne sont pas
très élevés.
En France, le modèle est gratuit pour l’utilisateur. La Télévision devenant de plus en
plus filaire (déjà 42% de la distribution, en progression constante), donc interactive,
elle permettra de proposer des services associés vendus par les chaînes aux opérateurs.
95
Subscription video on demand, vidéo à la demande avec abonnement
Mai 2015
Tous droits réservés
Aujourd’hui, il n’y a que la catch-up. Les opérateurs ont essayé de l’obtenir
gratuitement, mais ils ont finalement accepté de payer pour ce service fourni par
l’éditeur. Ce prix de vente est justifié par les droits supplémentaires acquis et les frais
techniques de mise au format pour cette diffusion. C’est une négociation à caractère
commercial qui porte aussi sur l’existence ou non de la publicité, le partage des
recettes associées et le coût de la bande passante. Demain cette négociation
commerciale pourra aussi porter sur le service de la diffusion linéaire des chaînes
gratuites. L’avenir de la Télévision gratuite est d’être payant pour les opérateurs, à
l’instar de ce qui se passe aux USA et en Allemagne. Ce n’est possible que si le rapport
de force est favorable à la chaîne gratuite, grâce à l’attractivité de son offre.
Aujourd’hui, tel qu’il existe, le replay est un service rentable. Sa rentabilité est
marginale et le restera. Il représente 5 à 10% de la consommation de la Télévision,
peut-être 15% voire plus selon les types de programmes, en distinguant la
consommation dans l’immédiateté, type téléréalité jeune et celle sur la durée type
séries de catalogue. Deux sources de revenus sont associées à ces services : la
publicité et le paiement à la consommation. M6 représente un peu plus de 1M de
vidéos vues par jour sur des programmes longs qui génèrent de la Data, du contact, de
la vente. L’évolution de la recette publicitaire dépendra du développement ou non des
bloqueurs de publicité et autres dispositifs.
L’interactivité c’est aussi l’utilisation des réseaux sociaux et le 2ème écran ?
Oui. Sur les réseaux sociaux existants, nous avons intérêt à y organiser les flux plutôt
que de les laisser s’organiser sans nous. L’audience des réseaux sociaux n’est pas
corrélative à l’audience des programmes. Nous avons l’habitude de commercialiser
l’audience, mais les volumes sont sans commune mesure. Il y aura une évolution avec
des offres de couplage entre la diffusion principale et les réseaux sociaux, pour trouver
une certaine forme de rentabilité.
Il y a aussi des effets indirects avec une connaissance du programme et leur
promotion. Le flux des réseaux sociaux nous apprend beaucoup de choses sur le
programme lui-même. Le téléspectateur sait tout sur tout. C’est un outil très précieux,
peu pollué sur le ressenti et qui fait émerger les insuffisances du programme. On se
sert des réseaux sociaux au quotidien pour affiner les réactions et les ressentis du
public.
Sur le plan des revenus, il n’y a pas d’accord global entre M6 et les réseaux sociaux.
C’est une négociation programme par programme.
Pour les applications 2ème écran, là aussi, il y a une courbe d’expérience qui n’existe
pas encore aujourd’hui. La seule chose que l’on peut dire, retour d’enseignement de
Rising Star, est qu’il ne faut pas que les programmes soient faits dans la perspective
Mai 2015
Tous droits réservés
121
du 2ème écran. Il ne faut pas que l’opportunité technologique prenne le pas sur le
concept et l’attractivité du programme.
Le e-commerce est aussi une sorte de 2ème écran. Vous êtes sollicités dans la publicité
pour aller commander en temps réel des produits ou des services. C’est sur le
smartphone via une application téléchargée. C’est un 2ème écran puisque vous le faites
sur le smartphone indépendamment du téléviseur. Il y a une synchronisation mais ce
n’est pas le plus important. La courbe d’expérience nous apprend que c’est peu adapté
au prime-time. C’est mieux adapté à des programmes à faible intensité d’attention.
C’est compréhensible mais ce n’était pas forcément évident.
Le 2ème écran a un intérêt relativement limité aujourd’hui. Il a quelques applicatifs très
concrets, avec une conception du programme cohérente, comme par exemple les jeux
concours, héritiers des grilles de jeux publiées dans les magazines de Télévision pour
être utilisés pendant l’émission. Je ne crois pas beaucoup actuellement à la publicité
ciblée et géolocalisée grâce à l’applicatif, mais il faudra voir l’évolution à l’avenir.
Nous la testons dans Top chef. Ça peut marcher mais ce n’est pas le ressort essentiel ;
l’essentiel de l’applicatif, ce sont des recettes, des résultats, des pronostics. Il y aura
aussi des applicatifs de promotion. C’est pourquoi, nous avons racheté une entreprise
de couponing Radins.com.
122
Tous ces applicatifs peuvent fonctionner à une condition de ne pas perdre l’essentiel.
La Télévision est d’abord un média de puissance. Elle vise à fédérer les grandes
audiences. Elle peut s’accompagner d’applicatifs interactifs, mais elle ne peut pas
substituer à sa volonté de puissance des applications interactives. Il faut faire très
attention à ne pas aller dans l’autre sens. Le ressort de la Télévision est l’instinct
grégaire qui ne peut que s’opposer à l’instinct de communication individuel one to
one.
Comment concevez-vous les dispositifs 2ème écran quand ils font partie intégrante
du programme ? Ce sont les producteurs qui vous les proposent ou ce sont les
équipes de M6 qui apportent ce savoir-faire ?
C’est nous qui pilotons ces dispositifs. Tout ce qui se passe sur le 2 ème écran doit être
imaginé et décidé dès la conception du programme. Quand nous lançons un nouveau
programme, cela fait partie du cahier de charges du programme ; quels applicatifs vont
être lancés, ce qu’on va mettre à l’antenne, les votes, les jeux-concours, etc., y compris
la vente de publicité, les codes promo.
Il y a bien un phénomène d’enrichissement, mais c’est de la Télévision enrichie pas
une nouvelle Télévision. Il n’y a pas de rupture, contrairement à l’apparition des sms
surtaxés avec Le Loft, il y a une technologie qui marche mieux et une utilisation des
réseaux sociaux qui n’existaient pas avant. L’interactivité initiale était le téléphone,
maintenant, c’est Internet. Mais ça ne remplace pas la créativité des programmes.
Mai 2015
Tous droits réservés
La téléréalité a vraiment changé les choses en générant cette interactivité, est-ce
qu’aujourd’hui la téléréalité pourrait se passer de l’interactivité ? Sur le public
le plus jeune, peut-on leur proposer de nouveaux programmes sans ces
dispositifs ?
Oui, L’Amour est dans le pré est de la téléréalité. On ne va pas empêcher les gens de
twitter, mais les applications 2ème écran ou l’utilisation des réseaux sociaux ne sont
pas indispensables. Parfois ça apporte de la valeur ajoutée, mais ce n’est pas
indispensable.
Ce sont les jeunes qui prennent possession de ces outils. Nous leur proposons un live
tweet. Nous reprenons les tweets qui se font, mais ce n’est pas nous qui les créons. Ils
n’ont pas besoin de nous pour échanger sur les réseaux sociaux. Avant, il y avait déjà
la diffusion à l’écran des commentaires par sms qui étaient parfois plus drôles que le
programme. Pour certaines émissions, ça devient un élément de programme.
La grande différence avec le Digital est le temps réel. Pas uniquement pour la
Télévision Sur un site d’information, on est, parfois, plus intéressé par les
commentaires et les réactions du public que par l’information elle-même. Les gens
s’accaparent les choses.
C’est pourquoi le développement de la distribution filaire pour la Télévision est une
bénédiction. Pour le moment, nous tâtonnons sur les émissions avec interactivité, avec
le 2ème écran etc. Mais, il y aura des nouveautés que l’on va trouver, développer, qui
seront consubstantielles au programme. Aujourd’hui s’il y ait une panne de tweets
pendant la diffusion d’une téléréalité, ce serait problématique. Pour les jeunes, c’est
consubstantiel de donner son avis sur le programme qui est en train d’être diffusé. Ce
besoin de partager en même temps, c’est l’instinct grégaire qui est l’énorme force de
la Télévision.
L’interactivité, nous nous en servons aussi, par l’utilisation de la Data pour essayer de
fabriquer de l’audience. On la mesure encore assez mal, nous en sommes aux
balbutiements.
Pour le développement de la Data, aujourd’hui vous restez encore loin de
l’utilisateur, même sur la Télévision filaire, car vous passez par un opérateur qui
vous coupe de l’utilisateur…
Non, pas vraiment. Quand une personne télécharge des jeux et joue, elle s’identifie.
Elle le fait par le 2ème écran, mais pas par la diffusion.
On utilise les Data pour susciter les push. On fait le mouvement en sens inverse.
Tout cela va aboutir à la fabrication de kits de programmation. On passe d’un kit de
programmes à un kit de programmation. Dans des mécanismes complexes sur lesquels
Mai 2015
Tous droits réservés
123
nous commençons à réfléchir : comment optimiser les grilles de programmes par ce
que nous savons via les Data, c’est l’équivalent du moteur de recommandation dans
la SVOD.
Par l’envoi de données et leur retour, il y a des traitements très sophistiqués à imaginer
avec l’emploi de la sémantique et d’autres techniques qui vont nous permettre
d’améliorer l’offre. Il y aura un apport de l’intelligence artificielle. Je pense, que le
processus va s’accélérer. Cette connaissance pourra aussi s’enrichir par l’achat des
Data des concurrents.
L’interactivité adaptée à la programmation linéaire est quelque chose de tout à fait
passionnant. Je crois que ce sera plus passionnant par la collection et l’utilisation des
Data que par l’utilisation du 2ème écran pour des applicatifs.
La publicité programmatique fait évoluer le business model sur Internet en
passant de la vente en masse à de la vente ultra ciblée, quelle conséquence pour
la publicité télévisée ?
124
C’est de la vente ultra ciblée à partir d’un inventaire pléthorique. La programmatique,
c’est parce qu’il y a un excès d’inventaire que l’on peut cibler à l’intérieur de cet
inventaire et finalement le contextuel ne joue plus. Internet c’est un inventaire infini,
au milieu duquel, vont gagner ceux qui utilisent le mieux les Data.
Pour la Télévision, je suis farouchement opposé au programmatique que nous
pourrions déjà appliquer. Même si l’inventaire n’est pas infini, nous pourrions
proposer les outils. Mais on ne le veut pas, car le contextuel joue un rôle fondamental
en Télévision.
Mai 2015
Tous droits réservés
HENRI VERDIER
DIRECTEUR
ETALAB
Henri Verdier est directeur d'Etalab 96 , le service du Premier Ministre chargé de
l'ouverture des données publiques. Il a, de plus, été nommé Administrateur Général
des Données (AGD). Ancien élève de l’École normale supérieure, il fut Directeur
Général des Éditions Odile Jacob Multimédia puis, en 2007 Directeur chargé de
l’innovation de Lagardère Active. Il a été Président de Cap Digital, Pôle de
compétitivité Vie Numérique de la Région Ile-de-France.
En 2012, il a publié L’Age de la multitude : entreprendre et gouverner après la
révolution numérique aux Éditions Armand Colin (deuxième édition, mai 2015)
96
http://www.etalab.gouv.fr/
Mai 2015
Tous droits réservés
125
Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les Big Data ?
126
On appelle « Big Data » un ensemble d’évolutions qui s’appuient sur plusieurs
phénomènes. Le premier est de pouvoir mesurer des morceaux entiers du réel qu’on
ne savait pas mesurer avant. C’était trop compliqué, trop cher. Par exemple,
Withings97 commence à faire un peu de recherche biomédicale car ça ne leur coûte
rien de mesurer le poids de leurs clients sur leurs balances. Ils peuvent produire des
statistiques de poids par département et les comparer aux dépenses de sécurité sociale
et trouver des corrélations insoupçonnées. Autant raisonner dans l’idée que demain il
y aura une empreinte numérique du réel dans sa plus grande finesse. Parce que les
capteurs ne coûtent rien, ils sont en standard dans les smartphones. Pour quelques
euros, on pourrait ajouter des capteurs qui mesurent la voltamètrie ou la pollution
atmosphérique.
Le deuxième phénomène est que ça ne coûte vraiment pas cher de traiter ces données.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, nous avons organisé un hackathon avec la
CNAM, et on peut aussi installer des fichiers de quelques milliards de lignes sur un
serveur qui tient de bonnes charges avec un gros PC acheté en boutique, sur lequel on
monte une infrastructure Hadoop98 libre et gratuite. L’opération totale prend 24h. Ça
montre que ça va se démocratiser. Il faut que les organisations, les institutions aillent
vers l’open innovation car la puissance d’innovation de la société civile est
extraordinaire. Ce n’est plus vrai que seules des équipes d’ingénieurs très chers avec
du matériel très cher sont capables de traiter ces masses de données. Il faut s’assurer
que les petits laboratoires, les petites start-up, les étrangers, tous ceux qui sont déjà en
train de fouiller les données avec passion, viennent les voir et leurs présenter leurs
innovations.
Le troisième phénomène est un changement dans les stratégies mêmes d’utilisation de
ces données. On ne se contente plus des seules statistiques. On peut intégrer du
traitement de données dans tout le dispositif d’action. En analysant une stratégie
d’achat, par exemple, on ne se contente pas de trouver les bons et les mauvais
acheteurs ou les produits les plus chers. On peut réfléchir à la manière de créer un
dispositif permettant à tout acheteur de connaître les meilleurs prix obtenus par ses
collègues, pour que chacun négocie mieux. Mais pour ce faire, on modifie
l’organisation, la chaîne de pouvoir, les circuits de décision et on distribue finalement
différemment l’intelligence dans l’organigramme.
Je pense que ces trois tendances caractérisent la révolution des Big Data.
97
98
Fabricant de matériel connecté dont des balances http://www.withings.com/fr/
Solution logicielle permettant le traitement de données http://hadoop.apache.org/
Mai 2015
Tous droits réservés
Comment cela pourrait-il impacter les médias ?
Autres généralités avant de vous répondre. On pourrait dire de prime abord que tous
les secteurs qui sont atteints par l’innovation Big Data vivent le même chemin.
Au début, ils ne changent ni le produit ni l’organisation mais on essaie d’affiner le
marketing. On veut mieux connaître ses clients, pour mieux cibler sa communication.
C’est un peu plus tard qu’on se rend compte que l’organisation peut changer. Prenons
l’exemple d’UBER qui concurrence les opérateurs de taxis. En apparence, l’offre est
la même : toujours une voiture avec chauffeur. En fait, ils ont changé le modèle
d’affaires, l’offre de service. Un radio-taxi traditionnel a un business model presque
indépendant du taux de remplissage des taxis. Mais Uber ne demande à être payé que
s’il y a une course. Ils le peuvent car ils ont intégré dans le design de leur service le
paiement de la course. Ils ont changé le modèle d’affaires, le service n’est plus du tout
le même. La troisième étape consiste à changer le produit lui-même, en utilisant les
données pour faire de nouveaux produits, comme Netflix quand il décide de produire
House of cards en se fondant sur ses données de location de films.
De mon point de vue, dans les médias on en est à la première révolution. On réfléchit
à mieux trouver son audimat. Il y a quelques exemples réels ou supposés d’utilisation
de Data, plus que de Big Data pour l’élaboration de production. Par exemple, Netflix
pour House of cards ou quelques studios hollywoodiens qui calculent ce que doit être
leur investissement en fonction de calculs statistiques sur le scénario, les acteurs, le
réalisateur, etc. Ça reste très marginal par rapport à ce qu’on a vu déferler dans la santé
où on se pose la question de la chaîne de valeur et du design de produits complètement
différemment.
On ne peut pas aller plus loin ?
Si et là, c’est de la prospective pure. Dans les médias, on oscille entre deux directions.
Soit on continue un modèle de média à l’ancienne avec en haut de la pyramide un
décideur éclairé qui prend ses responsabilités. Il alloue des ressources de production
et fait une grille des programmes. Grâce aux Data, le futur directeur des programmes
pourrait tout savoir. Au lieu d’avoir un audimat le lendemain matin, il aurait un
audimat prédictif, beaucoup plus granulaire. Un exemple de système d’audimat
prédictif : SNIPS99 qui a développé Tranquilien100. À tout instant, elle est capable de
prédire le trafic dans le Transilien, parce qu’elle a un modèle de prédiction qu’elle
nourrit de micro-détails. Si elle détecte que des gens commencent à sortir du stade de
St Denis, elle sait prédire qu’il y aura des problèmes sur la ligne 13, 2 heures plus tard.
On imagine bien qu’il serait possible de faire pareil avec l’audimat, en considérant les
thématiques qui agitent la conversation sociale, l’offre concurrente, la saison. On
pourrait imaginer de la programmation en temps réel. L’autre direction consiste à
99
Société française d’analyse de données www.snips.net
Application mobile indiquant quels trains auront le plus de places assises disponibles
100
Mai 2015
Tous droits réservés
127
considérer que cela devient décentralisé, conversationnel, multi-écran et voir
comment on peut devenir mobilis in mobile et prendre ainsi moins de décision en
haut. Le métier ne sera plus d’amener les spectateurs à l’heure dite devant l’écran mais
de lancer d’énormes mouvements sociaux pour lesquels une partie substantielle se
passera sur Twitter, une autre sur Facebook, une sur un blog et enfin une partie sur
l’écran de télévision. Comme le magazine L’Auto a su créer le Tour de France en son
temps, il faut réfléchir à créer les grands évènements de lien social, très fédérateurs
mais dans un environnement où les personnes passent plus de temps sur les écrans des
réseaux sociaux que sur les écrans collectifs. Il faut penser l’audience comme
transmédia et pas l’œuvre. Ce n’est pas une fragmentation de l’œuvre sur plusieurs
écrans mais une discussion globale dans laquelle le média doit être central, polariser
la discussion.
La Télévision est un mass-média, consommé énormément. S’il est possible de
transformer cette consommation en Big Data, comment est-il possible de gagner
de l’argent avec?
128
Du point de vue de la Silicon Valley, la valeur de l’effet réseau croît avec le carré du
nombre d’utilisateurs. C’est pourquoi, ils attaquent par une stratégie parfois
extrêmement risquée de gratuité pour arriver à 1 ou 2 milliards d’utilisateurs. Ils
pensent qu’il y aura toujours un moyen de gagner de l’argent avec à un tel stade
d’utilisateurs. Il y a 2 à 3 ans l’équipe de Facebook était plus petite que celle de TF1
mais elle avait 1 milliard d’internautes en portefeuille. Financé par le Capital Risque,
ils peuvent tenir un certain temps cette stratégie de gratuité et ne convertir en
monétisation que tardivement. Dans le domaine de la Télévision, la collecte des
données peut être un atout. C’est la culture de données. Ce dont on parle dans l’Age
de multitude101, la stratégie de plateforme. Twitter et Facebook proposent des API102
et laissent les innovateurs créer des services qui tournent sur leurs plateformes. Idem
pour les Data. Tout ce qui est recueilli en données d’utilisation, si elles sont réexposées
à d’autres innovateurs en leur demandant d’innover sur la plateforme, il est possible
de créer de la valeur. Ensuite, cette valeur peut être partagée. C’est très exactement ce
que fait Apple avec l’AppStore. Plusieurs millions d’applications sur l’AppStore
représentant des dizaines de millions de mois- homme d’ingénieur qui ne leur ont rien
coûté et leur rapportent 30% du chiffre d’affaires.
101
Editions Armand COLIN http://colin-verdier.com/
Application Programming Interface, interface de programmation avec une application ou un
service en ligne
102
Mai 2015
Tous droits réservés
Que doit faire aujourd’hui une chaîne pour entrer dans ce domaine des Big
Data ?
Le pouvoir appartiendra à celui qui détient des données, qui a une sorte de monopole
d’accès au traitement de ses données. Il trouvera bien un moyen de les monétiser. Si
j’étais une chaîne de TV, la priorité serait de me mettre en organisation pour générer
le plus de données possibles, pour intégrer dans mes conditions contractuelles un
maximum de transfert de données vers mes fichiers. Si vos partenaires en savent plus
sur les conséquences de vos actions, vous êtes lié à eux. Il faut en savoir au moins
autant que les partenaires.
129
Mai 2015
Tous droits réservés
AUTEURS
130
Ce Livre Blanc est le regard croisé de deux professionnels complémentaires :


Laurent FONNET, enfant de la TV, a fait le principal de sa carrière à la direction
de chaînes de télévision nationales,
Stéphane GAULTIER, enfant du Digital, est un spécialiste des nouvelles
technologies du numérique et de leur association avec des médias traditionnels.
Mai 2015
Tous droits réservés
LAURENT FONNET
[email protected]
@LaurentFonnet
Homme de Télévision, sa vie professionnelle au sein de grands groupes audiovisuels,
son expérience quotidienne en gestion, programmation et direction de chaînes de
télévision ainsi que son approche d’Ingénieur, l’ont amené régulièrement à analyser
et structurer ses connaissances et sa compréhension du secteur de la Télévision et,
principalement, celui de la diffusion et de l’édition audiovisuelle et son évolution à
l’ère numérique.
Il a dirigé, jusqu’à la fin de l’année 2014, les chaînes TV du Groupe NRJ (NRJ12,
Chérie 25, NRJ Hits et NRJ Paris). Il y a, notamment, renforcé l’offre de dispositifs
digitaux connexes aux programmes.
Auprès de Yannick Bolloré, à la Direction Générale de Bolloré média (2008/2012), il
a œuvré à l’ascension de Direct 8 jusque sur le podium de la TNT et à l’intégration de
Direct Star.
Il a débuté dans l’Audiovisuel en 1990 en rejoignant le groupe TF1 en qualité de
Secrétaire général de l’Antenne. Il est nommé en 1997, Directeur de la Programmation
et de la Diffusion, puis Directeur Adjoint de l’Antenne de la chaîne TF1 en 2003. Au
lancement de la TNT, en 2005, il devient Directeur Général de TMC Monte Carlo,
puis des chaînes TF6 et Série Club en 2007.
Il a soutenu, en 2005, une thèse de Doctorat en Sciences Economiques à la Sorbonne
sur la micro-économie de l’édition audiovisuelle.
En alternance à ces responsabilités opérationnelles, il a dirigé de nombreuses missions
de conseil dans les secteurs de l’édition et de la production audiovisuelles en France
et à l’étranger en qualité de Directeur-Associé au sein de Cabinets de conseil et
d’expertise média (Media Consulting Group, IMCA, AuRC Conseil). En 2008, il a
créé et dirigé l’Observatoire des chaînes gratuites de la TNT qui, pendant plus de deux
ans, a publié des analyses stratégiques et l’a amené à prendre la parole régulièrement
dans les médias en qualité d’expert.
Diplômé de l’Ecole Supérieure d’Electricité (1982) et titulaire d’une Maîtrise en
économie d’entreprise de la Sorbonne (1983), Laurent FONNET a débuté sa carrière
Mai 2015
Tous droits réservés
131
comme Ingénieur Conseil en Organisation et Systèmes d’Information dans le cabinet
anglo-saxon Arthur Andersen (Accenture) en 1982, avant de devenir Secrétaire
Général de maisons d’édition littéraire du groupe Hachette-Livre en 1987.
Laurent FONNET est également, depuis 1993, chargé d’un cours sur « Le
management et la gestion de l’édition audiovisuelle linéaire » en formation initiale
pour des Masters à l’Université de Paris I Sorbonne, l’Ecole Supérieure de Commerce
de Paris (ESCP-Europe), l’Institut Politique de Paris (Sciences Po), l’INA Sup et au
CELSA et en formation continue. Il a une activité de conférencier sur ce thème.
132
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : La programmation d’une Chaîne de Télévision
(Dixit, 2003) et La Programmation de la Télévision à l’ère numérique (Dixit, 2010),
de chapitres dans des ouvrages collectifs : La production d’images dans Télévision,
l’ère du numérique (La documentation française, 2011) sous la direction de JeanCharles Paracuellos et Pierre-Jean Benghozi, La stratégie de l’Éditeur audiovisuel :
le modèle AuRC dans Culture Web (Dalloz, 2008), sous la direction de Xavier Greffe
et Nathalie Sonnac, d’articles dans des revues spécialisées : Les programmes culturels
sur les chaînes généralistes gratuites de la Télévision Numérique Terrestre (revue
Télévision, CNRS Éditions, n°2, 2011) sous la direction de François Jost, Éthique des
médias sociaux et économie de la participation: Vers une nouvelle approche
éditoriale? Une étude comparative (2009, Global Media Journal -- Canadian Edition
Volume 2, Issue 1) avec Ghislain Deslandes et Antoine Godbert, et d’une étude de
cas : Fusion TV : économie et stratégie d’une Chaîne mini-généraliste (CCMP, 2003,
208, 2013) avec Ghislain Deslandes.
Mai 2015
Tous droits réservés
STEPHANE GAULTIER
[email protected]
@stephgaultier
Spécialiste des nouvelles technologies et le Digital, il participe depuis plus de 25 ans
à l'évolution des médias. Il est spécialisé dans l'association de l'audiovisuel et du
Digital online et offline, et plus généralement dans l'hybridation entre médias
traditionnels et médias numériques.
Avec Virdual, il a démontré que les technologies du jeu vidéo pouvaient permettre de
produire des émissions de télévision interactives immersives. Le concept de base : en
filmant ce qui se passe dans un univers virtuel Internet, il est possible de réaliser une
émission de télévision à laquelle le téléspectateur peut participer depuis son canapé.
À titre d’exemple, Virdual a développé pour la RTS (Radiotélévision Suisse) le jeu
TV Les Imbattables. Un plateau, une animatrice et deux familles s’affrontent dans un
jeu ludo-éducatif. Tourné en Blue Box, le décor et le public sont générés par la
technologie de Virdual. Chaque membre du public est l’avatar d’un enfant qui s’est
créé un compte sur le site de l’émission. Chaque téléspectateur, au moment de la
diffusion, peut venir via son ordinateur ou sa tablette s’installer dans le studio et jouer
avec les candidats de l’émission. 40 émissions ont été produites en deux saisons en
2012/2013.
Cette passion pour la Télévision et les nouveaux supports est née dans le nord de la
France en 1985, alors qu’il faisait ses études d’ingénieur à Centrale Lille. En même
temps se lançaient Région Câble pour équiper tous les foyers de l’agglomération
lilloise de réception TV par câble et le Minitel. Enfant du Digital bien avant que le
terme Digital Native n’existe, Stéphane GAULTIER participe avec d’autres étudiants
à la création du premier service télématique du Nord RUSH avant d’en prendre la
direction jusqu’en 1987. Service d’Infos-Jeu-Divertissement leader sur la région
Nord-Pas de Calais, Rush a fourni également les pages d’informations locales
diffusées sur le canal de service Région Câble. La première chaîne de télévision du
Nord-Pas de Calais produite avec des contenus provenant d’un univers grand public.
De retour sur Paris en 1987, il accompagne France 2 (alors Antenne 2) pour refondre
son service télématique et créer de nouveaux services thématiques liés aux émissions
de la chaîne. Le Minitel était la 3ème dimension de l’écran, celle de
l’approfondissement, de la complémentarité. Il crée pour Bernard Pivot un service
Mai 2015
Tous droits réservés
133
pour son émission Apostrophe. Ce service sera leader sur la littérature pendant toute
son existence. Le concept : positionner le service sur la sélection des livres de M.
Pivot et intégrer un panneau annonçant le service juste après que Bernard Pivot ait
présenté une dizaine de livres « à lire absolument » dixit l’animateur et ses invités.
Il développe CanalVision, système de télévision pour entreprise basé sur l’AMIGA
de Commodore. S’appuyant sur une machine grand public, cette solution
professionnelle était performante, économique et surtout facilement exploitable par
du personnel non technicien. Cette solution équipera les couloirs de Pechiney, Spie
Batignolles et même du Sénat pour la diffusion des informations internes sur une
chaîne de télévision mariant infographie, photos et vidéo.
134
En 1994, il poursuit son exploration de la combinaison entre TV et autres supports,
notamment interactifs, en rejoignant l’équipe fondatrice de La Cinquième, devenue
depuis France 5. Il a en charge le développement des produits et services liés aux
émissions permettant au téléspectateur d’accéder au Savoir. Malgré des chiffres
d’audience très faibles, la filiale développement enregistrait des ventes significatives,
prouvant qu’au-delà du volume, la chaîne avait une audience de qualité. Par exemple,
chaque mois, plusieurs milliers de méthodes de langue en vidéo étaient vendues dans
le prolongement du programme de langue diffusé sur la chaîne. À l’apparition
d’Internet en France en 1995, Stephane GAULTIER développe en partenariat avec
Infonie, pionnier de la fourniture d’accès à Internet, une offre spécifique pour la
chaîne, W5. Les téléspectateurs et notamment le monde Éducatif pouvait accéder via
le Web aux compléments des émissions, voire grâce à la Banque de Programmes et
de Services aux émissions elles-mêmes.
Poursuivant sa réflexion sur le mariage des médias dans le monde éducatif, il conçoit
et développe en 1999 le i-m@nuel et le i-cart@ble. Le premier est un manuel scolaire
allégé, complété par un service Internet permettant à l’enseignant de sélectionner des
ressources d’illustration du cours. Ainsi, au lieu d’avoir recours à la photocopie qui
alourdit encore le cartable de l’enfant, l’enseignant peut déposer les ressources et les
devoirs dans l’environnement de travail de ses élèves, le i-cart@ble. La société a été
lauréate 2000 du concours national de création d’entreprises de technologies
innovantes du Ministère de la Recherche puis est vendue en 2003 au Groupe
Médiaparticipations.
À force de parler Éducation, il repart sur les bancs de l’école pour effectuer
l’Executive MBA de HEC en 2005. Au sortir, il fonde Virdual avec un de ses
partenaires d’équipe à HEC. La société sera lauréate du concours national de création
d’entreprises de technologies innovantes du Ministère de la Recherche en 2007.
Pour voir ses autres réalisations, connectez-vous sur www.edition.fr
Mai 2015
Tous droits réservés
LIVRE BLANC
Quel avenir immédiat pour
la Télévision face ou avec Internet
Il est impossible de parler de l’avenir de la Télévision si on ne
dispose pas d’une connaissance réelle de ce qui se passe
aujourd’hui, tant dans la Télévision que dans l’Internet. Au travers
de nos rencontres, nous avons souhaité photographier le marché
et les usages d’aujourd’hui puis évoquer les pistes d’évolution
possibles à court terme pour les acteurs afin qu’ils accompagnent
ces mouvements plus qu’ils ne les subissent.
Nous remercions les professionnels de la Télévision et
d’Internet qui ont bien voulu répondre à nos questions :
Didier FRAISSE, Réalisateur
Nicolas GAUME, Syndicat National du Jeu Vidéo
Léonor GRANDSIRE, NBC Universal International Networks
Alain LEVY, Weborama
Bruno PATINO
Alexandre MALSCH, meltygroup
Fabrice MOLLIER, TF1 Publicité
Laetitia RECAYTE, Newen Distribution
Benoit SILLARD, CCM Benchmark
Nicolas de TAVERNOST, Groupe M6
Henri VERDIER, Etalab
Téléchargez ce Livre Blanc sur www.edition.fr
Stéphane GAULTIER
[email protected]
Laurent FONNET
[email protected]
[email protected]
m